LIVRE SECOND : LES RELIQUES ET LES IMAGES DES SAINTS
CHAPITRE 01 : On propose les arguments contre le culte des reliques
CHAPITRE 30 : On répond aux objections des hérétiques
2018 08 20 début
LIVRE SECOND
LES RELIQUES ET LES IMAGES DES SAINTS
CHAPITRE PREMIER
On
propose les arguments contre le culte des reliques
Le premier à avoir critiqué le culte des reliques est Eunomius, et,
après lui, Vigilance, s’il faut en croire saint Jérôme dans son contre
Vigilance. Il ne faut pas voir de contradiction dans ce que, au même
endroit, le même Jérôme raconte que cette hérésie est apparue autrefois
dans l’Église, et que c’est contre elle que Tertullien a écrit
son livre intitulé Scorpiacus. Ni non plus dans ce qu’il
écrit dans son épitre à Riparius au sujet de cette hérésie, qu’il
fait remonter aux Juifs et aux Samaritains. Car le premier qui l’a
expressément professée est Eunomius. Et les gnostiques contre lesquels
écrivait Tertullien dans son Scorpiacus, niaient seulement l’invocation
des martyrs. De quoi on pouvait déduire qu’il ne fallait pas honorer
leurs corps, même s’ils ne le disaient pas explicitement. Les
Juifs et les Samaritains, eux, pensent que tous les corps sont impurs,
mais ils n’ont pas fait de dispute qui portait en particulier sur les
corps des saints.
Après Vigilance, l’empereur Constantin Copronyme, comme Suidas
l’écrit dans sa vie, a ordonné de détruire toutes les reliques.
Claude de Tours a enseigné la même hérésie, comme l’écrit Jonas
dans le livre 1 du culte des images. Elle plut aussi à Wiclef, d’après
Thomas Waldensis (tome 3, tit 14). Et puis, à notre époque, Luther
et Calvin la ranimèrent. Car, Luther, dans son sermon sur la croix,
juge qu’il faut enfouir profondément sous terre les reliques, parce
qu’elles sont des séductions pour les fidèles. Les magdebourgeois réprouvèrent,
eux aussi, le culte des reliques, principalement dans la centurie 4, chapitre
6, colonne 456. Calvin enseigna la même chose (dans son livre sur
la nécessité de réformer l’église, et dans son avertissement sur
les reliques.)
Les Wiclefistes ont deux arguments. Le premier. En Matthieu
23, Jésus reproche aux pharisiens d’orner les sépulcres des prophètes.
Le second. Dans les tombes de ceux qu’on appelle saints,
ni les âmes ni les corps des saints ne s’y trouvent, seulement de la
cendre. Dans son admonition sur les reliques, Calvin en ajoute cinq autres.
Le premier. Dieu a caché le corps de Moïse, (Deutéronome, dernier chapitre).
Pour que les Juifs ne l’adorent pas, comme tous le pensent.
C’est pourquoi, dans l’épitre de Jude, nous lisons que saint Michel
archange et le diable ont combattu au sujet du corps de Moïse. Car, manifestement
le diable voulait donner aux Juifs la possibilité d’adorer Moïse. Le
deuxième. Paul dit (2 Cor 5) que, après la résurrection du Christ,
il ne le connait pas selon la chair. Par ces paroles, il nous incite
à laisser tomber dans l’oubli tout ce qu’il y avait de charnel dans
le Christ, pour que nous mettions tout notre effort à la rechercher et
à le posséder spirituellement.
Le troisième. Le même saint Paul, aux Colossiens
2, blâme tout culte arbitraire, c’est-à-dire non institué par Dieu,
que les grecs appellent une sottise (ethelothrèskeian) qui a une apparence
de sagesse. Et il est certain que le culte des reliques n’a pas
été institué par Dieu, mais a été conçu délibérément
par les hommes. Le quatrième. Un désir de reliques ne manque
jamais de superstition. Bien plus, il est la mère de l’idolâtrie.
Car, on ne peut pas conserver les reliques sans les vénérer. Et
à la vénération, aucune limite n’est assignée; et on ne peut
s’empêcher de leur rendre le culte qui n’est du qu’au Christ.
C’est ce que l’expérience enseigne. Car, en signe d’adoration
solennelle, on allume souvent des cierges devant les sépultures des martyrs.
Il le confirme ainsi. Car, quand Vigilance lui objecta
qu’allumer des cierges devant les sépulcres des martyrs était de l’idolâtrie,
la seule chose que put répondre saint Jérôme c’est que c’était
le fait de femmes qui avaient plus de zèle que de science. On peut
ajouter le concile élibertin (canon 34) où il est dit que, par ces cierges,
les esprits des saints sont troublés. Et saint Augustin (qui dans
son livre sur les moeurs de l’église, chapitre 34) réprouvent les adorateurs
de sépulcres. Le cinquième. La plus grande partie des reliques
est d’origine incertaine. Et il nous arrive souvent, en pensant
vénérer les reliques de martyrs, de vénérer les ossements de
bandits, ou de chiens ou d’ânes. Ce qu’il prouve en citant saint
Augustin qui (dans son livre sur le travail des moines, chapitre 28).
Quand on lui avait dit que certains moines colportaient et vendaient des
membres de martyrs, il ajoute : « Si ce sont vraiment des martyrs. »
Si les impostures étaient déjà commencées à cette époque éloignée,
que penser de ce qui se fait maintenant ? En effet, on trouve tellement
de reliques qu’il faudrait que le même saint ait eu plusieurs corps,
ou plusieurs fausses reliques. Tous ces arguments seront réfutés
au chapitre 4.
Les calvinistes, partout où ils le peuvent, brulent les reliques
des saints, et jettent les cendres dans les rivières. Il est à
noter que, en l’année 1562, les corps de saint Irénée, de saint Hilaire,
de saint Martin ont été exhumés, brulés et jetés dans des cours d’eau,
comme le rapport Sirius. C’est ce qu’avaient fait des païens
aux corps des saints, il y a douze cents ans, comme l’écrit Eusèbe
(livre 5, chapitre 3 de son histoire ecclésiastique.) Les païens
jetèrent dans le Rhône les reliques des saints martyrs, après les avoir
brulées. Ce qui nous fait comprendre la parenté qu’il y a entre les
païens et les calvinistes dans les sacrilèges et la perfidie. Ce
que les calvinistes font par le fer et les flammes, les magdebourgeois
le font par les impostures, les mensonges et les fraudes, dont nous allons
présenter quelques-unes.
CHAPITRE 2
On
dévoile les mensonges des centuriates
Les magdebourgeois discutent à tâtons sur l’origine
de la vénération et du culte des reliques. Car, dans la préface
de la centurie 6, ils disent que c’est après l’an du Seigneur 500
qu’a commencé le culte des reliques, à l’occasion de la construction
de somptueuses basiliques. Mais cependant, dans la centurie
5 (chapitre 7, colonne 744), ils disent que le culte des reliques
a commencé au cinquième siècle, avant donc 500. Ce qu’ils
enseignent dans la préface de la centurie 6 n’est donc pas vrai.
De plus, les mêmes auteurs dans la centurie 4 (chapitre 6, colonne 456,
et chapitre 13, colonne 1546), disent que jusqu’à l’année 300,
on ne trouve rien dans les auteurs approuvés sur la vénération
ou la translation des reliques; que cette superstition a commencé
au quatrième siècle, quand, sur l’ordre de Julien l’apostat, les
reliques de saint Babyle furent transférées, laquelle translation fut
faite avec un grand concours de peuple et une grande solennité en l’année
365. C’est vraiment à cette date que Julien donna cet ordre, comme
l’atteste saint Jérôme dans sa chronique. Ce que les centuriates
ont écrit dans les centuriates 5 et 6 n’est donc pas vrai.
Mais n’est pas plus vrai non plus ce qu’ils écrivent dans
la quatrième centuriate. Car, comme ajout à la première centurie,
dans la vie de saint Luce, les mêmes centuriates reconnaissent que, avant
l’époque de Julien, ont été transférées avec un grand honneur, par
l’empereur Constantin, les reliques de saint André et de saint
Luc à Constantinople, comme saint Jérôme l’atteste dans le livre contre
Vigilance. De plus, dans la centurie 2, chapitre 3, colonne 31, ils
transcrivent l’épitre de l’Église de Smyrne sur le martyre de Polycarpe
(conservée par Eusèbe, livre 4, chapitre 15 de son histoire de l’église).
Dans cette épitre, on rapporte que, comme les chrétiens voulaient des
reliques du martyr, et que les Juifs s’y opposaient avec acharnement,
le juge païen a décidé que le corps serait brulé et réduit en cendres;
et que les chrétiens, avec une grande avidité, ont recueilli ces reliques,
« comme si, dit l’épitre, elles étaient plus précieuses que les pierres
les plus précieuses, et plus éprouvées que l’or éprouvé par le feu.
» Ces reliques ont été recueillies par les Chrétiens à des fins
de culte, comme le prouvent les paroles citées, ou la hargne des adversaires.
Car les Juifs et les païens s’opposaient à ce que les reliques soient
emportées sous prétexte de piété, car ils pensaient que les chrétiens
adoraient les corps des martyrs, comme l’atteste le même Eusèbe au
même endroit. Ce qui est dit dans la centurie 4 n’est donc pas
vrai.
Car ce n’est pas non plus alors que commença l’honneur rendu
aux reliques. Saint Grégoire, en effet, (livre 3, épitre
3) écrit qu’au temps où Pierre et Paul ont été martyrisés, des fidèles
vinrent de l’Orient, qui réclamèrent leurs reliques à titre de concitoyens.
Mais, après les avoir transpostées hors de la ville jusqu’à la seconde
pierre, ils se sentirent, par un miracle divin, incapables d’aller plus
avant. Ces reliques furent donc cachées dans les catacombes
par les fidèles romains. Ensuite, le pape Corneille les fit transporter
aux lieux où elles sont maintenant. Sur l’origine des reliques,
les magdebourgeois ont donc proféré quatre mensonges qui se contredisent
les uns les autres.
Le second mensonge se trouve dans la centurie 4 (chapitre 8,
colonne 602). Après avoir dit que Vigilance avait écrit sainement
et pieusement contre les reliques, que saint Jérôme avait combattu
pour les reliques avec des invectives et des approximations, ils ajoutent
le témoignage de saint Grégoire, en disant : « Même un Grégoire s’en
est aperçu. Car, voici ce qu’il pensait du livre de saint Jérôme contre
Vigilance. Il a fait un tel étalage de son éloquence et de son érudition
que je me vois forcé de déplorer son manque de modestie. » Or,
ces paroles ne sont pas de saint Grégoire, mais d’Érasme dans sa critique
du livre de saint Jérôme sur Vigilance. Le troisième mensonge
est dans la centurie 5 (chapitre 6, colonne 699). Voici ce qu’ils
disent : « Au sujet des reliques de saint Étienne, saint Augustin (livre
2, chapitre 8, de la cité de Dieu) constate que de grandes multitudes
superstitieuses se sont rendues jusqu’en Afrique pour les vénérer.
Mais qu’ont été reconnues comme des illusions les choses qu’on avait
crues miraculeuses. »
Or, si nous lisons tout le chapitre qu’ils citent, nous ne
trouvons pas les noms de superstition, ou d’illusion, mais seulement
de piété envers les reliques sacrées. Et ce texte de saint Augustin
est assez puissant pour dissiper toutes les brumes épaisses des hérétiques.
Car voici ce que, entre autres choses, il dit du miracle : « C’est une
femme célèbre, d’une grande noblesse, mariée à un noble, qui
habite à Carthage, grande ville, grande dame. Et c’est une chose
que ceux qui cherchent la vérité ne veulent pas qu’on cache. » Et
plus bas : « Une chose est arrivée chez nous, non pas plus grande que
celle dont j’ai parlé, mais c’est un miracle si éclatant et si prodigieux
qu’il n’y a personne à Hyppone qui ne l’a pas vu ou n’en a pas
entendu parler. Personne, non plus, ne pourra l’oublier. »
Ce que font les magdebourgeois ce n’est pas seulement proférer un mensonge
impudent, mais commettre un péché contre l’Esprit Saint en appelant
illusion et insanité manifeste les miracles de Dieu les plus attestés,
et en faisant de l’homme le plus sage un enfant qui ne sait encore
que jouer. Dans tout ce chapitre, en effet, saint Augustin s’efforce
de montrer que la foi catholique ne manque pas de vrais miracles.
Ne délirerait-il pas, et ne se contredirait-il pas s’il appelait illusions
les miracles qui prouvent la foi, et superstitieux et démentiel, le peuple
qui les croit ?
Le quatrième mensonge est tout à fait semblable au précédent.
Car, dans la même centurie 5 (chapitre 15, colonne 1446 où on rapporte
l’histoire de la translation de saint Babyle d’après Eusèbe de Césarée,
et que Julien l’apostat avait ordonné d’enlever de là le tombeau
du martyr), les centuriates prétendent que le diable avait fait semblant
d’être paralysé par le martyr; que c’est ce qui a donné l’occasion
à cette très célèbre translation, et que c’est ainsi qu’on a introduit
l’usage des translations et de la vénération des martyrs. Mais
ce mensonge est encore plus impudent. Car, d’abord, il répugne
aux nombreux auteurs qui ont écrit sur ce miracle, comme saint Jean Chrysostome
(dans son livre contre les Gentils), Ruffin (livre 1, chapitre 36), Socrate
(livre 3, chapitre 18), Sozomène (livre 5, chapitre 19), et
Theodoret (chapitre livre 3, chapitre 10.) Car, le miracle
qui suivit a montré que le démon a craint pour de vrai. Car dès
que la chasse de la martyre a été éloignée, un feu descendit
du ciel qui consuma totalement l’idole, de laquelle il prononçait
ses oracles.
De plus, cette translation de saint Babyle ne fut pas la première.
Car, comme nous l’avons déjà démontré, plusieurs autres la précédèrent.
Et ce corps de Babyle avait d’abord été transféré d’Antioche à
ce faubourg de Daphnée, comme saint Jean Chrysostome l’enseigne.
Et c’est après cela que Julien ordonna qu’il soit transféré de nouveau
à Antioche. Le démon n’a donc pas pu, par cette translation,
introduire l’usage des translations. De plus, si le diable est
épris à ce point de l’idolâtrie envers les reliques, pourquoi
a-t-il toujours poussé les Juifs, les païens et les hérétiques à détruire
les reliques ?
Le sixième mensonge est dans la même centurie 4 (chapitre 13,
colonne 1447). Ils rapportent là ce qui a été raconté par saint
Grégoire de Naziance dans son premier sermon contre Julien.
Deux adolescents, neveux de Constantin, Gallus et Julien, voulant ériger
une magnifique église sur le tombeau du martyr Mamantus, s’attribuèrent
chacun une partie du travail. Celle qui était construite par
Gallus, pieux et fidèle, avançait rapidement. Mais celle qui était
confiée à Julien, celui qui deviendrait apostat, et qui état déjà
corrompu dans son esprit, n’arrivait pas à se maintenir, du fait
que la terre, tremblant d’une façon inaccoutumée, dévorait aussitôt
tout ce que Julien posait comme fondements. Saint Grégoire de Naziance
explique que la cause de ce miracle est que les saints martyrs s’aiment
entre eux d’un grand amour. Car, ce martyr, à qui on érigeait
un temple, a refusé les hommages de Julien,, parce qu’il ne voulait
pas être honoré par celui qui déshonorerait ses collèges, comme il
le prévoyait. Et le Dieu qui connaissait les cœurs a accepté
le travail de Gallus comme il avait accepté le sacrifice d’Abel, et
a rejeté le travail de Julien, comme il avait rejeté le sacrifice de
Caïn.
On, nos centuriates disent deux choses de ce miracle. Ils
disent d’abord que ce serait une grande témérité de penser que
ce prodige a été l’œuvre d’un martyr, parce que les martyrs dorment
de leur dernier sommeil. Voilà ce qu’ils disent au lieu
cité, colonne 1445. Et bien que les martyrs ne soient pas, par leur
nature, des scrutateurs des cœurs, qui peut empêcher Dieu de leur révéler
les pensées des hommes ? Et si on dit qu’ils dorment parce qu’ils
se reposent de leurs travaux, ils ne dorment pas cependant de façon à
ne rien voir et ne rien comprendre. Car, s’il en était ainsi,
ils ne seraient plus en vie du tout. Ils ajoutent, en second lieu,
dans la colonne 1447, que Dieu a saboté la construction de Julien pour
montrer que lui déplaisait le culte superstitieux des martyrs. Or,
s’il en était bien ainsi, pourquoi n’a-t-il pas détruit le
travail de Gallus qui , pour le martyr, faisait la même chose que Julien
? Ils diront peut-être que Dieu dormait, ou qu’il n’a pas vu
le travail de Gallus.
Le septième mensonge est dans la préface de la sixième centurie,
où ils disent que nous rendons les honneurs divins aux reliques des martyrs,
et que nous les invoquons par des supplications, comme si elles vivaient
et entendaient : « Ils commencèrent à rendre un culte à des ossements
ensanglantés et à demi corrodés, à les invoquer et à leur attribuer
les honneurs divins. » Calvin dit à peu près la même chose dans
son livre sur la nécessité de réformer l’église : « Ce ne sont pas
seulement les saints qu’ils adorent à la place du Christ, mais leur
os, leurs vêtements, leurs cendres. » Or, qui, parmi les catholiques,
a jamais invoqué des reliques ? Qui a-t-on jamais entendu dire dans des
prières ou dans des litanies : « Saintes reliques, priez pour nous !
» Qui leur a jamais rendu un honneur divin, ou les a jamais adorées
à la place du Christ ? Nous honorons et embrassons les reliques
comme des gages sacrés de nos patrons. Mais, nous ne les adorons
pas comme Dieu, ni ne les invoquons comme saints. Nous les vénérons
par un culte inférieur à celui des esprits des saints, et, bien entendu,
à celui de Dieu. C’est ainsi que répondit autrefois saint Jérôme
à Vigilance qui lui faisait la même objection. Et c’est ainsi
également que, bien avant lui, répondirent les disciples de saint Polycarpe,
d’après Eusèbe (livre 4, chapitre 15 de son histoire), comme nous l’avons
déjà écrit.
CHAPITRE 3
On affirme
la vérité et on la prouve
Venons-en maintenant aux arguments en faveur de la vérité.
Le premier est tiré des exemples donnés par la sainte Écriture en Exode
13. Quand Moïse partir d’Égypte avec le peuple en direction
de la Palestine, il ne voulut pas y laisser les os de Joseph, mort depuis
bien longtemps. Il les apporta avec lui honorablement, et les transféra
dans la terre promise. La translation des ossements des morts n’est
donc ni une superstition, ni une nouveauté, comme le prétendent les magdebourgeois
dans leurs centuries. De même, Dieu, dans le dernier chapitre du
Deutéronome (comme le dit saint Jérôme à Vigilance), a honoré le corps
de Moïse en l’ensevelissant de ses propres mains. De même (4,
Rois, 13), quand les os d’Elisée touchaient un mort, ils le ramenaient
immédiatement à la vie. Dieu ne méprise donc pas les os des saints,
mais les honore et désire qu’ils soient honorés, puisqu’il a, par
eux, opéré un si grand miracle. De même, (4 Rois 23), quand
Josias détruisit les temples des dieux, et voulut abolir toute l’idolâtrie,
il fut si loin de penser qu’il fallait détruire les reliques des saints,
pour les enfouir dans la terre avec les os des autres morts, ou les
réduire en cendres, qu’il ordonna de conserver les os du saint prophète
qu’on avait découverts là.
Et, au sujet du sépulcre du Seigneur, nous lisons en Isaïe
11 : « Les nations espèreront en lui (le Messie), et son sépulcre sera
glorieux. » Il est certain que ce texte parle du sépulcre du Christ,
tant à cause des mots eux-mêmes que des paroles de saint Paul aux
Romains 15. Qu’il ne faille pas entendre ces paroles seulement
pour le temps où le Christ gisait dans son cercueil, mais aussi pour le
temps futur, et qu’il faut donc honorer les reliques, saint Jérôme
l’enseigne dans sa lettre à Marcella (dans laquelle il l’invitait
à venir habiter à Bethléem). Il dit qu’Isaïe a prédit que,
comme cela se fait aujourd’hui, le sépulcre du Seigneur serait honoré
par tous. Et voilà qui réfute le blasphème de Luther qu’il
a proféré dans le livre de l’abolition de la messe privée. Il a osé
écrire qu’il ne fallait pas faire plus de cas du sépulcre du Seigneur
que de bœufs.
Si donc le Christ était présent aujourd’hui et que nous embrassions
ses vêtements avec dévotion, Luther et Calvin s’écriraient tout de
suite que nous sommes des idolâtres. Or, l’hémorroïsse (Matthieu 9
) fut guérie quand elle toucha la frange de son vêtement. Et, dans
les Actes 5, ont-ils été réprouvés ceux qui accourraient à Pierre
pour atteindre au moins son ombre ? N’ont-ils pas plutôt reçu la récompense
de leur foi ? Or, qui pourrait penser que les reliques sont plus viles
que l’ombre ? Dans les Actes 19, on n’a pas considéré comme
superstitieux ceux qui apportaient aux malades la robe et la ceinture de
Paul, comme nous le faisons nous aussi, car Dieu confirmait leur piété
par des miracles.
Le deuxième argument vient de conciles de différentes parties
de la terre. De l’orient, nous avons le concile de Nicée 11, acte
3, qui appelle les reliques des fontaines de salut, par lesquelles
Dieu accorde aux hommes plusieurs miracles. Et dans les actes 7,
à la dernière définition, il ordonne de déposer le clerc et d’excommunier
le laïc qui méprisent les reliques des martyrs, et ne les traite pas
avec honneur comme une chose sacrée. Nous avons aussi, en Orient,
le concile de gangrense, avant 1200 ans, qui anathématise ceux qui
exècrent les martyriums, les lieux où sont les exposées reliques des
martyrs. Les Eustathiens, contre lesquels ce concile a été convoqué,
ne voulaient pas entrer dans les basiliques des martyrs, pour ne
pas sembler vénérer les corps des martyrs qu’ils considéraient impurs.
En Afrique, le concile de Carthage 5, canon 14, ordonne qu’aucun
autel ni martyrium ne soit érigé sans qu’il y ait des reliques de martyrs.
Or, si c’est une superstition de rendre un culte à un corps de martyr
qui n’en est pas un, ce sera un acte religieux d’honorer le corps d’un
vrai martyr, car la religion s’oppose à la superstition. En Espagne,
nous avons le concile de braccarensis, 111, canon 5, où il est statué
que, pendant les supplications, la theca des reliques doit être tenue
dans les mains des évêques, le peuple précédant et suivant. Le
concile epainense, célébré en Gaule, ordonne, au canon 25, qu’on ne
place pas de reliques de saints dans les églises où il n’y a pas de
clercs pour chanter souvent des hymnes en leur honneur. En Germanie,
nous avons le concile de Moguntinus, célébré au temps de Charlemagne.
Le canon 15 statue de ne pas transférer les corps des saints d’un lieu
à un autre, sans l’autorisation de l’évêque, et sans la permission
du saint synode. Ce qui n’est certes pas un mince honneur décerné aux
reliques des saints.
Nous avons ensuite en Italie le concile du Latran, sous Innocent
111, chapitre 62, qui enseigne que, pour éviter tout risque de fraude,
personne ne peut, sans l’autorisation du souverain pontife, commencer
à vénérer en public de nouvelles reliques. D’où la loi canonique
sur les reliques et la vénération des saints, au chapitre cum ex
eo. Il y a une loi civile qui lui est semblable, C des évêques
et des clercs, L, decernimus.
Troisièmement, on le prouve avec les pères. Eusèbe
(livre 7, chapitre 15 de son histoire ecclésiastique),dit sur le
siège en bois de saint Jacques l’apôtre : « On le conserve avec le
plus grand soin, comme un mémorial de sainteté transmis par les anciens,
et on le vénère avec une grande dévotion. » Que les luthériens
ne ricanent donc pas s’ils entendent dire qu’à Rome, la chaire en
bois de Pierre est vénérée. Saint Athanase (dans la vie du bienheureux
Antoine), écrit qu’Antoine lui a légué une tunique tressée, et il
ajoute : « Le légataire de saint Antoine qui avait mérité de recevoir,
sur l’ordre d’Antoine, une tunique tressée, avec une mélote,
remplace Antoine dans ses devoirs, et étant doté d’un grand héritage,
il se rappelle joyeusement, par le vêtement, l’image de sa sainteté.
Du même grand saint Autoine, saint Jérôme (dans le vie de Paul, le premier
ermite), rapporte qu’il a reçu en héritage la tunique de Paul confectionnée
avec des feuilles de palmier, et que, à cause de la grande vénération
qu’il avait envers lui, il avait coutume de la porter, mais seulement
dans les jours solennels de Pâques et de Pentecôte.
Saint Basile, dans le psaume 115, dit, en commentant le verset
: la mort des saints est précieuse aux yeux du Seigneur : « Quand quelqu’un
mourait judaïquement, les cadavres étaient abominables. Mais
quand quelqu’un meurt pour le Christ, précieuses sont les reliques
des saints. Auparavant, on disait aux prêtres et à ceux qui étaient
dédiés à Dieu de ne pas se contaminer avec un corps mort. Celui
qui possède les ossements des martyrs obtient, par la grâce inhérente
au corps, une association de sanctification. » Et, parlant,
dans la prière aux quarante martyrs, des reliques des martyrs qui sont
dispersées dans toute la région, il dit : « Voici ceux qui administrent
notre région, qui, comme des tours, apportent la sécurité contre les
incursions des ennemis. Ils n’habitent pas un seul lieu,
mais ils sont devenus les hôtes de plusieurs, et ornent plusieurs patries.
» Saint Grégoire de Nysse, dans son sermon sur le martyr Theodore,
au début, dit : « L’âme de laquelle le sublime s’est détachée,
repose en son lieu, et libérée du corps, elle vit avec ses semblables.
Le corps immaculé, son instrument, doit être vénéré avec un grand
honneur. On le conserve et on l’orne, et on le place dans un lieu important
et sacré. » Ensuite il parle longuement de ceux qui entrent dans
les temples des martyrs. Ils s’étonnent de la grandeur de l’édifice,
des décorations faites sur les murs et sur le plancher, de la diversité
des statues et des tableaux. Il ajoute ensuite : « Après avoir
délecté ses yeux par ces choses, il désire s’approcher de la chasse,
croyant en recevoir la sanctification et la bénédiction. Et si
on lui permet de prélever de la cendre que contient la chasse où repose
le corps du martyr, il considère cela comme un devoir, et comme
s’il acquerrait une terre de grand prix. Car si la fortune prospère
lui accorde de toucher les reliques, quand cela est permis, à quel point
cela est désirable et profitable, comme étant le don de prières ferventes,
le savent ceux qui en ont fait l’expérience, et qui ont comblé leurs
désirs. »
Saint Grégoire de Naziance, (dans son discours 1 contre Julien,
un peu avant le milieu), reprochant à Julien de vénérer les monuments
des faux dieux, et de mépriser les corps des amis de Dieu et des martyrs,
dit : « Ne révères-tu pas les victimes tombées pour le Christ ? Eux,
dont les corps peuvent ce que peuvent les âmes saintes, soit qu’on les
touche, soit qu’on les honore, eux. Bien plus, quelques gouttes
de leurs sang et de petite signes de leur passion peuvent ce que peuvent
les corps. Toi, tu ne les vénères pas, mais tu les méprises
et les ridiculises, toi qui admires le feu d’Hercule excité par la calamité
et les injures infligées aux femmes.
Eusèbe Emissenus, ou plutôt Césaire d’Arles, ou quiconque est
l’auteur de ses homélies, dit, à l’homélie de sainte Blandine :
« Où sont donc ceux qui disent qu’on ne doit pas vénérer les corps
des saints martyrs » Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 18),
dit : « Qu’on n’honore pas seulement l’âme des saints, mais que
dans les corps des morts réside une vertu ou un pouvoir enfermé dans
le sépulcre, la preuve en est que le mort ressuscité par Élisée
a été vivifié en touchant le corps mort du prophète. » Saint
Jean Chrysostome (dans son sermon sur les saints Juventius et Maximus),
loue d’abord ceux qui, au risque de leur vie, ont pieusement recouverts
les corps laissés sans sépulture. Et, il ajoute ensuite : « Voilà
pourquoi nous allons souvent leur rendre visite, nous adorons leur tombeau,
nous conservons leurs reliques avec une grande confiance, pour pouvoir
en retirer quelque bénédiction. »
Voir la même homélie, à la fin, épitre aux Romains, où il
dit : « Romme l’emporte sur toutes les autres villes par
le culte qu’elle rend à Pierre et à Paul. » De même, dans l’homélie
61 au peuple, où il compare les sépulcres et les reliques des saints
aux sépulcres et aux cadavres des empereurs et des rois. Et il montre
que les premiers sont grandement honorés, et les autres abandonnés et
déserts. Et il dit admirablement que ce fut un honneur suprême
pour l’empereur Constantin de pouvoir devenir le portier de Pierre, car
il a été enseveli aux portes de la basilique, où étaient placées quelques
parcelles des reliques du bienheureux Pierre.
Theodoret, dans son livre 8o contre les Grecs sur les martyrs,
dit : « Et les âmes des martyrs triomphants vivent maintenant dans la
patrie céleste, parmi les chœurs des anges. Leurs corps ne sont
pas tous, nombreux comme ils sont, contenus dans un seul monument,
mais des cités, de grandes villes et des villages ont tiré au sort quelques
unes de leurs reliques, qui ne cessent d’être salutaires aux âmes affligées
et aux corps malades. » Ensuite, saint Jean Damascène (livre 4,
chapitre 16 sur la foi orthodoxe) dispute longuement sur la vénération
des reliques des martyrs.
Parmi les latins, saint Ambroise (sermon 83 sur les saints Nazaire
et Celse, à la fin) : « Si tu me dis : qu’honores-tu dans une chair
déjà décomposée et réduite en cendres ? J’honore dans la chair
du martyr les cicatrices reçues pour le nom du Christ. J’honore
celui qui vit par la perennité de sa vertu. J’honore la confession
du Seigneur dans les cendres sacrées. J’honore dans les cendres des
semences d’éternité. J’honore celui que le Seigneur m’a montré
à aimer, qui nous a enseigné à ne pas craindre la mort pour notre
Seigneur. Pourquoi ces fidèles n’honorent-ils pas les corps que
révèrent même les démons ? Ils les ont affligés en les suppliciant,
mais ils les glorifient dans les sépulcres. J’honore aussi
le corps que le Christ a honoré dans le glaive, parce qu’il règne dans
le ciel avec le Christ. » Maxime (dans le sermon sur les saints
Octave, Adventor, et Solutor : « Il faut honorer dévotement tous les
martyrs. Mais nous devons surtout vénérer ceux dont nous possédons
les reliques. » Gaudence, évêque de Brixia, dans son traité sur
la dédicace d’une basilique : « Notre Dieu a pourvu à ce que nous
ayons des reliques de saints, et il nous a ensuite accordé généreusement
de les honorer dans leurs basiliques. » Voir le traité au complet,
où il est beaucoup question du culte des reliques.
Saint Paulin, au troisième jour de la naissance au ciel de saint
Félix, parlant de la ville de Rome, dit ceci des reliques des apôtres
: « Tu as été d’abord la première par le gouvernement et les victoires
des armées. Maintenant, c’est pas les apôtres et par leurs sépulcres.
» Saint Jérôme (dans son livres contre Vigilance) dit : « Il
souhaite que les reliques des martyrs soient recouvertes d’un voile précieux,
qu’elles soient projetées dans les latrines, pour que seul Vigilantius,
ivre et somnolant, soit adoré. » De même, dans l’épitre à Marcella
( qu’il a écrite au nom de Paul et d’Eustochie), il énumère, parmi
les biens qui se trouvent en Palestine, de pouvoir adorer les saintes cendres
de saint Jean Baptiste, d’Élisée et d’Abdias qui y sont conservées.
Ruffin (livre 11, chapitre 28 de son histoire). Comme, au temps de
Julien, les Gentils avaient, à Sébaste de Palestine, brulé les os de
saint Jean Baptiste, Rufin écrit : « Quand certains chrétiens virent
commettre un pareil crime par des mains humaines, mais avec une âme de
bête féroce, préférant mourir plutôt que d’être, en quelque façon,
complices de cette sacrilège profanation, ils se sont mêlés à ceux
qui lisaient les os pour les bruler, se sont réunis pieusement et diligemment,
ont soustrait furtivement les ossements à ces insensés, et ont
apporté ces reliques au religieux père Philippe pour qu’il les fasse
vénérer ». Voir la même chose dans le même livre, chapitre 33.
Saint Augustin (épitre 103 à Quintien) : « Les porteurs de
cette lettre apportent les reliques du bienheureux martyr Étienne.
Votre sainteté n’ignore pas, comme nous non plus, de quelle façon il
convient que vous les honoriez. » L’auteur du livre sur les dogmes
ecclésiastiques (chapitre 73) écrit : « Les corps des saints, et surtout
les reliques des bienheureux martyrs nous croyons devoir les honorer comme
s’ils étaient les membres du Christ. » Saint Léon (dans le sermon
sur saint Laurent, parlant de la grille), dit : « Qu’est-ce que ton
ingéniosité n’a pas inventé pour assurer la gloire du vainqueur, quand
les instruments du supplice ont servi à honorer le triomphateur! »
Saint Grégoire (livre 5, épitre 50 à Palladius) : « Comme nous présentons
à la vénération des fidèles les reliques des saints apôtres
Pierre et Paul, ainsi que des martyrs Laurent et Pancrace, nous vous exhortons
de les recevoir et de les conserver révérencieusement, en demandant l’aide
du Seigneur. »
Il répète la même chose dans l’épitre suivante. La même chose
dans le livre, épitre 30. Et voici ce qu’il répond à l’impératrice
Constance qui demandait la tête de saint Paul : « C’est un sacrilège
de toucher et d’inspecter les corps de si grands saints ». Et
il raconte que plusieurs sont morts de mort subite parce qu’ils avaient
eu la présomption de toucher les corps des saints, ou de s’être approchés
de trop près pour les observer. Il lui promet, cependant, qu’il
lui enverra une partie de la chaîne de saint Paul, si on peut, en limant,
en détacher quelque chose. Car tel est le comportement de ces chaînes
: selon la dignité ou l’indignité de ceux qui en font la demande, on
en détache facilement une partie, ou il est absolument impossible d’en
limer quoi que soit, quel qu’effort qu’on y mette. Saint
Grégoire de Tours (dans son livre sur la gloire des martyrs et des confesseurs)
ne parle presque que de cela. Omettons Bède, Bernard et les auteurs postérieurs,
dont nos adversaires ne doutent pas de la foi.
Quatrièmement, on le prouve par les miracles faits grâce aux
reliques. Ces miracles n’auraient certes pas lieu si le culte rendu
aux reliques déplaisait à Dieu. Saint Épiphane, (dans la vie d’Isaïe,
d’Ezéchiel et de Jérémie), raconte que leurs sépulcres étaient fréquentés
par plusieurs à cause des bienfaits qui y étaient accordés par Dieu
grâce aux mérites de ces prophètes. Saint Basile, dans son sermon
sur Mamante, dit que tous connaissent les miracles opérés par cette martyre,
en rendant aux uns la santé, aux autres, la vie. Et, dans son sermon
sur Julitta, il raconte que quand les reliques de sainte Julitte furent
apportées en un certain lieu qui était privé d’eau, aussitôt uns
source d’eau douce jaillit de la terre. En abreuvant de son
lait toute cette région, cette sainte semblait être la mère ou la nourrice
de tous. » Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur
saint Cyprien) dit : « Elle peut tout, avec la foi, la poussière
de saint Cyprien. Le savent ceux qui en ont fait l’expérience,
et nous ont transmis les miracles. » Saint Jean Chrysostome (dans
son livre contre les Gentils, sur les reliques de sainte Babille) : «
Nos sentences produisent abondamment la foi, puisqu’elles sont corroborées
à chaque jour par les miracles des martyrs. » Palladiius dans l’histoire
lausiaque (chapitre 62) raconte que beaucoup de miracles se font sur les
reliques de Philémon. Saint Ambroise (dans son sermon sur saint
Gervais et saint Protais, et dans sa lettre à sa sœur sur les mêmes
martyrs), rapporte, parmi plusieurs, le cas d’un aveugle nommé Sévère,
très connu de tous, qui fut guéri en touchant le brancard qui portait
les reliques. Saint Ambroise ajoute aussi que les ariens osaient
nier impudemment les miracles que tout le peuple voyait.
Saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance) : « Toi, très
souvent, tu t’es saupoudré de cette vile poussière où parle le démon,
toi qui appelles ville poussière les reliques des martyrs. »
Et dans l’épitre à Eustochius sur la vie de Paula, il raconte qu’aux
sépulcres d’Élisée, de Jean le Baptiste et d’Abdias, les démons
ont coutume de rugir. Dans la vie de saint Hilarion, il dit que,
à chaque jour, de grands miracles sont produits sur son tombeau.
Saint Augustin (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu), dit qu’un
si grand nombre de miracles ont été faits en peu de temps près des reliques
de saint Etienne, qu’il faudrait plusieurs livres si on voulait les raconter
tous. Sulpice, dans la vie de saint Martin, dit que par le
seul contact de son vêtement a été guérie une femme qui souffrait d’un
flux de sang. On peut rapporter un grand nombre miracles de ce genre.
Cinquièmement, on le prouve par les miracles qui se produisent
dans les corps morts des saints, par lesquels Dieu nous invite irrésistiblement
à la vénération. Saint Jean Chrysostome écrit (dans le sermon
sur les saints Juventius et Maximus) que leurs visages ont commencé, après
leur mort, à resplendir à tel point qu’on ne pouvait pas les regarder
sans les vénérer. Et ils étaient semblables au visage de saint Étienne
(Luc, actes 6) : « Son visage qu’ils voyaient était semblable à celui
d’un ange. » Saint Jérôme (dans la vie d’Hilarion) écrit
que, après dix mois, son corps a été trouvé intègre, et émettant
des odeurs parfumées. Saint Augustin (dans son sermon 2 sur saint Vincent)
dit que son corps exposé aux bêtes fauves a été protégé par
un corbeau, et que quand il a été jeté à l’eau, n’a pas pu couler.
Et, dans le libre 9, chapitre 7 des confessions), il dit que les corps
des saints Gervais et Protais ont été conservés par Dieu sans corruption
pendant plusieurs années, pour qu’ils soient réservés pour son temps.
Sulpice (dans son épitre à Bassula Socrum, sur la mort de saint
Martin) dit que, après sa mort, est apparue dans son corps la figure d’un
homme glorifié. Sa chair, en effet, fut plus pure que la vitre,
plus blanche que le lait, semblable à celle d’un enfant de sept
ans. Saint Bonaventure rapporte qu’on a dit la même chose du corps
de saint François. Au sujet de saint Édouard, le roi anglais, qui
vécut il y a quatre cents ans, l’auteur de sa vie écrit que, 36 ans
après sa mort, son corps a été trouvé intègre, plein de suc,
flexible, comme s’il était encore vivant. Non seulement ses os
et sa chair n’avaient subi aucune altération, mais ni ses cheveux,
ni les poils de sa barbe, ni ses vêtements ou ses souliers. C’est
ce qu’on dit du corps de saint André, du quel coule continuellement
une liqueur mirifique.
J’ai vu moi-même, à Bologne, le corps de sainte Catherine
intègre, sans aucune corruption, alors qu’il y au moins cent ans
que cette vierge bienheureuse ait quitté cette terre. J’ai vu
aussi, près de Mentem Falcum, en Ombrie, le corps intègre de sainte Claire,
sans aucune corruption après 300 ans. Et ce qui est peut-être
un plus grand miracle, on voit dans son cœur les instruments de
la passion du Seigneur, si admirablement sculptés dans sa chair, que tous
ceux qui le voient sont contraints de dire : le doigt de Dieu est là.
Et, pour en omettre beaucoup d’autres, que dire enfin de ma concitoyenne
et ma patronne la bienheureuse Agnès Politiana ? Elle a vécu celle-là
il y a trois cents ans. Et vivante ou morte, elle est grandement
célèbre par ses miracles, dont, dans mon enfance, j’ai été témoin,
non moi seul, mais toute la cité. Son corps très beau et
sans corruption, je ne l’ai pas vu seulement une seule fois. Des auteurs
fiables ont rapporté par écrit que quand sainte Catherine de Sienne vint
voir son corps pour le vénérer, une pluie de rosée céleste descendit
à l’instar d’une manne, sur l’une et l’autre. Et quand les
citoyens projetèrent d’oindre son corps d’aromates pour qu’il se
conserve plus longtemps, une liqueur suave semblable à du baume
commença à se répandre, de telle sorte que tous comprirent que ce corps,
par la grâce divine, n’avait besoin de l’onction d’aucun aromate.
On affirme que des reliques de cette liqueur divine sont conservées dans
l’église avec son corps.
