JesusMarie.comSaint Robert Bellarmin
Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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LIVRE SECOND : LES RELIQUES ET LES IMAGES DES SAINTS

CHAPITRE 01 : On propose les arguments contre le culte des reliques

CHAPITRE 30 : On répond aux objections des hérétiques

2018 08 20 début
                                          LIVRE SECOND
                   LES RELIQUES ET LES IMAGES DES SAINTS

                                       CHAPITRE PREMIER
           On propose les arguments contre le culte des reliques
Le premier à avoir critiqué le culte des reliques est Eunomius, et, après lui, Vigilance, s’il faut en croire saint Jérôme dans son contre Vigilance.  Il ne faut pas voir de contradiction dans ce que, au même endroit, le même Jérôme raconte que cette hérésie est apparue autrefois dans l’Église, et que c’est contre elle que Tertullien a écrit  son livre intitulé Scorpiacus. Ni  non plus  dans ce qu’il écrit dans son épitre à Riparius au sujet de cette hérésie, qu’il fait remonter aux Juifs et aux Samaritains.  Car le premier qui l’a expressément professée est Eunomius.  Et les gnostiques contre lesquels écrivait Tertullien dans son Scorpiacus, niaient seulement l’invocation des martyrs. De quoi on pouvait déduire qu’il ne fallait pas honorer leurs corps, même s’ils ne le disaient pas explicitement. Les  Juifs et les Samaritains, eux,  pensent que tous les corps sont impurs, mais ils n’ont pas fait de dispute qui portait en particulier sur les corps des saints.
 Après Vigilance, l’empereur Constantin Copronyme, comme Suidas l’écrit dans sa vie, a ordonné de détruire toutes les reliques.  Claude de Tours a enseigné la même hérésie, comme l’écrit Jonas dans le livre 1 du culte des images.  Elle plut aussi à Wiclef, d’après Thomas Waldensis (tome 3, tit 14).  Et puis, à notre époque, Luther et Calvin la ranimèrent.  Car, Luther, dans son sermon sur la croix, juge qu’il faut enfouir profondément sous terre les reliques, parce qu’elles sont des séductions pour les fidèles. Les magdebourgeois réprouvèrent, eux aussi, le culte des reliques, principalement dans la centurie 4, chapitre 6, colonne 456.  Calvin enseigna la même chose (dans son livre sur la nécessité de réformer l’église, et dans son avertissement sur les reliques.)
 Les Wiclefistes ont deux arguments.  Le premier. En Matthieu 23, Jésus reproche aux pharisiens d’orner les sépulcres des prophètes.  Le second.   Dans les tombes de ceux qu’on appelle saints, ni les âmes ni les corps des saints ne s’y trouvent, seulement de la cendre. Dans son admonition sur les reliques, Calvin en ajoute cinq autres.  Le premier. Dieu a caché le corps de Moïse, (Deutéronome, dernier chapitre). Pour que les Juifs ne l’adorent pas, comme tous le pensent.   C’est pourquoi, dans l’épitre de Jude, nous lisons que saint Michel archange et le diable ont combattu au sujet du corps de Moïse. Car, manifestement le diable voulait donner aux Juifs la possibilité d’adorer Moïse. Le deuxième.  Paul dit (2 Cor 5) que, après la résurrection du Christ, il ne le connait pas selon la chair.  Par ces paroles, il nous incite à laisser tomber dans l’oubli tout ce qu’il y avait de charnel dans le Christ, pour que nous mettions tout notre effort à la rechercher et  à le posséder spirituellement.
 Le troisième.   Le même saint Paul, aux Colossiens 2, blâme tout culte arbitraire, c’est-à-dire non institué par Dieu, que les grecs appellent une sottise (ethelothrèskeian) qui a une apparence de sagesse.  Et il est certain que le culte des reliques n’a pas été institué par Dieu,  mais a été conçu délibérément  par les hommes.  Le quatrième.  Un désir de reliques ne manque jamais de superstition.  Bien plus, il est la mère de l’idolâtrie.  Car, on ne peut pas conserver les reliques  sans les vénérer. Et à la vénération, aucune limite n’est assignée;  et on ne peut s’empêcher de leur rendre le culte qui n’est du qu’au Christ.  C’est ce que l’expérience enseigne.  Car, en signe d’adoration solennelle, on allume souvent des cierges devant les sépultures des martyrs.
 Il le confirme ainsi.  Car, quand Vigilance lui  objecta qu’allumer des cierges devant les sépulcres des martyrs était de l’idolâtrie, la seule chose que put répondre saint Jérôme c’est que c’était le fait de femmes qui avaient plus de zèle que de science.  On peut ajouter le concile élibertin (canon 34) où il est dit que, par ces cierges, les esprits des saints sont troublés.  Et saint Augustin (qui dans son livre sur les moeurs de l’église, chapitre 34) réprouvent les adorateurs de sépulcres.  Le cinquième.  La plus grande partie des reliques est d’origine incertaine.  Et il nous arrive souvent, en pensant vénérer les reliques de martyrs,  de vénérer les ossements de bandits, ou de chiens ou d’ânes.  Ce qu’il prouve en citant saint Augustin qui (dans son livre sur le travail des moines, chapitre 28).  Quand on lui avait dit que certains moines colportaient et vendaient des membres de martyrs, il ajoute : « Si ce sont vraiment des martyrs. »  Si les impostures étaient déjà commencées à cette époque éloignée, que penser de ce qui se fait maintenant ? En effet, on trouve tellement de reliques qu’il faudrait que le même saint ait eu plusieurs corps, ou plusieurs fausses reliques.  Tous ces arguments seront réfutés au chapitre 4.
 Les calvinistes, partout où ils le peuvent, brulent les reliques des saints,  et jettent les cendres dans les rivières. Il est à noter que, en l’année 1562, les corps de saint Irénée, de saint Hilaire, de saint Martin ont été exhumés, brulés et jetés dans des cours d’eau, comme le rapport Sirius.  C’est ce qu’avaient fait des païens aux corps des saints, il y a douze cents ans, comme l’écrit Eusèbe (livre 5, chapitre 3 de son histoire ecclésiastique.)  Les païens jetèrent dans le Rhône les reliques des saints martyrs, après les avoir brulées. Ce qui nous fait comprendre la parenté qu’il y a entre les païens et les calvinistes dans les sacrilèges et la perfidie.  Ce que les calvinistes font par le fer et les flammes, les magdebourgeois le font par les impostures, les mensonges et les fraudes, dont nous allons présenter quelques-unes.
                                               CHAPITRE 2
           On dévoile les mensonges des centuriates
 Les magdebourgeois discutent à tâtons  sur l’origine de la vénération et du culte des reliques.  Car, dans la  préface de la centurie 6, ils disent que c’est après l’an du Seigneur 500 qu’a commencé le culte des reliques, à l’occasion de la construction de somptueuses basiliques.   Mais cependant, dans la centurie 5 (chapitre 7, colonne 744),  ils disent que le culte des reliques a commencé au  cinquième siècle, avant donc 500.  Ce qu’ils enseignent dans la préface de la centurie 6 n’est donc pas vrai.  De plus, les mêmes auteurs dans la centurie 4 (chapitre 6, colonne 456,  et chapitre 13, colonne 1546),  disent que jusqu’à l’année 300, on ne trouve  rien dans les auteurs approuvés sur la vénération ou la translation des reliques;  que cette  superstition a commencé au quatrième siècle, quand, sur l’ordre de Julien l’apostat, les reliques de saint Babyle furent transférées, laquelle translation fut faite avec un grand concours de peuple et une grande solennité en l’année 365.  C’est vraiment à cette date que Julien donna cet ordre, comme l’atteste saint Jérôme dans sa chronique.   Ce que les centuriates ont écrit dans les centuriates 5 et 6 n’est donc pas vrai.
 Mais n’est pas plus vrai non plus ce qu’ils écrivent dans la quatrième centuriate.  Car, comme ajout à la première centurie, dans la vie de saint Luce, les mêmes centuriates reconnaissent que, avant l’époque de Julien, ont été transférées avec un grand honneur, par l’empereur Constantin,  les reliques de saint André et de saint Luc à Constantinople, comme saint Jérôme l’atteste dans le livre contre Vigilance.  De plus, dans la centurie 2, chapitre 3, colonne 31, ils transcrivent l’épitre de l’Église de Smyrne sur le martyre de Polycarpe (conservée par Eusèbe, livre 4, chapitre 15 de son histoire de l’église).  Dans cette épitre, on rapporte que, comme les chrétiens voulaient des reliques du martyr, et que les Juifs s’y opposaient avec acharnement, le juge païen a décidé que le corps serait brulé et réduit en cendres; et que les chrétiens, avec une grande avidité, ont recueilli ces reliques, « comme si, dit l’épitre, elles étaient plus précieuses que les pierres les plus précieuses, et plus éprouvées que l’or éprouvé par le feu. »  Ces reliques ont été recueillies par les Chrétiens à des fins de culte, comme le prouvent les paroles citées, ou la hargne des adversaires.   Car les Juifs et les païens s’opposaient à ce que les reliques soient emportées sous prétexte de piété, car ils pensaient que les chrétiens adoraient les corps des martyrs, comme l’atteste le même Eusèbe au même endroit.  Ce qui est dit dans la centurie 4 n’est donc pas vrai.
 Car ce n’est pas non plus alors que commença l’honneur rendu aux reliques.   Saint Grégoire, en effet, (livre 3, épitre 3) écrit qu’au temps où Pierre et Paul ont été martyrisés, des fidèles vinrent de l’Orient, qui réclamèrent leurs reliques à titre de concitoyens.  Mais, après les avoir transpostées hors de la ville jusqu’à la seconde pierre, ils se sentirent, par un miracle divin, incapables d’aller plus avant.  Ces reliques  furent donc cachées dans les catacombes par les fidèles romains.  Ensuite, le pape Corneille les fit transporter aux lieux où elles sont maintenant.  Sur l’origine des reliques, les magdebourgeois ont donc proféré quatre mensonges qui se contredisent les uns les autres.
 Le second mensonge se trouve dans la centurie 4 (chapitre 8, colonne 602).  Après avoir dit  que Vigilance avait écrit sainement et pieusement contre les reliques, que saint Jérôme  avait combattu pour les reliques avec des invectives et des approximations, ils ajoutent le témoignage de saint Grégoire, en disant : « Même un Grégoire s’en est aperçu. Car, voici ce qu’il pensait du livre de saint Jérôme contre Vigilance. Il a fait un tel étalage de son éloquence et de son érudition que je me vois forcé de déplorer son manque de modestie. »  Or, ces paroles ne sont pas de saint Grégoire, mais d’Érasme dans sa critique du livre de saint Jérôme sur Vigilance.   Le troisième mensonge est dans la centurie 5 (chapitre 6, colonne 699).  Voici ce qu’ils disent : « Au sujet des reliques de saint Étienne, saint Augustin (livre 2, chapitre 8, de la cité de Dieu) constate que de grandes multitudes superstitieuses  se sont rendues jusqu’en Afrique pour les vénérer.  Mais qu’ont été reconnues comme des illusions les choses qu’on avait crues miraculeuses. »
 Or, si nous lisons tout le chapitre qu’ils citent, nous ne trouvons pas les noms de superstition, ou d’illusion, mais seulement de piété envers les  reliques sacrées. Et ce texte de saint Augustin est assez puissant pour dissiper toutes les brumes épaisses des hérétiques.  Car voici ce que, entre autres choses, il dit du miracle : « C’est une femme célèbre, d’une grande noblesse, mariée  à un noble, qui habite à Carthage, grande ville, grande dame.  Et c’est une chose que ceux qui cherchent la vérité ne veulent pas qu’on cache. » Et plus bas : « Une chose est arrivée chez nous, non pas plus grande que celle dont j’ai parlé, mais c’est un miracle si éclatant et si prodigieux qu’il n’y a personne à Hyppone qui ne l’a pas vu ou n’en a pas entendu parler.  Personne, non plus, ne pourra l’oublier. »  Ce que font les magdebourgeois ce n’est pas seulement proférer un mensonge impudent, mais commettre un péché contre l’Esprit Saint en appelant illusion et insanité manifeste les miracles de Dieu les plus attestés, et en faisant de l’homme le plus sage un enfant  qui ne sait encore que jouer.  Dans tout ce chapitre, en effet, saint Augustin s’efforce de montrer que la foi catholique ne manque pas de vrais miracles.  Ne délirerait-il pas, et ne se contredirait-il pas s’il appelait illusions les miracles qui prouvent la foi, et superstitieux et démentiel, le peuple qui les croit ?
 Le quatrième mensonge est tout à fait semblable au précédent.  Car, dans la même centurie 5 (chapitre 15, colonne 1446 où on rapporte l’histoire de la translation de saint Babyle d’après Eusèbe de Césarée, et que Julien l’apostat avait ordonné d’enlever de là le tombeau du martyr), les centuriates prétendent que le diable avait fait semblant d’être paralysé par le martyr; que c’est ce qui a donné l’occasion à cette très célèbre translation, et que c’est ainsi qu’on a introduit l’usage des translations et de la vénération des martyrs.  Mais ce mensonge est encore plus impudent.   Car, d’abord, il répugne aux nombreux auteurs qui ont écrit sur ce miracle, comme saint Jean Chrysostome (dans son livre contre les Gentils), Ruffin (livre 1, chapitre 36), Socrate (livre 3, chapitre 18), Sozomène  (livre 5, chapitre 19),  et Theodoret (chapitre  livre 3, chapitre 10.)  Car, le miracle qui suivit a montré que le démon a craint pour de vrai.  Car dès que la chasse  de la martyre  a été éloignée, un feu descendit du ciel qui consuma totalement  l’idole, de laquelle il prononçait ses oracles.
 De plus, cette translation de saint Babyle ne fut pas la première. Car, comme nous l’avons déjà démontré, plusieurs autres la précédèrent.  Et ce corps de Babyle avait d’abord été transféré d’Antioche à ce faubourg de Daphnée, comme saint Jean Chrysostome l’enseigne.   Et c’est après cela que Julien ordonna qu’il soit transféré de nouveau à Antioche.  Le démon n’a donc pas pu, par cette translation, introduire l’usage des translations.  De plus, si le diable est épris à ce point de l’idolâtrie envers les reliques,  pourquoi a-t-il toujours poussé les Juifs, les païens et les hérétiques à détruire les reliques ?
 Le sixième mensonge est dans la même centurie 4 (chapitre 13, colonne 1447).  Ils rapportent là ce qui a été raconté par saint Grégoire de Naziance dans son premier sermon contre Julien.   Deux adolescents, neveux de Constantin, Gallus et Julien, voulant ériger une magnifique église  sur le tombeau du martyr Mamantus, s’attribuèrent chacun une partie du travail.   Celle qui était construite par Gallus, pieux et fidèle, avançait rapidement.  Mais celle qui était confiée à Julien, celui qui deviendrait apostat, et qui état déjà corrompu dans son esprit,  n’arrivait pas à se maintenir, du fait que la terre, tremblant d’une façon inaccoutumée, dévorait aussitôt tout ce que Julien posait comme fondements. Saint Grégoire de Naziance explique que la cause de ce miracle est que les saints martyrs s’aiment entre eux d’un grand amour.  Car, ce martyr, à qui on érigeait un temple, a refusé les hommages de Julien,, parce qu’il ne voulait pas être honoré par celui qui déshonorerait ses collèges, comme il le prévoyait.   Et le Dieu qui connaissait les cœurs a accepté le travail de Gallus comme il avait accepté le sacrifice d’Abel, et a rejeté le travail de Julien, comme il avait rejeté le sacrifice de Caïn.
 On, nos centuriates disent deux choses de ce miracle.  Ils disent d’abord  que ce serait une grande témérité de penser que ce prodige a été l’œuvre d’un martyr, parce que les martyrs dorment de leur dernier sommeil.   Voilà ce qu’ils disent au lieu cité, colonne 1445.  Et bien que les martyrs ne soient pas, par leur nature, des scrutateurs des cœurs, qui peut empêcher Dieu de leur révéler les pensées des hommes ?  Et si on dit qu’ils dorment parce qu’ils se reposent de leurs travaux, ils ne dorment pas cependant de façon à ne rien voir et ne rien comprendre.  Car, s’il en était ainsi, ils ne seraient plus en vie du tout.  Ils ajoutent, en second lieu, dans la colonne 1447, que Dieu a saboté la construction de Julien pour montrer que lui déplaisait le culte superstitieux des martyrs.  Or, s’il en était bien ainsi, pourquoi n’a-t-il pas détruit  le travail de Gallus qui , pour le martyr, faisait la même chose que Julien ?  Ils diront peut-être que Dieu dormait, ou qu’il n’a pas vu le travail de Gallus.
 Le septième mensonge est dans la préface de la sixième centurie, où ils disent que nous rendons les honneurs divins aux reliques des martyrs, et que nous les invoquons par des supplications,  comme si elles vivaient et entendaient : « Ils commencèrent à rendre un culte à des ossements ensanglantés et à demi corrodés, à les invoquer et à leur attribuer les honneurs divins. »  Calvin dit à peu près la même chose dans son livre sur la nécessité de réformer l’église : « Ce ne sont pas seulement les saints qu’ils adorent à la place du Christ, mais leur os, leurs vêtements, leurs cendres. »  Or, qui, parmi les catholiques, a jamais invoqué des reliques ? Qui a-t-on jamais entendu dire dans des prières ou dans des litanies : « Saintes reliques, priez pour nous ! »  Qui leur a jamais rendu un honneur divin, ou les a jamais adorées à la place du Christ ?  Nous honorons et embrassons les reliques comme des gages sacrés de nos patrons.  Mais, nous ne les adorons pas comme Dieu, ni ne les invoquons comme saints.  Nous les vénérons par un culte inférieur à celui des esprits des saints, et, bien entendu, à celui de Dieu.  C’est ainsi que répondit autrefois saint Jérôme à Vigilance qui lui faisait la même objection.  Et c’est ainsi également que, bien avant lui, répondirent les disciples de saint Polycarpe, d’après Eusèbe (livre 4, chapitre 15 de son histoire), comme nous l’avons déjà écrit.
                                         CHAPITRE 3
          On affirme la vérité et on la prouve
 Venons-en maintenant aux arguments en faveur de la vérité. Le premier est tiré des exemples donnés par la sainte Écriture en Exode 13.   Quand Moïse partir d’Égypte avec le peuple en direction de la Palestine, il ne voulut pas y laisser les os de Joseph, mort depuis bien longtemps.  Il les apporta avec lui honorablement, et les transféra dans la terre promise.  La translation des ossements des morts n’est donc ni une superstition, ni une nouveauté, comme le prétendent les magdebourgeois dans leurs centuries.  De même, Dieu, dans le dernier chapitre du Deutéronome (comme le dit saint Jérôme à Vigilance), a honoré le corps de Moïse en l’ensevelissant de ses propres mains.  De même (4, Rois, 13), quand les os d’Elisée touchaient un mort,  ils le ramenaient immédiatement à la vie.  Dieu ne méprise donc pas les os des saints, mais les honore et désire qu’ils soient honorés, puisqu’il a, par eux, opéré un si grand miracle.  De même, (4 Rois 23),  quand Josias détruisit  les temples des dieux, et voulut abolir toute l’idolâtrie, il fut si loin de penser qu’il fallait détruire les reliques des saints, pour les enfouir dans la terre avec les os des autres morts, ou  les réduire en cendres, qu’il ordonna de conserver les os du saint prophète qu’on avait découverts là.
 Et, au sujet du sépulcre du Seigneur, nous lisons en Isaïe 11 : « Les nations espèreront en lui (le Messie), et son sépulcre sera glorieux. »  Il est certain que ce texte parle du sépulcre du Christ, tant à cause des mots eux-mêmes que des paroles de saint Paul  aux Romains 15.  Qu’il ne faille pas entendre ces paroles seulement pour le temps où le Christ gisait dans son cercueil, mais aussi pour le temps futur, et qu’il faut donc honorer les reliques, saint Jérôme l’enseigne dans sa lettre à Marcella (dans laquelle il l’invitait à venir habiter à Bethléem).  Il dit qu’Isaïe a prédit que, comme cela se fait aujourd’hui, le sépulcre du Seigneur serait honoré par tous.   Et voilà qui réfute le blasphème de Luther qu’il a proféré dans le livre de l’abolition de la messe privée. Il a osé écrire qu’il ne fallait pas faire plus de cas du sépulcre du Seigneur que de bœufs.
 Si donc le Christ était présent aujourd’hui et que nous embrassions ses vêtements avec dévotion, Luther et Calvin s’écriraient tout de suite que nous sommes des idolâtres. Or, l’hémorroïsse (Matthieu 9 ) fut guérie quand elle toucha la frange de son vêtement.  Et, dans les Actes 5, ont-ils été réprouvés ceux qui accourraient à Pierre pour atteindre au moins son ombre ? N’ont-ils pas plutôt reçu la récompense de leur foi ? Or, qui pourrait penser que les reliques sont plus viles que l’ombre ?  Dans les Actes 19, on n’a pas considéré comme superstitieux ceux qui apportaient aux malades la robe et la ceinture de Paul, comme nous le faisons nous aussi, car Dieu confirmait leur piété par des miracles.
 Le deuxième argument vient de conciles de différentes parties de la terre.  De l’orient, nous avons le concile de Nicée 11, acte 3,  qui appelle les reliques des fontaines de salut, par lesquelles Dieu accorde aux hommes plusieurs miracles.  Et dans les actes 7, à  la dernière définition, il ordonne de déposer le clerc et d’excommunier le laïc qui méprisent les reliques des martyrs, et ne les traite pas avec honneur comme une chose sacrée.  Nous avons aussi, en Orient, le concile de gangrense, avant 1200 ans,  qui anathématise ceux qui exècrent les martyriums, les lieux où sont les exposées reliques des martyrs. Les Eustathiens, contre lesquels ce concile a été convoqué, ne voulaient pas entrer dans les basiliques des martyrs,  pour ne pas sembler vénérer les corps des martyrs qu’ils considéraient impurs.
 En Afrique, le concile de Carthage 5, canon 14, ordonne qu’aucun autel ni martyrium ne soit érigé sans qu’il y ait des reliques de martyrs.  Or, si c’est une superstition de rendre un culte à un corps de martyr qui n’en est pas un, ce sera un acte religieux d’honorer le corps d’un vrai martyr, car la religion s’oppose à la superstition.  En Espagne, nous avons le concile de braccarensis, 111, canon 5, où il est statué que, pendant les supplications, la theca des reliques doit être tenue dans les mains des évêques, le peuple précédant et suivant.  Le concile epainense, célébré en Gaule, ordonne, au canon 25, qu’on ne place pas de reliques de saints dans les églises où il n’y a pas de clercs pour chanter souvent des hymnes en leur honneur.  En Germanie, nous avons le concile de Moguntinus, célébré au temps de Charlemagne.  Le canon 15 statue de ne pas transférer les corps des saints d’un lieu à un autre, sans l’autorisation de l’évêque, et sans la permission du saint synode. Ce qui n’est certes pas un mince honneur décerné aux reliques des saints.
 Nous avons ensuite en Italie le concile du Latran, sous Innocent 111, chapitre 62, qui enseigne que, pour éviter tout risque de fraude, personne ne peut, sans l’autorisation du souverain pontife, commencer à vénérer en public de nouvelles reliques.  D’où la loi canonique sur les reliques et la vénération des saints,  au chapitre cum ex eo.  Il y a une loi civile qui lui est semblable, C des évêques et des clercs,  L,  decernimus.
 Troisièmement, on le prouve avec les pères.   Eusèbe (livre 7, chapitre 15 de son histoire ecclésiastique),dit  sur le siège en bois de saint Jacques l’apôtre : « On le conserve avec le plus grand soin, comme un mémorial de sainteté transmis par les anciens,  et on le vénère avec une grande dévotion. »   Que les luthériens ne ricanent donc pas s’ils entendent dire qu’à Rome, la chaire en bois de Pierre est vénérée.  Saint Athanase (dans la vie du bienheureux Antoine), écrit qu’Antoine lui a légué une tunique tressée, et il ajoute : « Le légataire de saint Antoine qui avait mérité de recevoir, sur l’ordre d’Antoine, une tunique tressée,  avec une mélote, remplace Antoine dans ses devoirs,  et étant doté d’un grand héritage, il se rappelle joyeusement, par le vêtement, l’image de sa sainteté.  Du même grand saint Autoine, saint Jérôme (dans le vie de Paul, le premier ermite), rapporte qu’il a reçu en héritage la tunique de Paul confectionnée avec des feuilles de palmier, et que, à cause de la grande vénération qu’il avait envers lui, il avait coutume de la porter, mais seulement dans les jours solennels de Pâques et de Pentecôte.
 Saint Basile, dans le psaume 115, dit, en commentant le verset : la mort des saints est précieuse aux yeux du Seigneur : « Quand quelqu’un mourait judaïquement, les cadavres étaient abominables.   Mais quand quelqu’un meurt pour le Christ,  précieuses sont les reliques des saints. Auparavant, on disait aux prêtres et à ceux qui étaient dédiés à Dieu de ne pas se contaminer avec un corps mort.  Celui qui possède les ossements des martyrs obtient, par la grâce inhérente au corps, une association de sanctification. »   Et, parlant, dans la prière aux quarante martyrs, des reliques des martyrs qui sont dispersées dans toute la région, il dit : « Voici ceux qui administrent notre région, qui, comme des tours, apportent la sécurité contre les incursions des ennemis.   Ils n’habitent pas un seul lieu, mais ils sont devenus les hôtes de plusieurs, et ornent plusieurs patries. »  Saint Grégoire de Nysse, dans son sermon sur le martyr Theodore, au début, dit : « L’âme de laquelle le sublime s’est détachée, repose en son lieu, et libérée du corps, elle vit avec ses semblables.  Le corps immaculé, son instrument, doit être vénéré avec un grand honneur. On le conserve et on l’orne, et on le place dans un lieu important et sacré. »  Ensuite il parle longuement de ceux qui entrent dans les temples des martyrs.  Ils s’étonnent de la grandeur de l’édifice, des décorations faites sur les murs et sur le plancher, de la diversité des statues et des tableaux.  Il ajoute ensuite : « Après avoir délecté ses yeux par ces choses, il désire s’approcher de la chasse,  croyant en recevoir la sanctification et la bénédiction.  Et si on lui permet de prélever de la cendre que contient la chasse où repose le corps du martyr, il  considère cela comme un devoir, et comme s’il acquerrait une terre de grand prix.  Car si la fortune prospère lui accorde de toucher les reliques, quand cela est permis, à quel point cela est désirable et profitable, comme étant le don de prières ferventes, le savent ceux qui en ont fait l’expérience, et qui ont comblé leurs désirs. »
 Saint Grégoire de Naziance, (dans son discours 1 contre Julien, un peu avant le milieu), reprochant à Julien de vénérer les monuments des faux dieux, et de mépriser les corps des amis de Dieu et des martyrs, dit : « Ne révères-tu pas les victimes tombées pour le Christ ? Eux, dont les corps peuvent ce que peuvent les âmes saintes, soit qu’on les touche, soit qu’on les honore, eux.  Bien plus, quelques gouttes de leurs sang et de petite signes de leur passion peuvent ce que peuvent les corps.  Toi, tu ne les  vénères pas, mais tu les méprises et les ridiculises, toi qui admires le feu d’Hercule excité par la calamité et les injures infligées aux femmes.
Eusèbe Emissenus, ou plutôt Césaire d’Arles, ou quiconque est l’auteur de ses homélies, dit, à l’homélie de sainte Blandine : « Où sont donc ceux qui disent qu’on ne doit pas vénérer les corps des saints martyrs »  Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 18), dit : « Qu’on n’honore pas seulement l’âme des saints, mais que dans les corps des morts réside une vertu ou un pouvoir enfermé dans le sépulcre, la preuve en est que  le mort ressuscité par Élisée a été vivifié en touchant le corps mort du prophète. »  Saint Jean Chrysostome (dans son sermon sur les saints Juventius et Maximus), loue d’abord ceux qui, au risque de leur vie, ont pieusement recouverts les corps laissés sans sépulture.  Et, il ajoute ensuite : « Voilà pourquoi nous allons souvent leur rendre visite, nous adorons leur tombeau, nous conservons leurs reliques avec une grande confiance, pour pouvoir en retirer quelque bénédiction. »
 Voir la même homélie, à la fin, épitre aux Romains, où il dit : « Romme l’emporte sur toutes les autres  villes  par  le culte qu’elle rend à Pierre et à Paul. »  De même, dans l’homélie 61 au peuple, où il compare les sépulcres et les reliques des saints aux sépulcres et aux cadavres des empereurs et des rois.  Et il montre que les premiers sont grandement honorés, et les autres abandonnés et déserts.  Et il dit admirablement que ce fut un honneur suprême pour l’empereur Constantin de pouvoir devenir le portier de Pierre, car il a été enseveli aux portes de la basilique, où étaient placées quelques parcelles des reliques du bienheureux Pierre.
 Theodoret, dans son livre 8o contre les Grecs sur les martyrs, dit : « Et les âmes des martyrs triomphants vivent maintenant dans la patrie céleste, parmi les chœurs des anges.  Leurs corps ne sont pas tous, nombreux comme ils sont,  contenus dans un seul monument, mais des cités, de grandes villes et des villages ont tiré au sort quelques unes de leurs reliques, qui ne cessent d’être salutaires aux âmes affligées et aux corps malades. »  Ensuite, saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 16 sur la foi orthodoxe) dispute longuement sur la vénération des reliques des martyrs.
 Parmi les latins, saint Ambroise (sermon 83 sur les saints Nazaire et Celse, à la fin) : « Si tu me dis : qu’honores-tu dans une chair déjà décomposée et réduite en cendres ?  J’honore dans la chair du martyr les cicatrices reçues pour le nom du Christ.  J’honore celui qui vit par la perennité  de sa vertu. J’honore la confession du Seigneur dans les cendres sacrées. J’honore dans les cendres des semences d’éternité.  J’honore celui que le Seigneur m’a montré à aimer, qui nous a enseigné  à ne pas craindre la mort pour notre Seigneur.  Pourquoi ces fidèles n’honorent-ils pas les corps que  révèrent même les démons ?  Ils les ont affligés en les suppliciant, mais ils les glorifient dans les sépulcres.   J’honore aussi le corps que le Christ a honoré dans le glaive, parce qu’il règne dans le ciel avec le Christ. »  Maxime (dans le sermon sur les saints Octave, Adventor, et Solutor : « Il faut honorer dévotement tous les martyrs.  Mais nous devons surtout vénérer ceux dont nous possédons les reliques. »  Gaudence, évêque de Brixia, dans son traité sur la dédicace d’une basilique : « Notre Dieu a pourvu à ce que nous ayons des reliques de saints, et il nous a ensuite accordé généreusement de les honorer dans leurs basiliques. »  Voir le traité au complet, où il est beaucoup question du culte des reliques.
 Saint Paulin, au troisième jour de la naissance au ciel de saint Félix, parlant de la ville de Rome, dit ceci des reliques des apôtres : « Tu as été d’abord la première par le gouvernement et les victoires des armées.  Maintenant, c’est pas les apôtres et par leurs sépulcres. »  Saint Jérôme (dans son livres contre Vigilance) dit : « Il souhaite que les reliques des martyrs soient recouvertes d’un voile précieux, qu’elles soient projetées dans les latrines, pour que seul Vigilantius, ivre et somnolant, soit adoré. » De même, dans l’épitre à Marcella ( qu’il a écrite au nom de Paul et d’Eustochie), il énumère, parmi les biens qui se trouvent en Palestine, de pouvoir adorer les saintes cendres de saint Jean Baptiste, d’Élisée et d’Abdias qui y sont conservées.  Ruffin (livre 11, chapitre 28 de son histoire).  Comme, au temps de Julien, les Gentils avaient, à Sébaste de Palestine, brulé les os de saint Jean Baptiste, Rufin écrit : « Quand certains chrétiens virent commettre un pareil crime par des mains humaines, mais avec une âme de bête féroce, préférant mourir plutôt que d’être, en quelque façon,  complices de cette sacrilège profanation, ils se sont mêlés à ceux qui lisaient les os pour les bruler, se sont réunis pieusement et diligemment, ont soustrait furtivement  les ossements à ces insensés, et ont apporté ces reliques au religieux père Philippe pour qu’il les fasse vénérer ».  Voir la même chose dans le même livre, chapitre 33.
 Saint Augustin (épitre 103 à Quintien) : « Les porteurs de cette lettre apportent les reliques du bienheureux martyr Étienne.  Votre sainteté n’ignore pas, comme nous non plus, de quelle façon il convient que vous les honoriez. »  L’auteur du livre sur les dogmes ecclésiastiques (chapitre 73) écrit : « Les corps des saints, et surtout les reliques des bienheureux martyrs nous croyons devoir les honorer comme s’ils étaient les membres du Christ. » Saint Léon (dans le sermon sur saint Laurent, parlant de la grille), dit : « Qu’est-ce que ton ingéniosité n’a pas inventé pour assurer la gloire du vainqueur, quand les instruments du supplice ont servi à honorer le triomphateur! »  Saint Grégoire (livre 5, épitre 50 à Palladius) : « Comme nous présentons à la vénération des fidèles  les reliques des saints apôtres Pierre et Paul, ainsi que des martyrs Laurent et Pancrace, nous vous exhortons de les recevoir et de les conserver révérencieusement, en demandant l’aide du Seigneur. »
Il répète la même chose dans l’épitre suivante. La même chose dans le livre, épitre 30.  Et voici ce qu’il répond à l’impératrice Constance qui demandait la tête de saint Paul : « C’est un sacrilège de toucher et d’inspecter les corps de si grands saints ».  Et il raconte que plusieurs sont morts de mort subite parce qu’ils avaient eu la présomption de toucher les corps des saints, ou de s’être approchés de trop près pour les observer.  Il lui promet, cependant, qu’il lui enverra une partie de la chaîne de saint Paul, si on peut, en limant, en détacher quelque chose. Car tel est le comportement de ces chaînes : selon la dignité ou l’indignité de ceux qui en font la demande, on en détache facilement une partie, ou il est absolument impossible d’en limer quoi que soit, quel qu’effort qu’on y mette.   Saint Grégoire de Tours (dans son livre sur la gloire des martyrs et des confesseurs) ne parle presque que de cela. Omettons Bède, Bernard et les auteurs postérieurs, dont nos adversaires ne doutent pas de la foi.
 Quatrièmement, on le prouve par les miracles faits grâce aux reliques.  Ces miracles n’auraient certes pas lieu si le culte rendu aux reliques déplaisait à Dieu.  Saint Épiphane, (dans la vie d’Isaïe, d’Ezéchiel et de Jérémie), raconte que leurs sépulcres étaient fréquentés par plusieurs à cause des bienfaits qui y étaient accordés par Dieu grâce aux mérites de ces prophètes.  Saint Basile, dans son sermon sur Mamante, dit que tous connaissent les miracles opérés par cette martyre, en rendant aux uns la santé, aux autres, la vie.  Et, dans son sermon sur Julitta, il raconte que quand les reliques de sainte Julitte furent apportées en un certain lieu qui était privé d’eau, aussitôt uns source d’eau douce  jaillit de la terre.  En abreuvant de son lait toute cette région, cette sainte semblait être la mère ou la nourrice de tous. »   Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur saint Cyprien) dit : « Elle peut tout, avec la foi,  la poussière de saint Cyprien.  Le savent ceux qui en ont fait l’expérience, et nous ont transmis les miracles. »  Saint Jean Chrysostome (dans son livre contre les Gentils, sur les reliques de sainte Babille) : « Nos sentences produisent abondamment la foi, puisqu’elles sont corroborées à chaque jour par les miracles des martyrs. »  Palladiius dans l’histoire lausiaque (chapitre 62) raconte que beaucoup de miracles se font sur les reliques de Philémon.  Saint Ambroise (dans son sermon sur saint Gervais et saint  Protais, et dans sa lettre à sa sœur sur les mêmes martyrs), rapporte, parmi plusieurs, le cas d’un aveugle nommé Sévère, très connu de tous, qui fut guéri en touchant le brancard qui portait les reliques.  Saint Ambroise ajoute aussi que les ariens osaient nier impudemment les miracles que tout le peuple voyait.
 Saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance) : « Toi, très souvent, tu t’es saupoudré de cette vile poussière où parle le démon, toi qui appelles ville poussière les reliques des martyrs. »    Et dans l’épitre à Eustochius sur la vie de Paula, il raconte qu’aux sépulcres d’Élisée, de Jean le Baptiste et d’Abdias, les démons ont coutume de rugir.  Dans la vie de saint Hilarion, il dit que, à chaque jour, de grands miracles sont produits sur son tombeau.  Saint Augustin (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu), dit qu’un si grand nombre de miracles ont été faits en peu de temps près des reliques de saint Etienne, qu’il faudrait plusieurs livres si on voulait les raconter tous.  Sulpice, dans la vie de saint Martin,  dit que par le seul contact de son vêtement a été guérie une femme qui souffrait d’un flux de sang.  On peut rapporter un grand nombre miracles de ce genre.
 Cinquièmement, on le prouve par les miracles qui se produisent dans les corps morts des saints, par lesquels Dieu nous invite irrésistiblement à la vénération.  Saint Jean Chrysostome écrit (dans le sermon sur les saints Juventius et Maximus) que leurs visages ont commencé, après leur mort, à resplendir à tel point qu’on ne pouvait pas les regarder sans les vénérer. Et ils étaient semblables au visage de saint Étienne (Luc, actes 6) : « Son visage qu’ils voyaient était semblable à celui d’un ange. »  Saint Jérôme (dans la vie d’Hilarion) écrit que, après dix mois, son corps a été trouvé intègre, et émettant des odeurs parfumées. Saint Augustin (dans son sermon 2 sur saint Vincent) dit que son corps exposé aux bêtes fauves  a été protégé par un corbeau, et que quand il a été jeté à l’eau, n’a pas pu couler. Et, dans le libre 9, chapitre 7 des confessions), il dit que les corps des saints Gervais et Protais ont été conservés par Dieu sans corruption pendant plusieurs années, pour qu’ils soient réservés pour son temps.
