PREFACE
Nous avons disserté dans le livre précédent des épiscopes et des
clercs, c’est-à-dire de la partie qui est la principale et la plus noble
du corps ecclésial. Il nous reste à parler de l’autre partie,
c’est-à-dire de ces hommes qui, suivant les conseils évangéliques,
instituent un genre de vie plus exigeant et plus sublime que ce que prescrit
la loi divine ou humaine, ou que peut supporter l’infirmité de beaucoup
de mortels. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je dirai quelques
mots sur l’utilité de cet exposé, et même sur sa nécessité.
Même si la vie monastique ne concerne pas tous les chrétiens,
la défense d’une si grande et si excellente partie de notre patrimoine
religieux appartient globalement à tous ceux qui ont à cœur la survie
de la chrétienté. Quant les hérétiques traitent du monachisme,
ils vitupèrent les moines, inventent à plaisir des mensonges ahurissants,
et sautent sur toutes les occasions pour déblatérer contre les moines,
les faire détester par le peuple, en les appelant « les premiers soldats
de l’antichrist. » Ce faisant, ils ne cherchent pas
seulement à abolir les ordres religieux, mais à troubler l’église,
la blesser, et, si la chose était possible, en arracher les fondements.
Ils ne comprennent que trop, hélas, que s’ils avaient gain de cause
contre les moines, c’est-à-dire s’ils parvenaient à persuader au
peuple chrétien que les instituts religieux n’ont pas été fondés
par le Christ, mais par le démon lui-même, ils obtiendraient incontinent
que l’église universelle qui, pendant tant de siècles a constamment
approuvé le monachisme, soit perçue comme s’étant fourvoyée lamentablement,
comme ayant rendu un culte à l’antichrist en pensant en rendre
un au Christ, et comme s’étant, pendant des siècles, éloignée
du chemin de la vraie doctrine.
Cette guerre des hérétiques contre les moines n’est pas nouvelle,
et ce n’est pas un artifice récent du démon que de combattre l’Église
en s’attaquant à la vie monastique. Car, comme il y a toujours
eu un grand nombre d’auteurs qui, par leurs sermons et par
leurs livres, ont porté aux nues ce genre de vie, il n’y a jamais
eu d’hérétique capable d’écouter le nom de moine sans grincer des
dents et blasphémer. Voici ce que dit à ce sujet saint Augustin
(psaume 132) : « Quand vous avez commencé à insulter les hérétiques
à cause des circonvallions, ils ont répliqué en vous insultant
à cause des moines. Et pourtant, c’est à vous de
voir s’il est possible de les comparer. Car comment comparer
des ivrognes et des sobres, des écervelés et des sages, des exaltés
et des simples, des gyrovagues et des résidants ? Ils ont la manie
de dire à tout bout de champ : « Que peut bien vouloir dire le mot moine
? » Nous leur rétorquons alors, avec beaucoup plus d’à propos
: « Que peut bien vouloir dire le mot circonvallion ? » Et, plus
bas, il dit de Pétilien, le prince des hérétiques, (contre Pétilien,
livre 3, chapitre 40) : « Il persiste à maudire les moines de sa bouche
maudite, m’accusant même moi, d’être l’auteur de ce
genre de vie. »
Les ariens avaient sévi contre les moines avec tant de fureur
qu’ils s’étaient rendus dans les déserts les plus impraticables
et les lieux les plus retirés pour aller trouver les moines, s’emparer
d’eux et les mettre à mort. C’est bien ce que raconte
Ruffin (livre 11, chapitre 3 de son histoire ecclésiastique) au sujet
de l’évêque Lucius : « Il tourna ensuite les armes de sa fureur contre
les monastères, saccagea les ermitages, et livra la guerre
à des gens paisibles. Il agressa trois mille homme vivant
dans le désert, dispersés ici et là. Il envoya une armée d’écuyers
et de fantassins; choisit des tribuns, des préposés et des chefs
militaires pour les combattre, comme s’ils étaient des barbares.
Mais quand ils vinrent, ils découvrirent une nouvelle sorte de guerre
: les moines ne faisaient que présenter leur tête au glaive de
leurs ennemis en disant : « Ami, pourquoi es-tu venu ici ? » Et, au sujet
de l’empereur Valence, il a noté qu’il détestait
tellement les moines qu’il fit une loi obligeant tous les moines
à s’enrôler et à devenir des soldats, sous peine d’être fouettés
et torturés.
Mais ce serait trop lassant de rapporter au long tout ce que
les anciens hérétiques et surtout l’empereur Constantin Capronyme
et les autres iconoclastes ont fait ou dit contre les moines.
Descendons seulement de quelques siècles. Que pensait Wiclif des
ordres religieux ? Ne disait-il pas « qu’ils ont tous été introduits
dans l’Église par le diable; que saint Augustin, saint Bernard,
et saint Benoit étaient condamnés à l’enfer, à moins d’avoir
fait pénitence et de s’être repentis d’avoir été moines et
pères de moines »? Voir le concile de Constance. Que dire de Martin
Luther ? Dans les nombreux livres qu’il a écrits, ne fustige-t-il pas
le monachisme à tous les trois mots ? Omettons pour l’instant les témoignages
que je réserve pour plus tard. Dans son épithalame,
livre obscène et sordide, qu’il a écrit au chapitre septième de la
première épitre de saint Paul aux Corinthiens, il dit que « ceux qui
mènent la vie de célibataire dans les monastères, ont immolé leurs
corps sur l’autel de Moloch ». Et, dans le même livre, il prétend
que « l’état religieux ne vaut rien, que c’est une invention païenne,
terrestre, séculière, semblable à de la boue; tandis que, au contraire,
l’état du mariage est spirituel, céleste, divin et semblable à de
l’or ».
Jean Calvin (livre 4, chapitre 13 de ses institutions) règle
son cas au monachisme en quelques mots brefs : « les monastères sont
des lupanars, les moines sont des sophistes capuchonnés, qui ont
fait scission avec l’Église, et se sont consacrés totalement au démon
» Philippe Melanchton (dans son apologie pour la confession augustinienne,
article des voeux) écrit que « les vœux et les exercices des moines
sont des observances prétentieuses, des simulations hypocrites,
et même des traditions pharisaïques et mahométanes. » Les centuriates
magdebourgeois (chapitre 10, centurie 4) après avoir décrit les faits
et gestes de plusieurs ermites anciens, concluent par ces mots : « Qui
n’exècrera pas ces monstres d’hommes, comme ennemis de la société
humaine, et comme péchant contre toute la seconde table ? »
Dans le grand nombre de livres qu’ils écrivent pour vilipender la vie
monastique, ils accusent constamment les moines « d’hypocrisie,
de superstition et d’impiété. »
Mais, je le demande, qu’est-ce qui pousse les luthériens
à livrer aux moines une guerre si implacable ? En quoi les moines
leur ont-ils nui ? Qu’est-ce qu’ils leur ont dérobé ? Qu’est-ce
qu’ils leur doivent ? S’ils avaient un peu de cervelle, ne rendraient-ils
pas plutôt d’immenses actions de grâce à Dieu pour «
le règne des moines », comme ils l’appellent ? D’où vint l’apôtre
Germanicus, le troisième Élie, et tant d’autres prophètes et évangélistes,
qui sortirent comme du cheval de Troie ? D’où vinrent aussi Luther,
Pomeranus, Bucer, Pellicanus, Munster, Menius, Musculus, Miconius, Oecolampadius,
le martyr, Oechinus? Ne viennent-ils pas tous des monastères ? Bien
que, s’il faut dire toute la vérité, ce ne sont pas les monastères
qui nous ont engendrés ces hérétiques, mais c’est la peste de
l’hérésie qui en a fait des déserteurs de monastères.
Mais pourquoi nous étonner si les fils des ténèbres ne peuvent pas,
de leurs yeux chassieux, voir la lumière de la religion; si les
fugitifs et les perfides ont en horreur ceux qui se tiennent debout dans
l’armée avec leurs camarades de guerre; si le premier déserteur
et transfuge de la milice céleste, le prince des ténèbres trouve des
fils qui l’imitent ? Car, comme le dit saint Antoine cité par
saint Athanase : « Le démon hait tous les chrétiens, mais il ne peut
en aucune façon supporter les moines éprouvés et les vierges du Christ.
»
Voici les paroles de l’abbé Serenus rapportées par Cassien
dans sa conférence 7, chapitre 23 : « Pour les cénobites qui étaient
au nombre de 8 ou 10, les assauts du démon étaient d’une telle violence
et ses agressions physiques si atroces qu’ils n’osaient pas dormir
tous ensemble pendant la nuit, les uns s’abandonnant au sommeil pendant
que les autres veillaient en chantant des hymnes, en récitant des prières
ou en lisant la sainte bible. Quand le besoin du sommeil se faisait
sentir, ceux qui veillaient réveillaient les dormeurs, et
ces derniers faisaient la garde pendant que leurs compagnons dormaient.
Vous avez donc lu ce que les anciens et les nouveaux hérétiques ainsi
que leur père commun pensent des moines. On attend maintenant de
moi avec raison que je montre ce que les pères et le Christ en ont pensé.
Comme je me réserve de présenter ces textes au moment opportun,
je me contenterai pour l’instant de citer deux des plus grands pères
de l’église, saint Jean Chrysostome et saint Augustin.
Saint Jean Chrysostome a consacré trois livres entiers à la
défense du monachisme, et partout il a accordé aux moines les plus grandes
louanges. Il estime tellement les monastères qu’il les préfère
« aux palais et aux royaumes, et voit en eux des paradis terrestres et
des cieux remplis d’étoiles lumineuses ». Enfin, dans son homélie
sur Matthieu 8, il dit : « Si quelqu’un venait, maintenant, dans les
solitudes de l’Égypte, il verrait des ermitages dignes du paradis, et
d’innombrables choeurs d’anges dans des corps d’hommes. Dans
toute cette région, est répandue une armée du Christ, un troupeau admirable
de rois, qui, sur la terre, brillent de l’éclat de toutes
les vertus célestes. Mais cette splendeur tu ne la verras pas seulement
dans les hommes, mais aussi dans les femmes. Les chœurs variés
des astres ne scintillent pas autant que les cellules de ces
moines et vierges. » Quelle louange, et par quelle homme
! Mais écoutons maintenant saint Augustin, le plus célèbres
des pères de l’Occident.
Dans son premier livre sur les mœurs de l’église, (chapitre
21), il oppose les moines, tant ermites que cénobites, aux manichéens
qui se vantaient d’être parfaits : « Je n’ai encore rien dit de ceux
qui, loin de la vue des hommes, se contentent de l’eau et du pain
qu’on leur apporte à un moment déterminé, qui habitent des déserts
inhospitaliers, conversant avec le Dieu auquel ils adhèrent dans
la pureté de leur cœur, qui sont rendus lumineux par la contemplation
de la beauté divine, que seule l’intelligence des saints peut
appréhender. Je ne dirai rien d’eux, car ils semblent à quelques-uns
avoir abandonné les choses humaines plus qu’il ne faudrait, à
ceux, dis-je, qui ne comprennent pas à quel point leur intercession
est profitable à notre prière, et leur exemple à notre vie,
même si nous ne pouvons pas les contempler en chair et en os ».
Mais il est inutile d’ergoter longuement là-dessus.
Ce modèle si sublime de sainteté, qu’on peut connaitre par la prière,
à qui ne semblera-t-il pas honorable et admirable ? Même si une
telle chose excède notre seuil de tolérance, qui n’admirera pas et
ne préférera pas tous ceux qui, après avoir méprisé et déserté les
plaisirs de ce monde, se sont réunis en une vie commune très chaste
et très sainte, qui ont tous le même genre de vie, veillant dans les
oraisons, les lectures et les échanges fraternels. Ils ne sont ni
enflés d’orgueil, ni agités par la convoitise, ni
livides de jalousie, mais modestes, humbles, calmes. Et ils offrent
à Dieu, en devoir de reconnaissance, une vie de concorde fraternelle
et d’amitié divine. Personne ne possède rien en propre, personne
n’est à charge à personne. Des pères qui sont non seulement
saints par leurs mœurs, mais qui sont éminents dans la connaissance de
la divine doctrine, veillent sans aucune morgue sur ceux qu’ils
appellent leurs fils, auxquels ils commandent avec autorité, et de qui
ils sont spontanément obéis. »
Il ajoute ensuite : « Ces mœurs, cette vie, cet ordre, cette
institution si je voulais les louer, je m’en sentirais tout à fait indigne,
et je craindrais qu’on m’attribue la pensée que cet exposé
ne suffise pas par lui-même pour plaire, mais que, à la simplicité du
narrateur, il faille ajouter la pompe d’un rhéteur. » Quelles
sont donc dissemblables ces paroles des pères catholiques et celles
de Luther et de Calvin, que nous avons rapportées plus haut. D’un
côté la foi, de l’autre la perfidie; d’un côté la sagesse, de l’autre
la sottise. D’un côté le calme, de l’autre l’emportement. D’un
côté Dieu, de l’autre le démon.
Ce n’est pas seulement par les paroles et les écrits des pères
catholiques que Dieu a rendu témoignage à la prééminence et à
la sainteté des ordres religieux, mais aussi par lui-même.
Car, ce qu’il pense de ce genre de vie l’attestent les magnifiques
promesses divines que nous trouvons dans les prophètes ou dans les évangiles
: le centuple dans ce siècle, un siège d’honneur au jour du jugement,
une place et un nom dans le royaume des cieux plus grand et plus prestigieux
que ne peut donner le nombre d’enfants terrestres. L’attestent
également de grands signes et d’éblouissants prodiges. Certes,
après l’époque apostolique, ont toujours été, au jugement de toute
la terre, célèbres par leurs miracles, des grands hommes comme saint
Antoine, saint Macaire, saint Hilarion, saint Benoit, saint Patrice,
saint Bernard, saint François, saint Dominique, sain Vincent Ferrier.
Or, tous ces saints, sans controverse possible, étaient des produits du
monachisme.
Quelle est donc la témérité et l’insolence de ces hérétiques
qui méprisent, rejettent, dénaturent et démonisent ces instituts très
saints qui ont été proclamés, approuvés et confirmés par Dieu au moyen
de miracles nombreux et éclatants ? Car ce sont bien ces modes de
vie,-- pour ne pas parler d’Élie et de saint Jean-Baptiste--,
que le Christ a conseillés, que les apôtres ont mis en pratique,
que presque tous les saints choisirent. Car, à l’exception des
saints martyrs, rares sont ceux qu’on compte parmi les saints qui ne
proviennent pas des monastères. Parmi les notes et les symboles
qui distinguent l’Église catholique de tous les conventicules hérétiques,
tient une première place et brille d’un grand éclat l’approbation
de la vie monastique.
C’est ce qu’a compris saint Pierre, évêque d’Alexandrie, selon
Theodoret (livre 4, chapitre 20 de son histoire), et il en a fait une excellent
démonstration quand il a dit que « un certain Lucius n’était
ni un évêque, ni même un catholique, mais un hérétique, un ennemi,
un loup, un envahisseur, parce qu’aucun moine ne l’a conduit à son
église épiscopale en chantant des hymnes, à la manière accoutumée.
» Ce grand pontife estimait donc que l’ordre des moines était
une partie de l’Église si importante qu’un évêque ne pouvait pas
être considéré comme un vrai évêque sans avoir près de lui
des moines qui prient pour lui.
Puisqu’il en est bien ainsi, il est facile de comprendre que
la cause des moines est si étroitement liée à celle de l’Église,
que personne ne peut être ennemi de l’Église sans déclarer une guerre
ouverte aux moines. Voilà pourquoi notre mère l’Église nous
supplie de n’épargner aucun effort pour ne pas être vaincu par l’acharnement
et la fureur des hérétiques qui scrutent jour et nuit les livres pour
trouver quelque reproche à faire à l’Église de Jésus-Christ.
Nous devons au contraire faire front commun et déployer toute l’énergie
nécessaire pour conserver cet héritage sacré. Surtout que c’est
une couronne de foi et de sainteté auprès de Dieu qui nous attend, tandis
que c’est la peine de leur perfidie et de leurs crimes qui les attend,
eux. Venons-en maintenant à notre sujet.
Toute cette dispute sur les moines est présentée en sept principaux
chapitres, ou questions. On y expliquera les noms, l’origine, la nature,
les parties, les propriétés et les actions de la vie religieuse. Et nous
répondrons, au fur et à mesure, aux objections que soulèveront nos adversaires.
La première question portera sur l’origine, la raison et la
variété des ordres religieux. Car, nos adversaires ne rougissent
pas de soutenir que les ordres religieux sont une invention récente,
et que c’est la même chose de dire : « je suis pour saint Augustin,
je suis pour saint Benoit, je suis pour saint François ou pour saint Dominique
» que de dire : « je suis pour Paul, pour Apollon ou pour Céphas ».
Or, ces gens-là saint Paul les a rabroués, en les accusant de sédition,
de schisme et d’hérésie.
La deuxième question porte sur les conseils évangéliques,
qui sont la base et le fondement de tout l’édifice monastique.
Les hérétiques ont en horreur les mots conseils et œuvres surérogatoires,
et n’y voient qu’un énorme blasphème. Comment pourraient-ils
faire autrement, puisqu’ils jugent que les préceptes ne peuvent être
observés par personne, même pas par le plus saint. Ils ne
peuvent pas ne pas tomber des nues quand ils nous entendent dire que les
vrais religieux observent non seulement les préceptes prescrits par Dieu,
mais même les conseils évangéliques; quand ils constatent, en somme,
que nous faisons plus que ce qui a été commandé.
La troisième question portera sur les vœux monastiques.
Puisque les adversaires estiment que rien ne peut plaire à Dieu que ce
qu’il a commandé, ils considèrent comme des superstitions les vœux
et toutes les choses que Dieu n’a pas rendues obligatoires. Ils
veulent donc que le vœu de continence soit un sacrifice à l’idole Moloch,
que le vœu de pauvreté soit une sottise, que le vœu d’obéissance
soit une suprême témérité. La quatrième question porte sur les
vœux que font les fils malgré leurs parents, et les époux sans le consentement
de l’autre époux. Car, comme Dieu a ordonné d’honorer ses parents
et de ne pas séparer ce qu’il a uni, ils nous reprochent sévèrement
de permettre que des fils deviennent moines sans le consentement de leurs
parents, et de dissoudre, en vue de la profession religieuse, des
mariages valides et consommés.
La cinquième question est la solitude et l’austérité de
la vie des ermites. Nos adversaires appellent les ermites des ours
ou des misanthropes à cause de leur solitude et de leur ascèse.
Quelques-uns, en effet, portent un cilice, ne se nourrissent que de racines,
couchent sur la dure ou ne dorment que quelques heures. D’autres
restent une semaine entière sans manger, s’enrourent de chaines de fer,
ou établissent leur demeure au sommet d’une colonne. Tous ces
ascètes ils les exècrent comme des meurtriers d’eux-mêmes, et
comme des transgresseurs du précepte apostolique : «Honore ton corps
! » Or, ce précepte qui l’honore plus saintement que les moines
?
La sixième porte sur l’habit et la tonsure. Ils
pensent que c’est le signe d’une grande superstition de porter toujours
des habits du même genre, de la même forme, de la même couleur,
et la même tonsure. La septième question. L’œuvre des moines.
Nos adversaires prétendent que c’est de la nature et de la raison d’être
de la profession monastique de se procurer sa nourriture par le travail
de ses mains; et que, en conséquence, tous ceux qui ne le font pas
sont des corrupteurs de la profession religieuse, des moines faux
et dégénérés. Ils enseignent aussi que c’est aussi mauvais
et illicite de se réduire volontairement à la mendicité que de
quêter comme un mendiant pour assurer sa subsistance.
Ont écrit sur cet argument saint Jean Chrysostome en trois livres
contre les contempteurs de la vie religieuse, Jean Cassien dans ses livres
sur les instituts des cénobites, saint Albert le grand, dans sa défense
des ordres mendiants, saint Thomas, dans son opuscule 19, contre ceux qui
attaquent la vie religieuse, saint Bonaventure, dans son apologie des pauvres,
et dans son livre sur la pauvreté du Christ, Thomas Waldensis (livres
3 et 4 sur la doctrine de la foi et sur les sacrementaux, tit 9), Albert
Pighius (controverse 14), Alphonse Virvesius (philippiques), Alphonse
a Castro (dans ses livres contre les hérésies, aux mots, mendicité,
moine et vœu), Jean Bunderius (dans son rapport des conférences,
titre 34), Conrad Coellim (dans sa traduction de l’épithalame de Luther),
Jean a Daventria ( dans l’enchiridium, et dans les conclusions
sur les vœux), François Orantius (livre 5 des lieux catholiques), Gaspard
Sahatzgerus, livre 1, dernier chapitre, et livre 2 chapitre 1 de ses controverses),
Jean Hoffmeisterus (contre l’article 27 de la confession augustinienne),
Jacques Latomus (livre sur les vœux, et discussion de l’article 27 de
la confession augustinienne), Jodocus Clictaeus (livre 3 de l’anti
Luther), Alanus Copus (dialogue 2), Matthaeus Galenus (de l’origine
des monastères), Richard Caenomannus (antidote à la censure d’Érasme
sur la règle de saint Augustin), François Turrianus (deux livres
sur les votes monastiques), Gulielmus Liudanus (livre 4, chapitre
98, panoplie).
CHAPITRE PREMIER
du nom « moines »
Nous allons expliquer d’abord la nature, la diversité, et
l’origine des ordres religieux, et nous réfuterons en même temps les
mensonges et les calomnies des hérétiques. Commençons donc par
le nom.
On trouve cinq noms chez les Grecs. Ils appellent, en effet,
celui qui fait profession de cette vie, un thérapeute (thérapeutès),
un ascète (askètès), un suppliant (ikéstès), un philosophe (philosophos),
ou un moine (monakos). Les latins ont retenu le dernier mot
grec, et lui ont ajouté religieux ou régulier. Thérapeutès signifie
religieux. Saint Denys l’aréopagite se sert de ce mot dans chapitre
6 de la hiérarchie ecclésiastique. Il dit là que les apôtres
ont appelé les moines des religieux, (thérapeutès), parce qu’ils rendent
un culte à Dieu plus purement que tous les autres. Philo emploie
le même mot au début de son livre sur la vie contemplative, à
supplice, où il dit qu’on les appelle des religieux (thépakeutès)
ou parce qu’ils rendent un culte à Dieu avec une grande perfection,
ou parce qu’ils soignent et guérissent les vices des âmes. Car le mot
thérapeutès signifie en même temps un religieux et un médecin.
Le mot ascète (askètès) signifie un pugiliste ou un gladiateur,
nom qu’utilise souvent saint Basile, qui donne même le nom d’ascétiques
à ses sermons sur la vie monastique. On appelle aussi les moines
des pugilistes ou des gymnastes, parce que tout leur temps et leurs efforts
doivent être consacrés aux exercices de la sainte palestre, comme le
font les autres pour la guerre ou le négoce. Le mot iskétès signifie
un suppliant, mot dont s’est servi Philo dans le livre qu’il a écrit
sur la vie des moines de son temps, à la vie contemplative au mot
iskétès, suppliant. Le mot suppliant provient de leur principal
devoir qui est de prier et louer Dieu.
Saint Jean Chrysostome a souvent appelé les moines des philosophes
dans les trois livres qu’il a écrits contre les contempteurs de la vie
monastique, ainsi que Nil, qui donna à son livre sur la vie monastique
le titre de « philosophie chrétienne ». On appelle aussi
les moines des philosophes, comme Nil l’indique, parce qu’ils tiennent,
chez les chrétiens, le même rôle que tenaient les philosophes chez les
païens. Les païens, en effet, appelaient philosophes des hommes
d’une grande sévérité qui faisaient peu de cas des choses temporelles,
et s’adonnaient totalement à l’étude la sagesse. On trouve
souvent le mot moines chez les pères grecs et latins. Quelle
est sa signification ? Tous ne l’expliquent pas de la même façon.
Saint Jérôme (dans son épitre à Héliodore) semble indiquer
que ce mot s’applique proprement aux ermites, à ceux donc qui
vivaient seuls. « Interprète le mot moine, ce mot qui est le tien.
Que fais-tu dans la foule toi qui es seul ? » Mais qu’il n’en
est pas ainsi, on peut l’apprendre du fait que même si le premier ermite
connu a été Paul, au témoignage de saint Jérôme qui a écrit sa vie,
on trouve le mot moine chez Denis l’aréopagite, qui a précédé
Paul l’ermite d’environ trois cents ans. Et tous les anciens,
y compris saint Jérôme lui-même (dans son épitre à Eustochius, sur
la conservation de la virginité) donnent communément le nom de moines
tant aux ermites qu’aux cénobites.
Saint Augustin, en commentant le psaume 132 : « Comme il est bon et
agréable de vire ensemble comme des frères ! », explique que ce suave
cantique a fait des séculiers, des moines. Il ajoute qu’un moine
ne signifie rien d’autre qu’un « homme qui, vivant dans l’union
et la fraternité avec des hommes d’un même institut, n’a avec les
autres qu’un seul corps, et forme avec tous un seul homme ». Selon
cette définition, le mot moine ne conviendrait qu’aux cénobites.
Mais plus juste semble être l’explication donnée par Cassien et Dyonisius.
Cassien écrit dans sa conférence 18 sur l’abbé Pyamon (chapitre 5)
qu’on les appelle moines parce qu’ils s’abstiennent de conjointes,
et de la compagnie de leurs parents; qu’ils renoncent aux relations
légitimes avec leurs semblables, pour n’adhérer qu’à Dieu par la
contemplation. Denys enseigne la même chose (au chapitre 6 de sa
hiérarchie ecclésiastique). Il dit, là, qu’on les appelle moines
parce que, « après avoir abandonné toutes les choses corruptibles,
ils s’efforcent, dans la solitude, à ne plaire qu’à la seule divinité
».
Il suit de cela que sont proprement des moines ces religieux qui consacrent
toute leur vie à la contemplation, comme les cassiniens, les chartreux,
les camaldules et les cisterciens. Ce que comprenant, saint Thomas,
saint Bonaventure et les autres docteurs qui ont suivi, ne donnèrent plus
le nom de moines aux franciscains et aux dominicains qui ne font pas que
prier, mais qui s’adonnent aussi au ministère, en aidant les évêques
et les prêtres pour la prédication, et l’administration des sacrements.
Ils préférèrent employer le mot religieux ou réguliers, nom souvent
utilité par les conciles, car ils se sont soumis à une règle de
vie. Ce sont des religieux, à la vérité, car ils se
sont mis totalement au service de Dieu, comme l’explique saint Thomas
(2 2, question 186, article 1).
Car, la religion est une vertu par laquelle nous présentons
à Dieu le culte qui lui est du. Si tous les chrétiens peuvent être
appelés religieux parce qu’ils servent Dieu comme leur religion le requiert,
à plus forte raison seront dits religieux, et comme par antonomase, ceux
qui ne servent rien d’autre que Dieu. Et même si ce nom parait
nouveau, il est, en fait, le plus ancien de tous, car il correspond
au mot grec thérapeute (therapeutès), qu’ont souvent employé
Denis l’aréopagite et Philo. En voilà assez pour le nom.
CHAPITRE SECOND
La nature et la définition de la religion
Le mot religion, comme nous l’entendons ici, peut être défini comme
suit : l’état d’hommes qui tendent à la perfection chrétienne par
les vœux de continence, de pauvreté et d’obéissance.
Il faut ici faire quelques réflexions préalables. La première.
La vraie perfection consiste dans la charité, car la perfection de chaque
chose est placée dans ce qui est le plus étroitement uni à sa fin ultime.
Or la fin de l’homme est la charité, et c’est la charité qui unit
le plus étroitement avec Dieu, selon 1 saint Jean 4 : « Celui qui demeure
dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui. » Et selon saint
Paul (Coloss 3) : « La charité est le lien de la perfection. » C’est-à-dire
le lien qui, liant l’homme, le rend parfait, ou, comme l’explique saint
Jean Chrysostome, un lien qui liant et contenant toutes les vertus, rend
l’homme parfait. Car, comme l’esprit humain unit et contient
toutes les humeurs et toutes les parties périssables, de la même façon
l’Esprit Saint, qui habite dans nos cœurs par la charité, contient
toutes les vertus qui pourraient facilement se dissiper. Ce
que montre le même apôtre en disant (1 Cor 3) : « La charité est patiente,
elle est douce », et le reste.
C’est pourquoi saint Irénée (livre 5, avant le milieu), en
commentant ce passage de saint Paul (1 Thessal fin) : « Pour que votre
esprit soit conservé intègre en entier, corps et âme », dit que l’homme
parfait est formé de trois parties : le corps, l’âme et l’Esprit
Saint habitant par la charité. Si le corps ou l’âme lui
manque, il sera imparfait dans le genre de sa nature; mais s’il lui manque
la charité, il sera imparfait dans le genre de la morale. C’est
de cette façon qu’ont entendu ce passage les autres pères Grecs comme
saint Jean Chrysostome, Theodoret, Oecumenius, Theophylactus, ainsi que
saint Jérôme dans son épitre à Ébidias, question ultime. Que
la charité soit la perfection chrétienne, il est facile de le comprendre,
car toutes choses se réfèrent à elle : « Dans ces deux commandements
est contenue toute la loi » (Matt 22). Et : « La fin du précepte
est la charité » (1 Timothée 1).
Notons ensuite que, selon l’opuscule de saint Thomas sur la perfection,
il existe quatre degrés de charité, et donc quatre degrés de perfection.
Car on dit qu’est parfait celui à qui rien ne manque dans l’ordre
de sa fin. Il ne répugne donc pas qu’une chose soit parfaite
et imparfaite en même temps, si on la compare à des degrés différents
ou à des fins différentes. Le premier degré de la
charité consiste à aimer Dieu autant qu’il est aimable, c’est-à-dire,
d’un amour infini. Et ce degré ne convient qu’à Dieu
seul. Voilà pourquoi Dieu seul est parfait relativement
à ce degré; les anges et les saints sont imparfaits. Oe, cette
imperfection n’est pas à proprement parler une privation ou un vice,
mais simplement une négation. Le second degré consiste à aimer
Dieu non autant qu’il est aimable, mais autant qu’une créature peut
aimer, de façon à ce qu’elle pense toujours à Dieu en acte,
et dirige constamment les battements de son cœur vers Dieu seul, sans
jamais ressentir les premiers mouvements de désirs contraires à
Dieu. C’est ce degré qu’ont atteint les saints, en comparaison
desquels les autres sont imparfaits. Voilà pourquoi saint Paul dit
(Phil 3) : « Nous qui sommes parfaits, pensons à cela. »
Le même dit : « Non pas parce que je l’aie atteint, ou que je sois
parfait. »
Le troisième degré consiste à aimer Dieu non autant qu’il est
aimable, ni autant qu’une créature peut l’aimer, mais autant
que le peut une créature mortelle qui a éloigné loin d’elle tous les
empêchements à l’amour divin, et qui se consacre totalement au service
de Dieu. Ceux qui ont atteint ce degré sont imparfaits par rapport
aux saints, mais saints par rapport aux autres hommes, même les
justes et les pieux. Et c’est de cette perfection dont parlent
les théologiens quand ils disent que l’état des évêques est un état
de perfection acquise, et l’état des religieux l’état d’une perfection
à acquérir. Car, il y a cette différence entres les évêques
et les religieux que les religieux ne sont pas tenus d’être toujours
parfaits, mais d’aspirer à la perfection. Car leur devoir
consiste à pratiquer les vertus et à écarter les obstacles à la vertu.
Les évêques, eux, doivent être parfaits, c’est-à-dire ils doivent
être parvenus au degré de charité vers lequel tendent les religieux
par leurs exercices. Voilà pourquoi nous définissons la religion
comme un état d’hommes qui tendent à la perfection.
Le quatrième degré consiste à aimer Dieu non autant que le peut
une créature dans l’absolu, ou dans cette vie, mais de ne rien
aimer autant ou plus que Dieu, c’est-à-dire de ne rien admettre qui
soit contraire à l’amour divin. C’est ce degré qui est
un précepte pour tous. Il possède une certaine perfection, même
si par rapport aux autres degrés, il est imparfait. Voilà pourquoi
saint 1 Jean 2 dit : « Celui qui observe sa parole, la charité de Dieu
est vraiment parfaite en lui. » Et pourtant, en Matthieu 19, le
Seigneur a dit à celui qui avait observé tous les commandements : «
Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que as… » Jean parlait
du quatrième degré, et Jésus du troisième. C’est de lui
que nous parlons dans notre définition de la religion et dans toute notre
dispute.
La troisième remarque. Les instruments les plus aptes et les
plus utiles pour obtenir cette perfection sont les trois vertus de
continence, de pauvreté et d’obéissance. Car, pour que
quelqu’un aime Dieu parfaitement, il doit se livrer totalement à Dieu,
et écarter tous les obstacles. Ces deux choses, ce sont ces trois
vertus qui l’obtiennent. Car, nous nous livrons totalement à Dieu,
quand nous lui livrons notre corps, notre âme, et les choses externes,
puisque que nous n’avons rien d’autre. Nous lui livrons
notre âme par l’obéissance, notre corps par la continence, et les choses
externes par la pauvreté. Par ces trois vertus, nous enlevons
aussi tous les empêchements à l’amour divin. Car, selon
saint Paul (1 Tim 6) : « La racine de tous les maux est la cupidité.
» Et selon saint Augustin (sermon 12 sur les paroles de notre seigneur)
: « La racine de tous les biens est la charité. »
Toute la mauvaise cupidité se réduit à trois items : la luxure,
l’avarice et l’orgueil. Car, en 1 Jean 2, il est dit : «
Tout ce qu’il y a dans le monde est soit concupiscence de la chair, soit
concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie. » Parce que dans l’homme,
il y a deux appétits : le concupiscible et l’irascible, l’un désirant
le bien en général, et l’autre, le bien ardu. Le premier est
aussi double : le naturel et l’animal. L’appétit naturel
convoite les choses qui sont nécessaires à la conservation de la vie
dans l’individu, comme le boire et le manger, et dans l’espèce, comme
l’acte de génération. Quand cet appétit est désordonné, on
l’appelle incontinence, et Jean, concupiscence de la chair.
On appelle animal l’appétit par lequel on convoite les choses qui sont
bonnes selon notre estimation, comme l’argent, les vêtements, les bijoux
et autres choses semblables, choses que les bêtes ne désirent pas,
parce qu’elles n’ont besoin que des choses naturelles. Cet appétit,
quand il est désordonné, s’appelle avarice ou curiosité malsaine,
ou concupiscence des yeux, selon saint Jean.
Ensuite, l’appétit irascible est celui qui mobilise toutes les énergies
pour réaliser des choses difficiles. Et, quand il est désordonné,
on l’appelle, comme saint Jean, orgueil de la vie. Ce sont
trois sources d’empêchements qu’obstruent les trois vertus, la concupiscence
de la chair par la continence, la concupiscence des yeux par la pauvreté,
et l’orgueil de la vie par l’obéissance.
La quatrième remarque. Ne suffisent pas à la religion
ces trois vertus si on n’y ajoute pas un vœu, c’est-à-dire une promesse
faite à Dieu par laquelle quelqu’un s’engage à vivre ainsi perpétuellement.
La religion en effet est un état, et un état signifie quelque chose de
stable et de permanent. Voilà pourquoi il est possible que soit
parfait quelqu’un qui n’est pas dans le degré de perfection, et que
ne soient pas parfaits, comme il arrive souvent, les évêques ou les religieux
qui sont dans l’état de perfection. Je pense en avoir suffisamment
dit sur la définition.
CHAPITRE TROIS
les différents ordres religieux
Les anciens ne reconnaissaient que deux genres de religieux,
les anachorètes ou ermites, et les cénobites. C’est ce qu’enseigne
saint Jérôme dans son épitre à Eustochium sur la virginité, et saint
Augustin (livre 1, chapitre 31, les mœurs de l’Église), et Cassien
(conférence 18, chapitre 4). Saint Isidore (livre 2, chapitre 15,
sur les devoirs divins) enseigne la même chose mais en commettant
une légère erreur. Il dit qu’il y a trois genres de moines,
les ermites, les anachorètes et les cénobites, les ermites et les
anachorètes étant une seule et même chose. Saint Jérôme
ajoute lui aussi un troisième genre, et Cassien un troisième et un quatrième.
Ces soi disant ordres ne sont pas de vrais ordres, mais des ordres relâchés
ou corrompus. Car ils veulent que forment un troisième genre les
cénobites qui conservent des propriétés, et qui n’obéissent pas en
tout à leurs préposés. Ce n’est là, tous en conviendront, qu’une
corruption de la vie monastique. Les candidats du quatrième genre
ce sont ceux qui quittent les monastères pour aller vivre en ermite dans
le désert, non pour y vivre plus saintement, mais plus librement
et pour secouer le joug des supérieurs et des lois cénobitiques.
Ce qui n’est qu’une corruption manifeste de la vie monastique.
Voilà pourquoi les anciens pères appelaient ces deux derniers genres
les pires de tous.
Nous pouvons, nous, grâce à saint Thomas et aux autres
scolastiques, expliquer plus parfaitement et plus précisément les
formes et les genres de religion d’après les fins pour lesquelles ces
instituts ont été institués, car toute religion se réfère à la perfection
de la charité. Or, on peut aimer Dieu de trois façons : en le contemplant,
en l’aimant et en y adhérant. On peut l’aimer aussi
en agissant pour Dieu dans ses membres, en les servant, en nourrissant
les pauvres, en accueillant les pèlerins, en rachetant les captifs.
On peut enfin l’aimer par une contemplation qui mène à une action,
ou par une action qui requiert nécessairement la contemplation.
C’est ce que font ceux qui prêchent et qui administrent les sacrements
au peuple. Il y a, d’après ces trois fins, trois genres
de religieux. Ceux qui professent seulement la vie contemplative,
genre qu’on peut diviser en plusieurs formes selon les constitutions
et règles qu’ils suivent. Car certains continuent le genre de
vie monastique d’Antoine, d’autres de Pachome, de saint Basile, de
saint Benoit, de saint Romuald ou de saint Bruno etcc..
L’autre genre est constitué de religieux qui mènent la vie
active. Il peut se diviser en autant de formes qu’il y a d’œuvres
de charité. Quelques-uns, en tant que soldats, servent Dieu en protégeant
l’église par les armes. Tels sont les écuyers de Jérusalem,
de saint Jacques ou de saint Jean. D’autres dans des hôpitaux,
soignent les malades, ou ensevelissent les morts dans des cimetières chrétiens,
et qui toutes sortes d’œuvres de miséricorde envers le prochain.
Le troisième genre est celui où l’on professe une vie mixte, lequel
est divisé en plusieurs formes d’après les institutions et règles.
Car, quelques-uns suivent la règle de saint Augustin, d’autres
de saint Basile, d’autres de saint Benoit, ou de saint François.
Que cette variété d’ordres ait été en usage dans l’ancienne
église, et qu’elle fut d’une grande utilité, il est facile de le
prouver. Car, comme le notent saint Jérôme, saint Augustin
et Cassien (dans les lieux cités), il y a toujours eu autant d’ermites
que de cénobites, qui professaient la vie contemplative. Il y en
a toujours eu aussi qui ont choisi la vie active, comme on le voit dans
la conférence 14, la première de l’abbé Nestor, chapitre 4. Il dit,
dans cette conférence, que les religieux de son temps s’adonnaient les
uns à la contemplation, les autres aux œuvres de miséricorde,
soignant les malades dans des hôpitaux, nourrissant les pauvres,
prenant soin des miséreux. Qu’il y en ait eu, aussi qui aient vécu
une vie mixte, le même Cassien le rapporte quand il dit que certains religieux
instruisaient et éduquaient les illettrés. Saint Augustin le montre
aussi quand, dans ses deux sermons sur la vie commune des clercs, il affirme
avoir institué dans son évêché une religion de clercs réguliers.
Que dans ces trois grands genres de religion il y ait une grande
diversité par les différentes constitutions et règles, Épiphane l’enseigne
à la fin de ses livres contre les hérésies, où il dit que quelques
membres de son ordre s’abstiennent de viande, d’autre d’œufs, de
poisson, ou même de pain. Il y en a même d’autres qui marchent
nu pieds, d’autres qui n’ont qu’un sac comme vêtement, d’autres
qui dorment sur le sol etc. Que cette variété d’instituts
professant tous la même foi n’est pas contraire à la religion chrétienne,
mais lui est plutôt avantageuse, on peut le comprendre en remarquant que,
de cette façon, on pourvoit aux besoins différents de tous, afin qu’il
n’y ait personne qui tende à la perfection sans pouvoir y parvenir.
Variés, en effet, sont les tempéraments, les tendances, les forces.
Un aime la solitude, un autre aime la vie sociale. Un est plus porté
à prier, un autre à lire, et un autre à faire quelque chose. Si
donc toutes les religions requéraient la solitude, la vie commune, les
conversations, ou l’abstention de viande ou d’autre nourriture, les
religieux seraient peut-être peu nombreux. Mais, aujourd’hui,
une si grande diversité d’ordres religieux peut satisfaire tout le monde.
L’autre raison est que tout ordre religieux, à ses débuts,
est d’une grande ferveur, et entraîne beaucoup de personnes dans son
sillage. Mais comme cette ferveur première se refroidit peu à peu,
Dieu pousse de grands saints à fonder de nouveaux ordres pour perpétuer
cette ferveur évangélique dans son Église. Certes, si quelqu’un
lit les vies et tout ce qu’on raconte de saint Antoine, de saint
Benoit, de saint Martin, de saint Bernard, saint François, saint Dominique
et saint Ignace, comment ils ont fondé de nouveaux ordres ou ont réformé
des ordres moribonds, il constatera que ce que nous avons dit de la merveilleuse
ferveur des ordres naissants n’est que la pure vérité; et il
rendra grâce à Dieu pour la quantité de pécheurs qu’ils ont convertis
et sauvés pour toute l’éternité.
CHAPITRE QUATRE
La confirmation des ordres religieux
Quelqu’un se demandera peut-être : les fondateurs d’instituts
religieux sont-ils libres d’instituer de nouveaux ordres comme ils l’entendent
et comme ils le veulent, ou ont-ils besoin de la confirmation du souverain
pontife ? Il faut d’abord se rappeler que, dans tout institut religieux,
il y a deux choses : l’essence de la vie religieuse, qui consiste dans
les trois vœux, et la détermination de cette essence à un certain mode
vie. Or, l’essence des religions a son fondement dans l’évangile,
comme nous le démontrerons bientôt. Sous cet aspect, les religions
n’ont pas besoin de l’approbation du souverain pontife. Mais,
la façon différente dont peuvent se concrétiser ces trois vœux n’apparait
pas clairement dans l’évangile, et dépend en grande partie de la prudence,
de la réflexion et de l’expérience des hommes. Voilà pourquoi elles
ont besoin d’autorisation. Aujourd’hui, elle est absolument
nécessaire, à cause d’un canon prohibant la création de nouveaux instituts
Voilà pourquoi saint Antoine, saint Basile, saint Pachome, saint
Benoit fondèrent de nouvelles communautés religieuses sans demander d’approbation
au souverain pontife. Aucun décret, alors, ne l’exigeait.
Voici quelle fut l’occasion d’une nouvelle loi exigeant la
confirmation. En l’an du Seigneur 1170, les pauvres de Lyon
fondèrent un ordre religieux où se trouvaient mêlées aux règles beaucoup
de superstitions et d’hérésies. Ils furent donc condamnés comme
hérétiques par Luc 111 et Alexandre 111, et leur secte fut réprouvée,
comme l’écrit l’abbé uspergensis dans sa chronique, en l’an 1212.
Au temps d’Innocent 111, les mêmes pauvres de Lyon se rendirent auprès
du siège apostolique, et insistèrent longtemps pour être réconciliés,
et leur religion approuvée, sans rienobtenir. C’est pour
cette raison que saint François et saint Dominique, fondateurs de
nouveaux ordres religieux, craignant qu’il ne leur arrive ce qui était
arrivé aux petits frères, refusèrent de s’en ternir à leur jugement
propre, et demandèrent et obtinrent l’approbation du souverain pontife.
Peu après, au concile du Latran, prévoyant les dangers qu’encourrait
l’Église si tout un chacun pouvait fonder son propre ordre religieux
à lui, le pape Innocent 111 interdit de fonder un nouvel institut sans
l’approbation du souverain pontife. Ce décret le pape Grégoire
X le renouvela au concile de Lyon. C’est alors que commença
à être obligatoire ce qui était jusque là facultatif.
CHAPITRE CINQ
L’origine des religions
Les adversaires enseignent trois choses à ce sujet. La première.
La vie monastique a commencé au quatrième siècle, c’est-à-dire autour
de l’an 300 après Jésus-Christ. Les premiers auteurs en furent
Antoine, Macaire, etc. C’est ce qu’enseignent les magdebourgeois
(centuries 4 et 6, colonne 464) : « Le monasticisme a commencé en premier
lieu au quatrième siècle. » Ils répètent cela souvent.
La deuxième. La vie monastique a commencé en partie par hasard, en partie
par erreur, et en partie à cause d’une imitation dépravée. En effet,
(dans la centurie 4, chapitre 6, colonne 170,) ils écrivent que ce n’est
pas délibérément et volontairement que les premiers ermites se sont
établis dans le désert, mais par hasard, ou pour fuir les persécutions.
Et c’est ce qu’écrivent de Paul, le premier ermite, saint Jérôme
(dans sa vie) et Sozomène (livre 1, chapitre 13 de son histoire).
Les magdebourgeois (centurie 5, chapitre 6, colonne 700), prétendent que
« le monachisme a commencé en partie à cause de l’obscurcissement
de la doctrine de la justification et du vrai culte chrétien, en partie
à cause d’une imitation dépravée des Esséniens. »
La troisième. Philippe (apologie de l’article 27 de la confession
augustinienne) et Calvin (livre 4, chapitre 13, verset 10 de ses
institutions) ajoutent que, au quatrième siècle et au cinquième, certains
moines ont vraiment existé, mais que les moines d’aujourd’hui n’ont
rien de commun avec eux; et que, en conséquence, on peut dire que le monachisme,
tel qu’il existe aujourd’hui, est une chose récente.
Nous allons montrer, nous, d’abord, que la vie religieuse a existé
avant le quatrième siècle. Nous démontrerons ensuite que son origine
n’est due ni au hasard, ni à une erreur, ni à une imitation dépravée,
mais au désir de la perfection. Nous montrerons, enfin, que les
religions qui existent aujourd’hui sont, quant à leur essence, semblables
à celles d’autrefois.
Nous disons donc que la première vie religieuse est si antique qu’on
peut en apercevoir une ébauche, une ombre dans la loi de la nature,
avant le déluge; qu’elle a trouvé une expression plus parfaite dans
la loi de Moïse, et qu’elle a atteint sa perfection au temps des apôtres.
La Genèse 4 nous dit au sujet d’Enoch : « C’est lui qui commença
à invoquer le nom du Seigneur. » Voir, à ce sujet, Waldensem (livre
3, chapitre 1, article 1, doctrine de la foi). Nous avons ensuite,
aux Nombres 6, les vœux des nazaréens, qui se consacraient au Seigneur.
C’est à leur exemple que certains, dans l’Église, se sont consacrés
totalement au culte du Seigneur. », selon Origène (homélie 11 sur le
Lévitique). Nous avons, ensuite, dans l’ancien Testament, Élie,
Élisée, et les fils des prophètes qui vivaient sans femme et sans biens
dans ce monde. Voici ce que dit d’eux saint Jérôme (dans son
épitre à Rustique, la quatrième) : « Les fils des prophètes que l’ancien
testament nous présente comme des moines, se construisaient des
huttes, près des rives du Jourdain; et, après avoir rejeté les foules
des grandes villes, vivaient d’herbes et de racines » Et,
dans l’épitre 13 à Paulin sur les moines, il disait : « Notre prince
est Élie, notre maître Élisée, nos chefs sont les fils des prophètes,
qui demeuraient dans les savanes et dans les déserts, et qui se construisaient
de petites cabanes près des rives du fleuve Jourdain. »
Nous avons aussi de Jérémie (15) la recommandation insigne
des neveux de Rechab. Leur père ou leur grand-père leur avait prescrit
de ne pas construire de maisons, de ne pas ensemencer de champs, de ne
pas planter de vignes, de ne jamais boire de vin, d’observer tous ces
préceptes à la lettre. Saint Jérôme dit dans sa même lettre
à Paulin que ces neveux de Rechab étaient une figure de nos moines.
Enfin, tous les pères écrivent que saint Jean-Baptiste a été le prince
des moines et des ermites. C’est ce que dit saint Grégoire de
Naziance quand il compare saint Basile à saint Jean-Baptiste, « parce
qu’il était un moine. » Saint Jean Chrysostome (dans son homélie
1 sur Marc : enseigne « Comme les apôtres sont les princes des prêtres,
ainsi saint Jean-Baptiste est le prince des moines. » Saint Jérôme
(dans sa lettre à Eustochius sur la conservation de la virginité)
dit, en parlant des ermites : « L’auteur de cette vie est Paul,
le vulgarisateur et le propagateur Antoine, et pour nommer ce qui est le
plus grand, le prince en est Jean-Baptiste. » C’est ce qu’enseignent
Cassien (conférence 18, chapitre 6), Sozomène (livre 1, chapitre 12 de
son histoire), saint Isidore (livre, chapitre 15, des devoirs divins) et
saint Bernard (sermon sur l’excellence de saint Jean le Baptiste).
Venons-en maintenant au nouveau testament, et montrons que, avant l’année
300, il y avait des moines dans l’Église. La vie d’Antoine par
saint Athanase nous servira de preuve. Saint Athanase y enseigne
qu’il n’y avait pas d’ermites avant saint Antoine, mais qu’il y
avait des moines qui, dans les champs, et dans les faubourgs se construisaient
des monastères. Il nous raconte aussi que, quand saint Antoine voulut
devenir moine, il s’est rendu auprès d’un vieillard qui avait pratiqué
la vie monastique depuis sa jeunesse. Il s’ensuit donc que saint
Antoine n’a pas été le premier moine, et que, avant l’an 300, il
y avait des moines. Saint Antoine, en effet, vécut au quatrième
siècle, et à l’an 300, il avait quarante ans, comme nous le montre
la chronique de saint Jérôme. Et pourtant, quand il n’était
encore qu’un adolescent ( au troisième siècle, donc), il y avait plusieurs
moines âgés.
Les magdebourgeois se demandent si la vie de saint Antoine a vraiment
été écrite par saint Athanase. Il n’est pas difficile
d’éclaircir ce doute. Car, que ce soit saint Athanase qui ait
écrit la vie de saint Antoine, l’attestent saint Grégoire de Naziance
(dans Athanase), saint Athanase, saint Jérôme (dans ses hommes illustres,
au mot Athanase), Ruffin (livre 1, chapitre 8 de son histoire), saint Augustin
(livre 8, chapitre 6 de ses confessions), saint Paulin (dans sa vie d’Ambroise),
Palladius (dans son histoire lausiaque, chapitre 8), et Socrate livre 4,
chapitre 18). Que la copie que nous avons présentement soit vraiment le
texte de saint Athanase, il est facile de le prouver, parce qu’il
existe un volume précieux que saint Jérôme considère comme le livre
de saint Atanase. Le même livre contient les nombreux miracles dont
se souvient saint Augustin. De plus, il raconte cette histoire d’Amonis
que Socrate et Palladius réfèrent au livre de la vie d’Antoine par
saint Athanase. Enfin, les centuriates ne présentent aucune preuve
contraire. Ils se contentent de dire qu’il est ridicule de lancer
une controverse, sans raison, sans vraisemblance, et sans autorité, sur
une chose que personne ne met en doute.
On le prouve en second lieu par Damase qui, dans la vie du pape saint
Denys, dit que ce Denys a été tiré d’un monastère. On lit,
dans la chronique d’Eusèbe que ce Denys a siégé en l’an 266.
Les moines n’ont donc pas commencé en l’an 300. On le prouve
ensuite par Tertullien et Cyprien qui ont vécu bien avant le pape Denys.
Car, Tertullien (2ième siècle) a écrit un livre sur les voiles des vierges.
Et, à la suite de Tertullien, saint Cyprien écrivit un livre sur l’habillement
des vierges. Or, l’un et l’autre parlent de vierges religieuses,
et consacrées à Dieu par une profession solennelle. Car, dans ce
livre, Tertullien établit la distinction entre les vierges du monde, séculières,
et les vierges de Dieu, les saintes moniales. C’est d’elles qu’il
dit : « Comme elles sont sacrilèges les mains qui ont pu déchirer un
habit consacré à Dieu ! Qu’est-ce qu’un persécuteur pourrait faire
de pire, s’il connaissait Celui qui a été choisi par une vierge ? »
Et plus bas, il dit : « Tu as épousé le Christ ! Tu lui as livré ta
chair ! » Saint Cyprien dit des choses semblables.
On le prouve en quatrième lieu par le témoignage de Denys l’aréopagite,
plus ancien que Tertullien. Il a écrit une lettre au moine Démophile;
et, dans le livre de la hiérarchie ecclésiastique, au chapitre
6, il explique longuement la forme de la profession monastique. Les
magdebourgeois reconnaissent que l’auteur de ce livre a vraiment parlé
des moines, mais ils nient que ce soit le Denys disciple de l’apôtre
Paul (centurie 1, livre 2, chapitre 10, colonne 624), C’est ce
que nient aussi Laurentius Valla et Érasme (dans son annotation au chapitre
17 des Actes). Luther aussi, Calvin et tous les hérétiques.
Attribuent à Denys ces œuvres trois anciens pontifes, Grégoire 1 (homélie
34 sur les évangiles), Martin 1, dans un concile romain, et Agathon dans
une épitre à l’empereur Constantin 1V. Le même pape Nicolas
(dans une lettre à l’empereur Michel) cite l’épitre de Denys l’aréopagite
au moine Démophile. On peut aussi citer deux conciles généraux,
les sixième et septième, canon 2. Puis un grand nombre de docteurs,
comme saint Maxime qui commenta cette lettre au moine Demophile, le patriarche
de Jérusalem Sophrone dans un très beau discours, que nous avons dans
les actes 11 du sixième synode, saint Jean Damascène (livre 1, chapitre
12 sur la foi), Eutymius (panoplie, partie 1, titre 2), Athanase
le bibliothéquaire, dans son épitre à Charles Chauve, Hilduin, dans
son épitre à Luc le pieux, et tous ceux qui sont venus après.
Il n’est pas vraisemblable que tant de pères n’aient pas pu voir ce
que pensent voir maintenant Valla et Érasme.
Nous pouvons donc raisonner ainsi. L’auteur de ces livres ne
peut pas être plus récent que saint Grégoire, puisqu’il est cité
par lui. Il ne peut pas être, non plus, plus récent
que saint Jérôme, car saint Grégoire le cite quand il dit
que c’est un père ancien et vénérable. Et il n’aurait pas
appelé ancien quelqu’un qui a vécu un siècle avant lui. Il n’a pas
non plus vécu avant saint Jérôme, c’est-à-dire avant le quatrième
siècle, car saint Jérôme l’aurait certainement placé parmi les écrivains
ecclésiastiques. Car, comment aurait-il ignoré un écrivain de
son temps ? Et, de plus, il aurait été connu aussi par saint Ambroise,
saint Augustin, saint Jean Chrysostome et les autres pères.
Il est donc nécessaire, comme le dit saint Athanase que l’auteur ait
été très ancien, et qu’il ait été supprimé par les hérétiques,
et enfin retrouvé à Rome au temps du bienheureux Grégoire, ou avant.
C’est ce qui nous permet de réfuter de Valla, Érasme et les centuriates,
qui prétendent que saint Ambroise, saint Chrysostome, Ambroise, saint
Augustin, et surtout saint Jérôme ne citent jamais ces livres.
Car, cet argument joue plutôt en notre faveur. Car, si ces
pères ne citent pas ces œuvres, c’est un signe qu’il ne vivait pas
à leur époque. Et puisqu’il ne peut pas être plus récent que
saint Grégoire, il s’ensuit nécessairement qu’il est plus ancien.
Voilà pourquoi même un Valla atteste que plusieurs hommes savants ont
pensé que ces œuvres ne venaient pas de Denys l’aréopagite, mais ils
ont tous estimé que l’auteur devait être très ancien, comme Apollinaire
de Hierapolis, ou Denys de Corinthe, les deux ayant vécu autour de 174,
selon la chronique d’Eusèbe. Et même si cela n’est pas vrai, cela
nous suffit pour montrer l’antiquité de la vie monastique.
On le prouve en cinquième lieu, par le Juif Philo qui
est plus ancien que Denys l’aréopagite. Dans son livre sur la vie contemplative
des suppliants. Il décrit longuement la vie et les mœurs des moines et
des vierges sacrées, que l’évangéliste saint Marc avait établis en
Égypte. Il décrit dans le détail leur profession de continence et de
pauvreté, leurs jeûnes, leur psalmodie etc. Les magdebourgeois
reconnaissent que c’est bien Philo qui a écrit cela (centurie 1, livre
1, chapitre 3, pag 18), mais il prétend qu’il parle des esséniens
et non des chrétiens, une secte juive qui avait beaucoup de points communs
avec nos ordres religieux. La seule raison qu’il donne pour justifier
son interprétation c’est que les chrétiens ne pratiquaient pas encore
ce genre d’exercices. Si nous leur disons qu’ils font une pétition
de principe, ils nous répondront que nous parlons comme des sophistes.
Nous prouverons donc, non par des syllogismes, mais par des témoignages
des pères, que Philo parle vraiment des chrétiens. D’abord Eusèbe
(livre 2, chapitre 16 de son histoire) dit que Philo « a vu saint Pierre
à Rome, qu’il a eu des entretiens avec lui, qu’il a décrit les paroles
du prédicateur de Dieu et la vie de ceux qui demeurent dans des monastères.
» De même Épiphane, (hérésie 29 qui est celle des nazaréens), dit,
en parlant de ce livre de Philo : « Quand il décrivit les monastères
de ceux qui demeurent près du marais Maria, il ne parla de personne d’autre
que des chrétiens. » De plus, saint Jérôme (dans son livre des
hommes illustres, au mot Philo), ajoute, après avoir dit que Philo parlait
des chrétiens : « De quoi il appert que la première église des croyants
dans le Christ fut celle que les moines désirent et s’efforcent de reproduire.
» Cassien (ivre 2, chapitre 5 des instituts cénobitiques) affirme
que « les moines égyptiens ont reçu de saint Marc la première règle
de vie. » Cela, Cassien n’a pu l’apprendre que du livre de Philo.
D’autres affirment la même chose en d’autres mots, comme Bède le
vénérable (prologue sur saint Marc), Sozomène (livre 1, chapitre 12)
et Nicéphore (livre 2, chapitre 15).
Quelqu’un dira peut-être que Joseph (livre 2, chapitre 7, dans la
guerre juive, et livre 18, chapitre 2, des antiquités) raconte des
choses semblables des Esséniens. Il est certain que c’est des
esséniens que parlait Joseph, car il enseigne qu’il y avait trois sectes
juives, celle des pharisiens, celle des saducéens, et celle des esséniens.
Je réponds qu’existent deux opinions sur ce passage de Joseph.
Quelques-uns soutiennent que Joseph et Philon ne parlent pas des mêmes
personnes. Car, Joseph ( au livre livre 18, chapitre 2 des antiquités)
affirme que la secte des esséniens est ancienne. Or, Philo précise
qu’il décrit une discipline de vie née de son temps. De plus,
Joseph attribue beaucoup de choses aux esséniens qui sont manifestement
erronées, ainsi que des superstitions. Or, Philo n’attribue aucune
de ces choses à ses thérapeutes (suppliants). Voilà pourquoi saint
Nil, au début de ses livres ascétiques, affirme que les esséniens (dont
parle Joseph) avaient des mœurs semblables à celles des moines, mais
comme il leur manquait la foi dans le Christ, la sainteté de leurs mœurs
ne leur fut d’aucun profit.
Il y en a d’autres qui soutiennent que Joseph et Philo parlent des
mêmes personnes. Dont saint Jérôme (dans sa lettre à Eustochium
sur la conservation de la virginité), où il dit, en parlant des moines
: « C’est aux mêmes Esséniens que réfèrent Philo, l’imitateur
du philosophe Platon, et Joseph, l’auteur de la deuxième captivité
judaïque. » C’est cette opinion que suit Matthieu Galenus
(chapitre 5 du livre sur l’origine du monachisme), et, aux objections
que les autres lui font sur l’antiquité et les erreurs que Joseph attribue
aux esséniens, il répond que Joseph ne connaissait pas exactement les
mystères de nos moines, et qu’il s’est souvent trompé les confondant
avec les anciens Juifs. Car il y eut trois genres de moines du même
nom, les esséniens samaritains, dont parle Épiphane dans l’hérésie
10; les esséniens juifs, dont parle Épiphane dans l’hérésie
19, et les esséniens chrétiens, des Juifs convertis, qu’Épiphane appelle
Esseos ou Jesseos, à l’hérésie 29. On peut penser que Joseph
a confondu nos Jesseos avec ses esséniens, surtout parce que, à cette
époque, les chrétiens étaient encore perçus comme des Juifs.
L’une ou l’autre explication est vraisemblable.
On le prouve, en sixième lieu, par l’exemple des apôtres, qui furent
les premiers vrais moines chrétiens. Car, qu’ils aient institué
une vie cénobitique où tout était mis au commun, les actes des apôtres
nous le racontent au chapitre 4. Que cette règle de vie ne
fut pas le fait de tous mais de ceux-là seuls qui voulaient vivre plus
parfaitement, le chapitre 5 des actes nous l’apprend. Car quand
Ananie mentit sur le prix du champ et chercha à tromper les apôtres,
il entendit saint Pierre lui dire : « N’avais-tu pas le pouvoir de conserver
tes biens ou de les vendre ? »
Que les apôtres s’étaient obligés par un vœu à tendre à la
perfection, saint Augustin l’enseigne (livre l7, chapitre 4 de la cité
de Dieu) : « Les plus puissants avaient voué ce vœu. » Que ce
soit par l’exemple des apôtres qu’ait commencé la vie religieuse,
plusieurs pères l’attestent, comme Eusèbe (livre 1, chapitre 16 de
son histoire), saint Jérôme (des hommes illustres, au mot Philo), saint
Augustin (sermon 2, la vie commune des clercs), Possidius, dans la
vie de saint Augustin, Isidore, (livre 2, chapitre 15, des devoirs). Enfin,
Cassien, (conférence 18, chapitre 5) : « La discipline des cénobites
a donc commencé au temps de la prédication des apôtres. »
Mais les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre 6, colonne 506)
nous opposent un texte de saint Jean Chrysostome (homélie 25 sur l’épitre
aux Hébreux) : « Il n’y avait alors aucun trace de moine, mais il disait
tout des séculiers. » Je réponds que saint Paul ne parle
que de l’église des Corinthiens. Car, il était en train de commenter
ces paroles de saint Paul (1 Cocinthiens 5) : « Si quelqu’un parmi vous
est appelé frère », et il explique que par le mot frères, on n’entend
pas seulement des moines, mais des fidèles. Parce qu’il n’y
avait alors aucun vestige de moine à Corinthe, doit-on en conclure qu’il
n’y avait pas de moines en Palestine et en Égypte ? Que saint
Jean Chrysostome ne nie pas, que, au temps des apôtres, il y ait eu des
moines, plusieurs de ses passages nous le font comprendre.
Car, dans son homélie 17, il dit, en parlant du monachisme : « Elle est
d’un si grand prix la philosophie introduite par le Christ ! »
Si le Christ a introduit le monachisme, il est certain qu’il existait
déjà au temps de l’apôtre Paul. Dans son homélie 11 sur les
actes, il dit que « les moines vivent comme vivaient au début de l’église
tous les fidèles à Jérusalem. » Il dit la même chose dans son
homélie 69 sur Matthieu. Il enseigne que par « leur manière de
vivre, les moines imitent les apôtres. » Enfin, dans le livre 3
contre les contempteurs de la vie monastique, il dit que « les apôtres
ont accompli ce que les moines accomplissent aujourd’hui. »
Venons-en à la deuxième partie de leur objection. Il est facile
de démontrer que ce n’est pas par hasard ou pour fuir les persécutions
que la vie monastique a commencé. Car, il est tout à
fait certain que les cénobites existaient avant les persécutions.
On peut prouver la même chose des ermites. Car, même si le premier ermite
connu s’enfonça dans le désert pour fuir les persécutions, ce n’est
pas pour cette raison que saint Antoine choisit la vie monastique, mais
pour le seul désir d’une vie plus parfaite, comme saint Athanase nous
le montre clairement dans la vie d’Antoine.
Or, la vie érémitique ce n’est pas par Paul mais par Antoine qu’elle
a été introduite. Car, même si Paul a été le premier de tous,
il n’eut pas de disciples, et il ne fut connu que très peu, et après
sa mort. On doit dire, pour être fidèle à l’histoire, que c’est
Antoine qui a été le prince des ermites, car, sans avoir eu de
maître, il enseigna à tous. Saint Jérôme eut donc raison de dire
dans la vie de Paul qu’Antoine mérite d’être appelé le père de
moines, l’auteur de la vie érémitique, non pas tellement parce qu’ils
les a tous précédés, mais parce que tous ont essayé de l’imiter.
On peut donc dire de Paul et d’Antoine qu’ils furent l’un et l’autre
le premier ermite : Paul, par le temps, Antoine, par l’enseignement.
Que la cause de l’établissement de la vie monastique ne fut pas
l’obscurcissement de la doctrine de la justification, ou une imitation
dépravée des esséniens, cela est évident. Car les auteurs des
religions furent les apôtres eux-mêmes, ensuite Antoine, Pacôme, Basile,
des hommes sages et vertueux qu’on ne peut accuser d’ignorance ou de
perverse imitation. Que saint Basile ait été l’auteur d’un ordre
monastique, saint Grégoire de Naziance nous l’atteste dans la vie qu’il
a écrite sur lui. Les lettres que saint Augustin a écrites (livre
3, chapitre 40) contre Petilien, nous montrent qu’il a institué
lui-même un ordre monastique. Or, il est certain que chez Grecs
et chez les Latins, on ne trouve pas de père plus savant, plus instruit
et plus saint que saint Basile et saint Augustin.
Que l’essence du monachisme contemporain soit le même que l’ancien,
on peut l’établir par plusieurs témoignages, que nous présenterons
plus tard dans la dispute des vœux. Et comme Calvin et Melanchton
entendent, par moines anciens, ceux qui existaient au temps de saint Basile
et de saint Augustin, nous aurons recours à ces deux auteurs pour
démontrer notre point. Il est évident pour tous que l’essence
de la vie religieuse consiste aujourd’hui dans les trois vœux de continence,
de pauvreté et d’obéissance. Elle consistait dans la même chose
autrefois. Car, saint Augustin (livre 1, chapitre 31, sur les mœurs
de l’Église) écrit, en expliquant la vie cénobitique : « après avoir
foulé aux pieds les plaisirs de ce monde, ils vivent ensemble dans une
vie très chaste, et très sainte. » Il ajoute ensuite que personne
ne possède rien en propre; et que les pères veillent sans orgueil
sur ceux qu’ils appellent fils, leur commandant avec une grande autorité,
et étant obéi par eux avec empressement. »
Dans sa préface des constitutions monastiques, saint Basile parle
ainsi du futur moine : « Il fuit les noces comme des entraves. Après
avoir abandonné toutes les choses terrestres, il consacre sa vie à Dieu,
et professe la chasteté, pour qu’il ne lui soit plus permis de se tourner
vers le mariage. » De même ( au chapitre 22 de ses constitutions)
il parle longuement de l’obéissance, et conclut en disant que « les
moines doivent obéir à leur préposé comme les brebis à un berger,
et un marteau à un menuisier. » « Il ne doit pas examiner d’un
œil soupçonneux des préceptes qui sont purs de tout péché, mais il
doit accomplir avec empressement et joie tout ce qui est demandé. »
Il y eut même autrefois des cuculles, et le reste de l’habit monastique,
de même que les psalmodies, les jeûnes, un choix d’aliments, et d’autres
choses semblables. C’est ce que nous racontent Épiphane
(dans le résumé de la doctrine) et Jean Cassien, (dans ses livres sur
les instituts monastiques).
CHAPITRE SIX
On évente des mensonges
et on réfute des calomnies
Nous rapporterons brièvement quelques mensonges manifestes et quelques
déclarations absurdes des trois princes de ce temps, Luther, Calvin, Mélanchton,
qu’ils ont présentés contre les moines dans leurs disputes. Car
la réfutation de leurs mensonges vaut plus, pour les discréditer, que
plusieurs arguments subtils. Dans son épithalame, Luther affirme
que « les femmes n’ont été créées que pour le mariage ».
S’il en est ainsi, il n’y aura plus de femmes au ciel, puisqu’il
n’y a pas de mariage; et nous retomberons dans l’hérésie d’Origène
qui nie la distinction des sexes dans la vie future. Hérésie que saint
Jérôme a réfutée dans sa lettre contre Jean de Jérusalem. Et
c’est inutilement qu’existèrent dans le monde tant de milliers de
saintes vierges, si la femme n’est créée pour rien d’autre
que pour le mariage. Il dit ensuite que « c’est la même chose
de se demander si on va prendre femme ou s’il faut manger ou boire ».
Pour la première chose (le mariage) tous consultent les sages, même
les païens (Gellius, livre 1, chapitre 5), mais pour la seconde, seulement
les fous les non fous. Il dit ensuite que Dieu
a prescrit le mariage à tous les Juifs, et d’une façon telle
que, dans l’ancien testament, il n’était pas permis de vivre sans
femme. Alors, comment Élie, Élisée, Jérémie et saint Jean-Baptiste
ont-ils pu vivre, eux qui ont vécu sans femme ?
Saint Jérôme prouve (dans son livre 1 contre Jovinien), qu’ils
ont bel et bien vécu sans femme. Mais ce précepte Luther ne l’a
pas pris dans les lettres divines, mais dans les délires rabbiniques.
Car, le rabbi Salomon (au chapitre 4 de la Genèse) veut que « soit
coupable d’homicide celui qui ne procrée pas d’enfants »; et
le rabbi Isaïe affirme que c’est une sentence des anciens Juifs que
« celui qui ne laisse pas de fils est excommunié par Dieu ». Il
dit, ensuite, et il répète souvent pour enfoncer le clou, que quand Paul
a dit qu’il pourrait, lui aussi, amener avec lui une sœur épouse,
il voulait dire qu’il pouvait, lui aussi, prendre femme, ce qui est d’une
incompétence ou d’une malice intolérable. Il dit ensuite
que saint Paul affirme que la virginité l’emporte sur le mariage, «
mais que cependant une femme mariée est meilleure devant Dieu qu’une
vierge ». Si ces deux affirmations vont bien ensemble, c’est à
lui d’y voir. Saint Augustin parle, certes, autrement de la sainte virginité
(au chapitre 31) : « Quand donc ceux qui professent la continence perpétuelle
se comparent, d’après les textes de l’Écriture, à ceux qui
sont mariés, et découvrent que ceux qui sont mariés leurs sont inférieurs
en mérite et en récompense, qu’il leur vienne immédiatement à la
pensée ce qui est écrit : plus tu es grand, plus tu dois être
humble, et plus humble que tous. »
Luther dit des choses semblables sur les vœux monastiques. Il
dit d’abord que « l’église primitive et le nouveau testament ignorent
complètement l’usage des vœux ». Or, saint Augustin enseigne
que la sainte Vierge avait fait vœu de virginité (chapitre 4 de la sainte
virginité) : « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point
d’homme ? Chose qu’elle n’aurait pas dite si elle n’avait pas voué
sa virginité à Dieu. » Les apôtres, et beaucoup d’autres dans
l’église primitive ont fait vœu de continence et de pauvreté, comme
nous le montrerons plus tard dans la question des vœux. Et
Luther lui-même, dans le livre cité plus bas, affirme que « tous les
baptisées font vœu d’obéir à tous les préceptes ». Ce vœu,
l’église primitive ne l’aurait ignoré que si elle avait ignoré le
baptême.
Il dit ensuite que si on voulait vivre pieusement, la forme du vœu
devrait être la suivante : « je voue la chasteté, la pauvreté et l’obéissance,
librement jusqu’à ma mort, mais de façon à pouvoir le changer
ce vœu quand je le voudrai » Si on s’engage pour
la vie, comment est-on encore libre d’en disposer à sa guise ?
Si on est toujours libre de changer, que vient faire l’engagement
jusqu’à la mort ? Troisièmement, il dit que « le Christ n’a
jamais conseillé la virginité, mais nous en a plutôt détournés; et
que l’apôtre reconnait ne pas avoir de précepte de la part du Seigneur,
mais ne donner qu’un conseil. Or, quand il disait cela, il voulait dire
: « je ne conseille pas, mais je m’abstiens. » Qu’il
y a-t-il de plus sublime que cette glose ?
Ajoutons que le même Luther, dans son article 30, dit qu’il n’y
a aucun conseil évangélique, sauf sur la virginité. Il dit, en
quatrième lieu, que, devant Dieu, une vie n’est pas meilleure
qu’une autre, mais que toutes sont semblables, comme l’enseignait Jovinianus
au temps de saint Jérôme (quatrième siècle). Et comme il savait
que saint Jérôme avait réfuté cet enseignement de Jovinianus, il dit
que saint Jérôme n’a parlé ainsi que pour plaire à ses amis; qu’il
avait corrigé inconsidérément ce passage de l’Écriture, et l’avait
détourné dans son sens. Et il ajouta : « pour ne pas dire qu’il
l’a corrompu. »; que Jovinianus n’avait pas été vaincu par une solide
érudition, mais par la seule autorité. Et il conclut ainsi : «
Qui sait, si Jérôme n’a pas été de ceux dont parle le Seigneur
en Ézéchiel : «Quand un prophète se trompera et dira un mensonge, c’est
moi qui aurai induit en erreur ce prophète. » Or, saint Augustin
(dans son épitre 29 à saint Jérôme) appelle les livres de Jérôme
contre Jovinianus une dispute suave et lumineuse, et les livres de
Jovinien du bavardage.
Il dit, en cinquième lieu, que la meilleure loi qu’on pourrait faire
« ce serait de n’admettre personne à la profession religieuse avant
70 ou 80 ans ». Cela ne mérite pas une réfutation, car c’est parler
pour se moquer du monde. Il est certain que, dans son épitre à
Eustochium, sur la sauvegarde de la virginité, saint Jérôme a dit, en
parlant des cénobites : « Qu’on fasse manger souvent les vieux et les
enfants, pour soutenir la faiblesse de leur âge. » Ces paroles
nous font comprendre qu’il fut un temps où, dans les monastères d’hommes,
on trouvait des moines de tous âges : des vieux, des enfants et des hommes
d’âge mur. Et que les plus âgés et les plus jeunes étaient
moins aptes aux rigueurs de la vie monastique, puisqu’il leur fallait
manger pendant que les autres jeunaient.
Philippe Mélanchton, (dans son confession augustinienne, art 27, et
dans l’apologie de ce même article), dit que, au temps de saint Augustin,
les monastères étaient des associations libres, non astreintes à des
vœux. Or, saint Augustin (dans le psaume 75) dit : « Qu’aucun
frère résidant dans un monastère ne dise : « Je sors du monastère,
parce que les moines ne sont pas les seuls à parvenir au royaume des cieux,
et parce qu’on ne peut pas dire que ceux qui ne sont pas moines n’appartiennent
pas à Dieu. » Qu’on lui réponde : eux n’ont pas fait
de vœux, toi, tu en as fait ! » Et, dans le psaume 99 sur les apostats,
il dit : « Celui qui ne persévèrera pas et n’accomplira pas ce qu’il
a promis par un vœu, qu’il soit un déserteur d’un si saint propos,
et un coupable d’un vœu non observé. »
Il dit, en second lieu, que les monastères ont été des écoles
de lettres sacrées et d’autres disciplines. Mais, saint
Basile, dans ses constitutions monastiques, Cassien, dans les institutions
de cénobites, saint Jérôme dans son épitre à Rustique, et dans les
autres à Paulin sur l’institution des moines, et saint Augustin,
(livre 1, chapitre 31 des mœurs de l’Église), et les autres anciens
parlent toujours de l’oraison, des jeûnes, des psalmodies, de la continence,
de la pauvreté et de l’obéissance. Des écoles de lettres ou
de sciences, aucun mot.
Il dit, en troisième lieu que saint Bernard et saint François
ont fondé une communauté religieuse pour la seule utilité du corps.
Il appelle utilité du corps être soulagé des problèmes qu’apporte
le support d’un conjoint, et l’éducation des enfants.
Mais que saint François ait marché nus pieds (et dans la neige), qu’il
n’ait eu qu’une seule bure, qu’il ait porté un cilice qui lui comprimait
le corps, qu’il ait dormi sur le sol, qu’il ait veillé pendant des
nuits entières, qu’il ait jeuné presque continuellement, qu’il se
soit contenté de pain et d’eau, qui d’autre qu’un insensé réfèrera
cela à l’utilité du corps ? De plus, saint Bernard ne vécut
pas seulement comme un ascète, mais (dans le sermon 30 sur le cantique
des cantiques) il enseigne que « ce n’est pas le propre d’un
moine, mais d’un médecin de se soucier de son corps et de sa bonne santé;
que c’est l’utilité spirituelle que le moine doit rechercher, et que,
pour que l’esprit vive et soit vigoureux, il faut crucifier la chair
et châtier le corps ».
Il dit, en quatrième lieu, que le monachisme est une invention récente.
À quel point il ment nous l’avons déjà démontré, quand nous avons
fait remonter la vie monastique jusqu’au temps des apôtres.
De plus, j’aimerais savoir ce que Philippe entend par le mot « récent
». Car, même s’il nie qu’il y ait eu des moines au temps des apôtres,
et même s’il prétend que les moines d’aujourd’hui n’ont rien
en commun avec ceux du temps d’Augustin, il ne peut nier que le monachisme
qui existe aujourd’hui ait commencé au moins au temps de saint Benoit.
Car, cela, les luthériens eux-mêmes l’admettent, puisqu’ils voient
que sont encore observées les règles qu’il a édictées, et que sont
encore debout les monastères qu’il a fondés. Or, saint benoit a vécu
mille ans avant nous. À moins que mille ans soit, pour Philippe, comme
un an, qu’il nous explique donc comment le monachisme peut être
dit une institution récente ?
Il dit, en cinquième lieu, que nous affirmons, nous, que la
vie monastique mérite la justification et la rémission des péchés,
qu’elle sauve les autres quand ont leur en applique nos mérites, et
qu’elle est de loin meilleure que le baptême. Mais ceci c’est
de la calomnie pure, et jamais aucun catholique n’a enseigné cela.
Ce que nous disons c’est que les œuvres de la religion, c’est-à-dire
vivre chastement, ne rien posséder en propre, obéir aux supérieurs,
sont des œuvres bonnes et méritoires pour la vie éternelle, si elles
sont faites par des justes, et qu’elles servent de satisfaction
pour les péchés, comme toutes les autres bonnes œuvres. Qu’elles
méritent la justification personne ne l’a jamais dit.
Nous disons aussi que les religieux peuvent rendre les autres participants
de leurs bonnes œuvres, comme le peuvent tous les autres fidèles.
Car, les membres d’un même corps communiquent entre eux. Mais
qu’un moine puisse sauver les autres par ses œuvres, ou leur mériter
la grâce ou la gloire, aucun catholique ne l’a jamais prétendu.
Nous disons enfin que, entre le baptême et la profession religieuse, il
y a une certaine ressemblance. Car, comme au baptême, nous renonçons
au diable, et nous commençons une nouvelle vie, par la profession religieuse
nous renonçons au siècle et à tous ses plaisirs licites, et nous commençons
une nouvelle vie. Et comme, dans le baptême, les péchés sont parfaitement
remis, en ce qui a trait à la faute et à la peine, dans la profession
religieuse aussi, quand elle est prononcée avec l’intention requise,
est remise, croyons-nous, la peine temporelle pour laquelle il fallait
faire une satisfaction; et qu’est remise aussi la faute.
Nous ne faisons pas, pour autant passer la profession religieuse
avant le baptême, et nous ne mettons pas, non plus, la profession religieuse
et le baptême sur le même pied. Que le baptême enlève la peine
et la faute, nous le savons avec certitude. Mais que la profession religieuse
enlève la peine et même la faute, nous ne l’affirmons pas comme s’il
s’agissait d’une vérité démontrée ou de foi. Nous le pensons seulement.
Mais ce n’est pas nous qui avons inventé cela, car saint Athanase, dans
la vie d’Antoine, atteste que, dans une vision, saint Antoine a entendu
des anges lui assurer que tous ses péchés lui avaient été remis, quand
il s’engagea dans la vie monastique.
Saint Jérôme (dans l’épitre 25 sur la mort de Blesille), dit :
« Comme, par une grâce du Christ, avant d’avoir terminé quatre mois,
elle se lava comme une deuxième fois dans les eaux du baptême, et vécut
désormais de façon à que, après avoir foulé aux pieds le monde, elle
pensa continuellement à un monastère. » Saint Bernard (dans
son livre sur le précepte et la dispense, non loin de la fin) dit : «
Vous voulez apprendre de moi pourquoi, parmi toutes les formes de pénitence,
la discipline monastique a mérité la prérogative d’être appelée
un second baptême, je pense que c’est à cause du renoncement parfait
au monde, et de l’excellence toute spéciale de sa vie spirituelle.
Elle l’emporte tellement sur tous les genres de vie humaine, qu’elle
fait ce ceux qui la professent et l’aiment de tout leur cœur, des humains
semblables aux anges, et différents des autres hommes. Car, elle
reforme l’image divine en l’homme, nous configurant au Christ, à l’instar
du baptême, et comme si nous étions de nouveau baptisés. Et en
mortifiant nos membres qui sont encore sur la terre, nous revêtons le
Christ, étant replantés dans la similitude de sa mort. »
Et dans le sermon 30 sur le cantique des cantiques, il dit que
le labeur monastique est un genre de martyre; et que personne n’ignore
que le martyre est un genre de baptême. Enfin, saint Thomas (2,2,
question ultime, article 3) enseigne qu’on a raison de croire que, par
la profession monastique, on satisfasse à tous les péchés; et que cette
profession est un autre baptême.
De même, Mélanchton (lieux communs, chapitre des conseils et des
préceptes) dit d’abord qu’il faut déplorer notre cécité qui nous
fait orner de plus grands titres la mendicité, ou d’autres œuvres semblables
non commandées, que la loi divine, puisqu’on ne peut imaginer aucune
œuvre plus grande que ce qu’ordonne le premier commandement : « Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu ». Nous répondons brièvement à cette
calomnie. Il n’y a personne, parmi les catholiques, qui place les
conseils avant les préceptes. Saint Thomas (2,2, question
184, article 3) dit précisément le contraire. Car, il veut que la perfection
chrétienne consiste essentiellement dans l’observation des préceptes,
et instrumentalement, dans l’observation des conseils.
On peut quand même placer les conseils avant les préceptes de trois
façons. La première. En comparant les conseils non pas à
n’importe lequel précepte, mais aux préceptes qui se rapportent à
la même matière. Exemple. Le précepte
suivant porte sur la matière externe des œuvres : « tu ne voleras pas
». Il y a un conseil qui porte sur la même matière : « Vends
tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres. » Il est certain que
ce conseil de tout donner aux pauvres est supérieur au précepte de ne
pas voler. De la même façon, le conseil de la virginité est supérieur
au précepte de ne pas commettre l’adultère. Et, il en va ainsi
des autres.
La deuxième façon. En comparant non les conseils avec les préceptes,
mais l’état des hommes qui observent les préceptes et les conseils
avec celui de ceux qui n’observent que les préceptes. Il n’y
a aucun doute que le premier état est supérieur au deuxième, puisqu’il
ne fait qu’ajouter aux préceptes sans rien enlever. Voilà pourquoi
le Seigneur a dit à celui qui voulait observer tous les commandements
: « Va, vends ce que tu as. »
La troisième façon. En comparant les conseils avec n’importe
lequel précepte, et même avec le premier : « Tu aimeras ton Dieu. »
Mais en considérant dans les conseils non les œuvres externes des
conseils, mais la charité qu’ils présupposent, et à laquelle ils tendent.
Car, par le précepte de l’amour divin, Dieu ne prescrit pas une charité
infinie, mais un certain degré, une certaine quantité de charité, par
laquelle rien ne nous parait égal ou supérieur à Dieu. Or, il
nous faut un degré de charité plus grand pour renoncer, à cause de Dieu,
à toutes les richesses et à tous les plaisirs licites. Voilà
pourquoi saint Augustin a dit dans son sermon 18 sur les paroles de saint
Paul sur la virginité : « Un plus grand amour s’impose un plus grand
fardeau. »
Mélanchton dit, en second lieu, que nous pensons faussement que la
loi de Dieu ne porte que sur la discipline externe; que nous estimons que
la loi : tu ne tueras pas, n’interdit qu’un meurtre injuste, non le
désir personnel de vengeance, la malveillance, les haines injustes. Et
il déduit cela de ce que nous n’estimons pas péchés les premiers mouvements
de la concupiscence, auxquels on ne consent pas. En parlant
ainsi, il pèche trois fois. La première. Il ment en affirmant
que nous ne reconnaissons comme péchés que les œuvres externes.
C’est un mensonge si énorme qu’il est presque incroyable. La
seconde. Qu’il déduise cela de ce que nous ne considérons pas comme
péchés les premiers mouvements de la concupiscence auxquels on ne consent
pas, comme s’il n’y avait d’actes internes que les involontaires.
La troisième. Qu’il affirme que sont des péchés les mouvements
involontaires, les tendances naturelles, les puissances naturelles par
lesquelles la chair lute contre l’esprit. Vouloir que cela soit
un péché c’est tout à fait contraire à la raison. Car, par
le mot de péché, tous entendent un acte mauvais volontaire. Voilà
pourquoi saint Augustin (dans le dernier livre de la perfection de la justice),
dit que celui qui ne consent en aucune façon aux mouvements licites de
la concupiscence ne doit pas, même s’il les ressent, dire à Dieu :
pardonnez-nous nos péchés, mais seulement : ne nous induisez point en
tentation.
Jean Calvin (livre 4, chapitre 13, verset 3 des institutions) dit que
« nous donnons le nom de pollution au mariage que Dieu a institué ».
C’est un mensonge éhonté. Car, ce que Dieu a institué,
nous l’appelons, nous, un sacrement, avec saint Paul, non une pollution.
Mais la concupiscence et la désobéissance des membres, que Dieu n’a
pas instituées, et sans quoi, cependant, ne se consomme pas le mariage,
nous l’appelons une pollution et une maladie, qui n’est pas un péché,
mais qui est née du péché. Voir ce que saint Augustin dit de la concupiscence
et du mariage.
Il dit ensuite (au même endroit, verset 8) que les hommes pieux
qui se faisaient moines n’avaient pas d’autre intention que de se préparer,
par la discipline monastique, au gouvernement des églises.
Ce qui est un mensonge méprisant pour tous les saints qui, des monastères,
ont été appelés à l’épiscopat. Car, si nous en croyons Calvin,
c’étaient des homes dévorés par l’ambition, alors que l’histoire
nous montre que c’est malgré eux qu’ils ont été faits évêques.
Il est certain que saint Augustin, (dans le premier sermon de la vie commune
des clercs) déclare que quand il n’était que moine, il n’a jamais
désiré devenir évêque, et que, pour cette raison, il fuyait les lieux
privés d’évêques, pour ne pas être forcé d’accepter l’épiscopat.
Saint Jean Chrysostome et saint Basile avec quelle ardeur ils fuirent
l’épiscopat, afin de pouvoir demeurer perpétuellement dans leur monastère
! C’est ce que rapporte saint Jean Chrysostome lui-même dans son
livre sur le sacerdoce. Saint Jérôme, dans sa lettre à Pammachius,
contre Jean, évêque de Jérusalem, affirme que c’est malgré lui qu’il
a été sacré prêtre par l’évêque Paulin, parce qu’il avait décidé
d’être moine et non prêtre. Saint Grégoire, dans sa lettre à
saint Léandre, que l’on trouve au début de son livre sur les morales,
déplore lamentablement son sort, pace qu’ayant choisi de vivre perpétuellement
dans un monastère, il avait été contraint de devenir pape.
Et même si Calvin nous oppose la lettre 81 de saint Augustin aux moines
de l’île de Capri, nous ne craindrons pas de la reproduire parce qu’elle
est plus favorable à nous qu’à lui. Voici donc la lettre controversée
: « Frères, nous vous exhortons dans le Seigneur de maintenir votre engagement,
et de persévérer jusqu’à la fin. Et si notre mère l’Église
avait besoin de votre labeur, recevez cette charge sans être avides d’élévation,
ne la rejetez pas par une fausse humilité, mais obéissez à Dieu dans
l’humilité et la douceur du cœur de Jésus. Ne faites pas passez
vos loisirs avant les nécessités de l’Église. Car si aucun homme bon
n’avait servir à son enfantement, vous n’auriez pas trouvé comment
naître. »
C’est de ce passage que se sert Calvin pour prouver que, puisqu’on
avait coutume autrefois d’aller chercher dans les monastères les prêtres
et les évêques, ceux qui se faisaient moines faisaient profession de
vie religieuse afin d’être promus à l’épiscopat. Mais qu’on
ne peut pas déduire ceci de cela, cela saute aux yeux. D’autant
plus que les paroles de saint Augustin disent expressément le contraire.
Car, si ces moines de l’ile de Capri se préparaient à recevoir des
hautes fonctions, pour quelle raison saint Augustin les exhortait-il à
ne pas refuser ces charges si jamais on les leur offrait ? De plus,
pourquoi les exhorte-il à rester fidèles à leur engagement et à persévérer
jusqu’à la fin, s’ils ne sont pas venus là pour y demeurer toujours,
mais pendant un certain temps seulement, et rien que pour se préparer
à exercer une haute fonction ecclésiastique ?
En troisième lieu, il dit la même chose au verset 10. « Quand Augustin
a déformé pour nous le monachisme légitime, il a voulu enlever toute
la rigidité pointilleuse de ces choses qui ont été laissées à
notre libre choix par la parole du Seigneur ». Ceci est un autre
mensonge, comme le montrent les passages ci-haut allégués aux psaumes
75 et 99, et ceux que nous citerons plus loin. Quatrièmement. Il
dit, au même endroit, que « saint Augustin requiert de ses moines que
toutes les formes de la vie monastique de ses couvents se réfèrent à
la piété que le Seigneur a recommandée à tous, c’est-à-dire
à la charité envers Dieu et envers le prochain ». Et il se demande
« quelle nouvelle piété ont inventée nos moines, par la médiation
de laquelle ils deviennent plus parfaits que tous ».
Cela aussi est un mensonge flagrant. La seule vérité
qu’il profère c’est quand il dit qu’il ne sait pas quelle nouvelle
piété ils ont inventée. Car, c’est vrai qu’il ne le sait pas,
puisqu’ils n’en ont jamais inventée de nouvelle; et puisque,
par ces vœux, ils ne recherchent rien d’autre que la perfection dans
la charité. Que la vie religieuse soit plus parfaite que la vie
séculière, autant Calvin l’a en horreur, autant saint Augustin l’enseigne
(épitre 89, question 4) à Hlaire, où il dit : « Le bon maître
a distingué les commandements de la loi de cette perfection plus excellente,
quand il a dit : si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements;
si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as. »
Cinquièmement, il dit au même endroit, au verset 11, que « la vie
monastique n’a jamais été, même pas par une syllabe, approuvée
par le Seigneur ». Ce mensonge est repoussé par saint Augustin,
au lieu déjà cité, et par saint Jean Chrysostome (homélie 17 au peuple)
: « Elle est d’un si grand prix la philosophie instituée par le Christ
! » Sixièmement. Il dit, au verset 12, qu’ « il n’est
jamais venu à la pensée d’aucun ancien de dire que le Christ
avait conseillé quelque chose; mais que tous ont toujours déclaré
d’une seule voix qu’aucune parole du Christ n’a été émise qui
n’ait, pour nous, valeur de commandement ». Ce qui est un mensonge
plus que honteux. Et il ne présente aucun texte pour confirmer
ce qu’il avance si impudemment. Nous, dans la prochaine question,
nous présenterons tous les anciens qui crient d’une seule voix que nombreux
sont les conseils évangéliques. Que suffise, pour le moment,
cette citation de saint Augustin.