Sixièmement, on le prouve par l’invention et la révélation
des saints corps. Si le culte des reliques ne plaisait pas à Dieu,
pourquoi montrerait--il à ses serviteurs les corps des saints qui
sont cachés ? Après avoir reçu une révélation divine sur les corps
des saints Gervais et Protais, saint Ambroise raconta la chose dans
une lettre, que l’on trouve dans les tomes Surit. Saint Augustin
raconte la même chose dans son livre sur les confessions (livre 9, chapitre
7). Nous a été conservée aussi la lettre de Lucien dans
laquelle il rapporte qu’on lui a miraculeusement montré les corps d’Étienne,
de Nicodème et d’autres. Qu’il s’agissait bien du vrai
corps de saint Étienne, des miracles innombrables le démontrent, qu’Évode
a décrits dans deux livres. Et saint Augustin (dans le sermon 91
ex novis), dit : « Son corps a été caché pendant une si longue période
de temps. Il est revenu à la lumière quand Dieu l’a voulu. Il
a illuminé les pays. Combien de miracles il a faits ! Le mort
rend vivant les morts parce qu’il n’est pas mort. »
À ce sujet, Sozomène rapporte (livre 5, chapitre 8) que
les os des saints martyrs, les frères Nestabius et Eusebius, qui à Gazence
étaient mêlés aux os des chameaux et des ânes, pour que les chrétiens
ne puissent pas les reconnaitre, ont été montrés à une femme par une
divine révélation, et ont été recueillis par elle. Le même Sozomène
(livre 7, chapitre ultime), rapporte que les os d’Abaccuch et de Michée
ont été révélés divinement à un certain évêque. Le même
Sozomène (livre 9, chapitre 2) racoonte que les reliques des quarante
martyrs ont été découvertes par une révélation divine. Bède
(dans son livre sur les six états, à Martien) rapporte que la tête de
saint Jean Baptiste a été révélée à deux moines par saint Jean lui-même.
Et, à Zénon, que les corps de saint Barnabée avec sur sa poitrine
l’évangile de saint Matthieu, a été retrouvé, saint Barnabée lui-même
faisant la révélation.
Septièmement, on le prouve par la translation des reliques d’un
lieu à un autre, pour mieux les honorer, laquelle translation avait coutume
d’être célébrée. On ne peut pas nier que c’était pour mieux
les honorer que se faisait cette translation des reliques. La première
et la plus ancienne de toutes fut celle de Joseph, de l’Égypte à la
Palestine, faite par Moïse (Exode 13). Ensuite, la translation
des reliques de saint Pierre et de saint Paul, du lieu de leur supplice
aux catacombes, qui a été faite au temps où ils ont souffert (Grégoire,
livre 3, épitre 30) . Ensuite, la translation des mêmes corps des
catacombes au Vatican en partie, et dans le domaine de Lucine sur
la voie Hostiensis. Le pape Corneille dans sa lettre 1 à Ruffin
(livre 2, chapitre 28), décrit la translation des reliques de saint Jean
Baptiste de la Palestine à Alexandrie. Saint Jérôme, dans son
livre contre saint Vigilance, écrit que, au temps de l’empereur Constantin,
les reliques d’André, de Luc et de Timothée ont été transportées
à Constantinople. Il dit aussi que, au temps d’Arcadius, les reliques
de Samuel le prophète ont été transportées par les évêques dans un
vase d’or avec un si grand honneur et un si grand concours de peuple
que de la Palestine jusqu’à la Chalcédoine elles ont toujours été
accompagnées par les fidèles.
Saint Ambroise, au début de son exhortation aux vierges, dit : «
Moi, après avoir été invité au rassemblement de Bologne,
où on célèbre la translation d’un saint martyr, je vous ai réservé
une relique pleine de sainteté et de grâce. » Saint Augustin (livre
9, chapitre 7 de ses confessions), écrit : « Après avoir découvert
et exhumé les corps des saints Martyrs Protais et Gervais, et les avoir
transférés avec honneur… » Saint Jean Chrysostome (dans le livre
sur Babyle) décrit avec quel honneur les reliques des martyrs sont transférées.
Sozomène (livre 7, chapitre 10), décrit la translation des reliques
de saint Meletius d’Anthioche. Theororet (livre 5, chapitre 36)
décrit la translation des reliques de saint Jean Chrysostome. Évagre
(livre 1, chapitre 16) décrit la translation honorable de saint Ignace
à Antioche, sous Theodose junior.
Huitièmement, on le prouve par la coutume de placer les reliques des
martyrs sous les autels. C’est de quoi se souvient saint Ambroise
dans son exhortation aux vierges, en pensant aux reliques de Vital et d’Agricola.
Ainsi que dans sa lettre à sa sœur sur l’invention des corps des saints
Gervais et Protais. (saint Jérôme, dans son livre contre Vigilance.)
Saint Prudence en parle dans son hymne 11 sur les couronnes des saints,
qui est de saint Hyppolyte. Saint Augustin, dans le sermon 11 sur
les saints. Sozomène (livre 5, chapitre 8), et le concile de Carthage
5, canon 14. Il semble que cette coutume ait commencé au temps des
apôtres. Car dans l’apocalypse, on nous montre, dans le ciel, les âmes
des martyrs sous l’autel, parce que, sur la terre, leurs corps reposent
sous l’autel, comme l’insinue saint Augustin au lieu cité.
Que ce soit pour les honorer grandement que ce lieu leur a été assigné,
saint Jérôme et saint Augustin l’enseignent aux lieux cités, et la
chose elle-même le montre. Car, les autels ont toujours été
grandement honorés, au point même où ils ont été parfois adorés.
Et Tertullien (dans son livre sur la pénitence) compte parmi les rites
chrétiens l’agenouillement devant les autels de Dieu.
Neuvièmement. On le prouve par l’usage des cierges et des lampes
par lesquels étaient honorées les reliques. Que la lumière soit
un signe d’honneur et non de superstition, ainsi qu’allumer une lumière
devant une chose inanimée, le candélabre nous le fait comprendre,
puisqu’il était toujours allumé devant l’arche du Seigneur. (Exode
25 »). Que ce fut autrefois l’usage d’allumer des cierges devant
les reliques, c’est Vigilance qui nous le dit par son objection : «
Nous voyons les cierges allumés en plein jour. » Et aussi saint Jérôme
(dans son épitre à Riparius) : « J’ai donc allumé des cierges devant
leurs tombeaux, ces cierges qui sont des signes d’idololâtrie. »
De même Constantin (premier tome des conciles, dans la vie de Sylvestre).
Parmi les dons faits aux reliques sacrées de Pierre, de Paul, de
Laurent, et de la sainte croix, on énumère des candélabres, plusieurs
lampes qui doivent bruler perpétuellement. Il n’est pas croyable
que Constantin ait lancé quelque chose qui ne faisait pas partie de la
coutume de l’Église. De plus, Theodoret (livre 5, chapitre
36), atteste que, dans la translation des reliques de saint Jean Chrysostome,
beaucoup de lampes avaient été allumées.
Saint Grégoire (livre 3, chapitre 24 des dialogues), se souvient des
lampes qui, dans le temple de saint Pierre, restaient allumées même
la nuit, quand tous dormaient. Dixièmement, on le prouve par
une raison tirée de l’utile et de l’honnête. La raison tirée
de l’utile, on la trouve chez saint Chrysostome, dans le saint martyr
Babyle. Car, Dieu, comme le dit saint Jean Chrysostome, « ne nous
a rien laissé de plus utile pour le salut que les reliques des saints.
» Car, rien ne représente plus efficacement et n’imprime davantage
dans l’âme le souvenir des saints que leur sépulcre. En effet, dès
que nous voyons le sépulcre de quelque saint, nous nous souvenons de lui,
de ses vertus, de sa patience, de sa charité, de sa chasteté, de sa piété;
et nous pensons immédiatement à la gloire dont il jouit dans le ciel
pour un très court labeur. La raison tirée de l’honnête est
multiple. La première. Pour tous les biens qu’ont faits les saints,
leurs corps ont servi d’organes à leur âme. Voir Tertullien sur
la résurrection de la chair. La deuxième. Leurs corps ont été et sont
encore des instruments pour la production de miracles. La troisième.
Ils sont les gages des patrons. La quatrième. Ils sont les
dépouilles des plus chers. La cinquième. Ils sont les trophées
des triomphateurs. La sixième. Ils sont destinés à une gloire
incroyable, puisque, après la résurrection, ils seront plus brillants
que le soleil. Et jusqu’à présent ils s’imposent
par ces corps, qui, plus que toute autre chose, ont mérités
d’être conservés. C’est pour ces raisons et pour d’autres
que les fidèles font grand cas des reliques des saints, et les honorent
avec le culte qui leur est du.
CHAPITRE 4
On répond aux arguments des adversaires
Après ce que nous venons de présenter, il ne sera pas difficile de
répondre aux arguments des adversaires. Voici ce que nous répondons
au premier argument que Wiclef avait tiré de l’évangile. Le Seigneur,
comme il le prétend, ne reproche pas aux Juifs d’avoir construit
des monuments aux prophètes et de les avoir embellis, mais de ne pas avoir
imité ceux dont ils ornaient les monuments; et d’avoir imité plutôt
ceux qui les avaient tués, et s’étaient ainsi condamnés eux-mêmes.
C’est ainsi qu’expliquent ce passage presque tous les pères, comme
saint Hilaire, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, Theophylactus, (chapitre
23 de Matthieu), et saint Ambroise et saint Bède (chapitre 11 de Luc.)
Voici ce que dit saint Ambroise : « En construisant des tombeaux pour
les prophètes, ils convainquaient de crime ceux qui les avaient
tués. Mais, en commettant un crime semblable, ils devenaient leurs
émules, et se déclaraient les héritiers de l’iniquité ancestrale.
Ce n’est donc pas la construction qui est criminalisée, mais l’émulation.
» Saint Jean Chrysostome (homélie 75 sur Matthieu) : « Le Christ
ne les a pas maudits parce qu’ils construisaient, ni parce qu’ils accusaient
leurs pères, mais parce que, parlant comme ils parlaient, et
agissant comme ils agissaient, ils osaient condamner leurs ancêtres, alors
qu’ils commettaient de plus grands crimes qu’eux. »
Mais tu diras. En Luc 11, le Seigneur a dit : « Vous témoignez
que vous consentez aux œuvres de vos pères parce qu’eux ont tué les
prophètes, et vous, vous leurs construisez des tombeaux. » IL semble
bien là que le Seigneur blâme la construction elle-même, comme étant
le témoignage de leur consentement à la mort des prophètes. Saint
Jean Chrysostome répond au lieu cité : « Les Juifs avaient coutume d’édifier
des mausolées pour les prophètes, non pour les honorer, mais pour montrer
la vigueur et la puissance de leurs ancêtres qui ont pu tuer les prophètes.
Car, bien que les Juifs disent que ce n’était pas leur intention, mais
qu’elle était toute autre, il appert que ce fut vraiment leur
intention, puisqu’ils cherchaient à tuer le Seigneur des prophètes.
Saint Jérôme (chapitre 23 de Matthieu) donne une explication un peu différente.
Il dit que c’est par orgueil que les anciens Juifs tuèrent les prophètes;
que c’est aussi par orgueil et par ambition que les plus récents leur
construisaient des tombeaux; et que c’est ainsi qu’ils consentaient
aux œuvres de leurs ancêtres. Cajetan donne une explication
plutôt accommodante, Il dit que celui qui ensevelit quelqu’un
qui a été tué, peut le faire soit pour honorer le mort, soit pour
compléter l’acte d’homicide. Les gents ordinaires tuent et ensevelissent
pour cacher leur crime. Or, même si les Juifs disaient qu’ils édifiaient
des sépulcres aux prophètes pour les honorer, il semble plutôt qu’ils
le faisaient pour compléter les œuvres de leurs pères, puisque, après
avoir tué les prophètes, ils ont tué le Christ et certains apôtres.
Au deuxième, je réponds que, dans les monuments, se trouve, au minimum,
la mémoire des saints. Et c’est pour cela que les anciens appelaient
les sépulcres des saints des mémoires. Or, la mémoire des saints est
honorable. En effet, dans le sépulcre du Christ, ne se trouve maintenant
ni son âme, ni son corps. Et, pourtant, selon Isaïe (chapitre 11), «
son sépulcre sera glorieux. » Je dis, ensuite, que, dans les sépulcres
des saints, se trouve une certaine partie de leur substance, c’est-à-dire
de cette matière que les esprits des saints ont animée et qu’ils animeront
encore
. Au premier argument de Calvin sur le corps de Moïse, on peut
donner plusieurs réponses. Saint Hilaire (chapitre 17, Matthieu), saint
Ambroise (livre 1, chapitre 2 sur Caïn), et saint Grégoire de Nysse (dans
sa vie de Moïse), disent que Moïse n’était pas encore mort,
et donc pas encore enseveli, et qu’il a été transporté comme Élie
et Énoch. Et c’est ce qu’enseignent quelques auteurs modernes.
Mais ce n’est pas quelque chose qu’on peut facilement soutenir.
Et Rupert attaque cette interprétation avec de puissants arguments.
Philo (à la fin des livres sur la vie de Moïse) enseigne que Moïse était
mort et enterré, mais qu’il appartient à la gloire de Moïse d’avoir
été enseveli dans un sépulcre si mystérieux que nul ne put jamais
le découvrir. C’est à cette explication qu’Oecumenius semble
faire allusion dans son épitre de Jude. Et c’est probablement
ce qu’a écrit saint Jean Chrysostome (dans son homélie 5 sur Matthieu)
: le sépulcre de Moïse aurait été caché pour qu’il ne soit pas adoré
comme un dieu par les Juifs.
Tu diras. Ils n’ont jamais, de son vivant, adoré Moïse
comme un dieu. Ils l’auraient fait encore bien moins après sa
mort. Je réponds qu’ils ne l’ont pas adoré de son vivant, pendant
qu’ils l’entendaient dire à chaque jour, qu’il n’y avait qu’un
seul vrai Dieu, dont il était le serviteur. Mais, après sa mort,
se souvenant de ses miracles, et ne l’entendant plus parler, ils auraient
facilement pu être entrainés à croire qu’il était un dieu;
et ils l’auraient adoré s’ils avaient su où se trouvait son corps.
Surtout parce que il est raisonnable de croire que ce corps conservait
la beauté et l’éclat de son visage, comme c’est le cas pour
certains saints. Nous avons comme exemple le serpent d’airain.
Les Juifs qui avaient été mordus par des serpents, (Nombres 21) regardaient
le serpent d’airain et étaient guéris. Cependant, ils ne
l’adorèrent pas d’un culte de latrie, parce que Moïse leur avait
dit que ce serpent n’était pas Dieu, mais un signe de salut. Or,
à 4 Rois, 18, ils sacrifiaient au serpent comme à un dieu, même s’il
ne faisait plus aucun miracle. Et c’est pour cette raison qu’il
a été détruit par Ezechias.
Tu diras que les reliques des saints présentent le même péril
aujourd’hui. Je réponds que c’est faux. Car le peuple
des Juifs était, à cette époque, fort enclin à l’idolâtrie, au point
où ils adoraient même des veaux en or. Et c’est parce que, après
la captivité babylonienne, le peuple avait cessé d’adorer les idoles,
que nous voyons Dieu illustrer par un grand nombre de miracles les
sépulcres d’Isaïe, d’Ézéchiel, de Jérémie, d’Élise, d’Abdias,
et d’autres, agréer leur culte qui portait sur les ossements,
comme le rapportent Épiphane et saint Jérôme. Ajoutons qu’on
n’a jamais entendu dire que des chrétiens aient rendu des honneurs divins
aux cendres des martyrs. Il ne manque pas non plus, dans l’église,
d’écrits et de sermons qui enseignent au peuple quel est le culte qui
est du aux reliques.
Au deuxième je dis comme saint Paul (2 Corinthiens 5) : « Même si
nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus
ainsi maintenant. » Par chair, il entend la mortalité et la passibilité.
Et le sens est : si nous avons connu un Christ passible et mortel, nous
connaissons maintenant un Christ impassible et immortel. C’est
ce qu’enseigne saint Paul (1 Corinthiens, 15) : « La chair et le sang
ne possèderont pas le royaume de Dieu. » Et aux Hébreux 5 : «
Celui qui, pendant les jours de sa chair, offrit à Dieu des prières
et des supplications. » C’est ainsi que tous l’expliquent :
saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, Oecumenius, Ambroise,
Anselme, etc. C’est de la même manière que répond le septième
synode (acte 6, tome 4), et par le même argument à ce qui avait été
objecté par les iconoclastes. On ajoutait là le témoignage
de saint Cyrille. Que l’apôtre (comme le veut Calvin) n’ait
pas eu l’intention d’enseigner qu’il fallait mettre en oubli tout
ce qui est charnel dans le Christ pour ne penser qu’à son esprit et
à sa divinité, le même saint Paul nous le fait comprendre ( 1 Corinthiens
11), quand il dit que la sacrement de l’eucharistie a été institué
en souvenir de la passion. Et il ajoute : « À toutes les fois que
vous mangerez ce pain et que vous boirez au calice, vous annoncerez la
mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » Et il n’y a rien
qu’il répète plus souvent que la croix, la passion et la mort du Seigneur.
Et, je le demande, comment son sépulcre pourrait-il être glorieux si
nous devions mettre en oubli la mort du Seigneur ? De plus,
devons-nous rappeler les bienfaits du Seigneur, oui ou non ?
Si nous ne le faisons pas, nous sommes ingrats et nous contredisons saint
Paul qui dit (Hébreux 12) : « Rappelez-vous celui qui a supporté,
venant des pécheurs, une telle contradiction contre lui. » C’est ainsi
que nous devons penser à l’incarnation, la nativité, la passion et
la mort du Seigneur.
Au troisième je dis d’abord que le culte des reliques n’est pas
un culte volontaire, c’est-à-dire imaginé par les hommes, mais inspiré
par Dieu, comme le montrent les textes cités. Car, l’Écriture
approuve le culte du sépulcre, de la fibre du vêtement du Christ, ainsi
que de l’ombre de Pierre, de la robe et de la ceinture de Paul.
Je dis, ensuite que, au Colossiens 2, le mot grec ethelothrèskeian ne
signifie pas n’importe lequel culte volontaire, non prescrit par Dieu,
et inventé par les hommes, mais un culte superstitieux, comme notre commentateur
l’ a bien traduit, ou une fausse religion, comme l’explique saint Jérôme,
(dans son épitre à Agalsia, question 10). Il faudrait donc que
Calvin prouve que le culte des reliques est superstitieux ou faux,
s’il veut qu’il soit réprouvé par saint Paul.
Le quatrième. « Je dis qu’il y a un danger d’idolâtrie. » J’affirme,
au contraire, que le culte des reliques est la détestation de toute
idolâtrie. Car, les martyrs sont morts pour détruire l’idolâtrie.
Donc, celui qui rend un culte aux reliques indique qu’il se réjouit
de la destruction de l’idolâtrie. Et c’est avec raison que les
chrétiens (Ruffin, livre 1, chapitre 35), en transportant les reliques
de Babyle, chantaient à haute voix : « Que soient confondus ceux qui
adorent les statues des dieux païens ! » À l’argument tiré
des cierges, je réponds que les cierges allumés devant les tombes des
martyrs ne sont pas le signe d’une adoration qui n’est due qu’à
Dieu. Car on n’offre pas aux martyrs les cierges comme sacrifices,
mais en signe d’allégresse. Même dans les choses profanes, on allume
un feu pour signifier la liesse publique. De plus, le feu est un
signe de gloire. Voilà pourquoi un feu brulait toujours devant les
empereurs romains et les impératrices, comme l’atteste Herodianus (livre
1.) Or, les saints jouissent maintenant de la vraie gloire, règnent
avec le Christ, et commandent dans le ciel. Ils méritent donc amplement
qu’en leur souvenir, on puisse allumer un feu. On peut dire
aussi que le feu est un signe de vie. Nous professons donc avec nos
cierges que les âmes des saints vivent, et que leurs corps vivront en
leur temps.
À l’argument tiré de saint Jérôme, je dis donc que quand il parle
de ceux qui allument des cierges devant des reliques,(« je confesse qu’ils
ont le zèle de Dieu, mais non selon la science »), il pense à ceux qui
le font pour rendre illustres les martyrs. Car, Vigilance a
dit, par ironie : « Les hommes de cette sorte procurent un grand honneur
aux martyrs en pensant les rendre illustres par leurs vils cierges »
C’est de ceux-là, de ceux qui allument des cierges avec cette fausse
intention que saint Jérôme dit qu’ils ont du zèle, mais non selon
la science. Que saint Jérôme ait pensé que c’était une bonne
chose d’allumer des cierges devant des reliques, on le découvre dans
sa lettre à Riparius où i l présente comme argument en faveur du culte
des saints l’usage d’allumer des cierges. Et, dans son livre
contre Vigilance, il dit : « Les apôtres eux-mêmes craignirent que périsse
l’onguent, mais ils ont été corrigés par le Seigneur. Car, le
Christ n’avait pas besoin d’onguent, ni les martyrs de la lumière
des cierges. Et cependant, une femme l’a fait en l’honneur du
Christ, et la dévotion de son esprit l’a reçue. Et tous ceux
qui allument des cierges selon leur foi ont leur récompense. »
Et plus bas : « On faisait cela pour les idoles, et c’était une chose
détestable. On le fait maintenant pour les martyrs, et c’est une
chose acceptable. »
Deuxièmement. La chose est évidente, car, au temps
de saint Jérôme, ces cierges étaient en usage non seulement pour
les femmes, mais pour les évêques et l’église universelle, comme on
le voit dans Paulin, dans Theodoret, et les autres ci-haut cités.
Troisièmement. Si c’était une superstition d’allumer
des cierges devant des reliques, ce serait aussi une superstition d’en
allumer quand on lit l’évangile, et quand les morts sont portés vers
le sépulcre. Saint Jérôme (contre Vigilance) enseigne que, pour l’évangile,
on allume des cierges dans tout l’Orient. On en allume aussi pour
les funérailles, enseigne le même saint Jérôme dans sa vie de
Paula, où il dit que, aux funérailles de Paula, les évêques processionnaient
avec des cierges allumés.
Nous avons répondu au concile elibertinus quand nous avons traité
du purgatoire. Il avait interdit les cierges car, cela se faisait
à la façon des païens qui cohabitaient avec les chrétiens. À
l’argument tiré de saint Augustin, je réponds qu’il appelle adorateurs
de sépulcres ceux qui offraient aux mânes des défunts le sacrifice
du pain et du vin et d’autres mets; qui se nourrissaient ensuite
de ces mets et s’enivraient. Car, c’est ainsi qu’il parle : « Je
connais les adorateurs de sépulcres, je sais qu’il y en a beaucoup qui
boivent comme des ivrognes sur les cadavres, qui s’ensevelissent sur
ceux qui ont été ensevelis, et appelle religion leur voracité et leur
ébriété. » Cela, saint Augustin l’a écrit au début de sa
conversion. Plus tard, il a dénoncé cette coutume, mais non comme
une idolâtrie. Car, (au livre 6, chapitre 2 de ses confessions),
il dit que sa mère avait coutume de faire cela par piété, mais que,
à Milan, elle en avait été détournée par les clercs de saint Ambroise.
Saint Ambroise avait prohibé cette coutume, même si les chrétiens
la pratiquaient sans faute, pour ne pas donner de prétexte à l’ébriété,
et parce qu’elle était apparentée aux superstitions des Gentils.
De même, dans sa cité de Dieu (livre 8, chapitre 27), saint Augustin
écrit qu’il est préférable que les chrétiens n’agissent pas ainsi,
même si ceux qui le font n’ont pas l’intention d’offrir un sacrifice
aux morts, mais de poser des mets, sur la tombe des saints, pour
que Dieu les sanctifie par les mérites des martyrs. Que saint Augustin
n’ait jamais pensé que c’était une mauvaise chose de vénérer les
sépulcres des saints, sa lettre 42 ( aux Mandorenses) nous le montre :
« Vous voyez les plus puissants et les plus nobles de l’empire,
après avoir déposé leurs diadèmes, supplier Dieu devant le tombeau
du pêcheur de Galilée. » Il est à noter que saint Augustin a
écrit cela à des idolâtres pour montrer que le culte des idolâtres
a été détruit par les chrétiens.
De plus, quand saint Augustin blâma les adorateurs de sépulcres,
il ne blâma certes pas saint Jean Chrysostome et saint Jérôme, mais
les foules ignorantes. Or, saint Jean Chrysostome (dans son
sermon sur les saints Juventius et Maximus), dit : « Nous adorons les
tombeaux des martyrs. » Et saint Jérôme (dans sa lettre à Marcella)
dit que les sépulcres et les cendres de saint Jean-Baptiste, d’Élisée
et d’Abdias sont adorés à bon droit par les fidèles de
Palestine. Gaudence Brixianus, l’égal de saint Ambroise,
(dans son traité 4 sur l’Exode) dit : « Les hommes ont d’abord commencé
à préparer pour les morts, des repas qu’ils mangeaient
eux-mêmes. Ils osèrent ensuite leur offrir des sacrifices sacrilèges,
même s’ils n’en sacrifiaient pas moins leurs parents aux morts.
Pendant qu’ils répandaient le vin sur les tables des sépulcres
avec leurs mains que l’ivresse faisait trembler, ils balbutiaient et
déliraient. » Il montre ici que cette coutume erratique était
une survivance païenne. Il se peut donc que certains aient continué
après leur conversion au christianisme à sacrifier aux morts, mais ce
n’est pas une raison pour abolir le culte envers les reliques.
Réponse au cinquième argument. Nous nions que les reliques qui étaient
présentées, dans les temples, à la vénération des fidèles, aient
été de fausses reliques. Car l’Église a toujours veillé avec le plus
grand soin à écarter et éventer les fraudes, et surtout après le décret
du concile de Latran, voulant qu’aucune relique ne soit reçue sans l’autorisation
du pontife romain. Au sujet du « si ce sont des martyrs » de saint
Augustin, je réponds qu’il ne faut pas se surprendre que saint Augustin
ait douté de certaines reliques que des hommes privés faisaient
circuler. Nous parlons, nous, des reliques qui sont conservées
dans les temples. Au sujet des nombreux corps de martyrs et de saints,
je dis que plusieurs parties de ces mêmes corps sont conservées dans
des endroits différents, et que chaque partie porte le nom du tout.
Car, comme l’écrit saint Basile (dans son discours sur les quarante
morts), on disait que ces martyrs étaient dans plusieurs places à la
fois, parce que chaque église en possédait une partie. Theodoret
dit au livre 8 des martyrs : « Il est rare qu’on trouve, en un endroit,
les corps des martyrs dans leur intégralité, car ils ont été coupés
en plusieurs morceaux, et distribués ici et là.
Enfin, saint Jean Chrysostome dans son livre sur la divinité du Christ,
dit que les apôtres Pierre et Paul reposent et à Rome, et à Constantinople,
même si, à Constantinople, ne se trouvait qu’une infime partie de leurs
corps. Car, que les corps de Pierre et de Paul aient été ensevelis à
Rome, le même saint Jean Chrysostome l’atteste dans son homélie 32
sur l’épitre aux Romains. Mais, écoutons ses paroles tirées
du texte cité : « C’est à Rome, qui de toutes les villes est la plus
royale, qu’après avoir tout abandonné, accourent aux sépulcres du
pêcheur et du faiseur de tentes, les rois, les chefs et les militaires.
Et, à Constantinople, nos empereurs estiment une grande faveur que leurs
corps soient ensevelis non près des apôtres, mais à l’extérieur de
leurs vestibules, et de devenir, eux, les rois, les portiers des pêcheurs.
»
CHAPITRE 5
Du mot image et idole
Vient ensuite la dispute sur le culte des images, qui comprendra huit
parties. On doit d’abord parler du nom image, du nom idole, et
des simulacres. On se demandera ensuite quels furent les ennemis
des images. Et : est-il permis d’avoir des images ? Ensuite, est-il permis
de leur rendre un culte ? Et, de quel culte s’agit-il ? À ces
parties, j’ajouterai un traité tripartite sur la croix. Nous traiterons
d’abord de la vraie croix du Christ; ensuite de l’image permanente
de la croix, puis du signe de la croix.
Commençons par les mots. Dans son trésor, Henri Stephanus écrit
au mot eidôlon que les ecclésiastiques appellent idole tout simulacre
représentant une divinité quelconque que nous jugeons digne de culte
et d’honneur. Il s’ensuit donc que, pour les ecclésiastiques, les
images du Christ et des saints et surtout de la très sainte trinité sont
à bon droit appelées idoles. Et si, par ecclésiastiques, Henri
entend ses docteurs, Calvin, Pierre martyr et les autres, il dit vrai,
car ils n’ont jamais appelé autrement nos images. Mais si, par
ecclésiastiques, il entend les saints pères, ou les apôtres ou les prophètes,
ce qu’il dit est d’une grande fausseté. Car, le
synode 7, (actes 5 et 7,) anathématise ceux qui appellent idoles
les images du Christ et des saints. Ensuite, Origène (homélie 8
sur l’Exode) et Theodoret (question 38 sur l’Exode) commentant Exode
20, « Tu ne feras pas d’idole (que les septante ont traduit par eidôlon),
et d’autre chose semblable », disent que la différence entre l’image
et l’idole consiste en ce que l’image est une vraie représentation
d’une chose, (comme quand nous peignons un homme ou un cheval, le mot
image venant du mot imitation), mais que l’idole est une fausse représentation,
c’est-à-dire la représentation d’une chose qui n’existe pas.
Les statues de Vénus et de Minerve faites par les païens étaient
des idoles parce qu’elles représentaient des dieux sexués qui n’existent
pas. Elles n’étaient donc pas de vraies représentations, mais
de fausses images, car, de toute évidence, ce qui n’existe pas ne peut
pas être représenté. C’est ce qui nous fait comprendre que les
images du Christ et des saints ne sont pas des idoles. Les images
de la trinité ou des anges ne sont pas non plus des idoles, car elles
n’ont pas pour but de représenter la nature de la trinité ou de celle
des anges, mais à exprimer une forme dans laquelle ils sont apparus, ou
une de leurs propriétés.
Que ce soit cela, selon les ecclésiastiques, la véritable différence
entre ces deux mots, on le prouve d’abord par l’Écriture qui n’a
jamais donné le nom d’idole à une vraie image, mais seulement aux simulacres
des Gentils, qui représentaient de faux dieux. L’Écriture appelle
le Fils de Dieu l’image du Père, (Sagesse 7, Coloss 1, et aux Hébreux
1). Elle ne l’appelle jamais l’idole du Père. Et, à 3
Rois 7, on dit que, pour orner le temple, Salomon a fait des images de
Chérubins sous forme humaine. Il a fait aussi des images de lions,
de bœufs, de palmes, de fruits, de fleurs, qui ne sont jamais appelés
des idoles parce qu’elles étaient de vraies représentations des choses.
Deuxièmement, parce que l’Écriture de l’ancien testament appelle
ordinairement idole (mot hébreu) comme au Lévitique 19, 26, et ailleurs
comme Nombres 23, Osée 6, etc. Ce mot hébreux signifie vain, faux,
ou vain et mensonger. Elle appelle même le mot hébreu
idole mensonge, comme le note saint Jérôme dans Osée, chapitre 7, où
l’on voit que le mot idole signifie toujours quelque chose de faux.
Habacuc 2 : « Quel profit le sculpteur tire-t-il de son idole, qui n’est
qu’une invention et une image fausse ? Le mot idole est clairement
défini comme une image fausse. Platon dit quelque chose de
semblable dans Theetete : (mots grecs). Ce qui veut dire : « ils
font plus de cas des mensonges et des idoles que de la vérité. » Dans
ce texte, Platon joint l’idole avec le mensonge, et l’oppose à la
vérité.
Troisièmement, saint Paul (dans 1 Corinthiens 8) dit : « Nous savons
qu’une idole n’est rien dans le monde. » Il dit ici, qu’une
idole n’est rien, parce que, bien qu’elle soit quelque chose selon
la matière, elle n’est rien formellement, puisqu’elle représente
ce qui n’est rien. Elle n’est donc pas une vraie représentation,
et en conséquence, elle n’existe tout simplement pas. Saint
Jérôme présente quelque chose de semblable au chapitre 7 d’Osée,
pour prouver qu’une idole n’est rien. Car, il est dit dans Esther,
14 : « Tu ne livreras pas ton sceptre à ceux qui ne sont rien », c’est-à-dire
les idoles. Quatrièmement. Saint Jérôme (chapitre 2 d’Habacuch,
et au chapitre 13 de Zacharie, et ailleurs, compare les hérésies avec
les idoles, car, comme l’idole est une fausse image, l’hérésie est
une fausse imagination.
Cinquièmement. Ce que le mot exprime par lui-même. Comme Tertullien
l’enseigne (dans son livre sur l’idolâtrie), l’idole est un diminutif
de eidos, c’est-à-dire forme, et signifie une forme petite, non en quantité
seulement, mais en perfection. Car, l’idole est proprement
(comme l’explique Eusthatius dans le livre 11 sur l’Odyssée), une
image vaine, comme celle qu’on voit dans l’ombre d’un homme, et comme
sont les phantasmes, c’est-à-dire les images que notre imagination fabrique,
qui ne correspondent souvent à rien dans la réalité. Et comme
sont les spectres et les ombres des morts, qui paraissent solides, mais
sont vaporeuses. Voilà pourquoi Homère (dans Odyssée 11)
et Lucien (dans le dialogue sur les morts), appellent les âmes des morts
des eidôla. Et Virgile, dans le sixième livre des Énéides, semble expliquer
la même chose.
Ce qu’Homère et Lucien appellent eidola, il les appelle lui
des ombres, et des images vaines et inutiles. En conséquence, parce que
le mot idole, de par sa signification propre et première, désigne une
image vaine, c’est pour cette raison que les écrivains sacrés
et les docteurs ont appelé idoles les statues des faux dieux. Car,
bien qu’elles soient solides matériellement, elles sont vaines formellement,
c’est-à-dire vaines en rapport avec la représentation. Que cela
suffise pour le mot idole.
Le mot simulacre est un peu plus commun à tous. Car, Lactance
(livre 6, chapitre 10 et 13, sur le vrai culte), appelle l’homme un simulacre
de Dieu, et (au livre 2, chapitre 2, de l’origine de l’erreur),
il déclare que le mot simulacre vient de similitude, et que toute
vraie image peut être dite un simulacre. Mais ce que les autres
disent semblent être plus vrai, ceux qui disent que le mot simulacre ne
vient pas de similitude mais de simulation. Car, dans les Écritures,
partout, le mot simulacre signifie idole. Car, à chaque fois que
le traducteur latin a mis le mot simulacres (Actes 15, psaume 113, 1 Jean,
dernier chapitre), on trouve toujours en grec le mot eidôla. Et,
dans le psaume 135, saint Augustin dit : « Les latins appellent
simulacres ce que les Grecs appellent idoles. » Saint Jérôme,
également, dans le chapitre 7 d’Osée, dit que le simulacre s’oppose
à Dieu comme un mensonge s’oppose à la vérité, parce que le simulacre
se réfère à un faux dieu. Enfin, comme Homère et Lucien appellent
idoles les ombres des morts, qui semblent des corps solides, mais
qui ne le sont pas, de même Lucrèce (livre 4), et Virgile (livre 4 des
Georgiques, et au livre 6 des Énéades), appellent simulacres les mêmes
ombres des morts.
2018 08 20 fin
2018 08 30 20h14_1 debut
CHAPITRE 6
Les princes des iconoclastes
Les premiers iconoclastes furent tous des Juifs, des Mahométans,
ou des Mages, ou des hérétiques manifestes, de sorte que ceux qui, à
notre époque, combattent les images ne peuvent nier que leurs prédécesseurs
et leurs ancêtres ont tous été des impies. Alphonse de Castro
attribue cette erreur à un certain Félix, qu’il dit avoir été
condamné au concile de Franconie, au témoignage de Platina, dans Adrien
1. Mais on ne peut pas savoir de quel Félix il s’agit.
Il l’a attribuée aussi à Serenus, évêque de Marseille, que Grégoire
a réprouvé (livre 7, épitre 109, et livre 9, épitre 9.) Il l’attribue
ensuite à Épiphane, dans l’épitre qu’il écrivit à Jean de Jérusalem.
Mais aucun de ceux-là (n’en déplaise à Alphonse), n’est tombé dans
cette erreur. Car, le Félix condamné dans le concile de Francfort est
l’évêque Félix urgelitanus. Ce Félix-là (comme le montrent la chronique
d’Adon, et le livre 1 sur Jonas), a enseigné seulement que le Christ
était un fils adoptif de Dieu. Mais, parce que, au même temps,
le même concile avait réprouvé le pseudo concile des Grecs contre les
images, Platine et Alphonse ont pensé que l’hérésie de Félix était
une hérésie iconoclaste.
Serenus, il est vrai, a brisé des images, mais il ne faut quand
même pas en faire un hérétique iconoclaste. La raison pour laquelle
il a brisé des images c’est qu’il voyait des chrétiens nouvellement
convertis les adorer comme des dieux. Voilà pourquoi saint
Grégoire a loué son zèle et sa foi. Il ne lui a reproché que sa témérité,
car il a osé faire ce qu’aucun évêque n’aurait jamais fait.
Il lui mande ensuite d’expliquer pourquoi l’Église met des images
dans les églises, et, après avoir donné un enseignement suffisant, de
replacer les images dans le temple. Il n’y avait pas lieu, comme
le voudrait Castro, de trouver une excuse à l’hérésie de Serenus et
d’Épiphane, parce que la chose n’avait pas encore été déterminée.
On aurait raison de dire que la chose était suffisamment déterminée
par l’usage de toute l’église, mais ils ne dirent ou ne firent rien
contre la foi ou la vérité. Et surtout Épiphane, qui a été purgé
de tout soupçon d’erreur iconoclaste dans le synode 6 (acte 6, tome
5). Nous en reparlerons plus loin. Ce n’est certes pas sans témérité
et sans préjugé envers la foi catholique qu’on attribue à de si grands
hommes des erreurs aussi crasses.
Nicolas Sanderus (livre 1, chapitre ultime, sur les images) dit
que les manichéens furent les premiers iconoclastes. C’est, en
effet, ce que semble vouloir dire Tharasius dans le septième synode, et
ce que dit Faust, d’après saint Augustin (livre 20, chapitre 3 contre
Faust.) : « Il se glorifie que les hommes de sa secte honorent Dieu sans
simulacres. » Mais, en est-il vraiment ainsi, j’en doute fortement.
Car, Tharasius (synode 7, acte 5) ne dit pas que les manichéens ont rejeté
les images, mais il dit que, quand ils répudient les images,
les iconoclastes ressemblent aux manichéens qui soutenaient que
le Christ n’avait pas de vrai corps. Car, celui qui nie qu’on
puisse peindre le Christ semble penser qu’il n’a pas de vrai corps.
Voilà pourquoi le Faustus que nous présente saint Augustin
ne parle pas des images des saints, mais seulement des images de Dieu.
Voilà pourquoi également Faustus ne reproche pas aux catholiques d’avoir
des images, et saint Augustin ne reproche pas aux manichéens de ne pas
avoir d’images.
Donc, les premiers iconoclastes sont les Juifs, qui dans le Talmud
édité en l’an 476 (ord. 2, tract 1, dist 2) enseignent en toutes lettres
que les églises des chrétiens sont des maisons d’idolâtrie.
Que cela a été dit à cause des images, le septième synode nous le laisse
à penser puisqu’il appelle souvent les hébreux des iconoclastes.
Les dialogues de Léonce, également, où un Juif discute avec un
chrétien sur les images.
Au temps de l’empereur Zénon, a vécu un certain Xenajas,
qui a été le premier des iconoclastes, d’après Nicéphore (livre 16,
chapitre 27), et Cedrenus (dans sa somme). Ce Xenajas était un perse
et un barbare, et même un esclave fugitif. Et sans avoir
été baptisé, il fit semblant d’être un chrétien, et parvint même
à l’épiscopat. Mais, bien qu’il ait enseigné de ne pas vénérer
les images, on ne lit pas qu’il parvint à en persuader un grand nombre.
Et cent ans après, sous l’empereur Justin junior, les samaritains firent
irruption dans une église, et se sont comportés comme des vandales
envers les images du Christ et des saints, comme nous le révèle l’épitre
de l’ermite Siméon à l’empereur Justin (synode 7, acte 5.)
Un peu après l’an du Seigneur 600, est né Mahomet qui ne permit
aux hommes de sa secte, aucune image dans leurs églises, (Alcoran, chapitres
15 et 17), comme l’expérience nous l’enseigne d’ailleurs.
Les Turcs non plus, n’ont pas d’images, et, à cause de notre culte
des images, ils nous considèrent comme des idolâtres. Et, après
l’année 700, un hébreu maléfique promit trente ans de vie au roi arabe
mahométan Exidiius si, dans tout son empire, il ordonnait d’enlever
et de bruler les images du Christ et des saints qui se trouvent dans les
églises. Mais, comme les chrétiens n’obéirent pas à ses ordres,
il envoya des arabes et des hébreux dans les églises qui accomplirent
sans sourciller la sale besogne. Or le roi Exidius mourut l’année
suivante. Et l’Hébreux en question a été contraint, par le nouveau
roi, de subir la mort la plus honteuse. Cette histoire est
racontée par le synode 7, acte 5, ainsi que par Cedrenus, Zonora,
et Niceta dans la vie de Léon Isaurien.