Sulpice (dans son épitre  à Bassula Socrum, sur la mort de saint Martin) dit que, après sa mort, est apparue dans son corps la figure d’un homme glorifié.  Sa chair, en effet, fut plus pure que la vitre,  plus blanche que le lait,  semblable à celle d’un enfant de sept ans.  Saint Bonaventure rapporte qu’on a dit la même chose du corps de saint François.  Au sujet de saint Édouard, le roi anglais, qui vécut il y a quatre cents ans, l’auteur de sa vie écrit que, 36 ans après sa mort, son corps  a été trouvé intègre, plein de suc, flexible, comme s’il était encore vivant.  Non seulement ses os et sa chair n’avaient subi  aucune altération, mais ni ses cheveux, ni les poils de sa barbe, ni ses vêtements ou ses souliers.  C’est ce qu’on dit du corps de saint André, du quel coule continuellement une liqueur mirifique.
 J’ai vu moi-même, à Bologne, le corps de sainte Catherine intègre, sans aucune corruption, alors qu’il y au moins  cent ans que cette vierge bienheureuse ait quitté cette terre.  J’ai vu aussi, près de Mentem Falcum, en Ombrie, le corps intègre de sainte Claire, sans aucune corruption  après 300 ans.  Et ce qui est peut-être un plus grand miracle,  on voit dans son cœur les instruments de la passion du Seigneur, si admirablement sculptés dans sa chair, que tous ceux qui le voient sont contraints de dire : le doigt de Dieu est là.  Et, pour en omettre beaucoup d’autres, que dire enfin de ma concitoyenne et ma patronne la bienheureuse Agnès Politiana ? Elle a vécu celle-là il  y a trois cents ans.  Et vivante ou morte, elle est grandement célèbre par ses miracles, dont, dans mon enfance, j’ai été témoin, non moi seul, mais toute la cité.   Son corps très beau et sans corruption, je ne l’ai pas vu seulement une seule fois. Des auteurs fiables ont rapporté par écrit que quand sainte Catherine de Sienne vint voir son corps pour le vénérer, une pluie de rosée céleste descendit à l’instar d’une manne, sur l’une et l’autre.  Et quand les citoyens projetèrent d’oindre son corps d’aromates pour qu’il se conserve plus longtemps,  une liqueur suave semblable à du baume commença à se répandre, de telle sorte que tous comprirent que ce corps, par la grâce divine, n’avait besoin de l’onction d’aucun aromate.   On affirme que des reliques de cette liqueur divine sont conservées dans l’église avec son corps.
 Sixièmement, on le prouve par l’invention et la révélation des saints corps.  Si le culte des reliques ne plaisait pas à Dieu, pourquoi  montrerait--il à ses serviteurs les corps des saints qui sont cachés ? Après avoir reçu une révélation divine sur les corps des saints Gervais et Protais, saint  Ambroise raconta la chose dans une lettre, que l’on trouve dans les tomes Surit.   Saint Augustin raconte la même chose dans son livre sur les confessions (livre 9, chapitre 7).   Nous a été conservée aussi la lettre de Lucien dans laquelle il rapporte qu’on lui a miraculeusement montré les corps d’Étienne, de Nicodème et d’autres.   Qu’il s’agissait bien du vrai corps de saint Étienne, des miracles innombrables le démontrent, qu’Évode a décrits dans deux livres.  Et saint Augustin (dans le sermon 91 ex novis), dit : « Son corps a été caché pendant une si longue période de temps. Il est revenu à la lumière quand Dieu l’a voulu.  Il a illuminé les pays.  Combien de miracles il a faits !  Le mort rend vivant les morts parce qu’il n’est pas mort. »
 À ce sujet, Sozomène rapporte (livre 5, chapitre 8)  que les os des saints martyrs, les frères Nestabius et Eusebius, qui à Gazence étaient mêlés aux os des chameaux et des ânes, pour que les chrétiens ne puissent pas les reconnaitre, ont été montrés à une femme par une divine révélation, et ont été recueillis par elle.  Le même Sozomène (livre 7, chapitre ultime), rapporte que les os d’Abaccuch et de Michée ont été révélés divinement à un certain évêque.  Le même Sozomène (livre 9, chapitre 2) racoonte que les reliques des quarante martyrs ont été découvertes par une révélation divine.  Bède (dans son livre sur les six états, à Martien) rapporte que la tête de saint Jean Baptiste a été révélée à deux moines par saint Jean lui-même.  Et, à Zénon,  que les corps de saint Barnabée avec sur sa poitrine l’évangile de saint Matthieu, a été retrouvé, saint Barnabée lui-même faisant la révélation.
 Septièmement, on le prouve par la translation des reliques d’un lieu à un autre, pour mieux les honorer, laquelle translation avait coutume d’être célébrée.  On ne peut pas nier que c’était pour mieux les honorer que se faisait cette translation des reliques.  La première et la plus ancienne de toutes fut celle de Joseph, de l’Égypte à la Palestine,  faite par Moïse (Exode 13).  Ensuite, la translation des reliques de saint Pierre et de saint Paul, du lieu de leur supplice aux catacombes, qui a été faite au temps où ils ont souffert (Grégoire, livre 3, épitre 30) .  Ensuite, la translation des mêmes corps des catacombes au Vatican en partie, et  dans le domaine de Lucine sur la voie Hostiensis.  Le pape Corneille dans sa lettre 1 à Ruffin (livre 2, chapitre 28), décrit la translation des reliques de saint Jean Baptiste de la Palestine à Alexandrie.  Saint Jérôme, dans son livre contre saint Vigilance, écrit que, au temps de l’empereur Constantin, les reliques d’André, de Luc et de Timothée ont été transportées à Constantinople. Il dit aussi que, au temps d’Arcadius, les reliques de Samuel le prophète ont été transportées par les évêques dans un vase d’or  avec un si grand honneur et un si grand concours de peuple que de la Palestine jusqu’à la Chalcédoine elles ont toujours été accompagnées par les fidèles.
Saint Ambroise, au début de son exhortation aux vierges, dit : « Moi,  après avoir été invité au rassemblement  de Bologne, où on célèbre la translation d’un saint martyr, je vous ai réservé une relique pleine de sainteté et de grâce. »  Saint Augustin (livre 9, chapitre 7 de ses confessions), écrit : « Après avoir découvert et exhumé les corps des saints Martyrs Protais et Gervais, et les avoir transférés avec honneur… »  Saint Jean Chrysostome (dans le livre sur Babyle) décrit avec quel honneur les reliques des martyrs sont transférées.  Sozomène (livre 7, chapitre 10),  décrit la translation des reliques de saint Meletius d’Anthioche.  Theororet (livre 5, chapitre 36) décrit la translation des reliques de saint Jean Chrysostome.  Évagre (livre 1, chapitre 16) décrit la translation honorable de saint Ignace à Antioche, sous Theodose junior.
Huitièmement, on le prouve par la coutume de placer les reliques des martyrs sous les autels.  C’est de quoi se souvient saint Ambroise dans son exhortation aux vierges, en pensant aux reliques de Vital et d’Agricola.  Ainsi que dans sa lettre à sa sœur sur l’invention des corps des saints Gervais et Protais. (saint Jérôme, dans son livre contre Vigilance.)  Saint Prudence en parle dans son hymne 11 sur les couronnes des saints, qui est de saint Hyppolyte.  Saint Augustin, dans le sermon 11 sur les saints. Sozomène (livre 5, chapitre 8), et le concile de Carthage 5, canon 14.  Il semble que cette coutume ait commencé au temps des apôtres. Car dans l’apocalypse, on nous montre, dans le ciel, les âmes des martyrs sous l’autel, parce que, sur la terre, leurs corps reposent sous l’autel, comme l’insinue saint Augustin au lieu cité.   Que ce soit pour les honorer grandement que ce lieu leur a été assigné, saint Jérôme et saint Augustin l’enseignent aux lieux cités, et la chose elle-même le montre.  Car, les autels ont  toujours été grandement honorés, au point même où ils ont été parfois adorés.  Et Tertullien (dans son livre sur la pénitence) compte parmi les rites chrétiens l’agenouillement devant les autels de Dieu.
Neuvièmement. On le prouve par l’usage des cierges et des lampes par lesquels étaient honorées les reliques.  Que la lumière soit un signe d’honneur et non de superstition, ainsi qu’allumer une lumière devant une chose inanimée,  le candélabre nous le fait comprendre, puisqu’il était toujours allumé devant l’arche du Seigneur. (Exode 25 »).  Que ce fut autrefois l’usage d’allumer des cierges devant les reliques, c’est Vigilance qui nous le dit par son objection : « Nous voyons les cierges allumés en plein jour. » Et aussi saint Jérôme (dans son épitre à Riparius) : « J’ai donc allumé des cierges devant leurs tombeaux, ces cierges qui sont des signes d’idololâtrie. »  De même Constantin (premier tome des conciles, dans la vie de Sylvestre).  Parmi les dons faits aux reliques sacrées de Pierre, de Paul,  de Laurent, et de la sainte croix, on énumère des candélabres, plusieurs lampes qui doivent bruler perpétuellement.  Il n’est pas croyable que Constantin ait lancé quelque chose qui ne faisait pas partie de la coutume de l’Église.   De plus, Theodoret (livre 5, chapitre 36), atteste que, dans la translation des reliques de saint Jean Chrysostome, beaucoup de lampes avaient été allumées.
Saint Grégoire (livre 3, chapitre 24 des dialogues), se souvient des lampes qui, dans le temple de saint Pierre,  restaient allumées même   la nuit, quand tous dormaient.   Dixièmement, on le prouve par une raison tirée de l’utile et de l’honnête.  La raison tirée de l’utile, on la trouve chez saint Chrysostome, dans le saint martyr Babyle.  Car, Dieu, comme le dit saint Jean Chrysostome, « ne nous a rien laissé de plus utile pour le salut que les reliques des saints. » Car, rien ne représente plus efficacement et n’imprime davantage dans l’âme le souvenir des saints que leur sépulcre. En effet, dès que nous voyons le sépulcre de quelque saint, nous nous souvenons de lui, de ses vertus, de sa patience, de sa charité, de sa chasteté, de sa piété;  et nous pensons immédiatement à la gloire dont il jouit dans le ciel pour un très court labeur.  La raison tirée de l’honnête est multiple.  La première. Pour tous les biens qu’ont faits les saints,  leurs corps ont servi d’organes à leur âme.  Voir Tertullien sur la résurrection de la chair. La deuxième. Leurs corps ont été et sont encore des instruments pour la production de miracles.  La troisième. Ils sont les gages des patrons.  La quatrième.  Ils sont les dépouilles des plus chers.   La cinquième. Ils sont les trophées des triomphateurs.  La sixième.  Ils sont destinés à une gloire incroyable, puisque, après la résurrection, ils seront plus brillants que le soleil.   Et jusqu’à présent ils  s’imposent par ces corps, qui,  plus que toute autre chose,  ont mérités d’être conservés.  C’est pour ces raisons et pour d’autres que les fidèles font grand cas des reliques des saints, et les honorent avec le culte qui leur est du.
                                          CHAPITRE 4
                 On répond aux arguments des adversaires
Après ce que nous venons de présenter, il ne sera pas difficile de répondre aux arguments des adversaires.  Voici ce que nous répondons au premier argument que Wiclef avait tiré de l’évangile.  Le Seigneur, comme il le prétend,  ne reproche pas aux Juifs d’avoir construit des monuments aux prophètes et de les avoir embellis, mais de ne pas avoir imité ceux dont ils ornaient les monuments; et d’avoir imité plutôt ceux qui les avaient tués, et s’étaient ainsi condamnés eux-mêmes. C’est ainsi qu’expliquent ce passage presque tous les pères, comme saint Hilaire, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, Theophylactus, (chapitre 23 de Matthieu), et saint Ambroise et saint Bède (chapitre 11 de Luc.) Voici ce que dit saint Ambroise : « En construisant des tombeaux pour les  prophètes, ils convainquaient de crime ceux qui les avaient tués.  Mais, en commettant un crime semblable, ils devenaient leurs émules, et se déclaraient les héritiers de l’iniquité ancestrale.  Ce n’est donc pas la construction qui est criminalisée, mais l’émulation. »  Saint Jean Chrysostome (homélie 75 sur Matthieu) : « Le Christ ne les a pas maudits parce qu’ils construisaient, ni parce qu’ils accusaient leurs pères, mais parce que,  parlant comme ils parlaient, et  agissant comme ils agissaient, ils osaient condamner leurs ancêtres, alors qu’ils commettaient de plus grands crimes qu’eux. »
Mais tu diras.  En Luc 11, le Seigneur a dit : « Vous témoignez que vous consentez aux œuvres de vos pères parce qu’eux ont tué les prophètes, et vous, vous leurs construisez des tombeaux. »  IL semble bien là que le Seigneur blâme la construction elle-même, comme étant le témoignage de leur consentement à la mort des prophètes.  Saint Jean Chrysostome répond au lieu cité : « Les Juifs avaient coutume d’édifier des mausolées pour les prophètes, non pour les honorer, mais pour montrer la vigueur et la puissance de leurs ancêtres qui ont pu tuer les prophètes. Car, bien que les Juifs disent que ce n’était pas leur intention, mais qu’elle était toute autre,  il appert que ce fut vraiment leur intention, puisqu’ils cherchaient à tuer le Seigneur des prophètes.  Saint Jérôme (chapitre 23 de Matthieu) donne une explication un peu différente.  Il dit que c’est par orgueil que les anciens Juifs tuèrent les prophètes; que c’est aussi par orgueil et par ambition que les plus récents leur construisaient des tombeaux; et que c’est ainsi qu’ils consentaient aux œuvres de leurs ancêtres.   Cajetan donne une explication plutôt accommodante,  Il dit que celui qui ensevelit quelqu’un qui a été tué,  peut le faire soit pour honorer le mort, soit pour compléter l’acte d’homicide.  Les gents ordinaires tuent et ensevelissent pour cacher leur crime. Or, même si les Juifs disaient qu’ils édifiaient des sépulcres aux prophètes pour les honorer, il semble plutôt qu’ils le faisaient pour compléter les œuvres de leurs pères, puisque, après avoir tué les prophètes, ils ont tué le Christ et certains apôtres.
Au deuxième, je réponds que, dans les monuments, se trouve, au minimum, la mémoire des saints.  Et c’est pour cela que les anciens appelaient les sépulcres des saints des mémoires. Or, la mémoire des saints est honorable. En effet, dans le sépulcre du Christ, ne se trouve maintenant ni son âme, ni son corps. Et, pourtant, selon Isaïe (chapitre 11), « son sépulcre sera glorieux. »  Je dis, ensuite, que, dans les sépulcres des saints,  se trouve une certaine partie de leur substance, c’est-à-dire de cette matière que les esprits des saints ont animée et qu’ils animeront encore
.  Au premier argument de Calvin sur le corps de Moïse, on peut donner plusieurs réponses. Saint Hilaire (chapitre 17, Matthieu), saint Ambroise (livre 1, chapitre 2 sur Caïn), et saint Grégoire de Nysse (dans sa vie de Moïse),  disent que Moïse n’était pas encore mort, et donc pas encore enseveli, et qu’il a été transporté comme Élie et Énoch.  Et c’est ce qu’enseignent quelques auteurs modernes.  Mais ce n’est pas quelque chose qu’on peut facilement soutenir.  Et Rupert attaque cette interprétation avec de puissants arguments.  Philo (à la fin des livres sur la vie de Moïse) enseigne que Moïse était mort et enterré, mais qu’il appartient à la gloire de Moïse d’avoir été enseveli  dans un sépulcre si mystérieux que nul ne put jamais le découvrir.  C’est à cette explication qu’Oecumenius semble faire allusion dans son épitre de Jude.  Et c’est probablement ce qu’a écrit saint Jean Chrysostome (dans son homélie 5 sur Matthieu) : le sépulcre de Moïse aurait été caché pour qu’il ne soit pas adoré comme un dieu par les Juifs.
Tu diras.  Ils n’ont jamais, de son vivant,  adoré Moïse comme un dieu.  Ils l’auraient fait encore bien moins après sa  mort.  Je réponds qu’ils ne l’ont pas adoré de son vivant, pendant qu’ils l’entendaient dire à chaque jour, qu’il n’y avait qu’un seul vrai Dieu, dont il était le serviteur.  Mais, après sa mort, se souvenant de ses miracles, et ne l’entendant plus parler, ils auraient facilement pu être entrainés à croire qu’il était un dieu;  et ils l’auraient adoré s’ils avaient su où se trouvait son corps.  Surtout parce que il est raisonnable de croire que ce corps conservait la beauté et  l’éclat de son visage, comme c’est le cas pour  certains saints.  Nous avons comme exemple le serpent d’airain.  Les Juifs qui avaient été mordus par des serpents, (Nombres 21) regardaient le serpent d’airain et étaient guéris.   Cependant, ils ne l’adorèrent pas d’un culte de latrie, parce que Moïse leur avait dit que ce serpent n’était pas Dieu, mais un signe de salut.  Or, à 4 Rois, 18, ils sacrifiaient au serpent comme à un dieu, même s’il ne faisait plus aucun miracle.  Et c’est pour cette raison qu’il a été détruit par Ezechias.
Tu diras que les reliques des saints présentent le même  péril  aujourd’hui.  Je réponds que c’est faux.  Car le peuple des Juifs était, à cette époque, fort enclin à l’idolâtrie, au point où ils adoraient même des veaux en or.  Et c’est parce que, après la captivité babylonienne, le peuple avait cessé d’adorer les idoles, que nous voyons Dieu illustrer par un grand nombre de miracles  les sépulcres d’Isaïe, d’Ézéchiel, de Jérémie, d’Élise, d’Abdias, et d’autres, agréer  leur culte qui portait sur les ossements, comme le rapportent Épiphane et saint Jérôme.  Ajoutons qu’on n’a jamais entendu dire que des chrétiens aient rendu des honneurs divins aux cendres des martyrs.  Il ne manque pas non plus, dans l’église, d’écrits et de sermons qui enseignent au peuple quel est le culte qui est du aux reliques.
Au deuxième je dis comme saint Paul (2 Corinthiens 5) : « Même si nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi maintenant. »  Par chair, il entend la mortalité et la passibilité.  Et le sens est : si nous avons connu un Christ passible et mortel, nous connaissons maintenant un Christ impassible et immortel.  C’est ce qu’enseigne saint Paul (1 Corinthiens, 15) : « La chair et le sang ne possèderont pas le royaume de Dieu. »  Et aux Hébreux 5 : « Celui qui, pendant les jours de sa chair,  offrit à Dieu des prières et des supplications. »  C’est ainsi que tous l’expliquent : saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, Oecumenius, Ambroise, Anselme, etc.   C’est de la même manière que répond le septième synode (acte 6, tome 4), et par le même argument à ce qui avait été objecté par les iconoclastes.   On ajoutait là le témoignage de saint Cyrille.  Que l’apôtre (comme le veut Calvin) n’ait pas eu l’intention d’enseigner qu’il fallait mettre en oubli tout ce qui est charnel dans le Christ pour ne penser qu’à son esprit et à sa divinité, le même saint Paul nous le fait comprendre ( 1 Corinthiens 11), quand il dit que la sacrement de l’eucharistie a été institué en souvenir de la passion.  Et il ajoute : « À toutes les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez au calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. »  Et il n’y a rien qu’il répète plus souvent que la croix, la passion et la mort du Seigneur. Et, je le demande, comment son sépulcre pourrait-il être glorieux si nous devions mettre en  oubli la mort du Seigneur ?  De plus, devons-nous  rappeler les bienfaits du Seigneur, oui ou non ?  Si nous ne le faisons pas, nous sommes ingrats et nous contredisons saint Paul  qui dit (Hébreux 12) : « Rappelez-vous celui qui a supporté, venant des pécheurs, une telle contradiction contre lui. » C’est ainsi que nous devons penser à l’incarnation, la nativité, la passion et la mort du Seigneur.
Au troisième je dis d’abord que le culte des reliques n’est pas un culte volontaire, c’est-à-dire imaginé par les hommes, mais inspiré par Dieu, comme le montrent les textes cités.  Car, l’Écriture approuve le culte du sépulcre, de la fibre du vêtement du Christ, ainsi que de l’ombre de Pierre, de la robe et de la ceinture de Paul.  Je dis, ensuite que, au Colossiens 2, le mot grec ethelothrèskeian ne signifie pas n’importe lequel culte volontaire, non prescrit par Dieu, et inventé par les hommes, mais un culte superstitieux, comme notre commentateur  l’ a bien traduit, ou une fausse religion, comme l’explique saint Jérôme, (dans son épitre à Agalsia, question 10).  Il faudrait donc que Calvin prouve que le culte des reliques est superstitieux ou faux,  s’il veut qu’il soit réprouvé par saint Paul.
Le quatrième. « Je dis qu’il y a un danger d’idolâtrie. » J’affirme, au contraire, que  le culte des reliques est la détestation de toute idolâtrie. Car, les martyrs sont morts pour détruire l’idolâtrie.  Donc, celui qui rend un culte aux reliques indique qu’il se réjouit de la destruction de l’idolâtrie.  Et c’est avec raison que les chrétiens (Ruffin, livre 1, chapitre 35), en transportant les reliques de Babyle, chantaient à haute voix : « Que soient confondus ceux qui adorent les statues des dieux païens ! »  À l’argument tiré des cierges, je réponds que les cierges allumés devant les tombes des martyrs ne sont pas le signe d’une adoration qui n’est due qu’à Dieu.  Car on n’offre pas aux martyrs les cierges comme  sacrifices, mais en signe d’allégresse. Même dans les choses profanes, on allume un feu pour signifier la liesse publique.  De plus, le feu est un signe de gloire.  Voilà pourquoi un feu brulait toujours devant les empereurs romains et les impératrices, comme l’atteste Herodianus (livre 1.)  Or, les saints jouissent maintenant de la vraie gloire, règnent avec le Christ, et commandent dans le ciel. Ils méritent donc amplement qu’en leur souvenir, on puisse allumer  un feu.  On peut dire aussi que le feu est un signe de vie.  Nous professons donc avec nos cierges que les âmes des saints vivent, et que leurs corps vivront en leur temps.
À l’argument tiré de saint Jérôme, je dis donc que quand il parle de ceux qui allument des cierges devant des reliques,(« je confesse qu’ils ont le zèle de Dieu, mais non selon la science »), il pense à ceux qui le font pour rendre illustres les martyrs.  Car,  Vigilance a dit, par ironie : « Les hommes de cette sorte procurent un grand honneur aux martyrs en pensant les rendre illustres par leurs vils cierges »  C’est de ceux-là, de ceux qui allument des cierges avec cette fausse intention que saint Jérôme dit qu’ils ont du zèle, mais non selon la science.  Que saint Jérôme ait pensé que c’était une bonne chose d’allumer des cierges devant des reliques, on le découvre dans sa lettre à Riparius où i l présente comme argument en faveur du culte des saints l’usage d’allumer des cierges.  Et, dans son livre contre Vigilance, il dit : « Les apôtres eux-mêmes craignirent que périsse l’onguent, mais ils ont été corrigés par le Seigneur.  Car, le Christ n’avait pas  besoin d’onguent, ni les martyrs de la lumière des cierges.  Et cependant, une femme l’a fait en l’honneur du Christ, et la dévotion de son esprit l’a reçue.  Et tous ceux qui allument des cierges selon leur foi ont leur récompense. »  Et plus bas : « On faisait cela pour les idoles, et c’était une chose détestable.  On le fait maintenant pour les martyrs, et c’est une chose  acceptable. »
Deuxièmement.  La chose est évidente,  car,  au temps de saint Jérôme,  ces cierges étaient en usage non seulement pour les femmes, mais pour les évêques et l’église universelle, comme on le voit dans Paulin, dans Theodoret, et les autres ci-haut cités.  Troisièmement.   Si c’était une superstition d’allumer des cierges devant des reliques, ce serait aussi une superstition d’en allumer quand on lit l’évangile, et quand les morts sont portés vers le sépulcre. Saint Jérôme (contre Vigilance) enseigne que, pour l’évangile, on allume des cierges dans tout l’Orient.  On en allume aussi pour les funérailles,  enseigne le même saint Jérôme dans sa vie de Paula, où il dit que, aux funérailles de Paula, les évêques processionnaient  avec des cierges allumés.
 Nous avons répondu au concile elibertinus quand nous avons traité du purgatoire.  Il avait interdit les cierges car, cela se faisait à la façon des païens qui cohabitaient avec les chrétiens.  À l’argument tiré de saint Augustin, je réponds qu’il appelle adorateurs de sépulcres ceux  qui offraient aux mânes des défunts le sacrifice du pain et du vin et d’autres mets;  qui se nourrissaient ensuite de ces mets et s’enivraient. Car, c’est ainsi qu’il parle : « Je connais les adorateurs de sépulcres, je sais qu’il y en a beaucoup qui boivent comme des ivrognes sur les cadavres, qui s’ensevelissent sur ceux qui ont été ensevelis, et appelle religion leur voracité et leur ébriété. »  Cela, saint Augustin l’a écrit au début de sa conversion.  Plus tard, il a dénoncé cette coutume, mais non comme une idolâtrie.  Car, (au livre 6, chapitre 2 de ses confessions), il dit que sa mère avait coutume de faire cela par piété, mais que, à Milan, elle en avait été détournée par les clercs de saint Ambroise.
Saint Ambroise avait prohibé cette coutume, même si les chrétiens la pratiquaient sans faute,  pour ne pas donner de prétexte à l’ébriété, et parce qu’elle était apparentée aux superstitions des Gentils.  De même, dans sa cité de Dieu (livre 8, chapitre 27), saint Augustin écrit qu’il est préférable que les chrétiens n’agissent pas ainsi, même si ceux qui le font n’ont pas l’intention d’offrir un sacrifice aux morts, mais de poser des mets,  sur la tombe des saints, pour que Dieu les sanctifie par les mérites des martyrs.  Que saint Augustin n’ait jamais pensé que c’était une mauvaise chose de vénérer les sépulcres des saints, sa lettre 42 ( aux Mandorenses) nous le montre : « Vous voyez les plus puissants et les plus nobles de l’empire,  après avoir déposé leurs diadèmes, supplier Dieu devant le tombeau du pêcheur de Galilée. »  Il est à noter que saint Augustin a écrit cela à des idolâtres pour montrer que le culte des idolâtres a été détruit par les chrétiens.
De plus, quand saint Augustin blâma  les adorateurs de sépulcres, il ne blâma certes pas saint Jean Chrysostome et saint Jérôme, mais les foules ignorantes.   Or, saint Jean Chrysostome (dans son sermon sur les saints Juventius et Maximus), dit : « Nous adorons les tombeaux des martyrs. »  Et saint Jérôme (dans sa lettre à Marcella) dit que les sépulcres et les cendres de saint Jean-Baptiste, d’Élisée et d’Abdias  sont adorés à bon  droit par les fidèles de Palestine.   Gaudence Brixianus, l’égal de saint Ambroise, (dans son traité 4 sur l’Exode) dit : « Les hommes ont d’abord commencé à préparer pour les morts,  des repas qu’ils mangeaient  eux-mêmes.  Ils osèrent ensuite leur offrir des sacrifices sacrilèges, même s’ils n’en sacrifiaient pas moins leurs parents aux morts.  Pendant qu’ils répandaient le vin  sur les tables des sépulcres avec leurs mains que l’ivresse faisait trembler, ils balbutiaient et déliraient. »   Il montre ici que cette coutume erratique était une survivance païenne.  Il se peut donc que certains aient continué après leur conversion au christianisme à sacrifier aux morts, mais ce n’est pas une raison pour abolir le culte envers les reliques.
Réponse au cinquième argument. Nous nions que les reliques qui étaient présentées, dans les temples, à la vénération des fidèles, aient été de fausses reliques. Car l’Église a toujours veillé avec le plus grand soin à écarter et éventer les fraudes, et surtout après le décret du concile de Latran, voulant qu’aucune relique ne soit reçue sans l’autorisation du pontife romain.  Au sujet du « si ce sont des martyrs » de saint Augustin, je réponds qu’il ne faut pas se surprendre que saint Augustin ait douté de certaines reliques  que des hommes privés faisaient circuler.   Nous parlons, nous, des reliques qui sont conservées dans les temples.  Au sujet des nombreux corps de martyrs et de saints, je dis que plusieurs parties de ces mêmes corps sont conservées dans des endroits différents, et que chaque partie porte le nom du tout.  Car, comme l’écrit saint Basile (dans son discours sur les quarante morts), on disait que ces martyrs étaient dans plusieurs places à la fois, parce que chaque église en possédait une partie.  Theodoret dit au livre 8 des martyrs : « Il est rare qu’on trouve, en un endroit,  les corps des martyrs dans leur intégralité, car ils ont été coupés en plusieurs morceaux, et distribués ici et là.
Enfin, saint Jean Chrysostome dans son livre sur la divinité du Christ, dit que les apôtres Pierre et Paul reposent et à Rome, et à Constantinople, même si, à Constantinople, ne se trouvait qu’une infime partie de leurs corps. Car, que les corps de Pierre et de Paul aient été ensevelis à Rome, le même saint Jean Chrysostome l’atteste dans son homélie 32 sur l’épitre aux Romains.  Mais, écoutons ses paroles tirées du texte cité : « C’est à Rome, qui de toutes les villes est la plus royale, qu’après avoir tout abandonné, accourent aux sépulcres du pêcheur et du faiseur de tentes, les rois, les chefs et les militaires.  Et, à Constantinople, nos empereurs estiment une grande faveur que leurs corps soient ensevelis non près des apôtres, mais à l’extérieur de leurs vestibules, et de devenir, eux, les rois, les portiers des pêcheurs. »
                                        CHAPITRE 5
                              Du mot image et idole
Vient ensuite la dispute sur le culte des images, qui comprendra huit parties.  On doit d’abord parler du nom image, du nom idole, et des simulacres.  On se demandera ensuite quels furent les ennemis des images. Et : est-il permis d’avoir des images ? Ensuite, est-il permis de leur rendre un culte ? Et, de quel culte s’agit-il ?  À ces parties, j’ajouterai un traité tripartite sur la croix.  Nous traiterons d’abord de la vraie croix du Christ; ensuite de l’image permanente de la croix, puis du signe de la croix.
Commençons par les mots.  Dans son trésor, Henri Stephanus écrit au mot eidôlon que les ecclésiastiques appellent idole  tout simulacre représentant une divinité quelconque que nous jugeons digne de culte et d’honneur. Il s’ensuit donc que, pour les ecclésiastiques, les images du Christ et des saints et surtout de la très sainte trinité sont à bon droit appelées idoles.  Et si, par ecclésiastiques, Henri entend ses docteurs, Calvin, Pierre martyr et les autres, il dit vrai, car ils n’ont jamais appelé autrement nos images.  Mais si, par ecclésiastiques, il entend les saints pères, ou les apôtres ou les prophètes, ce qu’il dit est d’une grande fausseté.   Car, le  synode 7, (actes 5 et 7,)  anathématise ceux qui appellent idoles les images du Christ et des saints.  Ensuite, Origène (homélie 8 sur l’Exode) et Theodoret (question 38 sur l’Exode) commentant Exode 20, « Tu ne feras pas d’idole (que les septante ont traduit par eidôlon),  et d’autre chose semblable », disent que la différence entre l’image et l’idole consiste en ce que l’image est une vraie représentation d’une chose, (comme quand nous peignons un homme ou un cheval, le mot image venant du mot imitation), mais que l’idole est une fausse représentation, c’est-à-dire la représentation d’une chose qui n’existe pas.
 Les statues de Vénus et de Minerve faites par les païens étaient des idoles parce qu’elles représentaient des dieux sexués qui n’existent pas.  Elles n’étaient donc pas de vraies représentations, mais de fausses images, car, de toute évidence, ce qui n’existe pas ne peut pas être représenté.  C’est ce qui nous fait comprendre que les images du Christ et des saints ne sont pas des idoles.  Les images de la trinité ou des anges ne sont pas non plus des idoles, car elles n’ont pas pour but de représenter la nature de la trinité ou de celle des anges, mais à exprimer une forme dans laquelle ils sont apparus, ou une de leurs propriétés.
Que ce soit cela,  selon les ecclésiastiques, la véritable différence entre ces deux mots, on le prouve d’abord par l’Écriture qui n’a jamais donné le nom d’idole à une vraie image, mais seulement aux simulacres des Gentils, qui représentaient de faux dieux.  L’Écriture appelle le Fils de Dieu l’image du Père, (Sagesse 7, Coloss 1, et aux Hébreux 1).  Elle ne l’appelle jamais l’idole du Père.  Et, à 3 Rois 7, on dit que, pour orner le temple, Salomon a fait des images de Chérubins sous forme humaine.  Il a fait aussi des images de lions, de bœufs, de palmes, de fruits,  de fleurs, qui ne sont jamais appelés des idoles parce qu’elles étaient de vraies représentations des choses.
Deuxièmement, parce que l’Écriture de l’ancien testament appelle ordinairement idole (mot hébreu) comme au Lévitique 19, 26, et ailleurs comme Nombres 23, Osée 6, etc.  Ce mot hébreux signifie vain, faux, ou vain et mensonger.   Elle appelle même le mot hébreu  idole mensonge, comme le note saint Jérôme dans Osée, chapitre 7, où l’on voit que le mot idole signifie toujours quelque chose de faux.  Habacuc 2 : « Quel profit le sculpteur tire-t-il de son idole, qui n’est qu’une invention et une image fausse ?  Le mot idole est clairement défini comme une image fausse.   Platon dit quelque chose de semblable dans Theetete : (mots grecs). Ce qui veut dire : «  ils font plus de cas des mensonges et des idoles que de la vérité. » Dans ce texte, Platon joint l’idole avec le mensonge, et l’oppose à la vérité.
Troisièmement, saint Paul (dans 1 Corinthiens 8) dit : « Nous savons qu’une idole n’est rien dans le  monde. » Il dit ici, qu’une idole n’est rien, parce que, bien qu’elle soit quelque chose selon la matière, elle n’est rien formellement, puisqu’elle représente ce qui n’est rien.  Elle n’est donc pas une vraie représentation, et en conséquence, elle n’existe tout simplement pas.   Saint Jérôme présente quelque chose de semblable au chapitre 7 d’Osée, pour prouver qu’une idole n’est rien.  Car, il est dit dans Esther, 14 : « Tu ne livreras pas ton sceptre à ceux qui ne sont rien », c’est-à-dire les idoles. Quatrièmement.  Saint Jérôme (chapitre 2 d’Habacuch, et au chapitre 13 de Zacharie, et ailleurs, compare les hérésies avec les idoles, car, comme l’idole est une fausse image, l’hérésie est une fausse imagination.
Cinquièmement. Ce que le mot exprime par lui-même.  Comme Tertullien l’enseigne (dans son livre sur l’idolâtrie), l’idole est un diminutif de eidos, c’est-à-dire forme, et signifie une forme petite, non en quantité seulement,  mais en perfection.  Car, l’idole est proprement (comme l’explique Eusthatius dans le livre 11 sur l’Odyssée), une image vaine, comme celle qu’on voit dans l’ombre d’un homme, et comme sont les phantasmes, c’est-à-dire les images que notre imagination fabrique, qui ne correspondent souvent à rien dans la réalité.  Et comme sont les spectres et les ombres des morts, qui paraissent solides, mais sont vaporeuses.  Voilà pourquoi  Homère (dans Odyssée 11) et Lucien (dans le dialogue sur les morts), appellent les âmes des morts des eidôla. Et Virgile, dans le sixième livre des Énéides, semble expliquer la même chose.
Ce qu’Homère et Lucien appellent eidola,  il les appelle lui des ombres, et des images vaines et inutiles. En conséquence, parce que le mot idole, de par sa signification propre et première, désigne une image vaine,  c’est pour cette raison que les écrivains sacrés et les docteurs ont appelé idoles les statues des faux dieux.  Car, bien qu’elles soient solides matériellement, elles sont vaines formellement, c’est-à-dire vaines en rapport avec la représentation.  Que cela suffise pour le mot idole.
Le mot simulacre est un peu plus commun à tous.  Car, Lactance (livre 6, chapitre 10 et 13, sur le vrai culte), appelle l’homme un simulacre de Dieu, et (au livre 2, chapitre 2,  de l’origine de l’erreur), il déclare que le mot simulacre vient de  similitude, et que toute vraie image peut être dite un simulacre.  Mais ce que les autres disent semblent être plus vrai, ceux qui disent que le mot simulacre ne vient pas de similitude mais de simulation.  Car, dans les Écritures, partout, le mot simulacre signifie idole.  Car, à chaque fois que le traducteur latin a mis le mot simulacres (Actes 15, psaume 113, 1 Jean, dernier chapitre), on trouve toujours en grec le mot eidôla.  Et, dans le psaume 135, saint  Augustin dit :  « Les latins appellent simulacres ce que les Grecs appellent idoles. »  Saint Jérôme, également, dans le chapitre 7 d’Osée, dit que le simulacre s’oppose à Dieu comme un mensonge s’oppose à la vérité, parce que le simulacre se réfère à un faux dieu.  Enfin, comme Homère et Lucien appellent idoles les ombres des morts,  qui semblent des corps solides, mais qui ne le sont pas, de même Lucrèce (livre 4), et Virgile (livre 4 des Georgiques, et au livre 6 des Énéades), appellent simulacres les mêmes ombres des morts.