Septièmement. Il dit, au même endroit, que « les moines, pour sembler
paraitre plus parfaits que les autres, promettent d’observer les conseils
évangéliques de ne pas jurer, d’aimer les ennemis, et de ne pas rechercher
la vengeance ». Or, aucun moine ne s’engage par vœu à observer
cela, car ces choses ne sont pas de simples conseils, mais des commandements.
Huitièmement. Il dit, au verset 14, que « les pères abhorraient
de tout leur cœur ce blasphème et ce dogme sacrilège qui donnait le
nom de second baptême à la profession monastique ». Or, nous avons
montré, nous que saint Athanase, saint Jérôme, saint Bernard et saint
Thomas n’avaient pas cette phrase-là en horreur. Mais lui,
il est incapable de ne citer aucun témoignage en sa faveur.
Neuvièmement. Il dit, au même endroit, que, au temps de saint
Augustin, les vrais moines étaient toujours disponibles pour exercer la
charité envers le prochain, tandis que « les moines d’aujourd’hui
ont fait scission avec toute l’Église ». Ce qu’il tente de
prouver de deux façons. La première. Les anciens moines allaient prier
dans l’église paroissiale, et participaient aux sacrements avec les
autres chrétiens. Les nôtres ont leurs chapelles propres, leurs
autels particuliers. La deuxième. Dans 1 Corinthiens 1, «
l’apôtre appelle schismatiques ceux qui disent : je suis pour
Pierre, je suis pour Paul, ou je suis pour Barnabée. Or, les moines d’aujourd’hui
disent : je suis pour Augustin, pour Benoit, pour François, pour Ignace.
»
Il y a là un double mensonge. Car, d’abord il est faux que
les anciens moines n’avaient ni églises ni autels à eux. Car,
alors, autant les ermites que les cénobites habitaient en dehors des villes,
loin des autres hommes. Parce qu’ils ne pouvaient pas aller aux
églises de leurs prêtres ou de leurs évêques, chaque monastère avait
son abbé, son prêtre qui leur administrait les sacrements. C’est
ce qu’explique clairement saint Augustin (livre 1, chapitres 31 et 33
des mœurs de l’Église, et dans l’épitre 81 au prêtre Eudoxius et
à l’abbé de l’île de Capri ). Le même Épiphane,
dans sa lettre à Jean de Jérusalem, dit avoir ordonné Paulinien
comme prêtre du monastère de Jérusalem, parce que saint Jérôme, le
préposé du monastère, n’osait pas, par humilité, administrer les
sacrements à ses frères. On voit la même chose dans presque toutes les
conférences de Cassien, et surtout dans la 18ième et la 15ième.
De plus, il est faux que nos moines aient fait scission avec
l’Église. Ne reconnaissent-ils pas le même pontife que tout le
reste de l’Église ? Ne sont-ils pas ordonnés par les mêmes évêques
qui ordonnent les autres ? Ne communient-ils pas avec le même peuple
que ne font les autres chrétiens ? S’ils étaient schismatiques
parce qu’ils ont des autels et des églises à eux, tous les curés seraient
schismatiques, car il n’y a aucune paroisse qui n’ait une église et
un autel distincts des églises et des autels des autres paroisses.
Enfin, il est faux que ceux qui disent aujourd’hui : je suis
pour Augustin, pour Bernard ou Benoit, disent la même chose que ceux qui
disaient autrefois : je suis pour Paul, pour Pierre ou pour Apollon. D’abord,
parce que ceux d’autrefois pensaient que la vertu du baptême dépendait
de la sainteté du baptiseur. Voilà pourquoi ils se glorifiaient
d’être les fils spirituels d’hommes plus excellents que les autres,
comme l’explique saint Augustin dans son traité 5 sur saint Jean, et
ailleurs. C’est ce que semblent vouloir dire les paroles suivantes
: « Est-ce que c’est Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou est-ce
au nom de Paul que vous avez été baptisés ? »
Et dans tout ce chapitre et dans les trois suivants, Paul,
pour réfuter cette erreur, enseigne que les apôtres ne sont que les ministres
du Christ; que c’est le Christ qui, véritablement, et par sa puissance
propre, a tout fait; et que c’est pour cette raison que, pour convertir
le monde, il a choisi des hommes vils et ignorants, pour que le salut ne
semble pas dépendre des hommes. Et pour comprendre comment
ils faisaient un schisme ceux qui disaient je suis pour Paul ou pour Pierre
ou pour Appollon, il suffit de voir que quand ils disaient je suis de Paul,
de Pierre ou d’Appollon, ils faisaient autant de baptêmes que
de baptiseurs, et autant de fois et d’églises.
Ils se trompaient aussi parce qu’ils portaient un jugement téméraire
sur leurs prédicateurs, en préférant les uns aux autres, comme on le
voit pas ces paroles du chapitre 4 : « Ne jugez pas avant le temps.
Il m’importe peu à moi d’être jugé par vous. » Mais, quand
les moines disent : je suis d’Augustin, de Benoit, de François, ils
ne font qu’indiquer une distinction d’ordres religieux. Si quelques-uns,
parmi les religieux les plus simples, se glorifient de la grandeur de leurs
fondateurs, et, à cause de ses stigmates, mettent saint François
avant saint Dominique, ils ne font pas bien, et le dernier reproche de
l’apôtre retombe sur eux. Mais, ils ne sont pas des schismatiques,
et il ne faut, pas, à cause de quelques idiots, diffamer tous les ordres
religieux. Dixièmement. Il dit, au verset 18, qu’il n’était
pas permis, autrefois, d’admettre une femme au vœu de continence avant
l’âge de 60 ans. Mais les anciens comme Cyprien, Ambroise, Chrysostome,
Jérôme enseignent le contraire. Car si les nonnes étaient toutes
âgées d’au moins 80 ans, la conservation de leur pudicité n’exigerait
pas d’aussi grands efforts.
CHAPITRE SEPT
Qu’est-ce que c’est qu’un conseil de perfection ?
Nous nous proposons maintenant de traiter une autre question sur les
conseils de perfection. Nous expliquerons d’abord ce que c’est
qu’un conseil de perfection, et en quoi il diffère d’un précepte.
Ensuite ce qu’en pensent les hérétiques et les catholiques.
Puis nous apporterons des preuves de cette vérité, et enfin nous réfuterons
les objections.
Nous appelons conseil de perfection une bonne œuvre qui n’a pas
été prescrite par le Christ, mais démontrée; qui n’a pas été commandée,
mais recommandée. Elle diffère du précepte par rapport à la matière,
au sujet, à la forme et à la fin. Par rapport à la matière, elle
diffère doublement. D’abord, parce que la matière du précepte
est plus facile que celle du conseil. Car l’une vient des principes
de la nature, et l’autre excède, en quelque manière, la nature.
Car, la nature incite à conserver sa foi au conjoint, mais non à
s’en abstenir. Saint Ambroise, dans le livre 1 de la virginité
dit : « Qui peut comprendre avec son intelligence humaine ce que la nature
n’a pas inclus dans ses lois ? Ou quelle parole humaine peut exprimer
ce qui est au-dessus de l’usage de la nature ? C’est au ciel que se
pratique ce que l’on imite sur la terre. » Et saint Jérôme dans
son sermon sur l’assomption, ou son auteur quel qu’il soit, dit : «
En vérité, vivre dans la chair en marge de la chair, ce n’est pas une
vie terrestre mais céleste. »
Ensuite, parce que la matière d’un précepte est bonne, et celle
d’un conseil meilleure et plus parfaite, si l’on parle des préceptes
qui portent sur la même matière que celle des conseils. Car, le
conseil inclut le précepte, et ajoute quelque chose qui est au-dessus
du précepte. Saint Augustin (sermon 18 sur les paroles de l’apôtre)
: « Ces amantes qui comptèrent pour rien les noces terrestres, qui ne
désirèrent pas les étreintes humaines, acceptèrent le précepte de
façon à ne pas récuser le conseil, pour qu’elles plaisent davantage
en se parant davantage. »
Les préceptes et les conseils différent par rapport au sujet, car
le précepte est commun à tous, le conseil à quelques-uns. Saint
Augustin (sermon 61) : « Au sujet de la virginité il a été dit : que
comprenne celui qui peut comprendre. Or, de la justice on ne dit pas :
que celui qui peut faire, fasse ! Mais : « Tout arbre qui ne produit
pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. » Par rapport à la
forme. Le précepte oblige par lui-même, le conseil relève du libre choix
de l’homme. Saint Jérôme (dans l’épitre à Eustochium sur
la conservation de la charité) écrit : « Là ou il y a un conseil, la
règne la liberté d’offrir; là où un précepte est donné, là
s’impose la nécessité de l’observance » Et saint Augustin
(chapitre 30 de la sainte virginité) : « On ne peut pas dire « tu ne
te marieras pas », comme on dit « tu ne commettras pas d’adultère,
ou de meurtre ». Les unes sont offertes, les autres exigées.
On est loué si on fait les unes, on est condamné si on ne fait pas les
autres. »
Par rapport à la fin ou à l’effet. L’observation d’un précepte
apporte une récompense, la non observation une peine. Mais on n’est
pas puni si on n’observe pas un conseil, et si on l’observe on obtient
une plus grande récompense. Voici ce que dit là-dessus saint
Augustin (au chapitre 14 de la sainte virginité) : « Quelqu’un qui
n’obéit pas à un précepte est coupable et mérite d’être puni.
» Et, plus bas : Pour obtenir la vie éternelle, être
libéré de péchés est peu de chose si on ne voue pas quelque chose au
libérateur. Que ce ne soit pas un crime de ne pas faire de vœux, mais
que cela mérite des louanges, c’est ce que laisse entendre saint Paul
quand il dit : « Je donne un conseil. »
CHAPITRE HUIT
On présente différentes opinions
sur les conseils
Il y en a quatre : trois fausses, et une vraie. Quelques-uns
veulent que ce que nous appelons, nous, des conseils ne soit pas des conseils
mais des préceptes. D’autres que ce ne soit ni des conseils ni des préceptes,
mais des choses indifférentes. Il y en a qui disent que les vœux ne sont
ni des préceptes ni des conseils, mais des choses mauvaises et défendues.
Enfin, les catholiques disent que ce sont des conseils.
La première opinion est très ancienne. Elle vient de ceux qui
s’appelaient apostoliques, au témoignage d’Épiphane (hérésie 61)
et de saint Augustin (hérésie 40). Ils soutenaient que « ne pouvaient
pas se sauver ceux qui ne vivaient pas dans le célibat et la pauvreté,
comme les apôtres ». C’est ce qu’enseignèrent en partie
les Encratites, dont le fondateur a été Tatien, disciple de saint Denys.
Ils prêchaient que « tous les chrétiens devaient s’abstenir du mariage,
et vivre en célibataires », comme saint Irénée l’atteste (livre 1,
chapitre 30). Les pélagiens également. Au témoignage de
saint Augustin (épitres 89 et 106), ils déniaient l’espérance du salut
à tous ceux qui ne renonçaient pas en acte à tout ce qu’ils possédaient.
C’est aussi ce que pensa ou fit sembler de penser Julien l’Apostat.
Car, comme le rapporte saint Grégoire de Naziance (dans son sermon 1 sur
Julien), il décréta une loi qui interdisait aux chrétiens de protester
si on leur volait quelque chose, ou si on les tuait injustement.
Et la raison qu’il invoquait c’est qu’il voulait forcer les chrétiens
à observer leur évangile qui leur interdisait de ne rien posséder, et
les obligeait à tendre l’autre joue.
La deuxième opinion fut celle de Jovinien, de Vigilance, des Lampétiens.
Car, Jovinien enseignait que la continence n’était ni un précepte ni
un conseil, puisque les vierges avaient le même mérite que les femmes
mariées, comme le rapportent saint Jérôme (livre 1 contre jovinien)
et saint Augustin (hérésie 82). Vigilance a enseigné la même
chose au sujet de la pauvreté, car comme le rapporte saint Jérôme dans
son livre contre Vigilance, il soutenait qu’il était préférable de
posséder des richesses, pour pouvoir faire continuellement des aumônes,
plutôt que de s’en défaire une fois pour toutes.. Et c’et ce
que les Lampétiens pensèrent de l’obéissance. Car, comme l’écrit
saint Jean Damascène (hérésie 98), les moines, selon eux, devaient
habiter dans les monastères, en étant complètement libres de faire
ce qu’ils voulaient, sans jamais dépendre du jugement d’un préposé.
La troisième opinion est celle de Jean Wiclif et des luthériens
qui furent les premiers à considérer comme mauvaises les communautés
religieuses, et à les dénigrer. Jean Wiclif (article 21, session
du concile de Constance) dit que ceux qui entraient en religion étaient
rendus par le fait même inaptes à observer les commandements de Dieu.
Et il tirait même la conclusion que « les vœux de continence, de pauvreté
et d’obéissance n’avaient pas été conseillés par Dieu, mais interdits
». Luther, dans son épithalame, et dans son livre sur les vœux
monastiques, Philippe dans les lieux communs, (au chapitre de la différence
entre un précepte et un conseil, et dans son apologie de la confession
augustinienne, art 27), le martyr Pierre (dans le livre sur le célibat
et les vœux monastiques), Calvin (livre, 4, chapitre 13), Brentius (dans
sa profession de Wittemberg, au chapitre des 3 vœux monastiques), et tous
les hérétiques en général enseignent qu’ « un conseil évangélique
ne signifie rien ». Même si Luther, dans sa déclaration de l’article
30 a admis un conseil, celui de la virginité, il l’a révoqué ensuite
par une phrase de son épithalame.
En particulier, les trois qui disent qu’ « une vie de pauvreté
et de célibat dans l’obéissance à un prélat est une pure superstition,
et est une impiété si on le fait pour honorer Dieu, c’est-à-dire si
quelqu’un pense pouvoir par là plaire à Dieu et gagner des mérites
». Ils disent ensuite qu’une pauvreté volontaire et une
obéissance prêtée à qui on ne doit pas la prêter, n’est pas
une impiété si on ne le fait pas pour gagner les faveurs de Dieu,
mais que « c’est une chose sotte et vaine, et donc mauvaise ».
Il suffit, disent-ils, de supporter la pauvreté qu’apporte la
nécessité, et d’obéir à ses parents et aux magistrats.
Ils disent ensuite, que la continence, si on ne l’adopte pas
pour des raisons cultuelles, mais comme un instrument qui nous fait nous
acquitter plus activement de nos devoirs évangéliques, est bonne et louable,
et est louée, pour cette raison, par l’Apôtre (1 Corinth 7), mais qu’elle
n’est possible qu’à ceux qui savent posséder un don si spécial.
Et ce don ils le veulent si rare que, comme le dit Luther dans son épithalame,
« personne ne peut être continent sans un miracle de Dieu »; et
que là où il y a un continent, il est nécessaire qu’il y en ait plus
que mille qui aient besoin du mariage.
La quatrième opinion est celle de tous les catholiques. Il y
a plusieurs conseils qui soient appelés vraiment et proprement évangéliques,
mais il y en a principalement trois : la continence, la virginité et l’obéissance.
Ils ne sont ni des préceptes ni des choses indifférentes, mais des choses
que Dieu donne et recommande.
CHAPITRE NEUF
les témoignages de l’Écriture
Le premier témoignage est celui d’Isaïe : « Que l’eunuque ne
dise pas : je suis un bois aride, parce que voici ce que dit le Seigneur
aux eunuques : « Ceux qui respecteront mes sabbats, et choisiront ce que
je veux, et garderont mon alliance, moi, je leur donnerai dans ma maison
et dans mes murs un lieu et un nom meilleur qu’au moyen de fils et de
filles, et je leur donnerai un nom éternel qui ne périra jamais. »
Qu’il s’agisse ici de continents volontaires, non de castrés, c’est
ce qu’enseignent saint Jérôme, saint Cyrille (dans leur commentaire
de ce passage), saint Augustin (dans son livre sur la vraie virginité),
saint Ambroise (dans son exhortation aux vierges) saint Basile (dans son
livre sur la vraie virginité), et saint Grégoire ( partie 3, pastorale,
chapitre 29).
On le voit aussi par la récompense promise aux eunuques. Car,
il n’y a aucune raison pour laquelle on promettrait une plus grande gloire
aux castrés qu’aux fils de Dieu, ou qu’à ceux qui ont
beaucoup de fils et de filles, ou une plus grande gloire que ne donne le
nombre de fils et de filles. Si quelqu’un prétend qu’Isaïe
parle des castrés, il aidera quand même notre cause, car si à des eunuques
qui se contiennent, sans pouvoir faire autrement, on promet une si grande
gloire, il est certain qu’une plus grande gloire encore est promise
à ceux qui se contiennent, en pouvant ne pas se contenir.
On doit noter ici que la phrase « meilleur que des fils et des filles
» peut avoir un autre sens, à savoir, il leur promet une gloire meilleure
qu’auraient été des fils et des filles, car les mots hébreux peuvent
signifier ceci : je donnerai à ceux qui sont privés de fils quelque chose
de meilleur que d’avoir des fils. Et c’est ainsi que l’ont
traduit les septante. Mais ce deuxième sens aboutit à la même
conclusion que le premier : car les continents sont toujours placés avant
les conjoints, puisqu’ils auront quelque chose de meilleur que des fils.
Que la continence des eunuques en ce lieu ne soit pas commandée mais
conseillée, c’est ce qu’enseignent les auteurs cités. Et saint
Jérôme le prouve par les paroles suivantes : « Ceux qui auront choisi
ce que j’ai voulu. » On dit qu’ils choisissent ceux qui ne sont
pas obligés de faire quelque chose par un précepte. Le sens est
donc : Ceux qui auront choisi ce que j’ai voulu, ceux qui, dépassant
ce que j’ai prescrit en m’accommodant à l’humaine fragilité, choisiront
spontanément les choses que je désire et que je veux. On comprend
la même chose du fait que ceux qui ne sont pas eunuques, même s’ils
sont placés après les eunuques, ne sont pas exclus du royaume des cieux,
et sont même appelés fils et filles. Tous ne sont donc pas tenus
d’être eunuques. Ce n’est donc pas un précepte.
Que la continence ne soit pas seulement utile dans cette vie, comme
les adversaires eux-mêmes le reconnaissent, mais qu’elle mérite une
gloire supérieure, ce qui pour eux est un blasphème horrible, on le voit
dans ces mots : « Je leur donnerai un nom éternel qui ne périra pas.
» Saint Augustin commente ainsi ce texte : « Cécité impie, pourquoi
tergiverses-tu ? Pourquoi promets-tu seulement un avantage temporel
aux saints continents ? « Je leur donnerai un nom éternel. » Et si par
éternité tu entends une longue durée, j’ajoute, j’accumule, je continue,
sans jamais arrêter, que désires-tu de plus ? Ce mot éternel,
quel que soit son sens, représente une gloire propre et excellente.
Elle ne sera pas possédée en commun avec le grand nombre, même si tous
sont dans le même règne et dans la même maison. Et on parle peut-être
du nom parce c’est ce qui distingue des autres ceux à qui il est donné.
»
Mais accourt Pierre le martyr (dans le livre du célibat et des vœux
monastiques), et il prouve qu’Isaïe parlait des véritables eunuques
qui existaient parmi les Juifs. Et parce que, à cette époque, c’était
un grand bonheur d’avoir plusieurs enfants, Dieu, pour les consoler leur
promet qu’ils seraient dans un meilleur lieu que des fils et des filles,
c’est-à-dire que les autres israélites qui n’observent pas la loi
divine, s’ils observaient fidèlement la loi. Mais il est facile
de réfuter cette proposition. D’abord parce qu’elle est contraire
à ce qu’enseignent les anciens les plus saints et les plus savants,
saint Basile, saint Cyrille, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin,
saint Grégoire. Dans les cas douteux, il est préférable de leur
faire confiance, plutôt qu’à un apostat qui aime mieux suivre
les rabbins juifs que les saints pères.
Ensuite, Pierre le martyr n’a rien qui lui permette de voir
de mauvais israélites dans les fils de Dieu qui viennent après les eunuques.
Car les fils de Dieu sont appelés de mauvais israélites ou en tant qu’ils
sont des israélites, ou en tant qu’ils sont mauvais. Non
en tant qu’israélites car les eunuques étaient aussi des israélites,
et donc des fils. La conclusion serait donc inepte. Ils ne sont pas
dit fils, non plus, en tant qu’ils sont mauvais, car, en tant qu’il
est mauvais, un homme n’est pas de Dieu mais du démon. Par fils, on
entend donc les époux bons et fidèles, qui ont eux aussi une bonne place
dans la maison de Dieu, mais auxquels sont préférés les vierges et les
continents, qui auront un meilleur lieu que n’auront les époux.
Enfin, Dieu promet là aux eunuques un nom éternel, c’est-à-dire une
grande gloire, d’une grandeur telle qu’elle ne finira ni dans ce monde
ni dans l’autre. Que Pierre le martyr montre donc quels sont les
eunuques qui ont vu se réaliser ces promesses. Il ne trouvera certainement
pas parmi les chrétiens des castrés qui ont obtenu cette gloire-là
! Mais nous, nous pouvons exhiber une armée innombrable de saints
religieux et de vierges consacrées, qui sont honorés et louangés par
tous les anciens pères. Donc, l’accomplissement si manifeste de
cette prophétie dans les saintes vierges devrait suffire pour exclure
l’interprétation judaïque charnelle portant sur des eunuques charnels.
Le deuxième témoignage est celui de Sagesse 3 : « Heureuse est
la stérile et la non souillée, qui n’a pris plaisir à la faute. Elle
récoltera des fruits quand seront jugées les âmes saintes. Et
le castré qui n’a pas, avec ses mains, commis l’iniquité, et qui
n’a jamais pensé de Dieu des choses mauvaises, car on lui donnera un
don de foi choisi (c’est-à-dire singulier, correspondant à sa fidélité),
et un sort dans le temple de Dieu. Car le fruit des bonnes œuvres
est plus glorieux que les choses que n’a pas concédées la racine de
la science. » Ce passage est semblable au précédent, selon l’enseignement
de saint Jérôme.
Le troisième témoignage. Matthieu 13, où le Seigneur compare
le royaume des cieux, c’est-à-dire l’Église, à une terre bonne,
dont une partie rendait du fruit cent pour cent, une autre
soixante, et une autre trente. Saint Cyprien (dans l’habit
des vierges), saint Jérôme (dans le livre 1 contre Jovinien) et saint
Augustin (chapitres 44 et 45 de la sainte virginité) enseignent que cette
parole établit une distinction entre les mérites que procurent respectivement
la virginité, le veuvage et le mariage. Il est clair que pour eux
la continence virginale est un bien plus grand et plus méritoire auprès
de Dieu que la chasteté conjugale; et que c’est donc un conseil
divin que Dieu n’impose pas, mais recommande, et place avant les autres
choses. Et qu’il conseille, sans l’ombre d’un doute.
Le quatrième est de Matthieu 19. Quand les apôtres dirent : « Il
ne vaut pas la peine de se marier », le Seigneur leur répondit : « Tous
ne comprennent pas cette parole, mais ceux-là seuls à qui cela a été
donné. Il y a des eunuques qui sont sortis ainsi du sein de leur
mère. Il y en a d’autres qui ont été fait eunuques par les hommes,
et il y en a d’autres qui se sont castrés eux-mêmes pour le royaume
de Dieu. Que celui qui peut comprendre comprenne ! » Qu’il
ne donne pas ici un précepte sur la continence, nous le montre ce qui
précède. Car, au début de ce chapitre, le Seigneur
a approuvé le mariage en disant : « Que l’homme ne sépare pas ce que
Dieu a uni. » Il n’interdit donc pas dans ce passage le mariage,
et il ne prescrit pas non plus la continence. Le prouve encore davantage
ses paroles : « Que celui qui peut comprendre comprenne ! »
Car, comme le dit justement saint Augustin (dans son sermon 61).
On ne peut pas dire des préceptes de justice : que celui qui peut les
observer les observe, mais tout arbre qui ne produira pas de bons fruits
sera coupé et brûlé. Que ce soit un conseil qui est donné, il
est facile de la comprendre. Car quand les apôtres dirent : ça ne vaut
pas la peine de se marier, le Seigneur ne leur a pas répondu : ça vaut
la peine, mais : tous ne comprennent pas cette phrase. Que celui
qui peut comprendre comprenne. Ce qui veut dire : vous avez dit vrai
: le mariage ne convient pas, car il est un obstacle pour beaucoup.
Tous, cependant, ne comprennent pas cela, mais que celui qui le comprend
ne laisse pas perdre cette connaissance venue d’en haut. Que la
continence ne confère pas seulement ce qui est utile au corps, mais une
récompense dans le ciel, le laisse entendre la parole de Jésus : « Il
y a des eunuques qui se sont fait tels pour le royaume de Dieu. »
Mais les adversaires, et en premier le martyr Pierre (dans son livre
sur le célibat et les voeux), explique que « pour le royaume de Dieu
» signifie : pour pouvoir plus facilement prêcher l’évangile.
Mais cette explication a contre elle l’interprétation de tous les pères.
Saint Cyprien (dans le vêtement des vierges) : « Qu’elles s’appliquent
à ne se parer que pour leur Seigneur, et à ne plaire qu’à
leur Seigneur, de qui elles attendent la récompense de leur virginité.
C’est lui qui a dit : « Il y a des eunuques qui se sont castrés eux-mêmes
pour le royaume de Dieu. » Saint Cyprien entend donc ici par règne
de Dieu la récompense de la virginité. Ce règne de Dieu
ne signifie donc pas la prédication de l’évangile, d’autant plus
que saint Cyprien parle des vierges consacrées qui ne peuvent pas prêcher
l’évangile. Saint Hilaire voir dans le « pour le royaume
des cieux », un espoir du royaume céleste, qu’on ne peut pas référer
à la prédication évangélique.
Saint Jean Chrysostome, dans ce passage, s’adresse à un eunuque
spirituel : « Rends grâce à Dieu parce que tu auras de grandes récompenses,
des couronnes flanboyantes ! » Saint Jérôme (livre 4 contre Jovinien)
: « Il propose une récompense aux athlètes, il les invite à la course,
il tient en mains le bouclier de la virginité, il montre la fontaine la
plus pure, et il clame : que celui qui a soif, vienne et boive, que celui
qui peut comprendre comprenne. Il ne dit pas, que vous le vouliez
ou non il vous faut boire et courir, mais que celui qui pourra courir et
boire vaincra et sera rassasié. » De plus, saint Augustin (dans
la sainte virginité, chapitre 24) dit : « Le Christ loue ceux qui se
castrent non pour ce siècle mais pour le royaume des cieux ». Un
chrétien le contredit donc quand il affirme que la virginité est utile
pour ce siècle, non pour l’autre. Saint Bède et saint Anselme
disent des choses semblables à celles que dit saint Augustin, dans
leurs commentaires de ce texte.
Le cinquième. Le Christ dit à un adolescent : « Si tu veux
être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu
auras un trésor dans le ciel. » Que le Christ ne donne pas ici
un précepte mais un conseil, le contexte nous le fait aisément comprendre.
Car, à celui qui lui demandait : « que dois-je faire pour être
sauvé ? », il a répondu : « si tu veux entrer dans la vie, observe
les commandements. » Montrant par là que l’observance des commandements
suffit pour le salut. Mais il ajoute tout de suite après : « Si
tu veux être parfait », c’est-à-dire si tu ne te contentes pas
d’entrer simplement dans la vie éternelle, mais si tu aspires à un
excellent degré dans cette vie, va, vends tout ce que tu as.
De plus, si cela était un précepte, ce serait certainement un précepte
de charité. Mais ce n’en est pas un, car la charité requiert
seulement que nous aimions notre prochain comme nous-mêmes. Elle
n’exige donc pas que nous donnions tous nos biens au prochain, et que
nous ne nous réservions rien pour nous. Nous satisfaisons au précepte
quand nous donnons une partie au prochain, et quand nous en gardons une
partie pour nous. Que donner tout mérite une récompense tout à
fait spéciale, c’est le Seigneur lui-même qui le dit : « Et tu auras
un trésor dans le ciel. »
Mais se présentent cinq propositions à réfuter. La première
est de saint Jérôme et de Bède. Ils disent que ce jeune homme
ne s’est pas approché de Jésus par le désir d’apprendre mais dans
l’intention de le tenter. On pourrait tirer de cela la conclusion
que le Seigneur n’a pas répondu sérieusement, mais d’une façon ironique.
Saint Jean Chrysostome réfute cette interprétation, d’abord parce qu’aucun
évangéliste (trois racontent cet épisode) ne fait de reproches
à ce jeune homme. Ensuite, parce que le Seigneur lui a parlé avec
douceur, et qu’il a coutume de rudoyer les tentateurs. Enfin, il ne serait
pas parti tout triste s’il n’avait pas eu un vrai désir de perfection.
Ajoutons que, après l’avoir regardé, le Seigneur l’aima. Or, Jésus
n’aime pas les hypocrites. Saint Jérôme a donc eu une perte
momentanée de mémoire quand il a dit que ce jeune homme est une seule
et même personne que le pharisien tentateur, dont parle Marc 14.
C’est ce passage de Marc qu’il allègue, même si Marc distingue l’un
de l’autre, (chapitres 10 et 14). C’est pourquoi, saint
Jérôme (dans la question à Hedibiam, et dans son livre contre VIgilantius),
donne de ce texte un commentaire bien différent.
Érasme eut également un trou de mémoire dans son annotation sur
ce passage où il dit que saint Jean Chrysostome reproche à ce jeune homme
d’être un tentateur, alors qu’il prend plutôt sa défense. Dans son
commentaire du chapitre 10 de Marc, Bède le vénérable change tout à
fait d’avis, et enseigne que se trompent ceux qui disent que ce jeune
homme est allé voir le Seigneur pour le tenter.
L’autre proposition est celle de Jean Calvin (livre 4, chapitres
12 et 13, verset 13). Il démontre d’abord que le Seigneur
ne pouvait pas faire constituer la perfection dans la vente de tous les
biens, puisque l’apôtre a dit (1 Corinth 13) : « Si je distribue en
nourriture pour les pauvres tous mes biens, et n’ai pas la
charité, cela ne m’est d’aucun profit. » Et, aux Colossiens
3, il dit : « La charité est le lien de la perfection. » Il commente
ensuite lui-même ce passage en expliquant que le jeune homme avait menti
quand il déclara qu’il avait observé tous les commandements, et que
c’est pour cette raison que le Christ lui a dit de vendre tous ses biens.
Non pour l’exhorter à le faire, mais pour que cette demande d’un précepte
qu’il ne pouvait pas remplir lui fasse comprendre qu’il avait menti.
Nous lui répondrons donc, puisqu’il se vante de tout savoir. Explique-nous
donc combien d’étoiles il y a dans le ciel, et comme bien de grains
de sable sur le bord de la mer. Que ce jeune homme n’avait pas
observé tous les commandements, Calvin le prouve parce qu’un de ces
commandements commande d’aimer Dieu de tout son cœur, et que celui qui
aime Dieu de tout son cœur est prêt à tout abandonner pour lui.
Et il ne s’attriste pas si Dieu lui en fait la demande, comme le Christ
l’a demandé à ce jeune homme.
Pierre le martyr enseigne la même chose (dans son livre sur le célibat
et les vœux). Et il y ajoute cet argument : « Le Seigneur a dit
: « si tu veux être parfait. » Or, la perfection est commandée
à tous : Soyez parfaits comme votre père céleste est parfait, Matthieu
5. Ce n’est donc pas par un conseil, mais un précepte que
le Seigneur imposait à cet adolescent en lui demandant de vendre
tous ses biens. » Mais Calvin et Pierre le martyr se trompent.
Car, nous lisons dans Marc 10, que Jésus l’a regardé et l’a aimé.
Or, Jésus n’aime pas les menteurs. Il est donc beaucoup plus vraisemblable
qu’il ait dit la vérité. L’argument de Calvin ne mène non
plus à rien. Car celui qui aime Dieu de tout son cœur n’est pas
tenu de faire tout que Dieu conseille, mais seulement ce qu’il prescrit.
Que le Seigneur ne lui a pas ordonné cela, mais qu’il le lui a simplement
conseillé, on l’a déjà prouvé. On peut le prouver de nouveau,
car le Seigneur a dit : « Si tu veux être parfait. » Il lui a donc fait
une demande conditionnelle.
Mais ils insistent. Il était tenu d’être parfait, puisque
: soyez parfaits comme votre père céleste est parfait, est un précepte.
Il était donc tenu de tout vendre. Mais, comme nous l’avons
montré plus haut, la perfection dont Jésus parle ici n’est pas de précepte,
puisqu’il elle est distincte de l’observation de la loi, dont il a
été dit : si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements.
Cette incitation à la perfection en Matthieu 5 ne représente pas une
objection. Car variés sont les genres de perfection, comme nous
l’avons dit plus haut, au chapitre 2. Il y a une perfection qui
est nécessaire au salut, qui consiste dans l’observation entière des
commandements. Il y en a une autre plus grande qui n’est
pas nécessaire pour l’entrée au ciel, mais pour un degré de gloire
plus excellent dans le ciel. Et elle consiste dans l’observation des
conseils. C’est du premier genre de perfection dont parle le Seigneur
en Matthieu, et de l’autre en ce passage. Si cette perfection était
de précepte, tous les chrétiens seraient tenus de vendre tous leurs biens,
car aux préceptes tous sont tenus.
Le martyr répond : « Ce précepte de vendre tout ce qu’il a n’est
donné qu’à cet adolescent. C’est à lui donc qu’il était
nécessaire à sa perfection, non aux autres. Car, est parfait celui
qui obéit au Dieu qui commande ». Mais, c’est le contraire qui
est vrai, Quand Jésus lui a dit : si tu veux entrer dans la vie,
observe tous les commandements, il a indiqué que l’observation
des commandements était un moyen d’atteindre le royaume des cieux nécessaire
pour tous. De la même façon, quand il lui dit : si tu veux être
parfait, vends tout ce que tu as, il dit que donner tous ses biens aux
pauvres est un moyen d’atteindre la perfection non seulement pour lui
mais pour tous. De plus, on peut prouver la même chose avec
des témoignages des anciens pères, qui enseignent tous, que, dans ce
passage, n’a pas été ordonnée mais conseillée la vente de tous ses
biens comme moyen d’atteindre la perfection. Saint Ambroise (dans le
livre des veuves, passé le milieu) : « Pour que tu comprennes la distance
qu’il y a entre un précepte et un conseil, souviens-toi du jeune homme
dans l’évangile à qui il avait été commandé de ne pas commettre
de meurtre, d’adultère, et de ne pas faire de faux témoignage.
Car là où il a un précepte, il y a la punition du péché. Mais
quand ce jeune homme ne se souvint pas d’avoir violé aucun précepte,
un conseil lui a été donné de tout vendre, et de suivre le Seigneur.
Cela n’a pas été imposé comme un précepte, mais proposé comme un
conseil; »
Saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance) : « Font bien,
selon toi, ceux qui conservent l’usage de leurs biens et distribuent
petit à petit leurs revenus aux pauvres. Or, que fassent mieux qu’eux
ceux qui distribuent d’un seul coup tous leurs biens aux pauvres,
c’est le Seigneur qui te le confirmera : « si tu veux être parfait,
va, vends tout ce que as, donne-le aux pauvres, et suis-moi ». Il
parle à celui qui veut être parfait, qui, comme les apôtres, a abandonné
père, bateaux et filets. Celui que tu loues est du troisième
ou du deuxième degré, que nous acceptons nous aussi, pourvu qu’on
sache qu’il faille préférer le premier au deuxième et au troisième.
Saint Augustin dit (épitre 39, question 4) : « C’est à ce jeune homme
à voir comment il a rempli les commandements de Dieu. Il n’en
reste pas moins que le bon maître distingue les commandements de la loi
de cette perfection plus excellente. Car, il dit d’abord : si tu
veux entrer dans la vie, observe les commandements, et ensuite, si tu veux
être parfait…. » Saint Jean Chrysostome, au même endroit : «
Pour attirer un indigent, il lui montre la récompense future, et laisse
tout à sa volonté. »
On prouve la même chose avec les paroles suivantes, car quand Pierre
vit qu’après avoir entendu cette proposition, le jeune homme riche s’en
alla tout triste, il dit au Seigneur : « Et nous qui avons tout
laissé pour te suivre, qu’est-ce qu’il en sera de nous ? »
C’est comme s’il avait dit : nous qui avons fait ce que ce jeune homme
n’a pas voulu faire, qu’adviendra-t-il de nous ? À cette interrogation,
si la sentence de Calvin et du martyr était vraie, le Seigneur aurait
du répondre : je ne vous donnerai rien, car c’est à ce jeune homme
et à lui seul que j’ai parlé par ironie, uniquement pour qu’il comprenne
qu’il a menti. Or, ce n’est pas ce qu’il a répondu, mais il
leur a dit : « En vérité, je vous le dis, vous qui m’avez suivi, …
» Et pour que nous ne pensions pas que cette promesse a été faite
aux seuls apôtres, écoutons ce que dit saint Augustin (épirtre 89, question
4, commentant de texte) : « Ceux qui n’ont pas reçu le conseil de perfection
si grand et si sublime de vendre tout ce qu’ils possèdent, mais qui,
innocents des crimes condamnables, ont nourri le Christ dans un affamé,
ne siégeront pas avec le Christ pour juger avec lui, mais se tiendront
à sa droite pour être jugés avec miséricorde. »
À l’argument de Calvin tiré de l’apôtre, je réponds qu’on
peut considérer de deux façons un abandon de toutes choses.
Une, en lui-même, une autre, en tant que c’est une action commandée
par l’amour. Selon le premier sens, l’abandon de toutes choses n’est
par la perfection, mais il peut être un instrument de perfection.
Et nous pouvons expliquer ainsi les paroles du Seigneur : si tu veux être
parfait, vends tout ce que as au sens de : prends cet instrument et tu
acquerras la perfection. Mais cet abandon de toutes choses, s’il
n’est pas fait par la charité, ne sauve pas l’homme, et c’est pourquoi
l’apôtre dit qu’il est de nul profit (1 Cor 13). Pris au second
sens, l’abandon de toutes choses peut-être appelé perfection, ou œuvre
de perfection. On peut, dans ce sens comprendre ainsi la parole de
Jésus : « Si tu veux être parfait, vends tout, car, tu découvriras
alors que tu as la charité parfaite.
La troisième explication est celle des pélagiens. Eux qui expliquaient
ainsi le si tu veux être parfait : si tu veux que rien ne te manque à
la poursuite du salut. Car, est partait celui à qui rien ne manque.
Et ils le prouvent cela par les paroles du Seigneur en Marc 10 : « Il
te manque une seule chose, » et en Matth 19 : « Qu’est-ce qui me manque
encore ? » C’est comme s’il avait dit : j’ai observé les
commandements du décalogue transmis par Moïse. Y a-t-il quelque
chose d’autre à faire ? À quoi Jésus a répondu : « Il te manque
une chose, va, vends ce que tu possèdes. » Mais que cette explication
soit fausse, c’est saint Augustin qui l’enseigne (épitre 89, question
4), par les paroles de ! Timothée 6 : « Commande aux riches de ce siècle
de ne pas s’enorgueillir de leurs richesses et de leur statut social,
ni de mettre leur espoir dans des biens éphémères, mais dans le Dieu
vivant. Que les riches fassent le bien… » « Je pense, dit
saint Augustin, que prescrivant ces choses, il instruisait les riches.
L’apôtre ne se trompait pas, lui qui n’a pas dit : ordonne aux riches
de ce monde de vendre tous leurs biens, de les donner aux pauvres, de suivre
Jésus, et de ne pas s’enorgueillir. » Quand donc le Seigneur
dit : si tu veux être parfait, il ne parle pas de la perfection nécessaire
au salut, mais d’une autre qui est plus grande. Et, de la
même manière, quand ce jeune homme a dit : qu’est-ce qui me manque,
il ne parlait pas de ce qui est nécessaire pour obtenir le salut éternel,
car il avait déjà entendu la réponse du Seigneur : si tu veux entrer
dans la vie, observe les commandements. Il parlait donc de ce qui
rendrait le salut plus facile à obtenir et plus parfait. C’est-à-dire
: que puis-je faire de plus pour obtenir la vie éternelle ? Si quelqu’un
s’imagine que ce que le jeune homme a voulu demander c’est :
est-ce qu’il me manque quelque chose pour obtenir le salut, la réponse
qu’il devrait attendre du Seigneur est : il ne te manque rien d’autre,
et le Seigneur n’aurait pas dit si tu veux être parfait etc.
La quatrième proposition est celle de Guillaume du saint amour contre
lequel a écrit saint Thomas (opuscule 19). Il disait qu’il
fallait entendre ces paroles du Seigneur selon une disposition de l’âme
: et qu’elles contenaient un vrai précepte, comme dans Matth 5 : «
Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, montre-lui la gauche. »
C’est un précepte, mais en tant que préparation de l’âme, comme
saint Augustin l’explique dans l’épitre 5 à Marcellinus, (lieux communes,
chapitre sur la pauvreté.) Mais cette explication est manifestement fausse,
car les exemples du Seigneur et des saints sont d’excellents commentaires
des paroles de l’Écriture. Or, nous constatons que quand on a
frappé Jésus sur une joue, (Jean 18) il n’a pas présenté l’autre,
mais a dit : « Pourquoi me frappes-tu ‘? » Et de la même manière,
l’apôtre, quand on le frappa sur une joue, (actes 23) n’a pas présenté
l’autre, mais a dit : « Que Dieu te frappe, muraille blanchie ! »
De tous ces exemples, saint Augustin conclut qu’il s’agit d’un précepte
qu’il faut entendre comme une préparation de l’âme à faire telle
chose. Or, le conseil de quitter toutes choses le Seigneur et les
apôtres l’ont appliqué dans la réalité, et non seulement comme une
disposition permanente de l’âme. Le Seigneur dit de lui en Luc
9 : « Les loups ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids.
Le Fils de l’Homme n’a rien où poser sa tête. » Et en Matt
19, les apôtres disent : « Voici que nous avons tout quitté pour te
suivre. » Et saint Athanase raconte au sujet d’Antoine que quand
il entendit lire dans l’église « si tu veux être parfait, va, vends
tout ce que as », Dieu lui a fait comprendre le vrai sens de ces paroles,
et aussitôt après, il a vendu ses biens et a donné le tout aux pauvres.
Il appert donc que ce texte parle d’un véritable détachement de tous
les biens.
De plus, cette maxime de tendre l’autre joue ne peut être accomplie
sans causer un tort au prochain et une offense à Dieu. Voilà pourquoi
nous comprenons facilement que ce qui est prescrit là c’est la patience,
et non la présentation de l’autre joue. Mais vendre tous ses biens
peut se faire sans causer aucun tort au prochain, car personne ne commet
une injustice en donnant ses biens aux pauvres. Voilà pourquoi nous comprenons
facilement que ce conseil doit être mis en application réellement.
La cinquième proposition est celle d’Osiandre qui, comme
le rapporte Alphonse Viruensius (philippique 20), admet que c’est un
vrai conseil évangélique, mais qu’il n’a été donné qu’au jeune
homme auquel Jésus parlait. Mais cette proposition est fausse.
Car, le Christ n’a pas dit ces paroles au jeune homme n’importe comment,
mais conditionnellement : si tu veux être parfait. Donc ce conseil
qui lui est donné est donné à tous les fidèles qui veulent être parfaits,
selon saint Matthieu : « Ce que je dis à vous, je le dis à tous.
Veillez. » De plus ce que le Christ a dit à quelqu’un en tant
que prince, il l’a dit à tous les princes, comme : pais mes brebis
(Jean 21). Donc ce qu’il dit à quelqu’un en tant que personne
privée doit être considéré comme ayant été dit pour toutes les personnes
privées. Ensuite, que le Christ ait dit cela pour tous nous le voyons
clairement par la compréhension qu’on eue les apôtres de ces paroles.
En effet, ils ont pensé que ces paroles leur étaient aussi adressées
puisqu’ils ont demandé au Seigneur : « Et nous qui avons tout
quitté, que nous arrivera-t-il ? » Nous le voyons aussi par l’approbation
du Seigneur qui a répondu : « En vérité je vous le dis, vous qui avez
tout quitté. » Ajoutons à tout cela que « si tu veux entrer dans
la vie » et « si tu veux être parfait » sont deux phrases semblables,
et dites par la même personne. Or, la première est dite pour tous.
Pourquoi donc la seconde ne serait-elle pas, elle aussi, dite pour
tous ? Enfin, saint Antoine, au témoignage de saint Athanase, saint
François, au témoignage de saint Bonaventure, ont cru que la seconde
avait été dite pour eux. Nous pourrions citer d’autres témoignages
pour prouver que ces enseignements particuliers s’adressaient à tous.
Ce n’est donc pas au seul jeune homme qu’a été donné ce conseil.
Le sixième témoignage porte sur l’obéissance, quand le Seigneur
a dit : « Et suis-moi. » Car qu’il s’agisse d’un conseil, ont le
voit parce qu’il est dit à la seule personne qui veut être parfait,
et à qui a été dit « vends tout ce que tu as ».. Que le suis-moi
se rapporte à l’obéissance, on le prouve de deux façons. La
première parce que suivre le Christ est imiter le Christ. Or, le
Christ s’est fait obéissant jusqu’à la mort (Philipp 2). La
deuxième. Parce que le Christ lui-même explique en Matt 16 ce que
c’est que suivre le Christ, en disant : « Celui qui veut venir après
moi qu’il se renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il
me suive ! » Or, renoncer à soi-même n’est rien d’autre
que, par son jugement et ses affections, valoriser le jugement et les affections
des autres, et s’en accommoder. Quelqu’un dira : se renoncer
c’est obéir. Mais, dans ce texte, il est question d’une obéissance
qui est due nécessairement à Dieu, non de celle qui est accordée spontanément
à un homme. Car, vient tout de suite après : « Celui qui aime
sa vie la perdra. » Je réponds que ce passage parle d’une obéissance
qui est due nécessairement à Dieu, mais qu’on peut en déduire le conseil
d’obéissance religieuse. Car, dans un monastère, se renoncer à soi-même
en suivant le Christ c’est se soumettre à la volonté d’un autre.
D’autres passages nous font aussi comprendre qu’il y a deux façons
de suivre le Christ. Une nécessaire et commune à tous les fidèles.
C’est de cela qu’il s’agit dans Matthieu 16 et Luc 9.
Il y en a une autre qui n’est conseillée qu’à ceux qui veulent devenir
parfaits (Matth 19, Lc 18).
Il faut donc qu’il y ait une double abnégation de soi.
C’est-à-dire, l’obéissance nécessaire et commune à tous qui consiste
à obéir à tout ce qui est nécessaire au salut. Et une autre
plus grande et plus universelle, qui consiste dans l’obéissance à toutes
les choses même non nécessaires, pourvu qu’elles ne soient pas peccamineuses.
Cette obéissance est louée chez les Rechabites (Jéréme 35) qui obéirent
à leur père dans des choses où ils n’étaient pas tenus de lui obéir.
Le septième témoignage est celui de 1 Corinthiens 7, où le conseil
de continence est proposé de plusieurs façons. « Il est bon, dit
Paul, de ne pas toucher à la femme. » De même : « Il est bon
pour l’homme d’être ainsi. » De même : « Tu as perdu ton
épouse, n’en cherche pas une autre. » De même : « Je veux que
tous soient comme moi. », c’est-à-dire continents. C’est ainsi
que tous les anciens ont compris le texte. De même : « Au
sujet des vierges, je n’ai pas de précepte du Seigneur. Je donne
un conseil comme ayant obtenu la miséricorde du Seigneur pour être fidèle.
» Il indique là que ce conseil n’est pas humain,
mais divin, car il dit qu’il donne un conseil non comme un politique,
mais comme un fidèle ministre de Dieu. De même : « Celui qui donne
une vierge en mariage fait bien; mais celui qui ne le fait
pas, fait mieux. » Ensuite, au sujet d’une veuve : « Qu’elle
épouse qui elle voudra, mais seulement dans le Seigneur. Mais
elle sera plus heureuse si, selon mon conseil, si elle demeure comme
elle est. Je pense avoir, moi aussi, l’esprit de Dieu. »
Il attribue donc ici ce conseil à l’Esprit-Saint.
Or, à ces passages les adversaires répondent de trois façons.
La première est celle de Luther dans l’épithalame, où il dit que,
dans ces passages, l’apôtre ne conseille pas mais déconseille la continence.
Et il le prouve en disant que, dans ce chapitre, l’apôtre mêle à la
louange de la continence la nécessité du mariage. Car, après avoir
dit : il est bon à l’homme de ne pas toucher à la femme, il ajoute
tout de suite après : à cause de la fornication, que chacun ait une femme
! Comme s’il voulait dire : j’aimerais bien exhorter à
la continence, qui est certainement une belle chose, mais le péril de
la fornication ne me permet pas de le faire. » Calvin enseigne à
peu près la même chose dans son commentaire de ce texte. Car, il
dit que la phrase de saint Paul : il est bon pour l’homme de ne pas toucher
à la femme, est semblable à cette autre phrase : il serait bon à l’homme
de ne pas manger et de ne pas boire, si la chose était possible.
Mais, parce que cela ne peut pas se faire sans miracle, tous mangent donc
et boivent.
Réfutation. D’abord, les paroles de saint Paul sont
très claires. Il ne dit pas : il serait bon, mais il est bon.
Il ne dit pas non plus : je voudrais donner un conseil, mais je donne un
conseil. Voilà pourquoi tous les pères l’ont toujours interprété
ainsi. Voir saint Jean Chrysostome et les autres qui ont commenté
ce passage. Saint Ambroise (au livre des veuves, près de la fin), saint
Jérôme (livre 1 contre Jovinien), saint Augustin (livre sur la sainte
virginité, chapitre 13 et suivants). Comme s’il avait prévu qu’un
de ses augustiniens apostats dirait un jour que, en ce passage, l’apôtre
encourage à se marier et détourne de la continence, dit ceci, au chapitre
16 : « Il exhorte à la virginité et à la continence de façon à détourner
un tantinet du mariage. » De plus, si se contenir est si difficile,
comme ils le disent et le montrent par l’exemple, aucun d’entre eux
n’étant continent, saint Paul est un homme débile, puisqu’il loue
une chose si impossible ! L’absurdité de la chose apparaitra clairement
si quelqu’un expliquait toutes les paroles de Paul à l’exemple
de Calvin. Car n’aurait-ce pas été une chose ridicule pour l’apôtre
de dire qu’il est bon de ne pas manger ? Ou, si tu es privé
de nourriture, n’en cherche pas d’autre ! De même. Au
sujet de la nécessité de manger, je n’ai pas de précepte du Seigneur.
Je conseille que personne ne marge. De même. Celui qui
mange fait bien, celui qui ne mange pas fait mieux. De même.
Celui qui mange ne pèche pas, qu’il fasse ce qu’il voudra. Mais
il sera plus heureux s’il ne mange plus.
En disant : à cause de la fornication, que chacun ait sa propre épouse,
l’apôtre n’invite pas tous ceux pour qui la fornication est un danger
à prendre une épouse, car alors, tous, sans exception, devraient se marier.
Luther, cependant, excepte ceux qui ont le don de continence. Mais même
à eux est toujours présent le danger d’incontinence, car ce don ils
pourraient le perdre et être vaincus par la tentation. Il
exhorte ceux qui sont mariés de garder leurs femmes, et ceux qui sont
sur le point de commettre l’adultère de se marier plutôt, comme il
le dit plus bas : « Que celui qui ne se contient pas se marie. »
L’autre interprétation est celle de Pierre le martyr. Il oppose
les paroles de saint Paul : il est bon pour l’homme de ne pas toucher
à la femme, c’est-à-dire de vivre sans épouse, aux paroles de la Genèse
(2) : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. », c’est-à-dire
il n’est pas bon pour l’homme de vivre sans épouse. Et parce
que Paul ne peut pas contredire Dieu, Paul ne parle que de ceux qui sont
certains d’avoir le don de continence; et Dieu de tous ceux qui sont
privés de ce don. Et comme ceux qui sont certains de posséder ce
don sont rarissimes ou inexistants, il en déduit qu’il est bon que tous
aient une épouse. Mais il se trompe dans les deux cas.
Car, que Dieu ne parle pas de ceux qui manquent de ce don, cela va de soi,
car ces paroles ont été prononcées avant le péché d’Adam.
À ce moment, Adam n’avait pas encore la concupiscence mauvaise, et possédait
avec les autres vertus le don de continence, qui lui aurait permis d’être
continent le cas échéant.
Que saint Paul ne parle pas uniquement de ceux qui ont le don de continence,
mais qu’il parle en général pour tous quand il dit qu’il est bon
pour l’homme de ne pas toucher la femme, cela se comprend de ce que même
si tous ne possèdent pas ce don, tous peuvent l’acquérir, s’ils le
demandent à Dieu. Voilà pourquoi ce conseil peut convenir à tous.
Car si la continence était un don de Dieu tel qu’il ne serait pas en
notre pouvoir de nous contenir ou de ne pas nous contenir, comme il n’est
pas en notre pouvoir de prophétiser, selon l’exemple qu’apporte Calvin
dans son commentaire de ce chapitre, Paul dirait stupidement je vous donne
un conseil, et qu’il fasse ce qu’il veut. Car il y n’y a aucune
consultation ou élection au sujet de ce qui n’est pas en notre pouvoir.
Car qui, sauf un fou, demanderait à quelqu’un s’il veut prophétiser
ou ne pas prophétiser ? De même, saint Paul dit, a même endroit, que
la continence conjugale est un don de Dieu, et n’est pas donnée à tous
: « Chacun a son don de Dieu, un ceci, un autre cela. » Je demande
donc : celui qui n’a pas le don de continence conjugale, que fera-t-il
? Lui sera-t-il permis de forniquer ? Ils répondront : il
n’est pas permis de forniquer, car même s’il pas le don de continence,
il l’aura s’il le demande à Dieu. Or, je dis la même chose
au sujet de la continence virginale. On peut aussi faire concorder
autrement les paroles de saint Paul et celle de la Genèse. Dieu
parle du bien de l’espèce, Paul du bien de l’individu.
Dieu parlait de l’époque où la terre était presque vide; Paul à l’époque
où elle est remplie. Dieu parle du bien qui se réfère à la vie
temporelle, Paul du bien qui se réfère à la vie éternelle,
Il y a donc une troisième solution. Que Paul encourage
ou n’encourage pas la continence, il ne la loue cette continence qu’en
tant qu’elle est utile à d’autre chose, non en tant qu’elle est
par elle-même agréable à Dieu ou méritoire. Cette utilité, tous
ne l’exposent pas de la même façon. Car, Luther, dans l’épithalame,
ne reconnait qu’une utilité temporelle, qui libère des préoccupations,
des soins et des nombreuses afflictions qui sont le lot des mariés. «
L’apôtre, dit Luther, veut qu’on comprenne ce mot d’une façon spirituelle
quand il dit qu’il est bon pour l’homme de ne pas toucher à la femme,
c’est-à-dire que ce « bon » ne se rapporte pas à un mérite devant
Dieu, comme jusqu’à présent ce texte est expliqué par saint Jérôme,
mais au bien être et au repos dans cette vie par les quels un homme chaste
surpasse les époux. En effet, celui qui vit chaste, sans épouse,
est affranchi des tribulations et des inconvénients qui se trouvent dans
l’état du mariage. » Mais Mélanchton (lieux, la chasteté) et
Pierre le martyr (dans son commentaire de ce texte) et d’autres hérétiques
ne reconnaissent pas seulement un avantage temporel, mais même spirituel,
car ceux qui vivent sans femme sont plus portés à prier et à prêcher.
Quant à nous, à ces deux raisons, nous en ajoutons une troisième,
plaire à Dieu et mériter une plus grande récompense. Et pour réfuter
Luther, il devrait suffire que Jovinien pensait exactement comme lui.
Saint Augustin l’avait réfuté ainsi : « Ils se fourvoient misérablement
ceux qui pensent que le bien de la continence n’est pas nécessaire pour
le royaume des cieux, mais pour le siècle présent, à savoir que les
conjoints sont accablés par de nombreux soucis terrestres, fardeaux que
les continents et les vierges n’ont pas à porter. »
Mais ils rétorquent que l’apôtre dit expressément qu’il y voit
un bien « pour la nécessité présente. » Et plus bas : « Ils
auront ainsi des tribulations de la chair. » Je réponds que «
pour la nécessité présente », ou comme nous lisons nous,
« la pressante nécessité » ne signifie pas : pour fuir les soucis présents,
mais à cause de la brièveté du temps, parce que le Seigneur est proche,
et qu’approchent les jours dont il a été dit : « Malheur aux femmes
qui seront enceintes et qui allaiteront en ces jours-là. Matth 24 ».
Comme l’explique saint Jérôme (dans son livre contre Helvidius, livre
1, dans son livre contre Jovinien, et dans son épitre à Eustochius,
sur la virginité), et comme il appert de ce texte de l’apôtre qui,
comme s’il expliquait ce qu’est la nécessité présente, dit : «
Le temps est court. » Et encore : « La figure de ce monde a péri. »
Donc, ce « ils auront des tribulations de la chair » doit s’entendre
de l’affliction temporelle dont souffrent les conjoints, mais pas seulement
pour la fuir, puisque l’apôtre enseigne que la continence
est un bien. Bien plus, comme l’explique saint Jérôme (livre
1 contre Jovinien). De peur que quelqu’un pense que les époux
sont inférieurs aux vierges par rapport au choses spirituelles, mais plus
heureux par rapport aux choses charnelles, il ajoute qu’ils sont misérables
aussi par rapport aux choses charnelles, et qu’il n’existe donc aucune
raison de douter que la continence est meilleure que le mariage.
Contre Philippe et le martyr, on trouve dans ce chapitre deux
ou trois textes. Le premier : « La femme non mariée et la
vierge pensent aux choses de Dieu, comment plaire à Dieu, être sainte
de corps et d’esprit. » L’apôtre dit là que la virginité
est une sainteté de corps et d’esprit, et que par elle nous plaisons
à Dieu. Car le sens est le suivant. Comme la femme mariée
pense à se conserver belle pour plaire à son mari, de la même façon
la vierge pense à conserver l’intégrité et la sainteté de son corps
pour plaire à Dieu. Saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien), dit,
en commentant cela : « Cette virginité est une hostie du Christ, dont
aucune pensée n’a entaché l’esprit, et dont aucune passion n’a
maculé la chair. » Comme nous le voyons, il appelle hostie la virginité.
C’est donc une chose par laquelle on rend un culte à Dieu, et
on lui est agréable.
Le second. « Je ne dis pas cela pour vous tendre un piège, mais pour
vous inviter à ce qui est honnête et qui permet de servir Dieu sans empêchement.
» L’apôtre dit là que la continence est par elle-même quelque
chose d’honnête et de beau, qu’elle est donc chère à Dieu; et qu’elle
est aussi utile pour pouvoir prier Dieu sans arrêt. Le troisième.
« Elle sera plus heureuse si elle demeure ainsi. » C’est-à-dire
plus digne dans l’autre monde, comme l’explique saint Ambroise.
Et voici ce qu’on trouve dans le dernier livre de saint Augustin sur
la trinité, chapitre 14 : «La vie éternelle où se trouve une gloire
éclatante ne sera pas accordée à toux ceux qui vaincront éternellement,
mais à ceux-là seuls qui, pour l’acquérir, ne se sont pas contentés
de s’affranchir du péché, mais qui ont voué à leur libérateur quelque
chose qu’ils pouvaient conserver sans crime, et qui leur rapportait
de grandes louange en le vouant et en le retournant à Dieu. Come
le dit l’apôtre : je vous donne un conseil. »
Le huitième témoignage : 1 Corinthiens 9. Dans tout ce
chapitre, saint Paul s’efforce de montrer qu’il fait plus qu’il est
obligé de faire, et que, à cause de cela, il mérite une gloire singulière
auprès de Dieu. Car, comme le Seigneur avait prescrit que ceux qui
annoncent l’évangile vivent de l’évangile, saint Paul a préféré
évangéliser gratuitement, et de faire ainsi une œuvre surérogatoire
: « Il est préférable de mourir plutôt que quelqu’un évacue ma gloire.
Car, si j’évangélise ce n’est pas pour moi un sujet de gloire. C’est
pour moi une nécessité. Malheur à moi si je n’évangélise
pas ! Quelle est donc ma récompense propre ? De prêcher l’évangile
sans en retirer un sou. »
Pierre le martyr répond dans son commentaire sur ce passage que saint
Paul ne parle pas d’une œuvre surérogatoire, mais d’une œuvre due
devant Dieu, même si elle ne l’est pas selon le jugement des hommes.
Voilà pourquoi par le mot gloire il entend la gloire devant les hommes,
non devant le tribunal de Dieu. Et il le prouve de trois façons.
La première. Parce que saint Paul a dit : « Il est préférable
pour moi de mourir plutôt que quelqu’un évacue ma gloire. »
Or, pour une œuvre non nécessaire, comme l’est quelque chose de surérogatoire,
personne ne doit subir la mort, seulement pour une chose nécessaire.
Il parle donc d’une chose qui est nécessaire devant Dieu. Mais
il en découle une gloire devant les hommes qui peuvent juger cette
œuvre non nécessaire. La deuxième. Car Paul désespère
de son salut s’il ne fait pas cette œuvre. Car, il dit : ce n’est
pas pour moi une gloire d’évangéliser. C’est-à-dire,
si je prêche en recevant de l’agent du peuple, je ne gagnerai rien.
D’où vient : quelle est donc ma récompense ? Pour que prêchant
l’évangile sans profit monétaire, j’établisse l’évangile.
Il parle donc d’une œuvre obligatoire, qui, si elle n’est pas faire,
le frustre de toute récompense.
La troisième. Parce qu’il dit : pour que je n’abuse pas
de mon pouvoir, et pour que je n’apporte pas d’obstacle à l’évangile
du Christ. Or, abuser de son pouvoir, et mettre des obstacles à
l’évangile c’est un péché. Le martyr conclut donc que saint
Paul aurait gravement péché s’il avait accepté de l’argent du peuple,
parce qu’il aurait ainsi mis des empêchements à l’expansion du christianisme.
Or, dans cette explication du martyr, il y a deux erreurs. La
première. La gloire que s’attribue saint Paul, il la voit comme une
gloire devant les hommes, et non devant Dieu. Or, saint Augustin
dit le contraire (dans son livre sur les moines, chapitre 10) : « Il est
préférable pour moi de mourir plutôt que quelqu’un évacue ma gloire.
Quelle autre gloire que celle qu’il a voulu avoir auprès de Dieu dans
le Christ ? » Ne vois-tu pas comment il contredit ouvertement
le martyr ? De plus, les propres paroles de saint Paul montrent qu’il
parle de la gloire auprès de Dieu, du mérite de cette excellente gloire
qu’il attendait par cette œuvre de surérogation. Car, plus bas,
ce qu’il avait appelé gloire, il l’appelle récompense : «
Quelle est donc ma récompense? » Or, il est certain qu’il n’attendait
pas de récompense des hommes, mais de Dieu. Enfin, si Paul se glorifiait
devant les hommes comme d’une œuvre non due, qui était due devant Dieu,
il se glorifierait faussement. Qui pourrait dire cela sauf peut-être un
autre pseudo martyr Pierre ?
La seconde erreur. Il dit qu’il aurait péché s’il avait
accepté de l’argent du peuple, et que c’est pour cette raison que
son œuvre était due et non surérogatoire. D’abord, dans tout
ce chapitre, saint Paul ne fait rien d’autre que de prouver qu’il lui
est permis de vivre des biens du peuple. Voici comment il le prouve.
Par l’exemple des autres apôtres. Par les exemples des soldats,
des pasteurs, des cultivateurs. Par la loi de Moïse. Par l’ordre
du Christ. Par la nature.
De plus, c’est ainsi que l’ont expliqué tous les anciens pères.
Saint Jean Chrysostome, sur ce passage : « Les choses que l’on fait
en plus de celles qui sont commandées méritent une récompense.
Celles qui correspondent au précepte, non. » Saint Ambroise dit
deux fois que saint Paul a considéré comme illicite ce qui lui était
permis. Saint Augustin (dans son œuvre sur l’œuvre des moines,
chapitre 5) : « Celui qui avait amené un blessé dit à l’aubergiste
: s’il faut payer davantage, je l’ajouterai. Or,
Paul payait plus qu’il ne devait, puisque, comme il l’atteste
lui-même, il militait avec son argent. » De plus, les autres apôtres
recevaient des biens et de l’argent du peuple, et il n’est pas
vraisemblable qu’ils aient péché. Saint Paul n’a donc pas péché,
lui non plus.
Le martyr répond que le cas de Paul est différent de celui des autres
apôtres, car les autres n’avaient pas comme émules de faux apôtres,
comme en avait Paul. Mais, cela ne vaut rien, car, autrement,
il n’aurait pas eu raison de dire qu’il avait le droit de se faire
entretenir par le peuple comme les autres apôtres. De plus,
saint Paul ne s’est pas abstenu de recevoir des biens ou de l’argent
à cause des pseudos apôtres, mais pour ne pas imposer un fardeau au peuple,
comme il dit lui-même à 1 Thessal 2, et 2 Thessal 3. Bien
plus, à cause des pseudos apôtres, il aurait plutôt du accepter des
offrandes. Car ce sont eux qui accusaient Paul, comme Cajetan l’a
bien remarqué, de ne pas ressembler à un véritable apôtre parce qu’il
ne vivait pas comme les autres apôtres. Voilà pourquoi, dans tout ce
chapitre, il prouve qu’il est un vrai apôtre, et qu’il pourrait accepter
une dime s’il le voulait.
Au premier argument, je dis qu’il est faux qu’il ne soit pas permis
de mourir pour une œuvre surérogatoire, car, combien de vierges ont été
tuées parce qu’elles avaient refusé le mariage ! Au deuxième,
je réponds qu’Anselme, dit de ce passage que saint Paul aurait désespéré
de son salut s’il avait évangélisé pour des aliments temporels.
Nous pouvons peut-être dire mieux. Quand Paul dit : si j’évangélise,
ce n’est pas pour moi une gloire, il ne désespère pas de la gloire
tout court, mais seulement de celle qui est due à une œuvre surérogatoire,
comme l’explique saint Jean Chrysostome. Au troisième je dis avec
saint Jean Chrysostome (homélie 8 sur la pénitence), Oecumenius et Théophylactus
(dans leurs commentaires de ce passage) que saint Paul emploie le mot abus
au sens d’un véhément usage. Car, ce qu’il veut dire, c’est
qu’il n’utilise pas son pouvoir autant qu’il le peut.
Ce n’est pas une nouveauté, car les auteurs autant sacrés
que profanes ont employé ce mot dans ce sens. Car le mot grec katagraômai
et le mot latin abutor, signifient trois choses. La première. Se
servir de quelque chose contre ce pourquoi elle a été instituée, et
cela est mauvais. La deuxième. Se servir d’une chose en marge
de ce pourquoi elle a été instituée. Et cela n’est pas un mal.
D’où vient la figure katagrèsis. Voir la onzième épitre de
saint Paul à Sévère : « C’est pourquoi, après avoir obtenu l’assentiment
de son fils l’Empereur, la mère Augusta, après avoir vu les trésors
réservés aux saintes œuvres, abusa de tout le fisc » La troisième.
S’en servir tout simplement, comme Platon, épitre 8, et d’autres auteurs.
Il a dit aussi : pour n’offenser personne. Je dis que le mot
offense ne signifie pas ici un scandale, mais un atermoiement. Car,
en grec on a le mot egkotèn. Il craignait que certains avares
retardent leur démarche initiatique pour ne pas avoir à nourrir les prédicateurs.
Or, cette crainte pouvait être commune à Paul et aux autres apôtres,
qui, nonobstant, percevaient les offrandes populaires. Ce qui nous
fait comprendre que ce ne fut pas un péché de recevoir des offrandes
du peuple, même si cela devait entraîner, pour certains, un certain retard
dans leur accueil de l’évangile. Car, ce retard ne provenait d’aucune
faute des apôtres, qui ne faisaient qu’user de leur droit, mais de la
faute des auditeurs. Et pourtant, saint Paul, préféra plutôt souffrir
la faim et le labeur que d’apporter le moindre retard à l’évangélisation.
J’ajoute enfin que ces mots : pour ne pas abuser de mon pouvoir,
et pour ne pas apporter d’empêchement signifient que saint Paul aurait
péché si l’acceptation d’offrandes populaires avait fait en sorte
qu’il n’aurait pas pu se glorifier auprès des hommes d’un travail
non du. Car, si lui-même dit qu’il devait faire ainsi, et si cela
il le dit aux hommes, comment se glorifie-t-il d’avoir fait une oeuvre
non due ? Pierre martyr milite donc contre lui-même quand il enseigne
que saint Paul s’est glorifié auprès des hommes d’une œuvre non
due. Et cependant, il présente le même Paul qui dit avoir du faire
cette œuvre, et avoir péché s’il ne l’avait fait.
Le neuvième témoignage est celui de l’apocalypse 14 : « Personne
ne pourra dire le cantique sauf les 144 mille, ceux qui ne se sont pas
souillés avec la femme, car ils sont vierges, et suivent l’Agneau partout
où il va. » Ce témoignage montre clairement que les vierges ont
une récompense insigne, puisqu’elles chantent un cantique qu’aucun
autre des bienheureux ne peut chanter. Les magdebourgeois répondront
(centurie 1, livre 2, chapar 4, col 454) que ce passage doit s’entendre
mystiquement de ceux qui ne se sont pas souillés dans l’idolâtrie,
qui est appelée fornication de Babylone, de la grande prostituée.
Au contraire. Car, au début, saint Jean indique que ces vierges
ont été peu nombreuses, celles qui sont seules à pouvoir chanter
le cantique. Car, 144 mille c’est peu de chose, si on compare ces
vierges avec la foule des grands saints, foule si grande qu’on ne pouvait
pas la compter (Apocalypse, chapitre 7). Et, la plus grande partie des
saints ont été immunes de l’idolâtrie, comme chacun le sait.
De plus, c’est des vraies vierges que les pères entendent ce passage.
Comme Primasius, Bède, Oecumenicus, et Anselme. Saint Jérôme (dans
son livre contre Helvidius, à la fin, saint Grégoire (3 part pastorale,
chapitre 29), saint Augustin (la sainte virginité, chapitre et suivants),
qui dit, au chapitre 29 : « La multitude des fidèles restante vous verra,
elle qui n’a pas voulu le suivre jusque-là. Elle verra sans envier,
se réjouissant avec vous d’avoir par vous ce qu’elle n’a pas par
elle-même. Car ce nouveau cantique, qui est proprement vôtre, la
multitude ne pourra pas le dire. Elle pourra l’écouter, cependant,
et se délecter de votre bien si excellent. Mais vous qui le direz et l’écouterez,
parce que ce que vous direz vous l’entendrez aussi, vous exulterez avec
une joie plus grande encore, et vous règnerez plus agréablement. »
Et voilà pour les Écritures.
CHAPITRE DIX
On le prouve ensuite par les exemples de l’Église primitive.
Car, il appert qu’au tout début de l’église naissante, plusieurs
ont commence à pratiquer la continence, et la vie en commun, en vendant
tous leurs biens, ce qui a été rarement vu dans l’ancien testament.
Il ne pouvait y avoir d’autre cause de cette innovation que la prédication
du Christ et des apôtres. À actes 4, on lit que tous les possesseurs
de champs et de maisons, les vendait pour en déposer le prix aux pieds
des apôtres. Pourquoi cela ? Parce qu’ils avaient entendu
que le Seigneur l’avait conseillé. Nous lisons en effet qu’un
si grand nombre avaient senti l’appel que les quatre filles de
Philippe sont devenues vierges, non pour un certain temps, mais,
on n’en peut douter, pour toute la vie. Car, saint Luc rapporte
comme une grande chose, qu’un seul homme ait quatre filles vierges.
Qu’y a-t-il de si étonnant à avoir quatre filles vierges là où les
filles se marient dès qu’elles deviennent nubiles ? Ajoutons que
Eusèbe (livre 3, chapitre 30 de son histoire), enseigne d’après Policrate,
que les filles de Philippe ont vieilli dans la virginité.
De plus, le Juif Philo (dans son livre sur la vie contemplative)
atteste que plusieurs en son temps, c’est-à-dire au début de l’Église,
ont mené la vie commune en tant que célibataires. Il dit qu’il
y a eu de ces collèges d’hommes en plusieurs endroits de la terre, tant
chez les Grecs que chez les barbares, mais surtout en Égypte. Parmi les
Grecs saint Justin, auteur ancien, dit, dans son apologie du milieu du
deuxième siècle, qu « ’aucun peuple ne vénère le célibat comme
les chrétiens. On trouve chez eux, beaucoup d’hommes et de femmes
qui demeurent vierges jusqu’à leur extrême vieillesse ». Tertullien,
le plus ancien écrivain des latins, écrit la même chose dans son
apologie, chapitre 9.
CHAPITRE 11
Le nombre des ordres ecclésiastiques
S’ajoute la troisième question sur la distinction des clercs, ou
des ministres de l’Église. Cette question consiste en trois choses.
Nous différons d’avis avec nos adversaires sur le nombre, l’antiquité
et sur la fonction des clercs. Commençons donc par le nombre.
Jean Calvin (livre 4, chapitres 4 et 19 de son institution) et Martin Kemnitius
(dans son examen de la session 23 du concile de Trente) rejettent le chiffre
sept que les catholiques reconnaissent et enseignent, et n’en acceptent
que trois : l’ordre des évêques qu’ils appellent plutôt pasteurs,
celui des presbytes, qu’ils appellent anciens, ou docteurs ou ministres
de la parole, et celui des diacres. L’ordre des exorcistes
ils l’écartent d’un revers de main. Les autres ils les reconnaissent
mais pas comme des ordres, et sans qu’il y voir un nombre fixe.
Ils disent que les lecteurs, les acolythes, les portiers furent des
ministres que les pasteurs utilisaient selon les besoins du moment; qu’ils
étaient plus ou moins nombreux selon la grandeur ou la petitesse de l’église.
Ils le prouvent cela, en faisant remarquer que les pères ne présentèrent
pas tous les mêmes chiffres. Calvin (livre, chapitre 4, verset 1)
cite un texte de saint Jérôme (son commentaire d’Isaïe, chapitre 19)
qui ne parle que de cinq ordres, les évêques, les prêtres, les diacres,
les fidèles et les catéchumènes.
Kemnitius présente aussi ses citations. La première. Denys
l’aréopagite (dans le chapitre 4 de sa hiérarchie ecclésiastique),
n’en connait que trois : celui des pontifes, des prêtres et des ministres.
La deuxième. Les canons apostoliques n’énumèrent que cinq ordres
: celui des évêques, des prêtres, des diacres, des lecteurs et des chantres.
La troisième. Saint Ambroise (dans son commentaire du quatrième
chapitre des Éphésiens) n’en énumère que cinq, mais il met les exorcistes
à la place des chantres. La quatrième. Saint Ignace
dans son épitre aux antiochiens, et saint Épiphane (Panarius) en
comptent plus que sept, car ils ajoutent des travailleurs.
Saint Ignace ajoute, lui, des confesseurs. La cinquième. Les
canonistes (Gratien dist 23 et 25) ajoutent un psalmiste. Et il conclut
: « Ce n’est donc pas un dogme catholique qu’il n’y ait que sept
ordres. »
Les catholiques, pour leur part, veulent qu’il y ait un nombre certain
et statué des ordres ecclésiastiques proprement dits. Il faut noter
que les auteurs ont coutume d’entendre le mot ordre (ecclésiastique)
de deux façons. Une première, au sens propre, et une autre, au sens large.
Sont appelés proprement ordres ecclésiastiques ceux qui sont conférés
par l’évêque au moyen d’un rite sacré et solennel, et qui se rapportent
à un ministère en relation avec le sacrifice divin. Dans ce sens,
sept ordres seulement sont reconnus, à savoir le prêtre, le diacre, le
sous-diacre, l’acolythe, le lecteur, l’exorciste et le portier. Car
même si l’évêque et le prêtre sont différents, sous l’angle du
sacrifice, ils exercent le même ministère. Voilà pourquoi
ils forment un seul ordre, et non deux, comme le lecteur, le chanteur et
le psalmiste.
Voilà pourquoi le pape Corneille (dans son épitre à Fabien, citée
par Eusèbe (livre 6, chapitre 33 de son histoire), dit que, dans
l’église romaine, en son temps, c’est-à-dire il y a 1300 ans,
il y avait 46 prêtres, 7 diacres, 7 sous-diacres, 42 acolythes, des exorcistes
avec des lecteurs et des portiers au nombre de 52. Il ne fait là
aucune mention des chanteurs et des travailleurs, ou d’autres ordres
dont parlent d’autres auteurs. Et la raison en est que ces derniers n’avaient
pas d’ordination propre, et n’avaient pas un ministère en rapport
avec le saint sacrifice de l’autel. Dans le concile romain, sous Sylvestre
(chapitre 3), les mêmes sept ordres sont énumérés. Dans le quatrième
concile de Carthage (canon 2 et suivants), en plus des ordres déjà nommés
dans l’épitre de saint Corneille, et dans le concile romain, a été
ajouté celui de psalmiste ou de chantre. Mais, au même endroit,
le concile précise que le psalmiste n’est pas ordonné par l’évêque,
mais qu’il peut exercer son ministère sans la permission de l’évêque,
et sans un ordre de son pasteur. Saint Isidore (au livre 7 des étymologies,
chapitre 12, et dans sa lettre à Ludifredus, Raban (livre 1, chapitre
6 et suivants des institutions cléricales), Amalarius (livre 2,
chapitre 7 et suivants des offices ecclésiastiques), Hugo de Saint
Victor (livre 2, par 3 chapitre 5, dans son livre sur les sacrements),
tous ces auteurs énumèrent et expliquent les mêmes sept sacrements.
Pierre Lombard, le maître des sentences fait la même chose. Or tous les
théologiens, comme l’on sait, l’ont suivi dans 4 dist 24.
De plus, le concile de Florence énumère les mêmes, dans son instruction
aux Arméniens, ainsi que la session 23 du concile de Trente, chapitre
deux. Et c’est ce qu’atteste aussi la pratique de l’Église.
Car on ne confère jamais d’autres ordres que ceux-là. La
tonsure, en effet, n’est pas un ordre, puisqu’elle n’a aucun office
qui lui soit attaché. Elle n’est qu’une préparation aux ordres,
comme le catéchisme l’est au christianisme.
On appelle ordres au sens large tous ceux qui, d’une façon ou d’une
autre, sont voués aux devoirs divins, même s’ils n’ont aucun lien
avec le sacrifice de la messe. Et dans ce sens, sont appelés ordres par
les pères même les moines, les vierges, et les veuves consacrées à
Dieu, ainsi que les fossoyeurs. Saint Denys l’aréopagite parle
de l’ordination d’un moine (dans le chapitre sixième de la hiérarchie
ecclésiale), et Épiphane des fossoyeurs, dans sa somme doctrinale,
car l’ensevelissement des morts était considéré comme une action religieuse.
Le même Épiphane parle de l’ordre des diaconesses, des vierges ou des
veuves, qui servaient l’église dans l’instruction des femmes qui allaient
être baptisées, et dans l’immersion elle-même.
À partir de ce que nous venons de préciser, il sera facile de donner
une explication des passages que les adversaires nous présentent contre
le nombre sept des ordres. D’abord, le texte de saint Jérôme
que nous oppose Jean Calvin. Je réponds que, dans ce texte, saint
Jérôme ne parle pas des ordres des clercs, mais des ordres des chrétiens.
Voilà pourquoi il place en premier lieu les clercs, ensuite les laïcs,
qu’il appelle fidèles, et à la fin les catéchumènes.
Ensuite, parmi les clercs, il n’en nomme que trois : les évêques, les
prêtres et les diacres, car il voulait reproduire le chiffre cinq.
Il expliquait alors ce passage d’Isaïe : « Il y aura cinq villes, dans
la terre d’Égypte, qui parleront la langue cananéenne »;
et il voulait voir dans ces cités l’église catholique. Donc,
pour atteindre le chiffre cinq, il ne plaça que les trois premiers des
clercs, dans lesquels les autres sont contenus, bien qu’ailleurs il les
ait présentés souvent au complet. Car, il parle des sous-diacres
dès les premiers mots de sa lettre 91, des acolytes et des lecteurs
dans sa lettre 2 à Népotien, des exorcistes et des portiers, dans les
derniers mots de son commentaire du chapitre 2 de l’épitre
à Tite.
À la citation de saint Denys l’Aréopagite, présentée par Kemnitius,
je réponds que saint Denys ne voulait pas énumérer le nombre des ordres,
mais le nombre des hiérarchies. Car, il y a trois hiérarchies dans
l’église militante, comme il y en a trois aussi dans l’église triomphante.
La première est celle des pontifes, la seconde celle des prêtres, et
la troisième celle des diacres. Si comparés aux prêtres, les diacres
sont appelés et sont vraiment des ministres, ils sont cependant, si on
les compare au peuple des fidèles, des princes et des présidents;
et voilà pourquoi on en fait une hiérarchie. Les ordres inférieurs
ne président pas au peuple, mais ne font que servir les diacres et les
prêtres. Que les diacres président, c’est ce qu’enseignent
saint Ignace (dans son épitre aux Tralliens : « Soyez soumis à l’évêque,
ainsi qu’aux prêtres et aux diacres. » Saint Jérôme (dans le
chapitre 2 à Tite) : « Ce ne sont pas seulement les évêques, les prêtres
et les diacres qui doivent s’appliquer avec soin à précéder
par la conduite, la parole et la science, le peuple sur lequel ils président,
mais même les grades inférieurs comme ceux des exorcistes, des lecteurs,
et tous ceux qui servent dans la maison de Dieu. » Saint Jean Chrysostome
enseigne la même chose dans son homélie 83 sur Matthieu, dans laquelle
il persuade un diacre de refuser la communion à un empereur qui
se présente indignement à la sainte table: « Empêche-le, et corrige-le,
car tu as un pouvoir plus grand que le sien! » Et c’est la raison
pour laquelle on choisit des évêques parmi les prêtres ou les diacres
de l’Église, non parmi les ordres inférieurs, comme le montre saint
Léon (épitre 84 à Anastase, chapitre 6). Et je pense que c’est
aussi pour cette raison que, dans l’église romaine, seuls les évêques,
les prêtres ou les diacres sont cardinaux.
Au sujet des canons apostoliques, je réponds que saint Clément n’a
jamais voulu, dans les canons des apôtres, énumérer tous les ordres,
mais qu’il a tantôt parlé de l’un, tantôt de l’autre, selon que
le contexte le demandait. Que le même Clément ait connu plusieurs
ordres, le canon 15 le laisse entendre clairement : « Si un prêtre, un
diacre, ou l’un quelconque du nombre des clercs. » Au témoignage
de saint Ambroise, je réponds que dans son commentaire aux Éphésiens,
chapitre 14, il ne fait mention que de cinq ordres parce qu’il voulait
expliquer les paroles de saint Paul sur les ordres : il a été donné
à d’autres d’être des apôtres, des prophètes, des évangélistes,
des pasteurs et des docteurs. Et comme saint Paul n’en a nommé
que cinq, il s’est cru obligé de s’en ternir au chiffre cinq.
Par apôtres, il entend des évêques, par prophètes des presbytes, par
évangélistes des diacres, par pasteurs des lecteurs, par docteurs, ou
comme il le lit, par maîtres, des exorcistes. Je réponds aux textes
de saint Ignace et de saint Épiphane que ces pères ont compté parmi
les ordres non seulement les ordres proprement dits, mais aussi ceux qui
le sont au sens large. Aux témoignages des canonistes, je réponds
qu’ils comptent neuf ordres parce qu’ils distinguent les évêques
des prêtres, et le lecteur du chantre, ce que les théologiens ne font
pas. Mais il n’y a pas entre eux de dissension, car les théologiens
ne regardent les ordres que dans leur relation au sacrifice de l’autel.
C’est de cette façon que nous disons, nous, qu’un évêque n’est
pas différent d’un prêtre, et qu’un lecteur n’est pas différent
d’un chantre. Les canonistes, eux, envisagent les ordres en tant
qu’ils constituent une hiérarchie, et c’est pour cette raison qu’ils
distinguent les évêques des prêtres.
CHAPITRE 12
L’antiquité des ordres
Jean Calvin parle ainsi de l’antiquité des ordres, surtout des ordres
mineurs (livre 4, chapitres 19, verset 27 de ses institutions) : « Ils
furent inconnus à la primitive église, et ils furent inventés plusieurs
années après. » Mais saint Clément et saint Ignace, disciples
des apôtres, prouvent que cette déclaration de Calvin est farfelue, car
chacun de ces deux se souvient des ordres mineurs. Saint Clément
(livre 8 des constitutions apostoliques) décrit les rites de presque tous
les ordres, même des ordres mineurs. Et saint Ignace dans sa lettre aux
Antiochiens conclut ainsi : « Je salue votre saint presbyte, je salue
les saints diacres, je salue les sous-diacres, les lecteurs, les chantres,
les portiers, les travailleurs et les exorcistes. » Et au temps
de saint Cyprien, tous ces ordres se trouvaient dans l’église, sans
avoir commencé alors. Car, les auteurs de ce temps en parlent comme
d’une chose antique et reçue partout, qui ne devait donc pas être beaucoup
éloignée des temps apostoliques. Cyprien (livre 2, épitre
2) dit : « J’ai transmis à l’acolythe Nicéphore des exemplaires
qui m’ont été envoyés par Mettius le sous-diacre. » Aux livres
2 et 4 de l’épitre 5, il écrit qu’il vient d’ordonner les lecteurs
Aurélien et Célérin. Dans l’épitre 14 du livre 5, il écrit
« Le presbyte et lecteur Lucien a écrit sur le clerc et l’exorciste.
»
À la même époque le pape Corneille a écrit une lettre à Fabien,
évêque d’Antioche. Voici quelles sont ses paroles, comme les a transcrites
Eusèbe (livre 6, chapitre 33 de son histoire ecclésiastique) : « Celui
qui revendiquait l’évangile ne savait donc pas que dans l’église
catholique, il doit y avoir un évêque là où il voyait 46 prêtres,
sept diacres, sept sous-diacres, quarante-deux acolythes, des exorcistes
et des lecteurs avec des portiers ? » J’omets le canon 24 du concile
de Laodicée et les canons 2 et suivants du quatrième concile de Carthage,
dans lesquels il est fait mention de tous les ordres. Ces conciles
ont été célébrés l’un il y a 1100 ans, et l’autre il y a 1200
ans. On peut facilement en déduire que ces ordres sont beaucoup
plus anciens que ne le pense Calvin.
CHAPITRE 13
Des fonctions ou des tâches des ministres
Il reste la fonction ou la tâche de tous ces ministres.
Sur ces points, Calvin et Kemnitius sont fort loin de penser comme nous.
La porte d’entrée dans le ministère est la tonsure, laquelle n’est
pas un ordre, puisqu’elle n’a aucune tâche particulière qui lui soit
assignée. Elle n’est qu’une disposition, une préparation aux ordres.
Ceux qui sont ainsi tonsurés professent leur désir de s’initier aux
ordres, et de passer des affaires du monde à la milice ecclésiastique.
C’est donc plus loin que nous traiterons formellement du rite de la tonsure.
Le premier ordre est celui de portiers. Tous tombent d’accord sur
son existence. Car Calvin (livre 4, chapitre 4, verset 9 de
ses institutions) admet que la fonction des portiers fut, autrefois, d’ouvrir
et de fermer les portes de l’Église, et aussi d’avoir soin du temple.
Et au chapitre 19, verset 27 il reproche à l’église de demander aux
évêques d’ordonner des portiers par un rite solennel, car ce n’était
pas pour lui une tâche ecclésiastique, mais un travail quelconque, comme
celui que remplissent les portiers dans les maisons profanes. Mais
il ne présenta aucun texte pour prouver son assertion. Nous avons,
nous, les textes ci-haut cités dans lesquels l’ordre des portiers est
compté parmi les ordres de l’Église. Et de plus, dans le quatrième
concile de Carthage, au canon 9, sont prescrits le rite et la forme des
ordinations des portiers. Et c’est précisément ce rite que l’église
utilise encore aujourd’hui. Voici ce que dit le concile :
« Quand le portier est ordonné, après avoir appris de l’archidiacre
comment il doit se comporter dans la maison de Dieu, l’évêque, à la
suggestion de l’archidiacre, lui remet, de l’autel, les clefs de l’église
en disant : « Agis comme devant avoir rendre compte des choses qui sont
remises en sureté par ces clefs. » Quand Calvin se moque de cela,
ce n’est pas seulement des papistes modernes (pour employer son expression)
qu’il se moque, mais de l’église catholique qui est aujourd’hui
et qui a été dans le Christ pendant plus de mille ans.
Le deuxième ordre est celui des lecteurs. Leur travail consistait
à lire, du pupitre, tout ce qui devait être lu, dans l’église, des
textes de l’ancien et du nouveau testament. Que même les évangiles
étaient lus par les lecteurs, saint Cyprien l’atteste (livre 2, épitre
5). Il dit, en parlant de l’ordination du lecteur Aurèle : «
Rien ne convient mieux à la voix qui confesse Dieu par une glorieuse prédication
que de proclamer les lectures; et, après les paroles sublimes qui
parlent du martyre du Christ, de livre l’évangile qui fait les martyrs.
» Il est croyable, cependant, qu’il n’appartenait pas au lecteur de
lire l’évangile au moment du sacrifice (car cela appartenait aux diacres,
comme nous le montrerons plus haut), mais seulement en dehors de ce temps.
Calvin reconnait (livre 4, chapitre 4, verset), que tel fut le travail
des lecteurs. Mais il dit que ce ne fut ni un grade, ni un
ordre dans l’église. Les évêques ne faisaient que demander à
l’un de leurs serviteurs ou ministres de lire les « Écritures dans
l’Église. Le peuple finissait ainsi par les connaitre et à les distinguer
des autres.
Je réponds que le quatrième concile de Carthage, au canon 8, a prescrit
le rite solennel de l’ordination des lecteurs; et que saint Cyprien (livre
2, épitre 5, livre 3, épitre 22, et livre 4, épitre 5) indique clairement
que le lectorat a été un ordre et un grade dans l’Église. Car,
il lui donne souvent le nom de grade et honneur ecclésiastique.
Il dit aussi que Célerin, par humilité, avait fui ce grade, mais que,
averti par une divine révélation, il a acquiescé. Il s’excuse
d’avoir, en situation d’urgence, ordonné des lecteurs sans l’avis
et le consentement des clercs. Il dit qu’il a approché de la cléricature
un certain Saturus pour lui permettre de lire à Pâque dans l’église,
parce qu’il n’avait pas encore été ordonné. Il le fit, ensuite,
entrer parmi les clercs, et le promut à l’ordre de lecteurs.