Un peu après, l’empereur Léon Isaurus a été persuadé par
les Juifs de faire la même chose. Par un édit public, il ordonnait
d’expulser des temples et de détruire toutes les images. Et il
dit qu’il fallait tuer ceux qui résistaient, si nombreux fussent-ils.
C’est alors qu’a été inventé le mot iconoclasme. Les auteurs en
sont Cedrenus, Zonaras, Paul diacre, etc. Il fut le premier chrétien
à partir en guerre contre les images. Car, même si Philippicus,
au témoignage du diacre Paul, déposa les images des six synodes, ce n’est
pas en haine des images qu’il fit cela, mais en haine du sixième synode.
Car, Philippe fut un monothélite et non un iconoclaste. Si l’empereur
a mal agi ou bien, on peut en juger par le fait qu’il a préféré, dans
cette question, adhérer aux conseils des Juifs maléfiques plutôt qu’à
ceux du pape saint Grégoire et de saint Germain, patriarche de Constantinople
qui siégeaient, et qui résistèrent énergiquement à l’empereur. Que
le pape d’alors était bien saint Grégoire et le patriarche de Constantinople
saint Germain, tous les historiens, autant grecs que latins, l’attestent.
Résistèrent aussi à Léon douze sages qui étaient nourris aux frais
du gouvernement, et qui étaient les meilleurs et les plus sages.
Léon les fit mourir en mettant le feu à leur maison et à leur bibliothèque.
Voir Zonaras dans la vie de ce Léon.
Le fils de ce Léon, Constantin Copronyme suivit son père dans
son impiété. En signe de sa future impiété, la fontaine sacrée, lors
de son baptême, émit une odeur de fumier. Il fut de plus
un nécromancien, et un hérétique nestorien, car il ne croyait pas que
Marie était mère de Dieu, comme le rapportent Zonara et Cedrenus. Sanderus
nous avertit que Guillaume Xilandrus n’a pas, dans cette histoire, traduit
fidèlement les paroles de Cedrenus. Car là où Cedrenus a écrit
que Constantin avait exigé de tous ses sujets, qu’ils fassent serment
« de ne jamais adorer d’images », il a traduit les mots grecs employés
par « de ne faire de supplications à aucun simulacre. » Or, les chrétiens
avaient coutume de vénérer les images, non de les supplier comme si elles
étaient vivantes et intelligentes. Mais il n’est pas étonnant
que celui qui n’a pas foi en Dieu soit sans foi quand il traduit des
livres.
Ensuite, après l’an 800, après une certaine accalmie, la
guerre contre les images a été relancée par l’empereur Leon Armemius.
Et ceux qui lui succédèrent, Michaële Balbo et Theophilo qui furent
tous les deux très mauvais, adhérèrent finalement à la secte judaïque,
et s’adonnèrent à la nécromancie, comme l’attestent Cedrenus et
Zonaras dans leurs vies. Au même moment où Theoplile, en Orient,
attaquait les images, vécut, en Occident, sous l’empereur Louis le pieux,
fils de Charlemagne, l’espagnol Claude, évêque de Taurinensis, disciple
de Felix urgelitanus qui fit enlever, dans son diocèse, toutes les images
et toutes les croix de toutes les églises. C’était un homme ignorant
et orgueilleux, comme il appert de son libelle qui a été inséré dans
les livres de Jonas. Il s’est efforcé de ranimer l’hérésie
arienne déjà ensevelie.
Et puis, en l’année 1372, est apparu Jean Wiclef qui ne blâma
qu’en passant la vénération des images, mais ses disciples combattirent
les images avec plus de hargne. Voir Thomas Waldensis (tome 3, tit,
19). Claudius Coussordius attribue la même erreur aux Waldenses,
dans son livre contre les Wldenses, dernier article. Jean Cochlaeus
(livre 3 de son histoire des Hussites), écrit que l’image du Christ
crucifié a été jetée par Jérôme de Prague, et polluée
par du fumier, pendant que dans sa cellule, il adorait l’image de Wiclef
couronné d’un diadème. Ensuite, en notre siècle, le premier à avoir
enlevé les images des temples fut Andreas Carolstad, en l’an 1522, comme
l’atteste Jean Cochlaeus dans sa vie de Luther. Luther blâma l’auteur,
même s’il approuvait ce qu’il avait dit, parce qu’il avait agi ainsi
sans en avoir reçu le pouvoir et l’autorisation de Luther.
De même, les Zwigliens, luttèrent contre les images, comme l’écrit
Cochlaeus dans les actes de Luther de l’année 1526. Philippe aussi,
expliquant le décalogue dans les lieux communs, réprouve la vénération
des images. De même, les magdebourgeois (centurie 8, souvent, mais
surtout aux chapitres 9 et 10.) Enfin, Jean Calvin (livre 1, chapitre 11,
livre 4, chapitre 9, verset 9), réprouve avec acharnement le culte
des images. Et les calvinistes, partout où ils le peuvent, détruisent,
brulent et enfouissent les images.
CHAPITRE 7
Il est permis de faire et d’avoir des images
Cela étant dit, pour montrer que l’usage des images est permis
aux chrétiens, nous allons présenter et réfuter les erreurs qui s’y
rapportent. La première erreur est celle des Juifs, qui était,
avant le Christ, très enclins à l’idolâtrie, et qui, après le Christ,
sont, par superstition, contre les images. Car, ils disent qu’il
est interdit, de droit divin, de faire des images, au témoignage
de Paul Burgens. Il ajoute ( 2 à Lyre, sur le chapitre 20
de l’Exode), que les Wiclefistes enseignent la même chose, (d’après
Waldenses, tome 3, titre 19, chapitre 152.) La raison qu’ils donnent
est qu’il est dit dans Exode 20 : « Tu ne te feras pas de sculpture,
ni non plus d’image. » Or, c’est une erreur manifeste.
Car, il est certain que n’est pas prohibée dans le décalogue toute
image, mais celle-là seule qu’on peut appeler idole, c’est-à-dire
une image qui représente une divinité, ou qui présente comme dieu un
être qui ne l’est pas. Car, quand il est dit : « Tu n’auras
pas de dieux étrangers », c’est l’acte intérieur d’idolâtrie
qui est prohibé. Quand on dit : « Tu ne feras pas de statue »,
c’est l’acte extérieur qui est prohibé. Voir saint Augustin
sur la question 71 dans l’Exode.
On prouve cette sentence. D’abord, si c’était n’importe
laquelle image qui était prohibée, il s’ensuivrait que les préceptes
du décalogue ne seraient pas seulement dix, mais onze ou douze (Exode
31, 34,), Deutéronome (4, 9, et 10). Car il est avéré que
le premier commandement est : « Tu n’auras pas de dieux étrangers.
» Le deuxième : « Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain ». Le troisième
: « Tu sanctifieras le sabbat. » Le quatrième : « Honore des
parents. » Le cinquième : « Tu ne tueras pas. » Le sixième :
« Tu ne commettras pas d’adultère. » Le septième : «
Tu ne voleras pas. » Le huitième : « Tu ne diras pas de faux témoignages.
» Le neuvième : « Tu ne convoiteras pas ». Ces neuf sont distincts,
sans aucune controverse.
Mais le « tu ne convoiteras pas » doit être divisé en deux
: tu ne convoiteras pas la femme d’autrui; tu ne convoiteras pas les
biens d’autrui. Si on ajoute : « tu ne te feras pas de statue
», on aura un onzième commandement, ou il faudra dire qu’il ne se distingue
pas du premier, comme l’enseignent Clément d’Alexandrie (livre 6,
strom), saint Augustin (question 71 sur l’Exode, et épitre 119, chapitre
11, et l’ensemble des scolastiques (3 sent, dist 37), et tous les catéchismes
latins. Mais alors, on ne prohibe pas les sculptures en général, mais
seulement celles qui représentent des dieux étrangers.
Si le « tu ne convoiteras pas » ne forme qu’un seul commandement
(qui inclut les personnes et les biens), comme l’estiment Philo (livre
sur le décalogue, avant le milieu, Joseph (livre 3 de l’antiquité,
chapitres 6 et 8) Origène (homélie 8 sur l’Exode), Ambroise et Jérôme
(chapitre 6, Éphésiens), Procopius et Rupert (chapitre 20, Exode), alors,
tous les mots qui suivent seront un seul précepte : tu ne te feras
pas de sculpture, tu ne les adoreras pas. Mais il est évident que
faire des images et adorer des images sont deux choses distinctes.
Car quelqu’un peut adorer une statue qu’il n’a pas faite, et ne pas
adorer une statue qu’il a faite. Une seule de ces choses est donc
interdite, car, autrement il y aurait onze préceptes. Or, il est
certain que le culte des images est prohibé. La fabrication ne l’est
donc pas, mais seulement celle qui se rapporte au culte. En conséquence,
pèche celui qui fait une statue pour qu’elle soit adorée, mais non
celui qui en fait une pour un autre usage.
On prouve ensuite par la loi divine que les images ne sont pas
interdites absolument, du fait que, dans l’Écriture, des images ont
été faites sur l’ordre de Dieu. Dans l’Exode 25, Dieu ordonna
de faire des images de chérubins sur l’arche. À Nombres 21, il
ordonna de faire un serpent d’airain. À 3 Rois, 6 et 7, il ordonna de
faire des chérubins, des bœufs, des lions et d’autres choses.
Les Juifs répondent que c’est Dieu qui l’a prescrit aux hommes, non
les hommes à eux-mêmes. De plus, il a ordonné qu’on construise
des images comme il avait interdit le vol; et pourtant, il a ordonné aux
Juifs de voler les Égyptiens (Exode 12).
Mais, au contraire, les préceptes du décalogue sont des formulations
du droit naturel, à l’exception de celui du sabbat. Or, les choses
qui sont prohibées par le droit naturel le sont parce qu’elles sont
mauvaises en soi. Elles ne sont pas mauvaises parce qu’elles ont
été interdites; et elles ne peuvent donc pas être commandées par Dieu
lui-même. Dieu n’a jamais commandé le vol, mais, en tant que
Seigneur, il a donné aux Juifs les biens des Égyptiens. De plus,
si les images étaient interdites, ce serait surement à cause du danger
d’idolâtrie. Or, le danger serait le même si Dieu ordonnait qu’on
en fasse. Il serait même encore plus grand parce qu’elles sembleraient
plus divines, comme il est arrivé pour le serpent d’airain (4 Rois 18).
Dieu n’a donc pas prohibé les images d’une façon absolue.
On le prouve, en troisième lieu, parce qu’on ne considère
jamais comme prohibé ce qui n’est, en aucune façon, contraire à la
fin de la loi. Or, la fin des préceptes de la première table
est que l’honneur de Dieu soit conservé sans tache, comme on le constate
par le début du décalogue : « C’es moi qui suis le Seigneur ton Dieu.
» De même, de cette menace : « Je suis un Dieu jaloux. »
Et de l’explication d’Exode 20 : « Ne faites pas, avec moi, des dieux
en or, en argent. » De même, du Lévitique 26 : « Ne faites pas
de sculpture ou d’idole pour les adorer. » De même, d’Isaïe
42 : « Moi, le Seigneur, je ne donnerai pas ma gloire à un autre, et
ma louange aux statues. » Donc, une statue qui n’est pas faire
pour être vénérée n’est pas contraire à l’honneur de Dieu.
Elle n’est donc pas prohibée.
Tu diras qu’une image est une occasion d’idolâtrie.
Je réponds que même le soleil et la lune, et beaucoup d’autres choses
le sont, mais par accident. Quatrièmement. L’art de
peindre et de sculpter est quelque chose de bon, et vient donc de Dieu,
comme on le voit dans Exode 31 et 35, où il est dit que Dieu a donné
à deux hommes, Beseleel et Ooliab, son esprit, la sagesse et la science
de la sculpture, et la capacité de concevoir divers ornements pour le
tabernacle. Cinquièmement. Dieu est le premier auteur
de toutes les images naturelles et artificielles, car c’est Lui qui engendra
un Fils à son image, et qui forma l’homme à son image.
Sixièmement, l’image est selon la nature, et est nécessaire.
Car, toutes les choses naturelles produisent quelque chose qui leur est
semblable, c’est-à-dire une image d’elles-mêmes. C’est par des
images que l’homme connait, soit avec ses sens ou son intelligence. Nous
ne pouvons pas marcher dans la lumière sans que nos corps produisent une
ombre, qui est une image de notre corps. Les vêtements eux-mêmes
sont des images de notre corps, et ils ont été faits pour le recouvrir.
De plus, au temps du Christ, les Juifs avaient l’image de César sur
leur monnaie (Matthiieu 22), et, même aujourd’hui, ils conservent les
images des princes sur les pièces d’argent. Comment peuvent-ils
donc dire qu’on ne peut faire aucune image ? Ils changeraient sans
doute d’idée si on cherchait à leur enlever les images qui se trouvent
sur leur monnaie.
La seconde opinion est celle d’Ambroise Cathare (dans son opuscule
sur les images), où il enseigne que Dieu, dans le décalogue a prohibé
toutes les images absolument et universellement; mais que ce précepte
a été positif et temporaire. Car, quand Dieu a ordonné de faire
des images de Chérubins, c’était pour montrer que les images n’étaient
pas mauvaises en soi, mais mauvaise seulement parce que prohibées, et
pour ne pas préjuger du nouveau testament dans lequel les images seraient
permises. Mais cette opinion nous ne l’approuvons pas et à cause
des arguments que nous venons de présenter contre les Juifs, et parce
que saint Irénée (livre 4, chapitres 31 et 32), enseigne que le décalogue
est la loi naturelle, à l’exception du précepte sur le sabbat.
Et Tertullien (dans le livre de l’idololâtrie), soutient que nous devons
plus que jamais observer ce précepte. Enseigne la même chose saint
Cyprien (livre 3 , chapitre 59 à Quirinus, et dans l’exhortation au
martyre, chapitre 1), et saint Augustin affirme souvent que tout
le décalogue toit être observé par les chrétiens, à l’exception
de la loi sur le sabbat, et même aussi : tu ne feras pas d’idole.
Voir aussi livre 15 (contre Faust, chapitres 4 et 7, livre
19, chapitre 18, livre 3, contre 2 épitre contre Pelagianus, chapitre
4). Saint Thomas dit la même chose (2, 2, quest 122, articles
1 et 4). Donc, si dans le décalogue les images étaient prohibées,
les chrétiens pècheraient en gardant des images.
Tu diras que dans le décalogue le précepte sur le sabbat est
positif au moins en partie. Rien n’empêche donc que le commandement
interdisant les images soit positif en partie lui aussi. Je réponds
que, dans le précepte du sabbat, rien n’indique qu’il soit positif.
Car, d’abord il est précédé de « souviens-toi ». Car, comme
ce précepte n’était pas un précepte naturel, il pouvait d’autant
plus facilement être oublié par les Israélites. Ensuite,
on donne la raison du précepte : parce que le Seigneur s’est reposé
le septième jour. Pour les autres commandements, on ne s’est pas
cru obligé de donner des raisons explicatrices, car ils étaient naturels.
De plus, Irénée, Augustin et Thomas n’excluent clairement que
le sabbat des préceptes naturels du décalogue.
La troisième opinion est celle de Cajetan (au chapitre 20 de
l’Exode) qui enseigne qu’il n’est pas interdit de faire des images
en général, mais seulement celles qui représentent leurs dieux.
Et il le prouve en faisant observer qu’on n’a pas dit : tu ne feras
pas de sculpture, mais tu ne te feras pas d’idole. Cette
sentence déplait seulement dans la façon de s’exprimer, car, pour Cajetan,
l’idole et l’image sont la même chose quand elles sont fausses, comme
on l’a montré plus haut. Il semble donc enseigner qu’il est
permis à un sculpteur de faire des statues de dieux, pourvu qu’elles
ne soient pas ses dieux à lui. Mais Tertullien (dans out son livre
sur l’idolâtrie), prouve avec des raison convaincantes, qu’il est
interdit aux peintres ou aux sculpteurs chrétiens de reproduire
des idoles des Gentils. Et l’Église célèbre le 8 novembre, le
martyre des saints Claude, Nicostrate et leurs compagnons qui ont été
tués parce qu’ils ont refusé de sculpter des statues de Jupiter et
de Vénus, bien qu’ils aient été de grands statuaires. Cajetan
ne nierait pas cela non plus, car (à 2,2, question 10, article 4, il enseigne
qu’il n’est pas permis de vendre des idoles aux païens. Il a
donc parlé un peu imprudemment dans son commentaire de l’Exode.
Le pronom « à toi » ne permet pas de rien conclure, car c’est un hébraïsme,
un mot redondant, comme en Genèse 11, et dans les cantiques des cantiques.
CHAPITRE 8
Les images de Dieu ne sont pas prohibées
La quatrième opinion est celle de Calvin (livre 5, chapitre
11) où il dit, d’abord, qu’il est défendu de représenter le Dieu
invisible et incorporel par une image visible et corporelle. Il dit
ensuite que les images du Christ et des saints ne sont pas prohibées absolument,
mais qu’elles ne doivent pas être placées dans les temples. Il
ajoute que les histoires peintes ont leur raison d’être pour l’instruction,
mais que, sans annotations, les images du Christ et des saints ne servent
à rien sinon à plaire à l’œil, et sont donc faites inutilement.
Commençons par sa première opinion qui veut qu’on ne puisse pas
peindre d’image sur Dieu. D’abord, parce que dans l’Exode 20,
toute image de Dieu est prohibée. Car, après que l’Écriture
eut dit : tu ne te feras ni sculpture ni image, elle ajoute une explication
un peu plus bas : « Ne faites pas, avec moi, des dieux d’or et d’argent.
» C’est-à-dire, ne faites pas d’images d’or ou d’argent
qui représentent Dieu. Et, au Deutéronome 4 : « Souviens-toi que
le Seigneur t’a parlé sur le mont Oreb, tu as entendu le son de ces
paroles, mais tu n’as vu aucune image. Surveille-toi donc pour
que tu ne sois faussement induit à produire aucune image. » Et
Isaïe 40 : « À qui avez-vous rendu Dieu semblable ? Ou quelle image
lui avez-vous imposée ? Et, au chapitre 46 : « À qui m’avez-vous assimilé
ou égalé, ou comparé ? À qui m’avez-vous rendu semblable ?
Vous qui vous procurez de l’or et pesez de l’argent et allez
voir un statuaire pour qu’il en fasse un dieu. » Ensuite, Actes
17 : « Paul dit : « Comme nous sommes de la race de Dieu, il ne faut
pas penser que ce qu’il y a de divin dans la pensée de l’homme soit
comparable à de l’or, de l’argent ou des pierres précieuses, ou à
l’art des sculpteurs. »
Il le prouve ensuite à partir du concile elibertin, canon 36
: « Il a plu au concile qu’il n’y ait pas de tableaux dans les temples,
et qu’on ne peigne pas sur les murs ce que l’on vénère ou adore.
» Il le prouve, en troisième lieu, avec les pères. Car Eusèbe
(au livre de la préparation évangélique, chapitre 6, et livre 2, chapitre
8) et Lactance (livre 1, chapitre 15, des institutions divines), écrivent
que tous ceux dont nous voyons les simulacres ont été des hommes mortels.
Il n’y avait donc aucun simulacre du Dieu immortel. De même
saint Augustin (sur la foi et le symbole, chapitre 7) dit qu’il
est défendu de conserver des simulacres de Dieu. De plus, le même
saint Augustin (livre 4, chapitres 13 et 31 de la cité de Dieu) rapporte
que Varron a dit que les premiers qui ont introduit des simulacres des
dieux ont diminué la peur et augmenté l’erreur. Et, au livre 6, chapitre
10, il rapportait une récrimination de Sénèque qui se plaignait que
les dieux inviolables soient confiés à de la matière vile et ignoble.
Il aurait pu ajouter aussi qu’Origène (livre 7 contre Celse, à la fin)
et Jean Damascène (livre 4, chapitre 17 sur la foi) enseignent que les
chrétiens n’ont aucune image de Dieu, puisqu’il est invisible et incorporel.
Ensuite, les pères du concile 7 (actes 4, 5, 6) ont dit que le Christ
est peint licitement parce qu’il est un homme, mais que Dieu, on ne peut
pas le peindre.
Quatrièmement. Il le prouve par le danger de l’erreur.
Car, même si saint Grégoire a écrit que les images sont les livres des
ignorants, l’écriture appelle une image en bois une doctrine de vanité,
(Jérémie 10), un docteur de mensonge, Habacuc 2) : «
Si donc, conclut Calvin, Grégoire avait été éduqué dans l’école
de l’Esprit Saint, il n’aurait jamais dit qu’une image est le livres
des ignorants. » Cinquièmement. Il le prouve par la raison,
car on ne peut pas faire une vraie image corporelle d’une chose incorporelle.
Ajoutons enfin qu’on fait des images des absents, alors que Dieu est
présent partout. Cette opinion de Calvin est aussi celle de
quelques catholiques comme Abulens (chapitre 4, question 5 sur le Deutéronome),
Durand (3, dist 9. Quest 2) et Peresius (part 3 dans le traité des images),
qui enseignent qu’on ne peut pas licitement faire d’image de Dieu,
que l’Église peut le tolérer, mais non l’approuver.
Je réponds aux trois. Il n’est pas aussi certain qu’on
puisse faire des images de Dieu et de la trinité, comme il l’est qu’on
peut faire des images du Christ et des saints. Tous les catholiques
sont d’accord sur le dernier point, et le considèrent de foi.
Le premier point est du domaine des opinions Il faut ensuite
admirer la fraude et l’astuce de Calvin, lui qui, après avoir prouvé
qu’on ne doit pas faire d’images de Dieu, généralise tout d’un
coup et chante victoire comme s’il avait prouvé qu’il n’est pas
permis de faire ou de vénérer une image. Troisièmement je dis
qu’il est même permis de peindre l’image de Dieu le père sous la
forme d’un vieillard, et l’Esprit saint sous la forme d’une colombe,
comme l’enseignent Cajetan (dans 3 p q.25, article 3), Ambroise Catharin
(dans le livre sur le culte des images), Diego Payva
(dernier livre contre Kemnitius), Nicolas Sanderus (dans son travail sur
le culte des images), Tomas Waldensis (tome 3, tit 19, chapitre 155).
Mais cela nous le prouvons ainsi.
Premièrement, les anges sont incorporels, mais sont cependant
peints et sculptés dans l’ancien testament (Exode 25, 3, Rois, 6).
Voilà pourquoi Dieu peut être peint même s’il est incorporel.
Calvin répond que cela a été fait dans l’ancien testament
à des fins pédagogiques, mais que ce siècle enfantin est terminé.
Or, nous, nous ne nous demandons pas pour quelle raison cela a été fait,
mais nous en concluons qu’on peut peindre un être incorporel.
Et puisque c’était pour instruire le peuple qu’on peignait des anges,
pourquoi ne pourrions-nous pas peindre Dieu pour les mêmes raisons ?
Car, même si ce siècle est disparu, qui pouvait être appelé enfantin
par rapport au nôtre, notre siècle peut être appelé enfantin lui aussi
par rapport au siècle futur du ciel.
Deuxièmement. Dieu a été vu sous une forme corporelle.
Car, à Adam il apparut comme un homme déambulant dans le paradis (Genèse
3).
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Jacob vit Dieu au sommet de l’échelle, et donc sous une forme corporelle
(Genèse 28). Moïse a vu le derrière de Dieu, c’est-à-dire
le dos et les jambes (Exode 33). Isaïe, au chapitre 6, et Michée
au chapitre 6, et au dernier chapitre des Rois, virent le Seigneur assis
sur son trône sous la forme d’un roi. Et Amos, chapitre 9,
a vu le Seigneur debout au-dessus de l’autel. Daniel, chapitre
7, l’a vu assis sur son trône, a décrit sa tête et ses cheveux, ainsi
que ses vêtements qui étaient blancs. Le Saint Esprit est apparu
sous la forme d’une colombe (Matthieu 3). Ensuite, les anges
sont fréquemment apparus sous une forme humaine.(Genèse 18 et 19, et
dans le livre de Tobie). On a les a vus avec des ailes, comme dans
Isaïe 6, et Daniel 7, en en robe blanche (Matth dernier chapitre,
Luc dernier chapitre, et Jean 20. » Qu’est-ce qui peut bien
empêcher qu’on les peigne ?
Calvin répond. Que pendant un certain temps Dieu se soit montré
dans une forme humaine ce fut un prélude de l’incarnation. La
colombe est aussitôt disparue pour indiquer que l’Esprit Saint est invisible.
Mais, quel rapport ? Nous ne cherchons pas à savoir pour quelle raison
ou à quel moment Dieu s’est manifesté sous une forme corporelle, mais
nous soutenons que Dieu peut être peint sous la forme avec laquelle il
s’est montré à nous. Et ce n’est pas vrai qu’une manifestation
de Dieu sous une forme visible ait toujours été un prélude de l’incarnation,
car le Père et le Saint-Esprit se sont manifestés ainsi sans s’être
jamais incarnés. Saint Augustin (livre 2, chapitre 11 de la Trinité),
estime que dans les trois hommes qui sont venus visiter Abraham (Genèse
18), ce sont les trois personnes de la Trinité qui sont apparues.
Et au même livre, dernier chapitre, il prouve que, dans le chapitre 7
de Daniel, c’est la personne du Père qui est apparue sous forme
humaine, là où nous lisons que l’Ancien des jours est assis sur son
trône, et qu’il a livré le royaume au fils de l’homme, le Christ.
Et pourtant ni le Père ni toute la trinité ne se sont incarnés
Troisièmement. L’Écriture a attribué en paroles à Dieu
tous les membres humains, quand elle dit qu’il se tient debout, qu’il
s’assoit, qu’il marche. Elle nomme sa tête, ses pieds, ses bras;
elle leur attribue un lieu, un trône, un escabeau. Pourquoi ne pourrait-on
pas peindre ce que peint l’Écriture ? Ils répondent que l’Écriture
pouvait sans danger attribuer des membres à Dieu parce que, à d’autres
endroits, elle affirme qu’il est incorporel. Mais pourquoi,
je le demande, la même Écriture n’aurait-elle pas pu empêcher l’erreur
de la peinture ? Car, comme nous apprenons par l’Écriture
que les membres qui sont attribués à Dieu le sont d’une façon métaphorique,
nous apprenons, par la même Écriture, que les membres qui sont attribués
à Dieu dans les peintures, le sont métaphoriquement. Et les illettrés
qui voient les peintures sans pouvoir lire les Écritures, peuvent et doivent
recevoir de leurs pasteurs les explications adéquates, comme le concile
de Trente le demande à la session 25. Car, autrement, ce ne serait
pas sans péril qu’on montrerait aux ignorants ces sortes de peintures.
Or, tout ce que nous soutenons ici c’est que ces sortes d’images ne
doivent pas être condamnées dans l’absolu.
Quatrièmement. On peint même des choses qui peuvent
encore être moins peintes que Dieu, comme les vertus, qui sont purement
spirituelles, et qui ne sont même pas des substances, mais seulement
des accidents. Pourquoi ne pourrait-on pas peindre Dieu ?
Cinquièmement. L’homme est une vraie image de Dieu, et cette
image de Dieu on peut la peindre. On peut donc peindre aussi celle
de Dieu. Car ce qui est l’image de l’image est aussi un exemplaire.
Car, ceux qui sont semblables à un tiers sont semblables entre eux.
Ils diront que l’homme n’est pas une image de Dieu dans la partie qui
peut être peinte, le corps, mais dans celle qui ne le peut pas,
l’esprit. Je réponds que, s’il en était ainsi, l’homme ne
pourrait pas être peint, car l’homme n’est pas un homme en raison
de la figure et des couleurs qui sont les seules à être exprimées dans
une image, mais l’homme est un homme en raison de la substance, et principalement
de l’âme, qui ne peuvent pas être peintes. On dit que l’homme
est quand même vraiment et proprement peint parce que la figure et les
couleurs de l’image ne représentent par seulement la figure et les couleurs
de l’homme, mais l’homme au complet. Autrement, il n’arriverait
jamais qu’une chose peinte semble être la vraie chose.
C’est ce qui est arrivé au raisin qu’avait peint Zeusis.
Les oiseaux accoururent pour le dévorer, au témoignage de Pline (livre
35, chapitre 10.) Il en est de même dans notre cas. Puisque l’homme
est à l’image de Dieu en raison de son intelligence et de sa volonté,
l’homme qui est doué d’une intelligence et d’une volonté est appelé
avec raison image de Dieu. Car, dans la Genèse 2, Dieu n’a pas
dit : « Faisons l’âme, mais faisons l’homme à notre image et à
notre ressemblance ». Et quand l’empereur punit ceux qui avaient
brisé l’image de son épouse, Macédoine lui dit (comme
le rapporte Theodoret dans son histoire, chapitre 43) qu’il avait mal
agi quand, pour ses images à lui, il a avait tué les images de Dieu.
Si tout l’homme est l’image de Dieu c’est tout l’homme qui est
vraiment peint. L’image de Dieu peut donc vraiment être peinte.
Mais, il demeure vrai que comme l’homme est une image de Dieu très imparfaite,
obscure et dissemblable, de même un homme peint est une image de
Dieu très imparfaite, obscure et dissemblable.
On le prouve enfin par l’usage de l’Église. Car, ces
sortes d’images sont acceptées presque partout. Et il n’est
pas croyable que l’église ait toléré universellement quelque chose
d’illicite. Ajoutons que le synode 7, acte 5, a approuvé
une image du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe; et que le concile
de Trente a admis les images de Dieu surtout dans les peintures des historiens.
Pour solutionner les arguments, notons qu’on peut peindre quelque
chose de trois façons. La première. Pour exprimer une
ressemblance parfaite de la nature et de la forme d’une chose.
Et, de cette façon, seules les choses corporelles peuvent être peintes,
celles qui sont dotées de lignes et de couleurs. Et si quelqu’un
essayait de peindre Dieu de cette façon-là, il ferait une vraie idole.
La deuxième. Pour rendre perceptible aux yeux une histoire. Si quelqu’un
voulait peindre l’expulsion d’Adam du paradis, il peindrait d’abord
Dieu, sous forme humaine, marchant dans le paradis. Ensuite, Adam
et Ève nus, se cachant entre les branches. Et enfin,
un ange sous forme humaine brandissant un glaive, et expulsant Adam et
son épouse. Celui qui peindrait ainsi n’aurait certes pas l’intention
de représenter la nature de Dieu ou celle des anges, mais seulement de
rendre perceptible aux yeux par une peinture ce qu’il avait compris avec
ses oreilles quand un autre lisait l’Écriture. Et, c’est de cette
façon qu’on peut peindre Dieu. La troisième. On peut peindre
aussi quelque chose pour expliquer la nature d’une chose non par
une similitude immédiate et propre, mais par une analogie, des métaphores,
et des significations mystiques. Comme nous peignons les anges :
jeunes, de haute taille, beaux, pieds nus etc, pour montrer qu’ils sont
toujours puissants, qu’ils se déplacent rapidement, qu’Ils sont dotés
de la splendeur de la grâce et des vertus. Voir Denys l’aréopagite
(chapitre ultime de la hiérarchie céleste.) C’est de cette façon qu’on
peint les vertus. Et l’homme lui-même, en tant qu’image de Dieu,
fait partie de cette troisième façon, car entre Dieu et l’homme, la
seule similitude qui existe est d’ordre analogique. C’est aussi
de cette façon que nous peignons Dieu le père, quand nous le peignons
sous forme humaine.
C’est de cette façon que nous peignons le Christ sous la forme
d’un agneau, et que nous représentons les évangélistes sous la forme
d’un aigle, d’un lion, d’un bœuf et d’un homme; et le Saint Esprit
sous la forme d’une colombe ou d’un feu de langues. Il
est cependant à noter qu’il ne faut pas multiplier cette sorte
d’image. Il ne faut pas tolérer non plus que les peintres osent représenter
des images de la trinité à leur guise et à leur fantaisie. Par
exemple, qu’ils peignent un homme avec trois faces, ou un homme avec
deux têtes avec, au milieu, une colombe. On voit parfois ce genre
de monstres, et ils nuisent plus par leur difformité qu’ils aident
par leur ressemblance. Les ministres hongrois, dans leur œuvre contre
la trinité (livre 1, chapitre 4) ont collectionné plusieurs formes
d’images de la trinité, et ils les proposent à la risée générale
comme des monstres. Ils les appellent des cerbères, des géryons,
des Janus à trois fronts, des monstres et des idoles. Nos
peintres ont certainement donné là une occasion de blasphémer.
De plus, il faut noter que Bartholomée Caranza a erré
quand, dans sa somme des conciles, il prétend que le canon 82 du
sixième synode avait prohibé l’image du Christ sous la forme
d’agneau, et du Saint Esprit sous la forme de la colombe.
Or, le concile ne prohibe pas ces images, mais leur préfère les
images du Christ de forme humaine. Et c’est pourquoi, dans le synode
7, acte 2, on a lu l’épitre d’Adrien à Tharasius, dans laquelle on
dit que le synode 6 a loué l’image du Christ en forme d’agneau.
Helias dit la même chose dans le synode 7, action 4. La même chose
Épiphane dans le synode 7, acte 6. Et, de plus, dans le synode
7 acte 5, a été approuvée l’image du Saint Esprit sous la forme d’une
colombe. Et ensuite, la raison que donne Bartholomée devrait
conclure contre lui. Car, il dit qu’ont été prohibées les images
parce que, en présence de la vérité, les figures devaient cesser.
Or, ces images ne furent pas en usage dans l’ancien testament, mais n’ont
commencé qu’après l’avènement du Christ. Car l’image de
l’agneau provient des paroles de saint Jean le Baptiste : « Voici l’agneau
de Dieu qui efface le péché du monde. » Et l’image de la colombe
vient de la colombe qui est apparue au-dessus du Christ, lors de son baptême
(Matth 3).
Après toutes ces réflexions, il nous sera facile de répondre
aux arguments des adversaires. Au premier argument, on peut répondre
d’abord que dans tous les textes de l’Écriture cités, c’est
l’image de Dieu du premier genre qui est prohibée. J’estime,
cependant, que quand on dit dans l’Exode 20 : « Ne vous faites pas,
avec moi, des dieux en or et en argent, » et semblablement, en Isaïe40
et 46, quand Dieu se plaint en disant : « À qui me rendez-vous semblable
», il n’est pas question, au sens littéral, d’une image faite pour
représenter le vrai Dieu, car les Juifs n’en faisaient pas, mais de
simulacres quelconques qui étaient considérés comme des dieux.
Car, Dieu veut dire ceci : si, pour vous un simulacre en bois est Dieu,
il s’ensuit que je suis semblable à un dieu de bois, puisque je suis
dieu moi aussi. Car, Dieu ne pourrait pas ne pas être semblable
à un dieu.
Au deuxième argument, je réponds que si le concile en question
ne parlait que de l’image de Dieu (comme le veut Calvin), il n’y aurait
aucune difficulté, car nous comprenons que le concile parle de l’image
de Dieu du premier genre. Mais s’il parle de toutes les images, même
de celles des saints, grande est la difficulté, dont nous parlerons plus
loin. Au troisième argument, Eusèbe et Lactance parlent des idoles
des nations. Ils veulent, en effet, démontrer que les dieux des
nations ont été des hommes; et la preuve qu’ils en donnent c’est
que toutes les idoles des Gentils sont des statues d’hommes dont on montre
encore les sépulcres. Dans la loi et le symbole, saint Augustin
parle de l’image de Dieu du premier genre. Varron, cité par Augustin,
a eu raison de dire que ceux qui ont introduit des statues de dieux ont
diminué la crainte, mais augmenté l’erreur. Car quelques-uns
en vinrent à penser que les simulacres eux-mêmes étaient des dieux,
et, voyant qu’ils n’étaient de profit ni à eux ni aux autres, ils
commencèrent à mépriser les dieux. Et s’ils avaient cru que
les simulacres n’étaient pas des dieux, mais des images
des dieux, images non propres mais analogiques, ils n’auraient pas perdu
leur crainte, et aucune erreur ne serait née du fait de ces images que
nous voyons tous les jours. Sénèque (selon saint Augustin)
se plaint qu’on ait présenté pour dieux ces simulacres, pour la raison
qu’on vient juste d’énoncer, parce qu’ils pensaient que les simulacres
étaient des dieux, ou que les dieux étaient semblables à ces simulacres.
Origène et saint Jean Damascène parlent de l’image du premier genre.
Au quatrième argument je dis d’abord que Calvin fait
une injure à saint Grégoire en le blâmant. Car, quand saint Grégoire
a dit que les images étaient les livres des illettrés, il ne parlait
pas de l’image de Dieu, mais des images des saints, et surtout des histoires
rapportées en images, qui contiennent les mystères de notre rédemption.
Ainsi, ceux que Calvin oppose à Grégoire et qui disent que le bois est
le docteur de la vanité ou du mensonge, parlent des faux simulacres des
dieux et non des vraies images des saints. Je dis, en second lieu,
que ce sont les idoles qui sont des docteurs de mensonge parce qu’elles
veulent être vues comme dieux, ou se référer à l’effigie de Dieu,
alors qu’elles ne s’y réfèrent pas. Or, l’image de Dieu ou de la
Trinité, comme elle est peinte par nous, est un docteur de vérité, parce
que nous ne la tenons pas pour dieu, et nous ne la référons pas à l’effigie
de Dieu. Nous ne nous en servons que pour donner à l’homme une certaine
connaissance de Dieu par le moyen d’analogies et de comparaisons. Au
cinquième, nous répondons que nous avons déjà montré comment on peut
peindre des choses incorporelles. Au dernier, selon lequel
on n’a coutume de ne peindre que ce qui est absent parce qu’on ne le
voit pas, et qu’on ne peut donc pas peindre Dieu puisque, même
s’il est présent partout, il est absent pour nous, je réponds
que, s’il en était ainsi, on ne pourrait pas prier Dieu à voix haute,
puisque les paroles sont pour ceux qui ne lisent pas les pensées, et que
Dieu scrute les reins et les cœurs.
CHAPITRE 9
On a le droit de placer des
images dans les temples
Que ce soit un autre dicton de Calvin qu’on ne doit pas placer
des images dans les temples, lui-même en donne les preuves (livre 1, chapitre
11 des institutions). La première. Dans les cinq premiers
siècles, il n’y a pas eu d’images de saints dans les temples des chrétiens.
La deuxième. Parce que le concile d’élibertin (canon 36) interdit
de faire des images dans les temples. La troisième.
Car, on ne peut pas placer une image, dans un endroit sublime, un temple,
sans ériger aussitôt un signe d’idolâtrie. Car, comme saint
Augustin le dit dans son épitre 49 : « Quand ils sont exhibés
dans ces édifices sublimes à un endroit honorable, de façon à être
vus par ceux qui prient et immolent , ils induisent, par la ressemblance
de leurs membres et de leurs sens avec ceux des corps animés,
et bien qu’ils soient privés de sens et d’âme, ils induisent, dis-je,
les âmes infirmes à penser qu’ils vivent et qu’ils respirent. »
Et, un peu après : « Parce qu’ils ont une bouche, des yeux, des oreilles
et des pieds, les simulacres sont plus efficaces pour égarer l’âme
malheureuse que pour la corriger, du fait qu’ils ne parlent pas,
n’entendent pas, ne voient pas et ne marchent pas. » Le même saint
Augustin dit que, dans les temples des chrétiens, il y a des vases
en or et en argent mais non de ceux qui ont des bouches et ne parlent pas.
Il le confirme par 1 Jean, dernier chapitre, où Jean ne dit pas qu’il
faut se garder du cule des simulacres, mais des simulacres eux-mêmes,
car on ne peut pas les conserver dans des temples sans qu’ils soient
adorés.
Quatrièmement, il le prouve en disant que les temples
sont érigés pour des images et des icones vivantes, et qui ont
été instituées par Dieu comme le baptême qui est une image de la sanctification
et de la grâce internes. Ainsi que la cène sacrée qui est une
image du corps du Seigneur. Donc, comme les temples sont embellis
par ces images vivantes, ils sont enlaidis par des images mortes.
Cinquièmement, il le prouve (livre 4, chapitre 9, verset 9) en citant
l’épitre d’Épiphane à Jean de Jérusalem où il est dit que suspendre
l’image d’un homme dans une église est contraire à l’enseignement
de l’Écriture, que ce soit celle du Christ ou des saints. Sixièmement,
ils ajoutent que l’empereur Adrien (au témoignage de Aelius Lampridius
dans la vie de l’empereur Alexandre), fit aux chrétiens la faveur
d’ériger des temples sans simulacres.
Voilà quels sont leurs arguments. Ils ne nous terrifient
pas au point de nous empêcher de proclamer que ce fut toujours une excellente
chose de placer des images dans les temples. On le prouve d’abord
par l’ancien testament. Quand les Juifs étaient le plus enclins
à l’idolâtrie, on plaça des images des chérubins dans le temple (Exode
25 et 3 Rois 6). On le prouve ensuite par la coutume de l’église,
qui fut celle des premiers cinq cents ans, ce qui dégonfle l’impudent
mensonge de Calvin. Tertullien (dans son livre sur la pudicité,
avant le milieu) affirme deux fois que sur les calices sacrés de l’Église
catholique, le Christ a été peint sous la forme d’un pasteur qui rapporte
sur ses épaules la brebis fugueuse. Et cette coutume était si répandue
et si généralisée que les catholiques contre lesquels Tertullien écrit
dans ce livre, en tiraient un argument pour prouver que l’église
permet qu’on fasse pénitence pour les crimes les plus graves.