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                                              CHAPITRE 6
                                 Les princes des iconoclastes
 Les premiers iconoclastes furent tous des Juifs, des Mahométans, ou des Mages, ou des hérétiques manifestes, de sorte que ceux qui, à notre époque, combattent les images ne peuvent nier que leurs prédécesseurs et leurs ancêtres ont tous été des impies.  Alphonse de Castro attribue cette erreur  à un certain Félix, qu’il dit avoir été condamné au concile de Franconie, au témoignage de Platina, dans Adrien 1.   Mais on ne peut pas savoir de quel Félix il s’agit.  Il l’a attribuée aussi à Serenus, évêque de Marseille, que Grégoire a réprouvé (livre 7, épitre 109, et livre 9, épitre 9.) Il l’attribue ensuite à Épiphane, dans l’épitre qu’il écrivit à Jean de Jérusalem.  Mais aucun de ceux-là (n’en déplaise à Alphonse), n’est tombé dans cette erreur. Car, le Félix condamné dans le concile de Francfort est l’évêque Félix urgelitanus. Ce Félix-là (comme le montrent la chronique d’Adon, et le livre 1 sur Jonas), a enseigné seulement que le Christ était un fils adoptif de Dieu.  Mais, parce que, au même temps, le même concile avait réprouvé le pseudo concile des Grecs contre les images, Platine et Alphonse ont pensé que l’hérésie de Félix était une hérésie iconoclaste.
 Serenus, il est vrai, a brisé des images, mais il ne faut quand même pas en faire un hérétique iconoclaste.  La raison pour laquelle il a brisé des images c’est qu’il voyait des chrétiens nouvellement convertis les adorer  comme des dieux.  Voilà pourquoi saint Grégoire a loué son zèle et sa foi. Il ne lui a reproché que sa témérité, car il a osé faire ce qu’aucun évêque n’aurait jamais fait.  Il lui mande ensuite d’expliquer pourquoi l’Église met des images dans les églises, et, après avoir donné un enseignement suffisant, de replacer les images dans le temple.  Il n’y avait pas lieu, comme le voudrait Castro, de trouver une excuse à l’hérésie de Serenus et d’Épiphane, parce que la chose n’avait pas encore été déterminée.  On aurait raison de dire que la  chose était suffisamment déterminée par l’usage de toute l’église, mais ils ne dirent ou ne firent rien contre la foi ou la vérité.  Et surtout Épiphane, qui a été purgé de tout soupçon d’erreur iconoclaste dans le synode 6 (acte 6, tome 5). Nous en reparlerons plus loin.  Ce n’est certes pas sans témérité et sans préjugé envers la foi catholique qu’on attribue à de si grands hommes des erreurs aussi crasses.
 Nicolas Sanderus (livre 1, chapitre ultime, sur les images) dit que les manichéens furent les premiers iconoclastes.  C’est, en effet, ce que semble vouloir dire Tharasius dans le septième synode, et ce que dit Faust, d’après saint Augustin (livre 20, chapitre 3 contre Faust.) : « Il se glorifie que les hommes de sa secte honorent Dieu sans simulacres. »  Mais, en est-il vraiment ainsi, j’en doute fortement.  Car, Tharasius (synode 7, acte 5) ne dit pas que les manichéens ont rejeté les images, mais  il dit que, quand ils répudient les images,  les iconoclastes ressemblent aux  manichéens qui soutenaient que le Christ n’avait pas de vrai corps.  Car, celui qui nie qu’on puisse peindre le Christ semble penser qu’il n’a pas de vrai corps.  Voilà pourquoi  le Faustus que nous  présente saint Augustin ne parle pas des images des saints, mais seulement des images de Dieu. Voilà pourquoi également Faustus ne reproche pas aux catholiques d’avoir des images, et saint Augustin ne reproche pas aux manichéens de ne pas avoir d’images.
 Donc, les premiers iconoclastes sont les Juifs, qui dans le Talmud édité en l’an 476 (ord. 2, tract 1, dist 2) enseignent en toutes lettres que les églises des chrétiens sont des maisons d’idolâtrie.  Que cela a été dit à cause des images, le septième synode nous le laisse à penser puisqu’il appelle souvent les hébreux des iconoclastes.  Les dialogues de Léonce, également,  où un Juif discute avec un chrétien sur les images.
 Au temps de l’empereur Zénon, a vécu un certain Xenajas, qui a été le premier des iconoclastes, d’après Nicéphore (livre 16, chapitre 27), et Cedrenus (dans sa somme).  Ce Xenajas était un perse et un barbare,   et même un esclave fugitif.  Et sans avoir été baptisé, il fit semblant d’être un chrétien, et parvint même à l’épiscopat. Mais, bien qu’il ait enseigné  de ne pas vénérer les images, on ne lit pas qu’il parvint à en persuader un grand nombre.  Et cent ans après, sous l’empereur Justin junior, les samaritains firent irruption dans une église, et se sont comportés comme des vandales  envers les images du Christ et des saints, comme nous le révèle l’épitre de l’ermite Siméon à l’empereur Justin (synode 7, acte 5.)
Un peu après l’an du Seigneur 600, est né Mahomet qui ne permit aux hommes de sa secte, aucune image dans leurs églises, (Alcoran, chapitres 15 et 17), comme l’expérience nous l’enseigne d’ailleurs.  Les Turcs non plus, n’ont pas d’images, et, à cause de notre culte des images, ils nous considèrent comme des idolâtres.  Et, après l’année 700, un hébreu maléfique promit trente ans de vie au roi arabe mahométan Exidiius si, dans tout son empire, il ordonnait d’enlever et de bruler les images du Christ et des saints qui se trouvent dans les églises.  Mais, comme les chrétiens n’obéirent pas à ses ordres,  il envoya des arabes et des hébreux dans les églises qui accomplirent sans sourciller la sale besogne.   Or le roi Exidius mourut l’année suivante.  Et l’Hébreux en question a été contraint, par le nouveau roi,  de subir la mort la plus honteuse.  Cette histoire est racontée par le synode 7, acte 5,  ainsi que par Cedrenus, Zonora, et Niceta dans la vie de Léon Isaurien.
 Un peu après, l’empereur Léon Isaurus a été persuadé par les Juifs de faire la même chose.  Par un édit public, il ordonnait d’expulser des temples et de détruire toutes les images.  Et il dit qu’il  fallait tuer ceux qui résistaient, si nombreux fussent-ils.  C’est alors qu’a été inventé le mot iconoclasme. Les auteurs en sont Cedrenus, Zonaras, Paul diacre, etc.  Il fut le premier chrétien à partir en guerre contre les images.   Car, même si Philippicus, au témoignage du diacre Paul, déposa les images des six synodes, ce n’est pas en haine des images qu’il fit cela, mais en haine du sixième synode. Car, Philippe fut un monothélite et non un iconoclaste.  Si l’empereur a mal agi ou bien, on peut en juger par le fait qu’il a préféré, dans cette question, adhérer aux conseils des Juifs maléfiques plutôt qu’à ceux du pape saint Grégoire et de saint Germain, patriarche de Constantinople qui siégeaient, et qui résistèrent énergiquement à l’empereur. Que le pape d’alors était bien saint Grégoire et le patriarche de Constantinople saint Germain, tous les historiens, autant grecs que latins, l’attestent.   Résistèrent aussi à Léon douze sages qui étaient nourris aux frais du gouvernement, et qui étaient les meilleurs et les plus sages.  Léon les fit mourir en mettant le feu à leur maison et à leur bibliothèque. Voir Zonaras dans la vie de ce Léon.
 Le fils de ce Léon, Constantin Copronyme suivit son père dans son impiété. En signe de sa future impiété, la fontaine sacrée, lors de son baptême,  émit une odeur de fumier.  Il fut de plus un nécromancien, et un hérétique nestorien, car il ne croyait pas que Marie était mère de Dieu, comme le rapportent Zonara et Cedrenus. Sanderus nous avertit que Guillaume Xilandrus n’a pas, dans cette histoire, traduit fidèlement les paroles de Cedrenus.  Car là où Cedrenus a écrit que Constantin avait exigé de tous ses sujets, qu’ils fassent serment « de ne jamais adorer d’images », il a traduit les mots grecs employés par « de ne faire de supplications à aucun simulacre. » Or, les chrétiens avaient coutume de vénérer les images, non de les supplier comme si elles étaient vivantes et intelligentes.  Mais il n’est pas étonnant que celui qui n’a pas foi en Dieu soit sans foi quand il traduit des livres.
 Ensuite, après l’an 800, après une certaine accalmie, la guerre contre les images a été relancée par l’empereur Leon Armemius.  Et ceux qui lui succédèrent, Michaële Balbo et Theophilo qui furent tous les deux très mauvais, adhérèrent finalement à la secte judaïque, et s’adonnèrent à la nécromancie, comme l’attestent Cedrenus et Zonaras dans leurs vies.  Au même moment où Theoplile, en Orient, attaquait les images, vécut, en Occident, sous l’empereur Louis le pieux, fils de Charlemagne, l’espagnol Claude, évêque de Taurinensis, disciple de Felix urgelitanus qui fit enlever, dans son diocèse, toutes les images et toutes les croix de toutes les églises.  C’était un homme ignorant et orgueilleux, comme il appert de son libelle qui a été inséré dans les livres de Jonas.  Il s’est efforcé de ranimer  l’hérésie arienne déjà ensevelie.
 Et puis, en l’année 1372, est apparu Jean Wiclef qui ne blâma qu’en passant la vénération des images, mais ses disciples combattirent les images avec plus de hargne.  Voir Thomas Waldensis (tome 3, tit, 19).  Claudius Coussordius attribue la même erreur aux Waldenses, dans son livre contre les Wldenses, dernier article.  Jean Cochlaeus  (livre 3 de son histoire des Hussites), écrit que l’image du Christ crucifié a été jetée par Jérôme de Prague,  et polluée  par du fumier, pendant que dans sa cellule, il adorait l’image de Wiclef couronné d’un diadème. Ensuite, en notre siècle, le premier à avoir enlevé les images des temples fut Andreas Carolstad, en l’an 1522, comme l’atteste Jean Cochlaeus dans sa vie de Luther.  Luther blâma l’auteur, même s’il approuvait ce qu’il avait dit, parce qu’il avait agi ainsi sans en avoir reçu  le pouvoir et l’autorisation de Luther.   De même, les Zwigliens, luttèrent contre les images, comme l’écrit Cochlaeus dans les actes de Luther de l’année 1526.  Philippe aussi, expliquant le décalogue dans les lieux communs, réprouve la vénération des images.  De même, les magdebourgeois (centurie 8, souvent, mais surtout aux chapitres 9 et 10.) Enfin, Jean Calvin (livre 1, chapitre 11, livre 4, chapitre 9, verset 9),  réprouve avec acharnement le culte des images.  Et les calvinistes, partout où ils le peuvent, détruisent, brulent et enfouissent les images.
                                        CHAPITRE 7
  Il est permis de  faire et d’avoir des images
 Cela étant dit, pour montrer que l’usage des images est permis aux chrétiens, nous allons présenter et réfuter les erreurs qui s’y rapportent.  La première erreur est celle des Juifs, qui était, avant le Christ, très enclins à l’idolâtrie, et qui, après le Christ, sont, par superstition, contre les images.  Car, ils disent qu’il est interdit,  de droit divin, de faire des images,  au témoignage de Paul Burgens.   Il ajoute ( 2 à Lyre, sur le chapitre 20 de l’Exode),  que les Wiclefistes enseignent la même chose, (d’après Waldenses, tome 3, titre 19, chapitre 152.)  La raison qu’ils donnent est qu’il est dit dans Exode 20 : « Tu ne te feras pas de sculpture, ni non plus d’image. »  Or, c’est une erreur manifeste.   Car, il est certain que n’est pas prohibée dans le décalogue toute image, mais celle-là seule qu’on peut  appeler idole, c’est-à-dire une image qui représente une divinité, ou qui présente comme dieu un être qui ne l’est pas.  Car, quand il est dit : « Tu n’auras pas de dieux étrangers », c’est l’acte intérieur d’idolâtrie qui est prohibé.  Quand on dit : « Tu ne feras pas de statue », c’est l’acte extérieur qui est prohibé.  Voir saint  Augustin sur la question 71 dans l’Exode.
 On prouve cette sentence. D’abord, si c’était n’importe laquelle image qui était prohibée, il s’ensuivrait que les préceptes du décalogue ne seraient pas seulement dix, mais onze ou douze (Exode 31, 34,), Deutéronome (4, 9, et 10).   Car il est avéré que le premier commandement est : « Tu n’auras pas de dieux étrangers. » Le deuxième : « Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain ». Le troisième : « Tu sanctifieras le sabbat. »  Le quatrième : « Honore des parents. »  Le cinquième : « Tu ne tueras pas. » Le sixième : « Tu ne commettras pas d’adultère. »   Le septième : « Tu ne voleras pas. »  Le huitième : « Tu ne diras pas de faux témoignages. » Le neuvième : « Tu ne convoiteras pas ».  Ces neuf sont distincts,  sans aucune controverse.
 Mais le « tu ne convoiteras pas » doit être divisé en deux : tu ne convoiteras pas la femme d’autrui; tu ne convoiteras pas les biens d’autrui.   Si on ajoute : « tu ne te feras pas de statue », on aura un onzième commandement, ou il faudra dire qu’il ne se distingue pas du premier, comme l’enseignent Clément d’Alexandrie (livre 6,  strom), saint Augustin (question 71 sur l’Exode, et épitre 119, chapitre 11, et l’ensemble des scolastiques (3 sent, dist 37), et tous les catéchismes latins. Mais alors, on ne prohibe pas les sculptures en général, mais seulement celles qui représentent des dieux étrangers.
 Si le « tu ne convoiteras pas » ne forme qu’un seul commandement (qui inclut les personnes et les biens), comme l’estiment Philo (livre sur le décalogue, avant le milieu, Joseph (livre 3 de l’antiquité, chapitres 6 et 8) Origène (homélie 8 sur l’Exode), Ambroise et Jérôme (chapitre 6, Éphésiens), Procopius et Rupert (chapitre 20, Exode), alors, tous les mots qui suivent seront un seul précepte :  tu ne te feras pas de sculpture, tu ne les adoreras pas.  Mais il est évident que faire des images et adorer des images sont deux choses distinctes.   Car quelqu’un peut adorer une statue qu’il n’a pas faite, et ne pas adorer une statue qu’il a faite.  Une seule de ces choses est donc interdite, car, autrement il y aurait onze préceptes.  Or, il est certain que le culte des images est prohibé.  La fabrication ne l’est donc pas, mais seulement celle qui se rapporte au culte.  En conséquence, pèche celui qui fait une statue pour qu’elle soit adorée, mais non celui qui en fait une pour un autre usage.
 On prouve ensuite par la loi divine que les images ne sont pas interdites absolument, du fait que, dans l’Écriture, des images ont été faites sur l’ordre de Dieu.  Dans l’Exode 25, Dieu ordonna de faire des images de chérubins sur l’arche.  À Nombres 21, il ordonna de faire un serpent d’airain. À 3 Rois, 6 et 7, il ordonna de faire des chérubins,  des bœufs, des lions et d’autres choses.  Les Juifs répondent que c’est Dieu qui l’a prescrit aux hommes, non les hommes à eux-mêmes.  De plus, il a ordonné qu’on construise des images comme il avait interdit le vol; et pourtant, il a ordonné aux Juifs de voler les Égyptiens (Exode 12).
 Mais, au contraire, les préceptes du décalogue sont des formulations du droit naturel, à l’exception de celui du sabbat.  Or, les choses qui sont prohibées par le droit naturel le sont parce qu’elles sont mauvaises en soi.  Elles ne sont pas mauvaises parce qu’elles ont été interdites; et elles ne peuvent donc pas être commandées par Dieu lui-même.  Dieu n’a jamais commandé le vol, mais, en tant que Seigneur, il a donné aux Juifs les biens des Égyptiens.  De plus, si les images étaient interdites, ce serait surement à cause du danger d’idolâtrie. Or, le danger serait le même si Dieu ordonnait qu’on en fasse. Il serait même encore plus grand parce qu’elles sembleraient plus divines, comme il est arrivé pour le serpent d’airain (4 Rois 18).  Dieu n’a donc pas prohibé les images d’une façon absolue.
 On le prouve, en troisième lieu, parce qu’on ne considère jamais comme prohibé ce qui n’est, en aucune façon, contraire à la fin de la loi.   Or, la fin des préceptes de la première table est que l’honneur de Dieu soit conservé sans tache, comme on le constate par le début du décalogue : « C’es moi qui suis le Seigneur ton Dieu. »  De même, de cette menace : « Je suis un Dieu jaloux. »  Et de l’explication d’Exode 20 : « Ne faites pas, avec moi, des dieux en or, en argent. »  De même, du Lévitique 26 : « Ne faites pas de sculpture ou d’idole pour les adorer. »  De même, d’Isaïe 42 : « Moi, le Seigneur, je ne donnerai pas ma gloire à un autre, et ma louange aux statues. »  Donc, une statue qui n’est pas faire pour être vénérée n’est pas contraire à l’honneur de Dieu.  Elle n’est donc pas prohibée.
 Tu diras qu’une image est une occasion d’idolâtrie.  Je réponds que même le soleil et la lune, et beaucoup d’autres choses le sont,  mais par accident.  Quatrièmement.  L’art de peindre et de sculpter est quelque chose de bon, et vient donc de Dieu, comme on le voit dans Exode 31 et 35, où il est dit que Dieu a donné à deux hommes, Beseleel et Ooliab, son esprit, la sagesse et la science de la sculpture, et la capacité de concevoir divers ornements pour le tabernacle.  Cinquièmement.   Dieu est le premier auteur de toutes les images naturelles et artificielles, car c’est Lui qui engendra un Fils  à son image, et qui forma l’homme à son image.  Sixièmement, l’image est selon la nature, et est nécessaire.  Car, toutes les choses naturelles produisent quelque chose qui leur est semblable, c’est-à-dire une image d’elles-mêmes. C’est par des images que l’homme connait, soit avec ses sens ou son intelligence. Nous ne pouvons pas marcher dans la lumière sans que nos corps produisent une ombre, qui est une image de notre corps.  Les vêtements eux-mêmes sont des images de notre corps, et ils ont été faits pour le recouvrir.  De plus, au temps du Christ, les Juifs avaient l’image de César sur leur monnaie (Matthiieu 22), et, même aujourd’hui, ils conservent les images des princes sur les pièces d’argent.  Comment peuvent-ils donc dire qu’on ne peut faire aucune image ?  Ils changeraient sans doute d’idée si on cherchait à leur enlever les images qui se trouvent sur leur monnaie.
 La seconde opinion est celle d’Ambroise Cathare (dans son opuscule sur les images), où il enseigne que Dieu, dans le décalogue a prohibé toutes les images absolument et universellement;  mais que ce précepte a été positif et temporaire.  Car, quand Dieu a ordonné de faire des images de Chérubins, c’était pour montrer que les images n’étaient pas mauvaises en soi, mais mauvaise seulement parce que prohibées, et pour ne pas préjuger du nouveau testament dans lequel les images seraient permises.  Mais cette opinion nous ne l’approuvons pas et à cause des arguments que nous venons de présenter contre les Juifs, et parce que saint Irénée (livre 4, chapitres 31 et 32), enseigne que le décalogue est la loi naturelle, à l’exception du précepte sur le sabbat.  Et Tertullien (dans le livre de l’idololâtrie), soutient que nous devons plus que jamais observer ce précepte.  Enseigne la même chose saint Cyprien (livre 3 , chapitre 59 à Quirinus, et dans l’exhortation au martyre, chapitre 1), et saint Augustin  affirme souvent que tout le décalogue toit être observé par les chrétiens, à l’exception de la loi sur le sabbat, et même aussi : tu ne feras pas d’idole.  Voir aussi livre 15 (contre Faust, chapitres  4 et 7,  livre 19, chapitre 18, livre 3, contre 2 épitre contre Pelagianus, chapitre 4).   Saint Thomas dit la même chose (2, 2, quest 122, articles 1 et 4).  Donc, si dans le décalogue les images étaient prohibées, les chrétiens pècheraient en gardant des images.
 Tu diras que dans le décalogue le précepte sur le sabbat est positif au moins en partie.  Rien n’empêche donc que le commandement interdisant les images soit positif en partie lui aussi.  Je réponds que, dans le précepte du sabbat, rien n’indique qu’il soit positif.  Car, d’abord il est précédé de « souviens-toi ».  Car, comme ce précepte n’était pas un précepte naturel, il pouvait d’autant plus facilement être oublié par les Israélites.   Ensuite, on donne la raison du précepte : parce que le Seigneur s’est reposé le septième jour.  Pour les autres commandements, on ne s’est pas cru obligé de donner des raisons explicatrices, car ils étaient naturels.  De plus, Irénée, Augustin et Thomas  n’excluent clairement que le sabbat des préceptes naturels du décalogue.
La  troisième opinion est celle de Cajetan (au chapitre 20 de l’Exode) qui enseigne qu’il n’est pas interdit de faire des images en général, mais seulement celles qui représentent leurs  dieux.  Et il le prouve en faisant observer qu’on n’a pas dit : tu ne feras pas de sculpture, mais tu ne te feras pas d’idole.   Cette sentence déplait seulement dans la façon de s’exprimer, car, pour Cajetan, l’idole et l’image sont la même chose quand elles sont fausses, comme on l’a montré plus haut.  Il semble donc enseigner qu’il est permis à un sculpteur de faire des statues de dieux, pourvu qu’elles ne soient pas ses dieux à lui.  Mais Tertullien (dans out son livre sur l’idolâtrie), prouve avec des raison convaincantes, qu’il est interdit aux peintres ou aux sculpteurs chrétiens  de reproduire des idoles des Gentils.  Et l’Église célèbre le 8 novembre, le martyre des saints Claude, Nicostrate et leurs compagnons qui ont été tués parce qu’ils ont refusé de sculpter des statues de Jupiter et de Vénus, bien qu’ils aient été de grands statuaires.  Cajetan ne nierait pas cela non plus, car (à 2,2, question 10, article 4, il enseigne qu’il n’est pas permis de vendre des idoles aux païens.  Il a donc parlé un peu imprudemment dans son commentaire de l’Exode.  Le pronom « à toi » ne permet pas de rien conclure, car c’est un hébraïsme, un mot redondant, comme en Genèse 11, et dans les cantiques des cantiques.
                                                      CHAPITRE 8
                     Les  images de Dieu ne sont pas prohibées
 La quatrième opinion est celle de Calvin (livre 5, chapitre 11) où il dit, d’abord, qu’il est défendu de représenter le Dieu invisible et incorporel par une image visible et corporelle.  Il dit ensuite que les images du Christ et des saints ne sont pas prohibées absolument, mais qu’elles ne doivent pas être placées dans les temples.  Il ajoute que les histoires peintes ont leur raison d’être pour l’instruction, mais que, sans annotations, les images du Christ et des saints ne servent à rien sinon à plaire à l’œil, et sont donc faites inutilement.   Commençons par sa première opinion qui veut qu’on ne puisse  pas peindre d’image sur Dieu.  D’abord, parce que dans l’Exode 20, toute image de Dieu est prohibée.  Car, après que l’Écriture eut dit : tu ne te feras ni sculpture ni image, elle ajoute une explication un peu plus bas : « Ne faites pas, avec moi, des dieux d’or et d’argent. »  C’est-à-dire, ne faites pas d’images d’or ou d’argent qui représentent Dieu.  Et, au Deutéronome 4 : « Souviens-toi que le Seigneur t’a parlé sur le mont Oreb, tu as entendu le son de ces paroles, mais tu n’as vu aucune image.  Surveille-toi donc pour que tu ne sois faussement induit à produire aucune image. »  Et Isaïe 40 : « À qui avez-vous rendu Dieu semblable ? Ou quelle image lui avez-vous imposée ? Et, au chapitre 46 : « À qui m’avez-vous assimilé ou égalé, ou comparé  ? À qui m’avez-vous rendu semblable ?  Vous qui vous procurez  de l’or et pesez de l’argent et allez voir un statuaire pour  qu’il en fasse un dieu. » Ensuite, Actes 17 : « Paul dit : « Comme nous sommes de la race de Dieu, il ne faut pas penser que ce qu’il y a de divin dans la pensée de l’homme soit comparable à de l’or, de l’argent ou des pierres précieuses, ou à l’art des sculpteurs. »
 Il le prouve ensuite à partir du concile elibertin, canon 36 : « Il a plu au concile qu’il n’y ait pas de tableaux dans les temples, et qu’on ne peigne pas sur les murs ce que l’on vénère ou adore. » Il le prouve, en troisième lieu, avec les  pères.  Car Eusèbe (au livre de la préparation évangélique, chapitre 6, et livre 2, chapitre 8) et Lactance (livre 1, chapitre 15, des institutions divines), écrivent que tous ceux dont nous voyons les simulacres ont été des hommes mortels.  Il n’y avait donc aucun simulacre du Dieu immortel.   De même saint Augustin (sur la foi et le symbole, chapitre 7)  dit qu’il est défendu de conserver des simulacres de Dieu.  De plus, le même saint Augustin (livre 4, chapitres 13 et 31 de la cité de Dieu) rapporte que Varron a dit que les premiers qui ont introduit des simulacres des dieux ont diminué la peur et augmenté l’erreur. Et, au livre 6, chapitre 10, il rapportait une récrimination de Sénèque qui se plaignait que les dieux inviolables soient confiés  à de la matière vile et ignoble.  Il aurait pu ajouter aussi qu’Origène (livre 7 contre Celse, à la fin) et Jean Damascène (livre 4, chapitre 17 sur la foi) enseignent que les chrétiens n’ont aucune image de Dieu, puisqu’il est invisible et incorporel.  Ensuite, les pères du concile 7 (actes 4, 5, 6) ont dit que le Christ est peint licitement parce qu’il est un homme, mais que Dieu, on ne peut pas le peindre.
 Quatrièmement.  Il le prouve par le danger de l’erreur.   Car, même si saint Grégoire a écrit que les images sont les livres des ignorants, l’écriture appelle une image en bois une doctrine de vanité, (Jérémie 10),  un docteur de mensonge,  Habacuc 2) : «  Si donc, conclut Calvin, Grégoire avait été éduqué dans l’école de l’Esprit Saint, il n’aurait jamais dit qu’une image est le livres des ignorants. »  Cinquièmement. Il  le prouve par la raison, car on ne peut pas faire une vraie image corporelle d’une chose incorporelle.  Ajoutons enfin qu’on fait des images des absents, alors que Dieu est présent partout.   Cette opinion de Calvin est aussi celle de quelques catholiques comme Abulens (chapitre 4, question 5 sur le Deutéronome), Durand (3, dist 9. Quest 2) et Peresius (part 3 dans le traité des images), qui enseignent qu’on ne peut pas licitement faire d’image de Dieu, que l’Église peut le tolérer, mais non l’approuver.
 Je réponds aux trois.  Il n’est pas aussi certain qu’on puisse faire des images de Dieu et de la trinité, comme il l’est qu’on peut  faire des images du Christ et des saints.  Tous les catholiques sont d’accord  sur le dernier point, et le considèrent de foi.  Le premier point est du domaine des opinions   Il faut ensuite admirer la fraude et l’astuce de Calvin, lui qui, après avoir prouvé qu’on ne doit pas faire d’images de Dieu, généralise  tout d’un coup et chante victoire comme s’il avait prouvé qu’il n’est pas permis de faire ou de vénérer une image.  Troisièmement je dis qu’il est même permis de peindre l’image de Dieu le père sous la forme d’un vieillard, et l’Esprit saint sous la forme d’une colombe, comme l’enseignent Cajetan (dans 3 p q.25, article 3), Ambroise Catharin  (dans le livre sur le culte des images),  Diego  Payva  (dernier livre contre Kemnitius), Nicolas Sanderus (dans son travail sur le culte des images), Tomas Waldensis (tome 3, tit 19, chapitre 155).  Mais cela nous le prouvons ainsi.
 Premièrement, les anges sont incorporels, mais sont cependant peints et sculptés dans l’ancien testament (Exode 25, 3, Rois, 6).  Voilà pourquoi Dieu peut être peint même s’il est incorporel.  Calvin répond  que cela a  été fait dans l’ancien testament à des fins pédagogiques, mais que ce siècle enfantin est terminé.  Or, nous, nous ne nous demandons pas pour quelle raison cela a été fait, mais nous en concluons qu’on peut peindre un être incorporel.  Et puisque c’était pour instruire le peuple qu’on peignait des anges, pourquoi ne pourrions-nous pas peindre Dieu pour les mêmes raisons ?  Car, même si ce siècle est disparu, qui pouvait être appelé enfantin par rapport au nôtre, notre siècle peut être appelé enfantin lui aussi par rapport au siècle futur du ciel.
 Deuxièmement.   Dieu a été vu sous une forme corporelle.  Car, à Adam il apparut comme un homme déambulant dans le paradis (Genèse 3).
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Jacob vit Dieu au sommet de l’échelle, et donc sous une forme corporelle (Genèse 28).   Moïse a vu le derrière de Dieu, c’est-à-dire le dos et les jambes (Exode 33).  Isaïe, au chapitre 6, et Michée au chapitre 6, et au dernier chapitre des Rois, virent le Seigneur assis sur son trône sous la forme d’un roi.  Et Amos, chapitre 9,  a vu le Seigneur debout au-dessus de l’autel.  Daniel, chapitre 7, l’a vu assis sur son trône, a décrit sa tête et ses cheveux, ainsi que ses vêtements qui étaient blancs.  Le Saint Esprit est apparu sous la forme d’une colombe (Matthieu 3).   Ensuite, les anges sont fréquemment apparus sous une forme humaine.(Genèse 18 et 19, et dans le livre de Tobie).  On a les a vus avec des ailes, comme dans Isaïe 6,  et Daniel 7, en en robe blanche (Matth  dernier chapitre, Luc dernier chapitre,  et Jean 20. »  Qu’est-ce qui peut bien empêcher qu’on les peigne ?
 Calvin répond. Que pendant un certain temps Dieu se soit montré dans une forme humaine ce fut un prélude de l’incarnation.  La colombe est aussitôt disparue pour indiquer que l’Esprit Saint est invisible.  Mais, quel rapport ? Nous ne cherchons pas à savoir pour quelle raison ou à quel moment Dieu s’est manifesté sous une forme corporelle, mais nous soutenons que Dieu peut être peint sous la forme avec laquelle il s’est montré à nous.  Et ce n’est pas vrai qu’une manifestation de Dieu sous une forme visible ait toujours été un prélude de l’incarnation, car le Père et le Saint-Esprit se sont manifestés ainsi sans s’être jamais incarnés.  Saint Augustin (livre 2, chapitre 11 de la Trinité), estime que dans  les trois hommes qui sont venus visiter Abraham (Genèse 18), ce sont les trois personnes de la Trinité qui sont apparues.  Et au même livre, dernier chapitre, il prouve que, dans le chapitre 7 de Daniel,  c’est la personne du Père qui est apparue sous forme humaine, là où nous lisons que l’Ancien des jours est assis sur son trône, et qu’il a livré le royaume au fils de l’homme, le Christ.  Et pourtant ni le Père ni toute la trinité ne se sont incarnés
 Troisièmement. L’Écriture a attribué en paroles à Dieu tous les membres humains, quand elle dit qu’il se tient debout, qu’il s’assoit, qu’il marche.  Elle nomme sa tête, ses pieds, ses bras; elle leur attribue un lieu, un trône, un escabeau.  Pourquoi ne pourrait-on pas peindre ce que peint l’Écriture ?  Ils répondent que l’Écriture pouvait sans danger attribuer des membres à Dieu parce que, à d’autres endroits, elle affirme qu’il est incorporel.   Mais pourquoi, je le demande, la même Écriture n’aurait-elle pas pu empêcher l’erreur de la peinture ?  Car, comme nous apprenons par l’Écriture  que les membres qui sont attribués à Dieu le sont d’une façon métaphorique, nous apprenons, par la même Écriture, que les membres qui sont attribués à Dieu dans les peintures, le sont métaphoriquement.  Et les illettrés qui voient les peintures sans pouvoir lire les Écritures, peuvent et doivent recevoir de leurs pasteurs les explications adéquates, comme le concile de Trente le demande à la session 25.  Car, autrement, ce ne serait pas sans péril qu’on montrerait aux ignorants ces sortes de peintures.  Or, tout ce que nous soutenons ici c’est que ces sortes d’images ne doivent pas être condamnées dans l’absolu.
 Quatrièmement.   On peint même des choses qui peuvent encore être moins peintes que Dieu, comme les vertus, qui sont purement spirituelles, et qui ne sont même pas des substances, mais seulement  des accidents.  Pourquoi ne pourrait-on pas peindre Dieu ?   Cinquièmement.   L’homme est une vraie image de Dieu, et cette image de Dieu on peut la peindre.  On peut donc peindre aussi celle de Dieu. Car ce qui est l’image de l’image  est aussi un exemplaire.   Car, ceux qui sont semblables à un tiers sont semblables entre eux.  Ils diront que l’homme n’est pas une image de Dieu dans la partie qui peut être peinte, le corps,  mais dans celle qui ne le peut pas, l’esprit.  Je réponds que, s’il en était ainsi, l’homme ne pourrait pas être peint, car l’homme n’est pas un homme en raison de la figure et des couleurs qui sont les seules à être exprimées dans une image, mais l’homme est un homme en raison de la substance, et principalement de l’âme, qui ne peuvent pas être peintes.  On dit que l’homme est quand même vraiment et proprement peint parce que la figure et les couleurs de l’image ne représentent par seulement la figure et les couleurs de l’homme, mais l’homme au complet.   Autrement, il n’arriverait jamais  qu’une chose peinte  semble être la vraie chose.
 C’est ce qui est arrivé au raisin qu’avait peint Zeusis.  Les oiseaux accoururent pour le dévorer, au témoignage de Pline (livre 35, chapitre 10.)  Il en est de même dans notre cas. Puisque l’homme est à l’image de Dieu en raison de son intelligence et de sa volonté, l’homme qui est doué d’une intelligence et d’une volonté est appelé avec raison image de Dieu.  Car, dans la Genèse 2, Dieu n’a pas dit : « Faisons l’âme, mais faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ».  Et quand l’empereur punit ceux qui avaient brisé l’image de son épouse,   Macédoine lui dit (comme le rapporte Theodoret dans son histoire, chapitre 43) qu’il avait mal agi quand, pour ses images à lui, il a avait tué les images de Dieu.  Si tout l’homme est l’image de Dieu c’est tout l’homme qui est vraiment peint.  L’image de Dieu peut donc vraiment être peinte.  Mais, il demeure vrai que comme l’homme est une image de Dieu très imparfaite, obscure et dissemblable,  de même un homme peint est une image de Dieu très imparfaite, obscure et dissemblable.
 On le prouve enfin par l’usage de l’Église.  Car, ces sortes d’images sont acceptées presque  partout.  Et il n’est pas croyable que l’église ait toléré universellement quelque chose d’illicite.  Ajoutons que le  synode 7, acte 5, a approuvé une image du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe; et que le concile de Trente a admis les images de Dieu surtout dans les peintures des historiens.
 Pour solutionner les arguments, notons qu’on peut peindre quelque chose de trois façons.  La première.   Pour exprimer une ressemblance parfaite de la nature et de la forme d’une chose.  Et, de cette façon, seules les choses corporelles peuvent être peintes, celles qui sont dotées de lignes et de couleurs.  Et si quelqu’un essayait de peindre Dieu de cette façon-là, il ferait une vraie idole.    La deuxième. Pour rendre perceptible aux yeux une histoire.  Si quelqu’un voulait peindre l’expulsion d’Adam du paradis, il peindrait d’abord Dieu, sous forme humaine, marchant dans le paradis.  Ensuite, Adam et Ève nus, se cachant entre les branches.  Et  enfin,  un ange sous forme humaine brandissant un glaive, et expulsant Adam et son épouse.  Celui qui peindrait ainsi n’aurait certes pas l’intention de représenter la nature de Dieu ou celle des anges, mais seulement de rendre perceptible aux yeux par une peinture ce qu’il avait compris avec ses oreilles quand un autre lisait l’Écriture. Et, c’est de cette façon qu’on peut peindre Dieu.  La troisième.  On peut peindre aussi quelque chose pour expliquer la nature d’une chose non  par une similitude immédiate et propre, mais par une analogie, des métaphores,  et des significations mystiques.  Comme nous peignons les anges : jeunes, de haute taille, beaux, pieds nus etc, pour montrer qu’ils sont toujours puissants, qu’ils se déplacent rapidement, qu’Ils sont dotés de la splendeur de la grâce et des vertus.  Voir Denys l’aréopagite (chapitre ultime de la hiérarchie céleste.) C’est de cette façon qu’on peint les vertus.  Et l’homme lui-même, en tant qu’image de Dieu, fait partie de cette troisième façon, car entre Dieu et l’homme, la seule similitude qui existe est d’ordre analogique.  C’est aussi de cette façon que nous peignons Dieu le père, quand nous le peignons sous forme humaine.
 C’est de cette façon que nous peignons le Christ sous la forme d’un agneau, et que nous représentons les évangélistes sous la forme d’un aigle, d’un lion, d’un bœuf et d’un homme; et le Saint Esprit sous la forme d’une colombe  ou d’un feu de langues.  Il est cependant à noter qu’il ne faut pas multiplier cette sorte  d’image. Il ne faut pas tolérer non plus que les peintres osent représenter des images de la trinité à leur guise et à leur fantaisie.  Par exemple, qu’ils peignent un homme avec trois faces, ou un homme avec deux têtes avec, au milieu, une colombe.  On voit parfois ce genre de monstres, et  ils nuisent plus par leur difformité qu’ils aident par leur ressemblance.  Les ministres hongrois, dans leur œuvre contre la trinité (livre 1, chapitre 4) ont collectionné  plusieurs formes d’images de la trinité, et ils les proposent à la risée générale comme des monstres.  Ils les appellent des cerbères, des géryons, des  Janus à trois fronts, des monstres et des idoles.  Nos peintres ont certainement donné là une occasion de blasphémer.
