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Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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LIVRE SECOND
LES MOINES
PRÉFACE
l-  Le nom de  moines
2- La nature et la définition de la religion
3- Les différents ordres religieux
4- La confirmation des religions
5- L’origine des religions
6- Les mensonges sont dévoilés et les calomnies réfutées
7- Qu’est-ce qu’un conseil de perfection?
8- On expose différentes conceptions des conseils
9- On confirme les conseils évangéliques avec des textes de l’Écriture
10-On les confirme par des exemples
11- On les confirme par les témoignages des pères
12- On les confirme par la raison naturelle
13- On réfute des objections
14- On explique le nom et la définition d’un vœu
15- Explication de l’état de la question
16- Tout ce qui vient d’un vœu est un culte de Dieu
17- Faire des vœux n’appartint par exclusivement aux Juifs, les Chrétiens en font aussi
18- On réfute des objections
19- La promesse faite au baptême n’est pas proprement un vœu
20- La pauvreté volontaire est correctement vouée à Dieu
21- Le vœu d’obéissance
22- On prouve le vœu de chasteté par ces paroles de l’évangile en Luc 1
23- Et également par Matthieu 19
24- Et également par 1 Timothée 5
Chapitre 25 : on prouve la même chose avec les conciles
26 :  On prouve la même chose par les réponses des papes et des empereurs
Chapitre 27 : On prouve la même chose par les témoignages des pères
28-  On prouve la même chose par la raison
29-  On réfute la première objection des adversaires
30- On réfute la deuxième objection
31- On réfute la troisième objection
32- On réfute la quatrième objection avec la raison naturelle
33- On réfute la cinquième objection avec les conciles
34- On réfute la sixième objection avec les pères
35- Les jeunes peuvent faire des voeux
36- Il est permis à des fils d’entrer en religion malgré leurs parents
37- Il est permis à des conjoints, s’ils sont tous les deux d’accord, de vouer la continence
38- Un mariage non consommé est dissous par des vœux solennels
39- Les ermites
40- L’habit et la tonsure des moines
41- Il est permis aux moines de faire un travail manuel
42- Les moines ne sont pas tenus de faire un travail manuel
43- Il est licite à des moines de vivre en commun de biens patrimoniaux
44- Il est licite à des moines de vivre des choses offertes et données spontanément
45- Il est licite à des moines de vivre de la mendicité
46- On réfute les objections

                                        PREFACE
Nous avons disserté dans le livre précédent des épiscopes et des clercs, c’est-à-dire de la partie qui est la principale et la plus noble du corps ecclésial.   Il nous reste à parler de l’autre partie, c’est-à-dire de ces hommes qui, suivant les conseils évangéliques, instituent un genre de vie plus exigeant et plus sublime que ce que prescrit la loi divine ou humaine, ou que peut supporter l’infirmité de beaucoup de mortels.  Avant d’entrer dans le vif du sujet, je dirai quelques mots sur l’utilité de cet exposé, et même sur sa nécessité.
 Même si la vie monastique ne concerne pas tous les chrétiens,  la défense d’une si grande et si  excellente partie de notre patrimoine religieux appartient globalement à tous ceux qui ont à cœur la survie de la chrétienté.  Quant les hérétiques traitent du monachisme,  ils vitupèrent les moines, inventent à plaisir des mensonges ahurissants, et sautent sur toutes les occasions pour déblatérer contre les moines, les faire détester par le peuple, en les appelant « les premiers soldats de l’antichrist. »  Ce faisant,   ils ne cherchent pas seulement à abolir les ordres religieux,  mais à troubler l’église, la blesser, et, si la chose était possible, en arracher les fondements.   Ils ne comprennent que trop, hélas, que s’ils avaient gain de cause contre les moines, c’est-à-dire s’ils parvenaient à persuader au peuple chrétien que les instituts religieux n’ont pas été fondés par le Christ, mais par le démon lui-même, ils obtiendraient incontinent  que l’église universelle  qui, pendant tant de siècles a constamment approuvé le monachisme, soit perçue comme s’étant fourvoyée lamentablement,  comme ayant rendu un culte à l’antichrist  en pensant en rendre un au Christ,  et comme s’étant, pendant des siècles, éloignée du chemin de la vraie doctrine.
 Cette guerre des hérétiques contre les moines n’est pas nouvelle,  et ce n’est pas un artifice récent du démon que de combattre l’Église en s’attaquant à la vie monastique.  Car, comme il y a toujours eu un grand nombre  d’auteurs  qui, par leurs sermons et par leurs livres, ont porté aux nues ce genre de vie,  il n’y a jamais eu d’hérétique capable d’écouter le nom de moine sans grincer des dents et blasphémer.  Voici ce que dit à ce sujet saint Augustin (psaume 132) : « Quand vous avez commencé à insulter les hérétiques à cause des circonvallions,  ils ont répliqué en vous insultant à cause des moines.   Et pourtant,  c’est à vous de voir s’il est possible de les comparer.  Car  comment comparer des ivrognes et des sobres, des écervelés et des sages,  des exaltés et des simples, des gyrovagues et des résidants ?  Ils ont la manie de dire à tout bout de champ : « Que peut bien vouloir dire le mot moine ? »  Nous leur rétorquons alors, avec beaucoup plus d’à propos : « Que peut bien vouloir dire le mot circonvallion ? »  Et, plus bas, il dit de Pétilien, le prince des hérétiques, (contre Pétilien, livre 3, chapitre 40) : « Il persiste à maudire les moines de sa bouche maudite,  m’accusant même moi,  d’être l’auteur de ce genre de vie. »
 Les ariens avaient sévi contre les moines avec tant de fureur qu’ils  s’étaient rendus dans les déserts les plus impraticables et les lieux les plus retirés pour aller trouver les moines, s’emparer d’eux et les mettre à mort.   C’est bien ce que raconte Ruffin (livre 11, chapitre 3 de son histoire ecclésiastique) au sujet de l’évêque Lucius : « Il tourna ensuite les armes de sa fureur contre les monastères,  saccagea les ermitages,  et livra la guerre à des gens paisibles.  Il agressa trois mille homme  vivant dans le désert, dispersés ici et là.  Il envoya une armée d’écuyers et de fantassins;  choisit des tribuns, des préposés et des chefs militaires pour les combattre, comme s’ils étaient des barbares.  Mais quand ils vinrent, ils découvrirent une nouvelle sorte de guerre :  les moines ne faisaient que présenter leur tête au glaive de leurs ennemis en disant : « Ami, pourquoi es-tu venu ici ? » Et, au sujet de l’empereur   Valence, il a noté  qu’il détestait tellement les moines qu’il fit une loi  obligeant tous les moines à s’enrôler et à devenir des soldats, sous peine d’être fouettés et torturés.
 Mais ce serait trop lassant de rapporter au long tout ce que les anciens hérétiques  et surtout l’empereur Constantin Capronyme et les autres iconoclastes ont fait ou dit contre les moines.   Descendons seulement de quelques siècles.  Que pensait Wiclif des ordres religieux ?  Ne disait-il pas « qu’ils ont tous été introduits dans l’Église par le diable;  que saint Augustin, saint Bernard,  et saint Benoit  étaient condamnés à l’enfer, à moins d’avoir fait pénitence  et de s’être repentis d’avoir été moines et pères de moines »? Voir le concile de Constance.  Que dire de Martin Luther ? Dans les nombreux livres qu’il a écrits, ne fustige-t-il pas le monachisme à tous les trois mots ? Omettons pour l’instant les témoignages que je réserve pour  plus tard.   Dans son épithalame,  livre obscène et sordide, qu’il a écrit au chapitre septième de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens, il dit que « ceux qui mènent la vie de célibataire dans les monastères, ont immolé leurs corps sur l’autel de Moloch ».  Et, dans le même livre, il prétend que « l’état religieux ne vaut rien, que c’est une invention païenne,  terrestre, séculière, semblable à de la boue;  tandis que, au contraire, l’état du mariage est spirituel, céleste, divin et semblable à de l’or ».
 Jean Calvin (livre 4, chapitre 13 de ses institutions) règle son cas au monachisme en quelques mots brefs : « les monastères sont des lupanars, les moines sont des sophistes capuchonnés,  qui ont fait scission avec l’Église, et se sont consacrés totalement au démon »  Philippe Melanchton (dans son apologie pour la confession augustinienne, article des voeux) écrit  que « les vœux et les exercices des moines sont des  observances prétentieuses,  des simulations hypocrites, et même des traditions pharisaïques et mahométanes. »  Les centuriates magdebourgeois (chapitre 10, centurie 4) après avoir décrit les faits et gestes de plusieurs ermites anciens, concluent par ces mots : « Qui n’exècrera pas ces monstres d’hommes, comme ennemis de la société humaine, et comme péchant contre toute la seconde table ? »   Dans le grand nombre de livres qu’ils écrivent pour vilipender la vie monastique,  ils accusent constamment les moines « d’hypocrisie, de superstition et d’impiété. »
 Mais, je le demande,  qu’est-ce qui pousse les luthériens à livrer aux moines une guerre si implacable ?  En quoi les moines leur ont-ils nui ? Qu’est-ce qu’ils leur ont dérobé ? Qu’est-ce qu’ils leur doivent ?  S’ils avaient un peu de cervelle, ne rendraient-ils pas plutôt d’immenses  actions de grâce à Dieu  pour « le règne des moines », comme ils l’appellent ?  D’où vint l’apôtre Germanicus, le troisième Élie, et tant d’autres prophètes et évangélistes, qui sortirent comme du cheval de Troie ?  D’où vinrent aussi Luther, Pomeranus, Bucer, Pellicanus, Munster, Menius, Musculus, Miconius, Oecolampadius,  le martyr, Oechinus?  Ne viennent-ils pas tous des monastères ? Bien que, s’il faut dire toute la vérité, ce ne sont pas les monastères qui nous ont engendrés ces hérétiques,  mais c’est la peste de l’hérésie qui en a fait des déserteurs de monastères.
Mais pourquoi nous étonner si les fils des ténèbres ne peuvent pas, de leurs yeux chassieux, voir la lumière de la religion;  si les fugitifs et les perfides ont en horreur ceux qui se tiennent debout dans l’armée avec leurs camarades de guerre;  si le premier déserteur et transfuge de la milice céleste, le prince des ténèbres trouve des fils qui l’imitent ?  Car, comme le dit saint Antoine cité par saint Athanase : « Le démon hait tous les chrétiens, mais il ne peut en aucune façon supporter les moines éprouvés et les vierges du Christ. »
 Voici les paroles de l’abbé Serenus rapportées par Cassien  dans sa conférence 7, chapitre 23 : « Pour les cénobites qui étaient au nombre de 8 ou 10, les assauts du démon étaient d’une telle violence et ses agressions physiques si atroces qu’ils n’osaient pas dormir tous ensemble pendant la nuit, les uns s’abandonnant au sommeil pendant que les autres veillaient en chantant des hymnes, en récitant des prières ou en lisant la sainte bible.  Quand le besoin du sommeil se faisait sentir,  ceux qui veillaient réveillaient les dormeurs,  et ces derniers faisaient la garde pendant que leurs compagnons dormaient.  Vous avez donc lu ce que les anciens et les nouveaux hérétiques ainsi que leur père commun pensent des moines.  On attend maintenant de moi avec raison que je montre ce que les pères et le Christ en ont pensé.  Comme je me réserve de présenter ces textes au moment opportun,  je me contenterai pour l’instant de citer deux des plus grands pères de l’église, saint Jean Chrysostome et saint Augustin.
 Saint Jean Chrysostome a consacré trois livres entiers à la défense du monachisme, et partout il a accordé aux moines les plus grandes louanges.  Il estime tellement les monastères qu’il les préfère « aux palais et aux royaumes, et voit en eux des paradis terrestres et des cieux remplis d’étoiles lumineuses ».  Enfin, dans son homélie sur Matthieu 8, il dit : « Si quelqu’un venait, maintenant, dans les solitudes de l’Égypte, il verrait des ermitages dignes du paradis, et d’innombrables choeurs d’anges dans des corps d’hommes.  Dans toute cette région, est répandue une armée du Christ, un troupeau admirable de rois, qui, sur la terre,  brillent  de l’éclat de toutes les vertus célestes.  Mais cette splendeur tu ne la verras pas seulement dans les hommes, mais aussi dans les femmes.   Les chœurs variés des astres  ne scintillent pas autant  que les cellules de ces moines et vierges. »   Quelle louange,  et par quelle homme !   Mais écoutons maintenant saint Augustin,  le plus célèbres des pères de l’Occident.
 Dans son premier livre sur les mœurs de l’église, (chapitre 21), il oppose les moines, tant ermites que cénobites, aux manichéens qui se vantaient d’être parfaits : « Je n’ai encore rien dit de ceux qui, loin de la vue des hommes, se contentent de l’eau et du pain  qu’on leur apporte à un moment déterminé, qui habitent des déserts inhospitaliers,  conversant avec le Dieu auquel ils adhèrent dans la pureté de leur cœur, qui sont rendus lumineux par la contemplation de la beauté divine,  que seule l’intelligence des saints peut appréhender.  Je ne dirai rien d’eux, car ils semblent à quelques-uns  avoir abandonné les choses humaines plus qu’il ne faudrait,  à ceux, dis-je, qui ne comprennent pas  à quel point leur intercession  est profitable à notre prière,  et leur exemple à notre vie,  même si nous ne pouvons pas les contempler en chair et en os ».  Mais  il est inutile d’ergoter longuement là-dessus.
Ce modèle si sublime de sainteté, qu’on peut connaitre par la prière,   à qui ne semblera-t-il pas honorable et admirable ?  Même si une telle chose excède notre seuil de tolérance, qui n’admirera pas et ne préférera pas tous ceux qui, après avoir méprisé et déserté les plaisirs  de ce monde, se sont réunis en une vie commune très chaste et très sainte, qui ont tous le même genre de vie, veillant dans les oraisons, les lectures et les échanges fraternels.  Ils ne sont ni enflés d’orgueil,  ni  agités par la convoitise,  ni livides de jalousie, mais modestes, humbles, calmes.  Et ils offrent à Dieu, en devoir de reconnaissance,  une vie de concorde fraternelle et d’amitié divine.  Personne ne possède rien en propre, personne n’est à charge à personne.   Des pères qui sont non seulement saints par leurs mœurs, mais qui sont éminents dans la connaissance de la divine doctrine,  veillent sans aucune morgue sur ceux qu’ils appellent leurs fils, auxquels ils commandent avec autorité, et de qui ils  sont spontanément obéis. »
 Il ajoute ensuite : « Ces mœurs, cette vie, cet ordre, cette institution si je voulais les louer, je m’en sentirais tout à fait indigne,  et je craindrais  qu’on m’attribue la pensée que cet exposé ne suffise pas par lui-même pour plaire, mais que, à la simplicité du narrateur, il faille ajouter la pompe d’un rhéteur. »   Quelles sont donc dissemblables  ces paroles des pères catholiques et celles de Luther et de Calvin, que nous avons rapportées plus haut.  D’un côté la foi, de l’autre la perfidie; d’un côté la sagesse, de l’autre la sottise. D’un côté le calme, de l’autre l’emportement. D’un côté Dieu, de l’autre le démon.
 Ce n’est pas seulement par les paroles et les écrits des pères catholiques  que Dieu a rendu témoignage à la prééminence et à  la sainteté des ordres religieux, mais aussi par lui-même.   Car, ce qu’il pense de ce genre de vie l’attestent les magnifiques promesses divines que nous trouvons dans les prophètes ou dans les évangiles : le centuple dans ce siècle,  un siège d’honneur au jour du jugement, une place et un nom dans le royaume des cieux plus grand et plus prestigieux que ne peut donner le nombre d’enfants terrestres.  L’attestent également de grands signes et d’éblouissants prodiges.  Certes, après l’époque apostolique, ont toujours été, au jugement de toute la terre, célèbres par leurs miracles, des grands hommes comme saint Antoine,  saint Macaire, saint Hilarion, saint Benoit, saint Patrice, saint Bernard, saint François, saint Dominique, sain Vincent Ferrier. Or, tous ces saints, sans controverse possible, étaient des produits du monachisme.
 Quelle est donc la témérité et l’insolence de ces hérétiques qui méprisent, rejettent, dénaturent et démonisent ces instituts très saints qui ont été proclamés, approuvés et confirmés par Dieu au moyen de miracles nombreux et éclatants ?  Car ce sont bien ces modes de vie,--  pour ne pas parler d’Élie et de saint Jean-Baptiste--, que le Christ a conseillés,  que les apôtres ont mis en pratique,  que presque tous les saints choisirent.  Car, à l’exception des saints martyrs, rares sont ceux qu’on compte parmi les saints qui ne proviennent pas des monastères.   Parmi les notes et les symboles qui distinguent l’Église catholique de tous les conventicules hérétiques,  tient une première place et brille d’un grand éclat l’approbation de la vie monastique.
C’est ce qu’a compris saint Pierre, évêque d’Alexandrie, selon Theodoret (livre 4, chapitre 20 de son histoire), et il en a fait une excellent démonstration quand il a dit que « un certain Lucius n’était  ni un évêque, ni même un catholique, mais  un hérétique, un ennemi, un loup, un envahisseur, parce qu’aucun moine ne l’a conduit à son église épiscopale en chantant des hymnes, à la manière accoutumée. »  Ce grand pontife estimait donc que l’ordre des moines était une partie de l’Église si importante qu’un évêque ne pouvait pas être considéré comme un vrai évêque sans avoir  près de lui des moines qui prient pour lui.
 Puisqu’il en est bien ainsi, il est facile de comprendre que la cause des moines est si étroitement liée à celle de l’Église, que personne ne peut être ennemi de l’Église sans déclarer une guerre ouverte aux moines.  Voilà pourquoi notre mère l’Église nous supplie de n’épargner aucun effort pour ne pas être vaincu par l’acharnement et la fureur des hérétiques qui scrutent jour et nuit les livres pour trouver quelque reproche à faire à l’Église de Jésus-Christ.  Nous devons au contraire faire front commun et déployer toute l’énergie nécessaire pour conserver cet héritage sacré.  Surtout que c’est une couronne de foi et de sainteté auprès de Dieu qui nous attend, tandis que c’est la peine de leur perfidie et de leurs crimes qui les attend, eux.  Venons-en maintenant à notre sujet.
 Toute cette dispute sur les moines est présentée en sept principaux chapitres, ou questions. On y expliquera les noms, l’origine, la nature, les parties, les propriétés et les actions de la vie religieuse. Et nous répondrons, au fur et à mesure, aux objections que soulèveront nos adversaires.
 La première question portera sur l’origine, la raison et la variété des ordres religieux.  Car, nos adversaires ne rougissent pas de soutenir que les ordres religieux sont une invention récente,  et que c’est la même chose de dire : «  je suis pour saint Augustin, je suis pour saint Benoit, je suis pour saint François ou pour saint Dominique » que de dire : « je suis pour Paul, pour Apollon ou pour Céphas ».  Or, ces gens-là saint Paul les a rabroués, en les accusant de sédition, de schisme et d’hérésie.
 La deuxième question porte sur les conseils évangéliques, qui sont la base et le fondement de tout l’édifice monastique.   Les hérétiques ont en horreur les mots conseils et œuvres surérogatoires,  et n’y voient qu’un énorme blasphème.  Comment pourraient-ils faire autrement, puisqu’ils jugent que les préceptes ne peuvent être observés par personne, même pas par le plus saint.   Ils ne peuvent pas ne pas tomber des nues quand ils nous entendent dire que les vrais religieux observent non seulement les préceptes prescrits par Dieu, mais même les conseils évangéliques; quand ils constatent, en somme,  que nous faisons plus que ce qui a été commandé.
 La troisième question portera sur les vœux monastiques.   Puisque les adversaires estiment que rien ne peut plaire à Dieu que ce qu’il a commandé, ils considèrent comme des superstitions les vœux et toutes les choses que Dieu n’a pas rendues obligatoires.  Ils veulent donc que le vœu de continence soit un sacrifice à l’idole Moloch,  que le vœu de pauvreté soit une sottise, que le vœu d’obéissance soit une suprême témérité.  La quatrième question porte sur les vœux que font les fils malgré leurs parents, et les époux sans le consentement de l’autre époux.  Car, comme Dieu a ordonné d’honorer ses parents et de ne pas séparer ce qu’il a uni,  ils nous reprochent sévèrement de permettre que des fils deviennent moines sans le consentement de leurs parents, et de dissoudre, en vue de la profession religieuse,  des mariages valides et consommés.
 La cinquième question est la solitude et l’austérité de la vie des ermites.  Nos adversaires appellent les ermites des ours ou des misanthropes  à cause de leur solitude et de leur ascèse.  Quelques-uns, en effet, portent un cilice, ne se nourrissent que de racines, couchent sur la dure ou ne dorment que quelques heures. D’autres  restent une semaine entière sans manger, s’enrourent de chaines de fer, ou établissent leur demeure au sommet d’une colonne.  Tous ces ascètes ils les exècrent comme des meurtriers d’eux-mêmes,  et comme des transgresseurs du précepte apostolique : «Honore ton corps ! »  Or, ce précepte qui l’honore plus saintement que les moines ?
 La sixième porte sur l’habit et la tonsure.   Ils pensent que c’est le signe d’une grande superstition de porter toujours des habits du même genre, de la même forme, de la même couleur,  et la même tonsure.  La septième question. L’œuvre des moines.  Nos adversaires prétendent que c’est de la nature et de la raison d’être de la profession monastique de se procurer sa nourriture par le travail de ses mains;  et que, en conséquence, tous ceux qui ne le font pas sont des corrupteurs de la profession religieuse,  des moines faux et dégénérés.  Ils enseignent aussi que c’est aussi mauvais et illicite de se réduire volontairement à la mendicité  que de quêter comme un mendiant pour assurer sa subsistance.
 Ont écrit sur cet argument saint Jean Chrysostome en trois livres  contre les contempteurs de la vie religieuse, Jean Cassien dans ses livres sur les instituts des cénobites, saint Albert le grand, dans sa défense des ordres mendiants, saint Thomas, dans son opuscule 19, contre ceux qui attaquent la vie religieuse, saint Bonaventure, dans son apologie des pauvres, et dans son livre sur la pauvreté du Christ, Thomas Waldensis (livres 3 et 4 sur la doctrine de la foi et sur les sacrementaux, tit 9), Albert Pighius (controverse 14), Alphonse Virvesius (philippiques),  Alphonse a Castro (dans ses livres contre les hérésies, aux mots, mendicité, moine et vœu),  Jean Bunderius (dans son rapport des conférences,  titre 34), Conrad Coellim (dans sa traduction de l’épithalame de Luther),  Jean a Daventria ( dans l’enchiridium,  et dans les conclusions sur les vœux), François Orantius (livre 5 des lieux catholiques), Gaspard Sahatzgerus, livre 1, dernier chapitre, et livre 2 chapitre 1 de ses controverses), Jean Hoffmeisterus (contre l’article 27 de la confession augustinienne),  Jacques Latomus (livre sur les vœux, et discussion de l’article 27 de la confession augustinienne),  Jodocus Clictaeus (livre 3 de l’anti Luther), Alanus Copus (dialogue  2), Matthaeus Galenus (de l’origine des monastères), Richard Caenomannus  (antidote à la censure d’Érasme sur la règle de saint Augustin), François Turrianus  (deux livres sur les votes monastiques), Gulielmus Liudanus  (livre 4, chapitre 98, panoplie).
 



                                          CHAPITRE PREMIER
                                           du nom « moines »
Nous allons expliquer d’abord  la nature, la diversité, et l’origine des ordres religieux, et nous réfuterons en même temps les mensonges et les calomnies des hérétiques.  Commençons donc par le nom.
On trouve cinq noms chez les Grecs.  Ils appellent, en effet, celui qui  fait profession de cette vie, un thérapeute (thérapeutès), un  ascète (askètès), un suppliant (ikéstès), un philosophe (philosophos), ou  un moine (monakos).  Les latins ont retenu le dernier mot grec, et lui ont ajouté religieux ou régulier.  Thérapeutès signifie religieux.  Saint Denys l’aréopagite se sert de ce mot dans chapitre 6 de la hiérarchie ecclésiastique.  Il dit là que les apôtres ont appelé les moines des religieux, (thérapeutès), parce qu’ils rendent un culte à Dieu plus purement que tous les autres.   Philo emploie le même mot au début de son livre sur la vie contemplative,  à supplice, où il dit qu’on les appelle des religieux (thépakeutès) ou parce qu’ils rendent un culte à Dieu avec une grande perfection, ou parce qu’ils soignent et guérissent les vices des âmes. Car le mot thérapeutès signifie en même temps un religieux et un médecin.
  Le mot ascète (askètès) signifie un pugiliste ou un gladiateur, nom qu’utilise souvent saint Basile,  qui donne même le nom d’ascétiques à ses sermons sur la vie monastique.  On appelle aussi les moines des pugilistes ou des gymnastes, parce que tout leur temps et leurs efforts doivent être consacrés aux exercices de la sainte palestre, comme le font les autres pour la guerre ou le négoce.  Le mot iskétès signifie un suppliant, mot dont s’est servi Philo dans le livre qu’il a écrit sur la vie des moines de son temps, à  la vie contemplative au mot iskétès, suppliant.  Le mot suppliant provient de leur principal devoir qui est de prier et louer Dieu.
Saint Jean Chrysostome a souvent appelé les moines des philosophes dans les trois livres qu’il a écrits contre les contempteurs de la vie monastique, ainsi que Nil,  qui donna à son livre sur la vie monastique le titre  de « philosophie chrétienne ».  On appelle aussi les moines des philosophes, comme Nil l’indique, parce qu’ils tiennent, chez les chrétiens, le même rôle que tenaient les philosophes chez les païens.  Les païens, en effet, appelaient philosophes des hommes d’une grande sévérité qui faisaient peu de cas des choses temporelles,  et s’adonnaient totalement à l’étude la sagesse.   On trouve souvent le mot moines chez les pères grecs et latins.   Quelle est sa signification ? Tous ne l’expliquent pas de la même façon.
 Saint Jérôme (dans son épitre à Héliodore) semble indiquer que ce mot s’applique proprement aux ermites,  à ceux donc qui vivaient seuls. « Interprète le mot moine, ce mot qui est le tien.  Que fais-tu dans la foule toi qui es seul ? »  Mais qu’il n’en est pas ainsi, on peut l’apprendre du fait que même si le premier ermite connu a été Paul, au témoignage de saint Jérôme qui a écrit sa vie,  on trouve   le mot moine chez Denis l’aréopagite, qui a précédé Paul l’ermite d’environ trois cents ans.  Et tous les anciens, y compris saint Jérôme lui-même (dans son épitre à Eustochius, sur la conservation de la virginité) donnent communément le nom de moines tant aux ermites qu’aux cénobites.
Saint Augustin, en commentant le psaume 132 : « Comme il est bon et agréable de vire ensemble comme des frères ! », explique que ce suave cantique a fait des séculiers, des moines.  Il ajoute qu’un moine ne signifie rien d’autre qu’un «  homme qui, vivant dans l’union et la fraternité avec des hommes d’un même institut, n’a avec les autres qu’un seul corps, et forme avec tous un seul homme ».  Selon cette définition, le mot moine ne conviendrait qu’aux cénobites.  Mais plus juste semble être l’explication donnée par Cassien et Dyonisius.  Cassien écrit dans sa conférence 18 sur l’abbé Pyamon (chapitre 5) qu’on les appelle moines parce qu’ils s’abstiennent de conjointes, et de la compagnie de leurs parents;  qu’ils renoncent aux relations légitimes avec leurs semblables, pour n’adhérer qu’à Dieu par la contemplation.  Denys enseigne la même chose (au chapitre 6 de sa hiérarchie ecclésiastique).  Il dit, là, qu’on les appelle moines parce que, «  après avoir abandonné toutes les choses corruptibles, ils s’efforcent, dans la solitude, à ne plaire qu’à la seule divinité ».
Il suit de cela que sont proprement des moines ces religieux qui consacrent toute leur vie à la contemplation, comme les cassiniens, les chartreux,  les camaldules et les cisterciens.  Ce que comprenant, saint Thomas, saint Bonaventure et les autres docteurs qui ont suivi, ne donnèrent plus le nom de moines aux franciscains et aux dominicains qui ne font pas que prier, mais qui s’adonnent aussi au ministère, en aidant les évêques et les prêtres pour la prédication, et l’administration des sacrements. Ils préférèrent employer le mot religieux ou réguliers, nom souvent utilité par les conciles,  car ils se sont soumis à une règle de vie.   Ce sont des religieux, à la vérité, car  ils se sont mis totalement au service de Dieu, comme l’explique saint Thomas (2 2, question 186,  article 1).
 Car, la religion est une vertu par laquelle nous présentons à Dieu le culte qui lui est du.  Si tous les chrétiens peuvent être appelés religieux parce qu’ils servent Dieu comme leur religion le requiert, à plus forte raison seront dits religieux, et comme par antonomase, ceux qui ne servent rien d’autre que Dieu.  Et même si ce nom parait nouveau, il est, en fait, le plus ancien de tous, car  il correspond au mot grec thérapeute (therapeutès), qu’ont souvent employé  Denis l’aréopagite et Philo.  En voilà assez pour le nom.
                                      CHAPITRE SECOND
                       La nature et la définition de la religion
Le mot religion, comme nous l’entendons ici, peut être défini comme suit : l’état d’hommes qui tendent à la perfection chrétienne par les vœux de continence, de pauvreté et d’obéissance.
Il faut ici faire quelques réflexions préalables. La première.  La vraie perfection consiste dans la charité, car la perfection de chaque chose est placée dans ce qui est le plus étroitement uni à sa fin ultime.  Or la fin de l’homme est la charité, et c’est la charité qui unit le plus étroitement avec Dieu, selon 1 saint Jean 4 : « Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui. »  Et selon saint Paul (Coloss 3) : « La charité est le lien de la perfection. » C’est-à-dire le lien qui, liant l’homme, le rend parfait, ou, comme l’explique saint Jean Chrysostome, un lien qui liant et contenant toutes les vertus, rend l’homme parfait.  Car, comme l’esprit humain unit et contient toutes les humeurs et toutes les parties périssables, de la même façon l’Esprit Saint, qui habite dans nos cœurs par la charité, contient toutes les vertus qui pourraient facilement se dissiper.   Ce que montre le même apôtre en disant (1 Cor 3) : « La charité est patiente, elle est douce », et le reste.
C’est pourquoi saint Irénée (livre 5, avant le milieu),  en commentant ce passage de saint Paul (1 Thessal fin) : « Pour que votre esprit soit conservé intègre en entier, corps et âme », dit que l’homme parfait est formé de trois parties : le corps, l’âme et l’Esprit Saint habitant par la charité.  Si le corps ou l’âme  lui manque, il sera imparfait dans le genre de sa nature; mais s’il lui manque la charité, il sera imparfait dans le genre de la morale.  C’est de cette façon qu’ont entendu ce passage les autres pères Grecs comme saint Jean Chrysostome, Theodoret, Oecumenius, Theophylactus, ainsi que saint Jérôme dans son épitre à Ébidias, question ultime.  Que la charité soit la perfection chrétienne, il est facile de le comprendre, car toutes choses se réfèrent à elle : « Dans ces deux commandements est contenue toute la loi » (Matt 22).   Et : « La fin du précepte est la charité » (1 Timothée 1).
Notons ensuite que, selon l’opuscule de saint Thomas sur la perfection, il existe quatre degrés de charité, et donc quatre degrés de perfection.  Car on dit qu’est parfait celui à qui rien ne manque dans l’ordre de sa fin.  Il ne répugne donc pas  qu’une chose soit parfaite et imparfaite en même temps, si on la compare à des degrés différents ou à  des fins différentes.   Le premier degré de la charité consiste à aimer Dieu autant qu’il est aimable, c’est-à-dire, d’un amour infini.   Et ce degré ne convient qu’à Dieu seul.   Voilà  pourquoi Dieu seul est parfait relativement à ce degré; les anges et les saints sont imparfaits.  Oe, cette imperfection n’est pas à proprement parler une privation ou un vice, mais simplement une négation.  Le second degré consiste à aimer Dieu non autant qu’il est aimable, mais autant qu’une créature peut aimer, de façon à ce qu’elle pense toujours à Dieu en acte,  et dirige constamment les battements de son cœur vers Dieu seul, sans jamais ressentir les premiers mouvements de désirs contraires  à Dieu.  C’est ce degré qu’ont atteint les saints, en comparaison desquels les autres sont imparfaits.  Voilà pourquoi saint Paul dit (Phil 3) : « Nous qui sommes parfaits, pensons à cela. »   Le même dit : « Non pas parce que je l’aie atteint, ou que je sois parfait. »
Le troisième degré consiste à aimer Dieu non autant qu’il est aimable,  ni autant qu’une créature peut l’aimer, mais autant que le peut une créature mortelle qui a éloigné loin d’elle tous les empêchements à l’amour divin, et qui se consacre totalement au service de Dieu.  Ceux qui ont atteint ce degré sont imparfaits par rapport aux saints, mais saints par rapport aux autres hommes,  même les justes et les pieux.  Et c’est de cette perfection dont parlent les théologiens quand ils disent que l’état des évêques est un état de perfection acquise, et l’état des religieux l’état d’une perfection à acquérir.  Car, il y a cette différence entres les évêques et les religieux que les religieux ne sont pas tenus d’être toujours parfaits, mais d’aspirer à la perfection.   Car leur devoir consiste à pratiquer les vertus et à écarter les obstacles à la vertu.  Les évêques, eux, doivent être parfaits, c’est-à-dire ils doivent être parvenus au degré de charité vers lequel tendent les religieux par leurs exercices.  Voilà pourquoi nous définissons la religion comme un état d’hommes qui tendent à la perfection.
Le quatrième degré consiste à aimer Dieu non autant que le peut une créature dans l’absolu, ou dans cette vie,  mais de ne rien aimer autant ou plus que Dieu, c’est-à-dire de ne rien admettre qui soit contraire à l’amour divin.   C’est ce degré qui est un précepte pour tous.  Il possède une certaine perfection, même si par rapport aux autres degrés, il est imparfait.  Voilà pourquoi saint 1 Jean 2 dit : « Celui qui observe sa parole, la charité de Dieu est vraiment parfaite en lui. »  Et pourtant, en Matthieu 19, le Seigneur a dit à celui qui avait observé tous les commandements : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que as… »  Jean parlait du quatrième  degré, et Jésus du troisième.  C’est de lui que nous parlons dans notre définition de la religion et dans toute notre dispute.
La troisième remarque.  Les instruments les plus aptes et les plus utiles pour obtenir cette perfection  sont les trois vertus de continence, de pauvreté et d’obéissance.   Car, pour que quelqu’un aime Dieu parfaitement, il doit se livrer totalement à Dieu, et écarter tous les obstacles.  Ces deux choses, ce sont ces trois vertus qui l’obtiennent.  Car, nous nous livrons totalement à Dieu, quand nous lui livrons notre corps, notre âme, et les choses externes, puisque que nous n’avons rien d’autre.   Nous lui livrons notre âme par l’obéissance, notre corps par la continence, et les choses externes par la pauvreté.   Par ces trois vertus, nous enlevons aussi tous les empêchements à l’amour divin.   Car, selon saint Paul (1 Tim 6) : « La racine de tous les maux est la cupidité. »  Et selon saint Augustin (sermon 12 sur les paroles de notre seigneur) : « La racine de tous les biens est la charité. »
Toute la mauvaise cupidité se réduit à trois items :  la luxure, l’avarice et l’orgueil.  Car, en 1 Jean 2, il est dit : «  Tout ce qu’il y a dans le monde est soit concupiscence de la chair, soit concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie. »  Parce que dans l’homme, il y a deux appétits : le concupiscible et l’irascible, l’un désirant le bien en général, et l’autre, le bien ardu.  Le premier est aussi double : le naturel et l’animal.   L’appétit naturel convoite les choses qui sont nécessaires à la conservation de la vie dans l’individu, comme le boire et le manger, et dans l’espèce, comme l’acte de génération.  Quand cet appétit est désordonné, on l’appelle incontinence, et Jean,  concupiscence de la chair.   On appelle animal l’appétit par lequel on convoite les choses qui sont bonnes selon notre estimation, comme l’argent, les vêtements, les bijoux et autres choses semblables, choses que les bêtes ne désirent pas,  parce qu’elles n’ont besoin que des choses naturelles.  Cet appétit, quand il est désordonné, s’appelle avarice ou curiosité malsaine, ou concupiscence des yeux, selon saint Jean.
Ensuite, l’appétit irascible est celui qui mobilise toutes les énergies pour réaliser des choses difficiles.  Et, quand il est désordonné, on l’appelle, comme saint Jean,  orgueil de la vie.  Ce sont trois sources d’empêchements qu’obstruent les trois vertus, la concupiscence de la chair par la continence,  la concupiscence des yeux par la pauvreté, et l’orgueil de la vie par l’obéissance.
La quatrième remarque.   Ne suffisent pas à la religion ces trois vertus si on n’y ajoute pas un vœu, c’est-à-dire une promesse faite à Dieu par laquelle quelqu’un s’engage à vivre ainsi perpétuellement.   La religion en effet est un état, et un état signifie quelque chose de stable et de permanent.  Voilà pourquoi il est possible que soit parfait quelqu’un qui n’est pas dans le degré de perfection, et que ne soient pas parfaits, comme il arrive souvent, les évêques ou les religieux qui sont dans l’état de perfection.  Je pense en avoir suffisamment dit sur la définition.
                                       CHAPITRE TROIS
                          les différents ordres religieux
  Les anciens ne reconnaissaient que deux genres de religieux, les anachorètes ou ermites, et les cénobites.  C’est ce qu’enseigne saint Jérôme dans son épitre à Eustochium sur la virginité, et saint Augustin (livre 1, chapitre 31, les mœurs de l’Église), et Cassien (conférence 18, chapitre 4).  Saint Isidore (livre 2, chapitre 15, sur les devoirs divins)  enseigne la même chose mais en commettant une légère erreur.  Il dit qu’il y a trois genres de moines,  les ermites, les anachorètes et les cénobites,  les ermites et les anachorètes étant une seule et même chose.   Saint Jérôme ajoute lui aussi un troisième genre, et Cassien un troisième et un quatrième.  Ces soi disant ordres ne sont pas de vrais ordres, mais des ordres relâchés ou corrompus.  Car ils veulent que forment un troisième genre les cénobites qui conservent des propriétés, et qui n’obéissent pas en tout à leurs préposés.  Ce n’est là, tous en conviendront, qu’une corruption de la vie monastique.  Les candidats du quatrième genre ce sont ceux qui quittent les monastères pour aller vivre en ermite dans le désert,  non pour y vivre plus saintement, mais plus librement et pour secouer le joug des supérieurs et des lois cénobitiques.  Ce qui n’est qu’une corruption manifeste de la vie monastique.  Voilà pourquoi les anciens pères appelaient ces deux derniers genres les pires de tous.
 Nous pouvons, nous,  grâce à saint Thomas et aux autres scolastiques,  expliquer plus parfaitement et plus précisément les formes et les genres de religion d’après les fins pour lesquelles ces instituts ont été institués, car toute religion se réfère à la perfection de la charité.  Or, on peut aimer Dieu de trois façons : en le contemplant, en l’aimant et en y adhérant.   On peut l’aimer aussi  en agissant pour Dieu dans ses membres,  en les servant, en nourrissant les pauvres, en accueillant les pèlerins, en rachetant les captifs.  On peut enfin l’aimer par une contemplation qui mène à une action,  ou par une action qui requiert nécessairement la contemplation.  C’est ce que font ceux qui prêchent et qui  administrent les sacrements au peuple.   Il y a, d’après ces trois fins, trois genres de religieux. Ceux qui professent seulement  la vie contemplative, genre qu’on peut diviser en plusieurs formes selon les constitutions et règles qu’ils suivent.  Car certains continuent le genre de vie monastique d’Antoine, d’autres de Pachome, de saint Basile, de  saint Benoit, de saint Romuald ou de saint Bruno etcc..
 L’autre genre est constitué de religieux qui mènent la vie active. Il  peut se diviser en autant de formes qu’il y a d’œuvres de charité.  Quelques-uns, en tant que soldats, servent Dieu en protégeant l’église par les armes.  Tels sont les écuyers de Jérusalem, de saint Jacques ou de saint Jean.  D’autres dans des hôpitaux, soignent les malades, ou ensevelissent les morts dans des cimetières chrétiens, et qui  toutes sortes d’œuvres de miséricorde envers le prochain.  Le troisième genre est celui où l’on professe une vie mixte, lequel est divisé en plusieurs formes d’après les institutions et règles.   Car, quelques-uns suivent la règle de saint Augustin,  d’autres de saint Basile, d’autres de saint Benoit, ou de saint François.
 Que cette variété d’ordres ait été en usage dans l’ancienne église, et qu’elle fut d’une grande utilité, il est facile de le prouver.   Car, comme le notent saint Jérôme, saint Augustin et Cassien (dans les lieux cités),  il y a toujours eu autant d’ermites que de cénobites, qui professaient la vie contemplative.  Il y en a toujours eu aussi qui ont choisi la vie active, comme on le voit dans la conférence 14, la première de l’abbé Nestor, chapitre 4. Il dit, dans cette conférence, que les religieux de son temps s’adonnaient les uns à la contemplation, les autres  aux œuvres de miséricorde, soignant les malades dans des hôpitaux,  nourrissant les pauvres, prenant soin des miséreux. Qu’il y en ait eu, aussi qui aient vécu une vie mixte, le même Cassien le rapporte quand il dit que certains religieux instruisaient et éduquaient les illettrés.  Saint Augustin le montre aussi quand, dans ses deux sermons sur la vie commune des clercs, il affirme avoir institué dans son évêché une  religion de clercs réguliers.
 Que dans ces trois grands genres de religion il y ait une grande diversité par les différentes constitutions et règles, Épiphane l’enseigne à la fin de ses livres contre les hérésies, où il dit que quelques membres de son ordre s’abstiennent de viande, d’autre d’œufs, de poisson, ou même de pain.  Il y en a même d’autres qui marchent nu pieds, d’autres qui n’ont qu’un sac comme vêtement, d’autres qui dorment sur le sol etc.   Que cette variété d’instituts professant tous la même foi n’est pas contraire à la religion chrétienne, mais lui est plutôt avantageuse, on peut le comprendre en remarquant que, de cette façon, on pourvoit aux besoins différents de tous, afin qu’il n’y ait personne qui tende à la perfection sans pouvoir y parvenir.  Variés, en effet, sont les tempéraments, les tendances, les forces.  Un aime la solitude, un autre aime la vie sociale.  Un est plus porté à prier, un autre à lire, et un autre à faire quelque chose.  Si donc toutes les religions requéraient la solitude, la vie commune, les conversations, ou l’abstention de viande ou d’autre nourriture, les religieux seraient peut-être peu nombreux.  Mais, aujourd’hui, une si grande diversité d’ordres religieux peut satisfaire tout le monde.
 L’autre raison est que tout ordre religieux, à ses débuts, est d’une grande ferveur, et entraîne beaucoup de personnes dans son sillage.  Mais comme cette ferveur première se refroidit peu à peu, Dieu pousse de grands saints à fonder de nouveaux ordres pour perpétuer cette ferveur évangélique dans son Église.  Certes, si quelqu’un lit les vies  et tout ce qu’on raconte de saint Antoine, de saint Benoit, de saint Martin, de saint Bernard, saint François, saint Dominique et saint Ignace, comment ils ont fondé de nouveaux ordres ou ont réformé des ordres moribonds, il constatera que ce que nous avons dit de la merveilleuse ferveur des ordres naissants n’est que la pure vérité;  et il rendra grâce à Dieu pour la quantité de pécheurs qu’ils ont convertis et sauvés pour toute l’éternité.
                                                   CHAPITRE QUATRE
                                   La confirmation des ordres religieux
 Quelqu’un se demandera peut-être :  les fondateurs d’instituts religieux sont-ils libres d’instituer de nouveaux ordres comme ils l’entendent et comme ils le veulent, ou ont-ils besoin de la confirmation du souverain pontife ?  Il faut d’abord se rappeler que, dans tout institut religieux, il y a deux choses : l’essence de la vie religieuse, qui consiste dans les trois vœux, et la détermination de cette essence à un certain mode vie.  Or, l’essence des religions a son fondement dans l’évangile, comme nous le démontrerons bientôt.  Sous cet aspect, les religions n’ont pas besoin de l’approbation du souverain pontife.  Mais, la façon différente dont peuvent se concrétiser ces trois vœux n’apparait pas clairement dans l’évangile, et dépend en grande partie de la prudence, de la réflexion et de l’expérience des hommes. Voilà pourquoi elles ont besoin d’autorisation.   Aujourd’hui, elle est absolument nécessaire, à cause d’un canon prohibant la création de nouveaux instituts  Voilà pourquoi saint Antoine, saint Basile, saint Pachome,  saint Benoit fondèrent de nouvelles communautés religieuses sans demander d’approbation au souverain pontife. Aucun décret, alors, ne l’exigeait.
 Voici quelle fut l’occasion d’une nouvelle loi exigeant la confirmation.  En l’an du Seigneur 1170,  les pauvres de Lyon fondèrent un ordre religieux où se trouvaient mêlées aux règles beaucoup de superstitions et d’hérésies.  Ils furent donc condamnés comme hérétiques par Luc 111 et Alexandre 111, et leur secte fut réprouvée, comme l’écrit l’abbé uspergensis dans sa chronique, en l’an 1212.   Au temps d’Innocent 111, les mêmes pauvres de Lyon se rendirent auprès du siège apostolique, et insistèrent longtemps pour être réconciliés, et leur religion approuvée, sans  rienobtenir.  C’est pour cette raison que saint François et saint Dominique,  fondateurs de nouveaux ordres religieux, craignant qu’il ne leur arrive ce qui était arrivé aux petits frères, refusèrent de s’en ternir à leur jugement propre, et demandèrent et obtinrent l’approbation du souverain pontife.  Peu après, au concile du Latran, prévoyant les dangers qu’encourrait l’Église  si tout un chacun pouvait fonder son propre ordre religieux à lui, le pape Innocent 111 interdit de fonder un nouvel institut sans l’approbation du souverain pontife.  Ce décret le pape Grégoire X le renouvela  au concile de Lyon.  C’est alors que commença à être obligatoire ce qui était jusque là facultatif.
 
 

CHAPITRE CINQ
                                             L’origine des religions
Les adversaires enseignent trois choses à ce sujet.  La première.  La vie monastique a commencé au quatrième siècle, c’est-à-dire autour de l’an 300 après Jésus-Christ.  Les premiers auteurs en furent Antoine, Macaire, etc.  C’est ce qu’enseignent les magdebourgeois (centuries 4 et 6, colonne 464) : « Le monasticisme a commencé en premier lieu au quatrième siècle. »  Ils répètent cela souvent.  La deuxième. La vie monastique a commencé en partie par hasard, en partie par erreur, et en partie à cause d’une imitation dépravée. En effet, (dans la centurie 4, chapitre 6, colonne 170,) ils écrivent que ce n’est pas délibérément et volontairement que les premiers ermites se sont établis dans le désert, mais par hasard, ou pour fuir les persécutions.  Et c’est  ce qu’écrivent de Paul, le premier ermite, saint Jérôme (dans sa vie) et Sozomène (livre 1, chapitre 13 de son histoire).  Les magdebourgeois (centurie 5, chapitre 6, colonne 700), prétendent que « le monachisme a commencé en partie à cause de l’obscurcissement de la doctrine de la justification et du vrai culte chrétien, en partie à cause d’une imitation dépravée des Esséniens. »
La troisième. Philippe (apologie de l’article 27 de la confession augustinienne)  et Calvin (livre 4, chapitre 13, verset 10 de ses institutions) ajoutent que, au quatrième siècle et au cinquième, certains moines ont vraiment existé, mais que les moines d’aujourd’hui n’ont rien de commun avec eux; et que, en conséquence, on peut dire que le monachisme, tel qu’il existe aujourd’hui, est une chose récente.
Nous allons montrer, nous, d’abord, que la vie religieuse a existé avant le quatrième siècle.  Nous démontrerons ensuite que son origine n’est  due ni au hasard, ni à une erreur, ni à une imitation dépravée, mais au désir de la perfection.  Nous montrerons, enfin, que les religions qui existent aujourd’hui sont, quant à leur essence, semblables à celles d’autrefois.
Nous disons donc que la première vie religieuse est si antique qu’on peut en apercevoir une ébauche, une ombre  dans la loi de la nature, avant le déluge; qu’elle a trouvé une expression plus parfaite dans la loi de Moïse, et qu’elle a atteint sa perfection au temps des apôtres.   La Genèse 4 nous dit au sujet d’Enoch : « C’est lui qui commença à invoquer le nom du Seigneur. »  Voir, à ce sujet, Waldensem (livre 3, chapitre 1, article 1, doctrine de la foi).  Nous avons ensuite, aux Nombres 6, les vœux des nazaréens, qui se consacraient au Seigneur.  C’est à leur exemple que certains, dans l’Église, se sont consacrés totalement au culte du Seigneur. », selon Origène (homélie 11 sur le Lévitique).  Nous avons, ensuite, dans l’ancien Testament, Élie, Élisée, et les fils des prophètes qui vivaient sans femme et sans biens dans ce monde.  Voici ce que dit d’eux saint Jérôme (dans son épitre à Rustique, la quatrième) : « Les fils des prophètes que l’ancien testament nous présente comme des moines,  se construisaient des huttes, près des rives du Jourdain; et, après avoir rejeté les foules des grandes villes,  vivaient d’herbes et de racines »  Et, dans l’épitre 13 à Paulin sur les moines, il disait : « Notre prince est Élie, notre maître Élisée, nos chefs sont les fils des prophètes, qui demeuraient dans les savanes et dans les déserts, et qui se construisaient de petites cabanes près des rives du fleuve Jourdain. »
Nous avons aussi de Jérémie (15)  la recommandation insigne des neveux de Rechab.  Leur père ou leur grand-père leur avait prescrit de ne pas construire de maisons, de ne pas ensemencer de champs, de ne pas planter de vignes, de ne jamais boire de vin, d’observer tous ces préceptes à la lettre.  Saint Jérôme dit dans sa même lettre à Paulin que ces neveux de Rechab étaient une figure de nos moines.  Enfin, tous les pères écrivent que saint Jean-Baptiste a été le prince des moines et des ermites.  C’est ce que dit saint Grégoire de Naziance quand il compare saint Basile à saint Jean-Baptiste, « parce qu’il était un moine. »  Saint Jean Chrysostome (dans son homélie 1 sur Marc : enseigne « Comme les apôtres sont les princes des prêtres, ainsi saint Jean-Baptiste est le prince des moines. »  Saint Jérôme (dans sa lettre à Eustochius  sur la conservation de la virginité) dit, en parlant des ermites : « L’auteur de cette vie est Paul,  le vulgarisateur et le propagateur Antoine, et pour nommer ce qui est le plus grand, le prince en est Jean-Baptiste. »  C’est ce qu’enseignent Cassien (conférence 18, chapitre 6), Sozomène (livre 1, chapitre 12 de son histoire), saint Isidore (livre, chapitre 15, des devoirs divins) et saint Bernard (sermon sur l’excellence de saint Jean le Baptiste).
Venons-en maintenant au nouveau testament, et montrons que, avant l’année 300, il y avait des moines dans l’Église.  La vie d’Antoine par saint Athanase nous servira de preuve.   Saint Athanase y enseigne qu’il n’y avait pas d’ermites avant saint Antoine, mais qu’il y avait des moines qui, dans les champs, et dans les faubourgs se construisaient des monastères.  Il nous raconte aussi que, quand saint Antoine voulut devenir moine, il s’est rendu auprès d’un vieillard qui avait pratiqué la vie monastique depuis sa jeunesse.  Il s’ensuit donc que saint Antoine n’a pas été le premier moine, et que, avant l’an 300, il y avait des moines.   Saint Antoine, en effet, vécut au quatrième siècle,  et à l’an 300, il avait quarante ans, comme nous le montre la chronique de saint Jérôme.  Et pourtant, quand il n’était encore qu’un adolescent ( au troisième siècle, donc), il y avait plusieurs moines âgés.
Les magdebourgeois se demandent si la vie de saint Antoine a vraiment été écrite par saint Athanase.   Il n’est pas difficile d’éclaircir ce doute.  Car, que ce soit saint Athanase qui ait écrit la vie de saint Antoine, l’attestent saint Grégoire de Naziance  (dans Athanase), saint Athanase, saint Jérôme (dans ses hommes illustres, au mot Athanase), Ruffin (livre 1, chapitre 8 de son histoire), saint Augustin (livre 8, chapitre 6 de ses confessions), saint Paulin (dans sa vie d’Ambroise), Palladius (dans son histoire lausiaque, chapitre 8), et Socrate livre 4, chapitre 18). Que la copie que nous avons présentement soit vraiment le texte de saint Athanase, il est facile de le prouver,  parce qu’il existe un volume précieux que saint Jérôme considère comme le livre de saint Atanase.  Le même livre contient les nombreux miracles dont se souvient saint Augustin.  De plus, il raconte cette histoire d’Amonis que Socrate et Palladius réfèrent au livre de la vie d’Antoine par saint Athanase.  Enfin, les centuriates ne présentent aucune preuve contraire.  Ils se contentent de dire qu’il est ridicule de lancer une controverse, sans raison, sans vraisemblance, et sans autorité, sur une chose que personne ne met en doute.
On le prouve en second lieu par Damase qui, dans la vie du pape saint Denys, dit que ce Denys a été tiré d’un monastère.  On lit, dans la chronique d’Eusèbe que ce Denys a siégé en l’an 266.  Les moines n’ont donc pas commencé en l’an 300.  On le prouve ensuite par Tertullien et Cyprien qui ont vécu bien avant le pape Denys. Car, Tertullien (2ième siècle) a écrit un livre sur les voiles des vierges. Et, à la suite de Tertullien, saint Cyprien écrivit un livre sur l’habillement des vierges.   Or, l’un et l’autre parlent de vierges religieuses, et consacrées à Dieu par une profession solennelle.  Car, dans ce livre, Tertullien établit la distinction entre les vierges du monde, séculières, et les vierges de Dieu, les saintes moniales.  C’est d’elles qu’il dit : « Comme elles sont sacrilèges les mains qui ont pu déchirer un habit consacré à Dieu ! Qu’est-ce qu’un persécuteur pourrait faire de pire, s’il connaissait Celui qui a été choisi par une vierge ? » Et plus bas, il dit : « Tu as épousé le Christ ! Tu lui as livré ta chair ! »  Saint Cyprien dit des choses semblables.
On le prouve en quatrième lieu par le témoignage de Denys l’aréopagite, plus ancien que Tertullien.  Il a écrit une lettre au moine Démophile; et,  dans le livre de la hiérarchie ecclésiastique, au chapitre 6, il explique longuement la forme de la profession monastique.  Les magdebourgeois reconnaissent que l’auteur de ce livre a vraiment parlé des moines, mais ils nient que ce soit le Denys disciple de l’apôtre Paul (centurie 1, livre 2, chapitre 10, colonne 624),  C’est ce que nient aussi Laurentius Valla et Érasme (dans son annotation au chapitre 17 des Actes).  Luther aussi, Calvin et tous les hérétiques.  Attribuent à Denys ces œuvres trois anciens pontifes, Grégoire 1 (homélie 34 sur les évangiles), Martin 1, dans un concile romain, et Agathon dans une épitre à l’empereur Constantin 1V.  Le même pape Nicolas (dans une lettre à l’empereur Michel) cite l’épitre de Denys l’aréopagite au moine Démophile.  On peut aussi citer deux conciles généraux, les sixième et septième, canon 2.  Puis un grand nombre de docteurs, comme saint Maxime qui commenta cette lettre au moine Demophile, le patriarche de Jérusalem Sophrone dans un très beau discours, que nous avons dans les actes 11 du sixième synode, saint Jean Damascène (livre 1, chapitre 12 sur la foi),   Eutymius (panoplie, partie 1, titre 2), Athanase le bibliothéquaire, dans son épitre à Charles Chauve, Hilduin, dans son épitre à Luc le pieux, et tous ceux qui sont venus après.  Il n’est pas vraisemblable que tant de pères n’aient pas pu voir ce que pensent voir maintenant Valla et Érasme.
Nous pouvons donc raisonner ainsi.  L’auteur de ces livres ne peut pas être plus récent que saint Grégoire, puisqu’il est cité par lui.  Il ne peut pas être, non plus,   plus récent que saint Jérôme, car  saint Grégoire le cite  quand il dit que c’est un père ancien et vénérable.  Et il n’aurait pas appelé ancien quelqu’un qui a vécu un siècle avant lui. Il n’a pas non plus vécu avant saint Jérôme, c’est-à-dire avant le quatrième siècle, car saint Jérôme l’aurait certainement placé parmi les écrivains ecclésiastiques.  Car, comment aurait-il ignoré un écrivain de son temps ?  Et, de plus, il aurait été connu aussi par saint Ambroise, saint Augustin, saint Jean Chrysostome et les autres pères.   Il est donc nécessaire, comme le dit saint Athanase que l’auteur ait été très ancien, et qu’il ait été supprimé par les hérétiques, et enfin retrouvé à Rome au temps du bienheureux Grégoire, ou avant.
C’est ce qui nous permet de réfuter de Valla, Érasme et les centuriates, qui prétendent que saint Ambroise, saint Chrysostome, Ambroise, saint Augustin, et surtout saint Jérôme ne citent jamais ces livres.   Car, cet argument joue plutôt en notre faveur.   Car, si ces pères ne citent pas ces œuvres, c’est un signe qu’il ne vivait pas à leur époque.  Et puisqu’il ne peut pas être plus récent que saint Grégoire, il s’ensuit nécessairement qu’il est plus ancien.  Voilà pourquoi même un Valla atteste que plusieurs hommes savants ont pensé que ces œuvres ne venaient pas de Denys l’aréopagite, mais ils ont tous estimé que l’auteur devait être très ancien, comme Apollinaire de Hierapolis, ou Denys de Corinthe, les deux ayant vécu autour de 174, selon la chronique d’Eusèbe. Et même si cela n’est pas vrai, cela nous suffit pour montrer l’antiquité de la vie monastique.
On le prouve en cinquième lieu,  par le Juif  Philo qui est plus ancien que Denys l’aréopagite. Dans son livre sur la vie contemplative des suppliants. Il décrit longuement la vie et les mœurs des moines et des vierges sacrées, que l’évangéliste saint Marc avait établis en Égypte. Il décrit dans le détail leur profession de continence et de pauvreté, leurs jeûnes, leur psalmodie etc.  Les magdebourgeois reconnaissent que c’est bien Philo qui a écrit cela (centurie 1, livre 1, chapitre 3, pag 18), mais il prétend qu’il  parle des esséniens et non des chrétiens, une secte juive qui avait beaucoup de points communs avec nos ordres religieux.  La seule raison qu’il donne pour justifier son interprétation c’est que les chrétiens ne pratiquaient pas encore ce genre d’exercices.  Si nous leur disons qu’ils font une pétition de principe, ils nous répondront que nous parlons comme des sophistes.
Nous prouverons donc, non par des syllogismes, mais  par des témoignages des pères, que Philo parle vraiment des chrétiens.  D’abord Eusèbe (livre 2, chapitre 16 de son histoire) dit que Philo « a vu saint Pierre à Rome, qu’il a eu des entretiens avec lui, qu’il a décrit les paroles du prédicateur de Dieu et la vie de ceux qui demeurent dans des monastères. » De même Épiphane, (hérésie 29 qui est celle des nazaréens), dit, en parlant de ce livre de Philo : « Quand il  décrivit les monastères de ceux qui demeurent près du marais Maria, il ne parla de personne d’autre que des chrétiens. »  De plus, saint Jérôme (dans son livre des hommes illustres, au mot Philo), ajoute, après avoir dit que Philo parlait des chrétiens : « De quoi il appert que la première église des croyants dans le Christ fut celle que les moines désirent et s’efforcent de reproduire. »  Cassien (ivre 2, chapitre 5 des instituts cénobitiques) affirme que « les moines égyptiens ont reçu de saint Marc la première règle de vie. »  Cela, Cassien n’a pu l’apprendre que du livre de Philo.   D’autres affirment la même chose en d’autres mots, comme Bède le vénérable (prologue sur saint Marc), Sozomène (livre 1, chapitre 12) et Nicéphore (livre 2, chapitre 15).
Quelqu’un dira peut-être que Joseph (livre 2, chapitre 7, dans la guerre juive, et livre 18,  chapitre 2, des antiquités) raconte des choses semblables des Esséniens.  Il est certain que c’est des esséniens que parlait Joseph, car il enseigne qu’il y avait trois sectes juives, celle des pharisiens, celle des saducéens, et celle des esséniens.  Je réponds qu’existent deux opinions sur ce passage de Joseph.  Quelques-uns soutiennent que Joseph et Philon ne parlent pas des mêmes personnes.  Car, Joseph ( au livre livre 18, chapitre 2 des antiquités) affirme que la secte des esséniens est ancienne.  Or, Philo précise qu’il décrit une discipline de vie née de son temps.  De plus, Joseph attribue beaucoup de choses aux esséniens qui sont manifestement erronées, ainsi que des superstitions.  Or, Philo n’attribue aucune de ces choses à ses thérapeutes (suppliants).  Voilà pourquoi saint Nil, au début de ses livres ascétiques, affirme que les esséniens (dont parle Joseph) avaient des mœurs semblables à celles des moines, mais comme il leur manquait la foi dans le Christ, la sainteté de leurs mœurs ne leur fut d’aucun profit.
Il y en a d’autres qui soutiennent que Joseph et Philo parlent des mêmes personnes.  Dont saint Jérôme (dans sa lettre à Eustochium sur la conservation de la virginité), où il dit, en parlant des moines : « C’est aux mêmes Esséniens que réfèrent Philo, l’imitateur du philosophe Platon, et Joseph, l’auteur de la deuxième captivité judaïque. »   C’est cette opinion que suit Matthieu Galenus (chapitre 5 du livre sur l’origine du monachisme), et, aux objections que les autres lui font sur l’antiquité et les erreurs que Joseph attribue aux esséniens, il répond que Joseph ne connaissait pas exactement les mystères de nos moines, et qu’il s’est souvent trompé les confondant avec les anciens Juifs.  Car il y eut trois genres de moines du même nom, les esséniens samaritains, dont parle Épiphane dans l’hérésie 10;  les esséniens juifs, dont parle Épiphane dans l’hérésie 19, et les esséniens chrétiens, des Juifs convertis, qu’Épiphane appelle Esseos ou Jesseos, à l’hérésie 29.  On peut penser que Joseph a confondu nos Jesseos avec ses esséniens, surtout parce que, à cette époque, les chrétiens étaient encore perçus comme des Juifs.  L’une ou l’autre explication est vraisemblable.
On le prouve, en sixième lieu, par l’exemple des apôtres, qui furent les premiers vrais moines chrétiens.  Car, qu’ils aient institué une vie cénobitique où tout était mis au commun, les actes des apôtres nous le racontent au chapitre 4.  Que cette  règle de vie ne fut pas le fait de tous mais de ceux-là seuls qui voulaient vivre plus parfaitement, le chapitre 5 des actes nous l’apprend.  Car quand Ananie mentit sur le prix du champ et chercha à tromper les apôtres, il entendit saint Pierre lui dire : « N’avais-tu pas le pouvoir de conserver tes biens ou de les vendre ? »
Que les apôtres s’étaient obligés par un vœu à tendre à la perfection, saint Augustin l’enseigne (livre l7, chapitre 4 de la cité de Dieu) : « Les plus puissants avaient voué ce vœu. »  Que ce soit par l’exemple des apôtres qu’ait commencé la vie religieuse, plusieurs pères l’attestent, comme Eusèbe (livre 1, chapitre 16 de son histoire), saint Jérôme (des hommes illustres, au mot Philo), saint Augustin (sermon 2, la vie commune des clercs),  Possidius, dans la vie de saint Augustin, Isidore, (livre 2, chapitre 15, des devoirs). Enfin, Cassien, (conférence 18, chapitre 5) : « La discipline des cénobites a donc commencé au temps de la prédication des apôtres. »
Mais les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre 6, colonne 506) nous opposent un texte de saint Jean Chrysostome (homélie 25 sur l’épitre aux Hébreux) : « Il n’y avait alors aucun trace de moine, mais il disait tout  des séculiers. »  Je réponds que saint Paul ne parle que de l’église des Corinthiens. Car, il était en train de commenter ces paroles de saint Paul (1 Cocinthiens 5) : « Si quelqu’un parmi vous est appelé frère », et il explique que par le mot frères, on n’entend pas seulement des moines, mais des fidèles.  Parce qu’il n’y avait alors aucun vestige de moine à Corinthe, doit-on en conclure qu’il n’y avait pas de moines en Palestine et en Égypte ?  Que saint Jean Chrysostome ne nie pas, que, au temps des apôtres, il y ait eu des moines, plusieurs de ses passages nous le font comprendre.   Car, dans son homélie 17, il dit, en parlant du monachisme : « Elle est d’un si grand prix la philosophie introduite par le Christ ! »  Si le Christ a introduit le monachisme, il est certain qu’il existait déjà au temps de l’apôtre Paul.  Dans son homélie 11 sur les actes, il dit que « les moines vivent comme vivaient au début de l’église tous les fidèles à Jérusalem. »  Il dit la même chose dans son homélie 69 sur Matthieu.  Il enseigne que par « leur manière de vivre, les moines imitent les apôtres. »  Enfin, dans le livre 3 contre les contempteurs de la vie monastique, il dit que « les apôtres ont accompli ce que les moines accomplissent aujourd’hui. »
Venons-en à la deuxième partie de leur objection.  Il est facile de démontrer que ce n’est pas par  hasard ou pour fuir les persécutions que la vie monastique a commencé.   Car, il  est tout à fait certain que les cénobites existaient avant les persécutions.  On peut prouver la même chose des ermites. Car, même si le premier ermite connu s’enfonça dans le désert pour fuir les persécutions, ce n’est pas pour cette raison que saint Antoine choisit la vie monastique, mais pour le seul désir d’une vie plus parfaite, comme saint Athanase nous le montre clairement dans la vie d’Antoine.
Or, la vie érémitique ce n’est pas par Paul mais par Antoine qu’elle a été introduite.  Car, même si Paul a été le premier de tous, il n’eut pas de disciples, et il ne fut connu que très peu, et après sa mort.  On doit dire, pour être fidèle à l’histoire, que c’est Antoine qui a été le prince  des ermites, car, sans avoir eu de maître, il enseigna à tous.  Saint Jérôme eut donc raison de dire dans la vie de Paul qu’Antoine mérite d’être appelé le père de moines, l’auteur de la vie érémitique, non pas tellement parce qu’ils les a tous précédés, mais parce que tous ont essayé de l’imiter.   On peut donc dire de Paul et d’Antoine qu’ils furent l’un et l’autre le premier ermite : Paul, par le temps, Antoine, par l’enseignement.
Que la cause de l’établissement de la vie monastique ne fut pas l’obscurcissement de la doctrine de la justification, ou une imitation dépravée des esséniens, cela est évident.  Car les auteurs des religions furent les apôtres eux-mêmes, ensuite Antoine, Pacôme, Basile, des hommes sages et vertueux qu’on ne peut accuser d’ignorance ou de perverse imitation. Que saint Basile ait été l’auteur d’un ordre monastique, saint Grégoire de Naziance nous l’atteste dans la vie qu’il a écrite sur lui.  Les lettres que saint Augustin a écrites (livre 3, chapitre 40) contre Petilien,  nous montrent qu’il a institué lui-même un ordre monastique.  Or, il est certain que chez Grecs et chez les Latins, on ne trouve pas de père plus savant, plus instruit et plus saint que saint Basile et saint Augustin.
Que l’essence du monachisme contemporain soit le même que l’ancien, on peut l’établir par plusieurs témoignages, que nous présenterons plus tard dans la dispute des vœux.  Et comme Calvin et Melanchton entendent, par moines anciens, ceux qui existaient au temps de saint Basile et de saint Augustin,  nous aurons recours à ces deux auteurs pour démontrer notre point.   Il est évident pour tous que l’essence de la vie religieuse consiste aujourd’hui dans les trois vœux de continence, de pauvreté et d’obéissance.  Elle consistait dans la même chose autrefois.  Car, saint Augustin (livre 1, chapitre 31, sur les mœurs de l’Église) écrit, en expliquant la vie cénobitique : « après avoir foulé aux pieds les plaisirs de ce monde, ils vivent ensemble dans une vie très chaste, et très sainte. »  Il ajoute ensuite que personne ne possède rien en propre; et  que les pères veillent sans orgueil sur ceux qu’ils appellent fils, leur commandant avec une grande autorité, et étant obéi par eux avec empressement. »
Dans sa préface des constitutions monastiques, saint Basile parle ainsi du futur moine : « Il fuit les noces comme des entraves.  Après avoir abandonné toutes les choses terrestres, il consacre sa vie à Dieu, et professe la chasteté, pour qu’il ne lui soit plus permis de se tourner vers le mariage. »  De même ( au chapitre 22 de ses constitutions) il parle longuement de l’obéissance, et conclut en disant que « les moines doivent obéir à  leur préposé comme les brebis à un berger, et un marteau à un menuisier. »  « Il ne doit pas examiner d’un œil soupçonneux des préceptes qui sont purs de tout péché, mais il doit accomplir avec empressement et joie tout ce qui est demandé. »  Il y eut même autrefois des cuculles, et le reste de l’habit monastique, de même que les psalmodies, les jeûnes, un choix d’aliments, et d’autres choses semblables.   C’est ce que nous racontent Épiphane (dans le résumé de la doctrine) et Jean Cassien, (dans ses livres sur les instituts monastiques).
                                        CHAPITRE SIX
        On évente des mensonges et on réfute des calomnies
Nous rapporterons brièvement quelques mensonges manifestes et quelques déclarations absurdes des trois princes de ce temps, Luther, Calvin, Mélanchton, qu’ils ont présentés contre les moines dans leurs disputes.  Car la réfutation de leurs mensonges vaut plus, pour les discréditer, que plusieurs arguments subtils.  Dans son épithalame, Luther affirme que « les femmes n’ont été créées que pour le mariage ».  S’il en est ainsi, il n’y aura plus de femmes au ciel, puisqu’il n’y a pas de mariage; et nous retomberons dans l’hérésie d’Origène qui nie la distinction des sexes dans la vie future. Hérésie que saint Jérôme a réfutée dans sa lettre contre Jean de Jérusalem.  Et c’est inutilement qu’existèrent dans le monde tant de milliers de saintes vierges,  si la femme n’est créée pour rien d’autre que pour le mariage.  Il dit ensuite que « c’est la même chose de se demander si on va prendre femme ou s’il faut manger ou boire ». Pour la première chose (le mariage)  tous consultent les sages, même les païens (Gellius, livre 1, chapitre 5), mais pour la seconde, seulement les  fous les non fous.    Il dit ensuite que Dieu a prescrit le mariage à tous les Juifs,  et d’une façon telle que, dans l’ancien testament, il n’était pas permis de vivre sans femme.  Alors, comment Élie, Élisée, Jérémie et saint Jean-Baptiste ont-ils pu vivre, eux qui ont vécu sans femme ?
Saint Jérôme prouve (dans son livre 1 contre Jovinien), qu’ils ont bel et bien vécu sans femme.  Mais ce précepte Luther ne l’a pas pris dans les lettres divines, mais dans les délires rabbiniques. Car, le rabbi Salomon (au chapitre 4 de la Genèse)  veut que « soit coupable d’homicide celui qui ne procrée pas d’enfants »;  et le rabbi Isaïe affirme que c’est une sentence des anciens Juifs que « celui qui ne laisse pas de fils est excommunié par Dieu ».  Il dit, ensuite, et il répète souvent pour enfoncer le clou, que quand Paul a dit qu’il pourrait, lui aussi, amener avec lui une sœur épouse,  il voulait dire qu’il pouvait, lui aussi, prendre femme, ce qui est d’une incompétence ou d’une malice intolérable.   Il dit ensuite que saint Paul affirme que la virginité l’emporte sur le mariage, « mais que cependant une femme mariée est meilleure devant Dieu qu’une vierge ».  Si ces deux affirmations vont bien ensemble, c’est à lui d’y voir. Saint Augustin parle, certes, autrement de la sainte virginité (au chapitre 31) : « Quand donc ceux qui professent la continence perpétuelle se comparent, d’après les textes de l’Écriture,  à ceux qui sont mariés, et découvrent que ceux qui sont mariés leurs sont inférieurs en mérite et en récompense, qu’il leur vienne immédiatement à la pensée ce qui est écrit : plus tu es grand, plus tu dois être  humble, et  plus humble que tous. »
Luther dit des choses semblables sur les vœux monastiques.  Il dit d’abord que « l’église primitive et le nouveau testament ignorent complètement l’usage des vœux ».  Or, saint Augustin enseigne que la sainte Vierge avait fait vœu de virginité (chapitre 4 de la sainte virginité) : « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme ? Chose qu’elle n’aurait pas dite si elle n’avait pas voué sa virginité à Dieu. »  Les apôtres, et beaucoup d’autres dans l’église primitive ont fait vœu de continence et de pauvreté, comme nous le montrerons plus tard dans la question des vœux.   Et Luther lui-même, dans le livre cité plus bas, affirme que « tous les baptisées font vœu d’obéir à tous les préceptes ».  Ce vœu, l’église primitive ne l’aurait ignoré que si elle avait ignoré le baptême.
Il dit ensuite que si on voulait vivre pieusement, la forme du vœu devrait être la suivante : « je voue la chasteté, la pauvreté et l’obéissance, librement jusqu’à ma mort, mais de façon à pouvoir le changer  ce vœu  quand je le voudrai »   Si on s’engage pour la vie, comment est-on encore libre d’en disposer à sa guise ?  Si on  est toujours libre de changer, que vient faire l’engagement jusqu’à la mort ?  Troisièmement, il dit que « le Christ n’a jamais conseillé la virginité, mais nous en a plutôt détournés; et que l’apôtre reconnait ne pas avoir de précepte de la part du Seigneur, mais ne donner qu’un conseil. Or, quand il disait cela, il voulait dire : «  je ne conseille pas, mais je m’abstiens. »  Qu’il y a-t-il de plus sublime que cette glose ?
Ajoutons que le même Luther, dans son article 30, dit qu’il n’y a aucun conseil évangélique, sauf sur la virginité.  Il dit, en quatrième lieu,  que, devant Dieu, une vie n’est pas meilleure qu’une autre, mais que toutes sont semblables, comme l’enseignait Jovinianus au temps de saint Jérôme (quatrième siècle).  Et comme il savait que saint Jérôme avait réfuté cet enseignement de Jovinianus, il dit que saint Jérôme n’a parlé ainsi que pour plaire à ses amis; qu’il avait corrigé inconsidérément ce passage de l’Écriture, et l’avait détourné dans son sens. Et  il ajouta : « pour ne pas dire qu’il l’a corrompu. »; que Jovinianus n’avait pas été vaincu par une solide érudition, mais par la seule autorité.  Et il conclut ainsi : « Qui sait, si Jérôme n’a pas été de ceux dont parle  le Seigneur en Ézéchiel : «Quand un prophète se trompera et dira un mensonge, c’est moi qui aurai induit en erreur ce prophète. »  Or, saint Augustin (dans son épitre 29 à saint Jérôme)  appelle les livres de Jérôme contre Jovinianus une dispute suave et  lumineuse, et les livres de Jovinien du bavardage.
Il dit, en cinquième lieu, que la meilleure loi qu’on pourrait faire « ce serait de n’admettre personne à la profession religieuse avant 70 ou 80 ans ». Cela ne mérite pas une réfutation, car c’est parler pour se moquer du monde.  Il est certain que, dans son épitre à Eustochium, sur la sauvegarde de la virginité, saint Jérôme a dit, en parlant des cénobites : « Qu’on fasse manger souvent les vieux et les enfants, pour soutenir la faiblesse de leur âge. »  Ces paroles nous font comprendre qu’il fut un temps où, dans les monastères d’hommes, on trouvait des moines de tous âges : des vieux, des enfants et des hommes d’âge mur.   Et que les plus âgés et les plus jeunes étaient moins aptes aux rigueurs de la vie monastique, puisqu’il leur fallait manger pendant que les autres jeunaient.
Philippe Mélanchton, (dans son confession augustinienne, art 27, et dans l’apologie de ce même article), dit que, au temps de saint Augustin, les monastères étaient des associations libres, non astreintes à des vœux.  Or, saint Augustin (dans le psaume 75) dit : « Qu’aucun frère résidant dans un monastère ne dise : « Je sors du monastère, parce que les moines ne sont pas les seuls à parvenir au royaume des cieux, et parce qu’on ne peut pas dire que ceux qui ne sont pas moines n’appartiennent pas à Dieu. »   Qu’on lui réponde : eux n’ont pas fait de vœux, toi, tu en as fait ! »  Et, dans le psaume 99 sur les apostats, il dit : « Celui qui ne persévèrera pas et n’accomplira pas ce qu’il a promis par un vœu, qu’il soit un déserteur d’un si saint propos, et un coupable d’un vœu non observé. »
 Il dit, en second lieu, que les monastères ont été des écoles de lettres sacrées et d’autres disciplines.   Mais, saint Basile, dans ses constitutions monastiques, Cassien, dans les institutions de cénobites, saint Jérôme dans son épitre à Rustique, et dans les autres à  Paulin sur l’institution des moines, et saint Augustin, (livre 1, chapitre 31 des mœurs de l’Église), et les autres anciens parlent toujours de l’oraison, des jeûnes, des psalmodies, de la continence, de la pauvreté et de l’obéissance.  Des écoles de lettres ou de sciences, aucun mot.
Il dit, en troisième lieu que saint Bernard et saint  François ont fondé une communauté religieuse pour la seule utilité du corps.  Il appelle utilité du corps être soulagé des problèmes qu’apporte le support d’un conjoint, et l’éducation des enfants.   Mais que saint François ait marché nus pieds (et dans la neige), qu’il n’ait eu qu’une seule bure, qu’il ait porté un cilice qui lui comprimait le corps, qu’il ait dormi sur le sol, qu’il ait veillé pendant des nuits entières, qu’il ait jeuné presque continuellement, qu’il se soit contenté de pain et d’eau, qui d’autre qu’un insensé réfèrera cela à l’utilité du corps ?  De plus, saint Bernard ne vécut pas seulement comme un ascète, mais (dans le sermon 30 sur le cantique des cantiques) il enseigne que « ce n’est pas le propre d’un  moine, mais d’un médecin de se soucier de son corps et de sa bonne santé; que c’est l’utilité spirituelle que le moine doit rechercher, et que, pour que l’esprit vive et soit vigoureux, il faut crucifier la chair et châtier le corps ».
Il dit, en quatrième lieu, que le monachisme est une invention récente. À quel point il ment nous l’avons déjà démontré, quand nous avons fait remonter la vie monastique  jusqu’au temps des apôtres.   De plus, j’aimerais savoir ce que Philippe entend par le mot « récent ». Car, même s’il nie qu’il y ait eu des moines au temps des apôtres, et même s’il prétend que les moines d’aujourd’hui n’ont rien en commun avec ceux du temps d’Augustin, il ne peut nier que le monachisme qui existe aujourd’hui ait commencé au moins au temps de saint Benoit.  Car, cela, les luthériens eux-mêmes l’admettent, puisqu’ils voient que sont encore observées les règles qu’il a édictées, et que sont encore debout les monastères qu’il a fondés. Or, saint benoit a vécu mille ans avant nous. À moins que mille ans soit, pour Philippe, comme un an,  qu’il nous explique donc comment le monachisme peut être dit une institution récente ?
  Il dit, en cinquième lieu, que nous affirmons, nous, que la vie monastique mérite la justification et la rémission des péchés, qu’elle sauve les autres quand ont leur en applique nos mérites, et qu’elle est de loin meilleure que le baptême.  Mais ceci c’est de la calomnie pure, et jamais aucun catholique n’a enseigné cela.  Ce que nous disons c’est que les œuvres de la religion, c’est-à-dire vivre chastement, ne rien posséder en propre, obéir aux supérieurs, sont des œuvres bonnes et méritoires pour la vie éternelle, si elles sont faites par des justes,  et qu’elles servent de satisfaction pour les péchés, comme toutes les autres bonnes œuvres.  Qu’elles méritent la justification personne ne l’a jamais dit.
Nous disons aussi que les religieux peuvent rendre les autres participants de leurs bonnes œuvres, comme le peuvent tous les autres fidèles.  Car, les membres d’un même corps communiquent entre eux.  Mais qu’un moine puisse sauver les autres par ses œuvres, ou leur mériter la grâce ou la gloire, aucun catholique ne l’a jamais prétendu.  Nous disons enfin que, entre le baptême et la profession religieuse, il y a une certaine ressemblance. Car, comme au baptême, nous renonçons au diable, et nous commençons une nouvelle vie, par la profession religieuse nous renonçons au siècle et à tous ses plaisirs licites, et nous commençons une nouvelle vie.  Et comme, dans le baptême, les péchés sont parfaitement remis, en ce qui a trait à la faute et à la peine, dans la profession religieuse aussi, quand elle est prononcée avec l’intention requise, est remise, croyons-nous, la peine temporelle pour laquelle il fallait faire une satisfaction;  et qu’est remise aussi la faute.
 Nous ne faisons pas, pour autant passer la profession religieuse avant le baptême, et nous ne mettons pas, non plus, la profession religieuse et le baptême sur le même pied.  Que le baptême enlève la peine et la faute, nous le savons avec certitude. Mais que la profession religieuse enlève la peine et même la faute, nous ne l’affirmons pas comme s’il s’agissait d’une vérité démontrée ou de foi. Nous le pensons seulement.   Mais ce n’est pas nous qui avons inventé cela, car saint Athanase, dans la vie d’Antoine, atteste que, dans une vision, saint Antoine a entendu des anges lui assurer que tous ses péchés lui avaient été remis, quand il s’engagea dans la vie monastique.
Saint Jérôme (dans l’épitre 25 sur la mort de Blesille), dit : « Comme, par une grâce du Christ, avant d’avoir terminé quatre mois, elle se lava comme une deuxième fois dans les eaux du baptême, et vécut désormais de façon à que, après avoir foulé aux pieds le monde, elle pensa continuellement  à un monastère. »  Saint Bernard (dans son livre sur le précepte et la dispense, non loin de la fin) dit : « Vous voulez apprendre de moi pourquoi, parmi toutes les formes de pénitence, la discipline monastique  a mérité la prérogative d’être appelée un second baptême, je pense que c’est à cause du renoncement parfait au monde, et de l’excellence toute spéciale de sa vie spirituelle.  Elle l’emporte tellement sur tous les genres de vie humaine, qu’elle fait ce ceux qui la professent et l’aiment de tout leur cœur, des humains semblables aux anges, et différents des autres hommes.  Car, elle reforme l’image divine en l’homme, nous configurant au Christ, à l’instar du baptême, et comme si nous étions de nouveau baptisés.  Et en mortifiant nos membres qui sont encore sur la terre, nous revêtons le Christ, étant replantés dans la similitude de sa mort. »
 Et dans le sermon 30 sur le cantique des cantiques, il dit que le labeur monastique est un genre de martyre; et que personne n’ignore que le martyre est un genre de baptême.  Enfin, saint Thomas (2,2, question ultime, article 3) enseigne qu’on a raison de croire que, par la profession monastique, on satisfasse à tous les péchés; et que cette profession est un autre baptême.
De même, Mélanchton (lieux communs, chapitre des conseils et des préceptes) dit d’abord qu’il faut déplorer notre cécité qui nous fait orner de plus grands titres la mendicité, ou d’autres œuvres semblables non commandées, que la loi divine, puisqu’on ne peut imaginer aucune œuvre plus grande que ce qu’ordonne le premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ».  Nous répondons brièvement à cette calomnie.  Il n’y a personne, parmi les catholiques, qui place les conseils avant les préceptes.   Saint Thomas (2,2, question 184, article 3) dit précisément le contraire. Car, il veut que la perfection chrétienne consiste essentiellement dans l’observation des préceptes, et instrumentalement, dans l’observation des conseils.
On peut quand même placer les conseils avant les préceptes de trois façons.  La première.  En comparant les conseils non pas à n’importe lequel précepte, mais aux préceptes qui se rapportent à la même matière.    Exemple.   Le précepte suivant porte sur la matière externe des œuvres : « tu ne voleras pas ».  Il y a un conseil qui porte sur la même matière : « Vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres. »  Il est certain que ce conseil de tout donner aux pauvres est supérieur au précepte de ne pas voler.  De la même façon, le conseil de la virginité est supérieur au précepte de ne pas commettre l’adultère.  Et, il en va ainsi des autres.
La deuxième façon.  En comparant non les conseils avec les préceptes, mais l’état des hommes qui observent les préceptes et les conseils avec celui de ceux qui n’observent que les préceptes.  Il n’y a aucun doute que le premier état est supérieur au deuxième, puisqu’il ne fait qu’ajouter aux préceptes sans rien enlever.  Voilà pourquoi le Seigneur a dit à celui qui voulait observer tous les commandements : « Va, vends ce que tu as. »
 La troisième façon.  En comparant les conseils avec n’importe lequel précepte, et même avec le premier : « Tu aimeras ton Dieu. »   Mais en  considérant dans les conseils non les œuvres externes des conseils, mais la charité qu’ils présupposent, et à laquelle ils tendent.  Car, par le précepte de l’amour divin, Dieu ne prescrit pas une charité infinie, mais un certain degré, une certaine quantité de charité, par laquelle rien ne nous parait égal ou supérieur à Dieu.  Or, il nous faut un degré de charité plus grand pour renoncer, à cause de Dieu, à toutes les richesses et à tous les plaisirs licites.   Voilà pourquoi saint Augustin a dit dans son sermon 18 sur les paroles de saint Paul sur la virginité : « Un plus grand amour s’impose un plus grand fardeau. »
Mélanchton dit, en second lieu, que nous pensons faussement que la loi de Dieu ne porte que sur la discipline externe; que nous estimons que la loi : tu ne tueras pas, n’interdit qu’un meurtre injuste, non le désir personnel de vengeance, la malveillance, les haines injustes. Et il déduit cela de ce que nous n’estimons pas péchés les premiers mouvements de la concupiscence, auxquels on ne consent pas.   En parlant ainsi, il pèche trois fois.  La première.  Il ment en affirmant que nous ne reconnaissons comme péchés  que les œuvres externes.   C’est un mensonge si énorme qu’il est presque incroyable.  La seconde. Qu’il déduise cela de ce que nous ne considérons pas comme péchés les premiers mouvements de la concupiscence auxquels on ne consent pas, comme s’il n’y avait d’actes internes que les involontaires. La troisième.  Qu’il affirme que sont des péchés les mouvements involontaires, les tendances naturelles, les puissances naturelles par lesquelles la chair lute contre l’esprit.  Vouloir que cela soit un péché c’est tout à fait contraire à la raison.  Car, par le mot de péché, tous entendent un acte mauvais volontaire.  Voilà pourquoi saint Augustin (dans le dernier livre de la perfection de la justice), dit que celui qui ne consent en aucune façon aux mouvements licites de la concupiscence ne doit pas, même s’il les ressent, dire à Dieu : pardonnez-nous nos péchés, mais seulement : ne nous induisez point en tentation.
Jean Calvin (livre 4, chapitre 13, verset 3 des institutions) dit que « nous donnons le nom de pollution au mariage que Dieu a institué ».  C’est un mensonge éhonté.   Car, ce que Dieu a institué, nous l’appelons, nous, un sacrement, avec saint Paul, non une pollution.  Mais la concupiscence et la désobéissance des membres, que Dieu n’a pas instituées, et sans quoi, cependant, ne se consomme pas le mariage, nous l’appelons une pollution et une maladie, qui n’est pas un péché, mais qui est née du péché. Voir ce que saint Augustin dit de la concupiscence et du mariage.
Il dit ensuite (au même endroit, verset 8)  que les hommes pieux qui se faisaient moines n’avaient pas d’autre intention que de se préparer, par la discipline monastique, au gouvernement des églises.   Ce qui est un mensonge méprisant pour tous les saints qui, des monastères, ont été appelés à l’épiscopat.  Car, si nous en croyons Calvin, c’étaient des homes dévorés par l’ambition, alors que l’histoire nous montre que c’est malgré eux qu’ils ont été faits évêques.  Il est certain que saint Augustin, (dans le premier sermon de la vie commune des clercs) déclare que quand il n’était que moine, il n’a jamais désiré devenir évêque, et que, pour cette raison, il fuyait les lieux privés d’évêques, pour ne pas être forcé d’accepter l’épiscopat.
Saint Jean Chrysostome et saint Basile avec quelle ardeur ils fuirent l’épiscopat, afin de pouvoir demeurer perpétuellement dans leur monastère !  C’est ce que rapporte saint Jean Chrysostome lui-même dans son livre sur le sacerdoce.  Saint Jérôme, dans sa lettre à Pammachius, contre Jean, évêque de Jérusalem, affirme que c’est malgré lui qu’il a été sacré prêtre par l’évêque Paulin, parce qu’il avait décidé d’être moine et non prêtre.  Saint Grégoire, dans sa lettre à saint Léandre, que l’on trouve au début de son livre sur les morales, déplore lamentablement son sort, pace qu’ayant choisi de vivre perpétuellement dans un monastère, il avait été contraint de devenir pape.
Et même si Calvin nous oppose la lettre 81 de saint Augustin aux moines de l’île de Capri, nous ne craindrons pas de la reproduire parce qu’elle est plus favorable à nous qu’à lui. Voici donc la lettre controversée : « Frères, nous vous exhortons dans le Seigneur de maintenir votre engagement, et de persévérer jusqu’à la fin.  Et si notre mère l’Église avait besoin de votre labeur, recevez cette charge sans être avides d’élévation, ne la rejetez pas par une fausse humilité, mais obéissez à Dieu dans l’humilité et la douceur du cœur de Jésus.  Ne faites pas passez vos loisirs avant les nécessités de l’Église. Car si aucun homme bon n’avait servir à son enfantement, vous n’auriez pas trouvé comment naître. »
C’est de ce passage que se sert Calvin pour prouver que, puisqu’on avait coutume autrefois d’aller chercher dans les monastères les prêtres et les évêques, ceux qui se faisaient moines faisaient profession de vie religieuse afin d’être promus à l’épiscopat.  Mais qu’on ne peut pas déduire ceci de cela, cela saute aux yeux.  D’autant plus que les paroles de saint Augustin disent expressément le contraire.    Car, si ces moines de l’ile de Capri se préparaient à recevoir des hautes fonctions, pour quelle raison saint Augustin les exhortait-il à ne pas refuser ces charges si jamais on les leur offrait ?  De plus, pourquoi les exhorte-il à rester fidèles à leur engagement et à persévérer jusqu’à la fin, s’ils ne sont pas venus là pour y demeurer toujours, mais pendant un certain temps seulement, et rien que pour se préparer à exercer une haute fonction ecclésiastique ?