Or, il est certain que, dans l’église, les calices sont sacrés, et
qu’on a coutume de les placer dans l’endroit le plus sacré.
Sozomène (livre 5, chapitre 20), et Nicéphore (livre 10, chapitre
30), écrivent que, au temps de Julien l’apostat, une statue du Christ
qui était dans une maison à Paneade, a été introduite dans un temple
par les chrétiens. Or, il est certain que cela a été fait avant
l’année 500, puisque Sozomène ne vécut pas jusqu’à cette date.
Eusèbe (livres 3 et 4 de la vie de Constantin), dit que dans les temples
que Constantin avait fait construire en Palestine, il y avait un grand
nombre d’images en or et en argent.
Saint Grégoire de Naziance (épitre 49 à Olympius), se plaint
de ce qu’avait été saccagée la cité diocésarienne dont il
avait somptueusement orné le temple. Et il ajoute : « Et même si les
statues sont démolies, cela ne nous abat pas… » Saint Damase,
dans la vie de Sylvestre écrit que Constantin, plaça dans le lieu où
il avait été baptisé, un agneau en or pur, à la droite
de l’agneau, une statue en argent du Sauveur, et à la gauche, une statue
en argent de saint Jean-Baptiste. Les Latéraniens avaient
placé des images d’argent du Sauveur, des douze apôtres, et de
quatre anges. Dans le septième synode, article 6, on rapporte
que les disciples de saint Épiphane ont érigé un temple à Épiphane,
et y ont placé son image. Saint Basile dans son sermon sur
saint Barlaam, à la fin, montre une image de saint Barlaam peinte à un
endroit quelconque dans le temple; et il se réjouit que les peintres aient
mieux exprimé que lui sa main brulée pour le Christ : « J’avoue avoir
été surpassé par la peinture que vous avez faite des actions héroïques
du martyr. Je me réjouis d’être vaincu aujourd’hui par la victoire
que votre force a remportée sur moi. Je vois que la main consumée
par le feu a mieux été décrite par vous que par moi. Je vois que
le lutteur a été représenté dans votre image avec beaucoup plus de
splendeur. »
Saint Grégoire de Nysse (dans son sermon sur Theodore, au début)
dit : « Il jouit en voyant que le temple de Dieu est un édifice immensément
grand, splendidement orné et décoré. Ici, le menuisier a façonné
le bois en forme d’animaux, là le peintre a introduit des fleurs
peintes avec un grand art, et là encore il a représenté les actions
héroïques du martyr, les répugnances, les épreuves, les tortures,
les images des tyrans cruels et inhumains, la fournaise enflammée, la
fin bienheureuse de l’athlète, l’effigie des combats du représentant
du Christ dans sa forme humaine. Il peint pour nous tout cela
artistiquement et avec des couleurs, comme dans un livre qui contient
ce qu’interprètent les langues. Il exprime pour nous les combats
et les travaux des martyrs, et orne le temple comme un pré fleuri.
La peinture qui se tait parle sur le mur, et est d’un très grand
profit. »
Dans la messe de saint Jean Chrysostome qu’Érasme a mise en
latin, voici ce qu’on trouve : « Le prêtre sort par la petite porte
portant l’évangile, précédé d’un ministre portant une lampe, et,
se tournant vers l’image du Christ entre deux portes, penche la tête,
et dit avec une exclamation etc ». Évode (dans le livre 2 des miracles
de saint Étienne) écrit que là où les reliques de saint Étienne étaient
conservées, il y avait aussi une image qui racontait son martyre, et que
beaucoup de personnes avaient coutume d’aller voir. Prudence, dans
son hymne sur saint Cassien, écrit que, dans le temple de saint Cassien,
il a vu sur l’autel son image : « Je levai les yeux au ciel, et je vis
l’image du martyr peinte en couleurs recouverte de plaies… »
La même chose au sujet de saint Hyppolite. Paulin, dans son
épitre à Sévère, indique qu’il avait pris soin d’être peint
avec saint Martin, et il demande que cette peinture qui se trouve
dans le temple soit précédée des vers qu’il lui envoie. Nicéphore
(livre 14, chapitre 2) écrit que l’impératrice Pulchérie avait placé
dans le temple qu’elle avait édifié à Constantinople, une image
de la bienheureuse vierge Marie, qu’Eudoxie lui avait envoyée de Jérusalem.
Valentinien junior, comme le pape Sixte le lui avait demandé, (comme l’écrit
Anastase dans la vie de Sixte), plaça dans l’église de saint
Pierre, au-dessus du tombeau, c’est-à-dire sur l’autel de saint Pierre,
une image en or du Sauveur, sertie de pierres précieuses, ainsi
que les images en or des douze apôtres.
Saint Augustin (livre 1, chapitre 10 sur le consensus des évangélistes)
atteste que, en plusieurs lieux, en son temps, le Christ a été dépeint
entre les apôtres Pierre et Paul. Et il dit la même chose au sujet
d’Abraham qui voulait égorger son fils (livre 22, chapitre 73 contre
Faust). Il n’est pas croyable que saint Augustin parle des maisons privées
auxquelles tous n’ont pas accès, mais des lieux publics non profanes,
mais sacrés. Car, saint Grégoire (livre 9, épitre 9), dit que
ce n’est pas sans raison que, dans des lieux vénérables, ont
été peintes les images des saints par les anciens. Il est évident
que par anciens, il ne peut pas entendre les gens de son siècle. Il vécut,
lui, après l’année 500. Il parle donc des pères qui vécurent
avant l’année 500. De plus, Adrien 1, dans son livre en faveur
des images, (que l’on trouve vers la fin du synode 7), rapporte que Sylvestre,
Damase, Célestin, Sixte, Léon, Jean et Pélage ont orné les temples
de peintures. Or, ils ont tous siégé avant l’année 500.
Tu vois donc comment est énorme le mensonge de Calvin, quand (livre
1, chapitre 11, verset 13) il prétend que, avant l’année 500, il n’y
avait pas d’images dans les temples des chrétiens.
Troisièmement, on le prouve par les quatre conciles, deux orientaux
et deux occidentaux. En Orient, le septième synode a été célébré
exclusivement pour cela. Et le huitième synode, canon 3, a renouvelé
les décrets du septième concile. Dans l’occident un concile
romain a été célébré sous Grégoire 111, qui fut, il est vrai,
national, mais auquel participèrent plus de mille évêques.
C’est dans ce concile qu’a été condamnée l’hérésie des iconoclastes,
qui arrachaient les images des temples. Il a eu lieu dès le début
de cette hérésie. Un autre concile a été aussi célébré au
temps d’Étienne et de Charlemagne, sur le même sujet, comme l’atteste
Adrien 1 qui succéda à Stéphane (dans son livre sur les images à Charlemagne.
»
Quatrièmement, on le prouve par la raison. Car, les signes
sacrés ne peuvent jamais être mieux placés que dans des lieux sacrés.
Et il n’existe pas de meilleurs ornements des temples que les images
sacrées, car, en plus d’embellir les temples, les images attirent à
elles les esprits des hommes, et les détournent des vaines pensées.
De plus, le temple est une certaine image du ciel, car l’apôtre (Hébreux
9) compare le tabernacle de Moïse au ciel. Et, saint Jean
Chrysostome (homélie 36 sur la première épitre aux Corinthiens)
dit que le temple des chrétiens est comme le royaume du ciel, ou une sorte
de ciel terrestre. Donc, comme le temple est l’image du ciel, il
convient que soient dans le ciel les images de ceux qui sont au ciel, le
Christ et les saints. Enfin, où mieux placer les images des
saints que dans leurs maisons, c’est-à-dire les basiliques où reposent
leurs reliques ?
Au premier argument, la réponse s’impose, car ce n’est pas
un argument mais un mensonge. Au second, Payva répond que le concile
elibertinus n’a prohibé que l’image de Dieu qui est peinte pour représenter
la nature de Dieu. Mais, cette réponse ne semble pas suffisante,
parce que le concile parle en général des peintures, et surtout parce
que de telles peintures, qui seraient des idoles, n’ont jamais
existé, au témoignage d’Augustin, d’Origène et de saint Jean Damascène.
Le concile, en effet, parle de quelque chose qui existait, et il le condamne
pour qu’on ne le fasse plus. Nicolas Sanderus (dans son livre sur
le culte des images, chapitre 4), répond que ce concile a prohibé les
images dans les temples, parce que le temps et le lieu le requéraient.
Car, il y avait alors un danger que les Gentils ne pensent que nous
adorions le bois et les pierres. Et, il y avait donc un danger
que, dans les persécutions, les images ne soient abreuvées d’insultes
par les persécuteurs. Cette réponse est surement la meilleure.
Il importe peu que quelques-uns nous objectent que ce concile
a été célébré après le concile de Nicée, et qu’il n’y
avait donc plus de danger de persécutions, car, en fait, ce concile a
été célébré avant celui de Nicée, quand sévissaient encore les persécutions,
comme nous le montre le canon 25, où il est question de ceux qui se faisaient
donner des lettres par les confesseurs. Car ceux qui confessaient
la foi dans les persécutions avaient coutume, après, de donner
des lettres de recommandation aux évêques pour ceux qui avaient apostasié.
Et, dans presque tout ce concile il est question de ceux qui étaient entachés
du péché d’idolâtrie. Mais, je reconnais que la raison donnée
dans le canon (« de peur que ce qui est vénéré et adoré ne soit peint
sur les murs ») ne cadre pas avec cette explication. Alain
Copus (livre 5, chapitre 16 de ses dialogues) dit que ces images
ont été prohibées parce que certains chrétiens avaient commencé à
les adorer comme des dieux. Et que le sens était le suivant : il
a plu au concile que dans les églises, il n’y ait pas de peintures,
de peur que ce qui est mis sur les murs ne soit adoré et honoré
comme dieu. Et c’est dans ce sens qu’il entend le canon en question
dans ses décrets, part 3, chap 40. Mais, cette explication ne cadre
pas du tout avec ce canon, car il aurait fallu plutôt dire : de peur que
ce qui est peint ne soit adoré, au lieu de : de peur que ne soit peint
ce qui est adoré.
D’autres disent donc que la seule chose qui est prohibée c’est
que des images ne soient peintes sur les murs des églises, et non pour
que ce qui est peint sur des tableaux ou des voiles ne soit dansl’église.
Et cela, dans l’intérêt des peintures, parce que, sur les murs,
elles se corrompent facilement. Pour cette raison, on avait prohibé autrefois
que la croix ne soit sculptée sur le plancher, pour qu’elle ne soit
pas foulée aux pieds. Et alors le sens sera le suivant : il a plu
au concile qu’on ne peigne pas sur les murs ce qui doit être vénéré
et adoré, pour qu’il n’arrive pas à des choses sacrées et
vénérables comme les saintes images d’être facilement corrompues.
Cette explication semble convenir parfaitement au sens du canon.
Ajoutons, enfin, que quelle que soit la chose que le concile a statué,
il l’a faite pour nous et non contre nous. Car le seul concile
qui peut être contre nous est celui des 19 évêques, un concile provincial
non confirmé, et qui semble avoir erré dans certains décrets, surtout
quand il ne veut pas que , dans certains cas, un pénitent soit absous
à l’article de la mort.
Ce concile plaide en notre faveur en reconnaissant implicitement
que, dans son temps, il y avait des images dans les temples,
car il n’aurait pas dit : il a plus au concile qu’il n’y ait pas
de peintures dans les églises, si elles n’avaient pas commencé à exister.
Nous savons donc que des images ou des saints dont étaient les images,
étaient honorés et adorés, car c’est ce que signifient les mots
suivants : pour que rien de ce qui est honoré ou adoré ne soit peint
sur les murs. Ajourons que ce concile lui-même (canon 26) prescrit
le jeune le samedi; et au canon 33, interdit l’usage de leurs épouses
aux évêques, aux prêtres, aux diacres et aux sous diacres.
Deux canons que ne peuvent pas sentir nos adversaires. Au troisième
argument, je dis que saint Augustin parle des simulacres comme les
percevaient les Gentils. Car, voici ce que veut dire saint Augustin.
Quand quelqu’un pense qu’un simulacre est un dieu, et qu’il va jusqu’à
le prier et l’adorer, il est puissamment confirmé et renforcé
dans son erreur par la ressemblance de leurs membres avec ceux des humains.
Que c’est ainsi qu’on doive le comprendre, je le prouve par ses propres
paroles (de l’épitre 49, question 3) : « Comme, dans les temples, ils
sont placés à une hauteur respectable pour que, par la similitude des
membres et des sens, ils attirent l’attention de ceux qui prient et qui
immolent, etc. Notez les expressions employées.
Car, l’expérience enseigne que les images qui ne sont pas considérées
comme des dieux n’ont jamais trompé même le plus ignorant au point
de lui faire penser qu’elles vivent et qu’elles respirent.
Et, au sujet des vases en or, je réponds que saint Augustin a voulu
montrer que les simulacres des Gentils maintiennent les hommes dans l’erreur
non à cause d’une matière qui les rendrait précieux, mais à cause
de la figure qu’ils ont semblable à la nôtre. Cela, saint Augustin
le montre de deux façons. La première. Beaucoup parmi
ceux qui se tournent vers le soleil, préfèrent supplier le simulacre
du soleil, non pas parce que le soleil n’est pas cent fois
plus noble, mais parce que la figure du soleil en forme de globe
ne persuade pas aussi facilement que le soleil vit et entend que
ne le fait le simulacre qui possède notre forme humaine. En second
lieu, parce que les catholiques ont eux aussi, des vases en matière
précieuse, mais comme ils n’ont pas de figure humaine, même
les gentils ne penseraient pas que ces vases vivent et respirent
Tu diras. Si on ne pense pas que les calices vivent, parce qu’ils
n’ont pas de forme humaine, on pensera qu’ils vivent du fait qu’ils
sont dans le temple. Je réponds que saint Augustin ne dit pas qu’on
pense que les images à forme humaine vivent, mais que, si on le pensait,
ce serait à cause de la forme, non de la matière. Saint Augustin
ne dit donc pas qu’il n’y a pas eu d’images dans l’église,
mais que seule la forme humaine des simulacres concourt à fomenter l’erreur
de ceux qui adorent les simulacres comme des dieux. Et pour la confirmation,
je dis que saint Jean parlait des idoles, comme le veulent les mots grecs
: tôn eidôlôn.
Au quatrième, je réponds que Calvin a fidèlement imité ses lointains
prédécesseurs. Car, les anciens iconoclastes disaient eux aussi
ne pas vouloir de ces images mortes, mais que leur suffisait l’eucharistie,
qui est l’image du corps du Seigneur. À quoi ont répondu les
catholiques dans le synode 7, acte 6, tome 3, que l’eucharistie
ne devait pas être appelée l’image ou la figure du corps du Seigneur,
puisqu’elle est vraiment le corps du Seigneur. Je dis ensuite que
les images vivantes ou mortes ne sont pas contraires l’une à l’autre,
mais que les unes sont aidées par les autres, comme nous l’avons déjà
montré. De plus, on ne peut pas dire que les images des saints sont
des images mortes, car la vie d’une image est la représentation.
Seules sont mortes les images qui ne représentent rien.
Au cinquième. Thomas Waldensis (tome 3, tit 19,
chapitre 157), dit qu’Épiphane a parlé ainsi à cause de l’hérésie
des antropomorphites, qui était alors en vogue. D’autres disent
qu’Épiphane parle de l’image d’un homme profane qui était honorée
là à l’instar des images du Christ et des saints. C’est ce que répond
Marianus Victorius dans son annotation à cette épitre. La réponse
la plus commune et qui a le plus de chances d’être vraie est que ces
mots ont été trafiqués. D’abord, parce que c’est à
la fin de l’épitre qu’ils ont été ajoutés : l’épitre était
tout à fait terminée, comme s’en rendra compte le lecteur.
Ensuite, parce que les hérétiques iconoclastes n’ont pas fait cette
objection aux catholiques, quand ils leur opposèrent tout ce qu’ils
purent trouver dans les pères qui semblait plaider en leur faveur.
Troisièmement. Parce que, au synode 7, article 6, le diacre
Épiphane dénonça deux cas semblables de mots qui avaient été insérés
par les hérétiques dans les écrits d’Épiphane
Quatrièmement. Parce que, comme on le dit au même endroit,
les disciples d’Épiphane placèrent son image dans son temple. Ce qu’ils
n’auraient certainement pas fait si leur précepteur avait déclaré
que c’était agir contre l’autorité de l’Écriture. Cinquièmement,
parce que ceux qui n’avaient que des louanges à donner aux images
des temples, saint Basile, saint Grégoire de Nysse, vivaient encore
au temps d’Épiphane. Parce que cette phrase qui veut que la présence
d’images dans les temples soit contraire à l’Écriture ne peut
pas avoir été prononcée par Épiphane, homme très savant, puisqu’elle
est d’une grande ineptie. Car, jamais, dans l’Écriture on ne
lit que ce soit défendu. On lit plutôt le contraire : des images
de chérubins de forme humaine dans le temple de Salomon.
Septièmement. Parce que Grégoire (livre 9, épitre 9) dit que, avant
Serenus de Marseille, jamais aucun évêque n’avait brisé une
image du Christ ou des saints. Huitièmement. Parce que
saint Jérôme, dans son épitre à Pammachius contre Jean de Jérusalem,
rapporte presque toute la lettre d’Épiphane dans sa traduction en latin,
et ne se souvient cependant pas de ce fait. Neuvièmement, parce que le
style ne convient pas avec le reste de l’épitre. Au sujet de ce
que dit saint Adrien sur les temples sans simulacres, je réponds
qu’Adrien a ordonné de faire des temples sans les simulacres des gentils,
car les chrétiens ne voulaient pas, à cette époque, prier dans les temples
des Gentils parce qu’ils étaient pleins d’idoles. Voilà pourquoi
Adrien a ordonné de construire des temples sans idoles. Lampridius
lui-même donne le nom de divinités à ces simulacres. Car
ces images étaient adorées comme des dieux.
CHAPITRE 10
Les images sont utiles même sans note historique .
Calvin a enseigné que, sans explication d’ordre historique,
les images sont inutiles. Ce qui est manifestement faux.
Car, il ne donne aucun argument pour prouver son avancé. Mais nous,
nous pouvons prouver qu’elles sont utiles de plusieurs façons.
La première. Parce que Dieu a ordonné que, dans son temple,
soient faites des images de chérubins sans aucune annotation historique
(Exode 25). Et certainement non sans raison. La deuxième.
Parce que les chrétiens ont toujours eu des images sans référence à
histoire, même si les premiers chrétiens n’étaient pas motivés par
le seul plaisir esthétique. En effet, on lit qu’au temps du Christ,
des images ont été faites. La première est celle que le
Christ a faite de son visage sur un voile, et qu’il a envoyée au roi
Abagarus. C’est ce que rapporte Evagrius (livre 4, chapitre 26),
et Metaphrastes dans la vie de Constantin le grand, et saint
Jean Damascène (dans son livre 1 sur les images.) Que ce ne soit
pas une fable le prouve le grand miracle fait à Edesse par cette image,
comme le rapporte Évagrius. L’atteste aussi le jour de la
fête que l’on célébrait à Constantinople le jour de la translation
de cette image d’Edesse à Constantinople.
La deuxième est celle que la femme libérée par le Christ d’un
flux de sang érigea à Panéade. C’est Eusèbe qui en témoigne
Livre 7, chapitre 14 de son histoire. Le rapportent aussi Sozomène
(livre 5, chapitre 20 de son histoire), saint Jean Damascène (livre 4
sur les images) et Thophylacte (chapitre 9 sur Matthieu). La
troisième est celle que l’on dit avoir été faite par Nicodème, et
qui a été crucifiée par jeu par les Juifs. Elle a fait de nombreux
miracles. C’est Athanase qui rapporte cela dans son livret
sur la passion de l’image du Seigneur, chapitre 4. Et quoiqu’on
puisse douter que ce livre soit vraiment du grand Athanase, il est
certain qu’il est d’un auteur très ancien, puisque cette histoire
est rapportée comme très ancienne dans le synode 7, article 4.
En plus de ces images du Christ, existent aussi des images de la bienheureuse
vierge Marie que Luc a peinte, dit-on, comme le rapportent Theodore Lecteur
qui a vécu autour du 5ième siècle (livre 1, des collectes), Nicephore
(livre 14, chapitre 2 de son histoire), et Simon Metaphraste (dans sa vie
de saint Luc). Tertullien (dans son livre sur la pudicité)
se souvient d’une image du Christ en forme de pasteur portant une brebis
sur ses épaules, qui avait été peinte sur les calices sacrés,
comme nous l’avons déjà dit. Aelius Lampridius (dans sa
vie d’Alexandre Sévère) raconte que l’empereur Alexandre avait
dans son oratoire des images du Christ et d’Abraham. Il est certes
vraisemblable de penser que c’est des chrétiens qu’il a appris
comment peindre le Christ. Eusèbe (livre 7, chapitre 14 de son histoire),
écrit qu’on avait coutume de peindre les images des apôtres, et qu’il
en a vu beaucoup de très antiques. Saint Ambroise (dans sa lettre
sur l’invention de saint Gervais et de saint Protais, qui est conservée
par Surius) déclare qu’il a su que c’était saint Paul qui lui était
apparu, grâce à l’image peinte qu’il avait de lui. Saint Jean
Chrysostome (dans son sermon sur Meletius) dit que les images de Meletius
étaient déjà si célèbres qu’on les voyait partout, même sur
les anneaux, les coupes profondes évasées, les vases et les murs.
Semblablement, Theodoret dans sa vie de saint Siméon le stylite
(histoire religieuse), raconte qu’à Rome, dans toutes les boutiques
étaient affichées les images de saint Siméon.
Au temps de saint Augustin, il y a eu un très grand nombre d’images.
C’est saint Augustin lui-même qui nous en fait part (dans son livre
sur le consensus des évangélistes, chapitre 10). Il nous raconte
là qu’on trouve souvent des images du Christ peintes entre saint Pierre
et saint Paul. Nous avons beaucoup d’autres témoignages.
Par exemple ceux de saint Athanase, de saint Basile, de saint Grégoire
de Naziance, de saint Grégoire de Nysse, de saint Jean Chrysostome, de
saint Cyrille de Jérusalem et de saint Cyrille d’Alexandrie, ainsi que
beaucoup d’autres pères. Voir dans le synode 7, article
4, et dans le livre 3 de l’apologie de saint Jean Damascène, vers la
fin. Ajoutons ensuite à ceux-là tous ceux que nous avons
cités auparavant pour prouver qu’il y avait des images dans les temples
pendant les cinq premiers siècles.
Troisièmement, on le prouve par l’utilité. La première
est l’instruction et l’érudition. Car, une peinture enseigne
mieux qu’un texte écrit, même celui de la Bible. De cette utilité
témoignent saint Grégoire de Nysse dans son sermon sur Theodore, et le
pape saint Grégoire (livre 107, épitre 109, et livre 9 épitre 9.)
Tu diras que les histoires instruisent mais non des images solitaires.
Je réponds que mêmes les histoires solitaires du Christ, peintes par
des chrétiens, contiennent toujours un reliquat historique.
Car, quand on peint le Christ, on le peint soit comme un enfant dans le
sein de sa mère, soit comme un homme lié à une colonne, ou pendant
en croix, ou sortant du tombeau, ou montant au ciel. De la
même façon on peint toujours les saints avec l’insigne de leur vertu
ou de leur passion, ou de leur pouvoir : Pierre avec des clefs, Laurent
avec son gril, André avec sa croix, tous les martyrs avec leur palme,
et les saints avec leur diadème. Par ces signes ou instruments,
on nous enseigne comme en un résumé, ce qu’ont fait ceux que nous vénérons,
quelles souffrances ils ont endurées.
Deuxièmement. Les images sont utiles, même si elles sont solitaires,
pour susciter et augmenter la charité envers Dieu et envers les saints.
Car celui qui aime regarde volontiers l’image d’un ami absent, et plus
il la regarde, plus il l’aime. C’est ainsi que Sévère Sulpitius
qui aimait ardemment saint Paulin, mais qui ne pouvait pas toujours
habiter près de lui, lui demanda par lettres de lui envoyer une image
de lui. Saint Paulin s’excusa de ne pas pouvoir obtempérer à
son désir, et lui dit finement qu’il n’avait pas encore d’image
parfaite du second Adam, mais qu’il portait encore en lui l’image
du premier Adam. C’est pour cette raison qu’il refusa de lui envoyer
une image de lui. Saint Grégoire (livre 7, épitre 53) en
envoyant à Secondinus l’image du Sauveur, lui dit qu’il savait pourquoi
il la désirait tellement : pour être plus ardent dans l’amour de son
Seigneur.
La troisième utilité est l’incitation à l’imitation.
Le synode 7, acte 6, explique longuement cette sorte d’utilité.
Et saint Basile, dans son sermon sur les quarante martyrs, parle de la
même utilité. Est bien connu ce que Térence raconte dans
Eunuque. Un jeune homme qui regardait intensément des
tableaux représentant Jupiter en train de violer Diane s’est senti obligé
de faire la même chose. Saint Grégoire de Naziance, dans son poème
sur la vertu, (qui est cité dans le synode 7, actes 4), raconte, en sens
inverse, que quand une femme impudique alla trouver quelqu’un qui
l’avait appelée, elle vit sur le seuil de la maison, l’image
de Polémon, un homme chaste. Elle rougit de honte, et, faisant pénitence,
elle retourna chez elle.
Quatrièmement, les images sont utiles parce qu’elles conservent
en nous le souvenir du Christ et des saints, et nous rappellent, dans nos
épreuves, que nous avons des patrons que nous pouvons invoquer.
Dans sa vie de Siméon le stylite, Théodoret dit qu’à Rome, il
y avait un grand nombre d’images de saint Siméon, pour chercher à
en recevoir de l’aide et du secours. La cinquième utilité
est la confession de la foi. Car, quand nous aimons et honorons les
images des saints, nous témoignons que nous plaisent leur foi , leur doctrine
et leur saintes mœurs, et que, en même temps, nous détestons les diverses
formes d’impiété et d’idolâtrie contre lesquelles ils ont lutté
jusqu’à la mort. Et maintenant nous attestons surtout que
ne nous plaisent pas les nouveautés des luthériens et des calvinistes,
puisque nous révérons religieusement ce qu’ils détruisent en commettant
un sacrilège. La sixième utilité est l’honneur de Dieu et des
saints. Car, personne n’a jamais douté que sculpter des statues
ou peindre des images en hommage aux grands hommes ne serve à les honorer.
Il est certain que (livre 7, chapitre 14 de son histoire) c’est
la principale raison qu’il donne pour expliquer pourquoi les chrétiens
désiraient peindre des images des saints. Il importe
peu qu’on nous dise que cela vient des païens. Car, il ne
s’agit pas d’une superstition, mais d’une coutume naturelle.
Elle était donc bonne la coutume qui les poussait à élever des statues
pour les grands hommes, même s’ils ont pu se tromper en honorant des
scélérats et de faux dieux.
CHAPITRE 11
On propose la question du culte des images, avec les arguments des
adversaires.
Suit tout naturellement la controverse sur le culte. Doit-on
rendre un culte quelconque à ces images ? Au sujet de cette controverse,
saint Jean Damascène, vers la fin de son livre sur les hérésies, présente
deux hérésies extrêmes. L’hérésie de ceux qui prétendaient
qu’on doive rendre aux images des honneurs divins. Et il donne
à ces hérétiques le nom de christianocategores, ce qui veut dire accusateurs
de chrétiens parce que, à cause d’eux, on accusait les
chrétiens d’être des adorateurs d’idoles. Il est certain qu’Alexandre
Sévère a adoré les images du Christ et d’Abraham avec les autres
idoles, comme l’atteste Aelius Lampridius. Cette hérésie est
réfutée par tous les textes de l’Écriture qui interdit que le culte
qui n’est du qu’à Dieu seul soit attribué aux créatures. L’autre
erreur, qui lui est contraire, est celle de ceux qui ne souffrent aucune
sorte d’honneur accordé aux images saintes. Cette erreur saint
Jean Damascène la rapporte à la fin de son livre sur les hérésies.
Et elle a pour auteurs tous ceux dont nous avons cité les noms dans le
deuxième chapitre. Ils soutiennent qu’ils ne faut rendre aucun
hommage aux images pour les raisons suivantes.
La première. Parce que l’ancien et le nouveau testament interdisent
sévèrement le culte des simulacres (Exode 20, Deutéronome 4, Romains
1, etc). Et, parce que les catholiques leur répondaient que l’Écriture
blâme un culte attribué aux simulacres comme à des dieux, Calvin (livre
1, chapitre 11, versets 9 et 10) s’efforce de montrer que les Juifs autant
que les Gentils ne voyaient pas des dieux dans les simulacres, mais qu’ils
adoraient le vrai Dieu dans les simulacres; et que ce culte était blâmé
parce que Dieu ne supporte pas que son culte ait un lien quelconque avec
les images; et que, si on ne doit pas adorer Dieu dans une image, de la
même façon, les saints, même s’il était permis de les vénérer,
ne devraient pas être vénérés dans des images. Que les
Juifs ne considéraient pas les simulacres comme des dieux, mais que c’état
le vrai Dieu qu’ils adoraient en eux, Calvin le prouve par l’Exode
32, où on entend le peuple dire au sujet du veau d’or : « Voici tes
dieux Israël, qui t’ont fait sortir de la terre d’Égypte. »
Ils confessent là que, dans le veau, ils adorent le Dieu qui les a libérés
de l’Égypte. Et quand Aaron décréta une fête en l’honneur
du veau d’or, il ordonna aux hérauts de dire à haute voix : « Demain
c’est la solennité du Seigneur. » Et dans l’hébreu se trouve
le mot Yahvé. Dans les Juges 17, une femme a dit : «
J’ai sanctifié et j’ai voué au Seigneur mille cent pièces d’argent
pour faire une sculpture et un ouvrage en métal fondu. » Là aussi
nous avons le mot Yahvé, le nom propre de Dieu.
Que les Gentils aient adoré le vrai Dieu dans les idoles, il le prouve
par un texte de saint Augustin sur le psaume 113, qui déclare que les
païens avaient coutume de répondre quand on les accusait d’idolâtrie
: nous n’adorons pas l’idole elle-même, mais la divinité que l’idole
représente. De même. Les Gentils changeaient les idoles à
volonté, mais non leurs dieux. De même. Ils érigeaient plusieurs
simulacres pour le dieu unique. Car, tout en disant que Jupiter était
ce dieu unique, ils lui érigeaient de nombreux simulacres.
De plus, ils consacraient chaque jour de nouvelles idoles, mais ne disaient
jamais qu’ils faisaient de nouveaux dieux. Deuxièmement.
Ils citent trois conciles de Constantinople. Un sous Léon l’iconoclaste,
au témoignage de Paul le diacre, livre 21. Un autre, formé de 338 évêques,
sous Constantin Copronyme, au témoignage de Paul diacre (livre 22 sur
les choses romaines). L’un et l’autre ont décrété qu’il
fallait abolir les images. Les actes de l’un et l’autre concile
sont rapportées par les centuriates (centurie 8, chapitre 9).
Le troisième fut le concile de Francfort, dans lequel fut condamné le
septième synode qui avait statué qu’il fallait retenir les images.
C’est ce que racontent Ado (dans sa chronique à l’année 795, l’abbé
uspergensis (dans sa chronique de l’année 793), Hincmar de Reims, (livre
contre l’évêque jandunenses, chapitre 20 ), Jean Aventinus dans son
histoire ou annales des Bojorum (livre 4), Annonius (livre
4), et Rheginus (livre 2.)
Les magdebourgeois, pour leur part, (à la fin du chapitre 9 de la
huitième centurie) tirent de ce concile dix arguments contre les images,
réfutent 44 arguments du concile de Nicée, et répondent à onze
témoignages des pères qui avaient été présentés par le concile en
faveur des images. Mais ces arguments comme ces réfutations
ne sont que de la poudre aux yeux. Car, ce concile de Nicée n’a
jamais existé, comme nous le dirons plus loin, en son lieu et place.
Troisièmement. Ils exhibent quatre livres de Charlemagne contre
les images, desquels Calvin déduit que le concile de Nicée a été réfuté
par un roi orthodoxe; que dans le concile de Nicée une impiété manifeste
a été définie. Car, comme le montre le livre de Charlemagne,
il a été défini dans ce concile qu’il fallait accorder aux images
l’honneur des sacrifices, et le culte qui n’est rendu qu’à la sainte
trinité. Calvin a édité ce livre en 1549. Les centuriates
ajoutent (centurie 8, chapitre 9, colonne 645) qu’il existe encore,
contre les images, un autre livre beaucoup plus virulent, écrit
par un certain Ludovic Pius.
Quatrièmement. Ils citent les pères. Saint Irénée (livre
1, chapitre 24) a mis entre les hérésies le culte que Carpocrate rendait
aux images du Christ et de Paul. Saint Épiphane (hérésie 79),
dit que sont hérétiques ceux qui propagent les images de la sainte
Vierge et lui rendent un culte. Saint Ambroise, à la mort de Theodose,
dit : « Hélène a trouvé la croix du Seigneur. Elle a adoré le
Roi, non le bois, car c’est une erreur païenne. Elle
a adoré celui pendait sur la croix. » Saint Jérôme (chapitre
3 de Daniel) écrit : « Ceux qui rendent un culte à Dieu ne doivent pas
adorer les images de Dieu. » Saint Augustin (dans son livre sur
les mœurs de l’église, chapitre 36) écrit : « J’ai connu des adorateurs
d’images. » Saint Grégoire (livre 7, épitre 54 et 109,
et livre 8, épitre 9), dit qu’il ne faut pas adorer les images.
Ils présentent d’autres témoignages tirés des iconoclastes (synode
7, acte 6) qui sont réfutés au même endroit. Mais, ils n’offrent aucune
difficulté.
Cinquièmement, ils présentent l’exemple d’Ezéchias (4 Rois,
18) qui détruisit le serpent d’airain, car il était adoré.
Sixièmement. Il fait appel à l’expérience qui enseigne
que, dans le culte des images, se glissent peu à peu des superstitions
et l’erreur qui lie Dieu à l’image. Car pourquoi
telle image du Christ ou de Marie est-elle plus fréquentée que d’autres
? Pourquoi ceux qui veulent prier se dirigent-ils vers des images
? Pourquoi s’impose-t-on un long et pénible pèlerinage
pour aller vénérer telle image, alors qu’on en a dans sa maison de
plus belles et de plus excellentes ? Septièmement. Ils ajoutent
quelques raisonnements. L’image, disent-ils, est incapable
d’honneur puisqu’elle est une chose inanimée, privée de sens et de
raison. De même. L’image n’est pas sainte à cause
du bois ou du fer, ou du marbre, ou du plâtre, ni non plus à cause des
formes et des couleurs, ou des desseins. Pourquoi est-elle
donc honorée ? De plus, bien que l’homme soit une image de Dieu,
on n’a pas coutume de l’adorer. Le bois et les pierres méritent
encore bien moins d’être adorés, même s’ils représentent l’image
de Dieu ou des saints.
Voilà quels sont leurs principaux fondements. Nous y répondrons
au chapitre 13. Mais les lubies des Magdebourgeois, je les
passerai sous silence, car elles ne méritent pas de réponse. Ils disent,
par exemple, que le Christ est mort pour les hommes, non pour les images
: qu’il ne faut donc pas vénérer les images. Génial, à la vérité
! Un autre exemple. S’il était nécessaire de vénérer
les images, seuls les riches se sauveraient, car ils sont les seuls à
pouvoir les acheter. De même. Le Christ n’a
pas dit : celui qui reçoit les images me reçoit, mais celui qui vous
reçoit. Donc l’honneur de l’image n’est pas référé à l’exemplaire.
Cela ne s’appelle pas argumenter, mais batifoler.
CHAPITRE 12
C’est à bon droit qu’on rend un culte aux images du Christ
et des saints.
Quand nous affirmons, nous, qu’il faut honorer les images du Christ
et des saints, nous pensons à ce qui a été décrété par le concile
de Trente, chapitre 24 : ne pas placer sa confiance dans l’image, ne
rien lui demander, ne pas croire que se trouve en elle quelque chose de
divin, mais l’honorer seulement pour ceux (celles) qu’elle nous représente.
Cette sentence, on la prouve comme suit. D’abord, par des
témoignages qui traitent expressément des images. Exode 25 : les
chérubins du propitiatoire. Et, Nombre 21, le serpent airain.
Les images des chérubins qui étaient posées sur l’arche étaient nécessairement
adorées par ceux qui adoraient l’arche. Bien plus. Saint Jérôme
(dans son épitre à Marcella), dit que le tabernacle a été vénéré
par les Juifs parce que là étaient les chérubins. Le serpent d’airain
ne pouvait pas ne pas être honoré puisqu’il avait été placé par
Dieu dans un lieu élevé, et apportait le salut aux miséreux qui le regardaient.
Voilà pourquoi saint Augustin, (livre 3, chapitre 10 de la trinité),
parlant de certains signes qui méritent une vénération religieuse, prend
pour exemple le serpent d’airain. Mais, autant pour les images
de chérubins que pour le serpent d’airain, vaut la règle de saint Augustin
(livre 3, chapitre 9, la doctrine du Christ) : les signes utiles divinement
institués doivent être vénérés de façon à référer l’honneur
à ce qu’ils signifient. Or, il est certains que ces images
des chérubins et du serpent d’airain ont été utiles et ont été instituées
par Dieu. Et s’il est permis de vénérer les images des anges, pourquoi
pas celles des saints ? S’il a été permis de vénérer l’image
du Christ dans la forme du serpent (car que le serpent ait été la figure
du Christ, nous l’avons en Jean 3), pourquoi ne serait-il pas possible
de vénérer l’image du Christ dans sa forme humaine ?
Nous avons ensuite d’autres témoignages qui enseignent qu’on doit
honorer les créatures religieusement à cause de leur seule relation
à Dieu. Comme dans le psaume 95 : « Adorez l’escabeau de ses
pieds. » Et, en Matthieu 5 : « Ne jurez pas par le ciel, car il
est le trône de Dieu, ni non plus par la terre, parce qu’elle est l’escabeau
de ses pieds. » Il est à noter que le jurement est un acte religieux,
par lequel on honore principalement Dieu, et, secondairement, ce par quoi
on l’honore. Dieu prohibe donc un jurement qui est fait sans
les conditions voulues, comme par le ciel et la terre, pour ne pas
vilipender ces créatures qui ont une relation avec Dieu. Or,
ces images ont une relation avec Dieu. Elles doivent donc être honorées
dans la même mesure.
Le troisième genre de témoignages vient de ceux qui enseignent
que des créatures sont dites saintes ou sacrées à cause de leurs relations
avec les choses sacrées. Exode 3 : « Le lieu où tu te trouves
est une terre sainte. » Sainte à cause de la présence de l’ange.
Exode 12 . On dit que le jour de Pâque est un jour sain et vénérable
à cause de ce qu’il signifie, et parce qu’il était dédié au culte
divin. Exode 28. On dit que les vêtements des prêtres
sont sacrés pour la même raison. Dans Isaïe 11, on dit que
le sépulcre du Christ est glorieux. Dans 2 Timot 3, on dit que les
Écritures sont des lettres sacrées : « Tu connais les écritures sacrées
depuis ton enfance. » Pourquoi ces écritures sont-elles dites sacrées
si ce n’est parce qu’elles sont les signes des choses sacrées.
Ce ne sont pas seulement les écritures mais aussi les paroles que nous
avons coutume de vénérer, surtout le nom de Jésus. Et l’évangile
nous l’écoutons debout, tête découverte, et avec des lampes
allumées, même en plein jour, comme saint Jérôme le rappelle dans son
livre contre Vigilance. Puisque les images du Christ et des saints
ont été faites pour signifier et représenter des choses sacrées, pourquoi
ne pourrais-je pas les honorer ? Car, que ce soit une chose sainte,
et parce que sainte, vénérable, Exode 12 nous le fait comprendre
: « Le premier jour sera saint, et le septième vénérable, pour le même
motif religieux. » Tu vois qu’être saint et religieusement vénérable,
c’est une seule et même chose.
On le prouve ensuite par les canons de l’Église. Nous avons
d’abord le canon 82 du sixième synode où il est déclaré que les images
sont vénérables. Même si ces canons ne sont pas d’une
autorité assurée, même si ce canon n’a pas toujours été reçu dans
l’église, et qu’il est prouvé qu’il a été très peu utilisé
par l’église antique. Nous avons ensuite le synode romain sous
Grégoire 111 en faveur des images, formé d’au moins mille évêques,
célébré en 733, selon Sigebert dans sa chronique. Il y a
eu aussi un synode dans la ville de gentiliace, l’an 766, selon Adon.