 De plus, il faut noter que Bartholomée Caranza a erré  quand, dans sa somme des conciles,  il prétend que le canon 82 du sixième synode  avait prohibé l’image du Christ sous la forme d’agneau,  et du Saint Esprit sous la forme de la colombe.  Or,  le concile ne prohibe pas ces images, mais leur préfère les images du Christ de forme humaine.  Et c’est pourquoi, dans le synode 7, acte 2, on a lu l’épitre d’Adrien à Tharasius, dans laquelle on dit que le synode 6 a loué l’image du Christ en forme d’agneau.  Helias dit la même chose dans le synode 7, action 4.  La même chose Épiphane  dans le synode 7, acte 6.  Et, de plus, dans le synode 7 acte 5, a été approuvée l’image du Saint Esprit sous la forme d’une colombe.   Et ensuite, la raison que donne Bartholomée devrait conclure contre lui.  Car, il dit qu’ont été prohibées les images parce que, en présence de la vérité, les figures devaient cesser.  Or, ces images ne furent pas en usage dans l’ancien testament, mais n’ont commencé qu’après l’avènement du Christ.  Car l’image de l’agneau provient des paroles de saint Jean le Baptiste : « Voici l’agneau de Dieu qui efface le péché du monde. »  Et l’image de la colombe vient de la colombe qui est apparue au-dessus du Christ, lors de son baptême (Matth 3).
 Après toutes ces réflexions, il nous sera facile de répondre aux arguments des adversaires.  Au premier argument, on peut répondre d’abord que dans tous les textes de l’Écriture cités,  c’est l’image de Dieu du premier genre qui est prohibée.  J’estime, cependant, que quand on dit dans l’Exode 20 : « Ne vous faites pas, avec moi, des dieux en or et en argent,  » et semblablement, en Isaïe40 et 46, quand Dieu se plaint en disant : « À qui me rendez-vous semblable », il n’est pas question, au sens littéral, d’une image faite pour représenter le vrai Dieu, car les Juifs n’en faisaient pas, mais de simulacres quelconques qui étaient considérés comme des dieux.  Car, Dieu veut dire ceci : si, pour vous un simulacre en bois est Dieu, il s’ensuit que je suis semblable à un dieu de bois, puisque je suis dieu moi aussi.  Car, Dieu ne pourrait pas ne pas être semblable à un dieu.
 Au deuxième argument, je réponds que si le concile en question ne parlait que de l’image de Dieu (comme le veut Calvin), il n’y aurait aucune difficulté, car nous comprenons que le concile parle de l’image de Dieu du premier genre. Mais s’il parle de toutes les images, même de celles des saints, grande est la difficulté, dont nous parlerons plus loin.  Au troisième argument, Eusèbe et Lactance parlent des idoles des nations.  Ils veulent, en effet, démontrer que les dieux des nations ont été des hommes; et la preuve qu’ils en donnent c’est que toutes les idoles des Gentils sont des statues d’hommes dont on montre encore les sépulcres.  Dans la loi et le symbole, saint Augustin parle de l’image de Dieu du premier genre.  Varron, cité par Augustin, a eu raison de dire que ceux qui ont introduit des statues de dieux ont diminué la crainte, mais augmenté l’erreur.  Car quelques-uns en vinrent à penser que les simulacres eux-mêmes étaient des dieux, et, voyant qu’ils n’étaient de profit ni à eux ni aux autres, ils commencèrent à mépriser les dieux.  Et s’ils avaient cru que les simulacres n’étaient pas  des dieux,  mais des images des dieux, images non propres mais analogiques, ils n’auraient pas perdu leur crainte, et aucune erreur ne serait née du fait de ces images que nous voyons tous les jours.  Sénèque (selon saint Augustin)  se plaint qu’on ait présenté pour dieux ces simulacres, pour la raison qu’on vient juste d’énoncer, parce qu’ils pensaient que les simulacres étaient des dieux, ou que les dieux étaient semblables à ces simulacres.  Origène et saint Jean Damascène parlent de l’image du premier genre.
 Au quatrième argument je dis d’abord  que Calvin fait une injure à saint Grégoire en le blâmant. Car, quand saint Grégoire a dit que les images étaient les livres des illettrés, il ne parlait pas de l’image de Dieu, mais des images des saints, et surtout des histoires rapportées en images,  qui contiennent les mystères de notre rédemption.  Ainsi, ceux que Calvin oppose à Grégoire et qui disent que le bois est le docteur de la vanité ou du mensonge, parlent des faux simulacres des dieux et non des vraies images des saints.  Je dis, en second lieu, que ce sont les idoles qui sont des docteurs de mensonge parce qu’elles veulent être vues comme dieux, ou se référer à l’effigie de Dieu, alors qu’elles ne s’y réfèrent pas. Or, l’image de Dieu ou de la Trinité, comme elle est peinte par nous, est un docteur de vérité, parce que nous ne la tenons pas pour dieu, et nous ne la référons pas à l’effigie de Dieu. Nous ne nous en servons que pour donner à l’homme une certaine connaissance de Dieu par le moyen d’analogies et de comparaisons. Au cinquième, nous répondons que nous avons déjà montré comment on peut peindre des choses incorporelles.   Au dernier,  selon lequel on n’a coutume de ne peindre que ce qui est absent parce qu’on ne le voit pas,  et qu’on ne peut donc pas peindre Dieu puisque, même s’il est présent partout,  il est absent pour nous, je réponds que, s’il en était ainsi, on ne pourrait pas prier Dieu à voix haute, puisque les paroles sont pour ceux qui ne lisent pas les pensées, et que Dieu scrute les reins et les cœurs.
                                                CHAPITRE 9
       On a le droit de placer des images dans les temples
 Que ce soit un autre dicton de Calvin qu’on ne doit pas placer des images dans les temples, lui-même en donne les preuves (livre 1, chapitre 11 des institutions).  La première.   Dans les cinq premiers siècles, il n’y a pas eu d’images de saints dans les temples des chrétiens.  La deuxième.  Parce que le concile d’élibertin (canon 36) interdit de faire des images dans les temples.   La troisième.  Car, on ne peut pas placer une image, dans un endroit sublime, un temple, sans ériger aussitôt un signe d’idolâtrie.  Car, comme saint Augustin le dit dans son épitre 49 : « Quand ils sont exhibés  dans ces édifices sublimes à un endroit honorable, de façon à être vus par ceux qui prient et immolent , ils induisent, par la ressemblance de leurs membres et de leurs sens  avec ceux  des corps animés, et bien qu’ils soient privés de sens et d’âme, ils induisent, dis-je,  les âmes infirmes à penser qu’ils vivent et qu’ils respirent. »  Et, un peu après : « Parce qu’ils ont une bouche, des yeux, des oreilles et des pieds, les simulacres sont plus efficaces pour égarer l’âme malheureuse  que pour la corriger, du fait qu’ils ne parlent pas, n’entendent pas, ne voient pas et ne marchent pas. » Le même saint Augustin dit que, dans les temples des chrétiens,  il y a des vases en or et en argent mais non de ceux qui ont des bouches et ne parlent pas.  Il le confirme par 1 Jean, dernier chapitre, où Jean ne dit pas qu’il faut se garder du cule des simulacres,  mais des simulacres eux-mêmes, car on ne peut pas les conserver dans des temples sans qu’ils soient adorés.
   Quatrièmement, il le prouve en disant que les temples sont érigés pour des images et des icones  vivantes, et qui ont été instituées par Dieu comme le baptême qui est une image de la sanctification et de la grâce internes.  Ainsi que la cène sacrée qui est une image du corps du Seigneur.  Donc, comme les temples sont embellis par ces images vivantes, ils sont enlaidis par des images mortes.  Cinquièmement, il le prouve (livre 4, chapitre 9, verset 9) en citant l’épitre d’Épiphane à Jean de Jérusalem où il est dit que suspendre l’image d’un homme  dans une église est contraire à l’enseignement de l’Écriture, que ce soit celle du Christ ou des saints.  Sixièmement, ils ajoutent que l’empereur Adrien (au témoignage de Aelius Lampridius dans la vie de l’empereur Alexandre), fit aux chrétiens la faveur  d’ériger des temples sans simulacres.
 Voilà quels sont leurs arguments.  Ils ne nous terrifient pas au point de nous empêcher de proclamer que ce fut toujours une excellente chose de placer des images dans les temples.  On le prouve d’abord par l’ancien testament.  Quand les Juifs étaient le plus enclins à l’idolâtrie, on plaça des images des chérubins dans le temple (Exode 25 et 3 Rois 6).  On le prouve ensuite par la coutume de l’église, qui fut celle des premiers cinq cents ans, ce qui dégonfle l’impudent mensonge de Calvin.  Tertullien (dans son livre sur la pudicité, avant le milieu) affirme deux fois que sur les calices sacrés de l’Église catholique, le Christ a été peint sous la forme d’un pasteur qui rapporte sur ses épaules la brebis fugueuse.  Et cette coutume était si répandue  et si généralisée que les catholiques contre lesquels Tertullien écrit dans ce livre, en tiraient un argument  pour prouver que l’église permet qu’on fasse pénitence pour les crimes les plus graves.  Or, il est certain que, dans l’église, les calices sont sacrés, et qu’on a coutume de les placer dans l’endroit le plus sacré.
Sozomène  (livre 5, chapitre 20), et Nicéphore (livre 10, chapitre 30), écrivent que, au temps de Julien l’apostat, une statue du Christ qui était dans une maison à Paneade, a été introduite dans un temple par les chrétiens.  Or, il est certain que cela a été fait avant l’année 500, puisque Sozomène ne vécut pas jusqu’à cette date.  Eusèbe (livres 3 et 4 de la vie de Constantin), dit que dans les temples que Constantin avait fait construire en Palestine, il y avait un grand nombre d’images en or et en argent.
 Saint Grégoire de Naziance (épitre 49 à Olympius), se plaint de ce qu’avait été saccagée la cité diocésarienne dont  il avait somptueusement orné le temple. Et il ajoute : « Et même si les statues sont démolies, cela ne nous abat pas… »  Saint Damase, dans la vie de Sylvestre écrit que Constantin, plaça dans le lieu où il avait été baptisé, un agneau en or pur,   à la droite de l’agneau, une statue en argent du Sauveur, et à la gauche, une statue en argent de saint Jean-Baptiste.   Les Latéraniens  avaient placé des images d’argent  du Sauveur, des douze apôtres, et de quatre anges.   Dans le septième synode, article 6, on rapporte que les disciples de saint Épiphane ont érigé un temple à Épiphane, et y ont placé son image.  Saint Basile  dans son sermon sur saint Barlaam, à la fin, montre une image de saint Barlaam peinte à un endroit quelconque dans le temple; et il se réjouit que les peintres aient mieux exprimé que lui sa main brulée pour le Christ : « J’avoue avoir été surpassé par la peinture que vous avez faite des actions héroïques du martyr.  Je me réjouis d’être vaincu aujourd’hui par la victoire que votre force a remportée sur moi.  Je vois que la main consumée par le feu a mieux été décrite par vous que par moi.  Je vois que le lutteur a été représenté dans votre image avec beaucoup plus de splendeur. »
 Saint Grégoire de Nysse (dans son sermon sur Theodore, au début) dit : « Il jouit en voyant que le temple de Dieu est un édifice immensément grand, splendidement orné et décoré.  Ici, le menuisier a façonné le bois en forme  d’animaux, là le peintre a introduit des fleurs peintes avec un grand art, et là encore il a représenté  les actions héroïques du martyr,  les répugnances, les épreuves, les tortures, les images des tyrans cruels et inhumains, la fournaise enflammée, la fin bienheureuse de l’athlète, l’effigie des combats du représentant du Christ dans sa forme humaine. Il peint  pour nous tout cela   artistiquement et  avec des couleurs, comme dans un livre qui contient ce qu’interprètent les langues.  Il exprime pour nous les combats et les travaux des martyrs,  et orne le temple comme un pré fleuri.  La peinture qui se tait parle sur le mur,  et est d’un très grand profit. »
 Dans la messe de saint Jean Chrysostome qu’Érasme a mise en latin, voici ce qu’on trouve : « Le prêtre sort par la petite porte portant l’évangile, précédé d’un ministre portant une lampe, et, se tournant vers l’image du Christ entre deux portes, penche la tête, et dit avec une exclamation etc ».  Évode (dans le livre 2 des miracles de saint Étienne) écrit que là où les reliques de saint Étienne étaient conservées, il y avait aussi une image qui racontait son martyre, et que beaucoup de personnes avaient coutume d’aller voir.  Prudence, dans son hymne sur saint Cassien, écrit que, dans le temple de saint Cassien, il a vu sur l’autel son image : « Je levai les yeux au ciel, et je vis l’image du martyr peinte en couleurs recouverte de plaies… »  La même chose au sujet de saint Hyppolite.   Paulin, dans son épitre à Sévère,  indique qu’il avait pris soin d’être peint avec saint Martin, et il demande  que cette peinture qui se trouve dans le temple soit précédée des vers qu’il lui envoie.  Nicéphore (livre 14, chapitre 2) écrit que l’impératrice Pulchérie avait placé dans le temple qu’elle avait édifié à Constantinople,  une image de la bienheureuse vierge Marie, qu’Eudoxie lui avait envoyée de Jérusalem.   Valentinien junior, comme le pape Sixte le lui avait demandé, (comme l’écrit Anastase dans la vie de Sixte),  plaça dans l’église de saint Pierre, au-dessus du tombeau, c’est-à-dire sur l’autel de saint Pierre, une image en or du Sauveur, sertie de pierres précieuses,  ainsi que les images en or des douze apôtres.
 Saint Augustin (livre 1, chapitre 10 sur le consensus des évangélistes) atteste que, en plusieurs lieux, en son temps, le Christ a été dépeint entre les apôtres Pierre et Paul.  Et il dit la même chose au sujet d’Abraham qui voulait égorger son fils (livre 22, chapitre 73 contre Faust). Il n’est pas croyable que saint Augustin parle des maisons privées auxquelles tous n’ont pas accès, mais des lieux publics non profanes, mais sacrés.  Car, saint Grégoire (livre 9, épitre 9), dit que ce n’est pas sans raison que, dans des lieux vénérables,  ont été peintes les images des saints par les anciens.  Il est évident que par anciens, il ne peut pas entendre les gens de son siècle. Il vécut, lui, après l’année 500.  Il parle donc des pères qui vécurent avant l’année 500.  De plus, Adrien 1, dans son livre en faveur des images, (que l’on trouve vers la fin du synode 7), rapporte que Sylvestre, Damase, Célestin, Sixte, Léon, Jean et Pélage ont orné les temples de peintures.  Or, ils ont tous siégé avant l’année 500.  Tu vois donc comment est énorme le mensonge de Calvin, quand  (livre 1, chapitre 11, verset 13) il prétend que, avant l’année 500, il n’y avait pas d’images dans les temples des chrétiens.
 Troisièmement, on le prouve par les quatre conciles, deux orientaux et deux occidentaux.  En Orient, le septième synode a été célébré exclusivement pour cela.  Et le huitième synode, canon 3, a renouvelé les décrets du septième concile.   Dans l’occident un concile romain a été célébré sous Grégoire 111,  qui fut, il est vrai, national,  mais auquel participèrent plus de mille évêques.  C’est dans ce concile qu’a été condamnée l’hérésie des iconoclastes, qui arrachaient les images des temples.  Il a eu lieu dès le début de cette hérésie.  Un autre concile a été aussi célébré au temps d’Étienne et de Charlemagne, sur le même sujet, comme l’atteste Adrien 1 qui succéda à Stéphane (dans son livre sur les images à Charlemagne. »
 Quatrièmement, on le prouve par la raison.  Car, les signes sacrés ne peuvent jamais être mieux placés que dans des lieux sacrés.  Et il n’existe pas de meilleurs ornements des temples que les images sacrées, car, en plus d’embellir les temples, les images attirent à elles les esprits des hommes,  et les détournent des vaines pensées. De plus, le temple est une certaine image du ciel, car l’apôtre (Hébreux 9) compare le tabernacle de Moïse au ciel.   Et, saint Jean Chrysostome  (homélie 36 sur la première épitre aux Corinthiens) dit que le temple des chrétiens est comme le royaume du ciel, ou une sorte de ciel terrestre.  Donc, comme le temple est l’image du ciel, il convient que soient dans le ciel les images de ceux qui sont au ciel, le Christ et les saints.   Enfin, où mieux placer les images des saints que dans leurs maisons, c’est-à-dire les basiliques où reposent leurs reliques ?
 Au premier argument, la réponse s’impose, car ce n’est pas un argument mais un mensonge.  Au second, Payva répond que le concile elibertinus n’a prohibé que l’image de Dieu qui est peinte pour représenter la nature de Dieu.  Mais, cette réponse ne semble pas suffisante, parce que le concile parle en général des peintures, et surtout parce que de telles peintures, qui seraient des idoles,  n’ont jamais existé, au témoignage d’Augustin, d’Origène et de saint Jean Damascène.  Le concile, en effet, parle de quelque chose qui existait, et il le condamne pour qu’on ne le fasse plus.  Nicolas Sanderus (dans son livre sur le culte des images, chapitre 4), répond que ce concile a prohibé les images dans les temples, parce que le temps et le lieu le requéraient.  Car, il y avait alors un danger que les Gentils ne pensent  que nous adorions le bois et les pierres.   Et, il y avait donc un danger que, dans les persécutions, les images ne soient abreuvées d’insultes par les persécuteurs.   Cette réponse est surement la meilleure.
 Il importe peu que quelques-uns nous objectent que ce concile a été célébré  après le concile de Nicée, et qu’il n’y avait donc plus de danger de persécutions, car, en fait, ce concile a été célébré avant celui de Nicée, quand sévissaient encore les persécutions, comme nous le montre le canon 25, où il est question de ceux qui se faisaient donner des lettres par les confesseurs.   Car ceux qui confessaient la foi dans les persécutions avaient coutume, après,  de donner des lettres de recommandation aux évêques pour ceux qui avaient apostasié.  Et, dans presque tout ce concile il est question de ceux qui étaient entachés du péché d’idolâtrie.  Mais, je reconnais que la raison donnée dans le canon (« de peur que ce qui est vénéré et adoré ne soit peint sur les murs ») ne cadre pas avec cette explication.   Alain Copus (livre 5, chapitre 16 de ses dialogues)  dit que ces images ont été prohibées parce que certains chrétiens avaient commencé à les adorer comme des dieux.  Et que le sens était le suivant : il a plu au concile que dans les églises, il n’y  ait pas de peintures, de peur que ce qui est mis sur les murs ne soit adoré  et honoré comme dieu. Et c’est dans ce sens qu’il entend le canon en question dans ses décrets, part 3, chap 40.  Mais, cette explication ne cadre pas du tout avec ce canon, car il aurait fallu plutôt dire : de peur que ce qui est peint ne soit adoré, au lieu de : de peur que ne soit peint ce qui est adoré.
 D’autres disent donc que la seule chose qui est prohibée c’est que des images ne soient peintes sur les murs des églises, et non pour que ce qui est peint sur des tableaux ou des voiles ne soit dansl’église.  Et cela, dans l’intérêt des peintures,  parce que, sur les murs, elles se corrompent facilement. Pour cette raison, on avait prohibé autrefois que la croix ne soit sculptée sur le plancher, pour qu’elle ne soit pas foulée aux pieds.  Et alors le sens sera le suivant : il a plu au concile qu’on ne peigne pas sur les murs ce qui doit être vénéré et adoré,  pour qu’il n’arrive pas à des choses sacrées et vénérables comme les saintes images d’être facilement corrompues.  Cette explication semble convenir parfaitement au sens du canon.  Ajoutons, enfin, que quelle que soit la chose que le concile a statué, il l’a faite pour nous et non contre nous.  Car le seul concile qui peut être contre nous est celui des 19 évêques, un concile provincial non confirmé, et qui semble avoir erré dans certains décrets, surtout quand il ne veut pas que , dans certains cas, un pénitent soit absous à l’article de la mort.
  Ce concile plaide en notre faveur en reconnaissant implicitement que,  dans son temps,  il y avait des images dans les temples, car il n’aurait pas dit : il a plus au concile qu’il n’y ait pas de peintures dans les églises, si elles n’avaient pas commencé à exister.   Nous savons donc  que des images ou des saints dont étaient les images, étaient honorés et adorés, car c’est  ce que signifient les mots suivants : pour que rien de ce qui est honoré ou adoré ne soit peint sur les murs.  Ajourons que ce concile lui-même (canon 26) prescrit le jeune le samedi; et au canon 33, interdit l’usage de leurs épouses aux évêques, aux prêtres, aux diacres et aux sous diacres.   Deux canons que ne peuvent pas sentir nos adversaires.   Au troisième argument, je dis que saint  Augustin parle des simulacres comme les percevaient les Gentils.  Car, voici ce que veut dire saint Augustin.   Quand quelqu’un pense qu’un simulacre est un dieu, et qu’il va jusqu’à le prier et l’adorer, il est puissamment confirmé  et renforcé dans son erreur par la ressemblance de leurs membres avec ceux des humains.    Que c’est ainsi qu’on doive le comprendre, je le prouve par ses propres paroles (de l’épitre 49, question 3) : « Comme, dans les temples, ils sont placés à une hauteur respectable pour que, par la similitude des membres et des sens, ils attirent l’attention de ceux qui prient et qui immolent, etc.  Notez les expressions employées.    Car, l’expérience enseigne que les images qui ne sont pas considérées comme des dieux n’ont jamais trompé même le plus ignorant au point de lui faire penser qu’elles vivent et qu’elles respirent.
Et, au sujet des vases en or, je réponds que saint Augustin a voulu montrer que les simulacres des Gentils maintiennent les hommes dans l’erreur non à cause d’une matière qui les rendrait précieux, mais à cause de la figure qu’ils ont semblable à la nôtre.  Cela, saint Augustin le montre de deux façons.  La première.   Beaucoup parmi ceux qui se tournent vers le soleil, préfèrent supplier le simulacre du soleil, non pas parce que le soleil  n’est  pas cent fois plus noble,  mais parce que la figure du soleil en forme de globe  ne persuade pas aussi facilement que le soleil vit et entend  que ne le fait le simulacre qui possède notre forme humaine.  En second lieu,  parce que les catholiques ont eux aussi, des vases en matière précieuse,  mais comme ils n’ont pas  de figure humaine, même les gentils ne penseraient pas que ces vases vivent et respirent
Tu diras.  Si on ne pense pas que les calices vivent, parce qu’ils n’ont pas de forme humaine, on pensera qu’ils vivent du fait qu’ils sont dans le temple.  Je réponds que saint Augustin ne dit pas qu’on pense que les images à forme humaine vivent, mais que, si on le pensait, ce serait à cause de la forme, non de la matière.  Saint  Augustin ne dit donc pas qu’il n’y a pas eu d’images dans l’église,  mais que seule la forme humaine des simulacres concourt à fomenter l’erreur de ceux qui adorent les simulacres comme des dieux.  Et pour la confirmation, je dis que saint Jean parlait des idoles, comme le veulent les mots grecs : tôn eidôlôn.
Au quatrième, je réponds que Calvin a fidèlement imité ses lointains prédécesseurs.  Car, les anciens iconoclastes disaient eux aussi ne pas vouloir de ces images mortes, mais que leur suffisait l’eucharistie, qui est l’image du corps du Seigneur.  À quoi ont répondu les catholiques  dans le synode 7, acte 6, tome 3,  que l’eucharistie ne devait pas être appelée l’image ou la figure du corps du Seigneur, puisqu’elle est vraiment le corps du Seigneur.  Je dis ensuite que les images vivantes ou mortes ne sont pas contraires l’une à l’autre,  mais que les unes sont aidées par les autres, comme nous l’avons déjà montré.  De plus, on ne peut pas dire que les images des saints sont des images mortes, car la vie d’une image est la représentation.  Seules sont mortes les images qui ne représentent rien.
Au cinquième.   Thomas Waldensis  (tome 3, tit 19, chapitre 157), dit qu’Épiphane a parlé ainsi à cause de l’hérésie des antropomorphites, qui était alors en vogue.  D’autres disent qu’Épiphane parle de l’image d’un homme profane qui était honorée  là à l’instar des images du Christ et des saints. C’est ce que répond Marianus Victorius dans son annotation à cette épitre.  La réponse la plus commune et qui a le plus de chances d’être vraie est que ces mots ont été trafiqués.   D’abord, parce que c’est à la fin de l’épitre qu’ils ont été ajoutés : l’épitre était tout à fait terminée, comme s’en rendra compte le lecteur.   Ensuite, parce que les hérétiques iconoclastes n’ont pas fait cette objection aux catholiques,  quand ils leur opposèrent tout ce qu’ils purent trouver dans les pères qui semblait plaider en leur faveur.  Troisièmement.  Parce que, au synode 7, article 6,  le diacre Épiphane dénonça deux cas semblables de mots qui avaient été insérés par les hérétiques dans les écrits d’Épiphane
 Quatrièmement.  Parce que, comme on le dit au même endroit, les disciples d’Épiphane placèrent son image dans son temple. Ce qu’ils n’auraient certainement pas fait si leur précepteur avait déclaré que c’était agir contre l’autorité de l’Écriture.  Cinquièmement, parce que ceux qui n’avaient que des louanges à donner aux  images des temples, saint Basile, saint Grégoire de Nysse, vivaient encore  au temps d’Épiphane. Parce que cette phrase qui veut que  la présence d’images dans les temples soit contraire à l’Écriture ne peut  pas avoir été prononcée par Épiphane, homme très savant, puisqu’elle  est d’une grande ineptie.  Car, jamais, dans l’Écriture on ne lit que ce soit défendu.  On lit plutôt le contraire : des images de chérubins de forme humaine dans le temple de Salomon.
Septièmement. Parce que Grégoire (livre 9, épitre 9) dit que, avant Serenus de Marseille,  jamais aucun évêque n’avait brisé une image du Christ ou des saints.  Huitièmement.   Parce que saint Jérôme, dans son épitre à Pammachius contre Jean de Jérusalem, rapporte presque toute la lettre d’Épiphane dans sa traduction en latin, et ne se souvient cependant pas de ce fait. Neuvièmement, parce que le style ne convient pas avec le reste de l’épitre.  Au sujet de ce que dit saint Adrien sur les temples sans simulacres,  je réponds qu’Adrien a ordonné de faire des temples sans les simulacres des gentils, car les chrétiens ne voulaient pas, à cette époque, prier dans les temples des Gentils parce qu’ils étaient pleins d’idoles.  Voilà pourquoi Adrien a ordonné de construire des temples sans idoles.  Lampridius lui-même  donne le nom de divinités à ces simulacres.  Car ces images étaient adorées comme des dieux.
                                       CHAPITRE 10
                 Les images sont utiles même sans note historique .
Calvin a enseigné que, sans explication d’ordre  historique, les images sont inutiles.   Ce qui est manifestement faux.  Car, il ne donne aucun argument pour prouver son avancé.  Mais nous, nous pouvons prouver qu’elles sont utiles de plusieurs façons.   La première.   Parce que Dieu a ordonné que, dans son temple, soient faites des images de chérubins sans aucune annotation historique (Exode 25).  Et certainement non sans raison.  La deuxième.   Parce que les chrétiens ont toujours eu des images sans référence à histoire, même si les premiers chrétiens n’étaient pas motivés par le seul plaisir esthétique.  En effet, on lit qu’au temps du Christ, des images ont été faites.   La première est celle que le Christ a faite de son visage sur un voile, et qu’il a envoyée au roi Abagarus.  C’est ce que rapporte Evagrius (livre 4, chapitre 26),  et Metaphrastes  dans la vie de Constantin le grand,  et saint Jean Damascène (dans son livre 1 sur les images.)  Que ce ne soit pas une fable le prouve le grand miracle fait à Edesse par cette image, comme le rapporte Évagrius.   L’atteste aussi le jour de la fête que l’on célébrait à Constantinople le jour de la translation de cette image d’Edesse à Constantinople.
La deuxième est celle que  la femme libérée par le Christ d’un flux de sang érigea à Panéade.  C’est Eusèbe qui en témoigne Livre 7, chapitre 14 de son histoire.  Le rapportent aussi Sozomène (livre 5, chapitre 20 de son histoire), saint Jean Damascène (livre 4 sur les images) et Thophylacte (chapitre 9 sur Matthieu).   La troisième est celle que l’on dit avoir été faite par Nicodème, et qui a été crucifiée par jeu par les Juifs.  Elle a fait de nombreux miracles.   C’est Athanase qui rapporte cela dans son livret sur la passion de l’image du Seigneur, chapitre 4.   Et quoiqu’on puisse douter que ce livre soit vraiment du grand Athanase,  il est certain qu’il est d’un auteur très ancien, puisque cette histoire est rapportée comme très ancienne dans le synode 7, article 4.
En plus de ces images du Christ, existent aussi des images de la bienheureuse vierge Marie que Luc a peinte, dit-on, comme le rapportent Theodore Lecteur qui a vécu autour du 5ième siècle (livre 1, des collectes), Nicephore (livre 14, chapitre 2 de son histoire), et Simon Metaphraste (dans sa vie de saint Luc).    Tertullien (dans son livre sur la pudicité) se souvient d’une image du Christ en forme de pasteur portant une brebis sur ses épaules, qui avait été  peinte sur les calices sacrés, comme nous l’avons déjà dit.   Aelius Lampridius (dans sa vie d’Alexandre Sévère)  raconte que l’empereur Alexandre avait dans son oratoire des images du Christ et d’Abraham.  Il est certes vraisemblable  de penser que c’est des chrétiens qu’il a appris comment peindre le Christ.  Eusèbe (livre 7, chapitre 14 de son histoire),  écrit qu’on avait coutume de peindre les images des apôtres, et qu’il en a vu beaucoup de très antiques.  Saint Ambroise (dans sa lettre sur l’invention de saint Gervais et de saint Protais, qui  est conservée par Surius) déclare qu’il a su que c’était saint Paul qui lui était apparu, grâce à l’image peinte qu’il avait de lui.  Saint Jean Chrysostome (dans son sermon sur Meletius) dit que les images de Meletius étaient déjà si célèbres  qu’on les voyait partout, même sur les anneaux, les coupes profondes évasées, les vases et les murs.  Semblablement, Theodoret  dans sa vie de saint Siméon le stylite (histoire religieuse), raconte qu’à Rome, dans toutes les boutiques étaient affichées  les images de saint Siméon.
Au temps de saint Augustin, il y a eu un très grand nombre d’images. C’est saint Augustin lui-même qui nous en fait part (dans son livre sur le consensus des évangélistes, chapitre 10).  Il nous raconte là qu’on trouve souvent des images du Christ peintes entre saint Pierre et saint Paul.  Nous avons beaucoup d’autres témoignages.  Par exemple ceux de saint Athanase, de saint Basile, de saint Grégoire de Naziance, de saint Grégoire de Nysse, de saint Jean Chrysostome, de saint Cyrille de Jérusalem et de saint Cyrille d’Alexandrie, ainsi que beaucoup d’autres pères.   Voir dans le synode 7, article 4, et dans le livre 3 de l’apologie de saint Jean Damascène, vers la fin.   Ajoutons ensuite à ceux-là tous ceux que nous avons cités auparavant pour prouver qu’il y avait des images dans les temples pendant les cinq premiers siècles.
Troisièmement, on le prouve par l’utilité.   La première est l’instruction et l’érudition.  Car, une peinture enseigne mieux qu’un texte écrit, même celui de la Bible.  De cette utilité témoignent saint Grégoire de Nysse dans son sermon sur Theodore, et le pape saint Grégoire (livre 107, épitre 109, et livre 9 épitre 9.)  Tu diras que les histoires instruisent mais non des images solitaires.   Je réponds que mêmes les histoires solitaires du Christ, peintes par des chrétiens,  contiennent toujours un reliquat historique.   Car, quand on peint le Christ, on le peint soit comme un enfant dans le sein de sa mère, soit comme un homme lié à une colonne,  ou pendant en croix, ou sortant du tombeau, ou montant au ciel.   De la même façon on peint toujours les saints avec l’insigne de leur vertu ou de leur passion, ou de leur pouvoir :  Pierre avec des clefs, Laurent avec son gril, André avec sa croix, tous les martyrs avec leur palme, et les saints avec leur diadème.   Par ces signes ou instruments, on nous enseigne comme en un résumé, ce qu’ont fait ceux que nous vénérons, quelles souffrances ils ont endurées.
Deuxièmement.  Les images sont utiles, même si elles sont solitaires,  pour susciter et augmenter la charité envers Dieu et envers les saints.   Car celui qui aime regarde volontiers l’image d’un ami absent, et plus il la regarde, plus il l’aime.  C’est ainsi que Sévère Sulpitius qui aimait ardemment saint Paulin, mais qui ne pouvait pas  toujours habiter près de lui, lui demanda par lettres de lui envoyer une image de lui.  Saint Paulin s’excusa de ne pas pouvoir obtempérer à son désir, et lui dit finement qu’il n’avait pas encore d’image parfaite du second Adam, mais qu’il portait encore en lui  l’image du premier Adam. C’est pour cette raison qu’il refusa de lui envoyer une image de lui.  Saint Grégoire (livre 7, épitre  53) en envoyant à Secondinus l’image du Sauveur, lui dit qu’il savait pourquoi il la désirait tellement : pour être plus ardent dans l’amour de son Seigneur.
La troisième utilité est l’incitation à l’imitation.   Le synode 7, acte 6, explique longuement cette sorte d’utilité.   Et saint Basile, dans son sermon sur les quarante martyrs, parle de la même utilité.   Est bien connu ce que Térence raconte dans Eunuque.   Un jeune homme  qui regardait intensément des tableaux représentant Jupiter en train de violer Diane s’est senti obligé de faire la même chose.  Saint Grégoire de Naziance, dans son poème sur la vertu, (qui est cité dans le synode 7, actes 4), raconte, en sens inverse,  que quand une femme impudique alla trouver quelqu’un qui l’avait appelée, elle vit sur le seuil de la maison,  l’image de Polémon, un homme chaste.  Elle rougit de honte, et, faisant pénitence, elle retourna chez elle.
Quatrièmement, les images sont utiles parce qu’elles conservent en nous le souvenir du Christ et des saints, et nous rappellent, dans nos épreuves, que nous avons des patrons que nous pouvons invoquer.   Dans sa vie de Siméon le stylite, Théodoret  dit qu’à Rome, il y avait un grand nombre d’images de saint Siméon, pour chercher à  en recevoir de l’aide et du secours.   La cinquième utilité est la confession de la foi. Car, quand nous  aimons et honorons les images des saints, nous témoignons que nous plaisent leur foi , leur doctrine et leur saintes mœurs, et que, en même temps, nous détestons les diverses formes d’impiété et d’idolâtrie contre lesquelles ils ont lutté jusqu’à la mort.  Et maintenant nous attestons surtout  que ne nous plaisent pas les nouveautés des luthériens et des calvinistes, puisque nous révérons religieusement ce qu’ils détruisent en commettant un sacrilège.  La sixième utilité est l’honneur de Dieu et des saints.  Car, personne n’a jamais douté que sculpter des statues ou peindre des images en hommage aux grands hommes ne serve à les honorer.  Il est certain que (livre 7, chapitre 14 de son histoire) c’est  la principale raison qu’il donne  pour expliquer pourquoi les chrétiens désiraient  peindre des images des saints.    Il importe peu qu’on nous dise que cela vient des païens.   Car, il ne s’agit pas d’une superstition, mais d’une coutume naturelle.    Elle était donc bonne la coutume qui les poussait à élever des statues pour les grands hommes, même s’ils ont pu se tromper en honorant des scélérats et de faux dieux.
                                      CHAPITRE 11
On propose la question du culte des images, avec les arguments des adversaires.
Suit tout naturellement la controverse sur le culte.   Doit-on rendre un culte quelconque à ces images ?  Au sujet de cette controverse, saint Jean Damascène, vers la fin de son livre sur les hérésies, présente deux hérésies extrêmes.   L’hérésie de ceux qui prétendaient qu’on doive rendre aux images des honneurs divins.  Et il donne à ces hérétiques le nom de christianocategores, ce qui veut dire accusateurs de chrétiens  parce que, à cause d’eux,  on accusait les chrétiens  d’être des adorateurs d’idoles. Il est certain qu’Alexandre Sévère a adoré les images du Christ et d’Abraham  avec les autres idoles, comme l’atteste Aelius Lampridius.  Cette hérésie est réfutée par tous les textes de l’Écriture qui interdit que le culte qui n’est du qu’à Dieu seul soit attribué aux créatures.  L’autre erreur, qui lui est contraire, est celle de ceux qui ne souffrent aucune sorte d’honneur accordé aux images saintes.  Cette erreur saint Jean Damascène la rapporte à la fin de son livre sur les hérésies. Et elle a pour auteurs tous ceux dont nous avons cité les noms dans le deuxième chapitre.  Ils soutiennent qu’ils ne faut rendre aucun hommage aux images pour les raisons suivantes.
La première. Parce que l’ancien et le nouveau testament interdisent sévèrement le culte des simulacres (Exode 20, Deutéronome 4, Romains 1, etc).  Et, parce que les catholiques leur répondaient que l’Écriture blâme un culte attribué aux simulacres comme à des dieux, Calvin (livre 1, chapitre 11, versets 9 et 10) s’efforce de montrer que les Juifs autant que les Gentils ne voyaient pas des dieux dans les simulacres, mais qu’ils adoraient le vrai Dieu dans les simulacres; et que ce culte était blâmé parce que Dieu ne supporte pas que son culte ait un lien quelconque avec les images; et que, si on ne doit pas adorer Dieu dans une image, de la même façon, les saints, même s’il était permis de les vénérer, ne devraient pas être vénérés dans des images.   Que les Juifs ne considéraient pas les simulacres comme des dieux, mais que c’état le vrai Dieu qu’ils adoraient en eux, Calvin le prouve par l’Exode 32, où on entend le peuple dire au sujet du veau d’or : « Voici tes dieux Israël, qui t’ont fait sortir de la terre d’Égypte. »  Ils confessent là que, dans le veau, ils adorent le Dieu qui les a libérés de l’Égypte.  Et quand Aaron décréta une fête en l’honneur du veau d’or, il ordonna aux hérauts de dire à haute voix : « Demain c’est la solennité du Seigneur. »  Et dans l’hébreu se trouve le mot Yahvé.    Dans les Juges 17, une femme a dit : « J’ai sanctifié et j’ai voué au Seigneur mille cent pièces d’argent pour faire une sculpture et un ouvrage en métal fondu. »  Là aussi nous avons le mot Yahvé, le nom propre de Dieu.