En troisième lieu, il dit la même chose au verset 10. « Quand Augustin a déformé pour nous le monachisme légitime, il a voulu enlever toute la rigidité pointilleuse de ces choses qui ont été laissées  à notre libre choix par la parole du Seigneur ».  Ceci est un autre mensonge, comme le montrent les passages ci-haut allégués aux psaumes 75 et 99, et ceux que nous citerons plus loin.  Quatrièmement. Il dit, au même endroit, que « saint Augustin requiert de ses moines que toutes les formes de la vie monastique de ses couvents se réfèrent à la piété que le Seigneur a recommandée à tous, c’est-à-dire  à la charité envers Dieu et envers le prochain ».  Et il se demande « quelle nouvelle piété ont inventée nos moines, par la médiation de laquelle ils deviennent plus parfaits que tous ».
  Cela aussi est un mensonge flagrant.  La seule vérité qu’il profère c’est quand il dit qu’il ne sait pas quelle nouvelle piété ils ont inventée.  Car, c’est vrai qu’il ne le sait pas, puisqu’ils n’en ont jamais inventée de nouvelle; et  puisque, par ces vœux, ils ne recherchent rien d’autre que la perfection dans la charité. Que la  vie religieuse soit plus parfaite que la vie séculière, autant Calvin l’a en horreur, autant saint Augustin l’enseigne (épitre 89, question 4) à Hlaire, où il dit : « Le  bon maître a distingué les commandements de la loi de cette perfection plus excellente, quand  il a dit : si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements; si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as. »
Cinquièmement, il dit au même endroit, au verset 11, que « la vie monastique n’a jamais  été, même pas par une syllabe, approuvée par le Seigneur ».  Ce mensonge est repoussé par saint Augustin, au lieu déjà cité, et par saint Jean Chrysostome (homélie 17 au peuple) : « Elle est d’un si grand prix la philosophie instituée par le Christ ! »   Sixièmement. Il dit, au verset 12, qu’ « il n’est jamais venu  à la pensée d’aucun ancien de dire que le Christ avait conseillé quelque chose; mais que tous ont toujours  déclaré d’une seule voix qu’aucune parole du Christ n’a été émise qui n’ait, pour nous, valeur de commandement ».  Ce qui est un mensonge plus que honteux.   Et il ne présente aucun texte pour confirmer ce qu’il avance si impudemment.  Nous, dans la prochaine question, nous présenterons tous les anciens qui crient d’une seule voix que nombreux sont les conseils évangéliques.   Que suffise, pour le moment, cette citation de saint Augustin.
Septièmement. Il dit, au même endroit, que « les moines, pour sembler paraitre plus parfaits que les autres, promettent d’observer les conseils évangéliques de ne pas jurer, d’aimer les ennemis, et de ne pas rechercher la vengeance ».  Or, aucun moine ne s’engage par vœu à observer cela, car ces choses ne sont pas de simples conseils, mais des commandements.  Huitièmement.  Il dit, au verset 14, que « les pères abhorraient de tout leur cœur ce blasphème et ce dogme sacrilège qui donnait le nom de second baptême à la profession monastique ».  Or, nous avons montré, nous que saint Athanase, saint Jérôme, saint Bernard et saint Thomas n’avaient pas cette phrase-là en horreur.   Mais lui, il est incapable de ne citer aucun témoignage en sa faveur.
Neuvièmement.  Il dit, au même endroit, que, au temps de saint Augustin, les vrais moines étaient toujours disponibles pour exercer la charité envers le prochain, tandis que « les moines d’aujourd’hui ont fait scission avec toute l’Église ».  Ce qu’il tente de prouver de deux façons. La première. Les anciens moines allaient prier dans l’église paroissiale, et participaient aux sacrements avec les autres chrétiens.  Les nôtres ont leurs chapelles propres, leurs autels particuliers. La deuxième.  Dans 1 Corinthiens 1, «  l’apôtre appelle schismatiques  ceux qui disent : je suis pour Pierre, je suis pour Paul, ou je suis pour Barnabée. Or, les moines d’aujourd’hui disent : je suis pour Augustin, pour Benoit, pour François, pour Ignace. »
Il y a là un double mensonge.  Car, d’abord il est faux que les anciens moines n’avaient ni églises ni autels à eux.  Car, alors, autant les ermites que les cénobites habitaient en dehors des villes, loin des autres hommes.  Parce qu’ils ne pouvaient pas aller aux églises de leurs prêtres ou de leurs évêques, chaque monastère avait son abbé, son prêtre qui leur administrait les sacrements.  C’est ce qu’explique clairement saint Augustin (livre 1, chapitres 31 et 33 des mœurs de l’Église, et dans l’épitre 81 au prêtre Eudoxius et à l’abbé de l’île de Capri ).    Le même Épiphane, dans sa lettre à Jean de Jérusalem, dit avoir  ordonné  Paulinien comme prêtre du monastère de Jérusalem, parce que saint Jérôme, le préposé du monastère, n’osait pas, par humilité, administrer les sacrements à ses frères. On voit la même chose dans presque toutes les conférences de Cassien, et surtout dans la 18ième et la 15ième.
  De plus, il est faux que nos moines aient fait scission avec l’Église.  Ne reconnaissent-ils pas le même pontife que tout le reste de l’Église ? Ne sont-ils pas ordonnés par les mêmes évêques qui ordonnent les autres ?  Ne communient-ils pas avec le même peuple que ne font les autres chrétiens ?  S’ils étaient schismatiques parce qu’ils ont des autels et des églises à eux, tous les curés seraient schismatiques, car il n’y a aucune paroisse qui n’ait une église et un autel distincts  des églises et des autels des autres paroisses.
Enfin, il est faux que ceux qui disent aujourd’hui :  je suis pour Augustin, pour Bernard ou Benoit, disent la même chose que ceux qui disaient autrefois : je suis pour Paul, pour Pierre ou pour Apollon. D’abord, parce que ceux d’autrefois pensaient que la vertu du baptême dépendait de la sainteté du baptiseur.  Voilà pourquoi ils se glorifiaient d’être les fils spirituels d’hommes plus excellents que les autres, comme l’explique saint Augustin dans son traité 5 sur saint Jean, et ailleurs.  C’est ce que semblent vouloir dire les paroles suivantes : « Est-ce que c’est Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? »
 Et dans tout ce chapitre et dans les trois suivants,  Paul, pour réfuter cette erreur, enseigne que les apôtres ne sont que les ministres du Christ;  que c’est le Christ qui, véritablement, et par sa puissance propre, a tout fait; et que c’est pour cette raison que, pour convertir le monde, il a choisi des hommes vils et ignorants, pour que le salut ne semble pas dépendre des hommes.   Et pour comprendre comment ils faisaient un schisme ceux qui disaient je suis pour Paul ou pour Pierre ou pour Appollon, il suffit de voir que quand ils disaient je suis de Paul, de Pierre ou d’Appollon,  ils faisaient autant de baptêmes que de baptiseurs, et autant de fois et d’églises.
Ils se trompaient aussi parce qu’ils portaient un jugement téméraire sur leurs prédicateurs, en préférant les uns aux autres, comme on le voit pas ces paroles du chapitre 4 : « Ne jugez pas avant le temps.  Il m’importe peu à moi d’être jugé par vous. »  Mais, quand les moines disent : je suis d’Augustin, de Benoit, de François, ils ne font qu’indiquer une distinction d’ordres religieux.  Si quelques-uns, parmi les religieux les plus simples, se glorifient de la grandeur de leurs fondateurs,  et, à cause de ses stigmates, mettent saint  François avant saint Dominique, ils ne font pas bien, et le dernier reproche de l’apôtre retombe sur eux.  Mais, ils ne sont pas des schismatiques, et il ne faut, pas, à cause de quelques idiots, diffamer tous les ordres religieux.  Dixièmement.  Il dit, au verset 18, qu’il n’était pas permis, autrefois, d’admettre une femme au vœu de continence avant l’âge de 60 ans.  Mais les anciens comme Cyprien, Ambroise, Chrysostome, Jérôme enseignent le contraire.  Car si les nonnes étaient toutes âgées d’au moins 80 ans, la conservation de leur pudicité n’exigerait pas d’aussi grands efforts.
                                         CHAPITRE SEPT
            Qu’est-ce que c’est qu’un conseil de perfection ?
Nous nous proposons maintenant de traiter une autre question sur les conseils de perfection.  Nous expliquerons d’abord ce que c’est qu’un conseil de perfection, et en quoi il diffère d’un précepte. Ensuite ce qu’en pensent les  hérétiques et les catholiques.  Puis nous apporterons des preuves de cette vérité, et enfin nous réfuterons les objections.
Nous appelons conseil de perfection une bonne œuvre qui n’a pas été prescrite par le Christ, mais démontrée; qui n’a pas été commandée, mais recommandée.  Elle diffère du précepte par rapport à la matière, au sujet, à la forme et à la fin.  Par rapport à la matière, elle diffère doublement.  D’abord, parce que la matière du précepte est plus facile que celle du conseil.  Car l’une vient des principes de la nature, et l’autre excède, en quelque manière, la nature.  Car, la nature  incite à conserver sa foi au conjoint, mais non à s’en abstenir. Saint Ambroise, dans le livre 1  de la virginité dit : « Qui peut comprendre avec son intelligence humaine ce que la nature n’a pas inclus dans ses lois ?  Ou quelle parole humaine peut exprimer ce qui est au-dessus de l’usage de la nature ? C’est au ciel que se pratique ce que l’on imite sur la terre. »  Et saint Jérôme dans son sermon sur l’assomption, ou son auteur quel qu’il soit, dit : « En vérité, vivre dans la chair en marge de la chair, ce n’est pas une vie terrestre mais céleste. »
Ensuite, parce que la matière d’un précepte est bonne, et celle d’un conseil meilleure et plus parfaite, si l’on parle des préceptes qui portent sur la même matière que celle des conseils.  Car, le conseil inclut le précepte, et ajoute quelque chose qui est au-dessus du précepte.  Saint Augustin (sermon 18 sur les paroles de l’apôtre) : « Ces amantes qui comptèrent pour rien les noces terrestres, qui ne désirèrent pas les étreintes humaines, acceptèrent le précepte de façon à ne pas récuser le conseil, pour qu’elles plaisent davantage en se parant davantage. »
Les préceptes et les conseils différent par rapport au sujet, car le précepte est commun à tous, le conseil à quelques-uns.  Saint Augustin (sermon 61) : « Au sujet de la virginité il a été dit : que comprenne celui qui peut comprendre. Or, de la justice on ne dit pas : que celui qui peut faire, fasse !  Mais : « Tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. »  Par rapport à la forme. Le précepte oblige par lui-même, le conseil relève du libre choix de l’homme.  Saint Jérôme (dans l’épitre à Eustochium sur la conservation de la charité) écrit : « Là ou il y a un conseil, la règne la liberté d’offrir; là où  un précepte est donné, là s’impose la nécessité de l’observance »  Et saint Augustin (chapitre 30 de la sainte virginité) : « On ne peut pas dire « tu ne te marieras pas », comme on dit « tu ne commettras pas d’adultère, ou de meurtre ».  Les unes sont offertes, les autres  exigées. On est loué si on fait les unes, on est condamné si on ne fait pas les autres. »
Par rapport à la fin ou à l’effet. L’observation d’un précepte apporte une récompense, la non observation une peine.  Mais on n’est pas puni si on n’observe pas un conseil, et si on l’observe on obtient une plus grande récompense.   Voici ce que dit là-dessus saint Augustin (au chapitre 14 de la sainte virginité) : « Quelqu’un qui n’obéit pas à un précepte est coupable et mérite d’être puni. »  Et, plus bas :   Pour obtenir la vie éternelle, être libéré de péchés est peu de chose si on ne voue pas quelque chose au libérateur. Que ce ne soit pas un crime de ne pas faire de vœux, mais que cela mérite des louanges, c’est ce que laisse entendre saint Paul quand il dit : « Je donne un conseil. »
                                     CHAPITRE HUIT
       On présente différentes opinions sur les conseils
Il y en a quatre : trois fausses, et une vraie.  Quelques-uns veulent que ce que nous appelons, nous, des conseils ne soit pas des conseils mais des préceptes. D’autres que ce ne soit ni des conseils ni des préceptes, mais des choses indifférentes. Il y en a qui disent que les vœux ne sont ni des  préceptes ni des conseils, mais des choses mauvaises et défendues.  Enfin, les catholiques disent que ce sont des conseils.
La première opinion est très ancienne.  Elle vient de ceux qui s’appelaient apostoliques, au témoignage d’Épiphane (hérésie 61) et de saint Augustin (hérésie 40). Ils soutenaient que « ne pouvaient pas se sauver ceux qui ne vivaient pas dans le célibat et la pauvreté, comme les apôtres ».   C’est ce qu’enseignèrent en partie les Encratites, dont le fondateur a été Tatien, disciple de saint Denys.  Ils prêchaient que « tous les chrétiens devaient s’abstenir du mariage, et vivre en célibataires », comme saint Irénée l’atteste (livre 1, chapitre 30).  Les pélagiens également.  Au témoignage de saint Augustin (épitres 89 et 106), ils déniaient l’espérance du salut à tous ceux qui ne renonçaient pas en acte à tout ce qu’ils possédaient.
C’est aussi ce que pensa ou fit sembler de penser Julien l’Apostat.  Car, comme le rapporte saint Grégoire de Naziance (dans son sermon 1 sur Julien),  il décréta une loi qui interdisait aux chrétiens de protester si on leur volait quelque chose, ou si on les tuait injustement.  Et la raison qu’il invoquait c’est qu’il voulait forcer les chrétiens à observer leur évangile qui leur interdisait de ne rien posséder, et les obligeait à tendre l’autre joue.
La deuxième opinion fut celle de Jovinien, de Vigilance, des Lampétiens.  Car, Jovinien enseignait que la continence n’était ni un précepte ni un conseil, puisque les vierges avaient le même mérite que les femmes mariées, comme le rapportent saint Jérôme (livre 1 contre jovinien) et saint Augustin (hérésie 82).  Vigilance a enseigné la même chose au sujet de la pauvreté, car comme le rapporte saint Jérôme dans son livre contre Vigilance, il soutenait qu’il était préférable de posséder des richesses, pour pouvoir faire continuellement des aumônes, plutôt que de s’en défaire une fois pour toutes..  Et c’et ce que les Lampétiens pensèrent de l’obéissance.  Car, comme l’écrit saint Jean Damascène (hérésie 98),  les moines, selon eux, devaient habiter dans les monastères, en étant complètement libres  de faire ce qu’ils voulaient, sans jamais dépendre du jugement d’un préposé.
 La troisième opinion est celle de Jean Wiclif et des luthériens qui furent les premiers à considérer comme mauvaises les communautés religieuses, et  à les dénigrer. Jean Wiclif (article 21, session du concile de Constance) dit  que ceux qui entraient en religion étaient rendus par le fait même inaptes à observer les commandements de Dieu.  Et il tirait même la conclusion que « les vœux de continence, de pauvreté et d’obéissance n’avaient pas été conseillés par Dieu, mais interdits ».  Luther, dans son épithalame, et dans son livre sur les vœux monastiques, Philippe dans les lieux communs, (au chapitre de la différence entre un précepte et un conseil, et dans son apologie de la confession augustinienne, art 27), le martyr Pierre (dans le livre sur le célibat et les vœux monastiques), Calvin (livre, 4, chapitre 13), Brentius (dans sa profession de Wittemberg, au chapitre des 3 vœux monastiques), et tous les hérétiques en général enseignent  qu’ « un conseil évangélique ne signifie rien ».  Même si Luther, dans sa déclaration de l’article 30 a admis un conseil, celui de la virginité, il l’a révoqué ensuite par une phrase de son épithalame.
En particulier, les trois qui  disent qu’ « une vie de pauvreté et de célibat dans l’obéissance à un prélat est une pure superstition, et est une impiété si on le fait pour honorer Dieu, c’est-à-dire si quelqu’un pense pouvoir par là plaire à Dieu et gagner des mérites ».   Ils disent ensuite qu’une pauvreté volontaire et une obéissance prêtée à qui on ne doit pas la prêter,  n’est pas une impiété si on ne le fait pas  pour gagner les faveurs de Dieu, mais que «  c’est une chose sotte et vaine, et donc mauvaise ».   Il suffit, disent-ils,  de supporter la pauvreté qu’apporte la nécessité, et d’obéir à ses parents et aux magistrats.
 Ils disent ensuite, que la continence, si on ne l’adopte pas pour des raisons cultuelles, mais comme un instrument qui nous fait nous acquitter plus activement de nos devoirs évangéliques, est bonne et louable, et est louée, pour cette raison, par l’Apôtre (1 Corinth 7), mais qu’elle n’est possible qu’à ceux qui savent posséder un don si spécial.  Et ce don ils le veulent si rare que, comme le dit Luther dans son épithalame, «  personne ne peut être continent sans un miracle de Dieu »; et que là où il y a un continent, il est nécessaire qu’il y en ait plus que mille qui aient besoin du mariage.
La quatrième opinion est celle de tous les catholiques.  Il y a plusieurs conseils qui soient appelés vraiment et proprement évangéliques, mais il y en a principalement trois : la continence, la virginité et l’obéissance.  Ils ne sont ni des préceptes ni des choses indifférentes, mais des choses que Dieu donne et recommande.
                                         CHAPITRE NEUF
                              les témoignages de l’Écriture
Le premier témoignage est celui d’Isaïe : « Que l’eunuque ne dise pas : je suis un bois aride, parce que voici ce que dit le Seigneur aux eunuques : « Ceux qui respecteront mes sabbats, et choisiront ce que je veux, et garderont mon alliance, moi, je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un lieu et un nom meilleur qu’au moyen de fils et de filles, et je leur donnerai un nom éternel qui ne périra jamais. »  Qu’il s’agisse ici de continents volontaires, non de castrés, c’est ce qu’enseignent saint Jérôme, saint Cyrille (dans leur commentaire de ce passage), saint Augustin (dans son livre sur la vraie virginité), saint Ambroise (dans son exhortation aux vierges) saint Basile (dans son livre sur la vraie virginité), et saint Grégoire ( partie 3, pastorale, chapitre 29).
On le voit aussi par la récompense promise aux eunuques.  Car, il n’y a aucune raison pour laquelle on promettrait une plus grande gloire aux castrés  qu’aux fils de Dieu, ou qu’à ceux qui  ont beaucoup de fils et de filles, ou une plus grande gloire que ne donne le nombre de fils et de filles.   Si quelqu’un prétend qu’Isaïe parle des castrés, il aidera quand même notre cause, car si à des eunuques qui se contiennent, sans pouvoir faire autrement, on promet une si grande gloire, il est certain qu’une plus grande gloire encore  est promise à ceux qui se contiennent, en pouvant ne pas se contenir.
On doit noter ici que la phrase « meilleur que des fils et des filles » peut avoir un autre sens, à savoir, il leur promet une gloire meilleure qu’auraient été des fils et des filles, car les mots hébreux peuvent signifier ceci : je donnerai à ceux qui sont privés de fils quelque chose de meilleur que d’avoir des fils.  Et c’est ainsi que l’ont traduit les septante.  Mais ce deuxième sens aboutit à la même conclusion que le premier : car les continents sont toujours placés avant les conjoints, puisqu’ils auront quelque chose de meilleur que des fils.
Que la continence des eunuques en ce lieu ne soit pas commandée mais conseillée, c’est ce qu’enseignent les auteurs cités.  Et saint Jérôme le prouve par les paroles suivantes : « Ceux qui auront choisi ce que j’ai voulu. »  On dit qu’ils choisissent ceux qui ne sont pas obligés de faire quelque chose par un précepte.  Le sens est donc : Ceux qui auront choisi ce que j’ai voulu,  ceux qui, dépassant ce que j’ai prescrit en m’accommodant à l’humaine fragilité, choisiront spontanément les choses que je désire et que je veux.  On comprend la même chose du fait que ceux qui ne sont pas eunuques, même s’ils sont placés après les eunuques, ne sont pas exclus du royaume des cieux, et sont même appelés fils et filles.  Tous ne sont donc pas tenus d’être eunuques.  Ce n’est donc pas un précepte.
Que la continence ne soit pas seulement utile dans cette vie, comme les adversaires eux-mêmes le reconnaissent, mais qu’elle mérite une gloire supérieure, ce qui pour eux est un blasphème horrible, on le voit dans ces mots : « Je leur donnerai un nom éternel qui ne périra pas. » Saint Augustin commente ainsi ce texte : « Cécité impie, pourquoi tergiverses-tu ?  Pourquoi promets-tu seulement un avantage temporel aux saints continents ? « Je leur donnerai un nom éternel. » Et si par éternité tu entends une longue durée, j’ajoute, j’accumule, je continue, sans jamais arrêter, que désires-tu de plus ?   Ce mot éternel, quel que soit son sens, représente une gloire propre et excellente.  Elle ne sera pas possédée en commun avec le grand nombre, même si tous sont dans le même règne et dans la même maison.  Et on parle peut-être du nom parce c’est ce qui distingue des autres ceux à qui il est donné. »
Mais accourt Pierre le martyr (dans le livre du célibat et des vœux monastiques), et il prouve qu’Isaïe parlait des véritables eunuques qui existaient parmi les Juifs.  Et parce que, à cette époque, c’était un grand bonheur d’avoir plusieurs enfants, Dieu, pour les consoler leur promet qu’ils seraient dans un meilleur lieu que des fils et des filles, c’est-à-dire que les autres israélites qui n’observent pas la loi divine, s’ils observaient fidèlement la loi.  Mais il est facile de réfuter cette proposition. D’abord parce qu’elle est contraire à ce qu’enseignent les anciens les plus saints et les plus savants, saint Basile, saint Cyrille, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire.  Dans les cas douteux, il est préférable de leur faire confiance,  plutôt qu’à un apostat qui aime mieux suivre les rabbins juifs que les saints pères.
 Ensuite, Pierre le martyr n’a rien qui lui permette de voir de mauvais israélites dans les fils de Dieu qui viennent après les eunuques.  Car les fils de Dieu sont appelés de mauvais israélites ou en tant qu’ils sont des israélites, ou en tant qu’ils sont mauvais.   Non en tant qu’israélites car les eunuques étaient aussi des israélites, et donc des fils.  La conclusion serait donc inepte. Ils ne sont pas dit fils, non plus, en tant qu’ils sont mauvais, car, en tant qu’il est mauvais, un homme n’est pas de Dieu mais du démon. Par fils, on entend donc les époux bons et fidèles, qui ont eux aussi une bonne place dans la maison de Dieu, mais auxquels sont préférés les vierges et les continents, qui auront un meilleur lieu que n’auront les époux.   Enfin, Dieu promet là aux eunuques un nom éternel, c’est-à-dire une grande gloire, d’une grandeur telle qu’elle ne finira ni dans ce monde ni dans l’autre.  Que Pierre le martyr montre donc quels sont les eunuques qui ont vu se réaliser ces promesses. Il ne trouvera certainement pas parmi les chrétiens  des castrés qui ont obtenu cette gloire-là ! Mais nous,  nous pouvons exhiber une armée innombrable de saints religieux et de vierges consacrées, qui sont honorés et louangés par tous les anciens pères.  Donc, l’accomplissement si manifeste de cette prophétie dans les saintes vierges devrait suffire pour exclure l’interprétation judaïque charnelle portant sur des eunuques charnels.
Le deuxième témoignage est celui de Sagesse 3 : « Heureuse est  la stérile et la non souillée, qui n’a pris plaisir à la faute. Elle récoltera des fruits quand seront jugées les âmes saintes.  Et le castré qui n’a pas, avec ses mains, commis l’iniquité, et qui n’a jamais pensé de Dieu des choses mauvaises, car on lui donnera un don de foi choisi (c’est-à-dire singulier, correspondant à sa fidélité), et un sort dans le temple de Dieu. Car le fruit des bonnes  œuvres est plus glorieux que les choses que n’a pas concédées la racine de la science. »  Ce passage est semblable au précédent, selon l’enseignement de saint Jérôme.
Le troisième témoignage.  Matthieu 13, où le Seigneur compare le royaume des cieux, c’est-à-dire l’Église, à une terre bonne, dont une partie rendait du fruit  cent pour cent, une autre  soixante,  et une autre trente.  Saint Cyprien (dans l’habit des vierges), saint Jérôme (dans le livre 1 contre Jovinien) et saint Augustin (chapitres 44 et 45 de la sainte virginité) enseignent que cette parole établit une distinction entre les mérites que procurent respectivement la virginité, le veuvage et le mariage.  Il est clair que pour eux la continence virginale est un bien plus grand et plus méritoire auprès de Dieu  que la chasteté conjugale; et que c’est donc un conseil divin que Dieu n’impose pas, mais recommande, et place avant les autres choses. Et qu’il conseille, sans l’ombre d’un doute.
Le quatrième est de Matthieu 19. Quand les apôtres dirent : « Il ne vaut pas la peine de se marier », le Seigneur leur répondit : « Tous ne comprennent pas cette parole, mais ceux-là seuls à qui cela a été donné.  Il y a des eunuques qui sont sortis ainsi du sein de leur mère. Il y en a d’autres qui ont été fait eunuques par les hommes, et il y en a d’autres qui se sont castrés eux-mêmes pour le royaume de Dieu.  Que celui qui peut comprendre comprenne ! »  Qu’il ne donne pas ici un précepte sur la continence, nous le montre ce qui précède.    Car, au début de ce chapitre, le Seigneur a approuvé le mariage en disant : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. »  Il n’interdit donc pas dans ce passage le mariage, et il ne prescrit pas non plus la continence. Le prouve encore davantage ses paroles : « Que celui qui peut comprendre comprenne ! »
Car, comme le dit justement saint Augustin (dans son sermon 61).  On ne peut pas dire des préceptes de justice : que celui qui peut les observer les observe, mais tout arbre qui ne produira pas de bons fruits sera coupé et brûlé.  Que ce soit un conseil qui est donné, il est facile de la comprendre. Car quand les apôtres dirent : ça ne vaut pas la peine de se marier, le Seigneur ne leur a pas répondu : ça vaut la peine, mais : tous ne comprennent pas cette phrase.  Que celui qui peut comprendre comprenne.  Ce qui veut dire : vous avez dit vrai : le mariage ne convient pas, car il est un obstacle pour beaucoup.  Tous, cependant, ne comprennent pas cela, mais que celui qui le comprend ne laisse pas perdre cette connaissance venue d’en haut.  Que la continence ne confère pas seulement ce qui est utile au corps, mais une récompense dans le ciel, le laisse entendre la parole de Jésus : « Il y a des eunuques qui se sont fait tels pour le royaume de Dieu. »
Mais les adversaires, et en premier le martyr Pierre (dans son livre sur le célibat et les voeux), explique que « pour le royaume de Dieu » signifie : pour pouvoir plus facilement prêcher l’évangile.   Mais cette explication a contre elle l’interprétation de tous les pères.   Saint Cyprien (dans le vêtement des vierges) : «  Qu’elles s’appliquent à ne se parer  que pour leur Seigneur,  et à ne plaire qu’à leur Seigneur, de qui elles attendent la récompense de leur virginité. C’est lui qui a dit : « Il y a des eunuques qui se sont castrés eux-mêmes pour le royaume de Dieu. »  Saint Cyprien entend donc ici par règne de Dieu la récompense de la virginité.   Ce règne de Dieu ne signifie donc pas la prédication de l’évangile, d’autant plus que saint Cyprien parle des vierges consacrées qui ne peuvent pas prêcher l’évangile.   Saint Hilaire voir dans le « pour le royaume des cieux », un espoir du royaume céleste, qu’on ne peut pas référer à la prédication évangélique.
Saint Jean Chrysostome, dans ce passage, s’adresse à un eunuque spirituel : « Rends grâce à Dieu parce que tu auras de grandes récompenses, des couronnes flanboyantes ! »  Saint Jérôme (livre 4 contre Jovinien) : « Il propose une récompense aux athlètes, il les invite à la course, il tient en mains le bouclier de la virginité, il montre la fontaine la plus pure, et il clame : que celui qui a soif, vienne et boive, que celui qui peut comprendre comprenne.  Il ne dit pas, que vous le vouliez ou non il vous faut boire et courir, mais que celui qui pourra courir et boire vaincra et sera rassasié. »  De plus, saint Augustin (dans la sainte virginité, chapitre 24) dit : « Le Christ loue ceux qui se castrent non pour ce siècle mais pour le royaume des cieux ».  Un chrétien le contredit donc quand il affirme que la virginité est utile pour ce siècle,  non pour l’autre.  Saint Bède et saint Anselme disent des choses semblables à celles que dit saint Augustin,  dans leurs commentaires de ce texte.
Le cinquième.  Le Christ dit à un adolescent : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. »  Que le Christ ne donne pas ici un précepte mais un conseil, le contexte nous le fait aisément comprendre.   Car,  à celui qui lui demandait : « que dois-je faire pour être sauvé ? », il a répondu : « si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. »  Montrant par là que l’observance des commandements suffit pour le salut.  Mais il ajoute tout de suite après : « Si tu veux être parfait », c’est-à-dire si tu ne  te contentes pas d’entrer simplement dans la vie éternelle, mais si tu aspires à un excellent degré dans cette vie,  va, vends tout ce que tu as.  De plus, si cela était un précepte, ce serait certainement un précepte de charité.  Mais ce n’en est pas un, car la charité requiert seulement que nous aimions notre prochain comme nous-mêmes.  Elle n’exige donc pas que nous donnions tous nos biens au prochain, et que nous ne nous réservions rien pour nous.  Nous satisfaisons au précepte quand nous donnons une partie au prochain, et quand nous en gardons une partie pour nous.  Que donner tout mérite une récompense tout à fait spéciale, c’est le Seigneur lui-même qui le dit : « Et tu auras un trésor dans le ciel. »
Mais se présentent cinq propositions à réfuter.   La première est de saint Jérôme et de Bède.  Ils disent que ce jeune homme ne s’est pas approché de Jésus par le désir d’apprendre mais dans l’intention de le tenter.  On pourrait tirer de cela la conclusion que le Seigneur n’a pas répondu sérieusement, mais d’une façon ironique.  Saint Jean Chrysostome réfute cette interprétation, d’abord parce qu’aucun évangéliste (trois racontent cet épisode)  ne fait de reproches à ce jeune homme.  Ensuite, parce que le Seigneur lui a parlé avec douceur, et qu’il a coutume de rudoyer les tentateurs. Enfin, il ne serait pas parti tout triste s’il n’avait pas eu un vrai désir de perfection.  Ajoutons que, après l’avoir regardé, le Seigneur l’aima. Or, Jésus n’aime pas les hypocrites.   Saint Jérôme a donc eu une perte momentanée de mémoire quand il a dit que ce jeune homme est une seule et même personne que le pharisien tentateur, dont parle Marc 14.  C’est ce passage de Marc qu’il allègue, même si Marc distingue l’un de l’autre, (chapitres 10 et 14).   C’est pourquoi, saint Jérôme (dans la question à Hedibiam, et dans son livre contre VIgilantius), donne de ce texte un commentaire bien différent.
Érasme eut également un trou de mémoire dans son annotation sur ce passage où il dit que saint Jean Chrysostome reproche à ce jeune homme d’être un tentateur, alors qu’il prend plutôt sa défense. Dans son commentaire du chapitre 10 de Marc, Bède le vénérable change tout à fait d’avis, et enseigne que se trompent ceux qui disent que ce jeune homme est allé voir le Seigneur pour le tenter.
L’autre proposition est celle de Jean Calvin (livre 4, chapitres 12 et 13, verset 13).   Il démontre d’abord que le Seigneur ne pouvait pas faire constituer la perfection dans la vente de tous les biens, puisque l’apôtre a dit (1 Corinth 13) : « Si je distribue en nourriture pour les pauvres tous mes biens,  et  n’ai pas la charité, cela ne m’est d’aucun profit. »  Et, aux Colossiens 3, il dit : « La charité est le lien de la perfection. »  Il commente ensuite lui-même ce passage en expliquant que le jeune homme avait menti quand il déclara qu’il avait observé tous les commandements, et que c’est pour cette raison que le Christ lui a dit de vendre tous ses biens.  Non pour l’exhorter à le faire, mais pour que cette demande d’un précepte qu’il ne pouvait pas remplir lui fasse comprendre qu’il avait menti.    Nous lui répondrons donc, puisqu’il se vante de tout savoir.  Explique-nous donc combien d’étoiles il y a dans le ciel, et comme bien de grains de sable sur le bord de la mer.  Que ce jeune homme n’avait pas observé tous les commandements, Calvin le prouve parce qu’un de ces commandements commande d’aimer Dieu de tout son cœur, et que celui qui aime Dieu de tout son cœur est prêt à tout abandonner pour lui.  Et il ne s’attriste pas si Dieu lui en fait la demande, comme le Christ l’a demandé à ce jeune homme.
Pierre le martyr enseigne la même chose (dans son livre sur le célibat et les vœux).  Et il y ajoute cet argument : « Le Seigneur a dit : «  si tu veux être parfait. » Or, la perfection est commandée à tous : Soyez parfaits comme votre père céleste est parfait, Matthieu 5.  Ce n’est donc pas par un conseil, mais un précepte  que le Seigneur imposait à cet adolescent en lui demandant  de vendre tous ses biens. »   Mais Calvin et Pierre le martyr se trompent.  Car, nous lisons dans Marc 10, que Jésus l’a regardé et l’a aimé.   Or, Jésus n’aime pas les menteurs.  Il est donc beaucoup plus vraisemblable qu’il ait dit la vérité.  L’argument de Calvin ne mène non plus à rien.  Car celui qui aime Dieu de tout son cœur n’est pas tenu de faire tout que Dieu conseille, mais seulement ce qu’il prescrit.  Que le Seigneur ne lui a pas ordonné cela, mais qu’il le lui a simplement conseillé, on l’a déjà prouvé.  On peut le prouver de nouveau,  car le Seigneur a dit : « Si tu veux être parfait. » Il lui a donc fait une demande conditionnelle.
Mais ils insistent.  Il était tenu d’être parfait, puisque : soyez parfaits comme votre père céleste est parfait, est un précepte.  Il était donc tenu de tout vendre.   Mais, comme nous l’avons montré plus haut, la perfection dont Jésus parle ici n’est pas de précepte, puisqu’il elle est distincte de l’observation de la loi, dont il a été dit : si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements.  Cette incitation à la perfection en Matthieu 5 ne représente pas une objection.  Car variés sont les genres de perfection, comme nous l’avons dit plus haut, au chapitre 2.  Il y a une perfection qui est nécessaire au salut, qui consiste dans l’observation entière des commandements.  Il y en a une autre  plus grande qui n’est pas nécessaire pour l’entrée au ciel, mais pour un degré de gloire plus excellent dans le ciel. Et elle consiste dans l’observation des conseils.  C’est du premier genre de perfection dont parle le Seigneur en Matthieu, et de l’autre en ce passage.  Si cette perfection était de précepte, tous les chrétiens seraient tenus de vendre tous leurs biens, car aux préceptes tous sont tenus.
Le martyr répond : « Ce précepte de vendre tout ce qu’il a n’est donné qu’à cet adolescent.  C’est à lui donc qu’il était nécessaire à sa perfection, non aux autres.  Car, est parfait celui qui obéit au Dieu qui commande ».  Mais, c’est le contraire qui est vrai,  Quand Jésus lui a dit : si tu veux entrer dans la vie, observe tous les commandements, il a indiqué que l’observation  des commandements était un moyen d’atteindre le royaume des cieux nécessaire pour tous.  De la même façon, quand il lui dit : si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as, il dit que donner tous ses biens aux pauvres est un moyen d’atteindre la perfection non seulement pour lui mais pour tous.   De plus, on peut prouver la même chose avec des témoignages des anciens pères, qui enseignent tous, que, dans ce passage, n’a pas été ordonnée mais conseillée la vente de tous ses biens comme moyen d’atteindre la perfection. Saint Ambroise (dans le livre des veuves, passé le milieu) : « Pour que tu comprennes la distance qu’il y a entre un précepte et un conseil, souviens-toi du jeune homme dans l’évangile à qui il avait été commandé de ne pas  commettre de meurtre,  d’adultère, et de ne pas faire de faux témoignage.  Car là où il a un précepte, il y a la punition du péché.  Mais quand ce jeune homme ne se souvint pas d’avoir violé aucun précepte,  un conseil lui a été donné de tout vendre, et de suivre le Seigneur.  Cela n’a pas été imposé comme un précepte, mais proposé comme un conseil; »
Saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance) : «  Font bien, selon toi, ceux qui conservent l’usage de leurs biens et distribuent petit à petit leurs revenus aux pauvres. Or, que  fassent mieux qu’eux  ceux qui distribuent  d’un seul coup tous leurs biens aux pauvres, c’est le Seigneur qui te le confirmera : « si tu veux être parfait, va, vends tout ce que as, donne-le aux pauvres, et suis-moi ».  Il parle à celui qui veut être parfait, qui, comme les apôtres, a abandonné père, bateaux et filets.   Celui que tu loues est du troisième ou du deuxième degré, que nous acceptons nous aussi, pourvu qu’on  sache qu’il faille préférer le premier au deuxième et au troisième.   Saint Augustin dit (épitre 39, question 4) : « C’est à ce jeune homme à voir comment il a rempli les commandements de Dieu.  Il n’en reste pas moins que le bon maître distingue les commandements de la loi de cette perfection plus excellente.  Car, il dit d’abord : si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements, et ensuite, si tu veux être parfait…. »  Saint Jean Chrysostome, au même endroit : « Pour attirer un indigent, il lui montre la récompense future, et laisse tout à sa volonté. »
On prouve la même chose avec les paroles suivantes, car quand Pierre vit qu’après avoir entendu cette proposition, le jeune homme riche s’en alla tout triste, il dit au Seigneur : «  Et nous qui avons tout laissé pour te suivre, qu’est-ce qu’il en sera de nous ? »  C’est comme s’il avait dit : nous qui avons fait ce que ce jeune homme n’a pas voulu faire, qu’adviendra-t-il de nous ? À cette interrogation, si la sentence de Calvin et du martyr était vraie, le Seigneur aurait du répondre : je ne vous donnerai rien, car c’est à ce jeune homme et à lui seul que j’ai parlé par ironie, uniquement pour qu’il comprenne qu’il  a menti. Or, ce n’est pas ce qu’il a répondu, mais il leur a dit : « En vérité, je vous le dis, vous qui m’avez suivi, … »  Et pour que nous ne pensions pas que cette promesse a été faite aux seuls apôtres, écoutons ce que dit saint Augustin (épirtre 89, question 4, commentant de texte) : « Ceux qui n’ont pas reçu le conseil de perfection si grand et si sublime de vendre tout ce qu’ils possèdent, mais qui, innocents des crimes condamnables, ont nourri le Christ dans un affamé, ne siégeront pas avec le Christ pour juger avec lui, mais se tiendront à sa droite pour être jugés avec miséricorde. »
À l’argument de Calvin tiré de l’apôtre, je réponds qu’on peut considérer de deux façons un abandon de toutes choses.   Une, en lui-même, une autre, en tant que c’est une action commandée par l’amour. Selon le premier sens, l’abandon de toutes choses n’est par la perfection, mais il peut être un instrument de perfection.  Et nous pouvons expliquer ainsi les paroles du Seigneur : si tu veux être parfait, vends tout ce que as au sens de : prends cet instrument et tu acquerras la perfection.  Mais cet abandon de toutes choses, s’il n’est pas fait par la charité, ne sauve pas l’homme, et c’est pourquoi l’apôtre dit qu’il est de nul profit (1 Cor 13).  Pris au second sens, l’abandon de toutes choses peut-être appelé perfection, ou œuvre de perfection.  On peut, dans ce sens comprendre ainsi la parole de Jésus : « Si tu veux être parfait, vends tout, car, tu découvriras alors que tu as la charité parfaite.
La troisième explication est celle des pélagiens.  Eux qui expliquaient ainsi le si tu veux être parfait : si tu veux que rien ne te manque à la poursuite du salut.  Car, est partait celui à qui rien ne manque.  Et ils le prouvent cela par les paroles du Seigneur en Marc 10 : « Il te manque une seule chose, » et en Matth 19 : « Qu’est-ce qui me manque encore ? »  C’est comme s’il avait dit : j’ai observé les commandements du décalogue transmis par Moïse.  Y a-t-il quelque chose d’autre à faire ?  À quoi Jésus a répondu : « Il te manque une chose, va, vends ce que tu possèdes. »  Mais que cette explication soit fausse, c’est saint Augustin qui l’enseigne (épitre 89, question 4), par les paroles de ! Timothée 6 : « Commande aux riches de ce siècle de ne pas s’enorgueillir de leurs richesses et de leur statut social, ni de mettre leur espoir dans des biens éphémères, mais dans le Dieu vivant.  Que les riches fassent le bien… »  « Je pense, dit saint Augustin, que prescrivant ces choses, il instruisait les riches.  L’apôtre ne se trompait pas, lui qui n’a pas dit : ordonne aux riches de ce monde de vendre tous leurs biens, de les donner aux pauvres, de suivre Jésus, et de ne pas s’enorgueillir. »  Quand donc le Seigneur dit : si tu veux être parfait, il ne parle pas de la perfection nécessaire au salut, mais d’une autre qui est plus grande.   Et, de la même manière, quand ce jeune homme a dit : qu’est-ce qui me manque, il ne parlait pas de ce qui est nécessaire pour obtenir le salut éternel, car il avait déjà entendu la réponse du Seigneur : si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements.  Il parlait donc de ce qui rendrait le salut plus facile à obtenir et plus parfait.  C’est-à-dire : que puis-je faire de plus pour obtenir la vie éternelle ?  Si quelqu’un s’imagine  que ce que le jeune homme a voulu demander c’est : est-ce qu’il me manque quelque chose pour obtenir le salut, la réponse qu’il devrait attendre du Seigneur est : il ne te manque rien d’autre, et le Seigneur n’aurait pas dit si tu veux être parfait etc.
La quatrième proposition est celle de Guillaume du saint amour contre lequel a écrit saint Thomas (opuscule 19).   Il disait qu’il fallait entendre ces paroles du Seigneur selon une disposition de l’âme : et qu’elles contenaient un vrai précepte, comme dans Matth 5 : « Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, montre-lui la gauche. »  C’est un précepte, mais en tant que préparation de l’âme, comme saint Augustin l’explique dans l’épitre 5 à Marcellinus, (lieux communes, chapitre sur la pauvreté.) Mais cette explication est manifestement fausse, car les exemples du Seigneur et des saints sont d’excellents commentaires des paroles de l’Écriture.  Or, nous constatons que quand on a frappé Jésus sur une joue, (Jean 18) il n’a pas présenté l’autre, mais a dit : « Pourquoi me frappes-tu ‘? »  Et de la même manière, l’apôtre, quand on le frappa sur une joue, (actes 23) n’a pas présenté l’autre, mais a dit : « Que Dieu te frappe, muraille blanchie ! »  De tous ces exemples, saint Augustin conclut qu’il s’agit d’un précepte qu’il faut entendre comme une préparation de l’âme à faire telle chose.  Or, le conseil de quitter toutes choses le Seigneur et les apôtres l’ont appliqué dans la réalité, et non seulement comme une disposition permanente de l’âme.  Le Seigneur dit de lui en Luc 9 : « Les loups ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids.  Le Fils de l’Homme n’a rien où poser sa tête. »  Et en Matt 19, les apôtres disent : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. »  Et saint Athanase raconte au sujet d’Antoine que quand il entendit lire dans l’église « si tu veux être parfait, va, vends tout ce que as », Dieu lui a fait comprendre le vrai sens de ces paroles, et aussitôt après, il a vendu ses biens et a donné le tout aux pauvres.  Il appert donc que ce texte parle d’un véritable détachement de tous les biens.
De plus, cette maxime de tendre l’autre joue ne peut être accomplie sans causer un tort au prochain et une offense à Dieu.  Voilà pourquoi nous comprenons facilement que ce qui est prescrit là c’est la patience, et non la présentation de l’autre joue.  Mais vendre tous ses biens peut se faire sans causer aucun tort au prochain, car personne ne commet une injustice en donnant ses biens aux pauvres. Voilà pourquoi nous comprenons facilement que ce conseil doit être mis en application réellement.
La cinquième  proposition est celle d’Osiandre  qui, comme le rapporte Alphonse Viruensius (philippique 20), admet que c’est un vrai conseil évangélique, mais qu’il n’a été donné qu’au jeune homme auquel Jésus parlait.  Mais cette proposition est fausse.  Car, le Christ n’a pas dit ces paroles au jeune homme n’importe comment, mais conditionnellement : si tu veux être parfait.  Donc ce conseil qui lui est donné est donné à tous les fidèles qui veulent être parfaits, selon saint Matthieu : « Ce que je dis à vous, je le dis  à tous.  Veillez. »  De plus ce que le Christ a dit à quelqu’un en tant que prince,  il l’a dit à tous les princes, comme : pais mes brebis (Jean 21).  Donc ce qu’il dit à quelqu’un en tant que personne privée doit être considéré comme ayant été dit pour toutes les personnes privées.  Ensuite, que le Christ ait dit cela pour tous nous le voyons clairement par la compréhension qu’on eue les apôtres de ces paroles. En effet, ils ont pensé que ces paroles leur étaient aussi adressées puisqu’ils  ont demandé au Seigneur : « Et nous qui avons tout quitté, que nous arrivera-t-il ? »  Nous le voyons aussi par l’approbation du Seigneur qui a répondu : « En vérité je vous le dis, vous qui avez tout quitté. »  Ajoutons à tout cela que « si tu veux entrer dans la vie » et « si tu veux être parfait » sont deux phrases semblables, et dites par la même personne.  Or, la première est dite pour tous.  Pourquoi donc la seconde ne serait-elle pas, elle aussi,  dite pour tous ?  Enfin, saint Antoine, au témoignage de saint Athanase, saint François, au témoignage de saint Bonaventure, ont cru que la seconde avait été dite pour eux. Nous pourrions citer d’autres témoignages pour prouver que ces enseignements particuliers s’adressaient à tous.  Ce n’est donc pas au seul jeune homme qu’a été donné ce conseil.
Le sixième témoignage porte sur l’obéissance, quand le Seigneur a dit : « Et suis-moi. » Car qu’il s’agisse d’un conseil, ont le voit parce qu’il est dit à la seule personne qui veut être parfait, et à qui a été dit « vends tout ce que tu as »..  Que le suis-moi se rapporte à l’obéissance, on le prouve de deux façons.  La première parce que suivre le Christ est imiter le Christ.  Or, le Christ s’est  fait obéissant jusqu’à la mort (Philipp 2). La deuxième.  Parce que le Christ lui-même explique en Matt 16 ce que c’est que suivre le Christ, en disant : « Celui qui veut venir après moi  qu’il se renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ! »  Or, renoncer à soi-même  n’est rien d’autre que, par son jugement et ses affections, valoriser le jugement et les affections des autres, et s’en accommoder.  Quelqu’un dira : se renoncer c’est obéir.  Mais, dans ce texte, il est question d’une obéissance qui est due nécessairement à Dieu, non de celle qui est accordée spontanément à un homme.  Car, vient tout de suite après : « Celui qui aime sa vie la perdra. »  Je réponds que ce passage parle d’une obéissance qui est due nécessairement à Dieu, mais qu’on peut en déduire le conseil d’obéissance religieuse. Car, dans un monastère, se renoncer à soi-même en suivant le Christ c’est se soumettre à la volonté d’un autre.  D’autres passages nous font aussi comprendre qu’il y a deux façons de suivre le Christ.  Une nécessaire et commune à tous les fidèles.  C’est de cela qu’il s’agit dans Matthieu 16 et Luc 9.   Il y en a une autre qui n’est conseillée qu’à ceux qui veulent devenir parfaits (Matth 19, Lc 18).
Il faut donc qu’il y ait une double abnégation de soi.   C’est-à-dire, l’obéissance nécessaire et commune à tous qui consiste à obéir à tout ce qui est  nécessaire au salut.  Et une autre plus grande et plus universelle, qui consiste dans l’obéissance à toutes les choses même non nécessaires, pourvu qu’elles ne soient pas peccamineuses.  Cette obéissance est louée chez les Rechabites (Jéréme 35) qui obéirent à leur père dans des choses où ils n’étaient pas tenus de lui obéir.
Le septième témoignage est celui de 1 Corinthiens 7, où le conseil de continence est proposé de plusieurs façons.  « Il est bon, dit Paul, de ne pas toucher à la femme. »  De même : « Il est bon pour l’homme d’être ainsi. »  De même : « Tu as perdu ton épouse, n’en cherche pas une autre. »  De même : « Je veux que tous soient comme moi. », c’est-à-dire continents.  C’est ainsi que tous les anciens ont compris le texte.  De même : «  Au sujet des vierges, je n’ai pas de précepte du Seigneur.  Je donne un conseil comme ayant obtenu la miséricorde du Seigneur pour être fidèle. »    Il indique là que ce conseil n’est pas humain, mais divin, car il dit qu’il donne un conseil non comme un politique, mais comme un fidèle ministre de Dieu.  De même : « Celui qui donne une vierge en mariage fait bien;  mais celui qui  ne le fait pas,  fait mieux. »  Ensuite, au sujet d’une veuve : « Qu’elle épouse qui elle voudra, mais seulement dans le Seigneur.   Mais elle sera plus heureuse si, selon mon conseil,  si elle demeure comme elle est.  Je pense avoir, moi aussi, l’esprit de Dieu. »  Il attribue donc ici ce conseil à l’Esprit-Saint.
Or, à ces passages les adversaires répondent de trois façons.  La première est celle de Luther dans l’épithalame, où il dit que, dans ces passages, l’apôtre ne conseille pas mais déconseille la continence.  Et il le prouve en disant que, dans ce chapitre, l’apôtre mêle à la louange de la continence la nécessité du mariage.  Car, après avoir dit : il est bon à l’homme de ne pas toucher à la femme, il ajoute tout de suite après : à cause de la fornication, que chacun ait une femme !   Comme s’il voulait dire : j’aimerais bien exhorter à la continence, qui est certainement une belle chose, mais le péril de la fornication ne me permet pas de le faire. »  Calvin enseigne à peu près la même chose dans son commentaire de ce texte.  Car, il dit que la phrase de saint Paul : il est bon pour l’homme de ne pas toucher à la femme, est semblable à cette autre phrase : il serait bon à l’homme de ne pas manger et de ne pas boire, si la chose était possible.  Mais, parce que cela ne peut pas se faire sans miracle, tous mangent donc et boivent.
Réfutation.  D’abord, les paroles de saint Paul sont  très claires.  Il ne dit pas : il serait bon, mais il est bon.    Il ne dit pas non plus : je voudrais donner un conseil, mais je donne un conseil. Voilà pourquoi tous les pères l’ont toujours interprété ainsi.  Voir saint Jean Chrysostome et les autres qui ont commenté ce passage. Saint Ambroise (au livre des veuves, près de la fin), saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien), saint Augustin (livre sur la sainte virginité, chapitre 13 et suivants).  Comme s’il avait prévu qu’un de ses augustiniens apostats dirait un jour que, en ce passage, l’apôtre encourage à se marier et détourne de la continence, dit ceci, au chapitre 16 : « Il exhorte à la virginité et à la continence de façon à détourner un tantinet du mariage. »  De plus, si se contenir est si difficile, comme ils le disent et le montrent par l’exemple, aucun d’entre eux n’étant continent, saint Paul est un homme débile, puisqu’il loue une chose si impossible !  L’absurdité de la chose apparaitra clairement si quelqu’un expliquait  toutes les paroles de Paul à l’exemple de Calvin.  Car n’aurait-ce pas été une chose ridicule pour l’apôtre  de dire  qu’il est bon de ne pas manger ?  Ou, si tu es privé de nourriture, n’en cherche pas d’autre !  De même.  Au sujet de la nécessité de manger, je n’ai pas de précepte du Seigneur.  Je conseille que personne ne marge.   De même.  Celui qui mange fait bien, celui qui ne mange pas fait mieux.  De même.  Celui qui mange ne pèche pas, qu’il fasse ce qu’il voudra.  Mais il sera plus heureux s’il ne mange plus.
En disant : à cause de la fornication, que chacun ait sa propre épouse, l’apôtre n’invite pas tous ceux pour qui la fornication est un danger à prendre une épouse, car alors, tous, sans exception, devraient se marier.  Luther, cependant, excepte ceux qui ont le don de continence. Mais même à eux est toujours présent le danger d’incontinence, car ce don ils pourraient le perdre et être vaincus par  la tentation.  Il exhorte ceux qui sont mariés de garder leurs femmes, et ceux qui sont sur le point de commettre l’adultère de se marier plutôt, comme il le dit plus bas : « Que celui qui ne se contient pas se marie. »
L’autre interprétation est celle de Pierre le martyr.  Il oppose les paroles de saint Paul : il est bon pour l’homme de ne pas toucher à la femme, c’est-à-dire de vivre sans épouse, aux paroles de la Genèse (2) : « Il n’est  pas bon pour l’homme d’être seul. », c’est-à-dire il n’est pas bon pour l’homme de vivre sans épouse.  Et parce que Paul ne peut pas contredire Dieu, Paul ne parle que de ceux qui sont certains d’avoir le don de continence; et Dieu de tous ceux qui sont privés de ce don.  Et comme ceux qui sont certains de posséder ce don sont rarissimes ou inexistants, il en déduit qu’il est bon que tous aient une épouse.  Mais il se trompe dans les deux cas.   Car, que Dieu ne parle pas de ceux qui manquent de ce don, cela va de soi, car ces paroles ont été prononcées avant le péché d’Adam.  À ce moment, Adam n’avait pas encore la concupiscence mauvaise, et possédait avec les autres vertus le don de continence, qui lui aurait permis d’être continent le cas échéant.
Que saint Paul ne parle pas uniquement de ceux qui ont le don de continence, mais qu’il parle en général pour tous quand il dit qu’il est bon pour l’homme de ne pas toucher la femme, cela se comprend de ce que même si tous ne possèdent pas ce don, tous peuvent l’acquérir, s’ils le demandent à Dieu.  Voilà pourquoi ce conseil peut convenir à tous.   Car si la continence était un don de Dieu tel qu’il ne serait pas en notre pouvoir de nous contenir ou de ne pas nous contenir, comme il n’est pas en notre pouvoir de prophétiser, selon l’exemple qu’apporte Calvin dans son commentaire de ce chapitre, Paul dirait stupidement je vous donne un conseil, et qu’il fasse ce qu’il veut.  Car il y n’y a aucune consultation ou élection au sujet de ce qui n’est pas en notre pouvoir.  Car qui, sauf un fou, demanderait à quelqu’un s’il veut prophétiser ou ne pas prophétiser ? De même, saint Paul dit, a même endroit, que la continence conjugale est un don de Dieu, et n’est pas donnée à tous : « Chacun a son don de Dieu, un  ceci, un autre cela. » Je demande donc : celui qui n’a pas le don de continence conjugale, que fera-t-il ?  Lui sera-t-il permis de forniquer ?  Ils répondront : il n’est pas permis de forniquer, car même s’il  pas le don de continence, il l’aura s’il le demande à Dieu.  Or, je dis la même chose au sujet de la continence virginale.  On peut aussi faire concorder autrement les paroles de saint Paul et celle de la Genèse.  Dieu parle du bien de l’espèce, Paul du bien de l’individu.   Dieu parlait de l’époque où la terre était presque vide; Paul à l’époque où elle est remplie.  Dieu parle du bien qui se réfère à la vie temporelle, Paul du bien qui se réfère à la vie éternelle,
Il y a donc une troisième solution.   Que Paul encourage ou n’encourage pas la continence, il ne la loue cette continence qu’en tant qu’elle est utile à d’autre chose, non en tant qu’elle est par elle-même agréable à Dieu ou méritoire.  Cette utilité, tous ne l’exposent pas de la même façon. Car, Luther, dans l’épithalame, ne reconnait qu’une utilité temporelle, qui libère des préoccupations, des soins et des nombreuses afflictions qui sont le lot des mariés. « L’apôtre, dit Luther, veut qu’on comprenne ce mot d’une façon spirituelle quand il dit qu’il est bon pour l’homme de ne pas toucher à la femme, c’est-à-dire que ce « bon » ne se rapporte pas à un mérite devant Dieu, comme jusqu’à présent ce texte est expliqué par saint Jérôme, mais au bien être et au repos dans cette vie par les quels un homme chaste surpasse les époux.  En effet, celui qui vit chaste, sans épouse, est affranchi des tribulations et des inconvénients qui se trouvent dans l’état du mariage. »  Mais Mélanchton (lieux, la chasteté) et Pierre le martyr (dans son commentaire de ce texte) et d’autres hérétiques ne reconnaissent pas seulement un avantage temporel, mais même spirituel, car ceux qui vivent sans femme sont plus portés à prier et à prêcher.
Quant à nous, à ces deux raisons, nous en ajoutons une troisième, plaire à Dieu et mériter une plus grande récompense. Et pour réfuter Luther, il devrait suffire que Jovinien pensait exactement comme lui.  Saint Augustin l’avait réfuté ainsi : « Ils se fourvoient misérablement ceux qui pensent que le bien de la continence n’est pas nécessaire pour le royaume des cieux, mais pour le siècle présent, à savoir que les conjoints sont accablés par de nombreux soucis terrestres, fardeaux que les continents et les vierges n’ont pas à porter. »
Mais ils rétorquent que l’apôtre dit expressément qu’il y voit un bien « pour la nécessité présente. »  Et plus bas : « Ils auront ainsi des tribulations de la chair. »  Je réponds que « pour la nécessité  présente », ou comme nous lisons nous,  « la pressante nécessité » ne signifie pas : pour fuir les soucis présents, mais à cause de la brièveté du temps, parce que le Seigneur est proche, et qu’approchent les jours dont il a été dit : « Malheur aux femmes qui seront enceintes et qui allaiteront en ces jours-là. Matth 24 ».  Comme l’explique saint Jérôme (dans son livre contre Helvidius, livre 1,  dans son livre contre Jovinien, et dans son épitre à Eustochius, sur la virginité), et comme il appert de ce texte de l’apôtre qui, comme s’il expliquait ce qu’est la nécessité présente, dit : « Le temps est court. » Et encore : « La figure de ce monde a péri. »  Donc, ce « ils auront des tribulations de la chair » doit s’entendre de l’affliction temporelle dont souffrent les conjoints, mais pas seulement pour la fuir,   puisque l’apôtre enseigne que la continence est un bien.  Bien plus, comme l’explique saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien).  De peur que quelqu’un pense que les époux sont inférieurs aux vierges par rapport au choses spirituelles, mais plus heureux par rapport aux choses charnelles, il ajoute qu’ils sont misérables aussi par rapport aux choses charnelles, et qu’il n’existe donc aucune  raison de douter que la continence est meilleure que le mariage.
Contre Philippe et le martyr,  on trouve dans ce chapitre deux ou trois textes.   Le premier : « La femme non mariée et la vierge pensent aux choses de Dieu, comment plaire à Dieu, être sainte de corps et d’esprit. »  L’apôtre dit là que la virginité est une sainteté de corps et d’esprit, et que par elle nous plaisons à Dieu.  Car le sens est le suivant.  Comme la femme mariée pense à se conserver belle pour plaire à son mari, de la même façon la vierge pense à conserver l’intégrité et la sainteté de son corps pour plaire à Dieu.  Saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien), dit, en commentant cela : « Cette virginité est une hostie du Christ, dont aucune pensée n’a entaché l’esprit, et dont aucune passion n’a maculé la chair. »  Comme nous le voyons, il appelle hostie la virginité.  C’est donc une chose par laquelle on rend un culte à Dieu,  et on lui est agréable.
Le second. « Je ne dis pas cela pour vous tendre un piège, mais pour vous inviter à ce qui est honnête et qui permet de servir Dieu sans empêchement. »  L’apôtre dit là que la continence est par elle-même quelque chose d’honnête et de beau, qu’elle est donc chère à Dieu; et qu’elle est aussi utile pour pouvoir prier Dieu sans arrêt.  Le troisième. « Elle sera plus heureuse si elle demeure ainsi. »  C’est-à-dire plus digne dans l’autre monde, comme l’explique saint Ambroise.  Et voici ce qu’on trouve dans le dernier livre de saint Augustin sur la trinité, chapitre 14 : «La vie éternelle où se trouve une gloire éclatante ne sera pas accordée à toux ceux qui vaincront éternellement, mais à ceux-là seuls qui, pour l’acquérir, ne se sont pas contentés de s’affranchir du péché, mais qui ont voué à leur libérateur quelque chose  qu’ils pouvaient conserver sans crime, et qui leur rapportait de grandes louange en le vouant et en le retournant à Dieu.  Come le dit l’apôtre :  je vous donne un conseil. »
Le huitième témoignage : 1 Corinthiens 9.   Dans tout ce chapitre, saint Paul s’efforce de montrer qu’il fait plus qu’il est obligé de faire, et que, à cause de cela, il mérite une gloire singulière auprès de Dieu.  Car, comme le Seigneur avait prescrit que ceux qui annoncent l’évangile vivent de l’évangile, saint Paul a préféré évangéliser gratuitement, et de faire ainsi une œuvre surérogatoire : « Il est préférable de mourir plutôt que quelqu’un évacue ma gloire.  Car, si j’évangélise ce n’est pas pour moi un sujet de gloire. C’est pour moi une nécessité.   Malheur à moi si je n’évangélise pas !  Quelle est donc ma récompense propre ?  De prêcher l’évangile sans en retirer un sou. »
Pierre le martyr répond dans son commentaire sur ce passage que saint Paul ne parle pas d’une œuvre surérogatoire, mais d’une œuvre due devant Dieu, même si elle ne l’est pas selon le jugement des hommes.  Voilà pourquoi par le mot gloire il entend la gloire devant les hommes, non devant le tribunal de Dieu.  Et il le prouve de trois façons.    La première.  Parce que saint Paul a dit : « Il est préférable pour moi de mourir plutôt que quelqu’un évacue ma gloire. »  Or, pour une œuvre non nécessaire, comme l’est quelque chose de surérogatoire, personne ne doit subir la mort, seulement pour une chose nécessaire.  Il parle donc d’une chose qui est nécessaire devant Dieu.  Mais  il en découle  une gloire devant les hommes qui peuvent juger cette œuvre non nécessaire. La deuxième.   Car Paul désespère de son salut s’il ne fait pas cette œuvre.  Car, il dit : ce n’est pas pour moi une gloire d’évangéliser.   C’est-à-dire, si je prêche en recevant de l’agent du peuple, je ne gagnerai rien.  D’où vient : quelle est donc ma récompense ?  Pour que prêchant l’évangile sans profit monétaire, j’établisse l’évangile.  Il parle donc d’une œuvre obligatoire, qui, si elle n’est pas faire, le frustre de toute récompense.
La troisième.  Parce qu’il dit : pour que je n’abuse pas de mon pouvoir, et pour que je n’apporte pas d’obstacle à l’évangile du Christ.  Or, abuser de son pouvoir, et mettre des obstacles à l’évangile c’est un péché.  Le martyr conclut donc que saint Paul aurait gravement péché s’il avait accepté de l’argent du peuple, parce qu’il aurait ainsi mis des empêchements à l’expansion du christianisme.
Or, dans cette explication du martyr, il y a deux erreurs.  La première. La gloire que s’attribue saint Paul, il la voit comme une gloire devant les hommes, et non devant Dieu.  Or, saint Augustin dit le contraire (dans son livre sur les moines, chapitre 10) : « Il est préférable pour moi de mourir plutôt que quelqu’un évacue ma gloire.  Quelle autre gloire que celle qu’il a voulu avoir auprès de Dieu dans le Christ ? »    Ne vois-tu pas comment il contredit ouvertement le martyr ?  De plus, les propres paroles de saint Paul montrent qu’il parle de la gloire auprès de Dieu, du mérite de cette excellente gloire qu’il attendait par cette œuvre de surérogation.  Car, plus bas, ce qu’il avait appelé gloire, il l’appelle  récompense : « Quelle est donc ma récompense? » Or, il est certain qu’il n’attendait pas de récompense des hommes, mais de Dieu.  Enfin, si Paul se glorifiait devant les hommes comme d’une œuvre non due, qui était due devant Dieu, il se glorifierait faussement. Qui pourrait dire cela sauf peut-être un autre pseudo martyr Pierre ?
La seconde erreur.  Il dit qu’il aurait péché s’il avait accepté de l’argent du peuple, et que c’est pour cette raison que son œuvre était due et non surérogatoire.  D’abord, dans tout ce chapitre, saint Paul ne fait rien d’autre que de prouver qu’il lui est permis de vivre des biens du peuple.  Voici comment il le prouve.  Par l’exemple des autres apôtres.  Par les exemples des soldats, des pasteurs, des cultivateurs.  Par la loi de Moïse.  Par l’ordre du Christ.  Par la nature.
De plus, c’est ainsi que l’ont expliqué tous les anciens pères.   Saint Jean Chrysostome, sur ce passage : « Les choses que l’on fait en plus de celles qui sont commandées méritent une récompense.  Celles qui correspondent au précepte, non. »  Saint Ambroise dit deux fois que saint Paul a considéré comme illicite ce qui lui était permis.  Saint Augustin (dans son œuvre sur l’œuvre des moines,  chapitre 5) : « Celui qui avait amené un blessé dit à l’aubergiste :  s’il faut payer davantage, je l’ajouterai.   Or, Paul payait plus qu’il ne devait,  puisque, comme il l’atteste lui-même, il militait avec son argent. »  De plus, les autres apôtres recevaient des biens et de l’argent du peuple, et il  n’est pas vraisemblable qu’ils aient péché.  Saint Paul n’a donc pas péché, lui non plus.
Le martyr répond que le cas de Paul est différent de celui des autres apôtres, car les autres n’avaient pas comme émules de faux apôtres, comme en avait Paul.   Mais, cela ne vaut rien, car, autrement, il n’aurait pas eu raison de dire qu’il avait le droit de se faire entretenir par le peuple comme les autres apôtres.   De plus, saint Paul ne s’est pas abstenu de recevoir des biens ou de l’argent à cause des pseudos apôtres, mais pour ne pas imposer un fardeau au peuple, comme il dit lui-même à 1 Thessal 2, et 2 Thessal 3.   Bien plus, à cause des pseudos apôtres, il aurait plutôt du accepter des offrandes.  Car ce sont eux qui accusaient Paul, comme Cajetan l’a bien remarqué, de ne pas ressembler à un véritable apôtre parce qu’il ne vivait pas comme les autres apôtres. Voilà pourquoi, dans tout ce chapitre, il prouve qu’il est un vrai apôtre, et qu’il pourrait accepter une dime s’il le voulait.
Au premier argument, je dis qu’il est faux qu’il ne soit pas permis de mourir pour une œuvre surérogatoire, car, combien de vierges ont été tuées parce qu’elles avaient refusé le mariage !  Au deuxième, je réponds qu’Anselme, dit de ce passage que saint Paul aurait désespéré de son salut s’il avait évangélisé pour des aliments temporels.  Nous pouvons peut-être dire mieux.  Quand Paul dit :  si j’évangélise, ce n’est pas pour moi une gloire, il ne désespère pas de la gloire tout court, mais seulement de celle qui est due à une œuvre surérogatoire,  comme l’explique saint Jean Chrysostome.  Au troisième je dis avec saint Jean Chrysostome (homélie 8 sur la pénitence), Oecumenius et Théophylactus (dans leurs commentaires de ce passage) que saint Paul emploie le mot abus au sens d’un véhément usage.  Car, ce qu’il veut dire, c’est qu’il n’utilise pas son pouvoir autant qu’il le peut.
 Ce n’est pas une nouveauté, car les auteurs autant sacrés que profanes ont employé ce mot dans ce sens.  Car le mot grec katagraômai et le mot latin abutor, signifient trois choses.  La première. Se servir de quelque chose contre ce pourquoi elle a été instituée, et cela est mauvais.  La deuxième. Se servir d’une chose en marge de ce pourquoi elle a été instituée.  Et cela n’est pas un mal.  D’où vient la figure katagrèsis.  Voir la onzième épitre de saint Paul à Sévère : « C’est pourquoi, après avoir obtenu l’assentiment de son fils l’Empereur, la mère Augusta, après avoir vu les trésors réservés aux saintes œuvres, abusa de tout le fisc »  La troisième.  S’en servir tout simplement, comme Platon, épitre 8, et d’autres auteurs.
Il a dit aussi : pour n’offenser personne.  Je dis que le mot offense ne signifie pas ici un scandale, mais un atermoiement.  Car, en grec on a le mot  egkotèn.  Il craignait que certains avares retardent leur démarche initiatique pour ne pas avoir à nourrir les prédicateurs.  Or, cette crainte pouvait être commune à Paul et aux autres apôtres, qui, nonobstant, percevaient les offrandes populaires.  Ce qui nous fait comprendre que ce ne fut pas un péché de recevoir des offrandes du peuple, même si cela devait entraîner, pour certains, un certain retard dans leur accueil de l’évangile.  Car, ce retard ne provenait d’aucune faute des apôtres, qui ne faisaient qu’user de leur droit, mais de la faute des auditeurs. Et pourtant, saint Paul, préféra plutôt souffrir la faim et le labeur que d’apporter le moindre retard à l’évangélisation.
 J’ajoute enfin que ces mots : pour ne pas abuser de mon pouvoir, et pour ne pas apporter d’empêchement signifient que saint Paul aurait péché si l’acceptation d’offrandes populaires avait fait en sorte qu’il n’aurait pas pu se glorifier auprès des hommes d’un travail non du.  Car, si lui-même dit qu’il devait faire ainsi, et si cela il le dit aux hommes, comment se glorifie-t-il d’avoir fait une oeuvre non due ?  Pierre martyr milite donc contre lui-même quand il enseigne que saint Paul s’est glorifié auprès des hommes d’une œuvre non due.  Et cependant, il présente le même Paul qui dit avoir du faire cette œuvre, et avoir péché s’il ne l’avait fait.
Le neuvième témoignage est celui de l’apocalypse 14 : « Personne ne pourra dire le cantique sauf les 144 mille, ceux qui ne se sont pas souillés avec la femme, car ils sont vierges, et suivent l’Agneau partout où il va. »  Ce témoignage montre clairement que les vierges ont une récompense insigne, puisqu’elles chantent un cantique qu’aucun autre des bienheureux ne peut chanter.  Les magdebourgeois répondront (centurie 1, livre 2, chapar 4, col 454) que ce passage doit s’entendre mystiquement de ceux qui ne se sont pas souillés dans l’idolâtrie, qui est appelée fornication de Babylone, de la grande prostituée.  Au contraire.  Car, au début, saint Jean indique que ces vierges ont été peu nombreuses, celles qui sont seules  à pouvoir chanter le cantique.  Car, 144 mille c’est peu de chose, si on compare ces vierges avec la foule des grands saints, foule si grande qu’on ne pouvait pas la compter (Apocalypse, chapitre 7). Et, la plus grande partie des saints ont été immunes de l’idolâtrie, comme chacun le sait.
De plus, c’est des vraies vierges que les pères entendent ce passage. Comme  Primasius, Bède, Oecumenicus, et Anselme. Saint Jérôme (dans son livre contre Helvidius, à la fin,  saint Grégoire (3 part pastorale, chapitre 29), saint Augustin (la sainte virginité, chapitre et suivants), qui dit, au chapitre 29 : « La multitude des fidèles restante vous verra, elle qui n’a pas voulu le suivre jusque-là.  Elle verra sans envier, se réjouissant avec vous d’avoir par vous ce qu’elle n’a pas par elle-même.  Car ce nouveau cantique, qui est proprement vôtre, la multitude ne pourra pas le dire.  Elle pourra l’écouter, cependant, et se délecter de votre bien si excellent. Mais vous qui le direz et l’écouterez, parce que ce que vous direz vous l’entendrez aussi, vous exulterez avec une joie plus grande encore, et vous règnerez plus agréablement. »  Et voilà pour les Écritures.
                                          CHAPITRE DIX
On le prouve ensuite par les exemples de l’Église primitive.  Car, il appert qu’au tout début de l’église naissante, plusieurs ont commence à pratiquer la continence, et la vie en commun, en vendant tous leurs biens,  ce qui a été rarement vu dans l’ancien testament.  Il ne pouvait y avoir d’autre cause de cette innovation que la prédication du Christ et des apôtres. À actes 4, on lit que tous les possesseurs de champs et de maisons, les vendait pour en déposer le prix aux pieds des apôtres.   Pourquoi cela ? Parce qu’ils avaient entendu que le Seigneur l’avait conseillé.  Nous lisons en effet qu’un si grand nombre avaient senti l’appel  que les quatre filles de Philippe sont devenues vierges, non pour un certain temps,  mais, on n’en peut douter,  pour toute la vie.  Car, saint Luc rapporte  comme une grande chose, qu’un seul homme ait quatre filles vierges.   Qu’y a-t-il de si étonnant à avoir quatre filles vierges là où les filles se marient dès qu’elles deviennent nubiles ?  Ajoutons que Eusèbe (livre 3, chapitre 30 de son histoire), enseigne d’après Policrate, que les filles de Philippe ont vieilli dans la virginité.
De plus, le Juif Philo (dans son livre sur la vie contemplative)  atteste que plusieurs en son temps, c’est-à-dire au début de l’Église, ont mené la vie commune en tant que célibataires.  Il dit qu’il y a eu de ces collèges d’hommes en plusieurs endroits de la terre, tant chez les Grecs que chez les barbares, mais surtout en Égypte. Parmi les Grecs saint Justin, auteur ancien, dit, dans son apologie du milieu du deuxième siècle, qu « ’aucun peuple ne vénère le célibat comme les chrétiens.  On trouve chez eux, beaucoup d’hommes et de femmes qui demeurent vierges jusqu’à leur extrême vieillesse ».  Tertullien, le plus ancien écrivain des latins,  écrit la même chose dans son apologie, chapitre 9.

                                                                  CHAPITRE 11
                                               Le nombre des ordres ecclésiastiques
S’ajoute la troisième question sur la distinction des clercs, ou des ministres de l’Église.  Cette question consiste en trois choses. Nous différons d’avis avec nos adversaires sur le nombre, l’antiquité et sur la fonction des clercs.  Commençons donc par le nombre.   Jean Calvin (livre 4, chapitres 4 et 19 de son institution) et Martin Kemnitius  (dans son examen de la session 23 du concile de Trente) rejettent le chiffre sept que les catholiques reconnaissent et enseignent, et n’en acceptent que trois : l’ordre des évêques qu’ils appellent plutôt pasteurs, celui des presbytes, qu’ils appellent anciens, ou docteurs ou ministres de la parole, et celui des diacres.   L’ordre des exorcistes ils l’écartent d’un revers de main.  Les autres ils les reconnaissent mais pas comme des ordres, et sans qu’il y voir un nombre fixe.  Ils disent que les lecteurs, les acolythes,  les portiers furent des ministres que les pasteurs utilisaient selon les besoins du moment; qu’ils étaient plus ou moins nombreux selon la grandeur ou la petitesse de l’église. Ils le prouvent cela, en faisant remarquer que les pères ne présentèrent pas tous les mêmes chiffres.  Calvin (livre, chapitre 4, verset 1) cite un texte de saint Jérôme (son commentaire d’Isaïe, chapitre 19) qui ne parle que de cinq ordres, les évêques, les prêtres, les diacres, les fidèles et les catéchumènes.
Kemnitius  présente aussi ses citations. La première. Denys l’aréopagite (dans le chapitre 4 de sa hiérarchie ecclésiastique), n’en connait que trois : celui des pontifes, des prêtres et des ministres. La deuxième.  Les canons apostoliques n’énumèrent que cinq ordres : celui des évêques, des prêtres, des diacres, des lecteurs et des chantres.  La troisième.  Saint Ambroise (dans son commentaire du quatrième chapitre des Éphésiens) n’en énumère que cinq, mais il met les exorcistes à la place des chantres.   La quatrième.  Saint Ignace dans son épitre aux antiochiens,  et saint Épiphane (Panarius) en comptent plus que sept, car ils ajoutent des travailleurs.   Saint Ignace ajoute, lui, des confesseurs.   La cinquième. Les canonistes (Gratien dist 23 et 25) ajoutent un psalmiste.  Et il conclut : « Ce n’est donc pas un dogme catholique qu’il n’y ait que sept ordres. »
Les catholiques, pour leur part, veulent qu’il y ait un nombre certain et statué des ordres ecclésiastiques proprement dits.  Il faut noter que les auteurs ont coutume d’entendre le mot ordre (ecclésiastique) de deux façons. Une première, au sens propre, et une autre, au sens large.  Sont appelés proprement ordres ecclésiastiques ceux qui sont conférés par l’évêque au moyen d’un rite sacré et solennel, et qui se rapportent à un ministère  en relation avec le sacrifice divin. Dans ce sens, sept ordres seulement sont reconnus, à savoir le prêtre, le diacre, le sous-diacre, l’acolythe, le lecteur, l’exorciste et le portier. Car même si l’évêque et le prêtre sont différents, sous l’angle du sacrifice,  ils exercent le même ministère.  Voilà pourquoi ils forment un seul ordre, et non deux, comme le lecteur, le chanteur et le psalmiste.
Voilà pourquoi le pape Corneille (dans son épitre à Fabien, citée par Eusèbe (livre 6, chapitre 33 de son histoire),  dit que, dans l’église romaine, en son temps, c’est-à-dire il y a 1300 ans,  il y avait 46 prêtres, 7 diacres, 7 sous-diacres, 42 acolythes, des exorcistes avec des lecteurs et des portiers au nombre de 52.  Il ne fait là aucune mention des chanteurs et des travailleurs, ou d’autres ordres dont parlent d’autres auteurs. Et la raison en est que ces derniers n’avaient pas d’ordination propre, et n’avaient pas un ministère en rapport avec le saint sacrifice de l’autel. Dans le concile romain, sous Sylvestre (chapitre 3), les mêmes sept ordres sont énumérés.  Dans le quatrième concile de Carthage (canon 2 et suivants), en plus des ordres déjà nommés dans l’épitre de saint Corneille, et dans le concile romain, a été ajouté celui de psalmiste ou de chantre.  Mais, au même endroit, le concile précise que le psalmiste n’est pas ordonné par l’évêque, mais qu’il peut exercer son ministère sans la permission de l’évêque, et sans un ordre de son pasteur.  Saint Isidore (au livre 7 des étymologies, chapitre 12, et dans sa lettre à Ludifredus, Raban (livre 1, chapitre 6  et suivants des institutions cléricales), Amalarius (livre 2, chapitre 7  et suivants des offices ecclésiastiques), Hugo de Saint Victor (livre 2, par 3 chapitre 5, dans son livre sur les sacrements), tous ces auteurs énumèrent et expliquent les mêmes sept sacrements. Pierre Lombard, le maître des sentences fait la même chose. Or tous les théologiens, comme l’on sait, l’ont suivi dans 4 dist 24.
De plus, le concile de Florence énumère les mêmes, dans son instruction aux Arméniens, ainsi que la session 23 du concile de Trente, chapitre deux.   Et c’est ce qu’atteste aussi la pratique de l’Église.  Car on ne confère jamais d’autres ordres que ceux-là.   La tonsure, en effet, n’est pas un ordre, puisqu’elle n’a aucun office qui lui soit attaché.  Elle n’est qu’une préparation aux ordres, comme le catéchisme l’est au christianisme.
On appelle ordres au sens large tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, sont voués aux devoirs divins, même s’ils n’ont aucun lien avec le sacrifice de la messe. Et dans ce sens, sont appelés ordres par les pères même les moines, les vierges, et les veuves consacrées à Dieu, ainsi que les fossoyeurs.  Saint Denys l’aréopagite parle de l’ordination d’un moine  (dans le chapitre sixième de la hiérarchie ecclésiale), et Épiphane des fossoyeurs,  dans sa somme doctrinale, car l’ensevelissement des morts était considéré comme une action religieuse. Le même Épiphane parle de l’ordre des diaconesses, des vierges ou des veuves, qui servaient l’église dans l’instruction des femmes qui allaient être baptisées, et dans l’immersion elle-même.
À partir de ce que nous venons de préciser, il sera facile de donner une explication des passages que les adversaires nous présentent contre le nombre sept des ordres.   D’abord, le texte de saint Jérôme que nous oppose Jean Calvin.  Je réponds que, dans ce texte, saint Jérôme ne parle pas des ordres des clercs, mais des ordres des chrétiens.  Voilà pourquoi il place en premier lieu les clercs, ensuite les laïcs, qu’il appelle fidèles, et à la fin les catéchumènes.   Ensuite, parmi les clercs, il n’en nomme que trois : les évêques, les prêtres et les diacres, car il voulait reproduire le chiffre cinq.  Il expliquait alors ce passage d’Isaïe : « Il y aura cinq villes, dans la terre d’Égypte, qui parleront la langue cananéenne »;   et il voulait voir dans ces cités l’église catholique.  Donc, pour atteindre le chiffre cinq, il ne plaça que les trois premiers des clercs, dans lesquels les autres sont contenus, bien qu’ailleurs il les ait présentés souvent au complet.  Car, il parle des sous-diacres dès les premiers mots de sa lettre 91,  des acolytes et des lecteurs dans sa lettre 2 à Népotien, des exorcistes et des portiers, dans les derniers mots de  son commentaire du chapitre 2  de l’épitre à Tite.
À la citation de saint Denys l’Aréopagite, présentée par Kemnitius, je réponds que saint Denys ne voulait pas énumérer le nombre des ordres, mais le nombre des hiérarchies.  Car, il y a trois hiérarchies dans l’église militante, comme il y en a trois aussi dans l’église triomphante.  La première est celle des pontifes, la seconde celle des prêtres, et la troisième celle des diacres. Si comparés aux prêtres, les diacres sont appelés et sont vraiment des ministres, ils sont cependant, si on les compare au peuple des fidèles, des princes et des présidents;  et voilà pourquoi on en fait une hiérarchie.  Les ordres inférieurs ne président pas au peuple, mais ne font que servir les diacres et les prêtres.  Que les diacres président, c’est ce qu’enseignent saint Ignace (dans son épitre aux Tralliens : « Soyez soumis à l’évêque, ainsi qu’aux prêtres et aux diacres. »  Saint Jérôme (dans le chapitre 2 à Tite) : « Ce ne sont pas seulement les évêques, les prêtres et les diacres qui doivent s’appliquer  avec soin à précéder par la conduite, la parole et la science, le peuple sur lequel ils président, mais même les grades inférieurs comme ceux des exorcistes, des lecteurs, et tous ceux qui servent dans la maison de Dieu. »  Saint Jean Chrysostome enseigne la même chose dans son homélie 83 sur Matthieu, dans laquelle il persuade un diacre de refuser la communion  à un empereur qui se présente indignement à la sainte table: « Empêche-le, et corrige-le, car tu as un pouvoir plus grand que le sien! »  Et c’est la raison pour laquelle on choisit des évêques parmi les prêtres ou les diacres de l’Église, non parmi les ordres inférieurs, comme le montre saint Léon (épitre 84 à Anastase, chapitre 6).  Et je pense que c’est aussi pour cette raison que, dans l’église romaine, seuls les évêques, les prêtres ou les diacres sont cardinaux.
Au sujet des canons apostoliques, je réponds que saint Clément n’a jamais voulu, dans les canons des apôtres, énumérer tous les ordres, mais qu’il a tantôt parlé de l’un, tantôt de l’autre, selon que le contexte le demandait.  Que le même Clément ait connu plusieurs ordres, le canon 15 le laisse entendre clairement : « Si un prêtre, un diacre, ou l’un quelconque du nombre des clercs. »   Au témoignage de saint Ambroise, je réponds que dans son commentaire aux Éphésiens, chapitre 14, il ne fait mention que de cinq ordres parce qu’il voulait expliquer les paroles de saint Paul sur les ordres : il a été donné à d’autres d’être des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs et des docteurs.  Et comme saint Paul n’en a nommé que cinq, il s’est cru obligé de s’en ternir au chiffre  cinq.  Par apôtres, il entend des évêques, par prophètes des presbytes, par évangélistes des diacres, par pasteurs des lecteurs, par docteurs, ou comme il le lit, par maîtres, des exorcistes.  Je réponds aux textes de saint Ignace et de saint Épiphane que ces pères ont compté parmi les ordres non seulement les ordres proprement dits, mais aussi ceux qui le sont au sens large.  Aux témoignages des canonistes, je réponds qu’ils comptent neuf ordres parce qu’ils distinguent les évêques des prêtres, et le lecteur du chantre, ce que les théologiens ne font pas. Mais il n’y a pas entre eux de dissension, car les théologiens ne regardent les ordres que dans leur relation au sacrifice de l’autel.  C’est de cette façon que nous disons, nous,  qu’un évêque n’est pas différent d’un prêtre, et qu’un lecteur n’est pas différent d’un chantre.  Les canonistes, eux, envisagent les ordres en tant qu’ils constituent une hiérarchie, et c’est pour cette raison qu’ils distinguent les évêques des prêtres.
                                                   CHAPITRE 12
                                           L’antiquité des ordres
Jean Calvin parle ainsi de l’antiquité des ordres, surtout des ordres mineurs (livre 4, chapitres 19, verset 27 de ses institutions) : « Ils furent inconnus à la primitive église, et ils furent inventés plusieurs années après. »  Mais saint Clément et saint Ignace, disciples des apôtres, prouvent que cette déclaration de Calvin est farfelue, car chacun de ces deux se souvient des ordres mineurs.  Saint Clément (livre 8 des constitutions apostoliques) décrit les rites de presque tous les ordres, même des ordres mineurs. Et saint Ignace dans sa lettre aux Antiochiens conclut ainsi : « Je salue votre saint presbyte, je salue les saints diacres, je salue les sous-diacres, les lecteurs, les chantres, les portiers, les travailleurs et les exorcistes. »  Et au temps de saint Cyprien, tous ces ordres se trouvaient dans l’église, sans avoir commencé alors.  Car, les auteurs de ce temps en parlent comme d’une chose antique et reçue partout, qui ne devait donc pas être beaucoup éloignée des temps apostoliques.   Cyprien (livre 2, épitre 2) dit : « J’ai transmis à l’acolythe Nicéphore des exemplaires qui m’ont été envoyés par Mettius le sous-diacre. »  Aux livres 2 et 4 de l’épitre 5, il écrit qu’il vient d’ordonner les lecteurs Aurélien et Célérin.  Dans l’épitre 14 du livre 5, il écrit «  Le presbyte et lecteur Lucien a écrit sur le clerc et l’exorciste. »
À la même époque le pape Corneille a écrit une lettre à Fabien, évêque d’Antioche. Voici quelles sont ses paroles, comme les a transcrites Eusèbe (livre 6, chapitre 33 de son histoire ecclésiastique) : « Celui qui revendiquait l’évangile ne savait donc pas que dans l’église catholique, il doit y avoir un évêque là où il voyait 46 prêtres, sept diacres, sept sous-diacres, quarante-deux acolythes, des exorcistes et des lecteurs avec des portiers ? »  J’omets le canon 24 du concile de Laodicée et les canons 2 et suivants du quatrième concile de Carthage, dans lesquels il est fait mention de tous les ordres.  Ces conciles ont été célébrés l’un il y a 1100 ans, et l’autre il y a 1200 ans.   On peut facilement en déduire que ces ordres sont beaucoup plus anciens que ne le pense Calvin.
                                                      CHAPITRE 13
                                   Des fonctions ou des tâches des ministres
Il reste la fonction ou la tâche de tous ces ministres.   Sur ces points, Calvin et Kemnitius sont fort loin de penser comme nous.  La porte d’entrée dans le ministère est la tonsure, laquelle n’est pas un ordre, puisqu’elle n’a aucune tâche particulière qui lui soit assignée. Elle n’est qu’une disposition, une préparation aux ordres.  Ceux qui sont ainsi tonsurés professent leur désir de s’initier aux ordres, et de passer des affaires du monde à la milice ecclésiastique.  C’est donc plus loin que nous traiterons formellement du rite de la tonsure.
Le premier ordre est celui de portiers. Tous tombent d’accord sur son existence.  Car Calvin  (livre 4, chapitre 4, verset 9 de ses institutions) admet que la fonction des portiers fut, autrefois, d’ouvrir et de fermer les portes de l’Église, et aussi d’avoir soin du temple.  Et au chapitre 19, verset 27 il reproche à l’église de demander aux évêques d’ordonner des portiers par un rite solennel, car ce n’était pas pour lui une tâche ecclésiastique, mais un travail quelconque, comme celui que remplissent les portiers dans les maisons profanes.  Mais il ne présenta aucun texte pour prouver son assertion.  Nous avons, nous, les textes ci-haut cités dans lesquels l’ordre des portiers est compté parmi les ordres de l’Église. Et de plus, dans le quatrième concile de Carthage, au canon 9, sont prescrits le rite et la forme des ordinations des portiers.  Et c’est précisément ce rite que l’église utilise encore aujourd’hui.   Voici ce que dit le concile : « Quand le portier est ordonné, après avoir appris de l’archidiacre comment il doit se comporter dans la maison de Dieu, l’évêque, à la suggestion de l’archidiacre, lui remet, de l’autel, les clefs de l’église en disant : « Agis comme devant avoir rendre compte des choses qui sont remises en sureté par ces clefs. »  Quand Calvin se moque de cela, ce n’est pas seulement des papistes modernes (pour employer son expression) qu’il se moque,  mais de l’église catholique qui est aujourd’hui et qui a été dans le Christ pendant plus de mille ans.
Le deuxième ordre est celui des lecteurs.  Leur travail consistait à lire, du pupitre, tout ce qui devait être lu, dans l’église, des textes de l’ancien et du nouveau testament.  Que même les évangiles étaient lus par les lecteurs, saint Cyprien l’atteste (livre 2, épitre 5).  Il dit, en parlant de l’ordination du lecteur Aurèle : « Rien ne convient mieux à la voix qui confesse Dieu par une glorieuse prédication que de proclamer  les lectures; et, après les paroles sublimes qui parlent du martyre du Christ, de livre l’évangile qui fait les martyrs. » Il est croyable, cependant, qu’il n’appartenait pas au lecteur de lire l’évangile au moment du sacrifice (car cela appartenait aux diacres, comme nous le montrerons plus haut), mais seulement en dehors de ce temps.  Calvin reconnait (livre 4, chapitre 4, verset), que tel fut le travail des lecteurs.   Mais il dit que ce ne fut ni un grade, ni un ordre dans l’église.  Les évêques ne faisaient que demander à l’un de leurs serviteurs ou ministres de lire les « Écritures dans l’Église. Le peuple finissait ainsi par les connaitre et à les distinguer des autres.