Ces textes montrent clairement qu’autre est lire dans l’église, ce
que Calvin admet, et autre être promu à l’ordre de lecteur.
Le troisième est celui d’exorciste. Leur tâche consiste à
lire les exorcismes de l’Église sur les énergumènes, et, de cette
façon, les préparer à être prêts à participer au sacrifice divin.
Autrefois, parce qu’il arrivait fréquemment que des démons soient chassés
des corps humains, beaucoup d’énergumènes accouraient à l’église
en grand nombre, et comme en troupeaux. Et c’est pour cette raison
que cet ordre a été institué. Que l’ordre des exorcistes
fut un ordre véritable et non seulement un don ou une grâce donnée gratuitement,
comme le veut Calvin, les textes déjà cités le démontrent. Saint
Ignace dans sa lettre aux Antiochiens, le pape Corneille, dans sa lettre
à fabien (d’après Eusèbe livre 6, chapitre 23 de son histoire), et
saint Cyprien (livre 5, épitre 14, le concile romain sous Sylvestre (canon
3) et le concile de Laodicée (chapitre 24) énumèrent, tous, les
exorcistes parmi les ordres. Mais c’est le concile de Carthage
no 4, chapitre 7, qui le montre le plus clairement : « Quand il est ordonné,
que l’exorciste reçoive de la main de l’évêque un livre dans lequel
sont écrits les exorcismes. En lui tendant le livre, l’évêque
lui dit : « Reçois-le et confie-le à ta mémoire. Et aie le pouvoir
d’imposer les mains sur un énergumène, baptisé ou catéchumène. »
Et le concile de Laodicée (au canon 26) interdit à quiconque d’exorciser,
en public ou en priver, à moins d’avoir été promu par un évêque
à l’ordre des exorcistes.
Ces conciles nous font mieux comprendre quel fieffé menteur est Jean
Calvin. Car il ose dire (livre 4, chapitre 19, verset 24 de ses institutions)
: « On prétend qu’un pouvoir ait été conféré aux exorcistes sur
les énergumènes par l’imposition des mains. » Comment pourrions-nous
feindre, nous qui prouvons par des conciles ce que nous avançons.
Ajoutons aussi le témoignage de Sulpice Sévère qui, dans sa vie de saint
Martin, (au chapitre 4) écrit : « Saint Hilaire de Poitiers, après avoir
ordonné Martin Diacre, chercha à l’impliquer davantage dans la charge
pastorale, et à l’employer à un ministère divin. Mais comme
il résistait toujours en se déclarant indigne, il comprit qu’il ne
pouvait obliger un homme de cette trempe qu’en lui en imposant
la tâche, et en lui enlevant ainsi tout prétexte de commettre une
injustice. Il lui ordonna donc de devenir un exorciste. Et
cette ordination il ne la répudia pas, pour ne pas sembler l’avoir méprisée
parce qu’elle était trop humble. »
Le quatrième ordre est celui des acolythes. Leur fonction
propre consistait à suivre le diacre avec un cierge allumé jusqu’à
l’endroit où se trouvaient l’évangile et l’encens. C’est
lui, aussi, qui préparait les burettes pour le sacrifice, et qui les présentait
au sous-diacre. On l’a appelé acolythe à partir du mot grec akoloutheô,
qui signifie je suis. On l’a appelé aussi céroféraire, parce
qu’il s’occupe des cierges. Ici, Calvin ne peut pas retenir son
rire. Car, voici ce qu’il dit (livre 4, chapitre 19, verset
23 de son institution) : « Elle est certainement admirable la subtilité
qu’ils montrent en philosophant sur le mot acolythes. Ils l’appellent
céroféraire, mot magique qui n’a été entendu dans aucune langue et
dans aucune nation. » Et plus haut, (chapitre 4, verset 9), il dit
: « On appelait acolythes ceux qui accompagnaient l’évêque dans ses
tâches domestiques. On l’accompagnait toujours d’abord pour
lui faire honneur, et, ensuite pour que ne naisse aucun soupçon. »
Il veut donc que les acolythes n’aient été rien d’autre que les domestiques
des évêques. Mais, il ne cite aucun texte pour appuyer ses dires.
C’est à lui à voir s’il n’a pas affabulé lui-même, en tirant
ces acolythes de son cerveau. Quant à nous, que le grade et l’ordre
ecclésiastique des acolythes a existé nous le prouvons par les témoignages
cités, ceux du pape Corneille, de saint Cyprien, du concile romain, et
du concile de Carthage.
Il avait à prendre soin des cierges et des cruchons, dont se moque
Calvin. Mais c’est ce qu’atteste le concile de Carthage 4, canon
6 : « Quand il est ordonné, l’acolythe apprend de son évêque comment
il doit se comporter dans son travail. Mais, c’est de l’archidiacre
qu’il reçoit le porte-cierge avec un cierge, pour qu’il sache que
sa tâche consiste à allumer les lumières de l’église. Et il reçoit
aussi une burette vide pour suggérer le vin dans l’eucharistie du sang
du Christ. » Tu vois donc que le mot porte cierge n’est ni magique,
ni inouï, ni inconnu de toutes les langues et de tous les pays, à moins
de considérer un si grand nombre de saints pères, dont saint Augustin,
qui ont participé à ce concile, comme des magiciens ou des gens de rien
qui n’habitent nulle part et qui ne connaissent aucune langue.
On trouve le même nom chez Isidore (livre 7, chapitre 12, de ses étymologies),
chez Amalarius (livre 2, chapitre 10), chez Raban Maure (livre1, chapitre
9, institution des clercs), Hugo (livre 2, par. 3, chapitre 5, sur les
sacrements), et chez beaucoup d’autres, qui n’étaient ni mages,
ni d’aucune langue, ni d’aucun pays.
Le cinquième est celui des sous-diacres. Son office propre consiste
à servir le diacre dans le sacrifice. Voilà pourquoi, quand il
est ordonné, il reçoit un calice vide et une patène, comme nous le voyons
dans le concile de Carthage, canon 5, et dans celui de Tolède 4, canon
27. « C’est lui qui nous demande de lire les épitres de saint
Paul à la messe », comme le concile de Reims l’enseigne au canon 4.
Tous les auteurs cités plus haut ont fait mention de cet ordre.
C’est donc une fausseté de plus qu’enseigne Calvin quand il
dit (livre 4, chapitre 4, verset 5) que la tâche du sous-diacre ne consistait
en rien d’autre qu’à aider les diacres dans la distribution
des aumônes, et à prendre soin des pauvres.
Le sixième ordre est celui des diacres. Les catholiques ainsi
que les hérétiques admettent que leur tâche consistait à recueillir
les offrandes, et à administrer les biens d’église. C’est ce
qu’attestent les actes des apôtres, au chapitre 6. Saint Léon
également, dans son sermon sur saint Laurent. C’est peut-être à cause
de cette fonction que des diacres autrefois se montrèrent insolents envers
les prêtres. Les fonctions pécuniaires ont souvent été plus prisées
que les autres. Nous voyons, en effet, que certains conciles reprochent
aux diacres leur arrogance, comme ceux de Nicée (canon 14), de Laodicée
(canon 20), de Tolède 4 (canon 38). Des Pères aussi, comme saint
Cyprien (livre 3, épitre 9), saint Jérôme (épitre 85 à Évagrius,
et livre 14 sur le chapitre 48 d’Ézéchiel), et saint Bernard (livre
4 de la considération). Mais en plus de ce travail, les diacres
avaient d’autres fonctions que ne reconnaissent pas les adversaires.
La première. D’assister le prêtre sacrifiant, de le servir, et de distribuer
l’eucharistie au peuple. Et à cause de ce ministère sacré,
ils recevaient une ordination éminemment sacrée. Nous voyons, dans
les actes, que c’est par l’imposition des mains que les diacres ont
été ordonnés. Il n’est pas croyable que les apôtres auraient
utilisé cette cérémonie sacrée s’ils les avaient destinés au seul
service des tables. Car, les veuves servaient aussi aux tables,
sans avoir été ordonnées par un rite sacré.
De plus, Clément (livre 2, chapitre 14 des constitutions) nous apprend
que les diacres avaient l’habitude d’assister les prêtres dans l’oblation
du sacrifice. Ce que saint Cyprien enseigne aussi (dans son sermon
6 sur ceux qui ont apostasié pendant les persécutions). Nous apprenons
la même chose de l’histoire du diacre saint Laurent racontée
par saint Ambroise (livre 1, chapitre 41 de officiis). Il nous présente
un saint Laurent qui parle ainsi à saint Sixte : « Où vas-tu sans ton
fils, père ? Où te diriges-tu, prêtre saint, sans ton diacre, toi qui,
jamais, sans ton ministre, avais coutume d’offrir le sacrifice ? »
Et plus bas : « Celui à qui tu as confié d’être ton associé pour
la consommation des sacrements, tu lui refuses d’être associé à ton
sang? » La même chose nous est démontrée par la liturgie
de saint Jean Chrysostome, et par son homélie 83 sur saint Matthieu.
La même chose aussi par saint Grégoire, qui, dans sa lettre à Léandre,
qui est placée en premier dans les livres sur Job, nous enseigne « que
le diaconat n’est rien d’autre que le ministère du saint autel. »
Enfin, Isidore, Raban, Amalarius, Hugo et les autres cités, qui décrivent
les devoirs propres à chaque ordre, enseignent ce que nous venons de dire.
Deuxièmement. C’était le devoir du diacre de lire l’évangile
au momentdu sacrifice. On le prouve cela en plus des textes déjà
cités, par saint Jérôme, (dans son épitre 48 à Sabinien) : « Toi,
émacié et pâle, pour écarter tout soupçon, tu lisais l’évangile
du Christ comme un diacre. » Dans le synode romain (livre 4, épitre
chap 88) un canon interdit aux diacres de chanter dans l’église, «
à l’exception de l’évangile au temps du sacrifice » Les anciens
conciles attestent la même chose (vasense, canon 4, remense, canon 5.
»
Troisièmement. Le rôle des diacres était de baptiser, de prêcher,
de réconcilier les pénitents publics, de transporter l’eucharistie,
et de l’apporter aux laïcs. En somme, de tout faire
ce que les évêques et les prêtres font, sauf consacrer le corps
du Sauveur, et ordonner des clercs, et d’autres choses qui requièrent
un pouvoir d’ordre. Car, que les diacres peuvent baptiser, nous
le voyons par l’exemple de saint Philippe, actes 8. Voilà ce qui
fait dire à Tertullien dans son livre sur le baptême : « Le droit de
donner le baptême c’est le prêtre suprême qui l’a, et aussi, même
les prêtres et les diacres. » Que les diacres peuvent prêcher
nous le montre l’exemple du diacre Saint Étienne, et du diacre Philippe
(actes 7 et 8). De même l’exemple du martyr saint Vincent qui
prêchait, tout diacre qu’il était, comme saint Augustin l’atteste
au sermon 2 de saint Vincent. Ensuite, saint Grégoire
(livre 4, épitre, chapitre 88) enseigne qu’appartient aussi au diacre
le devoir de la prédication, et que lui-même a prêché quand il était
encore diacre, selon ce qu’atteste le diacre Jean dans sa vie (livre
1, chapitre 41). Depuis, dans son épitre 17, livre 3, saint Cyprien
enseigne que, en l’absence des évêques et des prêtres, les diacres
avaient parfois coutume de réconcilier les pécheurs. Le concile de Nicée,
au canon 14, enseigne que, en l’absence de prêtres, les diacres peuvent
apporter la communion aux laïcs. Saint Justin, dans sa deuxième
apologie, atteste que les diacres avaient coutume d’aller porter l’eucharistie
aux absents.
Il faut cependant observer que toutes ces choses, et surtout le devoir
de prêcher, appartient en propre aux évêques. Il n’était même
pas permis aux prêtres de prêcher, sans le mandat et le consentement
de l’évêque. Car ce sont les évêques qui succèdent en ligne
directe aux apôtres. Et c’est des apôtres qu’il est dit en
Actes 6 : « IL ne nous est pas bon d’abandonner le ministère de la
parole de Dieu pour servir aux tables ». Possidius écrit dans la
vie de saint Augustin (chapitre 5) que l’évêque Valère avait concédé
le pouvoir de prêcher à son prêtre saint Augustin, parce que, étant
grec, il était moins apte à prêcher en latin. Nous lisons aussi,
dans le concile de Valence 2, au chapitre 2, que le pouvoir de prêcher
à été donné aux prêtres par ce concile d’évêques. Le même
concile prescrit que, en l’absence de tout prêtre capable de prêcher
la bonne parole, les diacres, en guise de sermons, récitent les homélies
des saints pères. Le septième ordre est celui du sacerdoce.
Cet ordre est un sujet de grandes divisions entre nous et les adversaires.
Ce que nous verrons dans le chapitre suivant.
CHAPITRE 14
La distinction entre évêques et prêtres
Voici donc en quoi consiste la question : le presbyte est-il absolument
semblable à l’évêque, et surtout, de droit divin ? Il y eut
autrefois une hérésie, celle d’Aerius, (selon Épiphane, hérésie
75, et saint Augustin, livre sur les hérésies, chapitre 53) qui soutenait
qu’il n’y avait aucune différence entre un prêtre et un évêque.
Il aurait conçu cette hérésie pour se consoler de n’avoir pas été
nommé évêque, comme le laisse entendre clairement Épiphane. C’est
la même hérésie qu’on soutenue autrefois Jean Wiclif (livre 2 de la
doctrine de la foi, art 3, chapitre 60) et de nos jours les luthériens
et les calvinistes. Voici comment s’exprime Jean Calvin sur cette
question : « On appelait presbytres tous ceux à qui il avait été enjoint
de prêcher la parole de Dieu. Ces mêmes presbytes, dans chaque cité,
élisaient l’un d’entre eux à qui ils donnaient le titre particulier
d’évêque, pour que, comme il arrive souvent, de l’égalité ne naissent
pas de dissensions. L’évêque, cependant, n’était supérieur
aux presbytes ni en honneur ni en dignité, comme maître de ses
collègues. Pensons au rôle que joue un consul dans un sénat,
lequel est celui de s’occuper des affaires, en conseillant, avertissant,
exhortant, de gérer par sa propre autorité, et d’exécuter ce
qui a été décidé d’un commun accord. C’est ce genre de fonction
que remplissait un évêque dans l’assemblée des presbytes. Les
anciens eux-mêmes témoignent que c’est par une décision humaine, à
cause de la nécessité des temps, que cet ordre a été institué. »
Martin Kemnitius dit des choses semblables dans son examen de la session
23 du concile de Trente, ainsi qu’Érasme (Timothée chapitre 1, 4).
L’Église catholique, elle, reconnait une distinction entre
ces deux ordres, et enseigne que c’est de droit divin que l’épiscopat
est plus grand que le presbytérat, tant par le pourvoir d’ordre que
de juridiction. C’est ainsi que parle le concile de Trente
(session 23, chapitre 4) : « Le synode sacrosaint déclare que, en plus
des autres grades ecclésiastiques, les évêques, qui succèdent aux apôtres
dans leurs charges, appartiennent principalement à cet ordre hiérarchique,
et, comme le dit l’apôtre, ont été placés par l’Esprit Saint pour
régir l’Église de Dieu, et sont supérieurs aux presbytes. »
Et le canon 6 : « Si quelqu’un dit que, dans l’église catholique,
il n’y a pas de hiérarchie instituée par une disposition divine, qui
est formée d’évêques, de prêtres et de ministres, qu’il soit anathème.
» C’est la même sentence que défendent les théologiens docteurs
dans leurs commentaires du maitre des sentences (livre 4 sentences, dist
24) et saint Thomas (2, 2, question 184, article 6 ». La dispute
qui porte sur les sacrements, à savoir si l’épiscopat et le presbytérat
forment un seul sacrement ou un seul ordre ou deux, nous la laissons de
côté pour l’instant. Nous tenterons de démontrer trois choses.
La première. L’évêque est, de droit divin, plus grand que le
presbyte par rapport au pouvoir de l’ordre. La seconde. Il
est plus grand aussi par rapport à la juridiction. La troisième.
Dans l’église ancienne, les évêques n’étaient pas, dans l’assemblée
des presbytes, semblables à des consuls dans un sénat, mais semblables
à des rois et des princes dans une assemblée de conseillers.
Il est facile de prouver que, quant au pouvoir de l’ordre,
l’évêque est plus grand que le presbyte, et cela, de droit divin.
Car, seul un évêque peut ordonner des presbytes, et générer ainsi des
pères de l’Église, comme Épiphane le rappelait à Aérius. Les
presbytes, eux, ne peuvent pas ordonner, mais seulement baptiser, et générer
ainsi des fils à l’Église. C’est ce qu’enseigne saint Damase
dans son épitre 3, ainsi que le concile d’Antioche (chapitre 10)
et d’Ancyre (canon 12), Épiphane (hérésie 75), saint Jean Chrysostome,
Theodoret, Theophylacte et Oecumenius (dans 3 et 4, chapitre 1 de Timothée).
Saint Jérôme, (épitre 85 à Évagrius) : « À l’exception de l’ordination,
que fait l’évêque que ne fait pas le presbyte ? » De même,
saint Léon (épitre 88), ainsi que la coutume de l’église. Car
on n’a jamais entendu dire que des presbytes aient ordonné des presbytes
ou des diacres, ou même des évêques.
Que ce soit de droit divin que seuls les évêques ordonnent, on le
déduit facilement de ce qu’une ordination faite par un non évêque
serait tenue pour invalide. C’est dans ce sens que Grégoire 111
écrit à Boniface : « Les prêtres que tu as repérés, si on ne connait
pas ceux qui les ont ordonnés, ou si on doute qu’ils aient été ordonnés
par des évêques, qu’ils aient de bonnes mœurs, ou s’ils soient de
vrais catholiques, ou prêtres dans le ministère du Christ, qu’ils soient
instruits dans la loi de Dieu, qu’ils reçoivent la bénédiction du
presbytérat par leur évêque, et que, ainsi ils exercent le saint ministère.
» Et avant lui, le pape Damase, parlant, dans l’épitre 3, des chorépiscopes,
qui, bien qu’ils n’aient été que des presbytes, osaient ordonner
à la manière des évêques, dit : « Vain et nul tout ce qu’ils
ont fait dans leur soi disant ministère de pontife suprême. » Or, il
est certain que si c’était de droit divin que les presbytes tenaient
de leur caractère sacerdotal le pouvoir d’ordonner, ce qu’ils feraient
ne serait pas nul et invalide, même si l’Église le leur interdisait.
De plus, comme l’ordination est un sacrement (ce que même Calvin admet),
et que tous les sacrements ont été institués par Dieu, il est certain
que celui qui est plus grand dans le pouvoir qui est reçu par le
sacrement de l’ordination est nécessairement plus grand par l’institution
divine.
On peut tirer un argument semblable de la confirmation des baptisés,
et de la consécration des temples et des autels. Car il appert que
seuls les évêques, en tant que ministres ordinaires, peuvent conférer
le sacrement de confirmation, et consacrer les temples et les autels.
Ce qui n’est pas permis aux presbytes. C’est ce qu’enseigne
saint Léon dans son épitre aux évêques d’Allemagne et des Gaules,
et avant lui, Damase (épitre 3 des chorépiscopes), et, avant l’un et
l’autre, Denys l’Aréopagite (chapitres 4 et 5 de la hiérarchie
ecclésiastique). Il dit, là, que seul l’évêque peut, par une
divine ordination, consacrer avec le chrême. Ne voyons-nous pas,
dans les actes, des apôtres, à qui succèdent les évêques, être
envoyés pour donner le Saint Esprit, par l’imposition des mains, à
des gens qui avaient déjà été baptisés ?
Que les évêques soient supérieurs aussi aux presbytes, de
droit divin, quant au pouvoir de juridiction, nous le prouvons d’abord
par une figure de l’ancien testament, tout en notant que cet argument
vaut aussi pour le pouvoir d’ordre. Dans l’ancien testament,
il y avait un seul prêtre suprême, Aaron, et ceux qui descendaient de
lui. Il y avait, ensuite, des prêtres inférieurs, tous fils d’Aaron,
et ceux qui descendaient d’eux. Il y en avait aussi d’autres,
des lévites, qui tiraient leur origine de Lévi, mais qui ne descendait
pas d’Aaron. Il appert que, de droit divin, ces trois ordres ont
été distincts, celui des pontifes, celui des prêtres, et celui des lévites.
Le pontife était plus grand que les prêtres, et les prêtres plus grands
que les lévites. Leurs consécrations étaient différentes, ainsi
que leurs fonctions et leurs vêtements (Exodre 28 et 49, Lévit
8, Nombres 3 et 4, et 20).
Que la juridiction appartienne aux pontifes et non aux
prêtres mineurs, le Deutéronome nous l’enseigne assez clairement, au
chapitre 17 : « Celui qui, par orgueil, ne voudra pas obéir à un ordre
du prêtre sera condamné à mort par une sentence du juge. » C’est
ce que reconnaissent les centuriates (centurie 1, livre 1, chapitre 7,
colonne 257) : «Dans l’église du peuple Juif, il n’y avait, de par
la loi divine, qu’un seul grand prêtre que tous devaient accepter
et auquel tous devaient obéir. » De même Calvin (livre 4, chapitre
6, verset 2 de ses institutions) : « Dieu établit là une seule autorité,
que tous accepteraient, pour mieux les maintenir tous dans l’unité.
» Or les évêques sont dans l’Église ce qu’étaient les pontifes
dans l’ancien testament; et les prêtres, ce qu’étaient les prêtres
mineurs; et les diacres, ce qu’étaient les lévites. C’est
ce qu’enseignent saint Damase au sujet des chorépiscopes, saint Jérôme,
(dans sa lettre à Évagre, 85), et saint Léon dans la lettre 88 des évêques
d’Allemagne et des Gaules, le concile espagnol 2, chapitre 7, et plusieurs
autres graves auteurs. Et, pour sûr, aucune raison ne nous permet
d’affirmer que, dans l’ancien testament, la hiérarchie ait été plus
diversifiée que celle du nouveau, d’autant plus que, pour saint Paul
(Hébreux 10) l’ancienne a été une ombre et une image de la nouvelle.
Il s’ensuit donc que, comme, dans l’ancien testament, les pontifes
l’emportaient en autorité sur les prêtres mineurs, dans le nouveau
testament, aussi, les évêques l’emportent en autorité sur les prêtres.
On le prouve, en seconde lieu, par la distinction entre les apôtres
et les 70 disciples. Car les pères enseignent unanimement que les
évêques ont succédé aux apôtres, et les prêtres aux soixante-dix
disciples. Voir le concile de Néocésarée (canon 13, Damase, épitre
3 sur les chorépiscopes, Anaclet épitre 2, saint Jérôme, épitre à
Marcella sur les erreurs de Montan, saint Augustin, traité sur le
psaume 44, saint Léon, épitre 88, saint Isidore (livre 2 des divins devoirs),
Béde (chapitre 10 de saint Luc), et les autres. Que les apôtres
aient été, de droit divin, plus grands que les soixante-dix, il est facile
de le constater. D’abord, par une institution séparée et différente.
Car, le Seigneur n’a voulu avoir que douze apôtres (Luc, chapitre 6).
Il les gardait toujours avec lui, et leur enseignait privément.
Il a aussi institué soixante-douze disciples, (Luc 10). Mais (Jean 20),
c’est aux seuls apôtres qu’il a dit : « Comme le Père m’a envoyé,
moi aussi je vous envoie. » Ensuite (actes 1) quand le nombre douze
a été diminué, Mathias a été choisi pour le combler, non sans cérémonie
solennelle, bien qu’il ait été parmi les disciples.
Troisièmement, on le prouve par les paroles du Seigneur en Matthieu
24 : « Le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur établira sur sa
famille. » Ces paroles saint Hilaire et d’autres pères ont voulu
qu’elles s’appliquent aux évêques. Ce qui nous fait comprendre
que, par l’institution de Notre Seigneur, la charge propre des évêques
est le gouvernement de l’Église. C’est à cela aussi que se
rapporte ce passage des actes 20 : « Veillez sur vous et sur tout le troupeau,
pour qui le Saint Esprit vous a placés comme évêques, afin de régir
l’église du Christ. » Quatrièmement, on le prouve par l’antiquité.
Car si c’était de droit humain que les évêques l’emportaient sur
les prêtres, on trouverait certainement, après l’époque apostolique,
un commencement de cette nouvelle institution. Or, au temps des apôtres,
c’était déjà l’usage dans l’église que les prêtres soient soumis
aux évêques. Car, (1 Timothée 5), l’apôtre écrit ainsi : « Ne reçois
aucune accusation des presbytes sans deux ou trois témoins. » Nous voyons
clairement là que, au temps des apôtres, l’évêque était le juge
des prêtres, donc un vrai prince et supérieur.
De même, saint Ignace, disciple des apôtres, écrit dans son
épitre aux Philadelphiens : « Bons sont les prêtres et les ministres
de la parole, mais meilleur est le pontife à qui sont confiées les saints
des saints, à qui seul sont communiqués les secrets de Dieu. »
Saint Clément, l’égal de saint Ignace, dit au canon 40 des canons des
apôtres : « Que sans l’évêque, les prêtres et les diacres n’entreprennent
rien, car, c’est à lui que le peuple de Dieu a été confié, et qui
devra rendre compte à Dieu de leurs âmes. » De plus, Denys
l’Aréopagite, disciple de Paul, décrivant (dans le chapitre 5 de la
hiérarchie ecclésiastique), la hiérarchie divinement instituée, place
d’abord les pontifes, ensuite les prêtres, et enfin les ministres. Saint
Irénée, qui a été proche des temps apostoliques, écrit (livre 3, chapitre
3) : « Nous devons énumérer ceux qui ont été institués évêques
par les apôtres, et leurs successeurs. Car, si les apôtres avaient connu
des mystères secrets qu’ils enseignaient à part aux parfaits en les
cachant aux autres, ils les auraient communiqués d’abord et avant tout
à ceux à qui ils confiaient les églises. » Il dit là que les églises
ont été confiées aux évêques, en tant que successeurs des apôtres.
Tertullien, le plus ancien des latins, dit, dans son livre sur le baptême
: « Ont le droit de donner le baptême le prêtre suprême, c’est-à-dire
l’évêque, ensuite les prêtres et les diacres, mais non sans
la permission de l’évêque. »
Quant au troisième point, que l’autorité des évêques n’est
pas dans l’assemblée des presbytes comme les consuls dans le sénat,
mais comme un prince dans son conseil sur ses conseillers, on le déduit
des témoignages cités de saint Paul (épitre à Timothée,) des épitres
de Clément, d’Irénée, de Tertullien, et ensuite des conciles.
Car tous les conciles, autant les généraux que les provinciaux, même
les plus anciens, ont été composés des seuls évêques. Il est évident
que c’est dans les conciles que s’exerce surtout la juridiction, quand
des lois y sont proclamées et des peines imposées aux prévaricateurs.
On le déduit aussi de ce que, dans plusieurs endroits, nous lisons que
des prêtres sont excommuniés par des évêques, mais jamais que des évêques
ont été excommuniés par des prêtres. Voir le concile 2 de Carthage
(canons 8 et 9). Et ensuite de ce que seuls les évêques ont un trône
dans l’église, lequel est un indice de pouvoir, d’où l’on dit qu’ils
gouvernent à la manière des princes. Voir saint Jean Chrysostome
(livre sur le sacerdoce), saint Ambroise (livre sur la dignité sacerdotale),
et saint Grégoire de Naziance (dans son discours à un prince en colère,
et à un peuple frappé de peur. » Réfutons donc maintenant les
objections.
CHAPITRE 15
On réfute les objections.
On nous objecte d’abord le témoignage de saint Paul selon
lequel les évêques et les presbytes seraient semblables (Philipp 1) :
« Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ, à tous les saints qui
sont à Philippe, avec les épiscopes et les diacres. » Il est certain
que, dans ce passage, les presbytres sont appelés épiscopes car,
dans une ville, il ne pouvait pas y avoir beaucoup d’évêques,
si le nom d’évêque signifiait un prêtre suprême. Pourquoi donc
saint Paul ne dit-il pas avec l’évêque, les prêtres et les diacres,
si, à cette époque, les prêtres se distinguaient des évêques ? »
Je réponds que le commentaire de saint Ambroise ne réfère pas le «
aux évêques et aux diacres » à ceux à qui il écrit, mais à
ceux qui écrivent, le mot évêques se rapportant à Paul et Timothée.
Le sens serait donc le suivant : « Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ,
à tous les saints qui sont à Philippe, avec les évêques (Paul et Timothée),
et leurs diacres, grâce à vous et paix. Mais cette explication
semble un peu forcée, ou tirée par les cheveux. Épiphane (dans son livre
sur les hérésies, hérésie soixante-quinze,) dit que la raison pour
laquelle saint Paul a ainsi parlé est que, à son époque, en raison d’une
pénurie de ministres, plusieurs endroits étaient sans presbytes.
Il ne s’y trouvait que des évêques avec leurs diacres. Car, les
évêques peuvent, eux aussi, remplir le rôle des simples prêtres.
Cette explication d’Épiphane pourrait avoir quelque chance d’être
vraie, si saint Paul avait dit « avec l’évêque et les diacres.
», ou s’il n’avait pas écrit à une seule ville, mais à plusieurs.
Or, comme il écrit à une église en particulier, celle de Philippes,
et qu’il dit écrire à des évêques et à des diacres, comment, je
le demande, cette explication peut-elle tenir debout ? Car, si plusieurs
évêques pouvaient être dans une ville, un seul évêque avec quelques
prêtres le pouvaient davantage.
Theodoret, dans son commentaire de ce passage, et plus au long,
dans le chapitre 3 de la première épitre de saint Paul à Timothée,
écrit qu’au temps des apôtres, on n’appelait pas épiscopes les vrais
épiscopes, mais apôtres; que c’était les presbytes qu’on avait coutume
d’appeler épiscopes. Car, aux Romains 16, saint Paul donne le
nom d’apôtre à Andronicus, et à Philippes 1, il appelle Épaphrodite
apôtre des Philippiens. Or ces deux « apôtres » étaient des
évêques. Un peu plus tard, on laisse tomber le mot apôtre, et
on commença à ne donner le nom d’épiscopes qu’aux seuls épiscopes,
et de presbytes qu’aux seuls presbytes. Cette explication de Théodoret,
si elle est vraie, satisferait aux questions que posent ce texte
et tous les autres semblables. Car nous pourrions toujours dire que par
le nom d’épiscopes saint Paul désigne des presbytes.
Le commentaire de saint Jean Chrysostome, et de beaucoup d’autres,
semble être moins hérissé de difficultés. Ils enseignent, eux,
qu’au temps des apôtres, les noms d’évêques et de presbytes étaient
communs à tous les prêtres, autant aux plus grands, que nous nommons
aujourd’hui évêques, qu’aux mois grands, que nous appelons aujourd’hui
prêtres, même si les fonctions et les pouvoirs étaient distincts.
Par le nom d’épiscope, il embrasserait donc tous les prêtres, et le
sens de la phrase serait donc celui-ci : « Paul et Timothée, serviteurs
de Jésus-Christ, à tous les saints qui sont à Philippes, avec les évêques
et les diacres, c’est-à-dire avec les prêtres et leurs ministres.
Ajoutons que saint Paul semble vouloir saluer tout le clergé. Et,
pour ne pas être forcé de les énumérer tous l’un après l’autre,
il emploie un terme général qui les inclut tous. Tous les ordres, en
effet, se ramènent aux prêtres et aux ministres. Le premier se divise
en deux espèces analogues, les évêques et les simples prêtres; et le
second en six autres : diacres, sous-diacres, acolythes, lecteurs, exorcistes,
et portiers. Même si aujourd’hui, le mot évêque n’est donné qu’au
premier analogué, le prêtre suprême, et le nom de diacre au seul
ministre principal, le nom d’évêque convient encore, d’une certaine
façon, aux prêtres eux-mêmes. Car eux aussi agissent comme des surintendants.
Ils régissent le peuple, au moins au for interne, et sur délégation
de l’évêque. Et le nom de diacre convient même aux ordres inférieurs,
puisqu’ils sont tous des ministres du prêtre.
L’autre objection est tirée du chapitre 1 de la lettre de
saint Paul à Titus : « La raison pour laquelle je t’ai laissé en Crète,
c’est pour que tu établisses des presbytes dans les cités, comme je
te l’ai fait à toi-même. » Et, un peu plus bas : « Il faut
que l’épiscope soit irrépréhensible etc. » Dans ce passage, nous
voyons que les presbytes sont des épiscopes. Mais, à cette objection,
nous pouvons donner la même réponse qu’à l’objection précédente
: à cette époque, ces noms étaient communs aux deux espèces.
La troisième objection est tirée de la première épitre à
Timothée (chapitre 3). Après avoir donné des préceptes à des épiscopes,
saint Paul passe immédiatement aux diacres, sans dire un mot des presbytes.
Il semble donc avoir considéré que les presbytes et les évêques étaient
en tout semblables. Je réponds que c’est l’ensemble des clercs
que saint Paul voulait instruire, et c’est pour cela, que dans le nom
d’évêque il faisait entrer le nom de presbyte, et, dans le nom de diacre,
tous les ordres inférieurs. Les mêmes préceptes ne convenaient-ils
pas à tous ? Quatrième objection. Saint Paul, dans
le quatrième chapitre de la première lettre à Timothée, écrit : «
Ne néglige pas la grâce de Dieu qui est en toi, qui t’a été donnée
par l’imposition des mains du presbyte. » S’appuyant sur
ce passage, Kemnitius affirme que saint Jérôme a démontré qu’un évêque
peut être ordonné par des presbytes. Il n’y a donc pas de différence
entre un épiscope et un presbyte.
Mais Kemnitius ment effrontément. Car, saint Jérôme, sans
sa lettre à Évagre (que Kemnitius cite) dit explicitement que les presbytes
ne peuvent pas ordonner : « À l’exception de l’ordination, que fait
un épiscope que ne fait pas un prêtre ? » Saint Jérôme cite
ce passage pour montrer que, dans les Écritures, les épiscopes étaient
parfois appelés presbytes. Car, voici comment il explique la phrase
« par l’imposition des mains d’un presbyte » : « par l’imposition
des mains que tu as reçue d’un presbyte ». Or, on sait très
bien que Timothée n’était pas un simple prêtre, mais un évêque.
C’est ainsi que l’explique aussi saint Anselme, et d’autres auteurs
latins, et même Calvin (livre 4, chapitre 3, à la fin, de ses institutions).
Mais l’explication de saint Grégoire nous semble beaucoup plus vraie,
selon laquelle par le mot presbytes il entend le chœur
ou l’assemblée des presbytes, c’est-à-dire des épiscopes, qui imposent
leurs mains au nouvel évêque. C’est ainsi que le comprennent saint
Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, et Oecumenius.
La cinquième objection est tirée du chapitre 20 des actes des
apôtres de saint Luc. Envoyant à Éphèse, saint Paul appelle à lui
les plus grands de l’église, c’est-à-dire les presbytes, et en leur
parlant, il les appelle épiscopes : « Prenez garde à vous et à tout
le troupeau, dans lequel le Saint Esprit vous a placés comme épiscopes
pour régir l’Église de Dieu. » De même, au chapitre 5 de sa
première épitre, saint Pierre parlant des presbytes dit : « Les anciens
qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, un ancien comme vous, et un témoin
des passions du Christ etc. Paissez le troupeau qui est le vôtre, pourvoyant
non de force etc. » En grec, le mot « anciens » se dit presbuterous,
presbytes. Et « pourvoyez », épiskopountes. On cite aussi
les lettres 2 et 3 de saint Jean, dans lesquelles l’apôtre s’appelle
presbyte, alors qu’il était, bien entendu, évêque. Mais, à
toutes ces objections, nous répondons de la même façon. Ces noms
étaient alors communs à l’un et à l’autre. Et c’est pour cela
que, dans ces passages, de vrais épiscopes étaient appelés presbytes.
À ces objections, ils ajoutent des témoignages de certains pères.
La sixième objection est tirée d’un texte de saint Jérôme.
Dans son commentaire du premier chapitre de l’épitre à Titus, il écrit
: « C’est un seul et même qui est évêque et presbyte. Et avant
que, par l’instigation du diable, des coteries apparurent dans l’église,
et que l’on dise : je suis pour Paul, je suis pour Pierre, ou pour Apollo,
les églises étaient gouvernées par un conseil de presbytes. Après
que chacun crut que ceux qu’il avait baptisés lui appartenait plutôt
qu’au Christ, il fut décrété dans tout l’univers qu’un des presbytes
serait élu pour gouverner les autres, à qui reviendrait tout le
soin de l’administration de l’Église, et pour arracher
les semences des schismes. » Et plus bas : « Les presbytes ont
appris de la coutume de l’Église à se soumettre à celui qui leur est
préposé. Les évêques ont appris, eux aussi, plus par la coutume
que par la vérité de la dispensation dominicale, à être plus grands
que les prêtres, et à devoir régir l’Église en commun. »
Saint Jérôme dit la même chose dans son épitre 85 à Évagrius.
Ces paroles de saint Jérôme, certains ont tenté de leur donner
une interprétation pieuse, comme saint Thomas (2.2. quest 184. Art
6). Il dit que saint Jérôme ne parle que des mots et de non de
la chose elle-même. Mais les expressions employées : « les églises
étaient gouvernées par un conseil de presbytes », et c’est » plus
par la coutume que par la vérité de la dispensation dominicale qu’ils
ont été plus grands que les prêtres », ces expressions ne se rapportent
pas simplement à des mots. Jean Antoine Delphin (livre 2, Église),
déduit de la phrase de saint Jérôme qu’au début de l’église, tous
les prêtres ont été des évêques. Non pas parce que l’épiscopat
et le presbytérat soient la même chose, mais parce que l’une
et l’autre dignité étaient alors données à tous les prêtres.
Ensuite, pour éviter des schismes, on a commencé à en élire parmi ceux
qui n’étaient que des presbytes, et c’est à partir de là que s’est
établie la coutume que les évêques étaient plus grands que les prêtres.
Mais cette explication ne satisfait pas pleinement. Saint Jérôme
s’efforçait de défendre la dignité des prêtres contre l’insolence
des diacres, comme la lettre à Évagre nous le révèle. Il cherche
donc à démontrer que la dignité des prêtres est beaucoup plus grande,
qu’elle est même la même que celle des évêques. On n’aurait
rien à reprocher à cette explication s’il se contentait d’enseigner
que les premiers presbytes furent semblables aux épiscopes parce qu’ils
avaient eux aussi le pouvoir épiscopal, et qu’ils n’étaient pas de
simples presbytes. De plus, si les premiers presbytes furent semblables
aux épiscopes parce qu’ils étaient eux aussi de vrais épiscopes, la
distinction entre les deux qui est née plus tard, comme le raconte la
lettre de saint Jérôme, s’est produite de la façon suivante : quelques-uns
ne reçurent plus que le simple presbytérat. Mais, saint Jérôme
dit le contraire. Il enseigne que l’épiscopat est une nouveauté,
et que c’est la coutume de l’église qui lui a donné de ne plus
être un simple presbytérat. Car, c’est ainsi qu’il parle :
« C’est par un conseil de presbytes que les églises étaient
gouvernées. C’est après que chacun… »
Michaël Medina (livre 1 sur l’origine des hommes sacrés,
et sur la continence, chapitre 5) affirme que saint Jérôme pensait tout
à fait comme les Aeriens. Que saint Jérôme n’est pas le seul
à être dans l’hérésie, mais aussi saint Augustin, saint Ambroise,
Sedulius, saint Jean Chrysostome, Theodoret, Oecumenius et Theophylactus.
« Voilà donc ce qu’enseignèrent ces grands saints et ces illustres
interprètes des Écritures, la même sentence qu’a enseignée aussi
Aerius, puis les Vaudois, et en dernier Jean Wiclif, et qui a été condamnée
par l’Église. » Et plus bas : « Donc, dans saint Jérôme, et
dans les pères grecs, cette sentence était tolérée, honorée ou dissimulée
à cause du respect et de l’honneur qu’on leur portait. Mais, dans
les hérétiques et dans tous ceux qui sont sortis de l’Église, elle
a toujours été condamnée comme hérétique. » Cette accusation
de Michaël Medina est faite sans trop de réflexion. Car, elle fait une
injure à tant de célèbres pères, en en faisant des Aeriens. Elle fait
ensuite une injure à l’Église, celle de faire acception de personnes
dans ses jugements. Car, comme tous ces auteurs cités ont vécu
après Aerius, comment l’Église aurait-elle pu condamner en Aerius une
erreur qu’elle tolérait dans les Pères ? N’est-ce pas
à Aerius qu’il aurait fallu pardonner, lui qui semblait avoir péché
avant la définition de l’Église, plutôt qu’à des Pères qui auraient
suivi une hérésie déjà condamnée ? De quel front opposerons-nous
les pères aux hérétiques, les grecs et les latins, si nous reconnaissons
qu’ils ont suivi leur sentence, une fois condamnée par l’Église ?
Or, dit Medina, « c’est du témoignage de saint Jérôme que
se servaient les hérétiques vaudois, car eux et saint Jérôme ont pensé
de la même manière. » Argument spécieux ! En raisonnant
de cette façon, on pourrait conclure que Luther et saint Paul avaient
les mêmes idées, puisque Luther se sert souvent de textes de saint Paul
pour étayer sa pensée. Les Vaudois mentent donc quand ils disent
suivre saint Jérôme. Mais Medina insiste. Aerius
n’ignorait pas que, selon les lois de l’Église, l’évêque était
plus grand que le prêtre. Ce qu’il affirmait c’est que, par
le droit divin, ils étaient égaux. Voilà pourquoi il dit clairement,
avec saint Jérôme, que ce n’est pas par la vérité de la disposition
dominicale, mais par la seule tradition ecclésiastique que les .évêques
sont plus grands que les prêtres. Il ne semble y avoir, entre la pensée
d’Aerius et celle de Jérôme, aucune différence.
Je réponds qu’Aerius est autant éloigné de saint Jérôme
qu’un hérétique l’est d’un catholique, et le ciel de l’enfer.
Car, tout d’abord, saint Jérôme reconnait partout qu’un évêque
est plus grand qu’un presbyte, quant au pouvoir d’ordre, et cela, sans
doute possible, de droit divin. Comme on le voit dans sa lettre
à Évagrius : « À l’exception de l’ordination, que fait un évêque
que ne fait pas un presbyte ? » Or, Aerius n’acceptait aucune différence,
comme on peut le voir par Épiphane (hérésie 75). De plus,
quant au pouvoir de juridiction, Aerius, comme les luthériens et les calvinistes,
ne niait pas seulement que c’est de droit divin que l’évêque était
plus grand qu’un presbyte, mais il soutenait que l’Église avait mal
agi quand elle a placé les évêques avant les presbytes. Or, saint
Jérôme, même s’il ne semble pas reconnaitre que la différence
entre évêque et presbyte soit de droit divin, admet cependant qu’elle
est légitime et même nécessaire, et qu’elle a été introduite par
les apôtres pour éviter les schismes. Car, saint Jérôme
ne veut pas que soit après un certain temps, et d’une corruption, que
soit née la supériorité des évêques; mais quand on a commencé à
dire je suis pour Pierre, pour Paul, pour Appolon. Ces paroles sont
celles-là mêmes de l’apôtre Paul (1 Cotinth 1). Au tout début
donc de l’église, quand les apôtres vivaient encore, quand par toute
la terre les églises étaient encore régies par les apôtres, c’est
à ce moment-là que saint Jérôme veut que la juridiction ecclésiastique
ait été déplacée vers les évêques. Aerius et saint Jérôme
n’ont donc rien en commun. Il n’est pas non plus croyable que
saint Jérôme ait adopté l’opinion d’Aerius qu’il sait, par Épiphane,
avoir été condamnée.
Il faut observer que saint Jérôme n’a pas soutenu cette opinion
avec constance, et il semble probable qu’il n’ait pas eu là-dessus
de certitude. Car, il enseigne, il est vrai, dans l’explication
du premier chapitre de la lettre à Tite, que la coutume qui a voulu que
les évêques soient placés avant les presbytes a commencé au temps où
il a été dit : je suis à Pierre, je suis Paul, je suis à Apollon.
Cependant, il s’efforce de démontrer que les presbytes sont semblables
aux évêques, par l’épitre à Titus, l’épitre aux Philippiens, et
celles de Pierre et de Jean qui ont été écrites après la première
épitre aux Corinthiens, où se trouvent ces paroles : moi je suis pour
Paul, moi pour Pierre, et moi pour Appolo. Ensuite, dans le livre
sur les écrivains ecclésiastiques, au mot Jacob, il dit que c’est après
l’ascension du Christ qu’a été ordonné l’évêque de Jérusalem.
Il n’y eut donc jamais de temps où l’église de Jérusalem fut gouvernée
par des presbytes sans évêque.
De plus, le même saint Jérôme, dans sa lettre à Évagrius,
compare l’évêque à Aaron, et les prêtres aux fils d’Aaron.
Et, dans son épitre à Marcelle sur les erreurs de Montan, il dit que
les évêques ont succédé aux apôtres. Et il est certain que,
par le droit divin, Aaron était, quant à l’ordre et à la juridiction,
plus grand que ses fils; et que les apôtres étaient plus grands que tous
les autres disciples. De plus, dans le livre 1 contre Jovinien, le
même Jérôme affirme que, parmi les douze, un a été élu par le Christ,
c’est-à-dire Pierre « pour que par l’établissement d’un chef soit
enlevée toute occasion à un schisme. » Or, si le Christ a voulu
que, parmi ses apôtres, un ait plus de dignité et d’autorité, pourquoi
ne pas croire qu’il ait voulu aussi que, parmi ses prêtres, un
soit plus puissant ? Que cela suffise pour saint Jérôme. Quant
à Sedelius et Anselme, ils n’ont fait que rapporter l’opinion de saint
Jérôme.
La septième objection est tirée d’un texte de saint Ambroise
(commentaire du chapitre 4 de l’épitre aux Éphésiens) : « Il appelle
presbyte Timothée qu’il avait lui-même créé évêque, parce que les
premiers presbytes étaient appelés épiscopes, pour qu’après le départ
de l’un, un autre lui succède. De plus, en Égypte, en l’absence
de l’évêque, ce sont les presbytes qui signent. Mais parce
que les presbytes postérieurs s’avérèrent indignes d’exercer la
primauté, om changea la procédure, par la décision d’un concile, et
l’on décréta que désormais ce ne serait plus l’ordre qui créerait
l’évêque mais le mérite. » Ce passage ne présente aucune
difficulté. Car (pour ne pas dire que ces commentaires ne semblent
pas venir de la plume d’Ambroise), l’auteur de ces commentaires ne
parle que de la règle de la succession des épiscopes, et enseigne que,
dans l’église naissante, c’est le plus ancien des prêtres qui avait
coutume d’ordonner un épiscope, et que, après sa mort, lui succédait,
sans élection, le plus ancien presbyte. Mais cet auteur ne
nie pas que quand ce premier presbyte succédait à l’épiscope, il devait
être consacré de nouveau, et recevoir un nouveau pouvoir et une nouvelle
juridiction.
Et ce même auteur enseigne plusieurs fois en toute clarté
qu’il y a une grande différence entre un évêque et un prêtre.
Car, dans le même commentaire (chapitre 4 aux Éphésiens), il écrit
: « Tous les ordres sont dans l’épiscope, parce qu’il est le premier
prêtre, c’est-à-dire le prince des prêtres. » Et ( au chapitre
3 de la première lettre à Timothée) : « Pour les prêtres et les épiscopes,
il n’y a qu’une seule ordination, car l’un et l’autre est prêtre,
mais l’évêque est le premier. Tout évêque est un presbyte, mais tout
presbyte n’est pas un évêque. Est évêque celui qui est le premier
parmi les presbytes ». Ensuite, il indique que Timothée a été ordonné
presbyte, mais que, comme il n’y avait personne d’autre avant lui,
il était épiscope. « Car il ne fallait pas, et il n’était pas
permis qu’un inférieur ordonne un supérieur, car on ne distribue que
ce qu’on a reçu. » Voilà donc ce qu’il dit vraiment. Tu vois
là qu’un évêque est plus grand qu’un presbyte, et que la raison
pour laquelle un presbyte ne peut pas ordonner un épiscope c’est qu’il
n’a pas l’ordination épiscopale.
La huitième objection est tirée d’un commentaire de saint
Jean Chrysostome (chapitre 3 de la première épitre à Timothée) : «
Entre l’épiscope et le prêtre, il n’y a presqu’aucune différence.
Car, aux prêtres aussi est remis le ministère ecclésial, et les choses
qu’on attribue aux épiscopes conviennent aussi aux presbytes. C’est
par la seule ordination que les épiscopes sont supérieurs aux presbytes,
et c’est cela seulement qu’ils semblent avoir en plus. » Enseignent
la même chose Primasius, Theophylactus, et Oecumenius dans leurs commentaires
sur ce texte. Je réponds qu’on peut certainement déduire de ces
textes que les évêques sont plus grands que les prêtres, puisque les
évêques peuvent ordonner et les presbytes ne le peuvent pas, comme les
auteurs cités le proclament d’une seule voix.
Mais tu rétorqueras, peut-être : quant à la juridiction, les épiscopes
et les presbytes sont semblables, puisque, en dehors de l’ordination,
les évêques n’ont rien que ne possèdent pas aussi les prêtres.
Je réponds. Quand ces auteurs n’attribuent rien aux épiscopes,
en dehors de l’ordination, qui ne soit commun avec les presbytes, ils
entendent parler des choses qui ne conviennent en rien aux presbytes. Or,
seule l’ordination ne convient absolument pas aux presbytes. Car,
le pouvoir de juridiction, par la délégation de l’évêque, peut aussi
convenir aux presbytes. Ils peuvent même confirmer des baptisés.
Mais l’ordination des prêtres est propre à l’évêque à un point
tel qu’elle ne peut jamais être permise à un prêtre. Ce que
voulait dire saint Jean Chrysostome quand il affirmait que, au temps des
apôtres, l’épiscope était différent du presbyte, on peut le comprendre
en lisant son homélie 1 sur l’épitre aux Philippiens, où expliquant
le « avec les épiscopes et les diacres », il dit : « Que veut-il
dit par là ? Y a-t-il plusieurs épiscopes dans une cité ? Non pas. Mais
par ce mot, il désigne des presbytes. Car, en ce temps, le mot était
commun aux deux. »
La neuvième objection est tirée du commentaire de Théodoret
du chapitre 1 de l’épitre aux Philippiens. Il répète plusieurs
fois que ceux que Paul appelle des épiscopes étaient des presbytes.
Mais on a déjà expliqué cela. Car Theodoret enseigne qu’autrefois,
les presbytres avaient le nom d’épiscopes. Mais il ajoute,
au même endroit, que, à cette époque, on avait coutume d’appeler apôtres
les vrais épiscopes, de sorte que, selon Theodoret lui-même, les épiscopes
ont toujours été, dans le nom et dans la réalité, plus grands
que les presbytes. Voilà pourquoi le même auteur, (au chapitre
3 de la première épitre à Timothée) écrit : « Mais cependant,
même si le divin apôtre a établi ces lois pour les presbytes, il est
clair qu’elles servent d’abord pour les épiscopes, en tant qu’ils
ont obtenu une dignité plus grande. »
La dixième objection est tirée de l’épitre 19 de saint Augustin
à saint Jérôme, dans laquelle il écrit : « Car bien que, selon les
termes honorifiques qui sont devenus coutumiers, l’épiscopat soit plus
grand que le presbytérat, en beaucoup de chose, toutefois, Augustin est
inférieur à Jérôme. » Je réponds que « la coutume établie
de nos jours » ne s’oppose pas au temps antique de la même Église,
mais au temps qui exista avant la naissance de notre église chrétienne.
Le sens de cette phrase n’est donc pas qu’il fut un temps où les presbytes
étaient égaux aux épiscopes, mais que c’est une coutume bien établie
que l’épiscopat est plus grand que le presbytérat. Voici donc
ce qu’il voulait dire vraiment. Avant les temps chrétiens, les
noms d’épiscope et de presbyte n’étaient pas des mots honorifiques.
Ils désignaient une fonction ou un état. Aujourd’hui, ils désignent
une dignité et une fonction honorifique. Et c’est selon ces noms qu’Augustin
est plus grand que Jérôme, bien que par plusieurs autres noms, il soit
inférieur à Jérôme.
Onzième objection. Les presbytes succèdent aux apôtres tout
autant que les épiscopes, comme on le voit dans le livres 2 des constitutions,
chapitre 32 de saint Clément, et dans la lettre de saint Ignace à l’église
de Smyrne. Les presbytes ne sont donc pas inférieurs aux épiscopes. Je
réponds que les pères ont fait des comparaisons de différentes sortes
entre les presbytes et les épiscopes, mais en maintenant toujours la distinction
et la proportion. Ils disent parfois que l’épiscope tient la place
de Dieu, le presbyte celle du Christ, et le diacre celle des apôtres.
C’est ainsi que s’expriment Clément (lieu cité, livre 2, chapitre
32) et saint Ignace (épitre aux Tralliens). Ils donnent parfois
à l’évêque la place du Christ, aux presbytes la place des apôtres,
et aux diacres celle des disciples, comme saint Clément (lieu cité, livre
2, chapitre 32), et saint Ignace dans sa lettre à l’église de Smyrne.
Ils donnent parfois aux évêques la place des apôtres, aux presbytes
celle des 70 disciples, comme les pères ci-haut cités.
La douzième objection. Le Christ a ordonné des presbytes à
la dernière cène, comme tous les catholiques l’enseignent. Or, on ne
lit nulle part qu’il ait ordonné des évêques. L’épiscopat
n’a donc pas été introduit de droit divin. Je réponds que Pierre
a été ordonné évêque par Jésus, et saint Jacques et saint Jean par
Pierre; et que ces trois ont ordonné les autres, comme nous l’avons
démontré plus haut dans le livre 1 sur le souverain pontife.
CHAPITRE 16
Les cardinaux
Nous allons ajouter quelques mots sur les cardinaux de l’église
romaine, pour répondre brièvement à Jean Calvin sur cet ordre
de clercs, aussi. Nous parlerons ensuite de l’antiquité, et de
la variété des tâches des cardinaux. Enfin, nous ferons une comparaison
entre les cardinaux et les évêques. Calvin touche à ces trois points
dans le livre 4, chapitre 7, verset 30 de ses institutions. Si quelqu’un
veut en apprendre davantage, qu’il lise les théologiens Alvarus Pelagius
(livre 2 de la lamentation de l’Église, article 16), saint Augustin
(triomphe, dans sa somme sur le pouvoir de l’Église, question 102),
Thomas Waldensen (livre 2 de la doctrine de la foi, article, 3, chapitre
54), Jean de Turrecremata (livre, sommes de l’Église, chapitres
81, 82, 83, 84, saint Antonin (dans sa somme théologique 3 par tit
21 Jean), Antonium Delphinum (livre 2 sur l’Église). Parmi
les canonistes, André Parpatius (le traité de la présence des cardinaux
à Bessarion.), Martin laudensen (dans le traité des cardinaux), Dominique
Jacobatius (livre 1 sur les conciles, article 12), et Jean Hieronymus Albanus,
(dans le livre des cardinaux). Parmi les historiens Onuphrius Panuinus,
(dans son livre sur les livres sur les épiscopats, et les titres et les
diaconies des cardinaux.)
Pour commencer par le premier point, Calvin (au lieu cité),
déclare n’avoir jamais lu le nom de cardinaux avant l’époque de Saint
Grégoire le grand. Or, dans le concile romain sous Sylvestre, au
canon 6, nous lisons qu’il « y avait dix diacres cardinaux dans l’église
romaine » Ce Sylvestre a précédé saint Grégoire de presque trois
cents ans. Mais ce n’est quand même pas à ce moment que commença
l’emploi de ce mot. Car, ce concile n’institua pas des cardinaux, mais
il ne fit qu’ordonner qu’en plus des cardinaux diacres de l’église
romaine, il y ait deux diacres qui prennent soin des paroisses.
Le mot cardinal semble signifier à peu près ce qui est
principal, ou celui de qui les autres dépendent, comme les portes
dépendent des gonds (cardines). Car on dit des vertus cardinales, des
vents cardinaux, et des points cardinaux du ciel. Et saint Augustin
(dans son livre 1, chapitre 5 sur le baptême), appelle cardinaux
les premiers donatistes. Pourquoi l’on dit que les cardinaux sont
les électeurs pontificaux, tous ne l’expliquent pas de la même façon.
Calvin, au lieu cité, enseigne que ce nom, au temps de saint Grégoire,
fut un nom qui était propre aux évêques. C’est donc à tort
qu’on l’attribue aujourd’hui aux prêtres et aux diacres : « Ce
titre, au temps de saint Grégoire, ne convenait qu’aux seuls évêques.
Car les autres cardinaux, ce n’est pas à l’église romaine mais à
d’autres églises qu’on les attribue. En somme, un prêtre cardinal
n’est rien d’autre qu’un évêque. » Mais Calvin est tombé
dans une erreur déjà dénoncée. Car, saint Grégoire (livre, 5, épitre
5 à Fortunat, évêque de Naples,) parle de cardinaux diacres, et (au
livre 11, épitre 34 à Jean évêque de Syracuse), il parle de cardinaux
prêtres. Et le diacre Jean (dans la vie de saint Grégoire, chapitre
7), énumère les évêques que saint Grégoire fit parmi les prêtres
cardinaux. Ce n’est donc pas vrai que, pour saint Grégoire, les
mots épiscope et presbytère signifient la même chose.
Le pape saint Léon le grand, dans son épitre à Michaël, chapitre
32, dit que les clercs de l’église romaine étaient appelés cardinaux;
qu’ils accompagnaient toujours de près le pape, qui est comme le gond
(cardo) de toute l’église. Car, comme la porte tourne dans les
gonds, est soutenue et régie par eux, de la même manière toute l’église
dépend de la providence et de la fermeté du pontife. Cette explication
enseigne très bien pourquoi les cardinaux de l’église romaine sont
dits cardinaux comme par antonomase. Mais elle n’explique
pas pourquoi on les appelle « les » cardinaux, tout court, ou
par excellence, puisqu’il est bien établi qu’il y a eu des cardinaux
ailleurs, comme on le voit dans les lieux déjà cités de saint Grégoire
(livre 5, épitre 11, et épitre 34,) et du concile de Melden, canon 54.
Onuphrius, (dans son livre sur les titres de cardinaux) estime
qu’on a appelé cardinaux les prêtres et les diacres qui présidaient
aux autres prêtres et aux autres diacres de la même église, en tant
que prêtres principaux, ou diacres dans l’église. Car, il y avait
plusieurs presbytes dans la même église, mais on n’appelait cardinal
que leur président. Mais cette explication d’Onuphrius ne semble
pas tout à fait vraie. Car, plusieurs étaient cardinaux au
même titre, comme nous le montre le synode 1 sous Symmaque, où sont apposées
les signatures des prêtres cardinaux de l’église romaine, ayant plusieurs
le même titre, les prêtres titulaires étant 67, et les titres 28.
On trouve la même chose dans le synode de saint Grégoire (livre 4 registre
chapitre 88, là où sont les signatures des cardinaux prêtres, parmi
lesquelles trois sont du titre de sainte Balbine, deux de saint Damase,
deux de saint Sylvestre, et deux des saints apôtres. Ce n’était
donc pas seulement celui qui présidait aux autres qu’on appelait cardinal.
De plus, au temps de saint Sylvestre, il n’y avait que sept
cardinaux diacres à Rome. Car, à cette époque, était encore récent
le canon 14 du concile de Néo Césarée, qui avait défini, que dans toute
cité, mêmes les plus grandes, on ne devait avoir que sept diacres.
Or, à Rome, tous ces diacres étaient appelés des cardinaux, comme nous
le montre le concile romain de saint Sylvestre. Un cardinal
diacre n’était pas un diacre qui présidait sur les autres diacres de
la même église. Ajoutons enfin que, que selon l’explication d’Onuphrius,
on ne peut trouver aucune raison pour laquelle certains évêques seraient
appelés cardinaux. On ne peut pas dire que les évêques cardinaux
le sont parce qu’ils présidaient sur d’autres évêques de son diocèse,
comme on le dit d’un cardinal prêtre, puisqu’il n’y a pas plusieurs
évêques dans un seul diocèse.
J’estime donc que le mot cardinal a été donné d’abord
à un lieu, et que, d’un lieu, il a été transféré à une personne.
Car on appelait titres cardinalices des églises principales où le baptême
était conféré. Et on leur donnait le nom d’églises ou de titres cardinaux
pour les différencier d’autres lieux sacrés moins importants.
De là vient que le prêtre qui prédisait dans cette église, était appelé
prêtre cardinal. Pour une raison semblable, les diaconies cardinalices
étaient les principaux lieux d’une ville, répartis selon le nombre
des régions, dans lesquels résidaient des diacres, qu’on appelait diacres
cardinaux, qui semblaient comme les gonds qui soutenaient l’église.
Et c’est après cela, et pour les mêmes raisons, qu’on les a appelés
évêques cardinaux. Et c’est de là aussi qu’est venue l’idée
de faire élire le pape par ces évêques cardinaux, ces mêmes cardinaux,
qui, à la différence des autres évêques de la chrétienté, formaient
le conseil du pape.
Que le nom ait commencé par désigner un lieu, on l’apprend
par le concile de Mendens (canon 54). Voici ce que nous y lisons : « que
l’évêque ordonne et place les titres cardinaux dans les villes ou dans
les faux bourgs ». De même, le diacre Jean, dans sa vie de
saint Grégoire (livre 3, chapitre 11) dit : « Les cardinaux qui avaient
été ordonnés par la violence dans des paroisses étrangères, le pape
Grégoire les rappelait à leur (lieu) cardinalice premier. » Par
cardinal, il appelle là un titre ou une église. Que cela suffise
au sujet du nom. Si quelqu’un désire connaître les noms et les
numéros des titres des diaconies et des épiscopats cardinalices, qu’il
consulte Onuphrius dans son livre sur les cardinaux.
Parlons maintenant de la tâche du cardinal et de son ancienneté.
Ses tâches sont de trois sortes. La première est commune avec les évêques,
les prêtres et les diacres, car, tous les cardinaux ont une fonction épiscopale,
presbytérale ou diaconale. La seconde est d’élire le pape. La
troisième. Assister constamment le pontife, et l’aider, par leurs
conseils et leur expérience, dans le gouvernement de l’Église universelle.
On ne peut nier que la première tâche soit ancienne, voire très ancienne.
Calvin ne le nie pas non plus. C’est même la seule chose qu’il reconnait,
quand il dit : « Ils n’avaient pas d’autre fonction qu’aider, par
leur présence continuelle, l’évêque dans l’administration des sacrements
et de la doctrine. » Mais Calvin me semble se contredire quand (livre
4, chapitre 4, verset 2 des institutions) il enseigne que, dans les premiers
siècles, c’étaient les presbytes qui élisaient le pape, et qui gouvernaient
l’église avec lui en commun, l’évêque n’ayant rien de plus, dans
l’assemblée des presbytes, que n’avait un consul dans un sénat :
« Les presbytes élisaient l’un d’entre eux, auquel ils donnaient
d’une façon toute spéciale le titre d’épiscope. » Si cela
est vrai, il faut en conclure que ce que font aujourd’hui les cardinaux
quand ils élisent l’un d’entre eux, ou gouvernent l’église
comme des sénateurs ecclésiastiques, est une fonction très ancienne,
et même la plus ancienne de toutes.
Mais, ici, il faut faire l’observation suivante. Les trois
tâches cardinalices sont très anciennes toutes les trois, et ont même
été ébauchées au temps des apôtres. Mais ce n’est pas une
chose aussi ancienne que seuls les cardinaux remplissent la deuxième et
la troisième tâche. Car, depuis le temps des apôtres, et pendant plusieurs
années, pendant même plusieurs siècles, tous, en raison du petit nombre
de presbytes et de diacres, étaient appelés à élire ensemble un nouvel
évêque et à participer à des conciles. Il n’était pas nécessaire
alors de faire une distinction entre cardinaux et cardinaux, comme dans
les autres églises on ne faisait pas de distinction entre chanoines
et chanoines. Voilà pourquoi à toutes les fois que saint Cyprien
écrit au clergé de Rome, il n’écrit pas aux seuls cardinaux, mais
à tous les prêtres et les diacres de l’église romaine. Et ce
sont tous les presbytes et les diacres qui lui répondaient. Voir livre
2, épitre 7, livre 3, épitre 5 et 21é
Ensuite, quand les clercs furent devenus très nombreux, on les appelait
tous pour l’élection, mais tous n’étaient pas appelés au conseil,
les principaux seulement, ceux qu’on appelait à Rome et ailleurs, cardinaux.
C’est ce que nous montre le synode de saint Grégoire (livre 4, registre
chapitre 88). Car, parmi les 34 presbytes, les seuls à être présents
au concile furent les titulaires, c’est-à-dire les cardinaux.
Il est certain qu’il y avait alors beaucoup plus que trente-quatre presbytes..
Car, au temps de saint Corneille, vers 250, quand sévissaient encore
les persécutions et que régnaient les empereurs idolâtres, il y avait
à Rome 46 presbytes, comme le rapporte Eusèbe (livre 6, chapitre 33 de
son histoire) en citant la lettre du pape Corneille. Saint Grégoire a
vécu au septième siècle, quand il n’y avait plus un seul païen dans
la ville de Rome. Il vint ensuite un temps où les clercs devenus
trop nombreux ne furent même plus admis à l’élection du souverain
pontife. Seuls les cardinaux le furent, comme nous l’avons montré quand
nous avons parlé de la vocation des ministres.
Au sujet de la comparaison entre évêques et cardinaux, les auteurs
cités plus haut en parlent abondamment. Tous sont d’accord pour
affirmer que si on ne considère que le pouvoir d’ordre, un évêque
est plus grand qu’un cardinal presbyte ou diacre. Car, un évêque ordonne
des presbytes, et confirme des baptisés, et fait d’autres choses que
les cardinaux presbytes ou diacres ne peuvent pas faire. Voilà pourquoi
le souverain pontife se nomme évêque, non cardinal, appelle tous les
évêques ses vénérables frères, et les cardinaux ses fils bien-aimés,
comme il appelle les laïcs. De même, si nous considérons la juridiction
de chacun dans sa propre église, ou diocèse, ou le titre et la diaconie
de cardinal, un évêque est plus grand qu’un cardinal prêtre ou diacre.
Car la fonction d’évêque diocésain est plus grande qu’un simple
titre cardinalice. De plus, dans son diocèse, un évêque a, en
tant que pasteur propre et ordinaire, la plénitude de la juridiction.
Il peut légiférer, dispenser, punir, gracier etc. Or, n’étant
par son titre qu’un curé, un cardinal prêtre ou diacre est soumis
à un évêque, et ne peut faire que ce que l’évêque lui permet de
faire.
Mais si on regarde le gouvernement de l’église universelle, un cardinal
prêtre ou diacre est plus grand qu’un évêque qui n’est pas cardinal.
Car, à moins d’exceptions rarissimes, on n’appelle jamais les
simples évêques au gouvernement de l’église. Seulement quand
sont convoqués des conciles généraux. Les cardinaux, eux,
se tiennent quotidiennement près du pontife, sans les avis desquels
il n’entreprend ou ne décide rien. Et c’est pour cela que des évêques
sont jugés, créés, déposés par des cardinaux, en tant que coopérateurs
du pape, et non des cardinaux par les évêques. C’est pour cela
aussi qu’un cardinal précède un évêque non cardinal. C’est
cette raison que présente le pape Eugène 4, dans son épitre à l’évêque
de Kant, que Dominique Jacobus a transcrite, (livre 1, article 12 des conciles.)
Et avant Eugène, saint Bernard, dans son livre de la considération, quand
il parle des cardinaux. « Venons-en à tes collatéraux et à tes coadjuteurs.
Ce sont tes compagnons de tous les jours, tes intimes. » Et plus
bas : « Ceux qui ont à juger le monde ne doivent-ils pas être choisis
de par toute la terre ? » Et dans la lettre 188 écrite aux cardinaux
: « Personne ne doute que c’est à vous qu’il revient d’enlever
les scandales du royaume de Dieu, d’arracher les épines qui surgissent,
d’apaiser les querelles. » Et plus bas : « Agissez selon le lieu
que vous tenez, la dignité donc vous jouissez, et le pouvoir que vous
avez reçu. » Saint Bernard reconnait ici que les cardinaux ont
un pouvoir plus grand que celui des évêques.
Mais Calvin accourt au lieu déjà cité (livre 4, chapitre 7, verset
30), et nous oppose trois témoignages. « Je vois, dit-il, que ceux qui
étaient autrefois inférieurs aux évêques les surpassent maintenant
de beaucoup. » Elle est bien connue la dix-neuvième lettre de saint
Augustin à saint Jérôme. Bien que selon le langage officiel qui a prévalu
dans l’Église, l’évêque soit plus grand que le presbyte, cependant,
Augustin est, en beaucoup de choses, inférieur à saint Jérôme. Il ne
distingue donc pas un presbyte de l’église romaine des autres, mais
il les met tous étaux aux évêques. Ceci fut observé jusqu’au
concile de Carthage. Deux légats du siège romain étaient présents,
l’un évêque, l’autre prêtre. Or, le prêtre fut rejeté à
la dernière place. Et pour ne pas nous attarder à rechercher les
témoignages anciens, a été conservé un concile Romain présidé par
saint Grégoire, au cours duquel les prêtres se sont assis et on signé
au dernier rang. Aucun diacre n’a apposé sa signature au document.
Mais le témoignage de saint Augustin n’a rien à voir avec la question
débattue. Car, nous ne nions pas qu’un évêque soit plus grand
qu’un presbyte, mais qu’un cardinal soit plus grand qu’un cardinal.
Car un cardinal évêque précède toujours un cardinal prêtre,
et un cardinal prêtre précède toujours un cardinal diacre. Mais,
Calvin rétorque que « ce n’est pas n’importe lequel prêtre que saint
Augustin place au-dessus d’un évêque, mais Jérôme prêtre de l’église
romaine. » Je réponds que saint Jérôme n’était pas prêtre
de l’église romaine, mais de l’Église d’Antioche. C’est
ce qu’il atteste lui-même ( dans son épitre 61 à Pammachius, sur les
erreurs de Jean évêque de Jérusalem). Ne s’oppose pas à ce que j’avance
qu’il ait été parfois à Rome, et qu’il ait aidé le pape à écrire
ses lettres, comme il l’atteste lui-même dans sa lettre à Geruchia
sur le monogamie. Et même s’il a séjourné à Rome, il n’a
jamais eu de titre propre, ou une église à administrer comme l’ont
les cardinaux. Comme il venait tout juste de retourner à Rome et qu’il
était encore citoyen de Syrie quand il a écrit sa lettre à Pammachius,
il ne dit pas qu’il est un prêtre romain, mais antiochien. Car
il désirait montrer à l’évêque Jean de Jérusalem qu’il était
un prêtre d’une plus grande ville que celle de Jérusalem; qu’il n‘avait
donc pas abandonné son église pour aller chercher quelque chose dans
l’église de Jérusalem : « Nous avons quitté moi Antioche, et lui
Constantinople, des villes très célèbres, non pour louer ta prédication
populaire, mais pour que pleurant dans les champs et le désert les
péchés de jeunesse, nous fléchissions en notre faveur le Christ miséricordieux.
» Comme il est établi que l’église romaine a toujours été
supérieure à l’église d’Antioche, saint Jérôme aurait certainement
dit, s’il avait vraiment pu le dire, qu’il avait quitté, lui, Rome,
et l’autre Constantinople.
Le témoignage du concile de Carthage 1V ne prouve non plus pas grand-chose.
Car, même si, dans ce concile, le presbyte romain s’est assis après
les évêques, dans les concile de Nicée, d’Éphèse, de Chalcédoine,
dans les sixième, septième et huitième conciles généraux, les presbytes
romains étaient assis devant les évêques. Mais quoiqu’il en
soit bien ainsi, je reconnais qu’autrefois les simples évêques passaient
avant les cardinaux non évêques, et que le cardinalat fut même un degré
menant à l’épiscopat, comme Onuphrius l’enseigne dans son livres
sur les cardinaux, et comme nous le montre le premier livre de la vie de
saint Grégoire, au chapitre 7.
Après cela, est né l’ordre, et les cardinaux ont commencé
à être placés avant les évêques; et l’épiscopat est devenu un grade
menant au cardinalat. On peut assigner deux raisons à ce changement.
La première. Parce que c’est aux seuls cardinaux qu’était remise
l’élection du souverain pontife. Car, au temps où le clergé et le
peuple élisaient le pape, il n’est pas étonnant qu’il n’y ait pas
eu autant de cardinaux. Mais après qu’ils commencèrent à être
les seuls à les élire, et eux seuls, la plupart du temps, à être élus,
ce n’est pas sans cause que la dignité cardinalice ait été davantage
prisée. La deuxième. Seuls les cardinaux furent présents dans
le conseil du souverain pontife. Car, auparavant, les cardinaux n’étaient
ni les seuls ni même les plus importants conseillers du pape. Car
dans les premiers six cents ou huit cents ans, pour porter un jugement
sur des choses particulièrement graves, les papes convoquaient des conciles
nationaux d’Italie. Dans ces conciles, étaient présent, certes, les
cardinaux prêtres, mais les évêques tenaient le premier rang.
C’est ce que nous font connaitre les tomes des conciles, qui nous
rapportent plusieurs conciles romains, ou latérans, célébrés entre
300 et 800. Il n’y avait donc pas de raison, à cette époque,
pour que les cardinaux prêtres soient placés avant les évêques, puisque,
alors, les évêques n’aidaient pas le pape dans le gouvernement de l’église
moins que les cardinaux, mais beaucoup plus. Ensuite, grossirent
les affaires de l’église romaine, surtout quand au temps de Pépin et
de Charlemagne, elle reçut la principauté temporelle. Le souverain
pontife eut alors besoin de beaucoup plus de conseillers qu’avant.
C’est pourquoi, par l’enseignement de l’usage et la contrainte de
la nécessité, dans les dernières années du septième siècle et du
huitième siècle, on laissa tomber en désuétude les conciles épiscopaux,
et toutes les questions furent remises au sénat des cardinaux. Que
cela ait pu être fait, et bien fait, il est impossible d’en douter.
Car le pontife n’est pas tenu de choisir comme conseiller, un tel plutôt
qu’un autre.
Ce choix eut, de plus, de grands avantages. Le premier.
Le pontife a constamment à sa disposition un sénat qu’il peu convoquer
à n’importe lequel moment, pour traiter des choses les plus urgentes.
Le deuxième. Cela ne se fait pas au détriment des églises particulières.
Car les conciles épiscopaux ne peuvent pas toujours être rassemblés
sans préjudice aux églises particulières, puisqu’une absence prolongée
des pasteurs est souvent pernicieuse. Le troisième.
Les conseillers sont plus informés et expérimentés, puisqu’ils ne
font toujours que cela. Une fois légitimement faite cette mutation
d’un conseil pontifical d’évêques à un conseil de cardinaux seuls,
il aurait été étonnant qu’une mutation de dignité n’ait pas aussi
pris place.
Mais il nous plait, à la fin de cet exposé, de noter à quel point
répugnent les paroles de Calvin dans sa dernière dispute (chapitre 7,
livre 4, dans ses institutions). Dans le dernier paragraphe il admire
le nombre imposant de cardinaux : « Je ne sais pas ce qui est arrivé
pour qu’ils émergent subitement en un si grand nombre. » Et un
peu plus bas : « Maintenant, leur sort est tellement changé qu’ils
sont devenus les parents des rois et de César. Sans aucun doute, ils ont
cru insensiblement avec leur tête, jusqu’à être investis de l’éclat
de cette dignité. » Et il ajoute ensuite juste le contraire : «
Il fallait que l’église soit remplie de ceux dont Malachie a parlé
: Vous êtes sortis de la voie, et vous avez fait en sorte que plusieurs
offensent le législateur. C’est pour cela que je vous ai rendus vils
et méprisables à tout le peuple. » Comment, je le demande, ces
deux affirmations peuvent-elles aller de pair ? Comment peuvent-ils être
en même temps parents des rois et de César et être avilis
et méprisables aux yeux du peuple ?
CHAPITRE 17
Les chorépiscopes
Nous avons jusqu’ci parlé de la distinction entre les clercs et
leurs devoirs respectifs, telle qu’elle existe encore aujourd’hui dans
l’église catholique. Il semble bon de devoir ajouter quelques
mots sur les chorépiscopes, sur leurs noms et leurs fonctions, même s’ils
sont complètement disparus de nos jours.
On appelait chorépiscopes des presbytes qui dans les villages ou les
petites villes, avaient le soin des âmes, comme aujourd’hui les
curés de paroisses. On les appelait chorepiscopes, ou, comme le pape Damase
l’indique dans son épitre 3, des évêques de villages ou de petites
villes. Car Kora, en grec, signifie ville ou région. Ou plutôt,
comme les conciles de Néocésarée (au canon 13) et d’Antioche (au canon
8) l’enseignent, des vicaires épiscopaux ou vicaires des évêques,
ou tenant la place d’un évêque. Ces chorépiscopes ne pouvaient
pas ordonner des prêtres ou des diacres, ni oindre le front des fidèles
avec le saint chrême, ni consacrer des temples ou des autels. Ils
pouvaient faire toutes les autres chose que faisaient les évêques, comme
nous le font connaitre les conciles d’Ancyre (canon 12), d’Antioche
(canon 10), et d’Espagne 2, (canon 7), ainsi que la lettre du pape Damase
3, celle de Léon 86 ou 88, et celle de Jean 111 aux évêques d’Allemagne
et des Gaules.
Mais une question ici se présente. Était-il permis aux chorévêques
d’ordonner des sous-diacres ? Car, dans le concile d’Antioche, le canon
10 déclare clairement que cela leur est permis. Que cela ne leur
soit en aucun cas permis, le pape Damase l’affirme, avec autant de clarté,
dans son épitre 3. Les conciles et les pontifes cités plus haut nient
qu’il soit permis aux chorépiscopes d’ordonner des prêtres ou des
diacres, sans rien préciser au sujet des sous-diacres et autres ordres
mineurs. Je réponds que certains chorépiscopes avaient vraiment
reçu la consécration épiscopale. On les appelait chorépiscopes
parce qu’ils n’avaient pas d’église propre, et exerçaient leur
ministère dans un autre diocèse, comme ceux qu’on appelle aujourd’hui
titulaires ou suffragants. D’autres étaient des chorépiscopes
tout court, c’est-à-dire des presbytes, qui dans les villages ou les
petites villes, représentaient d’une certaine façon l’évêque. Le
concile d’Antioche semble parler des premiers, comme Damase l’a noté
dans son épitre 3, car, c’est ainsi que commence le canon : « les chorépiscopes
qui ont reçu l’imposition des mains par les évêques, et qui ont été
ordonnés évêques. » Dans ce canon, le concile ne parle donc pas
de n’importe lequel chorépiscope, mais seulement de ceux qui ont été
consacrés évêques par plusieurs évêques. Ensuite, dans le même
canon, le concile ne permet pas seulement à ces chorépiscopes d’ordonner
des sous-diacres, mais aussi des diacres et même des presbytes, si l’évêque
du lieu le permet. Il appert clairement de ce texte que ces chorépiscopes
sont de vrais évêques.
De plus, à la fin de ce canon (« le chorépiscope doit être ordonné
par l’évêque du lieu), ce n’est plus des mêmes chorépiscopes qu’on
parle, mais des autres. Car le concile a voulu statuer par
une loi que le chorépiscope soit ordonné par un seul évêque (au lieu
de trois) pour qu’il ne soit qu’un presbyte, et non un évêque.
C’est de ce genre de chorépiscopes que traite le pape Damase dans son
épitre 3, quand il dit qu’il n‘est pas permis aux chorépiscopes d’ordonner
des sous-diacres. Les autres conciles et les pères qui nient qu’il
soit permis aux chorépiscopes d’ordonner des diacres, et qui ne disent
rien des sous-diacres, semblent, par diacres, entendre aussi les sous-diacres,
puisque l’un et l’autre sont des ordres sacrés, et sont souvent appelés
du même non par les pères. S’il était possible de prouver qu’il
avait été parfois accordé aux chorépiscopes du second genre d’ordonner
des sous-diacres, il faudrait ajouter que cela s’est produit en vertu
d’un privilège ou d’une concession, du genre de celle qui est accordée
aux prêtres, en certains endroits, en l’absence de l’évêque, de
confirmer des baptisés. Voir ce que saint Ambroise écrit des prêtres
d’Égypte, dans son commentaire du chapitre 4 de la lettre de saint Paul
aux Éphésiens. Que cela suffise pour la différence qu’il y a
entre les clercs, et leurs devoirs respectifs.
CHAPITRE 18
Le célibat des prêtres.
Le célibat imposé
aux ordres sacrés est-il de droit divin ou pas ?
Suit la quatrième dispute, qui est celle du célibat, ou de la continence
des hommes sacrés, qui sera tripartite. La première. Le célibat imposé
aux ordres sacrés est-il de droit divin ? La deuxième. S’il ne l’est
pas, est-il au moins de droit apostolique, et cela a-t-il était fait correctement
? La troisième. Est-ce que les remariés sont exclus des ordres
sacrés ? Pour commencer par le commencement, Jean le majeur (4 dist
24, question 2) a été d’opinion que le voeu solennel des prêtres était
de droit divin, et donc non dispensable. Clichtovaeus a enseigné presque
la même chose (dans la continence des prêtres, chapitre 4 et suivants).
Il enseignait deux choses qui ne me semblent pas aller très bien ensemble.
La première. Il est de droit divin que celui qui a été initié
aux saints ordres ne peut pas se marier, et qu’aucune dispense ne peut
lui être accordée. La deuxième. Ceux qui se sont mariés ne peuvent
pas être initiés aux saints ordres, à moins qu’ils ne veuillent pratiquer
la continence. Il dit que c’est un précepte de l’église décrété
d’abord par le pape Syricius, et qu’il n’a jamais été reçu
par l’église orientale. Il fut donc permis aux prêtres dans toute l’église,
d’user des épouses qu’ils avaient avant leur ordination à la prêtrise,
et cela jusqu’au temps du pape Syricius. Dans l’Église orientale
cela est encore permis, comme ça l’a toujours été.
Or, saint Thomas (2.2. question 88, araticle 11, enseigne explicitement
que le vœu de continence a été annexé aux ordres sacrés uniquement
par un décret ecclésial, et donc dispensable. Cajetan enseigne
la même chose (dans les opuscules, tome 1, traité 27), ainsi que Sotus
(livre 7, de la justice, question 6, article 2). Il enseigne également,
ce que je pense moi aussi, que ce décret qui annexait le vœu de continence
aux ordres, n’était pas divin en lui-même, mais seulement apostolique;
et que, depuis le temps des apôtres, il a été observé dans l’église
pendant longtemps. Mais, comme dans le chapitre suivant, nous confirmerons
cela contre les hérétiques, il suffit maintenant de prouver brièvement
que ce n’est pas de droit divin que le mariage a été interdit aux prêtres,
et que l’église peut donc en dispenser.
On le prouve d’abord par l’une des deux propositions de Clichtovaeus,
à savoir que ce n’est pas de droit divin que des prêtres qui étaient
mariés avant d’être ordonnés, doivent s’abstenir de leur épouses.
Car, le mariage n’est pas en opposition avec la prêtrise de par son
essence, mais en raison du devoir conjugal et de ses obligations.
Car, si c’était Dieu qui avait interdit le mariage aux prêtres, il
l’aurait certainement prohibé à cause de l’acte conjugal qui rend
l’homme entièrement charnel, et inapte aux choses divines. Et aussi
à cause de l’entretien d’une maison et du soin des enfants, toutes
choses qui engendrent de grandes distractions. Mais pas seulement
à cause du seul sacrement conjugal, ou à cause du contrat matrimonial,
qui se célèbre par le seul consentement des âmes, et qui est une
chose très brève et très honnête. Si donc il était permis aux
prêtres, de droit divin, de garder la femme qu’ils avaient avant leur
ordination, et d’en user en tant que maris, pourquoi, je le demande,
cela ne serait-il pas permis après l’ordination ? Ajoutons que
les raisons que fait siennes Clichtovaeus sont toutes tirées de la pureté
qu’exigent les charges sacerdotales. Ce qui répugne à cette pureté,
ce n’est certes pas le fait de se marier ou de s’être marié, mais
de cohabiter avec une épouse.
Chlictovaeus concède donc que le droit divin n’interdit pas
aux prêtres déjà mariés d’user de leurs épouses. Mais pour les quelques-uns
qui en doutent, il le prouve par le fait que l’Église romaine a, pendant
plusieurs siècles, permis aux Grecs orthodoxes d’user des épouses qu’ils
avaient avant leur ordination. Voir le chapitre cum olim, sur les clercs
mariés. Ajoutons le témoignage de saint Grégoire (livre 1, épitre 42)
où il permet aux sous-diacres d’user librement des épouses qu’ils
avaient avant leur ordination, même s’il a interdit par la suite
d’ordonner ceux qui ne voudraient pas vouer la chasteté.
On le prouve, en second lieu, du fait que, dans l’Écriture, il n’existe
aucun précepte de ce genre. Car, dans l’ancien testament, il était
permis aux prêtres de se marier. Et, dans le nouveau, le Seigneur
n’a rien dit à ce sujet. L’apôtre, il est vrai, dans les épitres
à Timothée et à Tite, ordonne d’élire des hommes chastes comme évêques
et diacres. Or, ce précepte de saint Paul n’est pas divin, mais apostolique.
Nous y reviendrons.
Ils nous objectent, eux, la bénédiction de Moïse (Deutéronome,
chapitre 33). Ce qui y est dit des lévites, est, selon eux, dit
des prêtres chrétiens : « Ceux qui dirent à leur père et à leur mère
je ne vous connais pas, et qui ignorèrent les fils ». Mais cet oracle
divin n’est pas un précepte divin. Que ce soit en vertu d’une
loi divine ou humaine que les prêtres se privent de mariage, la parole
de Moïse s’accomplit. Ils nous objectent aussi les paroles du
Christ en Luc 21 : « Voyez à ce que vos cœurs ne soient pas appesantis
par l’ivresse, et les soucis de ce monde. » Selon saint Léon
(sermon 8 sur le jeûne), ces paroles s’appliquent particulièrement
aux prêtes. Je réponds. Ils se trompent manifestement ceux qui
présentent cet argument. Car, saint Léon dit explicitement que
ce précepte du Christ s’applique à tous les fidèles, mais
à nous particulièrement qui sommes plus près du jour du Seigneur.
Ensuite, saint Paul ordonne qu’on élise évêque « quelqu’un qui
gouverne bien sa maison, qui maintient ses fils dans la soumission en toute
chasteté. » Les paroles du Christ ne sont pas contraires à celles
de saint Paul. Jésus, il est vrai, ne parle pas du soin des l’épouse
et des enfants, mais de ne pas être alourdi par des soucis mondains.
Mais, disent-ils, la raison naturelle dicte que le ministère le plus
pur doive être exercé par des continents. Je réponds que c’est
bien ce que dicte la raison, mais comme une chose convenable, non absolument
nécessaire. On le prouve, en troisième lieu, par le
concile d’Ancyre, chapitre 10, où il est dit que les diacres peuvent,
avec la permission de leur évêque, se marier, même après avoir reçu
le diaconat. Ce n’est donc pas de droit divin, car les évêques
ne peuvent pas dispenser du droit divin. Or, ce concile est très
ancien et confirmé par le pape Léon, (dist 20, canon de libellis).
On peut ajouter enfin comme preuve que les conciles et les pères, que
nous allons citer dans le prochain chapitre, affirment souvent que c’est
une loi ecclésiastique. Et c’est ce que nous lisons aussi dans
le concile de Trente (session 24, canon 9).
CHAPITRE 19
Le célibat a été, par un droit apostolique, correctement annexé
aux ordres sacrés
Nous voici rendus à la question suivante : est-ce que le célibat
perpétuel a été correctement annexé aux ordres sacrés ? Nous
avons deux erreurs à réfuter, celle des Grecs, et delle des Luthériens.
La première. Il faut que les clercs se marient avant de recevoir
les ordres sacrés, car, après avoir les reçus, il ne leur est pas permis
de le faire, et parce que celui qui vit sans femme s’expose à un trop
grand danger de fornication. On pense que l’auteur de cette erreur
est Nicolas, un des sept premiers diacres. Mais quoi qu’il
en soit, il est attesté que Vigilance l’a enseignée, selon saint Jérôme
(au début de son livre contre Vigilance) : « Il dit avoir pour complices
de son crime des évêques funestes, si du moins on doit appeler évêques
ceux qui n’ordonnent des diacres qu’après qu’ils se soient mariés,
ne créditant aucun clerc de la pudicité ». C’est cette erreur
que les pères du concile de Trullo ont accréditée, autour de l’année
700, comme on le voit au canon 13. Ce concile profane blâme nommément
les canons de l’église romaine et statue le contraire, à savoir que
les clercs se marient avant le sous-diaconat, et qu’ils vivent ensuite
avec leurs épouses quand ils auront reçu les autres ordres. C’est au
temps de ce synode qu’est commencée la coutume grecque qui prévaut
aujourd’hui. Elle s’est consolidée et confirmée au temps du
pape Léon 1X, quand la dissension entre les Grecs et les Latins éclata,
et se formula en plusieurs articles. Nous avons encore le livre du cardinal
Humbert écrit à cette époque sur ce sujet, contre l’abbé Nicéta,
qui défendait alors avec acharnement cette coutume des Grecs.
La deuxième erreur est de beaucoup plus grave. On peut prendre
femme non seulement avant l’ordination, mais même après l’ordination.
Celui qui posa les fondements de cette erreur est Jovinien.
Il soutenait que la virginité ne l’emporte pas sur le mariage.
Il s’ensuivait que c’était sans raison aucune et inutilement que les
prêtres se privaient d’épouses. Après avoir entendu Jovinien
prêcher, certaines moniales se marièrent, comme le rapporte saint Augustin
(dans son livre sur les hérésies, chapitre 82). Mais cette hérésie
ne fit pas long feu, et s’éteignit sans même entrainer un seul prêtre
à renoncer à son vœu de continence.
Le premier qui enseigna ouvertement qu’il était permis de prendre
femme après l’ordination fut Jean Wiclif, comme le rapporte Thomas
Waldensis (tome 2 des sacrements, chapitres 128, et 129, et tome
3 sur les sacramentaux, chapitres 66 et 67). D’autres l’ont suivi
ensuite comme Luther, (live 2 de l’abrogation de la messe privée), Pomeranus
(livre du mariage des évêques), les magdebourgeois (dans toutes les centuries
d livre 7, et surtout la onzième, chapitre 7, colonne 389). Ils
disent là que c’est « l’hérésie la plus infecte de toutes celles
qui ont empesté et perturbé le royaume chrétien ». De même Bèze
et le martyr, (dans la première aux Corinthiens, 7), Philippe Melancthon
(dans sa confession augustinienne, article 23, et dans son apologie du
même article. » Calvin (livre 4, chapitre 12, verset 23 de ses
institutions), Brentius (dans sa confession de Wittemberg, au chapitre
du mariage). Ensuite, Érasme (dans son livre sur la louange
du mariage) juge utile que le droit de se marier soit concédé aux prêtres.
Pense de la même façon Panormitanus, un savant auteur catholique, (dans
le chapitre cum olim, sur les cleercs mariés.) J’ai entendu dire
que Kemnitius, dans la troisième partie de son examen du concile de Trente,
a traité du célibat des prêtres, mais son livre, je ne l’ai pas encore
vu. Et si on pouvait apporter d’autres développements provenant
d’autres auteurs, cela ne pourrait pas apporter grand-chose de nouveau
à tout ce que les centuriates et Calvin ont recueilli.