Que les Gentils aient adoré le vrai Dieu dans les idoles, il le prouve par un texte de saint Augustin sur le psaume 113, qui déclare que les païens avaient coutume de répondre quand on les accusait d’idolâtrie : nous n’adorons pas l’idole elle-même, mais la divinité que l’idole représente.  De même.  Les Gentils changeaient les idoles à volonté, mais non leurs dieux.  De même.  Ils érigeaient plusieurs simulacres pour le dieu unique. Car, tout en disant que Jupiter était ce dieu unique, ils lui érigeaient de nombreux simulacres.   De plus, ils consacraient chaque jour de nouvelles idoles, mais ne disaient jamais qu’ils faisaient de nouveaux dieux.  Deuxièmement.  Ils citent trois conciles de Constantinople.  Un sous Léon l’iconoclaste, au témoignage de Paul le diacre, livre 21. Un autre, formé de 338 évêques, sous Constantin Copronyme, au témoignage de Paul diacre (livre 22 sur les choses romaines).  L’un et l’autre ont décrété qu’il fallait abolir les images.  Les actes de l’un et l’autre concile sont rapportées par les centuriates (centurie 8, chapitre 9).   Le troisième fut le concile de Francfort, dans lequel fut condamné le septième synode qui avait statué qu’il fallait retenir les images.   C’est ce que racontent Ado (dans sa chronique à l’année 795, l’abbé uspergensis (dans sa chronique de l’année 793), Hincmar de Reims, (livre contre l’évêque jandunenses, chapitre 20 ), Jean Aventinus dans son histoire ou annales des Bojorum (livre 4),   Annonius (livre 4), et Rheginus (livre 2.)
Les magdebourgeois, pour leur part, (à la fin du chapitre 9 de la huitième centurie) tirent de ce concile dix arguments contre les images,  réfutent  44 arguments du concile de Nicée, et répondent à onze témoignages des pères qui avaient été présentés par le concile en faveur des images.   Mais ces arguments comme ces réfutations ne sont que de la poudre aux yeux.  Car, ce concile de Nicée n’a jamais existé, comme nous le dirons plus loin, en son lieu et place.  Troisièmement.  Ils exhibent quatre livres de Charlemagne contre les images, desquels Calvin déduit que le concile de Nicée a été réfuté par un roi orthodoxe; que dans le concile de Nicée une impiété manifeste a été définie.   Car, comme le montre le livre de Charlemagne, il a été défini dans ce concile qu’il fallait  accorder aux images l’honneur des sacrifices, et le culte qui n’est rendu qu’à la sainte trinité.  Calvin a édité ce livre en 1549.  Les centuriates ajoutent (centurie 8, chapitre 9, colonne 645)  qu’il existe encore, contre les images,  un autre livre beaucoup plus virulent, écrit par un certain  Ludovic Pius.
Quatrièmement. Ils citent les pères.   Saint Irénée (livre 1, chapitre 24) a mis entre les hérésies le culte que Carpocrate rendait  aux images du Christ et de Paul.  Saint Épiphane (hérésie 79), dit que sont hérétiques ceux qui propagent  les images de la sainte Vierge et lui rendent un culte.  Saint Ambroise, à la mort de Theodose, dit : « Hélène a trouvé la croix du Seigneur.  Elle a adoré le Roi, non le bois, car c’est une erreur païenne.    Elle a adoré celui pendait sur la croix. »  Saint Jérôme (chapitre 3 de Daniel) écrit : « Ceux qui rendent un culte à Dieu ne doivent pas adorer les images de Dieu. »  Saint Augustin (dans son livre sur les mœurs de l’église, chapitre 36) écrit : « J’ai connu des adorateurs d’images. »   Saint Grégoire (livre 7, épitre 54 et 109, et livre 8, épitre 9), dit qu’il ne faut pas adorer les images.  Ils présentent d’autres témoignages tirés des iconoclastes (synode 7, acte 6) qui sont réfutés au même endroit. Mais, ils n’offrent aucune  difficulté.
Cinquièmement, ils présentent l’exemple d’Ezéchias (4 Rois, 18) qui détruisit le serpent d’airain,  car il était adoré.  Sixièmement.  Il fait appel  à l’expérience qui enseigne que, dans le culte des images, se glissent peu à peu des superstitions et l’erreur qui lie Dieu  à l’image.   Car pourquoi telle image du Christ ou de Marie est-elle plus fréquentée que d’autres ?  Pourquoi ceux qui veulent prier se dirigent-ils vers des images ?  Pourquoi  s’impose-t-on un long et pénible pèlerinage pour aller vénérer telle image, alors qu’on en a dans sa maison de plus belles et de plus excellentes ?  Septièmement.  Ils ajoutent quelques raisonnements.   L’image, disent-ils, est incapable d’honneur puisqu’elle est une chose inanimée, privée de sens et de raison.  De même.   L’image n’est pas sainte à cause du bois ou du fer, ou du marbre, ou du plâtre, ni non plus à cause des formes et des couleurs, ou des desseins.   Pourquoi est-elle donc honorée ?  De plus, bien que l’homme soit une image de Dieu, on n’a pas coutume de l’adorer.  Le bois et les pierres méritent encore bien moins d’être adorés, même s’ils représentent l’image de Dieu ou des saints.
Voilà quels sont leurs principaux fondements.  Nous y répondrons au chapitre 13.  Mais  les lubies des Magdebourgeois, je les passerai sous silence, car elles ne méritent pas de réponse. Ils disent, par exemple, que le Christ est mort pour les hommes, non pour les images : qu’il ne faut donc pas vénérer les images.  Génial, à la vérité !  Un autre exemple.  S’il était nécessaire de vénérer les images, seuls les riches se sauveraient, car ils sont les seuls à pouvoir les acheter.   De même.   Le Christ n’a pas dit : celui qui reçoit les images me reçoit, mais celui qui vous reçoit.  Donc l’honneur de l’image n’est pas référé à l’exemplaire.  Cela ne s’appelle pas argumenter, mais batifoler.
                        CHAPITRE 12
C’est à bon droit qu’on rend un culte aux images du Christ et des saints.
Quand nous affirmons, nous, qu’il faut honorer les images du Christ et des saints, nous pensons à ce qui a été décrété par le concile de Trente, chapitre 24 : ne pas placer sa confiance dans l’image, ne rien lui demander, ne pas croire que se trouve en elle quelque chose de divin, mais l’honorer seulement pour ceux (celles) qu’elle nous représente.  Cette sentence, on la prouve comme suit.   D’abord, par des témoignages qui traitent expressément des images.  Exode 25 : les chérubins du propitiatoire.  Et, Nombre 21, le serpent airain.  Les images des chérubins qui étaient posées sur l’arche étaient nécessairement adorées par ceux qui adoraient l’arche.  Bien plus. Saint Jérôme (dans son épitre à Marcella), dit que le tabernacle a été vénéré par les Juifs parce que là étaient les chérubins.  Le serpent d’airain ne pouvait pas ne pas être honoré puisqu’il avait été placé par Dieu dans un lieu élevé, et apportait le salut aux miséreux qui le regardaient.  Voilà pourquoi saint Augustin, (livre 3, chapitre 10 de la trinité), parlant de certains signes qui méritent une vénération religieuse, prend pour exemple le serpent d’airain.   Mais, autant pour les images de chérubins que pour le serpent d’airain, vaut la règle de saint Augustin (livre 3, chapitre 9, la doctrine du Christ) : les signes utiles divinement institués doivent être vénérés de façon à référer l’honneur à ce qu’ils signifient.  Or,  il est certains que ces images des chérubins et du serpent d’airain ont été utiles et ont été instituées par Dieu. Et s’il est permis de vénérer les images des anges, pourquoi pas celles des saints ?  S’il a été permis de vénérer l’image du Christ dans la forme du serpent (car que le serpent ait été la figure du Christ, nous l’avons en Jean 3), pourquoi ne serait-il pas possible de vénérer  l’image du Christ dans sa forme humaine ?
Nous avons ensuite d’autres témoignages qui enseignent qu’on doit honorer les créatures religieusement  à cause de leur seule relation à Dieu.  Comme dans le psaume 95 : « Adorez l’escabeau de ses pieds. »  Et, en Matthieu 5 : « Ne jurez pas par le ciel, car il est le trône de Dieu, ni non plus par la terre, parce qu’elle est l’escabeau de ses pieds. »  Il est à noter que le jurement est un acte religieux, par lequel on honore principalement Dieu, et, secondairement, ce par quoi on l’honore.  Dieu prohibe donc un jurement  qui est fait sans les conditions voulues, comme par le ciel et la terre, pour ne pas  vilipender ces créatures  qui ont une relation avec Dieu.  Or, ces images ont une relation avec Dieu.  Elles doivent donc être honorées dans la même mesure.
 Le troisième genre de témoignages vient de ceux qui enseignent que des créatures sont dites saintes ou sacrées à cause de leurs relations avec les choses sacrées.   Exode 3 : « Le lieu où tu te trouves est une terre sainte. »  Sainte à cause de la présence de l’ange.  Exode 12 .  On dit que le jour de Pâque est un jour sain et vénérable à cause de ce qu’il signifie, et parce qu’il était dédié au culte divin.  Exode 28.   On dit que les vêtements des prêtres sont sacrés pour la même raison.   Dans Isaïe 11, on dit que le sépulcre du Christ est glorieux.  Dans 2 Timot 3, on dit que les Écritures sont des lettres sacrées : « Tu connais les écritures sacrées depuis ton enfance. »  Pourquoi ces écritures sont-elles dites sacrées si ce n’est parce qu’elles sont les signes des choses sacrées.  Ce ne sont pas seulement les écritures mais aussi les paroles que nous avons coutume de vénérer, surtout le nom de Jésus.  Et l’évangile nous l’écoutons debout, tête découverte, et  avec des lampes allumées, même en plein jour, comme saint Jérôme le rappelle dans son livre contre Vigilance.  Puisque les images du Christ et des saints ont été faites pour signifier et représenter des choses sacrées, pourquoi ne pourrais-je pas les honorer ?  Car, que ce soit une chose sainte, et parce que sainte, vénérable,  Exode 12 nous le fait comprendre : « Le premier jour sera saint, et le septième vénérable, pour le même motif religieux. » Tu vois qu’être saint et religieusement vénérable, c’est une seule et même chose.
On le prouve ensuite par les canons de l’Église.  Nous avons d’abord le canon 82 du sixième synode où il est déclaré que les images sont vénérables.   Même si ces canons ne sont pas d’une autorité assurée, même si ce canon n’a pas toujours été reçu dans l’église,  et qu’il est prouvé qu’il a été très peu utilisé par l’église antique.  Nous avons ensuite le synode romain sous Grégoire 111 en faveur des images, formé d’au moins mille évêques, célébré en 733, selon Sigebert dans sa chronique.   Il y a eu aussi un synode dans la ville de gentiliace, l’an 766, selon Adon.    On a parlé des images dans ce synode, et on a demandé aux Grecs de voir les images saintes comme le font les autres pieux, comme Paul Aemilius l’atteste,  au livre 2.   De plus, un autre synode favorable aux images a été célébré à Rome  sous Stephane 111, l’an 768, selon Sigebert (dans le livre des images destiné à Charlemagne.)
Après l’année 788,  le septième synode, acte 7, a défini que les images étaient vénérables, non d’un culte de latrie, mais du même honneur que nous rendons aux saintes lettres, aux vases sacrés, etc.   Témoins Paul le diacre, Cedrenus, et  Zonaras.  Or, ce concile est tel que personne ne peut douter de son authenticité ou de sa légitimité.  Car, il bénéficia, au début, de la présence des  légats du pontife romain  et de trois autres patriarches, Alexandrie, Antioche, Jérusalem, ainsi que du patriarche de Constantinople.   Tous consentirent, comme les signatures le montrent.   On peut ajouter que 350 évêques furent présents, selon Cedrenus,  c’est-à-dire plus que dans le premier, le deuxième et le troisième synode. L’empereur Constantin lui-même  y apposa sa signature.  On s’est disputé âprement  pendant  tout ce concile, et on a mis à contribution les saintes écritures, les conciles et les pères.   Si jamais il y a eu un concile légitime, c’est celui-là.
Il importe peu qu’on nous objecte que les conciles de Constantinople précédents et celui de Francfort,  aient statué le contraire.  Car, même si tous ces conciles étaient légitimes, ils devraient céder le pas à celui de Nicée qui fut un concile général et plénier, eux n’étant que des conciles particuliers.   Car nous observons la règle d’Augustin (livre 2, chapitre 3 sur le baptême), selon laquelle les conciles particuliers doivent reconnaitre la supériorité des conciles pléniers.  Que ces trois conciles aient été des conciles particuliers, on le prouve ainsi.  Car, à Constantinople, des légats du pape Léon n’ont pas  été invités, et aucun patriarche n’y a participé sauf celui de Constantinople, Germain,  qui ne consentit pas aux décisions du concile, et qui fut déposé.  Au concile de Constantinople sous Constantin Copronyme,  les patriarches romain, alexandrin, antiochien, Jérusalemien,  ne furent présents ni par eux-mêmes, ni par des légats, mais seulement par  un pseudo évêque que les hérétiques nommèrent patriarche, après avoir déposé Germain.  C’est que rapportent Cedrenus et Zonaras dans la vie de Constantin Copronyme,  et même les magdebourgeois  (centurie 8, chapitre 9, colonne 551.)  Ainsi que Paul diacre qui était encore vivant (livre 22 des choses romaines.)
Enfin, le synode de Francfort, au jugement de tous, fut un synode particulier, même si (s’il faut en croire les centuriates) furent présents des légats romains,  qui n’approuvèrent pas les décisions du concile.  En pensant à ces conciles illégaux et éphémères, on réalise que seul le concile de Nicée fut légitime, puisque ses décisions ont traversés les siècles.   En effet, les images demeurèrent dans les temples, et l’Église leur rendit toujours l’honneur congru.   Bien plus, les actes de ce concile sont les seuls à avoir été conservés, tandis que ceux des trois autres se sont vite évaporés.  Seuls les historiens en ont gardé quelque souvenir.  La même chose s’est produite à l’égard du premier concile de Nicée.  L’empereur arien Constance fit célébrer plusieurs conciles contre le concile de Nicée, mais cette hérésie avec ses conciles s’est envolée en fumée : seuls la foi et les conciles de Nicée  nous sont parvenus.  Nous avons de plus le huitième concile général, (dernier acte, canon 3, session 25 du concile de Trente.)
Troisièmement.  On le prouve avec les Pères.   Saint Basile (contre Julien, que le pape Adrien cite dans sa lettre aux empereurs, acte 2 du synode7 ) : « J’honore les histoires de ces images, et j’adore ouvertement ce qui nous a été transmis par les saints apôtres.  On ne doit pas  prohiber… »  Saint Jean Chrysostome sur la liturgie, dit : « Le prêtre incline sa tête devant l’image du Christ. »  Saint Ambroise (sermon 10, psaume 118) : « Celui qui couronne l’image de l’empereur lui rend vraiment honneur; et celui qui méprise la statue de l’empereur, c’est à l’empereur lui-même qu’il semble faire injure. »  Saint Augustin (livre 3, chapitre 10 de la trinité) dit, en parlant des signes sacrés tels que sont les sacrements, les images et les saintes lettres : « Puisque ces signes sont connus par les hommes, car ils ont chacun un nom, on peut les honorer d’un honneur religieux.  Ils ne peuvent pas susciter de l’effroi comme le font les choses mystérieuses. »  Parmi les signes qui sont connus par leur nom, et qui méritent un honneur religieux,  il énumère le serpent d’airain.  De même (dans le livre 3, chapitre 9 de la doctrine chrétienne), il dit qu’ils servaient sous des signes utiles ceux qui, comme les Juifs d’autrefois, ne savaient pas ce qu’ils signifient.  Et ceux qui vénèrent des signes utiles, tout en sachant ce qu’ils signifient, n’honorent pas tant le signe que la chose qu’il signifie.  Et ils sont donc libres.
 Que les images des saints soient des signes utiles divinement institués, et donc dignes de vénération tant par les esclaves que par les hommes libres,  le livre 2 de la doctrine chrétienne (chapitre 25) nous le montre saint Augustin, , quand il dit que les peintures et les statues appartiennent aux institutions superflues,  excepté celles qui, en temps et lieu, ont été proposées pour une bonne fin par celui qui détient l’autorité.  Telles sont certainement les images du Christ et des saints.  De plus, dans le livre 10 des confessions (chapitre 34), il reproche aux peintres et à d’autres artistes du même genre d’avoir péché par mangue de modération et de jugement,   et d’avoir fait peu de cas de la signification religieuse.  Il admet donc là implicitement qu’il y a des peintures qui sont valables, qui ont une signification religieuse, et qui sont donc vénérables.
  Au dixième anniversaire de la mort de saint Félix, saint Paulin parle ainsi des images peintes dans le temple : « Nous admirons les figures sacrées comme des monuments des anciens. »  En disant que les images sont sacrées, il enseigne en même temps qu’elles doivent être honorées.   Saint Grégoire (livre 7, épitre 5 l’évêque Januarius Caralitanus,)  en parlant de l’image de la sainte Vierge et de la croix qui avaient été placées dans une synagogue des Juifs, ordonne de les sortir de là : « Je vous enjoins, par les présentes, au sujet de la croix et de l’image qui sont dignes de vénération, de corriger ce qui a été fait par la violence. »  Et, au livre 7, épitre 53 à Secundinus, il enseigne qu’on doit honorer une image sacrée par une prostration, mais non comme dieu : « Nous nous prosternons devant elle, mais  non comme devant une divinité. »
 Saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 17) dit que le culte de la croix et des images est une tradition apostolique.  De plus, il est très certain que la croix, c’est-à-dire l’image du crucifix a toujours été honorée dans l’Église.  Car, Lactance dit, dans son poème sur la passion du Seigneur : « Fléchis le genou, et adore le bois vénérable de la croix. »  Et Sedulius (livre 5, chant pascal) : « Personne n’ignore qu’il faut rendre un culte aux représentations de la croix. »
Saint Ambroise (dans son oraison sur la mort de Theodose) dit : « Elle a agi sagement Hélène quand elle leva et plaça la croix du Christ  sur la tête des rois, pour que la croix du Christ soit adorée dans les rois. » Et  (dans le livre de l’incarnation du Seigneur, chapitre 7), il dit : « Quand nous vénérons la croix et l’image de Dieu dans le Christ, le divisons-nous ? »  Saint Jérôme (dans la vie de Paula), dit : « Prosternée devant la croix, elle adorait le Seigneur comme si elle le voyait pendant. »  Saint Athanase, question 16 à Antioche dit que les chrétiens vénèrent l’image de la croix plus que  la lance, la colonne de sa flagellation, ou les clous pour  que, si les païens nous accusent de vénérer le bois, nous puissions séparer les montants de la croix, et une fois l’image de la croix disparue, fouler aux pieds ces deux morceaux de bois, pour leur faire comprendre  que ce n’est pas le bois que nous vénérons, mais l’image du Christ.  Les pères témoignent donc que les païens ont toujours accusé les chrétiens d’adorer du bois parce qu’ils vénéraient l’image du Christ en croix.
Tertullien (dans son apologétique, chapitre 16),  dit que les chrétiens ont été appelés les religieux de la croix.  Et il ne nie pas que ce soit vrai. Minitius Felix (dans Octavius),  répond aux Gentils qui nous reprochaient  d’adorer la croix : « Ce n’est pas la croix que nous adorons ».  Il  parlait de l’adoration qui n’est due qu’à Dieu seul, l’adoration de latrie, car c’est cela qu’on reprochait aux chrétiens.  Par la même objection que fait Julien  dans saint  Cyrille d’Alexandrie (livre 6), on constate que la croix était effectivement vénérée par les chrétiens.  Car, il est clair que les païens  n’auraient jamais accusé les chrétiens d’idolâtrer la croix s’ils ne les avaient pas vus en train de vénérer la croix.
 Ridicule est la réponse que font les magdebourgeois qui, en s’appuyant sur le concile de Francfort,  (centurie, 8, chapitre 9, vers la fin).   disent que la croix et les autres images n’ont rien en commun,   parce que ce n’est pas par une image que le Christ nous a rachetés,  mais par la croix.  Car cette réponse milite contre les centuriates, puisqu’ils  n’admettent pas qu’on puisse honorer les images.  On peut ensuite qualifier leur réponse de  réponse d’un incompétent , car le Christ ne nous a pas libérés par cette croix  en or, en argent  que nous vénérons, mais par une croix de bois dont celle que nous vénérons est l’image.  Nous n’avons pas non plus partout la vraie croix du Christ,  et les anciens du temps de Tertullien et de Minutius l’avaient encore bien moins, puisqu’elle a été découverte au temps du grand Constantin.  Le Christ ne nous a pas plus  rachetés par son corps que par la croix de bois.  Voilà pourquoi, s’il est permis de vénérer l’image du crucifix, il est encore plus permis de vénérer l’image  de son corps.
Quatrième argument.  On le prouve par les miracles.  En effet, par les images du Christ et des saints, Dieu a opéré beaucoup de miracles.  Ce qui nous fait penser que plait à Dieu la vénération des images.  Je raconte d’abord un miracle célèbre rapporté  par Eusèbe (livre 7, chapitre 14).  Aux pieds de la statue du Christ faite par l’hémorroïsse, à Panéade,  de l’herbe inconnue à tous avait coutume de pousser,  et elle croissait jusqu’à la fibre du vêtement du Christ.  Et, quand elle l’atteignait, elle avait le pouvoir de guérir toutes les maladies.   C’est aussi ce que rapporte Theophylacte (au chapitre 9 de Matthieu).  L’historien Sozomène  (livre 5, chapitre 20 de son histoire)  ajoute un autre miracle.   Quand Julien l’apostat fit enlever cette statue et mettre la sienne à sa place, un feu venant du ciel a rapidement détruit  la statue de Julien.  Sa tête fut séparée de son corps, exactement comme cela était arrivé à l’idole Dagon (1 Rois 5).
On ne peut pas ne pas relever un insigne mensonge des centuriates.   Ce qui est arrivé à la statue de Julien, ils l’attribuent aussi à la statue du Sauveur.   C’est ainsi qu’ils parlent (dans la centurie 4, chapitre 13, colonne 1447) : « Il semble que cette destruction d’une statue par la foudre  soit un signe céleste que ne plait pas à Dieu la superstition qui attribue à une statue un pouvoir quelconque. »   Et ils appellent superstition le pouvoir de cette herbe qui guérissait toutes les maladies.  Et quand ils disent que l’image du Christ a été abattue par la foudre ils mentent effrontément en contredisant tous les historiens.   Quand ils attribuent à une superstition diabolique les miracles du Christ les plus attestés, ils imitent les scribes et les pharisiens qui calomniaient le Christ en attribuant ses miracles au démon. On peut lire beaucoup d’autres miracles faits par Dieu dans les magdebourgeois  (centurie 6 et suivantes, chapitre 13), et répondre à l’argument tiré des livres de Charlemagne : parce que les images font des miracles, il ne s’ensuit pas qu’on doive les adorer.  Car, c’est par l’eau du Jourdain qu’Élisée a guéri Naamain,  par sa salive que le Christ a guéri un aveugle.  Et, cependant nous n’adorons ni l’eau ni la salive.  De plus, les mauvais eux-mêmes font parfois des miracles, et nous jugeons pourtant que de tels hommes sont indignes de tout honneur.
Je réponds qu’il faut regarder la fin des miracles.  Car, ce qui est confirmé par un miracle est attesté par Dieu.  Élisée  et le Christ n’ont  pas, pour faire leur miracle,  utilisé l’eau et la salive  dans le but de les honorer,  mais pour montrer l’un qu’il était le prophète de dieu, et l’autre le Fils de Dieu. De même, les hommes mauvais ne font pas de miracles pour rendre témoignage à eux-mêmes ou à leur vie, mais à la foi.  Voilà pourquoi c’est la foi qu’ils prêchent  qui est vénérée, et non eux-mêmes.
Les miracles ont été faits pour approuver ou sanctionner le culte des images.  Car, pourquoi la foudre a-t-elle détruit la statue de Julien  si ce n’est pour venger l’injure faite à la statue du Christ ?  Et pourquoi, d’une image enfouie par les Juifs du sang est-il sorti qui guérissait un grand nombre de malades et d’infirmes, comme le rapportent Athanase (dans son livre sur la passion de l’image de Dieu), Grégoire de Tours  (dans la gloire des martyrs, chapitre 21), Rheginus (dans sa chronique en l’an 804), si ce n’est pour montrer qu’il honore ce que les Juifs affectaient de mépriser.  De plus, les bienfaits que Dieu communique par les images, sont accordés à ceux qui honorent les images, et qui estiment que le culte des images plait à Dieu.  Car, ce miracle  fait à Edesse par l’image du Christ, dont parle Évagrius (livre 4, chapitre 26) a été fait  pour la guérison de ceux qui vénéraient les images.
  Zonaras raconte (dans la vie de Michaël Balbus) que, quand Leon Armenius persécutait les images, son fils Sabbatius Constantin qui était muet,  s’est approché d’une statue de saint Grégoire de Naziance, et qu’après avoir prié mentalement le saint, il reçut, par un miracle divin,  le don de la parole.  Or, si le culte des images était une idolâtrie, c’est Dieu lui-même qui aurait encouragé l’idolâtrie.  Paul le diacre  (livre 21 sur les choses romaines)  écrit que quand un certain iconoclaste, apercevant une statue de la sainte Vierge, lui lança des pierres,  il vit la vierge le menacer en ces termes terribles : « C’est sur ta tête que tu as fait cela. » Et, un peu après, il a été frappé par une pierre qui lui a fracassé la tête, comme la statue le lui avait prophétisé.
On peut tirer aussi un argument du semblable, de cette façon.  Un homme est digne de vénération parce qu’il est l’image de Dieu.   Donc  les autres images du Christ et des saints sont dignes de vénération, car ce qui convient à une image du fait qu’elle est une image convient aussi à toutes les images.  Que l’homme soit vénérable en tant qu’il est une image de Dieu, saint Cyrille et saint Augustin l’attestent.   Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 12) dit : « L’image de bois d’un roi terrestre est honorée.  A combien plus forte raison l’image raisonnable de Dieu. »  Saint Augustin (épitre 203 à Maxime, évêque des donatites), explique pourquoi, dans le titre de sa lettre, il avait écrit : au frère honorable.  Il lui dit que ce qu’il honore en lui ce n’est pas l’épiscopat, mais l’image de Dieu qu’il savait être en lui puisqu’il était un homme.
Les magdebourgeois répondent (d’après le livre de Charlemagne) que cet argument ne permet pas de conclure parce que les images de l’homme peintes ne sont pas semblables à l’image de Dieu, car l’image de Dieu est dans l’esprit, et les peintures ne sont une image de l’homme que dans sa forme extérieure.   Incompétents !  Car l’argument procède d’une proportion similaire : comme l’homme se comporte envers Dieu dont il est une image, de la même façon l’image se comporte envers le Christ, dont elle est une image.   Si donc l’homme est honorable  parce qu’il est une image d’une chose honorable, l’image sera certainement dite aussi honorable parce qu’elle est l’image d’une chose honorable.
Ils répondent deuxièmement.   L’homme n’est pas  adoré religieusement, mais civilement.  Or, même si l’homme en tant que roi ou empereur est honoré civilement, l’homme, lui, en tant qu’image de Dieu est honoré religieusement.  La raison pour laquelle on honore une chose sacrée est la suivante : lorsque quelqu’un honore un homme parce qu’il est saint, ou prophète, ou prêtre, ou évêque, il est certain que c’est religieusement qu’il l’honore, et non civilement.   Le sixième argument  est tiré aussi du semblable.   L’image du roi est vénérable par un honneur civil.  Donc, les images du Christ et des saints sont honorables d’un culte religieux.  Cet argument peut être confirmé par la fraude de Julien l’apostat, que décrivent saint Grégoire de Naziance (dans son sermon 1 sur Julien) et Paul diacre (dans sa vie de Julien), etc.
  C’était entré dans les mœurs que tous devaient adorer les images des empereurs, ce que les chrétiens eux-mêmes faisaient, car ils comprenaient très bien qu’ils ne faisaient qu’une adoration civile. Et cela valait même pour les empereurs païens.   Mais Julien l’apostat, pour obliger les chrétiens, au moins par erreur, à adorer une idole, avait ordonné que son image soit peinte de façon à ce qu’elle le soit  en même temps qu’on peindrait l’empereur couronnant au ciel Jupiter.  On devait peindre aussi Mercure et Mars contemplant l’empereur pour indiquer par là qu’il était sage et fort.   Il proposait ensuite qu’on le peigne parmi les dieux pour que, en vénérant l’image de l’empereur, les chrétiens vénèrent en même temps les images des faux dieux.  Saint Grégoire de Naziance reconnait que furent jugés dignes de pardon  les chrétiens plus simples qui ne flairèrent aucune ruse, et qui ne pensaient adorer rien d’autre que l’image du roi.
Les centuriates répondent au lieu cité que ces choses ne sont pas semblables, parce que l’image du roi est honorée à cause de l’absence du roi qui ne peut pas être partout à la foi dans son royaume, alors que Dieu, lui, est présent partout.   Mais, d’abord, nous ne demandons pas pourquoi  est adorée l’image du roi, mais, du fait qu’elle est adorée, nous en déduisons que c’est à bon droit qu’est adorée l’image du Christ.  De plus, le Christ, en tant qu’homme, n’est pas partout.  Ensuite, il est faux que les images du roi ne soient pas honorées en sa présence.   Bien plus, celui qui fait une insulte à l’image du roi en sa présence commet une faute plus grande qu’en son absence.  De même c’est une chose qui plait grandement aux rois qu’on honore leur image en leur présence..
Le septième argument est tiré du contraire.   L’image est capable d’injure et de mépris, donc d’honneur  et de culte. Eusèbe (livre 9, chapitre 10 de son histoire) raconte que, à la honte  de Maximin, ses images avaient été effacées  ou défigurées par des couleurs noires.  La même chose s’est produite dans le cas de Domitien, selon Svetonius.  Theodose (le meilleur et le plus pieux des princes) fut si fâché quand les antiochiens  détruisirent l’image de son épouse,  qu’il s’en est fallu de peu qu’il ne détruise toute la ville.  Deux sermons de saint Jean Chrysostome nous sont conservés qui déplorent ce crime commis contre l’empereur.  Voir aussi Theodoret (livre 5, chapitre 19 de son histoire).  De plus, l’apostat Julien n’aurait pas maltraité ainsi la statue du Christ  s’il n’avait pas pensé qu’en agissant ainsi il lui faisait une grande injure.  Et Dieu n’aurait pas frappé la statue de Julien avec sa foudre s’il n’avait pas reçu de lui d’injure, et si ce n’avait pas été pour le déshonorer.
Le huitième argument.  On a du mérite à exécrer les idoles des Gentils, et à les détruire, et on loue grandement Theodose  parce que, au témoignage de Theodoret (livre 5, chapitre 20 de son histoire) il a ordonné que les idoles soient détruites partout.  Et il est certain que cela ne s’est fait qu’à cause de ce qu’elles signifiaient, parce qu’elles étaient les images des faux dieux.  Au contraire,  les images du Christ et des saints sont honorables parce qu’elles sont des choses bonnes et saintes.  Le neuvième argument est tiré de l’impiété des iconoclastes, et de la piété de ceux qui vénèrent les images.   Car, les iconoclastes, comme nous l’avons montré au chapitre 2,  furent tous ou des Juifs, ou des Samaritains, ou des Mahométans, ou des nécromanciens,  ou des hérétiques manifestes.  Personne ne peut nier que ce sont des impies.  Or, ceux qui défendirent les images furent saints et savants, comme les papes Grégoire  et Adrien, les évêques de Constantinople Germain et Tarasius,  Saint Jean Damascène,  Méthode, Léonce, Jonas aurélien,  Paul diacre,  et d’autres qui furent, au témoignage de tous,  des hommes pieux et doctes.  Il n’est pas crédible que Dieu ait voulu enseigner son Église par ses ennemis plutôt que par ses saints amis.
Et que dire de ce que le diable lui-même déteste les images ?  Voici, en effet, ce que nous lisons dans le pré spirituel (chapitre 45).  Un ermite se plaignait que l’esprit de fornication qui le vexait vieillissait avec lui et refusait  de le quitter.  Le diable lui apparut alors, et lui promit qu’il s’en irait s’il cessait de vénérer l’image de la sainte Vierge qu’il avait dans sa cellule.  Dira-t-on que le démon fait semblant de haïr les images pour que, par cette feinte, il pousse les hommes à les vénérer plus longtemps ?  Or, s’il en ainsi, pourquoi le démon, par les Juifs et les Mahométans,  a-t-il  si souvent détruit les images ?  Le dixième argument se tire de la malheureuse issue des iconoclastes, et du bonheur de ceux qui ont vénéré les images.   D’abord, au temps de Léon l’iconoclaste, après que les images des saints furent brulées sur la place publique de Constantinople, une peste si grave fit rage que trois cent mille hommes de Constantinople  en moururent.   Voir la chronique de Matthieu Palmeri, l’an 741.  De même, par la même occasion,  le même Léon (ainsi que ses successeurs) perdit le royaume de l’Italie, et ne put jamais le récupérer.  Voir Zonaras et Paul diacre dans la vie de ce Léon.  Au même moment, le roi des Arabes Exide qui avait ordonné de détruire les images des chrétiens, ne survécut même pas une année complète, alors que trente ans de règne lui avaient été promis par celui qui l’avait engagé dans ce sacrilège.
Au temps de Constantin Copronyme, des calamités inouïes frappèrent l’Orient.  Des séismes  gigantesques dévorèrent des villes entières et tuèrent des milliers d’hommes.   Fit aussi son apparition une peste d’une virulence  telle que les vignes, les jardins, les puits et d’autres lieux suffisaient à peine pour ensevelir les cadavres.   Pour qu’on n’ait point de doute sur la cause de ces malheurs, partout, en même temps,  de petites croix, comme peintes à l’huile,  apparaissaient sur les habits des hommes, les voiles sacrés, les vêtements sacerdotaux.  Dieu voulait manifestement  que l’on voie partout l’image de la croix que Constantin Copronyme  s’efforçait, en ce temps, d’anéantir.  Puis, un froid sibérien  fit non seulement geler la mer du Pont,  mais forma  des glaces d’une épaisseur de trente coudées.  Un peu après, la débâcle commença, et   des blocs énormes de glace  semblables à de grosses montagnes ou à des îles flottaient un peu partout à une grande vitesse. Quelques-uns de ces icebergs se rendirent à Constantinople et renversèrent certaines maisons.  Paul diacre atteste avoir vu tout cela.
  La même année, la sécheresse fut si grande  que presque toutes les rivières, les fontaines, les puits se tarirent.  De telle sorte que tous comprenaient et disaient ouvertement que ces calamités s’étaient abattues sur le peuple à cause de l’impiété commise contre Dieu et ses saints.  Enfin, l’empereur obstiné  mourut en criant, car, il a été brûlé encore vivant par un feu inextinguible, comme en témoignent Zonaras et Paul diacre dans la vie de cet empereur.  À l’inverse, Pépin et son fils Charlemagne  qui, avec le souverain pontife, défendaient les images, vécurent heureux,  eurent un règne long et toujours victorieux.
                                          CHAPITRE  13
                   On répond aux arguments des adversaires
Il reste à répondre aux arguments des adversaires.   Au premier de Calvin je dis que dans ces passages de l’Écriture, on réprouve l’idolâtrie, c’est-à-dire le culte des images considérées comme des dieux, ou par lesquelles sont adorés comme dieux ceux qui ne le sont pas.  Au sujet de la preuve que Calvin tentait d’en donner, à savoir  que c’est Dieu que les Juifs et les Gentils adoraient dans les idoles, je dis que dans les paroles de Calvin sont contenus plusieurs mensonges.  Son premier mensonge : les Juifs et les Gentils n’appelaient pas leurs dieux des idoles.  En effet, (au livre 1, chapitre 11, verset 10),  Calvin dit, en s’objectant à lui-même la réponse des catholiques : « nous ne les appelons pas nos dieux, mais des images », il répond : « Les Juifs et les Gentils ne les appelaient pas non plus ainsi.  Et pourtant les prophètes ne cessaient pas de leur reprocher leurs fornications avec le bois et la pierre. »
 Si les Juifs ne disaient pas que les idoles étaient leurs dieux, d’où vient l’Exode 32 : « Fais-nous des dieux qui nous précèdent. »  Et : « Voici tes dieux, Israël. »  D’où vient ce texte de Michée, Juges 18 : « Mes dieux, ceux que je m’étais faits, vous les avez enlevez. »  Et, 3 Rois 12 : des deux veaux de Jéroboam, on dit : « Voici tes dieux, Israël »   Que les païens aient appelé dieux leurs simulacres  aucun lecteur de leurs poètes ou de leurs orateurs ne l’ignore.  Mais un seul passage nous suffira (Daniel 5) : « Ils buvaient le vin et louaient leurs dieux en or, en argent, en airain, en bois, ou en pierre. »  Et cet autre tiré de Sagesse, chapitre 13 : « Ils appelèrent dieux les œuvres de leurs mains. »   L’Écriture peut-elle plus clairement répudier  le mensonge de Calvin ?
Le second mensonge.   Quand les Juifs ont fabriqué leur veau d’or, ils n’ont pas oublié le vrai Dieu.  Car  les paroles de Calvin sont en totale opposition aux paroles de la Bible.  Au livre 1, chapitre 11, verset 9, voici ce qu’il dit : « Les Juifs n’étaient pas écervelés au point d’avoir oublié le Dieu qui les avait fait sortir de l’Égypte. »   Or, dans le Deutéronome 32, on lit : « Tu as abandonné le Dieu qui t’a engendré, et tu as oublié le Seigneur ton Créateur. »  Et, dans le psaume 105 : « Ils ont fait un veau à l’Horeb, et ont adoré une sculpture.  Et ils ont oublié le Dieu qui les avait sauvés, qui avait fait pour eux de grandes choses en Égypte, des merveilles dans la terre de Cham, des choses terribles sur la mer rouge. »  Et Jérémie, chapitre 2 : « Ils coururent après la vanité, c’est-à-dire après les idoles, et ils ne dirent pas : où est le Seigneur qui nous a fait monter de la terre d’Égypte. »  Quoi de plus clair !