Je réponds que le quatrième concile de Carthage, au canon 8, a prescrit le rite solennel de l’ordination des lecteurs; et que saint Cyprien (livre 2, épitre 5, livre 3, épitre 22, et livre 4, épitre 5) indique clairement que le lectorat a été un ordre et un grade dans l’Église.  Car, il lui donne souvent le nom de grade et honneur ecclésiastique.  Il dit aussi que Célerin, par humilité, avait fui ce grade, mais que, averti par une divine révélation, il a acquiescé.  Il s’excuse d’avoir, en situation d’urgence,  ordonné des lecteurs sans l’avis et le consentement des clercs. Il dit qu’il a approché de la cléricature un certain Saturus pour lui permettre de lire à Pâque dans l’église, parce qu’il n’avait pas encore été ordonné. Il le fit, ensuite, entrer parmi les clercs, et le promut à l’ordre de lecteurs.   Ces textes montrent clairement qu’autre est lire dans l’église, ce que Calvin admet,  et autre être promu à l’ordre de lecteur.
Le troisième est celui d’exorciste.  Leur tâche consiste à lire les exorcismes de l’Église sur les énergumènes, et, de cette façon, les préparer à être prêts à participer au sacrifice divin.  Autrefois, parce qu’il arrivait fréquemment que des démons soient chassés des corps humains, beaucoup d’énergumènes accouraient à l’église en grand nombre, et comme en troupeaux.  Et c’est pour cette raison que cet ordre a été institué.   Que l’ordre des exorcistes fut un ordre véritable et non seulement un don ou une grâce donnée gratuitement, comme le veut Calvin, les textes déjà cités le démontrent.  Saint Ignace dans sa lettre aux Antiochiens, le pape Corneille, dans sa lettre à fabien (d’après Eusèbe livre 6, chapitre 23 de son histoire), et saint Cyprien (livre 5, épitre 14, le concile romain sous Sylvestre (canon 3)  et le concile de Laodicée (chapitre 24) énumèrent, tous, les exorcistes parmi les ordres.  Mais c’est le concile de Carthage no 4, chapitre 7, qui le montre le plus clairement : « Quand il est ordonné, que l’exorciste reçoive de la main de l’évêque un livre dans lequel sont écrits les exorcismes.  En lui tendant le livre, l’évêque lui dit : « Reçois-le et confie-le à ta mémoire.  Et aie le pouvoir d’imposer les mains sur un énergumène, baptisé ou catéchumène. »  Et le concile de Laodicée (au canon 26) interdit à quiconque d’exorciser, en public ou en priver, à moins d’avoir été promu par un évêque à l’ordre des exorcistes.
Ces conciles nous font mieux comprendre quel fieffé menteur est Jean Calvin. Car il ose dire (livre 4, chapitre 19, verset 24 de ses institutions) : « On prétend qu’un pouvoir ait été conféré aux exorcistes sur les énergumènes par l’imposition des mains. » Comment pourrions-nous feindre, nous qui prouvons par des conciles ce que nous avançons.  Ajoutons aussi le témoignage de Sulpice Sévère qui, dans sa vie de saint Martin, (au chapitre 4) écrit : « Saint Hilaire de Poitiers, après avoir ordonné Martin Diacre, chercha à l’impliquer davantage dans la charge pastorale, et à l’employer à un ministère divin.  Mais comme il résistait toujours en se déclarant indigne, il comprit qu’il ne pouvait obliger  un homme de cette trempe qu’en lui en imposant la tâche,  et en lui enlevant ainsi tout prétexte de commettre une injustice.  Il lui ordonna donc de devenir un exorciste.  Et cette ordination il ne la répudia pas, pour ne pas sembler l’avoir méprisée parce qu’elle était trop humble. »
Le quatrième ordre est celui des acolythes.   Leur fonction propre consistait à suivre le diacre avec un cierge allumé jusqu’à l’endroit où se trouvaient l’évangile et l’encens.  C’est lui, aussi, qui préparait les burettes pour le sacrifice, et qui les présentait au sous-diacre. On l’a appelé acolythe à partir du mot grec akoloutheô,  qui signifie je suis.  On l’a appelé aussi céroféraire, parce qu’il s’occupe des cierges.  Ici, Calvin ne peut pas retenir son rire.   Car, voici ce qu’il dit (livre 4, chapitre 19, verset 23 de son institution) : « Elle est certainement admirable la subtilité qu’ils montrent en philosophant sur le mot acolythes.  Ils l’appellent céroféraire, mot magique qui n’a été entendu dans aucune langue et dans aucune nation. »  Et plus haut, (chapitre 4, verset 9), il dit : « On appelait acolythes ceux qui accompagnaient l’évêque dans ses tâches domestiques.  On l’accompagnait toujours d’abord pour lui faire honneur, et, ensuite pour que ne naisse aucun soupçon. »  Il veut donc que les acolythes n’aient été rien d’autre que les domestiques des évêques.  Mais, il ne cite aucun texte pour appuyer ses dires.  C’est à lui à voir s’il n’a pas affabulé lui-même, en tirant ces acolythes de son cerveau.  Quant à nous, que le grade et l’ordre ecclésiastique des acolythes a existé nous le prouvons par les témoignages cités, ceux du pape Corneille, de saint Cyprien, du concile romain, et du concile de Carthage.
Il avait à prendre soin des cierges et des cruchons, dont se moque Calvin.  Mais c’est ce qu’atteste le concile de Carthage 4, canon 6 : « Quand il est ordonné, l’acolythe apprend de son évêque comment il doit se comporter dans son travail.  Mais, c’est de l’archidiacre qu’il reçoit le porte-cierge avec un cierge, pour qu’il sache que sa tâche consiste à allumer les lumières de l’église. Et il reçoit aussi une burette vide pour suggérer le vin dans l’eucharistie du sang du Christ. »  Tu vois donc que le mot porte cierge n’est ni magique, ni inouï, ni inconnu de toutes les langues et de tous les pays, à moins de considérer un si grand nombre de saints pères, dont saint Augustin, qui ont participé à ce concile, comme des magiciens ou des gens de rien qui n’habitent nulle part et qui ne connaissent aucune langue.  On trouve le même nom chez Isidore (livre 7, chapitre 12, de ses étymologies), chez Amalarius (livre 2, chapitre 10), chez Raban Maure (livre1, chapitre 9, institution des clercs), Hugo (livre 2, par. 3, chapitre 5, sur les sacrements),  et chez beaucoup d’autres, qui n’étaient ni mages, ni d’aucune langue, ni d’aucun pays.
Le cinquième est celui des sous-diacres.  Son office propre consiste à  servir le diacre dans le sacrifice. Voilà pourquoi, quand il est ordonné, il reçoit un calice vide et une patène, comme nous le voyons dans le concile de Carthage, canon 5, et dans celui de Tolède 4, canon 27. «  C’est lui qui nous demande de lire les épitres de saint Paul à la messe », comme le concile de Reims l’enseigne au canon 4. Tous les auteurs cités plus haut ont fait mention de cet ordre.  C’est donc une fausseté  de plus qu’enseigne Calvin quand il dit (livre 4, chapitre 4, verset 5) que la tâche du sous-diacre ne consistait en rien d’autre  qu’à aider les diacres dans la distribution des aumônes, et à prendre soin des pauvres.
Le sixième ordre est celui des diacres.  Les catholiques ainsi que les hérétiques admettent que leur tâche consistait à recueillir les offrandes, et à administrer les biens d’église.  C’est ce qu’attestent les actes des apôtres, au chapitre 6.  Saint Léon également, dans son sermon sur saint Laurent. C’est peut-être à cause de cette fonction que des diacres autrefois se montrèrent insolents envers les prêtres. Les fonctions pécuniaires ont souvent été plus prisées que les autres.  Nous voyons, en effet, que certains conciles reprochent aux diacres leur arrogance, comme ceux de Nicée (canon 14), de Laodicée (canon 20), de Tolède 4 (canon 38).  Des Pères aussi, comme saint Cyprien (livre  3, épitre 9), saint Jérôme (épitre 85 à Évagrius, et livre 14 sur le chapitre 48 d’Ézéchiel), et saint Bernard (livre 4 de la considération).  Mais en plus de ce travail, les diacres avaient d’autres fonctions que ne reconnaissent pas les adversaires.  La première. D’assister le prêtre sacrifiant, de le servir, et de distribuer l’eucharistie au peuple.  Et  à cause de ce ministère sacré, ils recevaient une ordination éminemment sacrée.  Nous voyons, dans les actes, que c’est par l’imposition des mains que les diacres ont été ordonnés.  Il n’est pas croyable que les apôtres auraient utilisé cette cérémonie sacrée s’ils les avaient destinés au seul service  des tables.  Car, les veuves servaient aussi aux tables, sans avoir été ordonnées par un rite sacré.
De plus, Clément (livre 2, chapitre 14 des constitutions) nous apprend que les diacres avaient l’habitude d’assister les prêtres dans l’oblation du sacrifice.  Ce que saint Cyprien enseigne aussi (dans son sermon 6 sur ceux qui ont apostasié pendant les persécutions).  Nous apprenons la même  chose de l’histoire  du diacre saint Laurent racontée par saint Ambroise (livre 1, chapitre 41 de officiis).  Il nous présente un saint Laurent qui parle ainsi à saint Sixte : « Où vas-tu sans ton fils, père ? Où te diriges-tu, prêtre saint, sans ton diacre, toi qui, jamais, sans ton ministre, avais coutume d’offrir le sacrifice ? »  Et plus bas : « Celui à qui tu as confié d’être ton associé pour la consommation des sacrements, tu lui refuses d’être associé à ton sang?  »  La même chose nous est démontrée par la liturgie de saint Jean Chrysostome, et par son homélie 83 sur saint Matthieu.  La même chose aussi par saint Grégoire, qui, dans sa lettre à Léandre, qui est placée en premier dans les livres sur Job, nous enseigne « que le diaconat n’est rien d’autre que le ministère du saint autel. »  Enfin, Isidore, Raban, Amalarius, Hugo et les autres cités, qui décrivent les devoirs propres à chaque ordre, enseignent ce que nous venons de dire.
Deuxièmement.  C’était le devoir du diacre de lire l’évangile au momentdu sacrifice.  On le prouve cela en plus des textes déjà cités, par saint Jérôme, (dans son épitre 48 à Sabinien) : « Toi, émacié et pâle, pour écarter tout soupçon,  tu lisais l’évangile du Christ comme un diacre. »  Dans le synode romain (livre 4, épitre chap 88) un canon interdit aux diacres de chanter dans l’église, «  à l’exception de l’évangile au temps du sacrifice »  Les anciens conciles attestent la même chose (vasense, canon 4, remense, canon 5. »
Troisièmement.  Le rôle des diacres était de baptiser, de prêcher, de réconcilier les pénitents publics, de transporter l’eucharistie, et de l’apporter aux laïcs.    En somme, de tout faire ce que les évêques et les prêtres font,  sauf consacrer le corps du Sauveur, et ordonner des clercs,  et d’autres choses qui requièrent un pouvoir d’ordre.  Car, que les diacres peuvent baptiser, nous le voyons par l’exemple de saint Philippe, actes 8.  Voilà ce qui fait dire à Tertullien dans son livre sur le baptême : « Le droit de donner le baptême c’est le prêtre suprême qui l’a, et aussi, même les prêtres et les diacres. »  Que les diacres peuvent prêcher nous le montre l’exemple du diacre Saint Étienne, et du diacre Philippe (actes 7 et 8).  De même l’exemple du martyr saint Vincent qui prêchait, tout diacre qu’il était, comme saint Augustin l’atteste au sermon 2 de saint Vincent.    Ensuite, saint Grégoire (livre 4, épitre, chapitre 88) enseigne qu’appartient aussi au diacre le devoir de la prédication, et que lui-même a prêché quand il était encore diacre, selon ce qu’atteste le diacre Jean dans sa vie (livre 1, chapitre 41).  Depuis, dans son épitre 17, livre 3, saint Cyprien enseigne que, en l’absence des évêques et des prêtres, les diacres avaient parfois coutume de réconcilier les pécheurs. Le concile de Nicée, au canon 14, enseigne que, en l’absence de prêtres, les diacres peuvent apporter la communion aux laïcs.  Saint Justin, dans sa deuxième apologie, atteste que les diacres avaient coutume d’aller porter l’eucharistie aux absents.
Il faut cependant observer que toutes ces choses, et surtout le devoir de prêcher, appartient en propre aux évêques.  Il n’était même pas permis aux prêtres de prêcher,  sans le mandat et le consentement de l’évêque.  Car ce sont les évêques qui succèdent en ligne directe aux  apôtres. Et c’est des apôtres qu’il est dit en Actes 6 : « IL ne nous est pas bon d’abandonner le ministère de la parole de Dieu pour servir aux tables ».  Possidius écrit dans la vie de saint Augustin (chapitre 5) que l’évêque Valère avait concédé le pouvoir de prêcher à son prêtre saint Augustin, parce que, étant grec, il était moins apte à prêcher en latin.  Nous lisons aussi, dans le concile de Valence 2, au chapitre 2, que le pouvoir de prêcher à été donné aux prêtres par ce concile d’évêques.  Le même concile prescrit que, en l’absence de tout prêtre capable de prêcher la bonne parole, les diacres, en guise de sermons, récitent les homélies des saints pères.   Le septième ordre est celui du sacerdoce. Cet ordre est un sujet de grandes divisions entre nous et les adversaires.   Ce que nous verrons dans le chapitre suivant.
                                                          CHAPITRE 14
                                     La distinction entre évêques et prêtres
Voici donc en quoi consiste la question : le presbyte est-il absolument semblable à l’évêque, et surtout, de droit divin ?  Il y eut autrefois une hérésie, celle d’Aerius, (selon Épiphane, hérésie 75, et saint Augustin, livre sur les hérésies, chapitre 53) qui soutenait qu’il n’y avait aucune différence entre un prêtre et un évêque.  Il aurait conçu cette hérésie pour se consoler de n’avoir pas été nommé évêque, comme le laisse entendre clairement Épiphane.  C’est la même hérésie qu’on soutenue autrefois Jean Wiclif (livre 2 de la doctrine de la foi, art 3, chapitre 60) et de nos jours les luthériens et les calvinistes.  Voici comment s’exprime Jean Calvin sur cette question : « On appelait presbytres tous ceux à qui il avait été enjoint  de prêcher la parole de Dieu. Ces mêmes presbytes, dans chaque cité, élisaient l’un d’entre eux à qui ils donnaient le titre particulier d’évêque, pour que, comme il arrive souvent, de l’égalité ne naissent pas de dissensions.  L’évêque, cependant, n’était supérieur aux presbytes ni en honneur ni en dignité,  comme maître de ses collègues.  Pensons au rôle que joue  un consul dans un sénat, lequel est celui de s’occuper des affaires, en conseillant, avertissant, exhortant, de  gérer par sa propre autorité, et d’exécuter ce qui a été décidé d’un commun accord.  C’est ce genre de fonction que remplissait un évêque dans l’assemblée des presbytes.  Les anciens eux-mêmes témoignent que c’est par une décision humaine, à cause de la nécessité des temps, que cet ordre a été institué. »  Martin Kemnitius dit des choses semblables dans son examen de la session 23 du concile de Trente, ainsi qu’Érasme (Timothée chapitre 1, 4).
L’Église catholique, elle,  reconnait une distinction entre ces deux ordres,  et enseigne que c’est de droit divin que l’épiscopat est plus grand que le presbytérat, tant par le pourvoir d’ordre que de juridiction.  C’est ainsi que parle le  concile de Trente (session 23, chapitre 4) : « Le synode sacrosaint déclare que, en plus des autres grades ecclésiastiques, les évêques, qui succèdent aux apôtres dans leurs charges, appartiennent principalement à cet ordre hiérarchique, et, comme le dit l’apôtre, ont été placés par l’Esprit Saint pour régir l’Église de Dieu, et  sont supérieurs aux presbytes. »  Et le canon 6 : « Si quelqu’un dit que, dans l’église catholique, il n’y a pas de hiérarchie instituée par une disposition divine, qui est formée d’évêques, de prêtres et de ministres, qu’il soit anathème. »  C’est la même sentence que défendent les théologiens docteurs dans leurs commentaires du maitre des sentences (livre 4 sentences, dist 24)  et saint Thomas (2, 2, question 184, article 6 ».  La dispute qui porte sur les sacrements, à savoir si l’épiscopat et le presbytérat forment un seul sacrement ou un seul ordre ou deux, nous la laissons de côté pour l’instant.  Nous tenterons de démontrer trois choses.   La première.  L’évêque est, de droit divin, plus grand que le presbyte par rapport au pouvoir de l’ordre.  La seconde.  Il est plus grand aussi par rapport à la juridiction. La troisième.  Dans l’église ancienne, les évêques n’étaient pas, dans l’assemblée des presbytes, semblables à des consuls dans un sénat, mais semblables à des rois et des princes dans une assemblée de conseillers.
Il est facile de prouver que, quant au pouvoir de l’ordre,  l’évêque est plus grand que le presbyte,  et cela, de droit divin.  Car, seul un évêque peut ordonner des presbytes, et générer ainsi des pères de l’Église, comme Épiphane le rappelait à Aérius.  Les presbytes, eux, ne peuvent pas ordonner, mais seulement baptiser, et générer ainsi des fils à l’Église.  C’est ce qu’enseigne saint Damase  dans son épitre 3,  ainsi que le concile d’Antioche (chapitre 10) et d’Ancyre (canon 12), Épiphane (hérésie 75), saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylacte et Oecumenius (dans 3 et 4, chapitre 1 de Timothée). Saint Jérôme, (épitre 85 à Évagrius) : « À l’exception de l’ordination, que fait l’évêque que ne fait pas le presbyte ? »  De même, saint Léon (épitre 88), ainsi que la coutume de l’église.  Car on n’a jamais entendu dire que des presbytes aient ordonné des presbytes ou des diacres, ou même des évêques.
Que ce soit de droit divin que seuls les évêques ordonnent, on le déduit facilement de ce qu’une ordination faite par un non évêque serait tenue pour invalide.  C’est dans ce sens que Grégoire 111 écrit à Boniface : « Les prêtres que tu as repérés, si on ne connait pas ceux qui les ont ordonnés, ou si on doute qu’ils aient été ordonnés par des évêques, qu’ils aient de bonnes mœurs, ou s’ils soient de vrais catholiques, ou prêtres dans le ministère du Christ, qu’ils soient instruits dans la loi de Dieu, qu’ils reçoivent la bénédiction du presbytérat par leur évêque, et que, ainsi ils exercent le saint ministère. » Et avant lui, le pape Damase, parlant, dans l’épitre 3, des chorépiscopes, qui, bien qu’ils n’aient été que des presbytes, osaient ordonner à la manière des évêques,  dit : « Vain et nul tout ce qu’ils ont fait dans leur soi disant ministère de pontife suprême. » Or, il est certain que si c’était de droit divin que les presbytes tenaient de leur caractère sacerdotal le pouvoir d’ordonner, ce qu’ils feraient ne serait pas nul et invalide, même si l’Église le leur interdisait.  De plus, comme l’ordination est un sacrement (ce que même Calvin admet), et que tous les sacrements ont été institués par Dieu, il est certain que celui qui est plus grand dans le pouvoir  qui est reçu par le sacrement de l’ordination est nécessairement plus grand par l’institution divine.
On peut tirer un argument semblable de la confirmation des baptisés, et de la consécration des temples et des autels.  Car il appert que seuls les évêques, en tant que ministres ordinaires, peuvent conférer le sacrement de confirmation, et consacrer les temples et les autels.  Ce qui n’est pas permis aux presbytes.   C’est ce qu’enseigne saint Léon dans son épitre aux évêques d’Allemagne et des Gaules, et avant lui, Damase (épitre 3 des chorépiscopes), et, avant l’un et l’autre,  Denys l’Aréopagite (chapitres 4 et 5 de la hiérarchie ecclésiastique).  Il dit, là, que seul l’évêque peut, par une divine ordination, consacrer avec le chrême.  Ne voyons-nous pas, dans les actes, des apôtres, à qui succèdent les évêques,  être envoyés pour donner le Saint Esprit, par l’imposition des mains, à  des gens qui avaient déjà été baptisés ?
 Que les évêques soient supérieurs aussi aux presbytes, de droit divin, quant au pouvoir de juridiction, nous le prouvons d’abord par une figure de l’ancien testament, tout en notant que cet argument vaut aussi pour le pouvoir d’ordre.  Dans l’ancien testament, il y avait un seul prêtre suprême, Aaron, et ceux qui descendaient de lui.  Il y avait, ensuite, des prêtres inférieurs, tous fils d’Aaron, et ceux qui descendaient d’eux.  Il y en avait aussi d’autres, des lévites, qui tiraient leur origine de Lévi, mais qui ne descendait pas d’Aaron.  Il appert que, de droit divin, ces trois ordres ont été distincts, celui des pontifes, celui des prêtres, et celui des lévites. Le pontife était plus grand que les prêtres, et les prêtres plus grands que les lévites.  Leurs consécrations étaient différentes, ainsi que  leurs fonctions et leurs vêtements (Exodre 28 et 49, Lévit 8, Nombres 3 et 4, et 20).
 Que la juridiction appartienne aux pontifes et non aux  prêtres mineurs, le Deutéronome nous l’enseigne assez clairement, au chapitre 17 : « Celui qui, par orgueil, ne voudra pas obéir à un ordre du prêtre sera condamné à mort par une sentence du juge. »  C’est ce que reconnaissent les centuriates (centurie 1, livre 1, chapitre 7, colonne 257) : «Dans l’église du peuple Juif, il n’y avait, de par la loi divine,  qu’un seul grand prêtre que tous devaient accepter et auquel tous devaient obéir. »  De même Calvin (livre 4, chapitre 6, verset 2 de ses institutions) : « Dieu établit là une seule autorité, que tous accepteraient, pour mieux les maintenir tous dans l’unité. »  Or les évêques sont dans l’Église ce qu’étaient les pontifes dans l’ancien testament; et les prêtres, ce qu’étaient les prêtres mineurs;  et les diacres, ce qu’étaient les lévites.  C’est ce qu’enseignent saint Damase au sujet des chorépiscopes, saint Jérôme, (dans sa lettre à Évagre, 85), et saint Léon dans la lettre 88 des évêques d’Allemagne et des Gaules, le concile espagnol 2, chapitre 7, et plusieurs autres graves auteurs.  Et, pour sûr, aucune raison ne nous permet d’affirmer que, dans l’ancien testament, la hiérarchie ait été plus diversifiée que celle du nouveau, d’autant plus que, pour saint Paul (Hébreux 10) l’ancienne a été une ombre et une image de la nouvelle.  Il s’ensuit donc que, comme, dans l’ancien testament, les pontifes l’emportaient en autorité sur les prêtres mineurs, dans le nouveau testament, aussi, les évêques l’emportent en autorité sur les prêtres.
 On le prouve, en seconde lieu, par la distinction entre les apôtres et les 70 disciples.  Car les pères enseignent unanimement que les évêques ont succédé aux apôtres, et les prêtres aux soixante-dix disciples. Voir le concile de Néocésarée (canon 13, Damase, épitre 3 sur les chorépiscopes, Anaclet épitre 2, saint Jérôme, épitre à Marcella sur les erreurs de Montan,  saint Augustin, traité sur le psaume 44, saint Léon, épitre 88, saint Isidore (livre 2 des divins devoirs),  Béde (chapitre 10 de saint Luc), et les autres.   Que les apôtres aient été, de droit divin, plus grands que les soixante-dix, il est facile de le constater. D’abord, par une institution séparée et différente. Car, le Seigneur n’a voulu avoir que douze apôtres (Luc, chapitre 6).  Il les gardait toujours avec lui, et leur enseignait privément.  Il a aussi institué soixante-douze disciples, (Luc 10). Mais (Jean 20), c’est aux seuls apôtres qu’il a dit : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. »  Ensuite (actes 1) quand le nombre douze a été diminué, Mathias a été choisi pour le combler, non sans cérémonie solennelle, bien qu’il ait été parmi les disciples.
 Troisièmement, on le prouve par les paroles du Seigneur en Matthieu 24 : « Le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur établira sur sa famille. »  Ces paroles saint Hilaire et d’autres pères ont voulu qu’elles s’appliquent aux évêques.  Ce qui nous fait comprendre que, par l’institution de Notre Seigneur, la charge propre des évêques est le gouvernement de l’Église.  C’est à cela aussi que se rapporte ce passage des actes 20 : « Veillez sur vous et sur tout le troupeau, pour qui le Saint Esprit vous a placés comme évêques, afin de régir l’église du Christ. » Quatrièmement, on le prouve par l’antiquité.  Car si c’était de droit humain que les évêques l’emportaient sur les prêtres, on trouverait certainement, après l’époque apostolique, un commencement de cette nouvelle institution. Or, au temps des apôtres, c’était déjà l’usage dans l’église que les prêtres soient soumis aux évêques. Car, (1 Timothée 5), l’apôtre écrit ainsi : « Ne reçois aucune accusation des presbytes sans deux ou trois témoins. » Nous voyons clairement là que, au temps des apôtres, l’évêque était le juge des prêtres, donc un vrai prince et supérieur.
 De même, saint Ignace, disciple des apôtres, écrit dans son épitre aux Philadelphiens : « Bons sont les prêtres et les ministres de la parole, mais meilleur est le pontife à qui sont confiées les saints des saints, à qui seul sont communiqués les secrets de Dieu. »  Saint Clément, l’égal de saint Ignace, dit au canon 40 des canons des apôtres : « Que sans l’évêque, les prêtres et les diacres n’entreprennent rien, car, c’est à lui que le peuple de Dieu a été confié, et qui devra rendre compte à Dieu de leurs âmes. »   De plus, Denys l’Aréopagite, disciple de Paul, décrivant (dans le chapitre 5 de la hiérarchie ecclésiastique), la hiérarchie divinement instituée, place d’abord les pontifes, ensuite les prêtres, et enfin les ministres. Saint Irénée, qui a été proche des temps apostoliques, écrit (livre 3, chapitre 3) : « Nous devons énumérer ceux qui ont été institués évêques par les apôtres, et leurs successeurs. Car, si les apôtres avaient connu des mystères secrets qu’ils enseignaient à part aux parfaits en les cachant aux autres, ils les auraient communiqués d’abord et avant tout à ceux à qui ils confiaient les églises. » Il dit là que les églises ont été confiées aux évêques, en tant que successeurs des apôtres.  Tertullien, le plus ancien des latins, dit, dans son livre sur le baptême : « Ont le droit de donner le baptême le prêtre suprême, c’est-à-dire l’évêque,  ensuite les prêtres et les diacres, mais non sans la permission de l’évêque. »
 Quant au troisième point, que l’autorité des évêques n’est pas dans l’assemblée des presbytes comme les consuls dans le sénat, mais comme un prince dans son conseil sur ses conseillers, on le déduit des témoignages cités de saint Paul (épitre à Timothée,) des épitres  de Clément, d’Irénée, de Tertullien, et ensuite des conciles.  Car tous les conciles, autant les généraux que les provinciaux, même les plus anciens, ont été composés des seuls évêques. Il est évident que c’est dans les conciles que s’exerce surtout la juridiction, quand des lois y sont proclamées et des peines imposées aux prévaricateurs.  On le déduit aussi de ce que, dans plusieurs endroits, nous lisons que des prêtres sont excommuniés par des évêques, mais jamais que des évêques ont été excommuniés par des prêtres.  Voir le concile 2 de Carthage (canons 8 et 9). Et ensuite de ce que seuls les évêques ont un trône dans l’église, lequel est un indice de pouvoir, d’où l’on dit qu’ils gouvernent à la manière des princes.   Voir saint Jean Chrysostome (livre sur le sacerdoce), saint Ambroise (livre sur la dignité sacerdotale), et saint Grégoire de Naziance (dans son discours à un prince en colère, et à un peuple frappé de peur. »  Réfutons donc maintenant les objections.
                                                            CHAPITRE 15
                                                               On réfute les objections.
 On nous objecte d’abord le témoignage de saint Paul selon lequel les évêques et les presbytes seraient semblables (Philipp 1) : « Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ, à tous les saints qui sont à Philippe, avec les épiscopes et les diacres. »  Il est certain que, dans ce passage, les presbytres sont appelés épiscopes car,  dans une ville,  il ne pouvait pas y avoir beaucoup d’évêques, si le nom d’évêque signifiait un prêtre suprême.  Pourquoi donc saint Paul ne dit-il pas avec l’évêque, les prêtres et les diacres, si, à cette époque, les prêtres se distinguaient des évêques ? »  Je réponds que le commentaire de saint Ambroise ne réfère pas le « aux évêques et aux diacres » à ceux à qui il  écrit, mais à ceux qui écrivent, le mot évêques se rapportant à Paul et Timothée. Le sens serait donc le suivant : « Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ, à tous les saints qui sont à Philippe, avec les évêques (Paul et Timothée), et leurs diacres, grâce à vous et paix.  Mais cette explication semble un peu forcée, ou tirée par les cheveux. Épiphane (dans son livre sur les hérésies, hérésie soixante-quinze,) dit que la raison pour laquelle saint Paul a ainsi parlé est que, à son époque, en raison d’une pénurie de ministres, plusieurs endroits étaient sans presbytes.  Il ne s’y trouvait que des évêques avec leurs diacres.  Car, les évêques peuvent, eux aussi, remplir le rôle des simples prêtres.   Cette explication d’Épiphane pourrait avoir quelque chance d’être vraie,  si saint Paul avait dit « avec l’évêque et les diacres. », ou s’il n’avait pas écrit à une seule ville, mais à plusieurs.  Or, comme il écrit à une église en particulier, celle de Philippes, et qu’il dit écrire à des évêques et à des diacres, comment, je le demande, cette explication peut-elle tenir debout ?  Car, si plusieurs évêques pouvaient être dans une ville,  un seul évêque avec quelques prêtres le pouvaient davantage.
 Theodoret, dans son commentaire de ce passage, et plus au long, dans le chapitre 3 de la première épitre de saint Paul à Timothée, écrit qu’au temps des apôtres, on n’appelait pas épiscopes les vrais épiscopes, mais apôtres; que c’était les presbytes qu’on avait coutume d’appeler épiscopes.  Car, aux Romains 16, saint Paul donne le nom d’apôtre à Andronicus, et à Philippes 1, il appelle Épaphrodite apôtre des Philippiens.  Or ces deux « apôtres » étaient des évêques.  Un peu plus tard, on laisse tomber le mot apôtre, et on commença à ne donner le nom d’épiscopes qu’aux seuls épiscopes, et de presbytes qu’aux seuls presbytes. Cette explication de Théodoret, si elle est vraie,  satisferait aux questions que posent ce texte et tous les autres semblables. Car nous pourrions toujours dire que par le nom d’épiscopes saint Paul désigne des presbytes.
 Le commentaire de saint Jean Chrysostome, et de beaucoup d’autres, semble être moins hérissé de difficultés.  Ils enseignent, eux, qu’au temps des apôtres, les noms d’évêques et de presbytes étaient communs à tous les prêtres, autant aux plus grands, que nous nommons aujourd’hui évêques, qu’aux mois grands, que nous appelons aujourd’hui prêtres, même si les fonctions et les pouvoirs étaient distincts.  Par le nom d’épiscope, il embrasserait donc tous les prêtres, et le sens de la phrase serait donc celui-ci : « Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ, à tous les saints qui sont à Philippes, avec les évêques et les diacres, c’est-à-dire avec les prêtres et leurs ministres.  Ajoutons que saint Paul semble vouloir saluer tout le clergé.  Et, pour ne pas être forcé de les énumérer tous l’un après l’autre, il emploie un terme général qui les inclut tous. Tous les ordres, en effet, se ramènent aux prêtres et aux ministres. Le premier se divise en deux espèces analogues, les évêques et les simples prêtres; et le second en six autres : diacres, sous-diacres, acolythes, lecteurs, exorcistes, et portiers. Même si aujourd’hui, le mot évêque n’est donné qu’au premier analogué,  le prêtre suprême, et le nom de diacre au seul ministre principal, le nom d’évêque convient encore, d’une certaine façon, aux prêtres eux-mêmes. Car eux aussi agissent comme des surintendants.  Ils régissent le peuple, au moins au for interne, et sur délégation de l’évêque.  Et le nom de diacre convient même aux ordres inférieurs, puisqu’ils sont tous des ministres du prêtre.
 L’autre objection est tirée du chapitre 1 de la lettre de saint Paul à Titus : « La raison pour laquelle je t’ai laissé en Crète, c’est pour que tu établisses des presbytes dans les cités, comme je te l’ai fait à toi-même. »  Et, un peu plus bas : « Il faut que l’épiscope soit irrépréhensible etc. » Dans ce passage, nous voyons que les presbytes sont des épiscopes.  Mais, à cette objection, nous pouvons donner la même réponse qu’à l’objection précédente : à cette époque, ces noms étaient communs aux deux espèces.
 La troisième objection est tirée de la première épitre à Timothée (chapitre 3). Après avoir donné des préceptes à des épiscopes, saint Paul passe immédiatement aux diacres, sans dire un mot des presbytes. Il semble donc avoir considéré que les presbytes et les évêques étaient en tout semblables.  Je réponds que c’est l’ensemble des clercs que saint Paul voulait instruire, et c’est pour cela, que dans le nom d’évêque il faisait entrer le nom de presbyte, et, dans le nom de diacre, tous les ordres inférieurs.  Les mêmes préceptes ne convenaient-ils pas à tous ?  Quatrième objection.   Saint Paul, dans le quatrième chapitre de la première lettre à Timothée, écrit : « Ne néglige pas la grâce de Dieu qui est en toi, qui t’a été donnée par l’imposition des mains du presbyte. »   S’appuyant sur ce passage, Kemnitius affirme que saint Jérôme a démontré qu’un évêque peut être ordonné par des presbytes.  Il n’y a donc pas de différence entre un épiscope et un presbyte.
Mais Kemnitius ment effrontément.  Car, saint Jérôme, sans sa lettre à Évagre (que Kemnitius cite) dit explicitement que les presbytes  ne peuvent pas ordonner : « À l’exception de l’ordination, que fait un épiscope que ne fait pas un prêtre ? »  Saint Jérôme cite ce passage pour montrer que, dans les Écritures, les épiscopes étaient parfois appelés presbytes.  Car, voici comment il explique la phrase  « par l’imposition des mains d’un presbyte » : « par l’imposition des mains que tu as reçue d’un presbyte ».  Or, on sait très bien que Timothée n’était pas un simple prêtre, mais un évêque.  C’est ainsi que l’explique aussi saint Anselme, et d’autres auteurs latins, et même Calvin (livre 4, chapitre 3, à la fin, de ses institutions).  Mais l’explication de saint Grégoire nous semble beaucoup plus vraie, selon laquelle par le mot presbytes  il entend   le chœur ou l’assemblée des presbytes, c’est-à-dire des épiscopes, qui imposent leurs mains au nouvel évêque. C’est ainsi que le comprennent saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, et Oecumenius.
 La cinquième objection est tirée du chapitre 20 des actes des apôtres de saint Luc. Envoyant à Éphèse, saint Paul appelle à lui les plus grands de l’église, c’est-à-dire les presbytes, et en leur parlant, il les appelle épiscopes : « Prenez garde à vous et à tout le troupeau, dans lequel le Saint Esprit vous a placés comme épiscopes pour régir l’Église de Dieu. »  De même, au chapitre 5 de sa première épitre, saint Pierre parlant des presbytes dit : « Les anciens qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, un ancien comme vous, et un témoin des passions du Christ etc. Paissez le troupeau qui est le vôtre, pourvoyant non de force etc. »  En grec, le mot « anciens » se dit presbuterous, presbytes.  Et « pourvoyez », épiskopountes.  On cite aussi les lettres 2 et 3 de saint Jean, dans lesquelles l’apôtre s’appelle presbyte, alors qu’il était, bien entendu, évêque.  Mais, à toutes ces objections, nous répondons de la même façon.  Ces noms étaient alors communs à l’un et à l’autre. Et c’est pour cela que, dans ces passages, de vrais  épiscopes étaient appelés presbytes.  À ces objections, ils ajoutent des témoignages de certains pères.
 La sixième objection est tirée d’un texte de saint Jérôme.   Dans son commentaire du premier chapitre de l’épitre à Titus, il écrit : « C’est un seul et même qui est évêque et presbyte.  Et avant que, par l’instigation du diable, des coteries apparurent dans l’église, et que l’on dise : je suis pour Paul, je suis pour Pierre, ou pour Apollo, les églises étaient gouvernées par un conseil de presbytes.  Après que chacun crut que ceux qu’il avait baptisés lui appartenait plutôt qu’au Christ, il fut décrété dans tout l’univers qu’un des presbytes serait élu  pour gouverner les autres, à qui reviendrait tout le soin de l’administration de l’Église,   et pour arracher les semences des schismes. »  Et plus bas : « Les presbytes ont appris de la coutume de l’Église à se soumettre à celui qui leur est préposé.  Les évêques ont appris, eux aussi, plus par la coutume que par la vérité de la dispensation dominicale, à être plus grands que les prêtres,  et à devoir régir l’Église en commun. »  Saint Jérôme dit la même chose dans son épitre 85 à Évagrius.
 Ces paroles de saint Jérôme, certains ont tenté de leur donner une interprétation pieuse, comme saint Thomas (2.2. quest 184.  Art  6).  Il dit que saint Jérôme ne parle que des mots et de non de la chose elle-même.  Mais les expressions employées : « les églises étaient gouvernées par un conseil de presbytes », et c’est » plus par la coutume que par la vérité de la dispensation dominicale qu’ils ont été plus grands que les prêtres », ces expressions ne se rapportent pas simplement à des mots.  Jean Antoine Delphin (livre 2, Église), déduit de la phrase de saint Jérôme qu’au début de l’église, tous les prêtres ont été des évêques.   Non pas parce que l’épiscopat et le presbytérat soient la même chose,  mais parce que l’une et l’autre dignité étaient alors données à tous les prêtres.   Ensuite, pour éviter des schismes, on a commencé à en élire parmi ceux qui n’étaient que des presbytes, et c’est à partir de là que s’est établie la coutume que les évêques étaient plus grands que les prêtres.
 Mais cette explication ne satisfait pas pleinement. Saint Jérôme s’efforçait de défendre la dignité des prêtres contre l’insolence des diacres, comme la lettre à Évagre nous le révèle.  Il cherche donc à démontrer que la dignité des prêtres est beaucoup plus grande, qu’elle est même la même que celle des évêques.  On n’aurait rien à reprocher  à cette explication s’il se contentait d’enseigner que les premiers presbytes furent semblables aux épiscopes parce qu’ils avaient eux aussi le pouvoir épiscopal, et qu’ils n’étaient pas de simples presbytes.  De plus, si les premiers presbytes furent semblables aux épiscopes parce qu’ils étaient eux aussi de vrais épiscopes, la distinction entre les deux qui est née plus tard, comme le raconte la lettre de saint Jérôme, s’est produite de la façon suivante : quelques-uns ne reçurent plus  que le simple presbytérat.  Mais, saint Jérôme dit le contraire.  Il enseigne que l’épiscopat est une nouveauté, et que c’est la coutume de l’église qui lui a donné  de ne plus être un simple presbytérat.  Car, c’est ainsi qu’il parle : «  C’est par un conseil de presbytes que les églises étaient gouvernées.  C’est après que chacun… »
 Michaël Medina (livre 1 sur l’origine des hommes sacrés, et sur la continence, chapitre 5) affirme que saint Jérôme pensait tout à fait comme les Aeriens.  Que saint Jérôme n’est pas le seul à être dans l’hérésie, mais aussi saint Augustin, saint Ambroise, Sedulius, saint Jean Chrysostome, Theodoret, Oecumenius et Theophylactus.  « Voilà donc ce qu’enseignèrent ces grands saints et ces illustres interprètes des Écritures, la même sentence qu’a enseignée aussi Aerius, puis les Vaudois, et en dernier Jean Wiclif, et qui a été condamnée par l’Église. »  Et plus bas : « Donc, dans saint Jérôme, et dans les pères grecs, cette sentence était tolérée, honorée ou dissimulée à cause du respect et de l’honneur qu’on leur portait. Mais, dans les hérétiques et dans tous ceux qui sont sortis de l’Église, elle a toujours été condamnée comme hérétique. »  Cette accusation de Michaël Medina est faite sans trop de réflexion. Car, elle fait une injure à tant de célèbres pères, en en faisant des Aeriens. Elle fait ensuite une injure à l’Église, celle de faire acception de personnes dans ses jugements.  Car, comme tous ces auteurs cités ont vécu après Aerius, comment l’Église aurait-elle pu condamner en Aerius une erreur qu’elle tolérait dans les Pères ?  N’est-ce pas  à Aerius qu’il aurait fallu pardonner, lui qui semblait avoir péché avant la définition de l’Église, plutôt qu’à des Pères qui auraient suivi une hérésie déjà condamnée ?  De quel front opposerons-nous les pères aux hérétiques, les grecs et les latins,  si nous reconnaissons qu’ils ont suivi leur sentence, une fois condamnée par l’Église ?
 Or, dit Medina, « c’est du témoignage de saint Jérôme que se servaient les hérétiques vaudois, car eux et saint Jérôme ont pensé de la même manière. »  Argument spécieux !  En raisonnant de cette façon, on pourrait conclure que Luther et saint Paul avaient les mêmes idées, puisque Luther se sert souvent de textes de saint Paul pour étayer sa pensée.  Les Vaudois mentent donc quand ils disent suivre saint Jérôme.   Mais Medina insiste.   Aerius n’ignorait pas que, selon les lois de l’Église, l’évêque était plus grand que le prêtre.  Ce qu’il affirmait c’est que, par le droit divin, ils étaient égaux. Voilà pourquoi il dit clairement, avec saint Jérôme, que ce n’est pas par la vérité de la disposition dominicale, mais par la seule tradition ecclésiastique que les .évêques sont plus grands que les prêtres. Il ne semble y avoir, entre la pensée  d’Aerius et celle de Jérôme, aucune différence.
 Je réponds qu’Aerius est autant éloigné de saint Jérôme qu’un hérétique l’est d’un catholique, et le ciel de l’enfer.  Car, tout d’abord, saint Jérôme reconnait partout qu’un évêque est plus grand qu’un presbyte, quant au pouvoir d’ordre, et cela, sans doute possible, de droit divin.   Comme on le voit dans sa lettre à Évagrius : « À l’exception de l’ordination, que fait un évêque que ne fait pas un presbyte ? » Or, Aerius n’acceptait aucune différence, comme on peut le voir par Épiphane (hérésie 75).   De plus, quant au pouvoir de juridiction, Aerius, comme les luthériens et les calvinistes, ne niait pas seulement que c’est de droit divin que l’évêque était plus grand qu’un presbyte, mais il soutenait que l’Église avait mal agi quand elle a placé les évêques avant les presbytes.  Or, saint Jérôme,  même s’il ne semble pas reconnaitre que la différence entre évêque et presbyte soit de droit divin, admet cependant qu’elle est légitime et même nécessaire, et qu’elle a été introduite par les apôtres pour éviter les schismes.   Car, saint Jérôme ne veut pas que soit après un certain temps, et d’une corruption, que soit née la supériorité des évêques; mais quand on a commencé à dire je suis pour Pierre, pour Paul, pour Appolon.  Ces paroles sont celles-là mêmes de l’apôtre Paul (1 Cotinth 1).  Au tout début donc de l’église, quand les apôtres vivaient encore, quand par toute la terre les églises étaient encore régies par les apôtres, c’est à ce moment-là que saint Jérôme veut que la juridiction ecclésiastique ait été déplacée vers les évêques.   Aerius et saint Jérôme n’ont donc rien en commun.  Il n’est pas non plus croyable que saint Jérôme ait adopté l’opinion d’Aerius qu’il sait, par Épiphane, avoir été condamnée.
 Il faut observer que saint Jérôme n’a pas soutenu cette opinion avec constance, et il semble probable qu’il n’ait pas eu là-dessus de certitude.   Car, il enseigne, il est vrai,  dans l’explication du premier chapitre de la lettre à Tite, que la coutume qui a voulu que les évêques soient placés avant les presbytes a commencé au temps où il a été dit : je suis à Pierre, je suis  Paul, je suis à Apollon.  Cependant, il s’efforce de démontrer que les presbytes sont semblables aux évêques, par l’épitre à Titus, l’épitre aux Philippiens, et celles de Pierre et de Jean qui ont été écrites après la première épitre aux Corinthiens, où se trouvent ces paroles : moi je suis pour Paul, moi pour Pierre, et moi pour Appolo.  Ensuite, dans le livre sur les écrivains ecclésiastiques, au mot Jacob, il dit que c’est après l’ascension du Christ qu’a été ordonné l’évêque de Jérusalem.  Il n’y eut donc jamais de temps où l’église de Jérusalem fut gouvernée par des presbytes sans évêque.
 De plus, le même saint Jérôme, dans sa lettre à Évagrius, compare l’évêque à Aaron, et les prêtres aux fils d’Aaron.  Et, dans son épitre à Marcelle sur les erreurs de Montan, il dit que les évêques ont succédé aux apôtres. Et il est certain que,  par le droit divin, Aaron était, quant à l’ordre et à la juridiction,  plus grand que ses fils; et que les apôtres étaient plus grands que tous les autres disciples.  De plus, dans le livre 1 contre Jovinien, le même Jérôme affirme que, parmi les douze, un a été élu par le Christ, c’est-à-dire Pierre « pour que par l’établissement d’un chef soit enlevée toute occasion à un schisme. »  Or, si le Christ a voulu que, parmi ses apôtres, un ait plus de dignité et d’autorité, pourquoi ne pas croire qu’il  ait voulu aussi que, parmi ses prêtres, un soit plus puissant ?  Que cela suffise pour saint Jérôme. Quant à Sedelius et Anselme, ils n’ont fait que rapporter l’opinion de saint Jérôme.
 La septième objection est tirée d’un texte de saint Ambroise (commentaire du chapitre 4 de l’épitre aux Éphésiens) : « Il appelle presbyte Timothée qu’il avait lui-même créé évêque, parce que les premiers presbytes étaient appelés épiscopes, pour qu’après le départ de l’un, un autre lui succède.  De plus, en Égypte, en l’absence de l’évêque, ce sont  les presbytes qui signent.  Mais parce que les presbytes postérieurs s’avérèrent indignes d’exercer la primauté, om changea la procédure, par la décision d’un concile, et l’on décréta que désormais ce ne serait plus l’ordre qui créerait l’évêque mais le  mérite. »  Ce passage ne présente aucune difficulté.  Car (pour ne pas dire que ces commentaires ne semblent pas venir de la plume d’Ambroise), l’auteur de ces commentaires ne parle que de la règle de la succession des épiscopes, et enseigne que, dans l’église naissante, c’est le plus ancien des prêtres qui avait coutume d’ordonner un épiscope, et que, après sa mort, lui succédait, sans élection, le plus ancien presbyte.   Mais cet auteur ne nie pas que quand ce premier presbyte succédait à l’épiscope, il devait être consacré de nouveau, et recevoir un nouveau pouvoir et une nouvelle juridiction.
 Et ce même auteur enseigne plusieurs fois en toute clarté  qu’il y a une grande différence entre un évêque et un prêtre.   Car, dans le même commentaire (chapitre 4 aux Éphésiens), il écrit : « Tous les ordres sont dans l’épiscope, parce qu’il est le premier prêtre, c’est-à-dire le prince des prêtres. »  Et ( au chapitre 3 de la première lettre à Timothée) : « Pour les prêtres et les épiscopes, il n’y a qu’une seule ordination, car l’un et l’autre est prêtre, mais l’évêque est le premier. Tout évêque est un presbyte, mais tout presbyte n’est pas un évêque. Est évêque celui qui est le premier parmi les presbytes ». Ensuite, il indique que Timothée a été ordonné presbyte, mais que, comme il n’y avait personne d’autre avant lui, il était épiscope. « Car  il ne fallait pas, et il n’était pas permis qu’un inférieur ordonne un supérieur, car on ne distribue que ce qu’on a reçu. » Voilà donc ce qu’il dit vraiment.  Tu vois là qu’un évêque est plus grand qu’un presbyte, et que la raison pour laquelle un presbyte ne peut pas ordonner un épiscope c’est qu’il n’a pas l’ordination épiscopale.
 La huitième objection est tirée d’un commentaire de saint Jean Chrysostome (chapitre 3 de la première épitre à Timothée) : « Entre l’épiscope et le prêtre, il n’y a presqu’aucune différence. Car, aux prêtres aussi est remis le ministère ecclésial, et les choses qu’on attribue aux épiscopes conviennent aussi aux presbytes. C’est par la seule ordination que les épiscopes sont supérieurs aux presbytes, et c’est cela seulement qu’ils semblent avoir en plus. »  Enseignent la même chose Primasius, Theophylactus, et Oecumenius dans leurs commentaires sur ce texte.  Je réponds qu’on peut certainement déduire de ces textes que les évêques sont plus grands que les prêtres, puisque les évêques peuvent ordonner et les presbytes ne le peuvent pas, comme les auteurs cités le proclament d’une seule voix.
Mais tu rétorqueras, peut-être : quant à la juridiction, les épiscopes et les presbytes sont semblables, puisque, en dehors de l’ordination, les évêques n’ont rien que ne possèdent pas aussi les prêtres.  Je réponds.  Quand ces auteurs n’attribuent rien aux épiscopes, en dehors de l’ordination, qui ne soit commun avec les presbytes, ils entendent parler des choses qui ne conviennent en rien aux presbytes. Or, seule l’ordination ne convient absolument pas aux presbytes.  Car, le pouvoir de juridiction, par la délégation de l’évêque, peut aussi convenir aux presbytes.  Ils peuvent même confirmer des baptisés.  Mais l’ordination des prêtres est propre à l’évêque à un point tel qu’elle ne peut jamais être permise à un prêtre.  Ce que voulait dire saint Jean Chrysostome quand il affirmait que, au temps des apôtres, l’épiscope était différent du presbyte, on peut le comprendre en lisant son homélie 1 sur l’épitre aux Philippiens, où expliquant le « avec les épiscopes et les diacres », il dit : «  Que veut-il dit par là ? Y a-t-il plusieurs épiscopes dans une cité ? Non pas. Mais par ce mot, il désigne des presbytes. Car, en ce temps, le mot était commun aux deux. »
 La neuvième objection est tirée du commentaire de Théodoret du chapitre 1 de l’épitre aux Philippiens.  Il répète plusieurs fois que ceux que Paul appelle des épiscopes étaient des presbytes.  Mais on a déjà expliqué cela.  Car Theodoret enseigne qu’autrefois, les presbytres avaient le nom d’épiscopes.  Mais  il ajoute, au même endroit, que, à cette époque, on avait coutume d’appeler apôtres les vrais épiscopes, de sorte que, selon Theodoret lui-même, les épiscopes ont toujours été, dans le nom et dans la réalité,  plus grands que les presbytes.  Voilà pourquoi le même auteur, (au chapitre 3 de la première épitre à Timothée) écrit : «  Mais cependant, même si le divin apôtre a établi ces lois pour les presbytes, il est clair qu’elles  servent d’abord pour les épiscopes, en tant qu’ils ont obtenu une dignité  plus grande. »
 La dixième objection est tirée de l’épitre 19 de saint Augustin à saint Jérôme, dans laquelle il écrit : « Car bien que, selon les termes honorifiques qui sont devenus coutumiers, l’épiscopat soit plus grand que le presbytérat, en beaucoup de chose, toutefois, Augustin est inférieur à Jérôme. »  Je réponds que « la coutume établie de nos jours »  ne s’oppose pas au temps antique de la même Église, mais au temps qui exista avant la naissance de notre église chrétienne.   Le sens de cette phrase n’est donc pas qu’il fut un temps où les presbytes étaient égaux aux épiscopes, mais que c’est une coutume bien établie que l’épiscopat est plus grand que le presbytérat.  Voici donc ce qu’il voulait dire vraiment.  Avant les temps chrétiens, les noms d’épiscope et de presbyte n’étaient pas des mots honorifiques. Ils désignaient une fonction ou un état. Aujourd’hui, ils désignent une dignité et une fonction honorifique. Et c’est selon ces noms qu’Augustin est plus grand que Jérôme, bien que par plusieurs autres noms, il soit inférieur à Jérôme.
 Onzième objection. Les presbytes succèdent aux apôtres tout autant que les épiscopes, comme on le voit dans le livres 2 des constitutions, chapitre 32 de saint Clément, et dans la lettre de saint Ignace à l’église  de Smyrne. Les presbytes ne sont donc pas inférieurs aux épiscopes. Je réponds que les pères ont fait des comparaisons de différentes sortes entre les presbytes et les épiscopes, mais en maintenant toujours la distinction et la proportion.  Ils disent parfois que l’épiscope tient la place de Dieu, le presbyte celle du Christ, et le diacre celle des apôtres.  C’est ainsi que s’expriment Clément (lieu cité, livre 2, chapitre 32) et saint Ignace (épitre aux Tralliens).  Ils donnent parfois à l’évêque la place du Christ, aux presbytes la place des apôtres, et aux diacres celle des disciples, comme saint Clément (lieu cité, livre 2, chapitre 32), et saint Ignace dans sa lettre à l’église de Smyrne.  Ils donnent parfois aux évêques la place des apôtres, aux presbytes celle des 70 disciples, comme les pères ci-haut cités.
 La douzième objection. Le Christ a ordonné des presbytes à la dernière cène, comme tous les catholiques l’enseignent. Or, on ne lit nulle part qu’il ait ordonné des évêques.  L’épiscopat n’a donc pas été introduit de droit divin.  Je réponds que Pierre a été ordonné évêque par Jésus, et saint Jacques et saint Jean par Pierre; et que ces trois ont ordonné les autres, comme nous l’avons démontré plus haut dans le livre 1 sur le souverain pontife.
                                                                    CHAPITRE 16
                                                      Les cardinaux
 Nous allons ajouter quelques mots sur les cardinaux de l’église romaine, pour répondre brièvement à  Jean Calvin sur cet ordre de clercs, aussi.  Nous parlerons ensuite de l’antiquité, et de la variété des tâches des cardinaux. Enfin, nous ferons une comparaison entre les cardinaux et les évêques. Calvin touche à ces trois points dans le livre 4, chapitre 7, verset 30 de ses institutions.  Si quelqu’un veut en apprendre davantage, qu’il lise les théologiens Alvarus Pelagius (livre 2 de la lamentation de l’Église, article 16), saint Augustin (triomphe, dans sa somme sur le pouvoir de l’Église, question 102), Thomas Waldensen (livre 2 de la doctrine de la foi, article, 3, chapitre 54),  Jean de Turrecremata (livre, sommes de l’Église, chapitres 81, 82, 83, 84,  saint Antonin (dans sa somme théologique 3 par tit 21 Jean),  Antonium Delphinum (livre 2 sur l’Église).  Parmi les canonistes, André Parpatius (le traité de la présence des cardinaux à Bessarion.), Martin laudensen (dans le traité des cardinaux), Dominique Jacobatius (livre 1 sur les conciles, article 12), et Jean Hieronymus Albanus, (dans le livre des cardinaux).  Parmi les historiens Onuphrius Panuinus, (dans son livre sur les livres sur les épiscopats, et les titres et les diaconies des cardinaux.)
 Pour commencer par le premier point, Calvin  (au lieu cité), déclare n’avoir jamais lu le nom de cardinaux avant l’époque de Saint Grégoire le grand.  Or, dans le concile romain sous Sylvestre, au canon 6, nous lisons qu’il « y avait dix diacres cardinaux dans l’église romaine »  Ce Sylvestre a précédé saint Grégoire de presque trois cents ans.  Mais ce n’est quand même pas à ce moment que commença l’emploi de ce mot. Car, ce concile n’institua pas des cardinaux, mais il ne fit qu’ordonner qu’en plus des cardinaux diacres de l’église romaine, il y ait deux diacres qui prennent soin des paroisses.
 Le mot cardinal semble signifier  à peu près ce qui est principal, ou celui de qui  les autres dépendent, comme les portes dépendent des gonds (cardines). Car on dit des vertus cardinales, des vents cardinaux,  et des points cardinaux du ciel. Et saint Augustin (dans son livre  1, chapitre 5 sur le baptême), appelle cardinaux les premiers donatistes.  Pourquoi l’on dit que les cardinaux sont les électeurs pontificaux, tous ne l’expliquent pas de la même façon.  Calvin, au lieu cité, enseigne que ce nom, au temps de saint Grégoire, fut un nom qui était propre aux évêques.  C’est donc à tort qu’on l’attribue aujourd’hui aux prêtres et aux diacres : « Ce titre, au temps de saint Grégoire, ne convenait qu’aux seuls évêques. Car les autres cardinaux, ce n’est pas à l’église romaine mais à d’autres églises qu’on les attribue. En somme, un prêtre cardinal n’est rien d’autre qu’un évêque. »  Mais Calvin est tombé dans une erreur déjà dénoncée. Car, saint Grégoire (livre, 5, épitre 5 à Fortunat, évêque de Naples,) parle de cardinaux diacres, et (au livre 11, épitre 34 à Jean évêque de Syracuse), il parle de cardinaux prêtres.  Et le diacre Jean (dans la vie de saint Grégoire, chapitre 7), énumère les évêques que saint Grégoire fit parmi les prêtres cardinaux.  Ce n’est donc pas vrai que, pour saint Grégoire, les mots épiscope et presbytère signifient la même chose.
 Le pape saint Léon le grand, dans son épitre à Michaël, chapitre 32, dit que les clercs de l’église romaine étaient appelés cardinaux; qu’ils accompagnaient toujours de près le pape, qui est comme le gond (cardo) de toute l’église.  Car, comme la porte tourne dans les gonds, est soutenue et régie par eux, de la même manière toute l’église dépend de la providence et de la fermeté du pontife.  Cette explication enseigne très bien pourquoi les cardinaux de l’église romaine sont dits cardinaux  comme par antonomase.  Mais elle n’explique pas pourquoi on les appelle « les » cardinaux,  tout court, ou  par excellence, puisqu’il est bien établi qu’il y a eu des cardinaux ailleurs, comme on le voit dans les lieux déjà cités de saint Grégoire (livre 5, épitre 11, et épitre 34,) et du concile de Melden, canon 54.
 Onuphrius, (dans son livre sur les titres de cardinaux) estime qu’on a appelé cardinaux les prêtres et les diacres qui présidaient aux autres prêtres et aux autres diacres de la même église, en tant que prêtres principaux, ou diacres dans l’église.  Car, il y avait plusieurs presbytes dans la même église, mais on n’appelait cardinal que leur président.  Mais cette explication d’Onuphrius ne semble pas tout  à fait vraie.  Car, plusieurs étaient cardinaux au même titre, comme nous le montre le synode 1 sous Symmaque, où sont apposées les signatures des prêtres cardinaux de l’église romaine, ayant plusieurs le même titre, les prêtres titulaires étant 67, et les titres 28.    On trouve la même chose dans le synode de saint Grégoire (livre 4 registre chapitre 88, là où sont les signatures des cardinaux prêtres, parmi lesquelles trois sont du titre de sainte Balbine, deux de saint Damase, deux de saint Sylvestre, et deux des saints apôtres.  Ce n’était donc pas seulement celui qui présidait aux autres qu’on appelait cardinal.
 De plus, au temps de saint Sylvestre, il n’y avait que sept cardinaux diacres à Rome. Car, à cette époque, était encore récent le canon 14 du concile de Néo Césarée, qui avait défini, que dans toute cité, mêmes les plus grandes, on ne devait avoir que sept diacres.  Or, à Rome, tous ces diacres étaient appelés des cardinaux, comme nous le montre le concile romain de saint Sylvestre.   Un cardinal diacre n’était pas un diacre qui présidait sur les autres diacres de la même église.  Ajoutons enfin que, que selon l’explication d’Onuphrius, on ne peut trouver aucune raison pour laquelle certains évêques seraient appelés cardinaux.   On ne peut pas dire que les évêques cardinaux le sont parce qu’ils présidaient sur d’autres évêques de son diocèse, comme on le dit d’un cardinal prêtre, puisqu’il n’y a pas plusieurs évêques dans un seul diocèse.
 J’estime donc que le mot cardinal a été donné d’abord à un lieu, et que, d’un lieu, il a été transféré à une personne. Car on appelait titres cardinalices des églises principales où le baptême était conféré. Et on leur donnait le nom d’églises ou de titres cardinaux pour les différencier d’autres lieux sacrés moins importants.  De là vient que le prêtre qui prédisait dans cette église, était appelé prêtre cardinal.  Pour une raison semblable, les diaconies cardinalices étaient les principaux lieux d’une ville, répartis selon le nombre des régions, dans lesquels résidaient des diacres, qu’on appelait diacres cardinaux, qui semblaient comme les gonds qui soutenaient l’église. Et c’est après cela, et pour les mêmes raisons, qu’on les a appelés évêques cardinaux.  Et c’est de là aussi qu’est venue l’idée de faire élire le pape par ces évêques cardinaux, ces mêmes cardinaux, qui, à la différence des autres évêques de la chrétienté, formaient le conseil du pape.
 Que le nom ait commencé par désigner un lieu, on l’apprend par le concile de Mendens (canon 54). Voici ce que nous y lisons : « que l’évêque ordonne et place les titres cardinaux dans les villes ou dans les faux bourgs ».  De même,  le diacre Jean, dans sa vie de saint Grégoire (livre 3, chapitre 11) dit : « Les cardinaux qui avaient été ordonnés par la violence dans des paroisses étrangères, le pape Grégoire les rappelait à leur (lieu) cardinalice premier. »  Par cardinal, il appelle là un titre ou une église.  Que cela suffise au sujet du nom.  Si quelqu’un désire connaître les noms et les numéros des titres des diaconies et des épiscopats cardinalices, qu’il consulte Onuphrius dans son livre sur les cardinaux.
 Parlons maintenant de la tâche du cardinal et de son ancienneté. Ses tâches sont de trois sortes. La première est commune avec les évêques, les prêtres et les diacres, car, tous les cardinaux ont une fonction épiscopale, presbytérale ou diaconale.  La seconde est d’élire le pape. La troisième.  Assister constamment le pontife, et l’aider, par leurs conseils et leur expérience, dans le gouvernement de l’Église universelle.   On ne peut nier que la première tâche soit ancienne, voire très ancienne.  Calvin ne le nie pas non plus. C’est même la seule chose qu’il reconnait, quand il dit : « Ils n’avaient pas d’autre fonction qu’aider, par leur présence continuelle, l’évêque dans l’administration des sacrements et de la doctrine. »  Mais Calvin me semble se contredire quand (livre 4, chapitre 4, verset 2 des institutions) il enseigne que, dans les premiers siècles, c’étaient les presbytes qui élisaient le pape, et qui gouvernaient l’église avec lui en commun, l’évêque n’ayant rien de plus, dans l’assemblée des presbytes, que n’avait un consul dans un sénat : « Les presbytes élisaient l’un d’entre eux, auquel ils donnaient d’une façon toute spéciale le titre d’épiscope. »  Si cela est vrai, il faut en conclure que ce que font aujourd’hui les cardinaux quand ils  élisent l’un d’entre eux, ou  gouvernent l’église comme des sénateurs ecclésiastiques, est une fonction très ancienne, et même la plus ancienne de toutes.
 Mais, ici, il faut faire l’observation suivante. Les trois tâches cardinalices sont très anciennes toutes les trois, et ont même été ébauchées au temps des apôtres.  Mais ce n’est pas une chose aussi ancienne que seuls les cardinaux remplissent la deuxième et la troisième tâche. Car, depuis le temps des apôtres, et pendant plusieurs années, pendant même plusieurs siècles, tous, en raison du petit nombre de presbytes et de diacres, étaient appelés à élire ensemble un nouvel évêque et à participer à des conciles. Il n’était pas nécessaire alors de faire une distinction entre cardinaux et cardinaux, comme dans les autres églises on ne faisait pas  de distinction entre chanoines et chanoines.  Voilà pourquoi à toutes les fois que saint Cyprien écrit au clergé de Rome, il n’écrit pas aux seuls cardinaux, mais à tous les prêtres et les diacres de l’église romaine.  Et ce sont tous les presbytes et les diacres qui lui répondaient. Voir livre 2, épitre 7, livre 3, épitre 5 et 21é
Ensuite, quand les clercs furent devenus très nombreux, on les appelait tous pour l’élection, mais tous n’étaient pas appelés au conseil, les principaux seulement, ceux qu’on appelait à Rome et ailleurs, cardinaux.  C’est ce que nous montre le synode de saint Grégoire (livre 4, registre chapitre 88).  Car, parmi les 34 presbytes, les seuls à être présents au concile furent les titulaires, c’est-à-dire les cardinaux.  Il est certain qu’il y avait alors beaucoup plus que trente-quatre presbytes..  Car, au temps de saint Corneille, vers 250,  quand sévissaient encore les persécutions et que régnaient les empereurs idolâtres, il y avait à Rome 46 presbytes, comme le rapporte Eusèbe (livre 6, chapitre 33 de son histoire) en citant la lettre du pape Corneille. Saint Grégoire a vécu au septième siècle, quand il n’y avait plus un seul païen dans la ville de Rome.  Il vint ensuite un temps où les clercs devenus trop nombreux ne furent même plus admis  à l’élection du souverain pontife. Seuls les cardinaux le furent, comme nous l’avons montré quand nous avons parlé de la vocation des ministres.
Au sujet de la comparaison entre évêques et cardinaux, les auteurs cités plus haut en parlent abondamment.  Tous sont d’accord pour affirmer  que si on ne considère que le pouvoir d’ordre, un évêque est plus grand qu’un cardinal presbyte ou diacre. Car, un évêque ordonne des presbytes, et confirme des baptisés, et fait d’autres choses que les cardinaux presbytes ou diacres ne peuvent pas faire.  Voilà pourquoi le souverain pontife se nomme évêque, non cardinal, appelle tous les évêques ses vénérables frères, et les cardinaux ses fils bien-aimés, comme il appelle les laïcs.  De même, si nous considérons la juridiction de chacun dans sa propre église, ou diocèse, ou le titre et la diaconie de cardinal, un évêque est plus grand qu’un cardinal prêtre ou diacre.  Car la fonction d’évêque diocésain est plus grande qu’un simple titre cardinalice.  De plus, dans son diocèse, un évêque a, en tant que pasteur propre et ordinaire, la plénitude de la juridiction.  Il peut légiférer, dispenser, punir, gracier etc.  Or, n’étant par son titre qu’un curé,  un cardinal prêtre ou diacre est soumis à un évêque, et ne peut faire que ce que l’évêque lui permet de faire.
Mais si on regarde le gouvernement de l’église universelle, un cardinal prêtre ou diacre est plus grand qu’un évêque qui n’est pas cardinal.  Car, à moins d’exceptions rarissimes,  on n’appelle jamais les simples évêques au gouvernement de l’église.  Seulement quand sont convoqués  des conciles généraux.  Les cardinaux, eux, se tiennent quotidiennement près du pontife, sans les avis desquels  il n’entreprend ou ne décide rien. Et c’est pour cela que des évêques sont jugés, créés, déposés par des cardinaux, en tant que coopérateurs du pape,  et non des cardinaux par les évêques. C’est pour cela aussi qu’un cardinal précède  un évêque non cardinal. C’est cette raison que présente le pape Eugène 4, dans son épitre à l’évêque de Kant, que Dominique Jacobus a transcrite, (livre 1, article 12 des conciles.)  Et avant Eugène, saint Bernard, dans son livre de la considération, quand il parle des cardinaux. « Venons-en à tes collatéraux et à tes coadjuteurs.  Ce sont tes compagnons de tous les jours, tes intimes. »  Et plus bas : « Ceux qui ont à juger le monde ne doivent-ils pas être choisis de par toute la terre ? »  Et dans la lettre 188 écrite aux cardinaux : « Personne ne doute que c’est à vous qu’il revient d’enlever les scandales du royaume de Dieu, d’arracher les épines qui surgissent, d’apaiser les querelles. » Et plus bas :  « Agissez selon le lieu que vous tenez, la dignité donc vous jouissez, et le pouvoir que vous avez reçu. »  Saint Bernard reconnait ici que les cardinaux ont un pouvoir plus grand que celui des évêques.
Mais Calvin accourt au lieu déjà cité (livre 4, chapitre 7, verset 30), et nous oppose trois témoignages. « Je vois, dit-il, que ceux qui étaient autrefois inférieurs aux évêques les surpassent maintenant de beaucoup. »  Elle est bien connue la dix-neuvième lettre de saint Augustin à saint Jérôme. Bien que selon le langage officiel qui a prévalu dans l’Église, l’évêque soit plus grand que le presbyte, cependant, Augustin est, en beaucoup de choses, inférieur à saint Jérôme. Il ne distingue donc pas un presbyte de l’église romaine des autres, mais il les met tous étaux aux évêques.  Ceci fut observé jusqu’au concile de Carthage.  Deux légats du siège romain étaient présents, l’un évêque, l’autre prêtre.  Or, le prêtre fut rejeté à la dernière place.  Et pour ne pas nous attarder à rechercher les témoignages anciens, a été conservé un concile Romain présidé par saint Grégoire, au cours duquel les prêtres se sont assis et on signé  au dernier rang.  Aucun diacre n’a apposé sa signature au document.
Mais le témoignage de saint Augustin n’a rien à voir avec la question débattue.  Car, nous ne nions pas qu’un évêque soit plus grand qu’un presbyte, mais qu’un cardinal soit plus grand qu’un cardinal.  Car un cardinal évêque précède toujours  un cardinal prêtre, et un cardinal prêtre précède toujours un cardinal diacre.  Mais, Calvin rétorque que « ce n’est pas n’importe lequel prêtre que saint Augustin place au-dessus d’un évêque, mais Jérôme prêtre de l’église romaine. »  Je réponds que saint Jérôme n’était pas prêtre de l’église romaine, mais de l’Église d’Antioche.  C’est ce qu’il atteste lui-même ( dans son épitre 61 à Pammachius, sur les erreurs de Jean évêque de Jérusalem). Ne s’oppose pas à ce que j’avance qu’il ait été parfois à Rome, et qu’il ait aidé le pape à écrire ses lettres, comme il l’atteste lui-même dans sa lettre à Geruchia sur le monogamie.  Et même s’il a séjourné à Rome, il n’a jamais eu de titre propre, ou une église à administrer comme l’ont les cardinaux. Comme il venait tout juste de retourner à Rome et qu’il était encore citoyen de Syrie quand il a écrit sa lettre à Pammachius, il ne dit pas qu’il est un prêtre romain, mais antiochien.  Car il désirait montrer à l’évêque Jean de Jérusalem qu’il était un prêtre d’une plus grande ville que celle de Jérusalem; qu’il n‘avait donc pas abandonné son église pour aller chercher quelque chose dans l’église de Jérusalem : « Nous avons quitté moi Antioche, et lui Constantinople, des villes très célèbres, non  pour louer ta prédication populaire, mais pour que pleurant dans les champs et le désert  les péchés de jeunesse, nous fléchissions en notre faveur le Christ miséricordieux. » Comme  il est établi que l’église romaine a toujours été supérieure à l’église d’Antioche, saint Jérôme aurait certainement dit, s’il avait vraiment pu le dire, qu’il avait quitté, lui, Rome, et l’autre Constantinople.
Le témoignage du concile de Carthage 1V ne prouve non plus pas grand-chose.  Car, même si, dans ce concile, le presbyte romain s’est assis après les évêques, dans les concile de Nicée, d’Éphèse, de Chalcédoine, dans les sixième, septième et huitième conciles généraux, les presbytes romains étaient assis devant les évêques.  Mais quoiqu’il en soit bien ainsi, je reconnais qu’autrefois les simples évêques passaient avant les cardinaux non évêques, et que le cardinalat fut même un degré menant à l’épiscopat, comme Onuphrius l’enseigne dans son livres sur les cardinaux, et comme nous le montre le premier livre de la vie de saint Grégoire, au chapitre 7.
 Après cela, est né l’ordre, et les cardinaux ont commencé à être placés avant les évêques; et l’épiscopat est devenu un grade menant au cardinalat.  On peut assigner deux raisons à ce changement.  La première.  Parce que c’est aux seuls cardinaux qu’était remise l’élection du souverain pontife. Car, au temps où le clergé et le peuple élisaient le pape, il n’est pas étonnant qu’il n’y ait pas eu autant de cardinaux.  Mais après qu’ils commencèrent à être les seuls à les élire, et eux seuls, la plupart du temps, à être élus, ce n’est pas sans cause que la dignité cardinalice ait été davantage prisée.  La deuxième. Seuls les cardinaux furent présents dans le conseil du souverain pontife. Car, auparavant, les cardinaux n’étaient ni les seuls ni même les plus importants conseillers du pape.  Car dans les premiers six cents ou huit cents ans,  pour porter un jugement sur des choses particulièrement graves, les papes convoquaient des conciles nationaux d’Italie. Dans ces conciles, étaient présent, certes, les cardinaux prêtres, mais les évêques tenaient le premier rang.  C’est ce que nous font connaitre les tomes des conciles,  qui nous rapportent plusieurs conciles romains, ou latérans, célébrés entre 300 et 800.  Il n’y avait donc pas de raison, à cette époque, pour que les cardinaux prêtres soient placés avant les évêques, puisque, alors, les évêques n’aidaient pas le pape dans le gouvernement de l’église moins que les cardinaux, mais beaucoup plus.  Ensuite, grossirent les affaires de l’église romaine, surtout quand au temps de Pépin et de Charlemagne, elle reçut la principauté temporelle.  Le souverain pontife eut alors besoin de beaucoup plus de conseillers qu’avant.  C’est pourquoi, par l’enseignement de l’usage et la contrainte de la nécessité, dans les dernières années du septième siècle et du huitième siècle, on laissa tomber en désuétude les conciles épiscopaux, et toutes les questions furent remises au sénat des cardinaux.  Que cela ait pu  être fait, et bien fait, il est impossible d’en douter.  Car le pontife n’est pas tenu de choisir comme conseiller, un tel plutôt qu’un autre.
Ce choix eut, de plus, de grands avantages.   Le premier. Le pontife a constamment à sa disposition un sénat qu’il peu convoquer à n’importe lequel moment,  pour traiter des choses les plus urgentes. Le deuxième.  Cela ne se fait pas au détriment des églises particulières.  Car les conciles épiscopaux ne peuvent pas toujours être rassemblés sans préjudice aux églises particulières, puisqu’une absence prolongée des pasteurs est souvent pernicieuse.  Le troisième.   Les conseillers sont plus informés et expérimentés, puisqu’ils ne font toujours que cela.  Une fois légitimement faite cette mutation d’un conseil pontifical d’évêques à un conseil de cardinaux seuls, il aurait été étonnant qu’une mutation de dignité n’ait pas aussi pris place.
Mais il nous plait, à la fin de cet exposé, de noter à quel point répugnent les paroles de Calvin dans sa dernière dispute (chapitre 7, livre 4, dans ses institutions).  Dans le dernier paragraphe il admire le nombre imposant de cardinaux : « Je ne sais pas ce qui est arrivé pour qu’ils émergent subitement en un si grand nombre. »  Et un peu plus bas : « Maintenant, leur sort est tellement changé qu’ils sont devenus les parents des rois et de César. Sans aucun doute, ils ont cru insensiblement avec leur tête, jusqu’à être investis de l’éclat de cette dignité. »  Et il ajoute ensuite juste le contraire : « Il fallait que l’église soit remplie de ceux dont Malachie a parlé : Vous êtes sortis de la voie, et vous avez fait en sorte que plusieurs offensent le législateur. C’est pour cela que je vous ai rendus vils et méprisables à tout le peuple. »  Comment, je le demande, ces deux affirmations peuvent-elles aller de pair ? Comment peuvent-ils être en même temps  parents des rois et de César  et être avilis et méprisables aux yeux du peuple ?
                                                           CHAPITRE 17
                                                      Les chorépiscopes
Nous avons jusqu’ci parlé de la distinction entre les clercs et leurs devoirs respectifs, telle qu’elle existe encore aujourd’hui dans l’église catholique.  Il semble bon de devoir ajouter quelques mots sur les chorépiscopes, sur leurs noms et leurs fonctions, même s’ils sont complètement disparus de nos jours.
On appelait chorépiscopes des presbytes qui dans les villages ou les petites villes,  avaient le soin des âmes, comme aujourd’hui les curés de paroisses. On les appelait chorepiscopes, ou, comme le pape Damase l’indique dans son épitre 3, des évêques de villages ou de petites villes.  Car Kora, en grec, signifie ville ou région.  Ou plutôt, comme les conciles de Néocésarée (au canon 13) et d’Antioche (au canon 8) l’enseignent, des vicaires épiscopaux ou vicaires des évêques, ou tenant la place d’un évêque.  Ces chorépiscopes ne pouvaient pas ordonner des prêtres ou des diacres, ni oindre le front des fidèles avec le saint chrême, ni consacrer des temples ou des autels.  Ils pouvaient faire toutes les autres chose que faisaient les évêques, comme nous le font connaitre les conciles d’Ancyre (canon 12), d’Antioche (canon 10), et d’Espagne 2, (canon 7), ainsi que la lettre du pape Damase 3, celle de Léon 86 ou 88, et celle de Jean 111 aux évêques d’Allemagne et des Gaules.
Mais une question ici se présente. Était-il permis aux chorévêques d’ordonner des sous-diacres ? Car, dans le concile d’Antioche, le canon 10 déclare clairement que cela leur est permis.  Que cela ne leur soit en aucun cas permis, le pape Damase l’affirme, avec autant de clarté, dans son épitre 3. Les conciles et les pontifes cités plus haut nient qu’il soit permis aux chorépiscopes d’ordonner des prêtres ou des diacres, sans rien préciser au sujet des sous-diacres et autres ordres mineurs.  Je réponds que certains chorépiscopes avaient vraiment reçu la consécration épiscopale.  On les appelait chorépiscopes parce qu’ils n’avaient pas d’église propre, et exerçaient leur ministère dans un autre diocèse, comme ceux qu’on appelle aujourd’hui titulaires ou suffragants.  D’autres étaient des chorépiscopes tout court, c’est-à-dire des presbytes, qui dans les villages ou les petites villes, représentaient d’une certaine façon l’évêque. Le concile d’Antioche semble parler des premiers, comme Damase l’a noté dans son épitre 3, car, c’est ainsi que commence le canon : « les chorépiscopes qui ont reçu l’imposition des mains par les évêques, et qui ont été ordonnés évêques. »  Dans ce canon, le concile ne parle donc pas de n’importe lequel chorépiscope, mais seulement de ceux qui ont été consacrés évêques par plusieurs évêques.  Ensuite, dans le même canon, le concile ne permet pas seulement à ces chorépiscopes d’ordonner des sous-diacres, mais aussi des diacres et même des presbytes, si l’évêque du lieu le permet.  Il appert clairement de ce texte que ces chorépiscopes sont de vrais évêques.
De plus, à la fin de ce canon (« le chorépiscope doit être ordonné par l’évêque du lieu), ce n’est plus des mêmes chorépiscopes qu’on parle, mais des autres.   Car le concile a voulu statuer par une loi que le chorépiscope soit ordonné par un seul évêque (au lieu de trois)  pour qu’il ne soit qu’un presbyte, et non un évêque.  C’est de ce genre de chorépiscopes que traite le pape Damase dans son épitre 3, quand il dit qu’il n‘est pas permis aux chorépiscopes d’ordonner des sous-diacres.  Les autres conciles et les pères qui nient qu’il soit permis aux chorépiscopes d’ordonner des diacres, et qui ne disent rien des sous-diacres, semblent, par diacres, entendre aussi les sous-diacres, puisque l’un et l’autre sont des ordres sacrés, et sont souvent appelés du même non par les pères. S’il était possible de prouver qu’il avait été parfois accordé aux chorépiscopes du second genre d’ordonner des sous-diacres, il faudrait ajouter que cela s’est produit en vertu d’un privilège ou d’une concession, du genre de celle qui est accordée aux prêtres, en certains endroits, en l’absence de l’évêque, de confirmer des baptisés. Voir ce que saint Ambroise écrit des prêtres d’Égypte, dans son commentaire du chapitre 4 de la lettre de saint Paul aux Éphésiens.  Que cela suffise pour la différence qu’il y a entre les clercs, et leurs devoirs respectifs.
                                                      CHAPITRE 18
                                             Le célibat des prêtres.
         Le célibat imposé aux ordres sacrés est-il de droit divin ou pas ?
Suit la quatrième dispute, qui est celle du célibat, ou de la continence des hommes sacrés, qui sera tripartite. La première. Le célibat imposé aux ordres sacrés est-il de droit divin ? La deuxième. S’il ne l’est pas, est-il au moins de droit apostolique, et cela a-t-il était fait correctement ?  La troisième.  Est-ce que les remariés sont exclus des ordres sacrés ?  Pour commencer par le commencement, Jean le majeur (4 dist 24, question 2) a été d’opinion que le voeu solennel des prêtres était de droit divin, et donc non dispensable. Clichtovaeus a enseigné presque la même chose (dans la continence des prêtres, chapitre 4 et suivants).  Il enseignait deux choses qui ne me semblent pas aller très bien ensemble.  La première.  Il est de droit divin que celui qui a été initié aux saints ordres ne peut pas se marier, et qu’aucune dispense ne peut lui être accordée. La deuxième. Ceux qui se sont mariés ne peuvent pas être initiés aux saints ordres, à moins qu’ils ne veuillent pratiquer la continence.  Il dit que c’est un précepte de l’église décrété d’abord par le pape Syricius,  et qu’il n’a jamais été reçu par l’église orientale. Il fut donc permis aux prêtres dans toute l’église, d’user des épouses qu’ils avaient avant leur ordination à la prêtrise, et cela jusqu’au temps du pape Syricius.  Dans l’Église orientale cela est encore permis, comme ça l’a toujours été.
Or, saint Thomas (2.2. question 88, araticle 11, enseigne explicitement que le vœu de continence a été annexé aux ordres sacrés uniquement par un décret ecclésial, et donc dispensable.  Cajetan enseigne la même chose (dans les opuscules, tome 1, traité 27), ainsi que Sotus (livre 7, de la justice, question 6, article 2).  Il enseigne également, ce que je pense moi aussi, que ce décret qui annexait le vœu de continence aux ordres, n’était pas divin en lui-même, mais seulement apostolique; et que, depuis le temps des apôtres, il a été observé dans l’église pendant longtemps.  Mais, comme dans le chapitre suivant, nous confirmerons cela contre les hérétiques, il suffit maintenant de prouver brièvement que ce n’est pas de droit divin que le mariage a été interdit aux prêtres, et que l’église peut donc en dispenser.
On le prouve d’abord par l’une des deux propositions de Clichtovaeus, à savoir que ce n’est pas de droit divin que des prêtres qui étaient mariés avant d’être ordonnés, doivent s’abstenir de leur épouses.  Car, le mariage n’est pas en opposition avec la prêtrise de par son essence, mais en raison du devoir conjugal et de ses obligations.  Car, si c’était Dieu qui avait interdit le mariage aux prêtres, il l’aurait certainement prohibé à cause de l’acte conjugal qui rend l’homme entièrement charnel, et inapte aux choses divines. Et aussi à cause de l’entretien d’une maison et du soin des enfants, toutes choses qui engendrent de grandes distractions.  Mais pas seulement à cause du seul sacrement conjugal, ou à cause du contrat matrimonial,  qui se célèbre par le seul consentement des âmes,  et qui est une chose très brève et très honnête.  Si donc il était permis aux prêtres, de droit divin, de garder la femme qu’ils avaient avant leur ordination, et d’en user en tant que maris, pourquoi, je le demande, cela ne serait-il pas permis après l’ordination ?  Ajoutons que les raisons que fait siennes Clichtovaeus sont toutes tirées de la pureté qu’exigent les charges sacerdotales.  Ce qui répugne à cette pureté, ce n’est certes pas le fait de se marier ou de s’être marié, mais de cohabiter avec une épouse.
Chlictovaeus  concède donc que le droit divin n’interdit pas aux prêtres déjà mariés d’user de leurs épouses. Mais pour les quelques-uns qui en doutent, il le prouve par le fait que l’Église romaine a, pendant plusieurs siècles, permis aux Grecs orthodoxes d’user des épouses qu’ils avaient avant leur ordination. Voir le chapitre cum olim, sur les clercs mariés. Ajoutons le témoignage de saint Grégoire (livre 1, épitre 42) où il permet aux sous-diacres d’user librement des épouses qu’ils avaient avant leur ordination, même s’il a interdit par la suite  d’ordonner ceux qui ne voudraient pas vouer la chasteté.   On le prouve, en second lieu, du fait que, dans l’Écriture, il n’existe aucun précepte de ce genre.  Car, dans l’ancien testament, il était permis aux prêtres de se marier.  Et, dans le nouveau, le Seigneur n’a rien dit à ce sujet.  L’apôtre, il est vrai, dans les épitres à Timothée et à Tite, ordonne d’élire des hommes chastes comme évêques et diacres. Or, ce précepte de saint Paul n’est pas divin, mais apostolique. Nous y reviendrons.
Ils nous objectent, eux, la bénédiction de Moïse (Deutéronome, chapitre 33).  Ce qui y est dit des lévites, est, selon eux, dit des prêtres chrétiens : « Ceux qui dirent à leur père et à leur mère je ne vous connais pas, et qui ignorèrent les fils ». Mais cet oracle divin n’est pas un précepte divin.  Que ce soit en vertu d’une loi divine ou humaine que les prêtres se privent de mariage, la parole de Moïse s’accomplit.  Ils nous objectent aussi les paroles du Christ en Luc 21 : « Voyez à ce que vos cœurs ne soient pas appesantis par l’ivresse, et les soucis de ce monde. »  Selon saint Léon (sermon 8 sur le jeûne), ces paroles s’appliquent particulièrement aux prêtes.  Je réponds. Ils se trompent manifestement ceux qui présentent cet argument.  Car, saint Léon dit explicitement que ce précepte du Christ  s’applique à tous les fidèles, mais  à nous particulièrement  qui sommes plus près du jour du Seigneur.  Ensuite, saint Paul ordonne qu’on élise évêque « quelqu’un qui gouverne bien sa maison, qui maintient ses fils dans la soumission en toute chasteté. »  Les paroles du Christ ne sont pas contraires à celles de saint Paul.  Jésus, il est vrai, ne parle pas du soin des l’épouse et des enfants, mais de ne pas être alourdi par des soucis mondains.
Mais, disent-ils, la raison naturelle dicte que le ministère le plus pur doive être exercé par des continents. Je réponds que  c’est bien ce que dicte la raison, mais comme une chose convenable, non absolument nécessaire.    On le prouve, en troisième lieu, par le concile d’Ancyre, chapitre 10, où il est dit que les diacres peuvent, avec la permission de leur évêque, se marier, même après avoir reçu le diaconat.   Ce n’est donc pas de droit divin, car les évêques ne peuvent pas dispenser du droit divin.  Or, ce concile est très ancien et confirmé par le pape Léon, (dist 20, canon de libellis).   On peut ajouter enfin comme preuve que les conciles et les pères, que nous allons citer dans le prochain chapitre, affirment souvent que c’est une loi ecclésiastique.  Et c’est ce que nous lisons aussi dans le concile de Trente (session 24, canon 9).
                                                      CHAPITRE 19
Le célibat a été, par un droit apostolique,  correctement annexé aux ordres sacrés
Nous voici rendus à la question suivante : est-ce que le célibat perpétuel a été correctement annexé aux ordres sacrés ?  Nous avons deux erreurs à réfuter, celle des Grecs, et delle des Luthériens. La  première. Il faut que les clercs se marient avant de recevoir les ordres sacrés, car, après avoir les reçus, il ne leur est pas permis de le faire, et parce que celui qui vit sans femme s’expose à un trop grand danger de fornication.  On pense que l’auteur de cette erreur est Nicolas, un des sept premiers diacres.   Mais quoi qu’il en soit, il est attesté que Vigilance l’a enseignée, selon saint Jérôme (au début de son livre contre Vigilance) : « Il dit avoir pour complices de son crime des évêques funestes, si du moins on doit appeler évêques  ceux qui n’ordonnent des diacres qu’après qu’ils se soient mariés, ne créditant aucun clerc de la pudicité ».  C’est cette erreur que les pères du concile de Trullo ont accréditée, autour de l’année 700, comme on le voit au canon 13.  Ce concile profane blâme nommément les canons de l’église romaine et statue le contraire, à savoir que les clercs se marient avant le sous-diaconat, et qu’ils vivent ensuite avec leurs épouses quand ils auront reçu les autres ordres. C’est au temps de ce synode qu’est commencée la coutume grecque qui prévaut aujourd’hui.  Elle s’est consolidée et confirmée au temps du pape Léon 1X, quand la dissension entre les Grecs et les Latins éclata, et se formula en plusieurs articles. Nous avons encore le livre du cardinal Humbert écrit à cette époque sur ce sujet, contre l’abbé Nicéta, qui défendait alors avec acharnement cette coutume des Grecs.
La deuxième erreur est de beaucoup plus grave.  On peut prendre femme non seulement avant l’ordination, mais même après l’ordination.  Celui qui posa les fondements de cette erreur est  Jovinien.  Il soutenait que la virginité ne l’emporte pas sur le mariage.  Il s’ensuivait que c’était sans raison aucune et inutilement que les prêtres se privaient d’épouses.  Après avoir entendu Jovinien prêcher, certaines moniales se marièrent, comme le rapporte saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 82).  Mais cette hérésie ne fit pas long feu, et s’éteignit sans même entrainer un seul prêtre à renoncer à son vœu de continence.
Le premier qui enseigna ouvertement qu’il était permis de prendre femme après l’ordination fut Jean Wiclif,  comme le rapporte Thomas Waldensis  (tome 2 des sacrements, chapitres 128, et 129, et tome 3 sur les sacramentaux, chapitres 66 et 67).  D’autres l’ont suivi ensuite comme Luther, (live 2 de l’abrogation de la messe privée), Pomeranus (livre du mariage des évêques), les magdebourgeois (dans toutes les centuries d livre 7, et surtout la onzième, chapitre 7, colonne 389).  Ils disent là que c’est « l’hérésie la plus infecte de toutes celles qui ont empesté et perturbé le royaume chrétien ».  De même Bèze et le martyr, (dans la première aux Corinthiens, 7),  Philippe Melancthon (dans sa confession augustinienne, article 23, et dans son apologie du même article. »  Calvin (livre 4, chapitre 12, verset 23 de ses institutions), Brentius (dans sa confession de Wittemberg, au chapitre du mariage).   Ensuite, Érasme (dans son livre sur la louange du mariage) juge utile que le droit de se marier soit concédé aux prêtres.  Pense de la même façon Panormitanus, un savant auteur catholique, (dans le chapitre cum olim, sur les cleercs mariés.)  J’ai entendu dire que Kemnitius, dans la troisième partie de son examen du concile de Trente, a traité du célibat des prêtres, mais son livre, je ne l’ai pas encore vu.  Et si on pouvait apporter d’autres développements provenant d’autres auteurs, cela ne pourrait pas apporter grand-chose de nouveau à tout ce que les centuriates et Calvin ont recueilli.