Contre ces erreurs, nous prouverons que le vœu de chasteté a été
annexé aux ordres sacrés de façon à ce qu’on ne puisse ni se
marier après l’ordination, ni user des épouses acquises avant
l’ordination. Et cela, de par un droit positif, mais très
ancien et très équitable, qu’il ne convient en aucune façon de relâcher.
On le prouve d’abord, par les Écritures. Saint Paul (épitre à Tite,
chapitre 1) : « Il faut que l’évêque soit hospitalier, bon, sobre,
juste, sain, continent. » Il est à noter que le mot grec que nous
rendons pas sobre est sophôna. Ce mot, comme le dit saint Jérôme
est ambigu. Il peut signifier prudent, sobre, chaste. Son vrai sens
ici est chaste. Et parce que la chasteté est commune même aux époux,
saint Paul ajoute continent. « Il s’abstient des embrassements de l’épouse
», selon l’explication de saint Jérôme. De même (dans l’épitre
2 à Timothée, chapitre 2) : « Travaille comme un soldat du Christ Jésus
! Parmi ceux qui militent pour Dieu, personne ne s’immisce dans les affaires
séculières. » L’apôtre prescrit à l’évêque de militer énergiquement
pour Dieu. Personne ne nierait que les noces soient des affaires séculières.
Car, comme saint Basile l’enseigne (dans la préface de ses
constitutions monastiques) : « Les noces sont des fers aux pieds. » Le
même apôtre (1 Corinthens, 7) ordonne aux époux de s’abstenir
de relations conjugales de temps en temps, pour pouvoir s’adonner à
l’oraison. Saint Jérôme en déduit donc (chapitre 1 à Tite,
et livre 1 à Jovinien) qu’il prescrit aux évêques et aux autres hommes
sacrés, de s’abstenir à perpétuité de l’œuvre du mariage, puisque
c’est à chaque jour qu’ils doivent s’adonner à la prière.
Origène se sert de ce même argument (homélie 23 sur les Nombres), ainsi
qu’Épiphane dans l’hérésie des Cathares.
De plus, dans l’ancien testament, nous voyons que la continence des
femmes était requise pour qui s’approchait de Dieu, ou avait à régler
une chose sainte quelconque. Car (dans l’Exode 12), on commande
à ceux qui sont sur le point de manger l’agneau pascal de ceindre leurs
reins, ce qui veut dire, comme l’explique saint Grégoire (homélie 22
sur l’évangile) « que doivent dompter les voluptés de la chair ceux
qui mangent l’Agneau pascal ». Et, dans l’Exode 19, quand
le peuple était sur le point de recevoir de Dieu la loi, Moïse leur dit
: « Tenez-vous prêts pour le troisième jour, et ne vous approchez pas
de vos épouses ! » C’est de ce témoignage dont se sert saint
Ambroise (livre 1, de officiis, dernier chapitre), pour prouver la continence
des clercs. De même, dans l’Exode, Dieu prescrit à Aaron
et à ses fils de se vêtir de vêtements féminins des reins jusqu’au
fémur (femora). En expliquant ce texte, saint Bède le vénérable
(livre 3 du tabernacle, chapitre 9), dit que les prêtres du nouveau testament
doivent être vierges, ou dissoudre les alliances contractées avec leurs
épouses. De même (1 Rois 21) le prêtre Abimélech ne voulut
pas donner à David et ses soldats les pains de proposition, avant
d’avoir compris qu’ils s’étaient abstenus de tout contact avec leurs
épouses. Saint Jérôme en déduit que (au chapitre à Tite),
« est requise la continence perpétuelle aux prêtres, même à ceux qui
vivent avec leurs épouses, parce qu’ils consacrent, mangent et distribuent
le corps du Christ qui était représenté par ce pain de proposition.
»
On apprend du livre 1 des paralipomènes, chapitre 24 et Luc 1, que
les prêtres de l’ancien testament avaient coutume d’être ministres
tout à tour; et qu’ils ne s’abstenaient de leurs maisons et de leurs
épouses qu’aux jours où ils célébraient dans le tabernacle. Le pape
Syrice (dans son épitre à Himericus), et Innocent ! (dans son épitre
à Victricius), ainsi que Bède le vénérable (au chapitre 1 de saint
Luc), font la déduction suivante. Si les prêtres de l’ancien
testament s’abstenaient de leurs épouses les jours où ils avaient à
officier dans le temple, il convient tout à fait que nos prêtres qui
n’officient pas à tour de rôle, mais à tous les jours, s’abstiennent
continuellement de leurs épouses. Jean Calvin s’efforce de désamorcer
cet argument (livre 4, chapitre 12, verset 25) en disant que « les prêtres
lévitiques étaient des images du Christ, et que c’est parce qu’ils
ne pouvaient pas représenter exactement l’excellence et la sainteté
du Christ, qu’on leur a ordonné de se purifier d’une façon qui transcendait
les mœurs humains. Cette prescription ne s’impose donc plus
maintenant, car par l’avènement du Christ, les figures et les ombres
cessèrent ».
Mais que vaut cette explication de Calvin ? Car, comme les prêtres
lévitiques étaient une figure du Christ à venir, les prêtres chrétiens
représentent le Christ qui est venu. Car, quand il performe les
saints mystères, le prêtre tient la place du Christ, et c’est pour
cette raison qu’en sacrifiant, il ne dit pas : ceci est le corps du Christ,
mais ceci est mon corps. Il est lui-même le Christ agissant en lui et
par lui. Et c’est ce que représentent les ornements des vêtements sacrés.
La première raison pour laquelle les prêtres lévitiques devaient s’abstenir
de leurs épouses n’était pas parce qu’ils tenaient la place du Christ,
mais parce que ils étaient les ministres du Seigneur. Exode 19 :
« Que les prêtres qui accèdent à Dieu se sanctifient pour qu’il ne
les frappe pas ! » Car, David a toujours été la figure du Christ,
mais on ne lui a pas commandé de s’abstenir de femme que quand
il s’apprêtait à manger du pain consacré, comme nous l’avons déjà
dit. Si, parce qu’ils représentaient Dieu, ces prêtres durent
se purifier d’une manière non humaine, à plus forte raison doivent
se purifier ceux qui servent quotidiennement le Christ dans leur ministère.
On le prouve, en seconde lieu, par les témoignages des conciles antiques
de l’Église universelle. Et d’abord, de l’église orientale.
Nous avons le concile d’Ancyre, au canon 10, célébré il y a 1200 ans,
où il est dit : « Les diacres qui, pendant leur ordination, ne protestent
pas contre l’interdiction de se marier, ne peuvent pas prendre
femme après leur ordination. S’ils protestent, ils peuvent se
marier, car alors on considère qu’ils ont la dispense de leurs évêques.
» De même, le concile néocésarien, célébré un peu après,
dit au chapitre 1 : « Si un presbyte prend femme, il sera chassé de son
ordre. » Le concile de Nicée 1, au chapitre 3, « interdit à un
évêque, à un presbyte et à un diacre d’avoir une femme dans sa maison
qui ne soit ni sa mère, ni sa sœur, ni sa tante ». Le mot épouse
n’est pas prononcé, et c’est d’elle qu’on parlerait d’abord
s’il lui était permis de vivre avec elle. De même. Pourquoi
interdit-on aux clercs la cohabitation avec des femmes, s’ils peuvent
avoir des épouses ? Les épouses ne peuvent-ils pas avoir des servantes
dans la même maison ? Ensuite, le synode de Trullo (canon 6) «
interdit aux évêques, aux prêtres, aux diacres et sous-diacres, de prendre
femme après leur ordination ». Et le canon 48 interdit aux évêques
de cohabiter avec leurs épouses.
L’église de Carthage nous présente un insigne témoignage.
Car, voici ce que prescrit le concile carthaginois 11, canon 2 : « Il
plait à tous que les évêques, les prêtres, les diacres, et tous ceux
qui qui confèrent les sacrements soient des gardiens de la pudicité,
et s’abstiennent même de leurs épouses. » Et il en donne la
raison : « Pour que ce que les apôtres ont enseigné, et qu’a conservé
l’antiquité, nous le gardions nous aussi. » Ce témoignage réfute
non seulement les luthériens mais aussi les catholiques qui veulent que
ce décret sur la continence du sacerdoce ait commencé par le pape Syricius.
Or, ces pères témoignent qu’il date des apôtres eux-mêmes.
Le concile de Carthage 5, canon 3, et le concile africain (canon
37) disent la même chose. Nous avons aussi le concile romain
de l’Église italique, sous Sylvestre (canon 8) qui interdit aux sous-diacres
d’oser prendre femme par un moyen quelconque. Pour les églises
gauloises, nous avons le concile d’Arles 11, célébré il y a 1700 ans.
Le canon 12 met en garde « de ne jamais mener au sacerdoce quelqu’un
qui est déjà marié, à moins qu’il promette de pratiquer la continence
avec son épouse ». De même, le concile de Tours 1, canons 1 et
2, et le concile de Tours 2, canon 20, celui d’Agathe, chapitre,
et d’Aurélie 111, canon 2. : «Qu’aucun clerc, depuis le sous-diacre
jusqu’au sommet, n’use de son épouse, s’il en a une à lui »
Nous avons aussi le concile d’une église d’Espagne qui a été
tenu avant l’époque du pape Syricius (canon 33) : « Il a plus à tous
que les évêques, les prêtres, les diacres et les sous-diacres s’abstiennent
de femmes épouses, et n’engendrent pas d’enfants. » Les conciles
de Tolède 2 (chapitre 1), Tolède 1V (chapitre 26) et Tolède 8 (chapitre
6) interdisent des épouses aux sous-diacres aussi. Pour
ce qui en est des églises allemandes, nous avons le concile de aquisgranense
au temps de Louis 1, (chapitre 6), celui de Wormaciense, (chapitre 9) :
« Il a plu que les évêques, les presbytes, les diacres et les sous-diacres
s’abstiennent d’épouses, et ne génèrent pas d’enfants. »
Ensuite, le concile de moguntinus au temps de l’empereur Arnulphe, a
statué au chapitre 10 « qu’aucune femme n’ait la permission d’habiter
avec un ecclésiastique, à moins qu’elle ne soit sa mère ou sa
sœur ». Il appert de tout cela que ce que Philippe a écrit dans
la confession augustinienne (article 23)—à savoir que le célibat a
été imposé aux clercs en Germanie il y a quatre cents ans,--est complètement
faux. Car, les conciles cités, ont été célébrés en Germanie
il y au moins 700 ans. Ce n’est pas un moindre mensonge ce qu’il
dit dans son apologie, à savoir qu’aucune loi sur le célibat
des clercs n’a été votée en concile général; et que les conciles
romains présidés par le pape ont été les seuls à le prescrire.
On le prouve en troisième lieu par les témoignages des anciens pontifes.
Saint Clément 1 (canons apostoliques, canon 27) : « Au sujet des noces
qui se rapportent aux clercs, nous prescrivons qu’ils peuvent se marier
s’ils le désirent, mais seulement les lecteurs et les chantres. »
Ce que l’on dit des lecteurs et des chantres, il faut l’entendre également
de tous les autres ordres mineurs, puisque la raison invoquée est la même
pour tous. C’est ce qu’indique Calixte 1 (cité par Gratien,
dist 27 canon des presbyteris), : « Nous interdisons formellement aux
prêtres, aux diacres, aux sous-diacres et aux moines d’avoir des concubines
ou de contracter un mariage. » Et, dans l’épitre à Himericus,
chapitre 7 (que Calvin reconnait), il interdit à ceux qui sont dans les
choses sacrées les relations sexuelles avec une épouse. Un peu
après, Innocent 1 confirma la même chose (dans sa lettre à Victricius,
chapitre 9, et dans sa lettre à Exuperius, chapitre 1). Ainsi que
le pape Léon (épitre 82 à l’évêque Anastase de Thessalonique, chapitre
4, et dans l’épitre 90 à Rusticus Narbonensis, chapitre 3. Également,
saint Grégoire (épitre 1, 42, livre 1, et épitre 34, livre 3).
Ainsi que le pape Zacharie (dernière lettre à Boniface, évêque de Germanie,
avant les années 800). Voilà qui met plus en lumière le mensonge
de Philippe.
Mais j’ai le goût de rapporter les paroles du pape Léon dans son
épitre à Anastase, car elle réfute non seulement les luthériens mais
aussi les Grecs. Voici donc ce qu’il a écrit aux Grecs : « L’élection
de tous les prêtres est si excellente que ce qui, dans les autres membres
de l’église se fait sans faute, est pour eux illicite. Ceux qui
sont établis en dehors de l’ordre des clercs sont libres de s’adonner
à l’union du mariage et à la procréation d’enfants. Mais,
pour conserver la pureté de la continence parfaite, n’est concédée
pas même aux sous-diacres la cohabitation charnelle, pour que ceux qui
ont soient comme n’ayant pas, et pour que ceux qui n’ont pas demeurent
célibataires et non mariés. S’il convient, dans l’ordre
qui est le quatrième en dignité, de se conserver ainsi, à plus forte
raison dans le deuxième et le troisième, pour que soit estimé inapte
au ministère lévitique, à l’honneur presbytéral ou à l’excellence
épiscopale celui qui ne s’est pas montré capable de mettre un frein
à l’assaut des voluptés. » Ajoutons à cela les témoignages
formels des empereurs que l’on trouve dans le codex des évêques et
des clercs.
On le prouve quatrièmement, par les témoignages des anciens pères
grecs et latins. Origène (homélie 23 sur le livre des Nombres)
: « Il est certain qu’est interdit le sacrifice perpétuel à ceux qui
s’abandonnent aux voluptés conjugales. C’e qui me fait penser
que seul est digne d’offrir le sacrifice celui qui s’est voué à une
chasteté perpétuelle. » Eusèbe (livre 1, démonstration évangélique,
chapitre 9) : « Il convient à ceux qui sont consacrés et qui sont chargés
du ministère et de l’administration des sacrements, de s’abstenir
de toute relation sexuelle avec une épouse. » Épiphane (à la
fin de son œuvre contre les hérésies) : « On choisit pour le sacerdoce
les vierges, ou les moines, ou, si ceux-là ne suffisent pas pour les besoins
du ministère, ceux qui s’abstiennent des relations sexuelles avec leurs
épouses. Et le veuf qui a été continent depuis le début peut
aussi être choisi comme évêque, prêtre, diacre et sous-diacre. »
Il dit la même chose (à l’hérésie 59, qui est celle des Cathares)
: « L’Église ne choisit pas pour diacre, prêtre, évêque ou sous-diacre,
un homme d’une seule femme qui élève encore des enfants, mais
celui qui a vécu dans la continence avec une seule, ou qui est veuf.
Surtout là où sont reconnus les canons apostoliques. Mais, tu me
diras que, dans certains endroits, des prêtres, des diacres et des sous-diacres,
continuent à élever des enfants. C’est vrai, mais ce n’est
pas selon les canons, mais selon l’esprit des hommes qui s’alanguit
avec le temps. »
Saint Jean Chrysostome (homélie 2 sur la patience de Job) : « Il
a dit l’homme d’une seule femme, non de la façon dont cela est observé
actuellement dans l’Église. Car, il faut qu’un prêtre soit
orné de toute la chasteté. » Grégoire de Nysse (dans livre sur
la virginité, chapitre ultime) : « Comment rempliras-tu la tâche de
prêtre de Dieu, toi qui as été oint pour offrir le sacrifice ?
Comment pourras-tu l’offrir à Dieu si tu n’obtempères pas à la loi
qui interdit à un impur d’offrir les choses sacrées ? Et si tu
t’attends à ce que Dieu t’apparaisse, pourquoi n’écoutes-tu pas
Moïse qui a prescrit au peuple de se garder pur de toute relation charnelle
pour jouir de la vue de Dieu ? » Saint Cyrille (catéchèse
12) : « Celui qui, auprès de Jésus, s’acquitte bien de son sacerdoce,
s’abstient de la femme. Jésus lui-même comment aurait-il pu provenir
d’un homme et d’une femme ? » Oecumenius (chapitre 3 de la première
à Timothée, aux mots : un homme d’une seule épouse) : « Il n’a
pas statué qu’un évêque dépende d’une épouse, ou qu’il ait nécessairement
une épouse, mais que s’il en a une, il ne soit pas au moins bigame.
Mais, une fois appelé à la charge d’évêque, il doit remplir parfaitement
sa tâche, c’est-à-dire que ceux qui ont des épouses soient comme n’en
ayant pas. »
Chez les latins, maintenant. Cyprien, ou un autre auteur
éventuel, (dans le livre de la singularité des clercs) affirme qu’il
lui a été révélé par Dieu que les clercs ne doivent pas avoir de femmes
dans leurs maisons. Et c’est ce que prouve tout le livre.
Il ne faut pas se scandaliser si, dans le dernier livre, (comme Pierre
le martyr l’a noté), il parle ainsi : « Si quelqu’un a une mère,
ou une fille ou une sœur, une épouse ou une tante, qu’il la garde pour
qu’aucune servante ne soit présente. » Car, il parle d’une
épouse qui a, en même temps que lui, voué la continence.
On trouve quelque chose de semblable dans le concile 2 d’Arles, canon
3 : « Si quelqu’un des clercs, à partir du diaconat, présume garder
près de lui pour sa consolation une femme autre que sa grand-mère, sa
mère, sa sœur, sa fille, sa tante, ou une épouse qui s’est convertie
avec lui, qu’il soit excommunié ! » Car, si saint Cyrille concédait
une épouse aux clercs dont il pourrait user librement, il irait contre
tout son livre, et même contre son titre : « de la singularité des clercs).
Saint Ambroise (livre 1, des devoirs, chapitre ultime) : « Le ministère
doit être sans tache et immaculé, et vous saurez qu’il ne doit être
violé par aucune relation conjugale, vous qui, dans un corps intègre,
une pudeur non corrompue, étrangers même à l’union conjugale, avec
reçu la grâce du saint ministère. Je me sens obligé d’en parler,
parce que, dans la plupart des lieux éloignés, les prêtres élèvent
des enfants en exerçant le ministère. » La même chose dans l’épitre
82 à l’église de Vercellensem : « Ayant des enfants, a dit l’apôtre,
non faisant des enfants. » Et, dans le chapitre 1 de l’épitre
à Timothée : « On leur défend de nouveau l’usage des femmes. »
Saint Jérôme (dans son livre sur Virgilance, vers le début) : « Que
dire l’église de l’Orient, de l’Égypte et du siège apostolique
qui acceptent des clercs qui sont vierges, ou qui, s’ils avaient des
femmes, cessent d’être maris ? » De même, dans la fin de l’apologie
pour ses livres contre Jovinianus : « On élit des évêques, des prêtres,
des diacres qui sont vierges ou veufs, ou qui deviennent continents après
leur ordination. » Saint Augustin (dans le livre 2 sur les époux adultérins,
chapitre 20) : « Nous avons coutume de proposer la continence des clercs
à ceux qui ont été pris malgré eux pour porter le même fardeau, jusqu’à
la fin qui leur est due. Avec l’aide de Dieu, ils persévèrent.
» Lire tout le texte. L’auteur des question sur l’ancien
et le nouveau testament, qui n’est pas saint Augustin, comme le titre
l’indique, mais quelqu’un de plus ancien, ajoute à la fin : «
Le mariage est une chose permise et bonne, pourquoi n’est-il pas permis
aux prêtres d’avoir des épouses ? » Et il en donne longuement
les raisons.
En plus des textes cités, saint Grégoire (livre 6, chapitre 1 du
livre des Rois) dit qu’ils se trompent ceux qui, à cause des paroles
de saint Paul, «que chacun ait une femme », pensent qu’il est
permis aux ecclésiastiques d’avoir des épouses. » Grégoire
de Tours (livre 4, chapitre 4 de son histoire) rapporte qu’ »un certain
comte qui, après avoir renvoyé son épouse, s’était initié aux fonctions
sacrées, désira ensuite retourner à son épouse, et fut excommunié
par tous les évêques ». Saint Isidore (dans le livre des devoirs
divins, chapitre 10) : « Il a plu aux saints pères que soient chastes
ceux qui célèbrent les saints mystères, qu’ils s’abstiennent de
toute relation charnelle avec leurs épouses, et qu’ils soient libres
de toute immondice charnelle. » S’il dit cela des
diacre, il enseigne à plus forte raison la même chose des évêques et
des presbytes (chapitres 5 et 8). Ce texte nous permet de comprendre les
paroles du chapitre deuxième : « Qu’ils conservent perpétuellement
la chasteté du corps, ou qu’ils soient engagés par le lien d’un seul
mariage. » Car cela est dit des clercs en général, tant majeurs que
mineurs. Car, tous les clercs doivent ou être perpétuellement
continents, s’ils sont initiés aux ordres majeurs, ou engagés par les
liens d’un seul mariage, s’ils sont initiés aux ordres mineurs.
Saint Anselme (épitre 8,) affirme que le saint pape Grégoire V11
a eu raison d’interdire à tous les prêtres mariés de s’approcher
des saints mystères. Bède le vénérable (livre 3, chapitre 9 sur
le tabernacle) : « Personne ne peut recevoir le sacerdoce, ou se consacrer
au ministère de l’autel, à moins de demeurer vierge ou de dissoudre
le contrat de mariage qui le lie à son épouse. » De plus, pour
omettre les plus récents, je rappelle à votre souvenir Arator, le sous-diacre
du pape Vigile. Dans son livre sur les actes des apôtres, au chapitre
30, après avoir expliqué la raison pour laquelle les prêtres de l’ancienne
loi avaient l’obligation de s’abstenir de leurs femmes seulement de
temps en temps, ajoute : « La sainte foi de l’Église ordonne
maintenant que seuls soient pontifes les pudiques perpétuels. »
À ces témoignages, ils ajoutent leurs exemples. Car, au temps des apôtres,
tous les évêques, presbytes et ecclésiastiques dont nous avons les vies,
et que nous avons entendu loués unanimement, furent continents. Et on
ne peut présenter aucun exemple d’hommes approuvés qui témoignent
du contraire. Les magdebourgeois ont scruté attentivement
tous les siècles pour trouver des hommes qui se seraient mariés après
avoir reçu les ordres. Et ils en présentent plusieurs (aux centuries
4, 5, 6, 7, 8, 9, 19, et 11, au début du septième chapitre), mais sans
réussir vraiment. Car, ou bien il s’agit d’épouses qu’ils
avaient avant leur ordination, comme dans le cas de Grégoire, le père
de saint Grégoire de Naziance, ou il est question d’ordres mineurs,
ou, (ce qu’ils tirent du concile de Tolède 4, chapitre 42) ce sont des
exemples de ceux que l’on blâme, (comme on le voit dans l’épitre
de Zacharie à Boniface), ou ce sont des mensonges éhontés, comme
ce que rapporte la cinquième centurie, chapitre 7, à savoir que le pape
Innocent aurait attesté que les presbytes de Macédoine avaient
des épouses. Le pape Innocent n’a jamais rien dit de tel.
Philippe dans son livre sur le célibat au roi d’Angleterre prouve que
les anciens évêques avaient usé du mariage par une lettre de Polycrate
citée par Eusèbe, livre 5, chapitre 24 de son histoire. Polycrate
écrit que sept de ses parents ont été évêques, et qu’il était,
lui, le huitième. Mais Philippe a été trompé par la traduction
de Ruffin. Le mot grec que l’on trouve chez Eusèbe est sungenôn
qui ne signifie pas des parents, mais des amis. Mais, concédons
qu’ils ont été ses parents, peut-on en conclure qu’ils ont usé des
droits du mariage ?
De cette nuée de témoins, on peut tirer trois conclusions.
La première. Se trompent ceux qui, comme Clictovaeus et les autres
pensent que la loi de la continence a été imposée aux clercs, en tout
premier, par Syricius. Car, Clément, Origène, Eusèbe, Épiphane
sont tous plus anciens que Syricius. La deuxième. La coutume
des Grecs qui est en vigueur aujourd’hui, était inexistante dans les
premiers six cents ans, comme le démontrent des auteurs comme saint Jean
Chrysostome, saint Jérôme, et saint Léon, aux lieux cités. La
troisième. Calvin a menti effrontément et impudemment
quand il a affirmé (livre 4, chapitre 12, verset 25 de ses institutions)
que tous les anciens pères avaient approuvé le mariage dans l’ordre
épiscopal. Car, plusieurs pères que j’ai cités, et plusieurs
conciles ont déclaré juste le contraire. Et il ne peut citer aucun témoin
de ce qu’il avance si imprudemment.
On le prouve, cinquièmement, par la raison. Car, puisque le
mariage apporte des obstacles et des retardements aux devoirs ecclésiastiques,
ce fut équitable d’interdire le mariage aux prêtres et aux autres hommes
sacrés, car les devoirs ecclésiastiques consistent à prier, enseigner,
exhorter, administrer les sacrements, prendre soin des pauvres, et autres
choses semblables, qui ne peuvent pas être bien observées (comme le dit
l’apôtre à Tite, chapitre 1), à moins que le prêtre ne soit
hospitalier, bon, sobre, juste, saint, continent et docte. Le mariage
rend difficile (comme saint Jérôme le dit au livre 1 contre Jovinien),
le devoir de sacrifier, car une pureté suprême et une sainteté sont
requises, come saint Jean Chrysostome l’explique dans son livre 6 sur
le sacerdoce. On ne peut nier que, dans l’acte conjugal lui-même,
ne s’infiltre une certaine impureté et une certaine pollution, non parce
qu’elle est elle-même un péché, mais parce qu’elle est née du péché.
Car même si Calvin vocifère contre Syricius qui appelle pollution le
mariage des prêtres, ce n’est pas seulement le mariage des prêtres
qui est un sacrilège et non un mariage, et qui ne peut s’exercer sans
pollution et sans honte, mais aussi celui des diacres. La rébellion
des membres et la honte humaine ont suffisamment été attestées dans
cet acte qui requiert le secret, comme l’a noté saint Augustin (livre
14, chapitre 17, de la cité de Dieu).
Ensuite, le mariage refroidit le zèle de l’oraison et de la lecture,
qui doivent être l’occupation principale du prêtre, Car, l’oraison
requiert un esprit tourné vers les choses d’en haut, purifié et tranquille,
tandis que l’acte du mariage, comme l’enseigne saint Augustin (livre,
14, chapitre 16 de la cité de Dieu), rend l’esprit hébété, et le
rabaisse vers les choses de la terre, amène le trouble, et rend
l’âme charnelle. Troisièmement. Elle met un frein
à l’efficacité de la prédication, car, comme le dit saint Ambroise
(dans 1 devoirs, chapitre ultime) : « Comment pourra-t-il exhorter efficacement
les veuves et les vierges celui qui passe tout son temps à s’occuper
des enfants »? Quatrièmement, il ralentit le travail pastoral,
car celui qui a une femme et des enfants, ne pense toujours qu’à
eux, et l’amour avec lequel il devrait prendre soin de ses brebis est
consumé tout entier dans son épouse et ses enfants. Et pourtant,
comme le dit saint Ambroise (livre 1, chapitre 7 des devoirs) « les fils
spirituels doivent être aimés plus chèrement que les fils charnels ».
Cinquièmement, il paralyse le soin à porter aux pauvres, et cette
hospitalité et cette bonté que recommande si chaudement l’apôtre.
Car, celui qui a une épouse et des enfants doit mettre de côté de l’argent
pour eux, et l’on trouve peu de gens mariés qui aient du superflu.
Ajoutons qu’un clerc ne peut pas léguer d’héritage à des fils, et
pourtant, tout père doit assurer l’établissement de ses enfants.
Les plus avares seraient donc forcés de vendre les sacrements. Sixièmement,
l’administration elle-même des sacrements en souffrirait. Car, alors,
on distinguerait avec peine les prêtres des laïcs, et le prêtre serait
semblable à un membre du peuple. C’est ce que l’expérience
nous a montré. Car, au temps de Grégoire V11, quand les prêtres
commencèrent, en Allemagne, à prendre femme, un tel mépris des sacrements
a suivi que c’était parfois des laïcs qui administraient les sacrements,
comme Jean Nauclerus et d’autres le rapportent. Épihane a donc raison
de dire (hérésie 59) que la continence est nécessaire à cause de l’honneur
qu’exige les sacrements. Il reste à répondre aux arguments.
Nous réfuterons d’abord les objections de Calvin dans l’ordre où
il les a présentées.
CHAPITRE 20
La pauvreté volontaire est licitement vouée à Dieu
Il reste la dernière partie de la question, dans laquelle, tel que
promis, nous allons prendre la défense des trois vœux monastiques.
Commençons par le vœu de pauvreté. Viendra ensuite le vœu d’obéissance,
et, à la fin, celui de continence, qui ne pose pas un mince problème.
Qu’on a le droit de choisir la pauvreté volontaire et de la vouer
à Dieu, on le prouve avec ces paroles de Matthieu 5 : « Bienheureux les
pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. » Il faut
noter ici que les pauvres en esprit sont interprétés de trois façons.
La première. On appelle pauvres ceux qui sont affligés, comme le veut
le psaume 24 : « Je suis seul et pauvre. Les soucis de mon cœur
se sont multipliés. » La deuxième. On appelle pauvres les
humbles : « Qui regarderai-je si ce n’est le petit pauvre, celui qui
est contrit, et qui tremble à ma parole ? » La troisième.
On appelle pauvres, au sens propre, ceux qui ne sont pas riches,
et cela de trois façons : en acte, mais non en pensée; en
pensée mais on en acte; en acte et en pensée. On trouve
cinq explications de ce texte. La première est celle de Calvin qui,
par pauvres, entend les affligés. Mais cette interprétation n’est
pas naturelle, car alors la première béatitude se retrouverait
telle quelle dans la troisième, (ceux qui pleurent) ou dans la dernière,
(ceux qui souffrent persécution. » Et de plus, ce n’est pas ainsi
que l’interprètent les pères. Et il est certain que, en Luc 6,
le Seigneur oppose les pauvres aux riches.
La deuxième est celle de saint Jean Chrysostome (dans son commentaire
de ce passage) et de saint Augustin (livre 1 du sermon sur la montagne)
qui, par pauvres, entendent les humbles. Ce sens est certainement
vrai, mais ce n’est pas le sens premier, comme nous le montrerons un
peu après. La troisième pourrait être celle qui proclame
heureux ceux qui sont pauvres en acte mais non en pensée. Mais elle
est fausse, et réprouvée par les pères. Voilà pourquoi
le Seigneur ajoute en esprit. Les pauvres dont il parle sont ceux
qui le sont volontairement, par choix, mais pas pour n’importe lequel
motif. Pour un motif spirituel, comme le note saint Bernard
(dans son sermon 1 sur la fête de tous les saints). Il y a eu, en
effet, certains philosophes qui ont été pauvres, mais non volontairement,
non en esprit, car ce n’est pas pour Dieu qu’ils aimèrent la pauvreté,
mais par curiosité ou ostentation.
La quatrième. Ceux qui sont pauvres en esprit, mais non en acte.
Cette interprétation est vraie, mais ce n’est pas celle qui est voulue
en premier lieu, comme je le montrerai. Il reste donc la cinquième,
celle de ceux qui choisissent volontairement la pauvreté pour Dieu, et
donc aussi l’humilité. Sont donc appelés pauvres en esprit ceux
qui sont pauvres volontairement, et humbles en même temps. Car,
la plupart du temps, les richesses engendrent l’orgueil, et la pauvreté
l’humilité. C’est ainsi que l’expliquent saint Ambroise (chapitre
6 de Luc), saint Grégoire de Nysse, saint Jérôme,
Bède le vénérable, (chapitre 5 de Matthieu), et saint Léon (dans son
sermon sur Matthieu 5). Tous ces auteurs parlent de la pauvreté
volontaire accompagnée de l’humilité. On peut dire la même chose
de Chromatius et d’Anselme, de saint Basile (question 205) de saint Bernard
(sermon 1 sur la fête de tous les saints). Et parmi les auteurs
les plus récents, Abulens, Lyre, Cajetan, Jansenius, et d’autres
qui entendent le texte au sens d’une pauvreté volontaire. Car,
d’abord, le mot grec pteôkos signifie proprement un mendiant.
Et le mot latin pauper n’a pas coutume de signifier un humble, mais un
indigent.
Ensuite, la récompense qui leur est promise : car « le royaume des
cieux est à eux », répond proprement à la pauvreté réelle.
De plus, en saint Luc 6, les pauvres qui sont béatifiés ne sont pas opposés
aux orgueilleux, mais aux riches. Et le Christ a été pauvre en
fait et en pensée, et, à n’en pas douter, c’est ce qu’il
a fait qu’il a enseigné. Il a souvent dit aussi que les richesses
étaient périlleuses, car, en Matth 13, il les compare à des épines
qui suffoquent la semence, et, en Matth 10, il s’exclame : « Comme il
est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le royaume
des cieux ! » Et : « Il est plus facile à un chameau de passer
par le chas d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume
des cieux. » Voilà qui nous permet d’argumenter en faveur du
voeu de pauvreté. Car, on voue correctement à Dieu tout ce que, par son
témoignage, on sait être bon, et lui être agréable. Or, la pauvreté
volontaire, au témoignage du Christ, est bonne et agréable à Dieu, puisqu’il
déclare que les pauvres sont bienheureux, et qu’il leur promet le royaume
des cieux en récompense. Donc, c’est à bon droit qu’on
voue à Dieu cette sorte de pauvreté.
Le deuxième témoignage est de Matthieu 19, où le Seigneur dit :
« Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que as, donne-le aux pauvres,
et tu auras un trésor dans le ciel. » Et, au même endroit : «
Voici que nous avons tout laissé pour te suivre, que nous arrivera-t-il
? » Que soit donné ici le conseil d’abandonner toutes
ses richesses, nous l’avons démontré plus haut, dans la dispute des
conseils évangéliques. Qu’il en résulte qu’on peut faire
un vœu de pauvreté, l’argument précédent l’indique. Et de
plus, de l’un et l’autre texte on déduit non seulement que la pauvreté
peut être vouée à Dieu, ce qui suffit pour notre propos, mais
aussi que le Seigneur nous exhorte à la vouer. Car, ce serait bien peu
de chose de donner tous ses biens aux pauvres et de devenir pauvre en esprit,
si on retournait ensuite à ses richesses, et à l’achat
de biens somptuaires Voilà pourquoi les saints pères ont
compris que, par ces deux témoignages, était recommandée la pauvreté
parfaite, qui est choisie avec la ferme intention de la garder toujours.
Saint Augustin (épitre 89, question 4, et dans le psaume 103, sermon
3), réfère tout ce lieu à la profession monastique. Et saint Bernard
(dans son homélie sur ce texte de l’évangile), dit : « Voilà les
mots qui persuadèrent le monde entier du mépris des richesses et de la
pauvreté volontaire. Voilà les mots qui remplissent de moines les cloitres,
et d’anachorètes les déserts ». Le troisième témoignage est celui
de Actes 4 : « La multitude des croyants était un seul cœur, et une
seule âme, et nul n’appelait siennes les choses qu’il possédait,
mais elles leur étaient communes à tous. » Que c’est de ce vœu que
vivaient les premiers chrétiens de Jérusalem, saint Augustin l’enseigne
(sermon 1 sur la vie commune des clercs). Il dit que lui et les siens
ont voulu faire ce que les premiers chrétiens ont fait, selon les
aces des apôtres, et cependant, il répète souvent, là, qu’il n’est
permis à personne qui mène cette vie d’avoir quelque chose en
propre. Car, c’est ainsi qu’il parle de l’un de ses prêtres, qui,
contrairement à son vœu, avait retenu quelque chose, et avait fait un
testament en mourant : « O douleur de cette société, o fruit né non
de l’arbre qu’a planté le Seigneur ! Mais il a fait de l’église
son héritière, dit-on. Je ne veux pas énumérer ses legs !
Je n’aime pas le fruit de l’amertume. C’est à Dieu, moi, que je
le demande. Il avait fait profession à Dieu de vie commune.
Voilà ce qu’il devait conserver, voilà ce qu’il devait présenter.
S’il n’avait rien eu, il n’aurait pas pu faire de testament ! »
Le quatrième témoignage est celui des Actes 5, où Ananias
et Saphira, son épouse, avaient semblé faire profession de vie communautaire,
mais s’étaient réservé une part de leurs biens. L’apôtre
Pierre a tout de suite détecté leur double jeu, et les a invectivés.
Frappés invisiblement par Dieu, ils moururent. Ici, dans son
livre sur les vœux, Pierre martyr affirme ne voir là aucun vœu.
Car le péché d’Ananie et de Saphira en fut un, selon lui, de
mensonge, d’ambition, d’avarice et d’hypocrisie. Mais nous
pouvons facilement comprendre, par le contexte et les témoignages des
pères que les deux avaient fait vœu, et que c’est en tant que coupables
de sacrilège qu’ils ont été punis. Qu’ils aient voué
à Dieu la vie communautaire, on le déduit de ces paroles : « Il
a triché sur le prix du champ, avec l’assentiment de son épouse. »
On n’aurait pas dit qu’il avait triché, s’il n’avait pas usurpé
une chose qu’il était obligé de donner. Qu’il avait voué une chose
non prescrite, les paroles de saint Pierre nous l’indiquent assez clairement
: « Quand tu avais ton bien, n’étais-tu pas libre de le garder ? Et
quand tu l’as vendu, ne pouvais-tu pas disposer du prix à ton gré ?
» Qu’il avait fait un vœu à Dieu, et que la violation de ce
vœu ait été un sacrilège, les paroles suivantes l’attestent : «
Ananie, pourquoi Satan a-t-il tenté ton cœur pour te faire mentir au
Saint-Esprit, et tricher sur le prix du champ ? » Car qu’est-ce
que mentir au Saint-Esprit si ce n’est manquer à la promesse faire au
Saint-Esprit ?
On aurait pu dire aussi qu’il avait menti au Saint-Esprit s’il
n’avait dit un mensonge qu’à Pierre, dans lequel, sans aucun doute,
était le Saint-Esprit. Mais, cependant, personne ne peut nier
que mente plus spécifiquement au Saint-Esprit celui qui ne tient pas la
promesse qu’il a faite à Dieu, que celui qui ne tient pas celle qu’il
a faite à un homme. De plus, la punition extrêmement sévère que
Dieu a infligée à Ananie et sa femme crie haut et fort que ce péché
fut plus qu’un simple péché de mensonge, d’avarice, d’ambition
ou d’hypocrisie. Car, cette faute pouvait-elle être punie
plus atrocement ? Ce fut donc un sacrilège qui mérita une telle
fin.
Se présente maintenant l’interprétation commune des pères.
Saint Jean Chrysostome (homélie 12, sur les actes des apôtres).
Il demande : « Pourquoi as-tu fait cela ? Tu voulais avoir ?
Il te fallait au début posséder et non promettre. Maintenant, après
que tu as consacré tes biens à Dieu, tu as commis un plus grand sacrilège.
Car, celui qui s’empare des biens d’un autre, a été possédé par
le désir des biens d’autrui. À toi, il était permis de garder
tes biens, pourquoi en as-tu fait d’abord des choses sacrées,
et les as-tu récupérés ensuite ? » Saint Jérôme (dans son épitre
à Dimitriade, qui est la huitième du premier tome) dit : « Ananie
et Saphira, dispensateurs timides, bien plus coupables de duplicité, et
donc condamnés parce que, après avoir fait un vœu, ils retinrent comme
leur appartenant et non appartenant aux autres, ce qu’ils avaient voué
une fois pour toutes, et se réservèrent une partie d’un bien
qui leur était devenu étranger. »
Saint Augustin (dans son sermon 27 sur les paroles de l’apôtre
: « Quand il soutira une partie de ce qu’il avait promis, il a été
condamné de sacrilège et de fraude en même temps. » Et dans son
sermon 10 (ou 12 selon l’édition de Louvain), il dit : « S’il a déplu
à Dieu qu’ils retinrent de l’argent qu’ils avaient voué à Dieu,
quelle ne sera pas sa colère quand on voue à Dieu sa chasteté, et qu’on
ne le conserve pas ? » Et plus bas : « On peut donc dire à une
vierge consacrée qui se marie ce que Pierre a dit au sujet de l’argent
: « Quand tu étais vierge la virginité ne dépendait-elle pas de
toi ? Et avant que tu la consacres à Dieu, n’étais-tu pas
libre de la consacrer ou de ne pas la consacrer ? »
Saint Fulgence (dans sa lettre sur le du conjugal), écrit : « À
quel point il est mauvais et repoussant, après avoir consacré quelque
chose à Dieu, d’en retenir une partie, ou de s’emparer de ce
qui ne nous appartient plus, l’exemple d’Ananie et de Saphira ne le
démontre que trop ! » Saint Grégoire (livre 1, épitre 33 à Venance)
écrit : « Ananie avait voué à Dieu de l’argent dont, vaincu par l’astuce
du diable, il avait gardé une partie. Mais de quelle mort il a été
puni, tu le sais. » Arator (livre 1 sur les actes des apôtres)
: « Mais ayant changé d’idée, il commit le crime d’un menteur,
en retenant ce qui était cautionné par vœu. Il devait s’en ternir
à ce qu’il avait promis, et ne pas violer une première action par une
autre. » Dans le commentaire de ce texte, Oecumenius donne
le nom de sacrilège au péché d’Ananie. Béde le vénérable
dit que par l’exemple d’Ananie est né ce détestable genre de moines
qui, tout en vivant de la vie monastique, veulent conserver quelque
chose qui leur appartienne en propre. Voilà ce que dit l’Écriture
du vœu de pauvreté.
On peut confirmer cela par la tradition des pères. Le
pape Urbain 1, (dans sa lettre décrétale) écrit : « Que quiconque parmi
vous qui avez choisi la vie communautaire, et avez promis par vœu
de ne rien posséder en propre, voie à ne pas trahir sa promesse ! »
Saint Basile (dans ses constitutions monastiques, dernier chapitre) dit
: « Le moine perd son âme, devient un voleur et un autre
Juda, s’il possède quelque chose en propre. » Pourquoi cela,
je le demande, si la promesse est nulle, si le vœu est nul ? Saint
Jérôme (dans son épitre 22 à Eustochius sur la virginité) écrit que,
de son temps, la profession de pauvreté était si exigeante qu’il n’était
permis à personne de demander des choses nécessaires, car les préposés
veillaient avec soin à ce qu’il ne manque rien de vraiment nécessaire
à personne. Voici ce qu’il dit : « Il n’est permis à personne
de dire : je n’ai pas de tunique, de sandales etc…Tout est organisé
de façon à ce que nul n’ait à demander quelque chose, ou ne manque
de quelque chose (vraiment nécessaire) ». Il écrit au même endroit
que, dans un monastère de Nitrie, on a découvert qu’un moine moribond
avait conservé de l’or. Macaire, Isidore, et les autres
saints rassemblés en ce lieu jugèrent prudent et convenable d’ensevelir
l’argent avec le mort, en s’écriant : que ton argent demeure avec
toi pour ta perdition éternelle ! » Et c’est ce qu’a fait saint
Grégoire dans une circonstance semblable, selon le diacre Jean (livre
1, chapitre 15 de la vie de saint Grégoire), et selon saint Grégoire
lui-même (livre 4, chapitre 55 des dialogues).
Saint Augustin ( au psaume 25), dit : « Un autre fera le vœu de tout
laisser, et de vivre en commun de la société des saints. Il fait
un grand vœu. » Et, (au livre 17 de la cité de Dieu), il écrit : «
Ils dirent, ces puissants, voici que nous avons tout laissé pour te suivre.
Ils avaient fait un vœu ces puissants. Mais d’où cela leur est-il
venu, si ce n’est de celui dont il est dit : donnant un vœu à
celui qui fait un vœu ? » Jean Cassien (livre 4, chapitre 13 des
institutions des renonçant : « Je pense qu’il est inutile de rappeler
ce qu’est cette vertu qui ne permet à personne de posséder la moindre
pièce, le moindre sou, de ne rien retenir en propre, qui porte notre nom.
» Et, au chapitre 33, parlant de ce renoncement parfait il écrit
: « Comme une immense gloire est promise à ceux qui servent fidèlement
Dieu, et à ceux qui observent les règles de leur institut,
de la même façon des peines très sévères sont préparées pour ceux
qui les auront observées avec tiédeur et négligence, et qui, selon
les promesses qu’ils ont faites et selon ce que le monde attend d’eux,
ont négligé de produire des fruits de sainteté conformes à leur état.
Car, selon l’Écriture, il est préférable de ne pas faire de vœu que
d’en faire sans les observer. » Ajoutons aussi le
concile d’Orange 1, chapitre 21 qui ordonne de punir gravement
les moines qui, contre leur profession, ont voulu posséder quelque chose
en propre.
Contre le vœu de pauvreté, il n’y a qu’une seule objection,
celle de Jean Brentius (dans la confession de Wirtemberg, chapitre
sur les vœux monastiques). Celui qui fait le vœu de pauvreté
est pauvre ou riche. S’il est pauvre, il ne peut pas promettre
de laisser des biens ou d’en donner, mais il doit porter patiemment la
croix que le Seigneur lui a donnée. S’il fait quand même un vœu,
il fait comme un malade qui ferait le vœu d’être malade, ce qui est
de la démence, non de la piété. S’il est riche, ou il promet de tout
mettre en commun, ou de tout donner aux pauvres pour avoir un plus grand
mérite, et vivre ensuite d’aumônes. Dans le premier cas,
il ne fait rien d’autre que de s’assurer une nourriture plus certaine
et plus copieuse. Ce qui est fuir la pauvreté, non la pratiquer.
Dans le deuxième cas, il pèche contre la foi et la charité. Contre
la foi, car unique est le Médiateur entre Dieu et les hommes, qui
nous a tout mérité. Il lui fait injure en pensant qu’il mérite
par ses propres œuvres. Il pèche aussi contre la charité,
car la charité nous demande de ne pas, sans nécessité, incommoder notre
prochain par notre mendicité.
Je réponds au premier membre. Même les pauvres ont le droit
de faire des vœux, car ils donnent beaucoup quand ils offrent le
peu qu’ils peuvent acquérir. Saint Augustin (épitre 89, question 4)
: « On n’exigera pas moins de moi parce que j’ai été pauvre.
Car, les premiers qui firent cela, ce furent les apôtres qui n’étaient
pas riches. Car, c’est à tout l’univers qu’il donne celui
qui donne ce qu’il a et ce qu’il désire avoir. » Or, le vœu
d’être malade n’a rien de commun avec le voeu d’être pauvre.
Car, le Christ a dit : « bienheureux les pauvres » (Matt 5), non bienheureux
les malades ! Et en Matthieu 19 : « Si tu veux être parfait, vends
tout ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres. » Il n’a pas
dit : si tu veux être parfait, renonce à la santé, soigne-toi comme
un malade ! De plus, nous sommes tenus, en autant que nous le pouvons,
à guérir les maladies, pour ne pas être la cause de notre mort.
Or, personne n’est tenu à s’enrichir.
Au second membre, je dis que tout mettre en commun est vraiment
aimer la pauvreté, car est vraiment pauvre celui qui n’est le propriétaire
de rien, qui ne peut ni vendre, ni donner, ni échanger, ni détruire quoi
que ce soit. Et quelle autre pauvreté ont choisi les premiers chrétiens
que celle qui ne permet à personne de dire ceci est à moi, là où tout
appartient à tous ? Au troisième, je nie qu’on pèche contre
la foi quand on donne ses biens aux pauvres pour un plus grand mérite,
car, autrement, le Christ lui-même aurait conseillé quelque chose contraire
à la foi quand il a dit : « et tu auras un trésor dans le ciel ! »
Car nos mérites n’entrent pas en conflit avec les mérites de notre
Seigneur, puisque c’est d’eux qu’ils émanent, comme l’effet d’une
cause. Car, sans les mérites du Christ, nos mérites sont nuls.
C’est lui qui, entre autres choses, nous a acquis, par le mérite de
sa mort, le pouvoir de mériter. Je nie aussi que la mendicité
est contraire à la charité, car on ne force personne à faire la charité
aux mendiants. On leur donne plutôt une occasion d’acquérir un
droit au royaume des cieux.
CHAPITRE 21
Le vœu d’obéissance
Que ce soit une bonne chose de vouer à Dieu l’obéissance religieuse,
on peut le prouver par les raisons suivantes. L’obéissance
est bien vue de Dieu, même dans les choses qu’il ne prescrit pas.
Car, en Jérémie 35, sont loués et récompensés par Dieu les fils de
Jonadab qui, pour obéir à leur père, ne burent pas de vin, ne
semèrent pas dans leurs champs, ne logèrent pas dans des maisons,
mais dans des tentes. Or, tout ce qui est agréable à Dieu est matière
de vœu. Donc l’obéissance, même celle qui n’est pas due, peut
être vouée à Dieu. Pierre martyr répond (dans son livre sur les
vœux) que les fils de Jonadab ne firent rien qui n’était pas du.
Car, même si Dieu ne leur avait pas commandé de ne pas boire de vin,
de ne pas ensemencer leurs champs, et de ne pas demeurer dans des maisons,
il leur avait bel et bien commandé d’obéir à leur père.
C’est donc un précepte divin qui les forçait à obéir.
Mais on rejette cette réponse. D’abord, d’après le témoignage
de Raban qui, dans son commentaire, dit que les fils de Jonadab ont fait
plus que ce que la loi leur ordonnait de faire. Ensuite,
d’après le texte lui-même de Jérémie. Car, Dieu, dans ce passage,
réprouve son peuple par l’exemple des fils de Jonadab. Il dit
qu’eux ont obéi à la voix d’un homme, alors que les Juifs n’ont
pas voulu obéir à la voix de Dieu. Il dit : « Les fils de Jonadab
confirmèrent les préceptes du fils de Rechab, leur père, qu’il leur
avait prescrits. Mais ce peuple ne m’a pas obéi. »
La raison donnée par Dieu s’évaporerait si c’était de droit divin
que les fils de Jonadab avaient obéi à leurs pères. Et il
n’y aurait plus alors d’antithèse entre Dieu et l’homme. Car
c’est à Dieu qu’auraient obéi les fils de Jonadab et à Dieu également
qu’auraient désobéi les Juifs.
Troisièmement. On conclut la même chose de la louange et de
la récompense. Car, Dieu n’aurait pas tant loué les fils
de Jonadab, s’ils n’avaient pas fait quelque chose de tout à
fait spécial. Enfin, la raison elle-même nous le persuade.
Car, même si les enfants sont tenus d’obéir à leurs parents, ils ne
le sont pas de leur obéir en tout à partir de l’adolescence.
Car, chacun possède le droit naturel de choisir son état et son genre
de vie. Autrement, il n’y aurait pas de différence entres les
enfants et les serviteurs, si les enfants étaient en tout et toujours
au pouvoir de leurs parents. Ce que dit saint Paul aux Colossiens
3 (fils, obéissez à vos parents en tout) on doit l’entendre soit
au sens de : en toutes les choses auxquelles s’étend l’autorité
parentale, comme l’enseigne saint Thomas, (2.2.question 104, article
5), comme si quelqu’un disait qu’il faut obéir au général en tout,
voulant dire : en tout ce qui appartient à la guerre.
Ou les enfants sont tenus d’obéir en tout à leurs parents tant qu’ils
sont enfants. Car, comme le dit l’apôtre (Galates 4) : « Aussi
longtemps que l’héritier est un enfant, il ne diffère en rien d’un
serviteur. » Et le Seigneur lui-même était soumis à ses parents
quand il était enfant, comme le dit Luc (2).
On peut tirer la deuxième raison du nouveau testament.
Car, comme nous l’avons dit plus haut dans la dispute sur les conseils,
la perfection conseillée consiste à suivre Jésus, en se renonçant à
soi-même (Matt 16) : « Celui qui veut venir après moi qu’il se renonce
à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive ! » Car,
comme préparation d’âme, le renoncement à soi-même est un précepte,
puisque, au même endroit, le Seigneur ajoute : que celui qui veut sauver
son âme la perde. Cependant, renoncer parfaitement à soi-même
sans y être obligé, soumettre son jugement et sa volonté en toutes
choses au jugement et à la volonté d’un autre, ce n’est pas un précepte,
mais un conseil. Voilà pourquoi le Seigneur dit en Matthieu
19 : « Si tu veux être parfait. » Or, suivre Jésus parfaitement
dans le renoncement à soi-même implique une parfaite obéissance formulée
dans un vœu par lequel quelqu’un renonce totalement à lui-même, sans
pouvoir jamais revenir en arrière. Obéir à quelqu’un de temps
en temps seulement ne peut pas s’appeler un parfait renoncement
à soi-même. Voilà pourquoi le Seigneur dit : qu’il porte sa
croix. Come le dit Jean Cassien (livre 4, chapitre 35 des institutions
des cénobites), le vrai et parfait moine doit être semblable au crucifix.
Celui qui est cloué à une croix non seulement ne va pas où il veut,
et ne fait pas ce qu’il veut, mais ne peut marcher ou agir que si un
autre le fait bouger.
La quatrième raison vient de l’usage de l’antique église.
Il est certain que chez les anciens saints, l’obéissance monastique
a été en usage. Car, saint Basile (constitutions monastiques, chapitre
22) a écrit : « Revenons à un sermon sur l’obéissance, et montrons
comment la règle exacte de la doctrine exige l’obéissance envers le
supérieur selon les constitutions. » Pendant tout ce chapitre,
il traite de l’obéissance, et enseigne que le moine doit obéir à son
supérieur, sans critiquer ce qui a été commandé, pourvu que ce qui
est commandé ne soit pas manifestement un péché. Il doit se comporter
envers son supérieur comme les brebis envers leurs pasteurs, et un marteau
dans la main d’un menuisier. Il n’omet pas non plus de dire qu’il
est nécessaire aux moines d’obéir parfaitement à leurs supérieurs,
sans quoi ils s’excluent du salut éternel.
Cassien enseigne la même chose (livre 4, chapitre 23 des institutions
monastiques, et dans les chapitres suivants.) Saint Jérôme (dans
sa lettre à Euxtochius sur la conservation de la virginité) dit, en décrivant
les instituts monastiques : « Le premier point sur lequel tous sont
d’accord c’est l’obéissance aux supérieurs. » Et dans son
épitre au moine Rustique, il écrit : « Par toutes choses, mon discours
tend vers un seul but, te montrer que tu ne dois pas t’en remettre à
ton jugement propre, mais que tu dois vivre dans un monastère sous la
discipline d’un seul père, en compagnie de beaucoup. »
Et plus bas : « Crains à l’égal de Dieu le préposé du monastère,
aime- le comme un père, crois que t’est salutaire tout ce qu’il te
prescrit, ne juge pas la sentence des anciens, toi dont le devoir
est d’obéir, et d’accomplir les ordres qu’on te donne. »
Sulpice Sévère dans le premier dialogue des vertus de saint Martin,
écrit, en parlant des moines : « La principale vertu, là, est l’obéissance…jamais
on ne rejettera un commandement de l’abbé, quel qu’ardu et difficile
qu’il soit, et même à peine tolérable. » Saint Augustin
(livre 1, chapitre 31, des mœurs de l’Église), écrit : « Ces pères
donnent des conseils sans orgueil à ceux qu’ils appellent leurs fils,
en leur commandant avec une grande autorité, et en étant obéi par eux
avec empressement. » Cela devrait suffire. On pourrait en
présenter d’autres le cas échéant.
Ils répondront peut-être que l’obéissance a été en usage chez
les anciens moines, mais pas le vœu d’obéissance. Or, Jean
Cassien (livre 4, chapitre 33 des institutions des renonçant) parle nommément
du vœu et de la possession, là ou il traite de l’observance des institutions
monastiques, dont la première est l’obéissance. Nous avons
cité ses paroles au chapitre précédent. De même, saint Grégoire (homélie
20 sur Ezechiel) : « Quand quelqu’un voue à Dieu quelque chose, sans
vouer aussi d’autre chose, c’est un sacrifice. Quand il offre
au tout-puissant tout ce qu’il a, tout ce qu’il aime, tout ce qu’il
est, c’est un holocauste. » Il parle évidemment là des vœux monastiques,
par lesquels l’homme ne retient rien de ce qui est à lui, pas
même son propre jugement.
Ensuite, saint Augustin (au psaume 75) écrit : « Qu’aucun
frère qui vit dans un monastère ne dise : je quitte le monastère,
car, les moines ne sont pas les seuls à entrer dans le royaume des cieux,
et ceux qui ne sont pas moines n’appartiennent pas au diable. Qu’on
lui réponde : mais eux n’ont pas fait de vœux. Toi tu en
as faits ! » Et au psaume 99 : « En ne persévérant pas dans l’accomplissement
de ses vœux, il devient le déserteur d’un si grand projet, et coupable
d’une promesse non tenue. »
Se présentent ensuite les miracles que Dieu a souvent faits pour confirmer
l’obéissance monastique. Sulpice sévère, dans le premier
dialogue sur les vertus de saint Martin, raconte ainsi deux miracles :
« Je vais vous rapporter deux miracles d’une obéissance incroyable,
même si plusieurs autres se présentent à la mémoire. Mais si un petit
nombre ne suffit pas pour provoquer l’émulation des vertus, un
grand nombre n’y ajoutera rien. Quand, après avoir renoncé aux
choses du monde, un homme était sur le point d’entrer dans un monastère
d’une grande réputation, l’abbé commença à lui proposer plusieurs
choses, des jeûnes, des mortifications. Il lui donna des ordres
sévères pour éprouver sa patience. Tout autre aurait cherché
à aller dans un monastère moins austère, et aurait refusé de
choisir un mode de vie qui semblait impossible à observer.
Mais aucune de ces épreuves ne l’effraya ni ne le découragea.
Elles ne firent qu’augmenter son désir d’obéir en tout. À un point
tel que si son abbé lui avait dit de se jeter dans le feu, il l’aurait
fait. Et quand l’abbé reçut sa profession monastique, il chercha
à mettre son obéissance à l’épreuve.
Comme par hasard, un poêle que l’on chauffait pour faire cuire des
pains était devenu rouge. Des flammes commencèrent à sortir
du fourneau, et l’incendie menaçait de se répandre partout.
L’abbé lui commanda alors d’entrer, et il n’hésita pas un instant
à remplir cet ordre. Il avance sans crainte au milieu des
flammes, ressemblant à s’y méprendre aux trois enfants hébreux de
la bible. Aussitôt, la nature est vaincue, et l’incendie
avoue son impuissance. Celui qu’on pensait devoir être consumé
par le feu fut rafraichi plutôt par une froide rosée…Au jour
même où le pauvre a été tenté, il a été trouvé parfait. Il
a mérité son bonheur, a été éprouvé par l’obéissance, et
glorifié. »
« Dans le même monastère est arrivé ce que je vais raconter. Il
y a peu de temps de cela, quelqu’un était allé trouver le même abbé
pour être reçu. Quand l’abbé lui expliqua que la première des
règles était celle de l’obéissance, il promit d’obéir en tout,
même aux choses les plus pénibles qui lui seraient commandées pour éprouver
sa patience. L’abbé tenait alors négligemment dans une
de ses mains un bâton. Il le ficha en terre, et imposa comme tâche
à cet étranger, d’arroser ce bâton jusqu’à ce que, contre toute
loi naturelle, il verdisse et fleurisse. L’aspirant transportait
sur ses épaules avec beaucoup de difficulté l’eau qu’il allait puiser
dans le Nil, à deux mille de distance. Après un an d’effort inutile,
il ne mit pas fin à son zèle. Et sans aucun espoir d’obtenir
un résultat, la vertu de l’obéissance le maintenait dans son dur travail.
Une autre année passa, et vainement pour le frère épuisé.
La troisième année, l’arroseur persista jour et nuit. Et c’est
alors que le bâton fleurit. J’ai moi-même vu ce bâton devenu
arbuste, que l’on conserve dans l’atrium d’un monastère, dont les
branches sont encore vertes. C’est un témoignage qui demeure pour
démontrer ce que mérite l’obéissance, et ce que peut la foi. »
Saint Grégoire a raconté des choses semblables (livre 2, chapitre
de ses dialogues) au sujet de saint Maur qui marcha sur les flots au commandement
de son abbé. Ainsi que Jean Cassien, (livre 4, chapitre 23)
au sujet de l’abbé Jean qui, à cause de sa vertu d’obéissance, fut
élevé à la grâce de la prophétie.
Mais se présentent encore des objections à réfuter.
La première, celle de Luther (dans son livre sur les vœux monastiques).
Voici quel est son raisonnement. L’Écriture nous ordonne d’obéir
à tous les hommes. Philippiens 2 : « Les supérieurs s’arbitrant
mutuellement. » Et à 1 Pierre 2 : « Soyez soumis à toute créature
à cause de Dieu. » Donc, s’obliger à n’obéir qu’à un seul
préposé, est contre l’Écriture. C’est comme si quelqu’un
ferait le vœu suivant : « Dieu, je fais le vœu de ne jamais vouloir
me soumettre à tous, selon ton évangile, mais seulement à un supérieur.
»
Je réponds que, en ce passage, saint Paul ne veut pas que nous
nous soumettions à tous comme à des rois auxquels nous sommes obligés
d’obéir. Mais pour que nous jugions que tous nous sont supérieurs,
c’est-à-dire, meilleurs et plus saints. Il recommande l’humilité,
comme ses propres paroles l’indiquent : « Considérant, par humilité,
que tous les autres vous sont supérieurs. » Ajoutons que si l’apôtre
voulait vraiment que nous obéissions à tous, il voudrait une chose tout
à fait impossible. Car, si tous doivent obéir à tous, il n’y aura
personne qui commande, et personne qui obéisse. De plus, par «
toute créature humaine » saint Paul entend tout homme doté d’un pouvoir
de commandement. Car, c’est ainsi qu’il l’explique lui-même
: « Ou au roi, en tant que supérieur, ou aux légats en tant qu’envoyés
par lui. »
La deuxième objection est celle de Luther au même endroit.
Le préposé d’un monastère est, sans aucune dispense, libéré
de l’obéissance qu’il a vouée . C’est donc un signe que ce
vœu n’oblige pas devant Dieu. Je réponds. Dans celui
qui est choisi pour être abbé demeure l’obligation du vœu, même si,
par accident, ou plutôt, par manque de matière, cesse l’exercice
de ce vœu. La preuve en est que si l’abbé est tout à coup privé
de son abbatiat, il redevient un moine soumis à l’obéissance comme
tous les autres, sans avoir à faire un nouveau vœu d’obéissance.
Voir saint Thomas ( 2.2. question 88, article onze, et question 186, article
5.) La troisième est celle du martyr Pierre, (dans son commentaire
du chapitre 7 de la première aux Corinthiens). Saint Paul interdit
aux chrétiens de se faire esclaves : « Vous avez été achetés d’un
prix précieux, ne devenez pas esclaves des hommes. » Il n’est
donc pas permis de faire un vœu d’obéissance. Car, qu’est-ce
autre chose que se livrer spontanément en esclavage à des abbés ?
Mais la réponse est facile. Car saint Paul n’interdit
pas l’esclavage d’un homme à un autre, mais il veut nous faire comprendre
que ce que l’on fait ce n’est pas pour plaire aux hommes, mais pour
plaire à Dieu. C’est ce qu’il explique aux Colossiens 3 : « Esclaves,
obéissez en tout à vos maitres terrestres, ne servant pas seulement quand
on vous voit, ou pour plaire aux hommes, mais en craignant Dieu dans la
simplicité de vos cœurs. Tout ce que vous faites faites-le de bon
cœur, comme si vous travailliez pour Dieu et non pour les hommes, sachant
que c’est de Dieu que vous recevrez la rétribution de l’héritage.
Servez le Seigneur Christ ! » Voilà pourquoi saint Paulin, qui
n’ignorait pas que saint Paul avait dit : ne vous faites pas serviteurs
des hommes, s’est quand même vendu lui-même, pour racheter la fille
d’une veuve. C’est ce que saint Grégoire raconte, en le louant
grandement (livre 3, chapitre 1 des dialogues.). Mais Pierre le martyr
rétorque que c’est la charité qui a poussé saint Paulin à se vendre
lui-même, et que ce qu’on fait par charité est bien fait. Comme
si les moines parfaits se soumettaient à un abbé pour des motifs de cupidité
plutôt que de charité envers Dieu. Cela devrait suffire pour l’obéissance.
CHAPITRE 22
On présente le vœu de chasteté avec les paroles du premier
chapitre de Luc : Comment cela se fera-t-il ?
J’en viens enfin au vœu de continence. Je m’efforcerai,
autant que je le pourrai, de le confirmer par des témoignages des Écritures,
des conciles, du consentement de l’Église toute entière, par
les décrets et les lois des papes et des empereurs, par la tradition des
grecs et des latins, et même par la raison.
D’abord le témoignage de saint Luc 1 : « Comment cela se fera-t-il
puisque je ne connais point d’homme ? » Par ces paroles, la sainte
Vierge indique qu’elle a quelque chose qui l’empêche de concevoir
et d’avoir un fils. Or, cet empêchement ne peut être rien
d’autre qu’un vœu de continence déjà prononcé. Car ces paroles
« je ne connais point d’homme », ne signifient pas : je ne connais
pas déjà en acte, mais il ne m’est pas permis de connaitre.
Autrement, son interrogation aurait été dénuée de sens, puisqu’on
pouvait immédiatement lui répondre que si elle ne connaissait pas présentement
d’homme, elle en connaitra un bientôt. Donc, comme nous disons
pendant le carême, je ne mange pas de viande, au sens de : il ne
m’est pas permis de manger de la viande en ce temps, de la même manière,
la sainte Vierge a dit : je ne connais point d’homme, c’est-à-dire
: il y a quelque chose qui m’empêche de connaitre les hommes.
On ne peut donner à cet empêchement d’autre explication qu’un vœu.
Car, elle avait un homme, et il était jeune. Il n’est pas croyable
qu’il ait été stérile ou impotent. Et il est certain qu’elle
ne pouvait pas savoir cela avant d’avoir vécu avec cet homme.
Ce n’était pas non plus par une loi commune qu’elle était empêchée
de connaitre un homme. Elle ne pouvait donc l’être que par une
loi particulière, un vœu.
On confirme cette interprétation par les pères. Saint Grégoire
de Nysse (dans son sermon sur la nativité du Seigneur), dit : « Car,
s’il avait été question du mariage avec Joseph, comment, étonnée
par une chose nouvelle et insolite, aurait-elle été opposé à l’enfantement
que l’ange lui proposait ? Alors qu’elle aurait plutôt du espérer
devenir mère selon les lois de la nature ? Mais parce qu’elle
devait conserver intacte la chair dédiée et consacrée, comme un saint
tabernacle, c’est pour cette raison qu’elle dit : même si tu
es un ange et que tu viens du ciel, même si cela apparait au-dessus de
la nature humaine, il ne se peut pas que je connaisse un homme
Je serai mère sans homme ? Car je connais Joseph comme mon
fiancé, comme mon mari je ne le connais pas. »
Saint Augustin (livre sur la sainte virginité, chapitre 4) dit
: « Cette virginité fut d’autant plus agréable et acceptable que le
Christ conçu avait prescrit qu’elle serait conservée sans que l’homme
la viole. Et avant d’être conçu, il choisit de naître de celle
qui était consacrée à Dieu. C’est ce qu’indiquent les paroles
que Marie prononça à l’ange qui lui annonçait sa maternité.
Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme.
Ce qu’elle n’aurait surement pas dit si elle n’avait pas voué sa
virginité à Dieu. Mais, comme les mœurs des Israélites de ce
temps n’admettaient pas cela, elle devait être fiancée à un homme
juste, non enlevée de force, mais plutôt protégée dans la garde se
son vœu, contre la violence »
Le vénérable Bède (luc, chapitre 1) : « Elle présente avec respect
la décision de son cœur, celle de mener une vie virginale. Parce
qu’elle fut la première de toutes les femmes à faire preuve d’une
telle vertu, c’est à bon droit que, parmi toutes les femmes, elle a
mérité une suréminente béatitude. » Saint Anselme (dans son livre
sur l’excellence de la vierge, chapitre 4) : « Le vierge tendre
et délicate, descendant d’une souche royale, et la plus belle de toutes,
a mis toute son application, tout son amour, tout son zèle à consacrer
son corps et son âme à Dieu en une virginité perpétuelle. »
Rupert (livre 3 dans les cantiques) : « Tu as été la première à vouer
à Dieu un vœu sublime, le vœu de virginité. » Ensuite, saint
Bernard (sermon 4 sur il a été envoyé) : « Elle ne doute pas, mais
s’informe du fait, de la manière, et de l’ordre. Car,
elle ne demande pas si cela sera fait, mais comment. C’est comme
si elle avait dit : « Comme le Seigneur, qui est le témoin de ma conscience,
sait que sa servante a voué de ne jamais connaitre d’homme, par quelle
loi et par quelle manière lui plaira-t-il que cela se fasse ? S’il me
faut violer mon vœu pour devenir mère, je me réjouis du fils, mais je
m’attriste au sujet du vœu. » Et dans son sermon un grand signe,
il dit : « Transcendant, dans la liberté de l’esprit, les décrets
de la loi mosaïque, elle fit vœu d’être une vierge immaculée, consacrée
à Dieu corps et âme. Car elle prouve le fondement de son dessein
inviolable par les mots qu’elle répondit à l’ange qui lui promettait
un fils avec une telle assurance : comment cela se fera-t-il car je ne
connais point d’homme. Il faut ajouter le consentement unanime
des théologiens à l’enseignement du maitre des sentences (livre 4,
dist, 30).
Mais voyons ce que les adversaires répondent à cela.
Jean Calvin (dans son commentaire de ce passage d’après Marloratus),
dit trois choses dignes d’être censurées. La première.
Il accuse la bienheureuse vierge d’avoir malicieusement limité la puissance
de Dieu : « Il semble que la sainte vierge n’a pas moins malicieusement
restreint la puissance divine que Zacharie, car elle considère impossible
ce qui est en dehors de l’ordre commun de la nature. Voici, en effet,
comment elle raisonne : je ne connais point d’homme. Comment croire le
futur que tu annonces ? Il faut travailler fort pour la purger de tout
vice. »
Ses paroles manifestent son impiété, et à quel point sa pensée
n’a rien en commun avec les saints pères. Saint Ambroise,
saint Bernard, Bède le vénérable et les autres nous expliquent longuement
que la question qu’elle posait ne trahissait pas le doute, mais constituait
une interrogation : le désir de savoir de quelle façon se fera cette
chose annoncée qui semblait en opposition avec son vœu. De plus,
comment est-il croyable qu’elle ait voulu malicieusement restreindre
la puissance de Dieu, puisqu’elle était pleine de grâce et que le Seigneur
était avec elle d’une manière toute particulière, comme l’ange venait
de lui dire. De plus, si elle a restreint la puissance de Dieu non
moins malicieusement que Zacharie, pourquoi n’a-t-elle pas été punie,
elle aussi ? Il est certain que, à cause de son incrédulité, Zacharie
fut châtié par l’ange, et puni par le supplice de la perte de la parole.
Or, la sainte vierge n’a même pas essuyé le moindre reproche.
Car si la faute était la même, pourquoi la punition n’a-t-elle pas
été la même ?
La deuxième. Calvin blâme les pères qui voient dans ce passage
un vœu de virginité : « Quelques-uns ont pris prétexte de ce passage
pour enseigner que la vierge avait fait un vœu de virginité perpétuelle.
Cette affirmation est sans aucun fondement, absurde et ridicule.
Allons-nous penser que la vierge s’est associée à un mari pour le tromper
? Ça aurait été une perfidie digne des plus grands blâmes, si
elle avait rompu le saint lien du mariage sans le bon plaisir de Dieu.
» Nous avons ici à nous plaindre de la cécité de Calvin.
Comment peut-il appeler ridicule et absurde ce qui est enseigné par saint
Grégoire de Nysse, saint Augustin, saint Bède, saint Bernard, saint Anselme,
Rupert, et par tous les théologiens ?
On peut réfuter son argument de deux façons. La première
en niant le conséquent, et en ignorant l’antécédent. Car,
même si nous admettions que la sainte Vierge s’est mariée à Joseph
avec l’intention de consommer le mariage, comme l’enseignent
faussement Calvin (dans son annotation du chapitre 1), Bèze (même
endroit), Bucer (chapitre 1 de Matthieu), le martyr (dans son livre sur
le célibat et les vœux monastiques), les centuriates (centurie 1. Livre
1, chapitre 10), il ne s’en suivrait quand même pas que, quand elle
dit : « comment cela se fera-t-il » etc, elle n’ait pas fait
de vœu de virginité. Car elle aurait pu faire ce vœu après la
célébration du mariage, et avant la salutation de l’ange, comme le
dit saint Thomas (3 partie, question 28. Article 4), de sorte que, avant
la consommation du mariage, la vierge aurait fait vœu de virginité, avec
le consentement de Joseph, conne on le croit pieusement, ou un vœu semblable
de la part de son époux.
J’ajoute que la sainte vierge n’a jamais eu l’intention de consommer
le mariage. L’antécédent des adversaires est donc faux. Car,
autrement elle ne serait pas vierge spirituellement, mais charnellement.
En voulant rester vierge perpétuellement, elle n’a pas fait en
sorte que son mariage n’en soit pas un vrai, elle ne s’est pas jouée
de son mari, et ne l’a pas méprisé perfidement, comme le
veut le blasphème de Calvin. Car, quand elle entra en mariage,
elle donna à Joseph un pouvoir absolu sur son corps, et de façon telle
qu’il lui aurait été permis, s’il l’avait voulu, de consommer le
mariage avec la sainte vierge. Car, c’est ce qui est requis et c’est
ce qui suffit au mariage dans ce qu’il a d’essentiel.
Cependant, parce que, par le moyen d’une révélation divine,
elle savait que Joseph ne chercherait jamais à consommer le mariage, elle
pouvait avoir et elle avait une volonté explicite de continence, dans
laquelle consiste proprement la virginité. Et même si saint Thomas
n’admet pas un vœu absolu de virginité de la vierge avant les fiançailles,
Scotus l’admet lui (dans 4, dist 30, question 2), et, avant Scot, Albert
le grand, dans son livre sur les louanges de la sainte vierge, saint Grégoire
de Nysse, saint Augustin enseignent que la sainte Vierge avait fait vœu
de virginité perpétuelle avant ses fiançailles. Et je ne
vois pas comment ce vœu s’oppose à la célébration d’un vrai mariage,
dès lors qu’on admet la connaissance que la sainte vierge a eue, par
révélation, que Saint Joseph n’exigerait pas le du conjugal.
Mais certains insistent. Celui qui s’est donné à Dieu
par vœu ne peut pas se livrer à un autre par un mariage. Voilà
pourquoi l’apôtre (1 Timothée 5) disait que celles qui voulaient se
marier après avoir fait un vœu, étaient condamnées : « parce
qu’elles avaient rendu nulle leur première foi. » Je réponds
que celui qui voue la continence ne peut pas se livrer à un autre avec
péril de violer le vœu. Car, c’est de cette sorte de personnes
que l’apôtre parle, et la raison elle-même l’enseigne. Mais
s’il y a une certitude infaillible de ne jamais violer le vœu, il ne
répugne pas que quelqu’un qui appartient à un autre, se livre à une
autre personne dans un genre différent de noces. Autrement, les
époux ne pourraient pas, par un consentement unanime, vouer la continence,
ce que pourtant tous les théologiens admettent. Car ces époux se livrent
à Dieu par vœu, tout en étant obligés les uns envers les autres
par le mariage.
La troisième. Voyons donc ce que répond Calvin à notre argument
et à celui des pères qui démontrait que la vierge avait déjà fait
vœu de virginité, parce que, autrement, sa réponse à l’ange
(comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme) serait
débile : « Il faut réfuter ce qui nous a été objecté, à savoir que
la sainte vierge avait une vue du futur qui lui faisait comprendre qu’il
n’y aurait jamais de cohabitation avec un homme. C’est une conjecture
probable et facile à comprendre que la grandeur de la chose ou plutôt
la majesté ait frappé la vierge, de sorte que tous ses sens étaient
liés et contractés par l’admiration. Quand elle entendit que
le Fils de Dieu naitrait, elle ne pensa à rien de vulgaire; et voilà
pourquoi elle a exclu le coït viril. Voilà pourquoi elle s’est
exclamée dans son étonnement : comment cela se fera-t-il ? Et Théodore
de Bèze dit des choses semblables.
Je réponds d’abord. Si Calvin ne s’appuie que sur une conjecture,
pourquoi rejette-t-il l’autorité de tous les théologiens ? Est-ce
agir avec sureté que de répudier tous les pères au profit d’une simple
conjecture ? C’est à lui d’y voir. De plus, cette conjecture
est improbable, et tirée par les cheveux. Car, alors, pourquoi
la vierge n’aurait-elle pas dit, au lieu de je ne connais point d’homme,
je ne connaitrai point d’homme ?
Mais tu rétorques : « la vierge a cru à l’ange qui annonçait
la nativité du Messie, et elle savait, par la prophétie d’Isaïe 7,
que la mère du Messie serait une vierge. Pourquoi donc a-t-elle
dit : parce que je ne connais point d’homme ? » Je réponds.
Peut-être que cette prophétie d’Isaïe ne lui était pas, à ce moment,
présente à la pensée, et que c’est pour cela qu’elle a craint pour
sa virginité, bien qu’elle n’ignorât pas que la mère du Messie serait
une vierge. Et cela semble être la pensée de saint Bernard qui
fait parler ainsi la sainte vierge : « s’il me fallait rompre mon vœu
pour mettre au monde un fils, je me réjouirais du fils, mais je pleurerais
sur la virginité ». Et d’un sermon de saint Athanase sur la mère
de Dieu : « La vierge hésite en regardant la nature, et en pensant à
Joseph. » Je dis ensuite avec saint Ambroise dans son commentaire
de ce texte : « La bienheureuse Marie savait très bien que la mère du
Messie serait une vierge, et, à ce moment, elle ne pensait qu’à cela.
Voilà pourquoi elle ne demanda pas si une vierge allait enfanter, mais
de quelle façon et selon quel ordre cela se ferait-il. C’est comme
si elle avait dit : puisque c’est avec un vœu et une ferme décision
que je ne connais point d’homme, si j’enfante, ce sera une vierge
qui enfante. Comment une chose si insolite se fera-t-elle ?
La réponse de l’ange cadre parfaitement avec cette question : « L’esprit
saint viendra sur toi. » C’est-à-dire, voici quelle en est la
manière : l’Esprit saint viendra sur toi, et c’est de son opération,
non celle d’un autre, que tu concevras et enfanteras.
Écoutons maintenant Pierre martyr. Dans son livre sur
le célibat et les vœux, il fait trois réflexions pour expliquer ce passage.
Il dit d’abord que le mariage d’une vierge ne va pas avec le vœu de
virginité. Mais, à cela on a déjà répondu. Il dit ensuite qu’on
ne peut pas voir un vœu dans ces mots : parce que je ne connais pas d’homme,
à moins, à la façon d’Anaxagore, de faire n’importe quoi avec n’importe
quoi. Et il donne comme preuve des locutions semblables. Exode 6
: « Comment Phaaron m’entendra-t-il puisque je suis incirconcis
de lèvres ? Et pourtant, nous n’aurions pas raison d’en déduire
que Moïse a fait le vœu de circoncire ses lèvres. Nicodème dit
en Jean 3 : « Comment un homme peut-il renaître quand il est déjà vieux
? »
Mais ces objections sont puériles. Car, l’incirconcision des
lèvres et de la vieillesse ne dépend nullement du libre arbitre.
Elles apportent donc un empêchement à la parole et à la naissance qui
ne peut pas être enlevé par un humain. C’est donc avec
prudence que s’est exprimé Moïse quand il a dit : « Comment Phaaron
m’entendra-t-il, puisque je suis incirconcis de lèvres ? » Ainsi
que Nicodème : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux
? » Et cela, même si l’un n’avait pas fait le fait de
circoncire ses lèvres, ni l’autre son grand âge. Car, sans un
tel vœu, ils avaient un empêchement l’un à parler, l’autre à naître
qu’ils ne pouvaient enlever par eux-mêmes. Mais, connaître un
homme, c’est une chose qui dépend du libre arbitre d’une femme mariée.
C’est pourquoi la sainte vierge aurait répondu inutilement « comment
cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme », si aucune loi
ne l’empêchait d’en connaître un. Or, il appert qu’elle n’était
empêchée de ce faire par aucune loi commune. Il ne reste donc que
c’est par une loi privée qu’elle l’était, c’est-à-dire, par
un vœu.
Il essaie de dissoudre notre argument, en disant que la sainte
vierge aurait interrogé avec prudence, même si elle n’avait pas fait
vœu de virginité : « La question de notre vierge est tout à fait prudente
parce que si la conception et l’enfantement qui lui étaient prédits
devaient se faire de la façon usuelle et normale, elle déclare s’y
opposer parce qu’elle ne cohabitait pas encore avec un homme. Elle
veut donc qu’il lui explique la façon : hors de l’ordre, au-dessus
de la nature » ?
Mais il s’agite en vain, car si le messie devait être
conçu par la voie ordinaire et naturelle, ce n’est pas prudemment
mais stupidement qu’elle aurait présenté comme un empêchement de ne
pas cohabiter encore avec un homme. Car, la conception qui lui était annoncée
n’était ni présente, ni passée, mais future : « voici que tu concevras
et enfanteras ». Or, pour une conception future, il n’était
pas requis qu’elle connaisse actuellement un homme, ou qu’elle en ait
connu un, mais qu’elle puisse en connaitre un dans le futur, si elle
le voulait. Voilà pourquoi aucune épouse, à moins d’être folle,
ne demanderait à qui lui prédit une conception : comment cela se fera-t-il
puisque je ne connais point d’homme. Car, on lui répondrait aussitôt
: si tu n’en a pas encore connu un, tu en connaitrais un bientôt.
Si la conception de la vierge devait être au-dessus de la nature, il est
vrai de dire qu’elle interroge sur le mode. Mais elle désire être
renseignée et parce qu’elle était certaine qu’une vierge enfanterait,
et parce qu’elle ne voulait pas connaitre d’homme.
CHAPITRE 23
On affirme la même chose avec les paroles de Matthieu 19 : il y a
des eunuques qui se sont castrés…
Un autre témoignage en faveur de la continence est en Matthieu 19,
où le Seigneur dit que certains sont « des eunuques qui se sont castrés
en vue du royaume des cieux ». Et il ajoute cette exhortation :
« que celui qui peut comprendre, comprenne ». Cette appellation
d’eunuque signifie un vœu. Car n’est pas un eunuque celui se
contient seulement, mais qui ne peut pas ne pas se contenir.
Or, les eunuques dont on parle là ne sont pas forcés de se contenir par
un vice de la nature, car ceux-là le Seigneur les oppose aux
autres. Ils ne sont pas forcés non plus par une loi commune, car
il n’y avait alors aucune loi interdisant le mariage. Il ne reste
qu’une chose, ils sont forcés de se contenir par une loi particulière
assumée volontairement, c’est-à-dire par un vœu. On entend la
même chose par ces mots : « ceux qui se sont castrés ». Car,
si le Seigneur parlait de ceux qui demeurent continents sans aucun voeu,
il dirait d’eux : ceux qui se castrent à chaque jour, non ceux qui se
sont castrés. En disant « qui se sont castrés », il signifie
ceux qui, par une action volontaire unique, se sont enlevés toute possibilité
de contracter un mariage. On confirme cette explication par les pères.
Saint Épiphane (hérésie 58, des Valésiens) : « Qui sont-ils ceux
qui se sont castrés pour le royaume des cieux ? Qui d’autres que les
généreux, les apôtres et les moines, ainsi que les vierges. »
Et plus bas : « Après les apôtres, combien de milliers qui
vivent une vie solitaire dans le monde, et qui obtinrent la gloire de ce
combat dans des monastères de moines et de vierges. » Quand il
affirme que se castrer pour le royaume des cieux c’est être ce que font
les moines et les vierges consacrées à Dieu, il enseigne explicitement
que la dite castration n’est pas seulement la continence, mais
une continence consacrée à Dieu par un vœu. Saint Jérôme, dans son
commentaire de ce passage, écrit : « Que chacun sonde ses propres forces,
pour savoir s’il est capable d’accomplir les préceptes de virginité
! » Quels sont donc les préceptes virginaux, sinon l’obligation
de ne pas se marier, qui sans le vœu n’existe pas. Et (au livre
1 contre Jovinien), il dit : « Ils se castrent eux-mêmes ceux qui, dans
un temple très pur, s’offrent à Dieu comme un holocauste acceptable.
» Ici, il appelle castration non le célibat à lui seul,
mais le célibat dédié et consacré. Saint Augustin (dans son livre de
la sainte virginité, chapitre 30), dit, en faisant allusion à ce passage
où le Seigneur parle de la castration volontaire (« que celui qui peut
comprendre, comprenne ») : « Vous, qui ne l’avez pas encore vouée
à Dieu, comprenez ceux qui peuvent comprendre ! »
Saint Fulgence (livre de la foi sur le chapitre 3 de Pierre) : « Celui
qui se castrera pour le royaume des cieux, et qui vouera à Dieu la continence
dans son cœur… » Le « et » annonce une explication, à
n’en pas douter. Mais accourt Pierre le martyr (dans son livre
sur le célibat et les vœux), qui enseigne que ce passage ne nous permet
pas d’instituer un vœu de continence. « Car, les
apôtres qui répondirent par cette image d’eunuques, ont dit seulement
: « Si le mariage est ainsi, il est préférable de ne pas se marier.
» Ils ne dirent pas : il convient de faire un vœu de continence.
Voilà pourquoi, si le Seigneur avait voulu répondre à la réflexion
faite par les apôtres, ce n’est pas du vœu de continence qu’il aurait
fait l’éloge, mais du mariage, en en soulignant l’utilité et les
avantages. Par eunuques qui se castrent eux-mêmes pour le royaume
des cieux, il entend ceux qui, par un don spécial de Dieu ont avantage
à ne pas se marier, pour pouvoir prêcher l’évangile plus efficacement
». Le martyr ajoute qu’ne faut pas faire violence à la métaphore
des eunuques, mais regarder l’intention principale de cette parabole.
Comme dans la parabole de l’intendant malhonnête. Même
si Jésus tire une comparaison de ceux qui se font des amis avec les biens
d’autrui, son intention n’est pas de nous inciter à faire des
aumônes avec des biens qui ne nous appartiennent pas.
Mais Pierre martyr ergote pour tien. Pour obscurcir et détourner de
leur sens des paroles suffisamment claires et limpides, il commet plusieurs
bévues. La première. Quant à la visée de ces paroles.
Car, même si les apôtres n’avaient pas parlé d’un vœu de continence,
ne faisaient que demander si çà valait le coup de se marier, le Seigneur
leur a montré quelque chose de plus parfait; et il confirma
qu’il n’était pas avantageux de se marier, en ajoutant qu’il était
avantageux de s’obliger par un vœu à ne pas se marier, comme le montre
la métaphore de l’eunuque et de la castration.
La deuxième. Quand il dit qu’il ne faut pas faire violence
à ces paroles, parce que dans les paraboles, chaque mot n’est pas nécessairement
chargé de sens symbolique. Je dis qu’il se trompe. Je reconnais
que dans les paraboles se trouvent des parties qui ne signifient rien,
mais qui ne sont placées là que pour compléter le récit.
Toutefois, dans les paroles évangéliques dont nous parlons, il
n’y a pas de parabole, mais seulement deux mots imagés, ceux d’eunuque
et de castration. Or, si ces mots ne forment pas des images aptes
à nous faire comprendre l’intention de Jésus, la réponse de Jésus
ne veut rien dire. Ces mots ne contiennent une image explicative
que si ceux qu’on appelle métaphoriquement eunuques ont une obligation
volontaire d’être continents, comme les eunuques proprement dits ont
une nécessité naturelle d’être continents.
La troisième erreur. Bien que dans les longues paraboles, il
puisse arriver qu’une partie ou l’autre soit dénuée de sens symbolique,
il demeure que les mots dans lesquels la parabole est principalement contenue,
ne peuvent pas être vides de sens, sous peine rendre la parabole inepte.
La quatrième erreur. L’exemple de l’intendant malhonnête.
Il n’estime pas que signifie quelque chose le fait que l’intendant
se soit fait des amis avec les richesses d’autrui, alors que la
parabole consiste essentiellement en cela. Car, le Seigneur veut nous enseigner
que comme cet intendant qui s’est fait beaucoup d’amis en faisant des
largesses avec les biens de son maître, nous nous fassions, nous aussi,
des amis en faisant l’aumône avec les biens de notre maître, Dieu,
à qui appartient tout ce que nous avons. La seule différence consiste
en ceci : il péchait, lui, en faisant des cadeaux avec les biens
de son maître, et c’est pour cela qu’il est appelé un intendant malhonnête.
Or, nous, nous ne péchons pas en faisant des cadeaux avec l’argent de
notre maître, parce que c’est une chose qui lui plait énormément.
Et en dépensant libéralement ses biens, nous ne faisons de tort à personne.
C’est même une pensée qui nous incite fortement à faire l’aumône,
celle qui nous fait comprendre que nos richesses et nos biens ne sont pas
notre propriété, mais appartiennent à Dieu, et qu’avec ces biens étrangers
nous pouvons nous emparer du royaume des cieux.
La dernière erreur de Pierre Martyr. Il estime que la continence
n’est louée que parce que, en libérant quelqu’un du soin d’une
épouse et des enfants, elle le rend plus apte à la prédication. Cette
erreur nous l’avons déjà réfutée dans les conseils évangéliques.
Je n’ajouterai qu’un autre témoignage de saint Augustin (livre de
la sainte virginité, chapitre 23) : « Que peut-on dire de plus vrai,
que peut-on dire de plus clair ? Le Christ le dit, la vérité le
dit, la vertu et la sagesse de Dieu le disent : ceux qui, par une décision
pieuse, s’abstiennent de prendre femme, se castrent pour le royaume
des cieux. Mais la vanité humaine, par une témérité impie, soutient
que ceux qui font cela ne le font que pour éviter les fardeaux et
les soucis de la vie à deux; et que, dans le royaume des cieux ils n’auront
rien de plus que les autres. »
CHAPITRE 24
On affirme la même chose avec les paroles de saint Paul (1 Timothée
5) : « Ils obtiennent la damnation, parce qu’ils ont rendue nulle leur
première foi. »
Le troisième passage en faveur du vœu de continence se trouve dans
la première épitre de saint Paul à Timothée, chapitre 5 : « Évite
les veuves encore jeunes. Quand elles sont encore éprises de plaisir
sexuel, elles veulent se marier dans le Christ, étant condamnées, parce
qu’elles ont rendue nulle leur première foi. » Par première
foi, on ne peut entendre rien d’autre qu’un vœu de continence, comme
l’ont compris tous les anciens. Car, quand l’apôtre dit que
ceux qui veulent se remarier rendent nulle leur première foi, nous en
déduisons nécessairement qu’il parle d’un vœu de continence qui
est violé par les secondes noces. Cette foi (promesse, engagement)
de conserver la continence, est donnée ou au mari charnel, ou à l’époux
spirituel, le Christ. Elle ne peut pas avoir été donnée
au mari charnel, car elle dure autant que vit le mari. Car, le mari une
fois mort, la femme est libérée de sa promesse, et peut se marier à
qui elle veut, comme le dit l’apôtre (Romains, 7,1; Cor. 7). Il
s’ensuit donc que la foi dont parle ce passage en soit une donnée au
Christ, l’époux spirituel.
Or cette foi donnée au Christ ne peut pas être simplement une
intention, ou une volonté de se contenir sans promesse ou sans vœu.