Le troisième mensonge.   Dans toutes leurs idoles, les Juifs adoraient le Dieu un et vrai.  Voici ce qu’il dit au livre 1, chapitre 11, verset 8 : « Ils savaient que Dieu existait, dont ils connaissaient, par expérience, le pouvoir.  Mais par  l’image qui précédait, ils voulaient connaitre le dieu qui leur servait de guide dans le chemin. »  Et, au verset 9, il ajoute : «  Les Juifs  étaient persuadés d’adorer, sous ces simulacres, le Dieu éternel, le vrai Seigneur du ciel et de la terre. »  Mais cela est un mensonge, et je le prouve.   Car, si les Juifs voulaient un tel signe corporel, ils n’avaient pas besoin de faire de veau, car ils avaient la nuée et la colonne de feu qui les guidaient beaucoup mieux qu’un veau qu’ils devaient toujours porter à bout de bras.  Ce n’était donc pas un signe corporel qu’ils cherchaient, mais un dieu corporel,
Ensuite, parce qu’on ne peut pas donner d’autre explication à leur choix d’un veau plutôt qu’à celui d’un bœuf ou de toute autre chose que parce qu’ils étaient habitués de voir le dieu suprême des Égyptiens  qui était un veau noir blanc, avec des taches toutes spéciales, et que l’on appelait apis. Voir là-dessus Cicéron (livre 1, sur la nature des dieux), saint Augustin (livre 18, chapitre 5 de la cité de Dieu),  et tous les écrivains : Hérodote, Diodore, Plutarque, Pline, Suidas, Eusèbe,etc.   Parce qu’ils virent en Égypte un veau recevoir les honneurs  suprêmes, les Juifs  pensèrent que le Dieu du ciel était ce veau, et c’est pour cela qu’ils fabriquèrent la statue d’un veau.
Troisièmement.  Parce que, en Josué, dernier chapitre, une option est donnée aux Hébreux : ou ils veulent servir des dieux étrangers, ou le Dieu d’Israël.  Ils n’adoraient donc pas le Dieu d’Israël  dans les idoles,  et ils ne pensaient pas non plus qu’ils l’adoraient.   Car, on pourrait répondre que cette alternative était inepte, si comme le prétend  Calvin, ils adoraient le vrai Dieu dans les idoles.  On confirme la même chose avec 3 Rois, 18, où Élie dit : « Jusqu’à présent, vous avez boité de deux côtés.  Si le Seigneur est Dieu, suivez-le.   Si Baal est Dieu, suivez-le. »  Quand les Juifs adoraient l’idole Baal, ils n’adoraient certainement pas le vrai Dieu.  J’ajoute cet autre passage du Deutéronome  32 : « Ils ont immolé aux démons, et non à Dieu, à des dieux qu’ils ignoraient. »  Ajoutons qu’on aurait faussement accusé les Juifs de servir des dieux étrangers si, dans les idoles, ils avaient toujours adoré le vrai Dieu.
Mais, tu demanderas : pourquoi dit-on du veau dans l’Exode 32 : « Voici tes dieux qui t’ont fait sortir de la terre d’Égypte » ?  Et comment dit-on d’un veau : « Demain, c’est la solennité du Seigneur. »  Et dans les Juges : « J’ai sanctifié cet argent auprès du Seigneur pour en faire des idoles. »  Au premier texte, je réponds  que les Juifs pensaient que le bienfait de la libération ils l’avaient obtenu non du Dieu de Moïse, mais du dieu des Égyptiens. Au deuxième et autre troisième texte, il y a deux réponses possibles.   La première, celle de Cajetan  (au chapitre 32 de l’Exode), que les Juifs attribuaient le vrai nom de Dieu à l’idole de l’idolâtre, et que c’est peut-être ce que signifie l’Écriture (Sagesse 14) quand elle dit : « Ils ont imposé mon nom incommunicable aux pierres et au bois. »   Il n’y aucun nom de dieu incommunicable en dehors du mot Yahve, car les autres noms sont donnés aussi aux créatures.
Tu diras que cet autre nom hébreu (Seigneur ?) est le nom propre du Dieu d’Israël; qu’il ne pouvait donc pas être communiqué à d’autres.  Je réponds que les Juifs qui croyaient qu’il y avait plusieurs dieux, ne pensaient peut-être pas que ce nom soit lui soit propre.  Ils communiquaient peut-être ce nom à d’autres par similitude.  Car, quand les Égyptiens disaient que le Nil était leur Jupiter, et quand nous disons nous d’un soldat rapide qu’il est notre  Achille, d’un savant, notre Caton, les Juifs pouvaient aussi dire du veau qu’il est notre (mot hébreu) Seigneur ?
 L’autre solution est celle d’Abulensis, de Cajetan et d’autres au chapitre 16 des Juges.  Ils disent que, pour les Hébreux, il y avait deux  genres d’idoles.   Une, sans le nom  d’un Dieu  particulier, telle que fut l’idole de Michae (Juges 17), et peut-être le veau d’or que fit Aaron (Exode 32) et que renouvela Jéroboam (3, Rois, 12).   Car, l’Écriture ne nomme pas le dieu veau  le dieu Moloch, le dieu Baal, mais dit toujours : voici quels sont tes dieux Israël.  L’autre genre : avec un nom précis comme Baal, Moloch, Astaroth,  Chamos.  Ils disent qu’il n’est pas improbable de pourvoir admettre que, selon le premier genre, les Juifs pensaient adorer le vrai Dieu dans l’idole.  De plus, ils erraient gravement  en cela, d’abord  parce qu’ils sacrifiaient à une idole, et croyaient que, dans cette idole, se trouvait une vertu divine; et ensuite,  parce qu’ils imaginaient que Dieu était corporel, et qu’il était semblable à cette idole.  Il s’ensuit que, même s’ils pensaient adorer le vrai dieu, ils n’adoraient qu’une fiction.  Exemple.  Les manichéens disaient adorer le Père et son Fils le Christ.  Mais, parce que, par Dieu, ils entendaient une lumière corporelle,  et par le Christ, ce soleil corporel,  ils n’avaient de Dieu et du Christ que le nom seul.
Que les Juifs aient pensé que Dieu était corporel, et semblable à l’idole, le veau d’or nous l’apprend.   Car, la raison pour laquelle ils représentaient Dieu sous la forme d’un veau c’est parce qu’ils avaient vu, en Égypte, un veau auquel on rendait les honneurs suprêmes.  Voilà pourquoi ils estimaient que le dieu suprême était un veau; et c’est de cette façon que les Juifs avaient vraiment oublié Dieu, même s’ils pensaient ne l’avoir pas oublié.  Mais, dans les idoles du second genre, il est si certain que les Juifs n’ont pas adoré le Dieu d’Israël, ni n’ont pensé le faire,  que même le calviniste Pierre le martyr le reconnait (chapitre 17, Juges.)
Le quatrième mensonge.  Les païens ne pensaient pas que les idoles étaient des dieux.   C’est ce que dit Calvin (livre 1, chapitre 11, 9) : « On ne doit pas penser que les païens étaient stupides au point de ne pas comprendre que Dieu était autre chose que du bois ou des pierres. »  Même s’il y en a eu qui ne furent pas stupides au point de penser que des idoles de bois ou de pierre étaient des dieux, il y en a eu  plusieurs d’assez stupides pour penser que les idoles vivaient et entendaient, et étaient des dieux.
 Quatre choses poussaient les païens à penser que les idoles étaient des dieux. La première. C’est ce que leur disaient leurs pontifes.   La seconde. Parce qu’ils voyaient que presque tout le monde croyait ainsi.  La troisième.  Parce que, par l’opération des démons, les idoles bougeaient, parlaient, et prédisaient le futur.  Et même si c’était les démons qui les faisaient bouger et parler, les païens pensaient  que c’était elles-mêmes qui se déplaçaient et qui parlaient.  Que l’idole avait coutume de parler, on l’apprend par Exéchiel  21, et de Zacharie 10, et du livre l,  chapitre ultime de Valerius Maximus.  La quatrième.  Parce qu’ils étaient de forme humaine. Et celui qui constate que ses membres sentent et vivent se persuade facilement  que des membres semblables aux siens sentent et vivent, surtout s’il l’entend dire par des savants.  Mais quelles qu’en furent les causes, je prouve maintenant  que plusieurs païens ont pensé que les idoles étaient des dieux; et que Calvin a donc menti.
Je le prouve d’abord par l’Écriture.   Car, tous les prophètes s’évertuent à enseigner que les idoles d’or et d’argent ne sont pas des dieux.  Et la preuve qu’ils en donnent c’est qu’ils ne parlent, ni ne voient ni n’entendent.  Voir Isaïe 46, David psaume 113, psaume 134, et Habacuc 2.  Mais surtout l’épitre de Jérémie Baruch 6,  où il conclut chaque argument par ces mots :  à cause de quoi vous comprenez qu’ils ne sont pas dieux. Les prophètes seraient de grands fous s’ils s’efforçaient d’écarter ce à quoi personne n’avait jamais pensé.   De plus, dans les Actes 9, les païens disent de Paul : Paul nous persuade de croire que ne sont pas dieux ceux qui ont été faits de main d’homme.  De plus,  dans  Jérémie 2, et Sagesse 13 et 14,  l’Écriture dit que les païens ont coutume d’invoquer les idoles, et de leur recommander leur salut.  Or, personne n’invoque ou ne prie un simulacre, dit Augustin (psaume 113) s’il ne pense pas pouvoir être exaucé par lui.
On le prouve, en second lieu, avec les pères.   Augustin, (livre 3, chapitre 7, sur la doctrine chrétienne) : « Je reconnais que sont engloutis plus profondément ceux qui pensent que les œuvres des hommes sont des dieux,  que ceux qui pensent que ce sont des œuvres de Dieu. »  Et plus bas : « Eux vénèrent les simulacres ou comme des dieux, ou comme des signes et des images des dieux. »  Et dans l’épitre 49, comme dans le psaume 113, il dit que plusieurs païens ont pensé  que les simulacres vivaient, respiraient et entendaient, et étaient donc des dieux vivants; et que cette erreur a été favorisée par la similitude des membres humains.  Tertullien, dans son apologie (chapitre 12) dit que les dieux des Gentils souffrent beaucoup plus quand ils sont fabriqués par les artisans que ne souffrent les chrétiens quand ils sont tués parce qu’ils ne veulent pas les adorer.   Eusèbe (livre 5, chapitre 15, préparat) : « Hésiode pense qu’il y a trente mille dieux sur la terre.  Moi, je vois beaucoup plus, parmi les hommes, de créateurs de dieux de pierre ou de bois. »  Et pour tout dire, Cyprien, Lactance, Arnobius, Minutius Felix, Clément d’Alexandrie, Athanase, Theodoret et d’autres qui écrivent contre les Gentils, rient d’eux  parce qu’ils adorent comme des dieux du bois et de la pierre.  Et qu’est-ce donc que dit Horace (livre 1, serm satyre 8) : « Autrefois j’étais un tronc d’arbre, un bois inutile.   Quand l’artisan se demanda s’il ferait de moi  un escabeau  ou un Priam, il préféra en faire un dieu.»
Ce ne sont pas seulement les poètes qui ont pensé ainsi, mais les hommes les plus sages.   Car Hermes Trismegiste, selon Augustin (livre 8, chapitre 23 de la cité de Dieu), dit que des  dieux ont été faits par le Dieu suprême, que d’autres ont été faits par les hommes. Il dit que les dieux faits par les hommes sont des statues qui sont liées aux démons par un art magique.  De sorte qu’une statue est comme le corps d’un dieu, que l’esprit inclus est son âme, et que toute l’idole est dieu,  comme l’homme est un corps et une âme.  Et Arnobe (livre 1 contre les Gentils) : « Je vénérais, ô cécité,  des simulacres qui venaient tout juste de sortir des fournaises,  des dieux dans des incubes  fabriqués  par des artisans. » Et, plus bas : « Comme si une vertu avait été présente à l’intérieur, je lui parlais, et je lui demandais des bienfaits. »  Et, plus bas : « Je croyais que le bois, les pierres et les os étaient des dieux, ou qu’ils habitaient dans la matière de ces choses. »  Vois, cher lecteur, à quel point ment Calvin quand il dit que les païens ne considéraient pas les idoles comme des dieux.
Mais il réplique : les païens changeaient leurs simulacres à volonté, mais pas leurs dieux.  Je réponds que, par la même sottise qui les faisait penser que des dieux pouvaient être faits par des mains humaines, les Gentils pouvaient croire aussi que des dieux étaient détruits par des mains humaines.  Mais, Calvin revient à la charge.   Ils représentaient le même dieu par plusieurs simulacres différents.  Je réponds que les païens avaient d’autres dieux dans le ciel, et d’autres dieux sur la terre.  Et ils ne trouvaient pas absurde  qu’un seul dieu céleste, comme Jupiter, ou Apollon, ait sur la terre plusieurs collègues mineurs, c’est-à-dire, plusieurs idoles du même nom.  Calvin ajoute ensuite : « Les païens consacraient de nouvelles images, mais ne pensaient pas pour cela faire de nouveaux dieux. »  Je réponds que c’est faux que les païens ne pensaient pas faire de nouveaux dieux, au moins terrestres.
Le cinquième mensonge (livre 1, chapitre 11, verset 10.) : « La fornication que les prophètes ne cessaient de reprocher aux Juifs et aux Gentils n’était pas aussi grande que celle qui, quotidiennement, est faite par ceux qui se disent chrétiens, mais qui vénèrent Dieu charnellement dans du bois et de la pierre. »  Mais cela est un mensonge énorme et impie.  D’abord, les Juifs et les Gentils immolaient aux idoles (Exode 32, 1 Corinth 10).  Et c’est cela que l’Écriture appelle fornication.  Les Chrétiens, eux, n’ont jamais rien immolé aux images.  De plus, comme nous l’avons déjà démontré, les païens ou  pensaient que les idoles étaient des dieux, ou adoraient, dans les idoles, des créatures  à la place de Dieu., ce que les chrétiens ne faisaient pas.   Que les Gentils adoraient, dans les idoles, des créatures à la place de Dieu, cela a déjà été prouvé.  Car, plusieurs, dans les simulacres, adoraient comme des dieux,  des hommes morts qu’ils croyaient eux-mêmes être morts.  Mais ils n’osaient pas dire cela ouvertement au peuple.  C’est ce que prouve Lactance (livre 1, chapitres 14 et 15).  Il rapporte même que le grand Cicéron a cherché à faire une déesse de son épouse, eu lui érigeant un simulacre.   Et, saint Augustin (livre 5, chapitre 26 de la cité de Dieu) prouve que les dieux des païens étaient des hommes.  Et, (au livre 18, chapitre 5), il enseigne qu’on a encore coutume, devant le simulacre de Serapis de mettre un doigt sur la bouche  pour ne pas dire que Serapis a été un homme.  On est même allé jusqu’à menacer de mort ceux qui soutiendraient qu’il a été un homme,  bien qu’il soit certain qu’il soit mort et ait été enterré.
Ce n’était pas des hommes morts mais des démons que d’autres adoraient dans les idoles, comme l’enseigne Hermes cité par saint Augustin (livre 8, chapitre 23 de la cité de Dieu).  Ils étaient soient  dans idoles par des arts magiques, comme Hermes le dit, ou ils habitaient les idoles de leur plein gré. Et ils se substituaient aux hommes morts pour être adorés à leur place, comme l’enseigne saint Cyprien dans son livre sur la vanité des idoles,   et saint Augustin (livre 8, chapitre 24 de la cité de Dieu, et livre 23, chapitre 17, contre Faust.)   On peut le déduire du fait que les démons prirent les noms des idoles dans lesquelles ils résidaient, ou des hommes morts à la place desquels ils recevaient des hommages.  Car, quand on les adjure de dire leurs noms, quelques-uns disent s’appeler Béelzebub, d’autres Molos, d’autres Chamos,  ou Jupiter, Mercure, Apollon, comme l’observe Origène dans son livre contre Celse, un peu avant le milieu; et Eusèbe, livre 6, chapitre 6 de la préparation, Lactance (livre 2, chapitre 16),    et Sulpitius dans la vie de saint Martin.  C’est aussi ce qu’atteste l’Écriture  (Deutéronome 2) : « Ils ont immolé aux démons et non à Dieu. »  Et, au psaume 95 : « Les dieux des nations sont des démons. »  Et 1, 10 Corinthiens : « Les choses que les Gentils immolent c’est aux démons qu’ils les immolent, non à Dieu. »
D’autres affirmaient n’adorer ni simulacres, ni hommes morts, ni démons dans les idoles,  mais des parties du monde. Car, dans l’idole d’Apollon, ils adoraient le soleil, dans celle de Neptune la mer, dans l’idole de Jupiter l’éther, comme le rapportent Eusèbe (livre 3, chapitre de sa prépartion) et saint Augustin (psaume 113, livre 4, chapitre 10 de la cité de Dieu, et livre 7, chapitre 5 de la cité de Dieu.)  D’autres n’adoraient dans les idoles ni  les parties corporelles du monde,  mais les âmes de ces parties, c’est-à-dire du soleil, de la lune et de la terre, comme le rapportent aussi Eusèbe (livre 3, chapitre 3 de la préparation) et saint Augustin au lieu cité.  Mais tous ces gens, bien entendu, adoraient la créature à la place du Créateur. À moins que quelqu’un ne soit idiot au point de ne pas vouloir appeler créatures  les homes morts, les démons, les éléments, les astres.  Et c’est précisément ce que reproche l’Écriture aux Gentils: l’adoration de la créature à la place du Créateur. Ce que les catholiques ne font et n’ont jamais fait puisqu’ils ne voient pas les images comme des dieux,  ni comme des images des dieux.
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CHAPITRE 14
On répond au deuxième argument

Au deuxième argument tiré des conciles, je dis d’abord que ces deux conciles de Constantinople ont été illégitimes. Parce que ne fut présent le pontife suprême, ni par lui-même, ni par ses légats, comme le rapportent Zonara, Cedrenus, Paul diacre, et le symbole de Nicée 2, acte 6.   Or, la règle ecclésiastique énoncée par le concile de Nicée 1 veut que, sans la sentence du souverain pontife, il ne soit permis de célébrer aucun concile, comme l’écrit Socrate (livre 2, chapitre 13.) Ensuite, parce que les patriarches n’y ont consenti ni par eux-mêmes, ni par leurs légats, comme le montrent les mêmes auteurs.  Parce que tous les auteurs qui ont écrit sur les conciles généraux, comme Psellus, Photius, Zonaras, Nicéphore, Cedrenus, Nicetas, Paul diacre, Rheginus, Adon Sigebertus, l’abbé uspergensis, etc, tous ces auteurs, dis-je, n’énumèrent pas ces conciles parmi les conciles de l’Église, ou lui font de graves reproches.
Je dis aussi que même s’ils avaient été légitimes, ils auraient  été abrogés par le concile plénier et général de Nicée 2.   Il est à noter aussi que, par plusieurs auteurs récents, ce concile a été faussement appelé Éphèse 3, comme par celui qui a édité les conciles dans une préface au synode V11, et par l’auteur de la somme des conciles au début du synode V11, par Sixte de Sienne (livre 5 de la sainte bibliothèque, note 247) et par d’autres.   La cause de cette erreur est que ce concile profane a été présidé par l’évêque d’Éphèse Theodosius.   Car, qu’il ait été célébré à Constantinople et non à Éphèse, tous les anciens historiens l’attestent, et le concile lui-même qui, à l’acte 6 emploie le mot Nicée.
Il est à noter ensuite que c’est fort imprudemment que Calvin et les Magdebourgeois ont loué ce susdit concile de Constantinople.  Car, même si ce concile a parlé en impie des images saintes, il décrète pieusement sur le culte et l’invocation des saints,  et sur les mérites des œuvres; et il anathématise ceux qui enseignent  ce que Calvin et les magdebourgeois enseignent.  Car, au canon 15, il anathématise ceux qui n’invoquent pas la bienheureuse Vierge Marie;  au canon 17, ceux qui ne vénèrent pas et n’invoquent pas les autres saints; au canon 18, ceux qui ne croient pas que Dieu accordera la vie éternelle d’après les  mérites des oeuvres, selon la juste balance du juste juge.  Nous avons encore ces canons qui ont été insérés dans le concile de Nicée, acte 6, et les magdebourgeois les ont cités fidèlement (centurie 8, chapitre 9).  On ne peut trop s’étonner de l’imbécilité ou de l’impudence de gens qui louent ceux qui les anathématisent.
Au sujet du concile de Francfort, sur lequel s’appuient surtout nos adversaires,   j’ai trois choses à dire. La première.  Il ne faut pas attacher une grande importance aux définitions de ce concile, car, sans aucun doute possible,  il faut lui préférer le second concile de Nicée qui est plus universel, plus antique, et qui a été approuvé par le souverain pontife. Car ce concile atteste lui-même que furent présents les légats du pape Adrien. Et il a été approuvé de nouveau par Léon 111, d’après Ivone (4, part. chapitre 147.)   Deuxième réponse.  S’il est vrai ce que disent les centuriates (centurie 8, chapitre 9, colonne 639), ce synode ne peut nous faire aucun tort.  Ils disent eux-mêmes, en effet, que le pape et ses légats n’ont pas consenti aux décisions de ce synode, qu’ils les ont même réprouvées.  Or, il est certain qu’un synode que réprouve le pape n’a aucune autorité,  comme il appert de  Gélase (le tome sur le lien de l’anathème), et de l’expérience.  Car jamais n’a été considéré légitime un synode réprouvé par le pape.  Et que dire si le concile de Francfort lui-même enseigne la même chose ?  Car, (comme les livres carolingiens le rapportent), le synode de Francfort a décrété que le jugement ultime des controverses appartient au pontife romain. Et c’est surtout par cet argument qu’il rejette le synode V11 :  parce qu’il a été célébré sans l’autorité du pape.  Le synode de Francfort se détruit donc lui-même par le témoignage des magdebourgeois.
De plus, les magdebourgeois disaient au même endroit que le synode de Nicée 11 avait été confirmé par le pape Adrien.   Or, le concile de Francfort réprouve un synode fait sans l’autorité du pape.  Donc, selon le jugement des magdebourgeois, ce n’est pas notre Nicée, mais un autre, qui est réprouvé par le concile de Francfort.   De plus, au même endroit, les magdebourgeois enseignent  que le synode de Francfort n’a pas défini  qu’on devait enlever les images des temples, mais qu’elles demeurent dans les temples sans être adorées.   Pourquoi donc enlèvent-ils les images des temples ? Pourquoi les détruisent-ils ?  Pourquoi n’observent-ils pas le décret de Francfort ?  On peut aussi par là réfuter le mensonge de l’apologie des anglais, qui enseigne que, dans le concile de Francfort, il a été décrété que les images doivent être détruites.
Mais c’est tout le contraire qui est vrai.    Le synode de Francfort, au témoignage des livres carolingiens, d’Hincmar, et des magadebourgeois eux-mêmes,  anathématise ceux qui disent qu’il faut détruire les images.  De plus, les faits eux-mêmes le prouvent.   Car si ce concile avait statué ainsi, pourquoi cela n’a pas été fait ?  Car, qui, dans l’église occidentale, résisterait à un décret promulgué par tous les évêques, et par le roi le plus puissant ? Or, il est tout à fait certain que rien de ce genre n’a été fait.  Aucun historien n’en fait mention.  Bien plus, Jonas d’Aurélie, rapporte comme une chose sacrilège et inouïe que Claude de Tours ait voulu que, dans son diocèse, soient détruites toutes les images.
En troisième lieu, je dis que ce qui a été statué sur les images dans le synode de Francfort  est quelque chose de tout à fait incertain.  Car les anciens auteurs ne sont pas toujours d’accord avec eux-mêmes.  Car, tout d’abord, le décret de Francfort qui est cité dans la préface des livres carolingiens, est attesté dans le synode condamné  qui s’était réuni à Constantinople, et qui avait ordonné d’adorer les images.  Là où il nomme Constantinople, il semble parler du synode hérétique contre les images. Et quand il dit qu’il a décrété là que les images soient adorées, il semble parler du synode des catholiques.   Pour une raison semblable, les livres carolingiens eux-mêmes disent que, dans le synode de Francfort, a été condamné celui qui avait été fait à Constantinople en Bithynie, en faveur des images, sans l’autorisation du pape.  Quand il nomme Constantinople, et dit qu’à ce synode manqua l’autorité du pape, il semble parler du synode des hérétiques.   Mais quand il dit en Bithynie, et que ce synode a été célébré en faveur des images,  il semble parler de notre Nicée.  Car, Nicée est la métropole de Bithynie, et Constantinople celle de Thrace.
Hincmar de Reims (chapite 20 de son livre contre Hincmar de laudunensen), qui vivait à peu près à cette époque, dit que, dans le synode de Francfort a été condamné le synode qui s’était tenu à Nicée sans l’autorité du pape. Il exprime là deux choses contraires.   Aimonius (livre 5, chaipitre 85, des gestes des Francs) et l’Abbé uspurgensis (dans sa chronique de l’année 793) écrivent que, dans le synode Francfort, a été condamné le septième synode des Grecs qui s’étaient réuni à Constantinople sous Constantin et Irène, mêlant eux aussi, deux choses contraires.   Beaucoup d’historiens plus récents disent que, dans le synode de Francfort, a été condamné le synode de la destruction des images, que les Grecs appelaient le septième concile général.  Comme Platina dans la vie d’Adrien, Blondus (la deuxième décade, livre 1), Sabellicus (livre 8),  Enneadis (8), Paul Émilien (livre 2 , des gestes des Francs). En raison de cette confusion, Alanus Copus (dialogue, 4, 5) enseigne que, dans le synode de Francfort, seul le concile hérétique a été condamné; que le concile de Nicée non seulement n’a pas été condamné, mais qu’il a même été confirmé.   J’aimerais bien que cette opinion soit vraie, mais je soupçonne qu’elle soit fausse.
Premièrement, parce que ces livres carolingiens, même s’ils ont été faussement attribués à Charlemagne, sont, sans aucun doute possible, du temps de Charlemagne, comme le montre la réfutation de ces livres éditée par Adrien 1.  Et il semble avoir été écrits pendant le concile de Francfort,  et contenir des actes du synode de Francfort.  C’est du moins ce qu’affirme Hincmar, auteur de ce temps, et ces livres eux-mêmes.   Que le synode qui est réfuté dans ces livres soit le vrai synode Nicée 2, il n’est pas possible d’en douter, si on les lit ces livres, ou si on lit seulement la réponse d’Adrien.   Deuxièmement.   Parce que tous les auteurs anciens s’entendent pour dire que, dans le concile de Francfort, a été réprouvé le synode 7 qui enseignait qu’il fallait adorer les images. Hincmar, Aimoinus, Rheginus,  et Adon.   Dire que tous ces auteurs mentent, ou que leurs livres ont été corrompus, comme le prétend Copus, me parait un peu dur à avaler.
Troisièmement. Si ces auteurs avaient parlé du faut synode 7, de celui de Constantinople contre les images,  ils auraient quand même gardé souvenir du vrai synode 7 de Nicée.  Or, ils ne se souviennent que de  ce concile de Nicée qu’ils disent réprouvé.  Il importe peu que les livres carolingiens, l’abbé uspergensis et Aimoinus,  disent que le synode qui a eu lieu à Constantinople a été réprouvé, car l’abbé comme Aimoinus suivent les livres carolingiens.   L’auteur de ces livres, ou par un trou de mémoire, ou par inadvertance, ou par ignorance,  a mis Constantinople  à la place de Nicée.  Car, quand il dit que le concile a été célébré dans une province de Bithynie, où se trouve Nicée, il indique suffisamment que ce n’est pas de Constantinople qu’il parle, mais de Nicée.  Et, semblablement, quand l’Abbé et Aimoinus disent que le synode a été célébré sous Constantin et Irénée, ils démontrent clairement qu’ils parlent du synode de Nicée, même si, par erreur, ils ajoutent le nom de Constantinople.  Il importe peu également qu’Hincmar et les livres carolingiens disent que le synode réprouvé au concile de Francfort a été convoqué sans l’autorité du pape, ce qui est faux de Nicée, mais vrai de Constantinople.  Car, comme il l’indique lui-même, Hincmar suit les livres carolingiens.   L’auteur de ces livres a feint ce mensonge comme beaucoup d’autres pour l’imposer au concile de Francfort, comme nous le dirons bientôt.
Il importe peu, finalement que Platina, Blondus, Sabellicus, et Paul Émilien disent que le synode réprouvé était celui de la destruction des images.  Car, tout d’abord, ces auteurs sont tous plus récents.  Ensuite, ce qu’ils rapportent ne s’oppose pas aux dires des historiens antiques.  Car, dans le synode de Francfort, deux synodes ont été réprouvés, celui de Constantinople contre les images, et celui de Nicée pour les images, comme il est appert des livres carolingiens et d’Hincmar.  Et c’est sans doute pour cela que les anciens auteurs nomment tantôt Nicée, tantôt Constantinople, quand ils disent que le synode des Grecs a été réprouvé  par le concile de Francfort.  Il me semble donc à moi, que, dans le synode de Francfort,  a été vraiment condamné le septième concile de Nicée, matériellement et par erreur, de la même manière qu’autrefois le concile d’ariminensis avait condamné le mot consubstantiel.  Car l’auteur des livres carolingiens se substitua au synode, et lui attribua deux mensonges.  Un premier mensonge voulant que, dans le synode de Nicée, ont ait décidé qu’il fallait adorer les images d’un culte de latrie.  Et l’autre mensonge, que ce décret ait été fait sans l’autorité du pape.  Ces deux mensonges étant tenus comme vrais,  le synode de Francfort a réprouvé, et avec raison, le synode de Nicée comme profane et illégitime.  Qu’on ait persuadé ces deux choses au concile, les livres carolingiens nous le montrent.  Car, dans la préface on a ce long développement : « A été soulevée ( dans le synode de Francfort) la question du nouveau synode des Grecs qu’ils ont fait sur l’adoration des images.  Il y était statué que ceux qui ne rendraient pas aux images des saints le même culte et la même adoration qu’à la très sainte trinité seraient anathématisés.   Nos pères n’ont eu que du mépris pour ce genre de prières et de service, et ont condamné ceux qui y donnaient leur assentiment. »
Dans cette même œuvre, est introduit Constantin, l’évêque de Chypre qui, dans le concile de Nicée dit anathème à ceux qui n’adorent  pas les images du même culte qu’on adore la très sainte trinité.  Voilà le premier clair mensonge. Cet auteur, en effet, enseigne que c’est au souverain pontife qu’appartient le jugement des controverses de la foi, et que, par  conséquent, le synode promouvant l’adoration des images ne vaut rien du fait qu’il est dénué de l’autorité du pape.  De plus, ces auteurs antiques qui disent qu’a été réprouvé le faux synode qui avait décrété qu’on devait adorer les images, entendaient surement par le mot adorer le culte de latrie.  Car, ils enseignent eux-mêmes qu’on doit vénérer les images, tout en exécrant le synode qui oblige de les adorer. Ado, dans la chronique de l’année 696 dit : « À Rome,  le jour de l’exaltation de la croix, la croix a coutume d’être embrassée et adorée par tout le peuple. »  Et, dans la chronique de l’année 717,  il appelle vénérable l’image que l’hérétique Philippe avait renversée, et qu’avait restituée l’empereur catholique Theodose.   Rheginus (livre 1 de sa chronique, vers la fin) reconnait l’adoration de la croix, et estime criminelle le détournement des images par Léon l’iconoclaste.   Jean Aventinus (livre 4 de ses annales) dit que, quand Charlemagne a été déclaré  empereur, son image avait été vénérée par tout le peuple en sa présence.  L’Abbé uspergensis dans sa chronique blâme Léon Isaurus, et Constantin  Copronyme à cause de leur rejet des images; et les appelle impies et précurseurs de l’Antichrist; et loue, au contraire le pape Grégoire et l’appelle un saint parce que, à cause des images du Christ et des saints, il avait excommunié l’empereur.
Que ce soit un mensonge que le concile de Nicée ait été privé de l’autorisation du pape, et qu’il ait décrété que les images devaient être adorées du culte de latrie, c’est la certitude même.  Car, dans le concile de Nicée 2, acte 2, on a lu publiquement les épitres du pape Adrien sur les images; et, dans tous les actes, les légats romains souscrivirent toujours les premiers.  De plus, en ce qui a trait au culte, on rapporte, dans le premier acte, que Basile Ancyre, qui était auparavant un hérétique, est venu à résipiscence, et a émis une confession catholique.   Et, pendant que tout le concile le regardait et l’écoutait, il dit qu’il adore les images, mais  non d’une adoration de latrie, qui n’est due qu’à Dieu.  L’évêque Constantin de Constance, Chypre,  dit la même chose dans le synode 7, acte 3.   Les autres ont parlé aussi de la même façon (actes 4 et 7).
On ne doit pas s’étonner que l’auteur des livres carolingiens ait, avec des mensonges si manifestes, défiguré le synode de Nicée qui avait eu lieu un peu avant.  Car, si maintenant, Calvin et les magdebourgeois osent écrire que nous honorons les images des saints  avec les honneurs divins réservés à Dieu seul, alors que tant de livres de catholiques, le concile latin et le concile de Trente célébré aux frontières de la Germanie, proclament hautement le contraire, comment s’étonner qu’on ait dit la même chose d’un synode grec que très peu de gens pouvaient lire, et qui avait été tenu en Orient ! Si tu dis, donc le concile de Francfort au moins a pu errer,  lui qui était bien représenté et qui était légitime.  Je réponds.  Il a pu errer, et a erré en effet, non dans une question de droit, mais de fait.  Et puis, il n’y a pas à s’étonner qu’il ait erré, car les légats romains ne l’ont pas approuvé, comme le reconnaissent les magdebourgeois eux-mêmes en disant : « Le pape non seulement n’a pas consenti, mais il a même réfuté le décret de Francfort, comme il appert du livre d’Adrien à Charlemagne sur les images,  où sont réfutés tous les mensonges de ces livres carolingiens.
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                                                   CHAPITRE 15
                                 On répond au troisième argument
Au  sujet de ce qu’ils tirent des livres carolingiens, lesquels constituent le fondement principal de leur cause, je dis que ces livres ne sont pas de Charlemagne, ni non plus de personne en qui on puisse faire confiance.  Qu’ils ne soient pas de Charlemagne,  je le prouve par la lettre (livre) du pape Adrien à Charlemagne,  dans laquelle ces livres sont méthodiquement réfutés.  Cette lettre du pape Adrien nous fait comprendre que les livres en question ont été composés par un hérétique, et envoyés par Charlemagne au pape pour qu’il y réponde.  Que cette lettre qui se trouve dans le troisième tome des conciles  (ou livre) soit du pape Adrien, Ivone nous le fait comprendre, car, dans la quatrième partie de son décret, il a inséré, sous le nom d’Adrien, une grande partie de cette lettre (ou livre).
On le prouve aussi par les historiens grecs ou latins, comme Zonara et Cedrenus (dans la vie de Léon Isaurien), et Paul diacre (dans la vie du même).  Ils disent que les pontifes romains Grégoire 3, Adrien 1 et Léonce 3 se sont séparés des empereurs grecs, les ont excommuniés, leur ont défendu de soutirer des taxes de l’Italie, se sont mis sous la protection des Francs,  et leur ont transmis l’empire, et tout cela parce que les empereurs grecs avaient prôné l’hérésie iconoclaste, tandis que les rois francs étaient restés dans la foi antique.  Comment est-il donc vraisemblable que ce même Charlemagne ait patronné cette hérésie, et ait écrit contre le pontife romain en faveur de l’erreur des Grecs ?  Mais, écoutons les paroles de Zonara : « Le pape Grégoire, s’étant soustrait à l’obéissance  de l’empereur, à cause de sa perverses opinion, fit la paix avec les Francs,  comme auparavant il avait tenté plusieurs fois de le faire, pour pouvoir, par des lettres,  le détourner de la haine de Dieu, et le ramener au culte des images saintes. »  Et plus bas, dans la vie d’Irène : « À la mort du pape Adrien, lui succéda Léon, un homme respectable et honorable, qui se livra à Charlemagne, le roi des Francs, lesquels assurèrent, depuis lors, la protection de Rome.  Charlemagne fut couronné par Léon, et appelé empereur des Romains. Car, le pape Grégoire ne voulait avoir rien en commun avec les gouvernants impies de l’église de Constantinople.  Et il fit la paix avec les Francs. »
Troisièmement.   Jonas d’Aurélie, (livre 1 sur le culte des images), qui vécut au temps de Louis le pieux, le fils de Charlemagne,  dit que Claude de Tours a été le fauteur de cette hérésie, et que  pendant tout le temps que vécut Charlemagne, il n’a jamais osé la prêcher.  Or, ce même auteur  appelle Charlemagne un homme très pieux, et de sainte mémoire.  Si donc les iconoclastes n’osèrent pas, du vivant de Charlemagne, proclamer leur hérésie,  si les défenseurs des images vénèrent Charlemagne comme un homme pieux et saint, quelle impudence ne serait-ce pas  de lui attribuer la paternité de ces livres contres les images.