On a parlé des images dans ce synode, et on a demandé aux Grecs de voir
les images saintes comme le font les autres pieux, comme Paul Aemilius
l’atteste, au livre 2. De plus, un autre synode favorable
aux images a été célébré à Rome sous Stephane 111, l’an 768,
selon Sigebert (dans le livre des images destiné à Charlemagne.)
Après l’année 788, le septième synode, acte 7, a défini
que les images étaient vénérables, non d’un culte de latrie, mais
du même honneur que nous rendons aux saintes lettres, aux vases sacrés,
etc. Témoins Paul le diacre, Cedrenus, et Zonaras.
Or, ce concile est tel que personne ne peut douter de son authenticité
ou de sa légitimité. Car, il bénéficia, au début, de la présence
des légats du pontife romain et de trois autres patriarches,
Alexandrie, Antioche, Jérusalem, ainsi que du patriarche de Constantinople.
Tous consentirent, comme les signatures le montrent. On peut
ajouter que 350 évêques furent présents, selon Cedrenus, c’est-à-dire
plus que dans le premier, le deuxième et le troisième synode. L’empereur
Constantin lui-même y apposa sa signature. On s’est disputé
âprement pendant tout ce concile, et on a mis à contribution
les saintes écritures, les conciles et les pères. Si jamais
il y a eu un concile légitime, c’est celui-là.
Il importe peu qu’on nous objecte que les conciles de Constantinople
précédents et celui de Francfort, aient statué le contraire.
Car, même si tous ces conciles étaient légitimes, ils devraient céder
le pas à celui de Nicée qui fut un concile général et plénier, eux
n’étant que des conciles particuliers. Car nous observons
la règle d’Augustin (livre 2, chapitre 3 sur le baptême), selon laquelle
les conciles particuliers doivent reconnaitre la supériorité des conciles
pléniers. Que ces trois conciles aient été des conciles particuliers,
on le prouve ainsi. Car, à Constantinople, des légats du pape Léon
n’ont pas été invités, et aucun patriarche n’y a participé
sauf celui de Constantinople, Germain, qui ne consentit pas aux décisions
du concile, et qui fut déposé. Au concile de Constantinople sous
Constantin Copronyme, les patriarches romain, alexandrin, antiochien,
Jérusalemien, ne furent présents ni par eux-mêmes, ni par des
légats, mais seulement par un pseudo évêque que les hérétiques
nommèrent patriarche, après avoir déposé Germain. C’est que
rapportent Cedrenus et Zonaras dans la vie de Constantin Copronyme,
et même les magdebourgeois (centurie 8, chapitre 9, colonne 551.)
Ainsi que Paul diacre qui était encore vivant (livre 22 des choses romaines.)
Enfin, le synode de Francfort, au jugement de tous, fut un synode particulier,
même si (s’il faut en croire les centuriates) furent présents des légats
romains, qui n’approuvèrent pas les décisions du concile.
En pensant à ces conciles illégaux et éphémères, on réalise que seul
le concile de Nicée fut légitime, puisque ses décisions ont traversés
les siècles. En effet, les images demeurèrent dans les temples,
et l’Église leur rendit toujours l’honneur congru. Bien
plus, les actes de ce concile sont les seuls à avoir été conservés,
tandis que ceux des trois autres se sont vite évaporés. Seuls les
historiens en ont gardé quelque souvenir. La même chose s’est
produite à l’égard du premier concile de Nicée. L’empereur
arien Constance fit célébrer plusieurs conciles contre le concile de
Nicée, mais cette hérésie avec ses conciles s’est envolée en fumée
: seuls la foi et les conciles de Nicée nous sont parvenus.
Nous avons de plus le huitième concile général, (dernier acte, canon
3, session 25 du concile de Trente.)
Troisièmement. On le prouve avec les Pères. Saint
Basile (contre Julien, que le pape Adrien cite dans sa lettre aux empereurs,
acte 2 du synode7 ) : « J’honore les histoires de ces images, et j’adore
ouvertement ce qui nous a été transmis par les saints apôtres.
On ne doit pas prohiber… » Saint Jean Chrysostome sur la
liturgie, dit : « Le prêtre incline sa tête devant l’image du Christ.
» Saint Ambroise (sermon 10, psaume 118) : « Celui qui couronne
l’image de l’empereur lui rend vraiment honneur; et celui qui méprise
la statue de l’empereur, c’est à l’empereur lui-même qu’il semble
faire injure. » Saint Augustin (livre 3, chapitre 10 de la trinité)
dit, en parlant des signes sacrés tels que sont les sacrements, les images
et les saintes lettres : « Puisque ces signes sont connus par les hommes,
car ils ont chacun un nom, on peut les honorer d’un honneur religieux.
Ils ne peuvent pas susciter de l’effroi comme le font les choses mystérieuses.
» Parmi les signes qui sont connus par leur nom, et qui méritent
un honneur religieux, il énumère le serpent d’airain. De
même (dans le livre 3, chapitre 9 de la doctrine chrétienne), il dit
qu’ils servaient sous des signes utiles ceux qui, comme les Juifs d’autrefois,
ne savaient pas ce qu’ils signifient. Et ceux qui vénèrent des
signes utiles, tout en sachant ce qu’ils signifient, n’honorent pas
tant le signe que la chose qu’il signifie. Et ils sont donc libres.
Que les images des saints soient des signes utiles divinement
institués, et donc dignes de vénération tant par les esclaves que par
les hommes libres, le livre 2 de la doctrine chrétienne (chapitre
25) nous le montre saint Augustin, , quand il dit que les peintures et
les statues appartiennent aux institutions superflues, excepté celles
qui, en temps et lieu, ont été proposées pour une bonne fin par celui
qui détient l’autorité. Telles sont certainement les images du
Christ et des saints. De plus, dans le livre 10 des confessions (chapitre
34), il reproche aux peintres et à d’autres artistes du même genre
d’avoir péché par mangue de modération et de jugement,
et d’avoir fait peu de cas de la signification religieuse. Il admet
donc là implicitement qu’il y a des peintures qui sont valables, qui
ont une signification religieuse, et qui sont donc vénérables.
Au dixième anniversaire de la mort de saint Félix, saint Paulin
parle ainsi des images peintes dans le temple : « Nous admirons les figures
sacrées comme des monuments des anciens. » En disant que les images
sont sacrées, il enseigne en même temps qu’elles doivent être honorées.
Saint Grégoire (livre 7, épitre 5 l’évêque Januarius Caralitanus,)
en parlant de l’image de la sainte Vierge et de la croix qui avaient
été placées dans une synagogue des Juifs, ordonne de les sortir de là
: « Je vous enjoins, par les présentes, au sujet de la croix et de l’image
qui sont dignes de vénération, de corriger ce qui a été fait par la
violence. » Et, au livre 7, épitre 53 à Secundinus, il enseigne
qu’on doit honorer une image sacrée par une prostration, mais non comme
dieu : « Nous nous prosternons devant elle, mais non comme devant
une divinité. »
Saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 17) dit que le culte
de la croix et des images est une tradition apostolique. De plus,
il est très certain que la croix, c’est-à-dire l’image du crucifix
a toujours été honorée dans l’Église. Car, Lactance dit, dans
son poème sur la passion du Seigneur : « Fléchis le genou, et adore
le bois vénérable de la croix. » Et Sedulius (livre 5, chant pascal)
: « Personne n’ignore qu’il faut rendre un culte aux représentations
de la croix. »
Saint Ambroise (dans son oraison sur la mort de Theodose) dit : «
Elle a agi sagement Hélène quand elle leva et plaça la croix du Christ
sur la tête des rois, pour que la croix du Christ soit adorée dans les
rois. » Et (dans le livre de l’incarnation du Seigneur, chapitre
7), il dit : « Quand nous vénérons la croix et l’image de Dieu dans
le Christ, le divisons-nous ? » Saint Jérôme (dans la vie de Paula),
dit : « Prosternée devant la croix, elle adorait le Seigneur comme si
elle le voyait pendant. » Saint Athanase, question 16 à Antioche
dit que les chrétiens vénèrent l’image de la croix plus que
la lance, la colonne de sa flagellation, ou les clous pour que, si
les païens nous accusent de vénérer le bois, nous puissions séparer
les montants de la croix, et une fois l’image de la croix disparue, fouler
aux pieds ces deux morceaux de bois, pour leur faire comprendre que
ce n’est pas le bois que nous vénérons, mais l’image du Christ.
Les pères témoignent donc que les païens ont toujours accusé les chrétiens
d’adorer du bois parce qu’ils vénéraient l’image du Christ en croix.
Tertullien (dans son apologétique, chapitre 16), dit que les
chrétiens ont été appelés les religieux de la croix. Et il ne
nie pas que ce soit vrai. Minitius Felix (dans Octavius), répond
aux Gentils qui nous reprochaient d’adorer la croix : « Ce n’est
pas la croix que nous adorons ». Il parlait de l’adoration
qui n’est due qu’à Dieu seul, l’adoration de latrie, car c’est
cela qu’on reprochait aux chrétiens. Par la même objection que
fait Julien dans saint Cyrille d’Alexandrie (livre 6), on
constate que la croix était effectivement vénérée par les chrétiens.
Car, il est clair que les païens n’auraient jamais accusé les
chrétiens d’idolâtrer la croix s’ils ne les avaient pas vus en train
de vénérer la croix.
Ridicule est la réponse que font les magdebourgeois qui, en
s’appuyant sur le concile de Francfort, (centurie, 8, chapitre
9, vers la fin). disent que la croix et les autres images n’ont
rien en commun, parce que ce n’est pas par une image que
le Christ nous a rachetés, mais par la croix. Car cette réponse
milite contre les centuriates, puisqu’ils n’admettent pas qu’on
puisse honorer les images. On peut ensuite qualifier leur réponse
de réponse d’un incompétent , car le Christ ne nous a pas libérés
par cette croix en or, en argent que nous vénérons, mais
par une croix de bois dont celle que nous vénérons est l’image.
Nous n’avons pas non plus partout la vraie croix du Christ, et
les anciens du temps de Tertullien et de Minutius l’avaient encore bien
moins, puisqu’elle a été découverte au temps du grand Constantin.
Le Christ ne nous a pas plus rachetés par son corps que par la croix
de bois. Voilà pourquoi, s’il est permis de vénérer l’image
du crucifix, il est encore plus permis de vénérer l’image de
son corps.
Quatrième argument. On le prouve par les miracles. En
effet, par les images du Christ et des saints, Dieu a opéré beaucoup
de miracles. Ce qui nous fait penser que plait à Dieu la vénération
des images. Je raconte d’abord un miracle célèbre rapporté
par Eusèbe (livre 7, chapitre 14). Aux pieds de la statue du Christ
faite par l’hémorroïsse, à Panéade, de l’herbe inconnue à
tous avait coutume de pousser, et elle croissait jusqu’à la fibre
du vêtement du Christ. Et, quand elle l’atteignait, elle avait
le pouvoir de guérir toutes les maladies. C’est aussi ce
que rapporte Theophylacte (au chapitre 9 de Matthieu). L’historien
Sozomène (livre 5, chapitre 20 de son histoire) ajoute un
autre miracle. Quand Julien l’apostat fit enlever cette statue
et mettre la sienne à sa place, un feu venant du ciel a rapidement détruit
la statue de Julien. Sa tête fut séparée de son corps, exactement
comme cela était arrivé à l’idole Dagon (1 Rois 5).
On ne peut pas ne pas relever un insigne mensonge des centuriates.
Ce qui est arrivé à la statue de Julien, ils l’attribuent aussi à
la statue du Sauveur. C’est ainsi qu’ils parlent (dans
la centurie 4, chapitre 13, colonne 1447) : « Il semble que cette destruction
d’une statue par la foudre soit un signe céleste que ne plait
pas à Dieu la superstition qui attribue à une statue un pouvoir quelconque.
» Et ils appellent superstition le pouvoir de cette herbe
qui guérissait toutes les maladies. Et quand ils disent que l’image
du Christ a été abattue par la foudre ils mentent effrontément en contredisant
tous les historiens. Quand ils attribuent à une superstition
diabolique les miracles du Christ les plus attestés, ils imitent les scribes
et les pharisiens qui calomniaient le Christ en attribuant ses miracles
au démon. On peut lire beaucoup d’autres miracles faits par Dieu dans
les magdebourgeois (centurie 6 et suivantes, chapitre 13), et répondre
à l’argument tiré des livres de Charlemagne : parce que les images
font des miracles, il ne s’ensuit pas qu’on doive les adorer.
Car, c’est par l’eau du Jourdain qu’Élisée a guéri Naamain,
par sa salive que le Christ a guéri un aveugle. Et, cependant nous
n’adorons ni l’eau ni la salive. De plus, les mauvais eux-mêmes
font parfois des miracles, et nous jugeons pourtant que de tels hommes
sont indignes de tout honneur.
Je réponds qu’il faut regarder la fin des miracles. Car, ce
qui est confirmé par un miracle est attesté par Dieu. Élisée
et le Christ n’ont pas, pour faire leur miracle, utilisé
l’eau et la salive dans le but de les honorer, mais pour
montrer l’un qu’il était le prophète de dieu, et l’autre le Fils
de Dieu. De même, les hommes mauvais ne font pas de miracles pour rendre
témoignage à eux-mêmes ou à leur vie, mais à la foi. Voilà
pourquoi c’est la foi qu’ils prêchent qui est vénérée, et
non eux-mêmes.
Les miracles ont été faits pour approuver ou sanctionner le culte
des images. Car, pourquoi la foudre a-t-elle détruit la statue de
Julien si ce n’est pour venger l’injure faite à la statue du
Christ ? Et pourquoi, d’une image enfouie par les Juifs du sang
est-il sorti qui guérissait un grand nombre de malades et d’infirmes,
comme le rapportent Athanase (dans son livre sur la passion de l’image
de Dieu), Grégoire de Tours (dans la gloire des martyrs, chapitre
21), Rheginus (dans sa chronique en l’an 804), si ce n’est pour montrer
qu’il honore ce que les Juifs affectaient de mépriser. De plus,
les bienfaits que Dieu communique par les images, sont accordés à ceux
qui honorent les images, et qui estiment que le culte des images plait
à Dieu. Car, ce miracle fait à Edesse par l’image du Christ,
dont parle Évagrius (livre 4, chapitre 26) a été fait pour la
guérison de ceux qui vénéraient les images.
Zonaras raconte (dans la vie de Michaël Balbus) que, quand
Leon Armenius persécutait les images, son fils Sabbatius Constantin qui
était muet, s’est approché d’une statue de saint Grégoire
de Naziance, et qu’après avoir prié mentalement le saint, il reçut,
par un miracle divin, le don de la parole. Or, si le culte
des images était une idolâtrie, c’est Dieu lui-même qui aurait encouragé
l’idolâtrie. Paul le diacre (livre 21 sur les choses romaines)
écrit que quand un certain iconoclaste, apercevant une statue de la sainte
Vierge, lui lança des pierres, il vit la vierge le menacer en ces
termes terribles : « C’est sur ta tête que tu as fait cela. » Et,
un peu après, il a été frappé par une pierre qui lui a fracassé la
tête, comme la statue le lui avait prophétisé.
On peut tirer aussi un argument du semblable, de cette façon.
Un homme est digne de vénération parce qu’il est l’image de Dieu.
Donc les autres images du Christ et des saints sont dignes de vénération,
car ce qui convient à une image du fait qu’elle est une image convient
aussi à toutes les images. Que l’homme soit vénérable en tant
qu’il est une image de Dieu, saint Cyrille et saint Augustin l’attestent.
Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 12) dit : « L’image de bois
d’un roi terrestre est honorée. A combien plus forte raison l’image
raisonnable de Dieu. » Saint Augustin (épitre 203 à Maxime, évêque
des donatites), explique pourquoi, dans le titre de sa lettre, il avait
écrit : au frère honorable. Il lui dit que ce qu’il honore en
lui ce n’est pas l’épiscopat, mais l’image de Dieu qu’il savait
être en lui puisqu’il était un homme.
Les magdebourgeois répondent (d’après le livre de Charlemagne)
que cet argument ne permet pas de conclure parce que les images de l’homme
peintes ne sont pas semblables à l’image de Dieu, car l’image de Dieu
est dans l’esprit, et les peintures ne sont une image de l’homme que
dans sa forme extérieure. Incompétents ! Car l’argument
procède d’une proportion similaire : comme l’homme se comporte envers
Dieu dont il est une image, de la même façon l’image se comporte envers
le Christ, dont elle est une image. Si donc l’homme est honorable
parce qu’il est une image d’une chose honorable, l’image sera certainement
dite aussi honorable parce qu’elle est l’image d’une chose honorable.
Ils répondent deuxièmement. L’homme n’est pas
adoré religieusement, mais civilement. Or, même si l’homme en
tant que roi ou empereur est honoré civilement, l’homme, lui, en tant
qu’image de Dieu est honoré religieusement. La raison pour laquelle
on honore une chose sacrée est la suivante : lorsque quelqu’un honore
un homme parce qu’il est saint, ou prophète, ou prêtre, ou évêque,
il est certain que c’est religieusement qu’il l’honore, et non civilement.
Le sixième argument est tiré aussi du semblable. L’image
du roi est vénérable par un honneur civil. Donc, les images du
Christ et des saints sont honorables d’un culte religieux. Cet
argument peut être confirmé par la fraude de Julien l’apostat, que
décrivent saint Grégoire de Naziance (dans son sermon 1 sur Julien) et
Paul diacre (dans sa vie de Julien), etc.
C’était entré dans les mœurs que tous devaient adorer les
images des empereurs, ce que les chrétiens eux-mêmes faisaient, car ils
comprenaient très bien qu’ils ne faisaient qu’une adoration civile.
Et cela valait même pour les empereurs païens. Mais Julien
l’apostat, pour obliger les chrétiens, au moins par erreur, à adorer
une idole, avait ordonné que son image soit peinte de façon à ce qu’elle
le soit en même temps qu’on peindrait l’empereur couronnant
au ciel Jupiter. On devait peindre aussi Mercure et Mars contemplant
l’empereur pour indiquer par là qu’il était sage et fort.
Il proposait ensuite qu’on le peigne parmi les dieux pour que, en vénérant
l’image de l’empereur, les chrétiens vénèrent en même temps les
images des faux dieux. Saint Grégoire de Naziance reconnait que
furent jugés dignes de pardon les chrétiens plus simples qui ne
flairèrent aucune ruse, et qui ne pensaient adorer rien d’autre que
l’image du roi.
Les centuriates répondent au lieu cité que ces choses ne sont pas
semblables, parce que l’image du roi est honorée à cause de l’absence
du roi qui ne peut pas être partout à la foi dans son royaume, alors
que Dieu, lui, est présent partout. Mais, d’abord, nous
ne demandons pas pourquoi est adorée l’image du roi, mais, du
fait qu’elle est adorée, nous en déduisons que c’est à bon droit
qu’est adorée l’image du Christ. De plus, le Christ, en tant
qu’homme, n’est pas partout. Ensuite, il est faux que les images
du roi ne soient pas honorées en sa présence. Bien plus,
celui qui fait une insulte à l’image du roi en sa présence commet une
faute plus grande qu’en son absence. De même c’est une chose
qui plait grandement aux rois qu’on honore leur image en leur présence..
Le septième argument est tiré du contraire. L’image
est capable d’injure et de mépris, donc d’honneur et de culte.
Eusèbe (livre 9, chapitre 10 de son histoire) raconte que, à la honte
de Maximin, ses images avaient été effacées ou défigurées par
des couleurs noires. La même chose s’est produite dans le cas
de Domitien, selon Svetonius. Theodose (le meilleur et le plus pieux
des princes) fut si fâché quand les antiochiens détruisirent l’image
de son épouse, qu’il s’en est fallu de peu qu’il ne détruise
toute la ville. Deux sermons de saint Jean Chrysostome nous sont
conservés qui déplorent ce crime commis contre l’empereur. Voir
aussi Theodoret (livre 5, chapitre 19 de son histoire). De plus,
l’apostat Julien n’aurait pas maltraité ainsi la statue du Christ
s’il n’avait pas pensé qu’en agissant ainsi il lui faisait une grande
injure. Et Dieu n’aurait pas frappé la statue de Julien avec sa
foudre s’il n’avait pas reçu de lui d’injure, et si ce n’avait
pas été pour le déshonorer.
Le huitième argument. On a du mérite à exécrer les idoles
des Gentils, et à les détruire, et on loue grandement Theodose
parce que, au témoignage de Theodoret (livre 5, chapitre 20 de son histoire)
il a ordonné que les idoles soient détruites partout. Et il est
certain que cela ne s’est fait qu’à cause de ce qu’elles signifiaient,
parce qu’elles étaient les images des faux dieux. Au contraire,
les images du Christ et des saints sont honorables parce qu’elles sont
des choses bonnes et saintes. Le neuvième argument est tiré de
l’impiété des iconoclastes, et de la piété de ceux qui vénèrent
les images. Car, les iconoclastes, comme nous l’avons montré
au chapitre 2, furent tous ou des Juifs, ou des Samaritains, ou des
Mahométans, ou des nécromanciens, ou des hérétiques manifestes.
Personne ne peut nier que ce sont des impies. Or, ceux qui défendirent
les images furent saints et savants, comme les papes Grégoire et
Adrien, les évêques de Constantinople Germain et Tarasius, Saint
Jean Damascène, Méthode, Léonce, Jonas aurélien, Paul diacre,
et d’autres qui furent, au témoignage de tous, des hommes pieux
et doctes. Il n’est pas crédible que Dieu ait voulu enseigner
son Église par ses ennemis plutôt que par ses saints amis.
Et que dire de ce que le diable lui-même déteste les images ?
Voici, en effet, ce que nous lisons dans le pré spirituel (chapitre 45).
Un ermite se plaignait que l’esprit de fornication qui le vexait vieillissait
avec lui et refusait de le quitter. Le diable lui apparut alors,
et lui promit qu’il s’en irait s’il cessait de vénérer l’image
de la sainte Vierge qu’il avait dans sa cellule. Dira-t-on que
le démon fait semblant de haïr les images pour que, par cette feinte,
il pousse les hommes à les vénérer plus longtemps ? Or, s’il
en ainsi, pourquoi le démon, par les Juifs et les Mahométans, a-t-il
si souvent détruit les images ? Le dixième argument se tire de
la malheureuse issue des iconoclastes, et du bonheur de ceux qui ont vénéré
les images. D’abord, au temps de Léon l’iconoclaste, après
que les images des saints furent brulées sur la place publique de Constantinople,
une peste si grave fit rage que trois cent mille hommes de Constantinople
en moururent. Voir la chronique de Matthieu Palmeri, l’an
741. De même, par la même occasion, le même Léon (ainsi
que ses successeurs) perdit le royaume de l’Italie, et ne put jamais
le récupérer. Voir Zonaras et Paul diacre dans la vie de ce Léon.
Au même moment, le roi des Arabes Exide qui avait ordonné de détruire
les images des chrétiens, ne survécut même pas une année complète,
alors que trente ans de règne lui avaient été promis par celui qui l’avait
engagé dans ce sacrilège.
Au temps de Constantin Copronyme, des calamités inouïes frappèrent
l’Orient. Des séismes gigantesques dévorèrent des villes
entières et tuèrent des milliers d’hommes. Fit aussi son
apparition une peste d’une virulence telle que les vignes, les
jardins, les puits et d’autres lieux suffisaient à peine pour ensevelir
les cadavres. Pour qu’on n’ait point de doute sur la cause
de ces malheurs, partout, en même temps, de petites croix, comme
peintes à l’huile, apparaissaient sur les habits des hommes, les
voiles sacrés, les vêtements sacerdotaux. Dieu voulait manifestement
que l’on voie partout l’image de la croix que Constantin Copronyme
s’efforçait, en ce temps, d’anéantir. Puis, un froid sibérien
fit non seulement geler la mer du Pont, mais forma des glaces
d’une épaisseur de trente coudées. Un peu après, la débâcle
commença, et des blocs énormes de glace semblables
à de grosses montagnes ou à des îles flottaient un peu partout à une
grande vitesse. Quelques-uns de ces icebergs se rendirent à Constantinople
et renversèrent certaines maisons. Paul diacre atteste avoir vu
tout cela.
La même année, la sécheresse fut si grande que presque
toutes les rivières, les fontaines, les puits se tarirent. De telle
sorte que tous comprenaient et disaient ouvertement que ces calamités
s’étaient abattues sur le peuple à cause de l’impiété commise contre
Dieu et ses saints. Enfin, l’empereur obstiné mourut en
criant, car, il a été brûlé encore vivant par un feu inextinguible,
comme en témoignent Zonaras et Paul diacre dans la vie de cet empereur.
À l’inverse, Pépin et son fils Charlemagne qui, avec le souverain
pontife, défendaient les images, vécurent heureux, eurent un règne
long et toujours victorieux.
CHAPITRE 13
On répond aux arguments des adversaires
Il reste à répondre aux arguments des adversaires. Au
premier de Calvin je dis que dans ces passages de l’Écriture, on réprouve
l’idolâtrie, c’est-à-dire le culte des images considérées comme
des dieux, ou par lesquelles sont adorés comme dieux ceux qui ne le sont
pas. Au sujet de la preuve que Calvin tentait d’en donner, à savoir
que c’est Dieu que les Juifs et les Gentils adoraient dans les idoles,
je dis que dans les paroles de Calvin sont contenus plusieurs mensonges.
Son premier mensonge : les Juifs et les Gentils n’appelaient pas leurs
dieux des idoles. En effet, (au livre 1, chapitre 11, verset 10),
Calvin dit, en s’objectant à lui-même la réponse des catholiques :
« nous ne les appelons pas nos dieux, mais des images », il répond :
« Les Juifs et les Gentils ne les appelaient pas non plus ainsi.
Et pourtant les prophètes ne cessaient pas de leur reprocher leurs fornications
avec le bois et la pierre. »
Si les Juifs ne disaient pas que les idoles étaient leurs dieux,
d’où vient l’Exode 32 : « Fais-nous des dieux qui nous précèdent.
» Et : « Voici tes dieux, Israël. » D’où vient ce texte
de Michée, Juges 18 : « Mes dieux, ceux que je m’étais faits, vous
les avez enlevez. » Et, 3 Rois 12 : des deux veaux de Jéroboam,
on dit : « Voici tes dieux, Israël » Que les païens aient
appelé dieux leurs simulacres aucun lecteur de leurs poètes ou
de leurs orateurs ne l’ignore. Mais un seul passage nous suffira
(Daniel 5) : « Ils buvaient le vin et louaient leurs dieux en or, en argent,
en airain, en bois, ou en pierre. » Et cet autre tiré de Sagesse,
chapitre 13 : « Ils appelèrent dieux les œuvres de leurs mains. »
L’Écriture peut-elle plus clairement répudier le mensonge de
Calvin ?
Le second mensonge. Quand les Juifs ont fabriqué leur
veau d’or, ils n’ont pas oublié le vrai Dieu. Car les
paroles de Calvin sont en totale opposition aux paroles de la Bible.
Au livre 1, chapitre 11, verset 9, voici ce qu’il dit : « Les Juifs
n’étaient pas écervelés au point d’avoir oublié le Dieu qui les
avait fait sortir de l’Égypte. » Or, dans le Deutéronome
32, on lit : « Tu as abandonné le Dieu qui t’a engendré, et tu as
oublié le Seigneur ton Créateur. » Et, dans le psaume 105 : «
Ils ont fait un veau à l’Horeb, et ont adoré une sculpture. Et
ils ont oublié le Dieu qui les avait sauvés, qui avait fait pour eux
de grandes choses en Égypte, des merveilles dans la terre de Cham, des
choses terribles sur la mer rouge. » Et Jérémie, chapitre 2 :
« Ils coururent après la vanité, c’est-à-dire après les idoles,
et ils ne dirent pas : où est le Seigneur qui nous a fait monter de la
terre d’Égypte. » Quoi de plus clair !
Le troisième mensonge. Dans toutes leurs idoles, les Juifs
adoraient le Dieu un et vrai. Voici ce qu’il dit au livre 1, chapitre
11, verset 8 : « Ils savaient que Dieu existait, dont ils connaissaient,
par expérience, le pouvoir. Mais par l’image qui précédait,
ils voulaient connaitre le dieu qui leur servait de guide dans le chemin.
» Et, au verset 9, il ajoute : « Les Juifs étaient
persuadés d’adorer, sous ces simulacres, le Dieu éternel, le vrai Seigneur
du ciel et de la terre. » Mais cela est un mensonge, et je le prouve.
Car, si les Juifs voulaient un tel signe corporel, ils n’avaient pas
besoin de faire de veau, car ils avaient la nuée et la colonne de feu
qui les guidaient beaucoup mieux qu’un veau qu’ils devaient toujours
porter à bout de bras. Ce n’était donc pas un signe corporel
qu’ils cherchaient, mais un dieu corporel,
Ensuite, parce qu’on ne peut pas donner d’autre explication à
leur choix d’un veau plutôt qu’à celui d’un bœuf ou de toute autre
chose que parce qu’ils étaient habitués de voir le dieu suprême des
Égyptiens qui était un veau noir blanc, avec des taches toutes
spéciales, et que l’on appelait apis. Voir là-dessus Cicéron (livre
1, sur la nature des dieux), saint Augustin (livre 18, chapitre 5 de la
cité de Dieu), et tous les écrivains : Hérodote, Diodore, Plutarque,
Pline, Suidas, Eusèbe,etc. Parce qu’ils virent en Égypte
un veau recevoir les honneurs suprêmes, les Juifs pensèrent
que le Dieu du ciel était ce veau, et c’est pour cela qu’ils fabriquèrent
la statue d’un veau.
Troisièmement. Parce que, en Josué, dernier chapitre, une option
est donnée aux Hébreux : ou ils veulent servir des dieux étrangers,
ou le Dieu d’Israël. Ils n’adoraient donc pas le Dieu d’Israël
dans les idoles, et ils ne pensaient pas non plus qu’ils l’adoraient.
Car, on pourrait répondre que cette alternative était inepte, si comme
le prétend Calvin, ils adoraient le vrai Dieu dans les idoles.
On confirme la même chose avec 3 Rois, 18, où Élie dit : « Jusqu’à
présent, vous avez boité de deux côtés. Si le Seigneur est Dieu,
suivez-le. Si Baal est Dieu, suivez-le. » Quand les
Juifs adoraient l’idole Baal, ils n’adoraient certainement pas le vrai
Dieu. J’ajoute cet autre passage du Deutéronome 32 : «
Ils ont immolé aux démons, et non à Dieu, à des dieux qu’ils ignoraient.
» Ajoutons qu’on aurait faussement accusé les Juifs de servir
des dieux étrangers si, dans les idoles, ils avaient toujours adoré le
vrai Dieu.
Mais, tu demanderas : pourquoi dit-on du veau dans l’Exode 32 : «
Voici tes dieux qui t’ont fait sortir de la terre d’Égypte » ?
Et comment dit-on d’un veau : « Demain, c’est la solennité du Seigneur.
» Et dans les Juges : « J’ai sanctifié cet argent auprès du
Seigneur pour en faire des idoles. » Au premier texte, je réponds
que les Juifs pensaient que le bienfait de la libération ils l’avaient
obtenu non du Dieu de Moïse, mais du dieu des Égyptiens. Au deuxième
et autre troisième texte, il y a deux réponses possibles.
La première, celle de Cajetan (au chapitre 32 de l’Exode), que
les Juifs attribuaient le vrai nom de Dieu à l’idole de l’idolâtre,
et que c’est peut-être ce que signifie l’Écriture (Sagesse 14) quand
elle dit : « Ils ont imposé mon nom incommunicable aux pierres et au
bois. » Il n’y aucun nom de dieu incommunicable en dehors
du mot Yahve, car les autres noms sont donnés aussi aux créatures.
Tu diras que cet autre nom hébreu (Seigneur ?) est le nom propre du
Dieu d’Israël; qu’il ne pouvait donc pas être communiqué à d’autres.
Je réponds que les Juifs qui croyaient qu’il y avait plusieurs dieux,
ne pensaient peut-être pas que ce nom soit lui soit propre. Ils
communiquaient peut-être ce nom à d’autres par similitude. Car,
quand les Égyptiens disaient que le Nil était leur Jupiter, et quand
nous disons nous d’un soldat rapide qu’il est notre Achille,
d’un savant, notre Caton, les Juifs pouvaient aussi dire du veau qu’il
est notre (mot hébreu) Seigneur ?
L’autre solution est celle d’Abulensis, de Cajetan et d’autres
au chapitre 16 des Juges. Ils disent que, pour les Hébreux, il y
avait deux genres d’idoles. Une, sans le nom
d’un Dieu particulier, telle que fut l’idole de Michae (Juges
17), et peut-être le veau d’or que fit Aaron (Exode 32) et que renouvela
Jéroboam (3, Rois, 12). Car, l’Écriture ne nomme pas le
dieu veau le dieu Moloch, le dieu Baal, mais dit toujours : voici
quels sont tes dieux Israël. L’autre genre : avec un nom précis
comme Baal, Moloch, Astaroth, Chamos. Ils disent qu’il n’est
pas improbable de pourvoir admettre que, selon le premier genre, les Juifs
pensaient adorer le vrai Dieu dans l’idole. De plus, ils erraient
gravement en cela, d’abord parce qu’ils sacrifiaient à
une idole, et croyaient que, dans cette idole, se trouvait une vertu divine;
et ensuite, parce qu’ils imaginaient que Dieu était corporel,
et qu’il était semblable à cette idole. Il s’ensuit que, même
s’ils pensaient adorer le vrai dieu, ils n’adoraient qu’une fiction.
Exemple. Les manichéens disaient adorer le Père et son Fils le
Christ. Mais, parce que, par Dieu, ils entendaient une lumière corporelle,
et par le Christ, ce soleil corporel, ils n’avaient de Dieu et
du Christ que le nom seul.
Que les Juifs aient pensé que Dieu était corporel, et semblable à
l’idole, le veau d’or nous l’apprend. Car, la raison
pour laquelle ils représentaient Dieu sous la forme d’un veau c’est
parce qu’ils avaient vu, en Égypte, un veau auquel on rendait les honneurs
suprêmes. Voilà pourquoi ils estimaient que le dieu suprême était
un veau; et c’est de cette façon que les Juifs avaient vraiment oublié
Dieu, même s’ils pensaient ne l’avoir pas oublié. Mais, dans
les idoles du second genre, il est si certain que les Juifs n’ont pas
adoré le Dieu d’Israël, ni n’ont pensé le faire, que même
le calviniste Pierre le martyr le reconnait (chapitre 17, Juges.)
Le quatrième mensonge. Les païens ne pensaient pas que les
idoles étaient des dieux. C’est ce que dit Calvin (livre
1, chapitre 11, 9) : « On ne doit pas penser que les païens étaient
stupides au point de ne pas comprendre que Dieu était autre chose que
du bois ou des pierres. » Même s’il y en a eu qui ne furent pas
stupides au point de penser que des idoles de bois ou de pierre étaient
des dieux, il y en a eu plusieurs d’assez stupides pour penser
que les idoles vivaient et entendaient, et étaient des dieux.
Quatre choses poussaient les païens à penser que les idoles
étaient des dieux. La première. C’est ce que leur disaient leurs pontifes.
La seconde. Parce qu’ils voyaient que presque tout le monde croyait ainsi.
La troisième. Parce que, par l’opération des démons, les idoles
bougeaient, parlaient, et prédisaient le futur. Et même si c’était
les démons qui les faisaient bouger et parler, les païens pensaient
que c’était elles-mêmes qui se déplaçaient et qui parlaient.
Que l’idole avait coutume de parler, on l’apprend par Exéchiel
21, et de Zacharie 10, et du livre l, chapitre ultime de Valerius
Maximus. La quatrième. Parce qu’ils étaient de forme humaine.
Et celui qui constate que ses membres sentent et vivent se persuade facilement
que des membres semblables aux siens sentent et vivent, surtout s’il
l’entend dire par des savants. Mais quelles qu’en furent les
causes, je prouve maintenant que plusieurs païens ont pensé que
les idoles étaient des dieux; et que Calvin a donc menti.
Je le prouve d’abord par l’Écriture. Car, tous les
prophètes s’évertuent à enseigner que les idoles d’or et d’argent
ne sont pas des dieux. Et la preuve qu’ils en donnent c’est qu’ils
ne parlent, ni ne voient ni n’entendent. Voir Isaïe 46, David
psaume 113, psaume 134, et Habacuc 2. Mais surtout l’épitre de
Jérémie Baruch 6, où il conclut chaque argument par ces mots :
à cause de quoi vous comprenez qu’ils ne sont pas dieux. Les prophètes
seraient de grands fous s’ils s’efforçaient d’écarter ce à quoi
personne n’avait jamais pensé. De plus, dans les Actes 9,
les païens disent de Paul : Paul nous persuade de croire que ne sont pas
dieux ceux qui ont été faits de main d’homme. De plus,
dans Jérémie 2, et Sagesse 13 et 14, l’Écriture dit que
les païens ont coutume d’invoquer les idoles, et de leur recommander
leur salut. Or, personne n’invoque ou ne prie un simulacre, dit
Augustin (psaume 113) s’il ne pense pas pouvoir être exaucé par lui.
On le prouve, en second lieu, avec les pères. Augustin,
(livre 3, chapitre 7, sur la doctrine chrétienne) : « Je reconnais que
sont engloutis plus profondément ceux qui pensent que les œuvres des
hommes sont des dieux, que ceux qui pensent que ce sont des œuvres
de Dieu. » Et plus bas : « Eux vénèrent les simulacres ou comme
des dieux, ou comme des signes et des images des dieux. » Et dans
l’épitre 49, comme dans le psaume 113, il dit que plusieurs païens
ont pensé que les simulacres vivaient, respiraient et entendaient,
et étaient donc des dieux vivants; et que cette erreur a été favorisée
par la similitude des membres humains. Tertullien, dans son apologie
(chapitre 12) dit que les dieux des Gentils souffrent beaucoup plus quand
ils sont fabriqués par les artisans que ne souffrent les chrétiens quand
ils sont tués parce qu’ils ne veulent pas les adorer. Eusèbe
(livre 5, chapitre 15, préparat) : « Hésiode pense qu’il y a trente
mille dieux sur la terre. Moi, je vois beaucoup plus, parmi les hommes,
de créateurs de dieux de pierre ou de bois. » Et pour tout dire,
Cyprien, Lactance, Arnobius, Minutius Felix, Clément d’Alexandrie, Athanase,
Theodoret et d’autres qui écrivent contre les Gentils, rient d’eux
parce qu’ils adorent comme des dieux du bois et de la pierre. Et
qu’est-ce donc que dit Horace (livre 1, serm satyre 8) : « Autrefois
j’étais un tronc d’arbre, un bois inutile. Quand l’artisan
se demanda s’il ferait de moi un escabeau ou un Priam, il
préféra en faire un dieu.»
Ce ne sont pas seulement les poètes qui ont pensé ainsi, mais les
hommes les plus sages. Car Hermes Trismegiste, selon Augustin
(livre 8, chapitre 23 de la cité de Dieu), dit que des dieux ont
été faits par le Dieu suprême, que d’autres ont été faits par les
hommes. Il dit que les dieux faits par les hommes sont des statues qui
sont liées aux démons par un art magique. De sorte qu’une statue
est comme le corps d’un dieu, que l’esprit inclus est son âme, et
que toute l’idole est dieu, comme l’homme est un corps et une
âme. Et Arnobe (livre 1 contre les Gentils) : « Je vénérais,
ô cécité, des simulacres qui venaient tout juste de sortir des
fournaises, des dieux dans des incubes fabriqués par
des artisans. » Et, plus bas : « Comme si une vertu avait été présente
à l’intérieur, je lui parlais, et je lui demandais des bienfaits. »
Et, plus bas : « Je croyais que le bois, les pierres et les os étaient
des dieux, ou qu’ils habitaient dans la matière de ces choses. »
Vois, cher lecteur, à quel point ment Calvin quand il dit que les païens
ne considéraient pas les idoles comme des dieux.
Mais il réplique : les païens changeaient leurs simulacres à volonté,
mais pas leurs dieux. Je réponds que, par la même sottise qui les
faisait penser que des dieux pouvaient être faits par des mains humaines,
les Gentils pouvaient croire aussi que des dieux étaient détruits par
des mains humaines. Mais, Calvin revient à la charge.
Ils représentaient le même dieu par plusieurs simulacres différents.
Je réponds que les païens avaient d’autres dieux dans le ciel, et d’autres
dieux sur la terre. Et ils ne trouvaient pas absurde qu’un
seul dieu céleste, comme Jupiter, ou Apollon, ait sur la terre plusieurs
collègues mineurs, c’est-à-dire, plusieurs idoles du même nom.
Calvin ajoute ensuite : « Les païens consacraient de nouvelles images,
mais ne pensaient pas pour cela faire de nouveaux dieux. » Je réponds
que c’est faux que les païens ne pensaient pas faire de nouveaux dieux,
au moins terrestres.
Le cinquième mensonge (livre 1, chapitre 11, verset 10.) : « La fornication
que les prophètes ne cessaient de reprocher aux Juifs et aux Gentils n’était
pas aussi grande que celle qui, quotidiennement, est faite par ceux qui
se disent chrétiens, mais qui vénèrent Dieu charnellement dans du bois
et de la pierre. » Mais cela est un mensonge énorme et impie.