Car, une simple intention n’a pas de relation à quelque chose, et ne
peut pas être appelée foi. On ne rend donc pas une foi nulle quand
on change d’idée. D’autant plus qu’il est souvent permis de
changer d’idée sans commettre de faute. Mais l’apôtre
dit en termes formels qu’elles sont condamnées parce qu’elles ont
rendu nulle la foi première. Il s’ensuit, donc que, dans ce passage,
le mot foi signifie vœu. On peut aussi en déduire que le vœu de
continence n’est pas impossible, ni illicite, car il n’y aurait eu,
alors, aucun péché à le violer.
C’est ainsi que l’explique le concile de Carthage 4, canon 104
: « Certaines veuves encore jeunes s’étaient consacrées
au Seigneur, et après avoir rejeté l’habit laïc, et avoir, en présence
de l’évêque et de l’assemblée ecclésiale, revêtu un habit religieux,
étaient retournées à des noces séculières. Elles ont, selon
le témoignage de l’apôtre, été condamnées pour avoir osé
violer le voeu de continence qu’elles avaient prononcé devant Dieu.
» Cette sentence est celle de 214 évêques, qui participèrent
tous à ce concile. On trouve la même chose dans le concile de Toulouse
4, chapitre 25, formé de 75 évêques.
Et c’est ainsi que l’expliquent trois pontifes très grands et
très saints. Saint Clément (livre 3, constitutions apostoliques,
chapitres 1 et 2), Innocent 1 (épitre 2, chapitre 13), Gélase (l, épitre
1, chapitre 23). De même, Tertullien, (dans son livre sur la monogamie,
non loin de la fin). Saint Basile (dans son livre sur la virginité,
un peu passé le milieu), saint Jérôme (dans son livre 1
contre Jovinien, et dans le chapitre 44 d’Ézéchiel), Épiphane
(hérésie 48), saint Augustin (dans le livre de la sainte virginité,
chapitre 23, et dans son livre sur la bonne viduité, chapitres 8 et 9,
et dans le psaume 75), Fulgence (épitre 1). De plus, tous les commentateurs
de ce passage, autant grecs que latins. Grecs. Saint
Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, Oecumenius. Latins.
Saint Ambroise, Primasius, Béde le vénérable, Sedulius, Anselme et les
autres.
Plusieurs ont essayé de répliquer à cette interprétation du passage.
Luther, d’abord (dans son livre sur les vœux monastiques) soutient que
par foi on ne peut pas entendre un vœu, parce que, dans l’Écriture
un vœu ne reçoit jamais le nom de foi. Par première foi, il veut
entendre la foi chrétienne qu’ont perdue ces veuves, qui pour pouvoir
se marier plus facilement, sont passées de la foi chrétienne au judaïsme,
ou au paganisme. Et il confirme cette interprétation par deux raisons.
La première. L’apôtre dit que ces veuves sont revenues en arrière,
après Satan. La deuxième. Elles sont « luxurieuses contre le Christ
». Or, reculer après Satan, et être luxurieux contre le Christ
ne signifient rien d’autres que l’apostasie de la foi du Christ.
Mais il est facile de réfuter cette nouvelle interprétation.
Car, même si la foi ne signifie jamais ailleurs un vœu, elle signifie
en beaucoup d’endroits une promesse, ou la constance dans la conservation
de la promesse. Or, l’une et l’autre appartiennent certainement au
vœu, puisque le vœu est une certaine promesse. Genèse 44 : «
J’ai reçu cela dans ma foi » Romains 3 : « Est-ce que leur incrédulité
a évacué la foi de Dieu ? » En ce lieu, donc la foi peut signifier une
promesse ou un pacte. Que cette foi, en ce lieu, non seulement
puisse, mais doive signifier une promesse ou un pacte, non la foi
chrétienne par laquelle nous croyons en Dieu, on le déduit de ce mot
ajouté : elles la rendirent nulle. Car, on ne dit pas de la foi
par laquelle on croit en Dieu qu’elle a été annulée, mais perdue
ou corrompue. Mais au sujet des promesses et des pactes ont dit qu’ils
ont été annulées ou invalidées. Deutéronome 30 : « Si quelqu’un
fait un vœu au Seigneur, qu’il ne le rend pas nul ou invalide. »
Psaume 88 : « Les choses qui procèdent de ma bouche, que je ne les rende
pas nulles. »
De plus, il n’y avait aucune autre raison qui empêchait ces
jeunes veuves de se remarier, si elles n’avaient pas fait de vœux,
que d’avoir passé au judaïsme ou à l’idolâtrie. Car qui les
empêchait de se marier avec des chrétiens ? L’apôtre (1, Cor
7) avait permis formellement aux veuves de se remarier dans le Seigneur,
c’est-à-dire avec d’autres chrétiens. Et les raisons données
par Luther ne permettent de tirer aucune conclusion. Car s’éloigner
de Dieu à la suite de Satan ne convient pas non seulement pour l’apostasie,
mais pour tout péché mortel. Être luxurieux contre le Christ ne
peut pas signifier une défection de la foi du Christ, mais adopter un
comportement qui fait injure au Christ. Car l’apôtre dit
que ces veuves ont d’abord eurent des pensées luxurieuses, et ont voulu
ensuite se marier. Luther lui, dit qu’elles ont d’abord voulu
se marier, et que c’est à cause de cela qu’elles ont apostasié.
On est donc forcé d’avouer qu’être luxurieux et apostasier,
ce n’est pas la même chose.
Calvin, lui, présente trois solutions. La première. Il
dit que, par la première foi, l’apôtre entend la foi reçue au
baptême, que ces jeunes veuves avaient rendue nulle et invalide par leur
luxure et leur prostitution. Mais cette réponse est peu convaincante.
Car, non seulement elle est contraire à tous les témoignages cités,
mais l’apôtre dit clairement qu’elles ont obtenu la condamnation
parce que, en se mariant, elles ont rendu nulle la première foi.
Or, aucune femme, au baptême, ne promet de ne jamais se marier.
Si elles n’ont pas fait vœu de continence, pourquoi sont-elles condamnées
parce qu’elles osent se marier ?
L’apôtre dit : Comme elles ont été luxurieuses dans le Christ.
Quelques-uns entendent le mot au sens de délices spirituels. Et
le sens serait le suivant : après qu’elles aient abondé de délices
spirituels dans la maison du Seigneur, elles ont, ingrates envers
l’époux céleste, convoité des noces terrestres. C’est ce qu’enseignent
Tertullien (la monogamie), et Cyprien (livre 3, chapitre 74 à Quirinus).
D’autres l’entendent de l’affluence des biens terrestres. Et le sens
serait le suivant : après s’être nourries à satiété des biens de
l’église, elles veulent se marier. Comme Theodoret, et saint
Thomas, dans le lieu cité. D’autres, comme saint Jean Chrysostome
et saint Jérôme (dans son épitre à Ageruchia sur la monogamie) entendent
le mot au sens de fornication. Et le sens serait : après, qu’elles
aient forniqué envers leur époux céleste, en voulant se marier.
Mais quelle que soit la façon dont on interprète cette phrase, notre
argument garde toujours sa force. Car, si on ne parle pas de prostitution,
on ne fait que leur reprocher de s’être mariées après avoir fait un
vœu. Si on entend ce mot au sens de prostitution, on ne devrait
pas seulement les louer mais les exhorter à passer de la prostitution
à un mariage honnête. L’apôtre n’appelle donc pas la
première foi la foi du baptême, mais celle d’un vœu, la seconde
foi correspondant à un remariage après le vœu de continence. Car, c’est
comme s’il disait : après la foi donnée au Christ, elles veulent donner
leur foi à un mari mortel, et rendre nulle la première. Ajoutons,
que même si l’apôtre parlait de la foi reçue dans le baptême, on
ne pourrait pas en tirer de conclusions favorables aux hérétiques.
Car, dans le baptême, nous promettons de conserver la loi de Dieu.
Or la loi prescrit souvent qu’il faut remplir ses promesses vouées à
Dieu. Et cela est également vrai que ces veuves qui voulaient se
remarier. En violant leur vœu de continence, elles rendaient
nulle leur foi reçue dans le baptême.
L’autre solution de Calvin est la suivante. Il reconnait que
ces jeunes veuves dont parle l’apôtre avaient fait un vœu de continence,
et qu’elles avaient rendu nulle cette promesse en voulant se remarier.
Mais il prétend que les seules à avoir fait ce genre de promesse
sont celles qui avaient atteint la soixantième année, et qui n’étaient
plus candidates au mariage. Car, l’apôtre dit : « on élira une
veuve qui aura au moins soixante ans. » On ne peut donc, de ce passage,
rien déduire au sujet du vœu de continence des vierges consacrées
au Seigneur.
Mais cette réponse n’est pas non plus très convaincante.
Car, même si l’apôtre demande qu’on ne choisisse que des sexagénaires,
ce ne sont pas des vielles mais des jeunes qu’il accuse de
vouloir rendre nulle leur première foi en voulant se remarier. Si
donc ce que dit Calvin est vrai, à savoir qu’une jeune veuve ne peut
pas faire le vœu de continence, pourquoi l’apôtre les blâme-t-il ?
Je dis de plus que quand l’apôtre dit de n’élire que des sexagénaires,
et qu’il demande d’éviter les jeunes veuves, il ne parle pas de l’admission
à un vœu de continence, mais de l’élection à une certaine préfecture
dans l’ordre des diaconesses, comme l’explique Tertullien (dans son
livre du voile des vierges, et dans son livre 1 à sa femme). Ou,
ce qui est plus probable, de l’admission au nombre des veuves qui sont
nourries par l’Église, comme saint Jean Chrysostome, saint Ambroise,
saint Jérôme (dans l’épitre à Salvina) l’expliquent. Car le mot
« qu’il soit choisi » se dit en grec : inscrit au catalogue, ou énuméré
(katalagezô).
L’Église, en effet, ne voulait pas nourrir des veuves qui n’avaient
pas encore soixante ans, comme l’enseigne saint Jérôme au lieu cité,
car elles pouvaient travailler, et se procurer de la nourriture.
Et de plus, parce qu’il était plus difficile pour des jeunes veuves
de se conserver dans la continence, et qu’il serait plus honteux si c’était
une des veuves nourries et conduites par l’église qui chutaient plutôt
qu’une veuve quelconque, l’apôtre voulait donc qu’elles soient soigneusement
éprouvées, et qu’on ne prenne que celles dont on ne redoutait aucun
péril pour leur continence. La troisième. Cette promesse de continence
que les veuves faisaient n’était pas, à proprement parler, un vœu
fait pour honorer Dieu, mais c’était plutôt une promesse faite à l’église
pour faciliter le ministère des diaconesses. Comme une fille ou
une veuve qui veut être reçue comme servante, et qui promet de
ne pas se marier, pour être plus libre d’accomplir son travail
de servante.
Cette explication a moins de poids que toutes les autres.
Surtout parce que les pères cités disent qu’elles avaient vraiment
un vœu à Dieu. Si peut et doit (comme Calvin le prétend) violer
un vœu fait à Dieu celui qui, troublé par des désirs charnels,
ne peut pas se contenir, à combien plus forte raison pourrait-il et devrait-il
violer un vœu fait à l’église. Pourquoi donc l’apôtre blâme-t-il
ces jeunes veuves parce qu’elles veulent se marier? Mais ils répliquent.
Il ne les blâme pas parce qu’elles veulent se marier, mais parce
que, en agissant comme des prostituées, elles ont rendu nulle la foi jurée
à l’église. Je réponds que c’est le contraire qui est vrai.
Car l’apôtre ne dit pas au présent : ayant la condamnation, la faute
présente doit correspondre à la damnation présente : la prostitution
avait précédé, et d’après l’interprétation de Calvin, elle avait
été amendée par la volonté d’un honnête mariage. Mais, voici
ce que dit vraiment l’apôtre : après avoir été luxurieuses, elles
veulent se marier. Il ne les condamne donc pas parce qu’elles
ont été luxurieuses, mais parce qu’elles veulent se marier, verbe
au temps présent. Pourquoi les condamne-t-il parce qu’elles veulent
se marier, si ce n’est parce qu’elles avaient fait vœu de continence,
et qu’en voulant se remarier, elles annulent leur première foi ?
Mais ils insistent. L’apôtre à dit : « je veux que les jeunes
se marient ». Il n’approuve donc pas les vœux des jeunes. Voir l’explication
de ce passage, plus bas, au chapitre 30.
Après avoir (dans son livre sur le célibat et les vœux), répété
les objections de Luther et de Calvin que nous avons déjà présentées
et réfutées, Pierre martyr en présente deux de son cru.
La première. Ce texte est ambigu, et est susceptible de plusieurs interprétations
différentes. On ne peut donc rien en tirer pour confirmer des dogmes.
Je réponds qu’on ne peut pas vraiment dire que ce texte est ambigu,
puisque tous les auteurs qui l’ont commenté avant que naissent nos disputes,
l’ont expliqué d’une seule et même manière. Autrement, il
n’y aurait rien qui ne soit pas ambigu. Car, il n’y a rien de
si clairement exprimé qui ne puisse être mis en doute par les esprits
contestataires. J’ajoute aussi que des textes ambigus peuvent servir
à clarifier et confirmer des dogmes, quand l’Église en donne
une explication approuvée par les conciles, ou par le consentement unanime
des pères. Car, autrement, rien ne serait tout à fait certain,
et, pour les hérétiques, il n’y a vraiment rien de certain. Car,
comme nous l’avons dit, il n’y a rien dans l’Écriture qu’on ne
puisse expliquer de différentes façons, si on a l’esprit contestataire.
Si tu maintenais vraiment que, par ces textes ambigus, on ne peut confirmer
aucun dogme de foi, nous n’aurions aucun dogme. Exemple.
Plusieurs transylvaniens nient aujourd’hui que le Christ est Dieu, et
tous les passages de l’Écriture que nous utilisons pour prouver que
le Christ est vraiment Dieu, ils les interprètent différemment.
Si nous prêtons foi à Pierre martyr, ce ne sera pas un dogme de foi que
le Christ est Dieu. Et on peut facilement montrer la même
chose de tous les articles de foi.
La deuxième. Pierre martyr soutient que le « ayant la damnation
», ne signifie pas la peine qui provient d’un péché devant Dieu,
mais seulement une infamie devant les hommes. Car, même si celles
qui ont promis à l’Église de rester chastes, ne pêchent pas
en se mariant, mais font plutôt une bonne action, selon les paroles
mêmes de saint Paul : « il est préférable de se marier que de brûler
», elles doivent quand même subir un reproche de légèreté, parce qu’elles
n’avaient pas persévéré dans ce qu’elles avaient entrepris.
Or, cela il ne le prouve pas autrement que par l’autorité de Bucer,
qui enseigne que le mot grec krima qui a été traduit par damnation, est
ambigu, et peut être entendu comme une accusation auprès des hommes.
Nous opposons nous, à Bucer, l’autorité de tous les pères cités plus
haut, qui enseignent que les jeunes veuves qui se sont remariées après
leurs vœu de continence ont été condamnées éternellement devant Dieu.
Nous lui opposons, ensuite, saint Paul lui-même, qui a partout
employé ce mot au sens d’une condamnation devant Dieu et les hommes,
pour un crime grave et manifeste. Romains 3 : « Donc la condamnation
(krima) est manifeste. Il appelle condamnation le jugement de Dieu
sur ceux qui blasphèment et mentent en disant que l’apôtre enseigne
: faisons le mal, pour qu’en ressorte du bien. Et aux Romains 13
: « Ceux qui résistent à l’ordre établi par Dieu, se procurent
à eux-mêmes la damnation (krimen). Il est certain que ceux qui résistent
à Dieu sont condamnés par Dieu, et non par les hommes seulement.
Ensuite, Jean, au chapitre 3, n’emploie pas une fois seulement
ce mot (krima) au sens de condamnation divine, mais trois fois. « Le Fils
de l’Homme n’est pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le
monde par lui-même. Car le verbe ina krimè ne se rapporte pas ici
au jugement de discussion, mais de condamnation. Car voici quel en
est le sens : il n’est pas venu pour porter une sentence de condamnation
contre le monde, mais plutôt une sentence d’absolution. Car, un
peu après, il dit : « Celui qui croit n’est pas jugé », c’est-à-dire
n’est pas condamné. Celui qui ne croit pas est déjà jugé, c’est-à-dire
condamné. Ce qui veut dire : la sentence de condamnation qu’il
aura est manifeste, même si elle n’a pas encore été prononcée.
C’est au Pierre martyr et à Bucer de nous montrer à quel endroit le
mot krima ne signifie pas condamnation par Dieu.
De plus, pourquoi, je le demande, ces veuves ont-elles été
considérées comme infâmes par les hommes, parce qu’elles voulaient
se remarier, si elles n’avaient pas été liées par des vœux ?
Si, pour un évêque, ce n’était pas une chose honteuse (comme ils le
disent) de prendre femme, et de se remarier après la mort de la première
femme, pourquoi était-ce honteux à une veuve qui ne pouvait pas se contenir,
de se remarier? Et s’ils ne veulent voir ni infamie, ni légèreté
ni honte dans les religieux et les religieuses de notre temps qui, après
des vœux solennels, sont passés au mariage, comment osent-ils dire que
ce fut une chose honteuse à des veuves de vouloir se remarier, puisqu’elles
n’avaient rien, selon eux, qui les empêchait de le faire ?
CHAPITRE 25
On affirme la
même chose avec les conciles
Nous allons maintenant prouver notre sentence par le témoignage de
toutes les églises que les conciles anciens nous fournissent aisément.
Le jugement de l’église orientale nous est montré par le concile d’Ancyre,
(canon 18) : « Celles qui, au mépris de leur profession, ont trahi
leur promesse de virginité, seront comme des bigames. » Le concile
général de Chalcédoine (chapitre 16) : « Il n’est permis ni à une
vierge qui s’est consacrée à Dieu, ni à un moine, de contracter un
mariage licite. Ceux qui seront convaincus d’avoir péché ainsi, seront
excommuniés. » Le jugement de l’église africaine, on le voit
dans le concile de Carthage 3, chapitre 33, où il est ordonné que les
vierges consacrées à Dieu soient gardées avec soin dans des monastères.
Ainsi que dans le concile de Carthage 4, dernier chapitre, comme nous l’avons
dit plus haut. Le jugement de l’église d’Espagne apparait dans
le concile de Tolède, 4, chapitre 55 : « Il y a deux sortes de veuves,
les séculières et les consacrées à Dieu ». Et, un peu plus bas : «
Si les dernières se marient, elles ne seront pas, selon l’apôtre, sans
condamnation, car, après avoir fait un vœu devant Dieu, elles ont rejeté
ensuite leur promesse de chasteté. »
Le jugement de l’église des Gaulles apparait dans le concile
de Tours 11, chapitre 16 : « Ceux qui sont entrés en religion après
s’être convertis n’ont en aucune façon la permission de s’évader
de leur monastère, ni, ce qu’à Dieu ne plaise, de se marier. S’ils
prennent femme, ils sont excommuniés, et cette mauvaise union doit
être rompue par un juge. Si le juge ne veut pas prononcer une sentence
de dissolution du mariage, qu’il soit excommunié. Le malheureux
moine qui est enchainé par une telle union conjugale, s’il s’efforce
de se défendre par le patronage d’un grand, ils seront lui et
celui qui tentera de le défendre séparés de l’Église jusqu’à
ce que le défroqué marié retourne à son monastère, et qu’il fasse
la pénitence qui lui sera imposée par son abbé. Ili ne reviendra
en grâce qu’après avoir fait satisfaction. »
Le jugement de l’église d’Allemagne apparait dans le concile de
moguntinens, au temps de l’empereur Arnolphe, dernier chapitre
: « Celles qui ont fait vœu de chasteté qu’elles se tiennent constamment
renfermées dans des monastères cloitrés, ou que, demeurant à la maison,
elles gardent intégralement la chasteté de leur profession. »
La même chose est confirmée dans le décret du concile d’élibertin,
et dans le sixième décret du concile de Cologne, sous Charles Crassus,
dans lesquels il est statué que les vierges consacrées à Dieu qui ont
violé leurs vœux et ont perdu leur pacte de virginité, ne recevront
la communion qu’à la fin de leur vie. Mais si elles persistent
dans la recherche du plaisir, elles ne pourront même pas alors recevoir
la communion. » Dans le concile de Moguntino, sous Raban,
on trouve plusieurs choses sur la vie des moines et des religieuses.
Le jugement de l’église d’Italie apparait dans le concile romain
sous le pape Sylvestre (canon 10), où il est interdit à un évêque de
bénir une vierge qui s’est mariée, à moins que sa chasteté n’ait
été longuement éprouvée. Le concile for julien du temps de Charlemagne
: « De même il a plus au sujet des femmes de toute condition, vierges
ou veuves, qui prononçant spontanément un vœu de virginité ou de continence,
ont été consacrées à Dieu, et qui, en signe de leur continence,
ont revêtu une robe noire , à la façon des religieuses, comme le veut
l’antique coutume de ces régions, d’ordonner qu’elles persévèrent
perpétuellement dans cet état, même si elles n’ont pas été consacrées
par un prêtre. Si, par la suite, elles se marient privément
ou publiquement, contraintes par la vindicte d’un jugement mondain, les
époux seront séparés l’un de l’autre, et consacreront le reste de
leur vie à faire pénitence. »
CHAPITRE 26
On le prouve ensuite par les réponses de souverains pontifes.
Clément (constitutions apostoliques, livre 3, chapitre 1) : « Voilà
pourquoi il ne faut pas faire profession témérairement, mais avec réflexion
et considération. Car, il est préférable de ne pas faire de vœu
plutôt que de promettre par vœu et de ne pas tenir sa promesse. » Il
disait cela en parlant des veuves. Syricius (épitre 1, chapitre
6) Il dit : « Ni les lois publiques ni les droits ecclésiastiques ne
permettent aux moines et aux religieuses de se marier après avoir
fait des vœux perpétuels. » Innocent 1 (épitre 2, chapitre 12)
dit : « Celles qui se marient après avoir prononcé un vœu sont adultères
du Christ, c’est-à-dire des sacrilèges. » Léon1 (lettre
à Rustique, évêque de Narbonne, 90, chapitre 13) : « La promesse d’un
moine faite volontairement et librement ne peut pas être violée sans
péché. Car, ce que quelqu’un voue à Dieu, il doit le lui rendre.
»
Il dit la même chose, au chapitre suivant, des vierges consacrées
à Dieu. Gélase (épitre 1, chapitre 22) : « Ceux que nous savons
s’être témérairement joints à des vierges consacrées à Dieu, et,
après s’être consacrés à Dieu, s’être immiscés dans des
liens incestueux et sacrilèges, il est équitable qu’ils soient interdits
de la sainte communion, et qu’ils ne puissent la recevoir qu’après
avoir été éprouvés par une longue pénitence ». Il dit la même
chose au chapitre 23, et il ajoute que les veuves pèchent si elles
se marient après un vœu de continence.
Saint Grégoire (livre, 1, épitre 1, 33 à Venantius) : « Considère
de quel péril tu deviendras digne dans le jugement divin, toi qui a as
défroqué, après t’être voué à Dieu en revêtant l’habit monastique.
» Et, dans l’épitre 40 à Anthémius, il ordonne aux moines qui
se sont mariés, de renoncer à leurs épouses et de retourner à leurs
monastères. »
Se présentent aussi à nous les réponses des chefs politiques.
Eusèbe écrit (dans la vie de Constantin, livre 4), qu’a été
abrogée par Constantin l’antique loi des Romains qui privait les
stériles, ou les sans enfants, d’une succession héréditaire.
Il écrit que la raison de cette abrogation était que la loi ne
devait pas punir ceux qui, par une grâce religieuse spéciale, pratiquaient
le célibat en vertu d’un vœu. De plus, quand, au temps de l’empereur
Julien l’apostat, certaines vierges commencèrent à demander le mariage,
l’empereur chrétien Jovinien, qui avait succédé à Julien, édicta
une loi selon laquelle serait coupable de peine capitale celui qui demanderait
à une vierge de se marier avec lui, ou qui la regarderait de façon impudique.
» C’est Sozomène qui raconte cette anecdote (livre 6, chapitre
3 de son histoire). Et cette loi est toujours dans le codex (L, si
quis, de episcopis et de clericis) Si cette loi avait été observée
à notre époque, Martin Luther aurait eu, en toute justice, la tête
tranchée, lui, et beaucoup d’autres.
CHAPITRE 27
On affirme la même chose avec les témoignages des pères. Saint
Ignace dans son épitre aux chrétiens de Tarse, ordonne d’honorer les
vierges consacrées à Dieu. Et dans son épitre aux chrétiens d’Antioche
: « Que les vierges reconnaissent celui auquel elles se sont consacrées.
» Denys (dans l’église hiérarchique, chapitre 6, part 2), dit,
en décrivant le rite d’initiation des moines, qu’ils renoncent
à la vie divisible, c’est-à-dire séculière. Car, le séculier
est divisé, comme le dit saint Paul (1 Corinth 7) puisqu’il pense tantôt
à Dieu, tantôt à son épouse. Martial (dans son épitre
aux Toulousains (chapitre 8), dit avoir persuadé la vierge Valérie, de
vouer sa virginité à Dieu, comme Matthieu qui a persuadé Abdias,
et saint Paul Thècle, comme l’écrit saint Ambroise, (livre 2, des vierges),
et Clément Flavie Domitilla, comme l’écrit saint Bède (dans le martyrologe,
7 mai), et aussi selon Eusèbe, dans sa chronique.
Tertullien (dans son livre du voile des vierges) s’écrie : « O
mains sacrilèges qui ont profané une demeure consacrée à Dieu.
Qu’aurait fait de pire un persécuteur s’il avait su que tel était
le choix d’une vierge ! » Et, à la fin de son livre : « Tu t’es
mariée au Christ, c’est à lui que tu as livré ta chair, à lui que
tu as donné ta puberté. » Et ailleurs : « Pourquoi fera-t-il
le vœu de continence ? » Et, dans le livre de la monogamie, passé
le milieu : « Ayant reçu une condamnation parce qu’elles avaient résilié
la foi première, elles ne voulurent pas persévérer dans l’état de
viduité dans lequel elles se trouvaient »
Saint Clément d’Alexandrie (Stromates, 3, au début). Il dit
: « La continence est le déplaisir d’un corps voué à Dieu au moyen
de pactes et de conventions. Le Seigneur a dit que celui qui a épousé
une femme ne la répudie pas; que celui qui ne s’est pas marié ne se
marie pas; et que celui qui a fait vœu de vivre sans épouse persévère.
» Origène (numéro 23, Nombres) : « Voilà pourquoi il me semble
convenable que le seul à offrir un sacrifice perpétuel soit celui qui
s’est voué à une continence perpétuelle. » Hilaire (dans le
psaume 64) : « Il faut donc vouer à Dieu le mépris du corps, la garde
de la chasteté, la modestie virginale, et la tolérance des
jeûnes. » Eusèbe (livre 4 de la vie de Constantin) : « Après avoir
embrassé la chasteté, la modestie virginale, elles se consacrèrent corps
et âme à Dieu. »
Et, plus bas, au sujet de Constantin : « Il ne vénérait pas seulement
le chœur des vierges, il estimait que là habitait le Dieu auquel elles
s’étaient consacrées ». Saint Cyprien (livre 1, épitre 11 à
Pomponius) : « Quand le Christ, notre Seigneur et notre juge, aperçoit
une vierge à lui consacrée et destinée à sa sainteté, se tenir près
de l’autel, elle provoque son indignation et sa colère, et il menace
de la punir à cause de son union incestueuse… » Et plus bas : « Celle
qui reconnait un tel crime n’est pas adultère d’un mari, mais du Christ.
» Et (dans le livre de l’habillement des vierges) il dit : «
Celle qui s’est consacrée au Christ, qui a voué à Dieu tant
sa chair que son esprit, et qui persévère jusqu’à la fin dans son
engagement est destinée à une grande récompense. »
Saint Athanase (dans le livre de l’humanité du Verbe) raconte que,
de son temps, même les enfants avaient coutume de vouer la virginité
perpétuelle. Et dans l’apologie pour sa fuite, il fait mémoire des
vierges consacrées que les ariens avaient profanées. Pierre, le
successeur d’Athanase, raconte la chose plus longuement dans une lettre
qui a été conservée par Theodoret (livre 4, chapitres 20, 21,
22, de l’histoire de l’église). De même, Athanase (dans
son livre sur la virginité) : « Quand tu as professé la continence,
tu as consacré ton corps. » Saint Basile (dans la récompense réservée
aux moines) : « Celui qui désire se libérer des chaines du monde,
fuit les noces comme des entraves. Après avoir abandonné
ces choses, il consacre sa vie à Dieu, voue la chasteté, pour qu’il
n’y ait plus aucun moyen de se tourner vers le mariage. »
Et dans la dernière lettre qui porte sur une vierge tombée,
il écrit : «Et comme un impie tombé dans l’abyme, méprise même les
maux, tu nies avoir conclu un pacte avec le vrai époux,
être une vierge, et tu cries haut et fort que tu n’as jamais rien promis.
Souviens-toi de la profession honnête que tu as faite devant Dieu, les
anges et les hommes. Rappelle-toi la congrégation vénérable, le saint
chœur des vierges. Combien de lettres as-tu adressées à des saint
pour leur demander de prier pour toi, afin que tu ne te laisses pas entraîner
dans les noces humaines, ou mieux, dans une corruption ignominieuse, et
que tu ne trahisses pas le Seigneur Jésus. » Il dit la même chose (dans
le livre sur la virginité, pas loin du milieu) : « L’adultère d’une
épouse du Christ est un sacrilège horrible. » Et, un peu plus bas :
« Car, quel mariage solennel et légitime cet époux (le Christ) a contracté,
l’attestent la robe de la virginité, les engagements, les pactes, et
la profession religieuse. Et c’est comme ayant été anoblie par
un mari de cette sorte qu’elle se montre en public. » Il dit la
même chose dans les questions longuement expliquées; et dans les questions
14 et 15, il dit beaucoup de choses sur le vœu solennel des moines.
Saint Grégoire de Naziance, dans son sermon sur la mort de son père,
passé le milieu : « Car, comme nous nous étions offerts à Dieu pour
fuir le jugement de condamnation, nous nous offrons de nouveau pour
éloigner tout péril du défunt. » Car, comme il l’écrit dans
le poème de sa vie, saint Grégoire avait été consacré à Dieu par
sa mère, avant de naître; et lui-même par après, quand, sur la
mer, il était en danger de chavirer, émit de nouveau le vœu de continence
et de religion qu’il a conservé fidèlement ». Saint Optat de
Milet (livre 6, contre Parmenius), dit : « C’est un genre spirituel
de mariage. Elles entrèrent en mariage par la volonté de l’époux,
du fait de leur profession religieuse. » Saint Épiphane (hérésie
61, dite des apostoliques) : « Les saints apôtres de Dieu nous ont laissé
cet enseignement que c’était un péché de se tourner vers le mariage
après avoir voué la virginité. »
Et plus bas : « Si une veuve qui s’était consacrée à Dieu
et qui s’est ensuite mariée est condamnée par le jugement de Dieu,
parce qu’elle a rejeté sa première foi, la vierge consacrée à Dieu
qui se marie en étant adultère du Christ, ne rejette-t-elle pas
une plus grande foi, et n’aura-t-elle pas une plus grande condamnation
? » Et à l’hérésie 48, celle des montanistes, il dit
: « Dieu se réjouit de la parole de ceux qui peuvent lui présenter
un culte approuvé, et qui choisissent de pratiquer la virginité et la
continence. » Saint Jean-Chrysostome (homélie 15 sur la première
lettre à Timothée) : « Et la veuve qui fait profession de viduité,
donne son consentement au Christ, c’est-à-dire l’épouse. »
Et plus bas : « Après s’être consacrées à Dieu, elles
veulent se marier en obtenant la condamnation, parce qu’elles ont résilié
leur première foi, le mot foi signifiant pacte. » Et,
dans l’homélie 14, il décrit très longuement la vie religieuse
et en fait de grandes louanges. Et plus clairement encore dans la
lettre 6 au Théodore qui était tombé. Il dit : « Les noces sont
honorables, mais il ne t’est pas permis à toi d’invoquer le privilège
des noces. Autant de fois que tu leur donneras, toi, le nom de mariage,
je les appellerai, moi, adultère, et pire encore. » Sulpice,
(dans la vie de saint Martin, avant le milieu) : « Quand sa fille était
consumée par une fièvre quarte, Arborius, homme fidèle et saint,
déposa sur sa poitrine , là où elle souffrait davantage, une lettre
de saint Martin, qui se trouvait là par hasard, et la fièvre tomba immédiatement.
Arborius prit cette guérison miraculeuse tant à cœur qu’il consacra
immédiatement à Dieu sa fille, et la voua à une virginité perpétuelle.
Il se rendit même chez saint Martin, lui présenta sa fille, et il ne
souffrit pas qu’un autre que lui imposât l’habit religieux, et la
consacrât à Dieu.
Ruffin (dans le livre 10, chapitre 8 de son histoire), raconte qu’à
Jérusalem, il y avait un monastère célèbre de vierges consacrées à
Dieu, que la mère de Constantin, Hélène, avait coutume de servir à
table de ses propres mains. Saint Ambroise (livre 3 de la virginité, avant
le milieu) écrit : « Les filles initiées aux sacrés mystères, et consacrées
intégralement à Dieu, tu leur défends de se marier. Puissé-je
rappeler celles qui sont sur le point de se marier. Puissé-je changer
la robe nuptiale en un voile de continence. Semble-t-il indigne que
des vierges consacrées à Dieu ne soient pas tirées des autels vers les
noces ? Et à celles qui ont le droit de se marier n’est-il pas
permis de préférer Dieu ? « Et, plus bas : « Apprenez la quantité
de vierges que l’église d’Alexandrie, de tout l’orient et de l’Afrique,
ont coutume de consacrer à Dieu à chaque année ! Il répète souvent
des choses semblables.
Saint Jérôme (dans l’épitre à Sabinianus) : « C’est la coutume
en Égypte, et dans les monastères de Syrie, que les veuves aussi bien
que les vierges qui se vouent à Dieu, et qui, renonçant au siècle, foulent
aux pieds toutes les délices du siècle, offrent aux supérieures des
monastères leur chevelure. Elles ne gardent pas, pour autant, contre
la volonté de l’apôtre, leur tête découverte, mais elles la cachent
sous un voile ». Les écrits de ce saint sont remplis de témoignages
sur la profession et le vœu de chasteté. A un point tel que
le martyr Pierre admet qu’aucun autre père ne s’oppose autant
à leurs dogmes que saint Jérôme.
Saint Augustin (livre1, chapitre 24, des époux adultérins) écrit
: « Ce qui était permis à quelqu’un avant qu’il le voue à Dieu,
ne l’est plus quand il a promis de ne jamais le faire. Si, par exemple,
il a voué ce qu’il devait vouer, la virginité perpétuelle. » Dans
le psaume 75, il dit : « Une moniale, je ne sais trop laquelle, a décidé
de se marier. Que voulait-elle ? Être sa propre supérieure
? A-t-elle voulu quelque chose de mauvais ? De mauvais, certainement.
Pourquoi ? Parce qu’elle s’était vouée au Seigneur son
Dieu. » Il dit la même chose ailleurs : «Que dit l’apôtre de celles
qui ont fait un vœu qu’elles n’ont pas tenu ? Il dit qu’elles
ont la condamnation parce qu’elles ont annulé leur foi première.
Qu’est-ce que c’est que résilier la foi première ? Elles avaient
fait un vœu, et ne l’ont pas tenu »
Fulgence (livre de la foi à Pierre chapitre 42) : « Ceux qui soit
étant mariés, soit étant libres de se marier ont voué à Dieu
la continence, sont grandement blâmés s’ils convoitent de nouveau le
mariage, qu’ils avaient librement promis, de leur propre volonté,
de ne pas répéter ou de connaitre pour la première fois. » Le même
Fulgence, épitre 1, chapitre 6, écrit : « La vierge qui se marie
ne pèche pas, si, avant de se marier, elle n’a pas voué dans son cœur
sa virginité à Dieu. » Et (dans l’épitre 3, chapitre 4) : «
Voici le Fils unique de Dieu, le Fils unique aussi de la vierge, l’Époux
de toutes les vierges à lui consacrées, le fruit de la sainte virginité,
l’honneur et la don céleste, que la sainte virginité a enfanté corporellement,
avec qui se marie spirituellement la sainte virginité; par lequel
la sainte virginité est fécondée, pour qu’elle persévère intacte,
par lequel elle est décorée pour qu’elle demeure belle, par lequel
elle est couronnée pour que, toujours glorieuse, elle règne perpétuellement.
»
À ces témoignages des conciles, des pontifes et des pères, Pierre
le martyr (à la fin de son livre) donne trois réponses. La
première. Il dit que toutes ces citations ne sont que des témoignages
humains, et que ce n’est pas le propre d’un chrétien d’aller
chercher son devoir dans des témoignages humains. Voici ses propres
mots : « En ce qui a trait aux témoignages des pères que nos adversaires
(les catholiques), ont coutume de nous opposer dans nos controverses, et
spécialement dans celle-là, je déclare que ce n’est pas le propre
d’un chrétien d’être entraîné par des témoignages humains loin
des Écritures de Dieu. Car, c’est une injure à faire au Saint-Esprit.
Car, la foi vient de l’audition, l’audition, de la parole de
Dieu, et non des pères. » Et il prouve longuement qu’on
ne peut s’éloigner de l’Écriture pour aller vers les
pères.
Mais, quand il dit cela, il me semble qu’il se laisse aller
de la candeur à l’impudence, de la vérité au mensonge. Car,
les docteurs catholiques n’ont jamais détourné les croyants de l’Écriture
pour les diriger vers les pères, mais de l’interprétation de l’écriture
de quelques séditieux au jugement d’un grand nombre de savants et de
saints; ou du jugement d’un parti au jugement de ceux qui ne sont
membres d’aucun parti. Exemple. Dans les litiges humains, quand
deux plaident leur cause et qu’un juge est appelé, on ne détourne
pas les belligérants de la loi vers un juge, mais d’une partie
en litige vers un juge. Et si la décision du juge ne donne pas entière
satisfaction, on ne les détourne pas de la loi, mais on va d’un juge
à un autre dont on ne peut pas contester la décision.
C’est la même chose qui se passe dans l’Église. On regarde
les lois divines qui sont reçues par tous. Si le litige ne cesse
pas, on cherche un juge, non parce qu’on ne croit pas à l’Écriture,
mais parce que c’est de l’Écriture qu’il s’agit. On est donc forcé
d’aller de l’explication de la partie litigieuse, à l’arbitre des
sages et des experts, qui ont vécu avant le début du litige en question.
S’il arrivait que ceux-ci ne s’entendent pas ensemble, on s’en remettrait
au jugement de toute l’Église, c’est-à-dire, du souverain pontife,
ou à la définition d’un concile général.
Si quelqu’un voulait en appeler de ce jugement au nom de l’Écriture,
il ferait comme quelqu’un qui, dans les litiges humains, en appellerait
du préteur à la loi. Ce qui serait ridicule, puisque en appeler
du préteur à la loi, quand il est question du sens d’une loi, c’est
en appeler de la sentence d’un juge public à son jugement propre
et privé. Mais, répond Pierre, tous les pères et tous les conciles,
même s’ils sont tous d’accord entre eux, peuvent errer, à moins que
leurs sentences ne concordent à la parole de Dieu. Je réponds que
c’est vrai, mais que la supposition gratuite qu’il fait est fausse,
à savoir que les tous les pères et tous les conciles approuvés par le
pape peuvent ne pas concorder avec la parole de Dieu. Car, les exemples
qu’il présente ne valent rien, et sont bons seulement à montrer que
certains pères et certains conciles illégitimes et non approuvés par
le pape ont pu se tromper. Car le concile d’Éphèse 11, et le
concile sous Léon Iconoclaste, qui ignore ce qu’ils ont été vraiment.
Voici son autre réponse. Les pères ont vraiment affirmé
ce que nous affirmons, mais on ne doit pas les écouter, parce qu’ils
n’ont pas une juste raison de l’affirmer : « Ce que nous affirmons
est certes vrai. Nous les considérons dans cette question comme des rigoristes.
Car dès le temps des apôtres, on a commencé très tôt à attribuer
une valeur excessive au célibat. Nous avons expliqué plus haut
pour quelles raisons cela s’est produit. Il avait, en effet, assigné
quatre causes. « Pourquoi, au début de l’église, a-t-on fait tant
de cas du célibat ? Une des raisons pourrait être que le Christ
a dit qu’il y a des eunuques qui se castrent pour le royaume des cieux…Les
pères ont toujours eu cette parole en bouche, mais il aurait fallu se
demander comment il fallait l’entendre. »
Et plus bas : « Une autre cause est que, à cette époque, il y avait
de graves persécutions en plusieurs endroits, et qu’il était
préférable, en cas de fuite, de se sauver seul ou avec une épouse et
des enfants. » La troisième. « À cette époque, la religion
chrétienne était sous le coup d’une grave infamie. Comme ils se réunissaient
clandestinement de nuit, par peur des princes, pour des hymnes et des synaxes,
le peuple s’est mis à les soupçonner de promiscuité, d’inceste,
et d’orgies sexuelles.-- (Cette accusation a été lancée par les Juifs,
comme le dit saint Denys dans son dialogue avec Tryphon)-- - Et, plus bas
: « Et, pour cette raison, beaucoup choisissaient le célibat et la virginité.
» La quatrième. « Un grand nombre des nouveaux chrétiens étaient des
non juifs. Et ces gens avaient toujours tenu en haute estime la virginité
et le célibat. »
Nous répondons à cela que la première cause, la principale et la
plus vraie, est la parole du Christ. Ce que dit le martyr que les
saints pères auraient du se demander comment il fallait entendre ces paroles,
trouvera sa réponse dans la prochaine réponse. Car c’est demander à
qui nous devons nous fier pour l’interprétation de ces paroles,
aux pères anciens très saints, et très doctes, ou à Luther et à Calvin.
Et, je ne vois pas du tout comment il y a pu avoir de l’ambiguïté sur
cette chose. Car, si ces pères ont exercé le ministère tout de
suite après les apôtres, ils les ont entendus prêcher et on pu les consulter;
et ils ont certes mieux compris leurs paroles que ceux qui vivent
quinze cents ans après les apôtres.
La seconde cause et la troisième ont pu jouer un certain rôle pour
persuader certains d’opter pour la continence, mais elles n’en furent
pas les causes principales. Car, quand les pères louent la
continence et persuadent les chrétiens de l’observer, ils ne présentent
jamais ces causes, mais uniquement les paroles du Christ et des apôtres.
Voilà pourquoi Pierre le martyr reconnait lui-même que les pères «
ont toujours eu en bouche les paroles du Christ et des apôtres ».
Et il n’indique aucun témoignage d’un ancien père qui aurait rapporté
qu’on avait voué le célibat pour fuir la persécution, ou pour réfuter
les calomnies des païens. De plus, si ces causes avaient été les
causes principales, l’estime envers le célibat aurait vite cessé, car
ces causes ne durèrent qu’un certain temps. Or, le célibat consacré
à Dieu n’a pas cessé après les persécutions, et il a toujours
été de plus en plus florissant et en vigueur.
La quatrième cause est d’une grande fausseté, puisqu’ il est
prouvé que le célibat dans l’Église n’a pas commencé chez les Gentils
ou chez les Juifs. Car, le Christ lui-même était célibataire,
sa mère était une vierge, saint Jean n’était pas marié, et tous les
apôtres, après leur appel, ont été continents. Or, ils étaient tous
nés de Juifs, non de Gentils. Et les premiers chrétiens qui,
en Égypte, avaient voué la continence, (dont Parle Philo dans son
livre sur la vie contemplative des suppliants), étaient venus à l’Église
du judaïsme et non du paganisme. Ajoutons que le martyr Pierre a
écrit le contraire (dans son commentaire du chapitre 7 de la première
épitre aux Corinthiens), où il dit : « Nous ne considérons pas non
plus que le célibat qui existe aujourd’hui ressemble à celui des païens
ou des Juifs, qui était considéré peu honnête. Car, comme
l’écrit Cicéron dans les lois, le célibat doit être prohibé. C’est
le Christ qui a enlevé au célibat cette ignominie. »
Les pères ont présenté des témoignages de Gentils, comme saint
Paul a cité le poète Aratus (actes 17), et Ménandre (1 Corinthiens
15), non pour poser avec leurs témoignages un fondement des dogmes de
la foi, mais pour montrer que le célibat n’est pas contraire à
la nature et à la raison, et pour que les chrétiens rougissent s’ils
se montrent inférieurs aux païens dans des choses qui se rapportent à
la vertu. C’est de cette façon que saint Jérôme (dans ses livres
contre Jovinien) s’est comporté. Après avoir confirmé le célibat
par plusieurs textes de l’Écriture, il a présenté des témoignages
et des exemples des païens.
La troisième réponse de Pierre le martyr porte sur certains
témoignages des pères qui semblent parler contre le vœu de continence.
Mais, ces témoignages, nous les présenterons plus tard, quand nous réfuterons
les objections de nos adversaires.
CHAPITRE 28
On affirme la
même chose par la seule raison
Nous sommes arrivés au dernier genre d’arguments. Par
une double raison, fondée sur l’Écriture et les témoignages des pères,
nous confirmerons brièvement la même chose. La première raison vient
de la dignité de la continence, l’autre, de l’utilité des vœux.
Une continence de ce genre, qui l’emporte de loin sur le mariage, et
qui ne doit même pas être comparée à la fornication, pourra donc
être licitement vouée à Dieu. L’affirmation qui seule peut être niée,
doit être confirmée par quelques-uns. Luther, dans son épithalame,
soutient que la virginité l’emporte sur le mariage, mais que la vie
d’un célibataire ne l’emporte pas sur la vie d’un homme marié.
Nous tirons les arguments de la vie elle-même, et de l’état de célibat.
La sainte Écriture s’écrie (1 Cor, 7) : « Donc, celui qui marie sa
fille, fait bien, et celui qui ne la marie pas fait mieux. » Et
plus bas : « Qu’elle se marie à qui elle voudra, mais seulement dans
le Seigneur. Mais elle sera plus heureuse si elle demeure ainsi. »
Conviennent ici d’autres témoignages que nous avons présentés plus
haut dans la dispute des conseils.
Les pères l’appellent souvent la vie parfaite. Saint
Cyprien (dans son livre sur le costume des vierges), dit que les vierges
consacrées à Dieu « sont la partie la plus illustre du corps du Christ.
» Et, au même endroit : « Une grande récompense vous attend,
la prime d’une grande vertu, pour le don suprême de la chasteté.
» Denis l’aréopagite (hiérarchie ecclésiastique, chapitre 6,
part ) : « Le prêtre établit dans l’état de vie parfaite celui qui
a fait profession monastique. » Eusèbe (chapitre 1, chapitre 8,
démonstration évangélique) : « Et existe dans le christianisme un genre
de vie parfait. » Grégoire de Naziance (dans son sermon sur la
mort de saint Basile appelle « parfaite, et même très parfaite, la vie
monastique. »
Saint Jean Chrysostome (livre 3 contre les contempteurs de la vie monastique)
appelle la vie monastique le sommet de la perfection, l’étendard de
la vertu. » Saint Jérôme (épitre 1 à Héliodore) : « Tu as
promis de devenir parfait, car, quand, après avoir quitté l’armée
tu t’es castré pour le royaume de cieux, qu’as-tu fait d’autre que
de suivre la vie parfaite ? » Saint Augustin (livre 1, chapitre
31 des mœurs de l’Église) : « Acceptez les mœurs ces chrétiens parfaits,
dont la chasteté doit non seulement être louée, mais imitée, comme
représentant des mœurs tout à fait singulières. » Et (dans la
sainte virginité, chapitre 52) : « Continuez à parcourir, vierge, la
voie de la sublimité, avec les pieds de l’humilité. »
Sulpice (dans le dialogue 2) : « C’est une bien heureuse espèce,
et digne de Dieu, car rien n’est comparable à la virginité consacrée
à Dieu ! » Les mêmes pères, d’une seule voix, on appelé la
vie des vierges une vie angélique, la vie des mariés une vie humaine.
Saint Ambroise (livre 1 sur les vierges) : « Que personne ne s’étonne
si on compare aux anges celles qui se sont mariées au Seigneur des anges
! » Saint Cyrille (catéchèse 12) : « N’ignorons pas la gloire
de la chasteté ! Car, c’est une couronne angélique, et une perfection
au-dessus de l’homme ! » Sant Grégoire de Naziance dans son poème
sur la virginité : « Salut virginité, communiquée par un don
divin, bonne mère d’une vie sans offense, source de grandes choses,
partie du Christ, et associée aux esprits célestes, toi qui ne
connais pas le mariage ! »
Athanase (dans son livre sur la virginité, à la fin), célèbre
la virginité par ces mots : « O virginité, opulence indéfectible,
couronne immaculée, temple de Dieu, domicile du Saint-Esprit, pierre précieuse,
inconnue du vulgaire, joie des prophètes, gloire des apôtres, vie des
anges, couronne des saints ! » Voyez après, si le cœur vous en dit,
la comparaison des vierges avec les anges que font saint Jérôme (épitre
8 à Demitriade), saint Augustin (chapitre 13, de la sainte virginité),
saint Jean Chrysostome (homélie 18 sur la Genèse), saint Basile (dans
son livre sur la virginité),saint Fulgence (dans son épitre 3 à Probas),
saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 25), saint Isidore (livre 2 sur
le bien suprême.)
Ici, Pierre le martyr, sort de ses gonds, car, dans son livre sur le
célibat et les vœux, il rapporte la sentence d’Athanase citée plus
haut, et il dit : « Ce sont des choses pleines d’hyperboles, qui
n’approchent en rien de la vérité. Les apôtres et les prophètes ont
été des hommes mariés. Comment la virginité peut-elle leur
être une joie et une couronne ? Et qu’est-ce que les anges ont
en commun avec la virginité, puisqu’ils n’ont point de corps ?
On ne peut donc pas plus les appeler vierges que si on appelait les pierres
des aveugles. » Voilà son opinion. Mais
comment s’étonner si les pierres ne plaisent pas aux verrats ! »
Pierre le martyr a faussement accusé saint Athanase parce qu’il avait
dit que « la continence est la joie des prophètes et la gloire des apôtres
». Il est facile de le montrer par le témoignage de saint Jérôme (épitre
22 à Eustochius) : « Le vierge Élie, le vierge Élisée, les fils vierges
des prophètes, selon Jérémie. Et toi-même, tu ne prends pas de femme
! » Qui ne sait que saint Jean Baptiste a été prophète et vierge
? Et nous savons avec certitude, que parmi les apôtres saint Jean, au
moins, a été vierge. Saint Jérôme affirme la même chose de saint
Paul, au lieu cité, et de tous les apôtres (dans son apologie, et dans
les livres contre Jovinien. Voici ce qu’il dit : « Les apôtres
ou ont été vierges, ou ont été continents après s’être mariés.
» Quand saint Athanase pensait aux prophètes et aux apôtres, il
ne parlait donc ni faussement ni par hyperbole. En reprochant à
Athanase la comparaison qu’il faisait entre les anges et les vierge,
il ne fait pas injure seulement à Athanase, mais à tous les autres pères,
et au Christ lui-même, qui, en Matthieu 22, dit : « Dans la résurrection,
on n’épouse pas et on n’est pas épousé, mais on est semblables aux
anges. » Qui devons-nous croire ? Pierre Martyr qui nie que
ceux qui ne se marient pas sont semblables aux anges, ou au Christ qui
le déclare ?
Mais il dit qu’il ne convient pas plus aux anges de ne pas se marier
qu’aux pierres de ne pas voir. Il en est bien ainsi. Mais,
cependant, comme on ne compare pas pour rien un aveugle, un sourd ou un
muet à une pierre ou à un tronc d’arbre, on a d’excellentes raison
de comparer à des anges ceux qui excellent par la continence et la pureté.
Les anges n’ont pas de visage non plus. Et pourtant, saint Luc n’a
pas craint de dire (Actes 6) : « Ils virent que le visage de Stéphane
était semblable à celui d’un ange. » Que cela suffise pour la
première raison. J’ajoute une autre raison de la part du vœu
lui-même. Il est préférable et plus agréable à Dieu de faire
quelque chose par vœu que sans vœu. Donc, non seulement il est
permis de vouer sa continence à Dieu, mais il est avantageux de le faire.
L’antécédent est confirmé par les arguments suivants. Le premier.
L’Écriture nous exhorte à faite des vœux : « Faites des vœux et
remplissez-les ! »
Convaincu par ce témoignage, saint Augustin, en plusieurs endroits,
exhorte les chrétiens à faire des vœux, comme dans l’épitre 45 à
Armentarius, l’épitre 89 à Hilaire, l’épitre 143 à Julien, dans
le livre de la bonne viduité, chapitre 13, et dans le livre de la sainte
virginité, chapitres 29 et 30, danns les psaumes 75 et 99, et ailleurs.
Or, s’il était préférable d’agir sans vœu, le Saint Esprit nous
aurait trompés, ce qui est impossible. Il est donc préférable
d’agir avec un vœu.
Le second. Une œuvre est meilleure et plus agréable à Dieu
si elle procède de plusieurs vertus ou d’une plus grande vertu.
Se contenir sans vœu est le propre de la tempérance. Se contenir
par vœu est le propre de la tempérance et de la religion, la religion
étant de loin plus noble que la tempérance. Donc, se contenir par
vœu est meilleur et plus agréable à Dieu que se contenir sans vœu.
Voilà pourquoi saint Augustin (au chapitre 8 du livre sur la sainte virginité)
dit : « Nulle fécondité, même celle de la chair, ne peut se comparer
à la sainte virginité. Elle n’est pas honorée non plus
en tant que virginité, mais parce qu’elle est consacrée à Dieu.
Et bien qu’elle soit conservée dans la chair, elle se conserve
esprit par la religion et la dévotion, et est, à cause de cela,
une virginité spirituelle du corps, qu’elle voue à Dieu et qu’elle
garde par la continence de la piété. »
Le troisième. Ce qui se fait par voeu, se fait avec une
plus grande charité et une plus grande générosité que ce qui se fait
sans vœu. Car, celui qui offre quelque chose sans vœu offre uniquement
à Dieu une œuvre; mais celui qui offre une œuvre à Dieu,
et qui l’accomplit par vœu, offre à Dieu et l’œuvre et la liberté.
C’est ce qu’explique saint Anselme (dans son livre des comparaisons,
chapitre 84) : « Celui qui donne l’arbre avec les fruits donne plus
que celui qui ne donne que les fruits. »
Le quatrième. Meilleur est ce qui se fait par une volonté
confirmée dans le bien plutôt que ce qui se fait sans ce genre de volonté;
comme il est pire de pécher par une volonté confirmée dans le mal, que
par faiblesse. Et comme ceux qui pèchent avec une volonté confirmée
dans le mal sont semblables à des condamnés, ceux qui agissent avec une
volonté confirmée dans le bien sont semblables à des élus. Le
cinquième. Celui qui s’engage par vœu n’obtient pas uniquement
(comme nous l’avons dit) de faire une œuvre d’une plus grande
valeur, mais il se munit contre les tentations du diable, la fragilité,
et le désir de changement. Car, dans les choses qui ne sont pas
imposées par les lois, même si elles sont excellentes et les meilleures,
on change facilement d’idée, sous l’instigation du démon, et même
sans l’action du démon, par sa propre inconstance.
Voilà pourquoi nous constatons, que, dans les choses humaines,
sont souvent requis les serments pour lier la volonté, afin que, comme
une girouette, ne tourne pas à tout vent. C’est ainsi
que les soldats, les magistrats, les époux et beaucoup d’autres doivent
promettre de faire ce qu’ils doivent faire. Écoutons là-dessus
saint Augustin (épitre 45 à Armentarius), qui dit : « Ne te repends
pas d’avoir fait un vœu ! Réjouis-toi plutôt qu’il ne te soit désormais
plus permis de faire ce qu’il t’était permis de faire pour ton plus
grand malheur. » Et plus bas : « Heureuse nécessité qui force
à choisir les meilleures choses ! »
CHAPITRE 29
On réfute la première objection des adversaires
Il ne nous reste donc plus qu’à réfuter les objections de nos adversaires.
La première est commune à tous, et est tirée des Écritures qui enseignent
que les œuvres bonnes ne doivent pas être faites avec la nécessité
qu’apporte avec elles les vœux, mais volontairement et librement.
Or, est meilleur, plus louable et plus agréable à Dieu ce qui est
plus volontaire et plus libre, et donc moins nécessaire. Psaume
53 : « Je ferai librement pour toi un sacrifice. » Un Corinthiens
7 : « Je ne vous dis pas cela pour vous tendre un piège. » C’est-à-dire
je vous exhorte à la continence, mais pas au vœu. Et (2 Corinthiens
9) : « Que chacun donne comme il le voudra, non en rechignant, ou en se
sentant contraint de donner, car Dieu aime celui qui donne avec joie. »
Et à Philémon : « Que le bien que tu fais soit volontaire, non
forcé. » Saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien, avant le milieu)
: « Le Christ aime d’autant plus les vierges qu’elles donnent ce qui
ne leur avait pas été commandé par un précepte. » Et saint Prosper
(livre 2 de la vie contemplative, dernier chapitre : « Nous devons pratiquer
l’abstinence et le jeûne en ne nous plaçant pas sous la nécessité
de jeûner, pour que nous ne fassions pas une chose volontaire à contre
cœur, mais avec ferveur. »
Je réponds qu’il y a trois sortes de liberté, et trois sortes de
nécessité. Une de la part de ce qui est du, que ce du provienne
d’un précepte, d’un vœu, ou d’ailleurs. Car, nous disons
que nous faisons librement ce que nous ne sommes pas obligés de
faire, et nécessairement ce que nous sommes tenus de faire. Une
autre de la part de la détermination naturelle de la volonté. Nous
disons là agir librement dans les choses où nous n’avons pas une volonté
déterminée à une seule chose. Et cette liberté est celle qu’on
appelle libre arbitre. La troisième, de la part de la coercition,
qu’elle soit absolue comme quand on est entrainé violemment là où
on ne veut pas aller, ou morale, ou une coercition conditionnée, comme
quand quelqu’un ne veut pas faire quelque chose, et ne le fait pas volontiers,
mais le fait quand même , contraint qu’il est par une peur humaine ou
servile.
La première des trois libertés n’est pas nécessaire pour
faire une œuvre louable ou agréable à Dieu. La nécessité contraire
n’entre pas non plus en conflit avec la louange et le mérite de l’œuvre
bonne. Car, toujours, à moins d’un empêchement qui vienne d’ailleurs,
une œuvre commandée est meilleure qu’une œuvre non commandée, une
œuvre vouée qu’une œuvre non vouée. L’autre liberté
est nécessaire à la louange d’une bonne œuvre, mais elle non plus
ne répugne pas au précepte, et encore moins au vœu. Car, il peut
arriver que quelqu’un fasse des œuvres commandées avec autant d’empressement
et de zèle qu’un autre ne fait des œuvres commandées. Voilà
pourquoi David disait dans le psaume 118 : « Je me suis délecté dans
la voie de tes témoignages comme dans toutes les richesses. » Et
: « Comme elles sont douces tes paroles, au-dessus de ce qu’il y a de
meilleur en moi. »
Pour une raison semblable, il peut arriver, ou plutôt il arrive ordinairement,
que ce qui se fait en vertu d’un vœu soit fait avec plus d’empressement
et de ferveur que ce qui est fait sans vœu. Car, le vœu engendre
par lui-même la joie, quand il procède d’une grande charité (1 paral,
dernier) : « Le peuple s’est réjoui quand il a spontanément fait des
vœux, parce qu’il les offrait de tout son cœur au Seigneur. »
Si quelques-uns accomplissent tristement ce qu’ils ont promis, cela vient
du vice de l’homme, et de la nature du vœu. Mais on ne peut
pas en déduire que ce qui se fait sans vœu est meilleur que ce qui se
fait par vœu. Car, comme saint Thomas l’enseigne (dans son opuscule
18, chapitre 12, sur la perfection), on peut accomplir un vœu de trois
façons.
Une première. En faisant joyeusement ce qu’on est tenu
de faire par un vœu. Et alors, sans aucun doute, on mérite plus
que quand on fait la même chose de la même façon, sans vœu. Une
deuxième. En faisant à contre cœur la chose promise par vœu, mais en
l’accomplissant quand même volontiers. Comme quelqu’un qui a
fait vœu de jeûner commence à se dégouter du jeûne, et jeûne
avec difficulté et tristesse, au point où si ça ne dépendait que de
lui, il ne jeûnerait pas. Cependant, parce qu’il a fait un vœu,
et qu’il lui a grandement plu de persévérer dans la foi jurée,
il a, à cause de cela, surmonté la difficulté par une âme prompte et
généreuse. Celui-ci aussi mérite davantage qu’un autre qui jeûne
volontiers sans vœu. Car comme la religion est plus excellente que
la tempérance, il est préférable de remplir librement un vœu de religion
que de jeûner librement en pratiquant la vertu de tempérance. La
troisième. Quand quelqu’un regrette d’avoir fait un vœu, et
ne veut plus le conserver davantage. Mais comme cela est tout à
fait mauvais, on ne peut en aucune façon le mettre en comparaison avec
un bien.
À l’aide de ces distinctions, il est facile de donner une réponse
aux témoignages qu’on nous oppose. Au sujet du psaume
53 (je sacrifierai volontairement), je répons que ce « volontairement
» est opposé à la tristesse et à la coercition, mais non à la nécessité
qui nait d’un vœu ou d’un précepte. Au passage des Corinthiens
1, 7 (je ne vous dis pas cela pour vous tendre un piège), qui est censé,
selon Pierre le martyr, prohiber les vœux, je réponds qu’il appelle
piège (ou nœud coulant) la nécessité qui retient quelqu’un malgré
lui, mais pas n’importe laquelle nécessité. Les vœux, en effet,
sont des pièges (ou des nœuds coulants) pour ceux qui font des vœux
témérairement, ou bien parce qu’ils sont contraints par d’autres,
ou bien parce qu’ils n’ont jamais désiré rien de tel.
Exemple. On peut dire que le mariage est un piège pour ceux
qui se marient témérairement, puisqu’il lie quelqu’un à une personne
avec laquelle il ne peut pas vivre; et il devient une occasion de fornication.
Le sens de l’apôtre est le suivant : je vous exhorte à la continence,
sans vous obliger à le faire à contre cœur. Je ne vous persuaderais
pas non plus de choisir la continente et d’en faire le vœu témérairement,
ce qui serait un piège pour vos âmes, mais pour montrer ce qui est en
soi le plus parfait et le plus utile. Que ceux à qui le Seigneur
l’inspirera la choisisse et la promette au Seigneur.
Que le mot piège, dans ce texte, ne signifie pas vœu ou nécessité
absolue, mais plutôt, comme nous l’avons dit, un vœu fait à
contre cœur ou prononcé témérairement, c’est saint Augustin qui l’atteste
(chapitre 5 livre sur le bien de la viduité) : « Je ne vous incite pas
à cela en vous tendant un piège » veut dire : je ne vous force pas.
Et saint Jérôme (au livre 1 contre Jovinien) : « L’apôtre ne nous
tend pas un piège, et ne nous force pas de faire ce que nous ne
voulons pas faire. » Theodoret, Theophylacte, Anselme et d’autres
disent la même chose.
Parlons de la métaphore du laqueus (nœud coulant ou piège). On dit
que le nœud coulant lie avec une corde, retient l’homme et l’empêche
de tomber. Il retient pour prendre et pour perdre. De plus,
la Sagesse (proverbe 20), explique longuement la même chose. « C’est
une ruine pour l’homme de se vouer à des saints, et de se rétracter
ensuite. » Ce que saint Jérôme traduit par ruine est en
hébreu nœud coulant. Mais la traduction de saint Jérôme n’est
pas mauvaise parce que la fin propre du noeud coulant est la chute
et la ruine. Donc, pour Salomon, c’est une ruine et un nœud coulant
de ne pas respecter non pas de faire un vœu, mais de faire un vœu et
de le rétracter ensuite, ce qui arrive à ceux qui vont des vœux témérairement
ou à contre cœur.
Car, ceux-là sont, malgré eux, retenus par un noeud coulant
qui devient pour eux une occasion de faute grave. Au sujet de cet
autre passage de saint Paul (1 Corinthiens 9 : non dans la tristesse ou
la nécessité), je réponds que ce qu’il appelle ici nécessité
ce n’est pas la loi, ni un vœu, mais une nécessité humaine qui force
l’homme à faire quelque chose qu’il ne veut pas faire.
Car, il parle de ceux qui font l’aumône à contrecœur, ou qui ont honte
de ne pas faire ce que font les autres pour ne pas être jugés avares;
ou qui n’osent rien refuser à un grand homme comme Paul. C’est de
cette nécessité dont parle Paul quand il dit que Dieu aime celui qui
donne avec joie. Car, c’est la nécessité qui nait d’une crainte
humaine, qui est opposée à l’hilarité, et non la nécessité
d’un vœu qui naît de la charité. On répond la même chose à
l’autre passage tiré de Philémon.
Au témoignage de saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien), où il
dit que c’est le signe d’une plus grande grâce d’offrir ce
qu’on ne doit pas, que de rendre ce qui n‘est pas exigé. Or,
au sujet du point que nous traitions, il y a une grande différence entre
la loi et le vœu, car celui qui fait une œuvre non commandée par la
loi, même s’il ne fait pas quelque chose de plus digne de louanges,
en tant qu’il fait une chose non commandée, qui, comme nous l’avons
déjà dit, est, toutes choses égales par ailleurs, meilleure qu’une
non commandée, il fait, la plupart du temps, une œuvre plus digne de
louanges, pour trois raisons. La première. Parce que les choses
non commandées sont, la plupart du temps, en elles-mêmes, meilleures
que les commandées, car Dieu a prescrit des choses mineures, et a conseillé
les plus grandes. Mais ce raisonnement n’a pas sa place dans
le cas du vœu. Car elles ne deviennent pas plus petites avec le
vœu, et plus grandes sans vœu, car c’est le contraire qui est vrai.
Car ce sont les œuvres les plus parfaites qu’on a coutume d’offrir
à Dieu.
La deuxième. Car il arrive toujours que celui qui fait, par
charité, des œuvres non prescrites, fasse aussi toutes celles qui sont
commandées. Il donne ainsi plus que celui qui ne fait que les œuvres
commandées. Car, les préceptes sont inclus dans les conseils, non
les conseils dans les préceptes. Mais cela ne se trouve pas non
plus dans les vœux. Car celui qui fait quelque chose sans vœu,
n’accomplit pas tous les vœux. La troisième. Comme, la
plupart du temps, il faut une plus grande motivation pour entreprendre
une œuvre non commandée, que pour une qui ne l’est pas. Et à
cause de cette plus grande motivation, une œuvre non commandée est le
fait d’une plus grande grâce qu’une œuvre commandée, comme le dit
saint Jérôme.
Mais, du vœu, on ne peut pas dire cela non plus. Car si une
plus grande motivation est requise pour entreprendre une nouvelle œuvre
à laquelle on n’est tenue en aucune façon, que pour faire une œuvre
ordinaire commandée par le vœu, cette plus grande motivation est surpassée
par une motivation plus grande encore, celle qui fut nécessaire pour faire
le vœu. Car, quand un vœu est offert à Dieu spontanément, et
devient une chose ardue et difficile, une beaucoup plus grande motivation
est requise pour faire un vœu que de faire quelque chose sans
vœu.
Au témoignage de Prosper (livre 2, de la vie contemplative, dernier
chapitre), où il dit qu’on doit s’abstenir de façon à ne pas nous
soumettre à la nécessité, je réponds que la nécessité dont parle
Prosper n’est pas une nécessité de la loi ou du vœu, mais la
nécessité de la crainte humaine qui engendre la tristesse. Voilà pourquoi
le même auteur ajoute : « de peur de ne pas faire une chose volontaire
de bon cœur, mais à contre cœur ».
CHAPITRE 30
On réfute la deuxième objection
La quatrième objection ils la tirent de textes de l’Écriture qui
ordonnent de se marier à ceux que fait souffrir la libido. Car, il s’ensuit
que le voeu de continence perpétuelle est quelque chose de téméraire,
et donc illicite, puisque personne ne sait combien de temps il peut vivre
sans en être importuné. « Que ceux qui ne se contiennent pas se marient
». « Il est préférable de se marier que de brûler. »
La même chose au même endroit : «À cause de la fornication, que chacun
ait sa propre femme ! » Et c’est surtout en 1 Timothée 5 qu’il
le dit : « Je veux que les plus jeunes se marient, qu’elles soient mères
de famille, qu’elles procréent des enfants! » Ils semblent pécher
contre ce précepte ceux qui persuadent les jeunes filles de prendre le
vœu de continence, ou qui le leur permettent. »
Je réponds à cet argument de trois façons. La première.
À aucun endroit, l’apôtre n’invite au mariage ceux qui ont des tentations
d’ordre charnel. Seuls ceux qui vivent de façon incontinente et
qui se polluent par leurs désordres. La seconde. Ceux qui
vivent de façon incontinente il ne leur ordonne pas de se marier par un
commandement impérieux. Il ne fait que leur montrer un remède facile,
qui est comme un port où trouver refuge. Il les laisse libres, cependant,
d’aspirer à de plus hautes choses. J’affirme ensuite que ce
conseil, cette permission ou ce remède l’apôtre ne le donne pas à
ceux qui ont voué la continence, mais seulement aux hommes non mariés
et qui sont encore libres de le faire.
Au sujet du premier point, il faut savoir que nos adversaires
estiment que le mariage est nécessaire de droit divin, pour ceux qui brûlent.
Par brûlure, ils entendent des tentations de la chair non brèves ou légères,
mais intenses et prolongées, qui troublent la conscience, même si elle
n’y consent pas. C’est ce qu’enseigne Luther dans son épithalame,
où il reproche sévèrement à saint Jérôme de ne pas s’être marié,
quand il éprouva de grandes tentations charnelles, comme il le raconte
dans son épitre 22 à Eustochius. Il va même plus loin. Il
l’accuse de pélagianisme, parce qu’il aurait estimé, par ses seules
forces, et sans la grâce de Dieu, pouvoir vaincre les tentations.
Ce qui est une calomnie forgée de toutes pièces, puisque ce même saint
Jérôme dit qu’il s’était fait une habitude de demander instamment
à Dieu par ses prières la victoire contre les tentations.
Mais au sujet de la brulure, Calvin et Pierre le martyr enseignent
la même chose que Luther dans leur commentaire de 1 Cor 7.
Calvin distingue même trois sortes de tentations de la chair. Une
qui tente pour vaincre, et celle-là représente le pire genre de brûlure.
Ce qui est très vrai. Une qui tente d’une telle façon qu’elle
est aussitôt énergiquement repoussée, comme des javelots qui ne pénètrent
pas à l’intérieur et qui ne provoquent aucun trouble de l’âme.
Ces tentations ne sont pas proprement des brulures, et pour elles, le mariage
n’est pas nécessaire. Ce que nous concédons. La troisième.
Elle est une sorte intermédiaire. Quand quelqu’un ne consent pas totalement
à la tentation, mais quand pénètrent quand même à l’intérieur les
javelots et sont ressenties en même temps la délectation de la chair
et le trouble de l’âme. Ces tentations il les appelle des
brulures proprement dites. Et il déclare que ceux qui les ont sont
appelés au mariage, au nom de la loi, et qu’ils pèchent s’ils ne
se marient pas.
Il faut observer là que ce n’est pas sans fraude que Calvin
affirme que cette troisième sorte de tentation apparait quand quelqu’un
ne consent pas pleinement, et quand pénètrent les glaives à l’intérieur.
Car, il a décidément placé ce troisième genre pour brouiller les cartes.
Il aurait du dire qu’il y a une troisième sorte, à savoir quand quelqu’un
ne consent en aucune façon, mais sent quand même les brulures de la tentation.
Car, celui qui consent, pleinement ou pas, appartient au premier genre
selon leur opinion, puisqu’ils ne font pas de différence entre le péché
mortel et le péché véniel, et enseignent que tout mouvement de la chair,
même involontaire, est un péché mortel. C’est même leur
principe fondamental, duquel ils déduisent que ceux qui sont fortement
tentés doivent nécessairement prendre femme. Car, comme l’enseigne
Luther dans son épithalame, les combats contre la chasteté ne sont pas
semblables aux autres, puisque celui qui tolère la faim ou la soif ou
d’autre chose du même genre ne pèche pas. Mais la brulure de
la libido ne peut pas être sans péché, puisqu’est prohibé tout mouvement
de concupiscence. Sur ce fondement Calvin, Pierre martyr et
tous les autres s’entendent. Mais ce fondement est pourri, et l’édifice
qu’ils ont élevé dessus peut facilement s’écrouler.
On discutera ailleurs du fondement. Que suffisent, pour l’instant,
les témoignages de saint Paul et de saint Augustin. Aux Romains
7 : « Si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais.
» Saint Augustin (livre 1, chapitre 25, de la cité de Dieu)
: « Si cette désobéissance qui vient de la concupiscence qui habite
encore dans nos membres moribonds, et qui se meut comme par sa propre loi
en marge de la loi de la volonté, est sans faute dans le corps d’un
dormeur, à combien plus forte raison le sera-t-elle dans le corps
d’un non consentant. » Mais de cela ailleurs.
Mais revenons à notre propos. Nous avons affirmé que
l’apôtre incite les hommes à se marier non seulement à cause des tentations
sensuelles ou de la libido, et qu’il faut entendre par brulure
non les tentations, mais l’incontinence, de sorte que le sens des paroles
serait : si quelqu’un hésite entre forniquer et se marier, il fait bien
en se mariant, parce qu’il est préférable de se marier plutôt que
de brûler, c’est-à-dire forniquer.
Nous prouvons notre interprétation. D’abord, par les paroles
antérieures. Car, quand l’apôtre était sur le point de dire
: il est préférable de se marier, il avait dit juste avant : s’ils
ne se contiennent pas, qu’ils se marient, montrant là que par brulure
il entendait l’incontinence. Il donne, en effet, la
raison pour laquelle doivent se marier ceux qui sont incontinents, laquelle
est qu’il est préférable de se marier plutôt que de brûler, c’est-à-dire
de ne pas se contenir. Il appert donc que l’incontinence ne signifie
pas la tentation, mais la fornication. La même chose se dégage
clairement des paroles de ce même chapitre : « Il est bon pour l’homme
de ne pas toucher à la femme. Mais, à cause du danger de fornication,
que chacun ait sa propre épouse ! » Car l’apôtre ne dit pas
que chacun doit avoir une épouse pour fuir la tentation, mais pour fuir
la fornication. C’est-à-dire que tu aies une épouse non
pas si tu es tenté, mais si tu es sur le point de forniquer.
On le prouve, troisièmement, par les paroles suivantes : «
Retournez-y de peur que Satan ne vous incite à forniquer. » Ici
encore, ce n’est pas à cause de la simple tentation que l’apôtre
ordonne aux époux de se rendre mutuellement ce qui leur est du,
mais à cause de l’incontinence. Le mot brulure est donc pour Paul
un synonyme d’incontinence. On le prouve, quatrièmement, par 1
Timothée 5 : « Je veux que les plus jeunes se marient. La raison
qu’il en donne n’est pas la tentation, mais l’incontinence : « Il
ne faut pas donner aux Gentils une raison de médire » C’est-à-dire
de peur de donner aux païens une occasion de parler en mal de la vie et
des mœurs des chrétiens. ». Or, les païens ne peuvent pas médire des
chrétiens à cause de leurs tentations occultes, mais seulement à
cause de crimes manifestes. Voilà pourquoi il ajoute après : «
Car quelques-uns se sont détournés vers Satan. »
La cinquième raison est l’exemple de l’apôtre lui-même (2 Corinthiens
12) : « Il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de satan
qui me gifle. J’ai demandé à Dieu trois fois de me l’enlever.
» Ce n’est pas vrai ce qu’a écrit Pierre le martyr (dans son
livre sur le célibat et les vœux), à l’effet que l’apôtre aurait
demandé à Dieu de ne plus l’avoir, ou de ne plus en être gravement
incommodé, car l’apôtre dit, au contraire, qu’il n’a pas reçu
la grâce qu’il demandait, car il ajoute : « Le Seigneur m’a répondu
: ma grâce te suffit, car, c’est dans la faiblesse que la vertu
est rendue parfaite. »
Voilà pourquoi saint Augustin (traité 7 sur saint Jean,
et sermon 53 sur les paroles de Dieu, et souvent ailleurs),
donne saint Paul comme exemple pour montrer qu’il est souvent utile que
Dieu n’exauce pas nos prières. En conclusion. L’apôtre
était tenté de nombreux et continuels aiguillons de la chair, mais,
il ne s’est pas marié. Brûler ce n’est donc pas être tenté.
Autrement, saint Paul serait condamné par son propre jugement.
Mais Pierre le martyr ajoute qu’il n’est pas nécessaire d’entendre
ce passage de saint Paul au sens d’une tentation de la chair, puisque
saint Jean Chrysostome entend par aiguillon de la chair une douleur de
tête, et d’autres les persécutions qu’il a subies. Mais
cela révèle une grande négligence ou une grande impudence, puisque saint
Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, Oecumenius, réfutent longuement
ceux qui par aiguillon de la chair entendent un mal de tête lancinant.
Il y a pourtant quelque chose de vrai dans ce qu’il dit : ces pères
ont vu dans ces mots des persécutions acharnées et constantes.
Mais saint Augustin, dans le psaume 58, sermon 2, affirme que l’aiguillon
signifie quelque chose qui cause de la honte et de la gêne, et ce que
personne n’aurait osé dire d’un si grand apôtre, si lui n’avait
pas eu honte de le rapporter. Or, il est certain que la honte n’est
ni un mal de tête, ni des persécutions.
Voilà pourquoi, même s’il voit dans ces mots imagés des
persécutions, Theophylacte ajoute qu’il suffirait de les entendre
des tentations de la chair : « Ou, ce qui est plus satisfaisant encore,
des incitations vénériennes, qui le pressaient énormément. »
Sedulius, Anselme et saint Thomas nous enseignent comment on pourrait l’interpréter.
Et la métaphore de la gifle nous persuade de la même chose. Car,
comme un soufflet ne blesse pas tant la chair que la fierté, la tentation
charnelle à laquelle on ne consent pas fouette plus la pudeur qu’elle
ne cause de dommages. Il semble donc que soit reçue communément
l’interprétation selon laquelle l’aiguillon de la chair signifie les
tentations charnelles.
Mais comme ce passage ne parvient pas tout à fait à convaincre
parce que différentes sont les interprétations des saints pères, nous
allons citer deux passages plus clairs. Le premier (1 Corinthiens,
9) : « Je châtie mon corps et je le réduis en esclavage. » Et,
aux Romains 7 : « Moi, aussi, par l’esprit je sers la loi de Dieu, et
par la chair la loi du péché. » Et : « Je ne fais pas le bien que je
veux faire, mais je fais le mal que je ne veux pas faire. » Et :
« Je sens une autre loi dans mes membres, qui répugne à la loi de mon
esprit. » Ces paroles, saint Augustin dans plusieurs passages (et
surtout dans le livre 2 de ses rétractations chapitre 1, et livre 6, chapitre
11 contre Julien) déclare qu’elles doivent s’entendre de saint Paul
et de tous les justes. Mas même Luther (dans ses assertions 2, article)
affirme qu’on ne peut pas comprendre autrement, et il le prouve par les
terribles tentations de la chair que les saints on eues à surmonter :
« Que lisons-nous d’autre dans les vies des saints que
des exercices pénibles, des veilles, des oraisons, des jeûnes avec lesquels,
comme avec des engins spirituels, ils combattaient contre la chair, les
concupiscences de leur corps. Qui ne s’est pas lamenté, qui n’a
pas accusé la concupiscence, qui n’a pas souffert de sa chair ? Quand
donc, parmi tous les autres, nous voyons dans ces sommités la chair lutter
contre l’esprit, je me réjouis avec eux de la loi de Dieu selon l’homme
intérieur, et je vois aussi une autre loi etc. Pour
quelle raison voudrions-nous voir ces choses non dans la personne des apôtres
mais des impies, ces choses que, dans les personnes les plus pieuses, nous
voyons être combattues par de si grands efforts ? » Et plus bas
: « À chaque fois que saint Jérôme se plaignait des incendies libidineux,
moi aussi, alors je jeûnais sévèrement. Et il luttait contre eux
par un dur travail, c’est-à-dire quand il n’était pas encore baptisé,
mais était déjà un grand saint. »
Les choses vraies qu’il raconte ici sont manifestement en contradiction
avec ce qu’il enseigne de saint Jérôme dans son épithalame. Car,
ici, il se joint à Paul et à tous les saints, qui ont résisté
énergiquement à la concupiscence. On doit en conclure soit
que, pour saint Paul, brûler ne signifie pas être tenté, mais tomber
dans le péché, soit que saint Paul et tous les saints ont péché
contre Dieu, puisqu’ils ont éprouvé les brulures de la tentation, et
ne se sont pas mariés.
Se présentent, en sixième lieu, les témoignages des pères.
Clément d’Alexandrie (livre 4 des stromates, au tout début) a
attribué aux sectateurs de l’hérésiarque Basilide l’explication
que nos adversaires ont embrassée. Voici comment ils interprètent le
« il vaut mieux se marier que de brûler » de saint Paul. Ils enseignent
que l’apôtre a dit, de peur que tu ne précipites ton âme dans le feu,
à force de résister et de craindre pendant la nuit pour ne pas sortir
de la continence. Car, quand elle est occupée à résiste, l’âme
est divisée par l’espérance ». « Prends donc une femme robuste.
(c’est ce qu’Isidore dit dans ses morales) pour ne pas t’éloigner
de la grâce de Dieu, et quant tu éteindras le feu dans une semence, tu
prieras avec une bonne conscience. » Et un peu après : «
J’ai tiré ces paroles des Basilidiens condamnables. » Voici le commentaire
de ce passage qui est attribué à Ambroise : « Quand la volonté consent
à la brulure de la chair, elle est brûlée. Car, éprouver des désirs
et ne pas être vaincus par eux c’est le propre d’un homme illustre
et parfait. »
Saint Jérôme dans son apologie pour les livres contre Jovinien,
écrit : « S’ils ne peuvent pas se contenir et s’ils veulent éteindre
le feu de la libido par la fornication plutôt que par la continence, il
est mieux pour eux de se marier que de brûler ». C’est-à-dire
qu’il vaut mieux être un mari qu’un fornicateur. Saint Augustin
(dans son livre sur la sainte virginité, chapitre 34) : « Ils feraient
mieux de se marier plutôt que de bruler », c’est-à-dire qu’ ils
soient dévastés plutôt dans cette concupiscence, par la
flamme occulte de la concupiscence, ceux qui se repentent de la profession
et ont honte de la confession. » Le même saint Augustin (bien conjugal,
chapitre 10) : « Il me semble que, en ce temps, seuls ceux qui ne pouvaient
se contenir avaient l’obligation de se marier, selon cette sentence
de l’apôtre : « que ceux qui ne se contiennent pas se marient, car
il vaut mieux se marier que brûler. »
Pierre le Martyr a cru que saint Jean Chrysostome avait entendu
ce mot de la seule tentation, mais il n’en est pas ainsi. Car voici
comment saint Jean Chrysostome l’explique en quelques mots : «
L’apôtre veut signifier quelle grandeur a la concupiscence tyrannique.
Voilà donc ce qu’il dit : si tu souffres une grande violence, si tu
es incendié par la flamme libidineuse, libère-toi, pour ne pas tomber,
par de grands labeurs et par la sueur de ton front. » Il voit ici
dans la brulure la tentation qui conduit à la fornication, l’infirmité
cédant à l’ardeur des passions. Voilà ce que signifient les
mots tyrannie, violence, chute. Voilà donc ce qu’est le sens selon
saint Jean Chrysostome : si tu as une âme fragile et si la force de la
tentation te presse, au point d’en arriver à forniquer, il est préférable
que tu te maries. Ce sens il l’exprime plus clairement encore
dans son livre sur la virginité. Et Theodoret qui a suivi saint
Jean Chrysostome s’exprime ainsi : « Il n’appelle pas brulure la violence
de la cupidité, mais l’esclavage de l’âme.et l’inclination vers
ce qui est le plus mauvais. Ce qu’il dit est à peu près
comme suit : « Vous que l’habitude matrimoniale n’oblige pas encore,
et vous qui étiez mariés autrefois mais avez été séparés par
la mort, il est préférable que vous choisissiez la continence.
Si vous ne pouvez pas supporter l’impétuosité de la concupiscence,
et si vous apportez à la guerre une âme pessimiste et défaitiste,
et si vous ne vous portez pas avec joie et empressement vers les
choses belles et honnêtes, aucune loi ne vous empêche de vous marier.
»
De plus, pour omettre les autres, saint Thomas, dans son commentaire
de ce passage, non seulement affirme que la brulure est l’incontinence,
mais il le prouve par le sens naturel du mot. Car bruler ne
signifie pas avoir chaud, ce qui convient à la tentation, mais être détruit
par la chaleur, et souffrir des dommages, ce qui ne convient pas du tout
à ceux qui ne sont que tentés, mais plutôt à ceux qui sont vaincus
par la tentation. Voilà pourquoi saint Pierre (1 Pierre 1), et la
Sagesse 3, comparent les justes placés en tentation à de l’or
qui est éprouvé par le feu. Or, on dit que l’or dans le feu est
éprouvé, non consumé. Et même s’il est grandement chauffé,
il ne subit aucun dommage. La paille, elle, s’enflamme et
est consumée, et elle est réduite en cendres.
J’ajouterai maintenant une autre solution. Même si par brulure
l’apôtre signifiait tentation, nos adversaires ne pourraient en tirer
aucun avantage. Car, dans aucun des passages qu’ils citent ne se
trouve un vrai précepte de mariage, mais seulement une autorisation.
Est faux, en effet, ce que Calvin dit (livre 4, chapitre 13, verset 17
de ses institutions) à savoir que ceux qui brûlent sont obligés de se
marier en vertu d’un précepte sur. D’abord la forme de parler
n’est pas impérative. Car l’apôtre ne dit pas : vous qui ne
pouvez pas vous contenir, mariez-vous, mais que ceux qui ne se contiennent
pas se marient ! Il n’a pas dit : à cause de la fornication, prenez
femme, mais qu’il se marie ! De plus, comme Chrysostome le note,
l’apôtre ajoute des raisons pour que ce qu’il dit ne semble
pas être une loi. Et cette raison n’a pas pour conclusion qu’il
est nécessaire de se marier, mais qu’il est licite et permis de le faire.
Car, même s’il vaut mieux se marier plutôt que brûler, il existe,
toutefois, une solution mitoyenne, la continence, et l’extinction
du feu de la libido par la patience et les larmes. C’est
comme si quelqu’un qui fuit parce qu’il ne veut pas se battre,
disait qu’il vaut mieux fuir que d’être tué. Ce motif permettrait
la fuite, mais ne le commanderait pas. Car, il n’interdirait pas
de se battre et de vaincre, ce qui vaut mieux que fuir et ne pas être
tué.
Troisièmement. L’apôtre qui a dit « que ceux qui ne
se contiennent pas se marient » a dit aussi : « Vous retournerez
à la même chose. » Il avertit là les incontinents célibataires
de se marier à cause du danger de fornication. Il avertit aussi
les conjoints incontinents, à cause du péril d’adultère, de
revenir à l’acte conjugal après s’en être détournés pendant un
certain temps. Or, par ces derniers mots, l’apôtre n’a rien commandé;
il n’a fait que permettre. Car, voici ce qu’il ajoute : « Je
dis cela comme une concession, non comme un ordre. »
Donc, dans les paroles précédentes, il n’y avait pas d’ordre, mais
seulement de la condescendance et une permission. Et c’est ce qui nous
fait comprendre que même dans : « que chacun ait sa propre femme »,
il n’y a pas de précepte. Car, ou il parle de ceux qui s’étaient
déjà mariés, comme le veut saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien),
et avec raison car Paul dit après : « Je dis aux célibataires et aux
veuves, qu’il est bon pour eux de ne pas se marier. » Ou il parle
de ceux qui n’étaient pas encore mariés, comme le soutient Pierre martyr.
S’il parle de ceux qui étaient déjà mariés, le sens sera : que chacun
ait une femme. C’est-à-dire que chacun la garde et la connaisse. Mais
cela je le dis par condescendance, non comme un ordre. Car
c’est la même chose que : « retournes-y, et que chacun ait sa propre
épouse. »
S’il parle de ceux qui ne sont pas encore mariés, il
en sera de même : que chacun ait une femme pour pallier à la fornication;
et que ceux qui ne se contiennent pas se marient, ce qui est une
permission, non un ordre, comme nous venons de le démontrer.
Bien plus, on tire un argument de la majeure. Car, si là où il
y a un danger d’adultère Paul ne prescrit pas l’acte conjugal mais
le permet, il le prescrira encore moins là où il n’y a
qu’un danger de fornication. Quatrièmement. Si, dans
les paroles de Paul, on pouvait trouver un précepte ordonnant le mariage,
on le verrait surtout dans l’épitre à Timothée (1, 5) : « Je veux
que les plus jeunes se marient. »
Mais il est facile de prouver qu’il n’y a là aucun précepte.
Car, d’abord, elles militeraient contre les paroles du même apôtre
(1 Corinthiens 7) : « Je voudrais que vous soyez tous comme moi ! »,
c’est-à-dire continents. Car ces deux affirmations : je
veux que tous se contiennent, et je veux que tous se marient ne vont pas
ensemble. Car, c’est comme s’il disait : je veux que tous soient
continents, et je ne veux pas que tous soient continents. L’apôtre
ne commande ni l’un ni l’autre, mais il ne désire véritablement qu’une
seule chose : que tous soient continents comme lui. Et, pourtant,
cédant à la faiblesse humaine, il en permet une autre : le mariage.
De plus, saint Paul ne dit pas seulement : « Je veux que les plus jeunes
se marient, mais il ajoute : « qu’elles procréent des fils, qu’elles
soient mères de famille. » Si donc quand il dit « je veux que
les plus jeunes se marient, il prescrit le mariage, il donne aussi un ordre
quand il dit qu’il veut qu’elles aient des enfants et soient mères
de famille. En conséquence, si elles sont stériles elles pècheront
contre une loi apostolique, ce que personne, à moins d’être fou, ne
concéderait.
J’ajoute enfin, des témoignages des pères. Au sujet du texte
« que ceux qui ne se contiennent pas se marient », nous avons déjà
entendu Theodoret qui l’explique en disant : « aucune loi ne vous empêche
de contracter un mariage. » Et c’est aussi ce que les autres enseignent.
Et voici comment explique le « je veux que les plus jeunes se marient
» : « Je le veux parce qu’elles le veulent. » Et plus bas :
« Prescrit-il le mariage ? Absolument pas. Mais il ne l’interdit pas
non plus. » Et plus bas encore : « Il l’interdit aux veuves de
cette sorte (le vœu de continence) et les en détourne, non pas
parce qu’il ne veut pas que les jeunes veuves restent veuves, mais parce
qu’il leur interdit l’adultère. » Saint Ambroise commente l’un
et l’autre passage dans son livre sur les veuves : « Je ne crois pas
qu’il ait pensé qu’il fasse détourner les jeunes veuves du
désir de rester veuves, surtout parce qu’il a dit : il vaut mieux se
marier que brûler.