Quatrièmement. Paul Émile (livre 2, de l’histoire des Francs) et Rheginus (dans sa chronique)  disent que, dans le concile de Gentiliacus,  le roi Pépin, père de Charlemagne, a réfuté, en la présence des légats grecs, l’erreur de l’empereur grec contre les saintes images.  De ce même Paul on apprend que, peu longtemps après,  Charlemagne a envoyé  douze évêques parmi les principaux du royaume, à un concile que le pape Stéphane célébrait à Rome, en présence des légats grecs de l’empereur,  contre l’erreur des Grecs sur les images sacrées.   Avec quelle audace les adversaires s’efforcent-ils de transformer ce prince très chrétien en iconoclaste ?  Surtout parce que les magdebourgeois sont d’accord avec Paul Émilien sur ce sujet (centurie 8, chapitre 9, colonne 570.)   Cinquièmement.  Il ressort  de tous les historiens, des lettres et des poèmes de Charlemagne,  et même de ses actions, que Charlemagne et Adrien ont toujours étroitement liés.  Il suffit de lire l’épitaphe d’Adrien composée par Charlemagne : « C’est ici que le père de l’Église, l’honneur de Rome, le célèbre auteur, le bienheureux pape Adrien repose.  Homme à qui la vie a été Dieu, la piété une loi,  et la gloire le Christ.   Pasteur apostolique, prompt à tout bien. »  Et plus bas : « Charles pleurant son père a écrit ce poème.  À cause du doux amour que tu as eu pour moi, je te pleure, mon père.  Et toi, souviens-toi de moi ! Mon esprit te suit toujours ! Tu règnes avec le Christ dans la bienheureuse cité. »
Est-il possible que Charlemagne ait été d’une autre religion et d’une autre foi qu’Adrien ?  Qu’il ait écrit avec tant d’aigreur contre celui qu’il vénérait tant et qu’il a louangé après sa mort ?  De plus, il est certain que Charlemagne était un homme versé dans le grec et le latin, qu’il était prudent et lettré.  Or les livres dits carolingiens sont d’un homme peu instruit, superficiel et un peu sot.  Car, il dit que la ville de Constantinople est située dans la Bithynie, alors que personne n’ignore qu’elle était dans la Thrace, à moins que les fréquents tremblements de terre n’aient modifié le sol.   Il dit ensuite que le concile en faveur des images a été célébré à Constantinople,  alors que tous  savent, à part ceux qui ne lisent pas, qu’il a eu lieu à Nicée.  Et, ce qui est plus grave, il attribue, par la calomnie et le mensonge,  aux pères du concile de Nicée 11, plusieurs choses qu’ils n’ont jamais dites.   Comme, par exemple, que l’Eucharistie soit l’image du corps du Christ.  Non seulement les pères de Nicée n’enseignent pas cela, comme cet auteur l’a rêvé, mais ils le réfutent expressément.
C’est ce qui, d’ailleurs,  donna à Calvin l’occasion d’un autre mensonge.  Car, parce que les iconoclastes avaient dit  qu’on ne devait adorer qu’une seule  image, l’eucharistie, et que le pseudo Charles avait attribué cela au concile de Nicée, il a plu à Calvin de changer toute la donne, et de dire : « Qu’ils se réjouissent et qu’ils exultent ceux qui ont l’image du Christ, et lui offrent un sacrifice. »  Ce qui est un mensonge d’une extrême impudence.   Car, le concile de Nicée était si loin de vouloir qu’on offre des sacrifices aux images, qu’il déclara, dans l’acte 7, qu’il ne fallait pas adorer les images d’un culte de latrie, mais seulement les honorer et les vénérer.
Enfin, ce livre est, comme un autre Melchisédech, sans père, sans mère, sans génération.  Il a vu le jour tout d’un coup, sans qu’on sache quand, où, comment ou par qui il a été repéré.  Il n’a aucun nom d’auteur, aucun nom d’éditeur, ni même le nom de la ville où il a été imprimé.  Toutes choses qui sentent la fraude.
Mais, admettons qu’il soit de Charlemagne.   Qu’est-ce que les adversaires auraient à y gagner ?  Rien.  Car, l’auteur de ce livre s’oppose expressément à tous les dogmes des calvinistes.  Il dit clairement que c’est au pontife romain qu’appartient le jugement ultime dans les controverses de la foi; et que ce n’est pas des conciles mais de Dieu qu’il tient le primat.  Il veut également qu’on fasse l’exorcisme dans le baptême; qu’on fasse la dédicace des temples selon un rite déterminé;  qu’on prie pour les morts,  qu’on invoque les saints, qu’on vénère les reliques, qu’on doit retenir dans l’Église l’usage de l’eau bénite et du sel bénit, que dans l’eucharistie est le vrai corps du Christ,  qu’on doit l’adorer,  et l’offrir comme un vrai et propre sacrifice.
Toutes ces choses, sont pour nos adversaires, des hérésies.  Si donc ils veulent que nous croyons à cet auteur quand il enseigne que le concile de Nicée 2 a erré,  qu’ils prêtent foi, eux aussi, à ce concile quand il enseigne tout ce que je viens d’énumérer.  Et  même s’il était prouvé que c’est Charlemagne qui a écrit ce livre, et qu’il est du même avis que les calvinistes,  qu’auraient-ils d’autre que le témoignage d’un laïc et d’un soldat ?  Vouloir l’apposer à un concile général d’évêques, est une sottise manifeste.  Car, comme le dit très bien saint Jean Damascène (oraison 2 sur les images) : « Le Christ n’a pas confié son église aux rois ou aux empereurs, mais aux évêques et aux pasteurs. »
                                         CHAPITRE 16
                     On répond au quatrième argument
Au second argument tiré des témoignages des pères, je réponds en ordre que, d’abord, saint Irénée ne reproche pas à Carpocrate d’avoir une image du Christ, mais qu’il lui rende un culte comme le font les païens à leurs idoles, en leur offrant des sacrifices, comme l’expliqueront avec plus de clarté Épiphane (hérésie 27) et saint Augustin (hérésie 7);  et qu’il ait placé les images du Christ et de saint Paul au même endroit qu’ils a mis les images d’Homère, de Pythagore, de Platon et d’Aristote.  De la même façon, Épiphane (dans l’hérésie 79),  reproche aux Collyridiens non d’honorer l’image de la sainte Vierge et la Vierge elle-même, mais d’en faire une déesse, et de lui offrir des sacrifices.  De même, quand saint Ambroise dit dans son sermon sur la mort de Théodose : « Hélène a trouvé la croix, elle a adoré le Roi, mais non le bois, ce qui est une erreur des païens »,  il veut dire qu’il ne faut pas honorer la croix pour elle-même, en tant qu’elle est un morceau de bois, mais à cause du Christ qui y fut cloué.  Car, bien que nous honorions le bois, nous ne l’honorons pas parce que c’est du bois, mais parce qu’il représente le Christ crucifié.   Voilà pourquoi saint Ambroise dit au même endroit : « Hélène a agit sagement, en élevant la croix sur la tête des rois, et en l’y plaçant, pour que la croix du Christ soit adorée dans les rois. »
De plus, quand saint Jérôme (dans le chapitre 3 de Daniel) dit que ceux qui rendent un culte à Dieu ne doivent pas adorer les statues, il parle des statues des rois qu’on prenait pour des dieux, et auxquelles on présentait les honneurs divins.  Il blâme, en somme, ceux qui font ce qu’ont refusé de faire les trois enfants de Babylone.  Au sujet du texte de saint Augustin tiré  des mœurs de l’Église (chapitre 30), je dis d’abord qu’il parle des idoles des Gentils quand il dit qu’il a vu des adorateurs de peintures.  Je dis, ensuite, qu’il parle peut-être de certains qui honoraient superstitieusement les images des saints, comme l’atteste saint Jean Damascène à la fin de son livre sur les hérésies.
  Je dis ensuite que saint Augustin a écrit ce livre au début de sa conversion à la foi catholique, et, qu’offensé par certains rites, il pensait qu’ils sentaient l’idolâtrie.  C’est ce que nous avons montré quand nous avons traité des reliques.   Car, il dit, au même endroit, que ceux qui prenaient des repas sur les tombeaux des morts avaient coutume d’offrir ces repas aux morts, et c’est pour cette raison qu’il les appelle des adorateurs de sépulcres.   Et cependant (au livre 8, chapitre ultime de la cité de Dieu), il dit que ceux qui font cela n’offre pas vraiment de repas aux morts,  mais ne font que placer de la nourriture sur les tombeaux des martyrs, espérant par là être sanctifiés par les prières des martyrs.
À la citation de saint Grégoire, je dis qu’il reproche seulement  le culte superstitieux des images, c’est-à-dire, que les images soient adorées comme des dieux.  C’est ce que montre l’épitre à Sécundinus, (livre 7, épitre 53) : « Je sais, dit-il, que tu ne demandes pas l’image du Sauveur pour l’adorer comme un dieu, mais en souvenir du Fils de Dieu, dans l’amour duquel tu te régales. » Qu’une certaine révérence soit due à l’image, la sentence de saint Grégoire (livre 7, épitre 5) nous le montre : « Après avoir enlevé l’image et la croix qui sont dignes de vénération. »
                                        CHAPITRE 17
                  On répond au cinquième argument.
 Au sujet du serpent d’airain détruit par Ezechias, je réponds qu’il n’y a pas de quoi s’étonner que le saint roi ait agi ainsi. Car, les Hébreux lui offraient de l’encens comme à un dieu.  Encenser, il est vrai,  ne signifie pas immoler, puisque nous voyons des non prêtres offrir de l’encens dans les églises, et cela, non seulement à Dieu mais au peuple.  Mais,  dans l’ancien testament, comme  seul le prêtre était autorisé à le faire, l’encensement  semblait bien  être un sacrifice.  Voir 3 Rois 12,  et 2 Paral 26.   De plus, ayant oublié la raison pour laquelle Moïse avait érigé un serpent dans le désert, les Hébreux l’honoraient à cause de sa matière, comme les autres idoles.  C’est-à-dire qu’ils pensaient que les bienfaits de guérison  provenaient du serpent d’airain lui-même. C’est ce qu’a voulu indiquer Ezéchias en appelant le serpent (mot hébreu) un petit vase d’airain, le diminutif ayant valeur de mépris, ou, comme d’autres le lisent : leur cuivre.
                                           CHAPITRE 18
                       On répond au sixième argument.
Le sixième argument de Calvin est  tiré de l’usage des chrétiens qui fréquentent plus une mage qu’une autre de la même chose, qui se dirigent vers des images quand ils veulent prier, qui font de longs pèlerinages pour vénérer des images éloignées,   alors qu’ils en ont chez eux, tout près,  de plus belles.  Et il en conclut  que nous croyons que, dans l’image, se trouve une divinité.  Je réponds qu’il peut  y avoir plusieurs raisons pour lesquelles une image est plus populaire qu’une autre. La première.  Parce que par l’une Dieu a opéré des miracles, et non par l’autre.   Et c’est aussi pour cette raison qu’on prie plus un saint qu’un autre.  Pourquoi Dieu agit-il ainsi, c’est quelque chose qui n’est pas de notre ressort.   La deuxième.  Parce que certains images ont été peintes par des saints, comme saint Luc et Nicodème, alors que d’autres ont été peintes par des profanes.
Il est certain que méritent une dévotion particulière les images qui ne sont pas saintes uniquement par leur contenu, mais par leurs auteurs.  La plus célèbre dans ce genre était l’image du Christ d’Edesse qui avait été faite par le Christ lui-même, et l’image de saint Étienne, qu’on croyait avoir été faite et apportée par un ange. Cf Evodius, livre 2 sur les miracles.   Une troisième cause.  Parce que certaines, étant plus pieuses et plus religieuses,  incitent plus à la piété que d’autres.  Et quand nous allons vers une image pour prier, ce n’est pas pour invoquer l’image, mais le souvenir de celui que nous représente l’image, et que nous voulons prier.   Rares sont les pèlerinages à des images.   Car, ordinairement ils ont coutume d’avoir pour destination des lieux saints, des reliques, comme l’église de saint Jacques,  le sépulcre du Seigneur, les tombeaux des saints apôtres Pierre et Paul, la maison de la vierge à Lorette.  Et les pèlerinages qu’on fait aux images, c’est en respectant les trois conditions dont nous avons parlé.
                                             CHAPITRE 19
                          On répond au septième argument
L’image est incapable de recevoir de l’honneur puisqu’elle est une chose inanimée, privée de sens et de raison.  Je réponds que la seule chose que prouve ce raisonnement c’est qu’une image n’est pas capable d’être honorée par elle-même, et pour elle-même; que les images ne sont pas honorées absolument mais relativement, c’est-à-dire en référence  au prototype.  Je dis ensuite qu’une image est sainte pour deux raisons.  La première.  À cause de la signification et de la représentation d’une chose sainte.  Et c’est de cette façon que peut être honorée n’importe laquelle image du Christ ou des saints, en quelque lieu qu’elle soit.  La seconde. À cause de l’institution de l’Église.   Car, comme les calices, les vêtements et les hommes eux-mêmes deviennent sacrés du seul fait qu’ils  sont dédiés au culte divin, et sont éloignés d’un usage profane, de la même manière, les images deviennent sacrées quand elles sont placées dans des temples par l’Église, ou dans d’autres lieux sacrés, non pour réjouir les yeux des curieux, mais pour susciter le souvenir et l’amour des saints, et servir au culte des choses sacrées.  Pour signifier cette chose, on a coutume de bénir les images, de les consacrer par des prières sacerdotales avant de les mettre dans les églises.
Je dis au troisième, que l’homme en tant qu’image de Dieu est digne de vénération, comme nous l’avons déjà montré avec la catéchèse de saint Cyrille de Jérusalem 12,  et l’épitre 203 de saint Augustin.  Je dis ensuite, avec Thomas Waldensis (tome trois des sacramentaux, tit 19, chapitre 154) que l’Église  ne vénère pas l’homme en tant qu’image de Dieu,  à cause du danger qu’il y a que l’homme pense devoir être honoré pour lui-même.
                                     CHAPITRE 20
On propose la question : de quel genre de culte  doit-on honorer les images
J’en viens maintenant à la dernière question : de quel genre de culte les images sont-elles dignes ?  Il y a trois sentences.   La première.  On ne peut honorer en aucune façon l’image, mais seulement la personne dont elle est l’image.  Comme pensent ceux que  dénonce  et réfute Catharinus.  Alexandre semble penser la même chose (part 111, question 30, dernier article), ainsi que Durand (livre 3, sent dist 9, question 2) et Alphonse a Castro (verbe, image). Ils placent le fondement de leur sentence dans le concile 7 qui répète souvent que l’honneur du à l’image passe à l’exemplaire.  Ces docteurs ne disent donc pas que cet honneur se termine à l’image.  En conséquence, ce n’est pas l’image qui est honorée, mais seulement l’exemplaire,  en elle et par elle.  Et ils le confirment par des vers qui ont été composés au temps de ce concile, que nous voyons inscrits en or dans un très ancien manuscrit, et qu’on attribue à Sabellicus, (livre 8 de l’Enéade 8) : « Car c’est Dieu que l’image enseigne, mais elle n’est pas Dieu elle-même.  Quand tu la verras, tu vénèreras par la pensée ce que tu vois en elle. »  Ce que l’on dit de l’image de Dieu le Christ, on peut le dire aussi des images des saints, car Pierre est ce que l’image enseigne, mais l’image elle-même n’est pas Pierre.
La deuxième opinion veut que le même honneur  soit du à l’image et à l’exemplaire et que, en conséquence, une image du Christ doive être adorée du culte de latrie, une image de la sainte Vierge du culte d’hyperdulie, et celles des saints, du culte de dulie.  Comme Alexandre 111 (par question 30, dernier article), saint Thomas (111 part quest XXV, art 3), ainsi que Cajetan, saint Bonaventure, Marsilius, Almain, le Chartreux, Capreolus, et les autres (dans 111 dist. 9).  Henri pense la même chose (quodlibet 10, question 6), quoiqu’il ajoute qu’aucune image ne doit être adorée d’un culte de latrie.  Car il pense que c’est le même hommage qui est rendu à l’exemplaire et à son image, tout en enseignant que l’image du Christ  n’est pas l’image du Christ  en tant que Dieu, mais en tant qu’homme.
 Voici quels sont les fondements de la pensée de ces auteurs.  D’abord, l’Église chante, au sujet de la croix : « Salut, o croix, unique espoir, augmente la justice dans les pieux, et pardonne aux coupables ! »  Ensuite, parce que l’honneur donné à l’image passe à l’exemplaire.  Semblable est donc l’honneur qui est rendu à l’image et à l’exemplaire. Et si donc l’exemplaire reçoit un culte de latrie, l’image le reçoit aussi.   Troisièmement. D’après saint Ambroise qui, dans le livre sur le sacrement (mystère)  de  l’incarnation du Seigneur, au chapitre 17, dit que la divinité du Christ reçoit la même adoration que sa croix : « Quand, dans le Christ, nous adorons l’image du Christ, et sa croix, le divisons-nous ? »  Quatrièmement, d’après l’épitre de saint Jérôme sur la mort de Paula : « Prosternée devant la croix,  elle l’adorait comme si elle y voyait le Seigneur pendant. » Or, comme elle adorait le Seigneur d’un culte de latrie, elle adorait donc aussi la sainte croix d’un culte de latrie.   Cinquièmement.   D’après Aristote,  qui dans le livre de la mémoire et de la réminiscence, dot  que la démarche vers l’image est la même que celle vers son exemplaire.  Sixièmement.  La mesure de l’adoration  de chaque chose est la raison ou l’excellence pour laquelle la chose est adorée.  Or, la raison pour laquelle on adore une image, n’est rien d’autre que l’excellence de l’exemplaire.  C’est donc le même honneur qui est du à l’exemplaire et à son image.  Septièmement, celui qui méprise l’image d’un roi, est coupable du crime de lèse majesté, comme s’il avait méprisé le roi en personne.  La même raison vaut donc pour l’image et l’exemplaire en ce qui a trait à l’honneur et au mépris.
La troisième opinion se situe au milieu, et elle est de ceux qui disent que les images doivent être honorées au sens propre  et en elles-mêmes, mais d’un honneur inférieur à celui de l’exemplaire;   et que, en conséquence, aucune image ne doit être adorée d’un culte de latrie.  Comme Martin Peresius (dans son livre sur les traditions, au traité sur les images), Ambroise Catharinus (dans son traité sur les images), Nicolas Sanderus, (livre 2, dernier chapitre sur les images).  Gabriel semble penser de la même manière (3, dist 9, question unique, et dans la leçon 49 sur le canon de la messe), quand il dit que les images sont adorées de la même adoration qu’est adoré  l’exemplaire, non de façon univoque, mais analogue.  Ce qui veut dire adorer les images d’un culte inférieur à celui qui est du à l’exemplaire.
Pour la solution de la question et la conciliation des opinions, il faut faire trois distinctions.   Ce qui est honoré peut être honoré par lui-même ou par accident; à cause de soi ou à cause d’autre chose;  proprement ou improprement.  Est adoré par lui-même le suppôt dans lequel se trouve la raison de la vénération;  par accident, ce qui est uni à la chose qui est adorée, et n’est pas lui-même la raison de l’adoration.   Exemple.  Quand on honore le roi, cet homme qui est roi est adoré par lui-même; la pourpre est honorée par accident, et les choses qui sont ajoutées, toutes des accidents,  sauf la dignité royale, qui, bien qu’elle ne soit pas ce qui est adoré, est quand même ce par quoi tel homme est honoré.  C’est donc la personne qui est honorée par elle-même, à cause d’elle-même, et la dignité royale est honorée par elle-même en tant que moyen. Les autres choses sont honorées par accident.   La deuxième distinction. Une chose peut être honorée à cause d’elle-même ou à cause d’autre chose.  Est honoré à cause de soi-même ce qui a en soi la cause de l’honneur,  mais dont la cause dépend totalement d’un autre.  Et c’est de cette façon que les signes des choses sacrées sont vénérables.   Car ils ont en eux la relation de similitude, ou de représentation de la chose sacrée, et donc, une certaine excellence, qui dépend totalement de la chose sacrée elle-même.
La troisième distinction.  On peut honorer quelque chose proprement ou improprement.   On dit qu’est honoré proprement  ce qui est vraiment honoré à cause de soi-même.  On dit qu’est honoré improprement  ce qui est honoré à la place d’autre chose.   Exemple.  Le légat du roi est tantôt honoré en tant que légat, et alors, il est honoré au sens propre du mot, même s’il est honoré pour un autre.  Il est tantôt honoré à la place du roi d’un honneur qui est propre aux rois, et il est alors honoré improprement, car, quand il est honoré, c’est le roi qui est véritablement  honoré en lui.  Cela apparait plus clairement quand quelqu’un reçoit une possession à la place d’un autre; ou quand les funérailles sont célébrées en l’absence du corps près d’une statue, et qu’on fait pour la statue tout ce qu’on ferait pour le corps s’il était présent.   Quand Trajan mort triompha à Rome, sa statue s’assit à sa place dans le char triomphal.  Or, on ne peut pas dire que c’est  la statue qui a véritablement triomphé, mais Trajan représenté par sa statue.
                                        CHAPITRE 21
Les images doivent être adorées par elles-mêmes et proprement
Maintenant, d’après les distinctions que nous venons de faire, nous expliquerons toute la chose au moyen de quelques sentences.  Voici donc la première sentence ou proposition :  les images du Christ et des saints doivent être vénérées non seulement par accident, ou improprement,  mais aussi par elles-mêmes et au sens propre du terme,  de sorte que la vénération se termine à elles en tant que telles, et non seulement en tant qu’elles représentent l’exemplaire.  On prouve la première partie avec le concile général 7 qui a défini que les images du Christ devaient être vraiment vénérées, mais non d’un culte de latrie.  Il veut donc que les images soient vénérées par elles-mêmes et au sens propre, d’un culte autre que celui de latrie.   Car, si le concile avait voulu que les images soient adorées seulement par accident ou improprement, de façon à ce que le terme de l’adoration ne soit pas l’image, mais le Christ lui-même, il n’aurait pas dit qu’il ne faut pas les adorer d’un culte de latrie, car c’est le Christ qui est adoré d’un culte de latrie puisqu’il est Dieu.
Il importe peu que quelques-uns disent que l’image du Christ ne représente pas le Christ en tant que Dieu, mais en tant qu’homme, et que, par conséquent, dans l’image du Christ, le Christ ne peut pas être adoré en tant que Dieu, mais en tant qu’homme. Car, l’image du Christ représente le Christ lui-même, l’hypostase divine revêtue de la chair humaine.   Comme l’image d’un homme représente non seulement la figure et la couleur, mais la personne et tout l’homme.  Autrement, les apôtres n’auraient pas du adorer le Christ comme Dieu puisqu’ils ne le voyaient que dans la chair.  Et saint Thomas n’aurait pas du dire : « Mon Seigneur et mon Dieu. »  Car, il ne voyait pas Dieu comme Dieu, mais comme homme.  Deuxième preuve.   Si l’image n’est vénérable qu’improprement,  car, c’est  devant elle, en elle ou par elle qu’est adoré l’exemplaire, il sera surement permis de nier purement et simplement que les images doivent être vénérées.  Car, ce qui n’est dit qu’improprement  peut tout simplement être nié, comme le montre le septième concile général, qui dit anathème à ceux qui nient que les images doivent être vénérées.
Troisièmement. Le même concile, au même endroit, définit que les images doivent être vénérées de la même manière que sont vénérés les évangiles et les choses sacrées.   Or, ces choses sont honorées par  elles-mêmes et elles le sont au sens propre, comme tous l’admettent.   Et elles ne tiennent la place d’aucune autre chose.   Les images doivent donc, elles aussi, être vénérées par elles-mêmes et au sens propre.   Quatrièmement.  Dans les images elles-mêmes, il y a quelque chose de sacré, à savoir la ressemblance avec la chose sacrée,  ainsi que la dédicace ou la consécration au culte divin.  Elles sont donc dignes d’honneur en elles-mêmes, et non seulement en tant qu’elles  prennent la place du prototype. Et les objections qu’on surajoute ne peuvent convaincre personne.
 À la première objection, je dis que les images, qu’elles soient honorées proprement, ou par soi, ou par accident, sont toujours honorées à cause de l’exemplaire;  et l’honneur qu’on leur rend passe toujours à l’exemplaire, mais de façon différente.   Car, quand l’image est adorée improprement, lorsque l’honneur rendu ne se termine pas en elle, mais dans l’exemplaire par elle, alors, immédiatement et formellement, l’honneur de l’image passe dans l’exemplaire.  Mais quand l’image est honorée par elle-même et au sens propre, de façon à ce que l’honneur rendu se termine en elle, alors l’honneur rendu passe à l’exemplaire non immédiatement, mais médiatement, et comme conséquemment.   Car, celui qui honore l’image de quelqu’un  l’honore, sans l’ombre d’un doute, à a cause de celui de qui est l’image; et, en conséquence, l’honneur qui est rendu à l’image rebondit dans le prototype.  Exemple. Celui qui donne une aumône à un pauvre l’a donnée au Christ, dit-on.  Non pas parce que l’aumône n’est pas destinée immédiatement au pauvre, mais parce que celui qui fait l’aumône à un pauvre le fait à cause de Jésus-Christ, et honore le Christ dans le pauvre.
À la deuxième objection, je dis que ces vers n’enseignent qu’une seule chose, à savoir qu’on ne doit pas rendre à l’image le  même honneur qu’on rend à l’exemplaire, comme le montre la raison qui est donnée dans ces vers : parce que l’image n’est pas Dieu, mais une image de Dieu.  Il s’ensuit donc qu’on ne doit pas rendre à une image le même honneur qu’on rend à Dieu, mais un honneur  inférieur.  Nous n’avons jamais enseigné, nous, qu’il fallait rendre à une image le même honneur que celui qu’on rend à Dieu.   Et les auteurs de la première opinion ne voulaient peut-être dire que cela, à savoir que l’honneur qui est du en propre à l’exemplaire, on ne peut le rendre à l’image qu’improprement. Sans dire un mot sur un honneur inférieur à rendre aux images.   Si c’est cela leur opinion, nous n’avons rien à dire contre.
                                CHAPITRE 22
On ne doit pas dire qu’il faut adorer les images d’un culte de latrie
La deuxième proposition : Quant à la façon de parler, surtout dans les sermons,  on ne doit pas dire qu’on doit adorer les images d’un culte de latrie, mais, au contraire, qu’on ne doit pas les adorer ainsi.  Première preuve.   Loin d’affirmer que les images doivent être adorées d’un culte de latrie, les conciles le nient.  C’est donc de cette façon que nous devons parler nous aussi, car la manière de parler des conciles est celle de l’Église; et elle doit donc être suivie par ceux qui ne veulent pas errer.  Que les conciles n’affirment pas mais nient qu’on doive adorer les images d’un culte de latrie, on le prouve comme suit.  Il n’y a aucun concile qui enseigne qu’on doit adorer les images d’un culte de latrie.  Le concile de Nicée statue qu’on doit adorer les images, mais non d’une adoration de latrie.  Semblablement, à notre époque, le concile de Senones (chapitre 14), et celui de Moguntinus (chapitre 41), enseignent que les prédicateurs doivent avertir le peuple de ne pas adorer les images, ce qui ne peut s’entendre que de l’adoration de latrie.   On dira peut-être que ces conciles parlent de la latrie que l’on rend à quelqu’un pour lui-même, non de celle qui est rendue à quelqu’un pour un autre.  Mais cela ne change rien à rien.   Car, il ne s’agit pas du sens, mais des paroles.  Il nous suffit que les conciles nient qu’on doive adorer les images d’un culte de latrie.  Car, ce que nous voulons, nous, c’est suivre la manière de parler des conciles.
Il n’y pas, en matière de foi, de formules plus précises que celles qu’utilisent  ceux qui abjurent une hérésie.  Or, dans le synode 7, Basile d’Ancyre (acte 1),  et Constantin évêque de Chypre (acte 3) disent, en abjurant leur hérésie, qu’ils reçoivent et adorent les images, mais non d’un culte de latrie.
 Troisièmement.    Les pères disent souvent qu’il ne faut pas adorer les images, comme le dit saint Augustin (épitre 119, chapitre 11) : « Il est prohibé d’adorer une image de Dieu dans des figures humaines, non parce que Dieu n’a pas d’image,  mais parce qu’on on ne doit adorer aucune image de lui qui ne soit pas ce qu’il est lui-même. »  Saint Grégoire dit des choses semblables  (livre 7, épitre 109, et livre 9, épitre 9).  Il avertit l’évêque Serenus d’instruire le peuple pour qu’il n’adore pas les images.  Et il répète souvent qu’il ne faut pas adorer les images.  Or, il est certain qu’il parle de l’adoration de latrie, car il ne nie pas, ailleurs, que les images soient vénérables.   Jean Damascène ((livres 1 et 3 de son apologétique) répète souvent qu’on doit honorer les images, mais pas d’une adoration de latrie.  Le pape Adrien, dans son épitre à Charlemagne, dernier chapitre (que l’on trouve imparfaite dans les tomes des conciles après le synode de Nicée 7, et qui est plus complète dans les épitres des pontifes récemment éditées à Rome), enseigne et répète, en plusieurs mots, que les images doivent être honorées du même culte qu’on honore les saintes Écritures, mais non du culte qu’on réserve à Dieu.  Jean d’Aurélie enseigne la même chose  (dans son livre sur le culte des images).  Pourquoi donc, demandé-je, ne parlons-nous pas comme nos père parlent ?
Quatrièmement.  Dire au peuple qu’on doit adorer l’image du Christ ou sa croix d’un culte de latrie, le même avec lequel on adore Dieu, ne va pas sans un grand danger.   Car, ceux qui soutiennent que les images doivent être adorées d’une adoration de latrie sont forcés de faire des distinctions subtiles  qui ne sont pas à la portée du peuple.  Cinquièmement.    Cette façon de parler offense les oreilles des catholiques, et donne aux hérétiques une occasion supplémentaire de blasphémer.   Sixièmement. Selon la vérité de la chose, (comme je vais le montrer un peu  après),  on ne peut dire que les images sont adorées d’un culte de latrie que par accident et improprement : par soi, et au sens propre, en aucune façon.  Et de plus, cette adoration accidentelle et impropre n’est rendue que rarement.  Or, ce qui est dit absolument  ne s’applique pas à celui à qui la chose convient par accident ou improprement, mais à celui à qui elle convient en propre et par lui-même.  Donc, absolument parlant,  il ne faut pas affirmer mais nier qu’on doive adorer les images.  Il est tout à fait vraisemblable que saint Thomas, Alexandre  Hales et les autres docteurs scolastiques de ce temps n’aient connu ni  le second concile de Nicée,  ni l’épitre du pape Adrien en faveur de ce concile. Car ces documents ont été longtemps perdus, et n’ont été édités qu’à notre siècle.   En effet, saint Thomas et les autres scolastiques ne font jamais mention de ce concile.
                                         CAPITRE 23
Les images du Christ peuvent être honorées d’un culte de latrie improprement et par accident.
La troisième proposition :  Si on parle de la chose elle-même, on peut admettre qu’il est possible d’honorer les images du même culte avec lequel on honore l’exemplaire,  mais improprement et par accident.  Que l’image puisse être honorée du même culte avec lequel on honore l’exemplaire, on le prouve de la façon suivante.   Car, l’image est parfois reçue à la place de l’exemplaire, et les choses qu’on ferait à l’exemplaire s’il était présent, on les fait à l’image, l’esprit tourné vers l’exemplaire.  Car les prédicateurs parlent à l’image du crucifix et lui disent : tu nous as rachetés, tu nous as réconciliés avec ton Père. Ces choses ne sont pas dites à l’image, ni en tant qu’elle est un bois, un papier, ou une toile, mais en que tenant lieu de l’exemplaire.  C’est-à-dire que ces paroles sont dites au Christ, dont l’image tient la place.  Il en va de même à Pâques.    Quand le crucifix est progressivement découvert, montré et proposé à l’adoration, tous comprennent que ces choses s’adressent au Christ lui-même par l’intermédiaire de son image.  Alors, aucun honneur n’est proprement rendu à l’image, mais à l’exemplaire.  Mais on peut quand même dire que cette image est honorée improprement.
Que l’image puisse être adorée de la même adoration qu’on rend à l’exemplaire, au sens propre, mais par accident, on le prouve ainsi.  Car, parfois, nous ne recevons pas l’image à la place de l’exemplaire, et nous ne considérons pas non plus l’image seule ou l’exemplaire seul, mais nous considérons l’exemplaire en tant qu’il reluit dans l’image, et nous le vénérons ainsi représenté et comme revêtu d’une image.  Alors, nécessairement, nous adorons l’image de la même façon que nous adorons l’exemplaire,  mais par accident.   Car, celui qui adore quelqu’un adore tout ce qui fait partie de lui.  Exemple.   Celui qui adore un roi vêtu adore le roi et le vêtement.  Mais l’image est conçue comme étant unie à ce moment à l’exemplaire qui est adoré.  Elle est donc elle-même adorée, par accident, toutefois, car elle n’est elle-même ni le suppôt qui est adoré,  ni la raison de l’adoration, mais quelque chose qui est ajouté.  Il semble que c’est ce que pensaient les auteurs de la seconde opinion.  Car, quand tous,  ils expliquaient comment l’image est adorée de la même adoration que celle de l’exemplaire, ils en venaient toujours soit à une adoration impropre, ou à une adoration par accident.  Alexandre et Bonaventure indiquent assez clairement qu’ils parlent de l’adoration impropre.   Car, ils disent que la raison pour laquelle l’image du Christ est adorée d’un culte de latrie est que ce n’est pas tellement elle qui est adorée que le Christ qui est en elle.
Ensuite, saint Thomas et ceux qui le suivent, parlent d’une adoration par accident.  Le prouve, en effet, leur argumentation qui porte sur l’unité du mouvement vers l’image et vers l’exemplaire.  Car, le mouvement est le même qui porte sur l’image et sur l’exemplaire  quand l’exemplaire est considéré objectivement en tant que refluant dans l’image.  De plus, Capreolus admet clairement  que cette adoration des images a lieu par accident, quand il dit qu’elles sont adorées comme le sont les vêtements d’un roi,  quand un roi vêtu est adoré.
De plus, saint Thomas lui-même (article quatre de la même question), déclare que l’image d’un roi est honorée d’un honneur royal,  comme le sont les vêtements du roi.  Or, il est certain que c’est par accident que les vêtements du roi sont honorés d’un honneur royal.  Enfin, c’est à la même chose que tend la spéculation de Cajetan, quand il dit que l’image du Christ  est adorée d’une adoration de latrie, non à cause de sa matière, ni de sa forme, ni de sa figure, mais à cause de ce qu’elle représente réellement.  Il ne veut pas dire que cette représentation actuelle est la raison pour laquelle l’image est adorée d’un culte de latrie, mais que cette représentation est la condition qui fait en sorte que l’image est conçue avec l’exemplaire, et que c’est donc par accident qu’elle est adorée.
                                         CHAPITRE 24
Par elles-mêmes et au sens propre, les images  ne doivent pas recevoir le même culte que l’exemplaire.
Quatrième proposition.   L’image, par elle-même et au sens prore, ne doit pas être adorée de la même adoration qu’on rend à l’exemplaire.
On le prouve par le concile 7, article 7,  où nous lisons que l’image du Christ ne doit pas être adorée d’une adoration de latrie.  Cela serait faux si, à l’image est du au sens propre et par soi le même culte qui est du à l’exemplaire, le Christ, qui doit être adoré d’une adoration dite de latrie.  Tu diras que le concile parle d’une adoration qui est rendue à une chose à cause d’elle-même; que l’image est adorée d’un culte de latrie, mais à cause d’une autre chose.  Au contraire, le concile dit que les images ne doivent pas être adorées autrement qu’on adore les évangiles ou les vases sacrés.  Et le synode 8 répète la même chose dans les mêmes mots, au canon 3, dernier acte.  Et personne n’a jamais prétendu que les vases sacrés ou les évangiles devaient être adorés  d’une adoration de latrie.
En second lieu on le prouve avec certains docteurs de l’Église comme saint Augustin, saint Grégoire, saint Jean Damascène,  et avec les conciles de Senones et de Moguntinus déjà cités, où il est dit que les images ne doivent pas être honorées d’un culte divin.  Tu diras qu’ils parlent du culte divin qui est rendu à quelqu’un à cause de lui-même.   Je dis, au contraire, qu’il n’est pas possible de douter de cette chose.  Les conciles, en effet, définissent les choses qui sont controversées.   Troisièmement, la latrie est le culte propre à Dieu,  mais aucune image n’est par elle-même et au sens propre, Dieu, si on la considère en raison de la matière, de la figure ou des couleurs, ou de la relation.  Donc, par elle-même et au sens propre, aucun culte de latrie n’est du à une image.  Quelqu’un dira peut-être que la latrie est le culte propre à Dieu quand il est rendu pour lui-même, non quand il est rendu pour un autre.  Je dis au contraire  que la latrie est le culte suprême qui est du au vrai Dieu, en tant que premier principe de toute chose.  Présenter au premier principe le culte suprême, parce qu’il est le premier principe,  ainsiqu’ à cause d’autre chose, implique une contradiction.  Car, si c’est au premier principe, ce ne peut pas être à cause d’autre chose.  Si c’est à cause d’autre chose, ce n’est pas au premier principe.  Donc,  un culte de latrie est rendu à l’image  à cause d’elle-même, et cela est de la vraie idolâtrie, ou il n’est pas rendu à cause d’elle-même, alors ce culte n’en est pas un de vrai latrie.
De plus, cette latrie qui est rendue à l’image à cause d’une autre chose,  est le même culte qui est rendu à Dieu ou quelque chose d’inférieur. Si c’est le même culte, la créature reçoit le même culte que Dieu, ce qui est surement de l’idolâtrie.  Car l’idolâtrie n’existe pas seulement quand on adore une idole en abandonnant Dieu, mais aussi quand on adore une idole en même temps que Dieu.  Exode XX : « Ne faites pas des dieux en or et en argent avec moi. »  Si le culte est inférieur, ce n’est pas donc pas le culte de latrie, car la latrie est le culte suprême.
La quatrième raison. À l’image ne convient pas le culte interne ni le culte externe de vraie latrie.  Car, le culte interne est l’appréhension d’une chose en tant que premier principe, et  la prostration de la volonté qui convient à cette appréhension.  L’acte externe qui lui est propre est le sacrifice.  Or, il est certain que nous n’appréhendons par l’image en tant que premier principe, et que nous ne lui offrons pas de sacrifices.  Nous ne l’adorons donc pas d’un culte de latrie.    La cinquième raison.  L’image en tant qu’image s’oppose à l’exemplaire, et lui est inférieure.  Elle ne peut donc pas être honorée du même culte, mais d’un culte inférieur, car chacun doit être honoré selon sa dignité.  Il est évident qu’il est de loin plus grand d’être le Christ que d’être l’image du Christ.