Contre ces erreurs, nous prouverons que le vœu de chasteté a été annexé aux ordres sacrés de façon à ce  qu’on ne puisse ni se marier après l’ordination, ni user des  épouses acquises avant l’ordination.   Et cela, de par un droit positif, mais très ancien et très équitable, qu’il ne convient en aucune façon de relâcher.  On le prouve d’abord, par les Écritures. Saint Paul (épitre à Tite, chapitre 1) : « Il faut que l’évêque soit hospitalier, bon, sobre, juste, sain, continent. »  Il est à noter que le mot grec que nous rendons pas sobre est sophôna.  Ce mot, comme le dit saint Jérôme est ambigu.  Il peut signifier prudent, sobre, chaste. Son vrai sens ici est chaste. Et parce que la chasteté est commune même aux époux, saint Paul ajoute continent. « Il s’abstient des embrassements de l’épouse », selon l’explication de saint Jérôme.  De même (dans l’épitre 2 à Timothée, chapitre 2) : « Travaille comme un soldat du Christ Jésus ! Parmi ceux qui militent pour Dieu, personne ne s’immisce dans les affaires séculières. » L’apôtre prescrit à l’évêque de militer énergiquement pour Dieu. Personne ne nierait que les noces soient des affaires séculières.  Car, comme saint Basile l’enseigne   (dans la préface de ses constitutions monastiques) : « Les noces sont des fers aux pieds. » Le même apôtre (1 Corinthens, 7)  ordonne aux époux de s’abstenir de relations conjugales de temps en temps, pour pouvoir s’adonner à l’oraison.  Saint Jérôme en déduit donc (chapitre 1 à Tite, et livre 1 à Jovinien) qu’il prescrit aux évêques et aux autres hommes sacrés, de s’abstenir à perpétuité de l’œuvre du mariage, puisque c’est à chaque jour qu’ils doivent s’adonner à la prière.  Origène se sert de ce même argument (homélie 23 sur les Nombres), ainsi qu’Épiphane dans l’hérésie des Cathares.
De plus, dans l’ancien testament, nous voyons que la continence des femmes était requise pour qui s’approchait de Dieu, ou avait à régler une chose sainte quelconque.  Car (dans l’Exode 12),  on commande à ceux qui sont sur le point de manger l’agneau pascal de ceindre leurs reins, ce qui veut dire, comme l’explique saint Grégoire (homélie 22 sur l’évangile) « que doivent dompter les voluptés de la chair ceux qui mangent l’Agneau pascal ».  Et, dans l’Exode 19,  quand le peuple était sur le point de recevoir de Dieu la loi, Moïse leur dit : « Tenez-vous prêts pour le troisième jour, et ne vous approchez pas de vos épouses ! »  C’est de ce témoignage dont se sert saint Ambroise (livre 1, de officiis, dernier chapitre), pour prouver la continence des clercs.   De même, dans l’Exode, Dieu prescrit à Aaron et à ses fils de se vêtir de vêtements féminins des reins jusqu’au fémur (femora).  En expliquant ce texte, saint Bède le vénérable (livre 3 du tabernacle, chapitre 9), dit que les prêtres du nouveau testament doivent être vierges, ou dissoudre les alliances contractées avec leurs épouses.   De même (1 Rois 21) le prêtre Abimélech ne voulut pas donner à David et ses soldats les pains de proposition,  avant d’avoir compris qu’ils s’étaient abstenus de tout contact avec leurs épouses.  Saint Jérôme en déduit que (au chapitre  à Tite), « est requise la continence perpétuelle aux prêtres, même à ceux qui vivent avec leurs épouses, parce qu’ils consacrent, mangent et distribuent  le corps du Christ qui était représenté par ce pain de proposition. »
On apprend du livre 1 des paralipomènes, chapitre 24 et Luc 1, que les prêtres de l’ancien testament avaient coutume d’être ministres tout à tour; et qu’ils ne s’abstenaient de leurs maisons et de leurs épouses qu’aux jours où ils célébraient dans le tabernacle. Le pape Syrice (dans son épitre à Himericus), et Innocent ! (dans son épitre à Victricius), ainsi que Bède le vénérable (au chapitre 1 de saint Luc), font la déduction suivante.  Si les prêtres de l’ancien testament s’abstenaient de leurs épouses les jours où ils avaient à officier dans le temple, il convient tout à fait que nos prêtres qui n’officient pas à tour de rôle, mais à tous les jours, s’abstiennent continuellement de leurs épouses.  Jean Calvin s’efforce de désamorcer  cet argument (livre 4, chapitre 12, verset 25) en disant que « les prêtres lévitiques étaient des images du Christ, et que c’est  parce qu’ils ne pouvaient pas représenter exactement l’excellence et la sainteté du Christ, qu’on leur a ordonné de se purifier d’une façon qui transcendait les mœurs humains.  Cette prescription ne s’impose donc  plus maintenant, car par l’avènement du Christ, les figures et les ombres cessèrent ».
Mais que vaut cette explication de Calvin ?  Car, comme les prêtres lévitiques étaient une figure du Christ à venir, les prêtres chrétiens représentent le Christ qui est venu.  Car, quand il performe les saints mystères, le prêtre tient la place du Christ, et c’est pour cette raison qu’en sacrifiant, il ne dit pas : ceci est le corps du Christ, mais ceci est mon corps. Il est lui-même le Christ agissant en lui et par lui. Et c’est ce que représentent les ornements des vêtements sacrés.  La première raison pour laquelle les prêtres lévitiques devaient s’abstenir de leurs épouses n’était pas parce qu’ils tenaient la place du Christ, mais parce que ils étaient les ministres du Seigneur.  Exode 19 : « Que les prêtres qui accèdent à Dieu se sanctifient pour qu’il ne les frappe pas ! »  Car, David a toujours été la figure du Christ, mais on ne lui a pas  commandé de s’abstenir de femme que quand il s’apprêtait à manger du pain consacré, comme nous l’avons déjà dit.  Si, parce qu’ils représentaient Dieu, ces prêtres durent se purifier d’une manière non humaine,  à plus forte raison doivent se purifier ceux qui servent quotidiennement le Christ dans leur ministère.
On le prouve, en seconde lieu, par les témoignages des conciles antiques  de l’Église universelle. Et d’abord, de l’église orientale.  Nous avons le concile d’Ancyre, au canon 10, célébré il y a 1200 ans, où il est dit : « Les diacres qui, pendant leur ordination, ne protestent pas contre l’interdiction de se marier,   ne peuvent pas prendre femme après leur ordination. S’ils protestent,  ils peuvent se marier, car alors on considère qu’ils ont la dispense de leurs évêques. »  De même, le concile néocésarien, célébré un peu après, dit au chapitre 1 : « Si un presbyte prend femme, il sera chassé de son ordre. »  Le concile de Nicée 1, au chapitre 3, « interdit à un évêque, à un presbyte et à un diacre d’avoir une femme dans sa maison qui ne soit ni sa mère, ni sa sœur, ni sa tante ».  Le mot épouse n’est pas prononcé, et c’est d’elle qu’on parlerait d’abord s’il lui était permis de vivre avec elle.  De même.  Pourquoi interdit-on aux clercs la cohabitation avec des femmes, s’ils peuvent avoir des épouses ?  Les épouses ne peuvent-ils pas avoir des servantes dans la même maison ?  Ensuite, le synode de Trullo (canon 6) « interdit aux évêques, aux prêtres, aux diacres et sous-diacres, de prendre femme après leur ordination ».  Et le canon 48 interdit aux évêques de cohabiter avec leurs épouses.
L’église de Carthage nous présente un insigne témoignage.  Car, voici ce que prescrit le concile carthaginois 11, canon 2 : « Il plait à tous que les évêques, les prêtres, les diacres, et tous ceux qui qui confèrent les sacrements soient des gardiens de la pudicité, et s’abstiennent même de leurs épouses. »  Et il en donne la raison : « Pour que ce que les apôtres ont enseigné, et qu’a conservé l’antiquité, nous le gardions nous aussi. »  Ce témoignage réfute non seulement les luthériens mais aussi les catholiques qui veulent que ce décret sur la continence du sacerdoce ait commencé par le pape Syricius.  Or, ces pères témoignent qu’il date des apôtres eux-mêmes.  Le concile de Carthage 5, canon 3,  et le concile africain (canon 37) disent la même chose.  Nous avons aussi le concile  romain de l’Église italique, sous Sylvestre (canon 8) qui interdit aux sous-diacres d’oser prendre femme par un moyen quelconque.  Pour les églises gauloises, nous avons le concile d’Arles 11, célébré il y a 1700 ans. Le canon 12 met en garde « de ne jamais mener au sacerdoce quelqu’un qui est déjà marié, à moins qu’il promette de pratiquer la continence avec son épouse ».  De même, le concile de Tours 1, canons 1 et 2, et le concile de Tours 2, canon 20, celui  d’Agathe, chapitre, et d’Aurélie 111, canon 2. : «Qu’aucun clerc, depuis le sous-diacre jusqu’au sommet, n’use de son épouse, s’il en a une à lui »
Nous avons aussi le concile d’une église d’Espagne qui a été tenu avant l’époque du pape Syricius (canon 33) : « Il a plus à tous que les évêques, les prêtres, les diacres et les sous-diacres s’abstiennent de femmes épouses, et n’engendrent pas d’enfants. »  Les conciles de Tolède 2 (chapitre 1), Tolède 1V (chapitre 26) et Tolède 8 (chapitre 6) interdisent des épouses  aux sous-diacres aussi.   Pour ce qui en est des  églises allemandes, nous avons le concile de aquisgranense au temps de Louis 1, (chapitre 6), celui de Wormaciense, (chapitre 9) : « Il a plu que les évêques, les presbytes, les diacres et les sous-diacres s’abstiennent d’épouses, et ne génèrent pas d’enfants. »  Ensuite, le concile de moguntinus au temps de l’empereur Arnulphe, a statué au chapitre 10 « qu’aucune femme n’ait la permission d’habiter avec un ecclésiastique,  à moins qu’elle ne soit sa mère ou sa sœur ».  Il appert de tout cela que ce que Philippe a écrit dans la confession augustinienne (article 23)—à savoir que le célibat a été imposé aux clercs en Germanie il y a quatre cents ans,--est complètement faux.  Car, les conciles cités, ont été célébrés en Germanie il y au moins 700 ans.  Ce n’est pas un moindre mensonge ce qu’il dit dans son apologie, à savoir  qu’aucune loi sur le célibat des clercs n’a été votée en concile général; et que les conciles romains présidés par le pape ont été les seuls à le prescrire.
On le prouve en troisième lieu par les témoignages des anciens pontifes. Saint Clément 1 (canons apostoliques, canon 27) : « Au sujet des noces qui se rapportent aux clercs, nous prescrivons qu’ils peuvent se marier s’ils le désirent, mais seulement les lecteurs et les chantres. »  Ce que l’on dit des lecteurs et des chantres, il faut l’entendre également de tous les autres ordres mineurs, puisque la raison invoquée est la même pour tous.  C’est ce qu’indique Calixte 1 (cité par Gratien, dist 27 canon des presbyteris), : « Nous interdisons formellement aux prêtres, aux diacres, aux sous-diacres et aux moines d’avoir des concubines ou de contracter un mariage. »  Et, dans l’épitre à Himericus, chapitre 7 (que Calvin reconnait), il interdit à ceux qui sont dans les choses sacrées les relations sexuelles avec une épouse.  Un peu après, Innocent 1 confirma la même chose (dans sa lettre à Victricius, chapitre 9, et dans sa lettre à Exuperius, chapitre 1).  Ainsi que le pape Léon (épitre 82 à l’évêque Anastase de Thessalonique, chapitre 4, et dans l’épitre 90 à Rusticus Narbonensis, chapitre 3.  Également, saint Grégoire (épitre 1, 42, livre 1, et épitre 34, livre 3).  Ainsi que le pape Zacharie (dernière lettre à Boniface, évêque de Germanie, avant les années 800).  Voilà qui met plus en lumière le mensonge de Philippe.
Mais j’ai le goût de rapporter les paroles du pape Léon dans son épitre à Anastase, car elle réfute non seulement les luthériens mais aussi les Grecs.  Voici donc ce qu’il a écrit aux Grecs : « L’élection de tous les prêtres est si excellente que ce qui, dans les autres membres de l’église se fait sans faute, est pour eux illicite.  Ceux qui sont établis en dehors de l’ordre des clercs sont libres de s’adonner à l’union du mariage et à la procréation d’enfants.  Mais,  pour conserver la pureté de la continence parfaite, n’est concédée pas même aux sous-diacres la cohabitation charnelle, pour que ceux qui ont soient comme n’ayant pas, et pour que ceux qui n’ont pas demeurent célibataires et non mariés.  S’il convient,  dans l’ordre qui est le quatrième en dignité, de se conserver ainsi, à plus forte raison dans le deuxième et le troisième, pour que soit estimé inapte au ministère lévitique, à l’honneur presbytéral ou à l’excellence épiscopale celui qui ne s’est pas montré capable de mettre un frein à l’assaut des voluptés. »  Ajoutons à cela les témoignages formels des empereurs que l’on trouve dans le codex des évêques et des clercs.
On le prouve quatrièmement, par les témoignages des anciens pères grecs et latins.  Origène (homélie 23 sur le livre des Nombres) : « Il est certain qu’est interdit le sacrifice perpétuel à ceux qui s’abandonnent aux voluptés conjugales.  C’e qui me fait penser que seul est digne d’offrir le sacrifice celui qui s’est voué à une chasteté perpétuelle. »  Eusèbe (livre 1, démonstration évangélique, chapitre 9) : « Il convient à ceux qui sont consacrés et qui sont chargés du ministère et de l’administration des sacrements, de s’abstenir de toute relation sexuelle avec une épouse. »  Épiphane (à la fin de son œuvre contre les hérésies) : « On choisit pour le sacerdoce les vierges, ou les moines, ou, si ceux-là ne suffisent pas pour les besoins du ministère, ceux qui s’abstiennent des relations sexuelles avec leurs épouses.  Et le veuf qui a été continent depuis le début peut aussi être choisi comme évêque, prêtre, diacre et sous-diacre. »  Il dit la même chose (à l’hérésie 59, qui est celle des Cathares) : « L’Église ne choisit pas pour diacre, prêtre, évêque ou sous-diacre,  un homme d’une seule femme qui élève encore des enfants,  mais celui qui a vécu dans la continence avec une seule, ou qui est veuf.  Surtout là où sont reconnus les canons apostoliques.  Mais, tu me diras que, dans certains endroits, des prêtres, des diacres et des sous-diacres, continuent à élever des enfants.  C’est vrai, mais ce n’est pas selon les canons, mais selon l’esprit des hommes qui s’alanguit avec le temps. »
Saint Jean Chrysostome (homélie 2 sur la patience de Job) : « Il a dit l’homme d’une seule femme, non de la façon dont cela est observé actuellement dans l’Église.  Car, il faut qu’un prêtre soit orné de toute la chasteté. »  Grégoire de Nysse (dans livre sur la virginité, chapitre ultime) : « Comment rempliras-tu la tâche de prêtre de Dieu, toi qui as été oint pour offrir le sacrifice ?  Comment pourras-tu l’offrir à Dieu si tu n’obtempères pas à la loi qui interdit à un impur d’offrir les choses sacrées ?  Et si tu t’attends à ce que Dieu t’apparaisse, pourquoi n’écoutes-tu pas Moïse qui a prescrit au peuple de se garder pur de toute relation charnelle  pour jouir de  la vue de Dieu ? »  Saint Cyrille (catéchèse 12) : « Celui qui, auprès de Jésus, s’acquitte bien de son sacerdoce, s’abstient de la femme.  Jésus lui-même comment aurait-il pu provenir d’un homme et d’une femme ? »  Oecumenius (chapitre 3 de la première à Timothée, aux mots : un homme d’une seule épouse) : « Il n’a pas statué qu’un évêque dépende d’une épouse, ou qu’il ait nécessairement une épouse, mais que s’il en a une, il ne soit pas au moins bigame. Mais, une fois appelé à la charge d’évêque, il doit remplir parfaitement sa tâche, c’est-à-dire que ceux qui ont des épouses soient comme n’en ayant pas. »
Chez les latins, maintenant.   Cyprien, ou un autre auteur éventuel, (dans le livre de la singularité des clercs) affirme qu’il lui a été révélé par Dieu que les clercs ne doivent pas avoir de femmes dans leurs maisons.  Et c’est ce que prouve tout le livre.  Il ne faut pas se scandaliser si, dans le dernier livre, (comme Pierre le martyr l’a noté), il parle ainsi : « Si quelqu’un a une mère,  ou une fille ou une sœur, une épouse ou une tante, qu’il la garde pour qu’aucune servante ne soit présente. »  Car, il parle d’une épouse qui a, en même temps que lui,  voué la continence.  On trouve quelque chose de semblable dans le concile 2 d’Arles, canon 3 : « Si quelqu’un des clercs, à partir du diaconat, présume garder près de lui pour sa consolation une femme autre que sa grand-mère, sa mère, sa sœur, sa fille, sa tante, ou une épouse qui s’est convertie avec lui, qu’il soit excommunié ! »  Car, si saint Cyrille concédait une épouse aux clercs dont il pourrait user librement, il irait contre tout son livre, et même contre son titre : « de la singularité des clercs).
Saint Ambroise (livre 1, des devoirs, chapitre ultime) : « Le ministère doit être sans tache et immaculé, et vous saurez qu’il ne doit être violé par aucune relation conjugale, vous qui, dans un corps intègre, une pudeur non corrompue, étrangers même à l’union conjugale, avec reçu la grâce du saint ministère.  Je me sens obligé d’en parler,  parce que, dans la plupart des lieux éloignés, les prêtres élèvent des enfants en exerçant le ministère. »  La même chose dans l’épitre 82 à l’église de Vercellensem : « Ayant des enfants, a dit l’apôtre, non faisant des enfants. »  Et, dans le chapitre 1 de l’épitre à Timothée : « On leur défend de nouveau l’usage des femmes. »  Saint Jérôme (dans son livre sur Virgilance, vers le début) : « Que dire l’église de l’Orient, de l’Égypte  et du siège apostolique qui acceptent des clercs qui sont vierges, ou qui, s’ils avaient des femmes, cessent d’être maris ? »  De même, dans la fin de l’apologie pour ses livres contre Jovinianus : « On élit des évêques, des prêtres, des diacres qui sont vierges ou veufs, ou qui deviennent continents après leur ordination. » Saint Augustin (dans le livre 2 sur les époux adultérins, chapitre 20) : « Nous avons coutume de proposer la continence des clercs à ceux qui ont été pris malgré eux pour porter le même fardeau, jusqu’à la fin qui leur est  due.  Avec l’aide de Dieu, ils persévèrent. »  Lire tout le texte.   L’auteur des question sur l’ancien et le nouveau testament, qui n’est pas saint Augustin, comme le titre l’indique, mais quelqu’un de plus ancien, ajoute à la fin : «  Le mariage est une chose permise et bonne, pourquoi n’est-il pas permis aux prêtres d’avoir des épouses ? »  Et il en donne longuement les raisons.
En plus des textes cités, saint Grégoire (livre 6, chapitre 1 du livre des Rois) dit qu’ils se trompent ceux qui, à cause des paroles de saint Paul, «que chacun ait une femme »,  pensent qu’il est permis aux ecclésiastiques d’avoir des épouses. »  Grégoire de Tours (livre 4, chapitre 4 de son histoire) rapporte qu’ »un certain comte qui, après avoir renvoyé son épouse, s’était initié aux fonctions sacrées, désira ensuite retourner à son épouse, et fut excommunié par tous les évêques ».  Saint Isidore (dans le livre des devoirs divins, chapitre 10) : « Il a plu aux saints pères que soient chastes ceux qui célèbrent les saints mystères, qu’ils s’abstiennent de toute relation charnelle avec leurs épouses, et qu’ils soient libres de toute immondice charnelle. »   S’il  dit cela des diacre, il enseigne à plus forte raison la même chose des évêques et des presbytes (chapitres 5 et 8). Ce texte nous permet de comprendre les paroles du chapitre deuxième : « Qu’ils conservent perpétuellement la chasteté du corps, ou qu’ils soient engagés par le lien d’un seul mariage. » Car cela est dit des clercs en général, tant majeurs que mineurs.   Car, tous les clercs doivent ou être perpétuellement continents, s’ils sont initiés aux ordres majeurs, ou engagés par les liens d’un seul mariage, s’ils sont initiés aux ordres mineurs.
Saint Anselme (épitre 8,) affirme que le saint pape Grégoire V11 a eu raison d’interdire à tous les prêtres mariés de s’approcher des saints mystères.  Bède le vénérable (livre 3, chapitre 9 sur le tabernacle) : « Personne ne peut recevoir le sacerdoce, ou se consacrer au ministère de l’autel, à moins de demeurer vierge ou de dissoudre le contrat de mariage qui le lie à son épouse. »  De plus, pour omettre les plus récents, je rappelle à votre souvenir Arator, le sous-diacre du pape Vigile.  Dans son livre sur les actes des apôtres, au chapitre 30, après avoir expliqué la raison pour laquelle les prêtres de l’ancienne loi avaient l’obligation de s’abstenir de leurs femmes seulement de temps en temps,  ajoute : « La sainte foi de l’Église ordonne maintenant que seuls soient pontifes les pudiques perpétuels. »   À ces témoignages, ils ajoutent leurs exemples. Car, au temps des apôtres, tous les évêques, presbytes et ecclésiastiques dont nous avons les vies, et que nous avons entendu loués unanimement, furent continents. Et on ne peut présenter aucun exemple d’hommes approuvés qui témoignent du contraire.   Les magdebourgeois ont scruté attentivement tous les siècles pour trouver des hommes qui se seraient mariés après avoir reçu les ordres. Et ils en présentent plusieurs (aux centuries 4, 5, 6, 7, 8, 9, 19, et 11, au début du septième chapitre), mais sans réussir vraiment.  Car, ou bien il s’agit d’épouses qu’ils avaient avant leur ordination, comme dans le cas de Grégoire, le père de saint Grégoire de Naziance, ou il est question d’ordres mineurs, ou, (ce qu’ils tirent du concile de Tolède 4, chapitre 42) ce sont des exemples de ceux que l’on blâme, (comme on le voit dans l’épitre de Zacharie à Boniface), ou  ce sont des mensonges éhontés, comme ce que rapporte la cinquième centurie, chapitre 7, à savoir que le pape Innocent  aurait attesté que les presbytes de Macédoine avaient des épouses. Le pape Innocent n’a jamais rien dit de tel.   Philippe dans son livre sur le célibat au roi d’Angleterre prouve que les anciens évêques avaient usé du mariage par une lettre de Polycrate citée par Eusèbe, livre 5, chapitre 24 de son histoire.  Polycrate écrit que sept de ses parents ont été évêques, et qu’il était, lui, le huitième.  Mais Philippe a été trompé par la traduction de Ruffin. Le mot grec que l’on trouve chez Eusèbe  est sungenôn qui ne signifie pas des parents, mais des amis.  Mais, concédons qu’ils ont été ses parents, peut-on en conclure qu’ils ont usé des droits du mariage ?
De cette nuée de témoins, on peut tirer trois conclusions.  La première.  Se trompent ceux qui, comme Clictovaeus et les autres pensent que la loi de la continence a été imposée aux clercs, en tout premier,  par Syricius.  Car, Clément, Origène, Eusèbe, Épiphane sont tous plus anciens que Syricius.   La deuxième. La coutume des Grecs qui est en vigueur aujourd’hui, était inexistante dans les premiers six cents ans, comme le démontrent des auteurs comme saint Jean Chrysostome, saint Jérôme, et saint Léon, aux lieux cités.  La troisième.    Calvin a menti effrontément et impudemment quand il a affirmé (livre 4, chapitre 12, verset 25 de ses institutions) que tous les anciens pères avaient approuvé le mariage dans l’ordre épiscopal.  Car, plusieurs pères que j’ai cités, et plusieurs conciles ont déclaré juste le contraire. Et il ne peut citer aucun témoin de ce qu’il avance si imprudemment.
On le prouve, cinquièmement, par la raison.  Car, puisque le mariage apporte des obstacles et des retardements aux devoirs ecclésiastiques,  ce fut équitable d’interdire le mariage aux prêtres et aux autres hommes sacrés, car les devoirs ecclésiastiques consistent à prier, enseigner, exhorter, administrer les sacrements, prendre soin des pauvres, et autres choses semblables, qui ne peuvent pas être bien observées (comme le dit l’apôtre à Tite, chapitre 1),  à moins que le prêtre ne soit hospitalier, bon, sobre, juste, saint, continent et docte.  Le mariage rend difficile (comme saint Jérôme le dit au livre 1 contre Jovinien),  le devoir de sacrifier, car une pureté suprême et une sainteté sont requises, come saint Jean Chrysostome l’explique dans son livre 6 sur le sacerdoce.  On ne peut nier que, dans l’acte conjugal lui-même, ne s’infiltre une certaine impureté et une certaine pollution, non parce qu’elle est elle-même un péché, mais parce qu’elle est née du péché.  Car même si Calvin vocifère contre Syricius qui appelle pollution le mariage des prêtres, ce n’est pas seulement le mariage des prêtres qui est un sacrilège et non un mariage, et qui ne peut s’exercer sans pollution et sans honte, mais aussi celui des diacres.  La rébellion des membres et la honte humaine ont suffisamment été attestées dans cet acte qui requiert le secret, comme l’a noté saint Augustin (livre 14, chapitre 17, de la cité de Dieu).
Ensuite, le mariage refroidit le zèle de l’oraison et de la lecture, qui doivent être l’occupation principale du prêtre, Car, l’oraison requiert un esprit tourné vers les choses d’en haut, purifié et tranquille, tandis que l’acte du mariage, comme l’enseigne saint Augustin (livre, 14, chapitre 16 de la cité de Dieu), rend l’esprit hébété, et le rabaisse vers les choses de la terre, amène le trouble,  et rend l’âme charnelle.  Troisièmement.   Elle met un frein à l’efficacité de la prédication, car, comme le dit saint Ambroise (dans 1 devoirs, chapitre ultime) : « Comment pourra-t-il exhorter efficacement les veuves et les vierges celui qui passe tout son temps à s’occuper des enfants »?  Quatrièmement, il ralentit le travail pastoral, car  celui qui a une femme et des enfants, ne pense toujours qu’à eux, et l’amour avec lequel il devrait prendre soin de ses brebis est consumé tout entier dans son épouse et ses enfants.  Et pourtant, comme le dit saint Ambroise (livre 1, chapitre 7 des devoirs) « les fils spirituels doivent être aimés plus chèrement que les fils charnels ».
Cinquièmement, il paralyse le soin à porter aux pauvres, et cette hospitalité et cette bonté que recommande si chaudement l’apôtre. Car, celui qui a une épouse et des enfants doit mettre de côté de l’argent pour eux, et l’on trouve peu de gens mariés qui aient du superflu.  Ajoutons qu’un clerc ne peut pas léguer d’héritage à des fils, et pourtant, tout père doit assurer l’établissement de ses enfants.  Les plus avares seraient donc forcés de vendre les sacrements.  Sixièmement, l’administration elle-même des sacrements en souffrirait. Car, alors, on distinguerait avec peine les prêtres des laïcs, et le prêtre serait  semblable à un membre du peuple.  C’est ce que l’expérience nous a montré.  Car, au temps de Grégoire V11, quand les prêtres commencèrent, en Allemagne, à prendre femme, un tel mépris des sacrements a suivi que c’était parfois des laïcs qui administraient les sacrements, comme Jean Nauclerus et d’autres le rapportent. Épihane a donc raison de dire (hérésie 59) que la continence est nécessaire à cause de l’honneur qu’exige les sacrements.  Il reste à répondre aux arguments.  Nous réfuterons d’abord les objections de Calvin dans l’ordre où il les a présentées.
                                                       CHAPITRE 20
                             La pauvreté volontaire est licitement vouée à Dieu
Il reste la dernière partie de la question, dans laquelle, tel que promis, nous allons prendre la défense des trois vœux monastiques.   Commençons par le vœu de pauvreté.  Viendra ensuite le vœu d’obéissance, et, à la fin, celui de continence, qui ne pose pas un mince problème.
Qu’on a le droit de choisir la pauvreté volontaire et de la vouer à Dieu, on le prouve avec ces paroles de Matthieu 5 : « Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. »  Il faut noter ici que les pauvres en esprit sont interprétés de trois façons. La première. On appelle pauvres ceux qui sont affligés, comme le veut le psaume 24 : « Je suis seul et pauvre.  Les soucis de mon cœur se sont multipliés. »  La deuxième.  On appelle pauvres les humbles : « Qui regarderai-je si ce n’est le petit pauvre, celui qui est contrit, et qui tremble à ma parole ? »  La troisième.  On appelle pauvres,  au sens propre, ceux qui ne sont pas riches,  et cela de trois façons :  en acte, mais non en pensée;  en pensée mais on en  acte;  en acte et en pensée.  On trouve cinq explications de ce texte.  La première est celle de Calvin qui, par pauvres, entend les affligés.  Mais cette interprétation n’est pas  naturelle, car alors la première béatitude se retrouverait telle quelle dans la troisième, (ceux qui pleurent)  ou dans la dernière, (ceux qui souffrent persécution. »  Et de plus, ce n’est pas ainsi que l’interprètent les pères.  Et il est certain que, en Luc 6, le Seigneur oppose les pauvres aux riches.
La deuxième est celle de saint Jean Chrysostome (dans son commentaire de ce passage) et de saint Augustin (livre 1 du sermon sur la montagne) qui, par pauvres, entendent les humbles.   Ce sens est certainement vrai, mais ce n’est pas le sens premier, comme nous le montrerons un peu après.  La troisième pourrait être  celle qui proclame heureux ceux qui sont pauvres en acte mais non en pensée.  Mais elle est fausse, et réprouvée par les pères.   Voilà pourquoi le Seigneur ajoute en esprit.  Les pauvres dont il parle sont ceux qui le sont volontairement, par choix, mais pas pour n’importe lequel motif.   Pour un motif spirituel, comme le note saint Bernard (dans son sermon 1 sur la fête de tous les saints).  Il y a eu, en effet, certains philosophes qui ont été pauvres, mais non volontairement, non en esprit, car ce n’est pas pour Dieu qu’ils aimèrent la pauvreté, mais par curiosité ou ostentation.
La quatrième.  Ceux qui sont pauvres en esprit, mais non en acte.  Cette interprétation est vraie, mais ce n’est pas celle qui est voulue en premier lieu, comme je le montrerai.  Il reste donc la cinquième, celle de ceux qui choisissent volontairement la pauvreté pour Dieu, et donc aussi l’humilité.  Sont donc appelés pauvres en esprit ceux  qui sont pauvres volontairement, et humbles en même temps.  Car, la plupart du temps, les richesses engendrent l’orgueil, et la pauvreté l’humilité.  C’est ainsi que l’expliquent saint Ambroise (chapitre 6 de Luc),  saint Grégoire de Nysse, saint  Jérôme,  Bède le vénérable, (chapitre 5 de Matthieu), et saint Léon (dans son sermon sur Matthieu 5).   Tous ces auteurs parlent de la pauvreté volontaire accompagnée de l’humilité.  On peut dire la même chose de Chromatius et d’Anselme, de saint Basile (question 205) de saint Bernard (sermon 1 sur la fête de tous les saints).   Et parmi les auteurs les plus récents, Abulens, Lyre, Cajetan, Jansenius, et d’autres  qui entendent le texte au sens d’une pauvreté volontaire.  Car, d’abord, le mot grec pteôkos signifie proprement un mendiant.  Et le mot latin pauper n’a pas coutume de signifier un humble, mais un indigent.
Ensuite, la récompense qui leur est promise : car « le royaume des cieux est à eux », répond proprement à la pauvreté réelle.   De plus, en saint Luc 6, les pauvres qui sont béatifiés ne sont pas opposés aux orgueilleux, mais aux riches.  Et le Christ a été pauvre en fait et en pensée, et, à n’en pas douter,  c’est ce qu’il a fait qu’il a enseigné.  Il a souvent dit aussi que les richesses étaient périlleuses, car, en Matth 13, il les compare à des épines qui suffoquent la semence, et, en Matth 10, il s’exclame : « Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le royaume des cieux ! »  Et : « Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. »  Voilà qui nous permet d’argumenter en faveur du voeu de pauvreté. Car, on voue correctement à Dieu tout ce que, par son témoignage, on sait être bon, et lui être agréable.  Or, la pauvreté volontaire, au témoignage du Christ, est bonne et agréable à Dieu, puisqu’il déclare que les pauvres sont bienheureux, et qu’il leur promet le royaume des cieux en récompense.   Donc, c’est à bon droit qu’on voue à Dieu cette sorte de pauvreté.
Le deuxième témoignage est de Matthieu 19, où le Seigneur dit : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. »  Et, au même endroit : « Voici que nous avons tout laissé pour te suivre, que nous arrivera-t-il ? »  Que soit donné   ici le conseil d’abandonner toutes ses richesses, nous l’avons démontré plus haut, dans la dispute des conseils évangéliques.   Qu’il en résulte qu’on peut faire un vœu de pauvreté, l’argument précédent l’indique.  Et de plus, de l’un et l’autre texte on déduit non seulement que la pauvreté peut être vouée à Dieu, ce qui suffit pour notre propos, mais  aussi que le Seigneur nous exhorte à la vouer. Car, ce serait bien peu de chose de donner tous ses biens aux pauvres et de devenir pauvre en esprit, si on retournait ensuite à ses richesses,   et à l’achat de biens somptuaires  Voilà pourquoi  les saints pères ont compris  que, par ces deux témoignages, était recommandée la pauvreté  parfaite,  qui est choisie avec la ferme intention de la garder toujours.
Saint Augustin (épitre 89, question 4, et dans le psaume 103, sermon 3), réfère tout ce lieu à la profession monastique.  Et saint Bernard (dans son homélie sur ce texte de l’évangile), dit : « Voilà les mots qui persuadèrent le monde entier du mépris des richesses et de la pauvreté volontaire. Voilà les mots qui remplissent de moines les cloitres,  et d’anachorètes les déserts ». Le troisième témoignage est celui de Actes 4 : « La multitude des croyants était un seul cœur, et une seule âme,  et nul n’appelait siennes les choses qu’il possédait,  mais elles leur étaient communes à tous. » Que c’est de ce vœu que vivaient les premiers  chrétiens de Jérusalem, saint Augustin l’enseigne (sermon 1 sur la vie commune des clercs).  Il dit que lui et les siens ont voulu faire ce que les premiers chrétiens  ont fait, selon les aces des apôtres, et cependant, il répète souvent, là, qu’il n’est permis à personne qui mène cette vie d’avoir quelque chose  en propre. Car, c’est ainsi qu’il parle de l’un de ses prêtres, qui, contrairement à son vœu, avait retenu quelque chose, et avait fait un testament en mourant : « O douleur de cette société, o fruit né non de l’arbre qu’a planté le Seigneur !  Mais il a fait de l’église son héritière, dit-on.  Je ne veux pas énumérer ses legs !  Je n’aime pas le fruit de l’amertume. C’est à Dieu, moi, que je le demande.   Il avait fait profession à Dieu de vie commune. Voilà ce qu’il devait conserver, voilà ce qu’il devait présenter.  S’il n’avait rien eu, il n’aurait pas pu faire de testament ! »
Le quatrième témoignage est celui des Actes 5, où  Ananias et Saphira, son épouse, avaient semblé faire profession de vie communautaire,  mais s’étaient réservé une part de leurs biens.  L’apôtre Pierre a tout de suite détecté leur double jeu, et les a invectivés.  Frappés invisiblement par Dieu, ils moururent.   Ici, dans son livre sur les vœux, Pierre martyr affirme ne voir là aucun vœu.  Car le péché d’Ananie et de Saphira en fut un, selon lui,  de mensonge, d’ambition, d’avarice et d’hypocrisie.  Mais nous pouvons facilement comprendre, par le contexte et les témoignages des pères que les deux avaient fait vœu, et que c’est en tant que coupables de sacrilège qu’ils ont été punis.   Qu’ils aient voué  à Dieu la vie communautaire,  on le déduit de ces paroles : « Il a triché sur le prix du champ, avec l’assentiment de son épouse. »  On n’aurait pas dit qu’il avait triché, s’il n’avait pas usurpé une chose qu’il était obligé de donner. Qu’il avait voué une chose non prescrite, les paroles de saint Pierre nous l’indiquent assez clairement : « Quand tu avais ton bien, n’étais-tu pas libre de le garder ? Et quand tu l’as vendu, ne pouvais-tu pas disposer du prix à ton gré ? »  Qu’il avait fait un vœu à Dieu, et que la violation de ce vœu ait été un sacrilège, les paroles suivantes l’attestent : « Ananie, pourquoi Satan a-t-il tenté ton cœur pour te faire mentir au Saint-Esprit, et tricher sur le prix du champ ? »  Car qu’est-ce que mentir au Saint-Esprit si ce n’est manquer à la promesse faire au Saint-Esprit ?
On aurait pu dire aussi qu’il avait menti au Saint-Esprit s’il  n’avait dit un mensonge qu’à Pierre, dans lequel, sans aucun doute, était le Saint-Esprit.  Mais, cependant, personne ne peut nier  que mente plus spécifiquement au Saint-Esprit celui qui ne tient pas la promesse qu’il a faite à Dieu, que celui qui ne tient pas celle qu’il a faite à un homme.  De plus, la punition extrêmement sévère que Dieu a infligée à Ananie et sa femme crie haut et fort que ce péché fut plus qu’un simple péché de mensonge, d’avarice, d’ambition ou d’hypocrisie.   Car, cette faute pouvait-elle être punie plus atrocement ?  Ce fut donc un sacrilège qui mérita une telle fin.
Se présente maintenant l’interprétation commune des pères.  Saint Jean Chrysostome (homélie 12, sur les actes des apôtres).  Il demande : « Pourquoi as-tu fait cela ?  Tu voulais avoir ?  Il te fallait au début posséder et non promettre.  Maintenant, après que tu as consacré tes biens à Dieu, tu as commis un plus grand sacrilège.  Car, celui qui s’empare des biens d’un autre, a été possédé par le désir des biens d’autrui.  À toi, il était permis de garder tes biens, pourquoi en as-tu  fait d’abord des choses sacrées, et les as-tu récupérés ensuite ? »  Saint Jérôme (dans son épitre à Dimitriade, qui est la huitième du premier tome)  dit : « Ananie et Saphira, dispensateurs timides, bien plus coupables de duplicité, et donc condamnés parce que, après avoir fait un vœu, ils retinrent comme leur appartenant et non appartenant aux autres, ce qu’ils avaient voué une fois pour toutes,  et se réservèrent une partie d’un bien qui leur était devenu étranger. »
 Saint Augustin (dans son sermon 27 sur les paroles de l’apôtre : « Quand il soutira une partie de ce qu’il avait promis, il a été condamné de sacrilège et de fraude en même temps. »  Et dans son sermon 10 (ou 12 selon l’édition de Louvain), il dit : « S’il a déplu à Dieu qu’ils retinrent de l’argent qu’ils avaient voué à Dieu, quelle ne sera pas sa colère quand on voue à Dieu sa chasteté, et qu’on ne le conserve pas ? »  Et plus bas : « On peut donc dire à une vierge consacrée qui se marie ce que Pierre a dit  au sujet de l’argent : « Quand tu étais vierge la virginité ne dépendait-elle pas de  toi ?  Et avant que tu la consacres à Dieu,  n’étais-tu pas libre de la consacrer ou de ne pas la consacrer   ? »
Saint Fulgence (dans sa lettre sur le du conjugal), écrit : « À quel point il est mauvais et repoussant, après avoir consacré quelque chose à Dieu,  d’en retenir une partie, ou de s’emparer de ce qui ne nous appartient plus, l’exemple d’Ananie et de Saphira ne le démontre que trop ! »  Saint Grégoire (livre 1, épitre 33 à Venance) écrit : « Ananie avait voué à Dieu de l’argent dont, vaincu par l’astuce du diable, il avait gardé une partie.  Mais de quelle mort il a été puni, tu le sais. »  Arator (livre 1 sur les actes des apôtres) : « Mais ayant changé d’idée,  il commit le crime d’un menteur, en retenant ce qui était cautionné par vœu.  Il devait s’en ternir à ce qu’il avait promis, et ne pas violer une première action par une autre. »  Dans le commentaire de ce texte, Oecumenius  donne le nom de sacrilège au péché d’Ananie.   Béde le vénérable dit que par l’exemple d’Ananie est né ce détestable genre de moines qui, tout en vivant de  la vie monastique, veulent conserver quelque chose qui leur appartienne en propre.   Voilà ce que dit l’Écriture du vœu de pauvreté.
On peut confirmer cela par la tradition des pères.   Le pape Urbain 1, (dans sa lettre décrétale) écrit : « Que quiconque parmi vous qui avez choisi la vie communautaire,  et avez promis par vœu de ne rien posséder en propre, voie à ne pas trahir sa promesse ! »  Saint Basile (dans ses constitutions monastiques, dernier chapitre) dit : « Le moine   perd son âme, devient un voleur et un autre Juda, s’il possède quelque chose en propre. »  Pourquoi cela, je le demande, si la promesse est nulle, si le vœu est nul ?  Saint Jérôme (dans son épitre 22 à Eustochius sur la virginité) écrit que, de son temps, la profession de pauvreté était si exigeante qu’il n’était permis à personne de demander des choses nécessaires, car les préposés veillaient avec soin à ce qu’il ne manque rien de vraiment nécessaire à personne.  Voici ce qu’il dit : « Il n’est permis à personne de dire : je n’ai pas de tunique,  de sandales etc…Tout est organisé de façon à ce que nul n’ait à demander quelque chose, ou ne manque de quelque chose (vraiment nécessaire) ». Il écrit au même endroit que, dans un monastère de Nitrie, on a découvert qu’un moine moribond avait  conservé de l’or.  Macaire, Isidore, et les autres saints rassemblés en ce lieu jugèrent prudent et convenable d’ensevelir l’argent avec le mort, en s’écriant : que ton argent demeure avec toi pour ta perdition éternelle ! »  Et c’est ce qu’a fait saint Grégoire dans une circonstance semblable, selon le diacre Jean (livre 1, chapitre 15 de la vie de saint Grégoire), et selon saint Grégoire lui-même (livre 4, chapitre 55 des dialogues).
Saint Augustin ( au psaume 25), dit : « Un autre fera le vœu de tout laisser, et de vivre en commun de la société des saints.  Il fait un grand vœu. » Et, (au livre 17 de la cité de Dieu), il écrit : « Ils dirent, ces puissants, voici que nous avons tout laissé pour te suivre.  Ils avaient fait un vœu ces puissants.  Mais d’où cela leur est-il venu,  si ce n’est de celui dont il est dit : donnant un vœu à celui qui fait un vœu ? »  Jean Cassien (livre 4, chapitre 13 des institutions des renonçant : « Je pense qu’il est inutile de rappeler ce qu’est cette vertu qui ne permet à personne de posséder la moindre pièce, le moindre sou, de ne rien retenir en propre, qui porte notre nom. »  Et, au chapitre 33, parlant de ce renoncement parfait il écrit : « Comme une immense gloire est promise à ceux qui servent fidèlement Dieu, et à ceux qui observent les règles de leur institut,   de la même façon des peines très sévères sont préparées pour ceux qui les auront observées avec tiédeur et négligence,  et qui, selon les promesses qu’ils ont faites et selon ce que le monde attend d’eux, ont négligé de produire des fruits de sainteté conformes à leur état. Car, selon l’Écriture, il est préférable de ne pas faire de vœu que d’en faire sans les observer. »    Ajoutons aussi le concile d’Orange 1, chapitre 21  qui ordonne de punir gravement les moines qui, contre leur profession, ont voulu posséder quelque chose en propre.
Contre le vœu de pauvreté,  il n’y a qu’une seule objection, celle  de Jean Brentius  (dans la confession de Wirtemberg, chapitre sur les vœux monastiques).  Celui qui fait le vœu de pauvreté  est pauvre ou riche.  S’il est pauvre, il ne peut pas promettre de laisser des biens ou d’en donner, mais il doit porter patiemment la croix que le Seigneur lui a donnée.  S’il fait quand même un vœu, il fait comme un malade qui ferait le vœu d’être malade, ce qui est de la démence, non de la piété. S’il est riche, ou il promet de tout mettre en commun, ou de tout donner aux pauvres pour avoir un plus grand mérite, et vivre ensuite d’aumônes.   Dans le premier cas, il ne fait rien d’autre que de s’assurer une nourriture plus certaine et plus copieuse.  Ce qui est fuir la pauvreté, non la pratiquer. Dans le deuxième cas, il pèche contre la foi et la charité.  Contre la foi,  car unique est le Médiateur entre Dieu et les hommes, qui nous a tout mérité.  Il lui fait injure en pensant qu’il mérite par ses propres œuvres.   Il pèche aussi contre la charité, car la charité nous demande de ne pas, sans nécessité, incommoder notre prochain par notre mendicité.
Je réponds au premier membre.  Même les pauvres ont le droit de faire des vœux, car  ils donnent beaucoup quand ils offrent le peu qu’ils peuvent acquérir. Saint Augustin (épitre 89, question 4) : « On n’exigera pas moins de moi parce que j’ai été pauvre.  Car, les premiers qui firent cela, ce furent les apôtres qui n’étaient pas riches.  Car, c’est à tout l’univers qu’il donne celui qui donne ce qu’il a et ce qu’il désire avoir. »  Or, le vœu d’être malade n’a rien de commun avec le voeu d’être pauvre.  Car, le Christ a dit : « bienheureux les pauvres » (Matt 5), non bienheureux les malades !  Et en Matthieu 19 : « Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres. »  Il n’a pas dit : si tu veux être parfait, renonce à la santé, soigne-toi comme un malade !  De plus, nous sommes tenus, en autant que nous le pouvons, à guérir les maladies, pour ne pas être la cause de notre mort.   Or, personne n’est tenu à s’enrichir.
Au second membre, je dis  que tout mettre en commun est vraiment aimer la pauvreté, car est vraiment pauvre celui qui n’est le propriétaire de rien, qui ne peut ni vendre, ni donner, ni échanger, ni détruire quoi que ce soit.  Et quelle autre pauvreté ont choisi les premiers chrétiens que celle qui ne permet à personne de dire ceci est à moi, là où tout appartient à tous ?   Au troisième, je nie qu’on pèche contre la foi quand on donne ses biens aux pauvres pour un plus grand mérite, car, autrement, le Christ lui-même aurait conseillé quelque chose contraire à la foi quand il a dit : « et tu auras un trésor dans le ciel ! »  Car nos mérites n’entrent pas en conflit avec les mérites de notre Seigneur, puisque c’est d’eux qu’ils émanent, comme l’effet d’une cause. Car, sans les mérites du Christ, nos mérites sont nuls.  C’est lui qui, entre autres choses, nous a acquis, par le mérite de sa mort, le pouvoir de mériter.   Je nie aussi que la mendicité est contraire à la charité, car on ne force personne à faire la charité aux mendiants.  On leur donne plutôt une occasion d’acquérir un droit au royaume des cieux.
                                       CHAPITRE 21
                                Le vœu d’obéissance
Que ce soit une bonne chose de vouer à Dieu l’obéissance religieuse,  on peut le prouver par les raisons suivantes.   L’obéissance est bien vue de Dieu, même dans les choses qu’il ne prescrit pas.   Car, en Jérémie 35, sont loués et récompensés par Dieu les fils de Jonadab qui, pour obéir à leur père, ne burent pas de vin,  ne semèrent pas dans leurs champs, ne logèrent pas dans des maisons,  mais dans des tentes.  Or, tout ce qui est agréable à Dieu est matière de vœu.  Donc l’obéissance, même celle qui n’est pas due, peut être vouée à Dieu.  Pierre martyr répond (dans son livre sur les vœux) que les fils de Jonadab ne firent rien qui n’était pas du.  Car, même si Dieu ne leur avait pas commandé de ne pas boire de vin, de ne pas ensemencer leurs champs, et de ne pas demeurer dans des maisons, il leur avait bel et bien commandé d’obéir à  leur père.   C’est donc un précepte divin qui les forçait à obéir.
Mais on rejette cette réponse.  D’abord, d’après le témoignage de Raban qui, dans son commentaire, dit que les fils de Jonadab ont fait plus que ce que  la loi leur ordonnait de faire.   Ensuite, d’après le texte lui-même de Jérémie.  Car, Dieu, dans ce passage, réprouve son peuple par l’exemple des fils de Jonadab.  Il dit qu’eux ont obéi à la voix d’un homme, alors que les Juifs n’ont pas voulu obéir à la voix de Dieu.  Il dit : « Les fils de Jonadab confirmèrent les préceptes du fils de Rechab, leur père, qu’il leur avait prescrits.  Mais ce peuple ne m’a pas obéi. »    La raison donnée par Dieu s’évaporerait si c’était de droit divin que les fils de Jonadab avaient obéi à  leurs pères.  Et il n’y aurait plus alors d’antithèse entre Dieu et l’homme.  Car c’est à Dieu qu’auraient obéi les fils de Jonadab et à Dieu également qu’auraient désobéi les Juifs.
Troisièmement.  On conclut la même chose de la louange et de la récompense.   Car, Dieu n’aurait pas tant loué les fils de Jonadab,  s’ils n’avaient pas fait quelque chose de tout à fait spécial.   Enfin, la raison elle-même nous le persuade.   Car, même si les enfants sont tenus d’obéir à leurs parents, ils ne le sont pas de leur obéir en tout à partir de l’adolescence.  Car, chacun possède le droit naturel de choisir son état et son genre de vie.  Autrement, il n’y aurait pas de différence entres les enfants et les serviteurs, si les enfants étaient en tout et toujours au pouvoir de leurs parents.  Ce que dit saint Paul aux Colossiens 3 (fils, obéissez à vos parents en tout) on doit l’entendre soit  au sens de : en toutes les choses  auxquelles s’étend l’autorité parentale, comme l’enseigne saint Thomas, (2.2.question 104, article 5), comme si quelqu’un disait qu’il faut obéir au général en tout, voulant dire :  en tout ce qui appartient à la guerre.   Ou les enfants sont tenus d’obéir en tout à leurs parents tant qu’ils sont enfants.  Car, comme le dit l’apôtre (Galates 4) : « Aussi longtemps que l’héritier est un enfant, il ne diffère en rien d’un serviteur. »  Et le Seigneur lui-même était soumis à ses parents quand il était enfant, comme le dit Luc (2).
On peut tirer la deuxième raison du nouveau testament.   Car, comme nous l’avons dit plus haut dans la dispute sur les conseils,  la perfection conseillée consiste à suivre Jésus, en se renonçant à soi-même (Matt 16) : « Celui qui veut venir après moi qu’il se renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive ! »  Car, comme préparation d’âme, le renoncement à soi-même est un précepte, puisque, au même endroit, le Seigneur ajoute : que celui qui veut sauver son âme la perde. Cependant, renoncer parfaitement à soi-même  sans y être obligé,  soumettre son jugement et sa volonté en toutes choses au jugement et à la volonté d’un autre, ce n’est pas un précepte, mais un conseil.   Voilà pourquoi le Seigneur dit en Matthieu 19 : « Si tu veux être parfait. »  Or, suivre Jésus parfaitement dans le renoncement à soi-même implique une parfaite obéissance formulée dans un vœu par lequel quelqu’un renonce totalement à lui-même, sans pouvoir jamais revenir en arrière.  Obéir à quelqu’un de temps en temps  seulement ne peut pas s’appeler un parfait renoncement à soi-même.  Voilà pourquoi le Seigneur dit : qu’il porte sa croix.  Come le dit Jean Cassien  (livre 4, chapitre 35 des institutions des cénobites), le vrai et parfait moine doit être semblable au crucifix.  Celui qui est cloué à une croix non seulement ne va pas où il veut, et ne fait pas ce qu’il veut, mais ne peut marcher ou agir que si un autre le fait bouger.
La quatrième raison vient de l’usage de l’antique église.   Il est certain que chez les anciens saints, l’obéissance monastique a été en usage.  Car, saint Basile (constitutions monastiques, chapitre 22)  a écrit : « Revenons à un sermon sur l’obéissance, et montrons  comment la règle exacte de la doctrine exige l’obéissance envers le supérieur selon les constitutions. »   Pendant tout ce chapitre, il traite de l’obéissance, et enseigne que le moine doit obéir à son supérieur, sans critiquer ce qui a été commandé, pourvu que ce qui est commandé ne soit pas manifestement un péché.  Il doit se comporter envers son supérieur comme les brebis envers leurs pasteurs, et un marteau dans la main d’un menuisier.  Il n’omet pas non plus de dire qu’il est nécessaire aux moines d’obéir parfaitement à leurs supérieurs,  sans quoi ils s’excluent du salut éternel.
Cassien enseigne la même chose (livre 4, chapitre 23 des institutions monastiques, et dans les chapitres suivants.)  Saint Jérôme (dans sa lettre à Euxtochius sur la conservation de la virginité) dit, en décrivant les instituts monastiques : « Le premier point  sur lequel tous sont d’accord c’est l’obéissance aux supérieurs. »  Et dans son épitre au moine Rustique, il écrit : « Par toutes choses, mon discours tend vers un seul but, te montrer que tu ne dois pas t’en remettre à ton jugement propre, mais que tu dois vivre dans un monastère sous la discipline d’un seul père,  en compagnie de beaucoup. »  Et plus bas : «  Crains à l’égal de Dieu le préposé du monastère, aime- le comme un père, crois que t’est salutaire tout ce qu’il te prescrit,  ne juge pas la sentence des anciens, toi dont le devoir est d’obéir, et d’accomplir les ordres qu’on te donne. »
Sulpice Sévère dans le premier dialogue des vertus de saint Martin, écrit, en parlant des moines : « La principale vertu, là, est l’obéissance…jamais on ne rejettera un commandement de l’abbé, quel qu’ardu et difficile qu’il soit,  et même à peine tolérable. »  Saint Augustin (livre 1, chapitre 31, des mœurs de l’Église), écrit : « Ces pères donnent des conseils sans orgueil à ceux qu’ils appellent leurs fils, en leur commandant avec une grande autorité, et en étant obéi par eux avec empressement. »  Cela devrait suffire.  On pourrait en présenter d’autres le cas échéant.
Ils répondront peut-être que l’obéissance a été en usage chez les anciens moines,  mais pas le vœu d’obéissance.  Or, Jean Cassien (livre 4, chapitre 33 des institutions des renonçant) parle nommément du vœu et de la possession, là ou il traite de l’observance des institutions monastiques, dont la première est l’obéissance.   Nous avons cité ses paroles au chapitre précédent. De même, saint Grégoire (homélie 20 sur Ezechiel) : « Quand quelqu’un voue à Dieu quelque chose, sans vouer aussi d’autre chose, c’est un sacrifice.  Quand il offre  au tout-puissant tout ce qu’il a, tout ce qu’il aime, tout ce qu’il est, c’est un holocauste. » Il parle évidemment là des vœux monastiques,  par lesquels l’homme ne retient rien de ce qui est à lui,  pas même son propre jugement.
Ensuite, saint Augustin (au  psaume 75) écrit : « Qu’aucun frère qui vit dans un monastère ne dise :  je quitte le monastère, car, les moines ne sont pas les seuls à entrer dans le royaume des cieux, et ceux qui ne sont pas moines n’appartiennent pas au diable.  Qu’on lui réponde :  mais eux n’ont pas fait de vœux.  Toi tu en as faits ! »  Et au psaume 99 : « En ne persévérant pas dans l’accomplissement de ses vœux, il devient le déserteur d’un si grand projet, et coupable d’une promesse non tenue. »
Se présentent ensuite les miracles que Dieu a souvent faits pour confirmer l’obéissance monastique.  Sulpice sévère,  dans le premier dialogue sur les vertus de saint Martin, raconte ainsi deux miracles : « Je vais vous rapporter deux miracles d’une obéissance incroyable, même si plusieurs autres se présentent à la mémoire. Mais si un petit nombre ne suffit pas pour provoquer  l’émulation des vertus, un grand nombre n’y ajoutera rien.  Quand, après avoir renoncé aux choses du monde, un homme était sur le point d’entrer dans un monastère d’une grande réputation, l’abbé commença à lui proposer plusieurs choses, des jeûnes, des mortifications.  Il lui donna des ordres sévères pour éprouver sa patience.  Tout autre aurait cherché à aller dans un monastère moins austère, et aurait refusé de  choisir un mode de vie qui semblait impossible  à observer.  Mais aucune de ces épreuves ne l’effraya ni ne le découragea.  Elles ne firent qu’augmenter son désir d’obéir en tout. À un point tel que si son abbé lui avait dit  de se jeter dans le feu, il l’aurait fait.  Et quand l’abbé reçut sa profession monastique, il chercha à mettre son obéissance à l’épreuve.
Comme par hasard, un poêle que l’on chauffait pour faire cuire des pains  était devenu rouge.  Des flammes commencèrent à sortir du fourneau, et l’incendie menaçait de se répandre partout.   L’abbé lui commanda alors d’entrer, et il n’hésita pas un instant à remplir cet ordre.   Il avance sans crainte au milieu des flammes, ressemblant à s’y méprendre aux trois enfants hébreux de la bible.   Aussitôt,  la nature est vaincue, et l’incendie  avoue son impuissance.  Celui qu’on pensait devoir être consumé   par le feu fut rafraichi plutôt  par une froide rosée…Au jour même où le pauvre a été tenté, il a été trouvé parfait.  Il  a mérité son bonheur, a été éprouvé par l’obéissance,  et glorifié. »
« Dans le même monastère est arrivé ce que je vais raconter. Il y a peu de temps de cela, quelqu’un était allé trouver le même abbé pour être reçu.  Quand l’abbé lui expliqua que la première des règles était celle de l’obéissance, il promit d’obéir en tout, même aux choses les plus pénibles qui lui seraient commandées pour éprouver sa patience.  L’abbé tenait alors négligemment  dans une de ses mains un bâton.  Il le ficha en terre, et imposa comme tâche à cet étranger, d’arroser ce bâton jusqu’à ce que, contre toute loi naturelle, il verdisse et fleurisse.  L’aspirant transportait sur ses épaules avec beaucoup de difficulté l’eau qu’il allait puiser dans le Nil, à deux mille de distance. Après un an d’effort inutile, il ne mit pas fin à son zèle.  Et sans aucun espoir d’obtenir un résultat, la vertu de l’obéissance le maintenait dans son dur travail.   Une autre année passa,  et vainement pour le frère épuisé.  La troisième année,  l’arroseur persista jour et nuit. Et c’est alors que le bâton fleurit.  J’ai moi-même vu ce bâton devenu arbuste, que l’on conserve dans l’atrium d’un monastère, dont les branches sont encore vertes.  C’est un témoignage qui demeure pour démontrer ce que mérite l’obéissance, et ce que peut la foi. »
Saint Grégoire a raconté des choses semblables  (livre 2, chapitre de ses dialogues) au sujet de saint Maur qui marcha sur les flots au commandement de son abbé.  Ainsi que Jean Cassien, (livre 4, chapitre 23)  au sujet de l’abbé Jean qui, à cause de sa vertu d’obéissance, fut élevé à la grâce de la prophétie.
Mais se présentent encore des objections à réfuter.   La première, celle de Luther (dans son livre sur les vœux monastiques).   Voici quel est son raisonnement.  L’Écriture nous ordonne d’obéir à tous les hommes. Philippiens 2 : « Les supérieurs s’arbitrant  mutuellement. »  Et à 1 Pierre 2 : « Soyez soumis à toute créature à cause de Dieu. »  Donc, s’obliger à n’obéir qu’à un seul préposé, est contre l’Écriture.  C’est comme si quelqu’un ferait le vœu suivant : « Dieu, je fais le vœu de ne jamais vouloir me soumettre à tous, selon ton évangile, mais seulement à un supérieur. »
 Je réponds que, en ce passage, saint Paul ne veut pas que nous nous soumettions à tous comme à des rois auxquels nous sommes obligés d’obéir. Mais pour que nous jugions que tous nous sont supérieurs, c’est-à-dire,  meilleurs et plus saints.  Il recommande l’humilité, comme ses propres paroles l’indiquent : « Considérant, par humilité, que tous les autres vous sont supérieurs. »  Ajoutons que si l’apôtre voulait vraiment que nous obéissions à tous, il voudrait une chose tout à fait impossible. Car, si tous doivent obéir à tous, il n’y aura personne qui commande, et personne qui obéisse.  De plus, par « toute créature humaine » saint Paul entend tout homme doté d’un pouvoir de commandement.  Car, c’est ainsi qu’il l’explique lui-même : « Ou au roi, en tant que supérieur, ou aux légats en tant qu’envoyés par lui. »
La deuxième objection est celle de Luther au même endroit.  Le préposé d’un monastère est, sans aucune dispense,  libéré de l’obéissance qu’il a vouée .  C’est donc un signe que ce vœu n’oblige pas devant Dieu.  Je réponds.   Dans celui qui est choisi pour être abbé demeure l’obligation du vœu, même si, par accident,  ou plutôt, par manque de matière,  cesse l’exercice de ce vœu.  La preuve en est que si l’abbé est tout à coup privé de son abbatiat, il redevient un moine soumis à l’obéissance comme tous les autres, sans avoir à faire un nouveau vœu d’obéissance.  Voir saint Thomas ( 2.2. question 88, article onze, et question 186, article 5.)   La troisième est celle du martyr Pierre, (dans son commentaire du chapitre 7 de la première aux Corinthiens).  Saint Paul interdit aux chrétiens de se faire esclaves : « Vous avez été achetés d’un prix précieux, ne devenez pas esclaves des hommes. »  Il n’est donc pas permis de faire un vœu d’obéissance.  Car, qu’est-ce  autre chose que se livrer spontanément en esclavage à des abbés ?
Mais la réponse est facile.   Car saint Paul n’interdit pas l’esclavage d’un homme à un autre, mais il veut nous faire comprendre que ce que l’on fait ce n’est pas pour plaire aux hommes, mais pour plaire à Dieu. C’est ce qu’il explique aux Colossiens 3 : « Esclaves, obéissez en tout à vos maitres terrestres, ne servant pas seulement quand on vous voit, ou pour plaire aux hommes, mais en craignant Dieu dans la simplicité de vos cœurs.  Tout ce que vous faites faites-le de bon cœur, comme si vous travailliez pour Dieu et non pour les hommes, sachant que c’est de Dieu que vous recevrez la rétribution de l’héritage. Servez le Seigneur Christ ! »  Voilà pourquoi saint Paulin, qui n’ignorait pas que saint Paul avait dit : ne vous faites pas serviteurs des hommes, s’est quand même vendu lui-même, pour racheter la fille d’une veuve.  C’est ce que saint Grégoire raconte, en le louant grandement (livre 3, chapitre 1 des dialogues.).  Mais Pierre le martyr rétorque que c’est la charité qui a poussé saint Paulin à se vendre lui-même, et que ce qu’on fait par charité est bien fait.  Comme si les moines parfaits se soumettaient à un abbé pour des motifs de cupidité plutôt que de charité envers Dieu.  Cela devrait suffire pour l’obéissance.
                                          CHAPITRE 22
On présente le vœu de chasteté  avec les paroles du premier chapitre de Luc : Comment cela se fera-t-il ?
J’en viens enfin au vœu de continence.  Je m’efforcerai, autant que je le pourrai, de le confirmer par des témoignages des Écritures, des conciles,  du consentement de l’Église toute entière, par les décrets et les lois des papes et des empereurs, par la tradition des grecs et des latins, et même par la raison.
D’abord le témoignage de saint Luc 1 : « Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme ? »  Par ces paroles, la sainte Vierge indique qu’elle a quelque chose qui l’empêche de concevoir et d’avoir un fils.   Or, cet empêchement ne peut être rien d’autre qu’un vœu de continence déjà prononcé. Car ces paroles « je ne connais point d’homme », ne signifient pas : je ne connais pas déjà en acte, mais  il ne m’est pas permis de connaitre.  Autrement, son interrogation aurait été dénuée de sens,  puisqu’on pouvait immédiatement lui répondre que si elle ne connaissait pas présentement d’homme, elle en connaitra un bientôt.  Donc, comme nous disons pendant le carême, je ne mange pas de viande, au sens  de : il ne m’est pas permis de manger de la viande en ce temps, de la même manière, la sainte Vierge a dit : je ne connais point d’homme, c’est-à-dire : il y a quelque chose qui m’empêche de connaitre les hommes.  On ne peut donner à cet empêchement d’autre explication qu’un vœu.  Car, elle avait un homme, et il était jeune.  Il n’est pas croyable qu’il ait été stérile ou impotent.  Et il est certain qu’elle ne pouvait pas savoir cela avant d’avoir vécu avec cet homme.  Ce n’était pas non plus par une loi commune qu’elle était empêchée de connaitre un homme.  Elle ne pouvait donc l’être que par une loi particulière, un vœu.
On confirme cette interprétation par les pères.  Saint Grégoire de Nysse (dans son sermon sur la nativité du Seigneur), dit : « Car, s’il avait été question du mariage avec Joseph, comment, étonnée  par une chose nouvelle et insolite, aurait-elle été opposé à l’enfantement que l’ange lui proposait ?  Alors qu’elle aurait plutôt du espérer devenir mère selon les lois de la nature ?  Mais parce qu’elle devait conserver intacte la chair dédiée et consacrée, comme un saint tabernacle,  c’est pour cette raison qu’elle dit : même si tu es un ange et que tu viens du ciel, même si cela apparait au-dessus de la nature humaine, il ne se peut pas que je connaisse un homme   Je serai mère sans homme ?   Car je connais Joseph comme mon fiancé, comme mon mari je ne le connais pas. »
Saint Augustin (livre sur la sainte virginité,  chapitre 4) dit : « Cette virginité fut d’autant plus agréable et acceptable que le Christ conçu avait prescrit qu’elle serait conservée sans que l’homme la viole.  Et avant d’être conçu, il choisit de naître de celle qui était consacrée à Dieu.  C’est ce qu’indiquent les paroles que Marie prononça à l’ange qui lui annonçait sa maternité.  Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme.  Ce qu’elle n’aurait surement pas dit si elle n’avait pas voué sa virginité à Dieu.  Mais, comme les mœurs des Israélites de ce temps n’admettaient pas cela, elle devait être fiancée à un homme juste, non enlevée de force, mais plutôt protégée dans la garde se son vœu, contre la violence »
Le vénérable Bède (luc, chapitre 1) : « Elle présente avec respect la décision de son cœur, celle de mener une vie virginale.  Parce qu’elle fut la première de toutes les femmes à faire preuve d’une telle vertu, c’est à bon droit que, parmi toutes les femmes, elle a mérité une suréminente béatitude. » Saint Anselme (dans son livre sur l’excellence de la vierge, chapitre 4) : « Le vierge tendre  et délicate, descendant d’une souche royale, et la plus belle de toutes,  a mis toute son application, tout son amour, tout son zèle à consacrer son corps et son âme à Dieu en une virginité perpétuelle. »  Rupert (livre 3 dans les cantiques) : « Tu as été la première à vouer à Dieu un vœu sublime, le vœu de virginité. »  Ensuite, saint Bernard (sermon 4 sur il a été envoyé) : « Elle ne doute pas, mais s’informe du fait, de la manière, et de l’ordre.   Car, elle ne demande pas si cela sera fait, mais comment.  C’est comme si elle avait dit : « Comme le Seigneur, qui est le témoin de ma conscience, sait que sa servante a voué de ne jamais connaitre d’homme, par quelle loi et par quelle manière lui plaira-t-il que cela se fasse ? S’il me faut violer mon vœu pour devenir mère, je me réjouis du fils, mais je m’attriste au sujet du vœu. »  Et dans son sermon un grand signe, il dit : « Transcendant, dans la liberté de l’esprit, les décrets de la loi mosaïque, elle fit vœu d’être une vierge immaculée, consacrée à Dieu corps et âme.  Car elle prouve le fondement de son dessein inviolable par les mots qu’elle répondit à l’ange qui lui promettait un fils avec une telle assurance : comment cela se fera-t-il car je ne connais point d’homme.   Il faut ajouter le consentement unanime des théologiens à l’enseignement du maitre des sentences (livre 4, dist, 30).
Mais voyons ce que les adversaires répondent à cela.
Jean Calvin (dans son commentaire de ce passage d’après Marloratus), dit trois choses dignes d’être censurées.  La première.  Il accuse la bienheureuse vierge d’avoir malicieusement limité la puissance de Dieu : « Il semble que la sainte vierge n’a pas moins malicieusement restreint la puissance divine que Zacharie, car elle considère impossible ce qui est en dehors de l’ordre commun de la nature. Voici, en effet, comment elle raisonne : je ne connais point d’homme. Comment croire le futur que tu annonces ? Il faut travailler fort pour la purger de tout vice. »
Ses paroles manifestent son impiété, et à quel point sa pensée n’a rien en commun avec les saints pères.   Saint Ambroise, saint Bernard, Bède le vénérable et les autres nous expliquent longuement que la question qu’elle posait ne trahissait pas le doute, mais constituait une interrogation : le désir de savoir de quelle façon se fera cette chose annoncée qui semblait en opposition avec son vœu.  De plus, comment est-il croyable qu’elle ait voulu malicieusement restreindre la puissance de Dieu, puisqu’elle était pleine de grâce et que le Seigneur était avec elle d’une manière toute particulière, comme l’ange venait de lui dire.  De plus, si elle a restreint la puissance de Dieu non moins malicieusement que Zacharie, pourquoi n’a-t-elle pas été punie, elle aussi ? Il est certain que, à cause de son incrédulité, Zacharie fut châtié par l’ange, et puni par le supplice de la perte de la parole.  Or, la sainte vierge n’a même pas essuyé le moindre reproche.  Car si la faute était la même, pourquoi la punition n’a-t-elle pas été la même ?
La deuxième.  Calvin blâme les pères qui voient dans ce passage un vœu de virginité : « Quelques-uns ont pris prétexte de ce passage pour enseigner que la vierge avait fait un vœu de virginité perpétuelle. Cette affirmation est sans aucun fondement, absurde et ridicule.  Allons-nous penser que la vierge s’est associée à un mari pour le tromper ?  Ça aurait été une perfidie digne des plus grands blâmes, si elle avait rompu le saint lien du mariage sans le bon plaisir de Dieu. »  Nous avons ici à nous plaindre de la cécité de Calvin.  Comment peut-il appeler ridicule et absurde ce qui est enseigné par saint Grégoire de Nysse, saint Augustin, saint Bède, saint Bernard, saint Anselme, Rupert, et par tous les théologiens ?
On peut réfuter son argument de deux façons.   La première en niant le conséquent, et  en ignorant l’antécédent.  Car, même si nous admettions que la sainte Vierge s’est mariée à Joseph avec l’intention de consommer le mariage, comme  l’enseignent faussement Calvin (dans son annotation du chapitre 1),  Bèze (même endroit), Bucer (chapitre 1 de Matthieu), le martyr (dans son livre sur le célibat et les vœux monastiques), les centuriates (centurie 1. Livre 1, chapitre 10), il ne s’en suivrait quand même pas que, quand elle dit : « comment cela se fera-t-il » etc,  elle n’ait pas fait de  vœu de virginité. Car elle aurait pu faire ce vœu après la célébration du mariage, et avant la salutation de l’ange, comme le dit saint Thomas (3 partie, question 28. Article 4), de sorte que, avant la consommation du mariage, la vierge aurait fait vœu de virginité, avec le consentement de Joseph, conne on le croit pieusement, ou un vœu semblable de la part de son époux.
J’ajoute que la sainte vierge n’a jamais eu l’intention de consommer le mariage. L’antécédent des adversaires est donc faux.  Car, autrement elle ne serait pas vierge  spirituellement,  mais charnellement.  En voulant rester vierge perpétuellement,  elle n’a pas fait en sorte que son mariage n’en soit pas un vrai, elle ne s’est pas jouée de son mari, et ne l’a pas méprisé  perfidement,  comme le veut le blasphème de Calvin.   Car, quand elle entra en mariage, elle donna à Joseph un pouvoir absolu sur son corps, et de façon telle qu’il lui aurait été permis, s’il l’avait voulu, de consommer le mariage avec la sainte vierge. Car, c’est ce qui est requis et c’est ce qui suffit au mariage dans ce qu’il a d’essentiel.
Cependant, parce que, par le moyen d’une  révélation divine, elle savait que Joseph ne chercherait jamais à consommer le mariage, elle pouvait avoir et elle avait une volonté explicite de continence, dans laquelle consiste proprement la virginité.  Et même si saint Thomas n’admet pas un vœu absolu de virginité de la vierge avant les fiançailles, Scotus l’admet lui (dans 4, dist 30, question 2), et, avant Scot, Albert le grand, dans son livre sur les louanges de la sainte vierge, saint Grégoire de Nysse, saint Augustin enseignent que la sainte Vierge avait fait vœu de virginité perpétuelle avant ses fiançailles.   Et je ne vois pas comment ce vœu s’oppose à la célébration d’un vrai mariage, dès lors qu’on admet la connaissance que la sainte vierge a eue, par révélation, que Saint Joseph n’exigerait pas le du conjugal.
Mais certains insistent.   Celui qui s’est donné à Dieu par vœu ne peut pas se livrer à un autre par un mariage.  Voilà pourquoi l’apôtre (1 Timothée 5) disait que celles qui voulaient se marier après avoir fait un vœu,  étaient condamnées : « parce qu’elles avaient rendu nulle leur première foi. »  Je réponds que celui qui voue la continence ne peut pas se livrer à un autre avec péril de violer le vœu.  Car, c’est de cette sorte de personnes que l’apôtre parle, et la raison elle-même l’enseigne.  Mais s’il y a une certitude infaillible de ne jamais violer le vœu, il ne répugne pas que quelqu’un qui appartient à un autre, se livre à une autre personne dans un genre différent de noces.  Autrement, les époux ne pourraient pas, par un consentement unanime, vouer la continence, ce que pourtant tous les théologiens admettent. Car ces époux se livrent à Dieu par vœu, tout en étant obligés les uns envers  les autres par le mariage.
La troisième. Voyons donc ce que répond Calvin à notre argument et à celui des pères qui démontrait que la vierge avait déjà fait vœu de virginité, parce que, autrement,  sa réponse à l’ange (comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme) serait débile : « Il faut réfuter ce qui nous a été objecté, à savoir que la sainte vierge avait une vue du futur qui lui faisait comprendre qu’il n’y aurait jamais de cohabitation avec un homme. C’est une conjecture probable et facile à comprendre  que la grandeur de la chose ou plutôt la majesté ait frappé la vierge, de sorte que tous ses sens étaient liés et contractés par l’admiration.  Quand elle entendit que le Fils de Dieu naitrait, elle ne pensa à rien de vulgaire; et voilà pourquoi elle a exclu le coït viril.  Voilà pourquoi elle s’est exclamée dans son étonnement : comment cela se fera-t-il ? Et Théodore de Bèze dit des choses semblables.
Je réponds d’abord.  Si Calvin ne s’appuie que sur une conjecture, pourquoi rejette-t-il l’autorité de tous les théologiens ?  Est-ce agir avec sureté que de répudier tous les pères au profit d’une simple conjecture ? C’est à lui d’y voir.   De plus, cette conjecture est improbable, et tirée par les cheveux.  Car, alors,  pourquoi la vierge n’aurait-elle pas dit, au lieu de je ne connais point d’homme, je ne connaitrai point d’homme ?
 Mais tu rétorques : « la vierge a cru à l’ange qui annonçait la nativité du Messie, et elle savait, par la prophétie d’Isaïe 7, que la mère du Messie serait une vierge.  Pourquoi donc a-t-elle dit : parce que je ne connais point d’homme ? »  Je réponds.  Peut-être que cette prophétie d’Isaïe ne lui était pas, à ce moment, présente à la pensée, et que c’est pour cela qu’elle a craint pour sa virginité, bien qu’elle n’ignorât pas que la mère du Messie serait une vierge.  Et cela semble être la pensée de saint Bernard qui fait parler ainsi la sainte vierge : « s’il me fallait rompre mon vœu pour mettre au monde un fils, je me réjouirais du fils, mais je pleurerais sur la virginité ».  Et d’un sermon de saint Athanase sur la mère de Dieu : « La vierge hésite en regardant la nature, et en pensant à Joseph. »   Je dis ensuite avec saint Ambroise dans son commentaire de ce texte : « La bienheureuse Marie savait très bien que la mère du Messie serait une vierge, et, à ce moment, elle ne pensait qu’à cela.   Voilà pourquoi elle ne demanda pas si une vierge allait enfanter, mais de quelle façon et selon quel ordre cela se ferait-il.  C’est comme si elle avait dit : puisque c’est avec un vœu et une ferme décision que je ne connais point  d’homme, si j’enfante, ce sera une vierge qui enfante. Comment une chose si insolite se fera-t-elle ?   La réponse de l’ange cadre parfaitement avec cette question : « L’esprit saint viendra sur toi. »  C’est-à-dire, voici quelle en est la manière : l’Esprit saint viendra sur toi,  et c’est de son opération, non celle d’un autre, que tu concevras et enfanteras.
Écoutons maintenant Pierre martyr.   Dans son livre sur le célibat et les vœux, il fait trois réflexions pour expliquer ce passage.  Il dit d’abord que le mariage d’une vierge ne va pas avec le vœu de virginité. Mais, à cela on a déjà répondu.  Il dit ensuite qu’on ne peut pas voir un vœu dans ces mots : parce que je ne connais pas d’homme, à moins, à la façon d’Anaxagore, de faire n’importe quoi avec n’importe quoi.  Et il donne comme preuve des locutions semblables. Exode 6 : « Comment  Phaaron m’entendra-t-il puisque je suis incirconcis de lèvres ?  Et pourtant, nous n’aurions pas raison d’en déduire que Moïse a fait le vœu de circoncire ses lèvres.  Nicodème dit en Jean 3 : « Comment un homme peut-il renaître quand il est déjà vieux ? »
Mais ces objections sont puériles.  Car, l’incirconcision des lèvres et de la vieillesse  ne dépend nullement du libre arbitre. Elles apportent donc un empêchement à la parole et à la naissance qui ne peut pas être enlevé par un humain.   C’est donc avec prudence que s’est exprimé Moïse quand il a dit : « Comment Phaaron m’entendra-t-il, puisque je suis incirconcis de lèvres ? »  Ainsi que Nicodème : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? »  Et cela,  même si l’un n’avait pas fait le fait de circoncire ses lèvres, ni l’autre son grand âge.  Car, sans un tel vœu, ils avaient un empêchement l’un à parler, l’autre à naître qu’ils ne pouvaient enlever par eux-mêmes.  Mais, connaître un homme, c’est une chose qui dépend du libre arbitre d’une femme mariée.  C’est pourquoi la sainte vierge aurait répondu inutilement « comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme », si aucune loi ne l’empêchait d’en connaître un. Or, il appert qu’elle n’était empêchée de ce faire par aucune loi commune.  Il ne reste donc que c’est par une loi privée qu’elle l’était, c’est-à-dire, par un vœu.
Il essaie de dissoudre notre argument,  en disant que la sainte vierge aurait interrogé avec prudence, même si elle n’avait pas fait vœu de virginité : « La question de notre vierge est tout à fait prudente parce que si la conception et l’enfantement qui lui étaient prédits devaient se faire de la façon usuelle et normale, elle déclare s’y opposer parce qu’elle ne cohabitait pas encore avec un homme.  Elle veut donc qu’il lui explique la façon : hors de l’ordre, au-dessus de la nature » ?
 Mais il s’agite en vain, car  si le messie devait être conçu par la voie ordinaire et naturelle,  ce n’est pas prudemment mais stupidement qu’elle aurait présenté comme un empêchement de ne pas cohabiter encore avec un homme. Car, la conception qui lui était annoncée n’était ni présente, ni passée, mais future : « voici que tu concevras et enfanteras ».   Or, pour une conception future, il n’était pas requis qu’elle connaisse actuellement un homme, ou qu’elle en ait connu un, mais qu’elle puisse en connaitre un dans le futur, si elle le voulait.  Voilà pourquoi aucune épouse, à moins d’être folle, ne demanderait à qui lui prédit une conception : comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme.  Car, on lui répondrait aussitôt : si tu n’en a pas encore connu un, tu en connaitrais un bientôt.  Si la conception de la vierge devait être au-dessus de la nature, il est  vrai de dire qu’elle interroge sur le mode.  Mais elle désire être renseignée et  parce qu’elle était certaine qu’une vierge enfanterait, et parce qu’elle ne voulait pas connaitre d’homme.
                                        CHAPITRE 23
On affirme la même chose avec les paroles de Matthieu 19 : il y a des eunuques qui se sont castrés…
Un autre témoignage en faveur de la continence est en Matthieu 19, où le Seigneur dit que certains sont « des eunuques qui se sont castrés en vue du royaume des cieux ».  Et il ajoute cette exhortation : « que celui qui peut comprendre, comprenne ».  Cette appellation d’eunuque signifie un vœu.  Car n’est pas un eunuque celui se contient seulement,  mais qui ne peut pas ne pas se contenir.  Or, les eunuques dont on parle là ne sont pas forcés de se contenir par un vice de la nature, car  ceux-là le Seigneur les oppose aux  autres.  Ils ne sont pas forcés non plus par une loi commune, car il n’y avait alors aucune loi interdisant le mariage.  Il ne reste qu’une chose, ils sont forcés de se contenir par une loi particulière assumée volontairement, c’est-à-dire par un vœu.  On entend la même chose par ces mots : « ceux qui se sont castrés ».  Car, si le Seigneur parlait de ceux qui demeurent continents sans aucun voeu, il dirait d’eux : ceux qui se castrent à chaque jour, non ceux qui se sont castrés.  En disant « qui se sont castrés »,  il signifie ceux qui, par une action volontaire unique, se sont enlevés toute possibilité de contracter un mariage. On confirme cette explication par les pères.
Saint Épiphane (hérésie 58, des Valésiens) : « Qui sont-ils ceux qui se sont castrés pour le royaume des cieux ? Qui d’autres que les généreux, les apôtres et les moines, ainsi que les vierges. »  Et plus bas : « Après les apôtres,  combien de milliers  qui vivent une vie solitaire dans le monde, et qui obtinrent la gloire de ce combat dans des monastères de moines et de vierges. »  Quand il affirme que se castrer pour le royaume des cieux c’est être ce que font les moines et les vierges consacrées à Dieu, il enseigne explicitement que la dite castration n’est pas seulement la continence,  mais une continence consacrée à Dieu par un vœu. Saint Jérôme, dans son commentaire de ce passage, écrit : « Que chacun sonde ses propres forces, pour savoir s’il est capable d’accomplir les préceptes de virginité ! »  Quels sont donc les préceptes virginaux, sinon l’obligation de ne  pas se marier, qui sans le vœu n’existe pas. Et (au livre 1 contre Jovinien), il dit : « Ils se castrent eux-mêmes ceux qui, dans un temple très pur, s’offrent à  Dieu comme un holocauste acceptable. »  Ici, il appelle castration non le célibat à lui seul,  mais le célibat dédié et consacré. Saint Augustin (dans son livre de la sainte virginité, chapitre 30), dit, en faisant allusion à ce passage où le Seigneur parle de la castration volontaire (« que celui qui peut comprendre, comprenne ») : « Vous,  qui ne l’avez pas encore vouée à Dieu,  comprenez ceux qui peuvent comprendre ! »
Saint Fulgence (livre de la foi sur le chapitre 3 de Pierre) : « Celui qui se castrera pour le royaume des cieux, et qui vouera à Dieu la continence dans son cœur… »  Le « et » annonce une explication,  à n’en pas douter.  Mais accourt Pierre le martyr (dans son livre sur le célibat et les vœux), qui enseigne que ce passage ne nous permet pas d’instituer un vœu  de continence.   « Car, les apôtres qui répondirent par cette image d’eunuques, ont dit seulement : « Si le mariage est ainsi, il est préférable de ne pas se marier. »  Ils ne dirent pas : il convient de faire un vœu de continence.  Voilà pourquoi, si le Seigneur avait voulu répondre à la réflexion faite par les apôtres, ce n’est pas du vœu de continence qu’il aurait fait l’éloge, mais du mariage, en en soulignant l’utilité et les avantages.  Par eunuques qui se castrent eux-mêmes pour le royaume des cieux, il entend ceux qui, par un don spécial de Dieu ont avantage à ne pas se marier, pour pouvoir prêcher l’évangile plus efficacement ».  Le martyr ajoute qu’ne faut pas faire violence à la métaphore des eunuques, mais regarder l’intention principale de cette parabole.  Comme dans la parabole de l’intendant malhonnête.   Même si Jésus tire une comparaison de ceux qui se font des amis avec les biens d’autrui, son intention n’est pas  de nous inciter à faire des aumônes avec des biens qui ne nous appartiennent pas.
Mais Pierre martyr ergote pour tien. Pour obscurcir et détourner de leur sens des paroles suffisamment claires et limpides, il commet plusieurs bévues.   La première. Quant à la visée de ces paroles.  Car, même si les apôtres n’avaient pas parlé d’un vœu de continence, ne faisaient que demander si çà valait le coup de se marier, le Seigneur leur a montré quelque chose de plus parfait;  et il  confirma qu’il n’était pas avantageux de se marier, en ajoutant qu’il était avantageux de s’obliger par un vœu à ne pas se marier, comme le montre la métaphore de l’eunuque et de la castration.
La deuxième.  Quand il dit qu’il ne faut pas faire violence à ces paroles, parce que dans les paraboles, chaque mot n’est pas nécessairement chargé de sens symbolique.  Je dis qu’il se trompe.  Je reconnais que dans les paraboles se trouvent des parties qui ne signifient rien, mais qui ne sont placées là que pour compléter le récit.   Toutefois, dans les  paroles évangéliques dont nous parlons, il n’y a pas de parabole, mais seulement deux mots imagés,  ceux d’eunuque et de castration.  Or, si ces mots ne forment pas des images aptes à nous faire comprendre l’intention de Jésus, la réponse de Jésus ne veut rien dire.   Ces mots ne contiennent une image explicative que si ceux qu’on appelle métaphoriquement eunuques ont une obligation volontaire d’être continents, comme les eunuques proprement dits ont une nécessité naturelle d’être continents.
La troisième erreur.  Bien que dans les longues paraboles, il puisse arriver qu’une partie ou l’autre soit dénuée de sens symbolique, il demeure que les mots dans lesquels la parabole est principalement contenue,  ne peuvent pas être vides de sens, sous peine rendre la parabole inepte.  La quatrième erreur.  L’exemple de l’intendant malhonnête.   Il n’estime pas que signifie quelque chose le fait que l’intendant se soit fait des amis avec les richesses d’autrui,  alors que la parabole consiste essentiellement en cela. Car, le Seigneur veut nous enseigner que comme cet intendant qui s’est fait beaucoup d’amis en faisant des largesses avec les biens de son maître, nous nous fassions, nous aussi, des amis en faisant l’aumône avec les biens de notre maître, Dieu, à qui appartient tout ce que nous avons.  La seule différence consiste en ceci :  il péchait, lui, en faisant des cadeaux avec les biens de son maître, et c’est pour cela qu’il est appelé un intendant malhonnête.  Or, nous, nous ne péchons pas en faisant des cadeaux avec l’argent de notre maître, parce que c’est une chose qui lui plait énormément. Et en dépensant libéralement ses biens, nous ne faisons de tort à personne.   C’est même une pensée qui nous incite fortement à faire l’aumône, celle qui nous fait comprendre que nos richesses et nos biens ne sont pas notre propriété, mais appartiennent à Dieu, et qu’avec ces biens étrangers nous pouvons nous emparer du royaume des cieux.
La dernière erreur de Pierre Martyr.  Il estime que la continence n’est louée que parce que, en  libérant quelqu’un du soin d’une épouse et des enfants, elle le rend plus apte à la prédication. Cette erreur nous l’avons déjà réfutée dans les conseils évangéliques.  Je n’ajouterai qu’un autre témoignage de saint Augustin (livre de la sainte virginité, chapitre 23) : « Que peut-on dire de plus vrai, que peut-on dire de plus clair ?  Le Christ le dit, la vérité le dit, la vertu et la sagesse de Dieu le disent : ceux qui, par une décision pieuse, s’abstiennent de prendre femme, se castrent  pour le royaume des cieux.  Mais la vanité humaine, par une témérité impie, soutient que ceux qui font cela ne le font que pour  éviter les fardeaux et les soucis de la vie à deux; et que, dans le royaume des cieux ils n’auront rien de plus que les autres. »
                                         CHAPITRE 24
On affirme la même chose avec les paroles de saint Paul (1 Timothée 5) : « Ils obtiennent la damnation, parce qu’ils ont rendue nulle leur première foi. »
Le troisième passage en faveur du vœu de continence se trouve dans la première épitre de saint Paul à Timothée, chapitre 5 : « Évite les veuves encore jeunes.  Quand elles sont encore éprises de plaisir sexuel, elles veulent se marier dans le Christ, étant condamnées, parce qu’elles ont rendue nulle leur première foi. »  Par première foi, on ne peut entendre rien d’autre qu’un vœu de continence, comme l’ont compris tous les anciens.  Car, quand l’apôtre dit que ceux qui veulent se remarier rendent nulle leur première foi, nous en déduisons nécessairement qu’il parle d’un vœu de continence qui est violé par les secondes noces.  Cette foi (promesse, engagement) de conserver la continence, est donnée ou au mari charnel, ou à l’époux spirituel, le Christ.   Elle ne peut  pas avoir été donnée au mari charnel, car elle dure autant que vit le mari. Car, le mari une fois mort, la femme est libérée de sa promesse, et peut se marier à qui elle veut, comme le dit l’apôtre (Romains, 7,1; Cor. 7).  Il s’ensuit donc que la foi dont parle ce passage en soit une donnée au Christ, l’époux spirituel.
 Or cette foi donnée au Christ ne peut pas être simplement une intention, ou une volonté de se contenir  sans promesse ou sans vœu.   Car, une simple intention n’a pas de relation à quelque chose, et ne peut pas être appelée foi.  On ne rend donc pas une foi nulle quand on change d’idée.  D’autant plus qu’il est souvent permis de changer d’idée sans commettre de  faute.  Mais l’apôtre dit en termes formels qu’elles sont condamnées parce qu’elles ont rendu nulle la foi première.  Il s’ensuit, donc que, dans ce passage, le mot foi signifie vœu.  On peut aussi en déduire que le vœu de continence n’est pas impossible, ni illicite, car il n’y aurait eu, alors, aucun péché à le violer.