Car c’est comme leur présentant un remède qu’il les a
persuadées de se marier, pour que soit assainie celle qui était sur le
point de périr. Il n’a pas donné un ordre que doivent suivre
la chasteté et la continence. » Saint Jérôme (épitre 11 à Ageruchia
sur la monogamie) : « L’apôtre veut un autre mariage quand il dit:
je veux que les plus jeunes se marient. Car il préfère la bigamie à
la fornication, par condescendance, il va de soi, non par ordre. » Saint
Augustin : (livre sur le bien de la viduité, chapitre 8) : « En disant
« je veux que les plus jeunes se marient », il recommande, par l’autorité
et la sobriété apostolique, le bien des noces, mais sans faire un devoir
de procréer à celles qui détiennent le bien de la continence, et sans
l’imposer comme une règle à suivre. » Et un peu avant : « Ils ont
dit la même chose de « que ceux qui ne sont contiennent pas se marient
» : il montre un remède, il n’impose pas une loi. »
Présentons maintenant la troisième solution. Je dis donc
que toutes ces choses que nous objectent les adversaires doivent s’entendre
comme une permission, comme nous l’avons prouvé, ou un précepte, comme
le veulent nos adversaires; et qu’elles ne se rapportent qu’aux hommes
libres de se marier, et non à ceux qui sont liés par des
vœux. Car on ne peut pas correctement dire de celui qui a fait
le voeu de continence : que celui qui ne se contient pas se marie; car
il est préférable de se marier plutôt que de brûler. Car l’un et
l’autre, pour eux, est mauvais, brûler et se marier. Bien plus, il est
pire de se marier, comme le réclament les adversaires, quand on a fait
un vœu solennel. Car, celui qui brûle, ou il ne pèche pas si la
brulure ne signifie que la tentation, ou il pèche seulement contre la
tempérance et contre le vœu s’il signifie une fornication. Mais
celui qui se marie après des vœux solennels, contracte, il est vrai,
un véritable mariage, mais, pour ainsi dire, il pèche davantage, que
celui ou celle qui fornique, car il se rend impuissant à conserver son
vœu, ce que ne fait pas celui ou celle qui fornique.
Deuxièmement, à celle qui a un homme, dont, parce qu’il
est toujours malade ou toujours absent, elle ne peut pas obtenir
son devoir conjugal, on ne peut pas dire, même si le feu de la concupiscence
la brûle : si tu ne te contiens pas, marie-toi, car il est préférable
de se marier plutôt que de brûler. Mais il est nécessaire de lui dire
qu’elle doit conserver la foi donnée à son mari, et qu’elle doit,
par le jeûne et les prières, lutter contre les tentations.
Ce que même nos adversaires n’oseraient pas nier. L’apôtre
n’a donc pas dit ces paroles à tous ceux qui brûlent, mais seulement
à ceux qui sont libres parce qu’ils ne se sont pas encore mariés, ou
parce qu’ils sont devenus libres de se marier de nouveau par la mort
de leurs conjoints. Et si ceux qui ont promis la fidélité à leurs
conjoints se sentent liés, pourquoi ne se sentiraient pas liés
eux aussi, ceux qui se sont offerts à Dieu par vœu ?
Troisièmement. Parmi les pères, voici saint Ambroise
(à la vierge tombée, chapitre 5) : « Quelqu’un dit : il vaut mieux
se marier plutôt que de brûler. Cela est dit pour celle qui
n’a pas encore fait de promesse, qui n’a pas encore reçu le voile.
Car, celle qui a choisi le Christ pour époux, et qui a reçu le
saint habit, est déjà mariée, car elle s’est unie à un homme immortel.
Et si elle voulait se marier selon la loi commune du mariage, elle commettrait
un adultère, et deviendrait servante de la mort. » Saint Jérôme
(dans le livre 1 contre Jovinien) : « Si la vierge se marie, elle ne pèche
pas. Mais non celle qui s’est dédiée une fois pour toutes au
culte de Dieu. Car, si l’une d’entre elles se mariait, elle serait
condamnée, parce qu’elle a rendu nulle la foi première.
Car, les vierges qui se marient après s’être consacrées à Dieu ne
sont pas tant des adultères que des incestes. » Saint Augustin (dans
son livre des époux adultérins, chapitre 15) écrit : « À ceux qui
ne peuvent se contenir, il convient de se marier, et ce qui convient est
aussi permis. Mais à celles qui ont voué la continence, cela n’est
ni permis, ni convenable. » Et (dans le livre du bien de la viduité,
chapitre 8) : « Que ceux qui ne se contiennent pas se marient, avant d’avoir
fait profession religieuse, avant d’avoir fait vœu de continence.
Car, s’ils ne l’observent pas ce vœu, ils se seront condamnés en
toute justice. »
Saint Grégoire (livre sur la pastorale, par 3, sur l’admonition)
: « Il est écrit qu’il vaut mieux se marier plutôt que de brûler,
et que tous ont accès au mariage sans commettre de faute,
à condition, toutefois, de ne pas avoir fait de meilleurs vœux. »
Saint Jean Chrysostome (dans son livre sur la virginité, chapitre 39)
: « Il donne à la vierge plein pouvoir pour se marier, si elle le veut,
mais il accuse sévèrement celle qui, après la mort de son
mari, s’était consacrée à Dieu et qui s’était remariée par
la suite, comme ayant violé la foi donnée à Dieu. Ce n’est pas
donc pas à elles, mais aux autres qu’il a dit : si elles ne se contiennent
pas, qu’elles se marient, car il vaut mieux se marier que brûler.
» De même saint Jean Chrysostome (homélie 18 sur la première épitre
aux Corinthiens) en commentant la phrase de saint Paul : « si la
vierge se marie, elle ne pèche pas » dit : « Il ne parle pas de celle
qui avait choisi pour elle la virginité, car elle aurait péché. » Enseignent
la même chose Theodoret, Theohylacte, Oecumenius, au même endroit,
et Épiphane (hérésie 61.)
CHAPITRE 31
On réfute la troisième objection
La troisième objection, qui est la plus grande de toutes, est
tirée des passages qui enseignent que la continence est un don de Dieu,
qui n’est pas du à tous. Même si nous avons déjà brièvement
réfuté cette objection dans la dispute sur le célibat des prêtres,
nous prendrons la peine ici de la réfuter avec beaucoup plus de précision.
Il y a quatre textes principaux. Celui de la Sagesse, 8 «
Personne ne peut être continent à moins que Dieu ne le donne (8) ».
Celui de Jésus en Matthieu 19 : « Tous ne comprennent pas cette parole,
mais seulement ceux à qui Dieu le donne. » Et plus bas : « Que
celui qui peut comprendre comprenne ! » Un autre de saint Paul (1 Corinthiens
7) : « Je veux que tous soient comme moi, mais chacun reçoit de Dieu
un don qui lui est propre, un celui-ci, un autre celui-là. » Et
plus bas : « Celle qui, étant libre de disposer d’elle-même et sans
y être contrainte, a pris dans son cœur la ferme résolution de
conserver sa virginité fait bien. » Commentant ce texte, saint
Jérôme (livre 1, contre Jovinien), dit que certaines doivent obligatoirement
choisir entre se marier et faire du trottoir. »
À l’aide de ces textes, voici comment ils raisonnent.
On ne doit faire de vœu que des choses que l’on sait avec certitude
pouvoir accomplir. Autrement, celui qui s’expose au péril de violer
son vœu, voue quelque chose à Dieu témérairement et offense Dieu.
Car, comme le dit l’Ecclésiaste 5 : « Déplait à Dieu l’infidélité
et une folle promesse » Or, personne ne peut savoir avec certitude
s’il pourra se contenir perpétuellement, puisque cela ne peut pas se
faire sans un don de Dieu; et personne ne peut savoir s’il a ce don de
Dieu, et encore moins s’il l’aura toujours, comme le montrent d’autres
passages de l’Écriture. Personne ne peut donc, à moins
d’agir avec témérité et imprudence, vouer à Dieu la continence perpétuelle.
» Ils déduisent aussi de cela que ceux qui ont déjà fait
des vœux peuvent et même doivent les résilier, car les choses qui ne
sont pas en notre pouvoir ne sont pas matière à vœux.
Pierre le martyr ajoute une comparaison. Si quelqu’un fait
le vœu de servir perpétuellement les pauvres, et tombe malade peu
après, il n’est certes pas tenu par son vœu, car ce qui était possible
quant il a fait un vœu est devenu impossible. Celui-là donc
qui a fait vœu de continence qui tombe dans la maladie de la concupiscence,
n’est plus tenu par son vœu. Car, il ne suffit pas de lui dire de prier
Dieu et de demander la continence. Car, celui qui est alité par
une maladie grave peut lui aussi prier Dieu pour lui demander la santé.
Et cependant, s’il ne la demande pas, comme cela arrive souvent, il est
affranchi de son vœu.
Nous répondons que la continence est à la fois un don de Dieu
et une chose qui est remis au pouvoir de l’homme, et à son libre
arbitre. Il faut noter qu’il y a plusieurs sortes de dons de Dieu.
Certains sont donnés à Dieu sans sa coopération, comme la force, la
santé, la beauté, la prophétie, les dons des langues et des miracles,
et tous les habitus infus par Dieu. Ce serait idiot de dire que toutes
ces choses sont en notre pouvoir et dépendent de notre libre choix, de
sorte qu’on pourrait les avoir quand et autant qu’on le voudrait.
Or, c’est à ce genre de dons que les adversaires renvoient la continence.
Pierre le martyr dit : « décider de prophétiser et décider d’être
continent, c’est la même chose. »
L’autre genre de don consiste dans un secours divin sans lequel
on ne ferait pas ce que l’on fait avec lui, comme croire, espérer, aimer,
persévérer, être patient, vaincre les tentations. Ce sont de vrais
dons de Dieu parce que si la grâce de Dieu ne nous prévenait pas en nous
excitant, ne nous aidait pas en nous dirigeant, en nous protégeant et
en coopérant, nous ne ferions rien de bien. Et pourtant, ces œuvres
dépendent de la liberté humaine, et sont en notre pouvoir, car même
si Dieu aide, il ne contraint pas, ni n’oblige. Et même si, sans
l’aide de Dieu, l’homme ne peut rien faire de bon, on dit quand même
qu’Il peut parce que ne fait jamais défaut une aide suffisante pour
pouvoir agir, ou pour demander un plus grand secours. Autrement,
les hommes ne pècheraient pas en ne croyant pas et en n’espérant pas.
Or c’est à ce genre de dons que nous disons qu’appartient la continence.
Il faut noter ici que comme pour la foi, la pénitence,
la persévérance et les autres bonnes actions, on a coutume de distinguer
deux grâces ou aides, il faut le faire aussi pour la continence.
Une suffisante qui est donnée à tous selon les lieux et les temps, laquelle
grâce ou aide ne fait pas que nous agissions, mais que nous puissions
agir. Une autre dite efficace, qui fait en sorte que nous agissions
réellement. Ce don-là est un don singulier qui n’est pas donné
à tous. Seuls ont ce don ceux qui croient réellement. Mais les
seuls à avoir le don de persévérance sont ceux qui ont persévéré
jusqu’à la fin. Seuls ont le don de continence ceux qui sont de fait
continents. Ils ne sont pas nombreux, comme cela est bien connu. Et c’est
d’eux qu’il est dit : « Tous ne comprennent pas cette parole.
Ceux-là seuls à qui cela a été donné. »
Il est en même temps vrai que tous ceux qui le veulent peuvent
se contenir, car l’aide pour se contenir est suffisant, et à personne
n’est refusée la grâce de la demander. C’est ce qui est
écrit également au sujet de la foi (2 thessal 3) : «La foi n’est pas
donnée à tous. » Et pourtant, tous peuvent croire s’ils
le veulent, quand l’évangile leur est prêché. Autrement, ne
pècheraient pas ceux qui ne croient pas. Quelle différence y a-t-il
entre ces aides, le moment n’est pas venu de l’expliquer. C’est
dans la dispute de la grâce et du libre arbitre que nous l’expliquerons,
si Dieu le veut.
On doit maintenant prouver que la continence est un don de Dieu
qui est placé sous notre contrôle. Que ce soit un don de Dieu,
les textes cités de l’Écriture le démontrent, et les adversaires eux-mêmes
ne le nient pas. Que soient en notre pouvoir et la grâce prévenante,
et la grâce concomitante, nous le confirmons par les arguments suivants.
Le premier. Par les témoignages des Écritures. En Matth 19, nous
lisons ces paroles : « Il y a des eunuques qui se sont castrés pour le
royaume des cieux. » Ce texte indique clairement le libre arbitre.
Car, si la continence était un don de Dieu qui ne dépend en aucune façon
d’un libre choix de l’homme, il aurait fallu dire : il y a des eunuques
qui ont été castrés par Dieu, non qui se sont castrés. Voilà
pourquoi on dit des castrés qu’ils sont des eunuques qui ont été faits
tels par les hommes, et non qui se sont castrés, car cette opération
est l’œuvre d’un étranger, non du castré. De plus, si le don
de continence est semblable au don de prophétie, de langues ou de guérison,
pourquoi ne dit-on pas qu’il y a des prophètes qui se sont faits eux-mêmes
prophètes, comme nous disons qu’il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes
castrés ?
Le second. « Que celui qui peut comprendre comprenne ! »
Ces paroles sont une exhortation à la continence, comme, en plus des saints
pères, l’atteste Pierre le martyr (dans le célibat et les vœux). On
peut citer aussi ces paroles de saint Paul (première épitre aux Corinthiens
7) : « Au sujet des vierges, je n’ai pas de précepte divin; je
donne un conseil. » Ces paroles contiennent une exhortation, selon
Pierre le martyr. Or, je le demande. Quel sage exhorterait
quelqu’un à faire ce qui n’est pas en son pouvoir ? Quelqu’un
a-t-il jamais exhorté les hommes à devenir prophètes, les infirmes à
devenir sains, les laids à devenir beaux, les nains à devenir géants
? Mais, rétorque Pierre le martyr, « ces exhortations ne sont données
qu’à ceux qui ont le don de Dieu. » Il faudra leur répliquer,
au contraire, que, selon eux, ceux qui ont ce don ne peuvent pas ne pas
être incontinents. Car, c’est ce qu’est écrit Martin Bucer,
qui a coutume d’être un oracle pour Pierre le martyr, en commentant
ce Matthieu 19 : tous ne comprennent pas ces paroles, mais seulement ceux
à qui cela a été donné) : « Comme un affamé ne peut pas ne pas prendre
avec avidité le pain qu’on lui offre, de la même manière, celui
qui a reçu cela de Dieu ne peut pas s’empêcher de prendre femme. »
Si donc ceux qui n’ont pas le don de Dieu ne peuvent pas se contenir,
et si ceux qui l’ont ne peuvent pas non plus, quels sont donc ceux que
le Christ et l’apôtre exhortent à la continence ?
Le troisième. Les paroles suivantes de saint Paul aux
Corinthiens (1, 7) : qu’elle fasse ce qu’elle veut, elle ne pèche
pas si elle se marie, donnent à l’homme le libre choix du mariage ou
du célibat. Comment donc peut-on dire qu’il n’est pas au pouvoir de
l’homme de se contenir s’il le veut ? Or cette délibération
ne peut pas porter sur des choses impossibles. Le quatrième. Les
continents et les célibataires sont loués dans l’Écriture, et reçoivent
des récompenses. Comme nous l’avons suffisamment prouvé dans
la dispute sur les conseils évangéliques, d’après le témoignage d’Isaïe
56 sur les eunuques, auxquels on promet mieux que des fils et des
filles, un témoignage de l’apocalypse (chapitre 14) où « les
vierges chantent un cantique nouveau que nul autre ne peut chanter. »
Or, aucune récompense, aucune louange ne serait méritée par des œuvres
qui ne sont pas en notre pouvoir, comme tous le reconnaissent. Car, aucune
récompense spéciale n’est promise à ceux qui font des prophéties,
qui parlent en langue, qui guérissent les maladies, ou qui chassent
les démons, car ces choses ne sont que des dons de Dieu. La continence
n’est donc pas seulement un don de Dieu, elle est aussi une libre action
de l’homme.
Le cinquième. Croire n’est pas moins un don de Dieu
que se contenir. Car, au sujet de la foi il est écrit (en Jean 6)
: « Personne ne peut venir à moi si mon Père ne l’attire. »
Et, dans les actes des apôtres (chapitre 13) : « Ont cru tous ceux qui
avaient été prédestinés à la vie éternelle. » Et, aux
Éphésiens (2) : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés au moyen
de la foi. Et cela ne vient pas de vous ; c’est un don de Dieu. »
Et (aux Philippiens 1) : « À vous il a été donné de croire en lui.
» Et (à 2 Thessaloniciens, à la fin) : « La foi n’est pas donnée
à tous. » Néanmoins, peuvent croire ceux qui le veulent;
et c’est avec raison que nous exhortons les gens à croire, et c’est
sans aucune témérité que tous promettent dans le baptême de conserver
la foi jusqu’à leur mort. Donc, peuvent aussi se contenir ceux
qui le veulent, et c’est avec raison que nous exhortons à la continence.
C’est aussi sans témérité que beaucoup promettent à Dieu
de conserver perpétuellement la continence
Ils rétorquent que la différence qu’il y a entre la foi et
la continence c’est que la première est nécessaire au salut, et l’autre
pas Voilà pourquoi, disent-ils, nous avons coutume de demander, comme
le faisait saint Jérôme (dans son commentaire du chapitre 19 de saint
Matthieu) que chacun jauge ses propres forces, avant de faire un vœu de
continence. « Mais, nous n’incitons personne à sonder ses forces
avant de croire. » Or,cela est facile à réfuter. Car,
la principale raison pour laquelle le vœu de continence est jugé téméraire
par nos adversaires ce n’est pas que la continence n’est pas une chose
nécessaire au salut, mais une chose impossible sans un don particulier
de Dieu, qui n’est pas donné à tous. On a déjà noté qu’on
pouvait, sans témérité, vouer à Dieu plusieurs choses non nécessaires
au salut.
Si cette raison principale joue également pour la foi et la
continence, comme nous l’avons démontré par les Écritures, pourquoi
est-ce une témérité de promettre la continence, et non de promettre
la foi? Ajoutons ensuite qu’il n’est pas vrai que celui qui veut faire
un vœu de continence doit sonder ses propres forces, tandis que celui
qui veut faire un acte de foi n’a pas à le faire. Car, le Seigneur
(en saint Luc, 14) avertit ceux qui veulent venir à lui, c’est-dire
qui veulent accepter la loi et la foi en lui, d’imiter ceux qui veulent
construire une tour, qui se demandent s’ils ont assez d’argent pour
pouvoir la mener à terme. Ainsi que ceux qui veulent partir en guerre
qui se demandent d’abord si dix mille hommes peuvent battre vint-mille.
Voilà pourquoi l’Église examine les catéchumènes, pour savoir s’ils
ont une volonté ferme et stable de persévérer dans la foi, car
il est pire de rejeter la foi reçue que de n’avoir jamais cru.
À ce sujet, si le cœur vous en dit, voir Alcuin (dans son livre des offices
divins, chapitre du samedi saint.)
La seule différence qui existe entre la continence et la foi consiste
en ceci. Celui qui, en se sondant, juge ne pas avoir les forces suffisantes
pour se contenir, peut se marier, car la continence n’est pas nécessaire
au salut, bien qu’elle puisse, par l’oraison, procurer de plus grandes
forces. Mais celui qui juge ne pas avoir les forces nécessaires
pour persévérer dans la foi et dans la loi du Christ ne peut pas licitement
ne pas embrasser la foi et la loi du Christ, qui sont nécessaires.
Mais il doit demander à Dieu de plus grandes forces, qu’il recevra certainement
s’il les demande fidèlement. Le sixième.
On le prouve par l’absurde, c’est-à-dire par ce qui s’ensuit
nécessairement de l’opinion de nos adversaires. Car, si tous ceux
qui veulent se contenir ne le peuvent pas, pour beaucoup d’hommes il
n’y aura aucun péché à forniquer ou à se prostituer. Car si
quelqu’un, avant de prendre femme, est vivement pressé par l’aiguillon
de la chair et n’a pas le don de continence, que fera-t-il ? Forniquera-t-il
impunément ? « Il a, disent-ils, un remède préparé, qu’il
prenne femme ». Mais qu’arrive-t-il s’il ne trouve
pas tout de suite ? Car, on ne contracte pas un mariage en un jour.
Plusieurs mois, la plupart du temps, s’écoulent entre les fiançailles
et le mariage. Et s’il est déjà marié, mais demeure loin de
sa femme, ou si elle est gravement malade, de façon à ne pas pouvoir
rendre à son mari ce qui lui est du, que fera-t-il ? Ira-t-il voir une
prostituée, s’il brûle et n’a pas le don de continence ? Ils répondront
qu’il n’est pas permis de se prostituer. Qu’il supplie donc
Dieu de lui donner le don de continence; et il ne le refusera pas à celui
qui le demande avec foi.
Mais pourquoi, je le demande, celui qui a fait vœu de chasteté ne
pourrait-il pas faire la même chose s’il brûle intensément, et ne
sent pas avoir le don de continence ? Ils répondent qu’il y a
une grande différence entre se contenir de l’adultère ou de la fornication,
et se contenir de sa femme. Car, la première est nécessaire et
commandée par Dieu, et c’est pour cela que Dieu ne la refuse jamais
à ceux qui la demandent. Mais l’autre n’est ni nécessaire ni
commandée par Dieu. Voilà pourquoi elle n’est pas toujours accordée
même à ceux qui la demandent. Pierre le martyr ajoute (dans son
livre sur le célibat et les vœux) qu’on ne doit pas la demander à
Dieu comme un absolu, mais seulement sous condition, si cela convient à
la plus grande gloire de Dieu, comme nous demandons la santé, la richesse,
et d’autres choses qui ne sont pas nécessaires au salut.
Jean Calvin (livre 4, chapitres 13 et 17 de ses institutions)
dit que ce n’est pas à nous d’avoir la confiance de demander un don
spécial comme le célibat. Martin Bucer (au chapitre 19 de Matthieu)
affirme clairement que ne doivent pas demander le célibat à Dieu
ceux qui ne savent pas si Dieu veut le leur donner. La raison que
tous ceux-là invoquent est que la prière doit naître de la foi, et que
la foi est fondée sur la promesse de Dieu. Or, il n’y aucune promesse
d’un célibat perpétuel accordé à quelqu’un. Voilà
comment ces hommes impies et impurs ne se contentent pas de lutter
contre la continence, mais obstruent la voie qui y mène.
Mais il est facile de réfuter ces arguties. Car, même
si une promesse particulière fait défaut, la promesse générale
suffit amplement : « Demandez et vous recevrez (Luc 11 »). « Si
vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera. »
(Jean 14, 15, 16). Car, si une promesse particulière était requise,
on ne pourrait demander ni la foi, ni l’espérance, ni l’amour, ni
la continence conjugale, ni même aucune autre vertu. Car il n’y
a jamais eu de promesses portant sur ces dons en particulier. Or,
les promesses générales requièrent certaines conditions. Car on
n’obtient pas tout ce qu’on demande, car il arrive souvent que nous
demandions des choses moins utiles et moins bonnes qu’il ne convient
absolument pas à Dieu de nous accorder. Mais la condition qui est
requise n’est pas celle que les adversaires imaginent, à savoir que
la chose demandée soit nécessaire au salut ou commandée. Car cela, ils
ne le confirment par aucune raison ou autorité.
La condition requise est que ce que nous demandons soit conforme à
la volonté de Dieu. C’est ce que nous enseigne saint Jean (épitre
1, chapitre 3) : « Voilà en quoi consiste la confiance que nous avons
en Dieu, c’est que quand nous demandons quelque chose selon sa volonté,
il nous écoute. » N’est pas conforme à sa volonté uniquement
ce qui est utile et plus utile que son contraire, ni non plus uniquement
ce qui a été commandé, mais aussi ce qu’il a conseillé et loué,
et auquel il a promis une récompense. Tel est le célibat dont nous
avons beaucoup parlé plus haut. Saint Augustin (traité 102), expliquant
ce veut dire que Dieu ne refuse pas à ceux qui demandent au nom du Christ,
dit qu’il accorde ce qui conduit au ciel. Il n’ajoute pas que ce que
l’on demande doit être nécessaire ou commandé.
On prouve, en dernier, avec la grâce de Dieu, que le célibat est
en notre pouvoir, par le témoignage des pères. Tertullien (dans le livre
de la monogamie, près de la fin) dit, en commentant le passage tous ne
comprennent pas ces paroles : « Choisis ce qui est bon ! Si tu ne le peux
pas, c’est parce que tu ne le veux pas. Car, il montre que tu le peux
si tu le veux, puisqu’ il a laissé l’un et l’autre à ton libre
arbitre. » Origène (dans le commentaire de ce même passage) dit
: « Celui qui veut comprendre la parole qui porte sur la chasteté, qu’il
demande, en croyant à ce qui lui a été dit, dans en douter aucunement:
quiconque demande reçoit. Saint Jérôme au même endroit : « Cela
a été donné à ceux qui l’ont demandé, qui l’ont voulu, qui ont
trimé fort pour l’avoir. Car, à quiconque demande, on donnera, celui
qui cherche trouvera, et à celui qui frappe on ouvrira. »
Grégoire de Naziance (sermon 31), commentant les trois genres d’eunuques,
dit : « Quand tu entends « à ceux à qui il a été donné », ajoute
: il a été donné à ceux qui ont voulu et qui y ont consenti. »
Saint Ambroise (livre 3 sur les vierges) : « Le Seigneur qui savait
que la virginité ou la chasteté serait prêchée à tous, mais imitée
par peu, dit que ce ne sont pas tous qui comprennent ces paroles. »
Et, dans son livre sur les veuves : « Il y a des castrés qui se sont
faits tels pour le royaume des cieux. Mais, cela n’est pas commandé
à tous, mais est proposé à tous. Voilà pourquoi il a provoqué
la volonté par des récompenses, mais n’a pas imposé des liens à la
faiblesse. » Et plus bas : «Le créateur sait que les dispositions de
chacun sont différentes. Voilà pourquoi il a stimulé la volonté
par des récompenses, sans imposer des liens à la faiblesse. »
Là où tu vois que la continence est prêchée à tous, et
est conseillée à tous, cela veut dire que s’ils le voulaient ils pourraient
remporter la victoire et recevoir la récompense. Saint Jean Chrysostome
dans son commentaire de ce passage : « Cela est donné à ceux qui le
choisissent spontanément. Il a donc dit cela pour nous montrer
que nous avions besoin d’une aide supérieure pour accomplir ce qui est
préparé pour tous, si nous voulons sortir vainqueurs de ce combat. »
Saint Augustin (psaume 137) explique «Il fit un vœu au
Dieu de Jacob. » David fit un vœu, en faisant quelque chose qui était
en son pouvoir. Et il demande à Dieu de pouvoir accomplir ce qu’il
a promis par vœu. Nous voyons de la dévotion dans celui qui fait
un vœu, et de l’humilité dans celui qui demande. Que personne ne présume
accomplir un vœu par ses propres forces ! Qui t’a incité à faire un
vœu, c’est lui qui t’aidera pour que tu le réalises.»
Et (au livre 6, chapitre 11 des confessions) : « Tu donnerais certainement
la continence si, par un gémissement interne, je frappais à tes oreilles.
» Ensuite, le même Augustin (livre 2, chapitres 10. 13, et 20 sur
les conjoints adultérins) enseigne clairement que la continence
est possible à tous, même à ceux qui sans avoir pensé un instant à
la continence, se sont mis dans la nécessité d’avoir à l’observer.
Saint Basile enseigne la même chose, avec plus d’insistance, (dans son
livre sur la virginité, passé le milieu). En tenant compte de qui
vient d’être dit, il sera facile de répondre aux passages de l’Écriture
cités au début.
Le texte de la Sagesse (personne ne peut être continent à moins que
Dieu ne le lui donne de l’être) doit être entendu de la continence
en général, celle qui se rapporte non seulement aux vierges ou aux veuves,
mais aux gens mariés. Car, celui qui dit ces choses est Salomon
qui n’était ni vierge, ni veuf, mais marié, et qui demandait donc à
Dieu la continence maritale. Nous n’avons donc pas dans ce texte
une continence qui est un don de Dieu tel qu’elle ne peut pas être le
lot de tous. Car nos adversaires eux-mêmes reconnaissent que tous peuvent
pratiquer la continence maritale s’ils la demandent à Dieu. Voilà pourquoi
il a ajouté : « J’allai prier Dieu et je la lui ai demandée. »
Cet autre passage de saint Matthieu 19 (tous ne comprennent pas ces
paroles, mais ceux-là seuls à qui cela est donné) exige une longue explication.
Nos adversaires soutiennent que « tous ne comprennent pas » doit avoir
ce sens : tous ne sont pas capables d’observer la continence conjugale,
mais ceux-là seuls à qui cela a été donné. Et il s’ensuit
que ceux qui n’ont pas ce don ne peuvent pas se contenir. Ils vont
chercher ce sens dans le verbe grec kôrousi, car kôreo ne signifie pas
prendre ou saisir, comme on dit : prends un livre, prends une lance, mais
être capable. Comme quand nous disons d’une cruche qu’elle contient
tant d’eau, telle ou telle quantité, comme l’évangile le dit.
Or, l’ambiguïté de ce mot a induit nos adversaires en erreur.
Car le verbe grec (kôreo) et le verbe latin (capio) signifient une capacité
naturelle de prendre telle que ceux qui ne l’ont pas sont dits
des incapables. Il signifie en même temps une capacité actuelle
ou volontaire qui dépend du libre arbitre. Et ceux qui ne l’ont pas
ne sont pas appelés des incapables, mais des gens qui ne prennent
pas. Exemple. (Locus augustus) Un lieu élevé est incapable
de plusieurs choses. Et semblablement, des enfants qui ne sont pas aptes
à détecter des fraudes sont dits incapables de ruse. Et quelqu’un qui
ne comprend pas parce qu’il n’est pas suffisamment attentif, ou parce
qu’il n’a personne qui lui enseigne, n’est pas appelé incapable,
même s’il ne comprend pas de que l’on dit. Et semblablement, celui
qui n’accepte pas un conseil, parce que quelqu’un l’a déjà persuadé
de penser autrement, on dit de lui qu’il n’a pas pris le conseil, mais
on ne dit pas qu’il est incapable, s’il le voulait, de l’accepter.
Et c’est dans se sens qu’il faut entendre le passage cité. Car
il signifie que tous ne comprennent pas en fait. C’est-à-dire que tous
n’admettent pas, tous ne sont pas persuadés, tous n’approuvent pas
ce qui est dit, à savoir qu’il n’est pas avantageux de se marier.
Qu’il en est bien ainsi, on le prouve de la façon suivante. Car,
si le mot capere signifiait ici être capable, Jésus aurait parlé pour
ne rien dire quand il a ajouté : « Que celui qui peut comprendre comprenne
! » Car, par ces paroles le Seigneur exhorte à la continence, comme
l’admet Pierre martyr lui-même, et comme tous les commentateurs l’enseignent.
Or, quelle exhortation y a-t-il dans : celui qui peut être capable, qu’il
soit capable ! De plus, s’il était question, là, de capacité,
et si le Seigneur voulait montrer, comme le soutiennent nos adversaires,
que tous ne sont pas capables de continence, et que, pour cette raison,
il leur était nécessaire de se marier, ces mots (il y a des eunuques
qui sont nés tels depuis le sein de leurs mères) seraient hors de propos,
et prouveraient plutôt le contraire.
Car si tu dis que quelques uns se contiennent par un vice de
la nature, parce qu’ils sont des glaçons, que d’autres sont castrés
par des hommes, avec une cruauté qui leur est étrangère, que d’autres
enfin se sont castrés, de leur propre volonté, comme célibataires qui
vivent pour le culte de Dieu, tous ne peuvent donc pas être continents.
Tu ne conclus certes pas plus logiquement que si tu disais
: quelques-uns courent poussés par la force, d’autres courent volontairement.
Tous ne peuvent donc pas courir. Tu conclurais plus sensément :
beaucoup se contiennent de force, beaucoup de leur plein gré. Il est donc
croyable que tous peuvent se contenir s’ils le veulent.
Voilà pourquoi saint Jean Chrysostome, dans son commentaire de ce
passage, enseigne que, par cette comparaison des eunuques, le Christ a
voulu prouver qu’il est facile et utile de s’abstenir du mariage, et
que ne jugent pas comme il faut ceux qui ne saisissent pas, c’est-à-dire
ne reçoivent et n’approuvent pas la parole de Dieu. Car si beaucoup
s’abstiennent, sans espoir d’un bien plus grand (comme les eunuques),
combien plus facile sera-t-il de s’abstenir à la promesse d’une récompense
surexcellente, et d’une couronne scintillante. Ajoutons enfin les
témoignages des pères déjà cités.
Ce « qui peut comprendre, comprenne » peut être expliqué de deux
façons. La première. Le Seigneur parle du pouvoir prochain, que
n’ont que ceux à qui le Seigneur a insufflé le désir efficace de se
contenir. Le sens serait alors : ceux qui sentent que, par un don
de Dieu, ils ont été intérieurement persuadés de se contenir, approuvent
ces mots. C’est ainsi que semblent l’avoir compris saint Jérôme
(dans son commentaire de ce passage), saint Augustin (livre, 2, chapitre
19 des époux adultérins). Mais, on ne peut pas déduire de cette
explication que tous ne peuvent pas se contenir. Car, même si tous
n’ont pas ce pouvoir prochain, ils ont le pouvoir éloigné, et ils peuvent,
s’ils le veulent, demander à Dieu, par de ferventes prières, le pouvoir
prochain, c’est-à-dire la force nécessaire pour être continent.
Comme on le dit au sujet de la foi (saint Jean 6) : « Personne ne peut
venir à moi si mon Père ne l’attire. » Car on a pu ajouter :
« Que celui qui peut venir vienne ». C’est-à-dire que celui
qui est attiré vienne, et que celui qui n’est pas attiré prie pour
être attiré !
Deuxièmement. On peut dire que ce texte a le même sens que cet autre
de Matthieu 13 : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende.
» Car, le Seigneur ne veut pas dire que tous n’ont pas d’oreilles,
mais il les avertit tous pour qu’ils usent du pouvoir qu’ils ont.
Comme on a coutume de dire : que celui qui a des yeux voie ! Celui
a du jugement juge ! C’est donc ainsi que le Seigneur dit dans ce passage
: celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! C’est-à-dire
que celui qui a un esprit et un jugement sain comprenne, juge, approuve
la parole : il n’est pas avantageux de se marier.
Et voici maintenant une troisième citation (1 Cor 7) : « Chacun
a de Dieu un don propre, l’un celui-ci, l’autre celui-là. Il ne nous
offre aucune difficulté. Car l’apôtre appelle
don de Dieu non seulement la continence virginale, mais aussi la conjugale.
Car, c’est un don de Dieu que quelques-uns choisissent la virginité,
et c’est aussi un don de Dieu que d’autres choisissent le mariage,
et y persévèrent dans la chasteté. Mais comment faire
concorder avec ces textes l’idée que la continence virginale et la chasteté
matrimoniale sont en notre pouvoir, nous l’avons exposé plus haut.
La dernière citation est sans rapport avec le sujet que nous traitons.
Car, quant Paul dit : « Quand quelqu’un a décidé dans son cœur fermement,
sans subir aucune contrainte, et ayant plein pouvoir sur sa volonté, de
la conserver vierge, il est fait bien. » On peut entre le mot vierge
de deux façons. La première, pour sa virginité à
soi, comme saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien). La deuxième.
Pour la fille vierge, comme l’explique Épiphane (hérésie 61).
Ainsi que saint Ambroise, Theodoret, Theophylacte, et presque tous les
autres. La première explication n’est pas vraisemblable.
Qu’on emploie le mot vierge pour dire virginité c’est quelque chose
d’inouï. Nous n’avons pas, non plus, à ce sujet de conflit
avec nos adversaires. Car Jean Calvin, Pierre le martyr, Érasme et d’autres
commentateurs de ce texte entendent par vierge, fille vierge, non
virginité. Si toutefois on admettait la première explication, on
ne devrait pas, par nécessité, entendre une nécessité absolue du mariage,
mais conditionnelle. Car, comme l’explique saint Jérôme, ceux
qui ne peuvent pas être continents doivent nécessairement ou se
marier ou forniquer, même si, absolument parlant, aucune de ces actions
n’est nécessaire.
Si on accepte la deuxième explication (vierge : sa fille), qui est
plus vraie et plus naturelle, on ne sera pas obligé d’entendre,
par nécessité, la nécessité du mariage par manque de don de continence,
--car c’est de cette nécessité qu’on parle ici---,mais la nécessité
extrinsèque qui n’a rien à voir avec le sujet. Car, on
dit qu’un père est obligé (nécessité) de donner sa fille en mariage,
si elle ne veut pas vivre dans le célibat, ou s’il est lui-même esclave,
et est forcé par son seigneur de caser sa fille. Mais on dit
aussi tout le contraire. Il est obligé de conserver sa fille vierge
si elle ne veut pas se marier, (car il ne peut pas la forcer à se marier),
ou si elle n’a aucun prétendant. Mais si rien de ce genre n’existe,
le père est libre de prendre la décision qu’il voudra. S’il la donne
en mariage, il fera bien; s’il ne le fait pas, il fera mieux, comme l’apôtre
lui-même l’écrit. Voilà ce qu’on peut répondre aux textes
de l’Écriture qu’on nous objecte.
Au sujet de la ressemblance que Pierre le martyr établit entre celui
qui fait le vœu de servir les malades, et qui ne l’observe pas parce
qu’il est tombé malade, et celui qui fait un voeu de continence et ne
le respecte pas parce qu’il n’a pas le don, je dis que deux cas ne
se ressemblent pas du tout. Car, le premier ne pèche pas en ne respectant
pas son vœu, car il avait la ferme volonté de remplir sa
promesse. Ce n’est pas lui qui a voulu être malade, il a été
forcé de l’être. Or, celui qui après un voeu, expose sa femme
à la maladie de la concupiscence, n’a pas celui-là la volonté de remplir
son vœu. Il en a plutôt une autre toute contraire, celle de ne pas accomplir
son vœu. Car vouloir se contenir comme on l’a promis, et vouloir
prendre femme, sont deux choses contradictoires.
De plus, la maladie corporelle ne dépend pas de la volonté
du malade. L’incontinence, elle, en dépend. On ne
peut pas dire, en effet, nul n’est malade que celui qui le veut bien.
Mais, on peut dire, sans peur d’être contredit : nul ne fornique
que celui qui veut, car, comme tous le savent, les membres obéissent aux
ordres de la volonté. Enfin, la santé corporelle n’est pas un
bien absolu qu’il faut toujours et partout demander, parce que la maladie
est souvent meilleure que la santé pour procurer la vie éternelle.
Voilà pourquoi il n’existe, dans l’Écriture, aucun conseil
évangélique sur la conservation de sa santé pour le royaume des cieux.
Mais la continence peut toujours et en tout temps être demandée, et elle
est immanquablement concédée s’il n’y a pas de défaut dans la prière.
Parce que, en vue de la vie éternelle, elle est un bien beaucoup plus
utile que le mariage, et c’est pour cela qu’elle est conseillée et
recommandée par l’Écriture.
CHAPITRE 32
On réfute la quatrième objection tirée de la raison
naturelle
Il faut dégonfler les objections que nos adversaires tirent des
inconvénients de toutes sortes qui naitraient du célibat.
La première. « Le célibat semble par lui-même répugner à la
nature. Elle aura, s’il est préférable d’être vierge plutôt que
de se marier, en vain doté l’humanité de la diversité des sexes, et
de la vertu génératrice ». Cette objection vient de Jovinien,
et elle a déjà été réfutée par saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien).
Mais parce qu’elle a été exhumée par Luther (dans son sermon sur
le mariage) et par Érasme (dans son livre sur le mariage), nous
répondons que la diversité des sexes et la vertu génératrice n’ont
pas été données en vain à l’humanité, même si tous ne s’en servent
pas. En effet, les choses qui ont été instituées pour le bien
de l’espèce n’ont pas été accordées pour rien à l’humanité,
même si certains individus n’y ont pas recours, et même si plusieurs
n’en tenaient pas compte. Exemple. Tous les végétaux et tous
les fruits naissent avec leurs semences, mais on n’en met en terre qu’un
petit nombre.
La deuxième objection. « Si tous étaient continents, le monde périrait.
Il ne faut donc pas prêcher la continence à tous ». Voici ce que
répondent les pères. Les imparfaits seront toujours plus nombreux
que les parfaits. Il faut donc prêcher à tous la continence pour qu’il
y en ait au moins quelques-uns qui la professent. Saint Jérôme
(contre Jovinien) : « Tu diras : si tous se font vierges, comment demeurera
le genre humain ? Ne crains pas que tous ne demeurent
vierges. C’est une chose difficile que la virginité. Et parce
qu’elle est difficile, elle est rare. » Saint Augustin (le bien
conjugal, chapitre 10) présente une autre solution : « J’en ai entendu
quelques-uns qui murmuraient ainsi : qu’arriverait-il si tous voulaient
s’abstenir de la couche conjugale ? Comment subsisterait le genre humain
? Plût à Dieu que tous le veuillent ! La cité de Dieu serait
complétée plus tôt, et la fin du monde arriverait beaucoup plus
vite. » Il enseigne cela encore plus clairement dans son livre sur
la viduité, chapitre 23. Et au sujet de que l’apôtre a dit (dans la
première épitre aux Corinthiens, 7) : « Je veux que tous soient comme
moi ! », c’est-à-célibataires. « Il n’aurait certainement
pas dit cela s’il n’était pas permis à tous de choisir le célibat,
même au risque de la fin du monde » !
Ce qui nous fait comprendre que n’est pas certaine l’opinion de
ceux qui disent : « s’il n’y avait, dans le monde, que des moines
ou des vierges consacrées à Dieu, ils seraient obligés, pour propager
l’espèce humaine, de violer leur vœu ». S’Il y en avait
qui voulaient soutenir, ce qu’enseignent certains, que, dans l’extrême
nécessité de conserver l’espèce humaine, les hommes seraient probablement
tenus de se marier, il n’y aurait pas lieu de craindre pour le vœu,
car les vœux ne peuvent rien prescrire qui soit contraire à la
loi divine. La troisième objection. « Par le célibat
de tants de prêtres, de moines et de religieuses, la chrétienté est
affaiblie, car le nombre des fidèles diminue, et on ne peut pas aisément
résister à la multitude des infidèles ». Saint Ambroise répond dans
le livre 3 des vierges : « J’en ai entendu quelques-uns qui disaient
que le monde périssait, que le genre humain s’affaiblissait, que les
mariages étaient avilis. Je demande. Qui cherche une épouse
sans pouvoir en trouver ? »
Mais, à notre époque, s’il est une cause de la rareté des chrétiens
et de la multitude des infidèles, ce n’est pas le célibat, mais la
monogamie. Les sarrasins se multiplient plus rapidement parce qu’ils
ont plusieurs épouses. Mais je ne pense pas que nos adversaires
soient aveugles au point de vouloir introduire chez nous la polygamie.
Et une des raisons principales pour laquelle les chrétiens sont inférieurs
aux Turcs n’est pas le petit nombre d’hommes, mais la discorde des
principaux chefs. Quand on y pense, Alexandre avait une petite armée,
mais obéissante et bien entraînée. Et c’est pour cela qu’en
peu de temps, il a soumis toute la terre connue d’alors. Les romains,
eux, ce n’est pas par le nombre, mais par la technique et la discipline
qu’ils vainquirent. Enfin, au temps de Charles le Magne, la chrétienté
devint grandement florissante, et pourtant, il y avait alors beaucoup de
prêtres, de moines et de religieuses qui observaient le célibat.
La quatrième objection. « Du célibat perpétuel beaucoup de
maladies sont nées, qui n’ont pu être soignées que par le mariage.
C’est donc témérairement qu’on fait un vœu de continence.
Car, on peut et on doit, dans ces cas, rompre un vœu pour prendre soin
de sa santé ». Je réponds que les maladies ne naissent pas de
la continence, mais de la luxure. C’est de l’incontinence, en
effet, que presque toutes prennent naissance. Mais qu’arriverait-il
si une maladie infectieuse inconnue des médecins ne pouvait être soignée
que par la consommation du mariage ? Saint Bonaventure répond (4
dist 38. Art 2, question ultime) :
« Il n’est pas permis de violer le vœu de chasteté pour
raison de danger de maladie ou de mort. D’abord, parce qu’il
n’y a aucune maladie qui ne puisse être guérie par d’autres moyens,
comme répondent des médecins qui ont été consultés là-dessus. Ensuite,
même s’il n’existait pas d’autre façon de guérir cette maladie
que la violation du vœu, le bien de la continence est plus grand
que le prolongement de la vie corporelle. Car, ceux qui s’adonnent aux
lectures, et aux méditations sacrées, surtout quand ils y ajoutent l’austérité
de la vie, savent très bien que ce faisant, ils raccourcissent leur vie,
mais qu’il leur est permis de faire passer avant quelques autres années
de vie terrestre la recherche de la sagesse, et les exercices de piété.
Tu diras : « si la loi ou le voeu du jeûne nuisent puissamment à
la santé du corps, on peut et on doit s’en dispenser ». Pourquoi
donc ne pas dire la même chose du vœu de continence, car la nourriture
est ordonnée par elle-même à la santé d’un individu. Donc,
ne pas s’en servir quand elle est nécessaire à la conservation de la
santé d’un individu, c’est un vice, non une vertu. Ce n’est
même pas la matière d’un vœu. Or l’acte conjugal, de par lui-même,
n’est pas ordonné vers le salut d’un individu. Bien plus, il
lui nuit parfois. Quand il le favorise, cela ne peut être que par
accident. Et même de cela, on n’a pas de certitude. Il n’est donc
pas permis d’omettre, pour quelque chose d’incertain et d’accidentel,
l’accomplissement d’un vœu, qui est bon par lui-même. Et cela vaut
aussi pour : si quelqu’un voulait me tuer à moins que je ne fasse un
vol. Car, il n’est pas permis de voler, même si quelqu’un
est tenu de conserver sa propre vie. Martin Cromerus (livre 29 des
choses polonaises), raconte que Casimir, fils d’un certain roi,
a brillé par des miracles après sa mort, parce qu’il avait préféré
mourir plutôt que de s’unir à une femme, comme les médecins le lui
persuadaient. Voir, sur cet argument, plusieurs choses dans les controverses
de Michaël Medina, (livre 4, controverse 4, sur la continence.)
La cinquième objection. « La tendance à engendrer des enfants
est naturelle et bonne. Elle existait dans l’intégrité originelle,
et on la trouve dans tous les animaux. Or, empêcher une tendance
naturelle qui est bonne c’est ce que font ceux qui promettent à Dieu
le célibat perpétuel. C’est un péché, et comme il n’y a
là que du naturel, c’est faire un reproche au Dieu qui a
fait la nature. Il n’est donc pas permis à ceux qui sentent le besoin
d’engendrer des enfants de promettre par vœu à Dieu un célibat perpétuel
».
Et c’est la raison utilisée par Luther dans son sermon sur
le mariage. Il a osé dire que « croissez et multipliez-vous » était
un précepte, et plus qu’un précepte. Michaël Medina (dans son livre
4 sur la continence, chapitre 11) a dit : « Empêcher quelqu’un d’agir
selon sa tendance naturelle, comme forcer quelqu’un à être continent
perpétuellement, est un péché. Mais ce n’est pas un péché
de s’empêcher soi-même de suivre une tendance naturelle, comme quelqu’un
qui spontanément se contient perpétuellement. Parce que le droit
et l’injustice sont en relation réciproque. Car l’homme ne peut
pas commettre une injustice envers lui-même ».
S’il en est ainsi, pourquoi sera-ce un péché de se tuer soi-même
? Saint Thomas (2.2. quest. 64. Art 5) affirme que c’est
un péché de se tuer parce que c’est aller contre une tendance naturelle.
Et si c’est un péché de se tuer parque le suicide milite contre une
tendance naturelle, pourquoi ne pas vouloir d’enfants ne sera pas un
péché, puisque cela aussi milite contre une tendance naturelle. François
Victoria (dans sa relecture de l’homicide) et Dominique a Soto (livre
5 sur la justice et le droit, question 1, article 5) répondent que la
tendance à avoir des enfants est naturelle, mais qu’elle ne convient
pas à l’homme en tant qu’homme, parce qu’elle convient aussi aux
bêtes. Mais que le désir de vivre est naturel et convient à l’homme
en tant qu’homme. Voilà pourquoi c’est un péché de se tuer, car
c’est aller contre un désir naturel de l’homme. Ne pas générer,
par contre, n’est pas un péché parce que ce n’est pas contraire à
un besoin naturel de l’homme. Mais cette réponse ne semble pas
tout à fait satisfaisante. Car si l’inclination à générer
n’est pas proprement humaine, le désir de vivre sera encore
moins humain, puisqu’il est lui aussi commun aux hommes et aux animaux.
Ils répliqueront peut-être que générer convient à l’homme par
rapport au seul corps, et que vivre s’applique au corps aussi bien qu’à
l’âme. Mais dans ce passage, il n’est question que de vie corporelle.
La vie et l’existence ne conviennent-elles pas à d’autres choses
? De plus, si le suicide était un péché parce qu’il va contre
une tendance naturelle de l’homme, vouloir être tué par un autre, ou
opter pour la mort serait un péché, car cela est aussi agir contre une
tendance naturelle de l’homme. Or à Jean XX1, Jésus dit à Pierre :
« Quand tu seras vieux, un autre te ceindra, et te conduira là où tu
ne veux pas aller. » Et, cependant, qui osera dire que
saint Paul a péché quand il a dit (Philipp 1) : « Je désire être dissous,
et être avec le Christ. » Et saint Ignace qui, comme il l’a dit dans
son épitre aux Romains, désirait passionnément être dévoré par les
bêtes ?
Ils rétorquent. Le conseil est très saint quand quelqu’un est envahi
par un voleur, et ne peut s’en sortir qu’en tuant le voleur.
Désirer la mort plutôt que la donner, même si cela semble aller contre
une inclination naturelle. Je réponds donc qu’il y a deux
sortes d’inclination naturelle. Une vers une chose considérée, dans
l’abstrait, en elle-même et pour elle-même. Une autre, vers une
chose considérée avec toutes ses circonstances. Car, si tu
considères en elle-même la mort, la maladie, le jeûne, et d’autres
choses semblables, tu en auras naturellement horreur. Mais si tu considères
ces mêmes choses comme matière à patience, comme chemin qui conduit
au ciel, comme une occasion de glorifier Dieu, tu commenceras à les apprécier
et à les désirer. Comme la dernière inclination est la seule
vraiment et proprement humaine, parce qu’elle est selon le jugement
droit de la raison, aller contre elle est un péché. Car c’est
militer contre la raison, et donc contre le droit naturel, et contre Dieu,
auteur de la nature.
Voilà pourquoi le célibat n’est pas contraire à la deuxième
inclination, même s’il est contraire à la première. Je dirais
même qu’il est conforme à la deuxième inclination parce qu’il est
un moyen pour obtenir un amour de Dieu plus pur et plus fervent.
Or, le suicide est contre l’une et l’autre inclination, à moins qu’il
ne soit commandé par Dieu. Car si Dieu l’ordonne, il pourra être
désiré comme le moyen d’obtenir un plus grand bien, c’est-à-dire
faire la volonté de Dieu, et mériter sa grâce. Mais, en dehors
de ce cas, le suicide ne peut jamais être un moyen d’obtenir un
plus grand bien. Car, tous les biens sont soit corporels, soit spirituels.
Le fondement des biens temporels est la vie. Il ne peut pas arriver
que le suicide soit l’occasion de fournir un moyen d’obtenir un plus
grand bien corporel. Les biens spirituels sont des actes du
libre arbitre. Ils dépendent donc de la volonté, et il n’y a
aucun de ces biens qui ne pas peuvent être procurés sans le suicide.
La sixième raison. La virginité n’est pas une vertu considérée
dans l’abstrait. En tant qu’elle n’est qu’un rejet du mariage,
elle n’est pas une vertu. Elle est une vertu en tant que freinage
parfait de la concupiscence, et donc un moyen pour obtenir quelque
chose de meilleur. Bien plus, comme saint Fulgence l’a noté dans
son épitre 3, chapitre 4 : « La virginité est une vertu dans la mesure
où elle en reçoit le nom de la vertu. » Comme demander la mort
pour elle-même n’est pas une vertu, cependant, affronter la mort pour
défendre sa foi ou sa patrie, est une vertu de force. Il est vrai
que, avant d’avoir été consacrée à Dieu par vœu, la virginité n’était
pas une vertu spéciale, et n’avait pas, par conséquent, de vice contraire.
Car, si on la considère dans son absence de vœu, elle est un acte parfait
et héroïque de tempérance; et ce n’est pas un vice qui lui est opposé,
mais quelque chose de moins bon. Car, les vices s’opposent aux vertus
dans les actes nécessaires, non dans les actes héroïques et parfaits.
Voir saint Thomas ( 2.2. quest 152).
La septième raison est celle d’Érasme (dans son dialogue de Procus
et d’une jeune fille) où il parle d’un ton épicurien : « Le pommier
est meilleur, qui, après les fleurs, il enfante les fruits. La vigne est
meilleure qui, produit le raisin après l’avoir entouré de feuilles,
pour qu’il ne tombe pas par terre et se corrompe. La rose est plus
heureuse qui est cueillie par la main de l’homme, délectant les yeux
et les narines, plutôt que vieillissant sur sa tige. Le vin est
plus heureux, parce qu’on le boit avant qu’il ne devienne du vinaigre
» Il soutient pouvoir déduire de tous ces exemples que le
mariage est meilleur, qu’il semble plus désirable que le célibat.
Il ajoute même que si une vierge se marie elle peut enfanter plusieurs
vierges. SI donc la virginité plait, les noces des vierges ne peuvent
pas déplaire, car ce qui nous plait tant, elles le rendent avec
intérêt. Mais ces arguments sont du genre que présenteraient les
chiens et les étalons s’ils pouvaient parler. À des chrétiens
dont le royaume des cieux est la patrie, dont la vie présente est un exil,
dont l’auteur est le Christ vierge d’une vierge, et prédicateur de
la virginité, il est plutôt étonnant qu’on propose de pareils arguments.
Car, la vierge chrétienne n’a pas de fleurs sans fruits, elle en a même
au centuple, même si elle n’a que le Christ comme époux, comme les
pères l’enseignent en commentant le chapitre 13 de Matthieu. Saint
Augustin (livre de la sainte virginité, chapitre 8) : « Aucune fécondité
de la chair ne peut être comparée à la sainte virginité. »
Saint Ambroise (dans son livre 1 sur les vierges) : « Comparons les
biens des femmes mariées avec les derniers des vierges. Il n’y
a même pas de comparaison, même si une femme féconde a beaucoup d’enfants.
» Et saint Jérôme (dans son épitre à Démétriade, et dans son
épitre 22 à Estochius). Il réfute longuement cet argument.
Mais Érasme n’avait peut-être pas des yeux qui lui auraient permis
de voir les fruits des vierges, car « l’homme animal ne perçoit pas
les choses spirituelles (1 Cor 2) ». Par un raisonnement semblable,
la vierge chrétienne n’est pas une vigne qui laisse tomber par terre
les raisons pour qu’ils y pourrissent, mais elle est le sarment qui adhère
à la vigne, l’épouse du Christ, grosse de l’Esprit, comme l’enseigne
magnifiquement saint Fulgence (dans son épitre 3 à Proba, chapitre 4.)
De plus la vierge chrétienne n’est pas une rose qui vieillit sur la
tige, mais qui est toujours jeune et resplendissante. Les conjoints
ont une fécondité limitée et passagère. La fleur de la virginité,
elle, commence ici, e obtient sa perfection dans la vie éternelle, là
où personne ne se marie, où tous sont comme les anges. De plus,
ce qu’ajoute Érasme, à savoir que des vierges naissent du mariage,
saint Augustin le réfute élégamment (dans la sainte virginité, chapitre
10) : « Car, ils ne doivent pas comparer les mérites des continents avec
les époux, sous prétexte qu’ils procréent des vierges. Car, ce n’est
pas le bien du mariage, mais de la nature, qui a été ainsi créée
par Dieu, que par l’union conjugale de l’un et de l’autre sexe, honnête
et permise, ou honteuse et illicite, aucune femme ne naît sans être vierge.
Voilà pourquoi une vierge peut naître d’un viol, et une vierge sacrée
d’un non mariage. »
CHAPITRE 33
On réfute la cinquième
objection tirée des conciles.
Les adversaires nous opposent aussi des témoignages des conciles et
des pères. Le premier témoignage est celui du concile d’Ancyre (canon
19) : « Tous ceux qui ont prévariqué contre la virginité vouée à
Dieu, en méprisant leur profession, sont considérés comme des bigames.
» Jean Brentius se sert de ce texte (dans ses prolégomènes
contre Pierre a Soto) pour prouver qu’un mariage après un vœu de chasteté
n’est pas un péché, puisque la bigamie, comme tous les l’admettent,
n’en est pas un. Mais Brentius raisonne mal, car le concile
n’enseigne pas que ceux qui se marient après avoir fait vœu de chasteté
sont de vrais bigames, mais il les rend, en punition de leurs péchés,
inaptes au sacerdoce, comme s’ils étaient des bigames. Du
fait que ces hommes sont punis de cette façon par un concile, on ne peut
pas en conclure qu’ils n’ont pas péché, mais bien plutôt qu’ils
en ont commis un , puisque leur punition est indiquée tout de suite après.
Et puisque le concile dit qu’ont prévariqué contre leur promesse, et
qu’ils ont méprisé leur profession religieuse, il faudra, pour prétendre
qu’ils n’ont pas péché, oser nier que la prévarication et le mépris
soient des péchés.
Mais Pierre le martyr (dans son livre sur le célibat et les vœux)
soutient que le concile n’a pas invalidé le contrat de mariage fait
après un vœu de chasteté, et que la seule peine qu’il a imposée était
que ce mariage fût assimilé à une bigamie. Je réponds que
le concile n’a pas invalidé le mariage, parce qu’il n’y avait aucun
mariage à annuler. Le concile ne dit pas non plus qu’ils ont contracté
un mariage, mais seulement qu’ils ont prévariqué contre leur promesse,
ce qui a pu se faire autant par la fornication que par le mariage.
Et même si leur mariage était un vrai mariage, et que c’est pour cette
raison qu’il n’a pas été annulé, comme nous le faisons aujourd’hui
pour ceux qui se marient après des vœux simples, peut-on déduire de
la sentence de concile qu’il est permis à ceux qui font vœu de chasteté
de prendre femme ? Combien de choses mauvaises sont maintenues après
avoir été faites ! Il est certain que s’il n’y avait aucune
faute dans ce mariage, le concile n’aurait pas puni ceux qui ont agi
ainsi. Or, chez nos adversaires, pour qui la violation d’un vœu
ne constitue aucune faute, non seulement ne sont pas détournés du ministère
ceux qui de moines sont devenus maris, mais ils sont presque les seuls
à y être appelés.
Le second témoignage est celui du concile de Gangres, (canons 9 et
10) où sont condamnés ceux qui, après avoir fait profession de continence,
exècrent les noces ou méprisent les époux. Je réponds.
Jean Brentius (dans la confession de Wirtemberg, au chapitre des
vœux) et Pierre le martyr (dans son livre sur le célibat et les vœux),
ne font que faire montre d’impudence en citant ces canons. Car,
ces canons n’enseignent rien d’autre que le mariage n’est pas mauvais,
même si le vœu de continence est meilleur; et que ceux qui font
profession de continence doivent être humbles, non orgueilleux.
C’est ce qu’enseigne aussi saint Augustin (dans les derniers chapitres
de son livre sur la sainte virginité). Mais écoutons d’abord
les canons : (canon 9) « Si quelqu’un parmi ceux qui ont professé la
virginité ou la continence, abomine le mariage en lui-même, et
le mésestime parce qu’il ne contient pas le bien la promesse bonne
et sainte de la virginité ou de la continence, qu’il soit
anathème ! » Canon 10 : « Si quelqu’un qui fait profession
de virginité à cause de Dieu vitupère par arrogance ceux qui se
sont mariés, qu’il soit anathème ! » Que lisons-nous donc ici
que tous les catholiques écoutent volontiers et applaudissent chaudement
?
Le troisième témoignage est celui de Chalcédoine : « Si une vierge
et un moine se vouent au Seigneur, il ne leur est pas permis de s’unir
pour former un mariage. Si on découvrait jamais qu’ils ont agi ainsi,
ils demeureraient excommuniés. Mais nous statuons qu’on pourra
se comporter envers eux humainement, avec l’approbation de l’évêque
du lieu. » Pierre martyr déduit de ce texte qu’un évêque peut permettre
les mariages de moines et religieuses. Mais, ce n’est pas ce que
dit le canon. Au contraire, il nie ouvertement que des personnes de ce
genre peuvent se marier. Et l’humanité, dont parle le concile, n’est
pas l’autorisation du mariage, mais l’absolution de l’excommunication.
Bien que le concile fulmine un anathème perpétuel sur ces sortes d’apostats,
il permet quand même à l’évêque de lever l’excommunication
avant l’article de la mort, s’ils sont venus à résipiscence, et se
sont affranchis d’un mauvais contrat de mariage, comme l’explique le
concile de Tours (canon 23). Venons-en maintenant aux témoignages
des pères réunis par Calvin, Brentius, Illyricus, et surtout par Pierre
le martyr.
CHAPITRE 34
On réfute la sixième objection tirée des Pères
Le premier des pères est l’apôtre saint Pierre, avec tous les autres
apôtres, à l’exception de saint Jean. « Allons puiser un principe
chez les apôtres, puisqu’ils sont les pères des pères.
Bien qu’ils aient été très saints, ils n’ont pas méprisé le mariage.
Bien plus, si nous en croyons saint Ambroise, tous eurent une épouse à
l’exception de saint Jean et de saint Paul. » Et plus bas : « Bien
que j’aie cité Ambroise dans tel écrit, cela ne veut pas dire que j’approuve
tout ce qu’il dit. Car d’où savait-il que saint Paul
n’avait pas eu d’épouse ? » Je réponds que nous
ne pouvons pas savoir par l’Écriture quels sont les apôtres qui ont
eu des épouses et quels sont ceux qui n’en ont pas eues, à l’exception
de Pierre dont nous connaissons la belle-mère ( Matthieu 8).
Il en est de même de Paul. Et au sujet des autres apôtres c’est
en toute probabilité que, contre Jovinien, saint Jérôme enseigne
quelque chose sur les autres apôtres. Mais, quoi qu’il en soit,
il nous suffit de savoir que, après leur appel, tous les apôtres ont
été continents.
Mais, dit Pierre martyr : « Ils ont coutume de dire qu’après
leur appel, les apôtres ont répudié leurs épouses, les ont traitées
comme des sœurs, et se sont abstenus de l’acte conjugal. Ceux
qui disent ces choses ne font que l’affirmer sans le prouver. Ils
disent des choses absurdes, des choses déraisonnables.
Car, il ne leur était pas permis de s’éloigner de leurs épouses, pour
ne pas commettre l’adultère ou pour ne pas s’exposer à le commettre.
Le Christ n’est pas venu, non plus, dans le monde, pour faire des divorces,
il a plutôt sévèrement averti de ne pas séparer ce que Dieu avait
uni. » Nous ne disons pas, nous, que les apôtres ont répudié leurs
épouses, ce que le Christ interdit (Matthieu 9), mais que, avec leur consentement,
ils se sont abstenus de l’acte conjugal. Car, on ne dit pas non
plus que saint Joseph a répudié sa femme Marie, parce qu’il ne l’a
jamais connue. Car ce n’est pas le coït, mais le consentement
mutuel des époux qui fait le mariage.
Qu’après leur appel les apôtres ont renoncé à l’acte conjugal,
nous ne faisons pas seulement le dire, mais nous le prouvons. Car,
quand saint Pierre dit à jésus (en Matth 19) : « Voici que nous avons
tout laissé pour te suivre », le Seigneur lui répondit : « Quiconque
laisse maison, parents, frères ou épouses, …recevra le centuple et
possédera la vie éternelle. » On voit là assez clairement que,
parmi les choses que les apôtres ont laissées se trouvent aussi les épouses.
Si on ne peut pas laisser une épouse sans la répudier, que Pierre le
martyr accuse donc le Christ qui promet une récompense si grande à ceux
qui laissent leurs épouses. Ajoutons que nous ne sommes pas les
premiers à soutenir que, après leur élection, les apôtres ont vécu
en célibataires. C’est ce qu’a enseigné Clément d’Alexandrie,
(livre 3 des stromates), ainsi que saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien).
C’est ce qu’ont enseigné presque tous les pères, et personne ne les
a jamais démentis.
Pierre le martyr nous oppose ensuite un texte de saint Ignace
qui écrit, dans son épitre à l’église de Philadelphie : « On ne
doit détourner personne du mariage, puisque les patriarches, les prophètes
et les apôtres ont été mariés. » Je réponds. Au sujet
des apôtres, j’ai déjà dit qu’ils avaient eu des épouses, mais
que, après leur élection, ils les ont changées en sœurs, comme le dit
Clément d’Alexandrie. Les patriarches et les prophètes servaient
Dieu au temps de la loi ancienne. Mais bien que certains prophètes
aient enseigné par l’exemple qu’il ne fallait pas se détourner du
mariage, comme le dit correctement saint Ignace, d’autres prophètes
comme Élie et Jérémie ont présenté l’exemple de la continence.
Il nous objecte ensuite saint Justin qui, (dans son apologie 2) se souvient
de la continence, mais non du vœu. Je réponds. En quoi ce texte
se rapporte-t-il au sujet que nous débattons ? Il ne sera pas permis
de faire un vœu parce que saint Justin a oublié de parler des vœux ?
Il nous objecte ensuite un texte de Denys le Corinthien qui (dans son
épitre à Gnosios, d’après l’historien Eusèbe livre 4, chapitre
23) demande à Pinytus, évêque évèque de Gnosios, de ne
pas contraindre les frères à observer la continence. Je réponds.
Qui d’entre nous le contredira ? Parce qu’il n’est pas permis
de contraindre quelqu’un à observer la continence, il ne sera donc pas
permis de la choisir spontanément ? Il nous oppose ensuite un texte
de saint Irénée (livre 1, chapitre 9) qui se souvient de l’épouse
d’un diacre; et qui (au chapitre 31) affirme que Tatien a assimilé le
mariage à la fornication. Et Pierre le martyr ajoute : « Et que
font d’autre nos adversaires ? Ils vont encore plus loin, car ils
soutiennent que le mariage des ministres est pire que l’adultère et
la fornication. Si ce n’est pas consentir à l’enseignement de Tatien,
qu’est-ce que c’est ? » Je réponds. Qu’est-ce que dire
des inepties ou mentir impunément, si cela ne l’est pas ? Le vœu
de continence sera-t-il illicite parce qu’un diacre s’est marié ?
Et comment prouves-tu que, après avoir reçu l’ordre sacré, il n’a
pas cessé d’avoir des relations conjugales avec son épouse ?
Pour ce qui est de Tatien, il condamnait les mariages véritables et légitimes,
et était, à cause de cela, un hérétique. Quand à nous, les mariages
des ministres consacrés nous ne les considérons pas comme des mariages
légitimes, mais des sacrilèges sous le couvert de mariage. Et voilà
pourquoi nous ne les approuvons pas. Autrement, si parce que quelqu’un
ne recommande pas les mariages illégitimes, il est un adepte de
Tatien, on appellera aussi disciple de Tatien celui qui n’approuve pas
le mariage d’un père avec sa fille. Voilà pourquoi saint Augustin
qui connaissait très bien l’hérésie de Tatien, et qui l’avait condamnée
dans son livre sur les hérésies (chapitre 25), dit que les chrétiens
doivent ou contracter le mariage, ou, s’ils ne le contractent pas, vivre
dans la pureté. C’est de ce texte que Pierre le martyr a déduit
que les moines et les prêtres qui ne vivent pas chastement sont obligés
de se marier. Pourquoi ne seraient-ils pas plutôt obligés de changer
de vie, et d’amender leurs mœurs, afin de pouvoir vivre dans la pureté
et la chasteté, et de respecter la promesse qu’ils ont faite à Dieu
?
Mais, rétorque Pierre le martyr : « Le même Clément dit (livre
3 des stromates) que Paul a eu une épouse, que Pierre et Philippe ont
eu des enfants. » Mais, il dit, au même endroit, que cela s’est
produit avant leur élection, mais que après, ils ont habité avec leurs
épouses comme avec des sœurs. Il cite ensuite une longe dispute
de Clément contre ceux qui condamnent les noces. Mais, tout cela
c’est parler pour ne rien dire. Il nous oppose également Tertullien.
Il dit d’abord que, dans cet auteur, il y a beaucoup de choses qui favorisent
les papistes, mais qu’on ne peut pas lui prêter foi parce qu’il a
été hérétique, et a interdit les secondes noces. Mais, il est
facile de réfuter cela. Car, même s’il est devenu hérétique,
les pères ne lui ont jamais reproché d’avoir louangé le vœu de continence,
mais seulement les autres erreurs que saint Augustin a toutes énumérées
dans son livre sur les hérésies (chapitre 86). Pierre le martyr se permet
ensuite de faire un gros mensonge. Dans son livre sur les voiles
des vierges, il se demande si seules les femmes mariées doivent entrer
dans l’église la tête voilée, ou les vierges également. Il
ne parle pas du voile des vierges, mais de leur vêtement seulement.
Mais pour se rendre compte qu’il ment, il suffit de continuer à lire
son livre. Car il dit que parce que les vierges séculières qui
entraient nue tête dans un temple faisaient cela à contre cœur,
les vierges sacrées sont entrées la tête couverte et voilée.
Et, il apporte comme argument le texte de saint Paul (1 Corinth
11), où il ordonne aux femmes aux femmes de se voiler la tête, sans rien
prescrire aux vierges. Il dit : « Les vierges des hommes agissent différemment
des vierges de Dieu. » Et plus bas : « Nous sommes scandalisés
parce que les autres agissent autrement, préférant scandaliser plutôt
que provoquer. » Et plus bas : « O mains sacrilèges qui ont pu
enlever un habit dédié à Dieu. » Et plus bas : « Tu t’es mariée
avec Dieu, tu lui as livré ta chair, c’est à lui que tu as consacré
ta puberté, conduis-toi donc selon la volonté de ton époux ! C’est
le Christ qui ordonne que soient voilées les vierges et les épouses !
Les deux sont ses épouses. » Or, le livre de saint Cyprien sur
l’habillement des vierges nous enseigne assez clairement de quelles vierges
parle Tertullien.
Mais Pierre le martyr a, contre nous, un insigne témoignage,
celui de Tertullien. Dans son livre sur la monogamie, commentant
le texte de saint Paul (1 Timothée 5), « je veux que les plus jeunes
se marient », il écrit : « Il attire notre attention sur des jeunes
veuves qui après s’être engagées à rester veuves, ont changé d’idée,
et après avoir connu des délices dans le Christ, ont voulu se marier.
Elles ont été condamnées parce qu’elles avaient rescindé la foi première,
la promesse de viduité perpétuelle dans laquelle elles n’ont
pas persévéré. C’est pour cela qu’il veut qu’elles se marient,
afin qu’elles ne résilient pas, par après, la première
foi de viduité perpétuelle. » Le martyr ajoute : « Par ces paroles,
il faut comprendre une ou l’autre chose : ou Paul veut qu’elle se marie,
même si elles ont fait un vœu, et c’est que semble vouloir dire Tertullien,
ou s’il ne s’agit pas de veuves qui ont fait un vœu, mais de veuves
semblables, Paul veut quand même qu’elles se marient, pour qu’elles
ne violent pas plus tard la promesse faite. Cette sentence
contredit nos adversaires, car ils permettent, eux, à des adolescentes
et à des jeunes filles de faire des vœux, et d’encourir le péril de
les violer. »
Je réponds que les paroles de Tertullien n’admettent pas le premier
sens qu’il leur attribue. Car ces paroles : (il veut qu’elles se marient
pour qu’elles ne violent pas la foi première de viduité) montrent clairement
qu’il parle de celles qui n’ont pas encore fait un vœu de viduité.
Car, celles qui ont fait vœu une fois pour toutes, et ont violé
leur foi première comment peuvent-elles se marier pour ne pas violer leur
foi première, puisqu’elles l’ont déjà violée, et que se marier
est une violation du vœu de viduité. Pour Tertullien, violer sa
première foi c’est ne pas persévérer dans la profession de viduité.
Mais le martyr répond : « Quand Paul dit : je veux que les plus
jeunes se marient, il parle de celles qui ont violé leur première
foi, comme le dit Tertullien : l’apôtre veut donc, selon l’interprétation
de Tertullien, que se marient celles qui avaient déjà fait un vœu de
viduité. » Je réponds que s’adresser à celles qui ont fait
des vœux n’est rien d’autre que les regarder, et de leur apporter
un remède pour leur ruine, comme les mots qui suivent le montrent clairement.
En ce qui a trait à la deuxième sentence, nous admettons que l’apôtre
veut que les jeunes veuves se marient, mais, comme nous l’avons montré
avec les textes des pères, pas toutes les vierges, mais celles-là seules
qui ne veulent pas être continentes. J’omets les autres mensonges
de Pierre le martyr, comme quand il dit, par exemple, que le mariage est
pour nous quelque chose d’impur et de lascif. Il a fait d’autres
mensonges du même genre dont il devra rendre compte à Dieu.
Il nous oppose ensuite Origène dans les livres desquels il ne trouva rien
qui l’avantageât, si ce n’est quelques passages qu’il pensait plaider
pour lui parce qu’ils ne parlaient pas expressément contre lui.
Là, par exemple, où Origène ne maudit pas le mariage, et surtout là
où il fait de grandes louanges au mariage. Il cite plusieurs paroles
des commentaires d’Origène (sur le chapitre 12 de l’épitre aux Romains,
et les chapitres 19 et 23 de Matthieu). Mais il n’y a rien dans tout
ce qu’il dit là qui se rapporte à notre propos. Car nous ho0norons,
nous, le mariage bien plus que ne le font nos adversaires, puisque nous
enseignons qu’il est un sacrement du Christ, ce qu’eux nient avec acharnement,
eux qui ne voient dans le mariage qu’un contrat civil.
On nous oppose un autre texte de saint Cyprien (livre 1, épitre 11,
à Pomponius). Voici ce qu’il dit de certaines vierges qui, après
s’être consacrées à Dieu, ont couché avec des mâles : « Celles
qui, après avoir été consacrées à Dieu par un voeu, persévèrent
dans la pudicité et la chasteté sans faille, et sont asses fortes et
stables pour espérer la récompense de la virginité. Mais si elles
ne veulent pas ou ne peuvent pas persévérer, il est préférable
qu’elles se marient plutôt que tomber dans feu par leurs jouissances
». Ce texte, ce n’est pas Pierre martyr seulement qui le cite, mais
aussi Calvin, Brentius et d’autres.
Pierre le martyr réfute certaines réponses incongrues, pour montrer
que l’argument est incontournable. Mais la réponse est facile
et évidente. Saint Cyprien parle de la même façon que l’apôtre
Paul (1 Timothée 5), quand il parlait de certaines vierges qui se conduisaient
peu honnêtement après un vœu de virginité. Il invitait à ne
pas faire de vœu mais à se marier celles qui n’avaient pas une
intention arrêtée de persévérer. Voici donc quel est le sens
des paroles de saint Cyprien : si après avoir consacré par vœu leur
virginité au Christ, elles ont persévéré sans faille dans
la pureté et la chasteté. Mais si elles ne veulent pas persévérer
ou ne le peuvent pas, c’est-à-dire : si elles pensent, quand elles se
demandent si elles vont faire un vœu, qu’elles ne pourront pas
persévérer, il vaut mieux qu’elles se marient plutôt que de tomber
dans le feu à cause de leurs jouissances.
Que ce soit là le sens, on peut le prouver. Première
preuve. Saint Cyprien permet à ces vierges de se marier dans le
cas seulement où elles ne veulent ou ne veulent pas être continentes.
Il concède donc le mariage seulement si elles ne veulent pas persévérer,
même si elles le pouvaient. Qu’après un vœu licite il soit permis
à quelqu’un de se marier, ni Calvin ni Pierre le martyr ne l’affirment.
Dans son épitre sur les vierges sacrées le même Cyprien affirme qu’elles
pèchent gravement si elles s’unissent maritalement à un homme; et que
ce n’est pas d’un homme, mais du Christ qu’elles sont adultères
: « Si un mari surprend sa femme couchée avec un autre homme, n’est-il
pas indigné et ne frémit-il pas ? Et par l’atrocité de la douleur
ne dégaine-t-il pas instantanément ? Ne s’indigne-t-il
pas et ne s’irrite-t-il pas le Christ Seigneur notre juge quand
il voit dans les bras d’un homme une vierge à lui consacrée,
et vouée à sa sainteté ? Et de quelles peines ne menacera-t-il
pas les conjoints d’un tel inceste ! » Voilà donc ce qu’il
dit. Cyprien ne pouvait donc pas permettre le mariage à des
vierges dédiées à Dieu. Il ne veut pas, non plus permettre une union
incestueuse qui est une offense manifeste à Dieu. Qui pensera que
Cyprin a été sot au point de permettre sciemment et prudemment des crimes
très graves ?
Mais Pierre le martyr a sur le cœur le « ou ne peuvent pas ».
Comme s’il y en avait qui ne peuvent en aucune façon se contenir, même
s’ils le voulaient. Mais nous avons déjà expliqué cela plus haut.
Car sains Cyprien parle comme si c’est ce que voulait dire le Christ
quand il a dit : que celui qui peut comprendre comprenne. Car ceux
dont on dit qu’ils ne veulent ni ne peuvent se contenir ce sont ceux
qui ne désirent pas être continents avec une volonté ferme et entière.
Leur manquent donc les forces efficaces nécessaires à la continence,
lesquelles forces ils pourraient acquérir s’ils les demandaient avec
confiance et persévérance dans la prière. L’autre texte nous
l’avons déjà expliqué dans le livre sur la singularité des clercs,
(dispute sur le célibat des prêtres.)
Il nous oppose un dixième texte, celui d’Eusèbe Césarée,
duquel il ne tire cependant rien d’autre qu’une conjecture, à savoir
que la consécration des vierges a commencé au temps de l’empereur Constantin,
et qu’elle n’existait pas avant. Dans le livre 4 de la vie de
Constantin, après avoir raconté que Constantin avait abrogé une ancienne
loi qui privait d’héritage ceux qui n’avaient pas d’enfants, il
ajoute tout de suite après que des femmes s’étaient consacrées à
Dieu par la chasteté perpétuelle et par le sacerdoce de Dieu.
Mais cette dernière conjecture ne s’appuie que sur un mensonge manifeste.
Car ce n’est pas de la consécration des vierges après le récit de
l’abrogation de la loi qu’il nous entretient. Il parle plutôt de la
virginité consacrée à Dieu comme une raison de l’abrogation
de la loi. Il dit lui-même, en effet, « avoir abrogé la
loi parce que beaucoup d’hommes et de femmes étaient sans enfants
non par incapacité d’engendrer, mais parce que, à cause d’un
immense amour de Dieu, ils faisaient profession perpétuelle de célibat.
»
Le onzième texte qu’il nous objecte est tiré de saint Athanase,
mais il n’y a même pas là une syllabe qui plaide en sa faveur.
Voilà pourquoi, après avoir cité des passages qui lui sont contraires,
il répond qu’il ne faut ni écouter ni tolérer Athanase, parce que
ce père a prôné beaucoup trop d’idées qui lui sont propres.
Les centuriates (centurie 4, chapitre 4, col 267, et chapitre colonne 466,
et chapitre 7, colonne 486) présentent un témoignage de saint Athanase
(tiré de son épitre à Dracontius), où il dit « qu’il connait des
évêques et des prêtres qui ont eu des enfants. » Je réponds
que nous aussi nous connaissons beaucoup de moines, qui se disaient
même évêques, et qui ont eu des enfants : Luther, Bucer, le martyr,
Oecolampadius, Wigandus, et d’autres. En ce passage, Saint Athanase
blâme les évêques et les moines qui mènent une vie de perdition;
et il précise qu’il en a même connu qui ont eu des enfants.
Que la chose ait été illicite de par la sentence même d’Athanase,
nous le fait comprendre l’exhortation qu’il donne aux moines, dans
laquelle il indique comme empêchements à la vie monastique l’union
conjugale et la garde d’enfants.
Il nous objecte ensuite un texte de saint Basile, qui a été appelé
grand à cause de son érudition et de sa doctrine. Il tire une citation
du livre sur la virginité où saint Basile réprouve les vierges consacrées
à Dieu qui ont une vie honteuse et perdue. C’est là qu’il dit
que : « il aurait été préférable qu’elles aient un mari, qu’elles
lui soient soumises, et qu’elles remplissent leur devoir conjugal, comme
il convient. » Et le martyr de conclure : « Rien ne peut être
dit qui nous soit plus favorable. » Je réponds que saint Basile
ne conseille pas aux religieuses qui vivent scandaleusement de se marier,
après avoir foulé aux pieds leurs engagements religieux. Il dit
seulement qu’il aurait été préférable qu’elles se marient plutôt
que de faire des vœux. Car, il est préférable de se sauver dans
un état de vie plus humble, que de se perdre dans un état de vie plus
sublime. Ses paroles qui suivent nous le font comprendre : « Car,
si après avoir secoué le joug d’un mari, et rendue inutile la grâce
d’entretenir une maison et de procréer des enfants, on a honte de la
profession virginale, tout devient dommageable. Et il aurait été
de loin préférable qu’elle soit unie à un homme et gouvernée par
lui pendant toute sa vie. » Tu vois que, dans ce passage, le mariage
est conseillé non à celle qui a fait des vœux, mais à celle qui après
avoir fait profession de vie religieuse, a rendue honteuse sa profession
religieuse.
Dans le même livre, saint Basile prouve abondamment que, pour aucune
considération, les vierges ne peuvent se marier : « Celles qui ont fait
profession de virginité et qui, affolées par les voluptés de la
chair, veulent commettre un péché de fornication sous le nom de mariage,
n’ignorent pas, même si elles plaident l’ignorance, que, après
avoir donné la main droite au Christ , elles ne sont plus l’épouse
de celui qu’elles ont illégitimement abandonné; et qu’elles
ne peuvent pas, non plus, selon les lois, être l’épouse de celui auquel
elles sont unies par un amour vicieux. » Et plus bas : « Qu’elle
ne s’illusionne pas ! Qu’elle n’estime pas mariage ce qui est un
péché ! » Et, plus bas : « Il n’y a rien qui pourra lui fournir le
prétexte de se marier ! »
Mais le martyr répond : « Quand Basile a écrit cela, il avait perdu
la mémoire. » Mais qui croira qu’un homme si admirable qui reçut
le nom de grand à cause de son érudition, ait milité si ouvertement
contre lui-même, et n’ait pas pu écrire trois pages sans se souvenir
de ce qu’il avait dit avant ? J’omets ensuite les autres reproches
qu’il adresse à saint Basile. Car, nous ne nous demandons pas
ici s’il a bien parlé, mais si ce qu’il a dit se rapporte au sujet
présent. Et pour la réfutation des calomnies de Pierre le martyr,
il suffit de savoir que Basile a été vraiment appelé grand, et que lui
est appelé faussement martyr.
La treizième objection, il la tire de saint Grégoire de Naziance,
de qui il n’a rien pu trouver qui nous soit contraire. Là où
saint Grégoire écrit que le mariage est une bonne chose, il présente
plusieurs citations qu’il considère plaider en sa faveur, pour la seule
raison qu’elles ne lui sont pas contraires. Il cite aussi plusieurs passages
qu’il déclare ne pas approuver, comme par exemple, que la virginité
associe les hommes aux anges, que la virginité est un signe de splendeur,
et le mariage de soucis, que la continence dépend de notre libre arbitre,
de sorte que peuvent la pratiquer tous ceux qui le veulent. Il dit
expressément qu’il ne peut pas admettre ces enseignements. Et, tout
compte fait, il n’approuve pas grand-chose.
La quatorzième vient de saint Hilaire, dans lequel il n’a
trouvé qu’une seule chose à nous objecter. Pour tout le reste, il rejette
Hilaire, et les autres pères qui favorisent trop ouvertement les papistes.
Le témoignage d’Hilaire que Pierre le martyr présente contre nous se
trouve dans son commentaire de Matthieu 19 : « Que le discours et la volonté
portent pour nous sur les eunuques. Dans un, il a placé la nature,
dans un autre la nécessité, et dans un troisième la volonté. La nature,
dans celui qui est né ainsi, la nécessité, dans celui qui a été fait
ainsi, et la volonté dans celui qui s’est décrété tel dans
l’espoir du règne céleste. Et il avertit que nous lui devenions
semblables, si nous le pouvons.» Le martyr fait le commentaire suivant
: « Remarquez qu’il n’a pas dit si nous le voulons, mais si nous le
pouvons, chacun tenant compte de ses forces. »
Je réponds que saint Hilaire n’a rien ajouté à la parole du Seigneur
: « Que celui qui peut comprendre, comprenne ! », dont nous avons longtemps
parlé. Nous ne nions pas qu’il faille tenir compte de ses propres
forces, et que ne doivent pas se castrer eux- mêmes pour le royaume des
cieux ceux qui sentent ne pas avoir les forces nécessaires pour être
continents, et qui donc ne le peuvent pas. Nous ajoutons, toutefois,
que ceux qui n’ont pas encore la force voulue, et ne peuvent donc pas
être continents, peuvent en acquérir la force par l’oraison, et pourront
ensuite être continents s’ils le veulent. Les magdebourgeois tirent
un autre passage de saint Hilaire (centurie 4, chapitre 4, colonne 300)
où après avoir parlé de la virginité selon saint Athanase, ils ajoutent
: « C’est contre cette opinion superstitieuse que semble parler Hilaire
dans son commentaire du psaume 64 : « Nous voyons des philosophes vivre
tout nus. Les maîtres s’abstiennent aussi de l’usage du mariage. Pour
toute nourriture, des hérétiques vivent de pain sec. Mais quel profit
tirent-ils de leur oisiveté? Tout cela est vain et ridicule, et
misérable comme le sont les causes de ces superstitions. C’est
donc à Dieu qu’il faut vouer le mépris du corps, la garde de la chasteté,
et la tolérance du jeûne. Car les vœux ne sont utiles que
dans la religion chrétienne, quand le recommandent à Dieu de justes
et dignes règles, et le zèle d’une observance professée en Église.
»
De ces paroles, les magdebourgeois ont déduit qu’il fallait vouer
le mépris du corps, mais non , ce qui serait exagéré, la nudité et
le désoeuvrement; qu’on devait vouer la chasteté conjugale, non la
virginité, qu’on doit faire vœu de jeuner, mais non de ne manger que
du pain. Mais ce n’est pas ce qu’Hilarius dit. Il explique
seulement que, en dehors de l’Église, la continence, le jeûne, le mépris
du corps ne sont d’aucun profit; mais que si ces choses sont faites pour
Dieu, et vouées à Dieu, elles ont une très grande valeur.
Car, il était en train de commenter les paroles du psaume : « À toi
est rendu un vœu à Jérusalem. » Et il développe les paroles
suivantes : à toi, et à Jérusalem, c’est-à-dire à Dieu et dans l’église.
Il appelle superstitieux les jeûnes et la continence des Gentils parce
que non faits pour Dieu; ainsi que des hérétiques, parce que non faits
dans l’Église. Pierre le martyr avait compris que le vœu de célibat
devait être fait pour plaire à Dieu. Mais il ajoute qu’il n’approuve
pas cette sentence d’Hilaire.
Le quinzième vient d’Épiphane dont il tire deux textes. Un
de son livre sur les hérésies (hérésie 48) où nous lisons : « Nous,
nous n’imposons pas de nécessité. Nous exhortons par un bon conseil,
encourageant celui qui le peut, sans imposer de nécessité à celui qui
ne le peut pas, et sans le rejeter de la vie. » Pierre le martyr
voit dans ces paroles d’Épiphane que les catholiques enseignent
la nécessité du célibat, car ils n’admettent aux saints ordres que
les célibataires. Et autre chose : que les catholiques disent que tous
peuvent se contenir s’ils le veulent. Épiphane, selon lui,
réprouverait l’une et l’autre assertion. Réponse. Au sujet de la
dernière, nous avons souvent expliqué comment il est vrai que tous peuvent
se contenir s’ils le veulent. Ils ne peuvent pas, en effet, quand
ils n’ont pas le don, mais ils le peuvent, absolument parlant, parce
qu’ils peuvent l’avoir ce don s’ils le demandent à Dieu. Nous
ne nions quand même pas, qu’entre temps, ce serait mal agir que de faire
un vœu de continence quand on sent qu’on n’a pas la force de l’observer;
et que ce serait encore plus mal agir d’exhorter ou même de forcer ces
hommes à faire un vœu.
Au sujet de la première assertion, je ne trouve là qu’une manifeste
calomnie. Car, même si nous n’admettons aux saints ordres que
les célibataires, nous ne forçons personne à entrer dans les ordres,
ou à faire profession de continence. Voici pour quelle raison ce
même Épiphane (hérésie 59), qui ne veut contraindre personne à choisir
le célibat, affirme qu’on ne doit admettre aux saints ordres que les
célibataires : « Il est vrai que, après l’avènement du Christ, la
sainte prédication de la parole de Dieu ne reçoit pas ceux qui,
après la mort de leur épouse, se sont remariés; et cela, à cause de
l’excellence, de la dignité, et de l’honorabilité du sacerdoce.
Elle ne reçoit pas non plus les hommes mariés une seule fois qui procréent
encore des enfants. Celui qu’elle reçoit comme diacre, prêtre,
évêque et sous-diacre, c’est celui qui s’est abstenu de toute union
avec une seule femme, ou qui vit dans la viduité.
Brentius et Pierre le martyr présentent un autre témoignage tiré
du même livre des hérésies (hérésie 61), où nous lisons : « Il est
préférable à celui qui tombe publiquement sur le chemin de prendre une
femme selon la loi et de faire pénitence longtemps pour la virginité
perdue, plutôt qu’être à chaque jour transpercé par des javelots.
» Je réponds d’abord qu’Épiphane semble vouloir dire que c’est
un moindre mal de se marier après un vœu de chasteté que de forniquer
secrètement et assidument. Il ne dit pas, cependant, que ce n’est
pas un mal de se marier après un vœu de chasteté, comme le pensent les
adversaires, et c’est sur quoi porte notre controverse. Car, dans
le même livre, Épiphane avait dit avant : « Les saints apôtres nous
ont transmis que c’était un péché de se tourner vers le mariage après
avoir consacré à Dieu sa virginité » Et un peu après,
il reprend l’avertissement de saint Paul : « Si la vierge se marie,
elle ne pèche pas », et précise qu’on doit entendre ici par vierge
celle qui ne s’est pas encore consacrée à Dieu. Et plus bas,
interprétant ce passage de Timothée : 1,5, : « Elles ont la damnation
en partage, car elles ont rendu nulle leur première foi », il dit que
cela se rapporte d’abord et avant tout aux vierges qui veulent se marier
après leurs vœux. »
De plus, Pierre le martyr lui-même reconnait qu’Épiphane parle
en notre faveur : « Je n’ai jamais affirmé qu’Épiphane était des
nôtres quand il déclare que c’est un péché de se marier après
un vœu de chasteté ». Et plus bas : « Épiphane ne s’accorde pas
avec moi sur ce sujet, mais seulement quand il dit que ces mariages sont
vrais et licites ». Ou il milite manifestement contre lui-même,
ou il affirme faussement qu’Épiphane milite contre lui-même.