D’abord, les Juifs et les Gentils immolaient aux idoles (Exode 32, 1
Corinth 10). Et c’est cela que l’Écriture appelle fornication.
Les Chrétiens, eux, n’ont jamais rien immolé aux images. De plus,
comme nous l’avons déjà démontré, les païens ou pensaient
que les idoles étaient des dieux, ou adoraient, dans les idoles, des créatures
à la place de Dieu., ce que les chrétiens ne faisaient pas.
Que les Gentils adoraient, dans les idoles, des créatures à la place
de Dieu, cela a déjà été prouvé. Car, plusieurs, dans les simulacres,
adoraient comme des dieux, des hommes morts qu’ils croyaient eux-mêmes
être morts. Mais ils n’osaient pas dire cela ouvertement au peuple.
C’est ce que prouve Lactance (livre 1, chapitres 14 et 15). Il
rapporte même que le grand Cicéron a cherché à faire une déesse de
son épouse, eu lui érigeant un simulacre. Et, saint Augustin
(livre 5, chapitre 26 de la cité de Dieu) prouve que les dieux des païens
étaient des hommes. Et, (au livre 18, chapitre 5), il enseigne qu’on
a encore coutume, devant le simulacre de Serapis de mettre un doigt sur
la bouche pour ne pas dire que Serapis a été un homme. On
est même allé jusqu’à menacer de mort ceux qui soutiendraient qu’il
a été un homme, bien qu’il soit certain qu’il soit mort et
ait été enterré.
Ce n’était pas des hommes morts mais des démons que d’autres
adoraient dans les idoles, comme l’enseigne Hermes cité par saint Augustin
(livre 8, chapitre 23 de la cité de Dieu). Ils étaient soient
dans idoles par des arts magiques, comme Hermes le dit, ou ils habitaient
les idoles de leur plein gré. Et ils se substituaient aux hommes morts
pour être adorés à leur place, comme l’enseigne saint Cyprien dans
son livre sur la vanité des idoles, et saint Augustin (livre
8, chapitre 24 de la cité de Dieu, et livre 23, chapitre 17, contre Faust.)
On peut le déduire du fait que les démons prirent les noms des idoles
dans lesquelles ils résidaient, ou des hommes morts à la place desquels
ils recevaient des hommages. Car, quand on les adjure de dire leurs
noms, quelques-uns disent s’appeler Béelzebub, d’autres Molos, d’autres
Chamos, ou Jupiter, Mercure, Apollon, comme l’observe Origène
dans son livre contre Celse, un peu avant le milieu; et Eusèbe, livre
6, chapitre 6 de la préparation, Lactance (livre 2, chapitre 16),
et Sulpitius dans la vie de saint Martin. C’est aussi ce qu’atteste
l’Écriture (Deutéronome 2) : « Ils ont immolé aux démons et
non à Dieu. » Et, au psaume 95 : « Les dieux des nations sont
des démons. » Et 1, 10 Corinthiens : « Les choses que les Gentils
immolent c’est aux démons qu’ils les immolent, non à Dieu. »
D’autres affirmaient n’adorer ni simulacres, ni hommes morts, ni
démons dans les idoles, mais des parties du monde. Car, dans l’idole
d’Apollon, ils adoraient le soleil, dans celle de Neptune la mer, dans
l’idole de Jupiter l’éther, comme le rapportent Eusèbe (livre 3,
chapitre de sa prépartion) et saint Augustin (psaume 113, livre 4, chapitre
10 de la cité de Dieu, et livre 7, chapitre 5 de la cité de Dieu.)
D’autres n’adoraient dans les idoles ni les parties corporelles
du monde, mais les âmes de ces parties, c’est-à-dire du soleil,
de la lune et de la terre, comme le rapportent aussi Eusèbe (livre 3,
chapitre 3 de la préparation) et saint Augustin au lieu cité. Mais
tous ces gens, bien entendu, adoraient la créature à la place du Créateur.
À moins que quelqu’un ne soit idiot au point de ne pas vouloir appeler
créatures les homes morts, les démons, les éléments, les astres.
Et c’est précisément ce que reproche l’Écriture aux Gentils: l’adoration
de la créature à la place du Créateur. Ce que les catholiques ne font
et n’ont jamais fait puisqu’ils ne voient pas les images comme des
dieux, ni comme des images des dieux.
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CHAPITRE 14
On répond au deuxième argument
2018 09 04 début
CHAPITRE 15
On répond au troisième argument
Au sujet de ce qu’ils tirent des livres carolingiens, lesquels
constituent le fondement principal de leur cause, je dis que ces livres
ne sont pas de Charlemagne, ni non plus de personne en qui on puisse faire
confiance. Qu’ils ne soient pas de Charlemagne, je le prouve
par la lettre (livre) du pape Adrien à Charlemagne, dans laquelle
ces livres sont méthodiquement réfutés. Cette lettre du pape Adrien
nous fait comprendre que les livres en question ont été composés par
un hérétique, et envoyés par Charlemagne au pape pour qu’il y réponde.
Que cette lettre qui se trouve dans le troisième tome des conciles
(ou livre) soit du pape Adrien, Ivone nous le fait comprendre, car, dans
la quatrième partie de son décret, il a inséré, sous le nom d’Adrien,
une grande partie de cette lettre (ou livre).
On le prouve aussi par les historiens grecs ou latins, comme Zonara
et Cedrenus (dans la vie de Léon Isaurien), et Paul diacre (dans la vie
du même). Ils disent que les pontifes romains Grégoire 3, Adrien
1 et Léonce 3 se sont séparés des empereurs grecs, les ont excommuniés,
leur ont défendu de soutirer des taxes de l’Italie, se sont mis sous
la protection des Francs, et leur ont transmis l’empire, et tout
cela parce que les empereurs grecs avaient prôné l’hérésie iconoclaste,
tandis que les rois francs étaient restés dans la foi antique.
Comment est-il donc vraisemblable que ce même Charlemagne ait patronné
cette hérésie, et ait écrit contre le pontife romain en faveur de l’erreur
des Grecs ? Mais, écoutons les paroles de Zonara : « Le pape Grégoire,
s’étant soustrait à l’obéissance de l’empereur, à cause
de sa perverses opinion, fit la paix avec les Francs, comme auparavant
il avait tenté plusieurs fois de le faire, pour pouvoir, par des lettres,
le détourner de la haine de Dieu, et le ramener au culte des images saintes.
» Et plus bas, dans la vie d’Irène : « À la mort du pape Adrien,
lui succéda Léon, un homme respectable et honorable, qui se livra à
Charlemagne, le roi des Francs, lesquels assurèrent, depuis lors, la protection
de Rome. Charlemagne fut couronné par Léon, et appelé empereur
des Romains. Car, le pape Grégoire ne voulait avoir rien en commun avec
les gouvernants impies de l’église de Constantinople. Et il fit
la paix avec les Francs. »
Troisièmement. Jonas d’Aurélie, (livre 1 sur le culte
des images), qui vécut au temps de Louis le pieux, le fils de Charlemagne,
dit que Claude de Tours a été le fauteur de cette hérésie, et que
pendant tout le temps que vécut Charlemagne, il n’a jamais osé la prêcher.
Or, ce même auteur appelle Charlemagne un homme très pieux, et
de sainte mémoire. Si donc les iconoclastes n’osèrent pas, du
vivant de Charlemagne, proclamer leur hérésie, si les défenseurs
des images vénèrent Charlemagne comme un homme pieux et saint, quelle
impudence ne serait-ce pas de lui attribuer la paternité de ces
livres contres les images.
Quatrièmement. Paul Émile (livre 2, de l’histoire des Francs) et
Rheginus (dans sa chronique) disent que, dans le concile de Gentiliacus,
le roi Pépin, père de Charlemagne, a réfuté, en la présence des légats
grecs, l’erreur de l’empereur grec contre les saintes images.
De ce même Paul on apprend que, peu longtemps après, Charlemagne
a envoyé douze évêques parmi les principaux du royaume, à un
concile que le pape Stéphane célébrait à Rome, en présence des légats
grecs de l’empereur, contre l’erreur des Grecs sur les images
sacrées. Avec quelle audace les adversaires s’efforcent-ils
de transformer ce prince très chrétien en iconoclaste ? Surtout
parce que les magdebourgeois sont d’accord avec Paul Émilien sur ce
sujet (centurie 8, chapitre 9, colonne 570.) Cinquièmement.
Il ressort de tous les historiens, des lettres et des poèmes de
Charlemagne, et même de ses actions, que Charlemagne et Adrien ont
toujours étroitement liés. Il suffit de lire l’épitaphe d’Adrien
composée par Charlemagne : « C’est ici que le père de l’Église,
l’honneur de Rome, le célèbre auteur, le bienheureux pape Adrien repose.
Homme à qui la vie a été Dieu, la piété une loi, et la gloire
le Christ. Pasteur apostolique, prompt à tout bien. »
Et plus bas : « Charles pleurant son père a écrit ce poème. À
cause du doux amour que tu as eu pour moi, je te pleure, mon père.
Et toi, souviens-toi de moi ! Mon esprit te suit toujours ! Tu règnes
avec le Christ dans la bienheureuse cité. »
Est-il possible que Charlemagne ait été d’une autre religion et
d’une autre foi qu’Adrien ? Qu’il ait écrit avec tant d’aigreur
contre celui qu’il vénérait tant et qu’il a louangé après sa mort
? De plus, il est certain que Charlemagne était un homme versé
dans le grec et le latin, qu’il était prudent et lettré. Or les
livres dits carolingiens sont d’un homme peu instruit, superficiel et
un peu sot. Car, il dit que la ville de Constantinople est située
dans la Bithynie, alors que personne n’ignore qu’elle était dans la
Thrace, à moins que les fréquents tremblements de terre n’aient modifié
le sol. Il dit ensuite que le concile en faveur des images
a été célébré à Constantinople, alors que tous savent,
à part ceux qui ne lisent pas, qu’il a eu lieu à Nicée. Et,
ce qui est plus grave, il attribue, par la calomnie et le mensonge,
aux pères du concile de Nicée 11, plusieurs choses qu’ils n’ont jamais
dites. Comme, par exemple, que l’Eucharistie soit l’image
du corps du Christ. Non seulement les pères de Nicée n’enseignent
pas cela, comme cet auteur l’a rêvé, mais ils le réfutent expressément.
C’est ce qui, d’ailleurs, donna à Calvin l’occasion d’un
autre mensonge. Car, parce que les iconoclastes avaient dit
qu’on ne devait adorer qu’une seule image, l’eucharistie, et
que le pseudo Charles avait attribué cela au concile de Nicée, il a plu
à Calvin de changer toute la donne, et de dire : « Qu’ils se réjouissent
et qu’ils exultent ceux qui ont l’image du Christ, et lui offrent un
sacrifice. » Ce qui est un mensonge d’une extrême impudence.
Car, le concile de Nicée était si loin de vouloir qu’on offre des sacrifices
aux images, qu’il déclara, dans l’acte 7, qu’il ne fallait pas adorer
les images d’un culte de latrie, mais seulement les honorer et les vénérer.
Enfin, ce livre est, comme un autre Melchisédech, sans père, sans
mère, sans génération. Il a vu le jour tout d’un coup, sans
qu’on sache quand, où, comment ou par qui il a été repéré.
Il n’a aucun nom d’auteur, aucun nom d’éditeur, ni même le nom
de la ville où il a été imprimé. Toutes choses qui sentent la
fraude.
Mais, admettons qu’il soit de Charlemagne. Qu’est-ce
que les adversaires auraient à y gagner ? Rien. Car, l’auteur
de ce livre s’oppose expressément à tous les dogmes des calvinistes.
Il dit clairement que c’est au pontife romain qu’appartient le jugement
ultime dans les controverses de la foi; et que ce n’est pas des conciles
mais de Dieu qu’il tient le primat. Il veut également qu’on
fasse l’exorcisme dans le baptême; qu’on fasse la dédicace des temples
selon un rite déterminé; qu’on prie pour les morts, qu’on
invoque les saints, qu’on vénère les reliques, qu’on doit retenir
dans l’Église l’usage de l’eau bénite et du sel bénit, que dans
l’eucharistie est le vrai corps du Christ, qu’on doit l’adorer,
et l’offrir comme un vrai et propre sacrifice.
Toutes ces choses, sont pour nos adversaires, des hérésies.
Si donc ils veulent que nous croyons à cet auteur quand il enseigne que
le concile de Nicée 2 a erré, qu’ils prêtent foi, eux aussi,
à ce concile quand il enseigne tout ce que je viens d’énumérer.
Et même s’il était prouvé que c’est Charlemagne qui a écrit
ce livre, et qu’il est du même avis que les calvinistes, qu’auraient-ils
d’autre que le témoignage d’un laïc et d’un soldat ? Vouloir
l’apposer à un concile général d’évêques, est une sottise manifeste.
Car, comme le dit très bien saint Jean Damascène (oraison 2 sur les images)
: « Le Christ n’a pas confié son église aux rois ou aux empereurs,
mais aux évêques et aux pasteurs. »
CHAPITRE 16
On répond au quatrième argument
Au second argument tiré des témoignages des pères, je réponds en
ordre que, d’abord, saint Irénée ne reproche pas à Carpocrate d’avoir
une image du Christ, mais qu’il lui rende un culte comme le font les
païens à leurs idoles, en leur offrant des sacrifices, comme l’expliqueront
avec plus de clarté Épiphane (hérésie 27) et saint Augustin (hérésie
7); et qu’il ait placé les images du Christ et de saint Paul au
même endroit qu’ils a mis les images d’Homère, de Pythagore, de Platon
et d’Aristote. De la même façon, Épiphane (dans l’hérésie
79), reproche aux Collyridiens non d’honorer l’image de la sainte
Vierge et la Vierge elle-même, mais d’en faire une déesse, et de lui
offrir des sacrifices. De même, quand saint Ambroise dit dans son
sermon sur la mort de Théodose : « Hélène a trouvé la croix, elle
a adoré le Roi, mais non le bois, ce qui est une erreur des païens »,
il veut dire qu’il ne faut pas honorer la croix pour elle-même, en tant
qu’elle est un morceau de bois, mais à cause du Christ qui y fut cloué.
Car, bien que nous honorions le bois, nous ne l’honorons pas parce que
c’est du bois, mais parce qu’il représente le Christ crucifié.
Voilà pourquoi saint Ambroise dit au même endroit : « Hélène a agit
sagement, en élevant la croix sur la tête des rois, et en l’y plaçant,
pour que la croix du Christ soit adorée dans les rois. »
De plus, quand saint Jérôme (dans le chapitre 3 de Daniel) dit que
ceux qui rendent un culte à Dieu ne doivent pas adorer les statues, il
parle des statues des rois qu’on prenait pour des dieux, et auxquelles
on présentait les honneurs divins. Il blâme, en somme, ceux qui
font ce qu’ont refusé de faire les trois enfants de Babylone.
Au sujet du texte de saint Augustin tiré des mœurs de l’Église
(chapitre 30), je dis d’abord qu’il parle des idoles des Gentils quand
il dit qu’il a vu des adorateurs de peintures. Je dis, ensuite,
qu’il parle peut-être de certains qui honoraient superstitieusement
les images des saints, comme l’atteste saint Jean Damascène à la fin
de son livre sur les hérésies.
Je dis ensuite que saint Augustin a écrit ce livre au début
de sa conversion à la foi catholique, et, qu’offensé par certains rites,
il pensait qu’ils sentaient l’idolâtrie. C’est ce que nous
avons montré quand nous avons traité des reliques. Car, il
dit, au même endroit, que ceux qui prenaient des repas sur les tombeaux
des morts avaient coutume d’offrir ces repas aux morts, et c’est pour
cette raison qu’il les appelle des adorateurs de sépulcres.
Et cependant (au livre 8, chapitre ultime de la cité de Dieu), il dit
que ceux qui font cela n’offre pas vraiment de repas aux morts,
mais ne font que placer de la nourriture sur les tombeaux des martyrs,
espérant par là être sanctifiés par les prières des martyrs.
À la citation de saint Grégoire, je dis qu’il reproche seulement
le culte superstitieux des images, c’est-à-dire, que les images soient
adorées comme des dieux. C’est ce que montre l’épitre à Sécundinus,
(livre 7, épitre 53) : « Je sais, dit-il, que tu ne demandes pas l’image
du Sauveur pour l’adorer comme un dieu, mais en souvenir du Fils de Dieu,
dans l’amour duquel tu te régales. » Qu’une certaine révérence
soit due à l’image, la sentence de saint Grégoire (livre 7, épitre
5) nous le montre : « Après avoir enlevé l’image et la croix qui sont
dignes de vénération. »
CHAPITRE 17
On répond au cinquième argument.
Au sujet du serpent d’airain détruit par Ezechias, je réponds
qu’il n’y a pas de quoi s’étonner que le saint roi ait agi ainsi.
Car, les Hébreux lui offraient de l’encens comme à un dieu. Encenser,
il est vrai, ne signifie pas immoler, puisque nous voyons des non
prêtres offrir de l’encens dans les églises, et cela, non seulement
à Dieu mais au peuple. Mais, dans l’ancien testament, comme
seul le prêtre était autorisé à le faire, l’encensement semblait
bien être un sacrifice. Voir 3 Rois 12, et 2 Paral 26.
De plus, ayant oublié la raison pour laquelle Moïse avait érigé un
serpent dans le désert, les Hébreux l’honoraient à cause de sa matière,
comme les autres idoles. C’est-à-dire qu’ils pensaient que les
bienfaits de guérison provenaient du serpent d’airain lui-même.
C’est ce qu’a voulu indiquer Ezéchias en appelant le serpent (mot
hébreu) un petit vase d’airain, le diminutif ayant valeur de mépris,
ou, comme d’autres le lisent : leur cuivre.
CHAPITRE 18
On répond au sixième argument.
Le sixième argument de Calvin est tiré de l’usage des chrétiens
qui fréquentent plus une mage qu’une autre de la même chose, qui se
dirigent vers des images quand ils veulent prier, qui font de longs pèlerinages
pour vénérer des images éloignées, alors qu’ils en ont
chez eux, tout près, de plus belles. Et il en conclut
que nous croyons que, dans l’image, se trouve une divinité. Je
réponds qu’il peut y avoir plusieurs raisons pour lesquelles une
image est plus populaire qu’une autre. La première. Parce que
par l’une Dieu a opéré des miracles, et non par l’autre.
Et c’est aussi pour cette raison qu’on prie plus un saint qu’un autre.
Pourquoi Dieu agit-il ainsi, c’est quelque chose qui n’est pas de notre
ressort. La deuxième. Parce que certains images ont
été peintes par des saints, comme saint Luc et Nicodème, alors que d’autres
ont été peintes par des profanes.
Il est certain que méritent une dévotion particulière les images
qui ne sont pas saintes uniquement par leur contenu, mais par leurs auteurs.
La plus célèbre dans ce genre était l’image du Christ d’Edesse qui
avait été faite par le Christ lui-même, et l’image de saint Étienne,
qu’on croyait avoir été faite et apportée par un ange. Cf Evodius,
livre 2 sur les miracles. Une troisième cause. Parce
que certaines, étant plus pieuses et plus religieuses, incitent
plus à la piété que d’autres. Et quand nous allons vers une
image pour prier, ce n’est pas pour invoquer l’image, mais le souvenir
de celui que nous représente l’image, et que nous voulons prier.
Rares sont les pèlerinages à des images. Car, ordinairement
ils ont coutume d’avoir pour destination des lieux saints, des reliques,
comme l’église de saint Jacques, le sépulcre du Seigneur, les
tombeaux des saints apôtres Pierre et Paul, la maison de la vierge à
Lorette. Et les pèlerinages qu’on fait aux images, c’est en
respectant les trois conditions dont nous avons parlé.
CHAPITRE 19
On répond au septième argument
L’image est incapable de recevoir de l’honneur puisqu’elle est
une chose inanimée, privée de sens et de raison. Je réponds que
la seule chose que prouve ce raisonnement c’est qu’une image n’est
pas capable d’être honorée par elle-même, et pour elle-même; que
les images ne sont pas honorées absolument mais relativement, c’est-à-dire
en référence au prototype. Je dis ensuite qu’une image
est sainte pour deux raisons. La première. À cause de la
signification et de la représentation d’une chose sainte. Et c’est
de cette façon que peut être honorée n’importe laquelle image du Christ
ou des saints, en quelque lieu qu’elle soit. La seconde. À cause
de l’institution de l’Église. Car, comme les calices,
les vêtements et les hommes eux-mêmes deviennent sacrés du seul fait
qu’ils sont dédiés au culte divin, et sont éloignés d’un
usage profane, de la même manière, les images deviennent sacrées quand
elles sont placées dans des temples par l’Église, ou dans d’autres
lieux sacrés, non pour réjouir les yeux des curieux, mais pour susciter
le souvenir et l’amour des saints, et servir au culte des choses sacrées.
Pour signifier cette chose, on a coutume de bénir les images, de les consacrer
par des prières sacerdotales avant de les mettre dans les églises.
Je dis au troisième, que l’homme en tant qu’image de Dieu est
digne de vénération, comme nous l’avons déjà montré avec la catéchèse
de saint Cyrille de Jérusalem 12, et l’épitre 203 de saint Augustin.
Je dis ensuite, avec Thomas Waldensis (tome trois des sacramentaux, tit
19, chapitre 154) que l’Église ne vénère pas l’homme en tant
qu’image de Dieu, à cause du danger qu’il y a que l’homme
pense devoir être honoré pour lui-même.
CHAPITRE 20
On propose la question : de quel genre de culte doit-on honorer
les images
J’en viens maintenant à la dernière question : de quel genre de
culte les images sont-elles dignes ? Il y a trois sentences.
La première. On ne peut honorer en aucune façon l’image, mais
seulement la personne dont elle est l’image. Comme pensent ceux
que dénonce et réfute Catharinus. Alexandre semble
penser la même chose (part 111, question 30, dernier article), ainsi que
Durand (livre 3, sent dist 9, question 2) et Alphonse a Castro (verbe,
image). Ils placent le fondement de leur sentence dans le concile 7 qui
répète souvent que l’honneur du à l’image passe à l’exemplaire.
Ces docteurs ne disent donc pas que cet honneur se termine à l’image.
En conséquence, ce n’est pas l’image qui est honorée, mais seulement
l’exemplaire, en elle et par elle. Et ils le confirment par
des vers qui ont été composés au temps de ce concile, que nous voyons
inscrits en or dans un très ancien manuscrit, et qu’on attribue à Sabellicus,
(livre 8 de l’Enéade 8) : « Car c’est Dieu que l’image enseigne,
mais elle n’est pas Dieu elle-même. Quand tu la verras, tu vénèreras
par la pensée ce que tu vois en elle. » Ce que l’on dit de l’image
de Dieu le Christ, on peut le dire aussi des images des saints, car Pierre
est ce que l’image enseigne, mais l’image elle-même n’est pas Pierre.
La deuxième opinion veut que le même honneur soit du à l’image
et à l’exemplaire et que, en conséquence, une image du Christ doive
être adorée du culte de latrie, une image de la sainte Vierge du culte
d’hyperdulie, et celles des saints, du culte de dulie. Comme Alexandre
111 (par question 30, dernier article), saint Thomas (111 part quest XXV,
art 3), ainsi que Cajetan, saint Bonaventure, Marsilius, Almain, le Chartreux,
Capreolus, et les autres (dans 111 dist. 9). Henri pense la même
chose (quodlibet 10, question 6), quoiqu’il ajoute qu’aucune image
ne doit être adorée d’un culte de latrie. Car il pense que c’est
le même hommage qui est rendu à l’exemplaire et à son image, tout
en enseignant que l’image du Christ n’est pas l’image du Christ
en tant que Dieu, mais en tant qu’homme.
Voici quels sont les fondements de la pensée de ces auteurs.
D’abord, l’Église chante, au sujet de la croix : « Salut, o croix,
unique espoir, augmente la justice dans les pieux, et pardonne aux coupables
! » Ensuite, parce que l’honneur donné à l’image passe à
l’exemplaire. Semblable est donc l’honneur qui est rendu à l’image
et à l’exemplaire. Et si donc l’exemplaire reçoit un culte de latrie,
l’image le reçoit aussi. Troisièmement. D’après saint
Ambroise qui, dans le livre sur le sacrement (mystère) de
l’incarnation du Seigneur, au chapitre 17, dit que la divinité du Christ
reçoit la même adoration que sa croix : « Quand, dans le Christ, nous
adorons l’image du Christ, et sa croix, le divisons-nous ? » Quatrièmement,
d’après l’épitre de saint Jérôme sur la mort de Paula : « Prosternée
devant la croix, elle l’adorait comme si elle y voyait le Seigneur
pendant. » Or, comme elle adorait le Seigneur d’un culte de latrie,
elle adorait donc aussi la sainte croix d’un culte de latrie.
Cinquièmement. D’après Aristote, qui dans le livre
de la mémoire et de la réminiscence, dot que la démarche vers
l’image est la même que celle vers son exemplaire. Sixièmement.
La mesure de l’adoration de chaque chose est la raison ou l’excellence
pour laquelle la chose est adorée. Or, la raison pour laquelle on
adore une image, n’est rien d’autre que l’excellence de l’exemplaire.
C’est donc le même honneur qui est du à l’exemplaire et à son image.
Septièmement, celui qui méprise l’image d’un roi, est coupable du
crime de lèse majesté, comme s’il avait méprisé le roi en personne.
La même raison vaut donc pour l’image et l’exemplaire en ce qui a
trait à l’honneur et au mépris.
La troisième opinion se situe au milieu, et elle est de ceux qui disent
que les images doivent être honorées au sens propre et en elles-mêmes,
mais d’un honneur inférieur à celui de l’exemplaire;
et que, en conséquence, aucune image ne doit être adorée d’un culte
de latrie. Comme Martin Peresius (dans son livre sur les traditions,
au traité sur les images), Ambroise Catharinus (dans son traité sur les
images), Nicolas Sanderus, (livre 2, dernier chapitre sur les images).
Gabriel semble penser de la même manière (3, dist 9, question unique,
et dans la leçon 49 sur le canon de la messe), quand il dit que les images
sont adorées de la même adoration qu’est adoré l’exemplaire,
non de façon univoque, mais analogue. Ce qui veut dire adorer les
images d’un culte inférieur à celui qui est du à l’exemplaire.
Pour la solution de la question et la conciliation des opinions, il
faut faire trois distinctions. Ce qui est honoré peut être
honoré par lui-même ou par accident; à cause de soi ou à cause d’autre
chose; proprement ou improprement. Est adoré par lui-même
le suppôt dans lequel se trouve la raison de la vénération; par
accident, ce qui est uni à la chose qui est adorée, et n’est pas lui-même
la raison de l’adoration. Exemple. Quand on honore
le roi, cet homme qui est roi est adoré par lui-même; la pourpre est
honorée par accident, et les choses qui sont ajoutées, toutes des accidents,
sauf la dignité royale, qui, bien qu’elle ne soit pas ce qui est adoré,
est quand même ce par quoi tel homme est honoré. C’est donc la
personne qui est honorée par elle-même, à cause d’elle-même, et la
dignité royale est honorée par elle-même en tant que moyen. Les autres
choses sont honorées par accident. La deuxième distinction.
Une chose peut être honorée à cause d’elle-même ou à cause d’autre
chose. Est honoré à cause de soi-même ce qui a en soi la cause
de l’honneur, mais dont la cause dépend totalement d’un autre.
Et c’est de cette façon que les signes des choses sacrées sont vénérables.
Car ils ont en eux la relation de similitude, ou de représentation de
la chose sacrée, et donc, une certaine excellence, qui dépend totalement
de la chose sacrée elle-même.
La troisième distinction. On peut honorer quelque chose proprement
ou improprement. On dit qu’est honoré proprement ce
qui est vraiment honoré à cause de soi-même. On dit qu’est honoré
improprement ce qui est honoré à la place d’autre chose.
Exemple. Le légat du roi est tantôt honoré en tant que légat,
et alors, il est honoré au sens propre du mot, même s’il est honoré
pour un autre. Il est tantôt honoré à la place du roi d’un honneur
qui est propre aux rois, et il est alors honoré improprement, car, quand
il est honoré, c’est le roi qui est véritablement honoré en
lui. Cela apparait plus clairement quand quelqu’un reçoit une
possession à la place d’un autre; ou quand les funérailles sont célébrées
en l’absence du corps près d’une statue, et qu’on fait pour la statue
tout ce qu’on ferait pour le corps s’il était présent.
Quand Trajan mort triompha à Rome, sa statue s’assit à sa place dans
le char triomphal. Or, on ne peut pas dire que c’est la statue
qui a véritablement triomphé, mais Trajan représenté par sa statue.
CHAPITRE 21
Les images doivent être adorées par elles-mêmes et proprement
Maintenant, d’après les distinctions que nous venons de faire, nous
expliquerons toute la chose au moyen de quelques sentences. Voici
donc la première sentence ou proposition : les images du Christ
et des saints doivent être vénérées non seulement par accident, ou
improprement, mais aussi par elles-mêmes et au sens propre du terme,
de sorte que la vénération se termine à elles en tant que telles, et
non seulement en tant qu’elles représentent l’exemplaire. On
prouve la première partie avec le concile général 7 qui a défini que
les images du Christ devaient être vraiment vénérées, mais non d’un
culte de latrie. Il veut donc que les images soient vénérées par
elles-mêmes et au sens propre, d’un culte autre que celui de latrie.
Car, si le concile avait voulu que les images soient adorées seulement
par accident ou improprement, de façon à ce que le terme de l’adoration
ne soit pas l’image, mais le Christ lui-même, il n’aurait pas dit
qu’il ne faut pas les adorer d’un culte de latrie, car c’est le Christ
qui est adoré d’un culte de latrie puisqu’il est Dieu.
Il importe peu que quelques-uns disent que l’image du Christ ne représente
pas le Christ en tant que Dieu, mais en tant qu’homme, et que, par conséquent,
dans l’image du Christ, le Christ ne peut pas être adoré en tant que
Dieu, mais en tant qu’homme. Car, l’image du Christ représente le
Christ lui-même, l’hypostase divine revêtue de la chair humaine.
Comme l’image d’un homme représente non seulement la figure et la
couleur, mais la personne et tout l’homme. Autrement, les apôtres
n’auraient pas du adorer le Christ comme Dieu puisqu’ils ne le voyaient
que dans la chair. Et saint Thomas n’aurait pas du dire : « Mon
Seigneur et mon Dieu. » Car, il ne voyait pas Dieu comme Dieu, mais
comme homme. Deuxième preuve. Si l’image n’est vénérable
qu’improprement, car, c’est devant elle, en elle ou par
elle qu’est adoré l’exemplaire, il sera surement permis de nier purement
et simplement que les images doivent être vénérées. Car, ce qui
n’est dit qu’improprement peut tout simplement être nié, comme
le montre le septième concile général, qui dit anathème à ceux qui
nient que les images doivent être vénérées.
Troisièmement. Le même concile, au même endroit, définit que les
images doivent être vénérées de la même manière que sont vénérés
les évangiles et les choses sacrées. Or, ces choses sont
honorées par elles-mêmes et elles le sont au sens propre, comme
tous l’admettent. Et elles ne tiennent la place d’aucune
autre chose. Les images doivent donc, elles aussi, être vénérées
par elles-mêmes et au sens propre. Quatrièmement. Dans
les images elles-mêmes, il y a quelque chose de sacré, à savoir la ressemblance
avec la chose sacrée, ainsi que la dédicace ou la consécration
au culte divin. Elles sont donc dignes d’honneur en elles-mêmes,
et non seulement en tant qu’elles prennent la place du prototype.
Et les objections qu’on surajoute ne peuvent convaincre personne.
À la première objection, je dis que les images, qu’elles
soient honorées proprement, ou par soi, ou par accident, sont toujours
honorées à cause de l’exemplaire; et l’honneur qu’on leur
rend passe toujours à l’exemplaire, mais de façon différente.
Car, quand l’image est adorée improprement, lorsque l’honneur rendu
ne se termine pas en elle, mais dans l’exemplaire par elle, alors, immédiatement
et formellement, l’honneur de l’image passe dans l’exemplaire.
Mais quand l’image est honorée par elle-même et au sens propre, de
façon à ce que l’honneur rendu se termine en elle, alors l’honneur
rendu passe à l’exemplaire non immédiatement, mais médiatement, et
comme conséquemment. Car, celui qui honore l’image de quelqu’un
l’honore, sans l’ombre d’un doute, à a cause de celui de qui est
l’image; et, en conséquence, l’honneur qui est rendu à l’image
rebondit dans le prototype. Exemple. Celui qui donne une aumône
à un pauvre l’a donnée au Christ, dit-on. Non pas parce que l’aumône
n’est pas destinée immédiatement au pauvre, mais parce que celui qui
fait l’aumône à un pauvre le fait à cause de Jésus-Christ, et honore
le Christ dans le pauvre.
À la deuxième objection, je dis que ces vers n’enseignent qu’une
seule chose, à savoir qu’on ne doit pas rendre à l’image le
même honneur qu’on rend à l’exemplaire, comme le montre la raison
qui est donnée dans ces vers : parce que l’image n’est pas Dieu, mais
une image de Dieu. Il s’ensuit donc qu’on ne doit pas rendre
à une image le même honneur qu’on rend à Dieu, mais un honneur
inférieur. Nous n’avons jamais enseigné, nous, qu’il fallait
rendre à une image le même honneur que celui qu’on rend à Dieu.
Et les auteurs de la première opinion ne voulaient peut-être dire que
cela, à savoir que l’honneur qui est du en propre à l’exemplaire,
on ne peut le rendre à l’image qu’improprement. Sans dire un mot sur
un honneur inférieur à rendre aux images. Si c’est cela
leur opinion, nous n’avons rien à dire contre.
CHAPITRE 22
On ne doit pas dire qu’il faut adorer les images d’un culte de
latrie
La deuxième proposition : Quant à la façon de parler, surtout dans
les sermons, on ne doit pas dire qu’on doit adorer les images d’un
culte de latrie, mais, au contraire, qu’on ne doit pas les adorer ainsi.
Première preuve. Loin d’affirmer que les images doivent
être adorées d’un culte de latrie, les conciles le nient. C’est
donc de cette façon que nous devons parler nous aussi, car la manière
de parler des conciles est celle de l’Église; et elle doit donc être
suivie par ceux qui ne veulent pas errer. Que les conciles n’affirment
pas mais nient qu’on doive adorer les images d’un culte de latrie,
on le prouve comme suit. Il n’y a aucun concile qui enseigne qu’on
doit adorer les images d’un culte de latrie. Le concile de Nicée
statue qu’on doit adorer les images, mais non d’une adoration de latrie.
Semblablement, à notre époque, le concile de Senones (chapitre 14), et
celui de Moguntinus (chapitre 41), enseignent que les prédicateurs doivent
avertir le peuple de ne pas adorer les images, ce qui ne peut s’entendre
que de l’adoration de latrie. On dira peut-être que ces
conciles parlent de la latrie que l’on rend à quelqu’un pour lui-même,
non de celle qui est rendue à quelqu’un pour un autre. Mais cela
ne change rien à rien. Car, il ne s’agit pas du sens, mais
des paroles. Il nous suffit que les conciles nient qu’on doive
adorer les images d’un culte de latrie. Car, ce que nous voulons,
nous, c’est suivre la manière de parler des conciles.
Il n’y pas, en matière de foi, de formules plus précises que celles
qu’utilisent ceux qui abjurent une hérésie. Or, dans le
synode 7, Basile d’Ancyre (acte 1), et Constantin évêque de Chypre
(acte 3) disent, en abjurant leur hérésie, qu’ils reçoivent et adorent
les images, mais non d’un culte de latrie.
Troisièmement. Les pères disent souvent qu’il
ne faut pas adorer les images, comme le dit saint Augustin (épitre 119,
chapitre 11) : « Il est prohibé d’adorer une image de Dieu dans des
figures humaines, non parce que Dieu n’a pas d’image, mais parce
qu’on on ne doit adorer aucune image de lui qui ne soit pas ce qu’il
est lui-même. » Saint Grégoire dit des choses semblables
(livre 7, épitre 109, et livre 9, épitre 9). Il avertit l’évêque
Serenus d’instruire le peuple pour qu’il n’adore pas les images.
Et il répète souvent qu’il ne faut pas adorer les images. Or,
il est certain qu’il parle de l’adoration de latrie, car il ne nie
pas, ailleurs, que les images soient vénérables. Jean Damascène
((livres 1 et 3 de son apologétique) répète souvent qu’on doit honorer
les images, mais pas d’une adoration de latrie. Le pape Adrien,
dans son épitre à Charlemagne, dernier chapitre (que l’on trouve imparfaite
dans les tomes des conciles après le synode de Nicée 7, et qui est plus
complète dans les épitres des pontifes récemment éditées à Rome),
enseigne et répète, en plusieurs mots, que les images doivent être honorées
du même culte qu’on honore les saintes Écritures, mais non du culte
qu’on réserve à Dieu. Jean d’Aurélie enseigne la même chose
(dans son livre sur le culte des images). Pourquoi donc, demandé-je,
ne parlons-nous pas comme nos père parlent ?
Quatrièmement. Dire au peuple qu’on doit adorer l’image
du Christ ou sa croix d’un culte de latrie, le même avec lequel on adore
Dieu, ne va pas sans un grand danger. Car, ceux qui soutiennent
que les images doivent être adorées d’une adoration de latrie sont
forcés de faire des distinctions subtiles qui ne sont pas à la
portée du peuple. Cinquièmement. Cette façon
de parler offense les oreilles des catholiques, et donne aux hérétiques
une occasion supplémentaire de blasphémer. Sixièmement.
Selon la vérité de la chose, (comme je vais le montrer un peu après),
on ne peut dire que les images sont adorées d’un culte de latrie que
par accident et improprement : par soi, et au sens propre, en aucune façon.
Et de plus, cette adoration accidentelle et impropre n’est rendue que
rarement. Or, ce qui est dit absolument ne s’applique pas
à celui à qui la chose convient par accident ou improprement, mais à
celui à qui elle convient en propre et par lui-même. Donc, absolument
parlant, il ne faut pas affirmer mais nier qu’on doive adorer les
images. Il est tout à fait vraisemblable que saint Thomas, Alexandre
Hales et les autres docteurs scolastiques de ce temps n’aient connu ni
le second concile de Nicée, ni l’épitre du pape Adrien en faveur
de ce concile. Car ces documents ont été longtemps perdus, et n’ont
été édités qu’à notre siècle. En effet, saint Thomas
et les autres scolastiques ne font jamais mention de ce concile.
CAPITRE 23
Les images du Christ peuvent être honorées d’un culte de latrie
improprement et par accident.
La troisième proposition : Si on parle de la chose elle-même,
on peut admettre qu’il est possible d’honorer les images du même culte
avec lequel on honore l’exemplaire, mais improprement et par accident.
Que l’image puisse être honorée du même culte avec lequel on honore
l’exemplaire, on le prouve de la façon suivante. Car, l’image
est parfois reçue à la place de l’exemplaire, et les choses qu’on
ferait à l’exemplaire s’il était présent, on les fait à l’image,
l’esprit tourné vers l’exemplaire. Car les prédicateurs parlent
à l’image du crucifix et lui disent : tu nous as rachetés, tu nous
as réconciliés avec ton Père. Ces choses ne sont pas dites à l’image,
ni en tant qu’elle est un bois, un papier, ou une toile, mais en que
tenant lieu de l’exemplaire. C’est-à-dire que ces paroles sont
dites au Christ, dont l’image tient la place. Il en va de même
à Pâques. Quand le crucifix est progressivement découvert,
montré et proposé à l’adoration, tous comprennent que ces choses s’adressent
au Christ lui-même par l’intermédiaire de son image. Alors, aucun
honneur n’est proprement rendu à l’image, mais à l’exemplaire.
Mais on peut quand même dire que cette image est honorée improprement.
Que l’image puisse être adorée de la même adoration qu’on rend
à l’exemplaire, au sens propre, mais par accident, on le prouve ainsi.
Car, parfois, nous ne recevons pas l’image à la place de l’exemplaire,
et nous ne considérons pas non plus l’image seule ou l’exemplaire
seul, mais nous considérons l’exemplaire en tant qu’il reluit dans
l’image, et nous le vénérons ainsi représenté et comme revêtu d’une
image. Alors, nécessairement, nous adorons l’image de la même
façon que nous adorons l’exemplaire, mais par accident.
Car, celui qui adore quelqu’un adore tout ce qui fait partie de lui.
Exemple. Celui qui adore un roi vêtu adore le roi et le vêtement.
Mais l’image est conçue comme étant unie à ce moment à l’exemplaire
qui est adoré. Elle est donc elle-même adorée, par accident, toutefois,
car elle n’est elle-même ni le suppôt qui est adoré, ni la raison
de l’adoration, mais quelque chose qui est ajouté. Il semble que
c’est ce que pensaient les auteurs de la seconde opinion. Car,
quand tous, ils expliquaient comment l’image est adorée de la
même adoration que celle de l’exemplaire, ils en venaient toujours soit
à une adoration impropre, ou à une adoration par accident. Alexandre
et Bonaventure indiquent assez clairement qu’ils parlent de l’adoration
impropre. Car, ils disent que la raison pour laquelle l’image
du Christ est adorée d’un culte de latrie est que ce n’est pas tellement
elle qui est adorée que le Christ qui est en elle.