C’est ainsi que l’explique le concile de Carthage 4, canon 104 :   « Certaines veuves encore jeunes s’étaient consacrées au Seigneur, et après avoir rejeté l’habit laïc, et avoir, en présence de l’évêque et de l’assemblée ecclésiale, revêtu un habit religieux, étaient retournées à des noces séculières. Elles ont,  selon le témoignage de l’apôtre,  été condamnées pour avoir osé violer le voeu de continence qu’elles avaient prononcé devant Dieu. »  Cette sentence est celle de 214 évêques, qui participèrent tous à ce concile.  On trouve la même chose dans le concile de Toulouse 4, chapitre 25, formé de 75 évêques.
Et c’est ainsi que l’expliquent trois pontifes très grands et très saints.  Saint Clément  (livre 3, constitutions apostoliques, chapitres 1 et 2), Innocent 1 (épitre 2, chapitre 13), Gélase (l, épitre 1, chapitre 23).  De même, Tertullien, (dans son livre sur la monogamie, non loin de la fin).   Saint Basile (dans son livre sur la virginité, un peu passé  le milieu),  saint Jérôme (dans son livre 1 contre Jovinien, et dans le chapitre 44 d’Ézéchiel),  Épiphane (hérésie 48), saint Augustin (dans le livre de la sainte virginité, chapitre 23, et dans son livre sur la bonne viduité, chapitres 8 et 9,  et dans le psaume 75), Fulgence (épitre 1).  De plus, tous les commentateurs de ce passage, autant grecs que latins.  Grecs.   Saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, Oecumenius.  Latins.   Saint Ambroise, Primasius, Béde le vénérable, Sedulius, Anselme et les autres.
Plusieurs ont essayé de répliquer à cette interprétation du passage.  Luther, d’abord (dans son livre sur les vœux monastiques) soutient que par foi on ne peut pas entendre un vœu,  parce que, dans l’Écriture un vœu ne reçoit jamais le nom de foi.  Par première foi, il veut entendre la foi chrétienne qu’ont perdue ces veuves, qui pour pouvoir se marier plus facilement, sont passées de la foi chrétienne au judaïsme, ou au paganisme. Et il confirme cette interprétation par deux raisons.   La première. L’apôtre dit que ces veuves sont revenues en arrière, après Satan. La deuxième. Elles sont « luxurieuses contre le Christ ».  Or, reculer après Satan, et être luxurieux contre le Christ ne signifient rien d’autres que l’apostasie de la foi du Christ.
Mais il est facile de réfuter cette nouvelle interprétation.  Car, même si la foi ne signifie jamais ailleurs un vœu, elle signifie en beaucoup d’endroits une promesse, ou la constance dans la conservation de la promesse. Or, l’une et l’autre appartiennent certainement au vœu, puisque le vœu est une certaine promesse.  Genèse 44 : « J’ai reçu cela dans ma foi »  Romains 3 : « Est-ce que leur incrédulité a évacué la foi de Dieu ? » En ce lieu, donc la foi peut signifier une promesse ou un pacte.  Que cette foi, en ce lieu,  non seulement puisse, mais doive  signifier une promesse ou un pacte, non la foi chrétienne par laquelle nous croyons en Dieu, on le déduit de ce mot ajouté : elles la rendirent nulle.  Car, on ne dit pas de la foi par laquelle on croit en Dieu qu’elle a été annulée,  mais perdue ou corrompue.  Mais au sujet des promesses et des pactes ont dit qu’ils ont été annulées ou invalidées. Deutéronome 30 : « Si quelqu’un fait un vœu au Seigneur, qu’il ne le rend pas nul ou invalide. »  Psaume 88 : « Les choses qui procèdent de ma bouche, que je ne les rende pas nulles. »
De plus, il n’y avait aucune autre  raison qui empêchait ces jeunes veuves de se remarier, si elles n’avaient pas fait de vœux,  que d’avoir passé au judaïsme ou à l’idolâtrie.  Car qui les empêchait de se marier avec des chrétiens ?  L’apôtre (1, Cor 7) avait permis formellement aux veuves de se remarier dans le Seigneur, c’est-à-dire avec d’autres chrétiens.  Et les raisons données par Luther ne permettent  de tirer aucune conclusion.  Car s’éloigner de Dieu à la suite de Satan ne convient pas non seulement pour l’apostasie, mais pour tout péché mortel.  Être luxurieux contre le Christ ne peut pas signifier une défection de la foi du Christ, mais adopter un comportement qui fait injure au Christ.   Car l’apôtre dit que ces veuves ont d’abord eurent des pensées luxurieuses, et ont voulu ensuite se marier.  Luther lui, dit qu’elles ont d’abord voulu se marier, et que c’est à cause de cela qu’elles ont apostasié.  On est donc forcé d’avouer qu’être luxurieux  et apostasier,  ce n’est pas la même chose.
Calvin, lui, présente trois solutions.  La première.  Il dit que, par la première foi, l’apôtre entend la foi reçue  au baptême, que ces jeunes veuves avaient rendue nulle et invalide par leur luxure et leur prostitution.  Mais cette réponse est peu convaincante.  Car, non seulement elle est contraire à tous les témoignages cités, mais  l’apôtre dit clairement  qu’elles ont obtenu la condamnation parce que, en se mariant, elles ont rendu nulle la première foi.  Or, aucune femme, au baptême, ne promet de ne jamais se marier.  Si elles n’ont pas fait vœu de continence, pourquoi sont-elles condamnées parce qu’elles osent se marier ?
L’apôtre dit : Comme elles ont été luxurieuses dans le Christ.  Quelques-uns entendent le mot au sens de délices spirituels.  Et le sens serait le suivant : après qu’elles aient abondé de délices spirituels dans la maison du Seigneur,  elles ont, ingrates envers l’époux céleste, convoité des noces terrestres.  C’est ce qu’enseignent Tertullien (la monogamie), et Cyprien (livre 3, chapitre 74  à Quirinus).  D’autres l’entendent de l’affluence des biens terrestres. Et le sens serait le suivant : après s’être nourries à satiété des biens de l’église, elles veulent se marier.  Comme Theodoret,  et saint Thomas, dans le lieu cité.  D’autres, comme saint Jean Chrysostome et saint Jérôme (dans son épitre à Ageruchia sur la monogamie) entendent le mot au sens de fornication.  Et le sens serait : après, qu’elles aient forniqué envers leur époux céleste, en voulant se marier.
Mais quelle que soit la façon dont on interprète cette phrase, notre argument garde toujours sa force.  Car, si on ne parle pas de prostitution,  on ne fait que leur reprocher de s’être mariées après avoir fait un vœu.  Si on entend ce mot au sens de prostitution,  on ne devrait pas seulement les louer mais les exhorter à passer de la prostitution à un mariage honnête.  L’apôtre n’appelle donc pas  la première foi la foi du baptême, mais celle d’un vœu,  la seconde foi correspondant à un remariage après le vœu de continence. Car, c’est comme s’il disait : après la foi donnée au Christ, elles veulent donner leur foi à un mari mortel, et rendre nulle la première.  Ajoutons, que même si l’apôtre parlait de la foi reçue dans le baptême, on ne pourrait pas en tirer de conclusions favorables aux hérétiques.  Car, dans le baptême, nous promettons de conserver la loi de Dieu.  Or la loi prescrit souvent qu’il faut remplir ses promesses vouées à Dieu.  Et cela est également vrai que ces veuves qui voulaient se remarier.  En violant leur vœu de continence, elles  rendaient nulle leur foi reçue dans le baptême.
L’autre solution de Calvin est la suivante.  Il reconnait que ces jeunes veuves dont parle l’apôtre avaient fait un vœu de continence,  et qu’elles avaient rendu nulle cette promesse en voulant se remarier.   Mais il prétend que les seules à avoir fait  ce genre de promesse sont celles qui avaient atteint la soixantième année, et qui n’étaient plus candidates au mariage.  Car, l’apôtre dit : « on élira une veuve qui aura au moins soixante ans. »  On ne peut donc, de ce passage, rien déduire au  sujet du vœu de continence  des vierges consacrées au Seigneur.
Mais cette réponse n’est pas non plus très convaincante.  Car, même si l’apôtre demande  qu’on ne choisisse que des sexagénaires, ce ne sont pas des vielles  mais des jeunes  qu’il accuse de vouloir rendre nulle leur première foi en voulant se remarier.  Si donc ce que dit Calvin est vrai, à savoir qu’une jeune veuve ne peut pas faire le vœu de continence, pourquoi l’apôtre les blâme-t-il ?  Je dis de plus que quand l’apôtre dit de n’élire que des sexagénaires, et qu’il demande d’éviter les jeunes veuves, il ne parle pas de l’admission à un vœu de continence,  mais de l’élection à une certaine préfecture dans l’ordre des diaconesses, comme l’explique Tertullien (dans son livre du voile des vierges, et dans son livre 1 à sa femme).  Ou, ce qui est plus probable, de l’admission au nombre des veuves qui sont nourries par l’Église, comme saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, saint Jérôme (dans l’épitre à Salvina) l’expliquent. Car le mot « qu’il soit choisi » se dit en grec : inscrit au catalogue, ou énuméré (katalagezô).
L’Église, en effet, ne voulait pas nourrir des veuves qui n’avaient pas encore soixante ans, comme l’enseigne saint Jérôme au lieu cité, car elles pouvaient travailler, et se procurer de la nourriture.  Et de plus, parce qu’il était plus difficile pour des jeunes veuves de se conserver dans la continence, et qu’il serait plus honteux si c’était une des veuves nourries et conduites par l’église qui chutaient plutôt qu’une veuve quelconque, l’apôtre voulait donc qu’elles soient soigneusement éprouvées, et qu’on ne prenne que celles dont on ne redoutait aucun péril pour leur continence.  La troisième. Cette promesse de continence que les veuves faisaient n’était pas, à proprement parler, un vœu fait pour honorer Dieu, mais c’était plutôt une promesse faite à l’église pour faciliter le ministère des diaconesses.  Comme une fille ou une veuve  qui veut être reçue comme servante, et qui promet de ne pas se marier,  pour être plus libre d’accomplir son travail de servante.
Cette explication a moins de poids que toutes les autres.   Surtout parce que les pères cités disent qu’elles avaient vraiment un vœu à Dieu.  Si peut et doit (comme Calvin le prétend) violer un vœu fait à Dieu celui qui,  troublé par des désirs charnels, ne peut pas se contenir, à combien plus forte raison pourrait-il et devrait-il violer un vœu fait à l’église.  Pourquoi donc l’apôtre blâme-t-il ces jeunes veuves parce qu’elles veulent se marier? Mais ils répliquent.  Il ne les  blâme pas parce qu’elles veulent se marier, mais parce que, en agissant comme des prostituées, elles ont rendu nulle la foi jurée à l’église.  Je réponds que c’est le contraire qui est vrai.   Car l’apôtre ne dit pas au présent : ayant la condamnation, la faute présente doit correspondre à la damnation présente : la prostitution avait précédé, et d’après l’interprétation de Calvin, elle avait été amendée par la volonté d’un honnête mariage.  Mais, voici ce que dit vraiment l’apôtre : après avoir été luxurieuses, elles veulent se marier.   Il ne les condamne donc pas parce qu’elles ont été luxurieuses, mais parce qu’elles veulent  se marier, verbe au temps présent.  Pourquoi les condamne-t-il parce qu’elles veulent se marier, si ce n’est parce qu’elles avaient fait vœu de continence, et qu’en voulant se remarier, elles annulent leur première foi ?
Mais ils insistent.  L’apôtre à dit : « je veux que les jeunes se marient ». Il n’approuve donc pas les vœux des jeunes. Voir l’explication de ce passage, plus bas, au chapitre 30.
Après avoir (dans son livre sur le célibat et les vœux),  répété les objections de Luther et de Calvin que nous avons déjà présentées et réfutées, Pierre martyr en présente deux de son cru.   La première. Ce texte est ambigu, et est susceptible de plusieurs interprétations différentes.  On ne peut donc rien en tirer pour confirmer des dogmes.  Je réponds qu’on ne peut  pas vraiment dire que ce texte est ambigu, puisque tous les auteurs qui l’ont commenté avant que naissent nos disputes, l’ont expliqué d’une seule et même manière.  Autrement, il n’y aurait rien qui ne soit pas ambigu.  Car, il n’y a rien de si clairement exprimé qui ne puisse être mis en doute par les esprits contestataires.  J’ajoute aussi que des textes ambigus peuvent servir à clarifier et confirmer des dogmes,  quand l’Église en donne une explication approuvée par les conciles, ou par le consentement unanime des pères.  Car, autrement, rien ne serait tout à fait certain, et, pour les hérétiques, il n’y a vraiment rien de certain.  Car, comme nous l’avons dit, il n’y a rien dans l’Écriture qu’on ne puisse expliquer de différentes façons, si on a l’esprit contestataire.  Si tu maintenais vraiment que, par ces textes ambigus, on ne peut confirmer aucun dogme de foi,  nous n’aurions aucun dogme.  Exemple. Plusieurs transylvaniens nient aujourd’hui que le Christ est Dieu, et tous les passages de l’Écriture que nous utilisons pour prouver que le Christ est vraiment Dieu, ils les interprètent différemment.  Si nous prêtons foi à Pierre martyr, ce ne sera pas un dogme de foi que le Christ est Dieu.   Et on peut facilement montrer la même chose de tous les articles de foi.
La deuxième.  Pierre martyr soutient que le « ayant la damnation »,  ne signifie pas la peine qui provient d’un péché devant Dieu,  mais seulement une infamie devant les hommes.  Car, même si celles qui ont promis à l’Église de rester chastes,  ne pêchent pas en se mariant,  mais font plutôt une bonne action, selon les paroles mêmes de saint Paul : « il est préférable de se marier que de brûler », elles doivent quand même subir un reproche de légèreté, parce qu’elles n’avaient pas persévéré dans ce qu’elles avaient entrepris.  Or, cela il ne le prouve pas autrement que par l’autorité de Bucer, qui enseigne que le mot grec krima qui a été traduit par damnation, est ambigu, et peut être entendu comme une accusation auprès des hommes.  Nous opposons nous, à Bucer, l’autorité de tous les pères cités plus haut, qui enseignent que les jeunes veuves qui se sont remariées après leurs vœu de continence ont été condamnées éternellement devant Dieu.
 Nous lui opposons, ensuite, saint Paul lui-même, qui a partout employé ce mot au sens d’une condamnation devant Dieu et les hommes,  pour un crime grave et manifeste.  Romains 3 : « Donc la condamnation (krima) est manifeste.  Il appelle condamnation le jugement de Dieu sur ceux qui blasphèment et mentent en disant que l’apôtre enseigne : faisons le mal, pour qu’en ressorte du bien.  Et aux Romains 13 : « Ceux qui résistent à l’ordre établi par Dieu,  se procurent à eux-mêmes la damnation (krimen). Il est certain que ceux qui résistent à Dieu sont condamnés par Dieu, et non par les hommes seulement.  Ensuite, Jean, au chapitre 3,  n’emploie pas une fois seulement ce mot (krima) au sens de condamnation divine, mais trois fois. « Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde par lui-même.  Car le verbe ina krimè ne se rapporte pas ici au jugement de discussion,  mais de condamnation. Car voici quel en est le sens : il n’est pas venu pour porter une sentence de condamnation contre le monde, mais plutôt une sentence d’absolution.  Car, un peu après, il dit : « Celui qui croit n’est pas jugé », c’est-à-dire n’est pas condamné.  Celui qui ne croit pas est déjà jugé, c’est-à-dire condamné.  Ce qui veut dire : la sentence de condamnation qu’il aura est manifeste, même si elle n’a pas encore été prononcée.  C’est au Pierre martyr et à Bucer de nous montrer à quel endroit le mot krima ne signifie pas condamnation par Dieu.
De plus, pourquoi, je le demande,  ces veuves ont-elles été considérées comme infâmes par les hommes,  parce qu’elles voulaient se remarier, si elles n’avaient pas été liées par des vœux ?   Si, pour un évêque, ce n’était pas une chose honteuse (comme ils le disent) de prendre femme, et de se remarier après la mort de la première femme, pourquoi était-ce honteux à une veuve qui ne pouvait pas se contenir, de se remarier?  Et s’ils ne veulent voir ni infamie, ni légèreté ni honte dans les religieux et les religieuses de notre temps qui, après des vœux solennels, sont passés au mariage, comment osent-ils dire que ce fut une chose honteuse à des veuves de vouloir se remarier, puisqu’elles n’avaient rien, selon eux,  qui les empêchait de le faire ?
                                       CHAPITRE 25
          On affirme la même chose avec les conciles
Nous allons maintenant prouver notre sentence par le témoignage de toutes les églises  que les conciles anciens nous fournissent aisément.  Le jugement de l’église orientale nous est montré par le concile d’Ancyre, (canon 18) : « Celles qui, au mépris de leur profession, ont  trahi leur promesse de virginité, seront comme des bigames. »  Le concile général de Chalcédoine (chapitre 16) : « Il n’est permis ni à une vierge qui s’est consacrée à Dieu, ni à un moine, de contracter un mariage licite. Ceux qui seront convaincus d’avoir péché ainsi, seront excommuniés. »  Le jugement de l’église africaine, on le voit dans le concile de Carthage 3, chapitre 33, où il est ordonné que les vierges consacrées à Dieu soient gardées avec soin dans des monastères.   Ainsi que dans le concile de Carthage 4, dernier chapitre, comme nous l’avons dit plus haut.  Le jugement de l’église d’Espagne apparait dans le concile de Tolède, 4, chapitre 55 : « Il y a deux sortes de veuves, les séculières et les consacrées à Dieu ». Et, un peu plus bas : « Si les dernières se marient, elles ne seront pas, selon l’apôtre, sans condamnation, car, après avoir fait un vœu devant Dieu, elles ont rejeté ensuite leur promesse de chasteté. »
Le jugement de l’église des Gaulles apparait  dans le concile de Tours 11, chapitre 16 : « Ceux qui sont  entrés en religion après s’être convertis n’ont en aucune façon la permission de s’évader de leur monastère, ni, ce qu’à Dieu ne plaise, de se marier. S’ils prennent femme, ils sont excommuniés, et  cette mauvaise union doit être rompue par un juge.  Si le juge ne veut pas prononcer une sentence de dissolution du mariage, qu’il soit excommunié.  Le malheureux moine qui est enchainé par une telle union conjugale, s’il s’efforce de se défendre par le patronage d’un grand,  ils seront lui et celui qui tentera de le défendre séparés de l’Église jusqu’à  ce que le défroqué marié retourne à son monastère, et qu’il fasse la pénitence qui lui sera imposée par son abbé.  Ili ne reviendra en grâce qu’après avoir fait satisfaction. »
Le jugement de l’église d’Allemagne apparait dans le concile de moguntinens, au temps de l’empereur Arnolphe,  dernier chapitre : « Celles qui ont fait vœu de chasteté qu’elles se tiennent constamment  renfermées dans des monastères cloitrés, ou que, demeurant à la maison, elles gardent intégralement la chasteté de leur profession. »  La même chose est confirmée dans le décret du concile d’élibertin, et dans le sixième décret du concile de Cologne, sous Charles Crassus, dans lesquels il est statué que les vierges consacrées à Dieu qui ont violé leurs vœux et ont perdu leur pacte de virginité, ne recevront la communion qu’à la fin de leur vie.  Mais si elles persistent dans la recherche du plaisir, elles ne pourront même pas alors recevoir la communion. »   Dans le concile de Moguntino, sous Raban, on trouve plusieurs choses sur la vie des moines et des religieuses.
Le jugement de l’église d’Italie apparait dans le concile romain sous le pape Sylvestre (canon 10), où il est interdit à un évêque de bénir une vierge qui s’est mariée, à moins que sa chasteté n’ait été longuement éprouvée.  Le concile for julien du temps de Charlemagne : « De même il a plus au sujet des femmes de toute condition, vierges ou veuves, qui prononçant spontanément un vœu de virginité ou de continence, ont été consacrées à Dieu, et qui, en signe de leur continence,  ont revêtu une robe noire , à la façon des religieuses, comme le veut l’antique coutume de ces régions, d’ordonner  qu’elles persévèrent perpétuellement dans cet état, même si elles n’ont pas été consacrées par un prêtre.  Si,  par la suite, elles se marient privément ou publiquement, contraintes par la vindicte d’un jugement mondain, les époux seront séparés l’un de l’autre, et consacreront le reste de leur vie à faire pénitence. »
                                            CHAPITRE 26
On le prouve ensuite par les réponses de souverains pontifes.   Clément (constitutions apostoliques, livre 3, chapitre 1) : « Voilà pourquoi il ne faut pas faire profession témérairement, mais avec réflexion et considération.  Car, il est préférable de ne pas faire de vœu plutôt que de promettre par vœu et de ne pas tenir sa promesse. » Il disait cela en parlant des veuves.  Syricius  (épitre 1, chapitre 6) Il dit : « Ni les lois publiques ni les droits ecclésiastiques ne permettent  aux moines et aux religieuses de se marier après avoir fait des vœux perpétuels. »  Innocent 1 (épitre 2, chapitre 12) dit : « Celles qui se marient après avoir prononcé un vœu sont adultères du Christ, c’est-à-dire des sacrilèges. »   Léon1 (lettre à Rustique, évêque de Narbonne, 90, chapitre 13) : « La promesse d’un moine faite volontairement et librement ne peut pas être violée sans péché.  Car, ce que quelqu’un voue à Dieu, il doit le lui rendre. »
Il dit la même chose, au chapitre suivant, des vierges consacrées à Dieu.  Gélase (épitre 1, chapitre 22) : « Ceux que nous savons s’être témérairement joints à des vierges consacrées à Dieu, et, après  s’être consacrés à Dieu, s’être immiscés dans des liens incestueux et sacrilèges, il est équitable qu’ils soient interdits de la sainte communion, et qu’ils ne puissent la recevoir qu’après avoir été éprouvés par une longue pénitence ».  Il dit la même chose au chapitre 23,  et il ajoute que les veuves pèchent si elles se marient après un vœu de continence.
Saint Grégoire (livre, 1, épitre 1, 33 à Venantius) : « Considère de quel péril tu deviendras digne dans le jugement divin, toi qui a as défroqué, après t’être voué à Dieu en revêtant l’habit monastique. »  Et, dans l’épitre 40 à Anthémius, il ordonne aux moines qui se sont mariés, de renoncer à leurs épouses et de retourner à leurs monastères. »
Se présentent aussi à nous les réponses des chefs politiques.   Eusèbe écrit (dans la vie de Constantin, livre 4),  qu’a été abrogée par Constantin l’antique  loi des Romains qui privait les stériles, ou les sans enfants,  d’une succession héréditaire.  Il écrit que la raison de cette abrogation  était que la loi ne devait pas punir ceux qui, par une grâce religieuse  spéciale, pratiquaient le célibat en vertu d’un vœu.  De plus, quand, au temps de l’empereur Julien l’apostat, certaines vierges commencèrent à demander le mariage, l’empereur chrétien Jovinien, qui avait succédé à Julien, édicta une loi selon laquelle serait coupable de peine capitale celui qui demanderait à une vierge de se marier avec lui, ou qui la regarderait de façon impudique. »   C’est Sozomène qui raconte cette anecdote (livre 6, chapitre 3 de son histoire).  Et cette loi est toujours dans le codex (L, si quis, de episcopis et de clericis)  Si cette loi avait été observée à notre époque, Martin Luther aurait eu, en toute justice,  la tête tranchée, lui, et beaucoup d’autres.
                                           CHAPITRE 27
On affirme la même chose avec les témoignages des pères.  Saint Ignace dans son épitre aux chrétiens de Tarse, ordonne d’honorer les vierges consacrées à Dieu.  Et dans son épitre aux chrétiens d’Antioche : « Que les vierges reconnaissent celui auquel elles se sont consacrées. »  Denys (dans l’église hiérarchique, chapitre 6, part 2), dit, en décrivant le rite d’initiation des moines,  qu’ils renoncent à la vie divisible, c’est-à-dire séculière.  Car, le séculier est divisé, comme le dit saint Paul (1 Corinth 7) puisqu’il pense tantôt à Dieu, tantôt à son épouse.   Martial (dans son épitre aux Toulousains (chapitre 8), dit avoir persuadé la vierge Valérie, de vouer sa virginité à Dieu, comme Matthieu qui a persuadé Abdias,  et saint Paul Thècle, comme l’écrit saint Ambroise, (livre 2, des vierges), et Clément Flavie Domitilla, comme l’écrit saint Bède (dans le martyrologe, 7 mai), et aussi selon Eusèbe, dans sa chronique.
Tertullien (dans son livre du voile des vierges) s’écrie : « O mains sacrilèges qui ont profané  une demeure consacrée à Dieu.  Qu’aurait fait de pire un persécuteur s’il avait su que tel était le choix d’une vierge ! » Et, à la fin de son livre : « Tu t’es mariée au Christ, c’est à lui que tu as livré ta chair, à lui que tu as donné ta puberté. »  Et ailleurs : « Pourquoi fera-t-il le vœu de continence ? »  Et, dans le livre de la monogamie, passé le milieu : « Ayant reçu une condamnation parce qu’elles avaient résilié la foi première, elles ne voulurent pas persévérer dans l’état de viduité dans lequel elles se trouvaient »
Saint Clément d’Alexandrie  (Stromates, 3, au début). Il dit : « La continence est le déplaisir d’un corps voué à Dieu au moyen  de pactes et de conventions.  Le Seigneur a dit que celui qui a épousé une femme ne la répudie pas; que celui qui ne s’est pas marié ne se marie pas; et que celui qui a fait vœu de vivre sans épouse persévère. »  Origène (numéro 23, Nombres) : « Voilà pourquoi il me semble convenable que le seul à offrir un sacrifice perpétuel soit celui qui s’est voué à une continence perpétuelle. »  Hilaire (dans le psaume 64) : « Il faut donc vouer à Dieu le mépris du corps, la garde de la chasteté,  la modestie virginale,  et la tolérance des jeûnes. » Eusèbe (livre 4 de la vie de Constantin) : « Après avoir embrassé la chasteté, la modestie virginale, elles se consacrèrent corps et âme à Dieu. »
Et, plus bas, au sujet de Constantin : « Il ne vénérait pas seulement le chœur des vierges, il estimait que là habitait le Dieu auquel elles s’étaient consacrées ».  Saint Cyprien (livre 1, épitre 11 à Pomponius) : « Quand le Christ, notre Seigneur et notre juge, aperçoit une vierge à lui consacrée et destinée à sa sainteté, se tenir près de l’autel, elle provoque son indignation et sa colère, et il menace de la punir à cause de son union incestueuse… » Et plus bas : « Celle qui reconnait un tel crime n’est pas adultère d’un mari, mais du Christ. »  Et (dans le livre de l’habillement des vierges) il dit : « Celle qui s’est consacrée au Christ,  qui a voué à Dieu tant sa chair que son esprit, et qui persévère jusqu’à la fin dans son engagement est destinée à une grande récompense. »
Saint Athanase (dans le livre de l’humanité du Verbe) raconte que, de son temps, même les enfants avaient coutume de vouer la virginité perpétuelle. Et dans l’apologie pour sa fuite, il fait mémoire des vierges consacrées que les ariens avaient profanées.  Pierre, le successeur d’Athanase, raconte la chose plus longuement dans une lettre qui a été conservée par Theodoret (livre 4, chapitres 20,  21, 22,  de l’histoire de l’église).  De même, Athanase (dans son livre sur la virginité) : « Quand tu as professé la continence, tu as consacré ton corps. »  Saint Basile (dans la récompense réservée aux moines) : « Celui qui désire se libérer des chaines du monde,  fuit les noces comme des entraves.  Après avoir  abandonné ces choses, il consacre sa vie à Dieu, voue la chasteté, pour qu’il n’y ait plus aucun moyen de se tourner vers le mariage. »
 Et dans la dernière lettre qui porte sur une vierge tombée, il écrit : «Et comme un impie tombé dans l’abyme, méprise même les maux,    tu nies avoir conclu un pacte avec le vrai époux,  être une vierge, et tu cries haut et fort que tu n’as jamais rien promis. Souviens-toi de la profession honnête que tu as faite devant Dieu, les anges et les hommes. Rappelle-toi la congrégation vénérable, le saint chœur des vierges.  Combien de lettres as-tu adressées à des saint pour leur demander de prier pour toi, afin que tu ne te laisses pas entraîner dans les noces humaines, ou mieux, dans une corruption ignominieuse, et que tu ne trahisses pas le Seigneur Jésus. » Il dit la même chose (dans le livre sur la virginité, pas loin du milieu) : « L’adultère d’une épouse du Christ est un sacrilège horrible. » Et, un peu plus bas : « Car, quel mariage solennel et légitime cet époux (le Christ) a contracté,  l’attestent la robe de la virginité, les engagements, les pactes, et la profession religieuse. Et c’est comme ayant été anoblie  par un mari de cette sorte qu’elle se montre en public. »  Il dit la même chose dans les questions longuement expliquées; et dans les questions 14 et 15, il dit beaucoup de choses sur le vœu solennel des moines.
Saint Grégoire de Naziance, dans son sermon sur la mort de son père, passé le milieu : « Car, comme nous nous étions offerts à Dieu pour fuir le jugement de condamnation,  nous nous offrons de nouveau pour éloigner tout péril du défunt. »  Car, comme il l’écrit dans le poème de sa vie, saint Grégoire avait été consacré à Dieu par sa mère, avant de naître;  et lui-même par après, quand, sur la mer, il était en danger de chavirer, émit de nouveau le vœu de continence et de religion qu’il a conservé fidèlement ».  Saint Optat de Milet (livre 6, contre Parmenius),  dit : « C’est un genre spirituel de mariage. Elles entrèrent en mariage par la volonté de l’époux, du fait de leur profession religieuse. »  Saint Épiphane (hérésie 61, dite des apostoliques) : « Les saints apôtres de Dieu nous ont laissé cet enseignement que c’était un péché de se tourner vers le mariage après avoir voué la virginité. »
 Et plus bas : « Si une veuve qui s’était consacrée à Dieu et qui s’est ensuite mariée est condamnée par le jugement de Dieu, parce qu’elle a rejeté sa première foi, la vierge consacrée à Dieu qui se marie en étant adultère du  Christ, ne rejette-t-elle pas une plus grande foi,  et n’aura-t-elle pas une plus grande condamnation ? »  Et à l’hérésie 48, celle des  montanistes, il dit : « Dieu se réjouit de la parole de ceux qui peuvent lui  présenter un culte approuvé, et qui choisissent de pratiquer la virginité et la continence. »  Saint Jean-Chrysostome (homélie 15 sur la première lettre à Timothée) : « Et la veuve qui fait profession de viduité, donne son consentement au Christ, c’est-à-dire l’épouse. »
Et plus bas : « Après s’être consacrées  à Dieu, elles veulent se marier en obtenant la condamnation, parce qu’elles ont résilié leur première foi,  le mot foi signifiant pacte. »   Et, dans l’homélie 14,  il décrit très longuement la vie religieuse et en fait de grandes louanges.  Et plus clairement encore dans la lettre 6 au Théodore qui était tombé.  Il dit : « Les noces sont honorables, mais il ne t’est pas permis à toi d’invoquer le privilège des noces.  Autant de fois que tu leur donneras, toi, le nom de mariage, je les appellerai, moi,  adultère, et pire encore. »  Sulpice, (dans la vie de saint Martin, avant le milieu) : « Quand sa fille était consumée par une fièvre quarte,  Arborius, homme fidèle et saint, déposa sur sa poitrine , là où elle souffrait davantage, une lettre de saint Martin, qui se trouvait là par hasard, et la fièvre tomba immédiatement.  Arborius prit cette guérison miraculeuse tant à cœur qu’il consacra immédiatement à Dieu sa fille, et la voua à une virginité perpétuelle.  Il se rendit même chez saint Martin, lui présenta sa fille, et il ne souffrit pas qu’un autre que lui imposât l’habit religieux, et la consacrât à Dieu.
Ruffin (dans le livre 10, chapitre 8 de son histoire), raconte qu’à Jérusalem, il y avait un monastère célèbre de vierges consacrées à Dieu, que la mère de Constantin, Hélène, avait coutume de servir à table de ses propres mains. Saint Ambroise (livre 3 de la virginité, avant le milieu) écrit : « Les filles initiées aux sacrés mystères, et consacrées intégralement à Dieu, tu leur défends de se marier.  Puissé-je rappeler celles qui sont sur le point de se marier. Puissé-je changer la robe nuptiale en un voile de continence.  Semble-t-il indigne que des vierges consacrées à Dieu ne soient pas tirées des autels vers les noces ?  Et à celles qui ont le droit de se marier n’est-il pas permis de préférer Dieu ? «  Et, plus bas : « Apprenez la quantité de vierges que l’église d’Alexandrie, de tout l’orient et de l’Afrique, ont coutume de consacrer à Dieu à chaque année !  Il répète souvent des choses semblables.
Saint Jérôme (dans l’épitre à Sabinianus) : « C’est la coutume en Égypte, et dans les monastères de Syrie, que les veuves aussi bien que les vierges qui se vouent à Dieu, et qui, renonçant au siècle, foulent aux pieds toutes les délices du siècle, offrent aux supérieures des monastères leur chevelure. Elles  ne gardent pas, pour autant, contre la volonté de l’apôtre, leur tête découverte, mais elles la cachent sous un voile ». Les écrits de ce saint sont remplis de témoignages sur la profession et le vœu de chasteté.   A un point tel que le martyr Pierre admet qu’aucun autre père ne s’oppose  autant à leurs dogmes  que saint Jérôme.
Saint Augustin (livre1, chapitre 24, des époux adultérins) écrit : « Ce qui était permis à quelqu’un avant qu’il le voue à Dieu, ne l’est plus quand il a promis de ne jamais le faire. Si, par exemple, il a voué ce qu’il devait vouer, la virginité perpétuelle. » Dans le psaume 75, il dit : « Une moniale, je ne sais trop laquelle, a décidé de se marier.   Que voulait-elle ? Être sa propre supérieure ?  A-t-elle voulu quelque chose de mauvais ?  De mauvais, certainement.  Pourquoi ?  Parce qu’elle  s’était vouée au Seigneur son Dieu. » Il dit la même chose ailleurs : «Que dit l’apôtre de celles qui ont fait un vœu qu’elles n’ont pas tenu ?  Il dit qu’elles ont la condamnation parce qu’elles ont annulé leur foi première.   Qu’est-ce que c’est que résilier la foi première ?  Elles avaient fait un vœu, et ne l’ont pas tenu »
Fulgence (livre de la foi à Pierre chapitre 42) : « Ceux qui soit étant mariés, soit  étant libres de se marier ont voué à Dieu la continence, sont grandement blâmés s’ils convoitent de nouveau le mariage, qu’ils avaient librement promis, de leur propre volonté,  de ne pas répéter ou de connaitre pour la première fois. » Le même Fulgence,  épitre 1, chapitre 6, écrit : « La vierge qui se marie ne pèche pas, si, avant de se marier, elle n’a pas voué dans son cœur sa virginité à Dieu. »  Et (dans l’épitre 3, chapitre 4) : « Voici le Fils unique de Dieu, le Fils unique aussi de la vierge, l’Époux de toutes les vierges à lui consacrées, le fruit de la sainte virginité, l’honneur et la don céleste, que la sainte virginité a enfanté corporellement, avec qui se marie spirituellement la sainte virginité;  par lequel la sainte virginité est fécondée, pour qu’elle persévère intacte,  par lequel elle est décorée pour qu’elle demeure belle, par lequel elle est couronnée pour que, toujours glorieuse, elle règne perpétuellement. »
À ces témoignages des conciles, des pontifes et des pères, Pierre le martyr (à la fin de son livre) donne trois réponses.   La première.  Il dit que toutes ces citations ne sont que des témoignages humains, et que ce n’est pas le propre  d’un chrétien d’aller chercher son devoir dans des témoignages humains.  Voici ses propres mots : « En ce qui a trait aux témoignages des pères que nos adversaires (les catholiques), ont coutume de nous opposer dans nos controverses, et spécialement dans celle-là, je déclare que ce n’est pas le propre d’un chrétien d’être entraîné par des témoignages humains loin des Écritures de Dieu. Car, c’est une injure à faire au Saint-Esprit.   Car, la foi vient de l’audition, l’audition,  de la parole de Dieu, et non des pères. »   Et il prouve longuement qu’on ne peut s’éloigner  de l’Écriture pour  aller vers les pères.
 Mais, quand il dit cela, il me semble qu’il se laisse aller de la candeur à l’impudence, de la vérité au mensonge.  Car, les docteurs catholiques n’ont jamais détourné les croyants de l’Écriture pour les diriger vers les pères, mais de l’interprétation de l’écriture de quelques séditieux au jugement d’un grand nombre de savants et de saints;  ou du jugement d’un parti au jugement de ceux qui ne sont membres d’aucun parti.  Exemple. Dans les litiges humains, quand deux plaident leur cause et qu’un juge est appelé, on  ne détourne pas les belligérants de la loi vers un juge,  mais d’une partie en litige vers un juge.  Et si la décision du juge ne donne pas entière satisfaction, on ne les détourne pas de la loi, mais on va d’un juge à un autre dont on ne peut pas contester la décision.
C’est la même chose qui se passe dans l’Église.  On regarde les lois divines qui sont reçues par tous.  Si le litige ne cesse pas, on cherche un juge, non parce qu’on ne croit pas à l’Écriture, mais parce que c’est de l’Écriture qu’il s’agit. On est donc forcé d’aller de l’explication de la partie litigieuse, à l’arbitre des sages et des experts, qui ont vécu avant le début du litige en question.  S’il arrivait que ceux-ci ne s’entendent pas ensemble, on s’en remettrait au jugement de toute l’Église, c’est-à-dire,  du souverain pontife, ou à la définition d’un concile général.
Si quelqu’un voulait en appeler de ce jugement au nom de l’Écriture, il  ferait comme quelqu’un qui, dans les litiges humains, en appellerait du préteur à la loi.  Ce qui serait ridicule, puisque en appeler du préteur à la loi, quand il est question du sens d’une loi, c’est en appeler de la sentence d’un juge public  à son jugement propre et privé.  Mais, répond Pierre, tous les pères et tous les conciles, même s’ils sont tous d’accord entre eux, peuvent errer, à moins que leurs sentences ne concordent à la parole de Dieu.  Je réponds que c’est vrai, mais que la supposition gratuite qu’il fait  est fausse, à savoir que les tous les pères et tous les conciles approuvés par le pape peuvent ne pas concorder avec la parole de Dieu.  Car, les exemples qu’il présente ne valent rien, et sont bons seulement à montrer que certains pères et certains conciles illégitimes et non approuvés par le pape ont pu se tromper.  Car le concile d’Éphèse 11, et le concile sous Léon Iconoclaste, qui ignore ce qu’ils ont été vraiment.
Voici son autre réponse.   Les pères ont vraiment affirmé ce que nous affirmons,  mais on ne doit pas les écouter, parce qu’ils n’ont pas une juste raison de l’affirmer : « Ce que nous affirmons est certes vrai. Nous les considérons dans cette question comme des rigoristes.  Car dès le temps des apôtres, on a commencé très tôt à attribuer une valeur excessive au célibat.  Nous avons expliqué plus haut pour quelles raisons cela s’est produit. Il avait, en effet, assigné quatre causes. « Pourquoi, au début de l’église, a-t-on fait tant de cas du célibat ?  Une des raisons pourrait être que le Christ a dit qu’il y a des eunuques qui se castrent pour le royaume des cieux…Les pères ont toujours eu cette parole en bouche, mais il aurait fallu se demander comment il fallait l’entendre. »
Et plus bas : « Une autre cause est que, à cette époque, il y avait de graves persécutions en plusieurs endroits,  et qu’il était préférable, en cas de fuite, de se sauver seul ou avec une épouse et des enfants. »  La troisième. «  À cette époque, la religion chrétienne était sous le coup d’une grave infamie. Comme ils se réunissaient clandestinement de nuit, par peur des princes, pour des hymnes et des synaxes, le peuple s’est mis à les soupçonner de promiscuité, d’inceste,  et d’orgies sexuelles.-- (Cette accusation a été lancée par les Juifs, comme le dit saint Denys dans son dialogue avec Tryphon)-- - Et, plus bas : « Et, pour cette raison, beaucoup choisissaient le célibat et la virginité. » La quatrième. « Un grand nombre des nouveaux chrétiens étaient des non juifs.  Et ces gens avaient toujours tenu en haute estime la virginité et le célibat. »
Nous répondons à cela que la première cause, la principale et la plus vraie, est la parole du Christ.  Ce que dit le martyr que les saints pères auraient du se demander comment il fallait entendre ces paroles, trouvera sa réponse dans la prochaine réponse. Car c’est demander à qui nous devons nous fier pour l’interprétation de ces paroles,  aux pères anciens très saints, et très doctes, ou à Luther et à Calvin.  Et, je ne vois pas du tout comment il y a pu avoir de l’ambiguïté sur cette chose.  Car, si ces pères ont exercé le ministère tout de suite après les apôtres, ils les ont entendus prêcher et on pu les consulter; et  ils ont certes mieux compris leurs paroles que ceux qui vivent quinze cents ans après les apôtres.
La seconde cause et la troisième ont pu jouer un certain rôle pour persuader certains d’opter pour la continence, mais elles n’en furent pas les causes principales.   Car, quand les pères louent la continence et persuadent les chrétiens de l’observer, ils ne présentent jamais ces causes, mais uniquement les paroles du Christ et des apôtres. Voilà pourquoi Pierre le martyr reconnait lui-même que les pères « ont toujours eu en bouche les paroles du Christ et des apôtres ».  Et il n’indique aucun témoignage d’un ancien père qui aurait rapporté qu’on avait voué le célibat pour fuir la persécution, ou pour réfuter les calomnies des païens.  De plus, si ces causes avaient été les causes principales, l’estime envers le célibat aurait vite cessé, car ces causes ne durèrent qu’un certain temps.  Or, le célibat consacré à Dieu n’a pas cessé après les persécutions,  et il a toujours été de plus en plus florissant et en vigueur.
La quatrième cause est d’une grande fausseté, puisqu’ il est prouvé que le célibat dans l’Église n’a pas commencé chez les Gentils ou chez les Juifs.  Car, le Christ lui-même était célibataire, sa mère était une vierge, saint Jean n’était pas marié, et tous les apôtres, après leur appel, ont été continents. Or, ils étaient tous nés de Juifs, non de Gentils.  Et les premiers chrétiens  qui, en Égypte,  avaient voué la continence, (dont Parle Philo dans son livre sur la vie contemplative des suppliants), étaient venus à l’Église du judaïsme et non du paganisme.  Ajoutons que le martyr Pierre a écrit le contraire (dans son commentaire du chapitre 7 de la première épitre aux Corinthiens), où il dit : « Nous ne considérons pas non plus que le célibat qui existe aujourd’hui ressemble à celui des païens ou des Juifs, qui était considéré peu honnête.   Car, comme l’écrit Cicéron dans les lois, le célibat doit être prohibé. C’est le Christ qui a enlevé au célibat cette ignominie. »
Les pères ont présenté des témoignages de Gentils, comme saint Paul a cité le poète Aratus (actes 17),  et Ménandre (1 Corinthiens 15), non pour poser avec leurs témoignages un fondement des dogmes de la foi,  mais pour montrer que le célibat n’est pas contraire à la nature et à la raison, et pour que les chrétiens rougissent s’ils se montrent inférieurs aux païens dans des choses qui se rapportent à la vertu.  C’est de cette façon que saint Jérôme (dans ses livres contre Jovinien) s’est comporté. Après avoir confirmé le célibat par plusieurs textes de l’Écriture, il a présenté des témoignages et des exemples des païens.
La troisième  réponse de Pierre le martyr porte sur certains témoignages des pères qui semblent parler contre le vœu de continence.  Mais, ces témoignages, nous les présenterons plus tard, quand nous réfuterons les objections de nos adversaires.
                                       CHAPITRE 28
          On affirme la même chose par la seule raison
Nous sommes arrivés au dernier genre d’arguments.   Par une double raison, fondée sur l’Écriture et les témoignages des pères, nous confirmerons brièvement la même chose. La première raison vient de la dignité de la continence, l’autre, de l’utilité des vœux.  Une continence de ce genre, qui l’emporte de loin sur le mariage, et qui ne doit même pas être comparée à la fornication,  pourra donc être licitement vouée à Dieu. L’affirmation qui seule peut être niée, doit être confirmée par quelques-uns.  Luther, dans son épithalame, soutient que la virginité l’emporte sur le mariage, mais que la vie d’un célibataire ne l’emporte pas sur la vie d’un homme marié.  Nous tirons les arguments de la vie elle-même, et de l’état de célibat.  La sainte Écriture s’écrie (1 Cor, 7) : « Donc, celui qui marie sa fille, fait bien, et celui qui ne la marie pas fait mieux. »  Et plus bas : « Qu’elle se marie à qui elle voudra, mais seulement dans le Seigneur. Mais elle sera plus heureuse si elle demeure ainsi. »  Conviennent ici d’autres témoignages que nous avons présentés plus haut dans la dispute des conseils.
Les pères l’appellent souvent la vie parfaite.   Saint Cyprien (dans son livre sur le costume des vierges), dit que les vierges consacrées à Dieu « sont la partie la plus illustre du corps du Christ. »  Et, au même endroit : « Une grande récompense vous attend, la prime d’une grande vertu,  pour le don suprême de la chasteté. »  Denis l’aréopagite (hiérarchie ecclésiastique, chapitre 6, part ) : « Le prêtre établit dans l’état de vie parfaite celui qui a fait profession monastique. »  Eusèbe (chapitre 1, chapitre 8, démonstration évangélique) : « Et existe dans le christianisme un genre de vie parfait. »  Grégoire de Naziance (dans son sermon sur la mort de saint Basile appelle « parfaite, et même très parfaite, la vie monastique. »
Saint Jean Chrysostome (livre 3 contre les contempteurs de la vie monastique) appelle la vie monastique le sommet de la perfection, l’étendard de la vertu. »  Saint Jérôme (épitre 1 à Héliodore) : « Tu as promis de devenir parfait, car, quand, après avoir quitté l’armée tu t’es castré pour le royaume de cieux, qu’as-tu fait d’autre que de suivre la vie parfaite ? »  Saint Augustin (livre 1, chapitre 31 des mœurs de l’Église) : « Acceptez les mœurs ces chrétiens parfaits, dont la chasteté doit non seulement être louée, mais imitée, comme représentant des mœurs tout à fait singulières. »  Et (dans la sainte virginité, chapitre 52) : « Continuez à parcourir, vierge, la voie de la sublimité, avec les pieds de l’humilité. »
Sulpice (dans le dialogue 2) : « C’est une bien heureuse espèce, et digne de Dieu, car rien n’est comparable à la virginité consacrée  à Dieu ! »  Les mêmes pères, d’une seule voix, on appelé la vie des vierges une vie angélique, la vie des mariés une vie humaine.  Saint Ambroise (livre 1 sur les vierges) : « Que personne ne s’étonne si on compare aux anges celles qui se sont mariées au Seigneur des anges ! »  Saint Cyrille (catéchèse 12) : « N’ignorons pas la gloire de la chasteté !  Car, c’est une couronne angélique, et une perfection au-dessus de l’homme ! »  Sant Grégoire de Naziance dans son poème sur la virginité : « Salut virginité,  communiquée par un don divin,  bonne mère d’une vie sans offense, source de grandes choses,  partie du Christ,  et associée aux esprits célestes, toi qui ne connais pas le mariage ! »
 Athanase (dans son livre sur la virginité, à la fin), célèbre la virginité par ces mots : « O virginité,  opulence indéfectible, couronne immaculée, temple de Dieu, domicile du Saint-Esprit, pierre précieuse, inconnue du vulgaire, joie des prophètes, gloire des apôtres, vie des anges, couronne des saints ! » Voyez après, si le cœur vous en dit, la comparaison des vierges avec les anges que font saint Jérôme (épitre 8 à Demitriade),  saint Augustin (chapitre 13, de la sainte virginité),  saint Jean Chrysostome (homélie 18 sur la Genèse), saint Basile (dans son livre sur la virginité),saint Fulgence (dans son épitre 3 à Probas), saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 25), saint Isidore (livre 2 sur le bien suprême.)
Ici, Pierre le martyr, sort de ses gonds, car, dans son livre sur le célibat et les vœux, il rapporte la sentence d’Athanase citée plus haut, et il dit : « Ce sont des choses pleines d’hyperboles,  qui n’approchent en rien de la vérité. Les apôtres et les prophètes ont été des  hommes mariés.  Comment la virginité peut-elle leur être une joie et une couronne ?  Et qu’est-ce que les anges ont en commun avec la virginité, puisqu’ils n’ont point de corps ?  On ne peut donc pas plus les appeler vierges que si on appelait les pierres des aveugles. »   Voilà son opinion.    Mais comment s’étonner si les pierres ne plaisent pas aux verrats ! »  Pierre le martyr a faussement accusé saint Athanase parce qu’il avait dit que « la continence est la joie des prophètes et la gloire des apôtres ». Il est facile de le montrer par le témoignage de saint Jérôme (épitre 22 à Eustochius) : « Le vierge Élie, le vierge Élisée, les fils vierges des prophètes, selon Jérémie. Et toi-même, tu ne prends pas de femme ! »  Qui ne sait que saint Jean Baptiste a été prophète et vierge ? Et nous savons avec certitude, que parmi les apôtres saint Jean, au moins, a été vierge.  Saint Jérôme affirme la même chose de saint Paul, au lieu cité, et de tous les apôtres (dans son apologie, et dans les livres contre Jovinien.  Voici ce qu’il dit : « Les apôtres ou ont été vierges, ou ont été continents après s’être mariés. »  Quand saint Athanase pensait aux prophètes et aux apôtres, il ne parlait donc ni faussement ni par hyperbole.  En reprochant à Athanase la comparaison qu’il faisait entre les anges et les vierge, il ne fait pas injure seulement à Athanase, mais à tous les autres pères, et au Christ lui-même, qui, en Matthieu 22, dit : « Dans la résurrection, on n’épouse pas et on n’est pas épousé, mais on est semblables aux anges. »  Qui devons-nous croire ?  Pierre Martyr qui nie que ceux qui ne se marient pas sont semblables aux anges, ou au Christ qui le déclare ?
Mais il dit qu’il ne convient pas plus aux anges de ne pas se marier qu’aux pierres de ne pas voir. Il en est bien ainsi.   Mais, cependant, comme on ne compare pas pour rien un aveugle, un sourd ou un muet à une pierre ou à un tronc d’arbre, on a d’excellentes raison de comparer à des anges ceux qui excellent par la continence et la pureté.  Les anges n’ont pas de visage non plus. Et pourtant, saint Luc n’a pas craint de dire (Actes 6) : « Ils virent que le visage de Stéphane était semblable à celui d’un ange. »  Que cela suffise pour la première raison.  J’ajoute une autre raison de la part du vœu lui-même.  Il est préférable et plus agréable à Dieu de faire quelque chose par vœu que sans vœu.  Donc, non seulement il est permis de vouer sa continence à Dieu, mais il est avantageux de le faire.  L’antécédent est confirmé par les arguments suivants.  Le premier.  L’Écriture nous exhorte à faite des vœux : « Faites des vœux et remplissez-les ! »
 Convaincu par ce témoignage, saint Augustin, en plusieurs endroits, exhorte les chrétiens à faire des vœux, comme dans l’épitre 45 à Armentarius, l’épitre 89 à Hilaire, l’épitre 143 à Julien, dans le livre de la bonne viduité, chapitre 13, et dans le livre de la sainte virginité, chapitres 29 et 30, danns les psaumes 75 et 99, et ailleurs.  Or, s’il était préférable d’agir sans vœu, le Saint Esprit nous aurait trompés, ce qui est impossible.  Il est donc préférable d’agir avec un vœu.
Le second.  Une œuvre est meilleure et plus agréable à Dieu si elle procède de plusieurs vertus ou d’une plus grande vertu.  Se contenir sans vœu est le propre de la tempérance.  Se contenir par vœu est le propre de la tempérance et de la religion, la religion étant de loin plus noble que la tempérance.  Donc, se contenir par vœu est meilleur et plus agréable à Dieu que se contenir sans vœu.  Voilà pourquoi saint Augustin (au chapitre 8 du livre sur la sainte virginité) dit : « Nulle fécondité, même celle de la chair, ne peut se comparer à la sainte virginité.  Elle n’est pas honorée non plus   en tant que virginité,  mais parce qu’elle est consacrée à Dieu.  Et bien qu’elle soit conservée dans la chair,  elle se conserve esprit  par la religion et la dévotion, et est, à cause de cela, une virginité spirituelle du corps, qu’elle voue à Dieu et qu’elle garde par la continence de la piété. »
 Le troisième.  Ce qui se fait par voeu, se fait avec une plus grande charité et une plus grande générosité que ce qui se fait sans vœu.  Car, celui qui offre quelque chose sans vœu offre uniquement  à Dieu une œuvre;  mais celui qui offre une œuvre à Dieu,  et qui l’accomplit par vœu, offre à Dieu et l’œuvre et la liberté.  C’est ce qu’explique saint Anselme (dans son livre des comparaisons, chapitre 84) : « Celui qui donne l’arbre avec les fruits donne plus que celui qui ne donne que les fruits. »
Le quatrième.   Meilleur est ce qui se fait par une volonté confirmée dans le bien plutôt que ce qui se fait sans ce genre de volonté;  comme il est pire de pécher par une volonté confirmée dans le mal, que par faiblesse. Et comme ceux qui pèchent avec une volonté confirmée dans le mal sont semblables à des condamnés, ceux qui agissent avec une volonté confirmée dans le bien sont semblables à des élus.  Le cinquième.   Celui qui s’engage par vœu n’obtient pas uniquement (comme nous l’avons dit)  de faire une œuvre d’une plus grande valeur, mais il se munit contre les tentations du diable, la fragilité, et le désir de changement.  Car, dans les choses qui ne sont pas imposées par les lois, même si elles sont excellentes et les meilleures,  on change facilement d’idée, sous l’instigation du démon, et même sans l’action du démon, par sa propre inconstance.
 Voilà pourquoi nous constatons, que, dans les choses humaines, sont souvent requis les serments pour lier la volonté, afin que, comme une girouette,  ne tourne pas  à tout vent.  C’est ainsi que les soldats, les magistrats, les époux et beaucoup d’autres doivent promettre de faire ce qu’ils doivent faire.  Écoutons là-dessus saint Augustin (épitre 45 à Armentarius), qui dit : « Ne te repends pas d’avoir fait un vœu ! Réjouis-toi plutôt qu’il ne te soit désormais plus permis de faire ce qu’il t’était permis de faire pour ton plus grand malheur. »  Et plus bas : « Heureuse nécessité qui force à choisir les meilleures choses ! »
                                                CHAPITRE 29
                      On réfute la première objection des adversaires
Il ne nous reste donc plus qu’à réfuter les objections de nos adversaires.   La première est commune à tous, et est tirée des Écritures qui enseignent que les œuvres bonnes ne doivent pas être faites avec la nécessité qu’apporte avec elles les vœux, mais volontairement et librement.  Or, est meilleur, plus louable  et plus agréable à Dieu ce qui est plus volontaire et plus libre, et donc moins nécessaire.   Psaume 53 : « Je ferai librement pour toi un sacrifice. »  Un Corinthiens 7 : « Je ne vous dis pas cela pour vous tendre un piège. »  C’est-à-dire je vous exhorte à la continence, mais pas au  vœu.  Et (2 Corinthiens 9) : « Que chacun donne comme il le voudra, non en rechignant, ou en se sentant contraint de donner, car Dieu aime celui qui donne avec joie. »  Et à Philémon : « Que le bien que tu fais soit volontaire, non  forcé. »  Saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien, avant le milieu) : « Le Christ aime d’autant plus les vierges qu’elles donnent ce qui ne leur avait pas été commandé par un précepte. »  Et saint Prosper (livre 2 de la vie contemplative, dernier chapitre : « Nous devons pratiquer l’abstinence et le jeûne en ne nous plaçant pas sous la nécessité de jeûner, pour que nous ne fassions pas une chose volontaire à contre cœur, mais avec ferveur. »
Je réponds qu’il y a trois sortes de liberté, et trois sortes de nécessité.  Une de la part de ce qui est du, que ce du provienne d’un précepte, d’un vœu, ou d’ailleurs.  Car, nous disons que nous faisons librement ce que nous  ne sommes pas obligés de faire, et nécessairement ce que nous sommes tenus de faire.  Une autre de la part de la détermination naturelle de la volonté.  Nous disons là agir librement dans les choses où nous n’avons pas une volonté déterminée à une seule chose.  Et cette liberté est celle qu’on appelle libre arbitre.  La troisième, de la part de la coercition, qu’elle soit absolue comme quand on est entrainé violemment là où on ne veut pas aller, ou morale, ou une coercition conditionnée, comme quand quelqu’un ne veut pas faire quelque chose, et ne le fait pas volontiers, mais le fait quand même , contraint qu’il est par une peur humaine ou servile.
La première des trois libertés n’est pas nécessaire  pour  faire une œuvre louable ou agréable à Dieu.  La nécessité contraire n’entre pas non plus en conflit avec la louange et le mérite de l’œuvre bonne.  Car, toujours, à moins d’un empêchement qui vienne d’ailleurs, une œuvre commandée est meilleure qu’une œuvre non commandée, une œuvre vouée qu’une œuvre non  vouée.  L’autre liberté est nécessaire à la louange d’une bonne œuvre, mais elle non plus ne répugne pas au précepte, et encore moins au vœu.  Car, il peut arriver que quelqu’un fasse des œuvres commandées avec autant d’empressement et de zèle qu’un autre ne fait des œuvres commandées.  Voilà pourquoi David disait dans le psaume 118 : « Je me suis délecté dans la voie de tes témoignages  comme dans toutes les richesses. » Et : « Comme elles sont douces tes paroles, au-dessus de ce qu’il y a de meilleur en moi. »
Pour une raison semblable, il peut arriver, ou plutôt il arrive ordinairement,  que ce qui se fait en vertu d’un vœu soit fait avec plus d’empressement et de ferveur que ce qui est fait sans vœu.  Car, le vœu engendre par lui-même la joie, quand il procède d’une grande charité (1 paral, dernier) : « Le peuple s’est réjoui quand il a spontanément fait des vœux, parce qu’il les offrait de tout son cœur au Seigneur. »  Si quelques-uns accomplissent tristement ce qu’ils ont promis, cela vient du vice de l’homme, et  de la nature du vœu.  Mais on ne peut pas en déduire que ce qui se fait sans vœu est meilleur que ce qui se fait par vœu.  Car, comme saint Thomas l’enseigne (dans son opuscule 18, chapitre 12, sur la perfection), on peut accomplir un vœu de trois façons.
Une première.  En faisant joyeusement  ce qu’on est tenu de faire par un vœu. Et alors, sans aucun doute, on mérite plus  que quand on fait  la même chose de la même façon, sans vœu. Une deuxième. En faisant à contre cœur la chose promise par vœu, mais en l’accomplissant quand même volontiers.  Comme quelqu’un qui a fait vœu de jeûner commence à se dégouter du jeûne, et  jeûne avec difficulté et tristesse, au point où si ça ne dépendait que de lui, il ne jeûnerait pas.  Cependant, parce qu’il a fait un vœu, et qu’il lui a  grandement plu de persévérer dans la foi jurée, il a, à cause de cela, surmonté la difficulté par une âme prompte et généreuse.  Celui-ci aussi mérite davantage qu’un autre qui jeûne volontiers sans vœu.  Car comme la religion est plus excellente que la tempérance, il est préférable de remplir librement un vœu de religion   que de jeûner librement en pratiquant la vertu de tempérance.  La troisième.  Quand quelqu’un regrette d’avoir fait un vœu, et ne veut plus le conserver davantage.  Mais comme cela est tout à fait mauvais, on ne peut en aucune façon le mettre en comparaison avec un bien.
À l’aide de ces distinctions, il est facile de donner une réponse aux témoignages qu’on nous oppose.   Au  sujet du psaume 53 (je sacrifierai volontairement), je répons que ce « volontairement » est opposé à la tristesse et à la coercition, mais non à la nécessité qui nait d’un vœu ou d’un précepte.   Au passage des Corinthiens 1, 7 (je ne vous dis pas cela pour vous tendre un piège), qui est censé, selon Pierre le martyr, prohiber les vœux, je réponds qu’il appelle piège (ou nœud coulant) la nécessité qui retient quelqu’un malgré lui, mais pas n’importe laquelle nécessité.  Les vœux, en effet, sont des pièges (ou des nœuds coulants) pour ceux qui font des vœux témérairement, ou bien parce qu’ils sont contraints par d’autres, ou bien parce qu’ils n’ont jamais désiré rien de tel.
Exemple.  On peut dire que le mariage est un piège pour ceux qui se marient témérairement, puisqu’il lie quelqu’un à une personne avec laquelle il ne peut pas vivre; et il devient une occasion de fornication.  Le sens de l’apôtre est le suivant : je vous exhorte à la continence, sans vous obliger à le faire à contre cœur.  Je ne vous persuaderais pas non plus de choisir la continente et d’en faire le vœu témérairement, ce qui serait un piège pour vos âmes, mais pour montrer ce qui est en soi le plus parfait et le plus utile.  Que ceux à qui le Seigneur l’inspirera la choisisse et la promette au Seigneur.
 Que le mot piège, dans ce texte, ne signifie pas vœu ou nécessité absolue,  mais plutôt, comme nous l’avons dit, un vœu fait à contre cœur ou prononcé témérairement, c’est saint Augustin qui l’atteste (chapitre 5 livre sur le bien de la viduité) : « Je ne vous incite pas à cela en vous tendant un piège » veut dire : je ne vous force pas.   Et saint Jérôme (au livre 1 contre Jovinien) : « L’apôtre ne nous tend pas un piège,  et ne nous force pas de faire ce que nous ne voulons pas faire. »  Theodoret, Theophylacte, Anselme et d’autres disent la même chose.
Parlons de la métaphore du laqueus (nœud coulant ou piège). On dit que le nœud coulant lie avec une corde, retient l’homme et l’empêche de tomber.  Il retient pour prendre et pour perdre.  De plus, la Sagesse (proverbe 20), explique longuement la même chose. « C’est une ruine pour l’homme de se vouer à des saints, et de se rétracter ensuite. »  Ce que saint Jérôme traduit par ruine  est en hébreu nœud coulant.  Mais la traduction de saint Jérôme n’est pas mauvaise parce que la fin propre du noeud coulant  est la chute et la ruine.  Donc, pour Salomon, c’est une ruine et un nœud coulant  de ne pas respecter non pas de faire un vœu, mais de faire un vœu et de le rétracter ensuite, ce qui arrive à ceux qui vont des vœux témérairement ou à contre cœur.
Car, ceux-là sont, malgré eux,  retenus par un noeud coulant qui devient pour eux une occasion de faute grave.  Au sujet de cet autre passage de saint Paul (1 Corinthiens 9 : non dans la tristesse ou la nécessité),  je réponds que ce qu’il appelle ici nécessité ce n’est pas la loi, ni un vœu, mais une nécessité humaine qui force l’homme à faire quelque chose qu’il ne veut pas faire.   Car, il parle de ceux qui font l’aumône à contrecœur, ou qui ont honte de ne pas faire ce que font les autres pour ne pas être jugés avares; ou qui n’osent rien refuser à un grand homme comme Paul. C’est de cette nécessité dont parle Paul quand il dit que Dieu aime celui qui donne avec joie.  Car, c’est la nécessité qui nait d’une crainte humaine, qui  est opposée à l’hilarité, et non la nécessité d’un vœu qui naît de la charité.  On répond la même chose à l’autre passage tiré de Philémon.
Au témoignage de saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien), où il dit  que c’est le signe d’une plus grande grâce d’offrir ce qu’on ne doit pas, que de rendre ce qui n‘est pas exigé.  Or, au sujet du point que nous traitions, il y a une grande différence entre la loi et le vœu, car celui qui fait une œuvre non commandée par la loi, même s’il ne fait pas quelque chose de plus digne de louanges, en tant qu’il fait une chose non commandée, qui, comme nous l’avons déjà dit, est, toutes choses égales par ailleurs, meilleure qu’une non commandée, il fait, la plupart du temps, une œuvre plus digne de louanges, pour trois raisons.  La première.  Parce que les choses non commandées sont, la plupart du temps, en elles-mêmes, meilleures que les commandées, car Dieu a prescrit des choses mineures, et a conseillé les plus grandes.   Mais ce raisonnement n’a pas sa place dans le cas du vœu.  Car elles ne deviennent pas plus petites avec le vœu, et plus grandes sans vœu, car c’est le contraire qui est vrai.  Car ce sont les œuvres les plus parfaites qu’on a coutume d’offrir à Dieu.
La deuxième. Car il arrive toujours que celui  qui fait, par charité, des œuvres non prescrites, fasse aussi toutes celles qui sont commandées.  Il donne ainsi plus que celui qui ne fait que les œuvres commandées.  Car, les préceptes sont inclus dans les conseils, non les conseils dans les préceptes.  Mais cela ne se trouve pas non plus dans les vœux.  Car celui qui fait quelque chose sans vœu, n’accomplit pas tous les  vœux. La troisième.  Comme, la plupart du temps, il faut une plus grande motivation  pour entreprendre une œuvre non commandée, que pour une qui ne l’est pas.  Et à cause de cette plus grande motivation, une œuvre non commandée est le fait d’une plus grande grâce qu’une œuvre commandée, comme le dit saint Jérôme.
Mais, du vœu, on ne peut pas dire cela non plus.  Car si une plus grande motivation est requise pour entreprendre une nouvelle œuvre à laquelle on n’est tenue en aucune façon, que pour faire une œuvre ordinaire commandée par le vœu, cette plus grande motivation est surpassée par une motivation plus grande encore, celle qui fut nécessaire pour faire le vœu.  Car, quand un vœu est offert à Dieu spontanément, et devient une chose ardue et difficile, une beaucoup plus grande motivation est requise   pour faire un vœu que de faire quelque chose sans vœu.
Au témoignage de Prosper (livre 2, de la vie contemplative, dernier chapitre), où il dit qu’on doit s’abstenir de façon à ne pas nous soumettre à la nécessité, je réponds que la nécessité dont parle Prosper  n’est pas une nécessité de la loi ou du vœu, mais la nécessité de la crainte humaine qui engendre la tristesse. Voilà pourquoi le même auteur ajoute : « de peur de ne pas faire une chose volontaire de bon cœur, mais à contre cœur ».
                                     CHAPITRE 30
                     On réfute la deuxième objection
La quatrième objection ils la tirent de textes de l’Écriture qui ordonnent de se marier à ceux que fait souffrir la libido. Car, il s’ensuit que le voeu de continence perpétuelle est quelque chose de téméraire, et donc illicite, puisque personne ne sait combien de temps il peut vivre sans en être importuné. « Que ceux qui ne se contiennent pas se marient ».  « Il est préférable de se marier que de brûler. »  La même chose au même endroit : «À cause de la fornication, que chacun ait sa propre femme ! »  Et c’est surtout en 1 Timothée 5 qu’il le dit : « Je veux que les plus jeunes se marient, qu’elles soient mères de famille, qu’elles procréent des enfants! »  Ils semblent pécher contre ce précepte ceux qui persuadent les jeunes filles de prendre le vœu de continence, ou  qui le leur permettent. »
 Je réponds à cet argument de trois façons.  La première.  À aucun endroit, l’apôtre n’invite au mariage ceux qui ont des tentations d’ordre charnel.  Seuls ceux qui vivent de façon incontinente et qui se polluent par leurs désordres.  La seconde.  Ceux qui vivent de façon incontinente il ne leur ordonne pas de se marier par un commandement impérieux. Il ne fait que leur montrer un remède facile, qui est comme un port où trouver refuge. Il les laisse libres, cependant, d’aspirer à de plus hautes choses.  J’affirme ensuite que ce conseil, cette permission ou ce remède l’apôtre ne le donne pas à ceux qui ont voué la continence, mais seulement aux hommes non mariés et qui sont encore libres de le faire.
 Au sujet du premier point, il faut savoir que nos adversaires estiment que le mariage est nécessaire de droit divin, pour ceux qui brûlent.  Par brûlure, ils entendent des tentations de la chair non brèves ou légères, mais intenses et prolongées, qui troublent la conscience, même si elle n’y consent pas.  C’est ce qu’enseigne Luther dans son épithalame, où il reproche sévèrement à saint Jérôme de ne pas s’être marié, quand il éprouva  de grandes tentations charnelles, comme il le raconte dans son épitre 22 à Eustochius. Il va même plus loin.  Il  l’accuse de pélagianisme, parce qu’il aurait estimé, par ses seules forces, et sans la grâce de Dieu, pouvoir vaincre les tentations.  Ce qui est une calomnie forgée de toutes pièces, puisque ce même saint Jérôme dit qu’il s’était fait une habitude  de demander instamment à Dieu par ses prières  la victoire contre les tentations.
 Mais au sujet de la brulure, Calvin et Pierre le martyr enseignent la même chose que Luther dans leur commentaire de 1 Cor 7.   Calvin distingue même trois sortes de tentations de la chair.  Une qui tente pour vaincre, et celle-là représente le pire genre de brûlure.  Ce qui est très vrai.  Une qui tente d’une telle façon qu’elle est aussitôt énergiquement repoussée, comme des javelots qui ne pénètrent pas à l’intérieur et qui ne provoquent aucun trouble de l’âme.  Ces tentations ne sont pas proprement des brulures, et pour elles, le mariage n’est pas nécessaire.  Ce que nous concédons. La troisième.  Elle est une sorte intermédiaire. Quand quelqu’un ne consent pas totalement à la tentation, mais quand pénètrent quand même à l’intérieur les javelots et sont ressenties en même temps la délectation de la chair et le trouble de l’âme.  Ces tentations il les appelle  des brulures proprement dites.  Et il déclare que ceux qui les ont sont appelés au mariage, au nom de la loi, et qu’ils pèchent s’ils ne se marient pas.
 Il faut observer là que ce n’est pas sans fraude que Calvin affirme que cette troisième sorte de tentation apparait quand quelqu’un ne consent pas pleinement, et quand pénètrent les glaives à l’intérieur. Car, il a décidément placé ce troisième genre pour brouiller les cartes.  Il aurait du dire qu’il y a une troisième sorte, à savoir quand quelqu’un ne consent en aucune façon, mais sent quand même les brulures de la tentation.  Car, celui qui consent, pleinement ou pas, appartient au premier genre selon leur opinion, puisqu’ils ne font pas de différence entre le péché mortel et le péché véniel, et enseignent que tout mouvement de la chair, même involontaire, est un péché mortel.   C’est même leur principe fondamental, duquel ils déduisent que ceux qui sont fortement tentés doivent nécessairement prendre femme.  Car, comme l’enseigne Luther dans son épithalame, les combats contre la chasteté ne sont pas semblables aux autres, puisque celui qui tolère la faim ou la soif ou d’autre chose du même genre ne pèche pas.  Mais la brulure de la libido ne peut pas être sans péché, puisqu’est prohibé tout mouvement de concupiscence.   Sur ce fondement Calvin, Pierre martyr et tous les autres s’entendent.  Mais ce fondement est pourri, et l’édifice qu’ils ont élevé dessus peut facilement s’écrouler.   On discutera ailleurs du fondement.  Que suffisent, pour l’instant, les témoignages de saint Paul et de saint Augustin.   Aux Romains 7 : « Si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais. »   Saint Augustin (livre 1, chapitre 25, de la cité de Dieu) : « Si cette désobéissance qui vient de la concupiscence qui habite encore dans nos membres moribonds, et qui se meut comme par sa propre loi  en marge de la loi de la volonté, est sans faute dans le corps d’un dormeur, à combien plus forte raison  le sera-t-elle dans le corps d’un non consentant. »  Mais de cela ailleurs.
 Mais revenons à notre propos.  Nous avons affirmé que l’apôtre incite les hommes à se marier non seulement à cause des tentations sensuelles ou de la libido, et qu’il faut entendre par brulure  non les tentations, mais l’incontinence, de sorte que le sens des paroles serait : si quelqu’un hésite entre forniquer et se marier, il fait bien en se mariant, parce qu’il est préférable de se marier plutôt que de brûler, c’est-à-dire forniquer.
 Nous prouvons notre interprétation. D’abord, par les paroles antérieures.  Car, quand l’apôtre était sur le point de dire : il est préférable de se marier, il avait dit juste avant : s’ils ne se contiennent pas, qu’ils se marient, montrant là que par brulure il entendait l’incontinence.   Il donne, en effet,  la raison pour laquelle doivent se marier ceux qui sont incontinents, laquelle est qu’il est préférable de se marier plutôt que de brûler, c’est-à-dire de ne pas se contenir. Il appert donc que l’incontinence ne signifie pas la tentation, mais la fornication.  La même chose se dégage clairement des paroles de ce même chapitre : « Il est bon pour l’homme de ne pas toucher à la femme. Mais, à cause du danger de fornication, que chacun ait sa propre épouse ! »  Car l’apôtre ne dit pas que chacun doit avoir une épouse pour fuir la tentation, mais pour fuir la fornication.  C’est-à-dire que tu aies  une épouse non pas si tu es tenté, mais si tu es sur le point de forniquer.
 On le prouve, troisièmement, par les paroles suivantes : « Retournez-y de peur que Satan ne vous incite à forniquer. »  Ici encore, ce n’est pas à  cause de la simple tentation que l’apôtre ordonne aux époux de se rendre mutuellement ce qui leur est du,  mais à cause de l’incontinence.  Le mot brulure est donc pour Paul un synonyme d’incontinence.  On le prouve, quatrièmement, par 1 Timothée 5 : « Je veux que les plus jeunes se marient.  La raison qu’il en donne n’est pas la tentation, mais l’incontinence : « Il ne faut pas donner aux Gentils  une raison de médire »  C’est-à-dire de peur de donner aux païens une occasion de parler en mal de la vie et des mœurs des chrétiens. ». Or, les païens ne peuvent pas médire des chrétiens à cause de leurs tentations occultes, mais seulement à  cause de crimes manifestes.  Voilà pourquoi il ajoute après : « Car quelques-uns se sont détournés vers Satan. »
La cinquième raison est l’exemple de l’apôtre lui-même (2 Corinthiens 12) : « Il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de satan qui me gifle.  J’ai demandé à Dieu trois fois de me l’enlever. »  Ce n’est pas vrai ce qu’a écrit Pierre le martyr (dans son livre sur le célibat et les vœux), à l’effet que l’apôtre aurait demandé à Dieu de ne plus l’avoir, ou de ne plus en être gravement incommodé, car l’apôtre dit, au contraire, qu’il n’a pas reçu la grâce qu’il demandait, car il ajoute : « Le Seigneur m’a répondu : ma grâce te suffit, car, c’est dans la faiblesse que  la vertu est rendue parfaite. »
 Voilà  pourquoi saint Augustin (traité 7 sur saint Jean, et sermon 53 sur les paroles de Dieu, et souvent ailleurs),   donne saint Paul comme exemple pour montrer qu’il est souvent utile que Dieu n’exauce pas nos prières.  En conclusion.  L’apôtre était tenté de nombreux et continuels aiguillons de la chair, mais,  il ne s’est pas marié.  Brûler ce n’est donc pas être tenté. Autrement, saint Paul serait condamné  par son propre jugement.  Mais Pierre le martyr ajoute qu’il n’est pas nécessaire d’entendre ce passage de saint Paul au sens d’une tentation de la chair, puisque saint Jean Chrysostome entend par aiguillon de la chair une douleur de tête, et d’autres les persécutions qu’il a subies.   Mais cela révèle une grande négligence ou une grande impudence, puisque saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, Oecumenius, réfutent longuement ceux qui par aiguillon de la chair entendent un mal de tête lancinant. Il y a pourtant quelque chose de vrai dans ce qu’il dit : ces pères ont vu dans ces mots des persécutions acharnées et constantes.  Mais saint Augustin, dans le psaume 58, sermon 2, affirme que l’aiguillon signifie quelque chose qui cause de la honte et de la gêne, et ce que personne n’aurait osé dire d’un si grand apôtre, si lui n’avait pas eu honte de le rapporter.  Or, il est certain que la honte n’est ni un mal de tête, ni  des persécutions.
 Voilà pourquoi, même s’il voit dans ces mots imagés des persécutions, Theophylacte  ajoute qu’il suffirait de les entendre des tentations de la chair : « Ou, ce qui est plus satisfaisant encore, des incitations vénériennes, qui le pressaient énormément. »  Sedulius, Anselme et saint Thomas nous enseignent comment on pourrait l’interpréter.  Et la métaphore de la gifle nous persuade de la même chose.  Car, comme un soufflet ne blesse pas tant la chair que la fierté, la tentation charnelle à laquelle on ne consent pas fouette plus la pudeur qu’elle ne cause de dommages.  Il semble donc que soit reçue communément l’interprétation selon laquelle l’aiguillon de la chair signifie les tentations charnelles.
 Mais comme ce passage ne parvient pas tout à fait à convaincre parce que différentes sont les interprétations des saints pères, nous allons citer deux passages plus clairs.  Le premier (1 Corinthiens, 9) : « Je châtie mon corps et je le réduis en esclavage. »  Et, aux Romains 7 : « Moi, aussi, par l’esprit je sers la loi de Dieu, et par la chair la loi du péché. » Et : « Je ne fais pas le bien que je veux faire, mais je fais le mal que je ne veux pas faire. »  Et : « Je sens une autre loi dans mes membres, qui répugne à la loi de mon esprit. »  Ces paroles, saint Augustin dans plusieurs passages (et surtout dans le livre 2 de ses rétractations chapitre 1, et livre 6, chapitre 11 contre Julien) déclare qu’elles doivent s’entendre de saint Paul et de tous les justes.  Mas même Luther (dans ses assertions 2, article) affirme qu’on ne peut pas comprendre autrement, et il le prouve par les terribles tentations de la chair que les saints on eues à surmonter :
« Que lisons-nous d’autre  dans les vies des saints que  des exercices pénibles, des veilles, des oraisons, des jeûnes avec lesquels, comme avec des engins spirituels, ils combattaient contre la chair, les concupiscences de leur corps.  Qui ne s’est pas lamenté, qui n’a pas accusé la concupiscence, qui n’a pas souffert de sa chair ? Quand donc, parmi tous les autres, nous voyons dans ces sommités la chair lutter contre l’esprit, je me réjouis avec eux de la loi de Dieu selon l’homme intérieur, et je vois aussi une autre loi  etc.   Pour quelle raison voudrions-nous voir ces choses non dans la personne des apôtres mais des impies, ces choses que, dans les personnes les plus pieuses, nous voyons être combattues par de si grands efforts ? »  Et plus bas : « À chaque fois que saint Jérôme se plaignait des incendies libidineux, moi aussi, alors je jeûnais sévèrement.  Et il luttait contre eux par un dur travail, c’est-à-dire quand il n’était pas encore baptisé, mais était déjà un grand saint. »
 Les choses vraies qu’il raconte ici sont manifestement en contradiction avec ce qu’il enseigne de saint Jérôme dans son épithalame. Car,  ici, il se joint à  Paul et à tous les saints, qui ont résisté énergiquement à la concupiscence.   On doit en conclure soit que, pour saint Paul, brûler ne signifie pas être tenté, mais tomber dans le péché, soit que saint Paul et tous les saints ont  péché contre Dieu, puisqu’ils ont éprouvé les brulures de la tentation, et  ne se sont  pas mariés.
 Se présentent, en sixième lieu, les témoignages des pères.   Clément d’Alexandrie (livre 4 des stromates, au tout début)  a attribué aux sectateurs de l’hérésiarque Basilide l’explication que nos adversaires ont embrassée. Voici comment ils interprètent le « il vaut mieux se marier que de brûler » de saint Paul. Ils enseignent que l’apôtre a dit, de peur que tu ne précipites ton âme dans le feu, à force de résister et de craindre pendant la nuit pour ne pas sortir de la continence.  Car, quand elle est occupée à résiste, l’âme est divisée par l’espérance ».  « Prends donc une femme robuste.  (c’est ce qu’Isidore dit dans ses morales) pour ne pas t’éloigner de la grâce de Dieu, et quant tu éteindras le feu dans une semence, tu prieras avec une bonne conscience. »   Et un peu après : « J’ai tiré ces paroles des Basilidiens condamnables. » Voici le commentaire  de ce passage qui est attribué à Ambroise : « Quand la volonté consent à la brulure de la chair, elle est brûlée. Car, éprouver des désirs  et ne pas être vaincus par eux  c’est le propre d’un homme illustre et parfait. »
 Saint Jérôme dans son apologie pour les livres contre Jovinien, écrit : « S’ils ne peuvent pas se contenir et s’ils veulent éteindre le feu de la libido par la fornication plutôt que par la continence, il est mieux pour eux de se marier que de brûler ».  C’est-à-dire qu’il vaut mieux être un mari qu’un fornicateur.  Saint Augustin (dans son livre sur la sainte virginité, chapitre 34) : « Ils feraient mieux de se marier plutôt que de bruler », c’est-à-dire qu’ ils soient dévastés plutôt  dans cette concupiscence,  par la flamme occulte de la concupiscence, ceux qui se repentent de la profession  et ont honte de la confession. »  Le même saint Augustin (bien conjugal, chapitre 10) : « Il me semble que, en ce temps, seuls ceux qui ne pouvaient se contenir avaient l’obligation de se marier, selon  cette sentence de l’apôtre : « que ceux qui ne se contiennent pas se marient, car il vaut mieux se marier que  brûler. »
 Pierre le Martyr a cru que saint Jean Chrysostome avait entendu ce mot de la seule tentation, mais il n’en est pas ainsi.  Car voici comment saint Jean Chrysostome l’explique  en quelques mots : « L’apôtre veut signifier quelle grandeur a la concupiscence tyrannique.   Voilà donc ce qu’il dit : si tu souffres une grande violence, si tu es incendié par la flamme libidineuse, libère-toi, pour ne pas tomber,  par de grands labeurs et par la sueur de ton front. »  Il voit ici dans la brulure la tentation qui conduit à la fornication, l’infirmité cédant à l’ardeur des passions.  Voilà ce que signifient les mots tyrannie, violence, chute.  Voilà donc ce qu’est le sens selon saint Jean Chrysostome : si tu as une âme fragile et si la force de la tentation te presse, au point d’en arriver à forniquer, il est préférable que tu te maries.   Ce sens il l’exprime plus clairement encore dans son livre sur la virginité.  Et Theodoret qui a suivi saint Jean Chrysostome s’exprime ainsi : « Il n’appelle pas brulure la violence de la cupidité, mais l’esclavage de l’âme.et l’inclination vers ce qui est le plus mauvais.   Ce qu’il dit est à peu près comme suit : « Vous que l’habitude matrimoniale n’oblige pas encore, et vous qui étiez mariés autrefois  mais avez été séparés par la mort, il est préférable que vous choisissiez la continence.  Si vous ne pouvez pas supporter l’impétuosité de la concupiscence, et si vous  apportez à la guerre une âme pessimiste et défaitiste, et si vous  ne vous portez pas avec joie et empressement vers les choses belles et honnêtes, aucune loi ne vous empêche de vous marier. »
 De plus, pour omettre les autres, saint Thomas, dans son commentaire de ce passage, non seulement affirme que la brulure est l’incontinence, mais il le prouve par le sens naturel du mot.   Car bruler ne signifie pas avoir chaud, ce qui convient à la tentation, mais être détruit par la chaleur, et souffrir des dommages, ce qui ne convient pas du tout à ceux qui ne sont que tentés, mais plutôt à ceux qui sont vaincus par la tentation.  Voilà pourquoi saint Pierre (1 Pierre 1), et la Sagesse 3, comparent  les justes placés en tentation à de l’or qui est éprouvé par le feu.  Or, on dit que l’or dans le feu est éprouvé,  non consumé. Et même s’il est grandement chauffé, il ne subit aucun dommage.  La paille, elle,  s’enflamme et est consumée,  et elle est réduite en cendres.
 J’ajouterai maintenant une autre solution. Même si par brulure l’apôtre signifiait tentation, nos adversaires ne pourraient en tirer aucun avantage.  Car, dans aucun des passages qu’ils citent ne se trouve  un vrai précepte de mariage, mais seulement une autorisation.  Est faux, en effet, ce que Calvin dit (livre 4, chapitre 13, verset 17 de ses institutions) à savoir que ceux qui brûlent sont obligés de se marier en vertu d’un précepte sur.  D’abord la forme de parler n’est pas impérative.  Car l’apôtre ne dit pas : vous qui ne pouvez pas vous contenir, mariez-vous, mais que ceux qui ne se contiennent pas se marient ! Il n’a pas dit : à cause de la fornication, prenez femme, mais qu’il se marie !  De plus, comme Chrysostome le note, l’apôtre ajoute des raisons pour que  ce qu’il dit ne semble pas être une loi.  Et cette raison n’a pas pour conclusion qu’il est nécessaire de se marier, mais qu’il est licite et permis de le faire.  Car, même s’il vaut mieux se marier plutôt que brûler, il existe, toutefois, une solution mitoyenne,  la continence, et l’extinction du feu de la libido par la patience  et les larmes.  C’est comme si quelqu’un qui  fuit parce qu’il ne veut pas se battre, disait qu’il vaut mieux fuir que d’être tué. Ce motif  permettrait la fuite, mais ne le commanderait pas.  Car, il n’interdirait pas de se battre et de vaincre, ce qui vaut mieux que fuir et ne pas être tué.
 Troisièmement.  L’apôtre qui a dit « que ceux qui ne se contiennent pas se marient »  a dit aussi : « Vous retournerez à la même chose. »  Il avertit là les incontinents célibataires de se marier à cause du danger de fornication.  Il avertit aussi les conjoints incontinents, à cause du péril d’adultère,  de revenir à l’acte conjugal après s’en être détournés pendant un certain temps. Or, par ces derniers mots, l’apôtre n’a rien commandé;  il n’a fait que permettre.  Car, voici ce qu’il ajoute : « Je dis cela comme une concession, non comme  un ordre. »   Donc, dans les paroles précédentes, il n’y avait pas d’ordre, mais seulement de la condescendance et une permission. Et c’est ce qui nous fait comprendre que même dans : « que chacun ait sa propre femme », il n’y a  pas de précepte.  Car, ou il parle de ceux qui s’étaient déjà mariés, comme le veut saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien),  et avec raison car Paul dit après : « Je dis aux célibataires et aux veuves, qu’il est bon pour eux de ne pas se marier. »  Ou il parle de ceux qui n’étaient pas encore mariés, comme le soutient Pierre martyr.  S’il parle de ceux qui étaient déjà mariés, le sens sera : que chacun ait une femme. C’est-à-dire que chacun la garde et la connaisse. Mais cela je le dis par condescendance, non comme un ordre.  Car  c’est la même chose que : « retournes-y, et que chacun ait sa propre épouse. »
 S’il parle de ceux qui ne sont pas encore mariés,  il en sera de même : que chacun ait une femme pour pallier à la fornication; et que ceux qui ne se contiennent pas se marient,  ce qui est une permission, non un ordre, comme nous venons de le démontrer.   Bien plus, on tire un argument de la majeure.  Car, si là où il y a un danger d’adultère Paul ne prescrit pas l’acte conjugal mais le permet,  il  le prescrira encore moins là où il n’y a qu’un danger de fornication.   Quatrièmement.  Si, dans les paroles de Paul, on pouvait trouver un précepte ordonnant le mariage, on le verrait surtout dans l’épitre à Timothée (1, 5) : « Je veux que les plus jeunes se marient. »
 Mais il est facile de prouver qu’il n’y a là aucun précepte.  Car, d’abord, elles militeraient contre les paroles du même apôtre (1 Corinthiens 7) : « Je voudrais que vous soyez tous comme moi ! », c’est-à-dire continents.   Car ces deux affirmations : je veux que tous se contiennent, et je veux que tous se marient ne vont pas ensemble.  Car, c’est comme s’il disait : je veux que tous soient continents, et je ne veux pas que tous soient continents.  L’apôtre ne commande ni l’un ni l’autre, mais il ne désire véritablement qu’une seule chose : que tous soient continents comme lui.  Et, pourtant, cédant à la faiblesse humaine, il en permet une autre : le mariage.  De plus, saint Paul ne dit pas seulement : « Je veux que les plus jeunes se marient, mais il ajoute : « qu’elles procréent des fils, qu’elles soient mères de famille. »  Si donc quand il dit « je veux que les plus jeunes se marient, il prescrit le mariage, il donne aussi un ordre quand il dit qu’il veut qu’elles aient des enfants et soient mères de famille.  En conséquence, si elles sont stériles elles pècheront contre une loi apostolique, ce que personne, à moins d’être fou, ne concéderait.
 J’ajoute enfin, des témoignages des pères. Au sujet du texte « que ceux qui ne se contiennent pas se marient », nous avons déjà entendu Theodoret qui l’explique en disant : « aucune loi ne vous empêche de contracter un mariage. » Et c’est aussi ce que les autres enseignent.  Et voici comment explique le « je veux que les plus jeunes se marient » : « Je le veux parce qu’elles  le veulent. » Et plus bas : « Prescrit-il le mariage ? Absolument pas. Mais il ne l’interdit pas non plus. »  Et plus bas encore : « Il l’interdit aux veuves de cette sorte (le vœu de continence)  et les en détourne, non pas parce qu’il ne veut pas que les jeunes veuves restent veuves, mais parce qu’il leur interdit l’adultère. »  Saint Ambroise commente l’un et l’autre passage dans son livre sur les veuves : « Je ne crois pas qu’il ait pensé qu’il fasse détourner les jeunes veuves  du désir de rester veuves, surtout parce qu’il a dit : il vaut mieux se marier que brûler.