Car se contredisent les deux assertions suivantes : un mariage après un
vœu est un péché; un mariage après un vœu est licite. Le martyr
attribue l’une et l’autre à Épiphane, lequel affirme toujours la
première, et la deuxième, jamais.
Je réponds ensuite qu’il est probable qu’Épiphane n’ait pas
voulu dire que c’était un moindre mal de se marier après un vœu que
forniquer, mais qu’il ait plutôt exhorté au mariage ceux qui sans vœu
persévéraient dans le célibat, mais vivaient honteusement. Car,
en cet endroit, il distingue deux sortes de vierges. Une formée
de celles qui, par l’élection, la profession et le vœu, étaient vierges,
et c’est d’elles qu’il répète souvent qu’on ne peut pas,
sans péché grave, se tourner vers le mariage après avoir dédié sa
virginité à Dieu. L’autre est formée de celles qui, dans
leur jeunesse, ne trouvèrent pas de mariage accommodant, et qui
sont demeurées pendant un certain temps célibataires. Il leur était
arrivé de forniquer en cachette, et étaient encore vierges devant les
hommes, mais pas devant Dieu. Ce sont celles-là qu’il exhorte
à faire pénitence, à cause de leur virginité perdue par la fornication,
et de chercher un refuge dans le mariage, en redoutant plus la condamnation
de Dieu que celle des hommes.
Voilà pourquoi, quand Épiphane dit : il est préférable d’avoir
un seul péché que plusieurs, il ne veut pas dire qu’il est meilleur
de pécher une fois pour toutes en se mariant après un vœu, que d’exposer
son célibat au péril constant de la fornication. Et quand il exhorte
celui qui est tombé dans la course de prendre femme, il n’appelle
pas course un vœu de célibat, mais le célibat lui-même
qu’il avait pendant longtemps observé, et perdu par après par la fornication.
Je dis que cette explication est hautement vraisemblable, autant parce
que les paroles d’Épiphane admettent ce sens, autant parce qu’il n’est
pas croyable qu’Épiphane ait voulu exhorter à ce que lui-même juge
aller contre les sanctions apostoliques.
Pour la seizième, Pierre le martyr nous objecte saint Jean Chrysostome,
de qui il ne nous présente que ses louanges du mariage, ce qui n’a rien
à voir avec notre débat. Mais les magdebourgeois (centurie 5, chapitre
4, colonne 444) nous opposent un témoignage de saint Jean Chrysostome
tiré du sermon sur la cohabitation des femmes religieuses avec des hommes,
où il exhorte les vierges sacrées de se marier plutôt que de cohabiter
avec des hommes de cette façon-là : « Car ces mariages Dieu ne les condamne
pas, et les hommes ne les réprouvent pas. C’est une chose honnête,
qui n’offense personne, et ne blesse personne. Mais cette virginité
qui vit avec des hommes est prouvée pire que le viol. »
Les magdebourgeois n’ont pas reproduit ces paroles assez fidèlement.
Ils ont en effet omis celles qui précèdent de près. Or, on peut
déduire de ces mots omis que saint Jean Chrysostome parle des mariages
qui précèdent le vœu, non de ceux qui viennent après. Car, c’est
ainsi qu’il parle : « Car si tu voulais cohabiter avec quelqu’un,
il ne te fallait pas choisir la virginité, mais tu devais passer au mariage.
Car il aurait été bien mieux de te marier que faire profession de virginité
de cette manière. Car ces noces Dieu ne les condamne pas non plus.
» Et, plus bas : « Si elles convoitaient un homme et désiraient
se marier, qui les en empêchait ? Qui leur enlevait le pouvoir de le faire
? » Saint Jean Chrysostome parle donc, comme saint Cyprien et saint
Basile, de ce qui aurait du se faire avant le vœu, non de ce qui
doit être fait après le vœu. Car le même Jean Chrysostome (dans
son épitre 6 à Théodore) explique longuement qu’un mariage contracté
après des vœux monastiques ne doit pas porter le nom de mariage mais
de quelque chose de pire que l’adultère.
Il existe, pour dire vrai, un passage de saint Jean Chrysostome
contre les voeux qu’on peut nous opposer, même si jusqu’ici je n’ai
vu aucun adversaire nous l’objecter. C’est au livre 3 de son
livre contre ceux qui vitupèrent la vie monastique, vers la fin : « Nous
ne rappelons donc pas pour rien du séjour du désert ceux qui sont
encore libres. Nous leur permettons d’acquérir vraiment la discipline
de la voie céleste, et de fortifier leurs arbustes par des racines profondes.
Et s’ils sont nourris dix ans ou vingt ans dans un monastère, nous ne
leur faisons pas de reproche. » Ces paroles laissent entendre que,
au temps de saint Jean Chrysostome, les moines n’étaient pas retenus
par des vœux, dans le désert ou dans les monastères, ou que les vœux
étaient optionnels, du fait qu’il leur était possible en tout temps
de quitter le monastère et de retourner dans le monde.
Je réponds qu’il y avait deux sortes d’hommes qui
vivaient dans les monastères à son époque. Les uns faisaient profession
de vie monastique, et étaient astreints aux vœux, et ne pouvaient pas
retourner dans le monde. D’autres séjournaient dans les monastères
quelque temps seulement, non pas tant pour devenir moines que pour se former
à la piété et aux vertus. Ces derniers n’étaient retenus par
aucun vœu, et pouvaient sortir du monastère à leur gré. C’est de
ceux-là que parle saint Jean Chrysostome. On peut déduire de ce
texte qu’il exhorte tous les citoyens à envoyer leurs fils dans des
monastères, et même ceux qui sont déjà mariés, pour qu’ils y demeurent
un certain temps.
C’est des premiers que parle saint Basile (au chapitre 21 des constitutions)
où, par plusieurs raisonnements, il montre qu’il n’est pas permis
à un moine de retourner chez lui. C’est ce que dit aussi saint
Jean Chrysostome (dans sa lettre 6 à Theodore) : « Oui, je pleure, non
parce que tu rèves encore des choses paternelles, mais parce que tu négliges
et foules aux pieds ce que tu avais promis au Christ de tout cœur.
Celui qui a commencé à être un soldat est jugé digne de la peine capitale
si on le voit déserter l’armée. » De même Theophylacte
(au chapitre 8 de Matthieu) : « S’il n’est même pas permis à celui-là
d’ensevelir son père, malheur à ceux qui, après avoir fait profession
de vie monastique, retournent aux affaires mondaines ! »
La dix-septième. Pierre le martyr présente saint Ambroise.
Parce qu’il n’a rien pu trouver chez lui contre les vœux de continence,
il se dérage sur ses livres qui traitent des vierges, des livres sublimes.
Il déclare que saint Ambroise se contredit parce que, après avoir
enseigné que la virginité n’est pas commandée, mais conseillée,
il en fait maintenant une obligation en interdisant aux vierges consacrées
à Dieu de se marier. Mais ce faux martyr est si aveuglé par
l’amour charnel, qu’il ne sait pas ce qu’il dit, ni de qui
l’on parle. Car c’est une chose d’imposer de force la virginité,
et c’est une autre chose de l’exiger de qui l’a spontanément promise.
Enfin, ces livres sur la virginité qui déplaisent tant au martyr Pierre,
sont grandement loués par saint Jérôme (dans son épitre 22 à
Eustochius).
La dix-huitième, il la tire d’un texte de saint Jérôme (épitre
8 à Demetriade). Ensuite, il attaque vigoureusement les livres de
saint Jérôme contre Jovinien. Mais, à sa dernière objection,
il suffit d’opposer un texte de saint Augustin, qui dans son épitre
29 à saint Jérôme, appelle les livres contre Jovinien une dispute
suave et magistrale. Saint Jérôme, dans son apologie pour ses livres
contre Jovinien, avait d’avance réfuté les calomnies que renouvelle
Pierre le martyr. Voici quel est le témoignage (dans l’épitre
à Démétriade) : « Le saint propos des vierges, la gloire de la famille
céleste des anges, est avili par celles qui n’agissent pas bien,
celles à qui il faut dire : ou qu’elles se marient si elles ne peuvent
pas se contenir, ou qu’elles se contiennent si elles ne veulent pas se
marier. » Ces paroles, dit le martyr ne peuvent pas s’appliquer
à celles qui n’ont pas encore fait de vœux. Car personne n’honore
un ordre sans en faire partie; personne n’accuse des apôtres d’avoir
une vie honteuse, à moins qu’il ne soit l’un d’entre eux.
»
Je réponds que saint Jérôme parle des servantes des vierges nobles.
Car, certaines vierges consacrées étaient d’une grande noblesse.
Elles vivaient dans leurs maisons, et étaient toujours accompagnées de
plusieurs servantes. Il arrivait souvent que certaines de ces servantes
qui n’avaient fait aucun vœu, donnaient une mauvaise réputation à
leur maîtresse en vivant sans trop de pudeur. Car, voici comment
saint Jérôme continue tout de suite après : « Les mœurs et les intérêts
des maîtresses sont la plupart du temps jugés par les mœurs des servantes
et des convives. » Que les servantes des vierges sacrées n’ont
pas toutes été des vierges consacrées, le lettre 22 à Eustochius nous
le montre. Il avertit là Eustochius d’honorer davantage celles
qui sont vierges, et de les faire manger avec elle à sa table, pour que
l’honneur qui leur est rendu soit pour les autres une invitation.
C’est là qu’il ajoute ces paroles au sujet des servantes qui, selon
son conseil, devaient être invités à la continence par l’honneur rendu
aux autres : « Si une regimbe, et fuit la servitude, lis à celle-là
les paroles de l’apôtre : il vaut mieux se marier que de brûler. »
Il enseigne là qu’on doit inciter les servantes à désirer le
vœu de continence, mais non à les forcer.
On aurait pu tirer de saint Jérôme un autre témoignage. Car, voici
comment il parle à une vierge consacrée dans l’épitre 47 : « Si tu
es vierge, pourquoi crains-tu la garde attentive ? Si tu es corrompue,
pourquoi ne te maries-tu pas ouvertement ? » Que ce
soit à une vierge sacrée qu’il parle, les mots de la même lettre nous
le révèlent : Que ne te déplaise pas la vocation qui t’a consacrée
vierge par ton époux. » Je réponds que saint Jérôme parle d’une
certaine vierge qui n’avait pas fait profession publiquement dans un
monastère, (car, dans la même lettre, il l’exhorte à se rendre à
un monastère), mais qui avait fait privément un vœu de continence, comme,
à cette époque, beaucoup faisaient. Et ensuite, après avoir abandonné
la mère veuve, elle s’unissait à un jeune homme, et vivait avec lui
sans un soupçon d’impudicité. C’est elle que saint Jérôme
exhorte à se marier publiquement, plutôt que de vivre impurement en scandalisant
les autres. Il ne lui conseille pas cela comme si ce n’était
pas un péché de se marier après un vœu (comme nos adversaires
le veulent), mais parce qu’elle pècherait moins, puisque la prudence
et la raison enseignent qu’entre deux maux, il faut choisir le moindre.
Que saint Jérôme pense que c’est un péché de se marier après
avoir fait vœu de continence, Pierre le Martyr ne le nie pas, puisqu’il
le répète des milliers de foi contre Jovinien, et ailleurs. Mais
même ici. Car, après avoir dit : si tu es corrompue, pourquoi ne
te maries-tu pas publiquement, il ajoute : « Je ne dis pas cela pour enlever
la pénitence après le péché, et pour ce que celle qui a mal commencé,
persévère encore plus mal, mais parce que je désespère de cette sorte
d’union. » Ce qui veut dire : je ne t’exhorte pas à te marier
parce que je désire que tu persévères d’une mauvaise façon en te
mariant dans ce que tu as mal commencé, en forniquant, mais plutôt que
tu fasses pénitence et que tu t’amendes. Mais comme je désespère
que tu puisses te séparer de ton homme, voilà pourquoi j’aime mieux
un moindre mal, le mariage, que la fornication.
Il faut noter qu’un mariage fait après un vœu simple (ce
dont parle saint Jérôme) est un vrai mariage, même s’il ne peut pas
être fait sans faute. Et voilà pourquoi, à cause du conjoint,
des enfants et des autres biens qu’apporte la mariage, c’est
un moindre mal, après un vœu de ce genre, de se marier plutôt
que de forniquer continuellement. Cependant, selon un autre point
de vue, comme nous l’avons déjà dit, c’est un plus grand mal de se
marier ainsi que de forniquer, parce que, celui qui se marie ainsi se rend
inapte à conserver son vœu, ce que ne fait pas celui qui fornique.
Le dix-neuvième. Saint Augustin. Il dit d’abord qu’il lui
est très contraire, à lui et à ses luthériens : « Toutes ces sortes
de vœux, de virginité, de veuvage, de chasteté conjugale, saint Augustin
veut qu’ils soient valides et stables, de sorte que pèchent gravement
ceux qui, après les avoir professés, se marient. » Et après avoir cité
d’autres textes, il ajoute subitement : « L’homme de Dieu a
écrit ces choses comme quelqu’un qui s’est fourvoyé.»
Or, pourquoi n’est-ce pas plus vraisemblable que ce soit Pierre le martyr
qui se soit fourvoyé plutôt que l’homme de Dieu, lequel, de l’aveu
même de nos adversaires, est très savant et très saint ? Il cite
deux textes qui seraient en sa faveur. Un tiré du livre sur la très sainte
virginité (chapitres 40 et 41) où saint Augustin dit qu’il est très
difficile de comprendre pourquoi Dieu donne à l’un le don de la continence,
et ne le donne pas à un autre. Si tous ceux qui veulent l’avoir l’avaient,
il n’y aurait aucune difficulté à comprendre pourquoi il est donné
à l’un et pas à l’autre. Car, la raison en serait que c’est
parce que l’un le veut, et l’autre ne le veut pas.
L’autre témoignage, il le tire du livre sur le bien de la viduité,
(chapitres 9 et 10, et de l’épitre 70 à Boniface), où il enseigne
que le mariage après les vœux est ratifié et valide, et ne doit pas
être dissous. Brentius ajoute un troisième témoignage tiré
du livre du bien conjugal (chapitre 21), où saint Augustin n’ose pas
attacher plus de valeur à la virginité de saint Jean Baptiste qu’au
mariage d’Abraham. J’ajoute un quatrième tiré du livre
sur la sainte virginité (chapitre 34) où il dit de certaines vierges
consacrées : « elles veulent se marier, mais elles ne se marient pas
parce qu’elles ne le peuvent pas impunément, elles pour qui il vaudrait
mieux se marier que brûler. »
Je réponds au premier témoignage en disant que saint Augustin ne
parle pas du don de continence qui fait en sorte qu’on puisse se contenir,
ce que personne ne nie, mais de celui qui fait qu’on se contienne
effectivement. Ce qui n’est donné qu’à ceux auxquels Dieu jugera
devoir le donner. Cela n’est pas propre, non plus, au don de continence,
mais c’est une chose qui vaut aussi pour le don de la foi,
de l’amour, de la persévérance, et pour les autres dons de ce genre.
Tous les justes peuvent réellement persévérer s’ils le veulent, et,
en même temps, il est impossible de comprendre pourquoi Dieu donne à
un juste le don de persévérance, de façon à ce qu’il persévère
effectivement et infailliblement, et pourquoi il permet à un autre
de tomber, sans lui donner la grâce efficace qui le ferait persévérer
infailliblement. Dans son livre sur l’esprit et la lettre (chapitre
34) il écrit : « Car si quelqu’un me forçait à sonder cette profondeur,
à savoir pourquoi quelqu’un est persuadé de persévérer, et un autre
non, deux phrases me viennent à l’esprit : « O altitude des richesses
! » Et : « Il n’y a pas d’iniquité en Dieu. » Mais de cela,
on discutera plus tard.
Au deuxième témoignage, je dis que saint Augustin a déclaré que
les noces après un vœu étaient de vraies noces, mais il a affirmé en
même temps (ce que Pierre martyr ne nie pas) que pèchent gravement ceux
qui se marient après avoir prononcé un vœu de chasteté. Car,
(dans son livre du bien de la viduité, chapitre 9), il écrit : « De
telles veuves sont condamnées, non pour avoir, par après, voué leur
foi à un mari terrestre, mais pour avoir rendu nulle la première foi
de la continence. » Et (au chapitre 11) : « Je ne peux pas dire
des femmes, qui en se mariant, ont déchu d’un dessein meilleur, qu’elles
sont des adultères et non des épouses, mais je n’hésiterai pas à
dire que les chutes et les ruines d’une chasteté plus sainte qui avait
été vouée à Dieu sont pires que des adultères. » Ce témoignage
de saint Augustin n’apporte rien contre ce que nous soutenons,
à savoir qu’il n’est pas permis de se marier après un vœu.
Mais Pierre le martyr insiste : Vous contredisez saint Augustin
au moins en soutenant que les mariages entre des moines et des religieuses
sont nuls. Je réponds que les théologiens s’entendent pour enseigner
que le mariage après un vœu simple est illicite, mais valide, et ne doit
pas être annulé. Mais qu’un mariage après un vœu solennel est
nul. Car c’est ce qu’enseigne Innocent 1 (dans son épitre
2) et, après lui, Gélase (épitre 1) et le concile de Toulouse 1 (canon
16). Est-ce que, après un vœu solennel, le mariage est nul de droit
divin ou naturel, ou simplement ecclésiastique, la question est encore
débattue. Saint Albert, saint Thomas, saint Bonaventure, Richard de saint
Victor, et Durand (4, dist. 38) et Dominicus a Soto (livre 7 de la justice
et du droit, question 2, article 5) veulent que ce soit de droit divin
et naturel qu’est nul un mariage contracté après un vœu solennel.
Ils diraient ceux-là que saint Augustin a parlé d’un vœu simple, non
d’un vœu solennel, comme saint Jérôme (dans l’épitre 47).
Parmi ceux qui pensent autrement il y a saint Basile, (dans son livre sur
la virginité) et saint Jean Chrysostome (épitre 6 à Théodore, sur le
vœu solennel.)
Il y a aussi Scot et Paludan (4, dist, 38) et Cajetan (22, question
88, article 7) et toute l’école des jurisconsultes, comme le rapporte
Panormitanus (au chapitre rursus). Tous ceux-là sont d’avis que
le mariage est nul par le seul droit ecclésiastique. Ils disent
donc que saint Augustin et saint Jérôme ont parlé du vœu simple, ou
du solennel selon les règles du droit divin ou naturel. Car le
décret ecclésiastique qui rendait inaptes au mariage ceux qui avaient
fait un vœu solennel n’était pas encore parvenu à leur connaissance.
L’une ou l’autre sentence est probable, et ce n’est pas notre intention
de trancher ici ce débat. Au troisième je dis que saint Augustin
ne comparait pas, dans ce passage, la virginité en soi avec le mariage
en soi, mais la virginité d’une personne avec le mariage d’une personne.
Même si, dans l’absolu, la virginité l’emporte de loin sur le mariage,
comme saint Augustin l’enseigne souvent ailleurs, (livre du bien conjugal,
chapitre 23), cependant, il peut arriver que la virginité soit unie à
un homme d’une moindre humilité, d’une moindre charité, et le mariage
uni à un homme d’une plus grande charité ou humilité. On ne
peut donc pas mettre plus haut un homme vierge qu’un homme marié, à
moins de savoir qu’ils étaient semblables dans la pratique des vertus.
Au quatrième je dis que saint Augustin parle là de la même manière
qu’avait parlé saint Jérôme (dans son épitre 47), à savoir que,
pour celui qui a fait un vœu simple, c’est un moindre mal de se marier
publiquement que de forniquer toujours secrètement. Comme vingtième
témoignage, il présente un texte de saint Léon le grand tiré de l’épitre
87 (ou 85) aux évêques d’Afrique : « Selon l’enseignement de l’apôtre,
on trouve, parmi les différentes règles du christianisme, qu’on ordonne
comme évêque un homme d’une seule femme. On a toujours considéré
comme sacré le précepte suivant : pour élire la femme d’un prêtre,
on doit maintenir la même condition. » Ce que saint Léon
semble vouloir dire ici c’est que l’on peut ordonner évêque
non seulement quelqu’un qui a eu une épouse, mais même quelqu’un
qui en a une. Et aussi qu’un évêque qui n’a pas d’épouse peut
en prendre une, s’il le veut. Mais à ce témoignage j’ai déjà
répondu dans ma dispute sur le célibat des prêtres. Car, nous
admettons qu’il peut arriver que soit nommé évêque un homme qui a
une épouse, pourvu qu’il ait la volonté de s’en abstenir. Qu’un
évêque puisse prendre femme saint Léon ne l’a jamais pensé ni jamais
écrit. Dans les codex plus amendés, nous ne trouvons pas : de l’élection
de la femme d’un prêtre, mais de la femme de celui qui doit être choisi
comme prêtre. Car saint Léon prescrit que soit éloigné
du sacerdoce non seulement celui qui a plusieurs épouses, mais aussi celui
qui n’en a qu’une, qui avait appartenu à un autre auparavant.
Consultez l’épitre 84 à Anastase, où saint Léon enseigne
longuement que doivent être non mariés ou continents non seulement les
évêques, mais aussi les prêtres, les diacres, et les sous diacres.
Le dernier texte des pères que nous oppose Pierre le martyr
vient du livre 1 de l’épitre 42 de saint Grégoire, dans lequel il écrit
ceci : « Il y a trois ans, les sous diacres de toutes les églises de
Sicile ont été contraints de ne pas, comme c’est la coutume à Rome,
faire l’acte du mariage avec leurs épouses. Il me semble
ultra sévère et incompétent (Pierre le martyr a lu impie au lieu d’incompétent,
pour rendre la chose plus repoussante) que celui qui n’a pas découvert
l’usage de la continence, et n’a pas promis la chasteté soit forcé
de se séparer de son épouse, et que Dieu l’en garde, de tomber dans
quelque chose de pire. » Le martyr déduit de ce texte plusieurs
choses qui semblent militer contre les catholiques. La première.
En interdisant aux sous diacres de s’unir maritalement avec leurs épouses,
le pape a agi contre le synode de Nicée, qui, sur l’insistance de Paphnutius,
a décrété qu’on ne devait pas interdire aux prêtres les relations
sexuelles avec leurs épouses. Cette fable paphunitienne, nous l’avons,
je pense, bien réfutée dans notre dispute sur le célibat des prêtres.
De plus, si un pontife romain a fait preuve d’incompétence en
imposant un précepte un peu trop rigoureux, son successeur
l’a bientôt après adouci, ce précepte.
La deuxième chose est que, à ce moment, un vœu n’était pas annexé
à un ordre sacré. Car, saint Grégoire lui-même dit qu’il
lui parait sévère d’obliger les sous diacres à observer une chasteté
qu’ils n’ont pas promise. Si en Sicile, ils ne faisaient pas
cette promesse, faut-il en conclure qu’ailleurs on ne la faisait pas
? Il faut plutôt dire que ne pas promettre la chasteté représentait
un abus. Voilà pourquoi saint Grégoire, au même endroit,
prescrit qu’on avertisse les évêques de n’ordonner au sous diaconat
que ceux qui font le vœu de la continence.
La troisième. Cette tyrannie a commencé dans l’église
romaine. Dans l’église grecque ou orientale, cet usage n’a jamais
existé. Mais c’est un mensonge effronté de soutenir que,
avant le temps de saint Grégoire, n’ait pas été en usage la
continence des sous diacres et des ordres supérieurs. Enseignent
le contraire en toutes lettres Épiphane (hérésie 59), saint Jérôme
(livre contre Valentien), Léon (épitre 84), et les autres que nous avons
cités dans notre dispute sur le célibat des prêtres.
La quatrième. « Même s’il était superstitieux, Grégoire avait
vu que c’était sévère et étranger à la piété, et il a essayé
d’y apporter de la modération. Mais, à cause des canons et des
décrets, il n’a pas pu faire ce qu’il voulait ». Appeler superstitieux
un si grand et un si saint homme, seul un Pierre martyr peut se le permettre.
Quand il ajoute que saint Grégoire a vu que le vœu de continence était
étranger à la piété, il ment, comme à son habitude. Il n’a
pas dit que le décret de son prédécesseur manifestait de l’impiété,
mais de l’incompétence. Quand il dit ensuite qu’il a essayé
d’adoucir les canons de ses prédécesseurs, mais qu’il n’a pas pu
faire ce qu’il voulait, il délire, ou il rêve éveillé. Car,
saint Grégoire jouissait d’un plein pouvoir et d’une liberté absolue
dans les choses qu’il voyait appartenir à l’honneur de Dieu et à
l’utilité de l’Église.
D’autres ajoutent un autre témoignage, celui du pape Gélase.
Dans son épitre 1 aux évêques de Lucanie, chapitre 23, sur les veuves
qui avaient fait vœu de continence, il écrit : « À de telles femmes,
nous ne devons tendre aucun piège, mais seulement présenter des invitations
à la récompense sempiternelle, et rappeler les peines du jugement
divin, et pour que notre conscience ne nous reproche rien, et pour
que leur conscience rende des comptes à Dieu sur ce qu’elles ont à
choisir librement. »
Je réponds que le piège dont parle Gélase n’est pas, comme ils
le pensent, la prohibition du mariage pour ceux qui ont fait des vœux,
mais pour ceux qui n’en n’ont pas fait. Car, Gélase avait dit,
juste avant, que ceux qui avaient fait des vœux ne pouvaient pas se marier
sans péché. Voici ce qu’il dit : « Selon l’apôtre,
ceux qui ne pouvaient se contenir n’étaient nullement empêchés de
se marier. De même, ils doivent conserver la promesse de chasteté
faite à Dieu après mure délibération. » Gélase veut donc ici
ne pas forcer les veuves à faire de vœu. Il se contente de leur
expliquer qu’il y a des récompenses pour celles qui font un vœu
et l’observent jusqu’à la mort, et des supplices pour celles qui
font des promesses sans l
CHAPITRE 35
Les plus jeunes peuvent faire des vœux.
Vient ensuite la quatrième dispute qui porte sur ceux qui peuvent
s’engager par vœu. Il y quatre sortes de personnes auxquelles,
en plus des autres, les adversaires nient la capacité de faire un vœu.
La première. Celle des plus jeunes. La deuxième, celle des fils
à l’insu de leurs parents. La troisième, celle des époux, en
vertu d’un consentement mutuel. La quatrième, celle des époux,
avant que le mariage ne soit consommé.
Les plus jeunes. Luther (dans son livre sur les vœux monastiques)
dit qu’on ne peut pas admettre à des vœux monastiques des hommes
qui n’ont pas encore soixante-dix ou quatre-vingts ans. De même,
dans la confession augustinienne, (article 27), il déplore qu’on permette
à des enfants de devenir religieux. Calvin (livre 4, chapitre 15,
verset 19), dit qu’il n’était pas permis autrefois d’admettre une
femme au vœu de continence avant soixante ans. Le martyr Pierre
(dans le livre sur le célibat et les vœux), renouvelle la même
restriction. Ils donnent comme preuve les paroles de saint Paul (
1 Timothée 5) : « Détourne de ce projet les veuves les plus jeunes.
» Ou, comme c’est écrit en grec : rejette. Et : « Je veux que
les plus jeunes se marient et soient mères de famille. » Ils disent
pouvoir présenter deux anciens canons. Le concile romain sous Sylvestre
(canon 10) défend de voiler les vierges avant l’âge de 72 ans, et le
bienheureux Grégoire (livre 3, épitre 11) interdit aux vierges de prendre
le voile avant l’âge de soixante ans.
Nous disons, néanmoins, deux choses. Pour prononcer les
vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, n’est requis
que l’âge où l’on a l’usage du libre arbitre. Quand cet âge
est atteint, il est permis à quiconque de s’engager par vœux.
On le prouve d’abord par l’Écriture, Thren 3 : « C’est un
bien pour l’homme d’avoir porté le joug depuis son adolescence.
» Mattieu 19 : « Laissez les jeunes venir à moi ! » On
le prouve ensuite par des exemples. Car, saint Jean-Baptiste a vécu
dans le désert depuis son enfance. La bienheureuse vierge Marie
a fait vœu de continence perpétuelle dans son adolescence, comme nous
l’avons démontré plus haut. Antoine, Paul l’ermite, Hilarion,
Benoit, Bernard, François et beaucoup d’autres se sont faits moines
dans leur adolescence, comme nous le rapportent Athanase, Jérôme,Grégoire
et Bonaventure, dans la vie de leurs saints respectifs. Pour une
raison semblable, presque toutes les vierges, que l’Église vénère
publiquement, ont voué leur virginité dans leur adolescence, comme Thècles,
Agnès, Cécile, Agathe, Lucie, Claire, Catherine , et d’autres innombrables.
On le prouve ensuite par les pères. Saint Athanase (dans l’humanité
du Verbe) dit que les enfants ont reçu du Christ l’enseignement
de vouer leur virginité à Dieu. Saint Basile (dans les questions longuement
expliquées, question 15) se demande à quel âge on doit recevoir des
hommes aux vœux monastiques. Et il répond qu’on doit recevoir
des enfants dans le monastère, mais qu’on ne peut pas leur permettre
de prononcer des vœux avant qu’ils aient le libre usage de leur raison.
Saint Ambroise (livre 3, sur les vierges) écrit : « Il ne faut donc pas
rejeter un âge qui a plus de fleurs que de fruits, mais examiner l’âme.
Il est certain que Thècles n’était pas vieille, mais sa vertu a servi
de garant. C’est pourquoi il ne faut pas ergoter davantage, puisque
chaque âge capable de Dieu est perfectionné par le Christ. Il ne
faut pas s’étonner non plus de voir des adolescents faire profession,
quand on lit que des enfants ont subi le martyre. Ou doutons-nous que l’enfance
qui a confessé Dieu jusqu’à la mort, ne puisse pas, quand elle
deviendra adolescence, le suivre jusqu’à la continence ? »
Saint Jérôme (dans l’épitre à Eustochius sur la virginité) écrit
que, en son temps, dans les monastères cénobitiques, il y avait des hommes
de tous âges : des enfants, des adultes, des vieillards. Saint
Augustin (dans son livre sur la sainte virginité, chapitre 36) écrit
: « Mais contemple les armées des vierges, des enfants, et des saintes
jeunes filles. Dans ton église, ce genre de vierges est bien connu.
Là bas, il a pullulé depuis les mamelles des femmes, ton nom a été
prononcé en apprenant la langue, il est, comme le lait sucé, dans ton
enfance. De ce nombre, personne ne peut dire avoir été d’abord
un blasphémateur ou un persécuteur. Bien plus, ce que tu n’a
pas ordonné mais que tu as seulement proposé à ceux qui voulaient l’entreprendre
en disant « que celui qui peut comprendre comprenne », ils s’en
sont emparé, ils en ont fait le vœu, et se sont castrés pour le
royaume des cieux, non parce que tu les as menacés, mais parce que tu
les as exhortés. »
Nous disons ensuite qu’on doit s’attendre à ce qu’on fasse aussi
profession publique de continence à l’âge prescrit par
les lois de l’église, qui sont différentes selon la diversité
des temps et des lieux. Car, le concile de César auguste (chapitre
ultime) et celui d’Agathe (canon 13) ordonnaient d’attendre que les
femmes aient quarante ans avant qu’elles puissent émettre une profession
publique. Le concile de Carthage 111 (canon 4) ordonnait d’attendre
qu’elles aient vingt-cinq ans. Ce que l’on présente du concile
de Milet (canon 26) doit s’entendre ainsi : à moins qu’une nécessité
ne nous force à voiler une vierge avant le temps. Saint Grégoire
(livre 1, épitre 48,) ordonne que, dans des îles où la vie est
plus molle, on ne reçoive personne à la profession solennelle avant l’âge
de dix-huit ans. Les canonistes en déduisent qu’on pouvait, en
d’autres lieux, les recevoir à un âge plus jeune, même à quatorze
ans. Cet âge est fixé par plusieurs canons, comme le ad nostram,
et le chapitre significatum. De plus, le concile de Trullo, (canon
40) et le concile de Tribur (canon 24) permettent la profession religieuse
avant l’âge de 12 ans. Et, de notre temps, le concile de Trente
a statué que la profession religieuse ne devait pas se faire avant l’âge
de 16 ans. C’est cet âge qu’avait choisi saint Basile, comme l’atteste
le concile de Trullo (chapitre 40). De toutes ces citations, il appert
clairement que jamais, dans l’église, il y ait eu une coutume
ou une loi ordonnant d’attendre jusqu’à l’âge de 60 ou 80 ans,
avant de faire une profession religieuse.
Nous répondons maintenant aux arguments. Cette phrase de saint
Paul : « les plus jeunes détourne-les de ce projet, ou rejette-les »,
s’applique au nombre de veuves que l’église nourrissait, non au vœu
de continence. L’apôtre a voulu que soient nourries aux frais
de l’Église celles-là seulement qui avaient atteint la soixantaine,
c’est-à-dire quand elles ne pouvaient plus se suffire à elles-mêmes.
Mais, rétorque Pierre le martyr, si c’est à cause du péril d’incontinence
que l’apôtre éloignait les plus jeunes veuves de l’assemblée des
veuves nourries par l’Église, pourquoi n’ont-elles pas été, pour
la même raison, tenues éloignées du vœu ? Je réponds que celles
que l’Église nourrissait faisaient aussi le vœu de continence.
Il aurait été, pour celles qui étaient nourries publiquement
par l’église plus honteux de déchoir que pour les autres.
À ces mots : « je veux que les plus jeunes se marient
», nous opposons (1 Cor 7) : « je veux que tous soient comme moi »,
c’est-à-dire continents. Comme ces deux volontés sont contradictoires,
il faut en conclure qu’aucune ne formule un précepte, mais que l’apôtre
aurait aimé abstraitement que tous se contiennent. Mais, comme
à certaines faisait défaut la bonne intention, il s’est mis à désirer
que les plus jeunes, qui avaient peu de chance de persévérer, se
marient plutôt que de faire des vœux. Voir ce que nous avons dit
là-dessus plus haut, au chapitre 30
Au sujet de ce concile de Rome, je dis d’abord que le texte
a été corrompu, et rendu inintelligible Et à la place du chiffre
72, peut-être devrions-nous en mettre un autre beaucoup moins vieux.
Je dis ensuite que ce concile ne parle pas de toutes les vierges,
mais de celles-là seules qui avaient demandé un mari avant de faire un
vœu, comme les mots eux-mêmes du concile le déclarent, car les unes
semblaient être testées plus longtemps que les autres. Au sujet
de saint Grégoire, je dis qu’il ne parlait pas seulement de l’abbesse
: « Nous interdisons catégoriquement que des jeunes filles deviennent
abbesses » Car, il disait aussi : « Que ta fraternité ne
permette de recevoir le voile qu’à une vierge d’au moins soixante
ans, à celle que l’âge et les mœurs recommandent. »
CHAPITRE 36
Il est permis à des fils d’entrer en religion malgré leurs parents
Le second. Luther se demande s’il est permis à des fils d’entrer
en religion malgré leurs parents, et il répond (dans son livre des vœux
monastiques) que les fils, même majeurs, ne peuvent pas entrer en religion
sans le consentement de leurs parents, s’ils sont encore vivants.
Les magdebourgeois enseignent la même chose (centurie 4, chapitre 10,
colonne 1304, et chapitre 6, colonne 354. Ainsi que le martyr Pierre
(dans son livre du célibat et des vœux. » La première raison
qu’ils invoquent est que le précepte d’obéissance aux parents oblige
à tout âge, et comme il n’est permis à personne de faire le
vœu de ne pas obéir à ses parents, il n’est pas permis non plus
de vouer quelque chose malgré soi.
La seconde. Une épouse ne peut pas entrer en religion
sans le consentement de son mari, ni un esclave sans le consentement
de son maître. Un fils ne le peut donc pas sans le consentement
de ses parents. Et on le confirme par le concile de Gangrens (chapitre
16) : « Que les fils qui s’éloignent de leurs parents sous prétexte
d’un culte à rendre à la divinité, et ne leur rendent pas le respect
qui leur est du, soient anathèmes ! » Saint Thomas enseigne le contraire
(2.2.question 88, art 8, ad 2,) et l’avait prouvé avant par son propre
exemple : il avait fait profession dans l’ordre des prédicateurs, en
dépit de l’opposition de sa mère et de ses frères.
Nous répondons brièvement qu’il est permis d’entrer en religion
à l’insu des parents, et en dépit de leur opposition. Mais sous
deux conditions. La première, d’avoir atteint l’âge de la puberté.
Or, chez les hommes la puberté arrive à l’âge de quatorze ans, et
chez les femmes, de douze, comme nous l’avons dit au canon puella 20,
question 2. L’autre condition est que les parents ne soient pas
dans une nécessité telle que, sans l’aide de leurs enfants, ils ne
puissent pas survivre. Car, alors, ils sont tenus par le précepte de Dieu
de se rendre présents à leurs parents.
On prouve cette sentence d’abord par l’Écriture (Genèse
12): « Sors de ta maison, de ta parenté et de la maison de ton père.
» Et (Deutéronome 33) : « Celui qui a dit à son père ou à sa mère
: je ne vous connais pas, et de ses frères : je les ignore, ont gardé
ta parole et observé ton pacte. » C’est l’endroit où Moïse
loue les lévites pour avoir abandonné leurs parents et leurs frères,
afin de s’adonner plus librement aux choses de Dieu. Le même psaume
44 : « Oublie ton peuple, et la maison de ton père, et le roi convoitera
ta beauté. » De même en Matthieu 10 : « Celui qui aime son père
ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. » Et en Luc 9, le Seigneur
ne permit pas à celui qu’il appelait à sa suite de retourner à sa
maison pour saluer ou ensevelir son père
Deuxièmement, par les canons sacrés. Dans le concile
de Tolède X, dernier chapitre : « Il ne sera permis aux parents
de livrer leurs fils à la religion que jusqu’à l’âge de quatorze
ans. Après cela, il sera permis aux fils d’entrer en religion,
ou avec le consentement de leurs parents, ou en faisant seuls un vœu de
dévotion. » De même (20, question , question 2, canon puella,
lequel est tiré du concile de Tribure, canon 24) : « Si une jeune fille
veut prendre le voile sacré avant l’âge de douze ans, les parents ou
les tuteurs peuvent immédiatement faire annuler cette démarche, s’ils
le veulent. Mais si, dans un âge plus vigoureux de l’adolescence,
elle choisit de servir Dieu, les parents n’ont pas le pourvoir
de l’empêcher. » De même, dans le chapitre cum virum,
sur les religieux), Clément 111 déclare, en parlant d’une fille nubile
: « Parce que, alors, elle se sert de son libre arbitre dans le choix
d’un mode de vie, elle n’est pas obligée de suivre la volonté de
ses parents. »
Troisièmement. Par les témoignages des pères. Saint Jean Chrysostome
(à la fin de son livre contre les vitupérateurs de la vie monastique),
« Si, dit-il en parlant aux parents, s vous empêchez vos fils qui
sont dotés d’une grande vertu, de parvenir à cette philosophie monastique
et à jouir des joies éternelles, vous vous préparerez des croix infinies.
» De même, dans l’homélie 84 sur saint Jean : « Quand les parents
mettent obstacle aux choses spirituelles, on n’est plus obligé
d’en tenir compte. » Il dit des choses semblables (dans le chapitre
6 de l’épitre aux Éphésiens). Commentant la phrase : « Fils,
obéissez à vos parents dans le Seigneur. » Il veut que « dans
le Seigneur » ait été ajouté parce que nous ne devons pas leur obéir
quand ils empêchent la piété. » Theophylacte (au chapitre 13
de saint Jean), commentant : « voici ta mère », dit : « Il ne faut
pas obéir aux parents qui mettent des obstacles à la piété. Mais
il faut servir en tout ceux qui ne l’empêchent pas. »
Saint Ambroise (au livre 3 sur les vierges) parle de celles qui ont
fait profession malgré leurs parents. Il ne leur reproche
rien à elles, mais aux parents qui ont cherché à imposer leur volonté
par la force. Il dit qu’ils sont pires que les Gentils qui, par
des récompenses, incitaient les filles à choisir la virginité.
Voici ses propres paroles : « Là-bas, elles étaient détournées du
mariage par des présents; ici, elles sont forcées de se marier par des
injures. Là-bas, on leur fait violence pour qu’elles choisissent
la virginité; ici, on leur fait violence pour qu’elles n’en profitent
pas. » Et la patience des prêtres peut-elle aller jusqu’à ne
pas venger le sacrifice de l’intégrité, même par la mort, si nécessaire
? »
Saint Jérôme (dans son épitre de suspecto contub) écrit : « Si
quelqu’un te blâme d’être chrétienne, d’être vierge, de ne pas
te soucier d’avoir abandonné ta mère pour vivre, parmi les vierges,
dans un monastère, ce genre de reproche est ta plus grande gloire
! Car, cette cruauté-là est de la piété, puisque
tu as préféré à ta mère celui que tu dois préférer même à ta propre
âme. » De même à Héliodore (la première lettre de toutes) :
« Même si un bébé s’accroche à ton cou, même si, en s’arrachant
les cheveux et en déchirant ses vêtements, ta mère te montre les mamelles
qui t’ont allaitée, même si ton père s’étend de tout son long sur
le seuil de la porte, passe par-dessus le corps de ton père, et vole vers
l’étendard de la croix. Être cruel dans ce gendre de choses c’est
être pieux ».
Il raconte la même chose dans la vie de Malchus. Quand
il était, par des caresses et des menaces, forcé de se marier, il s’est
dirigé vers un monastère, sans attendre leur consentement. Saint
Augustin (dans l’épitre 38 à Létus qui était empêché par sa mère
de choisir l’état de la vie parfaite) dit : « Mais que dit-elle ? Qu’est-ce
qu’elle allègue ? Peut-être les dix mois pendant lesquels
tu as pesé lourd dans son sein, les douleurs de l’enfantement,
les labeurs de l’éducation ? Mets un terme à ces gémissements
par une parole salutaire. Perds ta mère ici-bas pour la retrouver dans
la vie éternelle ! Souviens-toi de cela, pour la haïr dans cette vie
mortelle, si tu l’aimes vraiment, si tu es un disciple du Christ,
si tu as posé un fondement à ta tour.»
Saint Grégoire de Tours (dans la vie de Léobard et de Pappula) loue
ceux qui, come lui et comme elle, ont fait profession dans la vie religieuse
malgré leurs parents. Dans son homélie 37 sur les évangiles, saint
Grégoire dit, en commentant la phrase : « Celui qui ne hait pas son père
» : « Ceux qui, dans la voie de Dieu, nous font souffrir comme des adversaires,
nous ne les connaissons pas, en les haïssant, et en les fuyant. »
De même, saint Bernard (dans l’épitre 3 au nom du moine Élie à ses
parents), dit : « La seule raison qui ne nous permet pas d’obéir à
nos parents, c’est Dieu. Car, c’est lui-même qui a dit : «
celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne
de moi ».
Si vous m’aimez vraiment comme de bons et pieux parents, pourquoi
inquiétez-vous celui qui cherche à me plaire, moi, Dieu, le père de
tous, et pourquoi tentez-vous de le retirer du service de celui pour qui
servir est régner ? Je comprends vraiment maintenant, que les ennemis
de l’homme sont ses parents. Nous ne devons pas en cela vous obéir,
car, en cela ce ne sont pas des parents que je reconnais, mais des ennemis.
« Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez parce que je vais à
mon père et au vôtre, bien plus, au père de tous ». Qu’y
a-t-il, en effet, entre vous et moi ? Qu’est-ce que je reçois
de vous, si ce n’est le péché et la misère ? »
Quatrièmement. On le prouve par le raisonnement de saint Ambroise
(dans le livre des vierges) : « Celle à qui il est permis de choisir
un mari, pourquoi ne lui serait-il pas permis de préférer Dieu. »
Ou, s’il est permis à des fils de contracter un mariage sans le consentement
de leurs parents, pourquoi ne leur serait-il pas permis aussi de professer
la continence sans le consentement de leurs parents ? De plus, il
est permis à un homme, sans le consentement de son épouse, de passer
du mariage à la religion, quand le mariage n’est pas encore consommé,
comme nous le voyons dans le canon verum, et le canon ex publico.
Il serait donc encore beaucoup plus permis sans le consentement du père.
De même. Tout jeune, après les années de sa puberté, relève
de lui-même quant aux choses qui se rapportent à sa personne et
à son état de vie. Car, c’est en cela que diffèrent les esclaves
des hommes libres. Ensuite, « il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux
hommes » (actes 5). Dieu (en Matthieu 19), a conseillé la vie parfaite
à tous en général, et à quelques-uns, par une inspiration interne particulière.
Si donc les parents résistent à ce conseil, il ne faut pas les écouter.
Les arguments amenés pour prouver le contraire sont sans force.
Le premier. Dieu ordonne d’obéir aux parents et de les honorer
(Éphésiens 6). Je réponds que les enfants doivent
deux choses à leurs parents : l’obéissance et l’honneur, c’est-à-dire
des aides temporelles. Au sujet du premier argument, je dis en me
servant des commentaires de saint Jean Chrysostome, de Theophylace, de
saint Jérôme et d’autres, de ce texte, que l’apôtre a ajouté
intentionnellement « dans le Seigneur », pour que nous comprenions que
nous ne devions les écouter que dans les choses qui ne s’opposent pas
à la piété.
Au sujet de l’autre, je dis que des préceptes de ce genre
qui sont affirmatifs n’obligent qu’en cas de nécessité, comme, par
exemple, quand un père ne peut pas vivre sans être secouru par son fils.
Mais, s’il est riche, ou s’il a d’autres fils qui peuvent le prendre
en charge, le fils n’est pas obligé de rester près de lui, comme l’enseigne
clairement le Seigneur en Luc 9 : « Laisse les morts ensevelir les morts
! » Car, comme l’explique Theophylactus, celui qui avait dit :
permets-moi d’aller ensevelir mon père, ne voulait pas dire que
son père était mort et qu’il lui fallait l’ensevelir. Ce qu’il
voulait dire c’était plutôt : permets-moi de demeurer avec mon père
jusqu’à sa mort. Quand il cessera de vivre, et après que je l’aurai
enseveli, je te suivrai.
Le second argument était : « L’homme n’a pas de pouvoir sur son
corps, c’est la femme qui en a, (1 Cor 7). Et l’homme ne peut pas disposer
de sa personne sans le consentement de sa femme. Les fils, eux, après
les années de puberté, sont libres de disposer de leurs personnes.
C’est pourquoi saint Augustin (épitre 36 à Letus) dit que les fils
peuvent suivre le chemin de la perfection, même si leurs parents s’y
opposent. Il dit dans la lettre 199 à Édicie) qu’une
femme ne peut pas faire cela sans le consentement de son mari. Pour
une raison semblable, un esclave n’a pas de pouvoir sur sa personne,
seul sont maître en a. Il ne peut donc pas en disposer à son gré.
Saint Thomas ajoute (2.2. question 189, article 6) que la sujétion
servile est une peine du péché, mais non la sujétion filiale.
Il ne semble donc pas que ce qui est refusé aux esclaves doive l’être
aussi aux fils.
Troisième argument tiré du concile de Gangre, chapitre 16.
Je réponds qu’il fut un temps où quelques-uns qui, comprenant mal les
paroles du Seigneur en Luc 14 (si quelqu’un veut venir après moi et
ne hait pas son père, sa mère etc.) abandonnaient, sous ce prétexte,
non seulement leurs parents, mais leurs épouses, leurs enfants, et n’en
prenaient aucun soin, même s’ils manquaient de tout. Ce sont ceux-là
que le synode anathématise. Voilà pourquoi l’anathème
14 parle des époux qui abandonnent leurs épouses, et le chapitre 15,
des parents qui abandonnent leurs fils, et le chapitre 16, des fils
qui abandonnent leurs parents.
Il appert donc que ce canon ne décrète rien contre les religieux
qui demeurent auprès de leurs parents, quand leur présence est
nécessaire. Si leurs parents ne manquent pas du nécessaire, ils
se tiennent loin d’eux corporellement, mais il les aide comme cela convient
à des religieux, par des prières à Dieu. Car, même les fils séculiers
n’aident pas tous leurs parents de la même façon : les uns par un conseil,
d’autres par des divertissements, et d’autres par leurs richesses,
comme il convient à la condition de chacun.
Pierre le martyr ajoute un quatrième argument tiré de saint Basile
(question 15 longuement expliquée) où il dit qu’on ne doit pas recevoir
des fils à la discipline monastique à moins qu’ils ne soient offerts
par leurs parents. Je réponds que saint Basile parle de ceux qui,
à cause de leur âge infantile, sont encore soumis au pouvoir de leurs
parents. C’est ce que le texte confirme clairement : « Ceux qui
sont sous l’autorité de leurs parents, nous les recevrons, s’ils sont
amenés par d’autres que leurs parents, devant un grand nombre
de témoins. »
CHAPITRE 37
Il est permis aux époux, par un consentement mutuel, de vouer
la continence.
La troisième. Est-il permis aux époux, par un consentement
mutuel, de vouer la continence ? Pierre martyr le nie dans son commentaire
de 1 Cor 7, et le prouve par ces paroles de saint Paul : « Ne vous refusez
pas ce qui vous est du l’un et l’autre, si ce n’est en y consentant
pour un peu de temps, pour que vous puissiez mieux vous adonner à l’oraison.
Et puis retournez à ce que vous faisiez avant. » Paul, là,
ne concède l’abstention du devoir conjugal que pour un temps seulement.
C’est ce qu’enseignent aussi les magdebourgeois (centurie 4, chapitre
10, colonne 1304.) Ils accusent là le moine Malchus de mépris du
mariage, parce que, avec le consentement de son épouse, il s’abstenait
perpétuellement de sa femme qu’il avait retirée de la captivité.
Il faut noter en passant leur incompétence ou leur duplicité.
Car, comme saint Jérôme l’écrit dans la vie de Malchus, Malchus
avait été forcé par des barbares d’épouser une femme qui avait déjà
un mari. Comme il ne pouvait pas la prendre sans un péché d’adultère,
il simula le mariage, pour échapper à la mort, et vécut avec elle comme
avec sa sœur. Et cependant, les magdebourgeois lui reprochent de
ne pas avoir voulu s’unir avec elle comme avec sa femme.
Cette méprise est tout à fait honteuse. Et je le prouve d’abord,
par le texte lui-même de saint Paul. Car, après avoir dit
: « revenez à la même chose », il ajoute : « Je dis cela par
condescendance, non comme un ordre. » Ce « par condescendance »
ne peut pas se rapporter à : ne vous frustrez pas les uns des autres,
car il s’agit là d’un ordre, non d’une concession. Ni non
plus à : « si ce n’est par consentement mutuel, pour mieux vous adonner
à la prière. » Car s’abstenir pendant un certain temps pour
la prière ne requiert pas de dispense. Car, nous disons concéder
ce que nous ne permettons pas volontiers, mais comme étant forcés
de le faire. Or, Paul désirait vivement que tous se contiennent,
lui qui a dit : « Je veux que tous soient comme moi. » C’est
donc une concession, ou une condescendance qu’il faut voir
dans le : qu’ils retournent à ce qu’ils faisaient auparavant.
Car, cela saint Paul ne le permet pas volontiers, mais il le tolère à
cause de l’incontinence des autres. C’est ainsi qu’expliquent
ce passage saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien), saint Augustin (livre
1 contre Julien, chapitre 21), Ambroise, Theodoret et d’autres.
Donc, ceux qui, par un consentement mutuel, s’abstiennent perpétuellement
de l’acte conjugal avec leurs femmes, font quelque chose qui est fort
agréable à saint Paul, tellement il est loin de le prohiber.
On le prouve ensuite avec les pères. Basile (dans les questions expliquées
longuement, question 12) : « Ceux qui, dans l’union du mariage, accèdent
à une telle vie, il faut qu’ils s’assurent que c’est par consentement
mutuel qu’ils le font. » Épiphane (hérésie 59), et saint
Jérôme (livre contre Vigilance) disent que les époux n’ont pas coutume
d’être initiés aux choses sacrées sans promettre la continence
perpétuelle de leurs épouses. C’est aussi ce qu’a statué le
concile d’Arles 11, canon 2. Ainsi que saint Jérôme dans son
épitre 14 à Célantia. Il lui reproche d’avoir fait vœu
de continence sans le consentement de son mari.
Saint Augustin (dans son épitre à 199 à Edicie) écrit : « Ce que
vous aviez voué à Dieu tous les deux d’un mutuel consentement, vous
auriez du tous les deux le rendre à Dieu jusqu’à la fin. Si lui a failli
à son engagement, toi, du moins, persévère. » Et dans l’épite
45 (à Arment et Pauline) : « Rendez tous les deux à Dieu ce que vous
lui avez promis à deux. » Et plus bas : « Que votre consentement soit
une oblation offerte sur l’autel éternel du Créateur. » Et plus
bas : « Je ne t’invite pas à une grande sainteté parce que ton
mariage s’est tenu devant Dieu, , mais je te détourne d’une grande
iniquité. » Le même saint Augustin (dans l’épitre 32 à Paulin) le
loue d’avoir fait le vœu de continence avec son épouse Thérèse.
Saint Paulin lui-même (dans sa lettre 3 à Aprus) leur donne des louanges
à n’en plus finir parce qu’il a fait vœu de continence perpétuelle
avec sa femme.
Saint Grégoire (livre 9, épitre 39 à la patricienne Theotista :
« S’il vous convient à tous les deux de mener une vie de continence,
qui osera vous blâmer, puisqu’il est certain que le Dieu tout-puissant
qui a concédé les choses mineures, n’a pas prohibé les plus grandes.
» Theodoret (livre 4, chapitre 13 de l’histoire de l’église,
loue Pélage évêque de Laodice, qui, jeune encore, avait pris une jeune
épouse, de l’avoir persuadée, le premier jour de ses noces,
de faire ensemble un vœu de continence. Saint Hilaire d’Arles (dans
son épitre à Augustin qui est placée avant ses livres sur la prédestination)
dit : « Que ta sainteté sache que mon frère et son épouse, ont,
par consentement mutuel, voué à Dieu la continence parfaite. Voilà pourquoi
nous demandons à ta sainteté de bien vouloir prier pour que le Seigneur
daigne confirmer et garder ce qu’il a opéré en eux. »
On le prouve, en troisième lieu, par le fait que ceux qui, d’un
consentement réciproque, ont voué à Dieu une chasteté perpétuelle,
ont été des saints qui ont brillé par leurs miracles. Le
premier exemple est celui de Marie et de Joseph. Qu’ils aient été
de vrais époux, c’est l’évangile selon saint Matthieu 1 qui nous
le montre : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre Marie pour
femme. » Et « Joseph, son homme, qui était juste… » Que
ce soit d’un consentement mutuel qu’ils aient pratiqué la continence,
c’est une chose certaine. Car ce fut l’erreur d’Helvidius,
qui a été, pour cela, condamné par toute l’Église d’avoir osé
soutenir que Marie n’avait pas toujours été vierge. Saint Augustin,
lui, déduit du consensus de tous les évangélistes (livre e, chapitre
1) l’enseignement suivant : « Cet exemple indique magnifiquement
que le mariage peut continuer à exister chez des époux fidèles, même
si, d’un commun accord, ils ont conservé la continence. Car ce
n’est pas par l’union sexuelle des corps qu’il se maintient, mais
par la conservation de l’amour matrimonial. » Cet exemple-là
les adversaires ne peuvent pas le nier.
Car les centuriates (centurie 1. Livre 1, chapitre 10, colonne 366)
reconnaissent que Marie et Joseph ont contracté un vrai mariage, et que,
s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu, comme tous les autres,
procréer des enfants. C’est aussi ce qu’enseigne Martin Bucer
(chapitre 1 sur Matthieu) et Pierre martyr (dans son livre contre Smithaeus
sur le célibat) (chapitre 1 de Luc). Et même si Calvin blasphème
quand il essaie de dépouiller Marie de sa virginité d’âme, il nous
rend service ici. Il nous montre que, même les hérétiques, ne
peuvent pas nier que Marie et Joseph aient été de vrais époux.
Les mêmes centuriates disent (centurie 4, chapitre 5, colonne 405),
qu’Helvidius s’est trompé quand il a enseigné que Joseph a
connu Marie comme tous les époux. On ne peut pas non plus soutenir
que Marie ait pu rester vierge sans le consentement de Joseph. Ils
ont donc été continents tous les deux, par une décision commune, puisqu’ils
étaient tous les deux de très grands saints.
Le second exemple est celui du moine Ammonis, qui, avec son épouse
vierge, est, par un consentement mutuel, toujours demeuré vierge, comme
l’atteste Palade, dans son histoire lausiaque (chapitre 8). Que
cela ait grandement plu à Dieu, on peut le déduire de ce que saint
Antoine a vu l’âme de l’époux vierge être emportée glorieusement
par les anges, comme saint Athanase le rapporte dans la vie de saint Antoine.
Un troisième exemple est celui que rapporte Cassien (conférence 14, chapitre
7). Il raconte qu’un certain laïc qui, d’un consentement mutuel, observait,
avec sa femme la continence, a été glorifié sur cette terre par
Dieu au point d’avoir pu chasser du corps d’un possédé, par sa seule
présence, un démon féroce que l’abbé Jean n’avait pas pu expulser.
Le quatrième est celui de saint Paulin et de sa femme Tharasie, qui avaient,
tous les deux, fait vœu de continence. C’est ce dont parle saint Augustin
dans son épitre 32 à Paulin.
Le cinquième est celui de Maturien et de son épouse Maxima, dont
parle Victor (dans le livre 1 de la persécution des vandales.)
Le sixième, on le trouve chez Grégoire de Tours (la gloire des confesseurs,
chapitre 32). Il raconte là que quand l’un des deux conjoints qui s’étaient
mis d’accord pour pratiquer toujours la continence, a rendu l’âme
à Dieu, l’autre s’écria : « Je te rends grâces, créateur tout
puissant, d’avoir rendu pure de toute contagion de volupté celle qui
était encore vierge quant tu me l’as donnée en mariage ». Et
elle, toute morte qu’elle était, dit en souriant : « Tais-toi, homme
de Dieu, car il n’est pas nécessaire de faire connaître notre secret,
quand personne ne cherche à le savoir. » Le septième est celui du roi
anglais Edouard. Surius (dans le tome 1 d’un ancien manuscrit)
rapporte que, comme lui et sa femme étaient tous les deux restés vierges,
il brilla de plusieurs miracles; et que, cent ans après sa mort, il fut
trouvé complètement intègre, sans que même ne lui fasse défaut sa
barbe qui était longue et bien fournie.
Le huitième est celui de l’empereur Henri 1 et de sa femme Cunégonde,
qui demeurèrent vierges par vœu tous les deux, qui furent illustres tous
les deux par des miracles. Voir Krantzius (livre 3, chapitre 32,
sur sa saxonne). Le neuvième est celui de Pierre Urseoli, duc des
Venetes, (d’après Voltaire, livre 4). Lui aussi, d’un commun
accord, vécut dans la continence avec son épouse, et fut
rendu illustre par des miracles. Le dixième est celui de Catherine
de …qui, avec le consentement de son mari, demeura vierge, et brilla
aussi par des miracles. Voir Voltaire livre 22. Le onzième
est celui du roi pudique des Polonais, Boleslas, que célèbre ainsi en
vers le polonais Clement Janitius : « Le mari vierge se vit vieillir avec
l’épouse vierge. La chaste diane fut digne de ton zèle. » Le
douzième est celui d’Alphonse 11, roi de Castille. Voltaire rapporte
la même chose de lui, et ajoute que, lui aussi, brilla par des miracles,
pour s’être abstenu de toute relation sexuelle avec sa femme.
On le prouve par une dernière raison. Car, la raison pour
laquelle un homme marié ne peut pas faire vœu de continence est qu’il
n’a pas de pouvoir sur son propre corps; et que personne ne peut, sans
la permission du propriétaire, donner une chose qui ne lui appartient
pas. Mais cette raison s’évapore quand les deux époux s’entendent
pour faire en commun un vœu de continence. Ajoutons, pour finir, qu’on
a coutume d’objecter cette parole de Jésus en Mathieu 19 : « Ce que
Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » Mais il est facile
de répondre à cela, car le mariage n’est pas dissous par le vœu de
continence. C’est ce qu’explique saint Augustin (livre 1, chapitre
25, sermons du dimanche) : « On doit juger plus heureux les mariages qui,
sans avoir procréé de fils, après même avoir tenu pour rien la
progéniture terrestre, ont pu, par une décision faite à deux, conserver
la continence. Ce qui ne va pas contre le précepte dominical qui
interdit à l’homme de répudier son épouse, mais qui va plutôt
dans le sens de ce qu’a dit l’apôtre : « que ceux qui ont des
femmes soient comme n’en ayant pas ! »
CHAPITRE 38
Par des vœux solennels est dissous le mariage valide non consommé.
Il y a, à ce sujet, deux erreurs extrêmes. Une est de Martin
Kemnitius (contre la session 24 du concile de Trente, canon 6), et des
magdebourgeois qui enseignent que le mariage, ratifié et consommé, ou
ratifié et non consommé ne peut pas être dissous par une profession
monastique. C’est ce qu’enseignent aussi les centuriates (centurie
1, livre 2, chapitre 12, colonne 637.) C’est ce qu’enseigne aussi
Érasme (chapitre 7, 1 Cor). Et, parmi les catholiques Claude Expencaeus
(livre 6, chapitre 4, sur la continence). Ils ont pour eux de forts
arguments. Car, le Seigneur en Matthieu 19, et saint Paul ( 1 Cor
7) déclarent que le mariage est indissoluble. Que cela soit dit
d’un mariage ratifié, on le comprend facilement parce qu’un mariage
ratifié ne diffère par aucune différence essentielle d’un mariage
consommé. Car, l’union sexuelle est un acte du mariage qui ne
lui est pas essentiel. Ensuite, le mariage ratifié est un
véritable sacrement, qui signifie l’union inséparable du Christ
et de son église. Il est donc indissoluble. Enfin, par un mariage ratifié,
l’homme donne à son épouse le pouvoir sur son corps. Il ne peut donc
pas, sans le consentement de son épouse, faire vœu de continence à Dieu.
L’autre erreur va à l’autre extrême. Elle soutient
qu’un mariage même consommé est dissous par l’entrée en religion.
C’est ce qu’a décrété Justinien (canon sur les évêques, et les
clercs, 1, fin). Saint Grégoire fait mention de cette loi (livre 9. Épitre
39). On a coutume de présenter saint Basile comme favorable à cette opinion
(questions longuement expliquées). Dans la question 12, il semble
dire qu’un homme qui ne peut pas obtenir de sa femme la permission d’entrer
en religion, peut le faire malgré elle. On donne aussi comme exemple l’abbé
Theonas. Cassien, (chapitre 9, colonne 21) raconte que, après avoir vécu
cinq ans avec son épouse, et avoir désiré devenir moine, il a,
sans l’autorisation de son épouse, dissous le mariage en se faisant
moine. Et, au chapitre 10, le même Cassien écrit qu’on ne doit pas
blâmer cet exemple, puisque ce même Theonas a brillé par des miracles
apostoliques, et que ce qu’il a fait a été loué par plusieurs pères.
Néanmoins l’enseignement de l’Église réside dans un juste milieu,
à savoir, un mariage ratifié non consommé peut être dissous par la
profession religieuse, mais un mariage ratifié consommé ne le peut pas.
Cela nous l’avons dans le canon ex publico, dans le chapitre ex parte
tua, et au chapitre verum sur la conversion conjugale; et au 27, question
2, canon desponsatam, et dans beaucoup d’autres canons. Le
concile de Trente s’est joint à eux (session 24, canon 6) en disant
: « Si quelqu’un dit qu’un mariage ratifié non consommé ne peut
pas être dissous par la profession religieuse d’un des conjoints, qu’il
soit anathème ! »
On prouve la seconde partie de cette sentence contre la seconde
erreur. D’abord, par l’Écriture. Car le Christ a dit : « ce
que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas. » Et : (Matt 19)
« celui qui répudie son épouse la fait forniquer. » Et ce que
l’apôtre dit aux Corinthiens 1,7 : « À ceux qui sont unis par le mariage,
je prescris à la femme, non moi, mais le Seigneur, de ne pas se
séparer de son mari. » Ce précepte doit s’appliquer à un
mariage, au moins au mariage consommé, car s’il ne vaut pas pour celui-là,
il ne vaudra pour aucun autre. Ensuite, les pères.
Saint Jérôme (dans l’épitre 14 à Célandie) l’a convaincue
de faire vœu de continence sans la permission de son mari. De même,
saint Augustin (dans l’épitre 45 à Armentarius, et dans l’épitre
199 à Édicie) enseigne explicitement qu’il n’est pas permis
à un époux ou une épouse de faire vœu de continence malgré le conjoint;
que si il ou elle le fait, il faudra contraindre celui ou celle qui l’a
fait à revenir aux relations conjugales normales. Saint Grégoire
enseigne la même chose (livre 9, épitre 39 à Theodiste, où il
blâme la loi civile qui permet le contraire. L’interdisent aussi le
synode 8, et Nicolas 1 (dans sa lettre au roi Charles), et les autres décrets
des conciles et des pontifes (Gratien 27, question 2, et dans les décrets
intitulés de conversione conjugatorum).
Au témoignage de saint Basile, je réponds qu’il se peut qu’il
parle d’un mariage ratifié non consommé. S’il en est ainsi,
sa sentence joue en notre faveur. S’il parle d’un mariage consommé,
j’ai trois choses à dire là-dessus. D’abord, qu’à
un époux qui se présente à un monastère, on doit demander s’il
a obtenu le consentement de son épouse. Car : « l’homme n’a
pas de pouvoir sur son corps, mais sa femme, comme dit l’apôtre (1,
Corinthiens 7). Ensuite, saint Basile ajoute que si la femme y répugne,
il faut écouter la parole du Christ : « Celui qui ne hait pas son père,
son épouse…n’est pas digne de moi. »
Ces deux textes semblent se contredire. Mais, il ajoute
ensuite qu’il est souvent arrivé que, par des prières ferventes, on
ait obtenu que, ébranlé par une maladie, un conjoint se sente contraint
de donner son consentement. Il semble donc que ce que saint
Basile veut dire c’est qu’un conjoint qui désire faire profession
religieuse demande le consentement de son épouse; s’il ne peut
l’obtenir, qu’il implore Dieu avec larmes et jeûnes, de persuader
sa femme; et, après avoir obtenu ce consentement, qu’il se fasse
moine. Car, de cette façon, il ne désobéira pas à l’apôtre,
puisqu’il ne laissera pas sa femme sans son autorisation, et obéira
aussi au Christ qui fait passer l’amour de l’épouse après celui
du Christ. Nous avons aussi un exemple dans le frère et la
sœur de saint Bernard. L’un et l’autre ont obtenu, par d’intenses
prières, la permission du conjoint, qu’ils ne pouvaient pas
avoir autrement. Voir le livre 1, chapitres 4 et 6 de la vie de saint
Bernard.
À l’exemple de Cassien, je dis qu’il s’agit là de l’un de
ces faits des saints qui sont à admirer, non à imiter. Car, il faut croire
que, quand on a affaire à quelqu’un qui brille par ses vertus
et ses miracles, c’est par une inspiration particulière du Saint
Esprit que, en marge de l’ordre général et de la loi, cela
a été fait.
On prouve l’autre partie contre l’autre erreur. D’abord,
par des témoignages de l’Église déjà cités. Car, même si
les adversaires ne les reçoivent pas, sans pouvoir en apporter d’autres
contraires, la raison droite enseigne qu’il faut croire à
un si grand nombre de pontifes plutôt qu’à un seul concile général
formé de peu d’hommes. On le prouve ensuite par l’exemple
des saints. Et, d’abord, que c’est avant que sainte Thècle
ait consommé son mariage que saint Paul l’a révoqué C’est
ce qu’attestent saint Épiphane ( à l’hérésie 78), et saint
Ambroise (au livre 2 des vierges.)
Le second exemple est celui de saint Alexis qui, la première nuit
de ses noces, laissa sa femme intacte, et est ensuite parti pour
mener perpétuellement une vie chaste. C’est ce que rapporte
Siméon Metaphraste dans la vie du saint. Et cette histoire a été
confirmée dans l’Église par des siècles de célébration. Le
troisième exemple est celui d’Euphrasie, dont Simon Metaphraste
rapporte des choses semblables. Le quatrième est celui de Cécile
qui, au témoignage de ce même Metaphraste, a, la première nuit de ses
noces, refusé à son mari le du conjugal, parce qu’elle voulait vivre
dans la continence. Le cinquième se trouve dans les confessions
de saint Augustin (livre 8, chapitre 6). Il raconte, là, que deux
soldats avaient, après avoir lu la vie de saint Antoine, prononcé des
vœux monastiques; et que, quand leurs épouses ont été mises au courant,
elles ont fait de même.
Il importe peu que saint Augustin ne les appelle pas épouses
mais fiancées, car il arrivait souvent que, jusqu’à la consommation
du mariage, les anciens donnent aux époux les noms de
fiancés et fiancées. C’est ainsi qu’il faut entendre le mot
fiancée, au chapitre ex publico, au chapitre carissimus, et au chapitre
ex parte tua, dans la conversione conjuratorum. Et, c’estde la
même manière, que saint Augustin l’emploie (livre 8, chapitre 3 des
confessions) quand il écrit : « Il a été établi par la coutume
que les fiancées (épouses) déjà engagées par un contrat de mariage,
ne soient pas trop vite remises à leurs maris, de peur que le mari ne
la prenne en dégout pour ne pas avoir longtemps soupiré après
celle qui se fait désirer. »
Le sixième est celui de saint Leobard qui, au témoignage de
saint Grégoire de Tours, a rompu les liens matrimoniaux qu’il
avait noués avec une fille honnête, et cela, malgré les parents.
Le septième se trouve dans les dialogues de saint Grégoire, 3, chapitre
14). Il dit là que la vierge consacrée s’est enfuie dans l’église
après les noces, et a demandé aux saintes moniales l’habit de vie monastique.
On le prouve, enfin, par deux raisons. La première. La raison
elle-même enseigne qu’il est toujours permis de passer d’un état
moins parfait à un état plus parfait, quand on peut le faire sans nuire
aux autres. Or, l’état religieux est supérieur à l’état du
mariage. On le fait sans nuire aux autres quand le mariage n’a
pas encore été consommé. Car, quand le mariage est consommé, deux
torts font leur apparition si on le dissout. Un, au rejeton déjà conçu
qui ne pourra pas recevoir une éducation suffisamment bonne; l’autre,
au conjoint, qui demeure lié par le mariage, et n’a pas le droit d’en
contracter d’autre. Chose qui serait d’ailleurs plus difficile
pour quelqu’un qui n’est plus vierge.
Or, aucun de ces inconvénients ne se présente dans un mariage non
consommé. Là, en effet, il n’y a pas de fœtus, et l’épouse
encore vierge peut se remarier comme elle le veut, puisqu’aucune honte
n’est entachée à ce genre de répudiation. Mais tu diras qu’on lui
fait une injustice en la spoliant malgré elle. Je réponds qu’elle
est tenue de donner son consentement à son mari qui désire des
noces incomparablement plus parfaites; et qu’elle peut être forcée
de faire ce qu’elle est tenue de faire.
Tu diras de nouveau : si cette raison avait une valeur quelconque,
elle prouverait qu’un mariage ratifié peut être dissous non seulement
par une profession monastique, mais aussi par la réception des ordres
sacrés, et même et surtout par la dignité épiscopale, puisqu’un
vœu de continence y est annexé, et que l’état des
évêques est supérieur à l’état des religieux. Or, comme l’a
décrété Jean XX11 (dans extravaganti, antiquae concertat de voto),
« un mariage ratifié n’est pas dissous par la profession religieuse
». Je réponds que ces choses ne sont pas semblables.
Car, le mariage ne répugne pas, en lui-même, et de par sa propre nature,
à la profession monastique. Il ne répugne pas non plus, en
lui-même, et de par sa propre nature, aux ordres sacrés, mais seulement
par un décret de l’Église.
La deuxième raison est que, dans le mariage, il y a un double lien.
Un spirituel, qui nait du seul consentement, un charnel qui vient
de l’acte conjugal. Or, ce lien charnel est détruit par
la mort corporelle, (1 Cor 7). Donc, le lien spirituel doit être
détruit, lui aussi, par la mort spirituelle et civile. Telle
est la profession monastique par laquelle l’homme meurt totalement au
monde. Et c’est ce qui fait comprendre que le mariage n’est pas
dissous par la réception d’un ordre sacré. Car, un
ordre sacré ne requiert ni mort spirituelle ni mort civile, aucune
mort, donc, par laquelle on renonce aux richesses et à sa
propre volonté.
Il y a deux façons de répondre aux objections. Une, qui
est commune aux théologiens, et qui est surtout propre à Sotus.
C’est ce qu’il explique (dans 4 dist, 27, question 1, article 4) en
disant que le mariage qui n’est que ratifié est aussi indissoluble que
celui qui a été consommé. Et, à tous les autres arguments, lui
et les autres répondent que cela prouve excellemment qu’un mariage
ratifié ne peut pas être dissous par les hommes, c’est-à-dire
par une autorité humaine, mais non qu’il ne puisse pas l’être par
Dieu. Or, c’est Dieu qui dissout le mariage quand il appelle à
la vie religieuse.
Tu diras : d’où savons-nous que, par la vocation religieuse,
Dieu dissout les mariages ratifiés, mais non les non consommés, alors
qu’il est certain que Dieu ait le pouvoir de tout dissoudre ?
Je réponds que nous le savons par la déclaration de l’Église.
L’autre réponse est commune aux canonistes, et c’est celle que suit
Cajetan (dans ses opuscules, tome 1, traité 28). Ils enseignent
qu’un mariage consommé ne peut être dissous que par Dieu; qu’un mariage
ratifié ne peut être dissous que par l’autorité du souverain pontife,
ou, sans cette autorité, par l’entrée en religion.
Venons-en maintenant à l’argument tiré des paroles du Seigneur
en Matthieu 19 : « Que l’homme ne sépare pas ceux que Dieu a unis.
» Ils répondent que ces paroles ne valent que pour un mariage consommé.
Car le Seigneur n’a prononcé ces paroles qu’après avoir dit : «
Ils seront deux dans une même chair. » Ce qui ne peut se faire
que par une union charnelle. Et qu’Alexandre 3 (chapitre
ex publico) enseigne que c’est ainsi qu’on doit entendre ce texte.
Ils répondent à la première raison, que le mariage ratifié et le mariage
ratifié et consommé ne différent pas accidentellement, comme une chose
opérante et une chose non opérante, comme le veut la première
opinion. Ils ne diffèrent pas non plus essentiellement, comme s’il
manquait à un mariage ratifié une partie essentielle, mais ils
différent comme l’imparfait du parfait, comme le sourd ou l’aveugle
diffèrent de ceux qui entendent ou qui voient.
Car, pourquoi dit-on un mariage ratifié non consommé,
si ce n’est parce qu’il lui manque une opération, un effet ?
Et pourquoi ne dit-on pas un sacerdoce ratifié non consommé, avant que
le prêtre ne commence à exercer son saint ministère ? Or, ce qui
manque au mariage ratifié c’est cela qui le rend soluble. Car,
le sacrement du mariage a trois significations. La première, une
grâce invisible, ou l’union du Christ avec l’âme. La deuxième,
l’union du Christ avec l’Église par la charité. La troisième,
l’union du Christ avec l’église par conformité de nature.
De ces trois, le mariage ratifié n’a que la première, comme l’enseignent
saint Thomas, (4 dist, 27, question 1, art 3, question 2 a 1) et
Innocent 111 (chapitre debitum sur les bigames).
Or, si cette signification suffit pour constituer
un vrai sacrement, elle ne suffit pas pour rendre ce mariage indissoluble,
car, de toute évidence, cette union du Christ avec l’âme
n’est pas indissoluble. Le mariage consommé a les
deux autres, comme il appert de saint Paul, qui n’a dit «
ce sacrement est grands, dis-je, dans le Christ et dans l’Église »,
qu’après avoir dit : « ils seront deux dans une même chair », ce
qui se fait certainement par l’union charnelle. Et on confirme
le tout en notant que si un mariage ratifié non consommé signifiait l’union
du Christ avec l’Église, il s’en suivrait que serait un
bigame celui qui contracterait deux mariages, qu’il n’en ait consommé
qu’un, ou aucun. Ce qui est contraire au canon debitum des bigames.
La conséquence est évidente, car le contrat de mariage d’un bigame
a un défaut de signification, puisque celui qui a deux épouses ne peut
pas représenter l’union du Christ avec son unique église.
À la deuxième raison, je dis que le mariage ratifié est un
sacrement véritable, mais non parfait, quant à la totalité de la signification.
À la troisième, je dis que ceux qui se donnent à leurs épouses
doivent toujours avoir à l’esprit que c’est à la condition qu’ils
ne soient pas appelés à des noces plus spirituelles. Je dis
ensuite que l’époux n’est pas tenu de rendre le dû matrimonial
au détriment de son bien spirituel, quand cela peut se faire sans causer
de tort à l’épouse. L’une et l’autre réponse sont bonnes,
mais la dernière est plus conforme aux décrets et aux actions des pontifes,
qui ont, de fait, dispensé d’un mariage ratifié non consommé.
La première réponse se base sur Nicolas ( 27, question,
2, canon scripsit). Il dit que c’est Dieu qui dissout le
mariage, quand il appelle quelqu’un à la vie religieuse.
Mais, ce fondement n’est pas solide, car Nicolas parle d’un mariage
consumé, et il enseigne qu’il est dissous non quant au lien, mais quant
à l’obligation de l’acte sexuel.
CHAPITRE 39
Les ermites
Vient maintenant la cinquième dispute sur les ermites.
Plus que toutes les autres formes de la vie religieuse, ce
sont les ermitages que réprouvent les magdebourgeois (centuries
4 et 5, chapitres 6 et 10.), ainsi que Calvin (livre 4, chapitres
13 et 16). Ils reprochent deux choses : la solitude, et l’austérité
de la vie. Ils disent, que, par la solitude, ils pèchent deux fois contre
le prochain. Une première fois, pour s’être retirés dans le
désert en haine du genre humain, contrairement en ce qui est dit en Matthieu
13 : « Voici qu’il est dans le désert. Ne sortez pas. »
Et Hébreux 10 : « N’abandonnant pas notre assemblée. » Par
la sévérité de la vie, ils disent qu’ils pêchent contre eux-mêmes.
D’abord, parce qu’ils s’exposent à beaucoup de dangers et de tentations,
comme on le voit dans les vies de saint Antoine et de saint Hilarion;
qu’ils sont des homicides d’eux-mêmes par des jeûnes excessifs, des
cilices, et d’autres mortifications qu’ils s’imposent constamment,
allant contre Exode 20 : « tu ne tueras pas », et contre Coloss
2 : « Honore ton corps ! » Enfin, parce qu’ils s’imposent des
labeurs idiots, plaçant la religion dans des choses bizarres
et ridicules, comme ce Siméon qui vécut au haut d’une colonne, comme
un oiseau, pendant un grand nombre d’années, ce qui a été perçu dit-on,
comme une pure illusion et une fascination diabolique.
Réponse. Que la vie érémitique soit sainte et
parfaite, et agréable à Dieu, nous le prouvons d’abord, par le témoignage
des Écritures, qui louent grandement Élie et saint Jean-Baptiste, qui
furent les princes des ermites, autant par la solitude que par
l’austérité de leur vie. Car, de saint Jean-Baptiste, le Seigneur
dit en Matthieu 14 : « Parmi tous ceux qui sont nés de la femme, aucun
n’a jamais été plus grand que Jean. » La grandeur d’Élie
apparait en ce que, pour louer Jean-Baptiste, l’ange a dit (Luc
1) qu’il précéderait (le Messie) dans l’esprit et la vertu d’Élie.
» Or, Élie qui se tenait la plupart du temps sur le mont Carmel,
était revêtu de peaux de bêtes, comme on le dit dans les Rois (4, 1).
Semblablement, saint Jean Baptiste vécut dans le désert,
de son enfance à la fin de sa vie. Il était vêtu de poils de chameau,
et se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage (Luc 1, et Matt 3).
Voilà pourquoi les anciens pères ont appelé Élie et Jean ermites et
princes des ermites, comme saint Basile dans son épitre à Chilon, saint
Grégoire de Naziance, (dans son apologie sur sa fuite, après son
retour) , saint Jean Chrysostome (homélie 69 sur Matthieu), saint
Jérôme,( en partie dans son épitre à Paulin sur l’institution du
monachisme, et en partie dans l’épitre à Eustochius sur la virginité),
Cassien (conférence 18, chapitre 6), Sozomène (livre 1, chapitre 12,
de son histoire), Theophylacte, (dans le premier chapitre de Luc),
saint Isidore (livre 2, chapitre 5, des devoirs divins.)
Les hérétiques répondent, à cet argument , et surtout
au sujet de Jean, qu’il ne demeura jamais dans un vrai désert, et qu’il
ne s’est pas nourri et vêtu avec austérité, comme nous le prétendons.
Les magdebourgeois (centurie 1, livre 1, chapitre 6, colonne 248) disent
que le mot désert doit être entendu à la façon d’une hyperbole, parce
qu’il prêchait dans des villes voisines du désert. Et,
dans le chapitre 10, colonne 357, ils soutiennent que Jean a habité avec
ses parents, et qu’on dit qu’il a habité dans le désert parce que
la maison de ses parents était dans les montagnes de la Judée,
vulgairement appelées désert, à cause des monts et de la stérilité,
même s’il y avait là plusieurs villes et villages.
Et c’est ce que pensent également Bucer et Zwingli (au chapitre
3 de Matthieu). Les centuriates disent, au même endroit (colonne
356), que l’habit de Jean était vraiment fait de poils de chameau,
mais parce que c’était la coutume des hommes de cet
endroit. Et c’est ce que dit également Bucer, (au chapitre 3 de
Matthieu). Chrytraeus ajoute même qu’en cet endroit, il y avait un vêtement
semblable à celui que nous appelons ondulé, que seuls portent les
nobles.
De plus, les centuriates (colonne 364) disent que les sauterelles
que Jean mangeait étaient une sorte de poissons excellents que les pêcheurs
rejetaient parce que prohibés par la loi, mais que Jean mangeait,
parce qu’il avait été libéré par la loi évangélique.
C’est aussi l’avis de Melanchton, dans son sermon sur saint Jean-Baptiste,
et d’autres. Ces erreurs, Pierre Canisius les a parfaitement réfutées
(livre 1, les corruptions de la parole de Dieu, chapitres 2, 3, 4.)
Il prouve, d’abord que saint Jean Baptiste a vécu dans un vrai désert,
parce que le mot désert, qui est ici utilisé, est toujours employé par
l’Écriture au sens d’un vrai désert. Il dit ensuite que
Luc (1) dit qu « ’il a été dans le désert jusqu’au jour de
sa manifestation à Israël ». Les Israélites ne l’ont donc pas
vu avant qu’il ait atteint l’âge de trente ans, car c’est alors
seulement qu’il commença à se montrer et à prêcher. Pendant
tout ce temps, il n’habita donc pas dans la maison de ses parents, ni
non plus dans des villes ou des villages, mais dans un vrai désert.
On peut le déduire aussi de ces paroles de Luc (3) : « Une
parole du Seigneur descendit, dans le désert, sur Jean, fils
de Zacharie, et il vint dans toute la région du Jourdain, prêcher un
baptême de pénitence. » Il faut noter que la région du Jourdain
où Jean prêchait était elle-même un désert. Car, c’est ainsi
que parle Matthieu de la même chose, au chapitre 3 : « En
ces jours-là, Jean-Baptiste vint dans le désert prêcher un baptême
de pénitence. » Saint Jean vint donc d’un désert dans un désert.
Mais le premier désert où demeurait saint Jean Baptiste était si désertique
que, en comparaison, l’autre ne semblait pas être un désert.
Car, autrement, pourquoi Luc dirait-il : « il vint du désert
dans une région », si cette région était aussi désertique ?
La sentence d’Euthimius est donc vraie. Il enseigne, en effet,
(Matthieu 3) qu’il y a eu deux déserts en Judée. Un intérieur,
que personne, ou de rares voyageurs, ne fréquentait; et un
autre extérieur, qui n’était pas habité, mais qui était fréquenté.
Donc, jusqu’à l’âge de 30 ans, saint Jean Baptiste demeura dans le
désert intérieur, et, dans la dernière partie de sa vie, dans
le désert extérieur.
On peut se servir aussi du doute des Juifs pour ajouter une quatrième
raison. Car ils demandèrent à Jean (Jean 1) qui il était :
Élie, ou un autre ? Or, s’il était toujours demeuré dans la
maison de ses parents, la question ne se posait même pas, car ils
auraient su, de toute évidence, qu’il était le fils de Zacharie
et d’Elizabeth. C’est parce qu’il s’état caché pendant
tant d’années, c’est-à-dire, depuis son enfance jusqu’à
l’âge de trente ans, que personne ne le connaissait. Voilà pourquoi
on lui a demandé : qui es-tu ? Et comme ils savaient
qu’Élie devait venir avant l’avènement du Christ, et qu’ils
voyaient qu’il était habillé comme Élie, ils lui demandèrent
donc : « Es-tu Élie ? »
Se présentent également les témoignages des pères.
Eusèbe (livre 9, chapitre 5 de sa démonstration évangélique)
écrit : « Il venait du désert revêtu d’un habit inhabituel,
après avoir rejeté le mode de vie commun à tous les hommes. Car,
il ne demeurait dans aucun village, dans aucune ville, ni avec aucun
autre groupe d’hommes. » Et, plus bas : « Il surgissait
subitement de je ne sais trop quelle portion du désert,
et y retournait après avoir prêché, sans nourriture, et sans breuvage,
comme ayant horreur de la foule. Les Juifs avaient raison d’être
estomaqués, et de le prendre pour un ange, plutôt que pour un homme.
» Saint Jérôme (dans son épitre 4 à Rustique) : « Jean le Baptiste
a eu une sainte mère, il fut le fils d’un pontife, mais
il n’a été vaincu ni par l’affection de son père, ni par les richesses
de sa mère. Ils n’ont pu, en effet, l’obliger à vivre
dans la maison de ses parents, au risque d’y perdre sa chasteté.
Il vivait dans le désert, et les yeux qui désiraient le Christ
dédaignaient de ne regarder rien d’autre. »
Et du vêtement de Jean qui ne fut pas en linge, ni en un tissu
soyeux et délicat, c’est le Seigneur Jésus lui-même qui
en témoigne : (Matt 11) : « Qu’êtes-vous allé voir dans le désert
? Un homme habillé à la dernière mode ? Ceux qui sont ainsi habillés
vivent dans les maisons des rois ». Ce qui fait dire à saint Jean
Chrysostome (homélie sur Matthieu 10), que l’habillement de saint Jean
Baptiste en était un de componction et de pénitence. Et,
au même endroit, il ajoute que c’était un cilice, qui indiquait
le mépris du monde. Saint Bernard (dans son sermon sur saint Jean
Baptiste) écrit : « Il vint Jean, ne mangeant pas et ne buvant
pas, à moitié vêtu. Et comme la sauterelle n’est la nourriture
que d’animaux sans raison, les poils de chameaux ne sont pas, non
plus, un habit d’homme. » Et pourquoi, je le demande, l’évangile
nous décrirait-il avec tant de précision son vêtement s’il
était semblable à celui de tout le monde ? Et pourquoi les évangélistes
n’ont-ils pas décrit le vêtement de Jésus ?
Parlons maintenant de sa nourriture. Que ces sauterelles
n’aient pas été des poissons à la chair délicate, mais de vraies
sauterelles, le mot grec nous le montre assez clairement, car
akridès ne peut signifier rien d’autre, comme l’enseigne Euthymius.
Ensuite, pourquoi le Christ aurait-il dit (Luc 7) : « Jean est venu, ne
mangeant ni ne buvant,» c’est-à-dire qu’il mangeait et
buvait si peu que c’était comme s’il ne mangeait ni ne buvait rien.
Enfin, c’est ainsi que l’expliquent tous les pères cités par Pierre
Canisius.
On prouve, en second lieu, l’excellence de l’institution monastique
par l’approbation unanime des pères. Saint Basile (dans
l’épitre à Chilon) compare la vie solitaire au martyre, et réfute
toutes les objections qu’on apporte contre la vie érémitique.
Semblablement, dans l’épitre à saint Grégoire de Naziance,
sur l’utilité de la solitude, il traite de plusieurs sujets.
Le même saint Grégoire de Naziance (dans son apologie pour sa fuite),
donne le nom de céleste à la vie des ermites. Et, dans son épitre
à Hellenius, il rapporte des choses merveilleuses des
ermites de son temps, comme, par exemple, que certains n’ont jamais vu
un homme, que d’autres se soient abstenus de nourriture pendant
vingt jours. Il raconte aussi de quelqu’un, qu’il
était resté en prière pendant un an entier, et qu’une corneille lui
apportait les restes d’une nourriture.
Après avoir rapporté ces choses et beaucoup d’autres semblables,
il ajoute : « Telle est la part du Christ, tel est le fruit des
souffrances du Christ, qu’il apporte de la terre à son Père.
C’est le sommet de la religion chrétienne, l’honneur du peuple, le
fondement du monde, une splendeur qui milite avec les beautés célestes.
» Dans sa somme doctrinale, Épiphane place en premier lieu, parmi
les choses qui sont conservées dans l’église sans être commandées,
la virginité, ensuite la solitude, auxquels il adjoint l’abstinence
des viandes, des œufs et des poissons, et même du pain et du vin,
le coucher sur la dure, et un sac comme habit.
Saint Jean Chrysostome donne de grandes louanges au désert érémitique.
Dans son homélie 8 sur saint Matthieu, il dit : « Si quelqu’un vient
maintenant dans la solitude désertique égyptienne, il verra un désert
plus digne qu’un paradis, et, dans des corps mortels, des
chœurs innombrables d’anges. » Il dit la même chose (dans ses
homélies 69 et 70 sur Matthieu, et dans son homélie 14 sur la première
épitre à Timothée. Saint Jérôme (dans son épitre à Heliodore)
: « O désert, qui fait éclore les fleurs du Christ
! O solitude, dans laquelle naissent des pierres qui, comme le dit
l’apocalypse, servent à la construction de la cité du grand roi !
O ermitage où se trouve une plus grande familiarité avec Dieu,
qui se réjouit etc »
Il dit la même chose dans son épitre à Eustochius sur la virginité
: « Ceux qui quittent les monastères de cénobites pour se réfugier
dans le désert comme vers une vie plus parfaite, n’apportent
avec eux, comme nourriture, que du pain et du sel. » Saint Augustin
(livre 1, chapitre 31 sur les mœurs de l’Église) loue chaudement
les ermites : « Je ne dirai rien de ceux qui, loin de tout regard humain,
se contentant de pain et d’eau, habitent les terres les plus désertiques,
jouissent d’un colloque avec le Dieu qui habite dans leurs
purs esprits, et qui sont rendus heureux par la contemplation d’une beauté
qui ne peut être perçue que par l’intelligence des saints. »
Ajoutons à ces témoignages la nouvelle constitution de
Justinien (133), où il dit : « La vie solitaire et contemplative est
une chose tout à fait sacrée, et qui, de par sa nature, conduit
les âmes à Dieu. Car, elle n’est pas profitable seulement
pour ceux qui la mènent, mais pour tous les autres. »
On le prouve ensuite, par des raisons. La première
: l’effet. Car, nous voyons qu’un grand nombre de ces ermites
ont atteint une grande perfection, et ont brillé par des miracles, dont
sont témoins tous ceux qui ont écrit leurs vies, comme saint Athanase
celle de saint Antoine, saint Jérôme, cellesde Paul et d’Hilarion,
Pallade, l’histoire lausiaque, Cassien ses conférences,
Theodoret son histoire religieuse, Sozomène (livre 1, chapitres
12, 13, 14, livre 3, chapitre 13, et livre 6, chapitres 26 et suivants).