Ensuite, saint Thomas et ceux qui le suivent, parlent d’une adoration
par accident. Le prouve, en effet, leur argumentation qui porte sur
l’unité du mouvement vers l’image et vers l’exemplaire. Car,
le mouvement est le même qui porte sur l’image et sur l’exemplaire
quand l’exemplaire est considéré objectivement en tant que refluant
dans l’image. De plus, Capreolus admet clairement que cette
adoration des images a lieu par accident, quand il dit qu’elles sont
adorées comme le sont les vêtements d’un roi, quand un roi vêtu
est adoré.
De plus, saint Thomas lui-même (article quatre de la même question),
déclare que l’image d’un roi est honorée d’un honneur royal,
comme le sont les vêtements du roi. Or, il est certain que c’est
par accident que les vêtements du roi sont honorés d’un honneur royal.
Enfin, c’est à la même chose que tend la spéculation de Cajetan, quand
il dit que l’image du Christ est adorée d’une adoration de latrie,
non à cause de sa matière, ni de sa forme, ni de sa figure, mais à cause
de ce qu’elle représente réellement. Il ne veut pas dire que
cette représentation actuelle est la raison pour laquelle l’image est
adorée d’un culte de latrie, mais que cette représentation est la condition
qui fait en sorte que l’image est conçue avec l’exemplaire, et que
c’est donc par accident qu’elle est adorée.
CHAPITRE 24
Par elles-mêmes et au sens propre, les images ne doivent pas
recevoir le même culte que l’exemplaire.
Quatrième proposition. L’image, par elle-même et au
sens prore, ne doit pas être adorée de la même adoration qu’on rend
à l’exemplaire.
On le prouve par le concile 7, article 7, où nous lisons que
l’image du Christ ne doit pas être adorée d’une adoration de latrie.
Cela serait faux si, à l’image est du au sens propre et par soi le même
culte qui est du à l’exemplaire, le Christ, qui doit être adoré d’une
adoration dite de latrie. Tu diras que le concile parle d’une adoration
qui est rendue à une chose à cause d’elle-même; que l’image est
adorée d’un culte de latrie, mais à cause d’une autre chose.
Au contraire, le concile dit que les images ne doivent pas être adorées
autrement qu’on adore les évangiles ou les vases sacrés. Et le
synode 8 répète la même chose dans les mêmes mots, au canon 3, dernier
acte. Et personne n’a jamais prétendu que les vases sacrés ou
les évangiles devaient être adorés d’une adoration de latrie.
En second lieu on le prouve avec certains docteurs de l’Église comme
saint Augustin, saint Grégoire, saint Jean Damascène, et avec les
conciles de Senones et de Moguntinus déjà cités, où il est dit que
les images ne doivent pas être honorées d’un culte divin. Tu
diras qu’ils parlent du culte divin qui est rendu à quelqu’un à cause
de lui-même. Je dis, au contraire, qu’il n’est pas possible
de douter de cette chose. Les conciles, en effet, définissent les
choses qui sont controversées. Troisièmement, la latrie est
le culte propre à Dieu, mais aucune image n’est par elle-même
et au sens propre, Dieu, si on la considère en raison de la matière,
de la figure ou des couleurs, ou de la relation. Donc, par elle-même
et au sens propre, aucun culte de latrie n’est du à une image.
Quelqu’un dira peut-être que la latrie est le culte propre à Dieu quand
il est rendu pour lui-même, non quand il est rendu pour un autre.
Je dis au contraire que la latrie est le culte suprême qui est du
au vrai Dieu, en tant que premier principe de toute chose. Présenter
au premier principe le culte suprême, parce qu’il est le premier principe,
ainsiqu’ à cause d’autre chose, implique une contradiction.
Car, si c’est au premier principe, ce ne peut pas être à cause d’autre
chose. Si c’est à cause d’autre chose, ce n’est pas au premier
principe. Donc, un culte de latrie est rendu à l’image
à cause d’elle-même, et cela est de la vraie idolâtrie, ou il n’est
pas rendu à cause d’elle-même, alors ce culte n’en est pas un de
vrai latrie.
De plus, cette latrie qui est rendue à l’image à cause d’une
autre chose, est le même culte qui est rendu à Dieu ou quelque
chose d’inférieur. Si c’est le même culte, la créature reçoit le
même culte que Dieu, ce qui est surement de l’idolâtrie. Car
l’idolâtrie n’existe pas seulement quand on adore une idole en abandonnant
Dieu, mais aussi quand on adore une idole en même temps que Dieu.
Exode XX : « Ne faites pas des dieux en or et en argent avec moi. »
Si le culte est inférieur, ce n’est pas donc pas le culte de latrie,
car la latrie est le culte suprême.
La quatrième raison. À l’image ne convient pas le culte interne
ni le culte externe de vraie latrie. Car, le culte interne est l’appréhension
d’une chose en tant que premier principe, et la prostration de
la volonté qui convient à cette appréhension. L’acte externe
qui lui est propre est le sacrifice. Or, il est certain que nous
n’appréhendons par l’image en tant que premier principe, et que nous
ne lui offrons pas de sacrifices. Nous ne l’adorons donc pas d’un
culte de latrie. La cinquième raison. L’image
en tant qu’image s’oppose à l’exemplaire, et lui est inférieure.
Elle ne peut donc pas être honorée du même culte, mais d’un culte
inférieur, car chacun doit être honoré selon sa dignité. Il est
évident qu’il est de loin plus grand d’être le Christ que d’être
l’image du Christ.
La sixième raison. Ceux qui ont honoré les images du
Christ avec des honneurs divins ont été comptés parmi les hérétiques
par saint Irénée (livre, chapitre 24), saint Épiphane (hérésie 27),
saint Augustin (hérésie 7). Et saint Jean Damascène
(dans les cent hérésies) dit à la fin : « Quand ces gens-là honorèrent
le Christ, ils ont, sans aucun doute possible, honoré aussi son image
à cause de lui. » Il n’ est pas permis de rendre à des images
des honneurs divins, c’est-à-dire le culte de latrie, même si quelqu’un
dit qu’il le fait à cause de Dieu, ou du Christ, non à cause des images.
Car par le seul fait qu’il leur rend les honneurs divins, il témoigne
qu’il les honore pour elles-mêmes, non à cause de Dieu, quoi qu’il
dise.
Venons-en maintenant à ces très anciens vers : « Car c’est Dieu
que l’image enseigne. Elle n’est elle-même pas Dieu. »
Ces vers montrent assez clairement qu’on ne doit pas rendre à une image
un culte qui est du à Dieu.
Ces réflexions préalables nous permettront de répondre facilement
aux objections qui nous sont faites. La première : « Salut, ô
croix, unique espoir ! » Je réponds que ou bien nous prenons la
croix pour le Christ crucifié, comme nous l’avons déjà dit, ou bien
il s’agit d’une prosopopée rhétorique par laquelle l’Église
parle à la croix de la même manière que Moïse parlait au ciel et à
la terre, quand il dit dans le Deutéronome (XX11) : « Écoutez
cieux, ce que je vais dire… » Et de la manière que saint André
lui parlait en disant : « Salut, croix précieuse ! » Par cette
prosopopée, nous signifions que nous désirons le fruit de la croix, c’est-à-dire,
être sauvés par les mérites du Christ, qui a souffert sur la croix.
La seconde objection recevra sa réponse dans la cinquième objection.
À la troisième, je dis que, par la croix, saint Ambroise entend
la passion du Christ ou la chair qui souffre, comme par l’image
de Dieu, il entend la divinité. Car il veut dire que
le Christ Dieu et le crucifié sont une seule et même chose, et que, à
cause de cela, quand on adore le Christ Dieu, il ne faut pas le séparer
de son humanité; et que quand adore le Christ crucifié, il ne faut pas
le séparer de sa divinité. À la quatrième, je réponds
que saint Jérôme ne dit pas que Paula a adoré la croix au sens propre
du terme, mais que prostrée devant la croix, elle adorait le Christ qu’elle
voyait représenté dans la croix.
Au cinquième, à cet unique mouvement qui va vers l’image et vers
l’exemplaire, diverses explications ont été données. Peresius
répond qu’il n’est pas vrai qu’on se porte d’un même mouvement
vers l’image et vers l’exemplaire, parce que ce sont deux choses opposées
qui ne peuvent être connues que par deux connaissances. Il ajoute qu’on
ne trouve pas dans Aristote ce que Saint Thomas lui fait dire.
Or, dans son livre sur la mémoire et la réminiscence, chapitre 2, c’est
bien ce qu’il semble dire. Car, voulant expliquer pourquoi la mémoire
connait les choses absentes, il dit que la raison en est que, dans la mémoire,
sont les espèces des choses, qui sont comme des peintures; et que si l’homme
voit ces phantasmes en tant qu’images, alors il connait les choses passées
dont elles sont les images, car une image ne peut pas être connue en tant
qu’image sans que soit connue en même temps la chose dont elle est l’image.
Ce n’est pas vrai ce que dit Peresius que, parce qu’elles sont
opposées, les choses relatives ne peuvent pas être connues par une seule
connaissance. Car, les opposés sont tels qu’ils dépendent
l’un de l’autre, et qu’on ne peut ni définir ni connaitre l’un
sans l’autre.
Durand répond autrement. Car il admet qu’on se porte
en un seul mouvement à l’image et à l’exemplaire. Mais il nie
que, à cause de cela, il y ait une seule adoration. Car, même
si l’esprit connait l’un et l’autre en même temps, il ne dit pas
que l’un est l’autre, mais il les voit comme distincts, et, en conséquence,
n’adore pas l’un et l’autre de la même adoration. D’autres
confirment cette interprétation en disant que même s’il n’y a qu’un
mouvement de l’esprit, c’est-à-dire de l’intelligence, vers l’image
et l’exemplaire, les mouvements de la volonté peuvent être contraires.
Car, celui qui voit une image du Christ mal peinte, déteste l’image
en tant qu’elle est une image, et cependant aime le Christ.
Et, inversement, celui qui voit une image de Judas bien peinte, aime l’image
et déteste l’exemplaire.
Mais cette réponse n’est pas satisfaisante. Car, saint
Thomas ne dit pas que le mouvement vers l’image en tant qu’image est
aussi dans l’exemplaire. Mais il dit que le mouvement
vers une image, en tant qu’elle est l’image d’un autre, est
aussi dans l’exemplaire. Et cela est vrai autant pour le mouvement
de l’intelligence que de la volonté. Car, celui qui aime l’image
du Christ non pas parce qu’elle est une image, mais parce qu’elle est
l’image du Christ, il est impossible qu’il n’aime pas en même
temps le Christ, quand le Christ est la raison pour laquelle il aime l’image.
Celui qui aime une belle image de Judas, n’aime pas l’image en tant
qu’elle est celle de Judas, mais en tant qu’elle est une belle image
tout court. C’est-à-dire qu’il jouit de la proportion
qu’il y a entre l’image et l’exemplaire.
J’estime donc qu’il faut répondre autrement. J’admets
qu’ il est le même le mouvement de volonté qui va vers l’image et
l’exemplaire. Mais alors, ou l’exemplaire est conçu et adoré
comme objet principal, ou il ne l’est pas. C’est-à-dire, ou
je conçois et j’adore le Christ lui-même reluisant dans l’image,
ou je conçois et j’adore l’image elle-même en tant qu’image
du Christ. Dans le premier cas, l’adoration en est une de latrie,
mais elle porte essentiellement sur le Christ , et par accident seulement
sur l’image. Et c’est ce que semblent vouloir dire Capreolus et Cajetan.
Dans le deuxième cas, l’adoration porte alors directement sur l’image,
et conséquemment sur le Christ. Elle n’est donc pas une adoration
de vraie latrie, mais elle lui est bien inférieure.
Tu diras que c’est au Christ que convient une adoration de
vraie latrie. Si cette adoration se termine aussi au Christ, elle
sera donc une vraie adoration de latrie. Je réponds qu’au
Christ convient une vraie latrie, quand il est adoré en tant
qu’il est en lui-même, non quand il est adoré dans une image par participation.
Exemple. Celui qui honore le représentant d’un roi honore
certainement le roi lui-même. Et cependant, il honore tout à fait
autrement le roi lui-même dans sa propre personne qu’il ne l’honore
dans son représentant. Cela est bien connu. Et c’est ce
qui nous permet de répondre à la deuxième objection. Car,
quand on honore l’image, son honneur passe dans le prototype, même si
cet honneur n’est pas celui qui est du au prototype, mais qui convient
pour que le prototype y participe par l’image. À la sixième
objection, je dis que la raison pour laquelle on honore l’image est l’exemplaire
lui-même. Cependant, l’exemplaire doit être honoré autrement
s’il est honoré en lui-même, et autrement s’il participe à l’honneur
du fait de l’image.
À la septième. Exemple. Celui qui brise la statue d’un
roi est puni de crime de lèse majesté, parce que c’est le roi lui-même
qui a été lésé, même si la faute n’est pas aussi grave que s’il
avait blessé le roi en personne. Si le coupable était puni aussi
sévèrement, la raison en serait qu’il n’a pas brisé la statue en
tant que statue d’un roi, mais qu’il a pris la statue pour le
roi lui-même.
CHAPITRE 25
De quel genre
de culte adorons-nous les images
Cinquième conclusion : Le culte qui est du au sens propre
et en lui-même aux images, est un culte imparfait qui appartient
par analogie ou par réduction à l’espèce du culte qui est du à l’exemplaire.
J’explique. Aux images ne convient proprement ni la latrie, ni
l’hyperdulie, ni la dulie, ni aucun de ceux qui conviennent à
une nature intelligente. Car, une chose inanimée et privée de raison
est incapable de recevoir ce genre de culte. Elle ne peut recevoir qu’un
culte bien inférieur, et qui varie selon la diversité des images.
Aux images des saints n’est pas du un culte de dulie proprement dit,
mais un culte inférieur qu’on peut appeler un culte de dulie à un certain
point de vue, ou par analogie, ou par réduction. Semblablement,
aux images de la très sainte Vierge n’est pas du un culte d’hyperdulie
proprement dit, mais selon un certain point de vue, par analogie ou réduction.
Aux images du Christ n’est pas du un culte de latrie proprement dit,
mais un culte grandement inférieur, qui se réduit cependant à la latrie,
comme l’imparfait au parfait. Preuve. Comme l’image
se comporte envers son exemplaire, le culte de l’image se comporte de
la même façon envers le culte de son exemplaire. Mais l’image est l’exemplaire
analogiquement, et d’une certaine façon. Car un homme peint est un homme
d’une certaine façon et par analogie. Donc, même à l’image
est du le culte qui est du à l’exemplaire, mais un cule imparfait
et analogique.
De plus, l’image se réduit à l’espèce de l’exemplaire.
Car, un homme peint et un cheval peint diffèrent pas l’espèce, parce
qu’un homme réel et un cheval réel diffèrent par l’espèce.
Donc, le culte de l’image est réduit lui aussi au culte de l’exemplaire.
Et c’est peut-être ce que saint Thomas et saint Bonaventure, et les
autres, voulaient dire quand ils ont enseigné qu’on rendait le
même culte à l’image qu’à l’exemplaire. Car c’est ainsi
que l’a compris Gabriel. Et s’il en bien ainsi, nous sommes
d’accord avec eux. Et c’est ce qui nous permet de parler
la vraie croix du Seigneur, des clous, des épines et des autres reliques.
Toutes ces choses doivent être honorées d’un culte inférieur
à celui qu’on rend au Christ ou aux saints, dont nous avons les reliques.
Mais un culte qui, par analogie et réduction, appartient au même
culte qu’on rend au Christ ou aux saints. Car les reliques méritent
un honneur parce que, en raison du contact, ou pour une autre raison, elles
sont en rapport avec ceux donc elles sont les reliques.
CHAPITRE 26
L’adoration de la croix
Même si la croix du Seigneur est vénérée tantôt parmi les reliques,
tantôt parmi les images, (car la vraie croix du Christ, sur laquelle le
Seigneur a été cloué, doit être, à cause de son contact avec le corps
sacré et le sang de Dieu, considérée parmi les reliques les plus précieuses.
Et cette même croix, en tant qu’elle nous rend présent le Seigneur
crucifié, ainsi que toutes les autres croix qui lui sont semblables, est
énumérée parmi les images sacrées). Cependant, parce qu’on
trouve certaines erreurs, et des arguments sophistiques sur la croix,
nous avons pensé qu’une dispute particulière s’imposait.
Il y eut d’abord l’hérésie de Claude de Tours, qui, en plus des
autres images, exécrait la croix du Seigneur, au témoignage de Jonas
(livre 1). Il vécut ce Claude en l’année du Seigneur 800.
À la même époque, en Orient, les Pauliniens (appelés ainsi à cause
d’un certain Paul) enseignaient la même chose, selon Euthymius
(Panoplie, par 2, tit 21). Les Wiclifistes n’eurent pas une haine
moins grande envers la croix, selon Thomas Waldensem, (tome 3, tit 20.)
Calvin (livre 1, chapitre 11, verset 7), les magdebourgeois (centurie
4, chapitre 4, colonne 302; chapitre 6, colonnes 158, 459) mentent impudemment
quand ils enseignent que le signe de croix était une nouveauté au quatrième
siècle. Car, Tertullien (dans le livre sur la couronne du soldat)
fait mention du signe de croix, lui qui vécut au deuxième siècle.
Ils mentent également (centurie 7, chapitre 6, colonne 191) quand ils
affirment que le pape Serge a été le premier à avoir adoré et baisé
le Christ. Le pape Serge vécut en l’ana 688. Or, Évagrius,
qui a vécu cent ans avant Serge, fait mention de l’adoration et du baiser
donnés à la croix. Saint Jérôme, qui est du quatrième siècle,
en parle aussi dans sa lettre à Marcella.
Les arguments des Bogomites et des Petrobrusiens sont au nombre de
trois. Le premier. La croix a apporté de la douleur
et de l’ignominie au Christ. Ceux qui aiment le Christ doivent
dont la détester. Le deuxième. Parce qu’il serait sot et
impie le fils qui aimerait et honorait la potence sur laquelle sont
père a été suspendu. La troisième. Car, s’il faut
adorer toutes les croix parce que le Christ est mort sur une croix, il
faudra adorer aussi tous les sépulcres parce que le Christ s’est reposé
dans un sépulcre. Et toutes les crèches, parce qu’il a dormi
dans une crèche. Et toutes les colonnes, toutes les lances, toutes
les éponges, tous les fouets etc. Et même tous les ânes (ajoute
Claude) parce que le Christ a été réchauffé par un âne.
Quatrièmement. Claude argumentait ainsi. Les ennemis
du Christ se sont réjouis de la passion du Seigneur, mais ont été attristés
par sa résurrection. À l’inverse, ses amis ont souffert de sa passion,
mais se sont réjouis de sa résurrection. Donc, ceux qui honorent
et aiment la croix, imitent les ennemis du Christ.
Cinquièmement. Et voici comment raisonnaient les Wiclefistes,
d’après Waldensem. Si nous adorons la croix à cause du contact
qu’elle a eu avec le corps divin, ou parce qu’elle a été l’instrument
de la passion, il faudra aussi adorer les lèvres de Judas parce qu’elles
ont touché la bouche du Christ quand il l’a embrassé; et la main
de ce serviteur qui lui a donné un soufflet. Car, toutes ces choses
touchèrent le Christ, et furent des instruments de la passion. Sixièmement.
Les centuriates argumentent ainsi. C’est une superstition d’attribuer
une vertu à des choses imprimées. Or, les papistes attribuent à
l’image du Christ le pouvoir de chasser les démons et tous les maux.
Ils sont donc superstitieux. On répondra à ces objections au chapitre
30. Entretemps, nous donnerons des explications sur la croix,
d’abord, ensuite sur l’image de la croix, et enfin sur le signe de
croix.
CHAPITRE 27
La vraie croix du Seigneur
Il faut d’abord faire quelques réflexions sur la figure de la croix.
Il faut donc savoir qu’une croix est faite de trois morceaux de bois,
dont l’un est long et sur lequel le corps était suspendu. Un autre
transversal, posé sur le bois long, sur lequel les mains étaient
fixées. Et un troisième, placé sur le bois long,
pour y poser les pieds, et les clouer. C’est ce qu’atteste saint
Irénée (livre 2, chapitre 42) et saint Justin dans son dialogue avec
Triphon. Est-ce que le bois transversal était placé sur le bois
long de façon à ce qu’on ne voie plus le bois long, la chose n’est
pas certaine. Car, Bède (dans les questions sur la Genèse,
quand il parle de la victoire d’Abraham) dit : dit que la croix était
semblable à la grecque t, auquel était aussi semblable le thau
hébraïque, selon saint Jérôme (chapitre 9 d’Ezéchiel). Et
saint Augustin (épitre 120, chapitre 26) dit que le bois long était
par-dessus le bois transversal. Et c’est ce qui est le plus probable.
Car, c’est plus conforme aux paroles de saint Irénée, et aux
paroles de l’apôtre (Éphésiens, chapitre 111.), où, faisant
allusion à la figure du Christ, il nomme la sublimité, la profondeur,
la longueur, et la largeur. De plus, ceux qui disent que la croix
ressemblait à la lettre T disent la vérité, car elle lui était peu
différente.
Ce que Bède écrit dans ses récollections et ses florilèges, que
la croix était faite de quatre sortes de bois différents, d’un cèdre,
d’un pin, d’un cyprès, et d’un buis, ne s’appuie sur
aucun témoignage ancien, et ne semble pas vraisemblable.
2018 09 04 fin
2018 09 08 début
Il est à noter que les anciens ont ajouté à la grâce du mystère
quelque chose qui est encore conservé en partie. Car le bois long
ils le fléchissaient et le recourbaient à la façon d’un bâton de
pasteur, le faisant ressembler plutôt à la lettre P. Un peu plus
bas, ils mettaient deux lignes de travers, à la ressemblance de la croix
de saint André, représentant la lettre grecque X, de façon à ce que
ces deux lettres signifient le Christ. Ils traçaient en bas une
ligne transversale qui complétait la croix. Et de là pendait un
voile déployé. En bas de la ligne transversale, se trouvait le
bois long sous la forme d’une épée. À la plus petite partie,
ils ajoutaient une poignée. Toutes ces choses signifiaient que la
croix était l’étendard du Christ empereur. Car, la croix était attestée
par cette figure. Les deux lettres X et P indiquaient le nom du Christ,
et il était reconnu par le voile, l’épée et la poignée.
Voir Jean Pierius Valérien au sujet des signes hiéroglyphiques (livre
50), et Primasius (livre 4 sur l’Apocalypse), où ce signe est appelé
le monogramme et le signe du Christ. Car le labarum de Constantin
fut tel. En effet, comme le rapporte Eusèbe, (livre 9, chapitre
9 de son histoire), Constantin réduisit en forme de croix le labarum qui
accompagnait auparavant les empereurs, et était adoré par les soldats.
Mais de façon, cependant, à ne pas perdre la forme d’un étendard.
Ce labarum Eusèbe le décrit dans la vie de Constantin (livre 1),
où il dit qu’il fut une épée entière entourée d’or, au sommet
de laquelle était placée une couronne très précieuse, et, en
dessous d’elle, une corne transversale en forme de croix, de laquelle
pendait un voile pourpre très orné d’or et de pierres précieuses.
À la partie infime duquel apparaissaient les images de Constantin et de
ses fils. Dans l’épée, en dessous de la couronne, étaient les
lettres du nom du Christ.
La façon ordinaire de crucifier n’était pas, alors, comme beaucoup
le pensent, d’attacher avec des cordes, mais de fixer avec
des clous. Or, les peintres ont coutume de ne représenter que le
Christ crucifié avec des clous, et les larrons et saint Pierre,
avec des cordes. Mais, il n’en était pas ainsi. Tous étaient
crucifiés avec des clous, tous portaient leurs croix, et tous étaient
flagellés avant. Voir Plutarque sur la vengeance tardive des dieux,
Marcus Tullius (act 7 contre Verres), Nonius Marcellus (au mot patibulus)
qui s’exprime ainsi : « Ceux qui sont condamnés à la croix la transportent
et sont ensuite cloués sur elle. » Voir aussi Macrobius (livre
1, Saturne, chapitre 11), Joseph (livre 6 de la guerre juive), et dans
sa vie. Dans le livre de la passion de saint André, le proconsul
dit : « Sur cette croix que tu loues, après d’avoir fait flageller
j’ordonnerai qu’on t’y cloue ». De plus, comme saint André
devait être crucifié de la façon ordinaire, le proconsul ordonne qu’on
le suspende à la croix avec des cordes, de peur que s’il était cloué,
il meure trop vite. Ajoutons qu’on a hésité longtemps pour
savoir quelle était, parmi ces trois croix, celle du Sauveur, car les
trois avaient les mêmes trous et les mêmes clous. Voir Ruffin (livre
10, chapitre 8).
Venons-en maintenant à l’argument. Que le bois de la
croix est vénérable, on le prouve par une raison tirée des Écritures.
Car l’Écriture atteste que le Christ n’a pas été crucifié par hasard,
ou malgré lui, ou à cause de ses propres péchés, mais qu’il a choisi
volontairement la croix, et qu’il l’a choisie en tant qu’autel du
sacrifice suprême, qui apaiserait Dieu, et comme un escabeau pour son
règne, l’instrument de la libération du genre humain, et enfin, comme
un instrument par lequel il vaincrait Satan, et triompherait de lui. Il
s’ensuit de cela que cette vraie croix a été honorée grandement par
Dieu, et doit être aimable et vénérable à nous tous. Qu’il
l’ait choisie volontairement, Isaïe nous l’enseigne (chapitre 53)
: « Il a été offert parce qu’il l’a voulu » Jean X : « Je
dépose mon âme. Personne ne me la prend. C’est moi qui la dépose.
» Et, dans les Actes des apôtres (chapitre 2) : « Vous avez tué
celui qui a été livré selon un plan défini, et la prescience de Dieu.
» Actes 111 : « Dieu qui a prédit par la bouche de tous les prophètes
que son Christ souffrirait, l’a réalisé. » Actes 1V : « Ils
se rassemblèrent véritablement dans cette cité Hérode, Ponce Pilate
avec les Gentils, et le peuple d’Israël pour faire ce que ta main et
ton dessein avait décrété que soit fait. »
Que la croix fut l’autel du sacrifice suprême, il est facile de
le comprendre puisque le Christ crucifié est le sacrifice suprême (Hébreux,
chapitre V11). Voilà pourquoi saint Paul dit aux Colossiens 1
: «Pacifiant par le sang de sa croix. » C’est-à-dire par le
sang versé comme d’un autel. Et c’est ce que signifiait
la pierre érigée et non ointe, et appelée maison de Dieu par Jacob (Genèse
XX). Que la croix fut une échelle ou un escabeau pour son règne,
Jean XX11 l’atteste: « Maintenant le prince de ce monde est jeté à
l’extérieur. Et moi, si je suis élevé de la terre, j’attirerai
tout à moi. Il disait cela en indiquant la mort dont il devait mourir.
» Philippiens 11 : « Il s’est humilité et s’est fait obéissant
jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. Voilà pourquoi Dieu l’a
exalté. »
Qu’elle fut aussi un instrument de libération, l’enseignent
les premières figures qu’a présentées saint Jean Damascène (dans
le livre 4, chapitre 12, sur la foi). Car cette croix signifiait
l’arbre de vie du paradis (Genèse, chapitre 2), l’arche de bois de
Noé, qui sauvait sa famille, la verge de Moïse qui ouvrait la mer rouge,
le bois qui rendait les eaux douces, (Exode XV). Mais surtout
le serpent d’Airain élevé dans le désert (Nombres Xv111), duquel le
Seigneur a dit en saint Jean 111 : « Comme Moïse a élevé le serpent
dans le désert, il faut que soit élevé ainsi le Fils de l’Homme pour
que tous ceux qui croient en lui ne périssent pas, mais aient la
vie éternelle. » Et, à la suite de saint Paul, l’Église dit
: « Il nous faut nous glorifier dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ,
dans laquelle est le salut, la vie et notre résurrection. »
Qu’il ait vaincu le diable et qu’il en ait triomphé, saint Paul
nous l’enseigne (Colossien 11) : « L’original du décret qui nous
était contraire il l’a enlevé du milieu de nous, en le clouant
à la croix, dépouillant les principautés et les puissances. Il
les a livrés ouvertement avec confiance, triomphant d’eux en lui-même.
» Origène (dans son homélie 8 sur Josué), dit que nous avons
dans le grec : triomphant d’eux dans le bois de la croix. Et que, bien
que nous n’ayons pas dans le bois, mais en lui-même, on peut facilement
référer ce mot à la croix, dont il avait dit plus haut en tô staurô,
comme le rapporte Theophylactus. Origène dit donc que, sur la croix,
deux ont été crucifiés : le Christ visiblement, volontairement, et pour
un temps; le diable invisiblement, malgré lui, et à sa honte éternelle.
Et cela, il le prouve par le passage où saint Paul a utilité la métaphore
du triomphe, voulant indiquer par là que la croix est le char triomphal
qui traine le démon enchainé, et qui l’exhibe comme un trophée de
victoire. Et c’est ce que signifient les deux mots grecs edeigmatisen
et thriaubeusas.
Le deuxième argument est tiré des mystères qui sont signifiés par
cette croix. Car, comme dit saint Augustin (épitre 120, chapitre
26) : « Celui qui est mort parce qu’il l’a voulu est aussi mort quand
il l’a voulu. Et ce n’est pas sans raison qu’il a choisi la
croix comme instrument de mort. » La signification mystique
de la croix nous est enseignée par saint Irénée (livre 5), saint Grégoire
de Nysse (sermon 1 sur la résurrection), saint Augustin (épitres 119
et 120), saint Jérôme et Thophylactus (chapitre 111 aux Éphésiens),
où ils font un commentaire de ces paroles de saint Paul : « Pour que
vous puissiez comprendre avec tous les saints ce qu’est la latitude,
la longitude, la sublimité et la profondeur. » Car, par la
latitude, il entend le bois transversal, la sublimité, la partie du bois
où est inscrit le motif de la condamnation, la longitude, le bois qui
va de haut en bas, la profondeur, la partie du bois qui est cachée dans
la terre.
Cette figure signifie d’abord toute la perfection chrétienne, comme
saint Augustin l’enseigne. La profondeur signifie la foi, la sublimité
l’espérance, la latitude la charité, la longitude la persévérance.
Elle signifie ensuite l’effet de la passion du Christ. Car
le bois le plus élevé signifie le ciel ouvert par la passion du Christ;
le bois enfoncé sous terre, l’enfer (limbes) évacué et le démon vaincu;
le bois transversal tourné vers l’orient et l’occident, la terre entière
rachetée. Et c’est pour cela qu’adorent le crucifié les choses
terrestres, célestes et infernales, comme le déduit saint Grégoire
de Nysse. Troisièmement. Les deux bras de la croix, sous l’unique
nom du Sauveur, signifient (dit saint Irénée) deux peuples
réunis sous une seule tête, le Christ, selon cette parole en Jean X11
: « Moi, si je suis élevé de terre, j’attirerai tout à moi. »
Minutius Félix dans Octavius et Ambroise dans un sermon, ajoutent
que la figure du Christ est aussi naturellement salutaire.
Car les oiseaux ne voleraient jamais s’ils n’imitaient pas la forme
de la croix en étendant leurs ailes. Et le navire ne bougerait
pas sans faire une croix avec le mat et l’antenne. Le laboureur
ne tracerait pas de sillons s’il ne formait pas une croix avec la charrue
et le manche de la charrue. On peut dire la même chose du joug et
du timon. Le ciel lui-même fait une croix si on tire des lignes
de l’est à l’ouest, et du nord au sud. Enfin, comme le rapporte
Ruffin (livre 2, chapitre 20 de son histoire), les Égyptiens, avec leurs
caractères hiéroglyphiques, annonçaient la venue de la vie par
la croix.
Troisième argument. L’invention de la sainte croix. De laquelle
ont peut tirer un grand nombre de témoignages qui nous font comprendre
que la vénération de la vraie croix du Sauveur plait à Dieu. Le
premier. Il n’a pas permis que ce bois soit englouti dans la mer
ou consumé par les flammes. Les ennemis des chrétiens s’étaient
efforcés d’abolir la croix et tous ses vestiges. Pour ce
faire, ils l’avaient cachée sous terre, à une grande profondeur; et,
à la place du Christ, ils avaient déposée la statue de Vénus.
Au lieu de la résurrection, ils avaient installé la statue de Jupiter,
et au lieu de sa naissance, celle d’Adonis, comme le rapporte saint Jérôme
dans son épitre à Paulina sur l’institution du monachisme.
Pourquoi donc, je le demande, n’ont-ils pas brulé la croix, alors qu’ils
le voulaient et le pouvaient, sinon parce que Dieu leur a enlevé cette
pensée, afin que soit conservé le bois très précieux à la consolation
des croyants.
Deuxièmement. Dieu a voulu que la vraie croix soit trouvée
à une époque où elle pouvait être adorée en toute sécurité, au début
de l’empire de Constantin. Car, si elle avait été déterrée
sous le règne des empereurs païens persécuteurs, elle l’aurait
été pour recevoir plus d’avanies que d’honneurs. Si elle avait
été trouvée longtemps après le règne de Constantin, elle aurait été
privée de l’honneur qui lui est du. La divine providence manifesta
donc la vraie croix dès qu’elle put être honorée. Troisièmement.
Des miracles manifestes ont démontré que c’était la vraie croix.
On peut donc en conclure que l’invention de la croix est une révélation
faite par Dieu. En effet, on trouva trois croix ensemble, et
on ne pouvait pas différencier la croix du Seigneur de celle des larrons.
On apporta donc les trois croix à une femme agonisante. Les deux
premières croix n’obtinrent aucun effet. Mais quand on lui présenta
la troisième, elle recouvra bientôt la santé. C’est Ruffin qui
rapporte cela (livre 10, chapitre 8 de son histoire), ainsi que Socrate
(livre 1, chapitre 13 de son histoire), et Theodoret (livre 1, chapitre
18), Sozomène (livre 2, chapitre 1), et Nicéphore (livre 8, chapitre
29). La croix ne fit pas que guérir la femme agonisante, elle
rendit aussi la vie à un homme mort, comme le rapportent Paulin (épitre
11 à Sévère), Sévère (livre 2 de son histoire sacrée), et Sozomène
(livre 11, chapitre 1). Tous se souviennent de la femme malade et
de l’homme mort.
Il importe peu qu’Ambroise (dans son sermon sur Theodose) et saint
Jean Chrysostome (homélie 84 sur saint Jean) aient dit que la croix du
Seigneur avait été reconnue par l’écriteau qu’elle était
seule à porter, alors que les deux autres en étaient dépourvues.
Car, Ruffin, il est vrai, indique que la croix fut reconnue par l’écriteau,
mais non de façon décisive, puisque cet écriteau gisait
par terre à côté de la vraie croix. C’est donc pour enlever
toute ambiguïté qu’on eut recours aux miracles. Ce n’est pas
seulement la croix qui brilla par des miracles, mais aussi le clou qu’Hélène
a donné à Constantin. De ce clou, comme l’atteste saint Ambroise au
lieu cité, les Juifs disaient : « Voici que le clou aussi est en honneur.
Et celui que nous avons enfoncé pour donner la mort est un remède de
salut; et, par un pouvoir invisible, tourmente les démons. »
Quatrièmement. Parce qu’Hélène n’a pas entrepris
cette recherche de sa propre initiative, mais après avoir été avertie
par des révélations divines. C’est ce qu’atteste Eusèbe dans
la chronique que saint Jérôme a traduite en latin : « Hélène, la mère
de Constantin, avertie par des visions divines, trouva, près de Jérusalem,
le bienheureux bois de la croix sur lequel fut suspendu le salut du monde.
» Disent la même chose Ambroise, Ruffin, Paulin, Sulpice et d’autres.
Ce qui nous montre à quel point sont impudents les blasphèmes des magdebourgeois.
Ils disent, en effet, (centurie 4, chapitre 6, colonne 458), qu’Hélène
fut une femme superstitieuse parce qu’elle se rendit à Jérusalem pour
trouver la croix. Mais cette femme tous les saints pères la portent
aux nues, et ils affirment tous que c’est sous l’inspiration du Saint-Esprit
qu’elle s’est mise à la recherche de la croix du Seigneur.
Cette histoire qui est archi connue et célèbre entre toutes,
les magdebourgeois essaient de la rendre douteuse (centurie 4, chapitre
13, colonnes 438, et 439). La première raison qu’ils donnent c’est
qu’Ambroise est le plus ancien de tous à raconter cette histoire.
Or, le discours sur Theodose où elle se trouve racontée, Érasme ne l’accepte
pas comme authentique. La deuxième raison. Eusèbe (dans la vie
de Constantin, livre 33), raconte plusieurs choses sur Hélène, et sur
la purification du mont du Calvaire, mais ne dit pas un mot sur l’invention
de la vraie croix. À la première objection, je dis d’abord qu’une
telle censure d’Érasme n’existe pas puisque (dans la centurie 4, chapitre
3 de la vie d’Ambroise), ils attribuent ce discours à Ambroise,
en faisant leur le jugement d’Érasme. Je dis ensuite, que à supposé
même qu’Érasme ait jugé ainsi, serait-il devenu soudain un oracle
divin devant lequel tous doivent s’incliner, surtout quand il ne donne
aucune raison. Troisièmement, je dis qu’il est faux qu’Ambroise
soit le plus ancien de ceux qui rapportent cette histoire. Car, Sulpice,
Paulin, Ruffin, Jérôme, saint Jean Chrysostome qui racontent tous la
même chose, sont du même âge qu’Ambroise, et de la même époque,
même si Ambroise est peut-être un peu plus ancien. Ensuite, saint
Cyrille de Jérusalem qui est plus ancien qu’Ambroise, raconte la même
chose, dans son épitre à Constance Auguste.
Constantin lui-même, plus âgé qu’Ambroise, se souvient
de cela dans sa lettre à Macaire que rapporte Eusèbe au livre 333 de
la vie de Constantin : « La bénignité de notre Dieu est telle qu’aucune
parole ne peut être digne du miracle présent. Cela cause
de l’admiration et de la stupeur que l’indice d’un tourment très
sacré enseveli sous terre pendant tant d’années jusqu’à ce que soit
anéanti l’ennemi commun, soit apparu parfaitement conservé à sa famille.
» Il ajoute au même endroit, que la foi est déclarée par de nouveaux
miracles. À la deuxième objection nous disons que, dans sa chronique,
Eusèbe s’est rappelé de cela. Dans les livres sur la vie de Constantin
il ne s’est pas cru obligé de raconter cette histoire parce qu’elle
était alors connue par tous. Et il pensait que devait suffire ce
qui était écrit dans les lettres de Constantin.
À cette découverte de la vraie croix, on peut ajouter aussi l’invention
de la lance sacrée qui, par une divine révélation, a été trouvée
à Antioche, en l’année 1008, et ennoblie par un miracle insigne.
Voir Guillaume de Tyr (livre 6 de la guerre sacrée), et Paul Émilien
(livre 4 des gestes des Francs), et le douzième continuateur de Marian
Scott (dans la chronique de l’année 1100.)
Le quatrième témoignage on le tire du témoignage des anciens qui
rapportent souvent avec quel ardent désir les fidèles désiraient posséder
ou regarder un morceau de la vraie croix. Ce qui est porter
un grand honneur à la croix, comme nul ne l’ignore. D’abord,
saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 10et 13) dit que le monde a été
rempli du bois de la croix trouvé à Jérusalem; que plusieurs demandaient
des particules de la vraie croix, et que Constantin avait inséré une
particule de la vraie croix dans sa statue, estimant que, par cette particule,
c’était toute la ville qui était sauvegardée, comme le rapportent
Socrate (livre 1, chapitre 13), et Eutropius ou Paul diacre, qui ajouta
plusieurs choses à Eutropius au livre 11 des choses romaines. Grégoire
de Nysse, dans la vie de sa sœur Macrine, raconte qu’elle avait coutume
de porter à son cou une croix d’argent où était insérée une
particule de la vraie croix. Paulin, dans l’épitre 12 à
Sévère, écrit qu’il s’est donné à lui-même le plus grand des
dons, une particule de la croix enrobée d’or. Il écrit aussi,
au dixième anniversaire de la naissance au ciel de Félix, qu’il a éteint
un énorme incendie qui ne pouvait plus être éteint par aucun moyen humain,
seulement en élevant une particule de la croix.