  Car c’est comme leur présentant un remède qu’il les a persuadées de se marier, pour que soit assainie celle qui était sur le point de périr.  Il n’a pas donné un ordre que doivent suivre la chasteté et la continence. »  Saint Jérôme (épitre 11 à Ageruchia sur la monogamie) : « L’apôtre veut un autre mariage quand il dit: je veux que les plus jeunes se marient. Car il préfère la bigamie à la fornication, par condescendance, il va de soi, non par ordre. » Saint Augustin : (livre sur le bien de la viduité, chapitre 8) : « En disant « je veux que les plus jeunes se marient », il recommande, par l’autorité et la sobriété apostolique, le bien des noces, mais sans faire un devoir de procréer à celles qui détiennent le bien de la continence, et sans l’imposer comme une règle à suivre. » Et un peu avant : « Ils ont dit la même chose de « que ceux qui ne sont contiennent pas se marient » : il montre un remède, il n’impose pas une loi. »
 Présentons maintenant la troisième solution.  Je dis donc que toutes ces choses que nous objectent les adversaires doivent s’entendre comme une permission, comme nous l’avons prouvé, ou un précepte, comme le veulent nos adversaires; et qu’elles ne se rapportent qu’aux hommes libres  de se marier, et non à ceux  qui sont liés par des vœux.  Car on ne peut pas correctement dire de celui qui a fait  le voeu de continence : que celui qui ne se contient pas se marie; car il est préférable de se marier plutôt que de brûler. Car l’un et l’autre, pour eux, est mauvais, brûler et se marier. Bien plus, il est pire de se marier, comme le réclament les adversaires, quand on a fait un vœu solennel. Car, celui qui brûle,  ou il ne pèche pas si la brulure ne signifie que la tentation, ou il pèche seulement contre la tempérance et contre le vœu s’il signifie une fornication.  Mais celui qui se marie après des vœux solennels, contracte, il est vrai, un véritable mariage, mais, pour ainsi dire, il pèche davantage, que celui ou celle qui fornique, car il se rend impuissant à conserver son vœu, ce que ne fait pas celui ou celle qui fornique.
 Deuxièmement, à  celle qui a un homme, dont, parce qu’il est toujours malade ou toujours absent,   elle ne peut pas obtenir  son devoir conjugal, on ne peut pas dire, même si  le feu de la concupiscence la brûle : si tu ne te contiens pas, marie-toi, car il est préférable de se marier plutôt que de brûler. Mais il est nécessaire de lui dire qu’elle doit conserver la foi donnée à son mari, et qu’elle doit, par le jeûne et les prières,  lutter contre les tentations.  Ce que même nos adversaires n’oseraient pas nier.   L’apôtre n’a donc pas dit ces paroles à tous ceux qui brûlent, mais seulement à ceux qui sont libres parce qu’ils ne se sont pas encore mariés, ou parce qu’ils sont devenus libres de se marier de nouveau par la mort de leurs conjoints.  Et si ceux qui ont promis la fidélité à leurs conjoints se sentent liés,  pourquoi ne se sentiraient pas liés eux aussi, ceux qui se sont offerts à Dieu par vœu ?
 Troisièmement.   Parmi les pères, voici saint Ambroise (à la vierge tombée, chapitre 5) : « Quelqu’un dit : il vaut mieux se marier plutôt que de brûler.   Cela est dit pour celle qui n’a pas encore fait de promesse, qui n’a pas encore reçu le voile. Car, celle qui a choisi  le Christ pour époux, et qui a reçu le saint habit, est déjà mariée, car elle s’est unie à un homme immortel. Et si elle voulait se marier selon la loi commune du mariage, elle commettrait un adultère, et deviendrait servante de la mort. »  Saint Jérôme (dans le livre 1 contre Jovinien) : « Si la vierge se marie, elle ne pèche pas.  Mais non celle qui s’est dédiée une fois pour toutes au culte de Dieu.  Car, si l’une d’entre elles se mariait, elle serait condamnée, parce qu’elle a rendu nulle la foi première.   Car, les vierges qui se marient après s’être consacrées à Dieu ne sont pas tant des adultères que des incestes. » Saint Augustin (dans son livre des époux adultérins, chapitre 15) écrit : « À ceux qui ne peuvent se contenir, il convient de se marier, et ce qui convient est aussi permis.  Mais à celles qui ont voué la continence, cela n’est ni permis, ni convenable. » Et (dans le livre du bien de la viduité, chapitre 8) : « Que ceux qui ne se contiennent pas se marient, avant d’avoir fait profession religieuse, avant d’avoir fait vœu de continence.  Car, s’ils ne l’observent pas ce vœu, ils se seront condamnés en toute justice. »
  Saint Grégoire (livre sur la pastorale, par 3, sur l’admonition) : « Il est écrit qu’il vaut mieux se marier plutôt que de brûler, et que tous  ont accès au mariage sans commettre de  faute, à condition, toutefois, de ne pas avoir fait de meilleurs vœux. »  Saint Jean Chrysostome (dans son livre sur la virginité, chapitre 39) : « Il donne à la vierge plein pouvoir pour se marier, si elle le veut, mais il accuse sévèrement  celle qui, après  la mort de son mari, s’était consacrée à Dieu  et qui s’était remariée par la suite, comme ayant violé la foi donnée à Dieu.  Ce n’est pas donc pas à elles, mais aux autres qu’il a dit : si elles ne se contiennent pas, qu’elles se marient, car il vaut mieux se marier que  brûler. » De même saint Jean Chrysostome (homélie 18 sur la première épitre aux Corinthiens)  en commentant la phrase de saint Paul : « si la vierge se marie, elle ne pèche pas » dit : « Il ne parle pas de celle qui avait choisi pour elle la virginité, car elle aurait péché. » Enseignent la même chose Theodoret,  Theohylacte, Oecumenius, au même endroit, et Épiphane (hérésie 61.)
                                              CHAPITRE 31
                             On réfute la troisième objection
 La troisième objection, qui est la plus grande de toutes, est tirée des passages qui enseignent que la continence est un don de Dieu, qui n’est pas du à tous.  Même si nous avons déjà brièvement réfuté cette objection dans la dispute sur le célibat des prêtres,  nous prendrons la peine ici de la réfuter avec beaucoup plus de précision.  Il y a quatre textes principaux.  Celui de la Sagesse, 8  « Personne ne peut être continent à moins que Dieu ne le donne (8) ». Celui de Jésus en Matthieu 19 : « Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux à qui Dieu le donne. »  Et plus bas : « Que celui qui peut comprendre comprenne ! » Un autre de saint Paul (1 Corinthiens 7) : « Je veux que tous soient comme moi, mais chacun reçoit de Dieu un don qui lui est propre, un celui-ci, un autre celui-là. »  Et plus bas : « Celle qui, étant libre de disposer d’elle-même et sans y être contrainte,  a pris dans son cœur la ferme résolution de conserver sa virginité fait bien. »  Commentant ce texte, saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien),  dit que certaines doivent obligatoirement choisir entre se marier et faire du trottoir. »
 À l’aide de ces textes, voici comment ils raisonnent.  On ne doit faire de vœu que des choses que l’on sait avec certitude pouvoir accomplir.  Autrement, celui qui s’expose au péril de violer son vœu, voue quelque chose à Dieu témérairement et offense Dieu.  Car, comme le dit l’Ecclésiaste 5 : « Déplait à Dieu l’infidélité et une folle promesse »  Or, personne ne peut savoir avec certitude s’il pourra se contenir perpétuellement, puisque cela ne peut pas se faire sans un don de Dieu; et personne ne peut savoir s’il a ce don de Dieu, et encore moins s’il l’aura toujours, comme le montrent d’autres passages de l’Écriture.   Personne ne peut donc, à moins d’agir avec témérité et imprudence, vouer à Dieu la continence perpétuelle. »   Ils déduisent aussi de cela que ceux qui ont déjà fait des vœux peuvent et même doivent les résilier, car les choses qui ne sont pas en notre pouvoir ne sont pas matière à vœux.
 Pierre le martyr ajoute une comparaison. Si quelqu’un fait le vœu de servir perpétuellement les pauvres, et tombe  malade peu après, il n’est certes pas tenu par son vœu, car ce qui était possible quant il a fait un vœu est devenu impossible.  Celui-là donc  qui a fait vœu de continence qui tombe dans la maladie de la concupiscence,  n’est plus tenu par son vœu. Car, il ne suffit pas de lui dire de prier Dieu et de demander la continence.  Car, celui qui est alité par une maladie grave peut lui aussi prier Dieu pour lui demander la santé. Et cependant, s’il ne la demande pas, comme cela arrive souvent, il est affranchi de son vœu.
 Nous répondons que la continence est à la fois un don de Dieu et une chose qui est remis au pouvoir de l’homme, et  à son libre arbitre.  Il faut noter qu’il y a plusieurs sortes de dons de Dieu.   Certains sont donnés à Dieu sans sa coopération, comme la force, la santé, la beauté, la prophétie, les dons des langues et des miracles, et tous les habitus infus par Dieu.  Ce serait idiot de dire que toutes ces choses sont en notre pouvoir et dépendent de notre libre choix, de sorte qu’on pourrait les avoir quand et autant qu’on le voudrait.  Or, c’est à ce genre de dons que les adversaires renvoient la continence. Pierre le martyr dit : « décider de prophétiser et décider d’être continent, c’est la même chose. »
 L’autre genre de don consiste dans un secours divin sans lequel on ne ferait pas ce que l’on fait avec lui, comme croire, espérer, aimer, persévérer, être patient, vaincre les tentations.  Ce sont de vrais dons de Dieu parce que si la grâce de Dieu ne nous prévenait pas en nous excitant, ne nous aidait pas en nous dirigeant, en nous protégeant et en coopérant, nous ne ferions rien de bien.  Et pourtant, ces œuvres dépendent de la liberté humaine, et sont en notre pouvoir, car même si Dieu aide, il ne contraint pas, ni n’oblige.  Et même si, sans l’aide de Dieu, l’homme ne peut rien faire de bon, on dit quand même qu’Il peut parce que ne fait jamais défaut une aide suffisante pour pouvoir agir, ou pour demander un plus grand secours.  Autrement, les hommes ne pècheraient pas en ne croyant pas et en n’espérant pas.  Or c’est à ce genre de dons que nous disons qu’appartient la continence.
 Il faut noter ici  que comme pour la foi, la pénitence, la persévérance  et les autres bonnes actions, on a coutume de distinguer deux grâces ou aides, il faut le faire aussi pour la continence.  Une suffisante qui est donnée à tous selon les lieux et les temps, laquelle grâce ou aide ne fait pas que nous agissions, mais que nous puissions agir.  Une autre dite efficace, qui fait en sorte que nous agissions réellement.  Ce don-là est un don singulier qui n’est pas donné à tous.  Seuls ont ce don ceux qui croient réellement. Mais les seuls à avoir le don de persévérance  sont ceux qui ont persévéré jusqu’à la fin. Seuls ont le don de continence ceux qui sont de fait continents. Ils ne sont pas nombreux, comme cela est bien connu. Et c’est d’eux qu’il est dit : « Tous ne comprennent pas cette parole.  Ceux-là seuls à qui cela a été donné. »
 Il est en même temps vrai que tous ceux qui le veulent peuvent se contenir, car l’aide pour se contenir est suffisant, et à personne n’est refusée la grâce de la demander.   C’est ce qui est écrit également au sujet de la foi (2 thessal 3) : «La foi n’est pas donnée à tous. »  Et pourtant, tous  peuvent croire s’ils le veulent, quand l’évangile leur est prêché.  Autrement, ne pècheraient pas ceux qui ne croient pas.  Quelle différence y a-t-il entre ces aides, le moment n’est pas venu de l’expliquer.  C’est dans la dispute de la grâce et du libre arbitre que nous l’expliquerons, si Dieu le veut.
 On doit maintenant prouver que la continence est un don de Dieu qui est placé sous notre contrôle.  Que ce soit un don de Dieu, les textes cités de l’Écriture le démontrent, et les adversaires eux-mêmes ne le nient pas. Que soient en notre pouvoir et la grâce prévenante, et la grâce concomitante, nous le confirmons par les arguments suivants.  Le premier. Par les témoignages des Écritures.  En Matth 19, nous lisons ces paroles : « Il y a des eunuques qui se sont castrés pour le royaume des cieux. » Ce texte indique clairement le libre arbitre.  Car, si la continence était un don de Dieu qui ne dépend en aucune façon d’un libre choix de l’homme, il aurait fallu dire : il y a des eunuques qui ont été castrés par Dieu, non qui se sont castrés.  Voilà pourquoi on dit des castrés qu’ils sont des eunuques qui ont été faits tels par les hommes, et non qui se sont castrés, car cette opération est l’œuvre d’un étranger, non du castré.  De plus, si le don de continence est semblable au don de prophétie, de langues ou de guérison,  pourquoi ne dit-on pas qu’il y a des prophètes qui se sont faits eux-mêmes prophètes, comme nous disons qu’il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes castrés ?
 Le second. « Que celui qui peut comprendre comprenne ! »  Ces paroles sont une exhortation à la continence, comme, en plus des saints pères, l’atteste Pierre le martyr (dans le célibat et les vœux). On peut citer aussi ces paroles de saint Paul (première épitre aux Corinthiens 7) : « Au sujet des vierges, je n’ai pas de précepte divin;  je donne un conseil. »  Ces paroles contiennent une exhortation, selon Pierre le martyr.   Or, je le demande. Quel sage exhorterait quelqu’un à faire ce qui n’est pas en son pouvoir ?   Quelqu’un a-t-il jamais exhorté les hommes à devenir prophètes, les infirmes à devenir sains, les laids à devenir beaux, les nains à devenir géants ?  Mais, rétorque Pierre le martyr, « ces exhortations ne sont données qu’à ceux qui ont le don de Dieu. »  Il faudra leur répliquer, au contraire, que, selon eux, ceux qui ont ce don ne peuvent pas ne pas être incontinents.  Car, c’est ce qu’est écrit Martin Bucer, qui a coutume d’être un oracle pour Pierre le martyr, en commentant  ce Matthieu 19 : tous ne comprennent pas ces paroles, mais seulement ceux à qui cela a été donné) : « Comme un affamé ne peut pas ne pas prendre avec avidité le pain qu’on lui offre, de la même  manière, celui qui a reçu cela de Dieu ne peut pas s’empêcher de prendre femme. »   Si donc ceux qui n’ont pas le don de Dieu ne peuvent pas se contenir, et si ceux qui l’ont ne peuvent pas non plus, quels sont donc ceux que le Christ et l’apôtre exhortent à la continence ?
 Le troisième.  Les paroles suivantes de saint Paul aux Corinthiens (1, 7) : qu’elle fasse ce qu’elle veut, elle ne pèche pas si elle se marie, donnent à l’homme le libre choix du mariage ou du célibat. Comment donc peut-on dire qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de se contenir s’il le veut ?  Or cette délibération ne peut pas porter sur des choses impossibles.  Le quatrième. Les continents et les célibataires sont loués dans l’Écriture, et reçoivent des récompenses.  Comme nous l’avons suffisamment prouvé dans la dispute sur les conseils évangéliques, d’après le témoignage d’Isaïe 56 sur les eunuques, auxquels on promet mieux  que des fils et des filles,  un témoignage de l’apocalypse (chapitre 14) où « les vierges chantent un cantique nouveau que nul autre ne peut chanter. » Or, aucune récompense, aucune louange ne serait méritée par des œuvres qui ne sont pas en notre pouvoir, comme tous le reconnaissent. Car, aucune récompense spéciale n’est promise à ceux qui font des prophéties, qui parlent en  langue, qui guérissent les maladies, ou qui chassent les démons, car ces choses ne sont que des dons de Dieu.  La continence n’est donc pas seulement un don de Dieu, elle est aussi une libre action de l’homme.
 Le cinquième.  Croire n’est pas moins un don de Dieu que se contenir.  Car, au sujet de la foi il est écrit (en Jean 6)  : « Personne ne peut venir à moi si mon Père ne l’attire. »  Et, dans les actes des apôtres (chapitre 13) : « Ont cru tous ceux qui avaient été prédestinés  à la vie éternelle. »  Et, aux Éphésiens (2) : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés au moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous ; c’est un don de Dieu. »  Et (aux Philippiens 1) : « À vous il a été donné de croire en lui. » Et (à 2 Thessaloniciens, à la fin) : « La foi n’est pas donnée à tous. »  Néanmoins, peuvent croire ceux qui le veulent;  et c’est avec raison que nous exhortons les gens à croire, et c’est sans aucune témérité que tous promettent dans le baptême de conserver la foi jusqu’à leur mort.  Donc, peuvent aussi se contenir ceux qui le veulent, et c’est avec raison que nous exhortons à la continence.  C’est aussi sans témérité que beaucoup promettent  à  Dieu de conserver perpétuellement la continence
Ils rétorquent  que la différence qu’il y a entre la foi et la continence c’est que la première est nécessaire au salut, et l’autre pas Voilà pourquoi, disent-ils, nous avons coutume de demander, comme le faisait saint Jérôme (dans son commentaire du chapitre 19 de saint Matthieu) que chacun jauge ses propres forces, avant de faire un vœu de continence.  « Mais, nous n’incitons personne à sonder ses forces avant de croire. »  Or,cela est facile à réfuter.   Car, la principale raison pour laquelle le vœu de continence est jugé téméraire par nos adversaires ce n’est pas que la continence n’est pas une chose nécessaire au salut,  mais une chose impossible sans un don particulier de Dieu, qui n’est pas donné à tous.  On a déjà noté qu’on pouvait, sans témérité, vouer à Dieu plusieurs choses non nécessaires au salut.
 Si cette raison principale joue également pour la foi et la continence, comme nous l’avons démontré par les Écritures,  pourquoi est-ce une témérité de promettre la continence, et non de promettre la foi? Ajoutons ensuite qu’il n’est pas vrai que celui qui veut faire un vœu de continence doit sonder ses propres forces, tandis que celui qui veut faire un acte de foi n’a pas à le faire.  Car, le Seigneur (en saint Luc, 14)  avertit ceux qui veulent venir à lui, c’est-dire qui veulent accepter la loi et la foi en lui, d’imiter ceux qui veulent construire une tour, qui se demandent s’ils ont assez d’argent pour pouvoir la mener à terme.  Ainsi que ceux qui veulent partir en guerre qui se demandent d’abord si dix mille hommes peuvent battre vint-mille.  Voilà pourquoi l’Église examine les catéchumènes, pour savoir s’ils ont une volonté ferme et stable de persévérer dans la foi, car  il est pire de rejeter la foi reçue que de n’avoir  jamais cru. À ce sujet, si le cœur vous en dit, voir Alcuin (dans son livre des offices divins, chapitre du samedi saint.)
La seule différence qui existe entre la continence et la foi consiste en ceci.  Celui qui, en se sondant, juge ne pas avoir les forces suffisantes pour se contenir, peut se marier, car la continence n’est pas nécessaire au salut, bien qu’elle puisse, par l’oraison, procurer de plus grandes forces.   Mais celui qui juge ne pas avoir les forces nécessaires pour persévérer dans la foi et dans la loi du Christ ne peut pas licitement ne pas embrasser la foi et la loi du Christ, qui sont nécessaires.  Mais il doit demander à Dieu de plus grandes forces, qu’il recevra certainement s’il les demande fidèlement.  Le sixième.
On le prouve par l’absurde, c’est-à-dire par ce qui s’ensuit nécessairement de l’opinion de nos adversaires.  Car, si tous ceux qui veulent se contenir ne le peuvent pas, pour beaucoup d’hommes il n’y aura aucun péché à forniquer ou à se prostituer.  Car si quelqu’un, avant de prendre femme, est vivement pressé par l’aiguillon de la chair et n’a pas le don de continence, que fera-t-il ?  Forniquera-t-il impunément ?  « Il a, disent-ils, un remède préparé, qu’il prenne femme ».   Mais qu’arrive-t-il  s’il ne trouve pas tout de suite ?  Car, on ne contracte pas un mariage en un jour. Plusieurs mois, la plupart du temps, s’écoulent entre les fiançailles et le mariage.  Et s’il est déjà marié, mais demeure loin de sa femme, ou  si elle est gravement malade, de façon à ne pas pouvoir rendre à son mari ce qui lui est du, que fera-t-il ? Ira-t-il voir une prostituée, s’il brûle et n’a pas le don de continence ? Ils répondront qu’il n’est pas permis de se prostituer.  Qu’il supplie donc Dieu de lui donner le don de continence; et il ne le refusera pas à celui qui le demande avec foi.
Mais pourquoi, je le demande, celui qui a fait vœu de chasteté ne pourrait-il pas faire la même chose s’il brûle intensément, et ne sent pas avoir le don de continence ?  Ils répondent qu’il y a une grande différence entre se contenir de l’adultère ou de la fornication, et se contenir de sa femme.  Car, la première est nécessaire et commandée par Dieu, et c’est pour cela que Dieu ne la refuse jamais à ceux qui la demandent.  Mais l’autre n’est ni nécessaire ni commandée par Dieu.  Voilà pourquoi elle n’est pas toujours accordée même à ceux qui la demandent.  Pierre le martyr ajoute (dans son livre sur le célibat et les vœux) qu’on ne doit pas la demander à Dieu comme un absolu, mais seulement sous condition, si cela convient à la plus grande gloire de Dieu, comme nous demandons la santé, la richesse, et d’autres choses qui ne sont pas nécessaires au salut.
 Jean Calvin (livre 4, chapitres 13 et 17 de ses institutions) dit que ce n’est pas à nous d’avoir la confiance de demander un don spécial comme le célibat.  Martin Bucer (au chapitre 19 de Matthieu) affirme clairement  que ne doivent pas demander le célibat à Dieu ceux qui ne savent pas si Dieu veut le leur donner.  La raison que tous ceux-là invoquent est que la prière doit naître de la foi, et que la foi est fondée sur la promesse de Dieu.  Or, il n’y aucune promesse d’un célibat perpétuel  accordé à quelqu’un.  Voilà comment ces hommes impies et impurs  ne se contentent pas de lutter contre la continence, mais  obstruent la voie qui y mène.
Mais il est facile de réfuter ces arguties.   Car, même si une promesse particulière fait défaut,  la promesse générale suffit amplement : « Demandez et vous recevrez (Luc 11 »).  « Si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera. » (Jean 14, 15, 16).  Car, si une promesse particulière était requise, on ne pourrait demander ni la foi, ni l’espérance, ni l’amour, ni la continence conjugale, ni même aucune autre vertu. Car  il n’y a jamais eu de promesses portant sur ces dons en particulier.  Or, les promesses générales requièrent certaines conditions.  Car on n’obtient pas tout ce qu’on demande, car il arrive souvent que nous demandions des choses moins utiles et moins bonnes qu’il ne convient absolument pas à Dieu de nous accorder.  Mais la condition qui est requise n’est pas celle que les adversaires imaginent, à savoir que la chose demandée soit nécessaire au salut ou commandée. Car cela, ils ne le confirment par aucune raison ou autorité.
La condition requise est que ce que nous demandons soit conforme à la volonté de Dieu.  C’est ce que nous enseigne saint Jean (épitre 1, chapitre 3) : « Voilà en quoi consiste la confiance que nous avons en Dieu, c’est que quand nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute. »  N’est pas conforme à sa volonté uniquement ce qui est utile et plus utile que son contraire, ni non plus uniquement ce qui a été commandé, mais aussi ce qu’il a conseillé et loué, et auquel il a promis une récompense.  Tel est le célibat dont nous avons beaucoup parlé plus haut.  Saint Augustin (traité 102), expliquant  ce veut dire que Dieu ne refuse pas à ceux qui demandent au nom du Christ, dit qu’il accorde ce qui conduit au ciel. Il n’ajoute pas que ce que l’on demande doit être nécessaire ou commandé.
On prouve, en dernier, avec la grâce de Dieu, que le célibat est en notre pouvoir, par le témoignage des pères. Tertullien (dans le livre de la monogamie, près de la fin) dit, en commentant le passage tous ne comprennent pas ces paroles : « Choisis ce qui est bon ! Si tu ne le peux pas, c’est parce que tu ne le veux pas. Car, il montre que tu le peux si tu le veux, puisqu’ il a laissé l’un et l’autre à ton libre arbitre. »  Origène (dans le commentaire de ce même passage) dit : « Celui qui veut comprendre la parole qui porte sur la chasteté, qu’il  demande, en croyant à ce qui lui a été dit, dans en douter aucunement: quiconque demande reçoit.  Saint Jérôme au même endroit : « Cela a été donné à ceux qui l’ont demandé, qui l’ont voulu, qui ont trimé fort pour l’avoir. Car, à quiconque demande, on donnera, celui qui cherche trouvera,  et à celui qui frappe on ouvrira. »  Grégoire de Naziance (sermon 31), commentant les trois genres d’eunuques,  dit : « Quand tu entends « à ceux à qui il a été donné », ajoute : il a été donné à ceux qui ont voulu et qui y ont consenti. »
Saint Ambroise (livre 3 sur les vierges) : « Le Seigneur qui savait que la virginité ou la chasteté serait prêchée à tous, mais imitée par peu, dit que ce ne sont pas tous qui comprennent ces paroles. »  Et, dans son livre sur les veuves : « Il y a des castrés qui se sont faits tels pour le royaume des cieux.  Mais, cela n’est pas commandé à tous, mais est proposé à tous. Voilà pourquoi  il a provoqué la volonté par des récompenses, mais n’a pas imposé des liens à la faiblesse. » Et plus bas : «Le créateur sait que les dispositions de chacun sont différentes. Voilà pourquoi il a stimulé  la volonté par des récompenses, sans imposer des liens à la faiblesse. »  Là où tu vois que la continence est prêchée à tous,  et  est conseillée à tous, cela veut dire que s’ils le voulaient ils pourraient remporter la victoire et recevoir la récompense.  Saint Jean Chrysostome dans son commentaire de ce passage : « Cela est donné à ceux qui le choisissent spontanément.   Il a donc dit cela pour nous montrer que nous avions besoin d’une aide supérieure pour accomplir ce qui est préparé pour tous, si nous voulons sortir vainqueurs de ce combat. »
Saint Augustin (psaume 137) explique  «Il fit  un vœu au Dieu de Jacob. » David fit un vœu, en faisant quelque chose qui était en son pouvoir.  Et il demande à Dieu de pouvoir accomplir ce qu’il a promis par vœu.  Nous voyons de la dévotion dans celui qui fait un vœu, et de l’humilité dans celui qui demande. Que personne ne présume  accomplir un vœu par ses propres forces ! Qui t’a incité à faire un vœu,  c’est lui qui t’aidera pour que tu le réalises.»  Et (au livre 6, chapitre 11 des confessions) : « Tu donnerais certainement la continence si, par un gémissement interne, je frappais à tes oreilles. »  Ensuite, le même Augustin (livre 2, chapitres 10. 13, et 20 sur les  conjoints adultérins) enseigne clairement que la continence est possible à tous, même à ceux qui sans avoir pensé un instant à la continence, se  sont mis dans la nécessité d’avoir à l’observer.  Saint Basile enseigne la même chose, avec plus d’insistance, (dans son livre sur la virginité, passé le milieu).  En tenant compte de qui vient d’être dit, il sera facile de répondre aux passages de l’Écriture cités au début.
Le texte de la Sagesse (personne ne peut être continent à moins que Dieu ne le lui donne de l’être) doit être entendu de la continence en général, celle qui se rapporte non seulement aux vierges ou aux veuves, mais aux gens mariés.  Car, celui qui dit ces choses est Salomon qui n’était ni vierge, ni veuf, mais marié, et qui demandait donc à Dieu la continence maritale.  Nous n’avons donc pas dans ce texte une continence qui est un don de Dieu tel qu’elle ne peut pas être le lot de tous. Car nos adversaires eux-mêmes reconnaissent que tous peuvent pratiquer la continence maritale s’ils la demandent à Dieu. Voilà pourquoi il a ajouté : « J’allai prier Dieu et je la lui ai demandée. »
Cet autre passage de saint Matthieu 19 (tous ne comprennent pas ces paroles, mais ceux-là seuls à qui cela est donné) exige une longue explication.  Nos adversaires soutiennent que « tous ne comprennent pas » doit avoir ce sens : tous ne sont pas capables d’observer la continence conjugale, mais ceux-là seuls à qui cela a été donné.  Et il s’ensuit que ceux qui n’ont pas ce don ne peuvent pas se contenir.  Ils vont chercher ce sens dans le verbe grec kôrousi, car kôreo ne signifie pas prendre ou saisir, comme on dit : prends un livre, prends une lance, mais être capable. Comme quand nous disons d’une cruche qu’elle  contient tant d’eau, telle ou telle quantité, comme l’évangile le dit.
Or, l’ambiguïté de ce mot a  induit nos adversaires en erreur. Car le verbe grec (kôreo) et le verbe latin (capio) signifient une capacité naturelle de prendre  telle que ceux qui ne l’ont pas sont dits des incapables. Il signifie en   même temps une capacité actuelle ou volontaire qui dépend du libre arbitre. Et ceux qui ne l’ont pas ne sont pas  appelés des incapables, mais des gens qui ne prennent pas. Exemple.   (Locus augustus) Un lieu élevé est incapable de plusieurs choses. Et semblablement, des enfants qui ne sont pas aptes à détecter des fraudes sont dits incapables de ruse. Et quelqu’un qui ne comprend pas parce qu’il n’est pas suffisamment attentif, ou parce qu’il n’a personne qui lui enseigne, n’est pas appelé incapable, même s’il ne comprend pas de que l’on dit. Et semblablement, celui qui n’accepte pas un conseil, parce que quelqu’un l’a déjà persuadé de penser autrement, on dit de lui qu’il n’a pas pris le conseil, mais on ne dit pas qu’il est incapable, s’il le voulait, de l’accepter.  Et c’est dans se sens qu’il faut entendre le passage cité.  Car il signifie que tous ne comprennent pas en fait. C’est-à-dire que tous n’admettent pas, tous ne sont pas persuadés, tous n’approuvent pas ce qui est dit, à savoir qu’il n’est pas avantageux de se marier.
Qu’il en est bien ainsi, on le prouve de la façon suivante. Car, si le mot capere signifiait ici être capable, Jésus aurait parlé pour ne rien dire quand il a ajouté : « Que celui qui peut comprendre comprenne ! »  Car, par ces paroles le Seigneur exhorte à la continence, comme l’admet Pierre martyr lui-même, et comme tous les commentateurs l’enseignent. Or, quelle exhortation y a-t-il dans : celui qui peut être capable, qu’il soit capable !  De plus, s’il était question, là,  de capacité, et si le Seigneur voulait montrer, comme  le soutiennent nos adversaires, que tous ne sont pas capables de continence, et que, pour cette raison, il leur était nécessaire de se marier, ces mots (il y a des eunuques qui sont nés tels depuis le sein de leurs mères) seraient hors de propos, et prouveraient plutôt le contraire.
 Car si tu dis que quelques uns se contiennent par un vice de la nature, parce qu’ils sont des glaçons, que d’autres sont castrés par des hommes, avec une cruauté qui leur est étrangère, que d’autres enfin se sont castrés, de leur propre volonté, comme célibataires qui vivent pour le culte de Dieu, tous ne peuvent donc pas être continents. Tu ne conclus certes  pas plus  logiquement que si tu disais : quelques-uns courent poussés par la force, d’autres courent volontairement. Tous ne peuvent donc pas courir.  Tu conclurais plus sensément : beaucoup se contiennent de force, beaucoup de leur plein gré. Il est donc croyable que tous peuvent se contenir s’ils le veulent.
Voilà pourquoi saint Jean Chrysostome, dans son commentaire de ce passage, enseigne que, par cette comparaison des eunuques, le Christ a voulu prouver qu’il est facile et utile de s’abstenir du mariage, et que ne jugent pas comme il faut ceux qui ne saisissent pas, c’est-à-dire ne reçoivent et n’approuvent pas la parole de Dieu.  Car si beaucoup s’abstiennent, sans espoir d’un bien plus grand (comme les eunuques), combien plus facile sera-t-il de s’abstenir à la promesse d’une récompense surexcellente, et d’une couronne scintillante.  Ajoutons enfin les témoignages des pères déjà cités.
Ce « qui peut comprendre, comprenne » peut être expliqué de deux façons. La première.  Le Seigneur parle du pouvoir prochain, que n’ont que ceux à qui le Seigneur a insufflé le désir efficace de se contenir.  Le sens serait alors : ceux qui sentent que, par un don de Dieu, ils ont été intérieurement persuadés de se contenir, approuvent ces mots.  C’est ainsi que semblent l’avoir compris saint Jérôme (dans son commentaire de ce passage), saint Augustin (livre, 2, chapitre 19 des époux adultérins).  Mais, on ne peut pas déduire de cette explication que tous ne peuvent pas se contenir.  Car, même si tous n’ont pas ce pouvoir prochain, ils ont le pouvoir éloigné, et ils peuvent, s’ils le veulent, demander à Dieu, par de ferventes prières, le pouvoir prochain, c’est-à-dire la force nécessaire pour être continent.  Comme on le dit au sujet de la foi (saint Jean 6) : « Personne ne peut venir à moi si mon Père ne l’attire. »  Car on a pu ajouter : « Que celui qui peut venir vienne ».  C’est-à-dire que celui qui est attiré vienne, et que celui qui n’est pas attiré prie pour être attiré !
Deuxièmement. On peut dire que ce texte a le même sens que cet autre de Matthieu 13 : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende. »  Car, le Seigneur ne veut pas dire que tous n’ont pas d’oreilles, mais il les avertit tous pour qu’ils usent du pouvoir qu’ils ont.  Comme on a coutume de dire : que celui qui a des yeux  voie ! Celui a du jugement juge ! C’est donc ainsi que le Seigneur dit dans ce passage : celui qui peut comprendre, qu’il comprenne !  C’est-à-dire que  celui qui a un esprit et un jugement sain comprenne, juge, approuve la parole : il n’est pas avantageux de se marier.
 Et voici maintenant une troisième citation (1 Cor 7) : « Chacun a de Dieu un don propre, l’un celui-ci, l’autre celui-là. Il ne nous offre  aucune  difficulté.   Car l’apôtre appelle don de Dieu non seulement la continence virginale, mais aussi la conjugale.  Car, c’est un don de Dieu que quelques-uns choisissent la virginité,  et c’est aussi un don de Dieu que d’autres choisissent le mariage, et y persévèrent dans la chasteté.  Mais comment   faire concorder avec ces textes l’idée que la continence virginale et la chasteté matrimoniale sont en notre pouvoir,  nous l’avons exposé plus haut.
La dernière citation est sans rapport avec le sujet que nous traitons.  Car, quant Paul dit : « Quand quelqu’un a décidé dans son cœur fermement, sans subir aucune contrainte, et ayant plein pouvoir sur sa volonté, de la conserver vierge, il est fait bien. »  On peut entre le mot vierge de deux façons.   La  première, pour sa virginité à soi, comme saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien). La deuxième.  Pour la fille vierge, comme l’explique Épiphane (hérésie 61).  Ainsi que saint Ambroise, Theodoret, Theophylacte, et presque tous les autres.  La première explication n’est pas vraisemblable.  Qu’on emploie le mot vierge pour dire virginité c’est quelque chose d’inouï.  Nous n’avons pas, non plus, à ce sujet de conflit avec nos adversaires. Car Jean Calvin, Pierre le martyr, Érasme et d’autres commentateurs de ce texte  entendent par vierge, fille vierge, non virginité. Si toutefois on admettait la première explication,  on ne devrait pas, par nécessité, entendre une nécessité absolue du mariage, mais conditionnelle.  Car, comme l’explique saint Jérôme, ceux qui ne peuvent pas être continents  doivent nécessairement ou se marier ou forniquer, même si, absolument parlant, aucune de ces actions n’est nécessaire.
Si on accepte la deuxième explication (vierge : sa fille), qui est plus vraie et plus naturelle,  on ne sera pas obligé d’entendre, par nécessité, la nécessité du mariage par manque de don de continence, --car c’est de cette nécessité qu’on parle ici---,mais la nécessité extrinsèque qui n’a rien à voir avec le sujet.   Car, on dit qu’un père est obligé (nécessité) de donner sa fille en mariage, si elle ne veut pas vivre dans le célibat, ou s’il est lui-même esclave, et est forcé par son seigneur de caser  sa fille.  Mais on dit aussi tout le contraire.  Il est obligé de conserver sa fille vierge si elle ne veut pas se marier, (car il ne peut pas la forcer à se marier), ou si elle n’a aucun prétendant.  Mais si rien de ce genre n’existe, le père est libre de prendre la décision qu’il voudra. S’il la donne en mariage, il fera bien; s’il ne le fait pas, il fera mieux, comme l’apôtre lui-même l’écrit.  Voilà ce qu’on peut répondre aux textes de l’Écriture qu’on nous objecte.
Au sujet de la ressemblance que Pierre le martyr établit entre celui qui fait le vœu de servir les malades, et qui ne l’observe pas parce qu’il est tombé malade, et celui qui fait un voeu de continence et ne le respecte pas parce qu’il n’a pas le don, je dis que deux cas ne se ressemblent pas du tout.  Car, le premier ne pèche pas en ne respectant pas son vœu, car il avait la ferme volonté   de remplir sa promesse.  Ce n’est pas lui qui a voulu être malade, il a été forcé de l’être.  Or, celui qui après un voeu, expose sa femme à la maladie de la concupiscence, n’a pas celui-là la volonté de remplir son vœu. Il en a plutôt une autre toute contraire, celle de ne pas accomplir son vœu.  Car vouloir se contenir comme on l’a promis, et vouloir prendre femme,  sont deux choses contradictoires.
 De plus, la maladie corporelle ne dépend pas de la volonté du malade.  L’incontinence, elle, en dépend.  On ne  peut pas dire, en effet, nul n’est malade que celui qui le veut bien.  Mais, on peut dire,  sans peur d’être contredit : nul ne fornique que celui qui veut, car, comme tous le savent, les membres obéissent aux ordres de la volonté.  Enfin, la santé corporelle n’est pas un bien absolu qu’il faut toujours et partout demander, parce que la maladie est souvent meilleure que la santé pour procurer la vie éternelle.  Voilà pourquoi il n’existe, dans l’Écriture, aucun conseil  évangélique sur la conservation de sa santé pour le royaume des cieux. Mais la continence peut toujours et en tout temps être demandée, et elle est immanquablement concédée s’il n’y a pas de défaut dans la prière.  Parce que, en vue de la vie éternelle, elle est un bien beaucoup plus utile que le mariage, et c’est pour cela qu’elle est conseillée et recommandée par l’Écriture.
                                             CHAPITRE  32
   On réfute la quatrième objection tirée de la raison naturelle
Il faut dégonfler les objections que nos adversaires tirent des  inconvénients  de toutes sortes qui naitraient du célibat.  La première.  « Le célibat semble par lui-même répugner à la nature. Elle aura, s’il est préférable d’être vierge plutôt que de se marier, en vain doté l’humanité de la diversité des sexes, et de la vertu génératrice ».  Cette objection vient de Jovinien, et elle a déjà été réfutée par saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien). Mais parce qu’elle a été exhumée par Luther (dans son sermon sur  le mariage) et par Érasme (dans son livre sur le mariage),  nous répondons que la diversité des sexes et la vertu génératrice n’ont pas été données en vain à l’humanité, même si tous ne s’en servent pas.  En effet, les choses qui ont été instituées pour le bien de l’espèce n’ont pas été accordées pour rien à l’humanité, même si certains individus n’y ont pas recours, et même si plusieurs n’en tenaient pas compte. Exemple.  Tous les végétaux et tous les fruits naissent avec leurs semences, mais on n’en met en terre qu’un petit nombre.
La deuxième objection. « Si tous étaient continents, le monde périrait. Il ne faut donc pas prêcher la continence à tous ».  Voici ce que répondent les pères.  Les imparfaits seront toujours plus nombreux que les parfaits. Il faut donc prêcher à tous la continence pour qu’il y en ait au moins quelques-uns qui la professent.  Saint Jérôme (contre Jovinien) : « Tu diras : si tous se font vierges, comment demeurera le genre humain ?  Ne crains pas que tous  ne  demeurent vierges.  C’est une chose difficile que la virginité. Et parce qu’elle est difficile, elle est rare. »  Saint Augustin (le bien conjugal, chapitre 10) présente une autre solution : « J’en ai entendu quelques-uns qui murmuraient ainsi : qu’arriverait-il si tous voulaient s’abstenir de la couche conjugale ? Comment subsisterait le genre humain ?  Plût à Dieu que tous le veuillent !  La cité de Dieu serait complétée plus tôt, et la fin du monde  arriverait beaucoup plus vite. »  Il enseigne cela encore plus clairement dans son livre sur la viduité, chapitre 23. Et au sujet de que l’apôtre a dit (dans la première épitre aux Corinthiens, 7) : « Je veux que tous soient comme moi ! », c’est-à-célibataires. «  Il n’aurait certainement pas dit cela s’il n’était pas permis à tous de choisir le célibat, même au risque de la fin du monde » !
Ce qui nous fait comprendre que n’est pas certaine l’opinion de ceux qui disent : «  s’il n’y avait, dans le monde, que des moines ou des vierges consacrées à Dieu, ils seraient obligés, pour propager l’espèce humaine, de violer leur vœu ».   S’Il y en avait qui voulaient soutenir, ce qu’enseignent certains, que, dans l’extrême nécessité de conserver l’espèce humaine, les hommes seraient probablement tenus de se marier, il n’y aurait pas lieu de craindre pour le vœu, car les vœux ne peuvent rien prescrire qui soit  contraire à la loi divine.  La troisième objection.  «  Par le célibat de tants de prêtres, de moines et de religieuses, la chrétienté est affaiblie, car le nombre des fidèles diminue, et on ne peut pas aisément résister à la multitude des infidèles ». Saint Ambroise répond dans le livre 3 des vierges : « J’en ai entendu quelques-uns qui disaient que le monde périssait, que le genre humain s’affaiblissait, que les mariages étaient avilis.  Je demande.  Qui cherche une épouse sans pouvoir en trouver ? »
Mais, à notre époque, s’il est une cause de la rareté des chrétiens et de la multitude des infidèles, ce n’est pas le célibat, mais la monogamie.  Les sarrasins se multiplient plus rapidement parce qu’ils ont plusieurs épouses.  Mais je ne pense pas que nos adversaires soient aveugles au point de vouloir introduire chez nous la polygamie.  Et une des raisons principales pour laquelle les chrétiens sont inférieurs aux Turcs n’est pas le petit nombre d’hommes, mais la discorde des principaux chefs.  Quand on y pense, Alexandre avait une petite armée, mais obéissante et bien entraînée.  Et c’est pour cela qu’en peu de temps, il a soumis toute la terre connue d’alors.  Les romains, eux, ce n’est pas par le nombre, mais par la technique et la discipline qu’ils vainquirent.  Enfin, au temps de Charles le Magne, la chrétienté devint grandement florissante, et pourtant, il y avait alors beaucoup de prêtres, de moines et de religieuses qui observaient le célibat.
La quatrième objection.  « Du célibat perpétuel beaucoup de maladies sont nées, qui n’ont pu être soignées que par le mariage.  C’est donc témérairement qu’on fait un vœu de continence.  Car, on peut et on doit, dans ces cas, rompre un vœu pour prendre soin de sa santé ».  Je réponds que les maladies ne naissent pas de la continence, mais de la luxure.  C’est de l’incontinence, en effet, que presque toutes prennent naissance.  Mais qu’arriverait-il si une maladie infectieuse inconnue des médecins ne pouvait être soignée que par la consommation du mariage ?  Saint Bonaventure répond (4 dist 38. Art 2, question ultime) :
 « Il n’est pas permis de violer le vœu de chasteté pour raison de danger de maladie ou de  mort. D’abord, parce qu’il n’y a aucune maladie qui ne puisse être guérie par d’autres moyens, comme répondent des médecins qui ont été consultés là-dessus. Ensuite, même s’il n’existait pas d’autre façon de guérir cette maladie que  la violation du vœu, le bien de la continence est plus grand que le prolongement de la vie corporelle. Car, ceux qui s’adonnent aux lectures, et aux méditations sacrées, surtout quand ils y ajoutent l’austérité de la vie, savent très bien que ce faisant, ils raccourcissent leur vie, mais qu’il leur est permis de faire passer avant quelques autres années de vie terrestre la recherche de la sagesse, et les exercices de piété.
Tu diras : « si la loi ou le voeu du jeûne nuisent puissamment à la santé du corps, on peut et on doit  s’en dispenser ». Pourquoi donc ne pas dire la même chose du vœu de continence, car la nourriture est ordonnée par elle-même à la santé d’un individu.  Donc, ne pas s’en servir quand elle est nécessaire à la conservation de la santé d’un individu, c’est un vice, non une vertu.  Ce n’est même pas la matière d’un vœu. Or l’acte conjugal, de par lui-même,   n’est pas ordonné vers le salut d’un individu.  Bien plus, il lui nuit parfois.  Quand il le favorise, cela ne peut être que par accident. Et même de cela, on n’a pas de certitude. Il n’est donc pas permis d’omettre, pour quelque chose d’incertain et d’accidentel,  l’accomplissement d’un vœu, qui est bon par lui-même. Et cela vaut aussi pour : si quelqu’un voulait me tuer à moins que je ne fasse un vol.   Car, il n’est pas permis de voler, même si quelqu’un est tenu de conserver sa propre vie.  Martin Cromerus (livre 29 des choses polonaises), raconte que Casimir, fils d’un certain roi,  a brillé par des miracles après sa mort, parce qu’il avait préféré mourir plutôt que de s’unir à une femme, comme les médecins le lui persuadaient.  Voir, sur cet argument, plusieurs choses dans les controverses de Michaël Medina, (livre 4, controverse 4, sur la continence.)
La cinquième objection.  « La tendance à engendrer des enfants est naturelle et bonne.  Elle existait dans l’intégrité originelle, et on la trouve  dans tous les animaux. Or, empêcher une tendance naturelle qui est bonne c’est ce que font ceux qui promettent à Dieu le célibat perpétuel.  C’est un péché, et comme il n’y a  là  que du naturel,  c’est faire un reproche au Dieu qui a fait la nature. Il n’est donc pas permis à ceux qui sentent le besoin d’engendrer des enfants de promettre par vœu à Dieu un célibat perpétuel ».
Et c’est la raison utilisée par  Luther dans son sermon sur le mariage. Il a osé dire que « croissez et multipliez-vous » était un précepte, et plus qu’un précepte. Michaël Medina (dans son livre 4 sur la continence, chapitre 11) a dit : « Empêcher quelqu’un d’agir selon sa tendance naturelle, comme forcer quelqu’un à être continent perpétuellement, est un péché.  Mais ce n’est pas un péché de s’empêcher soi-même de suivre une tendance naturelle, comme quelqu’un qui spontanément se contient perpétuellement.  Parce que le droit et l’injustice sont en relation réciproque.  Car l’homme ne peut pas commettre une injustice envers lui-même ».
S’il en est ainsi, pourquoi sera-ce un péché de se tuer soi-même ?   Saint Thomas (2.2. quest. 64. Art 5) affirme que c’est un péché de se tuer parce que c’est aller contre une tendance naturelle.  Et si c’est un péché de se tuer parque le suicide milite contre une tendance naturelle, pourquoi ne pas vouloir d’enfants ne sera pas un péché, puisque cela aussi milite contre une tendance naturelle. François Victoria (dans sa relecture de l’homicide) et Dominique a Soto (livre 5 sur la justice et le droit, question 1, article 5) répondent que la tendance à avoir des enfants est naturelle, mais qu’elle ne convient pas à l’homme en tant qu’homme, parce qu’elle convient aussi aux bêtes.  Mais que le désir de vivre est naturel et convient à l’homme en tant qu’homme. Voilà pourquoi c’est un péché de se tuer, car c’est aller contre un désir naturel de l’homme.  Ne pas générer, par contre, n’est pas un péché parce que ce n’est pas contraire à un besoin naturel de l’homme.  Mais cette réponse ne semble pas tout à fait satisfaisante.   Car si l’inclination à générer  n’est pas proprement humaine,  le désir de vivre  sera encore moins humain, puisqu’il est lui aussi commun aux hommes et aux animaux.
Ils répliqueront peut-être que générer convient à l’homme par rapport au seul corps, et que vivre s’applique au corps aussi bien qu’à l’âme. Mais dans ce passage, il n’est question que de vie corporelle.   La vie et  l’existence ne conviennent-elles pas à d’autres choses ?  De plus, si le suicide était un péché parce qu’il va contre une tendance naturelle de l’homme, vouloir être tué par un autre, ou opter pour la mort serait un péché, car cela est aussi agir contre une tendance naturelle de l’homme. Or à Jean XX1, Jésus dit à Pierre : « Quand tu seras vieux, un autre te ceindra, et te conduira là où tu ne veux pas aller. »    Et, cependant, qui osera dire que saint Paul a péché quand il a dit (Philipp 1) : « Je désire être dissous, et être avec le Christ. » Et saint Ignace qui, comme il l’a dit dans son épitre aux Romains, désirait passionnément être dévoré par les bêtes ?
Ils rétorquent. Le conseil est très saint quand quelqu’un est envahi par un voleur, et ne peut s’en sortir qu’en tuant le voleur.  Désirer la mort plutôt que la donner, même si cela semble aller contre une inclination naturelle.   Je réponds donc qu’il y a deux sortes d’inclination naturelle. Une vers une chose considérée, dans l’abstrait,  en elle-même et pour elle-même. Une autre, vers une chose considérée avec toutes ses circonstances.   Car, si tu considères en elle-même la mort, la maladie, le jeûne, et d’autres choses semblables, tu en auras naturellement horreur. Mais si tu considères  ces mêmes choses comme matière à patience, comme chemin qui conduit au ciel, comme une occasion de glorifier Dieu, tu commenceras à les apprécier et à les désirer.   Comme la dernière inclination est la seule vraiment et proprement  humaine, parce qu’elle est selon le jugement droit de la raison, aller contre elle est un péché.  Car c’est militer contre la raison, et donc contre le droit naturel, et contre Dieu, auteur de la nature.
Voilà pourquoi le célibat n’est pas contraire à  la deuxième inclination, même s’il est contraire à la première.  Je dirais même qu’il est conforme à la deuxième inclination parce qu’il est un moyen pour obtenir un amour de Dieu plus pur et plus fervent.  Or, le suicide est contre l’une et l’autre inclination, à moins qu’il ne soit commandé par Dieu.  Car si Dieu l’ordonne, il pourra être désiré comme le moyen d’obtenir un plus grand bien, c’est-à-dire faire la volonté de Dieu, et mériter sa grâce.  Mais, en dehors de ce cas,  le suicide ne peut jamais être un moyen d’obtenir un plus grand bien.  Car, tous les biens sont soit corporels, soit spirituels.  Le fondement des biens temporels est la vie.  Il ne peut pas arriver que le suicide soit l’occasion de fournir un moyen d’obtenir un plus grand bien corporel.   Les biens spirituels sont des actes du libre arbitre.  Ils dépendent donc de la volonté, et il n’y a aucun de ces biens qui ne pas  peuvent être procurés sans le suicide.
La sixième raison. La virginité n’est pas une vertu considérée dans l’abstrait.  En tant qu’elle n’est qu’un rejet du mariage, elle n’est pas une vertu.  Elle est une vertu en tant que freinage parfait de la concupiscence,  et donc un moyen pour obtenir quelque chose de meilleur.  Bien plus, comme saint Fulgence l’a noté dans son épitre 3, chapitre 4 : « La virginité est une vertu dans la mesure où elle en reçoit le nom de la vertu. »  Comme demander la mort pour elle-même n’est pas une vertu, cependant, affronter la mort pour défendre sa foi ou sa patrie, est une vertu de force.  Il est vrai que, avant d’avoir été consacrée à Dieu par vœu, la virginité n’était pas une vertu spéciale, et n’avait pas, par conséquent, de vice contraire. Car, si on la considère dans son absence de vœu, elle est un acte parfait  et héroïque de tempérance; et ce n’est pas un vice qui lui est opposé, mais quelque chose de moins bon. Car, les vices s’opposent aux vertus dans les actes nécessaires, non dans les actes héroïques et parfaits. Voir saint Thomas ( 2.2. quest 152).
La septième raison est celle d’Érasme (dans son dialogue de Procus et d’une jeune fille) où il parle d’un ton épicurien : « Le pommier est meilleur, qui, après les fleurs, il enfante les fruits. La vigne est meilleure qui, produit le raisin après l’avoir entouré de feuilles, pour qu’il ne tombe pas par terre et se corrompe.  La rose est plus heureuse qui est cueillie par la main de l’homme, délectant les yeux et les narines,  plutôt que vieillissant sur sa tige. Le vin est plus heureux, parce qu’on le boit avant qu’il ne devienne du vinaigre »  Il soutient pouvoir déduire de tous ces exemples  que le mariage est meilleur, qu’il semble plus désirable que le célibat.
Il ajoute même que si une vierge se marie elle peut enfanter plusieurs vierges.  SI donc la virginité plait, les noces des vierges ne peuvent pas déplaire,  car ce qui nous plait tant, elles le rendent avec intérêt.  Mais ces arguments sont du genre que présenteraient les chiens et les étalons s’ils pouvaient parler. À  des chrétiens dont le royaume des cieux est la patrie, dont la vie présente est un exil, dont l’auteur est le Christ vierge d’une vierge, et prédicateur de la virginité, il est plutôt étonnant qu’on propose de pareils arguments.  Car, la vierge chrétienne n’a pas de fleurs sans fruits, elle en a même au centuple, même si elle n’a que le Christ comme époux, comme les pères l’enseignent en commentant le chapitre 13 de Matthieu.  Saint Augustin (livre de la sainte virginité, chapitre 8) : « Aucune fécondité de la chair ne peut être comparée à la sainte virginité. »
Saint Ambroise (dans son livre 1 sur les vierges) : « Comparons les biens des femmes mariées avec les derniers des vierges.  Il n’y a même pas de comparaison, même si une femme féconde a beaucoup d’enfants. »  Et saint Jérôme (dans son épitre à Démétriade, et dans son épitre 22 à Estochius).  Il réfute longuement cet argument.  Mais Érasme n’avait peut-être pas des yeux qui lui auraient permis de voir les fruits des vierges, car « l’homme animal ne perçoit pas les choses spirituelles (1 Cor 2) ».  Par un raisonnement semblable, la vierge chrétienne n’est pas une vigne qui laisse tomber par terre les raisons pour qu’ils y pourrissent, mais elle est le sarment qui adhère à la vigne, l’épouse du Christ, grosse de l’Esprit, comme l’enseigne magnifiquement saint Fulgence (dans son épitre 3 à Proba, chapitre 4.)  De plus la vierge chrétienne n’est pas une rose qui vieillit sur la tige, mais qui est toujours jeune et resplendissante.  Les conjoints ont une fécondité limitée et passagère.  La fleur de la virginité, elle, commence ici, e obtient sa perfection dans la vie éternelle, là où personne ne se marie, où tous sont comme les anges.  De plus, ce qu’ajoute Érasme, à savoir que des vierges naissent du mariage, saint Augustin le réfute élégamment (dans la sainte virginité, chapitre 10) : « Car, ils ne doivent pas comparer les mérites des continents avec  les époux, sous prétexte qu’ils procréent des vierges. Car, ce n’est pas le bien du mariage, mais de la nature, qui a été ainsi créée  par Dieu, que par l’union conjugale de l’un et de l’autre sexe, honnête et permise, ou honteuse et illicite, aucune femme ne naît sans être vierge. Voilà pourquoi une vierge peut naître d’un viol, et une vierge sacrée d’un non mariage. »
                                           CHAPITRE 33
         On réfute la cinquième objection tirée des conciles.
Les adversaires nous opposent aussi des témoignages des conciles et des pères. Le premier témoignage est celui du concile d’Ancyre (canon 19) : « Tous ceux qui ont prévariqué contre la virginité vouée à Dieu, en méprisant leur profession, sont considérés comme des bigames. »  Jean Brentius  se sert de ce texte  (dans ses prolégomènes contre Pierre a Soto) pour prouver qu’un mariage après un vœu de chasteté n’est pas un péché, puisque la bigamie, comme tous les l’admettent,  n’en est pas un.   Mais Brentius raisonne mal, car le concile n’enseigne pas que ceux qui se marient après avoir fait vœu de chasteté sont de vrais bigames, mais il les rend, en punition de leurs péchés, inaptes au sacerdoce,  comme s’ils étaient des bigames.  Du fait que ces hommes sont punis de cette façon par un concile, on ne peut pas en conclure qu’ils n’ont pas péché, mais bien  plutôt qu’ils en ont commis un , puisque leur punition est indiquée tout de suite après.  Et puisque le concile dit qu’ont prévariqué contre leur promesse, et qu’ils ont méprisé leur profession religieuse, il faudra, pour prétendre qu’ils n’ont pas péché, oser nier que la prévarication et le mépris soient des péchés.
Mais Pierre le martyr (dans son livre sur le célibat et les vœux) soutient que le concile n’a pas invalidé le contrat de mariage fait après un vœu de chasteté, et que la seule peine qu’il a imposée était que ce mariage fût  assimilé à une bigamie.  Je réponds que le concile n’a pas invalidé le mariage, parce qu’il n’y avait aucun mariage à annuler.  Le concile ne dit pas non plus qu’ils ont contracté un mariage, mais seulement qu’ils ont prévariqué contre leur promesse, ce qui a pu se faire autant par la fornication que par le mariage.  Et même si leur mariage était un vrai mariage, et que c’est pour cette raison qu’il n’a pas été annulé, comme nous le faisons aujourd’hui  pour ceux qui se marient après des vœux simples, peut-on déduire de la sentence de concile qu’il est permis à ceux qui font vœu de chasteté de prendre femme ?  Combien de choses mauvaises sont maintenues après avoir été faites !  Il est certain que s’il n’y avait aucune faute dans ce mariage, le concile n’aurait pas puni ceux qui ont agi ainsi. Or, chez nos adversaires,  pour qui la violation d’un vœu ne constitue aucune faute, non seulement ne sont pas détournés du ministère ceux qui de moines sont devenus maris, mais ils sont presque les seuls à y être appelés.
Le second témoignage est celui du concile de Gangres, (canons 9 et 10) où sont condamnés ceux qui, après avoir fait profession de continence, exècrent les noces ou méprisent les époux.  Je réponds.  Jean Brentius (dans la confession de Wirtemberg,  au chapitre des vœux) et Pierre le martyr (dans son livre sur le célibat et les vœux),  ne font que faire montre d’impudence en citant ces canons.  Car, ces canons n’enseignent rien d’autre que le mariage n’est pas mauvais, même si le vœu de continence est meilleur;  et que ceux qui font profession de continence doivent être humbles, non orgueilleux.  C’est ce qu’enseigne aussi saint Augustin (dans les derniers chapitres de son livre sur la sainte virginité).  Mais écoutons d’abord les canons : (canon 9) « Si quelqu’un parmi ceux qui ont professé la virginité ou la continence,  abomine le mariage en lui-même, et le mésestime  parce qu’il ne contient pas le bien la promesse bonne et sainte de  la virginité ou de la continence,  qu’il soit anathème ! »   Canon 10 : « Si quelqu’un qui fait profession de virginité à cause de Dieu vitupère par arrogance  ceux qui se sont mariés, qu’il soit anathème ! »  Que lisons-nous donc ici que tous les catholiques écoutent volontiers et applaudissent chaudement ?
Le troisième témoignage est celui de Chalcédoine : « Si une vierge et un moine se vouent au Seigneur,  il ne leur est pas permis de s’unir pour former un mariage. Si on découvrait jamais qu’ils ont agi ainsi, ils demeureraient excommuniés.  Mais nous statuons qu’on pourra se comporter envers eux humainement,  avec l’approbation de l’évêque du lieu. » Pierre martyr déduit de ce texte qu’un évêque peut permettre les mariages de moines et religieuses.  Mais, ce n’est pas ce que dit le canon. Au contraire, il nie ouvertement que des personnes de ce genre peuvent se marier. Et l’humanité, dont parle le concile, n’est pas l’autorisation du mariage, mais l’absolution de l’excommunication.  Bien que le concile fulmine un anathème perpétuel sur ces sortes d’apostats, il permet quand même à l’évêque  de lever l’excommunication avant l’article de la mort, s’ils sont venus à résipiscence, et se sont affranchis d’un mauvais contrat de mariage, comme l’explique le concile de Tours (canon 23).   Venons-en maintenant aux témoignages des pères réunis par Calvin, Brentius, Illyricus, et surtout par Pierre le martyr.
                                                 CHAPITRE 34
                     On réfute la sixième objection tirée des Pères
Le premier des pères est l’apôtre saint Pierre, avec tous les autres apôtres, à l’exception de saint Jean.  « Allons puiser un principe chez les apôtres, puisqu’ils sont les pères des pères.   Bien qu’ils aient été très saints, ils n’ont pas méprisé le mariage.  Bien plus, si nous en croyons saint Ambroise, tous eurent une épouse à l’exception de saint Jean et de saint Paul. » Et plus bas : « Bien que j’aie cité Ambroise dans tel écrit, cela ne veut pas dire que j’approuve tout ce qu’il dit.   Car d’où savait-il que saint Paul  n’avait pas eu d’épouse ? »   Je réponds  que nous ne pouvons pas savoir par l’Écriture quels sont les apôtres qui ont eu des épouses et quels sont ceux qui n’en ont pas eues, à l’exception de Pierre dont nous connaissons la belle-mère ( Matthieu 8).   Il en est de même de Paul.  Et au sujet des autres apôtres c’est en toute probabilité que, contre Jovinien,  saint Jérôme enseigne quelque chose sur les autres apôtres.  Mais, quoi qu’il en soit, il nous suffit de savoir que, après leur appel, tous les apôtres ont été continents.
Mais, dit Pierre martyr : « Ils ont coutume de  dire qu’après leur appel, les apôtres ont répudié leurs épouses, les ont traitées comme des sœurs, et  se sont abstenus de l’acte conjugal. Ceux qui disent ces choses ne font que l’affirmer sans le prouver.  Ils disent des choses absurdes,  des choses déraisonnables.   Car, il ne leur était pas permis de s’éloigner de leurs épouses, pour ne pas commettre l’adultère ou pour ne pas s’exposer à le commettre.   Le Christ n’est pas venu, non plus, dans le monde, pour faire des divorces, il a plutôt  sévèrement averti de ne pas séparer ce que Dieu avait uni. » Nous ne disons pas, nous, que les apôtres ont répudié leurs épouses, ce que le Christ interdit (Matthieu 9), mais que, avec leur consentement, ils se sont abstenus de l’acte conjugal.  Car, on ne dit pas non plus que saint Joseph a répudié sa femme Marie, parce qu’il ne l’a jamais connue.  Car ce n’est pas le coït, mais le consentement mutuel des époux qui fait le mariage.
Qu’après leur appel les apôtres ont renoncé à l’acte conjugal, nous ne faisons pas seulement le dire, mais nous le prouvons.  Car, quand saint Pierre dit à jésus (en Matth 19) : « Voici que nous avons tout laissé pour te suivre », le Seigneur lui répondit : « Quiconque laisse maison, parents, frères ou épouses, …recevra le centuple et possédera la vie éternelle. »  On voit là assez clairement que, parmi les choses que les apôtres ont laissées se trouvent aussi les épouses.  Si on ne peut pas laisser une épouse sans la répudier, que Pierre le martyr accuse donc le Christ qui promet une récompense si grande à ceux qui laissent leurs épouses.  Ajoutons que nous ne sommes pas les premiers à soutenir que, après leur élection, les apôtres ont vécu en célibataires.  C’est ce qu’a enseigné Clément d’Alexandrie, (livre 3 des stromates), ainsi que saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien). C’est ce qu’ont enseigné presque tous les pères, et personne ne les a jamais démentis.
Pierre le martyr nous oppose ensuite un texte de saint Ignace  qui écrit, dans son épitre à l’église de Philadelphie : « On ne doit détourner personne du mariage, puisque les patriarches, les prophètes et les apôtres ont été mariés. »  Je réponds.  Au sujet des apôtres, j’ai déjà dit qu’ils avaient eu des épouses, mais que, après leur élection, ils les ont changées en sœurs, comme le dit Clément d’Alexandrie.  Les patriarches et les prophètes servaient Dieu  au temps de la loi ancienne. Mais bien que certains prophètes aient enseigné par l’exemple qu’il ne fallait pas se détourner du mariage, comme le dit correctement saint Ignace, d’autres prophètes comme Élie et Jérémie ont présenté l’exemple de la continence.   Il nous objecte ensuite saint Justin qui, (dans son apologie 2) se souvient de la continence, mais non du vœu.  Je réponds. En quoi ce texte se rapporte-t-il au sujet que nous débattons ?  Il ne sera pas permis de faire un vœu parce que saint Justin a oublié de parler des vœux ?
Il nous objecte ensuite un texte de Denys le Corinthien qui (dans son épitre à Gnosios, d’après l’historien Eusèbe livre 4, chapitre 23)  demande à Pinytus, évêque évèque de Gnosios,  de ne pas contraindre les frères à observer la continence.  Je réponds.  Qui d’entre nous le contredira ?  Parce qu’il n’est pas permis de contraindre quelqu’un à observer la continence, il ne sera donc pas permis de la choisir spontanément ?  Il nous oppose ensuite un texte de saint Irénée (livre 1, chapitre 9) qui se souvient de l’épouse d’un diacre; et qui (au chapitre 31) affirme que Tatien a assimilé le mariage à la fornication.  Et Pierre le martyr ajoute : « Et que font d’autre nos adversaires ?  Ils vont encore plus loin, car ils soutiennent que le mariage des ministres est pire que l’adultère et la fornication. Si ce n’est pas consentir à l’enseignement de Tatien, qu’est-ce que c’est ? »   Je réponds. Qu’est-ce que dire des inepties ou mentir impunément, si cela ne l’est pas ?  Le vœu de continence sera-t-il illicite parce qu’un diacre s’est marié ?  Et comment prouves-tu que, après avoir reçu l’ordre sacré, il n’a pas cessé d’avoir des relations conjugales avec son épouse ?  Pour ce qui est de Tatien, il condamnait les mariages véritables et légitimes, et était, à cause de cela, un hérétique.  Quand à nous, les mariages des ministres consacrés nous ne les considérons pas comme des mariages légitimes, mais des sacrilèges sous le couvert de mariage.  Et voilà pourquoi nous ne les approuvons pas.  Autrement, si parce que quelqu’un  ne recommande pas les mariages illégitimes, il  est un adepte de Tatien, on appellera aussi disciple de Tatien celui qui n’approuve pas le mariage d’un père avec sa fille.  Voilà pourquoi saint Augustin qui connaissait très bien l’hérésie de Tatien, et qui l’avait condamnée dans son livre sur les hérésies (chapitre 25), dit que les chrétiens doivent ou contracter le mariage, ou, s’ils ne le contractent pas, vivre dans la pureté.  C’est de ce texte que Pierre le martyr a déduit que les moines et les prêtres qui ne vivent pas chastement sont obligés de se marier.  Pourquoi ne seraient-ils pas plutôt obligés de changer de vie, et d’amender leurs mœurs, afin de pouvoir vivre dans la pureté et la chasteté, et de respecter la promesse qu’ils ont faite à Dieu ?
Mais, rétorque Pierre le martyr : « Le même Clément dit (livre 3 des stromates) que Paul a eu une épouse, que Pierre et Philippe ont eu des enfants. »  Mais, il dit, au même endroit, que cela s’est produit avant leur élection, mais que après, ils ont habité avec leurs épouses comme avec des sœurs.  Il cite ensuite une longe dispute de Clément contre ceux qui condamnent les noces.  Mais, tout cela c’est parler pour ne rien dire.  Il nous oppose également Tertullien.  Il dit d’abord que, dans cet auteur, il y a beaucoup de choses qui favorisent les papistes, mais qu’on ne peut pas lui prêter foi parce qu’il a été hérétique, et a interdit les secondes noces.  Mais, il est facile de réfuter cela.  Car, même s’il est devenu hérétique, les pères ne lui ont jamais reproché d’avoir louangé le vœu de continence, mais seulement les autres erreurs que saint Augustin a toutes énumérées dans son livre sur les hérésies (chapitre 86). Pierre le martyr se permet ensuite de faire un gros mensonge.  Dans son livre sur les voiles des vierges, il se demande si seules les femmes mariées doivent entrer dans l’église la tête voilée, ou les vierges également.  Il ne parle pas du voile des vierges, mais de leur vêtement seulement.  Mais pour se rendre compte qu’il ment, il suffit de continuer à lire son livre.  Car il dit que parce que les vierges séculières qui entraient nue tête  dans un temple faisaient cela à contre cœur, les vierges sacrées sont entrées la tête couverte et voilée.
 Et, il apporte comme argument le texte de saint Paul (1 Corinth 11), où il ordonne aux femmes aux femmes de se voiler la tête, sans rien prescrire aux vierges. Il dit : « Les vierges des hommes agissent différemment des vierges de Dieu. »  Et plus bas : « Nous sommes scandalisés parce que les autres agissent autrement, préférant scandaliser plutôt que provoquer. »  Et plus bas : « O mains sacrilèges qui ont pu enlever un habit dédié à Dieu. »  Et plus bas : « Tu t’es mariée avec Dieu, tu lui as livré ta chair, c’est à lui que tu as consacré ta puberté, conduis-toi donc selon la volonté de ton époux !  C’est  le Christ qui ordonne que soient voilées les vierges et les épouses !  Les deux sont ses épouses. »  Or, le livre de saint Cyprien sur l’habillement des vierges nous enseigne assez clairement de quelles vierges parle Tertullien.
Mais Pierre le martyr a, contre nous,  un insigne témoignage, celui de Tertullien.  Dans son livre sur la monogamie, commentant le texte de saint Paul (1 Timothée 5), « je veux que les plus jeunes se marient », il écrit : « Il attire notre attention sur des jeunes veuves qui après s’être engagées à rester veuves, ont changé d’idée, et après avoir connu des délices dans le Christ, ont voulu se marier.  Elles ont été condamnées parce qu’elles avaient rescindé la foi première, la promesse de viduité perpétuelle  dans laquelle elles n’ont pas persévéré.  C’est pour cela qu’il veut qu’elles se marient, afin qu’elles ne résilient pas, par après,   la première foi de viduité perpétuelle. »  Le martyr ajoute : « Par ces paroles, il faut comprendre une ou l’autre chose : ou Paul veut qu’elle se marie, même si elles ont fait un vœu, et c’est que semble vouloir dire Tertullien,  ou s’il ne s’agit pas de veuves qui ont fait un vœu, mais de veuves semblables, Paul veut quand même qu’elles se marient, pour qu’elles ne violent pas plus tard la promesse  faite.  Cette sentence contredit nos adversaires, car ils permettent, eux, à des adolescentes et à des jeunes filles de faire des vœux, et d’encourir le péril de les violer. »
Je réponds que les paroles de Tertullien n’admettent pas le premier sens qu’il leur attribue. Car ces paroles : (il veut qu’elles se marient pour qu’elles ne violent pas la foi première de viduité) montrent clairement qu’il parle de celles qui n’ont pas encore fait un vœu de viduité.  Car, celles qui ont fait vœu une fois pour toutes,  et ont violé leur foi première comment peuvent-elles se marier pour ne pas violer leur foi première, puisqu’elles l’ont déjà violée, et que se marier est une violation du vœu de viduité.  Pour Tertullien, violer sa première foi c’est ne pas persévérer dans la profession de viduité.  Mais le martyr répond : « Quand Paul dit : je veux que  les plus jeunes se marient, il parle de celles qui  ont violé leur première foi, comme le dit Tertullien : l’apôtre veut donc, selon l’interprétation de Tertullien, que se marient celles qui avaient déjà fait un vœu de viduité. »  Je réponds que s’adresser à celles qui ont fait des vœux  n’est rien d’autre que les regarder, et de leur apporter un remède pour leur ruine, comme les mots qui suivent le montrent clairement.
En ce qui a trait à la deuxième sentence, nous admettons que l’apôtre veut que les jeunes veuves se marient, mais, comme nous l’avons montré avec les textes des pères, pas toutes les vierges, mais celles-là seules qui ne veulent pas être continentes.  J’omets les autres mensonges de Pierre le martyr, comme quand il dit, par exemple, que le mariage est pour nous quelque chose d’impur et de lascif.  Il a fait d’autres mensonges du même genre dont il devra rendre compte à Dieu.   Il nous oppose ensuite Origène dans les livres desquels il ne trouva rien qui l’avantageât, si ce n’est quelques passages qu’il pensait plaider pour lui parce qu’ils ne parlaient pas expressément contre lui.  Là, par exemple, où Origène ne maudit pas le mariage, et surtout là où il fait de grandes louanges au mariage.  Il cite plusieurs paroles des commentaires d’Origène (sur le chapitre 12 de l’épitre aux Romains, et les chapitres 19 et 23 de Matthieu). Mais il n’y a rien dans tout ce qu’il dit là qui se rapporte à notre propos.  Car nous ho0norons, nous, le mariage bien plus que ne le font nos adversaires, puisque nous enseignons qu’il est un sacrement du Christ, ce qu’eux nient avec acharnement, eux qui ne voient dans le mariage qu’un contrat civil.
On nous oppose un autre texte de saint Cyprien (livre 1, épitre 11, à Pomponius).  Voici ce qu’il dit de certaines vierges qui, après s’être consacrées à Dieu, ont couché avec des mâles : « Celles qui, après avoir été consacrées à Dieu par un voeu, persévèrent dans la pudicité et la chasteté sans faille, et sont asses fortes et stables pour espérer la récompense de la virginité.  Mais si elles ne veulent pas  ou ne peuvent pas  persévérer, il est préférable qu’elles se marient plutôt que  tomber dans feu par leurs jouissances ». Ce texte, ce n’est pas Pierre martyr seulement qui le cite, mais aussi Calvin, Brentius et d’autres.
Pierre le martyr réfute certaines réponses incongrues, pour montrer que l’argument est incontournable.  Mais la réponse est facile et évidente.  Saint Cyprien parle de la même façon que l’apôtre Paul (1 Timothée 5), quand il parlait de certaines vierges qui se conduisaient peu honnêtement après un vœu de virginité. Il  invitait à ne pas faire de vœu mais  à se marier celles qui n’avaient pas une intention arrêtée de  persévérer. Voici donc quel est le sens des paroles de saint Cyprien : si après avoir consacré par vœu leur virginité  au Christ, elles ont persévéré  sans faille dans la pureté et la chasteté.  Mais  si elles ne veulent pas persévérer ou ne le peuvent pas, c’est-à-dire : si elles pensent, quand elles se demandent si elles vont faire un vœu,  qu’elles ne pourront pas persévérer, il vaut mieux qu’elles se marient plutôt que de tomber dans le feu à cause de leurs jouissances.
Que ce soit là le sens, on peut le prouver.   Première preuve.  Saint Cyprien permet à ces vierges de se marier dans le cas seulement où elles ne veulent ou ne veulent pas être continentes.  Il concède donc le mariage seulement si elles ne veulent pas persévérer, même si elles le pouvaient.  Qu’après un vœu licite il soit permis à quelqu’un de se marier, ni Calvin ni Pierre le martyr ne l’affirment.  Dans son épitre sur les vierges sacrées le même Cyprien affirme qu’elles pèchent gravement si elles s’unissent maritalement à un homme; et que ce n’est pas d’un homme, mais du Christ qu’elles sont adultères : « Si un mari surprend sa femme couchée avec un autre homme, n’est-il pas indigné et ne frémit-il pas ?  Et par l’atrocité de la douleur  ne dégaine-t-il pas instantanément ?   Ne s’indigne-t-il pas et ne s’irrite-t-il pas  le Christ Seigneur notre juge quand il voit  dans les bras d’un homme une vierge à lui consacrée, et vouée à sa sainteté ?  Et de quelles peines ne menacera-t-il pas les conjoints d’un tel inceste ! »  Voilà donc ce qu’il dit.   Cyprien ne pouvait donc pas permettre le mariage à des vierges dédiées à Dieu. Il ne veut pas, non plus permettre une union incestueuse qui est une offense manifeste à Dieu.  Qui pensera que Cyprin a été sot au point de permettre sciemment et prudemment des crimes très graves ?
Mais Pierre le martyr a sur le cœur le « ou ne peuvent pas ».  Comme s’il y en avait qui ne peuvent en aucune façon se contenir, même s’ils le voulaient. Mais nous avons déjà expliqué cela plus haut. Car sains Cyprien parle comme si c’est ce que voulait dire le Christ quand il a dit : que celui qui peut comprendre comprenne.  Car ceux dont on dit qu’ils ne veulent ni ne peuvent se contenir ce sont ceux qui ne désirent pas être continents avec une volonté ferme et entière.  Leur manquent donc les forces efficaces nécessaires à la continence, lesquelles forces ils pourraient acquérir s’ils les demandaient avec confiance et persévérance dans la prière.  L’autre texte nous l’avons déjà expliqué dans le livre sur la singularité des clercs, (dispute sur le célibat des prêtres.)
 Il nous oppose un dixième texte, celui d’Eusèbe Césarée, duquel il ne tire cependant rien d’autre qu’une conjecture, à savoir que la consécration des vierges a commencé au temps de l’empereur Constantin, et qu’elle n’existait pas avant.  Dans le livre 4 de la vie de Constantin, après avoir raconté que Constantin avait abrogé une ancienne loi qui privait d’héritage ceux qui n’avaient pas d’enfants, il ajoute tout de suite après que des femmes s’étaient consacrées à Dieu par  la chasteté perpétuelle et par le sacerdoce de Dieu.  Mais cette dernière conjecture ne s’appuie que sur un mensonge manifeste.  Car ce n’est pas de la consécration des vierges après le récit de l’abrogation de la loi qu’il nous entretient. Il parle plutôt de la virginité consacrée à Dieu  comme une raison de l’abrogation de la loi.  Il dit lui-même, en effet,  « avoir abrogé la loi parce que beaucoup d’hommes  et de femmes étaient sans enfants non par incapacité d’engendrer, mais  parce que, à cause d’un immense amour de Dieu, ils faisaient profession perpétuelle de célibat. »

Le onzième texte qu’il nous objecte est tiré de saint Athanase, mais il n’y  a même pas là une syllabe qui plaide en sa faveur. Voilà pourquoi, après avoir cité des passages qui lui sont contraires, il répond qu’il ne faut ni écouter ni tolérer Athanase, parce que ce père a prôné beaucoup trop d’idées qui lui sont propres.  Les centuriates (centurie 4, chapitre 4, col 267, et chapitre colonne 466, et chapitre 7, colonne 486) présentent un témoignage de saint Athanase (tiré de son épitre à Dracontius), où il dit « qu’il connait des évêques et des prêtres qui ont eu des enfants. »  Je réponds que nous aussi nous connaissons  beaucoup de moines, qui se disaient même évêques, et qui ont eu des enfants : Luther, Bucer, le martyr, Oecolampadius, Wigandus, et d’autres.  En ce passage, Saint Athanase blâme les évêques et les moines qui mènent une vie de perdition;  et il  précise qu’il en a même connu qui ont eu des enfants.  Que la chose ait été illicite de par la sentence même d’Athanase,  nous le fait comprendre l’exhortation qu’il donne aux moines, dans laquelle il indique comme empêchements à la vie monastique l’union conjugale et la garde d’enfants.
Il nous objecte ensuite un texte de saint Basile, qui a été appelé grand à cause de son érudition et de sa doctrine.  Il tire une citation du livre sur la virginité où saint Basile réprouve les vierges consacrées à Dieu qui ont une vie honteuse et perdue.  C’est là qu’il dit que : « il aurait été préférable qu’elles aient un mari, qu’elles lui soient soumises, et qu’elles remplissent leur devoir conjugal, comme il convient. »  Et le martyr de conclure : « Rien ne peut être dit qui nous soit plus favorable. »  Je réponds que saint Basile ne conseille pas aux religieuses qui vivent scandaleusement de se marier, après avoir foulé aux pieds leurs engagements religieux.  Il dit seulement qu’il aurait été préférable qu’elles se marient plutôt que de faire des vœux.  Car, il est préférable de se sauver dans un état de vie plus humble, que de se perdre dans un état de vie plus sublime.  Ses paroles qui suivent nous le font comprendre : « Car, si après avoir secoué le joug d’un mari, et rendue inutile la grâce d’entretenir une maison et de procréer des enfants, on a honte de la profession virginale, tout devient dommageable.  Et il aurait été de loin préférable qu’elle soit unie à un homme et gouvernée par lui pendant toute sa vie. »  Tu vois que, dans ce passage, le mariage est conseillé non à celle qui a fait des vœux, mais à celle qui après avoir fait profession de vie religieuse, a rendue honteuse sa profession religieuse.
Dans le même livre, saint Basile prouve abondamment que, pour aucune considération, les vierges ne peuvent se marier : « Celles qui ont fait profession de virginité et qui, affolées  par les voluptés de la chair, veulent commettre un péché de fornication sous le nom de mariage, n’ignorent pas, même si elles plaident l’ignorance, que, après   avoir donné la main droite au Christ , elles ne sont  plus l’épouse de celui qu’elles ont illégitimement abandonné;  et  qu’elles ne peuvent pas, non plus, selon les lois, être l’épouse de celui auquel elles sont unies par un amour vicieux. »  Et plus bas : « Qu’elle ne s’illusionne pas ! Qu’elle n’estime pas mariage ce qui est un péché ! » Et, plus bas : « Il n’y a rien qui pourra lui fournir le prétexte de se marier ! »
Mais le martyr répond : « Quand Basile a écrit cela, il avait perdu la mémoire. »  Mais qui croira qu’un homme si admirable qui reçut le nom de grand à cause de son érudition, ait milité si ouvertement contre lui-même, et n’ait pas pu écrire trois pages sans se souvenir de ce qu’il avait dit avant ?  J’omets ensuite les autres reproches qu’il adresse à saint Basile.  Car, nous ne nous demandons pas ici s’il a bien parlé, mais si ce qu’il a dit se rapporte au sujet présent.  Et pour la réfutation des calomnies de Pierre le martyr, il suffit de savoir que Basile a été vraiment appelé grand, et que lui est appelé faussement martyr.
La treizième objection, il la tire de saint Grégoire de Naziance, de qui il n’a rien pu trouver qui nous soit contraire.  Là où saint Grégoire écrit que le mariage est une bonne chose, il présente plusieurs citations qu’il considère plaider en sa faveur, pour la seule raison qu’elles ne lui sont pas contraires. Il cite aussi plusieurs passages qu’il déclare ne pas approuver, comme par exemple, que la virginité associe les hommes aux anges, que la virginité est un signe de splendeur, et le mariage de soucis, que la continence dépend de notre libre arbitre, de sorte que peuvent la pratiquer tous ceux qui le veulent.  Il dit expressément qu’il ne peut pas admettre ces enseignements. Et, tout compte fait, il n’approuve pas grand-chose.
 La quatorzième vient de saint Hilaire, dans lequel il n’a trouvé qu’une seule chose à nous objecter. Pour tout le reste, il rejette Hilaire, et les autres pères qui favorisent trop ouvertement les papistes. Le témoignage d’Hilaire que Pierre le martyr présente contre nous se trouve dans son commentaire de Matthieu 19 : « Que le discours et la volonté portent pour nous sur les eunuques. Dans un,  il a placé la nature, dans un autre la nécessité, et dans un troisième la volonté. La nature, dans celui qui est né ainsi, la nécessité, dans celui qui a été fait ainsi,  et la volonté dans celui qui s’est décrété tel dans l’espoir du règne céleste.  Et il avertit que nous lui devenions semblables, si nous le pouvons.»  Le martyr fait le commentaire suivant : « Remarquez qu’il n’a pas dit si nous le voulons, mais si nous le pouvons, chacun  tenant compte de ses forces. »
Je réponds que saint Hilaire n’a rien ajouté à la parole du Seigneur : « Que celui qui peut comprendre, comprenne ! », dont nous avons longtemps parlé.  Nous ne nions pas qu’il faille tenir compte de ses propres forces, et que ne doivent pas se castrer eux- mêmes pour le royaume des cieux ceux qui sentent ne pas avoir les forces nécessaires pour être continents, et qui donc ne le peuvent pas.   Nous ajoutons, toutefois, que ceux qui n’ont pas encore la force voulue, et ne peuvent donc pas être continents, peuvent en acquérir la force par l’oraison, et pourront ensuite être continents s’ils le veulent.  Les magdebourgeois tirent un autre passage de saint Hilaire (centurie 4, chapitre 4, colonne 300) où après avoir parlé de la virginité selon saint Athanase, ils ajoutent : « C’est contre cette opinion superstitieuse que semble parler Hilaire dans son commentaire du psaume 64 : « Nous voyons des philosophes vivre tout nus. Les maîtres s’abstiennent aussi de l’usage du mariage. Pour toute nourriture, des hérétiques vivent de pain sec. Mais quel profit tirent-ils  de leur oisiveté? Tout cela est vain et ridicule, et misérable comme le sont les causes de ces superstitions.  C’est donc à Dieu qu’il faut vouer le mépris du corps, la garde de la chasteté, et la tolérance du jeûne.  Car  les vœux ne sont utiles que dans la religion chrétienne,  quand le recommandent à Dieu de justes et dignes règles, et le zèle d’une observance professée en Église. »
De ces paroles, les magdebourgeois ont déduit qu’il fallait vouer le mépris du corps, mais non , ce qui serait exagéré, la nudité et le désoeuvrement; qu’on devait vouer la chasteté conjugale, non la virginité, qu’on doit faire vœu de jeuner, mais non de ne manger que du pain.  Mais ce n’est pas ce qu’Hilarius dit.  Il explique seulement que, en dehors de l’Église, la continence, le jeûne, le mépris du corps ne sont d’aucun profit; mais que si ces choses sont faites pour Dieu, et vouées à Dieu,  elles ont une très grande valeur.  Car, il était en train de commenter les paroles du psaume : « À toi est rendu un vœu  à Jérusalem. »  Et il développe les paroles suivantes : à toi, et à Jérusalem, c’est-à-dire à Dieu et dans l’église.  Il appelle superstitieux les jeûnes et la continence des Gentils parce que non faits pour Dieu; ainsi que des hérétiques, parce que non faits dans l’Église.  Pierre le martyr avait compris que le vœu de célibat devait être fait pour plaire à Dieu. Mais il ajoute qu’il n’approuve pas cette sentence d’Hilaire.

Le quinzième vient d’Épiphane dont il tire deux textes.  Un de son livre sur les hérésies (hérésie 48) où nous lisons : « Nous, nous n’imposons pas de nécessité. Nous exhortons par un bon conseil, encourageant celui qui le peut, sans imposer de nécessité à celui qui ne le peut pas, et sans le rejeter de la vie. »  Pierre le martyr voit dans ces paroles d’Épiphane que les catholiques enseignent  la nécessité du célibat, car ils n’admettent aux saints ordres que les célibataires. Et autre chose : que les catholiques disent que tous peuvent se contenir s’ils le veulent.  Épiphane, selon lui,  réprouverait l’une et l’autre assertion. Réponse. Au sujet de la dernière, nous avons souvent expliqué comment il est vrai que tous peuvent se contenir s’ils le veulent.  Ils ne peuvent pas, en effet, quand ils n’ont pas le don, mais ils le peuvent, absolument parlant, parce qu’ils peuvent l’avoir ce don s’ils le demandent à Dieu.  Nous ne nions quand même pas, qu’entre temps, ce serait mal agir que de faire un vœu de continence quand on sent qu’on n’a pas la force de l’observer; et que ce serait encore plus mal agir d’exhorter ou même de forcer ces hommes à faire un vœu.
Au sujet de la première assertion, je ne trouve là qu’une manifeste calomnie.  Car, même si nous n’admettons aux saints ordres que les célibataires, nous ne forçons personne à entrer dans les ordres, ou à faire profession de continence.  Voici pour quelle raison ce même Épiphane (hérésie 59), qui ne veut contraindre personne à choisir le célibat, affirme qu’on ne doit admettre aux saints ordres que les célibataires : « Il est vrai que, après l’avènement du Christ, la sainte prédication de la parole de Dieu ne reçoit pas  ceux qui, après la mort de leur épouse, se sont remariés; et cela, à cause de l’excellence, de la dignité, et  de l’honorabilité du sacerdoce.  Elle ne reçoit pas non plus les hommes mariés une seule fois qui procréent encore des enfants.  Celui qu’elle reçoit comme diacre, prêtre, évêque et sous-diacre, c’est celui qui s’est abstenu de toute union avec une seule femme, ou qui vit dans la viduité.
Brentius et Pierre le martyr présentent un autre témoignage tiré du même livre des hérésies (hérésie 61), où nous lisons : « Il est préférable à celui qui tombe publiquement sur le chemin de prendre une femme selon la loi et de faire pénitence longtemps pour la virginité perdue, plutôt qu’être à chaque jour transpercé par des javelots. »  Je réponds d’abord qu’Épiphane semble vouloir dire que c’est un moindre mal de se marier après un vœu de chasteté que de forniquer secrètement et assidument.  Il ne dit pas, cependant, que ce n’est pas un mal de se marier après un vœu de chasteté, comme le pensent les adversaires, et c’est sur quoi porte notre controverse.  Car, dans le même livre, Épiphane avait dit avant : « Les saints apôtres nous ont transmis que c’était un péché de se tourner vers le mariage après avoir  consacré à Dieu sa virginité »  Et un peu après, il reprend l’avertissement de saint Paul : « Si la vierge se marie, elle ne pèche pas », et précise qu’on doit entendre ici par vierge celle qui ne s’est pas encore consacrée à Dieu.  Et plus bas, interprétant  ce passage de Timothée : 1,5, : « Elles ont la damnation en partage, car elles ont rendu nulle leur première foi », il dit que cela se rapporte d’abord et avant tout aux vierges qui veulent se marier après leurs vœux. »
De plus, Pierre le martyr lui-même reconnait qu’Épiphane parle en notre faveur : « Je n’ai jamais affirmé qu’Épiphane était des nôtres  quand il déclare que c’est un péché de se marier après un vœu de chasteté ». Et plus bas : « Épiphane ne s’accorde pas avec moi sur ce sujet, mais seulement quand il dit que ces mariages sont vrais et licites ».   Ou il milite manifestement contre lui-même, ou il affirme faussement qu’Épiphane milite contre lui-même.  Car se contredisent les deux assertions suivantes : un mariage après un vœu est un péché; un mariage après un vœu est licite.  Le martyr attribue l’une et l’autre à Épiphane, lequel affirme toujours la première, et la deuxième, jamais.
Je réponds ensuite qu’il est probable qu’Épiphane n’ait pas voulu dire que c’était un moindre mal de se marier après un vœu que forniquer, mais qu’il ait plutôt exhorté au mariage ceux qui sans vœu persévéraient dans le célibat, mais vivaient honteusement.  Car, en cet endroit, il distingue deux sortes de vierges.  Une formée de celles qui, par l’élection, la profession et le vœu, étaient vierges, et c’est d’elles qu’il répète souvent  qu’on ne peut pas, sans péché grave, se tourner vers le mariage après avoir dédié sa virginité à Dieu.  L’autre  est formée de celles qui, dans leur jeunesse, ne trouvèrent pas de mariage accommodant,  et qui sont demeurées pendant un certain temps célibataires.  Il leur était arrivé de forniquer en cachette, et étaient encore vierges devant les hommes, mais pas devant Dieu.  Ce sont celles-là qu’il exhorte à faire pénitence, à cause de leur virginité perdue par la fornication, et de chercher un refuge dans le mariage, en redoutant plus la condamnation de Dieu que celle des hommes.