Et pour ne parler que de lui, il est certain que Dieu n’aurait
pas nourri Paul le premier ermite pendant 60 ans, en lui envoyant un demi
pain à chaque jour; et saint Antoine n’aurait pas vu son âme être
emportée dans le ciel dans le chœur des apôtres, ni les lions
lui avoir creusé une fosse pour l’ensevelir, si une solitude d’une
centaine d’années et surtout si l’austérité de sa vie n’avaient
pas plu à Dieu.
La deuxième raison est que la vie érémitique est le sommet
et le symbole de la vie religieuse. Car, à peu près tous les pères
enseignent qu’on ne doit pas se précipiter tête baissée dans
une cellule érémitique avant de s’être soigneusement exercé
aux vertus dans un monastère de cénobites, parce que la vie érémitique
n’apporte pas la perfection, mais la présuppose. C’est ce que
disent saint Jérôme (dans son épitre à Rustique 1), Cassien (dans
la conférence 10, chapitre 3), saint Augustin (livre 1, chapitre
3 sur les mœurs de l’Église), saint Benoit (dans sa règle, chapitre
1), saint Bernard (sermon 3 sur la circoncision. Et voilà
pourquoi il est permis à tous les religieux de passer à l’ordre des
chartreux, parce que leur vie est solitaire, et est donc une vie
de parfaits. Puisque la vie érémitique est la plus sainte de toutes,
elle ne peut donc pas ne pas être agréable à Dieu. Nous
avons montré, plus haut, qu’une vie parfaite plaisait à Dieu
au point de pouvoir être, en toute rectitude, vouée à Dieu.
La troisième raison. La solitude et l’austérité sont
les meilleurs moyens pour l’obtention de la meilleure
fin. Car, la fin d’une vie austère et solitaire est la contemplation
de Dieu, et des choses célestes, comme on le voit dans la conférence
19, qui porte sur la fin de la vie érémitique. C’est cette part
que le Seigneur appelle la meilleure (en Luc 10). Car le moyen qui
mène à la contemplation de toutes les meilleures choses,
c’est d’avoir l’âme recueillie et attentive. C’est ce que
procure d’une manière admirable la solitude qui repousse loin d’elle
toute agitation, toute distraction.
Voilà pourquoi, à chaque fois qu’il voulait prier, le Seigneur
gravissait une montagne ou se dirigeait vers deux lieux déserts.
Luc 5 : « Il restait dans le désert, et priait. » Quand (Exode
24), Dieu voulut parler avec Moïse, il lui ordonna d’escalader
la montagne jusqu’à son sommet, et d’entrer dans les ténèbres
pour que son âme, qui avait été appelé par Dieu, ne voie rien d’autre
que lui. Saint Jérôme écrit (livre 2 contre Jovinien)
que cela est si vrai que même plusieurs philosophes, conduits
par la seule nature, ont habité dans les déserts, pour pouvoir
contempler sans distraction.
Il en va de même pour le jeûne, et pour tout le reste
qui fait partie de cette sévérité de vie. Car, que le jeûne soit
un excellent moyen de parvenir à la contemplation, l’Écriture
nous le montre en l’associant partout à la prière. Tobie (12)
: « Bonne est la prière avec le jeûne ». Matth 17 : « Ce genre
de démon n’est expulsé que par la prière et le jeûne. »
Luc 2 : « Elle ne s’éloignait pas du temple, servant Dieu nuit
et jour par des jeûnes et des supplications. » 1 Corinthiens
7 : « Pour que vous vous adonniez à la prière et au jeûne ».
Et saint Jean Chrysostome (dans son homélie 1 sur la Genèse) dit que
« le jeûne est, pour l’âme, semblable à des ailes qui lui permettent
de s’envoler dans les hauteurs, et de contempler ce qu’il y a de meilleur.
» Saint Athanase dit des choses semblables (dans son livre sur la virginité),
et Basile (dans son sermon sur le jeûne). Il dit aussi que quiconque
en fait l’expérience, voit sa chair prendre de la vigueur et refleurir;
que celui qui vit dans les délices voit son âme devenir charnelle et
terrestre, et penser plus à la luxure qu’à la sagesse.
Même un Platon a choisi un lieu pestilentiel pour y vivre
et y enseigner, comme le dit saint Jérôme ( livre 2 contre Jovinien),
pour que ses disciples n’aiment rien d’autre que la sagesse.
Et, au même endroit, il rapporte que les pythagoriciens n’évitaient
pas seulement les villes mais tous les lieux qui procurent
des plaisirs, pour que leurs âmes ne s’amollissent pas, et ne
se détournent pas de l’étude de la sagesse. Semblablement,
il enseigne, au sujet des prêtres des Égyptiens, que, pour
qu’ils vaquent à la contemplation des astres, ils ne devaient
pas avoir de femmes, ni aucun des leurs, et ils ne devaient
manger que très peu. Galenus écrit aussi, dans son exhortation
aux médecins, que « les âmes des hommes qui sont adonnés aux voluptés,
sont comme plongées dans du sang, un peu comme dans de la vase,
et que c’est ainsi qu’on les voit du haut du ciel ».
Mais ces saints ermites ne vivaient pas si sévèrement
seulement pour la contemplation, mais aussi pour d’autres causes
très justes. La première. Parce que la nature du lieu
l’exigeait, car ils n’auraient pas pu, même s’ils l’avaient
voulu, trouver dans le désert toutes les commodités de la vie.
Et voilà pourquoi Paul l’ermite s’habillait de feuilles de palmier.
Il n’y avait, en effet, rien d’autre. Et la raison pour
laquelle saint Jean mangeait des sauterelles et du miel sauvage c’est
que ces choses abondaient dans le désert, comme saint Jérôme l’enseigne
(dans son livre 1 contre Jovinien).
Une autre raison, c’est que, étant concentrés sur les
délices de l’âme, ils oubliaient en partie les besoins du corps,
comme le rapporte de l’abbé Jean Jean Cassien (dans sa conférence
19, chapitre 4) qui « ne se souvenait pas s’il avait mangé
ou pas ». Et en partie aussi, parce qu’ils supportaient à regret
la servitude du corps. Voilà pourquoi plus rapidement et plus rarement
ils pouvaient satisfaire aux besoins essentiels de corps, plus ils se sentaient
heureux, comme Philo l’écrit des premiers moines, (dans le livre
de la vie contemplative des suppliants), dont plusieurs, à cause
de leur avidité des banquets spirituels, ne nourrissaient
leur corps qu’à tous les cinq ou six jours.
Troisièmement, parce qu’ils savaient que la victoire sur les cupidités
et l’entraînement à la patience étaient agréables à Dieu.
Car, puisque la chair désire toujours contre l’esprit, il plait grandement
à Dieu que l’esprit désire contre la chair. Voilà pourquoi Tertullien
(dans le livre de la résurrection de la chair) appelle un sacrifice agréable
à Dieu le jeûne et les autres mortifications. Quatrièmement,
pour obtenir, de la pénitence, de dignes fruits, et pour satisfaire
pour leurs péchés. Car, les saints qui ont prix au sérieux la
recherche de la perfection, ont coutume d’expier durement de légères
fautes. Voilà pourquoi saint Jean-Baptiste a vécu dans tant d’austérité.
Car, même s’il n’avait à se reprocher aucun péché volontaire,
il a voulu, parce qu’il avait été envoyé par Dieu pour prêcher
la pénitence, la prêcher cette pénitence par la parole et par l’exemple.
C’est pour cette raison, comme l’explique saint Jean Chrysostome, (homélie
10 sur Matthieu) qu’il portait un vêtement proportionné à la pénitence
et à la componction. Ces considérations-là nous permettront
de répondre facilement aux objections.
Nous répondons à la première. Ce n’est pas la haine du genre
humain qui pousse les ermites dans les déserts, mais la recherche
d’une vie plus pure. C’est ce qu’explique saint Augustin (livre 1,
chapitre 31, sur les mœurs de l’église catholique) : « Que penser
de cela ? On voit des hommes qui ne peuvent pas ne pas aimer les
hommes, mais qui, cependant, ne peuvent pas les voir ? Cette
chose, quelle qu’elle soit, dont la contemplation permet à l’homme
de vivre sans homme, est ce qu’il y a de plus important dans les choses
humaines ». Donc, si donc pèche contre le genre humain celui qui
hait la vie en société, ne pèche en aucune façon celui qui demeure
seul sans haine.
Quant au passage de l’Écriture : « ne sortez pas », il s’applique,
à la lettre, à l’avènement de l’antichrist. Le désert mystique
signifie les faux dogmes des païens et des hérétiques, comme Origène,
Jérôme et Bède l’écrivent, dans leur commentaire du chapitre 24 de
Matthieu. Car les hérétiques veulent trouver le Christ dans
certains sens de l’Écriture ineptes et creux, que les saints Pères
n’ont même pas pris la peine de considérer. Nous avons un bon
exemple de leur manque de discernement dans les paroles : « ne sortez
pas. » Car qui aurait jamais pu imaginer que ces paroles interdisaient
la vie érémitique ?
Au sujet des Hébreux 10 : « n’abandonnant pas l’assemblée, »
je dis que saint Paul accuse ceux qui, par haine ou envie, ne se
réunissaient pas en église, parce que le lieu de prière n’était
pas à leur gout, et qui formaient des groupuscules. Voilà pourquoi
Theodoret et Oecumenius expliquent que, par le mot assemblée, saint
Paul entend un consentement unanime des âmes. Ajoutons que même
les ermites, à quelques exceptions près, allaient prier ensemble dans
leur église, comme le font encore aujourd’hui les chartreux et les camaldules.
Au second argument, je réponds avec saint Augustin (livre 1,
chapitre 31, des mœurs de l’Église) : « Il semble que quelques-uns
(les anachorètes) ont, plus qu’il ne convient, délaissé les
choses humaines, si on ne considère pas à quel point leurs
âmes nous apportent du renfort dans la prière, et leur vie un exemple,
ceux dont nous n’avons pas la permission de voir les corps. »
Voilà pourquoi Justinien, au lieu déjà cité, soutient que c’est «
par les oraisons des saints ermites que sont conservés l’empire, l’armée
et les champs ».
Mais, tu diras que la prière n’est pas la seule œuvre de charité
commandée par Dieu, qu’il y en a même beaucoup d’autres, comme
l’aumône, la visite des malades, l’instruction etc. Ces
œuvres-là les ermites non seulement ne les accomplissent pas, mais
se rendent incapables de les accomplir. Je réponds que les hommes
privés ne sont obligés aux œuvres de charité que quand une occasion
se présente. Car, la différence qu’il y a entre les prélats
et les non prélats est que les premiers sont tenus par leur état
de s’enquérir si ceux qui leur sont confiés manquent de quelque
chose, ce que les autres ne sont pas tenus de faire. C’est
seulement quand une occasion se présente qu’ils doivent faire aux autres
ce qu’ils veulent qu’on leur fasse à eux-mêmes. Et, bien que
ce soit un péché de se rendre intentionnellement incapable de faire
des œuvres de charité, comme quelqu’un qui demeure continuellement
dans sa maison pour ne jamais apercevoir un pauvre, cependant, si
cela arrive sans qu’on l’air recherché ou voulu, il n’y a pas de
faute.
Au troisième je dis que s’exposer au péril, n’est pas, en soi,
un péché, autrement il ne serait pas permis de naviguer ou de se battre
contre un ennemi. Ce qui est un péché c’est s’exposer témérairement
à un danger. Comme, par exemple, quelqu’un qui, sans une
juste cause, conscient de sa faiblesse et de sa nudité, engagerait
un combat contre un géant bien armé. Il en va de même dans
les choses spirituelles. Celui qui rechercherait un désert sans
cause, c’est-à-dire sans le propos d’une vie plus pure, et qui
n’aurait pas appris, avant, dans un monastère de cénobites à
lutter contre le démon, comme les pères cités l’enseignent, sans avoir
reçu un appel extraordinaire de Dieu, comme Paul le premier ermite,
et les autres.
Au quatrième, je dis que les saints ermites n’ont pas été
des meurtriers d’eux-mêmes, s’empêchant de vivre plus longuement.
Car, le premier ermite, Paul, a vécu 113 ans, et saint Antoine 103 ans.
Les autres sont presque tous morts vieux, comme le racontent les conférences
de Cassien. Saint Jérôme (livre 2 contre Jovinien) montre, en citant
Hypocrate et Galien, que le jeûne est bon pour la santé. Clément
d’Alexandrie (livre 2, pédagogue, chapitre 1) indique la même
chose en citant Antiphane, un très docte médecin.
Au passage des Colossiens 2 « honorez votre corps », on peut répondre
de deux façons. Une première selon l’explication donnée par
saint Augustin (dans l’épitre 59 à Paulin). « Les choses, comme
l’abstinence, qui, faites dans la superstition et l’humilité,
ne semblent pas avoir de motif de sagesse, puisqu’elles ne cherchent
qu’à épargner le corps, non à l’honorer, en lui interdisant
la satiété, ont quand même quelques motifs de sagesse, même si elle
est superstitieuse. Ils semblent, en effet, faire cela pour
humilier leur cœur, et châtier leur corps, au lieu de le flatter et le
gaver. Ces choses seraient bonnes si elles n’étaient pas faites
superstitieusement. Car, Paul dit lui aussi : « Je châtie mon corps,
et je le réduits en servitude. »
L’autre explication est celle de saint Jérôme (dans son épitre
à Algasie) et de saint Jean Chrysostome (dans son commentaire de
ce passage) qui disent que saint Paul réprouve ceux qui n’honorent pas
le corps. L’honneur du au corps requiert qu’on ne le prive pas
de ce qui est nécessaire, et qu’on ne l’afflige pas sans utilité
ou sans nécessité. Les ermites l’affligeaient, il est vrai, mais
non sans grande utilité. Ils ne le privaient pas, toutefois,
de ce qi était strictement nécessaire. Et quand ils jeûnaient
pendant plusieurs jours sans aucune nourriture, la nourriture ne leur était
pas vraiment nécessaire, car c’est de Dieu qu’ils recevaient la force
pour le faire.
Au cinquième, suffit l’apologie de Theodoret (dans son histoire
religieuse, chapitre 25) où, de deux façons, il défend l’action de
Siméon le stylite. D’abord, il ne fit pas cela par impulsion,
mais comme contraint d’agir ainsi. En effet, un grand nombre accouraient
vers lui, le touchaient, le pressaient partout pour être guéris
par lui de leurs maladies, ou pour en recevoir une grâce.
Se jugeant indigne d’un tel honneur, et supportant de plus en plus difficilement
un si grand nombre de distractions et d’empêchements à la prière,
l’idée lui vint de vivre sur une colonne pour n’y être rejoint
par personne.
Il explique, ensuite qu’il a conçu ce projet de vie sous l’inspiration
du Saint-Esprit qui a voulu, par ce nouveau spectacle d’une pénitence
singulière, exciter à la pénitence la torpeur des hommes, comme
quand il a commandé à certains prophètes de faire des choses qui semblaient
sottes. Car, il a ordonné à Isaïe (20) de se promener tout nu
dans la cité, à Jérémie (28) de s’enchainer, à Ézéchiel,
de manger du pain cuit recouvert de fumier, et de dormir 300 jours
sur le côté gauche. À saint Jean-Baptiste, il a demandé de vivre
avec les bêtes, de se revêtir d’un vêtement fait de poils de
chameau, et de se nourrir de sauterelles.
Que ce soit sous l’inspiration du Saint Esprit que saint Siméon
ait demeuré sur une colonne, Theodoret le prouve par sa vie
vertueuse remplie de miracles, et par la conversion d’une quantité innombrable
d’hommes, qui ont été, par lui, faits chrétiens. Car, voici
quel était son régime de vie. Pendant toute la nuit,
et, pendant une grande partie de la journée, il priait, c’est-à-dire
jusqu’à l’heure de none. Ensuite, il parlait à ceux qui
venaient le voir. À cause du va et vient continuel, le chemin qui
menait à sa colonne ressemblait à un fleuve. De plus, par ses prédications,
il amena des milliers de païens au baptême, et réfuta souvent des Juifs
et des hérétiques. Après avoir prêché, il guérissait
les malades qu’on lui présentait habituellement.
Son renom était si grand à cause de ses miracles, qu’on
accourrait à lui de tous les pays, de l’Arménie, de la Perse,
de la Scythie, de l’Éthiopie, de l’Arabie, de l’Espagne, de
la Gaule et de la Bretagne. À Rome, on voyait ses images dans
tous les vestibules et dans tous les portiques des lieux publics.
Après les guérisons, il réconciliait les ennemis, mettait fin aux litiges.
Plusieurs se présentaient à sa colonne comme à un tribunal de dernière
instance, et soumettaient à son jugement les cas les plus difficiles
à résoudre. Enfin, après sa mort, son cadavre se tenait
encore debout, immobile, sur la colonne, exactement comme il faisait quand
il vivait encore. Et, après sa sépulture, des miracles sans nombre
se firent autant au cimetière qu’à sa colonne. Les magdebourgeois
ne répondent à toutes ces choses que par le silence. Car, s’ils
ne faisaient qu’y penser un instant, toutes leurs objections monteraient
en fumée.
CHAPITRE 40
L’habit et la tonsure des moines
Vient ensuite la sixième dispute sur l’habit et la tonsure
des moines, don t il faut donner deux explications préalables. La
première porte sur leur antiquité. La deuxième, sur leur
raison d’être Car, les magdebourgeois (centurie 4,
chapitre 6, colonne 467) disent, en parlant de l’habit et de la
tonsure des moines, que ce sont des superstitions qui ne sont
pas conformes à l’Écriture, et qui n’ont pas été connues
par la primitive église. Calvin (livre 4, chapitre 19, verset
27) semble indiquer que l’usage de la tonsure a commencé au temps
de saint Augustin; et que la cause en a été que, à cette
époque, seuls les hommes efféminés laissaient pousser leurs cheveux.
Il ne sembla pas qu’on dût permette aux clercs et aux moines
de faire ce que seuls faisaient les efféminés et les homosexuels.
C’est seulement beaucoup plus tard qu’on aurait cherché à y trouver
des significations mystérieuses et mystiques.
Un certain Hortensius Landus a écrit un livre sur la persécution des
barbares, dans lequel il dit beaucoup de choses contre la tonsure
des moines. Et pour ne pas sembler parler sans les Écritures, il
cite certains textes de l’ancien testament. Le premier du Lévitique
(19) où le Seigneur dit : « Ne coupez pas vos cheveux en rond ! »
Semblable est le texte de Jérémie 9 où le Seigneur dit qu’il dispersera
tous ceux qui ont coupé leurs cheveux en rond. Le troisième
est celui du lévitique (21), où il est dit des prêtres : « Qu’ils
ne se rasent ni la tête, ni la barbe ! » Le quatrième est celui
d’Ézéchiel (44) où l’on trouve la même chose. Le cinquième
est dans l’épitre de Jérémie, où il rit des prêtres des idoles,
qui se rasent la tête et la barbe.
Les vêtements. Qu’il ait été institué
de toute antiquité que ceux qui professent le mépris du monde et la pénitence,
soient revêtus d’un habit spécial et particulier, Denys
l’aréopagite nous le montre (au chapitre 6 de sa hiérarchie ecclésiastique),
où il dit, en parlant de la profession monastique : « Après l’avoir
marqué du signe de la croix, que le prêtre le rase ! Et, après
l’avoir dépouillé de tous ses vêtements, qu’il l’habille en blanc
! » Eusèbe (livre 2, chapitre 24, histoire de l’église)
écrit que, d’après Égésippe, l’apôtre Jacques dit le frère
du Seigneur, n’a jamais porté de vêtement de laine, mais seulement
de lin, comme l’était le linceul du Seigneur. Athanase, (livre
de la virginité, avant le milieu), enseigne qu’une moniale
doit n’utiliser que de l’étoffe grossière et vile. Saint
Basile (épitre 1 à Grégoire, et dans les questions longtemps expliquées,
question 22) dit beaucoup de choses sur l’habit monastique.
Saint Jean Chrysostome (homélie 69 sur Matthieu) dit que, par
l’habit, les moines imitent Élie et Jean le Baptiste. Et (dans
son livre sur la comparaison entre un roi et un moine), il dit qu’un
moine ne doit se servir que d’une seule robe, conforme à son institut.
Palladius (histoire lausiaque, chapitre 41) raconte que, en son temps,
les vierges consacrées à Dieu avaient coutume de se servir d’une cuculle.
Saint Ambroise (livre 6, épitre 36) dit, en parlant à Paulin, qui,
de grand homme du monde, et de noble sénateur devint moine, et avait,
à cause de cela, offensé beaucoup de sénateurs païens : « Et bien
qu’il se rasent, eux , la tête et les sourcils, quand ils participent
aux rites sacrés d’Isis, s’il arrive qu’un chrétien qui prend plus
au sérieux la religion sacrosainte, change d’habit, c’est pour
eux un crime indigne ».
Saint Jérôme (dans son épitre 4 au moine Rusticus, dit
: « J’en ai vu quelques-uns qui après avoir renoncé au siècle, en
parole mais non en actes, ont changé leurs vêtements sans
rien changer de leur ancienne manière de vivre. » Épitre 13 à Paulin
: « Tu changes ton vêtement avec ton âme. » Et dans l’épitre
15 à Marcella : « Après avoir revêtu une bure, elle se consacra immédiatement
au Seigneur. » Saint Jérôme (épitre 22 à Eustochius , sur la
virginité) il dit que l’habit de tous les cénobites était le même,
et dans la vie d’Hilarion, il ajoute une cuculle. Dans l’épitre
27 à Eustochius, sur la mort de Paule, il dit en parlant des saintes moniales
: « un même habit pour tous. » Saint Augustin (dans son livre
contre Faustus, chapitre 9) dit qu’ »une moniale commet un péché
si elle se sert de robes de noces ». Dans l’épitre 199,
il indique à Édicie qu’une bure était l’étendard de celle
qui professait la continence.
De même Grégoire (livre 2, chapitre 1 des dialogues, Meminit, habit
de moine, et livre 3, chapitre 14 : meminit habitus sanctimonialis.
De plus, Cassien a consacré tout le premier livre aux instituts
des cénobites, décrivant l’habit des moines, expliquant qu’ils
avaient reçu un habit prescrit par leur profession et conforme à celui
des anciens. Ajoutons deux conciles. Le concile Grangres (canon 12)
réprouve les moines qui tiraient vanité de leurs habits,
et qui méprisaient les autres chrétiens qui étaient vêtus simplement.
Le concile de Carthage 4, canon 104, distingue l’habit laïc de l’habit
religieux. Au sujet de l’habit des clercs, voir saint Jean Chrysostome
(homélie 83 sur saint Matthieu), et saint Jérôme (livre 1 contre les
pélagiens), là où l’on parle de vêtements blancs. De
même, saint Jérôme (dans l’épitaphe de Népotien) où il se souvient
d’une tunique sacrée utilisée dans le mystère du Christ.
Et la raison d’un tel habit, nous l’apprenons des pères.
Car, (comme l’explique Denys l’aréopagite dans le chapitre 6 de sa
hiérarchie ecclésiastique) « quand le moine en devenir change
de vêtement c’est pour signifier un changement de vie ». Mais
pourquoi on utilise ce genre de vêtements plutôt qu’un autre, saint
Basile en donne deux raisons qu’il explique longuement. La première
est pour désigner la profession monastique. Car, s’il convient
aux sénateurs, aux juges, aux soldats, aux nobles et aux paysans
de s’habiller autrement que les autres; et si saint Paul (1 Corinth 11)
ordonne à l’homme de prier tête nue, pour signifier le pouvoir,
et à la femme la tête voilée, pour signifier la sujétion, pourquoi
ne conviendrait-il pas à un religieux d’avoir un habit qui lui est propre,
afin de signifier son état de vie ? La deuxième raison est pour
que les religieux soient forcés, même malgré eux, de bien vivre.
S’ils n’avaient pas un habit particulier, on ne pourrait pas les distinguer
des autres. Or, maintenant, tous les reconnaissent et les observent;
et s’ils font quelque chose de contraire à leur profession, tous
s’en rendent compte et le leur reprochent.
Pourquoi des cuculles ? C’est (explique Cassien, au lieu cité) pour
signifier la simplicité, l’innocence enfantine à laquelle les moines
doivent retourner. Les enfants, en effet, quand ils portent
encore la couche, et sont nourris au sein de leur nourrice, sont
recouverts de voiles semblables à des cuculles. Pourquoi se servent-ils
d’un vêtement grossier, comme d’un sac, à la façon des gueux,
saint Jérôme et Cassien l’expliquent dans les lieux cités. C’est
autant pour faire pénitence que pour montrer leur mépris du monde.
Car des sacs et des vêtements rugueux sont des habits de pénitence,
comme le démontre l’Écriture. Achas a revêtu un sac pour
faire pénitence (3 rois, chapitre 21), Élie était vêtu d’une peau
de bête, (4, rois 1), les Ninivites revêtirent des sacs, (Jonas
3), et Jean était vêtu de poils de chameau (Matthieu 3). Il y en
a eu beaucoup d’autres à agir ainsi: « Circulant en mélotes,
et en peaux de chèvres » (Hébreux 11).
Qu’on puisse user en bien ou en mal d’un vêtement inaccoutumé,
méprisable et repoussant, saint Augustin nous l’enseigne (livre 2, chapitre
19 des sermons du Seigneur). Il nous avertit de ne pas juger quelqu’un
par le seul habit, mais d’apprendre par ses œuvres s’il s’habille
ainsi par mépris du monde ou par ambition et simulation de sainteté.
S’il est vrai qu’un loup peut se cacher sous une peau de brebis, la
brebis ne doit pas déposer sa peau, sous prétexte qu’un loup
peut parfois la revêtir.
Pour montrer l’antiquité de la tonsure, nous avons d’abord saint
Denys l’aréopagite, (au chapitre 6 de la hiérarchie ecclésiastique).
Il dit là, en toutes lettres, que celui qui veut devenir moine, doit d’abord
être tondu, et ensuite revêtir un autre vêtement, après avoir rejeté
le précédent. Nous avons, de plus, un texte d’Anicet (épitre
aux Gaulois) où il ordonne que l’on rase la tête en forme de
sphère. Troisièmement. Saint Athanase (dans le
livre sur la virginité), Palladius (dans l’histoire lausisaque,
chapitre 41), et saint Jérôme (dans l’épitre au diacre Sabinien),
attestent que même les moniales avaient coutume d’être tondues.
Quatrièmement. Épiphane (hérésie 80), et saint
Augustin (dans l’œuvre des moines, dernier chapitre) blâment
âprement certains chevelus qui ne voulaient pas être tondus comme les
autres. Saint Augustin et saint Jérôme font mention d’une
couronne sacerdotale. Saint Jérôme (dans son épitre à saint Augustin,
qui la vingt-sixième dans les œuvres de saint Augustin) écrit : « Je
prie ta couronne de saluer en mon nom mon Seigneur Alipius, et mon
Seigneur Evodius. » Saint Augustin (dans son épitre 147 à l’évêque
Proclinianus) : « Les vôtres nous adjurent par notre couronne;
les nôtres vous adjurent par votre couronne.
Sixièmement. Saint Isidore (livre 2, chapitre 4, des devoirs
divins) dit que la tonsure et la couronne des clercs et des moins a été
instituée par les apôtres. Et Bède le vénérable (dans son histoire
des anglais, chapitre 22) enseigne que saint Pierre a été le premier
à avoir conservé une couronne de cheveux, après avoir rasé le
reste de la tête; et que c’est à son imitation que tous les clercs
et les moines ont fait ce qu’il a fait. Septièmement. Justinien
(dans des conférences authentiques 7, tit. 5, chapitres 2 et 3)
interdit aux clercs de laisser pousser leurs cheveux ou leur barbe, pour
que tous les clercs, une fois la tête rasée, n’aient qu’un cercle
de cheveux au-dessus des oreilles. Mais les moines ont conservé
l’antique coutume, et les clercs, en grande partie, la changèrent.
Venons-en à la question de la tonsure proprement dite.
Il faut dire d’abord que la raison évoquée par Calvin est fausse.
Car, qu’au temps de saint Augustin, non seulement des jeunes dissolus
portaient les cheveux longs, mais même beaucoup de citoyens honnêtes,
et, cela, sans péché, nous l’enseigne le fait qu’on ordonnait aux
pénitents de se raser la tête en signe de douleur et de pénitence, comme
nous le montrent les conciles d’Agathe (canon 11) et de Tolède
111 (canon 12). Et de plus, on ne tondait pas tout simplement les
clercs et les moines, mais on les tondait pour qu’apparaisse
une couronne de cheveux, --ce qu’on ne faisait certes pas aux les laïcs.
Une autre raison est donnée par saint Isidore (livre 2, chapitre 4
des devoirs divins), à savoir en imitation aux nazaréens qui étaient
rasés le jour de leur consécration (Nombres 6). Or, les nazaréens
sont les moines de l’ancien testament. Mais cette raison
ne me plait guère, car les nazaréens n’étaient tondus que quand ils
cessaient d’être nazaréens. De plus, Épiphane (hérésie
80) prouve que nos moines doivent être rasés, parce que laisser pousser
les cheveux est quelque chose de propre aux nazaréens de l’ancien
testament. C’est aussi ce que dit saint Augustin (dans son livre
sur le travail des moines, vers la fin) : « Les prêtres de l’ancien
testament avaient une bonne raison de porter les cheveux longs, parce
que les mystères de notre rédemption n’avaient pas encore été révélés,
car le voile posé sur la face de Moïse et les longs cheveux des saints
signifient la même chose. Mais après l’avènement du Christ,
il convient que ce soit par la coupure des cheveux que la consécration
au Christ soit signifiée. Et c’est peut-être cela la raison
première de notre tonsure ».
Bède en donne une deuxième (livre 5, chapitre 22 de son histoire)
: pour exprimer l’image de la couronne d’épines du Christ. Car,
comme tous les chrétiens sont ornés du signe commun de la croix,
il convenait que soient ornés d’un signe spécial les clercs et les
moines, qui voulaient imiter d’une façon toute spéciale le Christ
souffrant. La troisième et la quatrième. Raban (livre
1, chapitre 3, de l’institution des clercs), Hugues (livre 2, part 3,
chapitre 1 sur les sacrements), Ces auteurs disent qu’on coupe
les cheveux qui sont une partie superflue du corps, pour signifier
que les clercs et les moines doivent amputer tout le superflu,
et principalement les désirs vicieux, pour que leur tête demeure
ainsi, leur âme libre et ouverte au contemplations et aux illustrations
divines. Ils disent de plus qu’ils doivent être rasés de façon
à laisser un cercle de cheveux, pour signifier la royauté de la
tête, quand servir Dieu c’est régner. La cinquième,
c’est Denys l’Aréopagite qui la donne (au chapitre 6 de la hiérarchie
ecclésiastique). Afin de signifier, par cette mise à nu de la tête,
la vie pure et ouverte, que le moine doit exhiber.
On pourrait ajouter une sixième raison de la tonsure des moines.
Pour qu’elle soit un signe de pénitence et de conversion. Car,
comme nous l’avons dit déjà, on ne recevait comme pénitents que ceux
qui avaient été tondus. De plus, saint Jérôme donne une raison
morale de la tonsure des moniales (dans son épitre à Sabienienne).
Parce que, autrefois, elles ne se lavaient et ne se savonnaient jamais
la tête. Elles étaient donc exposées à être envahies par de
petits insectes, comme les poux. Quoi qu’il en soit de cette dernière
raison, on ne peut nier qu’elles le faisaient pour montrer leur mépris
du monde, car les femmes ont coutume de faire grand cas de leurs cheveux.
Il faut noter qu’autrefois ce n’était pas tant la
rasure que la tonsure qui a été en usage. On tondait,
mais de façon à ce que la peau demeure couverte. On voit cela chez
Clément d’Alexandrie, (livre 3, pédagog, chapitre 11). En parle
également Optat de Milet qui (dans son livre contre Parminius) reproche
aux donatistes de dire qu’on rasait, de force, la tête des prêtres
catholiques. « Montrez, dit-il, où il vous est commandé de raser
la tête de vos prêtres, alors que tant d’exemples sont présentés
montrant qu’on ne doit pas le faire. » On voit la même chose
chez saint Jérôme (chapitre 24 d’Ézéchiel), où il dit que les prêtres
ne devraient pas porter leurs cheveux longs, ni les couper complètement,
mais les raser de telle façon que la peau demeure couverte.
De plus, Denys, Épiphane, Jérôme, Athanase, Palladius,
Augustin, Isidore et Bède, les conciles de Carthage et de Tolède, ne
parlent jamais de rasure, mais seulement de tonsure. Le pape Anicet,
a, comme je l’ai dit, parlé de rasure, mais sa lettre n’est pas absolument
certaine; son titre présent est peut-être faux. Mais ce n’est
quand même pas pour cela que nous blâmons ce qui se fait aujourd’hui
: le rasage de la tête des clercs et des moines. Il ne fut jamais
interdit de se raser la tête, et ces sortes de cérémonies peuvent
varier selon les temps et les lieux.
À l’argument d’Hortensius , je réponds que ces préceptes
sont cérémoniaux, et qu’ils n’obligent donc pas plus que la circoncision,
ou les sacrifices de l’ancienne loi. Je dis ensuite que le texte
tiré du Lévitique (19) et de Jérémie (9) ne prouve rien. Car,
comme l’a bien noté Isichius, raser les cheveux en rond, ce n’est
pas couper les cheveux, mais orner la tête. Voilà pourquoi Dieu
interdisait aux Juifs de se faire une chevelure ronde. C’est
surement ce que ne font pas les moines qui se rasent la tête en
ne laissant qu’un cercle de cheveux. Dieu n’interdisait pas cela
non plus d’une façon absolue, mais seulement pour prévenir une mauvaise
intention, c’est-à-dire pour qu’ils ne fassent pas cela pour
rendre un culte aux démons, comme à ce moment, et dans ces lieux, les
Gentils faisaient, comme le notent Theodoret (question 28 sur le Lévitique),
Isichius et Radulphe dans leurs commentaires de ce texte.
Au troisième du Lévitique (21), je dis qu’on ne prescrivait pas
au prêtre de raser leur tête au complet, mais de se raser à la
mort d’un de leurs proches, en signe de douleur. Car, Dieu voulait
que les prêtres soient plus constants que les autres. Au quatrième
(Ézéchiel 44), je dis que, aux prêtres des Juifs, était prohibée la
rasure, non parce qu’elle était mauvaise en soi, mais pour qu’ils
ne soient pas semblables aux prêtres des Gentils, qui sacrifiaient
aux idoles la tête rasée, comme la lettre de Jérémie nous le montre.
Que ce n’ait pas été un mal, non plus, nous le montre l’exemple
d’Ézéchiel. Tout prêtre qu’il était, il a reçu de
Dieu l’ordre de se raser (Ézéchiel 5). Et de plus, (Nombres 6),
quand le nazaréen avait complété le temps de sa consécration, on lui
ordonnait de se raser la tête. Voilà pourquoi saint Jacques
a dit à Paul (actes 21) : « Nous avons ici quatre hommes qui ont un vœu
sur eux Prends-les avec toi, et sanctifie-toi avec eux, et qu’ils
se rasent la tête ! » C’était donc à cause de la promiscuité avec
les idolâtres qu’on interdisait aux prêtres Juifs de se raser la tête.
Et c’est probablement la raison pour laquelle au temps d’Optat, de
Jérôme et d’Ambroise, les prêtres chrétiens n’avaient pas
la tête rasée, mais tondue. Car, de leur temps encore, il y avait
des prêtres d’Isidis qui se rasaient la tête, comme l’attestent
Ambroise (épitre 36), Jérôme (au chapitre 44 d’Ézéchiel).
Mais quand cessa cette raison, ils ne firent rien d’absurde ceux
qui, pour signifier quelque chose de sacré, se rasèrent la tête.
Je dis, enfin, que Jérémie ne riait pas de ces prêtres parce qu’ils
se rasaient la tête et la barbe, mais parce qu’ils le faisaient
en l’honneur de dieux de bois, qui ne pouvaient pas récompenser
leurs fidèles.
CHAPITRE 41
Il est permis aux moines de travailler de leurs mains
Il reste la dernière dispute, celle sur le travail corporel des moines.
Il y a quatre modes de vie chez les religieux. Les uns vivent de
leur propre travail, en vendant et achetant quelque chose.
D’autres vivent des biens qu’ils possèdent en commun, c'est-à-dire
des biens que les religieux ont apportés au monastère en entrant, et
qu’ils ont mis au commun. Ou des dons et des legs, ou de
la mendicité.
Nous allons parler de chacun d’entre eux. Au sujet du premier
mode de vie, il y a eu deux erreurs extrêmes. L’une provenait
de ceux qui prétendaient qu’il n’était pas permis à des religieux
de travailler pour gagner leur nourriture, mais qu’ils devaient faire
confiance à la providence, et vivre du travail des autres. Ceux
qui soutinrent cette erreur furent les Messaliens, ou les Euchiste, selon
Épiphane (hérésiie 80) et saint Augustin (livre 1, chapitre 21, rétractation).
L’autre erreur fut celle de Guillaume de Saint Amour, et ensuite de Jean
Wiclef, d’après Thomas Waldensem, (livre 4, doctrine de la foi
antique, article 2, chapitre 29) et Jean Calvin, (livre 4, chapitre
13, verset 10). Ils enseignent ceux-là que les moines sont tenus
de vivre de leur propre travail, même si Guillaume n’oblige pas
tous les moines à vivre de leur propre travail, mais seulement ceux
qui n’ont pas de biens stables en commun.
La première erreur est née de deux textes de l’Écriture mal compris.
Matthieu 6 : «Que vos âmes ne se fassent pas de préoccupations en disant
: que mangerons-nous ? » Et un autre en Jean 6 : « Ne travaillez
pas pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la
vie éternelle. » Saint Augustin réfute cette erreur (dans son
livre sur le travail des moines, en utilisant les paroles de saint Paul
(1 Thessal 2) où il dit qu’il a travaillé et fabriqué des tentes pour
ne surcharger personne; et où il invite les autres à travailler et à
exercer un métier.
Puisque les hérétiques ont répondu que, en cet endroit, Paul
parle d’une œuvre spirituelle, de l’oraison et de l’exhortation,
il faut indiquer d’autres passages où il est question expressément
d’un travail manuel. Actes 20 : « Les choses qui m’étaient
nécessaires, et celles qui l’étaient à ceux qui sont avec moi,
se sont ces mains qui les ont procurées. » 1 Thess 4 : « Travaillez
de vos propres mains ! » Et, comme l’a noté saint Augustin,
il dit avoir travaillé alors qu’il lui était permis de ne pas le faire,
selon la disposition divine. Or, il est certain que selon la disposition
divine, il ne lui était pas permis de ne pas prêcher, et de ne pas prier,
car il dit : « Malheur à moi si je n’évangélise-pas ! » Il
parle donc du travail corporel, quand il dit qu’il travaille sans y être
tenu.
Au sujet des paroles du Seigneur qu’on cite contre nous, je
réponds que, par ces paroles, n’est pas prohibée une préoccupation
modérée dans la recherche de la nourriture par un travail approprié.
D’abord, par une raison provenant de la fin. Comme si quelqu’un
recherche de la nourriture comme fin ultime, comme sont ceux qui évangélisent
pour manger, alors qu’ils devraient manger pour évangéliser.
Et c’est ce que reproche Jésus, en Matt 6, quand il dit : « Ne vous
souciez pas de… » Il veut persuader ses fidèles d’avoir confiance
en Dieu. Et il le fait par des arguments très efficaces.
Car, si Dieu, dit-il, nourrit les oiseaux, et habille les lys qui ne le
connaissent pas, et pourvoit même à la survie des païens qui le
blasphèment, comment pourrait-il faire faux pas , à vous,
ses adorateurs ? Et s’il vous a donné le corps et l’âme, qui
sont de bien grands biens, comment ne vous donnera-t-il pas aussi
la nourriture et le vêtement, qui sont des biens beaucoup moins grands
?
Troisièmement. L’inquiétude immodérée par rapport au temps,
comme quand quelqu’un qui s’inquiète aujourd’hui d’une chose
qui ne devrait commencer à l’inquiéter que demain. Et c’est
ce que reproche le Seigneur quand il dit : « N’ayez pas d’inquiétude
au sujet du lendemain. À chaque jour suffit sa peine. » Il
faut noter là qu’il ne blâme pas la prévoyante préparation de ce
qui est nécessaire pour l’avenir. Autrement, aurait péché Joseph
(Genèse 41) quand il mit en réserve du blé, en vue des années
de stérilité à venir. Le Seigneur lui-même avait des endroits
où acheter de la nourriture (Jean 13). Elle est mauvaise l’inquiétude
du lendemain qui ne convient pas au temps présent, selon la droite raison.
CHAPITRE 42
Les moines ne sont pas tenus de travailler manuellement
La seconde erreur présente trois principes fondamentaux. Un
de saint Paul qui, aux Ephésiens, (4,1,) aux Thessaloniciens
4, 2, 3, ordonne aux Chrétiens de se procurer leur nourriture par le travail
de leurs mains. De ces textes, on peut tirer cet argument : ou ces
paroles de saint Paul contiennent un précepte obligatoire ou un conseil
de perfection. Si elles contiennent un précepte, les religieux sont
tenus, eux aussi, de travailler manuellement. Si elles ne contiennent qu’un
conseil, les religieux au moins sont tenus de l’observer, car ils
ont à marcher dans la voie de la perfection et des conseils.
Le deuxième fondement est tiré de saint Augustin qui (dans son livre
sur l’œuvre des moines), dit que les religieux sont tenus à l’observation
de ce précepte, et qu’ils ne peuvent pas en être exemptés par des
occupations spirituelles.
C’est bien ce qu’il dit (au chapitre 17) : « Que font-ils ceux
qui ne veulent pas travailler corporellement ? À quoi passent-ils leur
temps ? Je voudrais bien le savoir. À l’oraison, disent-ils, à
la psalmodie, à la lecture, et à la parole de Dieu. Une vie vraiment
sainte, et louable dans la suavité du Christ. Mais si on ne
doit jamais être appelés à autre chose, il ne faudra plus manger,
on n’aura plus à préparer la nourriture quotidienne. Si la faiblesse
humaine oblige le serviteur de Dieu à quitter momentanément ces
activités spirituelles, pourquoi ne pas réserver certaines heures pour
observer les préceptes apostoliques ? Car une seule prière d’un
obéissant est exaucée beaucoup plus vite que dix milles prières
d’un méprisant. »
Le troisième fondement vient de la coutume de tous les anciens ordres
religieux. Car Épiphane (hérésie 80), saint Jérôme (épitre
4 à Rustique), saint Augustin (livre 1, chapitre 31, les mœurs de l’église),
Cassien (livre 2, chapitre 3, et livre 3 chapitre 2 sur l’institution
des moines) enseignent que, dans les monastères bien institués, les moines
travaillent de leurs mains, selon la loi de l’apôtre.
Nous répondons, néanmoins, avec saint Thomas (opuscule 19,
et dans 2, 2, question 187, articles 3 et b), et saint
Bonaventure (livre sur la pauvreté du Christ, et son apologie des pauvres
) que les moines ne sont pas plus tenus de se procurer leur nourriture
par le travail de leurs mains que ne sont les séculiers. Et,
nous avons bien l’intention de le démontrer, qu’il s’agisse
d’un précepte ou d’un conseil. Si c’est un précepte, il oblige
autant les séculiers que les réguliers. Car, les préceptes
ont été donnés pour tous. C’est à tous, en effet, qu’il a
été dit : « Si tu veux entrer dans la vie éternelle, observe les commandements.
» Si c’est un conseil, personne n’est donc tenu de travailler
de ses propres mains, sauf ceux qui s’engagent spontanément à l’observation
de ce conseil. Telle est, en effet, la nature de tous les conseils.
Les religieux qui ne reçurent pas ce conseil ne sont donc pas tenus
de travailler manuellement. Car, les religieux ne sont pas
tenus d’observer tous les conseils, mais ceux-là seuls qu’ils
ont choisis spontanément.
Deuxièmement. Si les religieux étaient tenus de travailler
de leurs mains plus que les séculiers, cela viendrait ou d’un
précepte naturel, ou d’un précepte positif. Or, ce n’est ni
l’un ni l’autre. Car, ce n’est pas d’un droit positif, puisqu’aucun
n’existe de tel. Ce n’est pas non plus d’un droit naturel, car le
précepte du travail, en tant qu’il est naturel, oblige doublement :
toujours, ou dans certains cas. Or, il n’oblige pas chaque citoyen
en particulier, mais la république. Cela est évident, car il faut
qu’il y ait des ouvriers, des fermiers, des médecins, des menuisiers,
des juges etc. La pratique de ces métiers ne convient pas
aux moines, car ils ont leur rôle propre, dans la république, qui est
de prier et de psalmodier. On peut dire aussi que tous
sont tenus par ce précepte, mais les séculiers pas moins que les moines.
Car tous les cas ou chacun est tenu de travailler de ses propres mains
ne s’appliquent pas moins aux séculiers qu’aux religieux. Par
exemple, si quelqu’un n’a rien pour vivre, et ne peut licitement rien
avoir qu’en travaillant. Ou bien, si quelqu’un est tenu
de fournir de la nourriture à quelqu’un, et ne peut le faire qu’en
travaillant. Ou bien, si quelqu’un n’est pas capable de fuir
l’oisiveté, ou de surmonter les tentations charnelles, à moins de travailler
corporellement. Or, tous, tant religieux que séculiers, sont tenus
de voir à ce qu’ils ne meurent pas de faim, à fuir le désoeuvrement,
et à surmonter les tentations. Tous sont donc obligés de
travailler de la même manière.
Troisièmement. On tire une preuve des arguments qu’on nous
oppose. Tout d’abord, l’apôtre n’écrivit pas à des moins,
mais à des séculiers, et cela, surtout selon l’opinion de nos
adversaires, qui enseignent qu’alors, les religions n’avaient pas encore
commencé. Ensuite, dans ces textes, l’apôtre ne prescrit jamais
le travail en termes généraux, mais seulement pour éviter le vol, le
scandale, ou le farniente. Car, aux Éphésiens 4 il dit :
« Que celui qui vole ne vole plus; qu’il travaille davantage, en faisant
un travail de ses propres mains. Dans 1 Thessal 4, après avoir dit
qu’ils devaient travailler, il en ajoute la raison : « Pour que vous
vous conduisiez honnêtement aux yeux de ceux qui sont à l’extérieur,
et que vous ne désiriez le bien de personne. »
Désirer ici ne signifier pas convoiter, mais manquer de. Car
c’est ce que dit le grec : pour que vous ne soyez pas dans l’indigence.
Car les infidèles se scandalisaient quand ils voyaient les chrétiens
vouloir vivre des biens d’autrui. Et, en 2 Thess 3, après
avoir dit : « Que celui qui ne travaille pas ne mange pas ! », il ajoute
: « J’ai entendu dire qu’il y avait, parmi vous, des inquiets qui
ne travaillaient pas, mais agissaient curieusement. Ceux-là donc
qui peuvent éviter le vol, le scandale et le désoeuvrement
autrement que par un travail manuel, l’apôtre ne les
oblige pas à travailler de leurs mains.
Saint Augustin (dans son livre sur le travail des moines) n’oblige
à travailler de leurs mains que ceux qui, avant de devenir religieux,
vivaient d’un travail manuel, et qui sont capables faire la même
chose sans inconvénient, mais qui s’y refusent par indolence et paresse.
Car, au chapitre 21, il dispense les religieux qui exercent un ministère
ecclésiastique, comme le font, aujourd’hui, les mendiants. Car,
voici ce qu’il dit : « S’ils sont des évangélistes, s’ils sont
des ministres de l’autel, ou des dispensateurs des sacrements,
en vivant des offrandes du peuple, ils ne s’arrogent pas un pouvoir
qui leur est étranger, mais qu’ils peuvent en toute justice revendiquer.
» Tu diras que le pouvoir de percevoir les biens du peuple n’est
accordé qu’aux pasteurs ordinaires. Autrement, les religieux pourraient
percevoir aussi les dimes, ce qui est faux, et contre beaucoup de
canons, comme il appert de la première clémentine sur les
dimes.
Je réponds que, quoi qu’il en soit, --ce que nous verrons
plus tard--, les paroles prononcées par saint Augustin nous suffisent
pour l’instant. Et, de plus. Que les religieux qui
prêchent et administrent les sacrements puissent ou ne puissent pas, en
justice, percevoir les offrandes des fidèles, il suffit qu’ils puissent,
au moins par charité, demander et recevoir des choses temporelles, comme
c’est par charité qu’ils administrent les choses spirituelles,
que le peuple accepte. Ajoutons aussi que, de cette façon, les moines
peuvent travailler de leurs mains. Car, travailler de ses mains, c’est
travailler corporellement, que cela se fasse avec les mains, les
pieds, la langue, ou d’une autre manière. On appelle, en
effet, l’œuvre corporelle œuvre des mains, parce que la main est l’instrument
principal avec lequel on travaille. Voilà pourquoi les auriges,
les marins et les coureurs, sont dits travailleurs manuels, car on
appelle ouvriers manuels ceux qui font un travail corporel, même s’ils
n’emploient pas plus les mains que les pieds dans leur travail.
Ceux qui chantent dans une chorale, ceux qui font des discours en public,
ceux qui écoutent des confessions peuvent tous être appelés travailleurs
manuels.
Donc, seuls les contemplatifs qui ne s’occupent que d’eux-mêmes,
ne travaillent pas de leurs mains. Parmi ceux-ci, saint Augustin
dispense de l’obligation de travailler manuellement tous
ceux qui, dans leur vie, furent riches, et ont donné leurs biens
aux pauvres. Car, à ceux-là l’Église doit donner le vivre et
le vêtement, puisqu’ils ont donné tous leurs biens à l’Église
dans ses pauvres. C’est ainsi qu’il parle (au chapitre 25) :
« S’ils font eux-mêmes un travail manuel pour enlever toute excuse
aux paresseux de basse extraction, ils agissent avec plus de miséricorde
encore que quand ils distribuèrent tous leurs biens aux pauvres.
Mais, s’ils ne le veulent pas, qui osera les forcer ? » Et (au
chapitre 21) il raconte qu’il y en a eu beaucoup de ce genre, parmi ceux
qui avaient donné tout leurs biens aux pauvres. Quand ils eurent
faim, ils ne se sentirent pas obligés de travailler
de leurs propres mains, mais leur misère fut soulagée par les aumônes
des Grecs. Seuls donc demeurent les religieux qui, dans le siècle,
vivaient de leur travail, et qui, en religion, ne s’occupent que d’eux,
non du peuple. Ce sont ceux-là que saint Augustin oblige à travailler
de leurs mains.
Mais il ne les oblige pas absolument, mais seulement si
un bien supérieur ne les empêche pas de travailler, et s’ils ne tombent
pas dans un farniente dangereux. Car, si un de ceux-là peut toujours
prier ou lire, et désire vivre ainsi, et trouve quelqu’un
qui le nourrira gratuitement, pourquoi ne pourrait-il pas le faire
? Car, c’est ainsi que vécut pendant trois ans saint Benoit, comme
l’atteste saint Grégoire (livre 1, chapitre 1 des dialogues), et Alexis,
pendant toute sa vie (selon Métaphrastes). Là où saint
Augustin (chapitre 17 du même livre) dit que l’oraison, la psalmodie,
la lecture et la parole de Dieu ne doivent pas dispenser quelqu’un du
travail manuel, il précise qu’il ne parle pas de l’oraison assidue,
ni de la psalmodie continuelle, et publique, des sermons et de l’explication
publique de la parole de Dieu qui occupent l’homme tout entier,
mais de l’oraison, de la psalmodie de la lecture privées et occasionnelles,
qui exigent un grand loisir.
Et, au chapitre 21, il dit blâmer les moines qui viennent à
un monastère au sortir d’une condition servile, pour fuir une vie de
labeur, et qui sont nourris et vêtus à ne rien faire, et qui sont en
plus honorés par ceux qui avaient coutume de les mépriser et de les fouler
aux pieds. C’est d’eux qu’il dit au chapitre 25 : « Il ne
convient en aucune façon que, dans cette vie où se rendent laborieux
des sénateurs, deviennent paresseux des porte-faix; et que là où
viennent , après avoir abandonné leurs délices, ceux qui furent
les intendants du Seigneur, les rustres deviennent des exigeants.
Et, au chapitre 28, il dit : « Montrez aux hommes que vous ne cherchez
pas le royaume de Dieu gagné facilement dans le désoeuvrement,
mais par la porte étroite. »
Au troisième argument qui porte sur la coutume antique des monastères,
je dis que ces moines ont été obligés de travailler de leurs propres
mains par leurs règles elles-mêmes. Pourquoi a-t-on confectionné
de telles règles, on peut en donner deux raisons. Une première.
Car, on ne pouvait pas se sustenter autrement, car ils n’avaient pas
de patrimoines ou de terres qui rapportaient. Et quand
les moines sont devenus très nombreux, on n’osait plus demander des
aumônes au peuple, car le peuple n’aurait pas accepté, et que
ces offrandes n’auraient pas suffi. Car, en un certain endroit,
un seul abbé avait la gouverne de mille moines, comme saint Augustin
le rapporte (livre 1, chapitre 31, des mœurs de l’Église.)
Une autre raison est que ces moines, à part l’abbé,
n’étaient pas des prêtres, mais des laïcs. Sans travail manuel,
ils n’auraient pas été suffisamment occupés. Il fallait donc
les faire travailler pour fuir le désoeuvrement. Voici de que dit
saint Jérôme (dans son épitre à Rustique) : « Les monastères d’Égypte
ont cette coutume de ne recevoir personne sans les faire travailler manuellement,
non pas tant à cause de l’obligation de se procurer de la nourriture,
qu’à cause du salut de l’âme, pour que leur esprit ne vagabonde
pas dans des pensées pernicieuses. »
Mais on ne peut pas dire que, comme règle générale, tous les
anciens religieux ont travaillé de leurs mains. Voici ce qu’écrit
Sulpice Sévère au sujet du monastère (dans sa vie de saint Martin, chapitre
7) : « Personne n’avait là rien en propre. Tout était mis en
commun. Il n’était permis à aucun moine d’acheter ou de vendre,
comme c’était le fait de beaucoup de moines. À l’exception
des copistes, aucun art n’avait là sa place. » À ce travail, on affectait
les plus jeunes; les plus âgés s’adonnaient à l’oraison. »
Tu vois là que seuls les plus jeunes travaillaient de leurs mains, et
cela, non pour se procurer de la nourriture (car, comme il ne leur était
pas permis de vendre, ils vivaient des biens qu’ils apportaient en entrant),
mais pour fut l’oisiveté. Et ni les premiers moines sous
les apôtres à Jérusalem, ni les premiers d’Égypte ne travaillaient
de leurs propres mains, comme le montrent les actes (3, 4),
et le livre de Philo sur la vie contemplative.
CHAPITRE 43
Il est permis aux moines de vivre en commun des biens patrimoniaux.
On ne peut avoir aucun doute sur la deuxième manière de vivre, car
telle fut la vie des premiers religieux, sous les apôtres, (actes
4). Chacun apportait aux apôtres le prix de leurs biens, et on le
répartissait selon les besoins de chacun. Tel fut également l’usage
des anciens monastères. Ils recevaient ce que voulaient mettre en commun
ceux qui devenaient moines, comme le montre saint Augustin (dans sa lettre
109 aux vierges consacrées). Voici ce qu’il dit : « Quand
entraient dans un monastère celles qui avaient quelque chose dans le siècle,
elles le mettaient volontiers au commun. » De même (dans le sermon
2 sur la vie des clercs) : « Ils vivent avec nous dans une société commune,
et personne ne distingue des autres ceux qui ont apporté quelque
chose. » Et (dans le livre de l’œuvre des moines, chapitre 25),
il dit : « Les riches ne sont pas tenus au travail des mains, car ils
ont apporté leurs biens au monastère. » Saint Benoit (dans
la vie de saint Placide) écrit : « Les biens qui appartenaient aux moines
il ne leur était pas permis de les remettre à d’autre qu’à leurs
monastères, pour pouvoir par là nourrir plusieurs serviteurs de Dieu.
» Saint Bernard (dans son épitre 1 à Robert : « On montre une
terre que l’on dit avoir été donnée avec lui et pour lui. »
C’est de là que sont nées les lois de Justinien (dans authenticis,
col 1, const 5, verset illud quoque, et la colonne 9, const 15, verset
si qua mulier) qui statuent que « les biens de ceux qui deviennent moines
appartiennent, par le fait même, aux monastères dans lesquels ils entrent.
» Même si, en ce temps-là, beaucoup de religions renoncèrent
à ce privilège.
CHAPITRE 44
Il est permis aux moines de vivre de choses offertes et données spontanément
Sur la troisième façon, aucune question ne devrait se poser, car,
saint Augustin (psaume 103, sermon 3) expliquant « les moineaux nichèrent
dans les cèdres qu’il avait plantés », dit que les cèdres sont
des hommes puissants et riches; les oiseaux des religieux pauvres.
Que les oiseaux fassent leurs nids dans les cèdres, cela signifie que
les monastères sont construits et entretenus par les riches de ce siècle
: « Les cèdres du Liban, les nobles et les riches, les grands de
ce siècle, quand ils entendent avec crainte : « bienheureux celui qui
comprend les besoins de l’indigent et du pauvre », prennent leurs biens,
leurs villas, et toutes leurs richesses superflues qui leur donnent un
rang supérieur, et les offrent aux serviteurs de Dieu. Ils
donnent des jardins, ils construisent des églises et des monastères,
recueillent les moineaux, pour qu’ils nichent dans les cèdres
du Liban. » Saint Jérôme (épitre 27 à Eustochius sur la
mort de Paule), loue sainte Paule parce que, avec son patrimoine, elle
avait construit et entretenu quatre monastères, et avait attribué à
chacun des revenus et des propriétés, six en Sicile, et un à Rome.
On pourrait présenter de nombreux exemples semblables, comme Charlemagne,
Charles 1V, Henri 11, et d’autres grands rois.
CHAPITRE 45
Il est permis
aux moines de vivre de la mendicité
La plus grande difficulté se trouve dans le quatrième mode de vie.
Les ordres mendiants, en effet, ont été combattus âprement.
Le premier fut Guillaume de saint amour, selon Antonin (part 4, tit 11,
chapitre 7, verset 5). Le deuxième Désiré Longobard, selon
saint Thomas (opuscule 13). Le troisième, Gyrald de Abbatis,
selon saint Bonaventure (au début de son apologie des pauvres. Le
quatrième Jean Wiclef, selon Waldensem (livre 4, article 2 sur la
foi doctrinale). Le cinquième, Richard, évêque d’Armacan (sermon
4), et enfin, Luther (dernier article), Brentius (dans sa confession
de Wirtemberg, chapitre des vœux monastiques). Tous ces auteurs
enseignent que sont en dehors de l’état du salut ceux qui se réduisent
volontairement à la mendicité, parce qu’ils s’exposent au péril
de mourir de faim, parce qu’il ne leur est pas permis, à moins d’être
malades, de demander une aumône qui n’est due qu’à ceux qui
ne peuvent pas s’aider eux-mêmes. Et aussi parce que la loi divine
condamne et interdit la mendicité volontaire.
Néanmoins, beaucoup de souverains pontifes ont approuvé la vie religieuse
des mendiants, en la déclarant sainte et parfaite. C’est
ce qu’ont enseigné Innocent 111, au témoignage de Bonaventure,
Honorius 111, Grégoire 1X, Innocent 1V, Alexandre 1V, et Nocolas 1V,
comme le rapporte Jean XX11 dans extravaganti, (quia quorumdam, de la signification
des mots), le concile général de Lyon, comme le rapporte Nichiolas 1V,
canon exiit, de la signification des mots en 6, et le concile
de Constance (session 8). Que cette vie ait été approuvée
en toute justice, nous le montrerons par les raisons suivantes.
La première, l’exemple du Seigneur. Car le Seigneur ne possédait
pas de biens, ni personnellement, ni en commun, comme nous le révèle
ce passage de Luc 9 : « Les loups ont leurs tanières, et les oiseaux
du ciel leurs nids. Le fils de l’homme n’a pas où poser sa tête.
» Et qu’il n’ait pas travaillé de ses mains mais ait vécu
de l’aumône des fidèles, c’est encore Luc qui nous le montre
: « Certaines femmes le servaient avec leurs biens personnels. »
On constaterait la même chose si on regardait toute sa vie.
Il est né dans une maison étrangère, vécut de biens étrangers
dans des maisons étrangères. Il mangeait tantôt chez Marthe,
tantôt chez Simon le pharisien, tantôt chez Zachée, ou dans la maison
de la belle-mère de Pierre, ou dans celle de Matthieu. Il a chevauché
avec l’âne d’un autre; a été enseveli dans le sépulcre d’un autre.
Le psaume 39 dit de lui : « Je suis un mendiant et un pauvre. »
Et le psaume 108 : « Car il a persécuté un homme indigent et pauvre.
»
Dans ces textes se trouve le mot hébreu mendiant, que l’on trouve
au Deutéronome 15 : « Qu’il n’y ait pas chez toi de mendiant. »
C’est ce texte qu’ils allèguent ceux qui prétendent que la mendicité
est illicite. Et il est certain que l’un et l’autre psaume doivent
s’entendre du Christ. Car saint Paul attribue le premier au Christ
(Hébreux 9) : « au début du livre il est écrit au sujet de moi ».
Et l’autre texte, c’est saint Pierre qui en fait l’interprétation,
(actes 1) : « Il est écrit, dans le livre des psaumes, qu’un
autre reçoive son épiscopat. » De même 2 Corinthe 8 : « À cause
de vous il s’est fait indigent, alors qu’il était riche. »
En grec, eptôxeuse signifie mendier. Et même dans Homère
(Odyssée 17) : daita ptôxonein : mendier un repas.
Armacanus répond à cela que Jésus fut pauvre, mais non un mendiant;
et pauvre, non par amour de la pauvreté, mais parce que l’exigüité
de son domaine l’exigeait. Car, il dit que le Christ a succédé
à Adam dans le domaine originel, à qui il répugnait autant
d’avoir quelque chose en propre que de mendier. Car, Adam,
dans l’état d’innocence, fut le maître de tous les biens terrestres,
mais de telle sorte qu’il ne pouvait mettre à son usage que les choses
nécessaires, sans pouvoir s’approprier quoi que ce soit. Car,
la division est née après le péché. Voilà pourquoi dans l’état
d’innocence, il n’y eut pas de richesses propres à quelqu’un,
et il n’y eut, non plus, ni indigent, ni pauvre. Donc, comme le
Christ est né avec la justice originelle, il avait le même domaine
qu’Adam, et c’est pour cela qu’il lui répugnait autant de posséder
quelque chose qui n’aurait appartenu qu’à lui, que de mendier.
Comme tout lui appartenait, son domaine fut restreint quand à l’usage,
parce qu’il a du être sous la loi. Il fut donc pauvre parce qu’il
ne put pas user de son pouvoir originel, la loi civile y faisant obstacle.
Mais toutes ces considérations vont ouvertement contre les Écritures.
Et d’abord, parce que le Christ a été un vrai mendiant, et ne fut pas
privé non seulement de l’usage, mais de la possession temporelle des
choses terrestres. Car le domaine (pouvoir) originel sur les
biens commun a péri par la division des biens justement introduite.
Le Seigneur n’accepta pas non plus le pouvoir politique à la façon
humaine, même s’il conserva toujours le pouvoir divin.
Voilà pourquoi il fut vraiment pauvre, comme les psaumes et l’apôtre
nous le montrent. Il fut vraiment le propriétaire , au moins en
commun avec ses apôtres, des biens qu’on lui donnait comme
à un mendiant. Car que le Seigneur ait le été le propriétaire civil,
au moins en communion avec ses apôtres, de l’argent qu’on lui donnait,
saint Jean (12) nous le laisse entendre quand il dit que Judas était
un voleur qui usurpait les pièces d’argent déposées dans des coffres.
Car si le Christ n’était ni le propriétaire ni le maître civil
de cet argent, Judas n’était pas un voleur. Car, par le
seul droit de possession naturel, cet argent n’appartenait pas
plus au Christ que toutes les autres choses.
De plus, que ce soit par l’amour de la pauvreté et non par la petitesse
de son domaine que Jésus ait été pauvre, cela est évident.
Car qui l’a obligé de descendre sous la loi ? N’est-ce pas quelque
chose qu’il a choisi spontanément ? Il aurait certes pu ne pas le choisir
s’il avait haï la pauvreté. Ensuite, même étant sous la loi,
ne pouvait-il pas s’enrichir s’il l’avait voulu? Les
foules ne voulaient-ils pas le faire roi ? Pourquoi donc n’avait-il
pas, et cela spontanément, où poser sa tête, s’il n’aimait
pas la pauvreté ? Et pourquoi saint Paul appelle la pauvre une grâce
du Seigneur, s’il a été indigent par nécessité, et non par amour
?
Armacanus dit ensuite : même si le Christ avait quêté,
il ne nous serait pas permis, pour autant, de mendier, car il faudrait
placer cela parmi les choses admirables et non imitables, comme quand
il a jeûné pendant quarante jours sans aucune nourriture. Or la
mendicité peut se faire sans miracle, comme l’expérience l’enseigne,
mais un long jeûne sans aucune nourriture, cela ne se peut sans
miracle. Or, le Christ ne nous a pas conseillé de jeûner
sans manger, afin de l’imiter, mais il nous a conseillés de l’imiter
dans sa mendicité, quand il a dit en Matthieu 19 : « Si tu veux être
parfait, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et
suis-moi. »
On le prouve ensuite par l’exemple des apôtres. Car, ils abandonnèrent
tout. Matthieu 19 : « Voici que nous avons tout abandonné
pour te suivre. » Ils n’avaient pas non plus de possession en
commun, comme on le voit dans Matthieu 18 : « Ne possédez ni or,
ni argent dans votre ceinture, ni deux tuniques. » Ils ne travaillaient
pas non plus de leurs mains, mais vivaient de la générosité de
ceux à qui ils prêchaient (Matt 10, 1 Corinth 9). Telle est la
vie des mendiants. Voilà pourquoi saint François qui, avec saint
Dominique, a été le premier fondateur de ce mode de vie, a pris pour
règle le dixième chapitre de saint Matthieu.
Ils répondent à cela que la vie apostolique a été instituée par
le Christ pour un certain temps seulement, pendant qu’il prêchait avant
sa passion. Car, en Luc 22, il révoqua ces préceptes en disant
: « Quand je vous ai envoyés sans sac et sans sandales, avez-vous manqué
de quelque chose ? Mais que celui qui a un sac le prenne maintenant.
Il a eu aussi des maisons où demeurer, et de l’argent à la fin
de sa vie, comme on le voit en saint Jean (12, et 13), ce qui nous fait
penser qu’il avait abrogé ce qu’il avait dit en Matthieu 10
(ne possédez ni or…).
Ils nous objectent ensuite que ce fut un précepte et non un
conseil évangélique; qu’il n’appartient donc pas aux mendiants
qui disent suivre des conseils. Troisièmement.
C’est sur l’ordre du Seigneur que les apôtres demandaient de
la nourriture au peuple (Matthieu 10) : « L’ouvrier est digne de son
salaire. » Et saint Paul (1 Cotinth 9) : « Qui jamais milite à ses frais
? » Ils ne mendiaient donc pas. Or, nos mendiants ne demandent
pas et ne peuvent pas obtenir de la nourriture en justice.
Je réponds à la première objection. Que ce soit pour un certain
temps, que le Christ ait institué cette vie, ou que ce ne le soit
pas, on peut en déduire en toute sureté qu’elle est licite, sainte
et digne d’être imitée, à moins de penser que le Christ ait, pendant
un certain temps, institué une vie illicite. Ensuite, il n’est
pas vrai que le Christ ait révoqué cette institution en tant que mode
de vie. Il a révoqué, il est vrai, ce qu’il avait dit : n’allez
pas sur les routes des païens. Mais le commandement de ne pas avoir
d’argent dans sa ceinture, il ne l’a jamais révoqué, comme il appert
en 1 Cor 9.
Quand il leur a dit (Luc 22 : Maintenant, celui qui a un sac, qu’il
le prenne ! il ne leur a pas donné un ordre à exécuter, mais il leur
a prédit que, au temps de sa passion, ils seraient dans une telle
crainte et une telle perturbation qu’ils deviendraient comme ceux
qui ne se fient à aucun ami. Ils penseront à eux, vendront
leurs tuniques pour acheter un glaive. Aucun endroit où le
Seigneur a logé ne répugne à ces paroles : ne possédez ni or.
Car, comme Nicolas l’explique (dans le chapitre exit, la signification
des mots, dans le sexto) le Seigneur a voulu approuver par son exemple
l’une et l’autre vie : celle qui n’a rien, ni en particulier ni en
commun (sauf le simple usage des choses données), et celle qui possède
quelque chose en commun. En en instituant une, il n’a pas détruit
l’autre.
Au deuxième argument, je dis que ces paroles ne sont pas des
préceptes, mais des conseils et une instruction pour les apôtres et les
prédicateurs; et, pour le peuple, une directive et un précepte,
comme on le voit en saint Paul (1 Corinth 9) où il dit que le Seigneur
a ordonné que ceux qui annoncent l’évangile vivent de l’évangile.
On peut déduire de ce texte que le peuple est tenu de nourrir les évangélistes,
même quand il dit qu’il ne s’est pas prévalu de cette prérogative.
On peut en déduire aussi qu’il n’a pas été prescrit
aux prédicateurs, sous forme de commandement, de vivre des biens
du peuple.
Au deuxième argument, je dis que, en vertu de l’ordre de Jésus,
les apôtres ont pu demander de la nourriture au peuple, tantôt
au nom de la justice, tantôt au nom de l’équité, tantôt au nom de
l’amour de Dieu. Il est bon de noter, à ce sujet, que selon Aristote
(livre 8, chapitre 13 de l’Éthique) il y a deux justices : une légale,
l’autre morale. On l’appelle légitime ou légale quand,
en vertu d’une loi ou d’un pacte, quelqu’un est tenu de rendre quelque
chose à quelqu’un. On l’appelle morale quand, sans pacte et
sans loi, quelqu’un travaille pour un autre, de sorte que se manifeste
une sorte d’obligation de compenser pour le travail, sans que personne
ne puisse être forcé à faire la dite compensation. C’est
ainsi que le Seigneur a ordonné à ceux qui prêchent l’évangile,
de vivre de l’évangile.
Mais c’est un précepte de justice rigoureuse qui oblige le
peuple fidèle envers les pasteurs ordinaires. Quand
quelqu’un a été nommé pasteur, le peuple peut l’obliger à
administrer les sacrements, et le pasteur peut obliger le peuple à donner
des subsides temporels. Et c’est de cette façon que les apôtres
et les évêques peuvent forcer le peuple à payer les dépenses.
Mais, en ce qui a trait à un peuple non fidèle ou à un pasteur
non ordinaire, cette détermination ne vaut pas en rigueur de justice,
mais comme équité, ou justice morale. Voilà pourquoi quand les
apôtres enseignaient le peuple du vivant du Christ, ils ne pouvaient pas
obliger les fidèles à payer les dépenses, car le peuple n’avait pas
encore reçu l’évangile, et les apôtres n’étaient pas encore des
pasteurs ordinaires. Les Juifs n’étaient pas encore tenus
de les reconnaître comme prêtres, et de leur payer la dime. Les
apôtres recevaient donc les offrandes des fidèles en vertu
de la justice morale, et ils la demandaient au nom de la charité.
Or, les religieux mendiants qui sont envoyés prêcher
par le pape et administrer les sacrements, pouvaient faire un pacte
avec le souverain pontife, ou avec le peuple au sujet de l’acceptation
des offrandes, et pouvaient ensuite les exiger en rigueur de justice.
Ils pouvaient aussi être envoyés par le pape de la façon dont
le Christ avait envoyé ses apôtres aux Juifs, avant que la loi
ancienne ne cesse, de façon à pouvoir demander des subsides au nom d’une
certaine équité. Car, l’ouvrier mérite son salaire; et celui
qui annonce l’évangile vit de l’évangile. Car, le Christ
n’a pas dit que celui qui est un évangéliste ordinaire est digne de
son salaire, mais quiconque travaille licitement. Et tel est
l’enseignement de saint Augustin (les œuvres des moines, chapitre 21).
Il semble préférable pourtant que le pontife qui envoie et ceux
qui sont envoyés ne demandent rien en vertu de la justice ou de l’équité,
mais qu’ils administrent les sacrements pour la seule charité.
On le prouve en troisième et dernier lieu par les faits, car ce genre
de vie a été confirmé par d’innombrables signes et prodiges que Dieu
a opérés par saint François et saint Dominique, les auteurs de
cette forme de vie, et par la conversion des Gentils, la réfutation
des hérétiques , la piété du peuple chrétien, la conservation de la
théologie, et d’innombrables autres biens qui proviennent en grande
partie des ordres mendiants.
CHAPITRE 46
On réfute les objections
On nous objecte plusieurs arguments en sens contraire, mais tous peuvent
se réduire à sept. Le premier. La mendicité est prohibée de droit
divin et humain. De droit divin (Deutéronome 15) : « Qu’il n’y
ait absolument pas d’indigent et de pauvre parmi vous ! »
De droit humain (le canon sur les mendiants valides, livre 2, chapitre
25). Je réponds au sujet de la loi divine. Il est certain
que cette loi ne prohibe pas la mendicité ou la pauvreté, puisqu’on
lit au même chapitre : « Il ne manquera pas de pauvres dans ta terre.
» Ne vaut pas plus l’explication de Lyre qui dit que, «
par les premières paroles, sont prohibés les mendiants publics,
et par les autres, les pauvres qui bien que manquant du nécessaire,
ne doivent cependant pas mendier, mais être secourus par les riches
». Cette réponse ne vaut pas car, dans l’une et l’autre phrases
le même mot est employé, qui signifie proprement mendiant en hébreu,
et qui doit donc être traduit littéralement : « il ne manquera pas de
mendiants sur ta terre », comme : « qu’il n’y ait pas de mendiant
parmi vous ! »
Et de plus, chez les Juifs, il y avait beaucoup de mendiants
: Jean 9, le mendiant aveugle, et actes 3 le mendiant boiteux,
à la porte du temple. À la phrase : « qu’il
n’y ait pas de pauvres parmi vous », je donne deux réponses.
La première. Ces paroles ne prohibent pas la mendicité,
mais le luxe ou le superflu, pour que personne ne soit mendiant.
Ce sens convient parfaitement à ce qui suit : « Car le Seigneur ton Dieu
te bénira. » Cette promesse ne répugne pas non plus aux
paroles suivantes : « il ne manquera pas de mendiant dans ta terre »,
puisque c’était une promesse conditionnelle. Car,
voici ce qui vient tout de suite après cette promesse : « si toutefois
tu écoutes la parole de ton Dieu, et conserves tout ce qu’il t’a
ordonné. » Et comme Dieu savait que cette condition ne serait pas
observée, il prédit qu’il ne manquera jamais de mendiants,
et il demande de leur faire du bien.
On peut dire ensuite, avec saint Thomas, (dans son opuscule sur ceux
qui attaquaient la vie religieuse) que cette loi interdit la mendicité
non aux mendiants, mais aux riches. Car, Dieu n’interdit pas aux
pauvres la mendicité, puisqu’il dit plus bas que ne manqueront
jamais les mendiants, mais il prescrit aux riches de pourvoir, selon
leurs moyens, aux besoins des pauvres, pour que personne ne soit forcé
de mendier. La première réponse est quand même la meilleure.
Car si le Seigneur avait ordonné aux riches de ne pas permettre aux pauvres
de mendier, les riches auraient péché en permettant, au temps du Christ,
aux pauvres de mendier. Or ne lit jamais que le Christ ou les apôtres
leur ait reproché cela. De plus, si le Seigneur avait interdit là
aux riches de ne pas permettre la mendicité, comment pouvait-il, au même
endroit, prescrire aux riches de faire l’aumône aux pauvres ?
La loi civile, elle, parle de ceux qui quêtent pour vivre dans l’oisiveté,
ou pour accumuler de l’argent etc, sans être pour le peuple d’aucune
utilité. Voilà pourquoi elle les appelle désoeuvrés.
Au deuxième argument, je réponds que l’Écriture déplore
que la mendicité soit la cause de beaucoup de maux. Proverbe
30 : voici ce qu’a dit celui qui est avec Dieu : « Ne me donne ni la
mendicité ni la richesse. Accorde-moi seulement la nourriture nécessaire,
de peur que, rassasié, je me laisse entraîner à nier, et dise : qui
est le Seigneur; ou que, poussé par l’indigence, je vole
et parjure le nom de mon Dieu. » Ecclésiastique 17 : « À cause
de l’oisiveté, beaucoup sont devenus délinquants. » Psaume 36
: « Je n’ai pas vu le juste abandonné ni sa descendance quêtant
du pain. » Psaume 108 : « Ses fils seront transférés et mendieront.
» Je réponds qu’on parle là de la mendicité involontaire.
Car, celui qui mendie parce qu’il est forcé de le faire, et qui
ne pense qu’aux richesses, il en arrive facilement au vol et à
quelque chose de pire.
Au premier texte cité, on peut donner deux réponses.
La première. C’est un sage qui parle dans la personne des
malades qui sont nombreux dans l’Église. Car à eux nuisent
énormément et une trop grande richesse et une trop grande indigence.
Mais pour les parfaits, comme saint Paul, qui savent vivre dans l’abondance
et dans la misère, la richesse et la pauvreté sont des instruments
de vertus, comme on le voit dans la personne de Job, qui avait
expérimenté l’une et l’autre. Voilà pourquoi saint Jean Chrysostome
(dans son homélie 18, sur l’épitre aux Hébreux) et saint Ambroise
(dans son sermon 8 sur le psaume 118) disent que ces paroles de Salomon
convenaient aux hommes de l’ancien testament qui étaient imparfaits.
La deuxième réponse. Dans ce passage, le sage ne récuse
pas une mendicité quelconque, mais celle-là seule qui est exposée aux
dangers, ce que n’est pas celle des moines mendiants. Car,
ils savent, eux, que ne leur feront pas défaut les choses vraiment
nécessaires, autant à cause de la promesse du Seigneur (il recevra le
centuple et aura la vie éternelle : Matth 19) qu’à cause de la dévotion
du peuple, dont ils sont surs de recevoir les choses temporelles,
quand ils lui donnent les spirituelles. Bien plus, les moines semblent
demander à la lettre ce que le sage demandait. Ils ne veulent, en
effet, pas de richesses, et c’es pour cela qu’ils les laissent;
et ne veulent pas non plus la mendicité périlleuse, qui fait mourir de
faim. Et c’est pour cela qu’ils demandent à Dieu, comme le sage,
de ne leur accorder que ce qui est nécessaire.
Le psaume 36 (je n’ai pas vu de juste…) est difficile à comprendre.
Car, Élie était juste, et pourtant il quêta son pain quand il le demanda
à la veuve (3, rois 17), et David était un juste quand il demanda du
pain à Abimélech (et rois 21), et Lazare était un juste quant il demandait
des miettes de pain au mauvais riche (Luc 16). Saint Jérôme et
saint Augustin l’entendent du pain spirituel. Cajetan et
Lyre disent que le psaume parle de ce qui arrive la plupart du temps.
Tilmann suggère de référer « abandonné » à descendance cherchant
du pain : ni sa descendance cherchant du pain abandonnée.
Il est certain que le mot chercher ne signifie pas ici chercher n’importe
comment, mais avec préoccupation et anxiété, comme font ceux qui cherchent
longtemps et trouvent à peine. Voilà pourquoi nous avons
en hébreu un mot qui signifie chercher avec intensité.
Le troisième argument. Les richesses modérées sont nécessaires,
ou au moins très utiles, à la vie bienheureuse et parfaite sur cette
terre, car l’ecclésiastique 7 dit : « La sagesse est meilleure
avec les richesses, et plus utile aux vivants, car comme la sagesse protège,
l’argent protège aussi. » Actes 20 : « Il est plus beau de donner
que de recevoir. » Et Aristote (livre, chapitre 8 des éthiques)
: « les richesses sont nécessaires à la félicité. » Je
réponds que la richesse et le dénuement ont leurs avantages et leurs
inconvénients. La richesse est avantageuse parce qu’elle donne
lieu à la libéralité, et parce qu’elle libère de la préoccupation
constante de chercher la nourriture quotidienne. Mais elle
est aussi désavantageuse parce qu’on ne peut pas la posséder sans avoir
la crainte constante de la perdre par le vol, la fraude, la mauvaise
gestion ou la dévaluation.
La pauvreté, à l’opposé, est profitable en tant qu’elle donne
une matière à la patience, et libère du souci de la conservation et
de la gestion des biens; mais elle est désavantageuse en tant qu’elle
oblige à chercher le pain quotidien. Mais, tout compte fait,
le bien qu’apporte la pauvreté volontaire semble plus grand que celui
qu’apportent les richesses; et le mal qu’apporte la pauvreté
semble moins grand que celui qu’apportent les richesses. Et surtout
pour ceux qui évangélisent par mandat ecclésial, et qui doivent administrer
les sacrements. Et c’est pour cela que le Seigneur a conseillé
à ses apôtres ce genre de vie (Matthieu 10), comme les apôtres eux-mêmes
l’attestent (actes 6).
Au passage de l’ecclésiastique, je réponds qu’il
n’a pas voulu dire que la sagesse était meilleure avec les richesses
que sans les richesses, mais que la sagesse avec richesses était
meilleure que les richesses sans la sagesse. C’est ce qu’enseigne
Tilmann, et avec raison. Car, en hébreu on n’a pas le comparatif
« meilleur », mais l’adjectif « bon » : « bonne est la sagesse avec
des richesses ». Ce qui ne peut pas signifier qu’elle est
mauvaise sans les richesses, mais plutôt que sans elle les richesses sont
mauvaises. Et il le prouve cela en disant : car, comme la sagesse
protège, l’argent protège aussi. Mais les deux diffèrent
en ceci que la sagesse accorde la vie à son possesseur. C’est
comme s’il disait que même si, dans cette vie, les richesses protègent
de beaucoup d’afflictions, seule la sagesse procure la vie;
et donc, sans sagesse, les richesses sont de peu de valeur. Au passage
des actes (20) je réponds que, toutes choses égales par ailleurs, il
vaut mieux tout donner en une seule fois pour le Christ, et
recevoir ensuite quelque chose de modique, que de donner un peu et de ne
rien recevoir. Et semblablement, il est plus beau de recevoir des
choses temporelles pour pouvoir plus commodément et facilement donner
les choses spirituelles, que, en ne recevant rien, être empêché
de donner les spirituelles.
Au texte d’Aristote, je réponds qu’il parle de la félicité humaine
qui a besoin de beaucoup de choses. Car, la félicité chrétienne
n’a pas besoin de ces richesses terrestres, puisque sa vision consiste
toute en Dieu. Et pour l’atteindre ne sont pas vraiment nécessaires
les richesses, car on parvient au royaume éternel plus facilement
par l’humilité et la patience, que par les biens terrestres.
J’ajoute ensuite qu’Aristote parle d’un politique, qui doit
vivre dans une cité, avoir une femme et des enfants, et qui veut
gérer la république avec d’autres. À ces hommes, on ne
peut pas nier que les richesses sont nécessaires. Mais si quelqu’un
voulait vivre pour lui seul, et s’adonner à la contemplation, il jugera
inutiles les richesses qu’Aristote trouvait nécessaires.
Le quatrième argument. Se réduire soi-même à un dénuement
extrême est un vice, car la vertu consiste dans le milieu, et les vices
dans les extrêmes. Or, donner quelque chose est un milieu;
ne rien donner est un extrême. De plus, on le confirme avec
Paul 2 Cor 8 : « Si est prompte la volonté de donner selon ce que l’on
a, non selon ce qu’on n’a pas, elle est acceptée. Non
pour que l’aide apportée aux autres soit pour vous une tribulation,
mais pour assurer l’égalité. » Je réponds que le milieu
dans la vertu, à l’exception de la justice, ne réside pas dans les
choses considérées dans l’absolu, mais dans leur relation à
la raison et à toutes les circonstances. Par exemple, le milieu
dans la tempérance ne consiste pas à manger un pain, et les extrêmes
à en manger deux ou aucun. Mais le milieu est d’en manger autant
que la raison t’indique qu’il faut en manger en ce moment.
Ce qui est pour toi un milieu, pourra donc être un extrême pour un autre.
C’est ainsi que tout donner est quelque chose d’extrême
et de vicieux pour un père de famille, qui a le devoir de nourrir
sa femme et ses enfants. Mais à celui qui a décidé de renoncer
au monde, et de ne s’adonner qu’à l’oraison et à la prédication,
c’est un juste milieu que de tout donner. Et les extrêmes
seront de ne donner que peu de chose ou rien du tout. Et voilà
réfutée la confirmation, car saint Paul s’adressait à des hommes séculiers
soutiens de famille.
Tu diras que tout donner est un juste milieu pour celui
qui veut renoncer au monde avant le voeu ou seulement après le vœu.
Si c’est avant le vœu, il pèchera s’il ne donne pas tout, même
s’il n’a fait aucun vœu de pauvreté. Car, les extrêmes s’opposent
au milieu de la vertu. Si c’est seulement après le vœu,
il ne peut pas vouer la mendicité, car on ne peut vouer que ce qui peut
se vouer justement, seulement ce qui est en soi l’acte d’une
vertu. Je réponds que les conseils évangéliques avant le
vœu ne sont pas des actes de vertus spéciales, mais des actes parfaits
de vertus communes comme la libéralité, la chasteté, l’obéissance.
Or, aux actes parfaits ne s’opposent pas des actes vicieux, mais des
actes moins parfaits. Et le milieu d’un acte parfait
n’a pas d’extrêmes vicieux, mais des extrêmes moins parfaits.
Or, après le vœu, les mêmes actes sont les actes nécessaires des vertus
spéciales, auxquelles s’opposent les vrais vices spéciaux.
Le cinquième argument. Celui qui se réduit lui-même à la
mendicité s’expose au péril de mourir de faim, et tente Dieu,
puisque c’est lui-même qui s’enlève les moyens normaux pour assurer
sa survie. Il ne peut donc pas dire : donnez-nous aujourd’hui notre
pain quotidien, car le Seigneur lui répondrait : « Pourquoi me demandes-tu
un pain que je t’ai déjà donné et que tu as rejeté ? » Je
réponds que s’exposerait à un tel péril celui qui donnerait tout ce
qu’il a en se doutant fort qu’il ne pourrait rien trouver.
Mais les religieux mettent en Dieu leur espoir de ne rien manquer
d’essentiel, comme Dieu l’a promis et l’expérience l’enseigne.
Ils ne tentent pas Dieu non plus, car le moyen ordinaire de conserver
sa vie est le vivre et le boire, qu’ils appartiennent en propre à quelqu’un
ou qu’ils soient donnés. Celui qui rejette les moyens ordinaires
c’est celui qui ne veut pas manger, ou qui ne veut recevoir du pain que
par miracle, comme cela arrive à ceux dont Cassien parle (dans sa conférence
2, chapitre 6). Il ne lui est pas interdit non plus de dire : donnez-nous
notre pain quotidien. Au contraire. C’est eux surtout qui peuvent le
dire puisqu’ils n’ont rien gardé pour eux, afin de suivre le Christ.
Car, si un roi dit à un citoyen riche : laisse là ce que tu possèdes
et accompagne-moi à la guerre, ce citoyen pourra certes en toute
justice demander au roi son pain quotidien.
Le sixième argument. Les religieux mendiants font injure aux
vrais pauvres, car, en Luc 14, il est dit : « Quand tu fais un banquet,
appelle les pauvres, les débiles, les boiteux, les aveugles, qui
ne peuvent pas te payer en retour, et tu seras heureux. » « Dans
ce texte, dit Armacanus, le Seigneur n’ordonne pas d’appeler n’importe
quel pauvre, mais les pauvres débiles, boiteux et aveugles; et pas
n’importe lesquels débiles, mais les débiles pauvres. Car
les pauvres non débiles peuvent rétribuer en travaillant; les débiles
non pauvres peuvent rembourser en donnant. » De plus, l’ordre
de la charité postule qu’on donne plus d’aumônes au plus indigent.
Or, les pauvres débiles sont plus en besoin que les forts que sont
les religieux. Il n’est donc pas permis aux religieux de demander
l’aumône, à moins qu’ils soient malades.
Je réponds que si cet argument prouvait quelque chose,
pècheraient non seulement les religieux mendiants, mais même les clercs
et les monarques, qui vivent de leurs propriétés, qui ne sont ni
débiles, ni boiteux ni aveugles. Car les biens donnés aux monastères
et aux églises, que sont-ils d’autre que des aumônes ? Il est
donc ridicule de prétendre que les pauvres ne sont pas fraudés par les
clercs et les moines qui acceptent comme des aumônes les revenus
de plusieurs milliers de pièces d’or, et sont fraudés par les
mendiants qui acceptent un pain.
À la citation de l’évangile, je réponds que le Seigneur
veut qu’on appelle les pauvres, qu’ils soient débiles ou pas.
Car c’est séparément que sont appelés les pauvres et les débiles.
Car l’apôtre (actes 24) dit avoir apporté des aumônes pour les pauvres
chrétiens qui demeuraient à Jérusalem, qui n’étaient certes ni boiteux
ni aveugles. Et quand le Seigneur dit : appelez ceux qui ne
peuvent rien vous donner en retour, il n’entend pas ceux
qui ne peuvent absolument rien donner en retour, car de telles gens
n’existent à peu près pas, car même les pauvres boiteux peuvent
faire une légère aumône. Il pense à ceux qui ne peuvent pas réinviter
à un banquet semblable, ou donner facilement quelque chose,
de ceux dont a coutume de ne rien attendre. S’il dit : «
N’appelez pas les amis et les voisins riches, de peur qu’ils
t’invitent à leur tour, et que tu reçoives ainsi ta récompense. »
Or, tous les pauvres, même ceux qui sont valides, et qui se procurent
leur nature en travaillant, font partie de ceux qui ne peuvent inviter
à un banquet semblable. Car, comme ils se suffisent à peine à
eux-mêmes, comment pourraient-ils inviter les riches à un festin, ou
leur faire des présents ?
À l’autre raison je dis que, toutes choses étant égales
par ailleurs, il faut donner davantage au plus pauvre qui est le plus proche
et le meilleur, celui, en somme, à qui l’aumône est due en justice.
Et pourtant, il y a trois raisons pour lesquelles il peut se faire qu’on
doive donner de préférence à un religieux qu’à un pauvre. C’est
ce qu’on trouve dans le livre de saint Jérôme contre Jovinien, à la
fin. La première. S’il a vraiment tout donné ses biens
aux pauvres, la nourriture lui est due sur les biens des pauvres, non seulement
par charité, mais, en quelque sorte, par justice. La deuxième.
S’il travaille pour le peuple en prêchant, en administrant les
sacrements, cela lui est du un peu en justice, même s’il ne le demande
qu’au nom de la charité. La troisième. En raison
de la perfection monastique. Car il faut d’abord donner l’aumône
au meilleur. Comme nous ne pouvons pas juger des intentions,
il faut d’abord donner à celui qui a professé une plus grande sainteté
plutôt qu’à une moins grande, quand on n’a aucune raison de le soupçonner
de mener une double vie. Il faut toujours excepter la nécessité
extrême de quiconque, qu’on doit toujours faire passer avant des
besoins moins grands.