Saint Jean Chrysostome (dans son homélie que le Christ est Dieu),
écrit que ceux qui pouvaient posséder une particule de la croix, la conservaient
en l’enroulant dans de l’or, et croyaient être bien décorés et bien
protégés. Évagre (livre 4 de son histoire, chapitre 20), et Procopius
(livre de la guerre persique), racontent que, à Apamée, il y avait
une particule de la sainte croix, que le peuple voulut montrer quand la
ville qui était assiégée depuis longtemps semblait sur le point d’être
prise, pour que, à la vue de la croix du Seigneur, ils meurent avec plus
de joie. Mais quand cette particule de la croix fut élevée par
l’évêque une, deux et trois fois, éclata un feu mystérieux qui éclairait
sans bruler. Terrifiés, les assaillants mirent fin au siège
de la ville. Grégoire V11 (livre 6, épitre 126) envoie
à Reccarède, roi des Visigoths, une particule de la croix, comme
suprême protection. Saint Ambroise (dans son sermon sur Theodose),
parlant du clou inséré par Hélène dans le casque de l’empereur, dit
: « Hélène a agi sagement en élevant la croix sur la tête des rois,
pour que la croix du Christ soit adorée dans les rois. »
Saint Jérôme (dans le psaume 98, parle ainsi de la croix : « Adorez
l’escabeau de ses pieds. » Et, dans son épitre 17 à Marcella,
il dit : « Il viendra donc un jour où il nous sera permis d’entrer
dans le sépulcre du Sauveur, et de choyer le bois de la croix. »
Saint Augustin (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu) écrit :
« À la terre sainte apportée en Afrique du mont du Calvaire, des
miracles ont coutume de se faire. Et, avec un autre évêque,
il l’a enfouie sous terre, et a construit au-dessus un oratoire.
» De quel honneur saint Augustin n’entourait -il pas la croix,
lui qui honorait à ce point la terre où avait été la croix ?
À ces témoignages, ajoutons celui de la Sybille, son poème qui se trouve
au livre 6 des champs sibyllins, vers la fin : « O heureuse croix sur
laquelle pend Dieu lui-même ! »
Le cinquième argument est tiré de l’exaltation de la sainte croix.
Nous tenons de Paul diacre, de Zonara et de Cedrenus (dans la vie d’Héraclius),
que Heraclius fut divinement aidé dans la récupération de la croix que
les Perses avaient enlevée de Jérusalem. Et cela d’une façon
telle que, du haut du ciel, Dieu combattit contre les Perses avec des pierres
de grêle, comme il avait autrefois fait avec Josué. Dans
la restitution de la croix en son lieu, des miracles eurent lieu,
comme le rapporte Sigebertus (dans sa chronique de l’année 631.)
Qu’à cause de cet évènement une fête a été instituée, Otho Frisingensis
(livre 5, chapitre 9), Bède et Adon le notent dans leur martyrologe.
Le sixième argument. Si la terre où l’ange s’est
tenu est sainte, (Josué chapitre V, Exode 3) pourquoi la croix, où s’est
tenu le Christ ne le serait-elle pas ? Si le linceul et les ceintures de
saint Paul sont honorés par le contact, pourquoi ne le serait pas
davantage la croix du Seigneur encore tachée de sang ? Si on honore
les sacrements parce qu’ils sont des instruments de grâce, pourquoi
par la croix, qui est l’instrument de notre rédemption ?
CAPITRE 28
L’image du Christ
De l’image du Christ nous avons un premier témoignage en Matthieu
XX!V : « Alors, apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’Homme.
» C’est-à-dire la croix. Car, même si Calvin,
Musculus et les autres qu’il nomme dans sa chaîne à Marloratus, nient
qu’il s’agisse là de la croix, et veulent que le sens des mots soit
le suivant : il apparaitra si manifestement que tous les yeux se tourneront
vers lui, il n’en resta pas moins que , tous les anciens auteurs voient
la croix dans le mot signe. Comme Origène, saint Jean Chrysostome,
saint Jérôme, saint Hilaire, Theophylactus, Tuthymius, Bède, dans
leur commentaire de Matthieu chapitre XX1V. Saint Cyrille de Jérusalem
également (dans sa catéchèse 15), et saint Augustin (dans son sermon
130.)
Voici ce que l’Église chante à la fête de l’invention
: « Ce signe de la croix sera dans le ciel quand le Seigneur viendra pour
juger. » Voici ce que chante aussi la Sybille au livre 7 :
« O bois heureux sur lequel Dieu lui-même est pendu. La terre
ne te reçoit pas; mais tu verras les toits du ciel, quand la face
de Dieu renouvelée luira comme le feu. » Et Thomas Waldensis
(tome 3, titre 20, chapitre 158), ne dit pas sans de bonnes raisons que
cette vraie croix du Christ, qui est maintenant divisée en plusieurs particules,
se réformera en récupérant toutes ses parties, et apparaitra dans le
ciel. Car, c’est ce que semblent affirmer la Sybille, et
saint Jean Chrysostome dans son sermon sur la croix et le larron.
Ce qui n’est contredit par aucun père.
Nous avons un grand nombre d’arguments pour prouver qu’on doit
honorer la croix. D’abord, elle est honorable la croix qui
est appelée son signe par le Christ lui-même. Car, si les soldats
adorent l’étendard de l’empereur (comme le rapporte Sozomène, livre
1, chapitre 4 de son histoire,) pourquoi n’adorerait-on pas celui du
Christ ? La croix est ensuite honorable parce qu’elle apparaitra
dans le ciel, à un endroit élevé et digne d’honneur. Troisièmement.
Parce qu’elle sera tenue par les mains des anges, comme saint Augustin
l’enseigne dans son sermon 130. Quatrièmement, parce qu’elle
brillera plus que le soleil, comme l’enseignent saint Augustin et saint
Jean Chrysostome. Car, quand le soleil, la lune et les étoiles s’obscurciront,
elle apparaitra, et sera vue par tous. (Matth chapitre 24).
On peut tirer le second argument des témoignages des saints conciles.
Car le synode V1, canon 73, le synode V11 dernier acte, et le synode V111,
dernier acte aussi, ont émis des canons sur la vénération du crucifix.
Le troisième argument est tiré de l’usage et des témoignages des anciens.
Saint Justin, dans sa deuxième apologie, écrit : « Les miracles
et les prodiges qui existent parmi nous déclarent la vertu de cette croix.
» C’est ce que répondait Tertullien (apologétique chapitre 16),
à l’objection que faisaient les païens sur l’adoration de la croix.
Minitius dans Octavius dit la même chose. Ce qui montre et prouve
que, dès le début de l’Église, même avant l’invention de la vraie
croix, les chrétiens avaient coutume de vénérer l’image de la croix.
Origène (livre 6 sur l’épitre aux Romains), dit que si on considère
attentivement la figure de la croix placée devant les yeux, cela suffit
pour repousser toutes les tentations.
Constantin le grand a réduit le labarum en la forme d’une
croix, comme le rapporte Eusèbe (livre 9 chapitre 9 de son histoire,
et livre 1 de la vie de Constantin.) Puisque le labarum était adoré,
Constantin n’aurait jamais inséré la croix dans le labarum ,
s’il avait pensé qu’adorer la croix était une idolâtrie. Bien
plus, Sozomène (livre 1, chapitre 4 de son histoire), écrit que Constantin
a converti le labarum en croix, pour que les soldats prennent l’habitude
de vénérer la croix.
Tu diras que même avant le temps de Constantin, le labarum avait la
forme d’une croix, comme l’attestent Tertullien (apologie, chapitre
16), Justin (deuxième apologie), et Minutius dans Octave.
Je réponds que, avant le temps de Constantin, le labarum avait une certaine
ressemblance avec la croix, parce qu’il était un voile suspendu sur
un bois, mais qu’il n’eut vraiment la forme d’une croix qu’au temps
de Constantin. Le même Constantin, (comme le rapporte Eusèbe dans
le livre 1 de la vie de Constantin), après avoir vaincu Maxence
à Rome, éleva une croix dans ce lieu très célèbre en disant : « Voici
le signe salutaire. » Et de nouveau, dans la main droite de sa statue,
il ordonna qu’on mette une croix avec ces mots : « C’est avec ce seul
signe de vraie force que j’ai libéré votre ville. » De même,
il interdit par un décret d imposer désormais le supplice
de la croix aux criminels, pour que la croix n’inspire plus
à tous l’horreur, mais l’amour et la vénération. C’est
ce que rapportent Sozomène (livre 1, chapitre 8), et saint Augustin (sermons
18 sur des paroles du Seigneur.) Et il ordonna, par contre, que,
sur les pièces d’argent, soit gravée la figure de la croix, comme le
rapporte le même Sozomène.
Imitant la piété de Constantin, Theodose interdit qu’on sculpte
ou qu’on peigne pat terre la croix sacrée, pour qu’elle ne soit pas
foulée aux pieds. Car c’est ainsi qu’on le lit dans le livre
1 du codex, tit 8, 1, cum sit nobis. Ce témoignage les
adversaires l’ont corrompu en prétendant que Théodose avait défendu
de sculpter ou de peindre des images de la croix du Christ.
Arcadius suivit son père Théodose en ordonnant qu’on grave le signe
de la croix sur la monnaie d’or, comme le rapporte Prospère (dans prédictions
et promesses, part 3, chapitre 34). Tibère, qui fut aussi
un excellent empereur, marcha sur les traces de Théodose.
Quand il vit, dans le palais, la croix du Christ gravée en marbre sur
le plancher, il s’écria : « Nous devons fortifier notre front
et notre poitrine par la croix du Seigneur, et nous, nous la foulons aux
pieds ! » C’est ce qu’atteste Paul diacre (livre 18 des choses romaines).
Il ajoute aussi qu’on a trouvé, sous ce marbre, un trésor fabuleux,
plus de cent mille pièces en or. Ce qui a été perçu comme une
récompense pour la piété du prince religieux.
Au temps de Constantin, Lactance a écrit un poème sur la croix, dans
lequel on lit, entre autres : « Fléchis le genou, adore le bois
vénérable de la croix. » Pas tellement longtemps après,
saint Athanase (dans question 16 à Antioche), explique pourquoi
les chrétiens font et vénèrent des images de la croix plutôt que de
la lance ou de l’éponge. Parce que, si les païens disaient que
nous adorons le bois, nous détruirions la figure de la croix
en séparant les deux morceaux de bois, et nous cesserions de la vénérer.
Saint Jean Chrysostome avait ordonné que, dans les processions,
ouvrent la marche des croix argentées avec des cierges allumés, comme
l’attestent Socrate (livre 6, chapitre 8) et Sozomène (livre 8, chapitre
8). Saint Jean Chrysostome raconte la même chose (dans son livre
que le Christ est Dieu). Il dit que, en son temps, la figure de la
croix avait coutume d’être peinte dans tous les endroits : dans les
villes, dans les maisons, dans les chambres, sur les vases, dans le désert,
sur les montagnes etc. Saint Augustin (au traité 36 sur saint
Jean et dans le psaume 36, écrit : « Qui a jamais tant rendu d’honneur
à son supplice, au point de le conserver pour ses fidèles? »
Saint Cyrille d’Alexandrie (livre 6 contre Julien) répond à Julien
qui lui reprochait que les chrétiens adorent le bois d’une croix, et
vont même jusqu’à peindre son image devant leurs maisons. Ruffin
(livre 2, chapitre 29 de son histoire) atteste que, en Égypte, quand les
Égyptiens furent convertis à la foi, partout furent peintes des croix
à la place de la cuirasse de Sérapis que les païens vénéraient.
Bède (dans le livre 1 de l’histoire des Anglais, chapitre 25), raconte
que quand saint Augustin a été envoyé par saint Grégoire pour convertir
les Anglais, il s’est fait précéder d’une croix d’argent
et d’une image du Christ peinte à la façon d’un étendard.
Le même Grégoire (livre 7, chapitre 5,) parle de la vénération de la
croix. Saint Léon le grand (sermon 8 sur la passion du Seigneur)
écrit : « Le trophée de son triomphe est d’une grande dignité,
et apportait à tous les peuples le signe salutaire d’une patience invaincue.
» Sedulius la chante dans ses poèmes.
Le cinquième argument vient de l’apparition et des miracles de la
croix. D’abord, est apparue à Constantin dans les airs une croie
lumineuse avec ces mots : en toutô vika, c’est-à-dire, en cela tu vaincras.
C’est ce que rapporte Eusèbe dans le livre 1 de la vie de Constantin.
Il ajoute, au même endroit, qu’il le tient de la bouche même de Constantin,
qui a juré que la chose s’était vraiment passée ainsi. Cette
croix ne lui est pas apparue non plus en songe, comme Sozomène (livre
1, chapitre 3) et Paul diacre (livre 11 des choses romaines) le disent.
Mais quant il était pleinement éveillé, et avançait avec son armée,
comme Eusèbe le rapporte.
De plus, ce n’est pas en vain qu’il avait été dit à Constantin
: en cela tu vaincras, car, les victoires de Constantin le montrent.
Eusèbe rapporte, en effet, (livre 11 d la vie de Constantin) que
Constantin avait donné l’ordre, dans les combats, de toujours
placer le labarum, où la croix avait été gravée, sur l’aile
qui avait le plus besoin de renfort. Et Eusèbe ajoute qu’à chaque fois
que le labarum parvenait à un endroit, la victoire avait coutume de suivre.
Il continue en disant, au même endroit, que si celui qui portait
le labarum, pris de peur et de panique à la vue des ennemis, l’abandonnait
et prenait la poudre d’escampette, il était tué sur le champ.
Que celui qui le recueillait de ces mains défaillantes ne pouvait
jamais être blessé, même si les flèches lancées sur lui étaient innombrables.
Car toutes ces choses frappaient l’épée de la croix.
Deuxièmement. Est souvent apparue une croix très lumineuse
au-dessus du mont des Oliviers, au temps de Constantin, laquelle est racontée
par saint Cyrille de Jérusalem dans une épitre à Constance. Troisièmement.
Au temps de Julien l’Apostat, qui persécutait déjà, comme le
rapporte saint Grégoire de Naziance (dans son premier sermon au Julien).
Car, quand Julien inspectait le foie des animaux pour connaitre l’avenir,
il trouva une croix couronnée. Des aruspices chevronnés lui en donnèrent
l’explication suivante. La religion chrétienne qui vénère
la croix sera perpétuelle, et ne peut pas être vaincue par Julien.
Ses adulateurs lui disaient que cela signifiait les angoisses et comme
les prisons de la croix. Mais, l’évènement a prouvé que la première
interprétation était la vraie. À la même époque, quand les Juifs,
sur l’ordre de Julien, voulurent édifier un temple à Jérusalem à
la honte du crucifié, apparut dans le ciel un immense cercle lumineux
entourant une croix d’une grande splendeur. Et, en plus, sur les
vêtements de presque tous les hommes de cet endroit, apparurent
des croix dessinées avec un grand art, comme le rapporte saint Grégoire
de Naziance (sermon 2 sur Julien).
Quatrièmement, une croix est apparue dans les airs au temps de l’empereur
Arcade, quand il entreprit la guerre pour la foi contre les Perses,
les persécuteurs des chrétiens. Et c’est dans cette guerre qu’il
reçut l’aide divine, comme l’atteste Prospère (dans son livre sur
les promesses divines, part 3, chapitre 34). Cinquièmement.
Des croix sont apparues sur les vêtements des hommes au temps de Léon
l’iconoclaste, quand les hérétiques délirèrent contre les images,
comme l’atteste Paul le diacre, (dans la vie de Léon l’iconoclaste).
On peut référer à ce genre de prodiges, l’apparition en Angleterre
d’une croix sur un arbre, en l’an 1559, selon Alanum Copum.
En plus de ces apparitions, on peut rapporter des miracles innombrables
effectués par la vertu de la croix du Christ. Insigne est celui
d’Hilarion qui, selon saint Jérôme, s’est produit à Épidaure. Car,
quand la mer transgressa ses limites, et qu’il y avait danger qu’elle
inonde la ville. Hilarion peignit trois croix sur le rivage.
Quand elle y parvint, elle commença à écumer. Puis, comme si elle venait
buter sur un mur, elle s’éleva à une très grande hauteur. Elle
semblait frémir et s’indigner d’être empêchée d’aller plus loin.
En fin, cédant à la vertu de la croix, elle ramena à elle ses flots.
Bède le vénérable raconte beaucoup de miracles (au livre 3, chapitre
2 de son histoire des Anglais) opérés par la sainte croix qui avait été
érigée par le saint roi Oswald, et le premier de tous, la victoire miraculeuse
qu’il remporta avec une poignée de soldats contre des milliers d’ennemis.
Le dernier argument vient de la raison. Car, les
signes des saintes choses sont saints et vénérables, comme nous l’avons
montré plus haut. Il est certain que n’importe laquelle croix
est sainte et vénérable parce qu’elle présente l’image du Christ
crucifié, c’est-à-dire du Christ occupé dans l’œuvre même de la
rédemption. On ne peut penser à rien de plus saint.
CHAPITRE 29
Reste le signe de croix que l’on forme dans l’air ou sur
le front, ou que l’on marque avec le doigt sur quelque chose. Que ce
signe est sacré et vénérable, on peut le démontrer avec des figures
de l’ancien testament. Car, le sang de l’agneau sur le
linteau des maisons (Exode X11) ne signifiait rien d’autre que
le signe de la croix sur le front des chrétiens, selon saint Augustin
(au chapitre 20 du livre sur l’enseignement du catéchisme aux illettrés).
De même, le Tau qui (Ezéchiel, chapitre 9), qui doit être inscrit sur
les fronts de ceux qui gémissent, indiquait clairement le signe de la
croix que nous faisons de préférence sur le front, comme l’enseignent
saint Cyprien (dans son livre contre Demetrianus) et saint Jérôme
(dans son commentaire d’Ézéchiel). Ajoutez à ces textes celui
de l’Apocalypse X!V : « Ne nuisez pas à la terre, à la mer, ni aux
arbres jusqu’à ce que nous ayons signé sur leurs fronts les serviteurs
de notre Dieu. » Que ce signe soit le signe de croix, l’enseignent
Bède, Anselme, Rupert, dans leurs commentaires de ce passage. Jacob
bénit les fils de Joseph en croisant les mains (Genèse 48). Il
indiquait, par là, qu’un temps viendrait où les bénédictions se feraient
par un signe de croix.
On le prouve ensuite par les témoignages d’anciens qui ont
vécu dans les cinq premiers siècles. Denys l’aréopagite (hiérarchie
ecclésiastique, chapitres 4, 5, 6) dit que dans tous les sacrements, on
se servait du signe de croix. Saint Justin (question 118), répond
aux Gentils qui se demandaient pourquoi les chrétiens se tournaient vers
l’orient pour prier. Il dit qu’il faut donner à Dieu ce qu’il
y a de meilleur : « Comme c’est avec la main droite, et non avec la
gauche, que nous exprimons le signe de la croix quand nous bénissons
quelque chose. » Hyppolite, écrivain très ancien, et un compagnon
des apôtres, dont Palladius le livre cite le livre dans l’histoire
lausiaque à la page 148, écrit qu’une vierge munie du signe de la croix,
est sortie indemne d’un lupanar. Tertullien parle ainsi dans
le livre de la couronne du soldat : « Pour tout progrès, toute
promotion, toute entrée et toute sortie, quand on se chausse, quand on
se lave, quand on mange, quand on allume, quand on se couche, quand
on s’assoit, en quelque circonstance que ce soit, nous marquons notre
front du signe de la croix. »
Saint Cyprien (livre 4, épitre 6) : « Le font est muni comme
un signe efficace des serviteurs de Dieu. » Et dans le livre
sur l’unité de l’Église, il dit, passé le milieu, qu’Ozias, après
avoir offensé Dieu, a été frappé sur le front par la lèpre,
là où se signent ceux qui honorent Dieu. Et dans le livre sur ceux
qui ont tombé durant la persécution, il dit, au début : « Avec le signe
de Dieu, le front pur n’a pas pu porter la couronne du diable.
Il s’est réservé la couronne du Seigneur. »
Le pape Corneille (dans l’épitre à Fabien que l’on trouve
dans l’histoire d’Eusèbe, livre 6, chapitre 33), déclare que
Novatien a été saisi par le démon parce qu’il ne recevait pas
le signe du Christ sur le front. Origène (Exode, chapitre 15, homélie
6) dit : « La peur et l’effroi s’emparent des démons quand ils voient
sur vous le signe de la croix solidement posé. » Grégoire le thaumaturge
s’est servi souvent du signe de la croix contre les démons, atteste
saint Grégoire de Nysse dans sa vie. Lactance (livre 4, chapitre
26) dit que le Christ a été d’une grande aide à tous ceux qui inscrivaient
le signe de la croix sur leurs fronts. Saint Cyrille de Jérusalem
(dans la catéchèse 4) : « Nous n’avons pas honte, nous, de la croix
du Christ. Si quelqu’un se signe en cachette, toi, signe-toi
publiquement sur le front ! » Et plus bas : « Fais ce signe en
mangeant, en buvant, en t’assoyant, en te levant, en parlant, en marchant,
en somme, dans toutes tes actions. » Saint Athanase (dans
le livre de l’incarnation du Verbe : « Par le signe de la croix, toutes
les incantations et les sortilèges se dissipent. » Saint Basile
(livre sur le Saint Esprit, chapitre 37) place, parmi les premières
traditions apostoliques la coutume de se signer du signe de la croix.
Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon 1 contre Julien) dit que même
les soldats avaient coutume d’utiliser, à table, le signe de croix.
Saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur le chapitre 12 de saint Matthieu)
enseigne que tous les sacrements obtiennent leur dernière touche du signe
de la croix. Et dans son homélie que le Christ est Dieu, il raconte
éloquemment plusieurs choses à la gloire de ce signe.
Éphrem (dans le livre de la pénitence, chapitre 3) : « Peignons
donc ce signe vivifiant sur nos portes, sur nos fronts, sur nos lèvres,
sur notre poitrine, et sur tous nos membres. Armons-nous de l’armature
invincible des chrétiens ! » De même, dans le livre de l’armature
spirituelle, chapitre 2, il dit : « Munis-toi comme d’un bouclier, du
signe de la croix, car c’est une arme très efficace ! » Saint
Antoine, comme le rapporte saint Alexandre dans la vie de saint Antoine,
ordonnait à ses moines de trouver, dans le signe de la croix, la sécurité
contre toutes les terreurs. Palladius, (dans l’histoire lausiaque,
chapitre 2) raconte que quand un saint moine vit, dans un puits, un aspic,
il munit le puits du signe de la croix, et sans aucune crainte, puisa de
l’eau et but.
Saint Ambroise (dans le sermon 43) nous exhorte à commencer
toutes nos actions par le signe de la croix. Et, dans le sermon 90,
il rapporte les paroles de sainte Agnès qui disait : « Il a posé un
signe sur ma face, et, à cause de lui, je n’admets aucun amant. »
Car, c’est le signe du Christ par lequel nous nous dédions à Dieu.
Saint Jérôme (dans l’épitre à Démétriade), écrit : « Ferme la
cellule de ta poitrine, et munis ton front du signe de la croix.
» Il dit de même à Eustochius : « À chaque entrée, que la main
peigne la croix du Seigneur. » Saint Augustin (traité 118
sur saint Jean, vers la fin) : « Qu’est donc le signe du Christ sinon
la croix du Christ, comme tous le savent. Si ce signe n’est pas
employé sur le front des croyants, sur l’eau de la régénération,
sur l’huile de l’onction des fidèles, sur le sacrifice qui nous nourrit,
aucune de ces choses n’est accomplie selon le rite. » De même,
dans le livre sur les confessions, chapitre 2, il écrit : « Je me signais
déjà du signe de la croix, et m’assaisonnais avec le sel du Christ.
»
Saint Martin dit à saint Sulpice : « C’est protégé par
le signe de la croix, et non par un bouclier ou par un casque, que
je pénétrerai, en toute sécurité, dans les formations de bataille en
forme de coin. » Prudence, dans son hymne avant le sommeil
: « Que celui qui, appelant le sommeil, demande un chaste repos, signe
son front et son cœur de la figure de la croix. Que la croix repousse
tous les crimes. Que les ténèbres s’enfuient à la vue de la
croix. Un esprit qui est dédié à ce signe ne peut pas fluctuer. »
Et saint Paulin de Noles, au huitième anniversaire de la naissance au
ciel de saint Félix : « Nous nous sommes munis de la confession
et du signe invincible de la croix. Ayant armé notre esprit avec
Dieu, nous ne regrettons pas les armes du corps, même si nos membres semblent
désarmés. »
Troisièmement, on le prouve par les miracles qui ont été faits
par la croix. Tertullien, au début du Scorpiace, dit que le signe
de la croix a été profitable non seulement pour les chrétiens mais aussi
pour les païens. Lactance (livre 4, chapitre 27) rapporte que, en
présence d’un chrétien qui avait fait le signe de croix, le diable
n’osait pas répondre aux questions de l’empereur. Épiphane
(dans l’hérésie 30) écrit qu’un certain Joseph qui n’était pas
encore chrétien avait chassé des démons par le signe de la croix,
et que, après être devenu chrétien, il détruisait, par ce même signe,
les incantations des Juifs.
Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon 1contre Julien), écrit
que quand un certain Julien, encore païen, vit des spectres, pendant
que des nécromanciens faisaient leurs incantations, il s’est muni du
signe de la croix, est sorti de nuit sain et sauf, au milieu de spectres
innombrables, des bains dont personne n’était jamais sorti
vivant parmi ceux qui y étaient entrés de nuit. Athanase, dans
la vie d’Antoine, saint Jérôme (dans la vie de Paul, premier ermite),
Theodoret (dans le livre 5, chapitre 21 de son histoire), saint Grégoire
(livre 3, chapitre 7 de ses dialogues), racontent beaucoup de miracles
qui ont été opérés par le seul signe de la croix, et surtout des expulsions
de démons. Palladius (dans l’histoire lausisaque, chapitre 54)
raconte qu’après s’être muni du signe de la croix, quelqu’un est
resté longtemps indemne au milieu des flammes. Theodoret, dans la
vie de saint Julien, et dans la vie de saint Marcien, écrit que, en son
temps, des dragons énormes ont été tués par l’un et l’autre,
avec le seul signe de croix.
De même, dans la vie de saint Aphratus et de saint Macédonius,
de saint Pierre et d’autres, il rapporte qu’ils ont guéri différentes
sortes de maladies avec le seul signe de la croix. Sulpitius rapporte
des choses semblables dans la vie de saint Martin; saint Jérôme dans
la vie d’Hilarion, ainsi que saint Augustin (livre 22, chapitre
8 de la cité de Dieu). Victor Uticensis (dans le livre 2 de la persécution
des Vandales), écrit que l’évêque catholique Eugène a rendu
la vue à un aveugle par le seul signe de la croix. Si nous voulions
ajouter les miracles opérés après les cinq premiers siècles, qui sont
rapportés par des auteurs crédibles, ceux de saint Benoit, de saint Bernard,
de saint François, et de tant d’autres, nous n’en finirions jamais.
CHAPITRE 30
On répond aux objections des hérétiques
Après tout ce qui a été dit, il sera facile de réfuter les
objections des hérétiques. La première. La croix a apporté
à Jésus de la douleur et de l’ignominie. Nous répondons
que si la croix n’avait apporté à Jésus que de la douleur et de l’ignominie,
c’est à bon droit qu’elle serait exécrée. Mais, elle a apporté
aussi de la joie et de la gloire, à cause de la défaite du diable et
de la rédemption du genre humain. Cette joie et cette gloire sont
telles qu’elles ont comme absorbé la douleur et l’ignominie.
La deuxième. Ils seraient des impies les enfants qui honoreraient
les potences sur lesquels leurs parents ont été suspendus. Je réponds
que ce sont deux situations dissemblables. Car, ceux qui sont
suspendus sur les potences le sont par la sentence d’un juge, pour une
faute véritable, ou déclarée telle au cours d’un procès légitime.
De plus, ils le sont malgré eux. Voilà pourquoi le seul profit
qu’ils retirent de leur mort est une peine et une infamie.
Mais le Christ n’a pas été crucifié à cause d’une faute
véritable ou prouvée telle dans un procès légitime. Car, tous
savent que son juge lui-même a témoigné n’avoir trouvé aucune faute
en lui. De plus, le Christ s’est livré lui-même spontanément
pour être crucifié par ses ennemis. Il aurait pu s’évader, s’il
l’avait voulu, mais il préféra l’obéissance à son Père.
En effet, quand il s’est rendu témoignage à lui-même en disant : C’est
moi, tous ses ennemis tombèrent par terre. Enfin, le Christ
retira beaucoup de biens de sa mort, comme nous l’avons déjà dit, et
pour lui et pour nous. Ce n’est pas seulement dans la mort du Christ
que nous voyons cela, mais dans celles des autres qui ont été tués pour
Dieu ou la patrie. Car les amis conservent volontiers les instruments
de leurs supplices, comme des monuments de leurs vertus.
Le troisième argument. Honorer la croix c’est comme
se réjouir de la mort du Christ à la manière des ennemis. Je dis d’abord
que nous n’avons rien en commun avec les ennemis du Christ.
Car, quand nous nous réjouissons de la passion du Sauveur, nous
ne nous réjouissons pas de ce dont se réjouissaient les ennemis du Christ,
mais de ce dont lui-même se réjouissait, c’est-à-dire de son triomphe,
non de son ignominie. Nous savons aussi qu’il faut compatir aux
souffrances du Christ, et les honorer avec de pieuses larmes.
Le quatrième argument. Si nous honorons toutes les croix,
il ne s’ensuit pas que nous devions honorer toutes les crèches, toutes
les épines, toutes les lances, tous les fouets. La raison
pour laquelle nous adorons toutes les croix c’est qu’elles sont des
images de la vraie croix, sur laquelle le Sauveur a été suspendu, et
du Christ crucifié. Or, une crèche, une épine ou une lance ne
sont pas des images du Christ, ni même le berceau, les épines et
la lance qui ont touché le Christ. Car, à une image, ne suffit
pas la ressemblance, il est aussi requis que l’une soit exprimée
par l’autre. Voilà pourquoi on ne dit pas qu’un frère est l’image
de son frère, même s’ils sont semblables, parce que l’un ne vient
pas de l’autre. C’est le fils qui est dit et est vraiment l’image
du père, non seulement parce qu’il est semblable au père, mais parce
qu’il en provient. Or, les croix sont toutes faites pour représenter
la première, et elles en sont toutes des images. Mais quand
on peint ou on sculpte une crèche pour représenter la nativité de notre
Seigneur Jésus-Christ, ou une colonne pour représenter la flagellation,
ces images ou ces sculptures ne sont pas privées de vénération.
Si tu demandes pourquoi nous peignons et adorons une croix sans
le Christ crucifié, et que nous ne peignons pas et n’adorons pas
une crèche ou ne colonne sans le Christ, je réponds que c’est pour
trois raisons. La première. Parce que la croix, à elle seule,
renvoie au Christ crucifié. Les autres, non. La deuxième.
La croix n’a pas d’autre usage, surtout depuis l’édit de Constantin,
que de nous faire entendre qu’il ne faut pas crucifier les êtres humains.
Mais les autres choses ont d’autres emplois. Car, quelqu’un qui
verrait une colonne peinte ne pourrait pas facilement savoir ce qu’elle
signifie. Est-ce une colonne du Christ ? Une colonne de Trajan ?
D’Adrien, d’Hercule, ou d’autres ? La troisième.
Quand nous sommes accusés d’adorer le bois, nous pouvons toute de suite
montrer (comme l’explique Athanase, dans un texte cité) que c’est
la figure et non la matière que nous vénérons, en séparant les
deux bois l’un de l’autre. Chose qu’on ne peut pas facilement
faire avec une colonne, une lance, ou une éponge.
La cinquième objection. Il faut honorer les lèvres de
Judas, et les mains de ceux qui ont tué le Christ, en raison
du contact qu’elles ont eu avec son corps, et parce qu’elles ont été
des instruments de sa passion. Je réponds qu’entre la croix et
les lèvres de Judas ou les mains des meurtriers, il y a une grande différence,
comme l’enseigne Thomas Waldensis (tome 8, tit 13, chapitre 120).
Car le Seigneur a choisi la croix, l’a embrassé avec amour, comme une
chose innocente qui servait à la rédemption. Mais, les lèvres
de Judas et les mains des impies le Christ ne les a ni choisies ni aimées,
mais les a exécrées comme des choses impies et scélérates. Or,
nous, nous ne devons aimer et honorer que ce que le Christ a aimé et honoré.
Mais les Wicléfistes peuvent répondre que la croix et les lèvres
de Judas son semblables. Car, comme les lèvres de Judas furent l’instrument
de son crime, car en elles-mêmes elles étaient incapables de commettre
une faute, la croix fut, elle aussi, un instrument du crime des Juifs.
Et comme le Seigneur a choisi la croix, non comme instrument de crime,
mais de passion, il a de même choisi les lèvres de Judas et la main des
meurtriers non comme instruments de crime, mais de passion. Et c’est
pour cette raison que saint Augustin a écrit que Judas a été choisi
par le Christ pour accomplir, par lui, notre rédemption.
Je réponds que la différence consiste en deux choses.
La première. Parce que les lèvres de Judas et les mains des meurtriers
du Christ n’étaient pas seulement des instruments de la passion, mais
qu’ils faisaient partie des hommes impies. Et c’est pour cela
qu’on ne peut pas les honorer comme des instruments de la passion,
car cela semblerait honorer en même temps des hommes impies. Mais
la croix, les épines et la colonne ne font pas partie du groupe d’hommes
impies, car, de par leur nature, elles sont innocentes. La seconde.
Parce que, dans la passion du Seigneur, nous pouvons considérer l’action
et la passion, dont la première fut scélérate, et l’autre très sainte.
Or, les lèvres de Judas et les mains des impies furent des instruments
prochains et immédiats de cette action scélérate, et lointains
et médiats de la passion salutaire. La croix et les clous,
au contraire, furent des instruments prochains et immédiats de la passion
sainte, et lointains et médiats de l’action scélérate, comme il
va de soi. Et voilà pourquoi les lèvres de Judas ont participé
plus à l’action qu’à la passion, et la croix plus à la passion qu’à
l’action. En somme, la croix est vénérable absolument parlant,
et les lèvres de Judas sont détestables absolument parlant.
Enfin, au sujet de la magie et de la superstition, je dis que
le signe de croix en est tellement éloigné qu’il est leur pire
ennemi, comme le souligne avec raison saint Athanase (dans son livre sur
l’incarnation du Seigneur et de son avènement salutaire) : « Par la
vertu du signe de la croix toutes les influences magiques disparaissent,
les sorts et les maléfices deviennent inefficaces. » Et plus bas
: « Qu’il vienne celui qui veut faire l’expérience de ce que l’on
dit. Que dans les prodiges démoniaques, dans les impostures des augures,
et dans les miracles de la magie il se serve du signe de la croix dont
on se moque, et qu’il invoque le nom du Christ. Et il verra
comment, par la crainte de ce nom, les démons fuient, les prophéties
cessent, toute la magie et la sorcellerie s’effondrent. » Jacques Sprenger
(maléfices, part 2, question 1, chapitre 2) raconte que, quand ils sont
initiés aux choses sacrées démoniaques, les magiciens et les sorciers
promettent publiquement devant le diable assis sur une tribune, et en présence
de témoins, qu’ils fouleront aux pieds la croix du Seigneur. Car,
la où la croix est honorée aucun art magique n’est efficace.
Il faut donc savoir qua la raison pour laquelle il est
interdit, comme de la superstition, d’user de caractères et de figures
pour produire certains effets, comme le font les sorciers, c’est
parce que ces effets ne peuvent pas être naturels, car ces caractères
et ces figures n’opèrent pas naturellement. Ces effets ne
proviennent pas, non plus, de Dieu, car Dieu n’a fait aucune promesse
de ce genre, et n’est pas invoqué par eux. Ces choses sont donc
faites par les démons, et les caractères ne servent que comme signes
d’alliance entre les démons et les sorciers. Or, le signe de la
croix opère des merveilles, non en vertu de la force naturelle qu’il
possède en tant que figure quelconque ou en tant que signe d’un pacte
avec le démon, mais en tant que signe divinement institué.
Et pour que cela devienne encore plus clair, notons trois effets
admirables de la croix. Le premier. Elle terrifie et
met en fuite les démons. Le second. Elle repousse les
maladies et tous les maux. Le troisième. Elle
sanctifie les choses sur lesquelles elle est imprimée. Et le premier
effet est causé par trois choses : l’appréhension du démon, la dévotion
de l’homme et l’institution de Dieu. Car, quand il voit la croix,
le démon se souvient que, par la croix, il a été vaincu, spolié, lié
et privé de sa force. Voilà pourquoi il la craint et la fuit,
comme un chien fuit une pierre ou un bâton dont s’est servi son maitre
pour le battre.
Donc, la croix a la même force que la prière, et opère comme
elle. Car, le signe de la croix est une invocation des mérites du
Christ crucifié, qui est exprimée par le signe. Voilà pourquoi
opposer au diable le signe de la croix c’est lui opposer le mérite
de la passion du Christ, c’est-à-dire, invoquer Dieu contre le diable,
par les mérites du Christ. Et voilà aussi pourquoi l’effet procède
surtout de la foi, de la confiance, de la dévotion intérieure, que du
caractère lui-même de la croix. Comme quand nous prions oralement,
l’effet est attribué plutôt à la foi, à la confiance et à la dévotion
interne qu’au son de la voix. De ceux deux façons-à, il n’y
a aucun doute à avoir.
J’estime, cependant, que d’une troisième façon, par l’institution
de Dieu, vaut le signe de croix contre le démon. Car nous voyons
que des Juifs et des païens qui ne croient nullement dans le Christ, mettent
en fuite le démon par le signe de la croix, en ayant simplement l’intention
de faire ce que font les chrétiens, comme le rapportent saint Grégoire
de Naziance (sermon 1 contre Julien), saint Épiphane (hérésie 30), et
saint Grégoire (livre 3, chapitre 7 de ses dialogues). Il apparait
là que ce n’est pas la foi du chrétien ni la dévotion du croyant qui
met en fuite le démon, mais le signe de la croix lui-même. Voilà
pourquoi saint Augustin (livre 83 des questions, question 79), dit qu’il
a été commandé aux démons par Dieu de céder à la croix, comme devant
le sceptre du roi suprême, comme les peuples le cèdent aux soldats
quand ils montrent le signe de l’empereur : « Il n’est pas étonnant
que ces signes valent quand ils sont utilisés par de bons chrétiens,
puisque même quand ils sont usurpés par des étrangers à la foi ils
conservent leur valeur à cause de l’honneur du à un si excellent empereur.
Quand ces puissances ne cèdent pas à ce signe, c’est Dieu qui les en
empêche pas des moyens occultes, quand il juge que cela est juste et utile.
Car ces esprits n’osent, en aucune façon, mépriser le signe de la croix.
Ils gémissent partout où ils le voient. »
Quant aux maladies et aux maux qui ne peuvent pas percevoir
la forces des signes, nous disons qu’ils fuient par la croix, comme par
un signe de foi et de confiance, ou plutôt comme par une invocation exprimée
par un signe. Car, le Christ a promis à ses fidèles qu’il donnerait
tout ce qu’ils demandent avec foi, et au sujet des maladies il a dit
en Marc (dernier chapitre) : « Ils prendront des serpents, ils imposeront
les mains sur les malades, et ils se sentiront bien. Et s’ils boivent
quelque chose de mortel, cela ne leur nuira pas. » Contre les maladies
et les autres maux, les fidèles implorent donc le secours de Dieu par
les mérites du Christ. Ils le font cela avec leurs cœurs, leurs
bouches ou avec un signe de tête. Mais comme l’effet n’est pas
produit par l’opération de la prière elle-même, à la manière des
sacrements, mais par l’opération de l’opérant, il ne se produit pas
infailliblement.
Quant aux bénédictions, on doit dire à peu près la même
chose. Car, quand nous bénissons des hommes, des maisons,
des champs, et des choses semblables, avec ce signe, nous recommandons
à Dieu par les mérites du Christ, ces choses que nous bénissons.
Et, nous faisons la même chose, quand nous bénissons de l’eau, de l’huile,
des rameaux, des chandelles : nous recommandons ces choses à Dieu, et
nous lui demandons de vouloir qu’elles soient salutaires pour nous, et
qu’il nous aide par elles comme par des instruments. Enfin, ce
que nous demandons explicitement par les prières, nous le demandons implicitement
par le signe de la croix.
Bien qu’on ne puisse ni ne doive nier qu’une certaine sainteté
est communiquée aux choses quand on les bénit par le signe de la croix,
non pas une sainteté qui possède une qualité physique, mais une sainteté
semblable à celle que possèdent la croix, les clous, les vêtements et
les autres choses qui ont touché le Christ ou les saints.
Car, que soient sanctifiés d’une certaine façon ceux qui touchent les
reliques les pères l’enseignent constamment. Comme saint Basile
(dans le psaume 115), saint Grégoire de Nysse (dans la vie de saint Thédore),
saint Jean Chrysostome (dans son sermon sur les saints Juventius et Maximus)
et d’autres. Si le contact des reliques sanctifie, pourquoi pas
aussi le contact de l’étendard salutaire ?
Il est certain que saint Augustin (dans son livre sur les péchés,
les mérites et la rémission des péchés, chapitre 26), déclare : «
Je pense que les catéchumènes sont, d’une certaine façon, sanctifiés
par le signe de la croix et par la prière de l’imposition des mains;
et que ce qu’ils reçoivent est saint, même si ce n’est pas le corps
du Christ. »
Et cela devrait suffire pour les reliques et les images, compte
tenu de la brièveté de notre travail.
2018 09 08 fin
Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.