Voilà pourquoi, quand Épiphane dit : il est préférable d’avoir un seul péché que plusieurs, il ne veut pas dire qu’il est meilleur de pécher une fois pour toutes en se mariant après un vœu, que d’exposer son célibat au péril constant de la fornication.  Et quand il exhorte celui qui est tombé dans la course  de prendre femme, il n’appelle pas  course un vœu de célibat, mais  le célibat lui-même qu’il avait pendant longtemps observé, et perdu par après par la fornication.  Je dis que cette explication est hautement vraisemblable, autant parce que les paroles d’Épiphane admettent ce sens, autant parce qu’il n’est pas croyable qu’Épiphane ait voulu exhorter à ce que lui-même juge aller contre les sanctions apostoliques.
 Pour la seizième, Pierre le martyr nous objecte saint Jean Chrysostome, de qui il ne nous présente que ses louanges du mariage, ce qui n’a rien à voir avec notre débat.  Mais les magdebourgeois (centurie 5, chapitre 4, colonne 444)  nous opposent un témoignage de saint Jean Chrysostome tiré du sermon sur la cohabitation des femmes religieuses avec des hommes, où il exhorte les vierges sacrées de se marier plutôt que de cohabiter avec des hommes de cette façon-là : « Car ces mariages Dieu ne les condamne pas, et les hommes ne les réprouvent pas.  C’est une chose honnête, qui n’offense personne, et ne blesse personne.  Mais cette virginité qui vit avec des hommes est prouvée pire que le viol. »
Les magdebourgeois n’ont pas reproduit ces paroles assez fidèlement.  Ils ont en effet omis celles qui précèdent de près.  Or, on peut déduire de ces mots omis que saint Jean Chrysostome parle des mariages qui précèdent le vœu, non de ceux qui viennent après.  Car, c’est ainsi qu’il parle : « Car si tu voulais cohabiter avec quelqu’un,  il ne te fallait pas choisir la virginité, mais tu devais passer au mariage.  Car il aurait été bien mieux de te marier que faire profession de virginité de cette manière.  Car ces noces Dieu ne les condamne pas non plus. »  Et, plus bas : « Si elles convoitaient un homme et désiraient se marier, qui les en empêchait ? Qui leur enlevait le pouvoir de le faire ? »  Saint Jean Chrysostome parle donc, comme saint Cyprien et saint Basile,  de ce qui aurait du se faire avant le vœu, non de ce qui doit être fait après le vœu.  Car le même Jean Chrysostome (dans son épitre 6 à Théodore) explique longuement  qu’un mariage contracté après des vœux monastiques ne doit pas porter le nom de mariage mais de quelque chose de pire que l’adultère.
Il existe, pour dire vrai, un passage  de saint Jean Chrysostome contre les voeux qu’on peut nous opposer, même si jusqu’ici je n’ai vu aucun adversaire nous l’objecter.  C’est au livre 3 de son livre contre ceux qui vitupèrent la vie monastique, vers la fin : « Nous ne rappelons donc pas pour rien du séjour du désert  ceux qui sont encore libres.  Nous leur permettons d’acquérir vraiment la discipline de la voie céleste, et de fortifier leurs arbustes par des racines profondes.  Et s’ils sont nourris dix ans ou vingt ans dans un monastère, nous ne leur faisons pas de reproche. »  Ces paroles laissent entendre que, au temps de saint Jean Chrysostome, les moines n’étaient pas retenus par des vœux, dans le désert ou dans les monastères, ou que les vœux étaient optionnels, du fait qu’il leur était possible en tout temps de quitter le monastère et de retourner dans le monde.
 Je réponds  qu’il y avait deux sortes d’hommes qui vivaient dans les monastères à son époque.  Les uns faisaient profession de vie monastique, et étaient astreints aux vœux, et ne pouvaient pas retourner dans le monde.  D’autres séjournaient dans les monastères quelque temps seulement, non pas tant pour devenir moines que pour se former à la piété et aux vertus.  Ces derniers n’étaient retenus par aucun vœu, et pouvaient sortir du monastère à leur gré. C’est de ceux-là que parle saint Jean Chrysostome.  On peut déduire de ce texte qu’il exhorte tous les citoyens à envoyer leurs fils dans des monastères, et même ceux qui sont déjà mariés, pour qu’ils y demeurent un certain temps.
C’est des premiers que parle saint Basile (au chapitre 21 des constitutions) où, par plusieurs raisonnements, il montre qu’il n’est pas permis à un moine de retourner chez lui.  C’est ce que dit aussi saint Jean Chrysostome (dans sa lettre 6 à Theodore) : « Oui, je pleure, non parce que tu rèves encore des choses paternelles, mais parce que tu négliges et foules aux pieds ce que tu avais promis au Christ de tout cœur.  Celui qui a commencé à être un soldat est jugé digne de la peine capitale si on le voit déserter l’armée. »  De même Theophylacte  (au chapitre 8 de Matthieu) : « S’il n’est même pas permis à celui-là d’ensevelir son père, malheur à ceux qui, après avoir fait profession de vie monastique,  retournent aux affaires mondaines ! »
 La dix-septième.  Pierre le martyr présente saint Ambroise.  Parce qu’il n’a rien pu trouver chez lui contre les vœux de continence,  il se dérage sur ses livres qui traitent des vierges, des livres sublimes.   Il déclare que saint Ambroise se contredit  parce que, après avoir enseigné  que la virginité n’est pas commandée, mais conseillée, il en fait maintenant une obligation en interdisant aux vierges consacrées à Dieu de se marier.  Mais ce faux martyr est si  aveuglé par l’amour charnel, qu’il  ne sait pas ce qu’il dit, ni de qui l’on parle.  Car c’est une chose d’imposer de force la virginité,  et c’est une autre chose de l’exiger de qui l’a spontanément promise.  Enfin, ces livres sur la virginité qui déplaisent tant au martyr Pierre, sont grandement loués par saint Jérôme  (dans son épitre 22 à Eustochius).
La dix-huitième, il la tire d’un texte de saint Jérôme (épitre 8 à Demetriade).  Ensuite, il attaque vigoureusement les livres de saint Jérôme contre Jovinien.  Mais, à sa dernière objection, il suffit d’opposer un texte de saint Augustin, qui dans son épitre 29 à saint Jérôme, appelle les livres contre Jovinien  une dispute suave et magistrale.  Saint Jérôme, dans son apologie pour ses livres contre Jovinien,  avait d’avance réfuté les calomnies que renouvelle Pierre le martyr.  Voici quel est le témoignage (dans l’épitre à Démétriade) : « Le saint propos des vierges, la gloire de la famille céleste des anges,  est avili par celles qui n’agissent pas bien, celles à qui il faut dire : ou qu’elles se marient si elles ne peuvent pas se contenir, ou qu’elles se contiennent si elles ne veulent pas se marier. »  Ces paroles, dit le martyr ne  peuvent pas s’appliquer à celles qui n’ont pas encore fait de vœux.  Car personne n’honore un ordre sans en faire partie; personne n’accuse des apôtres d’avoir une vie honteuse, à moins qu’il ne soit l’un d’entre  eux. »
Je réponds que saint Jérôme parle des servantes des vierges nobles.  Car, certaines vierges consacrées  étaient d’une grande noblesse.  Elles vivaient dans leurs maisons, et étaient toujours accompagnées de plusieurs servantes.  Il arrivait souvent que certaines de ces servantes qui n’avaient fait aucun vœu, donnaient une mauvaise réputation à leur maîtresse en vivant sans trop de pudeur.  Car,  voici comment saint Jérôme continue tout de suite après : « Les mœurs et les intérêts des maîtresses sont la plupart du temps jugés par les mœurs des servantes et des convives. »  Que les servantes des vierges sacrées n’ont pas toutes été des vierges consacrées, le lettre 22 à Eustochius nous le montre.  Il avertit là Eustochius d’honorer davantage celles qui sont vierges, et de les faire manger avec elle à sa table, pour que l’honneur qui leur est rendu soit pour les autres une invitation.  C’est là qu’il ajoute ces paroles au sujet des servantes qui, selon son conseil, devaient être invités à la continence par l’honneur rendu aux autres : « Si une regimbe, et fuit la servitude, lis à celle-là les paroles de l’apôtre : il vaut mieux se marier que de brûler. »  Il enseigne là qu’on doit  inciter les servantes à désirer le vœu de continence, mais non à les forcer.
On aurait pu tirer de saint Jérôme un autre témoignage. Car, voici comment il parle à une vierge consacrée dans l’épitre 47 : « Si tu es vierge, pourquoi crains-tu la garde attentive ? Si tu es corrompue, pourquoi ne te maries-tu pas ouvertement ? »    Que ce soit à une vierge sacrée qu’il parle, les mots de la même lettre nous le révèlent : Que ne te déplaise pas la vocation qui t’a consacrée vierge par ton époux. »  Je réponds que saint Jérôme parle d’une certaine vierge qui n’avait pas fait profession publiquement dans un monastère, (car, dans la même lettre, il l’exhorte à se rendre à un monastère), mais qui avait fait privément un vœu de continence, comme, à cette époque, beaucoup faisaient. Et ensuite, après avoir abandonné la mère veuve, elle s’unissait à un jeune homme, et vivait avec lui sans un soupçon d’impudicité.  C’est elle que saint Jérôme exhorte à se marier publiquement, plutôt que de vivre impurement en scandalisant les autres.   Il ne lui conseille pas cela comme si ce n’était pas un péché  de se marier après un vœu (comme nos adversaires le veulent), mais parce qu’elle pècherait moins, puisque  la prudence et la raison enseignent qu’entre deux maux, il faut choisir le moindre.
Que saint Jérôme pense que c’est un péché de se marier après avoir fait vœu de continence, Pierre le Martyr ne le nie pas, puisqu’il le répète des milliers de foi contre Jovinien, et ailleurs.  Mais  même ici.  Car, après avoir dit : si tu es corrompue, pourquoi ne te maries-tu pas publiquement, il ajoute : « Je ne dis pas cela pour enlever la pénitence après le péché, et pour ce que celle qui a mal commencé, persévère encore plus mal, mais parce que je désespère de cette sorte d’union. »  Ce qui veut dire : je ne t’exhorte pas à te marier parce que je désire que tu persévères d’une mauvaise façon en te mariant dans ce que tu as mal commencé, en forniquant, mais plutôt que tu fasses pénitence et que tu t’amendes.  Mais comme je désespère que tu puisses te séparer de ton homme, voilà pourquoi j’aime mieux un moindre mal, le mariage, que la fornication.
  Il faut noter qu’un mariage fait après un vœu simple (ce dont parle saint Jérôme) est un vrai mariage, même s’il ne peut pas être fait sans faute.  Et voilà pourquoi, à cause du conjoint, des enfants et des autres biens qu’apporte la mariage,  c’est un moindre mal, après un vœu de ce genre,  de se marier plutôt que de forniquer continuellement.  Cependant, selon un autre point de vue, comme nous l’avons déjà dit, c’est un plus grand mal de se marier ainsi que de forniquer, parce que, celui qui se marie ainsi se rend inapte à conserver son vœu, ce que ne fait pas celui qui fornique.
Le dix-neuvième. Saint Augustin.  Il dit d’abord qu’il lui est très contraire, à lui et à ses luthériens : « Toutes ces sortes de vœux, de virginité, de veuvage, de chasteté conjugale, saint Augustin veut qu’ils soient valides et stables, de sorte que pèchent gravement ceux qui, après les avoir professés, se marient. » Et après avoir cité d’autres textes, il ajoute subitement : « L’homme de Dieu  a écrit ces choses  comme quelqu’un qui s’est fourvoyé.»  Or, pourquoi n’est-ce pas plus vraisemblable que ce soit Pierre le martyr qui se soit fourvoyé plutôt que l’homme de Dieu, lequel, de l’aveu même de nos adversaires, est très savant et très saint ?  Il cite deux textes qui seraient en sa faveur. Un tiré du livre sur la très sainte virginité (chapitres 40 et 41) où saint Augustin dit qu’il est très difficile de comprendre pourquoi Dieu donne à l’un le don de la continence,  et ne le donne pas à un autre. Si tous ceux qui veulent l’avoir l’avaient, il n’y aurait aucune difficulté à comprendre pourquoi il est donné à l’un et pas à l’autre.  Car, la raison en serait que c’est parce que l’un le veut, et l’autre ne le veut pas.
L’autre témoignage, il le tire du livre sur le bien de la viduité, (chapitres 9 et 10, et de l’épitre 70  à Boniface), où il enseigne que le mariage après les vœux est ratifié et valide, et ne doit pas être dissous.   Brentius ajoute un troisième témoignage tiré du livre du bien conjugal (chapitre 21), où saint Augustin n’ose pas attacher plus de valeur à la virginité de saint Jean Baptiste qu’au mariage d’Abraham.   J’ajoute un quatrième tiré du livre sur la sainte virginité (chapitre 34) où il dit de certaines vierges consacrées : « elles veulent se marier, mais elles ne se marient pas parce qu’elles ne le peuvent pas impunément, elles pour qui il vaudrait mieux se marier que brûler. »
Je réponds au premier témoignage en disant que saint Augustin ne parle pas du don de continence qui fait en sorte qu’on puisse se contenir, ce que personne ne nie, mais de celui qui fait  qu’on se contienne effectivement. Ce qui n’est donné qu’à ceux auxquels Dieu jugera devoir le donner.  Cela n’est pas propre, non plus, au don de continence, mais c’est  une chose  qui vaut aussi pour le don de la foi, de l’amour, de la persévérance, et pour les autres dons de ce genre.  Tous les justes peuvent réellement persévérer s’ils le veulent, et, en même temps, il est impossible de comprendre pourquoi Dieu donne à un juste le don de persévérance, de façon à ce qu’il persévère effectivement et infailliblement, et pourquoi il permet  à un autre de tomber, sans lui donner la grâce efficace qui le ferait persévérer infailliblement.  Dans son livre sur l’esprit et la lettre (chapitre 34) il écrit : « Car si quelqu’un me forçait à sonder cette profondeur, à savoir pourquoi quelqu’un est persuadé de persévérer, et un autre non, deux phrases me viennent à l’esprit : « O altitude des richesses ! » Et : « Il n’y a pas d’iniquité en Dieu. »  Mais de cela, on discutera plus tard.
Au deuxième témoignage, je dis que saint Augustin a déclaré que les noces après un vœu étaient de vraies noces, mais il a affirmé en même temps (ce que Pierre martyr ne nie pas) que pèchent gravement ceux qui se marient après avoir prononcé un vœu de chasteté.  Car, (dans son livre du bien de la viduité, chapitre 9), il écrit : « De telles veuves sont condamnées, non pour avoir, par après, voué leur foi à un mari terrestre, mais pour avoir rendu nulle la première foi de la continence. »  Et (au chapitre 11) : « Je ne peux pas dire des femmes, qui en se mariant, ont déchu d’un dessein meilleur, qu’elles sont des adultères et non des épouses, mais je n’hésiterai pas à dire que les chutes et les ruines d’une chasteté plus sainte qui avait été vouée à Dieu sont pires que des adultères. »  Ce témoignage de saint Augustin n’apporte rien contre ce que nous soutenons,  à savoir qu’il n’est pas permis de se marier après un vœu.
Mais Pierre le martyr insiste :  Vous contredisez saint Augustin au moins en soutenant que les mariages entre des moines et des religieuses sont nuls.  Je réponds que les théologiens s’entendent pour enseigner que le mariage après un vœu simple est illicite, mais valide, et ne doit pas être annulé.  Mais qu’un mariage après un vœu solennel est nul.   Car c’est ce qu’enseigne Innocent 1 (dans son épitre 2) et, après lui, Gélase (épitre 1) et le concile de Toulouse 1 (canon 16).  Est-ce que, après un vœu solennel, le mariage est nul de droit divin ou naturel, ou simplement ecclésiastique, la question est encore débattue. Saint Albert, saint Thomas, saint Bonaventure, Richard de saint Victor, et Durand (4, dist. 38) et Dominicus a Soto (livre 7 de la justice et du droit, question 2, article 5) veulent que ce soit de droit divin et naturel qu’est nul un mariage contracté après un vœu solennel.   Ils diraient ceux-là que saint Augustin a parlé d’un vœu simple, non d’un vœu solennel, comme saint Jérôme (dans l’épitre 47).  Parmi ceux qui pensent autrement il y a saint Basile, (dans son livre sur la virginité) et saint Jean Chrysostome (épitre 6 à Théodore, sur le vœu solennel.)
Il y a aussi Scot et Paludan (4, dist, 38) et Cajetan (22, question 88, article 7) et toute l’école des jurisconsultes, comme le rapporte Panormitanus (au chapitre rursus). Tous ceux-là sont d’avis  que le mariage est nul par le seul droit ecclésiastique. Ils  disent donc que saint Augustin et saint Jérôme ont parlé du vœu simple, ou du solennel selon les  règles du droit divin ou naturel. Car le  décret ecclésiastique  qui rendait inaptes au mariage ceux qui avaient fait un vœu solennel n’était pas encore parvenu à leur connaissance.  L’une ou l’autre sentence est probable, et ce n’est pas notre intention de trancher ici ce débat.   Au troisième je dis que saint Augustin ne comparait pas, dans ce passage, la virginité en soi avec le mariage en soi, mais la virginité d’une personne avec le mariage d’une personne.  Même si, dans l’absolu, la virginité l’emporte de loin sur le mariage, comme saint Augustin l’enseigne souvent ailleurs, (livre du bien conjugal, chapitre 23), cependant, il peut arriver que la virginité soit unie à un homme d’une moindre humilité, d’une moindre charité, et le mariage uni à un homme d’une plus grande charité ou humilité.  On ne peut donc pas mettre plus haut un homme vierge qu’un homme marié, à moins de savoir qu’ils étaient semblables dans la pratique des vertus.
Au quatrième je dis que saint Augustin parle là de la même manière qu’avait parlé saint Jérôme (dans son épitre 47), à savoir que, pour celui qui a fait un vœu simple, c’est un moindre mal de se marier publiquement que de forniquer toujours secrètement.  Comme vingtième témoignage, il présente un texte de saint Léon le grand tiré de l’épitre 87 (ou 85) aux évêques d’Afrique : « Selon l’enseignement de l’apôtre,  on trouve, parmi les différentes règles du christianisme, qu’on ordonne comme évêque un homme d’une seule femme.  On a toujours considéré comme sacré le précepte suivant : pour élire la femme d’un prêtre, on doit maintenir la même condition. »   Ce que saint Léon semble vouloir dire ici  c’est que l’on peut ordonner évêque non seulement quelqu’un qui a eu une épouse, mais même quelqu’un qui en a une. Et aussi qu’un évêque qui n’a pas d’épouse peut en prendre une, s’il le veut.  Mais à ce témoignage j’ai déjà répondu dans ma dispute sur le célibat des prêtres.  Car, nous admettons qu’il peut arriver que soit nommé évêque un homme qui a une épouse, pourvu qu’il ait la volonté de s’en abstenir.  Qu’un évêque puisse prendre femme saint Léon ne l’a jamais pensé ni jamais écrit.  Dans les codex plus amendés, nous ne trouvons pas : de l’élection de la femme d’un prêtre, mais de la femme de celui qui doit être choisi comme prêtre.  Car saint Léon  prescrit que soit éloigné du sacerdoce non seulement celui qui a plusieurs épouses, mais aussi celui qui n’en a qu’une,  qui avait appartenu à un autre auparavant.  Consultez l’épitre   84 à Anastase, où saint Léon enseigne longuement que doivent être non mariés ou continents non seulement les évêques, mais aussi les prêtres, les diacres, et les sous diacres.
Le dernier texte des pères que nous oppose Pierre le martyr  vient du livre 1 de l’épitre 42 de saint Grégoire, dans lequel il écrit ceci : « Il y a trois ans, les sous diacres de toutes les églises de Sicile ont été contraints de ne pas, comme c’est la coutume à Rome, faire l’acte du mariage avec leurs épouses.  Il  me semble ultra sévère et incompétent (Pierre le martyr a lu impie au lieu d’incompétent, pour rendre la chose plus repoussante) que celui  qui n’a pas découvert l’usage de la continence, et n’a pas promis la chasteté soit forcé de se séparer de son épouse, et que Dieu l’en garde, de tomber dans quelque chose de pire. »  Le martyr déduit de ce texte plusieurs choses qui semblent militer contre les catholiques.  La première.  En interdisant aux sous diacres de s’unir maritalement avec leurs épouses, le pape a agi contre le synode de Nicée, qui, sur l’insistance de Paphnutius, a décrété qu’on ne devait pas interdire aux prêtres les relations sexuelles avec leurs épouses.  Cette fable paphunitienne, nous l’avons, je pense, bien  réfutée dans notre dispute sur le célibat des prêtres.  De plus,  si un pontife romain a fait preuve d’incompétence en imposant   un précepte un peu trop rigoureux,  son successeur l’a bientôt après adouci, ce précepte.
La deuxième chose est que, à ce moment, un vœu n’était pas annexé à un ordre sacré.  Car, saint Grégoire lui-même dit  qu’il lui parait sévère d’obliger les sous diacres à observer une chasteté qu’ils n’ont pas promise.  Si en Sicile, ils ne faisaient pas cette promesse, faut-il en conclure qu’ailleurs on ne la faisait pas ?  Il faut plutôt  dire que ne pas promettre la chasteté représentait un abus.  Voilà pourquoi saint Grégoire, au même endroit,  prescrit qu’on avertisse les évêques de n’ordonner au sous diaconat que ceux qui font le vœu de la continence.
 La troisième.  Cette tyrannie a commencé dans l’église romaine.  Dans l’église grecque ou orientale, cet usage n’a jamais existé.   Mais c’est un mensonge effronté de soutenir que, avant le temps de saint Grégoire,  n’ait pas été en usage la continence des sous diacres et des ordres supérieurs.  Enseignent le contraire en toutes lettres  Épiphane (hérésie 59), saint Jérôme (livre contre Valentien), Léon (épitre 84), et les autres que nous avons cités  dans notre dispute sur le célibat des prêtres.
La quatrième. « Même s’il était superstitieux, Grégoire avait vu que c’était sévère et étranger à la piété, et il a essayé d’y apporter de la modération.  Mais, à cause des canons et des décrets, il n’a pas pu faire ce qu’il voulait ».  Appeler superstitieux un si grand et un si saint homme, seul un Pierre martyr peut se le permettre.  Quand il ajoute que saint Grégoire a vu que le vœu de continence était étranger à la piété, il ment, comme à son habitude.  Il n’a pas dit que le décret de son prédécesseur manifestait de l’impiété, mais de l’incompétence.  Quand il dit ensuite qu’il a essayé d’adoucir les canons de ses prédécesseurs, mais qu’il n’a pas pu faire ce qu’il voulait, il délire, ou il rêve éveillé.  Car, saint Grégoire jouissait d’un plein pouvoir et d’une liberté absolue dans les choses qu’il voyait appartenir à l’honneur de Dieu et à l’utilité de l’Église.
 D’autres ajoutent un autre témoignage, celui du pape Gélase.  Dans son épitre 1 aux évêques de Lucanie, chapitre 23, sur les veuves qui avaient fait vœu de continence, il écrit : « À de telles femmes, nous ne devons tendre aucun piège, mais seulement présenter des invitations à la récompense sempiternelle,  et rappeler les peines du jugement divin, et pour que notre conscience ne nous reproche rien,  et pour que leur conscience rende des comptes à Dieu sur ce qu’elles ont à choisir librement. »
Je réponds que le piège dont parle Gélase n’est pas, comme ils le pensent, la prohibition du mariage pour ceux qui ont fait des vœux,  mais pour ceux qui n’en n’ont pas fait.  Car, Gélase avait dit, juste avant, que ceux qui avaient fait des vœux ne pouvaient pas se marier sans péché.  Voici ce qu’il dit : « Selon l’apôtre,  ceux qui ne pouvaient se contenir n’étaient nullement empêchés de se marier.  De même, ils doivent conserver la promesse de chasteté faite à Dieu après mure délibération. »  Gélase veut donc ici ne pas forcer les veuves à faire de vœu.  Il se contente de leur expliquer qu’il y a des récompenses pour celles  qui font un vœu et l’observent jusqu’à la mort, et des supplices pour celles qui  font des promesses sans l
                                             CHAPITRE 35
                      Les plus jeunes peuvent faire des vœux.
Vient ensuite la quatrième dispute qui porte sur ceux qui peuvent s’engager par vœu.  Il y quatre sortes de personnes auxquelles, en plus des autres, les adversaires nient la capacité de faire un vœu. La première.  Celle des plus jeunes. La deuxième, celle des fils à l’insu de leurs parents.  La troisième, celle des époux, en vertu d’un consentement mutuel.  La quatrième, celle des époux, avant que le mariage ne soit consommé.
Les plus jeunes.  Luther (dans son livre sur les vœux monastiques) dit qu’on ne peut pas admettre à des  vœux monastiques des hommes qui n’ont pas encore soixante-dix ou quatre-vingts ans.  De même, dans la confession augustinienne, (article 27), il déplore qu’on permette à des enfants de devenir religieux.  Calvin (livre 4, chapitre 15, verset 19), dit qu’il n’était pas permis autrefois d’admettre une femme  au vœu de continence avant soixante ans.  Le martyr Pierre (dans  le livre sur le célibat et les vœux), renouvelle la même restriction.  Ils donnent comme preuve les paroles de saint Paul ( 1 Timothée 5) : « Détourne de ce projet les veuves les plus jeunes. » Ou, comme c’est écrit en grec : rejette.  Et : « Je veux que les plus jeunes se marient et soient mères de famille. »  Ils disent pouvoir présenter deux anciens canons. Le concile romain sous Sylvestre (canon 10) défend de voiler les vierges avant l’âge de 72 ans, et le bienheureux Grégoire (livre 3, épitre 11) interdit aux vierges de prendre le voile avant l’âge de soixante ans.
Nous disons, néanmoins, deux choses.   Pour prononcer les vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance,  n’est requis que l’âge où l’on a l’usage du libre arbitre.  Quand cet âge est atteint, il est permis à quiconque de s’engager par vœux.  On le prouve d’abord par l’Écriture,  Thren 3 : « C’est un bien pour l’homme d’avoir porté le joug  depuis son adolescence. »  Mattieu 19 : « Laissez les jeunes venir à moi ! »  On le prouve ensuite par des exemples.  Car, saint Jean-Baptiste a vécu dans le désert depuis son enfance.  La bienheureuse vierge Marie a fait vœu de continence perpétuelle dans son adolescence, comme nous l’avons démontré plus haut.  Antoine, Paul l’ermite,  Hilarion, Benoit, Bernard, François et beaucoup d’autres se sont faits moines dans leur adolescence, comme nous le rapportent Athanase, Jérôme,Grégoire et Bonaventure, dans la vie de leurs saints respectifs.  Pour une raison semblable, presque toutes les vierges, que l’Église vénère publiquement, ont voué leur virginité dans leur adolescence, comme Thècles, Agnès, Cécile, Agathe, Lucie, Claire, Catherine , et d’autres innombrables.
On le prouve ensuite par les pères.  Saint Athanase (dans l’humanité du Verbe) dit que les enfants ont reçu du Christ l’enseignement  de vouer leur virginité à Dieu. Saint Basile (dans les questions longuement expliquées, question 15) se demande à quel âge on doit recevoir des hommes aux vœux monastiques. Et il répond  qu’on doit recevoir des enfants dans le monastère, mais qu’on ne peut pas leur permettre de prononcer des vœux avant qu’ils aient le libre usage de leur raison.  Saint Ambroise (livre 3, sur les vierges) écrit : « Il ne faut donc pas rejeter un âge qui a plus de fleurs que de fruits, mais examiner l’âme.  Il est certain que Thècles n’était pas vieille, mais sa vertu a servi de garant.  C’est pourquoi il ne faut pas ergoter davantage, puisque chaque âge capable de Dieu est perfectionné par le Christ.  Il ne faut pas  s’étonner non plus de voir des adolescents faire profession, quand on lit que des enfants ont subi le martyre. Ou doutons-nous que l’enfance qui a confessé Dieu jusqu’à la mort,  ne puisse pas, quand elle deviendra adolescence,  le suivre jusqu’à la continence ? »
Saint Jérôme (dans l’épitre à Eustochius sur la virginité) écrit que, en son temps, dans les monastères cénobitiques, il y avait des hommes de tous âges : des enfants, des adultes, des vieillards.   Saint Augustin (dans son livre sur la sainte virginité, chapitre 36) écrit : « Mais contemple les armées des vierges, des enfants, et des saintes jeunes filles.  Dans ton église, ce genre de vierges est bien connu.  Là bas, il a pullulé depuis les mamelles des femmes, ton nom a été prononcé en apprenant la langue, il est, comme le lait sucé, dans ton enfance.  De ce nombre, personne ne peut dire avoir été d’abord un blasphémateur ou un persécuteur.  Bien plus, ce que tu n’a pas ordonné mais que tu as seulement proposé à ceux qui voulaient l’entreprendre  en disant  « que celui qui peut comprendre comprenne », ils s’en sont emparé, ils en ont fait le vœu,  et se sont castrés pour le royaume des cieux, non parce que tu les as menacés, mais parce que tu les as exhortés. »
Nous disons ensuite qu’on doit s’attendre à ce qu’on fasse aussi  profession publique  de continence  à l’âge prescrit par les lois de l’église,  qui sont différentes selon la diversité des temps et des lieux.  Car, le concile de César auguste (chapitre ultime) et celui d’Agathe (canon 13) ordonnaient d’attendre que les femmes aient quarante ans avant qu’elles puissent émettre une profession publique.  Le concile de Carthage 111 (canon 4) ordonnait d’attendre qu’elles aient vingt-cinq ans.  Ce que l’on présente du concile de Milet (canon 26) doit s’entendre ainsi : à moins qu’une nécessité ne nous force à voiler une vierge avant le temps.  Saint Grégoire (livre 1, épitre 48,)  ordonne que, dans des îles où la vie est plus molle, on ne reçoive personne à la profession solennelle avant l’âge de dix-huit ans.  Les canonistes en déduisent qu’on pouvait, en d’autres lieux, les recevoir à un âge plus jeune, même à quatorze ans.  Cet âge est fixé par plusieurs canons, comme le ad nostram, et le chapitre significatum.  De plus, le concile de Trullo, (canon 40) et le concile de Tribur (canon 24) permettent la profession religieuse avant l’âge de 12 ans.  Et, de notre temps, le concile de Trente a statué que la profession religieuse ne devait pas se faire avant l’âge de 16 ans. C’est cet âge qu’avait choisi saint Basile, comme l’atteste le concile de Trullo (chapitre 40).  De toutes ces citations, il appert clairement  que jamais, dans l’église, il y ait eu une coutume ou une loi ordonnant d’attendre jusqu’à l’âge de 60 ou 80 ans,  avant de faire une profession religieuse.
Nous répondons maintenant aux arguments.  Cette phrase de saint Paul : « les plus jeunes détourne-les de ce projet, ou rejette-les »,  s’applique au nombre de veuves que l’église nourrissait, non au vœu de continence.  L’apôtre a voulu que soient nourries aux frais de l’Église celles-là seulement qui avaient  atteint la soixantaine, c’est-à-dire quand elles ne pouvaient plus se suffire à elles-mêmes.  Mais, rétorque Pierre le martyr, si c’est à cause du péril d’incontinence que l’apôtre éloignait les plus jeunes veuves de l’assemblée des veuves nourries par l’Église, pourquoi n’ont-elles pas été, pour la même raison, tenues éloignées du vœu ?  Je réponds que celles que l’Église nourrissait faisaient aussi le vœu de continence.  Il aurait été, pour celles qui étaient nourries   publiquement  par l’église plus honteux de déchoir que pour les autres.
 À ces mots : « je veux  que les plus jeunes se marient », nous opposons (1 Cor 7) : « je veux que tous soient comme moi », c’est-à-dire continents.  Comme ces deux volontés sont contradictoires,  il faut en conclure qu’aucune ne formule un précepte, mais que l’apôtre aurait aimé abstraitement que tous se contiennent.  Mais, comme  à certaines faisait défaut la bonne intention, il s’est mis à désirer  que les plus jeunes, qui avaient peu de chance de persévérer,  se marient plutôt que de faire des vœux.  Voir ce que nous avons dit là-dessus plus haut, au chapitre 30
Au sujet de ce concile de Rome,  je dis d’abord que le texte a été corrompu, et rendu inintelligible  Et à la place du chiffre 72, peut-être devrions-nous  en mettre un autre beaucoup moins vieux.  Je dis ensuite  que ce concile ne parle pas de toutes les vierges, mais de celles-là seules qui avaient demandé un mari avant de faire un vœu, comme les mots eux-mêmes du concile le déclarent, car les unes semblaient être testées plus longtemps que les autres.  Au sujet de saint Grégoire, je dis qu’il ne parlait pas seulement de l’abbesse : « Nous interdisons catégoriquement que des jeunes filles deviennent abbesses »  Car, il disait aussi :  « Que ta fraternité ne permette de recevoir le voile qu’à une vierge d’au moins soixante ans, à celle que l’âge et les mœurs recommandent. »
                                 CHAPITRE 36
Il est permis à des fils d’entrer en religion malgré leurs parents
Le second. Luther se demande s’il est permis à des fils d’entrer en religion malgré leurs parents, et il répond (dans son livre des vœux monastiques) que les fils, même majeurs, ne peuvent pas entrer en religion sans le consentement de leurs parents, s’ils sont encore vivants.  Les magdebourgeois enseignent la même chose (centurie 4, chapitre 10, colonne 1304, et chapitre 6, colonne 354.  Ainsi que le martyr Pierre (dans son livre du célibat et des vœux. »  La première raison qu’ils invoquent est que le précepte d’obéissance aux parents oblige à tout âge, et comme il n’est permis à personne  de faire le vœu de ne pas obéir à ses parents,  il n’est pas permis non plus de vouer quelque chose malgré soi.
La seconde.   Une épouse ne peut pas entrer en religion sans le consentement de son  mari, ni un esclave sans le consentement de son maître.  Un fils ne le peut donc pas sans le consentement de ses parents.  Et on le confirme par le concile de Gangrens (chapitre 16) : « Que les fils qui s’éloignent de leurs parents sous prétexte d’un culte à rendre à la divinité, et ne leur rendent pas le respect qui leur est du, soient anathèmes ! » Saint Thomas enseigne le contraire (2.2.question 88, art 8, ad 2,) et l’avait prouvé avant par son propre exemple : il avait fait profession dans l’ordre des prédicateurs, en dépit de l’opposition de sa mère et de ses frères.
Nous répondons brièvement qu’il est permis d’entrer en religion à l’insu des parents, et en dépit de leur opposition.  Mais sous deux conditions.  La première, d’avoir atteint l’âge de la puberté.  Or, chez les hommes la puberté arrive à l’âge de quatorze ans, et chez les femmes, de douze, comme nous l’avons dit au canon puella 20, question 2.  L’autre condition est que les parents ne soient pas dans une nécessité telle que, sans l’aide de leurs enfants, ils ne puissent pas survivre. Car, alors, ils sont tenus par le précepte de Dieu de se rendre présents à leurs parents.
 On prouve cette sentence d’abord par l’Écriture  (Genèse 12): « Sors de ta maison, de ta parenté et de la maison de ton père. » Et (Deutéronome 33) : « Celui qui a dit à son père ou à sa mère : je ne vous connais pas, et de ses frères : je les ignore, ont gardé ta parole et observé ton pacte. »  C’est l’endroit où Moïse loue les lévites pour avoir abandonné leurs parents et leurs frères, afin de s’adonner plus librement aux choses de Dieu.  Le même psaume 44 : « Oublie ton peuple, et la maison de ton père, et le roi convoitera ta beauté. »  De même en Matthieu 10 : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. » Et en Luc 9, le Seigneur ne permit pas à celui qu’il appelait à sa suite de retourner à sa maison pour saluer ou ensevelir son père
Deuxièmement, par les canons sacrés.   Dans le concile de Tolède X, dernier chapitre : «  Il ne sera permis aux parents de livrer leurs fils à la religion que jusqu’à l’âge de quatorze ans.  Après cela, il sera permis aux fils d’entrer en religion, ou avec le consentement de leurs parents, ou en faisant seuls un vœu de dévotion. »  De même (20, question , question 2, canon puella, lequel est tiré du concile de Tribure, canon 24) : « Si une jeune fille veut prendre le voile sacré avant l’âge de douze ans, les parents ou les tuteurs peuvent immédiatement faire annuler cette démarche, s’ils le veulent.  Mais si, dans un âge plus vigoureux de l’adolescence, elle choisit  de servir Dieu, les parents n’ont pas le pourvoir de l’empêcher. »  De même, dans le chapitre  cum virum, sur les religieux), Clément 111 déclare, en parlant d’une fille nubile : « Parce que, alors, elle se sert de son libre arbitre dans le choix d’un mode de vie, elle n’est pas obligée de suivre la volonté de ses parents. »
Troisièmement. Par les témoignages des pères.  Saint Jean Chrysostome (à la fin de son livre contre les vitupérateurs de la vie monastique), « Si, dit-il en parlant aux parents, s vous empêchez  vos fils qui sont dotés d’une grande vertu, de parvenir à cette philosophie monastique et à jouir des joies éternelles, vous vous préparerez des croix infinies. »  De même, dans l’homélie 84 sur saint Jean : « Quand les parents mettent obstacle  aux  choses spirituelles, on n’est plus obligé d’en tenir compte. »  Il dit des choses semblables (dans le chapitre 6 de l’épitre aux Éphésiens).  Commentant la phrase : « Fils, obéissez à vos parents dans le Seigneur. »  Il veut que « dans le Seigneur » ait été ajouté parce que nous ne devons pas leur obéir quand ils empêchent la piété. »  Theophylacte (au chapitre 13 de saint Jean), commentant : « voici ta mère », dit : « Il ne faut pas obéir aux parents qui mettent des obstacles à la piété.  Mais il faut servir en tout ceux qui ne l’empêchent pas. »
Saint Ambroise (au livre 3 sur les vierges) parle de celles qui ont fait profession malgré leurs  parents.  Il ne leur reproche rien à elles, mais aux parents qui ont cherché à imposer leur volonté par la force.  Il dit qu’ils sont pires que les Gentils qui, par des récompenses,  incitaient les filles à choisir la virginité. Voici ses propres paroles : « Là-bas, elles étaient détournées du mariage par des présents; ici, elles sont forcées de se marier par des injures.  Là-bas, on leur fait violence pour qu’elles choisissent la virginité; ici, on leur fait violence pour qu’elles n’en profitent pas. »  Et la patience des prêtres peut-elle aller jusqu’à ne pas venger le sacrifice de l’intégrité, même par la mort, si nécessaire ? »
Saint Jérôme (dans son épitre de suspecto contub) écrit : « Si quelqu’un te blâme d’être chrétienne, d’être vierge, de ne pas te soucier d’avoir abandonné ta mère pour vivre, parmi les vierges, dans un monastère,  ce genre de reproche est ta plus grande gloire !  Car, cette cruauté-là est de  la piété, puisque  tu as préféré à ta mère celui que tu dois préférer même à ta propre âme. »  De même à Héliodore (la première lettre de toutes) : « Même si un bébé s’accroche à ton cou, même si, en s’arrachant les cheveux et en déchirant ses vêtements, ta mère te montre les mamelles qui t’ont allaitée, même si ton père s’étend de tout son long sur le seuil de la porte, passe par-dessus le corps de ton père, et vole vers l’étendard de la croix. Être cruel dans ce gendre de choses  c’est être pieux ».
 Il raconte la même chose dans la vie de Malchus.  Quand il était, par des caresses et des menaces, forcé de se marier, il s’est dirigé vers un monastère, sans attendre leur consentement.  Saint Augustin (dans l’épitre 38 à Létus qui était empêché par sa mère de choisir l’état de la vie parfaite) dit : « Mais que dit-elle ? Qu’est-ce qu’elle allègue ?  Peut-être les dix mois pendant lesquels  tu as pesé lourd dans son sein, les douleurs de l’enfantement,  les labeurs de l’éducation ?  Mets un terme à ces gémissements par une parole salutaire. Perds ta mère ici-bas pour la retrouver dans la vie éternelle ! Souviens-toi de cela, pour la haïr dans cette vie mortelle, si tu l’aimes vraiment, si tu es un disciple du Christ,  si tu as posé un fondement  à ta tour.»
Saint Grégoire de Tours (dans la vie de Léobard et de Pappula) loue ceux qui, come lui et comme elle, ont fait profession dans la vie religieuse malgré leurs parents.  Dans son homélie 37 sur les évangiles, saint Grégoire dit, en commentant la phrase : « Celui qui ne hait pas son père » : « Ceux qui, dans la voie de Dieu, nous font souffrir comme des adversaires, nous ne les connaissons pas, en les haïssant, et en les fuyant. »  De même, saint Bernard (dans l’épitre 3 au nom du moine Élie à ses parents), dit : « La seule raison qui ne nous permet pas d’obéir à nos parents, c’est Dieu.  Car, c’est lui-même qui a dit : « celui qui aime son père ou sa mère plus que  moi, n’est pas digne de moi ».
 Si vous m’aimez vraiment comme de bons et pieux parents, pourquoi inquiétez-vous celui qui cherche à me plaire, moi, Dieu, le père de tous, et pourquoi tentez-vous de le retirer du service de celui pour qui servir est régner ?  Je comprends vraiment maintenant, que les ennemis de l’homme sont ses parents.  Nous ne devons pas en cela vous obéir, car, en cela ce ne sont pas des parents que je reconnais, mais des ennemis.  « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez  parce que je vais à mon père et au vôtre,  bien plus, au père de tous ».  Qu’y a-t-il, en effet, entre vous et moi ?  Qu’est-ce que je reçois de vous, si ce n’est  le péché et la misère ? »
Quatrièmement.  On le prouve par le raisonnement de saint Ambroise (dans le livre des vierges) : « Celle à qui il est permis de choisir un mari, pourquoi ne lui serait-il pas permis de préférer Dieu. »  Ou, s’il est permis à des fils de contracter un mariage sans le consentement de leurs parents, pourquoi ne leur serait-il pas permis aussi de professer la continence sans le consentement de leurs parents ?  De plus, il est permis à un homme, sans le consentement de son épouse,  de passer du mariage à la religion, quand le mariage n’est pas encore consommé, comme nous le voyons dans le canon verum, et le canon ex publico.  Il serait donc encore beaucoup plus permis sans le consentement du père.
 De même. Tout jeune, après les années de sa puberté, relève de lui-même  quant aux choses qui se rapportent à sa personne et à son état de vie.  Car, c’est en cela que diffèrent les esclaves des hommes libres.  Ensuite, « il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (actes 5).  Dieu (en Matthieu 19), a conseillé la vie parfaite à tous en général, et à quelques-uns, par une inspiration interne particulière.  Si donc les parents résistent à ce conseil, il ne faut pas les écouter.
Les arguments  amenés pour prouver le contraire sont sans force.  Le premier.  Dieu ordonne d’obéir aux parents et de les honorer (Éphésiens 6).   Je réponds  que les enfants doivent deux choses à leurs parents : l’obéissance et l’honneur, c’est-à-dire des aides temporelles.  Au sujet du premier argument, je dis en me servant des commentaires de saint Jean Chrysostome, de Theophylace, de saint Jérôme et d’autres,  de ce texte, que l’apôtre a ajouté intentionnellement « dans le Seigneur », pour que nous comprenions que nous ne devions les écouter que dans les choses qui ne s’opposent pas à la piété.
Au sujet de l’autre, je dis  que des préceptes de ce genre qui sont affirmatifs n’obligent qu’en cas de nécessité, comme, par exemple, quand un père ne peut pas vivre sans être secouru par son fils.  Mais, s’il est riche, ou s’il a d’autres fils qui peuvent le prendre en charge, le fils n’est pas obligé de rester près de lui, comme l’enseigne clairement le Seigneur en Luc 9 : « Laisse les morts ensevelir les morts ! »  Car, comme l’explique Theophylactus, celui qui avait dit : permets-moi d’aller ensevelir mon père,  ne voulait pas dire que son père était mort et qu’il lui fallait l’ensevelir.  Ce qu’il voulait dire c’était plutôt : permets-moi de demeurer avec mon père jusqu’à sa mort.  Quand il cessera de vivre, et après que je l’aurai enseveli, je te suivrai.
Le second argument était : « L’homme n’a pas de pouvoir sur son corps, c’est la femme qui en a, (1 Cor 7). Et l’homme ne peut pas disposer de sa personne sans le consentement de sa femme.  Les fils, eux, après les années de  puberté, sont libres de disposer de leurs personnes.  C’est pourquoi saint Augustin (épitre 36 à Letus) dit que les fils peuvent suivre le chemin de la perfection, même si leurs parents s’y   opposent.  Il dit  dans la lettre 199 à Édicie)  qu’une femme ne peut pas faire cela sans le consentement de son mari.  Pour une raison semblable, un esclave n’a pas de pouvoir sur sa personne, seul sont maître en a. Il ne peut donc pas en disposer à son gré.  Saint Thomas ajoute (2.2. question 189, article 6)  que la sujétion servile est une peine du péché, mais non la sujétion filiale.  Il ne semble donc pas que ce qui est refusé aux esclaves doive l’être  aussi aux fils.
Troisième argument tiré du concile de Gangre, chapitre 16.  Je réponds qu’il fut un temps où quelques-uns qui, comprenant mal les paroles du Seigneur en Luc 14 (si quelqu’un veut venir après moi et ne hait pas son père, sa mère etc.) abandonnaient, sous ce prétexte, non seulement leurs parents, mais leurs épouses, leurs enfants, et n’en prenaient aucun soin, même s’ils manquaient de tout.  Ce sont ceux-là que le synode anathématise.   Voilà pourquoi l’anathème  14 parle des époux qui abandonnent leurs épouses, et le chapitre 15, des  parents qui abandonnent leurs fils, et le chapitre 16, des fils qui abandonnent leurs parents.
Il appert donc  que ce canon ne décrète rien contre les religieux  qui demeurent auprès de leurs parents,  quand leur présence est nécessaire.  Si leurs parents ne manquent pas du nécessaire, ils se tiennent loin d’eux corporellement, mais il les aide comme cela convient à des religieux, par des prières à Dieu.  Car, même les fils séculiers n’aident pas tous leurs parents de la même façon : les uns par un conseil, d’autres par des divertissements, et d’autres par leurs richesses, comme il convient à la condition de chacun.
Pierre le martyr ajoute un quatrième argument tiré de saint Basile (question 15 longuement expliquée) où il dit qu’on ne doit pas recevoir des fils à la discipline monastique à moins qu’ils ne soient offerts  par leurs parents.  Je réponds que saint Basile parle de ceux qui, à cause de leur âge infantile, sont encore soumis au pouvoir de leurs parents.  C’est ce que le texte confirme clairement : « Ceux qui sont sous l’autorité de leurs parents, nous les recevrons, s’ils sont amenés par d’autres que leurs parents,  devant un grand nombre de témoins. »
                                    CHAPITRE 37
Il est permis aux époux, par un consentement mutuel,  de vouer la continence.
La troisième.   Est-il permis aux époux, par un consentement mutuel, de vouer la continence ?  Pierre martyr le nie dans son commentaire de 1 Cor 7, et le prouve par ces paroles de saint Paul : « Ne vous refusez pas ce qui vous est du l’un et l’autre, si ce n’est en y consentant pour un peu de temps, pour que vous puissiez mieux vous adonner à l’oraison.  Et puis retournez à ce que vous faisiez avant. »  Paul, là,  ne concède l’abstention du devoir conjugal que pour un temps seulement.  C’est ce qu’enseignent aussi les magdebourgeois (centurie 4, chapitre 10, colonne 1304.)  Ils accusent là le moine Malchus de mépris du mariage, parce que, avec le consentement de son épouse, il s’abstenait perpétuellement de sa femme qu’il avait retirée de la captivité.
 Il faut noter en passant leur incompétence ou leur duplicité.  Car, comme saint Jérôme l’écrit dans la vie de Malchus,  Malchus avait été forcé par des barbares d’épouser une femme qui avait déjà un mari.  Comme il ne pouvait pas la prendre sans un péché d’adultère, il simula le mariage, pour échapper à la mort, et vécut avec elle comme avec sa sœur.  Et cependant, les magdebourgeois lui reprochent de ne pas avoir voulu s’unir avec elle comme avec sa femme.
Cette méprise est tout à fait honteuse.  Et je le prouve d’abord, par le texte lui-même de saint Paul.   Car, après avoir dit : «  revenez à la même chose », il ajoute : « Je dis cela par condescendance, non comme un ordre. »  Ce « par condescendance » ne peut pas se rapporter à : ne vous frustrez pas les uns des autres, car il s’agit là d’un ordre, non d’une concession.  Ni non plus à : « si ce n’est par consentement mutuel, pour mieux vous adonner à la prière. »  Car s’abstenir pendant un certain temps pour la prière ne requiert pas de dispense.  Car, nous disons concéder ce que nous ne permettons  pas volontiers, mais comme étant forcés de le faire.  Or, Paul désirait vivement que tous se contiennent, lui qui a dit : « Je veux que tous soient comme moi. »  C’est donc une  concession, ou une  condescendance qu’il faut voir dans  le : qu’ils retournent à ce qu’ils faisaient auparavant.  Car, cela saint Paul ne le permet pas volontiers, mais il le tolère à cause de l’incontinence des autres.   C’est ainsi qu’expliquent ce passage saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien), saint Augustin (livre 1 contre Julien, chapitre 21), Ambroise, Theodoret et d’autres.  Donc, ceux qui, par un consentement mutuel,  s’abstiennent perpétuellement de l’acte conjugal avec leurs femmes, font quelque chose qui est fort agréable à saint Paul, tellement il est loin de le prohiber.
On le prouve ensuite avec les pères. Basile (dans les questions expliquées longuement, question 12) : « Ceux qui, dans l’union du mariage, accèdent à une telle vie, il faut qu’ils s’assurent que c’est par consentement mutuel qu’ils le font. »   Épiphane (hérésie 59), et saint Jérôme (livre contre Vigilance) disent que les époux n’ont pas coutume d’être initiés  aux choses sacrées sans promettre la continence perpétuelle de leurs épouses.  C’est aussi ce qu’a statué le concile d’Arles 11, canon 2.  Ainsi que saint Jérôme dans son épitre 14 à Célantia.  Il lui reproche d’avoir fait vœu  de continence sans le consentement de son mari.
Saint Augustin (dans son épitre à 199 à Edicie) écrit : « Ce que vous aviez voué à Dieu tous les deux d’un mutuel consentement, vous auriez du tous les deux le rendre à Dieu jusqu’à la fin. Si lui a failli à son engagement, toi, du moins, persévère. »  Et dans l’épite 45 (à Arment et Pauline) : « Rendez tous les deux à Dieu ce que vous lui avez promis à deux. » Et plus bas : « Que votre consentement soit une oblation offerte sur l’autel éternel du Créateur. »  Et plus bas : « Je ne t’invite pas à une  grande sainteté parce que ton mariage s’est tenu devant Dieu, , mais je te détourne d’une grande iniquité. » Le même saint Augustin (dans l’épitre 32 à Paulin) le loue d’avoir fait le vœu de continence avec son épouse Thérèse.  Saint Paulin lui-même (dans sa lettre 3 à Aprus) leur donne des louanges à n’en plus finir parce qu’il a fait vœu de continence perpétuelle avec sa femme.
Saint Grégoire (livre 9, épitre 39 à la patricienne Theotista : « S’il vous convient à tous les deux de mener une vie de continence,  qui osera vous blâmer, puisqu’il est certain que le Dieu tout-puissant  qui a concédé les choses mineures, n’a pas prohibé les plus grandes. »  Theodoret (livre 4, chapitre 13 de l’histoire de l’église, loue Pélage évêque de Laodice, qui, jeune encore, avait pris une jeune épouse,  de l’avoir persuadée, le premier jour de ses noces,  de faire ensemble un vœu de continence. Saint Hilaire d’Arles (dans son épitre à Augustin qui est placée avant ses livres sur la prédestination) dit : « Que ta sainteté sache que mon frère et son  épouse, ont, par consentement mutuel, voué à Dieu la continence parfaite. Voilà pourquoi nous demandons à ta sainteté de bien vouloir prier pour que le Seigneur daigne confirmer et garder ce qu’il a opéré en eux. »
On le prouve, en troisième lieu,  par le fait que ceux qui, d’un consentement réciproque, ont voué à Dieu une chasteté perpétuelle, ont été des saints qui ont brillé par leurs miracles.   Le premier exemple est celui de Marie et de Joseph.  Qu’ils aient été de vrais époux, c’est l’évangile selon saint Matthieu 1 qui nous le montre : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre Marie pour femme. »  Et « Joseph, son homme, qui était juste… »  Que ce soit d’un consentement mutuel qu’ils aient pratiqué la continence, c’est une chose certaine.   Car ce fut l’erreur d’Helvidius, qui a été, pour cela, condamné par toute l’Église d’avoir osé soutenir que Marie n’avait pas toujours été vierge. Saint Augustin, lui,  déduit du consensus de tous les évangélistes (livre e, chapitre 1) l’enseignement suivant : « Cet exemple indique magnifiquement  que le mariage peut continuer à exister chez des époux fidèles, même si, d’un commun accord, ils ont conservé la continence.  Car ce n’est pas par l’union sexuelle des corps qu’il se maintient, mais par la conservation de l’amour matrimonial. »  Cet exemple-là les adversaires ne peuvent pas le nier.
Car les centuriates (centurie 1. Livre 1, chapitre 10, colonne 366) reconnaissent que Marie et Joseph ont contracté un vrai mariage, et que, s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu, comme tous les autres,  procréer des enfants.  C’est aussi ce qu’enseigne Martin Bucer (chapitre 1 sur Matthieu) et Pierre martyr (dans son livre contre Smithaeus sur le célibat) (chapitre 1 de Luc).  Et même si Calvin blasphème quand il essaie de dépouiller Marie de sa virginité d’âme, il nous rend service ici.  Il nous montre que, même les hérétiques, ne peuvent pas nier que Marie et Joseph aient été de vrais époux.  Les mêmes centuriates disent (centurie 4, chapitre 5, colonne 405),  qu’Helvidius  s’est trompé quand il a enseigné que Joseph a connu Marie comme tous les époux.  On ne peut pas non plus soutenir que Marie ait pu rester vierge sans le consentement de Joseph.  Ils ont donc été continents tous les deux, par une décision commune, puisqu’ils étaient tous les deux de très grands saints.
Le second exemple est celui du moine Ammonis, qui, avec son épouse vierge, est, par un consentement mutuel, toujours demeuré vierge, comme l’atteste Palade, dans son histoire lausiaque (chapitre 8).  Que cela ait grandement plu  à Dieu, on peut le déduire de ce que saint Antoine a vu l’âme de l’époux vierge  être emportée glorieusement par les anges, comme saint Athanase le rapporte dans la vie de saint Antoine.  Un troisième exemple est celui que rapporte Cassien (conférence 14, chapitre 7). Il raconte qu’un certain laïc qui, d’un consentement mutuel, observait, avec sa femme  la continence, a été glorifié sur cette terre par Dieu au point d’avoir pu chasser du corps d’un possédé, par sa seule présence, un démon féroce que l’abbé Jean n’avait pas pu expulser.  Le quatrième est celui de saint Paulin et de sa femme Tharasie, qui avaient, tous les deux, fait vœu de continence. C’est ce dont parle saint Augustin dans son épitre 32 à Paulin.
Le cinquième est celui de Maturien et de son épouse Maxima, dont parle Victor  (dans le livre 1 de la persécution des vandales.)  Le sixième, on le trouve chez Grégoire de Tours (la gloire des confesseurs, chapitre 32). Il raconte là que quand l’un des deux conjoints qui s’étaient mis d’accord pour pratiquer toujours la continence, a rendu l’âme à Dieu, l’autre s’écria : « Je te rends grâces, créateur tout puissant, d’avoir rendu pure de toute contagion de volupté celle qui était encore vierge quant tu me l’as donnée en mariage ».  Et elle, toute morte qu’elle était, dit en souriant : « Tais-toi, homme de Dieu, car il n’est pas nécessaire de faire connaître notre secret, quand personne ne cherche à le savoir. » Le septième est celui du roi anglais Edouard.   Surius (dans le tome 1 d’un ancien manuscrit) rapporte que, comme lui et sa femme étaient tous les deux restés vierges,  il brilla de plusieurs miracles; et que, cent ans après sa mort, il fut trouvé complètement intègre, sans que même ne lui fasse défaut sa barbe qui était longue et bien fournie.
Le huitième est celui de l’empereur Henri 1 et de sa femme Cunégonde,  qui demeurèrent vierges par vœu tous les deux, qui furent illustres tous les deux par des miracles.  Voir Krantzius (livre 3, chapitre 32, sur sa saxonne).  Le neuvième est celui de Pierre Urseoli, duc des Venetes, (d’après Voltaire, livre 4).  Lui aussi, d’un commun accord, vécut  dans la continence avec son épouse, et  fut rendu illustre par des miracles.  Le dixième est celui de Catherine de …qui, avec le consentement de son mari, demeura vierge, et brilla aussi par des miracles.  Voir Voltaire livre 22.  Le onzième est celui du roi pudique des Polonais, Boleslas, que célèbre ainsi en vers le polonais Clement Janitius : « Le mari vierge se vit vieillir avec l’épouse vierge. La chaste diane fut digne de ton zèle. »  Le douzième est celui d’Alphonse 11, roi de Castille.  Voltaire rapporte la même chose de lui, et ajoute que, lui aussi, brilla par des miracles, pour s’être abstenu de toute relation sexuelle avec sa femme.
On le prouve par une dernière raison.   Car, la raison pour laquelle un homme marié ne peut pas faire vœu de continence est qu’il n’a pas de pouvoir sur son propre corps; et que personne ne peut, sans la permission du propriétaire, donner une chose qui ne lui appartient pas.  Mais cette raison s’évapore quand les deux époux s’entendent pour faire en commun un vœu de continence. Ajoutons, pour finir, qu’on a coutume d’objecter cette parole de Jésus en Mathieu 19 : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »  Mais il est facile de répondre à cela, car le mariage n’est pas dissous par le vœu de continence.  C’est ce qu’explique saint Augustin (livre 1, chapitre 25, sermons du dimanche) : « On doit juger plus heureux les mariages qui, sans avoir procréé de fils,  après même avoir tenu pour rien la progéniture terrestre, ont pu, par une décision faite à deux, conserver la continence.  Ce qui ne va pas contre le précepte dominical qui interdit à l’homme  de répudier son épouse, mais qui va plutôt dans le sens de  ce qu’a dit l’apôtre : « que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas ! »
                                    CHAPITRE 38
Par des vœux solennels est dissous le mariage valide non consommé.
Il y a, à ce sujet, deux erreurs extrêmes.  Une est de Martin Kemnitius (contre la session 24 du concile de Trente, canon 6), et des magdebourgeois qui enseignent que le mariage, ratifié et consommé, ou ratifié et non consommé ne peut pas être dissous par une profession monastique.  C’est ce qu’enseignent aussi les centuriates (centurie 1, livre 2, chapitre 12, colonne 637.)  C’est ce qu’enseigne aussi Érasme (chapitre 7, 1 Cor). Et, parmi les catholiques Claude Expencaeus (livre 6, chapitre 4, sur la continence).  Ils ont pour eux de forts arguments.  Car, le Seigneur en Matthieu 19, et saint Paul ( 1 Cor 7) déclarent que le mariage est indissoluble. Que cela soit dit  d’un mariage ratifié, on le comprend facilement parce qu’un mariage ratifié ne diffère par aucune différence essentielle d’un mariage consommé.  Car, l’union sexuelle est un acte du mariage qui ne lui est pas essentiel.  Ensuite, le mariage ratifié  est un véritable sacrement,  qui signifie l’union inséparable du Christ et de son église. Il est donc indissoluble. Enfin, par un mariage ratifié, l’homme donne à son épouse le pouvoir sur son corps. Il ne peut donc pas, sans le consentement de son épouse, faire vœu de continence à Dieu.
L’autre erreur va  à l’autre extrême.  Elle soutient qu’un mariage même consommé est dissous par l’entrée en religion.  C’est ce qu’a décrété Justinien (canon sur les évêques, et les clercs, 1, fin). Saint Grégoire fait mention de cette loi (livre 9. Épitre 39). On a coutume de présenter saint Basile comme favorable à cette opinion (questions longuement expliquées).  Dans la question 12, il semble dire qu’un homme qui ne peut pas obtenir de sa femme la permission d’entrer en religion, peut le faire malgré elle. On donne aussi comme exemple l’abbé Theonas. Cassien, (chapitre 9, colonne 21) raconte que, après avoir vécu cinq ans avec son épouse, et avoir désiré devenir moine, il  a, sans l’autorisation de son épouse,  dissous le mariage en se faisant moine. Et, au chapitre 10, le même Cassien écrit qu’on ne doit pas blâmer cet exemple, puisque ce même Theonas a brillé par des miracles apostoliques, et que ce qu’il a fait a été loué par plusieurs pères.
Néanmoins l’enseignement de l’Église réside dans un juste milieu, à savoir, un mariage ratifié non consommé peut être dissous par la profession religieuse, mais un mariage ratifié consommé ne le peut pas.  Cela nous l’avons dans le canon ex publico, dans le chapitre ex parte tua, et au chapitre verum sur la conversion conjugale; et au 27, question 2, canon desponsatam,  et dans beaucoup d’autres canons.  Le concile de Trente s’est joint à eux (session 24, canon 6) en disant : « Si quelqu’un dit qu’un mariage ratifié non consommé ne peut pas être dissous par la profession religieuse d’un des conjoints, qu’il soit anathème ! »
On prouve la seconde partie de cette sentence  contre la seconde erreur.  D’abord, par l’Écriture. Car le Christ a dit : « ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas. »  Et : (Matt 19) « celui qui répudie son épouse la fait forniquer. »  Et ce que l’apôtre dit aux Corinthiens 1,7 : « À ceux qui sont unis par le mariage, je prescris à la femme, non moi, mais le Seigneur,  de ne pas se séparer de son mari. »  Ce précepte doit s’appliquer à un  mariage, au moins au mariage consommé, car s’il ne vaut pas pour celui-là, il ne vaudra pour aucun autre.   Ensuite, les pères.   Saint Jérôme (dans l’épitre 14 à Célandie) l’a convaincue  de faire vœu de continence sans la permission de son mari.  De même, saint Augustin (dans l’épitre 45 à Armentarius, et dans l’épitre 199 à Édicie) enseigne explicitement  qu’il n’est pas permis à un époux ou une épouse de faire vœu de continence malgré le conjoint; que si il ou elle le fait, il faudra contraindre celui ou celle qui l’a fait à revenir aux relations conjugales normales.  Saint Grégoire enseigne la même chose (livre 9, épitre 39 à Theodiste,  où il blâme la loi civile qui permet le contraire. L’interdisent aussi le synode 8, et Nicolas 1 (dans sa lettre au roi Charles), et les autres décrets des conciles et des pontifes (Gratien 27, question 2, et dans les décrets intitulés de conversione conjugatorum).
Au témoignage de saint Basile, je réponds qu’il se peut qu’il parle d’un mariage ratifié non consommé.  S’il en est ainsi, sa sentence joue en notre faveur.  S’il parle d’un mariage consommé, j’ai trois choses  à dire là-dessus.  D’abord, qu’à un époux qui se présente à un monastère, on doit demander  s’il a obtenu le consentement de son épouse.  Car : « l’homme n’a pas de pouvoir sur son corps, mais sa femme, comme dit l’apôtre (1, Corinthiens 7).  Ensuite, saint Basile ajoute que si la femme y répugne, il faut écouter la parole du Christ : « Celui qui ne hait pas son père, son épouse…n’est pas digne de moi. »
 Ces deux textes semblent se contredire.  Mais, il ajoute ensuite qu’il est souvent arrivé que, par des prières ferventes, on ait obtenu que, ébranlé  par une maladie, un conjoint se sente contraint de donner son consentement.  Il semble donc que ce que  saint Basile veut dire  c’est qu’un conjoint qui désire faire profession religieuse demande le consentement de son épouse;  s’il ne peut l’obtenir, qu’il implore Dieu avec larmes et jeûnes, de persuader sa femme; et, après avoir obtenu ce consentement,  qu’il se fasse moine.  Car, de cette façon, il ne désobéira pas à l’apôtre,  puisqu’il ne laissera pas sa femme sans son autorisation,  et obéira aussi au Christ qui fait passer l’amour de l’épouse après celui  du Christ.   Nous avons aussi un exemple dans le frère et la sœur de saint Bernard. L’un et l’autre ont obtenu, par d’intenses prières,  la permission du conjoint, qu’ils ne pouvaient pas  avoir autrement.  Voir le livre 1, chapitres 4 et 6 de la vie de saint Bernard.
À l’exemple de Cassien, je dis qu’il s’agit là de l’un de ces faits des saints qui sont à admirer, non à imiter. Car, il faut croire que, quand on a affaire  à quelqu’un qui brille par ses vertus et ses miracles,  c’est par une inspiration particulière du Saint Esprit  que, en marge de l’ordre général et de la loi,  cela a été fait.
On prouve l’autre partie contre l’autre erreur.   D’abord, par des témoignages de l’Église déjà cités.  Car, même si les adversaires ne les reçoivent pas, sans pouvoir en apporter d’autres contraires,  la raison droite enseigne qu’il faut  croire à un si grand nombre de pontifes plutôt qu’à un seul concile général formé de peu d’hommes.   On le prouve ensuite par l’exemple des saints.   Et, d’abord, que c’est avant que sainte Thècle ait consommé son mariage que saint Paul l’a révoqué  C’est ce qu’attestent saint Épiphane  ( à l’hérésie 78), et saint Ambroise (au livre 2 des vierges.)
Le second exemple est celui de saint Alexis qui, la première nuit de ses noces, laissa sa femme intacte, et est ensuite parti  pour mener perpétuellement une vie chaste.  C’est ce que rapporte  Siméon Metaphraste dans la vie du saint.  Et cette histoire a été confirmée dans l’Église par des siècles de célébration.  Le troisième exemple est celui d’Euphrasie, dont Simon  Metaphraste rapporte des choses semblables.  Le quatrième est celui de Cécile qui, au témoignage de ce même Metaphraste, a, la première nuit de ses noces, refusé à son mari le du conjugal, parce qu’elle voulait vivre dans la continence.  Le cinquième se trouve dans les confessions de saint Augustin (livre 8, chapitre 6).  Il raconte, là, que deux soldats avaient, après avoir lu la vie de saint Antoine, prononcé des vœux monastiques; et que, quand leurs épouses ont été mises au courant, elles ont fait de même.
 Il importe peu que saint Augustin ne les appelle pas épouses mais fiancées, car il arrivait souvent que, jusqu’à la consommation du mariage,  les anciens  donnent aux époux les noms de  fiancés et fiancées.  C’est ainsi qu’il faut entendre le mot fiancée, au chapitre ex publico, au chapitre carissimus, et au chapitre ex parte tua, dans la conversione conjuratorum.  Et, c’estde la même manière, que saint Augustin l’emploie (livre 8, chapitre 3 des confessions) quand il  écrit : « Il a été établi par la coutume que les fiancées (épouses) déjà engagées par un contrat de mariage, ne soient pas trop vite remises à leurs maris, de peur que le mari ne la prenne  en dégout pour ne pas avoir longtemps soupiré après celle qui se fait désirer. »
Le sixième est celui de saint Leobard qui, au  témoignage de saint Grégoire de Tours,  a rompu les liens matrimoniaux qu’il avait noués avec une fille honnête, et cela, malgré les parents.  Le septième se trouve dans les dialogues de saint Grégoire, 3, chapitre 14).  Il dit là que la vierge consacrée s’est enfuie dans l’église après les noces, et a demandé aux saintes moniales l’habit de vie monastique.
On le prouve, enfin, par deux raisons.  La première. La raison elle-même enseigne qu’il est toujours permis de passer d’un état moins parfait à un état plus parfait, quand on peut le faire sans nuire aux autres.  Or, l’état religieux est supérieur à l’état du mariage.  On le fait sans nuire aux autres quand le mariage n’a pas encore été consommé. Car, quand le mariage est consommé, deux  torts font leur apparition si on le dissout. Un, au rejeton déjà conçu qui ne pourra pas recevoir une éducation suffisamment bonne; l’autre, au conjoint, qui demeure lié par le mariage, et n’a pas le droit d’en contracter d’autre.  Chose qui serait d’ailleurs plus difficile pour quelqu’un qui n’est plus vierge.
Or, aucun de ces inconvénients ne se présente dans un mariage non consommé.  Là, en effet, il n’y a pas de fœtus, et l’épouse encore vierge peut se remarier comme elle le veut, puisqu’aucune honte n’est entachée à ce genre de répudiation. Mais tu diras qu’on lui fait une injustice en la spoliant malgré elle.  Je réponds qu’elle est tenue de donner son consentement à son  mari qui désire des noces incomparablement plus parfaites; et qu’elle peut être forcée de faire ce qu’elle est tenue de faire.
Tu diras de nouveau : si cette raison avait une valeur quelconque, elle prouverait qu’un mariage ratifié peut être dissous  non seulement par une profession monastique,  mais aussi par la réception des ordres sacrés, et même et surtout  par la dignité épiscopale, puisqu’un vœu de continence  y est annexé,   et que l’état des évêques est supérieur à l’état des religieux.  Or, comme l’a décrété Jean XX11 (dans extravaganti, antiquae concertat de voto),   « un mariage ratifié n’est pas dissous par la profession religieuse ».  Je réponds que ces choses ne sont pas semblables.   Car, le mariage ne répugne pas, en lui-même, et de par sa propre nature, à la profession monastique.   Il ne répugne pas non plus, en lui-même, et de par sa propre nature, aux ordres sacrés, mais seulement par un décret de l’Église.
 

La deuxième raison est que, dans le mariage, il y a un double lien.   Un spirituel, qui nait  du seul consentement, un charnel qui vient de l’acte conjugal.   Or, ce lien charnel est détruit par la mort corporelle, (1 Cor 7).  Donc, le lien spirituel doit être détruit, lui aussi,  par la mort spirituelle et civile.  Telle est la profession monastique par laquelle l’homme meurt totalement au monde. Et c’est ce qui fait comprendre  que le mariage n’est pas dissous  par la réception d’un ordre sacré.   Car, un ordre sacré ne requiert  ni mort spirituelle ni mort civile, aucune mort, donc,   par laquelle on renonce aux richesses et à sa propre volonté.
 Il y a deux façons de répondre aux objections.  Une, qui est commune aux théologiens, et qui est surtout propre à  Sotus.  C’est ce qu’il explique (dans 4 dist, 27, question 1, article 4) en disant que le mariage qui n’est que ratifié est aussi indissoluble que celui qui a été consommé.  Et, à tous les autres arguments, lui et les autres  répondent que cela prouve excellemment qu’un mariage ratifié  ne peut pas être dissous par les hommes, c’est-à-dire par une autorité humaine, mais non qu’il ne puisse pas l’être par Dieu.  Or, c’est Dieu qui dissout le mariage quand il appelle à la vie religieuse.
 Tu diras : d’où savons-nous que, par la vocation religieuse,  Dieu dissout les mariages ratifiés, mais non les non consommés, alors qu’il est certain que Dieu ait le pouvoir de tout dissoudre ?   Je réponds que  nous le savons par la déclaration de l’Église.    L’autre réponse est commune aux canonistes, et c’est celle que suit Cajetan (dans ses opuscules, tome 1, traité 28).  Ils enseignent qu’un mariage consommé ne peut être dissous que par Dieu; qu’un mariage  ratifié ne peut être dissous que par l’autorité du souverain pontife, ou, sans cette autorité, par l’entrée en religion.
 Venons-en maintenant à l’argument tiré des paroles du Seigneur en Matthieu 19 : « Que l’homme ne sépare pas ceux que Dieu a unis. »  Ils répondent que ces paroles ne valent que pour un mariage consommé.  Car le Seigneur n’a prononcé ces paroles qu’après avoir dit : « Ils seront deux dans une même chair. »  Ce qui ne peut se faire que par une union charnelle.  Et  qu’Alexandre 3 (chapitre ex publico) enseigne que c’est ainsi qu’on doit entendre ce texte.   Ils répondent à la première raison, que le mariage ratifié et le mariage ratifié et consommé ne différent pas accidentellement, comme une chose opérante et une chose non opérante, comme  le veut la première opinion. Ils ne diffèrent pas non plus  essentiellement, comme s’il manquait à un mariage ratifié une partie essentielle,  mais ils différent comme l’imparfait du parfait, comme le sourd ou l’aveugle diffèrent de ceux qui entendent ou qui voient.
 Car, pourquoi dit-on un mariage ratifié  non consommé, si ce n’est parce qu’il lui manque une opération, un effet ?  Et pourquoi ne dit-on pas un sacerdoce ratifié non consommé, avant que le prêtre ne commence à exercer son saint ministère ?  Or, ce qui manque au mariage ratifié c’est cela qui le rend soluble.  Car, le sacrement du mariage a trois significations.  La première, une grâce invisible, ou l’union du Christ avec l’âme.  La deuxième, l’union du Christ avec l’Église par la charité.   La troisième, l’union du Christ avec l’église par conformité de nature.   De ces trois, le mariage  ratifié n’a que la première, comme l’enseignent  saint Thomas, (4 dist, 27, question 1, art 3, question 2  a 1) et Innocent 111 (chapitre debitum sur les bigames).
 Or, si  cette signification suffit  pour constituer un vrai sacrement, elle ne suffit pas pour rendre ce mariage indissoluble,  car,  de toute évidence,  cette union du Christ avec l’âme n’est pas indissoluble.   Le mariage consommé a  les deux autres, comme il appert de saint Paul,   qui n’a dit « ce sacrement est grands, dis-je, dans le Christ et dans l’Église », qu’après avoir dit : « ils seront deux dans une même chair », ce qui se fait certainement par l’union charnelle.  Et on confirme le tout en notant que si un mariage ratifié non consommé signifiait l’union du Christ  avec l’Église, il s’en suivrait  que serait un bigame celui qui contracterait deux mariages, qu’il n’en ait consommé qu’un, ou aucun.  Ce qui est contraire au canon debitum des bigames.  La conséquence est évidente, car le contrat de mariage d’un bigame a un défaut de signification, puisque celui qui a deux épouses ne peut pas représenter l’union du Christ avec son unique église.
 À la deuxième raison, je dis que le mariage ratifié est un sacrement véritable, mais non parfait, quant à la totalité de la signification.  À la troisième,  je dis que  ceux qui se donnent à leurs épouses  doivent toujours avoir à l’esprit que c’est à la condition qu’ils ne soient pas appelés à des noces plus spirituelles.   Je dis ensuite que l’époux n’est pas tenu  de rendre le dû matrimonial au détriment de son bien spirituel, quand cela peut se faire sans causer de tort à l’épouse.  L’une et l’autre réponse sont bonnes,  mais la dernière est plus conforme aux décrets et aux actions des pontifes,  qui ont, de fait,  dispensé d’un mariage ratifié non consommé.
 La première réponse se base sur Nicolas ( 27, question,  2, canon scripsit).   Il dit que c’est Dieu qui dissout le mariage, quand il appelle quelqu’un à la vie religieuse.   Mais, ce fondement n’est pas solide, car Nicolas parle  d’un mariage consumé, et il enseigne qu’il est dissous non quant au lien, mais quant à l’obligation de l’acte sexuel.
                                                     CHAPITRE 39
                                                       Les ermites
 Vient maintenant la cinquième dispute sur les ermites.   Plus que toutes les autres formes de la vie religieuse,   ce sont les ermitages que réprouvent les magdebourgeois  (centuries 4 et 5, chapitres 6 et 10.), ainsi que Calvin  (livre 4, chapitres 13 et 16).  Ils reprochent deux choses : la solitude, et l’austérité de la vie. Ils disent, que, par la solitude, ils pèchent deux fois contre le prochain.  Une première fois, pour s’être retirés dans le désert en haine du genre humain, contrairement en ce qui est dit en Matthieu 13 : « Voici qu’il est dans le désert.  Ne sortez pas. »  Et Hébreux 10 : « N’abandonnant pas notre assemblée. »  Par la sévérité de la vie, ils disent qu’ils pêchent contre eux-mêmes.  D’abord, parce qu’ils s’exposent à beaucoup de dangers et de tentations,  comme on le voit dans les vies de saint Antoine et de saint Hilarion;  qu’ils sont des homicides d’eux-mêmes par des jeûnes excessifs, des cilices, et d’autres mortifications qu’ils s’imposent constamment, allant contre  Exode 20 : « tu ne tueras pas », et contre Coloss 2 : « Honore ton corps ! »  Enfin, parce qu’ils s’imposent des labeurs idiots, plaçant la  religion dans des choses bizarres  et ridicules, comme ce Siméon qui vécut au haut d’une colonne, comme un oiseau, pendant un grand nombre d’années, ce qui a été perçu dit-on, comme une pure illusion et une fascination diabolique.
 Réponse.  Que la vie érémitique  soit sainte et parfaite, et agréable à Dieu, nous le prouvons d’abord, par le témoignage des Écritures, qui louent grandement Élie et saint Jean-Baptiste, qui furent les princes des ermites, autant par  la solitude que par  l’austérité de leur vie.  Car, de saint Jean-Baptiste, le Seigneur dit en Matthieu 14 : « Parmi tous ceux qui sont nés de la femme, aucun n’a jamais été plus grand que Jean. »  La grandeur d’Élie apparait en ce que, pour louer Jean-Baptiste,  l’ange a dit (Luc 1) qu’il précéderait (le Messie) dans l’esprit et la vertu d’Élie. » Or, Élie qui se tenait la plupart du temps sur le mont Carmel,  était revêtu de peaux de bêtes, comme on le dit dans les Rois (4, 1).
 Semblablement, saint Jean Baptiste vécut dans le désert,  de son enfance à la fin de sa vie.  Il était vêtu de poils de chameau, et se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage (Luc 1, et Matt 3). Voilà pourquoi les anciens pères ont appelé Élie et Jean ermites et princes des ermites, comme saint Basile dans son épitre à Chilon, saint Grégoire de Naziance,  (dans son apologie sur sa fuite, après son retour) , saint Jean Chrysostome (homélie 69 sur Matthieu),  saint Jérôme,( en partie dans son épitre à Paulin sur l’institution du monachisme,  et en partie dans l’épitre à Eustochius sur la virginité),   Cassien (conférence 18, chapitre 6), Sozomène (livre 1, chapitre 12, de son histoire), Theophylacte,  (dans le premier chapitre de Luc), saint Isidore (livre 2, chapitre 5,  des devoirs divins.)
 Les hérétiques  répondent, à cet argument , et surtout au sujet de Jean, qu’il ne demeura jamais dans un vrai désert, et qu’il ne s’est pas  nourri et vêtu avec austérité, comme nous le prétendons.  Les magdebourgeois (centurie 1, livre 1, chapitre 6, colonne 248) disent que le mot désert doit être entendu à la façon d’une hyperbole, parce qu’il prêchait dans des villes voisines du désert.   Et, dans le chapitre 10, colonne 357, ils soutiennent que Jean a habité avec ses parents, et qu’on dit qu’il a habité dans le désert parce que la maison de ses parents était dans les montagnes de la Judée,  vulgairement appelées  désert, à cause des monts et de la stérilité, même s’il y avait là plusieurs villes et villages.
Et c’est ce que pensent également Bucer  et Zwingli (au chapitre 3 de Matthieu).   Les centuriates disent, au même endroit (colonne 356),  que l’habit de Jean était vraiment fait de poils de chameau, mais parce que  c’était  la coutume des  hommes de cet endroit.  Et c’est ce que dit également Bucer, (au chapitre 3 de Matthieu). Chrytraeus ajoute même qu’en cet endroit, il y avait un vêtement semblable à celui que nous appelons ondulé,  que seuls portent les nobles.
 De plus, les centuriates  (colonne 364) disent que les sauterelles que Jean mangeait étaient une sorte de poissons excellents que les pêcheurs rejetaient  parce que prohibés par la  loi, mais que Jean mangeait, parce qu’il avait été libéré  par la loi évangélique.  C’est aussi l’avis de Melanchton, dans son sermon sur saint Jean-Baptiste, et d’autres.  Ces erreurs, Pierre Canisius les a parfaitement réfutées  (livre 1, les corruptions de la parole de Dieu, chapitres 2, 3, 4.)  Il prouve, d’abord que saint Jean Baptiste a vécu dans un vrai désert, parce que le mot désert, qui est ici utilisé, est toujours employé par l’Écriture au sens d’un vrai désert.   Il dit ensuite que Luc  (1) dit qu « ’il a été dans le désert jusqu’au jour de sa manifestation à Israël ».  Les Israélites ne l’ont donc pas vu avant qu’il ait atteint l’âge de trente ans, car c’est alors seulement qu’il commença à se montrer et à prêcher.   Pendant tout ce temps, il n’habita donc pas dans la maison de ses parents, ni non plus dans des villes ou des villages, mais dans un vrai désert.
 On peut le déduire aussi de ces paroles de Luc (3) : « Une parole du Seigneur  descendit, dans le désert, sur  Jean, fils de Zacharie, et il vint dans toute la région du Jourdain, prêcher un baptême de pénitence. »  Il faut noter que la région du Jourdain où Jean prêchait était elle-même un désert.  Car, c’est ainsi que parle  Matthieu de la même chose, au chapitre 3 :  « En ces jours-là,  Jean-Baptiste vint dans le désert prêcher un baptême de pénitence. »  Saint Jean vint donc d’un désert dans un désert.   Mais le premier désert où demeurait saint Jean Baptiste était si désertique que, en comparaison, l’autre ne semblait pas être un désert.
Car, autrement, pourquoi Luc dirait-il :  « il vint du désert dans une région », si cette région était aussi désertique ?  La sentence d’Euthimius est donc vraie.  Il enseigne, en effet, (Matthieu 3) qu’il y a eu deux déserts en Judée.  Un intérieur,  que personne, ou de rares voyageurs,  ne fréquentait;  et un autre extérieur, qui n’était pas habité, mais qui était fréquenté.  Donc, jusqu’à l’âge de 30 ans, saint Jean Baptiste demeura dans le désert intérieur,  et, dans la dernière partie de sa vie, dans le désert extérieur.
 On peut se servir aussi du doute des Juifs pour ajouter une quatrième raison. Car ils demandèrent à Jean  (Jean 1) qui il était :  Élie, ou un autre ?  Or, s’il était toujours demeuré dans la maison de ses parents, la question ne se posait même  pas, car ils auraient su, de toute évidence,  qu’il était le fils de Zacharie et d’Elizabeth.  C’est parce qu’il s’état caché pendant tant d’années,  c’est-à-dire, depuis son enfance  jusqu’à l’âge de trente ans, que personne ne le connaissait.  Voilà pourquoi on lui  a demandé : qui es-tu ?   Et  comme ils savaient qu’Élie devait venir avant l’avènement du Christ,  et qu’ils voyaient qu’il était habillé comme Élie,  ils lui demandèrent donc : « Es-tu Élie ? »
 Se présentent également les témoignages des pères.   Eusèbe (livre  9, chapitre 5  de sa démonstration évangélique)  écrit : « Il venait du désert revêtu d’un habit inhabituel,  après avoir rejeté le mode de vie commun à tous les hommes.  Car, il ne demeurait dans aucun village, dans aucune ville, ni avec aucun  autre groupe d’hommes. »  Et, plus bas : «  Il surgissait  subitement  de je ne sais trop quelle portion du désert,   et y retournait  après avoir prêché, sans nourriture, et sans breuvage,  comme ayant horreur de la foule.  Les Juifs  avaient raison d’être estomaqués,  et de le prendre pour un ange, plutôt que pour un homme. »  Saint Jérôme (dans son épitre 4 à Rustique) : « Jean le Baptiste a eu une sainte mère,  il fut le fils d’un pontife,  mais il n’a été vaincu ni par l’affection de son père, ni par les richesses de sa mère.  Ils n’ont pu, en effet,  l’obliger à vivre dans la maison de ses parents,  au risque d’y perdre sa chasteté.  Il vivait dans le désert,  et les yeux qui désiraient le Christ dédaignaient  de ne regarder rien d’autre. »
 Et du vêtement de Jean qui ne fut pas en linge, ni en un tissu soyeux  et délicat,  c’est le Seigneur Jésus lui-même qui en témoigne : (Matt 11) : « Qu’êtes-vous allé voir dans le désert ?  Un homme habillé à la dernière mode ? Ceux qui sont ainsi habillés vivent dans les maisons des rois ».  Ce qui fait dire à saint Jean Chrysostome (homélie sur Matthieu 10), que l’habillement de saint Jean Baptiste en était un de componction et de pénitence.   Et, au même endroit, il ajoute  que c’était un cilice, qui indiquait le mépris du monde.  Saint Bernard (dans son sermon sur saint Jean Baptiste) écrit : «  Il vint Jean,  ne mangeant pas et ne buvant pas, à moitié vêtu.  Et comme la sauterelle n’est la nourriture que d’animaux sans raison, les poils de chameaux  ne sont pas, non plus, un habit d’homme. »  Et pourquoi, je le demande,  l’évangile nous décrirait-il  avec tant de précision  son vêtement s’il était semblable à celui de tout le monde ?  Et pourquoi les évangélistes n’ont-ils pas décrit le vêtement de Jésus ?
 Parlons maintenant de sa nourriture.  Que ces sauterelles n’aient pas été des poissons  à la chair délicate, mais de vraies sauterelles,  le mot grec nous le montre assez clairement,  car akridès ne peut signifier rien d’autre, comme l’enseigne Euthymius.  Ensuite, pourquoi le Christ aurait-il dit (Luc 7) : « Jean est venu, ne mangeant ni ne buvant,»  c’est-à-dire  qu’il mangeait et buvait si peu que c’était comme s’il ne mangeait ni ne buvait rien.  Enfin, c’est ainsi que l’expliquent tous les pères cités par Pierre Canisius.
On prouve, en second lieu, l’excellence de l’institution monastique par l’approbation unanime des pères.   Saint Basile (dans l’épitre à Chilon)  compare la vie solitaire au martyre, et réfute toutes les objections qu’on apporte contre la vie érémitique.  Semblablement, dans l’épitre  à saint Grégoire de Naziance,  sur l’utilité de la solitude,  il traite de plusieurs sujets.   Le même saint Grégoire de Naziance (dans son apologie pour sa fuite), donne le nom de céleste à la vie des ermites.  Et, dans son épitre à Hellenius,  il rapporte des choses merveilleuses   des ermites de son temps, comme, par exemple, que certains n’ont jamais vu un homme,  que d’autres se soient abstenus de nourriture pendant vingt jours.  Il raconte aussi  de quelqu’un,  qu’il était resté en prière pendant un an entier, et qu’une corneille lui apportait  les restes d’une nourriture.
 Après avoir rapporté ces choses et beaucoup d’autres semblables, il ajoute : « Telle est la part du Christ,  tel est le fruit des souffrances du Christ, qu’il apporte de la terre à son Père.   C’est le sommet de la religion chrétienne, l’honneur du peuple, le fondement du monde,  une splendeur qui milite avec les beautés célestes. »  Dans sa somme doctrinale, Épiphane place en premier lieu, parmi les choses qui sont conservées dans l’église sans être commandées, la virginité, ensuite la solitude,  auxquels il adjoint l’abstinence des viandes, des œufs et des poissons, et même du pain et du vin,  le coucher sur la dure, et  un sac comme habit.
 Saint Jean Chrysostome donne de grandes louanges au désert érémitique.  Dans son homélie 8 sur saint Matthieu, il dit : « Si quelqu’un vient maintenant dans la solitude désertique égyptienne, il verra un désert plus digne qu’un paradis,  et, dans des corps mortels,  des chœurs innombrables d’anges. »  Il dit la même chose (dans ses homélies  69 et 70 sur Matthieu, et dans son homélie 14 sur la première épitre à Timothée.  Saint  Jérôme (dans son épitre à Heliodore) : «  O désert, qui fait éclore  les fleurs  du Christ ! O solitude,  dans laquelle naissent des pierres qui, comme le dit l’apocalypse, servent à la construction de la cité du grand roi !  O ermitage où se trouve une plus grande familiarité avec Dieu,  qui se réjouit etc »
Il dit la même chose dans son épitre à Eustochius  sur la virginité : « Ceux qui quittent les monastères de cénobites pour se réfugier dans le désert  comme vers une vie plus parfaite,  n’apportent avec eux, comme nourriture, que du pain et du sel. »  Saint Augustin (livre 1, chapitre 31 sur les mœurs de l’Église)  loue chaudement les ermites : « Je ne dirai rien de ceux qui, loin de tout regard humain, se contentant de pain et d’eau,  habitent les terres les plus désertiques, jouissent d’un colloque avec le Dieu  qui habite  dans leurs purs esprits, et qui sont rendus heureux par la contemplation d’une beauté  qui ne peut être perçue que par l’intelligence des saints. »
 Ajoutons à ces témoignages la nouvelle constitution  de Justinien (133), où il dit : « La vie solitaire et contemplative est une chose tout à fait sacrée,  et qui, de par sa nature, conduit les âmes à Dieu.  Car, elle n’est pas profitable seulement  pour ceux qui la mènent, mais pour tous les autres. »
 On le prouve ensuite, par des raisons.   La première : l’effet. Car, nous voyons qu’un grand nombre de ces ermites  ont atteint une grande perfection, et ont brillé par des miracles, dont sont témoins tous ceux qui ont écrit leurs vies, comme saint Athanase celle de saint Antoine, saint Jérôme,  cellesde Paul et d’Hilarion,  Pallade,  l’histoire lausiaque,  Cassien  ses conférences,  Theodoret son histoire religieuse,  Sozomène (livre 1, chapitres 12, 13, 14, livre 3, chapitre 13, et  livre 6, chapitres 26 et suivants).  Et pour ne parler que de lui, il est certain  que Dieu n’aurait pas nourri Paul le premier ermite pendant 60 ans, en lui envoyant un demi pain à chaque jour; et saint Antoine n’aurait pas vu son âme être emportée dans le ciel dans le chœur des apôtres,  ni les lions lui avoir creusé une fosse pour l’ensevelir,  si une solitude d’une centaine d’années et surtout si l’austérité de sa vie n’avaient pas plu à Dieu.
 La deuxième raison est que la vie érémitique est le sommet et le symbole de la vie religieuse.  Car, à peu près tous les pères enseignent qu’on ne doit pas  se précipiter tête baissée dans une cellule érémitique  avant de s’être soigneusement exercé aux vertus dans un monastère de cénobites, parce que  la vie érémitique n’apporte pas la perfection, mais la présuppose.  C’est ce que disent saint Jérôme (dans son épitre à Rustique 1),  Cassien (dans la conférence 10, chapitre 3), saint Augustin  (livre 1, chapitre 3 sur les mœurs de l’Église), saint Benoit (dans sa règle, chapitre 1), saint Bernard (sermon 3 sur la circoncision.    Et voilà pourquoi il est permis à tous les religieux de passer à l’ordre des chartreux,  parce que leur vie est solitaire, et est donc une vie de parfaits.  Puisque la vie érémitique est la plus sainte de toutes, elle ne peut donc pas ne pas être agréable à Dieu.   Nous avons montré, plus haut,  qu’une vie parfaite plaisait à Dieu  au point de pouvoir  être, en toute rectitude, vouée à Dieu.
 La troisième raison.  La solitude et l’austérité sont  les meilleurs moyens  pour  l’obtention de  la meilleure fin.  Car, la fin d’une vie austère et solitaire  est la contemplation de Dieu, et des choses célestes, comme on le voit dans  la conférence 19, qui porte sur la fin de la vie érémitique.  C’est cette part que le Seigneur appelle la meilleure (en Luc 10).  Car le moyen qui mène à la contemplation  de toutes les meilleures choses,  c’est d’avoir l’âme recueillie et attentive.  C’est ce que procure d’une manière admirable la solitude qui repousse loin d’elle toute agitation, toute distraction.
Voilà pourquoi, à chaque fois qu’il voulait prier, le Seigneur  gravissait une montagne ou se dirigeait vers deux lieux déserts.  Luc 5 : « Il restait dans le désert, et priait. »  Quand (Exode 24),  Dieu voulut parler avec Moïse, il lui ordonna d’escalader la montagne jusqu’à son sommet, et d’entrer dans les ténèbres  pour que son âme, qui avait été appelé par Dieu, ne voie rien d’autre que lui.  Saint Jérôme écrit   (livre 2 contre Jovinien) que cela est si vrai  que même plusieurs philosophes,  conduits par la seule nature,  ont habité dans les déserts, pour pouvoir contempler sans distraction.
 Il en va de même pour le jeûne, et pour  tout le reste qui fait partie de cette sévérité de vie.  Car, que le jeûne soit un excellent moyen de parvenir à la contemplation,  l’Écriture nous le montre  en l’associant partout à la prière. Tobie (12) : « Bonne est la prière avec le jeûne ».  Matth 17 : « Ce genre de démon n’est expulsé que par la prière et le jeûne. »   Luc 2 : « Elle ne s’éloignait pas du temple,  servant Dieu nuit et jour  par des jeûnes et des supplications. »  1 Corinthiens 7 : « Pour que vous vous adonniez à la prière et au jeûne ».  Et saint Jean Chrysostome (dans son homélie 1 sur la Genèse) dit que « le jeûne est, pour  l’âme, semblable à des ailes qui lui permettent de s’envoler dans les hauteurs, et de contempler ce qu’il y a de meilleur. » Saint Athanase dit des choses semblables (dans son livre sur la virginité), et Basile (dans son sermon sur le jeûne).  Il dit aussi que quiconque en fait l’expérience,  voit sa chair prendre de la vigueur et refleurir;  que celui qui vit dans les délices voit son âme devenir charnelle et terrestre, et penser plus à la luxure qu’à la sagesse.
 Même un Platon a choisi un lieu  pestilentiel pour y vivre et y enseigner, comme le dit saint Jérôme ( livre 2 contre Jovinien), pour que ses disciples n’aiment rien d’autre que la sagesse.   Et, au même endroit, il rapporte que les pythagoriciens  n’évitaient pas  seulement les villes mais tous les  lieux qui procurent des plaisirs, pour que leurs âmes ne s’amollissent pas,  et ne se détournent pas de l’étude de la sagesse.   Semblablement,  il enseigne, au sujet des prêtres des Égyptiens,   que, pour qu’ils vaquent à la contemplation des astres,  ils ne devaient pas avoir de femmes,  ni aucun des leurs, et ils  ne devaient manger que très peu.  Galenus écrit aussi, dans son exhortation aux médecins, que « les âmes des hommes qui sont adonnés aux voluptés, sont comme plongées dans du sang, un peu comme dans de la vase,  et que c’est ainsi qu’on les voit du haut du ciel ».
 Mais ces saints ermites  ne vivaient pas si sévèrement seulement pour la contemplation,  mais aussi pour d’autres causes très justes.   La première.  Parce que la nature du lieu l’exigeait,  car ils n’auraient pas pu, même s’ils l’avaient voulu,  trouver dans le désert toutes les commodités de la vie.  Et voilà pourquoi Paul l’ermite s’habillait de feuilles de palmier. Il n’y avait, en effet, rien d’autre.   Et la raison pour laquelle saint Jean mangeait des sauterelles et du miel sauvage c’est que ces choses abondaient dans le désert, comme saint Jérôme l’enseigne  (dans son livre 1 contre Jovinien).
 Une autre raison, c’est que, étant concentrés  sur les délices de l’âme,  ils oubliaient en partie les besoins du corps,  comme  le rapporte de l’abbé Jean  Jean Cassien (dans sa conférence 19,  chapitre 4) qui « ne se souvenait pas  s’il avait mangé ou pas ».  Et en partie aussi, parce qu’ils supportaient à regret la servitude du corps.  Voilà pourquoi plus rapidement et plus rarement  ils pouvaient satisfaire aux besoins essentiels de corps, plus ils se sentaient heureux, comme Philo l’écrit des premiers moines,  (dans le livre de la vie contemplative des suppliants),  dont plusieurs, à cause de leur avidité  des banquets spirituels,  ne nourrissaient leur corps qu’à tous les cinq ou six jours.
Troisièmement, parce qu’ils savaient que la victoire sur les cupidités et l’entraînement  à la patience étaient agréables à Dieu.  Car, puisque la chair désire toujours contre l’esprit, il plait grandement à Dieu que l’esprit désire contre la chair.  Voilà pourquoi Tertullien (dans le livre de la résurrection de la chair) appelle un sacrifice agréable à Dieu le jeûne et les autres mortifications.  Quatrièmement,  pour obtenir, de la pénitence, de dignes fruits,  et pour satisfaire pour leurs péchés.  Car, les saints qui ont prix au sérieux la recherche de la perfection, ont coutume d’expier durement de légères fautes.  Voilà pourquoi saint Jean-Baptiste a vécu dans tant d’austérité.  Car, même s’il n’avait à se reprocher aucun péché volontaire,  il a voulu,  parce qu’il avait été envoyé par Dieu pour prêcher la pénitence, la prêcher cette pénitence par la parole et par l’exemple.  C’est pour cette raison, comme l’explique saint Jean Chrysostome, (homélie 10 sur Matthieu) qu’il portait un vêtement proportionné à la pénitence et à la componction.   Ces considérations-là nous permettront de répondre facilement aux  objections.
Nous répondons à la première. Ce n’est pas la  haine du genre humain  qui pousse les ermites dans  les déserts, mais la recherche d’une vie plus pure. C’est ce qu’explique saint Augustin (livre 1, chapitre 31,  sur les mœurs de l’église catholique) : « Que penser de cela ?  On voit des hommes qui ne peuvent pas ne pas aimer les hommes,  mais qui, cependant, ne peuvent pas les voir ?  Cette chose, quelle qu’elle soit,  dont la contemplation permet à l’homme de vivre sans homme, est ce qu’il y a de plus important dans les choses humaines ».  Donc, si donc pèche contre le genre humain celui qui hait la vie en société,  ne pèche en aucune façon celui qui demeure seul sans haine.
Quant au passage de l’Écriture : « ne sortez pas », il s’applique, à la lettre, à l’avènement de l’antichrist.  Le désert mystique signifie les faux dogmes des païens et des hérétiques, comme Origène, Jérôme et Bède l’écrivent, dans leur commentaire du chapitre 24 de Matthieu.   Car les hérétiques veulent trouver le Christ dans certains sens de l’Écriture ineptes et creux, que les saints Pères n’ont même pas pris la peine de considérer.  Nous avons un bon exemple de leur manque de discernement dans les paroles : « ne sortez pas. »  Car qui aurait jamais pu imaginer que ces paroles interdisaient la vie érémitique ?
Au sujet des Hébreux 10 : « n’abandonnant pas l’assemblée, » je dis que saint Paul accuse ceux qui, par haine ou envie,  ne se réunissaient pas en église, parce que  le lieu de prière n’était pas à leur gout, et qui formaient des groupuscules.  Voilà pourquoi Theodoret et Oecumenius  expliquent que, par le mot assemblée, saint Paul entend un consentement unanime des âmes.  Ajoutons que même les ermites, à quelques exceptions près, allaient prier ensemble dans leur église, comme le font encore aujourd’hui les chartreux et les camaldules.
 Au second argument, je réponds avec saint Augustin (livre 1, chapitre 31, des mœurs de l’Église) : « Il semble que quelques-uns (les anachorètes)  ont, plus qu’il ne convient, délaissé les choses humaines,  si on ne considère pas à quel point leurs  âmes nous apportent du renfort dans la prière, et leur vie un exemple,  ceux dont nous n’avons pas la permission de voir les corps. »  Voilà pourquoi Justinien, au lieu déjà cité, soutient que c’est « par les oraisons des saints ermites que sont conservés l’empire, l’armée et les champs ».
Mais, tu diras que la prière n’est pas la seule œuvre de charité commandée par Dieu, qu’il y en a même beaucoup d’autres,  comme l’aumône, la visite des malades,  l’instruction etc.  Ces œuvres-là  les ermites non seulement ne les accomplissent pas, mais se rendent incapables de les accomplir.  Je réponds que les hommes privés ne sont obligés aux œuvres de charité  que quand une occasion se présente.  Car, la différence qu’il y a entre les prélats et les non prélats est que les premiers sont tenus par leur état  de s’enquérir  si ceux qui leur sont confiés manquent de quelque chose, ce que les autres ne sont pas tenus de faire.   C’est seulement quand une occasion se présente qu’ils doivent faire aux autres ce qu’ils  veulent qu’on leur fasse à eux-mêmes. Et, bien que ce soit un péché  de se rendre intentionnellement incapable de faire des œuvres de charité,  comme quelqu’un qui demeure continuellement dans sa maison pour ne jamais apercevoir un pauvre,  cependant, si cela arrive sans qu’on l’air recherché ou voulu, il n’y a pas de faute.
Au troisième je dis que s’exposer au péril, n’est pas, en soi, un péché, autrement il ne serait pas permis de naviguer ou de se battre contre un ennemi.  Ce qui est un péché c’est s’exposer témérairement à un danger.  Comme, par exemple, quelqu’un qui, sans une  juste cause,  conscient de sa faiblesse et de sa nudité, engagerait un combat  contre un géant bien armé.  Il en va de même dans les choses spirituelles.  Celui qui rechercherait un désert sans cause, c’est-à-dire sans le propos d’une vie plus pure,  et qui n’aurait pas appris, avant,  dans un monastère de cénobites à lutter contre le démon, comme les pères cités l’enseignent, sans avoir reçu un appel extraordinaire de Dieu,  comme Paul le premier ermite, et les autres.
 Au quatrième, je dis que les saints ermites n’ont pas été des meurtriers d’eux-mêmes, s’empêchant de vivre plus longuement.  Car, le premier ermite, Paul, a vécu 113 ans, et saint Antoine 103 ans.  Les autres sont presque tous morts vieux, comme le racontent les conférences de Cassien.  Saint Jérôme (livre 2 contre Jovinien) montre, en citant Hypocrate et Galien, que le jeûne est bon pour la santé.  Clément d’Alexandrie (livre 2, pédagogue, chapitre 1)  indique la même chose en citant Antiphane, un très docte médecin.
Au passage des Colossiens 2 « honorez votre corps », on peut répondre de deux façons.  Une première selon l’explication donnée par saint Augustin (dans l’épitre 59 à Paulin).  « Les choses, comme l’abstinence,  qui,  faites dans la superstition et l’humilité,   ne semblent pas avoir de motif  de sagesse, puisqu’elles ne cherchent qu’à  épargner le corps, non à l’honorer,  en lui interdisant la satiété, ont quand même quelques motifs de sagesse, même si elle est superstitieuse.  Ils semblent, en effet,  faire cela pour humilier leur cœur, et châtier leur corps, au lieu de le flatter et le gaver.  Ces choses seraient bonnes si elles n’étaient pas faites superstitieusement.  Car, Paul dit lui aussi : « Je châtie mon corps, et je le réduits en servitude. »
 L’autre explication est celle de saint Jérôme (dans son épitre à Algasie)  et de saint Jean Chrysostome (dans son commentaire de ce passage) qui disent que saint Paul réprouve ceux qui n’honorent pas le corps.  L’honneur du au corps requiert qu’on ne le prive pas de ce qui est nécessaire, et qu’on ne l’afflige pas sans utilité ou sans nécessité.  Les ermites l’affligeaient, il est vrai, mais non sans grande  utilité.  Ils ne le privaient pas, toutefois, de ce qi était strictement nécessaire.  Et quand ils jeûnaient pendant plusieurs jours sans aucune nourriture, la nourriture ne leur était pas vraiment nécessaire, car c’est de Dieu qu’ils recevaient la force pour le faire.
Au cinquième, suffit l’apologie de Theodoret (dans son histoire religieuse, chapitre 25) où, de deux façons, il défend l’action de Siméon le stylite.  D’abord, il ne fit pas cela par impulsion, mais comme contraint d’agir ainsi.  En effet, un grand nombre accouraient vers lui,  le touchaient, le pressaient partout  pour être guéris par lui de leurs maladies,  ou pour en recevoir une grâce.  Se jugeant indigne d’un tel honneur, et supportant de plus en plus difficilement  un si grand nombre de distractions et d’empêchements à la prière,  l’idée lui vint  de vivre sur une colonne pour n’y être rejoint par personne.
 Il explique, ensuite qu’il a conçu ce projet de vie sous l’inspiration du Saint-Esprit qui a voulu, par ce nouveau spectacle d’une pénitence singulière, exciter à la pénitence la torpeur des hommes,  comme quand il a commandé à certains prophètes de faire des choses qui semblaient sottes.  Car, il a ordonné à Isaïe (20) de se promener tout nu dans la cité, à Jérémie  (28) de s’enchainer, à Ézéchiel, de manger du pain cuit recouvert de fumier,  et de dormir 300 jours sur le côté gauche.  À saint Jean-Baptiste, il a demandé de vivre avec les bêtes,  de se revêtir d’un vêtement fait de poils de chameau, et de se nourrir de sauterelles.
Que ce soit sous l’inspiration du Saint Esprit que saint Siméon  ait demeuré sur une colonne,  Theodoret le prouve  par sa vie vertueuse remplie de miracles, et par la conversion d’une quantité innombrable d’hommes, qui ont été, par lui, faits chrétiens.  Car, voici quel était son régime de vie.   Pendant toute la nuit,  et, pendant une grande partie de la journée, il priait, c’est-à-dire jusqu’à l’heure de none.   Ensuite, il parlait à ceux qui venaient le voir.  À cause du va et vient continuel, le chemin qui menait à sa colonne ressemblait à un fleuve.  De plus, par ses prédications, il amena des milliers de païens au baptême, et réfuta souvent des Juifs et des hérétiques.  Après avoir prêché,  il guérissait les malades qu’on lui présentait habituellement.
Son renom  était si grand à cause de ses miracles,  qu’on accourrait à lui de tous les pays, de l’Arménie, de la Perse,  de la Scythie, de l’Éthiopie,  de l’Arabie, de l’Espagne, de la Gaule et de la Bretagne.  À Rome, on  voyait ses images dans tous les vestibules  et dans tous les portiques des lieux publics.  Après les guérisons, il réconciliait les ennemis, mettait fin aux litiges.  Plusieurs se présentaient à sa colonne comme à un tribunal de dernière instance,  et soumettaient à son jugement les cas les plus difficiles à résoudre.   Enfin, après sa mort, son cadavre se tenait encore debout, immobile, sur la colonne, exactement comme il faisait quand il vivait encore.  Et, après sa sépulture, des miracles sans nombre se firent autant au cimetière qu’à sa colonne.  Les magdebourgeois ne répondent à toutes ces choses que par le silence.  Car, s’ils ne faisaient qu’y penser un  instant, toutes leurs objections monteraient en fumée.
                                                    CHAPITRE 40
                          L’habit et la tonsure des moines
 Vient ensuite la sixième dispute sur l’habit et la tonsure des moines, don t il faut donner deux explications préalables.  La première porte sur leur antiquité.   La deuxième, sur leur raison d’être   Car, les magdebourgeois  (centurie 4, chapitre 6, colonne 467)  disent, en parlant de l’habit et de la tonsure des moines,  que ce sont des superstitions qui ne sont  pas conformes  à l’Écriture, et qui n’ont pas été connues par  la primitive église.  Calvin (livre 4, chapitre 19, verset 27) semble indiquer  que l’usage de la tonsure a commencé au temps de saint Augustin;  et que la cause en a été  que, à cette époque, seuls les hommes efféminés laissaient pousser leurs cheveux.  Il ne sembla pas qu’on dût  permette  aux clercs et aux moines de faire ce que seuls faisaient  les efféminés et les homosexuels.  C’est seulement beaucoup plus tard qu’on aurait cherché à y trouver des significations mystérieuses et mystiques.        Un certain Hortensius Landus a écrit un livre sur la persécution des barbares,  dans lequel il dit beaucoup de choses contre la tonsure des moines.  Et pour ne pas sembler parler sans les Écritures, il cite certains textes de l’ancien testament.  Le premier du Lévitique (19) où le Seigneur dit : « Ne coupez pas vos cheveux en rond ! »  Semblable est le texte de Jérémie 9 où le Seigneur dit qu’il dispersera  tous ceux qui ont coupé leurs cheveux en rond.   Le troisième est celui du lévitique (21), où il est dit des prêtres : « Qu’ils ne se rasent ni la tête, ni la barbe ! »  Le quatrième est celui d’Ézéchiel (44) où l’on trouve la même chose.  Le cinquième est dans l’épitre de Jérémie, où il rit des prêtres des idoles,  qui se rasent la tête et la barbe.
 Les vêtements.    Qu’il ait été institué de toute antiquité que ceux qui professent le mépris du monde et la pénitence, soient revêtus d’un habit  spécial et particulier,  Denys l’aréopagite nous le montre  (au chapitre 6 de sa hiérarchie ecclésiastique), où il dit, en parlant de la profession monastique : « Après l’avoir marqué du signe de la croix, que le prêtre le rase !  Et, après l’avoir dépouillé de tous ses vêtements, qu’il l’habille en blanc ! »   Eusèbe (livre 2, chapitre 24, histoire de l’église) écrit que, d’après Égésippe,  l’apôtre Jacques dit le frère du Seigneur, n’a jamais porté de vêtement de laine,  mais seulement de lin, comme l’était le linceul du Seigneur.  Athanase, (livre de la virginité, avant le milieu),  enseigne qu’une moniale  doit n’utiliser  que de l’étoffe grossière et vile.  Saint Basile (épitre 1 à Grégoire, et dans les questions longtemps expliquées, question 22) dit beaucoup de choses sur l’habit monastique.
 Saint Jean Chrysostome (homélie 69 sur Matthieu) dit que, par l’habit, les moines imitent Élie et Jean le Baptiste.  Et (dans son livre sur la comparaison entre un roi et un moine), il dit qu’un moine ne doit se servir que d’une seule robe, conforme à son institut.  Palladius (histoire lausiaque,  chapitre 41) raconte que, en son temps, les vierges consacrées à Dieu avaient coutume de se servir d’une cuculle.  Saint Ambroise (livre 6, épitre 36) dit, en parlant à Paulin,  qui, de grand homme du monde, et de noble sénateur devint moine, et avait, à cause de cela, offensé beaucoup de sénateurs païens : « Et bien  qu’il se rasent, eux , la tête et les sourcils, quand ils participent aux rites sacrés d’Isis, s’il arrive qu’un chrétien qui prend plus au sérieux la religion sacrosainte, change d’habit,  c’est pour eux un crime indigne ».
 Saint Jérôme (dans son épitre 4 au moine  Rusticus, dit : « J’en ai vu quelques-uns qui après avoir renoncé au siècle, en parole mais non en actes,  ont changé leurs vêtements  sans rien changer de leur ancienne manière de vivre. » Épitre 13 à Paulin : « Tu changes ton vêtement avec ton âme. »  Et dans l’épitre 15 à Marcella : « Après avoir revêtu une bure, elle se consacra immédiatement au Seigneur. »  Saint Jérôme (épitre 22 à Eustochius , sur la virginité) il dit que l’habit de tous les cénobites était le même, et dans la vie d’Hilarion, il ajoute une cuculle.  Dans l’épitre 27 à Eustochius, sur la mort de Paule, il dit en parlant des saintes moniales : « un même habit pour tous. »  Saint Augustin (dans son livre contre Faustus, chapitre 9) dit qu’ »une moniale commet un  péché si elle se sert de robes de noces ».   Dans l’épitre 199, il indique à Édicie  qu’une bure était l’étendard de celle qui professait la continence.
De même Grégoire (livre 2, chapitre 1 des dialogues, Meminit, habit de moine,  et livre 3, chapitre 14 : meminit habitus sanctimonialis.  De plus, Cassien a consacré tout le premier livre  aux instituts des cénobites, décrivant  l’habit des moines, expliquant qu’ils avaient reçu un habit prescrit par leur profession et conforme à celui des anciens. Ajoutons deux conciles.  Le concile Grangres (canon 12) réprouve les moines  qui tiraient vanité de leurs habits,  et qui méprisaient les autres chrétiens  qui étaient vêtus simplement.  Le concile de Carthage 4, canon 104, distingue l’habit laïc de l’habit religieux.  Au sujet de l’habit des clercs, voir saint Jean Chrysostome (homélie 83 sur saint Matthieu), et saint Jérôme (livre 1 contre les pélagiens), là où l’on parle de vêtements blancs.   De même, saint Jérôme (dans l’épitaphe de Népotien) où il se souvient d’une tunique sacrée utilisée dans le mystère du Christ.
Et  la raison d’un tel habit, nous l’apprenons des pères.  Car, (comme l’explique Denys l’aréopagite dans le chapitre 6 de sa hiérarchie ecclésiastique)  « quand le moine en devenir change de vêtement c’est pour signifier un changement de vie ».  Mais pourquoi on utilise ce genre de vêtements plutôt qu’un autre, saint Basile en donne deux raisons qu’il explique longuement.  La première est pour désigner la profession monastique.   Car, s’il convient aux sénateurs, aux juges, aux soldats,  aux nobles et aux paysans  de s’habiller autrement que les autres; et si saint Paul (1 Corinth 11) ordonne à l’homme de prier tête nue,  pour signifier le pouvoir, et à la femme la tête voilée, pour signifier la sujétion, pourquoi ne conviendrait-il pas à un religieux d’avoir un habit qui lui est propre,  afin de signifier son état de vie ?  La deuxième raison est pour que les religieux  soient forcés, même malgré eux, de bien vivre.  S’ils n’avaient pas un habit particulier, on ne pourrait pas les distinguer des autres.  Or, maintenant, tous les reconnaissent  et les observent; et s’ils font quelque chose de contraire à leur profession,  tous s’en rendent compte et le leur reprochent.
Pourquoi des cuculles ? C’est (explique Cassien, au lieu cité) pour signifier la simplicité, l’innocence enfantine à laquelle les moines doivent retourner.   Les enfants, en effet, quand ils portent encore la couche, et sont nourris au sein de leur nourrice,  sont recouverts de voiles semblables à des cuculles.  Pourquoi se servent-ils d’un vêtement grossier, comme d’un sac, à la façon des gueux,  saint Jérôme et Cassien l’expliquent dans les lieux cités.  C’est autant pour faire pénitence  que pour montrer leur mépris du monde.  Car des sacs et des vêtements rugueux  sont des  habits de pénitence, comme le démontre l’Écriture.   Achas a revêtu un sac pour faire pénitence (3 rois, chapitre 21), Élie était vêtu d’une peau de bête, (4, rois 1), les Ninivites revêtirent des sacs, (Jonas  3), et Jean était vêtu de poils de chameau (Matthieu 3).  Il y en a eu beaucoup d’autres  à agir ainsi: « Circulant en mélotes,  et en peaux de chèvres » (Hébreux 11).
 Qu’on puisse user en bien ou en mal d’un vêtement inaccoutumé, méprisable et repoussant, saint Augustin nous l’enseigne (livre 2, chapitre 19 des sermons du Seigneur).  Il nous avertit de ne pas juger quelqu’un par le seul habit,  mais d’apprendre par ses œuvres s’il s’habille ainsi par mépris du monde ou par ambition et  simulation de sainteté.  S’il est vrai qu’un loup peut se cacher sous une peau de brebis, la brebis ne doit pas  déposer sa peau, sous prétexte qu’un loup peut parfois la revêtir.
Pour montrer l’antiquité de la tonsure, nous avons d’abord saint Denys l’aréopagite, (au chapitre 6 de la hiérarchie ecclésiastique).  Il dit là, en toutes lettres, que celui qui veut devenir moine, doit d’abord être tondu, et ensuite revêtir un autre vêtement, après avoir rejeté le précédent.  Nous avons, de plus, un texte d’Anicet (épitre aux Gaulois)  où il ordonne que l’on rase la tête en forme de sphère.  Troisièmement.    Saint Athanase (dans le livre sur la virginité),  Palladius (dans l’histoire lausisaque, chapitre 41), et saint Jérôme (dans l’épitre au diacre Sabinien), attestent que même les moniales avaient coutume d’être tondues.
 Quatrièmement.   Épiphane (hérésie 80), et saint Augustin (dans l’œuvre des moines, dernier chapitre)  blâment  âprement certains chevelus qui ne voulaient pas être tondus comme les autres.   Saint Augustin et saint Jérôme font mention d’une couronne sacerdotale.  Saint Jérôme (dans son épitre à saint Augustin, qui la vingt-sixième dans les œuvres de saint Augustin) écrit : « Je prie ta couronne de saluer en mon nom  mon Seigneur Alipius, et mon Seigneur Evodius. »  Saint Augustin (dans son épitre 147 à l’évêque Proclinianus) : « Les vôtres nous adjurent par notre couronne;  les nôtres vous adjurent par votre couronne.
Sixièmement.  Saint Isidore  (livre 2, chapitre 4, des devoirs divins) dit que la tonsure et la couronne des clercs et des moins a été instituée par les apôtres.  Et Bède le vénérable (dans son histoire des anglais, chapitre 22) enseigne que saint Pierre a été le premier à avoir conservé une couronne de cheveux,  après avoir rasé le reste de la tête; et que c’est à son imitation que tous les clercs et les moines ont fait ce qu’il a fait.  Septièmement.  Justinien  (dans des conférences authentiques  7, tit. 5, chapitres 2 et 3) interdit aux clercs de laisser pousser leurs cheveux ou leur barbe, pour que tous les clercs, une fois la tête rasée, n’aient qu’un cercle de cheveux au-dessus des oreilles.  Mais les moines ont conservé l’antique coutume, et les clercs, en grande partie, la changèrent.
Venons-en  à la question de la tonsure proprement dite.  Il faut dire d’abord que la raison évoquée par Calvin est fausse.  Car, qu’au temps de saint Augustin,  non seulement des jeunes dissolus portaient les cheveux longs, mais même beaucoup de citoyens honnêtes,  et, cela, sans péché, nous l’enseigne le fait qu’on ordonnait aux pénitents de se raser la tête en signe de douleur et de pénitence, comme nous le montrent les conciles  d’Agathe (canon 11) et de Tolède 111 (canon 12).  Et de plus, on ne tondait pas tout simplement les clercs et les moines,  mais on les tondait pour  qu’apparaisse une couronne de cheveux, --ce qu’on ne faisait certes pas aux les laïcs.
Une autre raison est donnée par saint Isidore (livre 2, chapitre 4  des devoirs divins),  à savoir en imitation aux nazaréens qui étaient rasés le jour de leur consécration (Nombres 6).  Or, les nazaréens sont les moines de l’ancien testament.   Mais cette raison ne me plait guère, car les nazaréens n’étaient tondus que quand ils cessaient d’être nazaréens.  De plus, Épiphane  (hérésie 80) prouve que nos moines doivent être rasés, parce que laisser pousser les cheveux  est quelque chose de propre aux nazaréens de l’ancien testament.  C’est aussi ce que dit saint Augustin (dans son livre sur le travail des moines, vers la fin) : « Les prêtres de l’ancien testament avaient une bonne raison de porter les cheveux longs,  parce que les mystères de notre rédemption n’avaient pas encore été révélés, car le voile posé sur la face de Moïse et les longs cheveux des saints signifient la même chose.   Mais après l’avènement du Christ,  il convient que ce soit par la coupure des cheveux  que  la consécration au Christ soit signifiée.  Et c’est peut-être cela la raison  première de notre tonsure ».
Bède en donne une deuxième  (livre 5, chapitre 22 de son histoire) : pour exprimer l’image de la couronne d’épines du Christ.  Car, comme tous les chrétiens sont ornés du signe commun de la croix,  il convenait que soient ornés d’un signe spécial les clercs et les moines, qui voulaient imiter d’une façon toute spéciale  le Christ souffrant.  La troisième et la quatrième.   Raban (livre 1, chapitre 3, de l’institution des clercs), Hugues (livre 2, part 3, chapitre 1 sur les sacrements),  Ces auteurs disent qu’on coupe les cheveux  qui sont une partie superflue du corps,  pour signifier que les clercs et les moines doivent amputer  tout le superflu,  et principalement les désirs vicieux,  pour que leur tête demeure ainsi, leur âme libre et ouverte  au contemplations et aux illustrations divines.  Ils disent de plus qu’ils doivent être rasés de façon à laisser un cercle de cheveux,  pour signifier la royauté de la tête,  quand servir Dieu c’est régner.   La cinquième, c’est Denys l’Aréopagite qui la donne (au chapitre 6 de la hiérarchie ecclésiastique).  Afin de signifier, par cette mise à nu de la tête,  la  vie pure et ouverte,  que le moine doit exhiber.
On pourrait ajouter une sixième raison de la tonsure des moines.  Pour qu’elle soit un signe de pénitence et de conversion.  Car, comme nous l’avons dit déjà, on ne recevait comme pénitents que ceux qui avaient été tondus.  De plus, saint Jérôme donne une raison morale de la tonsure des moniales (dans son épitre à Sabienienne).  Parce que, autrefois, elles ne se lavaient et ne se savonnaient jamais la tête.  Elles étaient donc exposées à être envahies par de petits insectes, comme les poux.  Quoi qu’il en soit de cette dernière raison, on ne peut nier qu’elles le faisaient pour montrer leur mépris du monde, car les femmes ont coutume de faire grand cas de leurs cheveux.
 Il faut noter qu’autrefois ce n’était pas tant  la rasure que la tonsure qui a  été en usage.  On tondait,  mais de façon à ce que la peau demeure couverte.  On voit cela chez Clément d’Alexandrie, (livre 3, pédagog, chapitre 11).  En parle également Optat de Milet qui (dans son livre contre Parminius) reproche aux donatistes de dire  qu’on rasait, de force, la tête des prêtres catholiques.  « Montrez, dit-il, où il vous est commandé de raser la tête de vos prêtres,  alors que tant d’exemples sont présentés montrant qu’on ne doit pas le faire. »  On voit la même chose chez saint Jérôme (chapitre 24 d’Ézéchiel), où il dit que les prêtres ne devraient pas porter leurs cheveux longs,  ni les couper complètement,  mais les raser de telle façon que la peau demeure couverte.
De plus,  Denys, Épiphane, Jérôme,  Athanase, Palladius, Augustin, Isidore et Bède, les conciles de Carthage et de Tolède, ne parlent jamais de rasure, mais seulement de tonsure.  Le pape Anicet, a, comme je l’ai dit, parlé de rasure, mais sa lettre n’est pas absolument certaine;  son titre présent est peut-être faux.  Mais ce n’est quand même pas pour cela que nous blâmons ce qui se fait aujourd’hui : le rasage de la tête des clercs et des moines.  Il ne fut jamais interdit  de se raser la tête, et ces sortes de cérémonies peuvent varier selon les temps et les lieux.
 À l’argument d’Hortensius , je réponds que ces préceptes sont cérémoniaux, et qu’ils n’obligent donc pas plus que la circoncision, ou les sacrifices de l’ancienne loi.  Je dis ensuite que le texte tiré du Lévitique (19) et de Jérémie (9) ne prouve rien.  Car, comme l’a bien noté Isichius, raser les cheveux en rond, ce n’est pas couper les cheveux, mais orner la tête.  Voilà pourquoi Dieu interdisait aux Juifs  de se faire une chevelure ronde.  C’est surement ce que ne font pas les moines qui se rasent la tête  en ne laissant qu’un cercle de cheveux.  Dieu n’interdisait pas cela non plus d’une façon absolue, mais seulement pour prévenir une mauvaise intention,  c’est-à-dire pour qu’ils ne fassent pas cela pour rendre un culte aux démons, comme à ce moment, et dans ces lieux, les Gentils faisaient, comme le notent Theodoret (question 28 sur le Lévitique),  Isichius et Radulphe dans leurs commentaires de ce texte.
Au troisième du Lévitique (21), je dis qu’on ne prescrivait pas au prêtre de raser leur tête au complet,  mais de se raser à la mort d’un de leurs proches, en signe de douleur.  Car, Dieu voulait que les prêtres soient plus constants que les autres.  Au quatrième (Ézéchiel 44), je dis que, aux prêtres des Juifs, était prohibée la rasure,  non parce qu’elle était mauvaise en soi, mais pour qu’ils ne soient pas semblables aux prêtres des Gentils,  qui sacrifiaient aux idoles la tête rasée, comme la lettre de Jérémie nous le montre.  Que ce n’ait  pas été un mal, non plus,  nous le montre l’exemple d’Ézéchiel.   Tout prêtre qu’il était, il a reçu de Dieu l’ordre de se raser (Ézéchiel 5).  Et de plus, (Nombres 6), quand le nazaréen avait complété le temps de sa consécration, on lui ordonnait de se raser la tête.   Voilà pourquoi saint Jacques  a dit à Paul (actes 21) : « Nous avons ici quatre hommes qui ont un vœu sur eux  Prends-les avec toi, et sanctifie-toi avec eux, et qu’ils se rasent la tête ! » C’était donc à cause de la promiscuité avec les idolâtres qu’on interdisait aux prêtres Juifs de se raser la tête.   Et c’est probablement la raison pour laquelle au temps d’Optat, de Jérôme et d’Ambroise,  les prêtres chrétiens n’avaient pas la tête rasée, mais tondue.  Car, de leur temps encore, il y avait des prêtres d’Isidis qui se rasaient la tête, comme l’attestent  Ambroise (épitre 36), Jérôme  (au chapitre 44 d’Ézéchiel).
Mais quand cessa cette raison, ils ne firent rien d’absurde ceux qui,  pour signifier quelque chose de sacré, se rasèrent la tête.   Je dis, enfin, que Jérémie ne riait pas de ces prêtres parce qu’ils  se rasaient la tête et la barbe,  mais parce qu’ils le faisaient en l’honneur de dieux de bois,  qui ne pouvaient pas récompenser leurs fidèles.
                                              CHAPITRE 41
               Il est permis aux moines de travailler de leurs mains
Il reste la dernière dispute, celle sur le travail corporel des moines.  Il y a quatre modes de vie chez les religieux.  Les uns vivent de leur propre travail,   en vendant et achetant quelque chose.  D’autres vivent des biens qu’ils possèdent en commun, c'est-à-dire des biens que les religieux ont apportés au monastère en entrant, et qu’ils ont mis au commun.  Ou des dons et des legs,  ou de la mendicité.
Nous allons parler de chacun d’entre eux.  Au sujet du premier mode de vie, il y a eu deux erreurs extrêmes.   L’une provenait de ceux qui prétendaient qu’il n’était pas permis à des religieux de travailler pour gagner leur nourriture, mais qu’ils devaient faire confiance  à la providence, et vivre du travail des autres. Ceux qui soutinrent cette erreur furent les Messaliens, ou les Euchiste, selon Épiphane (hérésiie 80) et saint Augustin (livre 1, chapitre 21, rétractation).  L’autre erreur fut celle de Guillaume de Saint Amour, et ensuite de Jean  Wiclef, d’après Thomas Waldensem, (livre 4, doctrine de la foi  antique, article 2, chapitre 29) et  Jean Calvin, (livre 4, chapitre 13, verset 10).  Ils enseignent ceux-là que les moines sont tenus de vivre  de leur propre travail, même si Guillaume n’oblige pas tous les moines à vivre de leur propre travail, mais seulement  ceux qui n’ont pas de biens stables en commun.
La première erreur est née de deux textes de l’Écriture mal compris.  Matthieu 6 : «Que vos âmes ne se fassent pas de préoccupations en disant : que mangerons-nous ? »  Et un autre en Jean 6 : « Ne travaillez pas pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle. »  Saint Augustin réfute cette erreur (dans son livre sur le travail des moines, en utilisant les paroles de saint Paul (1 Thessal 2) où il dit qu’il a travaillé et fabriqué des tentes pour ne surcharger personne; et où il invite les autres à travailler et à  exercer un métier.
Puisque les hérétiques  ont répondu que, en cet endroit, Paul parle  d’une œuvre spirituelle,  de l’oraison et de l’exhortation,  il faut indiquer d’autres passages  où il est question expressément d’un travail manuel.  Actes 20 : « Les choses qui m’étaient nécessaires, et celles qui l’étaient à ceux qui sont avec moi,  se sont ces mains qui les ont procurées. »  1 Thess 4 : « Travaillez de vos propres mains ! »   Et, comme l’a noté saint Augustin,  il dit avoir travaillé alors qu’il lui était permis de ne pas le faire, selon la disposition divine.  Or, il est certain que selon la disposition divine, il ne lui était pas permis de ne pas prêcher, et de ne pas prier, car il dit : « Malheur à moi si je n’évangélise-pas ! »  Il parle donc du travail corporel, quand il dit qu’il travaille sans y être tenu.
Au sujet des paroles du Seigneur qu’on cite contre nous,  je réponds  que, par ces paroles, n’est pas prohibée une préoccupation modérée dans la recherche de la nourriture par un travail approprié.  D’abord, par une raison provenant de la fin.   Comme si quelqu’un recherche de la nourriture comme fin ultime, comme sont ceux qui évangélisent pour manger, alors qu’ils devraient manger pour évangéliser.  Et c’est ce que reproche Jésus, en Matt 6, quand il dit : « Ne vous souciez pas de… »  Il veut persuader ses fidèles d’avoir confiance en  Dieu.  Et il le fait par des arguments très efficaces.   Car, si Dieu, dit-il, nourrit les oiseaux, et habille les lys qui ne le connaissent pas,  et pourvoit même à la survie des païens qui le blasphèment,  comment pourrait-il  faire faux pas , à vous, ses adorateurs ?  Et s’il vous a donné le corps et l’âme, qui sont de bien  grands biens, comment ne vous donnera-t-il pas aussi  la nourriture et le vêtement, qui sont des biens beaucoup moins grands ?
Troisièmement.  L’inquiétude immodérée par rapport au temps,  comme quand quelqu’un qui s’inquiète aujourd’hui  d’une chose  qui ne devrait commencer à l’inquiéter que demain.  Et c’est ce que reproche le Seigneur quand il dit : « N’ayez pas d’inquiétude au sujet du lendemain.  À chaque jour suffit sa peine. »  Il faut noter là qu’il ne blâme pas la prévoyante préparation de ce qui est nécessaire pour l’avenir.  Autrement, aurait péché Joseph (Genèse 41)  quand il mit en réserve du blé, en vue des années de stérilité à venir.  Le Seigneur lui-même avait des endroits où acheter de la nourriture (Jean 13).  Elle est mauvaise l’inquiétude du lendemain qui ne convient pas au temps présent, selon la droite raison.
                                         CHAPITRE 42
Les moines ne sont pas tenus de travailler manuellement
La seconde erreur présente trois principes fondamentaux.  Un de saint Paul qui,   aux Ephésiens, (4,1,) aux Thessaloniciens 4, 2, 3, ordonne aux Chrétiens de se procurer leur nourriture par le travail de leurs mains.  De ces textes, on peut tirer cet argument : ou ces paroles de saint Paul contiennent un précepte obligatoire ou un conseil de perfection.  Si elles contiennent un précepte, les religieux sont tenus, eux aussi, de travailler manuellement. Si elles ne contiennent qu’un conseil,  les religieux au moins sont tenus de l’observer, car ils ont à marcher dans la voie de la perfection et des conseils.   Le deuxième fondement est tiré de saint Augustin qui (dans son livre sur l’œuvre des moines), dit que les religieux sont tenus à l’observation de ce précepte, et qu’ils ne peuvent pas en être exemptés par des occupations spirituelles.
C’est bien ce qu’il dit (au chapitre 17) : « Que font-ils ceux qui ne veulent pas travailler corporellement ? À quoi passent-ils leur temps ? Je voudrais bien le savoir.  À l’oraison, disent-ils, à la psalmodie, à la lecture, et à la parole de Dieu.  Une vie vraiment sainte,  et louable dans la suavité du Christ.  Mais si on ne doit jamais être appelés à autre chose, il ne faudra plus manger,  on n’aura plus à préparer la nourriture quotidienne.  Si la faiblesse humaine oblige le serviteur de Dieu à quitter momentanément  ces activités spirituelles, pourquoi ne pas réserver certaines heures pour observer les préceptes apostoliques ? Car une seule  prière d’un obéissant est exaucée beaucoup plus vite que dix milles  prières d’un méprisant. »
Le troisième fondement vient de la coutume de tous les anciens ordres religieux.  Car Épiphane (hérésie 80),  saint Jérôme (épitre 4 à Rustique), saint Augustin (livre 1, chapitre 31, les mœurs de l’église), Cassien (livre 2, chapitre 3, et livre 3 chapitre 2 sur l’institution des moines) enseignent que, dans les monastères bien institués, les moines travaillent de leurs mains, selon la loi de l’apôtre.
 Nous répondons, néanmoins, avec saint Thomas (opuscule 19,  et dans 2, 2, question 187, articles 3 et b),   et  saint Bonaventure (livre sur la pauvreté du Christ, et son apologie des pauvres ) que les moines ne sont pas plus tenus de  se procurer leur nourriture par le travail de leurs mains que ne sont  les séculiers.  Et, nous  avons bien l’intention de le démontrer,  qu’il s’agisse   d’un précepte ou d’un conseil. Si c’est un précepte, il oblige autant les séculiers que les réguliers.   Car, les préceptes ont été donnés pour tous.  C’est à tous, en effet, qu’il a été dit : « Si tu veux entrer dans la vie éternelle, observe les commandements. »  Si c’est un conseil, personne n’est donc tenu de travailler de ses propres mains, sauf ceux qui s’engagent spontanément à l’observation de ce conseil.  Telle est, en effet, la nature  de tous les conseils.  Les religieux  qui ne reçurent pas ce conseil ne sont donc pas tenus de  travailler manuellement.  Car, les religieux ne sont pas tenus d’observer tous les conseils, mais ceux-là seuls  qu’ils ont choisis spontanément.
Deuxièmement.  Si les religieux étaient tenus de travailler de leurs mains plus que les séculiers,  cela viendrait ou d’un précepte naturel, ou d’un précepte positif.  Or, ce n’est ni l’un ni l’autre.  Car, ce n’est pas d’un droit positif, puisqu’aucun n’existe de tel. Ce n’est pas non plus d’un droit naturel, car le précepte du travail, en tant qu’il est naturel, oblige doublement : toujours, ou dans certains cas.  Or, il n’oblige pas chaque citoyen en particulier, mais la république.  Cela est évident, car il faut qu’il y ait des ouvriers, des fermiers, des médecins, des menuisiers, des juges etc.   La pratique de ces métiers ne convient pas aux moines, car ils ont leur rôle propre, dans la république, qui est de prier  et de psalmodier.   On peut dire aussi que tous sont tenus par ce précepte, mais les séculiers pas moins que les moines.
Car tous les cas ou chacun est tenu de travailler de ses propres mains  ne s’appliquent pas moins aux séculiers qu’aux religieux.  Par exemple, si quelqu’un n’a rien pour vivre, et ne peut licitement rien avoir qu’en travaillant.  Ou bien,  si quelqu’un est tenu de fournir de la nourriture à quelqu’un, et ne peut le faire qu’en travaillant.  Ou bien, si quelqu’un n’est pas capable de fuir l’oisiveté, ou de surmonter les tentations charnelles, à moins de travailler corporellement.  Or, tous, tant religieux que séculiers, sont tenus   de voir à ce qu’ils ne meurent pas de faim, à fuir le désoeuvrement,  et à surmonter les tentations.   Tous sont donc obligés de travailler de la même manière.
Troisièmement.  On tire une preuve des arguments qu’on nous oppose.  Tout d’abord, l’apôtre n’écrivit pas à des moins, mais à des séculiers, et cela,  surtout selon l’opinion de nos adversaires, qui enseignent qu’alors, les religions n’avaient pas encore commencé.  Ensuite, dans ces textes, l’apôtre ne prescrit jamais le travail en termes généraux, mais seulement pour éviter le vol, le scandale, ou le farniente.  Car, aux Éphésiens  4 il dit : « Que celui qui vole ne vole plus; qu’il travaille davantage, en faisant un travail de ses propres mains.  Dans 1 Thessal 4, après avoir dit qu’ils devaient travailler, il en ajoute la raison : « Pour que vous vous conduisiez honnêtement aux yeux de ceux qui sont à l’extérieur, et que vous ne désiriez le bien de personne. »
Désirer ici ne signifier pas convoiter, mais manquer de.  Car c’est ce que dit le grec : pour que vous ne soyez pas dans l’indigence.  Car les infidèles se scandalisaient quand ils voyaient les chrétiens vouloir vivre des biens d’autrui.   Et, en 2 Thess 3, après avoir dit : « Que celui qui ne travaille pas ne mange pas ! », il ajoute : « J’ai entendu dire qu’il y avait, parmi vous, des inquiets qui ne travaillaient pas, mais agissaient curieusement.  Ceux-là donc qui   peuvent éviter le vol, le scandale et le désoeuvrement autrement   que par un travail manuel,  l’apôtre ne les oblige pas à travailler de leurs mains.
Saint Augustin (dans son livre sur le travail des moines)  n’oblige à travailler de leurs mains que ceux qui, avant de devenir religieux, vivaient d’un travail manuel, et qui sont capables  faire la même chose sans inconvénient, mais qui s’y refusent par indolence et paresse.  Car, au chapitre 21, il dispense  les religieux qui exercent un ministère ecclésiastique, comme le font, aujourd’hui, les mendiants.  Car, voici ce qu’il dit : « S’ils sont des évangélistes, s’ils sont des ministres de l’autel, ou des dispensateurs des sacrements,  en vivant des offrandes du peuple,  ils ne s’arrogent pas un pouvoir qui leur est étranger, mais qu’ils peuvent en toute justice revendiquer. »  Tu diras que le pouvoir de percevoir les biens du peuple n’est accordé qu’aux pasteurs ordinaires.  Autrement, les religieux pourraient percevoir aussi les dimes,  ce qui est faux, et contre beaucoup de canons, comme il appert  de la première clémentine  sur les dimes.
 Je réponds que, quoi qu’il en soit, --ce que nous verrons plus tard--, les paroles prononcées par saint Augustin nous suffisent pour l’instant.  Et, de plus.   Que les religieux qui prêchent et administrent les sacrements puissent ou ne puissent pas, en justice, percevoir les offrandes des fidèles, il suffit qu’ils puissent, au moins par charité, demander et recevoir des choses temporelles, comme c’est par charité qu’ils administrent les choses spirituelles,  que le peuple accepte. Ajoutons aussi  que, de cette façon, les moines peuvent travailler de leurs mains. Car, travailler de ses mains, c’est travailler corporellement,  que cela se fasse avec les mains, les  pieds, la langue, ou d’une autre manière.   On appelle, en effet, l’œuvre corporelle œuvre des mains, parce que la main est l’instrument principal avec lequel on travaille.   Voilà pourquoi les auriges,  les marins et les coureurs, sont dits travailleurs manuels,  car on appelle ouvriers manuels ceux qui font un travail corporel, même s’ils n’emploient pas plus les mains que les pieds dans leur travail.   Ceux qui chantent dans une chorale, ceux qui font des discours en public, ceux qui écoutent des confessions peuvent tous être appelés travailleurs manuels.
Donc, seuls les contemplatifs qui ne s’occupent que d’eux-mêmes,  ne travaillent pas de leurs mains.   Parmi ceux-ci, saint Augustin dispense de l’obligation  de travailler manuellement  tous ceux qui, dans leur vie, furent riches,  et ont donné leurs biens aux pauvres.  Car, à ceux-là l’Église doit donner le vivre et le vêtement, puisqu’ils ont donné tous leurs biens  à l’Église dans ses pauvres.  C’est ainsi qu’il parle (au chapitre 25) : « S’ils font eux-mêmes un travail manuel pour enlever toute excuse aux paresseux  de basse extraction, ils agissent avec plus de miséricorde encore  que quand ils distribuèrent tous leurs biens aux pauvres.  Mais,  s’ils ne le veulent pas, qui osera les forcer ? » Et (au chapitre 21) il raconte qu’il y en a eu beaucoup de ce genre, parmi ceux qui avaient donné tout leurs biens aux pauvres.  Quand ils eurent  faim,  ils ne se sentirent  pas  obligés de travailler de leurs propres mains,  mais leur misère fut soulagée par les aumônes des Grecs.  Seuls donc demeurent les religieux qui, dans le siècle, vivaient de leur travail, et qui, en religion, ne s’occupent que d’eux, non du peuple.  Ce sont ceux-là que saint Augustin oblige à travailler de leurs mains.
Mais il ne les oblige pas absolument,  mais  seulement si un bien supérieur ne les empêche pas de travailler, et s’ils ne tombent pas dans un farniente dangereux.  Car, si un de ceux-là peut toujours prier ou lire,  et désire vivre ainsi,  et trouve quelqu’un qui le nourrira gratuitement,  pourquoi ne pourrait-il pas le faire ?  Car, c’est ainsi que vécut pendant trois ans saint Benoit, comme l’atteste saint Grégoire (livre 1, chapitre 1 des dialogues), et Alexis, pendant toute sa vie (selon Métaphrastes).    Là où saint Augustin (chapitre 17 du même livre) dit que l’oraison, la psalmodie, la lecture et la parole de Dieu ne doivent pas dispenser quelqu’un du travail manuel,  il précise qu’il ne parle pas de l’oraison assidue, ni de la psalmodie continuelle, et publique,  des sermons et de l’explication publique de la parole de Dieu  qui occupent l’homme tout entier,  mais de l’oraison, de la psalmodie de la lecture privées et occasionnelles, qui exigent un grand loisir.
Et, au chapitre 21, il dit blâmer les moines  qui viennent à un monastère au sortir d’une condition servile, pour fuir une vie de labeur, et qui sont nourris et vêtus à ne rien faire, et qui sont en plus honorés par ceux qui avaient coutume de les mépriser et de les fouler aux pieds.  C’est d’eux qu’il dit au chapitre 25 : « Il ne convient en aucune façon que, dans cette vie où se rendent laborieux des sénateurs, deviennent paresseux des porte-faix;  et que là où viennent , après avoir abandonné leurs délices,  ceux qui furent les intendants du Seigneur, les rustres deviennent des exigeants.  Et, au chapitre 28, il dit : « Montrez aux hommes que vous ne cherchez pas le royaume de Dieu gagné facilement dans le désoeuvrement,  mais par la porte étroite. »
Au troisième argument qui porte sur la coutume antique des monastères,  je dis que ces moines ont été obligés de travailler de leurs propres mains par leurs règles elles-mêmes.  Pourquoi a-t-on confectionné de telles règles, on peut en donner deux raisons.  Une première.  Car, on ne pouvait pas se sustenter autrement, car ils n’avaient pas de patrimoines  ou de terres qui rapportaient.   Et quand les moines sont devenus très nombreux, on n’osait plus demander des aumônes au peuple,  car le peuple n’aurait pas accepté, et que ces offrandes n’auraient pas suffi.  Car, en un certain endroit,  un seul abbé avait la gouverne de mille moines,  comme saint Augustin  le rapporte (livre 1, chapitre 31, des mœurs de l’Église.)
   Une autre raison est que ces moines, à part l’abbé,  n’étaient pas des prêtres, mais des laïcs.  Sans travail manuel, ils n’auraient pas été suffisamment occupés.  Il fallait donc les faire travailler pour fuir le désoeuvrement.  Voici de que dit saint Jérôme (dans son épitre à Rustique) : « Les monastères d’Égypte ont cette coutume de ne recevoir personne sans les faire travailler manuellement, non pas tant à cause de l’obligation de se procurer de la nourriture,  qu’à cause du salut de l’âme,  pour que leur esprit ne vagabonde pas dans des pensées pernicieuses. »
Mais on ne peut pas dire que, comme règle générale,  tous les anciens religieux ont travaillé de leurs mains.   Voici ce qu’écrit Sulpice Sévère au sujet du monastère (dans sa vie de saint Martin, chapitre 7) : « Personne n’avait là rien en propre.  Tout était mis en commun.  Il n’était permis à aucun moine d’acheter ou de vendre, comme c’était le fait de beaucoup de moines.  À l’exception des copistes, aucun art n’avait là sa place. » À ce travail, on affectait les plus jeunes;  les plus âgés s’adonnaient à l’oraison. »   Tu vois là que seuls les plus jeunes travaillaient de leurs mains, et cela, non pour se procurer de la nourriture (car, comme il ne leur était pas permis de vendre, ils vivaient des biens qu’ils apportaient en entrant), mais pour fut l’oisiveté.  Et ni les premiers moines  sous les apôtres à Jérusalem, ni les premiers  d’Égypte ne travaillaient de leurs propres mains,  comme le montrent les actes  (3, 4), et le livre de Philo sur la vie contemplative.
                                          CHAPITRE 43
Il est permis aux moines de vivre en commun des biens patrimoniaux.
On ne peut avoir aucun doute sur la deuxième manière de vivre, car telle fut  la vie des premiers religieux, sous les apôtres, (actes 4).  Chacun apportait aux apôtres le prix de leurs biens, et on le répartissait selon les besoins de chacun.  Tel fut également l’usage des anciens monastères. Ils recevaient ce que voulaient mettre en commun ceux qui devenaient moines, comme le montre saint Augustin (dans sa lettre 109 aux vierges consacrées).  Voici ce qu’il dit : «  Quand entraient dans un monastère celles qui avaient quelque chose dans le siècle, elles le mettaient volontiers au commun. »  De même (dans le sermon 2 sur la vie des clercs) : « Ils vivent avec nous dans une société commune, et personne ne distingue des autres  ceux qui ont apporté quelque chose. »  Et (dans le livre de l’œuvre des moines, chapitre 25), il dit : « Les riches ne sont pas tenus au travail des mains, car ils ont apporté leurs biens au monastère. »   Saint Benoit (dans la vie de saint Placide) écrit : « Les biens qui appartenaient aux moines il ne leur était pas permis de les remettre à d’autre qu’à leurs monastères, pour pouvoir par là nourrir plusieurs serviteurs de Dieu. »  Saint Bernard (dans son épitre 1 à Robert : « On montre une terre que l’on dit avoir été donnée avec lui et pour lui. »
C’est de là que sont nées les lois de Justinien (dans authenticis, col 1, const 5, verset illud quoque, et la colonne 9, const 15, verset si qua mulier) qui statuent que « les biens de ceux qui deviennent moines appartiennent, par le fait même, aux monastères dans lesquels ils entrent. »  Même si, en ce temps-là, beaucoup de religions renoncèrent à ce privilège.
                                           CHAPITRE 44
Il est permis aux moines de vivre de choses offertes et données spontanément
Sur la troisième façon, aucune question ne devrait se poser, car, saint Augustin (psaume 103, sermon 3) expliquant « les moineaux nichèrent dans les cèdres qu’il avait plantés »,  dit que les cèdres sont des hommes puissants et riches; les oiseaux  des religieux pauvres.  Que les oiseaux fassent leurs nids dans les cèdres, cela signifie que les monastères sont construits et entretenus par les riches de ce siècle : « Les cèdres du Liban,  les nobles et les riches, les grands de ce siècle, quand ils entendent avec crainte : « bienheureux celui qui comprend les besoins de l’indigent et du pauvre », prennent leurs biens, leurs villas, et toutes leurs richesses superflues qui leur donnent un rang supérieur,  et les offrent aux serviteurs de Dieu.  Ils donnent des jardins, ils construisent des églises et des monastères,  recueillent les moineaux,  pour qu’ils nichent dans les cèdres du Liban. »  Saint Jérôme (épitre 27 à Eustochius  sur la mort de Paule), loue sainte Paule parce que, avec son patrimoine, elle avait construit et entretenu quatre monastères, et avait attribué à chacun des revenus et des propriétés, six en Sicile, et un à Rome.  On pourrait présenter de nombreux exemples semblables, comme Charlemagne, Charles 1V, Henri 11,  et d’autres grands rois.
                                          CHAPITRE 45
          Il est permis aux moines de vivre de la mendicité
La plus grande difficulté se trouve dans le quatrième mode de vie.  Les ordres mendiants, en effet, ont été combattus  âprement.   Le premier fut Guillaume de saint amour, selon Antonin (part 4, tit 11, chapitre 7, verset 5).  Le deuxième  Désiré Longobard, selon saint Thomas  (opuscule 13).  Le troisième, Gyrald de Abbatis, selon saint Bonaventure (au début de son apologie des pauvres.  Le quatrième Jean Wiclef, selon Waldensem  (livre 4, article 2 sur la foi doctrinale). Le cinquième,  Richard, évêque d’Armacan (sermon 4), et enfin, Luther (dernier article),  Brentius (dans sa confession de Wirtemberg, chapitre des vœux monastiques).  Tous ces auteurs enseignent que sont en dehors de l’état du salut ceux qui se réduisent volontairement à la mendicité, parce qu’ils s’exposent  au péril de mourir de faim, parce qu’il ne leur est pas permis, à moins d’être malades,  de demander une aumône qui n’est due qu’à ceux qui ne peuvent pas s’aider eux-mêmes.  Et aussi parce que la loi divine condamne et interdit la mendicité volontaire.
Néanmoins, beaucoup de souverains pontifes ont approuvé la vie religieuse des mendiants, en la déclarant  sainte et parfaite.  C’est ce qu’ont enseigné  Innocent 111, au témoignage de Bonaventure, Honorius 111, Grégoire 1X, Innocent 1V, Alexandre 1V, et Nocolas 1V,  comme le rapporte Jean XX11 dans extravaganti, (quia quorumdam, de la signification des mots), le concile général de Lyon, comme le rapporte Nichiolas 1V, canon exiit,  de la signification des mots en 6,  et le concile de Constance (session 8).   Que cette vie ait été approuvée en toute justice, nous le montrerons par les raisons suivantes.
La première, l’exemple du Seigneur. Car le Seigneur ne possédait pas de biens,  ni personnellement, ni en commun, comme nous le révèle ce passage de Luc 9 : « Les loups ont leurs tanières, et les oiseaux du ciel leurs nids. Le fils de l’homme n’a pas où poser sa tête. »  Et qu’il n’ait pas travaillé de ses mains mais ait vécu de l’aumône des fidèles,  c’est encore Luc qui nous le montre : « Certaines femmes le servaient avec leurs biens personnels. »  On constaterait la même chose si on regardait toute sa vie.   Il est né dans une maison étrangère, vécut de biens étrangers  dans des maisons étrangères.   Il mangeait tantôt chez Marthe, tantôt chez Simon le pharisien, tantôt chez Zachée, ou dans la maison de la belle-mère de Pierre, ou dans celle de Matthieu. Il a chevauché avec l’âne d’un autre; a été enseveli dans le sépulcre d’un autre.  Le psaume 39 dit de lui : « Je suis un mendiant et un pauvre. »  Et le psaume 108 : « Car il a persécuté un homme indigent et pauvre. »
Dans ces textes se trouve le mot hébreu mendiant, que l’on trouve au Deutéronome 15 : « Qu’il n’y ait pas chez toi de mendiant. »  C’est ce texte qu’ils allèguent ceux qui prétendent que la mendicité est illicite.  Et il est certain que l’un et l’autre psaume doivent s’entendre du Christ.  Car saint Paul attribue le premier au Christ (Hébreux 9) : « au début du livre il est écrit au sujet de moi ».  Et l’autre texte, c’est saint Pierre qui en fait l’interprétation, (actes 1) : « Il est écrit, dans le livre des psaumes,  qu’un autre reçoive son épiscopat. »  De même 2 Corinthe 8 : « À cause de vous il s’est fait indigent,  alors qu’il était riche. »  En grec, eptôxeuse  signifie mendier. Et même dans Homère  (Odyssée 17) : daita ptôxonein : mendier un repas.
Armacanus répond à cela que Jésus fut pauvre, mais non un mendiant;  et pauvre, non par amour de la pauvreté,  mais parce que l’exigüité de son domaine l’exigeait.  Car, il dit que le Christ a succédé à Adam dans le domaine originel,  à qui il répugnait autant  d’avoir quelque chose en propre que de mendier.   Car, Adam, dans l’état d’innocence, fut le maître de tous les biens terrestres, mais de telle sorte qu’il ne pouvait mettre à son usage que les choses nécessaires, sans pouvoir s’approprier quoi que ce soit.  Car, la division est née après le péché.  Voilà pourquoi dans l’état d’innocence,  il n’y eut pas de richesses propres à quelqu’un, et il n’y eut, non plus, ni indigent, ni pauvre.  Donc, comme le Christ est né avec la justice originelle,  il avait le même domaine qu’Adam, et c’est pour cela qu’il lui répugnait autant de posséder quelque chose qui n’aurait appartenu qu’à lui,  que de mendier.  Comme tout lui appartenait, son domaine fut restreint quand à l’usage, parce qu’il a du être sous la loi.  Il fut donc pauvre parce qu’il ne put pas user de son pouvoir originel, la loi civile y faisant obstacle.
Mais toutes ces considérations vont ouvertement contre les Écritures.  Et d’abord, parce que le Christ a été un vrai mendiant, et ne fut pas privé non seulement de l’usage, mais de la possession temporelle des choses terrestres.   Car le domaine (pouvoir) originel sur les biens commun a péri par la division des  biens justement introduite.  Le Seigneur n’accepta pas non plus le pouvoir politique à la façon humaine,  même s’il  conserva toujours le pouvoir divin.  Voilà pourquoi  il fut vraiment pauvre, comme les psaumes et l’apôtre nous le montrent.  Il fut vraiment le propriétaire , au moins en commun avec ses  apôtres, des biens qu’on lui donnait comme  à un mendiant. Car que le Seigneur ait le été le propriétaire civil, au moins en communion avec ses apôtres, de l’argent qu’on lui donnait, saint Jean (12) nous le laisse entendre  quand il dit que Judas était un voleur qui usurpait les pièces d’argent déposées dans des coffres.  Car si le Christ n’était ni le propriétaire  ni le maître civil de cet argent, Judas n’était  pas un voleur.  Car, par le seul droit de possession naturel,  cet argent n’appartenait pas plus au Christ que toutes les autres choses.
De plus, que ce soit par l’amour de la pauvreté et non par la petitesse de son domaine que Jésus ait été pauvre,  cela est évident.   Car qui l’a obligé de descendre sous la loi ?  N’est-ce pas quelque chose qu’il a choisi spontanément ? Il aurait certes pu ne pas le choisir s’il avait haï la pauvreté.  Ensuite, même étant sous la loi, ne pouvait-il pas s’enrichir s’il l’avait voulu?   Les foules ne voulaient-ils pas le faire roi ?  Pourquoi donc n’avait-il pas,  et cela spontanément, où poser sa tête, s’il n’aimait pas la pauvreté ?  Et pourquoi saint Paul appelle la pauvre une grâce du Seigneur, s’il a été indigent par nécessité, et non par amour ?
 Armacanus dit ensuite : même si le Christ avait quêté,  il ne nous serait pas permis, pour autant, de mendier, car il faudrait placer cela  parmi les choses admirables et non imitables, comme quand il a jeûné pendant quarante jours sans aucune nourriture.  Or la mendicité peut se faire sans miracle, comme l’expérience l’enseigne,  mais un long jeûne sans aucune nourriture,  cela ne se peut sans miracle.  Or, le Christ  ne nous a pas conseillé  de jeûner sans manger, afin de l’imiter, mais il nous a conseillés  de l’imiter dans sa mendicité, quand il a dit en Matthieu 19 : « Si tu veux être parfait,  vends tout ce que tu as,  donne-le aux pauvres, et suis-moi. »
On le prouve ensuite par l’exemple des apôtres.  Car, ils abandonnèrent tout.  Matthieu 19 : « Voici que  nous avons tout abandonné pour te suivre. »  Ils n’avaient pas non plus de possession en commun, comme on le voit dans  Matthieu 18 : « Ne possédez ni or, ni argent dans votre ceinture, ni deux tuniques. »  Ils ne travaillaient pas non plus de leurs mains, mais vivaient de la générosité  de ceux à qui ils prêchaient (Matt 10, 1 Corinth 9).  Telle est la vie des mendiants.  Voilà pourquoi saint François qui, avec saint Dominique, a été le premier fondateur de ce mode de vie, a pris pour règle le dixième chapitre de saint Matthieu.
Ils répondent à cela que la vie apostolique a été instituée par le Christ pour un certain temps seulement, pendant qu’il prêchait avant sa passion.  Car, en Luc 22, il révoqua ces préceptes en disant : « Quand je vous ai envoyés sans sac et sans sandales, avez-vous manqué de quelque chose ?   Mais que celui qui a un sac le prenne maintenant.  Il a eu aussi  des maisons où demeurer, et de l’argent à la fin de sa vie, comme on le voit en saint Jean (12, et 13), ce qui nous fait penser qu’il avait abrogé ce qu’il avait dit en Matthieu  10 (ne possédez ni or…).
Ils nous objectent ensuite  que ce fut un précepte et non un conseil évangélique; qu’il n’appartient donc  pas aux mendiants qui disent suivre des conseils.   Troisièmement.   C’est sur l’ordre du Seigneur que les apôtres  demandaient de la nourriture au peuple (Matthieu 10) : « L’ouvrier est digne de son salaire. » Et saint Paul (1 Cotinth 9) : « Qui jamais milite à ses frais ? »  Ils ne mendiaient donc pas. Or, nos mendiants  ne demandent  pas et ne peuvent pas obtenir de la nourriture en justice.
Je réponds à la première objection.  Que ce soit pour un certain temps,  que le Christ ait institué cette vie, ou que ce ne le soit pas, on peut en déduire en toute sureté qu’elle est licite, sainte et digne d’être imitée, à moins de penser que le Christ ait, pendant un certain temps, institué une vie illicite.  Ensuite, il n’est pas vrai que le Christ ait révoqué cette institution en tant que mode de vie.  Il a révoqué, il est vrai, ce qu’il avait dit : n’allez pas sur les routes des païens.  Mais le commandement de ne pas avoir d’argent dans sa ceinture, il ne l’a jamais révoqué, comme il appert en 1 Cor 9.
Quand il leur a dit (Luc 22 : Maintenant, celui qui a un sac, qu’il le prenne ! il ne leur a pas donné un ordre à exécuter, mais il leur a prédit que, au temps de sa passion,  ils seraient dans une telle crainte et une telle perturbation  qu’ils deviendraient comme ceux qui ne se fient à aucun ami.   Ils penseront à eux, vendront leurs tuniques pour acheter un glaive.   Aucun endroit où le Seigneur a logé ne répugne à ces paroles : ne possédez ni or.  Car, comme Nicolas l’explique (dans le chapitre exit, la signification des mots, dans le sexto)  le Seigneur a voulu approuver par son exemple l’une et l’autre vie : celle qui n’a rien, ni en particulier ni en commun (sauf le simple usage des choses données), et celle qui possède quelque chose en commun.  En en instituant une, il n’a pas détruit l’autre.
Au deuxième argument, je dis  que ces paroles ne sont pas des préceptes, mais des conseils et une instruction pour les apôtres et les prédicateurs;  et, pour le peuple, une directive et un précepte, comme on le voit en saint Paul (1 Corinth 9) où il dit que le Seigneur a ordonné que ceux qui annoncent l’évangile vivent de l’évangile.  On peut déduire de ce texte que le peuple est tenu de nourrir les évangélistes, même quand il dit qu’il ne s’est pas prévalu de cette prérogative.   On peut en  déduire aussi  qu’il n’a pas été prescrit aux prédicateurs, sous forme de commandement,  de vivre des biens du peuple.
 Au deuxième argument, je dis que, en vertu de l’ordre de Jésus, les apôtres  ont pu demander de la nourriture au peuple, tantôt au nom de la justice, tantôt au nom de l’équité, tantôt au nom de l’amour de Dieu.  Il est bon de noter, à ce sujet, que selon Aristote (livre 8, chapitre 13 de l’Éthique) il y a deux justices : une légale, l’autre morale.   On l’appelle légitime ou légale quand, en vertu d’une loi ou d’un pacte, quelqu’un est tenu de rendre quelque chose à quelqu’un.  On l’appelle morale quand, sans pacte et sans loi, quelqu’un travaille pour un autre, de sorte que se manifeste une sorte d’obligation de compenser pour le travail, sans que personne ne puisse être forcé  à faire la dite compensation.  C’est ainsi que le Seigneur  a ordonné à ceux qui  prêchent l’évangile, de vivre de l’évangile.
Mais c’est un  précepte de justice rigoureuse qui oblige le peuple fidèle envers les   pasteurs ordinaires.  Quand quelqu’un a été nommé pasteur, le peuple  peut l’obliger à administrer les sacrements, et le pasteur peut obliger le peuple à donner des subsides temporels.  Et c’est de cette façon que les apôtres et les évêques peuvent forcer le peuple à payer les dépenses.
Mais, en ce qui a trait à un peuple non fidèle  ou à un pasteur non ordinaire,  cette détermination ne vaut pas en rigueur de justice, mais comme équité, ou justice morale.  Voilà pourquoi quand les apôtres enseignaient le peuple du vivant du Christ, ils ne pouvaient pas obliger les fidèles à payer les dépenses, car le peuple n’avait pas encore reçu l’évangile, et les apôtres n’étaient pas encore des pasteurs ordinaires.   Les Juifs n’étaient pas encore tenus de les reconnaître comme prêtres, et de leur payer la dime.  Les apôtres recevaient donc  les offrandes des fidèles  en vertu de la justice morale,  et ils la demandaient au nom de la charité.
 Or, les religieux mendiants qui sont envoyés prêcher  par le pape  et administrer les sacrements, pouvaient faire un pacte avec le souverain pontife, ou avec le peuple au sujet de l’acceptation des offrandes,  et pouvaient ensuite les exiger en rigueur de justice.  Ils pouvaient aussi être envoyés par le pape  de la façon dont le Christ avait envoyé ses apôtres aux Juifs, avant que la loi  ancienne ne cesse, de façon à pouvoir demander des subsides au nom d’une certaine équité.  Car, l’ouvrier mérite son salaire; et celui qui annonce l’évangile vit de l’évangile.   Car, le Christ n’a pas dit que celui qui est un évangéliste ordinaire est digne de son salaire, mais quiconque travaille licitement.   Et tel est l’enseignement de saint Augustin (les œuvres des moines, chapitre 21).   Il semble préférable pourtant que le pontife qui envoie  et ceux qui sont envoyés ne demandent rien en vertu de la justice ou de l’équité,  mais qu’ils administrent les sacrements pour la seule charité.
On le prouve en troisième et dernier lieu par les faits, car ce genre de vie a été confirmé par d’innombrables signes et prodiges que Dieu a opérés  par saint François et saint Dominique, les auteurs de cette forme de vie,  et par la conversion des Gentils, la réfutation des hérétiques , la piété du peuple chrétien, la conservation de la théologie, et d’innombrables autres biens qui proviennent en grande partie des ordres mendiants.
                                          CHAPITRE 46
                               On réfute les objections

On nous objecte plusieurs arguments en sens contraire, mais tous peuvent se réduire à sept.  Le premier. La mendicité est prohibée de droit divin et humain.  De droit divin (Deutéronome 15) : « Qu’il n’y ait  absolument pas d’indigent et de pauvre parmi vous ! »  De droit humain (le canon sur les mendiants valides, livre 2, chapitre 25).  Je réponds au sujet de la loi divine.  Il est certain que cette loi ne prohibe pas la mendicité ou la pauvreté, puisqu’on lit au même chapitre : « Il ne manquera pas de pauvres dans ta terre. »  Ne vaut pas plus l’explication de Lyre  qui dit que, « par les premières paroles, sont prohibés  les mendiants publics, et par les autres,  les pauvres qui bien que manquant du nécessaire, ne doivent cependant pas mendier,  mais être secourus par les riches ».  Cette réponse ne vaut pas car, dans l’une et l’autre phrases le même mot est employé, qui signifie proprement mendiant en hébreu, et qui doit donc être traduit littéralement : « il ne manquera pas de mendiants sur ta terre », comme : « qu’il n’y  ait pas de mendiant parmi vous ! »
 Et de plus, chez les Juifs, il y avait beaucoup de mendiants : Jean  9, le mendiant aveugle, et actes 3 le mendiant boiteux,  à la porte du temple.     À la phrase : « qu’il n’y ait pas de pauvres parmi vous », je donne deux réponses.  La première.   Ces paroles ne prohibent pas la mendicité,  mais le luxe ou le superflu, pour que personne ne soit mendiant.  Ce sens convient parfaitement à ce qui suit : « Car le Seigneur ton Dieu te bénira. »  Cette promesse ne répugne  pas non plus aux paroles suivantes : « il ne manquera pas de mendiant dans ta terre »,  puisque c’était une  promesse  conditionnelle.  Car, voici ce qui vient tout de suite  après cette promesse : « si toutefois tu écoutes la parole de ton Dieu,  et conserves tout ce qu’il t’a ordonné. »  Et comme Dieu savait que cette condition ne serait pas observée,  il prédit qu’il ne manquera jamais de mendiants,  et il  demande de leur faire du bien.
On peut dire ensuite, avec saint Thomas, (dans son opuscule sur ceux qui attaquaient la vie religieuse) que cette loi interdit la mendicité non aux mendiants, mais aux riches.  Car, Dieu n’interdit pas aux pauvres la mendicité, puisqu’il dit plus bas  que ne manqueront jamais les mendiants,  mais il prescrit aux riches de pourvoir, selon leurs moyens, aux besoins des pauvres, pour que personne ne soit forcé de mendier.   La première réponse est quand même la meilleure.  Car si le Seigneur avait ordonné aux riches de ne pas permettre aux pauvres de mendier, les riches auraient péché en permettant, au temps du Christ,  aux pauvres de mendier. Or ne lit jamais que le Christ ou les apôtres leur ait reproché cela.  De plus, si le Seigneur avait interdit là aux riches de ne pas permettre la mendicité, comment pouvait-il, au même endroit, prescrire aux riches de faire l’aumône aux pauvres ?   La loi civile, elle, parle de ceux qui quêtent pour vivre dans l’oisiveté, ou pour accumuler de l’argent  etc, sans être pour le peuple d’aucune utilité.  Voilà pourquoi  elle les appelle désoeuvrés.
Au deuxième argument,  je réponds que l’Écriture déplore que la mendicité soit  la cause de beaucoup de maux.  Proverbe 30 : voici ce qu’a dit celui qui est avec Dieu : « Ne me donne ni la mendicité ni la richesse.  Accorde-moi seulement la nourriture nécessaire, de peur que, rassasié, je me laisse entraîner à nier, et dise : qui est le Seigneur; ou que,  poussé par l’indigence,  je vole et parjure le nom de mon Dieu. »  Ecclésiastique 17 : « À cause de l’oisiveté, beaucoup sont devenus délinquants. »  Psaume 36 : « Je n’ai pas vu le juste abandonné ni sa descendance  quêtant du pain. »  Psaume 108 : « Ses fils seront transférés et mendieront. »  Je réponds qu’on parle là de la mendicité involontaire.   Car, celui qui mendie parce qu’il est forcé de le faire,  et qui ne pense qu’aux richesses,  il en arrive facilement au vol et à quelque chose de pire.
 Au premier texte cité, on peut donner deux réponses.  La première.   C’est un sage qui parle dans la personne des malades  qui sont nombreux dans l’Église.  Car à eux nuisent énormément et une trop grande richesse et une trop grande indigence.  Mais pour les parfaits, comme saint Paul, qui savent vivre dans l’abondance et dans la misère,  la richesse et la pauvreté  sont des instruments de vertus, comme on  le voit dans la personne de Job,  qui avait expérimenté l’une et l’autre.  Voilà pourquoi saint Jean Chrysostome (dans son homélie 18, sur l’épitre aux Hébreux)  et saint Ambroise (dans son sermon 8 sur le psaume 118) disent  que ces paroles de Salomon convenaient aux hommes de l’ancien testament  qui étaient imparfaits.
La deuxième réponse.   Dans ce passage, le sage ne récuse pas une mendicité quelconque, mais celle-là seule qui est exposée aux dangers, ce que  n’est pas celle des moines mendiants.  Car, ils savent, eux, que ne leur feront  pas défaut les choses vraiment nécessaires, autant à cause de la promesse du Seigneur (il recevra le centuple et aura la vie éternelle : Matth 19) qu’à cause de la dévotion du peuple, dont ils sont surs de recevoir les choses temporelles,  quand ils lui donnent les spirituelles.  Bien plus, les moines semblent demander à la lettre ce que le sage demandait.  Ils ne veulent, en effet, pas de richesses, et c’es pour cela qu’ils les laissent;  et ne veulent pas non plus la mendicité périlleuse, qui fait mourir de faim.  Et c’est pour cela qu’ils demandent à Dieu, comme le sage,  de ne leur accorder que ce qui est nécessaire.
Le psaume 36 (je n’ai pas vu de juste…) est difficile à comprendre.   Car, Élie était juste, et pourtant il quêta son pain quand il le demanda à la veuve (3, rois 17), et David était un juste quand il demanda du pain à Abimélech (et rois 21), et Lazare était un juste quant il demandait des miettes de pain au mauvais riche (Luc 16).  Saint Jérôme et saint Augustin l’entendent du pain spirituel.   Cajetan et  Lyre disent que le psaume parle de ce qui arrive la plupart du temps.  Tilmann suggère de référer « abandonné »  à descendance cherchant du pain :  ni sa descendance  cherchant du pain abandonnée.  Il est certain que le mot chercher ne signifie pas ici chercher n’importe comment, mais avec préoccupation et anxiété, comme font ceux qui cherchent longtemps  et trouvent à peine.  Voilà pourquoi nous avons en hébreu un mot qui signifie chercher avec intensité.
Le troisième argument. Les richesses modérées sont nécessaires, ou au moins très utiles, à la vie bienheureuse et parfaite sur cette terre, car l’ecclésiastique 7 dit : « La sagesse est meilleure  avec les richesses, et plus utile aux vivants, car comme la sagesse protège, l’argent protège aussi. » Actes 20 : « Il est plus beau de donner que de recevoir. »  Et Aristote (livre, chapitre 8 des éthiques) : « les richesses sont nécessaires  à la félicité. »  Je réponds que la richesse et le dénuement ont leurs avantages et leurs inconvénients.  La richesse est avantageuse parce qu’elle donne lieu à la libéralité,  et parce qu’elle libère de la préoccupation constante  de chercher la nourriture quotidienne.  Mais elle est aussi désavantageuse parce qu’on ne peut pas la posséder sans avoir la crainte constante de la perdre par le vol, la fraude,  la mauvaise gestion  ou la dévaluation.
La pauvreté, à l’opposé, est profitable en tant qu’elle donne une matière à la patience, et libère du souci de la conservation et de la gestion des biens;  mais elle est désavantageuse en tant qu’elle oblige à chercher le pain quotidien.  Mais, tout compte fait,  le bien qu’apporte la pauvreté volontaire semble plus grand que celui qu’apportent les richesses;  et le mal qu’apporte la pauvreté semble moins grand que celui qu’apportent les richesses.  Et surtout pour ceux qui évangélisent par mandat ecclésial, et qui doivent administrer les sacrements.  Et c’est pour cela  que le Seigneur a conseillé à ses apôtres ce genre de vie (Matthieu 10), comme les apôtres eux-mêmes l’attestent (actes 6).
Au passage de l’ecclésiastique,  je réponds  qu’il n’a pas voulu dire que la sagesse était meilleure avec les richesses que sans les richesses,  mais que la sagesse avec richesses était meilleure que les richesses sans la sagesse.  C’est ce qu’enseigne Tilmann, et avec raison.  Car, en hébreu on n’a pas le comparatif « meilleur », mais l’adjectif « bon » : « bonne est la sagesse avec des richesses ».  Ce qui ne peut pas  signifier qu’elle est mauvaise sans les richesses, mais plutôt que sans elle les richesses sont mauvaises.  Et il le prouve cela en disant : car, comme la sagesse protège,  l’argent protège aussi.  Mais les deux diffèrent en ceci que la sagesse accorde la vie à son possesseur.  C’est  comme s’il disait que même si, dans cette vie, les richesses protègent de beaucoup d’afflictions,  seule la sagesse procure la vie;  et donc, sans sagesse, les richesses sont de peu de valeur.  Au passage des actes (20) je réponds que, toutes choses égales par ailleurs, il vaut mieux  tout donner en une seule fois pour le Christ, et  recevoir ensuite quelque chose de modique, que de donner un peu et de ne rien recevoir.  Et semblablement, il est plus beau de recevoir des choses temporelles  pour pouvoir plus commodément et facilement donner les choses spirituelles,  que, en ne recevant rien,  être empêché de donner les spirituelles.
Au texte d’Aristote, je réponds qu’il parle de la félicité humaine qui a besoin de beaucoup de choses.  Car, la félicité chrétienne  n’a pas besoin de ces richesses terrestres,  puisque sa vision consiste toute en Dieu.  Et pour l’atteindre ne sont pas vraiment nécessaires les richesses,  car on parvient au royaume éternel plus facilement par l’humilité et la patience,  que par les biens terrestres.   J’ajoute ensuite  qu’Aristote parle d’un politique, qui doit vivre dans une cité,  avoir une femme et des enfants, et qui veut gérer la république avec d’autres.   À ces hommes, on ne peut pas nier que les richesses sont nécessaires.  Mais si quelqu’un voulait vivre pour lui seul, et s’adonner à la contemplation, il jugera inutiles les richesses qu’Aristote trouvait nécessaires.
Le quatrième argument.   Se réduire soi-même à un dénuement extrême est un vice, car la vertu consiste dans le milieu, et les vices dans les extrêmes.  Or, donner quelque chose est un milieu;  ne rien donner est un extrême.  De plus, on le  confirme avec Paul 2 Cor 8 : « Si est prompte la volonté de donner selon ce que l’on a, non selon ce qu’on n’a pas,  elle est acceptée.  Non pour que l’aide apportée aux autres  soit pour vous une tribulation, mais pour assurer l’égalité. »   Je réponds que le milieu dans la vertu, à l’exception de la justice, ne réside pas dans les choses considérées dans l’absolu,  mais dans leur relation à la raison et à toutes les circonstances.   Par exemple, le milieu dans la tempérance ne consiste pas à manger un pain, et les extrêmes à en manger deux ou aucun.  Mais le milieu est d’en manger autant que la raison t’indique qu’il faut en manger en ce moment.   Ce qui est pour toi un milieu, pourra donc être un extrême pour un autre.   C’est ainsi que  tout donner  est quelque chose d’extrême et de vicieux pour un père de famille,  qui a le devoir de nourrir sa femme et ses enfants.  Mais à celui qui a décidé de renoncer au monde,  et de ne s’adonner qu’à l’oraison et à la prédication,  c’est un juste milieu que de tout donner.   Et les extrêmes seront de ne donner que peu de chose ou rien du tout.   Et voilà réfutée la confirmation, car saint Paul s’adressait à des hommes séculiers soutiens de famille.
  Tu diras que tout donner est un juste milieu pour celui  qui veut renoncer au monde avant le voeu ou seulement après le vœu.  Si c’est avant le vœu,  il pèchera s’il ne donne pas tout, même s’il n’a fait aucun vœu de pauvreté.  Car, les extrêmes s’opposent au milieu de la vertu.   Si c’est seulement après le vœu, il ne peut pas vouer la mendicité, car on ne peut vouer que ce qui peut se vouer justement,  seulement ce qui est  en soi l’acte d’une vertu.  Je réponds  que les conseils évangéliques avant le vœu ne sont pas des actes de vertus spéciales, mais des actes parfaits de vertus communes comme la libéralité, la chasteté, l’obéissance.  Or, aux actes parfaits ne s’opposent pas des actes vicieux, mais des actes moins parfaits.   Et le milieu d’un acte parfait  n’a pas d’extrêmes vicieux, mais des extrêmes moins parfaits.  Or, après le vœu, les mêmes actes sont les actes nécessaires des vertus spéciales,  auxquelles s’opposent les vrais vices spéciaux.
Le cinquième argument.  Celui qui se réduit lui-même à la mendicité s’expose au péril de mourir de faim,  et tente Dieu, puisque c’est lui-même qui s’enlève les moyens normaux pour assurer sa survie.  Il ne peut donc pas dire : donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, car le Seigneur lui répondrait : « Pourquoi me demandes-tu un pain que je t’ai déjà donné et que tu as rejeté ? »  Je réponds que s’exposerait à un tel péril celui qui donnerait tout ce qu’il a en se doutant fort  qu’il ne pourrait rien trouver.  Mais les religieux mettent en Dieu leur espoir  de ne rien manquer d’essentiel, comme Dieu l’a promis et l’expérience l’enseigne.  Ils ne tentent pas Dieu non plus,  car le moyen ordinaire de conserver sa vie est le vivre et le boire, qu’ils appartiennent en propre à quelqu’un ou qu’ils soient donnés.  Celui qui rejette les moyens ordinaires c’est celui qui ne veut pas manger, ou qui ne veut recevoir du pain que par miracle, comme cela arrive à ceux dont Cassien parle (dans sa conférence 2, chapitre 6).  Il ne lui est pas interdit non plus de dire : donnez-nous notre pain quotidien. Au contraire. C’est eux surtout qui peuvent le dire puisqu’ils n’ont rien gardé pour eux, afin de suivre le Christ.  Car, si un roi dit à un citoyen riche : laisse là ce que tu possèdes et accompagne-moi  à la guerre, ce citoyen pourra certes en toute justice demander au roi son pain quotidien.
Le sixième argument.  Les religieux mendiants font injure aux vrais  pauvres, car, en Luc 14, il est dit : « Quand tu fais un banquet, appelle les pauvres, les débiles,  les boiteux, les aveugles, qui ne peuvent pas te payer en retour, et tu seras heureux. »  « Dans ce texte, dit Armacanus, le Seigneur n’ordonne pas d’appeler n’importe quel pauvre, mais les pauvres débiles,  boiteux et aveugles; et pas n’importe lesquels débiles, mais les débiles pauvres.   Car les pauvres non débiles peuvent rétribuer en travaillant; les débiles non pauvres  peuvent rembourser en donnant. »  De plus, l’ordre de la charité postule  qu’on donne plus d’aumônes au plus indigent.  Or, les pauvres débiles  sont plus en besoin que les forts que sont  les religieux.  Il n’est donc pas permis aux religieux de demander l’aumône, à moins qu’ils soient malades.
 Je réponds que si cet argument prouvait quelque chose,  pècheraient non seulement les religieux mendiants, mais même les clercs et les monarques,  qui vivent de leurs propriétés, qui ne sont ni débiles, ni boiteux ni aveugles.  Car les biens donnés aux monastères et aux églises, que sont-ils d’autre que des aumônes ?  Il est donc ridicule de prétendre que les pauvres ne sont pas fraudés par les clercs et les moines qui acceptent comme des aumônes  les revenus de plusieurs milliers de pièces d’or,  et sont fraudés par les mendiants  qui acceptent un pain.
À la citation de l’évangile, je réponds  que le Seigneur veut qu’on appelle les pauvres, qu’ils soient débiles ou pas.   Car c’est séparément  que sont appelés les pauvres et les débiles.  Car l’apôtre (actes 24) dit avoir apporté des aumônes pour les pauvres chrétiens qui demeuraient à Jérusalem, qui n’étaient certes ni boiteux ni aveugles.   Et quand le Seigneur dit : appelez ceux qui ne peuvent  rien vous donner  en retour, il n’entend pas ceux qui ne peuvent absolument rien donner en retour,  car de telles gens n’existent à peu près pas, car même les pauvres boiteux  peuvent faire une légère aumône.  Il pense à ceux qui ne peuvent pas réinviter à un banquet semblable,  ou donner facilement quelque chose,  de ceux dont a coutume de ne rien attendre.   S’il dit : « N’appelez pas les amis et les voisins riches,  de peur qu’ils t’invitent à leur tour, et que tu reçoives ainsi ta récompense. »  Or, tous les pauvres, même ceux qui sont valides,  et qui se procurent leur nature en travaillant,  font partie de ceux qui ne peuvent inviter à un banquet semblable.  Car, comme ils se suffisent à peine à eux-mêmes, comment pourraient-ils inviter les riches à un festin, ou leur faire des présents ?
À l’autre raison je dis que, toutes choses étant  égales  par ailleurs, il faut donner davantage au plus pauvre qui est le plus proche et le meilleur,  celui, en somme, à qui l’aumône est due en justice.  Et pourtant, il y a trois raisons pour lesquelles il peut se faire qu’on doive donner de préférence à un religieux qu’à un pauvre.  C’est ce qu’on trouve dans le livre de saint Jérôme contre Jovinien, à la fin.   La première. S’il a vraiment tout donné ses biens aux pauvres, la nourriture lui est due sur les biens des pauvres, non seulement par charité, mais, en quelque sorte, par justice.   La deuxième.  S’il travaille pour le peuple en prêchant,  en administrant les sacrements, cela lui est du un peu en justice, même s’il ne le demande qu’au nom de la charité.  La troisième.    En raison de la perfection monastique.  Car il faut d’abord donner l’aumône au meilleur.  Comme nous ne pouvons  pas juger des intentions, il faut d’abord donner à celui qui a professé une plus grande sainteté plutôt qu’à une moins grande, quand on n’a aucune raison de le soupçonner de mener une double vie.  Il faut toujours excepter  la nécessité extrême de quiconque,  qu’on doit toujours faire passer avant des besoins moins grands.

 

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.