  La sixième raison.  Ceux qui ont honoré les images du Christ avec des honneurs divins ont été comptés parmi les hérétiques par saint Irénée (livre, chapitre 24), saint Épiphane (hérésie 27), saint Augustin (hérésie 7).  Et  saint Jean  Damascène (dans les cent hérésies) dit à la fin : « Quand ces gens-là honorèrent le Christ, ils ont, sans aucun doute possible, honoré aussi son image à cause de lui. »  Il n’ est pas permis de rendre à des images des honneurs divins, c’est-à-dire le culte de latrie, même si quelqu’un dit qu’il le fait à cause de Dieu, ou du Christ, non à cause des images.  Car par le seul fait qu’il leur rend les honneurs divins, il témoigne qu’il les honore pour elles-mêmes, non à cause de Dieu, quoi qu’il dise.
Venons-en maintenant à ces très anciens vers : « Car c’est Dieu que l’image enseigne.  Elle n’est elle-même pas Dieu. »   Ces vers montrent assez clairement qu’on ne doit pas rendre à une image un culte qui est du  à Dieu.
Ces réflexions préalables nous permettront de répondre facilement aux objections qui nous sont faites.  La première : « Salut, ô croix, unique espoir ! »  Je réponds que ou bien nous prenons la croix pour le Christ crucifié, comme nous l’avons déjà dit, ou bien il s’agit d’une prosopopée rhétorique  par laquelle l’Église parle à la croix de la même manière que Moïse parlait au ciel et à la terre, quand il dit dans le Deutéronome  (XX11) : « Écoutez cieux, ce que je vais dire… »  Et de la manière que saint André  lui parlait en disant : « Salut, croix précieuse ! »  Par cette prosopopée, nous signifions que nous désirons le fruit de la croix, c’est-à-dire, être sauvés par les mérites du Christ, qui a souffert sur la croix.  La seconde objection recevra sa réponse dans la cinquième objection.  À la troisième, je dis que, par la croix,  saint Ambroise entend la passion du Christ ou la chair qui souffre,  comme par l’image de Dieu, il entend  la divinité.   Car il veut dire que le Christ Dieu et le crucifié sont une seule et même chose, et que, à cause de cela, quand on adore le Christ Dieu, il ne faut pas le séparer de son humanité; et que quand adore le Christ crucifié, il ne faut pas le séparer de sa divinité.    À la quatrième, je réponds que saint Jérôme ne dit pas que Paula a adoré la croix au sens propre du terme, mais que prostrée devant la croix, elle adorait le Christ qu’elle voyait représenté dans la croix.
Au cinquième, à cet unique mouvement qui va vers l’image et vers l’exemplaire, diverses explications ont été données.   Peresius répond qu’il n’est pas vrai qu’on se porte d’un même mouvement vers l’image et vers l’exemplaire, parce que ce sont deux choses opposées qui ne peuvent être connues que par deux connaissances. Il ajoute qu’on ne trouve pas dans Aristote ce que Saint Thomas lui fait dire.    Or, dans son livre sur la mémoire et la réminiscence, chapitre 2, c’est bien ce qu’il semble dire.  Car, voulant expliquer pourquoi la mémoire connait les choses absentes, il dit que la raison en est que, dans la mémoire, sont les espèces des choses, qui sont comme des peintures; et que si l’homme voit ces phantasmes en tant qu’images, alors il connait les choses passées dont elles sont les images, car une image ne peut pas être connue en tant qu’image sans que soit connue en même temps la chose dont elle est l’image.  Ce n’est pas vrai ce que dit Peresius  que, parce qu’elles sont opposées, les choses relatives ne peuvent pas être connues par une seule connaissance.   Car, les opposés sont tels qu’ils dépendent l’un de l’autre, et qu’on ne peut ni définir ni connaitre l’un sans l’autre.
Durand répond autrement.   Car il admet qu’on se porte en un seul mouvement à l’image et à l’exemplaire.  Mais il nie que, à cause de cela, il y ait une seule adoration.   Car, même si l’esprit connait l’un et l’autre en même temps, il ne dit pas que l’un est l’autre, mais il les voit comme distincts, et, en conséquence, n’adore pas l’un et l’autre de la même adoration.  D’autres confirment cette interprétation en disant que même s’il n’y a qu’un mouvement de l’esprit, c’est-à-dire de l’intelligence, vers l’image et l’exemplaire, les mouvements de la volonté peuvent être contraires.   Car, celui qui voit une image du Christ mal peinte, déteste l’image en tant qu’elle est une image, et cependant aime le Christ.   Et, inversement, celui qui voit une image de Judas bien peinte, aime l’image et déteste l’exemplaire.
 Mais cette réponse n’est pas satisfaisante.  Car, saint Thomas ne dit pas que le mouvement vers l’image en tant qu’image est aussi dans l’exemplaire.    Mais il dit que le mouvement vers une image, en tant qu’elle est l’image d’un autre,  est aussi dans l’exemplaire.  Et cela est vrai autant pour le mouvement de l’intelligence que de la volonté.  Car, celui qui aime l’image du Christ non pas parce qu’elle est une image, mais parce qu’elle est l’image du Christ,  il est impossible qu’il n’aime pas en même temps le Christ, quand le Christ est la raison pour laquelle il aime l’image.  Celui qui aime une belle image de Judas, n’aime pas l’image en tant qu’elle est celle de Judas, mais en tant qu’elle est une belle image tout court.   C’est-à-dire qu’il jouit de la proportion qu’il y a entre l’image et l’exemplaire.
J’estime donc qu’il faut répondre autrement.   J’admets qu’ il est le même le mouvement de volonté qui va vers l’image et l’exemplaire.  Mais alors, ou l’exemplaire est conçu et adoré comme objet principal, ou il ne l’est pas.  C’est-à-dire, ou je conçois et j’adore le Christ lui-même reluisant dans l’image, ou je conçois et j’adore l’image elle-même  en tant qu’image du Christ.  Dans le premier cas, l’adoration en est une de latrie, mais elle porte essentiellement sur le Christ , et par accident  seulement sur l’image. Et c’est ce que semblent vouloir dire Capreolus et Cajetan.  Dans le deuxième cas, l’adoration porte alors directement sur l’image, et conséquemment sur le Christ.  Elle n’est donc pas une adoration de vraie latrie, mais elle lui est bien inférieure.
Tu diras que c’est au  Christ que convient une adoration de vraie latrie.  Si cette adoration se termine aussi au Christ, elle sera donc  une vraie adoration de latrie.  Je réponds qu’au Christ convient une vraie latrie, quand   il est adoré en tant qu’il est en lui-même, non quand il est adoré dans une image par participation. Exemple.  Celui qui honore le représentant d’un  roi honore certainement le roi lui-même.  Et cependant, il honore tout à fait autrement le roi lui-même dans sa propre personne qu’il ne l’honore dans son représentant.  Cela est bien connu.  Et c’est ce qui nous permet de répondre à la deuxième objection.   Car, quand on honore l’image, son honneur passe dans le prototype, même si cet honneur n’est pas celui qui est du au prototype, mais qui convient pour que le prototype y participe par l’image.   À la sixième objection, je dis que la raison pour laquelle on honore l’image est l’exemplaire lui-même.  Cependant, l’exemplaire doit être honoré autrement s’il est honoré en lui-même, et autrement s’il participe à l’honneur du fait de l’image.
À la septième.  Exemple.  Celui qui brise la statue d’un roi est puni de crime de lèse majesté, parce que c’est le roi lui-même qui a été lésé, même si la faute n’est pas aussi grave que s’il avait blessé le roi en personne.  Si le coupable était puni aussi sévèrement, la raison en serait qu’il n’a pas brisé la statue en tant que statue d’un roi,  mais qu’il a pris la statue pour le roi lui-même.
                                        CHAPITRE 25
          De quel genre de culte adorons-nous les images
Cinquième conclusion : Le culte qui est du  au sens propre  et en lui-même aux images, est un culte imparfait qui appartient  par analogie ou par réduction à l’espèce du culte qui est du à l’exemplaire.  J’explique.  Aux images ne convient proprement ni la latrie, ni l’hyperdulie, ni la dulie, ni  aucun de ceux qui conviennent à une nature intelligente.  Car, une chose inanimée et privée de raison est incapable de recevoir ce genre de culte. Elle ne peut recevoir qu’un culte bien inférieur, et qui varie selon la diversité des images.   Aux images des saints n’est pas du un culte de dulie proprement dit, mais un culte inférieur qu’on peut appeler un culte de dulie à un certain point de vue, ou par analogie, ou par réduction.   Semblablement, aux images de la très sainte Vierge n’est pas du un culte d’hyperdulie proprement dit, mais selon un certain point de vue, par analogie ou réduction.  Aux images du Christ n’est pas du un culte de latrie proprement dit, mais un culte grandement inférieur, qui se réduit cependant à la latrie, comme l’imparfait au parfait.   Preuve.  Comme l’image se comporte envers son exemplaire, le culte de l’image se comporte de la même façon envers le culte de son exemplaire. Mais l’image est l’exemplaire analogiquement, et d’une certaine façon. Car un homme peint est un homme d’une certaine façon et par analogie.  Donc, même à l’image est du le culte qui est du  à l’exemplaire, mais un cule imparfait et analogique.
De plus, l’image se réduit à l’espèce de l’exemplaire.   Car, un homme peint et un cheval peint diffèrent pas l’espèce, parce qu’un homme réel et un cheval réel diffèrent par l’espèce.  Donc, le culte de l’image est réduit lui aussi au culte de l’exemplaire.  Et c’est peut-être ce que saint Thomas et saint Bonaventure, et les autres,  voulaient dire quand ils ont enseigné qu’on rendait le même culte à l’image qu’à l’exemplaire.  Car c’est ainsi que l’a compris Gabriel.   Et s’il en bien ainsi, nous sommes d’accord avec eux.  Et c’est ce qui nous permet de parler  la vraie croix du Seigneur, des clous, des épines et des autres reliques.   Toutes ces choses doivent être  honorées d’un culte inférieur à celui qu’on rend au Christ ou aux saints, dont nous avons les reliques. Mais un culte  qui, par analogie et réduction, appartient au même culte qu’on rend au Christ ou aux saints.  Car les reliques méritent un honneur parce que, en raison du contact, ou pour une autre raison, elles sont en rapport  avec ceux donc elles sont les reliques.
                                       CHAPITRE 26
                               L’adoration de la croix
Même si la croix du Seigneur est vénérée tantôt parmi les reliques, tantôt parmi les images, (car la vraie croix du Christ, sur laquelle le Seigneur a été cloué, doit être, à cause de son contact avec le corps sacré et le sang de Dieu, considérée parmi les reliques les plus précieuses.   Et cette même croix, en tant qu’elle nous rend présent le Seigneur crucifié, ainsi que toutes les autres croix qui lui sont semblables, est énumérée parmi les images sacrées).  Cependant, parce qu’on trouve certaines erreurs, et des arguments sophistiques sur la croix,  nous avons pensé qu’une dispute particulière s’imposait.
Il y eut d’abord l’hérésie de Claude de Tours, qui, en plus des autres images, exécrait la croix du Seigneur, au témoignage de Jonas (livre 1).   Il vécut ce Claude en l’année du Seigneur 800.  À la même époque, en Orient, les Pauliniens (appelés ainsi à cause d’un certain Paul)  enseignaient la même chose, selon Euthymius (Panoplie, par 2, tit 21).  Les Wiclifistes n’eurent pas une haine moins grande envers la croix, selon Thomas Waldensem, (tome 3, tit 20.)  Calvin (livre 1, chapitre 11, verset 7), les magdebourgeois  (centurie 4, chapitre 4, colonne 302; chapitre 6, colonnes 158, 459) mentent impudemment  quand ils enseignent que le signe de croix était une nouveauté au quatrième siècle.  Car, Tertullien (dans le livre sur la couronne du soldat) fait mention du signe de croix, lui qui vécut au deuxième siècle.  Ils mentent également (centurie 7, chapitre 6, colonne 191) quand ils affirment que le pape Serge a été le premier à avoir adoré et baisé le Christ.  Le pape Serge vécut en l’ana 688.  Or, Évagrius, qui a vécu cent ans avant Serge, fait mention de l’adoration et du baiser donnés à la croix.  Saint Jérôme, qui est du quatrième siècle, en parle aussi dans sa lettre à Marcella.
Les arguments des Bogomites et des Petrobrusiens sont au nombre de trois.  Le premier.   La croix a apporté de la douleur et de l’ignominie au Christ.  Ceux qui aiment le Christ doivent dont la détester.  Le deuxième.  Parce qu’il serait sot et impie le fils qui aimerait et honorait  la potence sur laquelle sont père a été suspendu.   La troisième.  Car, s’il faut adorer toutes les croix parce que le Christ est mort sur une croix, il faudra adorer aussi tous les sépulcres parce que le Christ s’est reposé dans un sépulcre.  Et toutes les crèches, parce qu’il a dormi dans une crèche.  Et toutes les colonnes, toutes les lances, toutes les éponges, tous les fouets etc.  Et même tous les ânes (ajoute Claude) parce que le Christ a été réchauffé  par un âne.  Quatrièmement.  Claude argumentait ainsi.   Les ennemis du Christ se sont réjouis de la passion du Seigneur, mais ont été attristés par sa résurrection. À l’inverse, ses amis ont souffert de sa passion, mais se sont réjouis de sa résurrection.  Donc, ceux qui honorent et aiment la croix,  imitent les ennemis du Christ.
Cinquièmement.  Et voici comment raisonnaient les Wiclefistes, d’après Waldensem.  Si nous adorons la croix à cause du contact qu’elle a eu avec le corps divin, ou parce qu’elle a été l’instrument de la passion, il faudra aussi adorer les lèvres de Judas parce qu’elles ont touché  la bouche du Christ quand il l’a embrassé; et la main de ce serviteur qui lui a donné un soufflet.  Car, toutes ces choses touchèrent le Christ, et furent des instruments de la passion.  Sixièmement.  Les centuriates argumentent ainsi.  C’est une superstition d’attribuer une vertu à des choses imprimées.  Or, les papistes attribuent à l’image du Christ le pouvoir de chasser les démons et tous les maux.   Ils sont donc superstitieux.  On répondra à ces objections au chapitre 30.   Entretemps, nous donnerons des explications sur la croix, d’abord, ensuite sur l’image de la croix, et enfin sur le signe de croix.
                                     CHAPITRE  27
                              La vraie croix du Seigneur
Il faut d’abord faire quelques réflexions sur la figure de la croix.   Il faut donc savoir qu’une croix est faite de trois morceaux de bois, dont l’un est long et sur lequel le corps était suspendu.  Un autre transversal,  posé sur le bois long, sur lequel les mains étaient fixées.   Et un troisième, placé sur le bois  long,  pour y poser les pieds, et les clouer.  C’est ce qu’atteste saint Irénée (livre 2, chapitre 42) et saint Justin dans son dialogue avec Triphon.  Est-ce que le bois transversal était placé sur le bois long de façon à ce qu’on ne voie plus le bois long, la chose n’est pas certaine.   Car, Bède (dans les questions sur la Genèse, quand il parle de la victoire d’Abraham) dit : dit que la croix était semblable à la grecque t,  auquel était aussi semblable le thau hébraïque, selon saint Jérôme (chapitre 9 d’Ezéchiel).  Et saint Augustin (épitre 120, chapitre 26)  dit que le bois long était par-dessus le bois transversal.  Et c’est ce qui est le plus probable.  Car, c’est plus conforme aux paroles de saint Irénée,  et aux paroles de l’apôtre (Éphésiens, chapitre  111.), où, faisant allusion à la figure du Christ, il nomme la sublimité, la profondeur, la longueur, et la largeur.  De plus, ceux qui disent que la croix ressemblait à la lettre T disent la vérité, car elle lui était peu différente.
Ce que Bède écrit dans ses récollections et ses florilèges, que la croix était faite de quatre sortes de bois différents, d’un cèdre, d’un pin, d’un cyprès, et d’un buis,   ne s’appuie sur aucun témoignage ancien, et ne semble pas vraisemblable.
2018 09 04 fin

2018 09 08 début

Il est à noter que les anciens ont ajouté à la grâce du mystère quelque chose qui est encore conservé en partie.  Car le bois long ils le fléchissaient et le recourbaient à la façon d’un bâton de pasteur, le faisant ressembler plutôt à la lettre P.  Un peu plus bas, ils mettaient deux lignes de travers, à la ressemblance de la croix de saint André, représentant la lettre grecque X, de façon à ce que ces deux lettres signifient le Christ.  Ils traçaient en bas une ligne transversale qui complétait la croix.  Et de là pendait un voile déployé.  En bas de la ligne transversale, se trouvait le bois long sous la forme d’une épée.  À la plus petite partie, ils ajoutaient une poignée.  Toutes ces choses signifiaient que la croix était l’étendard du Christ empereur. Car, la croix était attestée par cette figure.  Les deux lettres X et P indiquaient le nom du Christ, et il était reconnu par le voile, l’épée et la poignée.   Voir Jean Pierius Valérien au sujet des signes hiéroglyphiques (livre 50), et Primasius (livre 4 sur l’Apocalypse), où ce signe est appelé le monogramme et le signe du Christ.  Car le labarum de Constantin fut tel.   En effet, comme le rapporte Eusèbe, (livre 9, chapitre 9 de son histoire), Constantin réduisit en forme de croix le labarum qui accompagnait auparavant les empereurs,  et était adoré par les soldats.  Mais de façon, cependant, à ne pas perdre la forme d’un étendard.
Ce labarum Eusèbe le décrit dans la vie de Constantin (livre 1), où il dit qu’il fut une épée entière entourée d’or, au sommet de laquelle  était placée une couronne très précieuse, et, en dessous d’elle, une corne transversale en forme de croix, de laquelle pendait un voile pourpre très orné d’or et de pierres précieuses.  À la partie infime duquel apparaissaient les images de Constantin et de ses fils.  Dans l’épée, en dessous de la couronne, étaient les lettres du nom du Christ.
La façon ordinaire de crucifier n’était pas, alors, comme beaucoup le pensent, d’attacher  avec des cordes, mais de fixer  avec des clous.  Or, les peintres ont coutume de ne représenter que le Christ crucifié avec des clous, et   les larrons et saint Pierre, avec des cordes.  Mais, il n’en était pas ainsi.  Tous étaient crucifiés avec des clous, tous portaient leurs croix, et tous étaient flagellés avant.  Voir Plutarque sur la vengeance tardive des dieux, Marcus Tullius  (act 7 contre Verres), Nonius Marcellus (au mot patibulus) qui s’exprime ainsi : « Ceux qui sont condamnés à la croix la transportent et sont ensuite cloués sur elle. »  Voir aussi Macrobius (livre 1, Saturne, chapitre 11), Joseph (livre 6 de la guerre juive), et dans sa vie.   Dans le livre de la passion de saint André, le proconsul dit : « Sur cette croix que tu loues, après d’avoir fait flageller j’ordonnerai qu’on t’y cloue ».  De plus, comme saint André devait être crucifié de la façon ordinaire, le proconsul ordonne qu’on le suspende à la croix avec des cordes, de peur que s’il était cloué,  il meure trop  vite.  Ajoutons qu’on a hésité longtemps pour savoir quelle était, parmi ces trois croix, celle du Sauveur, car les trois avaient les mêmes trous et les mêmes clous.  Voir Ruffin (livre 10, chapitre 8).
Venons-en maintenant à l’argument.   Que le bois de la croix est vénérable,  on le prouve par une raison tirée des Écritures. Car l’Écriture atteste que le Christ n’a pas été crucifié par hasard, ou malgré lui, ou à cause de ses propres péchés, mais qu’il a choisi volontairement la croix, et qu’il l’a choisie en tant qu’autel du sacrifice suprême, qui apaiserait Dieu, et comme un escabeau pour son règne, l’instrument de la libération du genre humain, et enfin, comme un instrument par lequel il vaincrait Satan, et triompherait de lui. Il s’ensuit de cela que cette vraie croix a été honorée grandement par Dieu, et doit être aimable et vénérable à nous tous.  Qu’il l’ait choisie volontairement, Isaïe nous l’enseigne (chapitre 53) : « Il a été offert parce qu’il l’a voulu »  Jean X : « Je dépose mon âme. Personne ne me la prend.  C’est moi qui la dépose. »  Et, dans les Actes des apôtres (chapitre 2) : « Vous avez tué celui qui a été livré selon un plan défini, et la prescience de Dieu. » Actes 111 : « Dieu qui a prédit par la bouche de tous les prophètes que son Christ souffrirait, l’a réalisé. »  Actes 1V : « Ils se rassemblèrent véritablement dans cette cité Hérode, Ponce Pilate avec les Gentils, et le peuple d’Israël pour faire ce que ta main et ton dessein avait décrété que soit fait. »
Que la croix fut l’autel du sacrifice suprême, il est facile de le comprendre puisque le Christ crucifié est le sacrifice suprême (Hébreux, chapitre V11).  Voilà pourquoi saint Paul dit aux Colossiens 1  : «Pacifiant par le sang de sa croix. »  C’est-à-dire par le sang versé comme d’un autel.   Et c’est ce que signifiait la pierre érigée et non ointe, et appelée maison de Dieu par Jacob (Genèse XX).  Que la croix fut une échelle ou un escabeau pour son règne, Jean XX11 l’atteste: « Maintenant le prince de ce monde est jeté à l’extérieur.  Et moi, si je suis élevé de la terre, j’attirerai tout à moi. Il disait cela en indiquant la mort dont il devait mourir. »  Philippiens 11 : « Il s’est humilité et s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. Voilà pourquoi Dieu l’a exalté. »
Qu’elle fut aussi un instrument de libération,  l’enseignent les premières figures qu’a présentées saint Jean Damascène (dans le livre 4, chapitre 12, sur la foi).  Car cette croix signifiait l’arbre de vie du paradis (Genèse, chapitre 2), l’arche de bois de Noé, qui sauvait sa famille, la verge de Moïse qui ouvrait la mer rouge, le bois qui rendait les eaux douces, (Exode XV).   Mais surtout le serpent d’Airain élevé dans le désert (Nombres Xv111), duquel le Seigneur a dit en saint Jean 111 : « Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que soit élevé ainsi le Fils de l’Homme pour que tous ceux qui croient en lui  ne périssent pas, mais aient la vie éternelle. »  Et, à la suite de saint Paul, l’Église dit : « Il nous faut nous glorifier dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, dans laquelle est le salut, la vie et notre résurrection. »
Qu’il ait vaincu le diable et qu’il en ait triomphé, saint Paul nous l’enseigne (Colossien 11) : « L’original du décret qui nous était contraire il l’a enlevé du milieu de nous,  en le clouant à la croix, dépouillant les principautés et les puissances.  Il les a livrés ouvertement avec confiance, triomphant d’eux en lui-même. »  Origène (dans son homélie 8 sur Josué), dit que nous avons dans le grec : triomphant d’eux dans le bois de la croix. Et que, bien que nous n’ayons pas dans le bois, mais en lui-même, on peut facilement référer ce mot à la croix, dont il avait dit plus haut en tô staurô, comme le rapporte Theophylactus.  Origène dit donc que, sur la croix, deux ont été crucifiés : le Christ visiblement, volontairement, et pour un temps; le diable invisiblement, malgré lui, et à sa honte éternelle.  Et cela, il le prouve par le passage où saint Paul a utilité la métaphore du triomphe, voulant indiquer par là que la croix est le char triomphal qui traine le démon enchainé, et qui l’exhibe comme un trophée de victoire.  Et c’est ce que signifient les deux mots grecs edeigmatisen et thriaubeusas.
Le deuxième argument est tiré des mystères qui sont signifiés par cette croix.  Car, comme dit saint Augustin (épitre 120, chapitre 26) : « Celui qui est mort parce qu’il l’a voulu est aussi mort quand il l’a voulu.  Et ce n’est pas sans raison qu’il a choisi la croix comme instrument de mort. »   La signification mystique de la croix nous est enseignée par saint Irénée (livre 5), saint Grégoire de Nysse (sermon 1 sur la résurrection), saint Augustin (épitres 119 et 120), saint Jérôme et Thophylactus (chapitre 111 aux Éphésiens), où ils font un commentaire de ces paroles de saint Paul : « Pour que vous puissiez comprendre avec tous les saints ce qu’est la latitude, la longitude, la sublimité et la profondeur. »   Car, par la latitude, il entend le bois transversal, la sublimité, la partie du bois où est inscrit le motif de la condamnation, la longitude, le bois qui va de haut en bas, la profondeur, la partie du bois qui est cachée dans la terre.
Cette figure signifie d’abord toute la perfection chrétienne, comme saint Augustin l’enseigne.  La profondeur signifie la foi, la sublimité l’espérance, la latitude la charité, la longitude la persévérance.  Elle signifie ensuite l’effet de la passion du Christ.   Car le bois le plus élevé signifie le ciel ouvert par la passion du Christ; le bois enfoncé sous terre, l’enfer (limbes) évacué et le démon vaincu;  le bois transversal tourné vers l’orient et l’occident, la terre entière rachetée.  Et c’est pour cela qu’adorent le crucifié les choses terrestres,  célestes et infernales, comme le déduit saint Grégoire de Nysse.  Troisièmement.  Les deux bras de la croix, sous l’unique nom du Sauveur,  signifient (dit saint Irénée)  deux peuples réunis sous une seule tête, le Christ, selon cette parole en Jean X11 : « Moi, si je suis élevé de terre, j’attirerai tout à moi. »
 Minutius Félix dans Octavius et Ambroise dans un sermon, ajoutent que la figure du Christ est aussi naturellement salutaire.   Car les oiseaux ne voleraient jamais s’ils n’imitaient pas la forme de la croix en étendant leurs ailes.   Et le navire ne bougerait pas sans faire une croix avec le mat et l’antenne.  Le laboureur ne tracerait pas de sillons s’il ne formait pas une croix avec la charrue et le manche de la charrue.  On peut dire la même chose du joug et du timon.  Le ciel lui-même fait une croix  si on tire des lignes de l’est à l’ouest, et du nord au sud.  Enfin, comme le rapporte Ruffin (livre 2, chapitre 20 de son histoire), les Égyptiens, avec leurs caractères hiéroglyphiques,  annonçaient la venue de la vie par la croix.
Troisième argument. L’invention de la sainte croix.  De laquelle ont peut tirer un grand nombre de témoignages qui nous font comprendre que la vénération de la vraie croix du Sauveur plait à Dieu.  Le premier.  Il n’a pas permis que ce bois soit englouti dans la mer ou consumé par les flammes.  Les ennemis des chrétiens s’étaient efforcés d’abolir la croix et tous ses vestiges.   Pour ce faire, ils l’avaient cachée sous terre, à une grande profondeur; et,  à la place du Christ, ils avaient déposée la statue de Vénus.  Au lieu de la résurrection, ils avaient installé la statue de Jupiter, et au lieu de sa naissance, celle d’Adonis, comme le rapporte saint Jérôme dans son épitre à Paulina sur l’institution du monachisme.   Pourquoi donc, je le demande, n’ont-ils pas brulé la croix, alors qu’ils le voulaient et le pouvaient, sinon parce que Dieu leur a enlevé cette pensée, afin que soit conservé  le bois très précieux à la consolation des croyants.
Deuxièmement. Dieu a voulu que  la vraie croix soit trouvée à une époque où elle pouvait être adorée en toute sécurité, au début de l’empire de Constantin.  Car, si elle avait été déterrée sous le règne des empereurs païens persécuteurs,  elle l’aurait été  pour recevoir plus d’avanies que d’honneurs. Si elle avait été trouvée longtemps après le règne de Constantin, elle aurait été privée de l’honneur qui lui est du.  La divine providence manifesta donc la vraie croix dès qu’elle put être honorée.  Troisièmement.  Des miracles manifestes ont démontré que c’était la vraie croix.  On peut donc en conclure que l’invention de la croix est une révélation faite par Dieu.  En effet, on trouva trois croix ensemble,  et on ne pouvait pas différencier la croix du Seigneur de celle des larrons.  On apporta donc les trois croix à une femme agonisante.  Les deux premières croix n’obtinrent aucun effet. Mais quand on lui présenta la troisième, elle recouvra bientôt la santé.  C’est Ruffin qui rapporte cela (livre 10, chapitre 8 de son histoire), ainsi que Socrate (livre 1, chapitre 13 de son histoire), et Theodoret (livre 1, chapitre 18), Sozomène (livre 2, chapitre 1), et Nicéphore (livre 8, chapitre 29).  La croix ne fit pas que guérir la femme agonisante,  elle rendit aussi la vie à un homme mort, comme le rapportent Paulin (épitre 11 à Sévère), Sévère (livre 2 de son histoire sacrée), et Sozomène (livre 11, chapitre 1).  Tous se souviennent de la femme malade et de l’homme mort.
Il importe peu qu’Ambroise (dans son sermon sur Theodose) et saint Jean Chrysostome (homélie 84 sur saint Jean) aient dit que la croix du Seigneur avait  été reconnue par l’écriteau qu’elle était seule à porter,  alors que les deux autres en étaient dépourvues.  Car, Ruffin, il est vrai, indique que la croix fut reconnue par l’écriteau, mais non de  façon décisive, puisque  cet écriteau gisait par terre à côté de la vraie croix.  C’est donc pour enlever toute ambiguïté qu’on eut recours aux miracles.  Ce n’est pas seulement la croix qui brilla par des miracles, mais aussi le clou qu’Hélène a donné à Constantin. De ce clou, comme l’atteste saint Ambroise au lieu cité, les Juifs disaient : « Voici que le clou aussi est en honneur.   Et celui que nous avons enfoncé pour donner la mort est un remède de salut; et, par un pouvoir invisible, tourmente les démons. »
 Quatrièmement.  Parce qu’Hélène n’a pas entrepris cette recherche de sa propre initiative, mais après avoir été avertie par des révélations divines.  C’est ce qu’atteste Eusèbe dans la chronique que saint Jérôme a traduite en latin : « Hélène, la mère de Constantin, avertie par des visions divines, trouva, près de Jérusalem,  le bienheureux bois de la croix sur lequel fut suspendu le salut du monde. »  Disent la même chose Ambroise, Ruffin, Paulin, Sulpice et d’autres.   Ce qui nous montre à quel point sont impudents les blasphèmes des magdebourgeois.  Ils disent, en effet, (centurie 4, chapitre 6, colonne 458), qu’Hélène fut une femme superstitieuse parce qu’elle se rendit à Jérusalem pour trouver la croix.  Mais cette femme tous les saints pères la portent aux nues, et ils affirment tous que c’est sous l’inspiration du Saint-Esprit qu’elle s’est mise à la recherche de la croix du Seigneur.
Cette histoire qui est archi connue et  célèbre entre toutes,  les magdebourgeois essaient de la rendre douteuse (centurie 4, chapitre 13, colonnes 438, et 439).  La première raison qu’ils donnent c’est qu’Ambroise  est le plus ancien de tous à raconter cette histoire.  Or, le discours sur Theodose où elle se trouve racontée, Érasme ne l’accepte pas comme authentique. La deuxième raison.  Eusèbe (dans la vie de Constantin, livre 33), raconte plusieurs choses sur Hélène, et sur la purification du mont du Calvaire, mais ne dit pas un mot sur l’invention de la vraie croix.  À la première objection, je dis d’abord qu’une telle censure d’Érasme n’existe pas puisque (dans la centurie 4, chapitre 3 de la vie d’Ambroise), ils attribuent ce discours à Ambroise,  en faisant leur le jugement d’Érasme.  Je dis ensuite, que à supposé même qu’Érasme ait jugé ainsi, serait-il devenu soudain un oracle divin devant lequel tous doivent s’incliner, surtout quand il ne donne aucune raison.  Troisièmement, je dis qu’il est faux qu’Ambroise soit le plus ancien de ceux qui rapportent cette histoire.  Car, Sulpice, Paulin, Ruffin, Jérôme, saint Jean Chrysostome qui racontent tous la même chose,  sont du même âge qu’Ambroise, et de la même époque, même si Ambroise est peut-être un peu plus ancien.  Ensuite, saint Cyrille de Jérusalem qui est plus ancien qu’Ambroise, raconte la même chose, dans son épitre à Constance Auguste.
 Constantin lui-même, plus âgé qu’Ambroise,  se souvient de cela dans sa lettre à Macaire que rapporte Eusèbe au livre 333 de la vie de Constantin : « La bénignité de notre Dieu est telle qu’aucune parole ne peut être digne du miracle présent.   Cela cause de l’admiration et de la stupeur que l’indice d’un tourment très sacré enseveli sous terre pendant tant d’années jusqu’à ce que soit anéanti l’ennemi commun, soit apparu parfaitement conservé à sa famille. »  Il ajoute au même endroit, que la foi est déclarée par de nouveaux miracles.  À la deuxième objection nous disons que, dans sa chronique, Eusèbe s’est rappelé de cela.  Dans les livres sur la vie de Constantin il ne s’est pas cru obligé de raconter cette histoire parce qu’elle était alors connue  par tous. Et il pensait que devait suffire ce qui était écrit dans les lettres de Constantin.
À cette découverte de la vraie croix, on peut ajouter aussi l’invention de la lance sacrée qui, par une divine révélation, a été trouvée à Antioche, en l’année 1008, et ennoblie par un miracle insigne.  Voir Guillaume de Tyr (livre 6 de la guerre sacrée), et Paul Émilien (livre 4 des gestes des Francs), et le douzième continuateur de Marian Scott (dans la chronique de l’année 1100.)
Le quatrième témoignage on le tire du témoignage des anciens qui rapportent souvent avec quel ardent désir les fidèles désiraient posséder ou regarder un morceau de la vraie croix.   Ce qui est porter un grand honneur à la croix, comme nul ne l’ignore.  D’abord, saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 10et 13) dit que le monde a été rempli du bois de la croix trouvé à Jérusalem;  que plusieurs demandaient  des particules de la vraie croix, et que Constantin avait inséré une particule de la vraie croix dans sa statue, estimant que, par cette particule, c’était toute la ville qui était sauvegardée, comme le rapportent Socrate (livre 1, chapitre 13), et Eutropius ou Paul diacre, qui ajouta plusieurs choses à Eutropius au livre 11 des choses romaines.  Grégoire de Nysse, dans la vie de sa sœur Macrine, raconte qu’elle avait coutume de porter à son cou une croix d’argent où  était insérée une particule de la vraie croix.   Paulin, dans l’épitre 12 à Sévère, écrit qu’il s’est donné à lui-même le plus grand des dons, une particule de la croix enrobée d’or.  Il écrit aussi, au dixième anniversaire de la naissance au ciel de Félix, qu’il a éteint un énorme incendie qui ne pouvait plus être éteint par aucun moyen humain, seulement en élevant une particule de la croix.
Saint Jean Chrysostome (dans son homélie que le Christ est Dieu), écrit que ceux qui pouvaient posséder une particule de la croix, la conservaient en l’enroulant dans de l’or, et croyaient être bien décorés et bien protégés.  Évagre (livre 4 de son histoire, chapitre 20), et Procopius (livre de  la guerre persique), racontent que, à Apamée, il y avait une particule de la sainte croix, que le peuple voulut montrer quand la ville qui était assiégée depuis longtemps semblait sur le point d’être prise, pour que, à la vue de la croix du Seigneur, ils meurent avec plus de joie.  Mais quand cette particule de la croix fut élevée par l’évêque une, deux et trois fois, éclata un feu mystérieux qui éclairait sans bruler.  Terrifiés,  les assaillants mirent fin au siège de la ville.    Grégoire V11 (livre 6, épitre 126) envoie à Reccarède, roi des Visigoths,  une particule de la croix, comme suprême protection.   Saint Ambroise (dans son sermon sur Theodose), parlant du clou inséré par Hélène dans le casque de l’empereur, dit : « Hélène a agi sagement en élevant la croix sur la tête des rois, pour que la croix du Christ soit adorée dans les rois. »    Saint Jérôme (dans le psaume 98, parle ainsi de la croix : « Adorez l’escabeau de ses pieds. »  Et, dans son épitre 17 à Marcella, il dit : « Il viendra donc un jour où il nous sera permis d’entrer dans le sépulcre du Sauveur, et de choyer le bois de la croix. »
Saint Augustin (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu) écrit : « À la terre sainte apportée en Afrique du mont du Calvaire,  des miracles ont coutume de se faire.   Et, avec un autre évêque,  il l’a enfouie sous terre,  et a construit au-dessus un oratoire. » De quel honneur  saint Augustin n’entourait -il pas la croix,  lui qui honorait à ce point la terre où avait été  la croix ?  À ces témoignages, ajoutons celui de la Sybille, son poème qui se trouve au livre 6 des champs sibyllins, vers la fin : « O heureuse croix sur laquelle pend Dieu lui-même ! »
Le cinquième argument est tiré de l’exaltation de la sainte croix.  Nous tenons de Paul diacre, de Zonara et de Cedrenus (dans la vie d’Héraclius),  que Heraclius fut divinement aidé dans la récupération de la croix que les Perses avaient enlevée de Jérusalem.  Et cela d’une façon telle que, du haut du ciel, Dieu combattit contre les Perses avec des pierres de grêle,  comme il avait autrefois fait avec Josué.  Dans la restitution de la croix en son lieu,  des miracles eurent lieu,  comme le rapporte Sigebertus (dans sa chronique de l’année 631.)  Qu’à cause de cet évènement une fête a été instituée, Otho Frisingensis (livre 5, chapitre 9), Bède et Adon le notent  dans leur martyrologe.
Le sixième argument.  Si la terre où  l’ange s’est tenu est sainte, (Josué chapitre V, Exode 3) pourquoi la croix, où s’est tenu le Christ ne le serait-elle pas ? Si le linceul et les ceintures de saint Paul sont honorés par le contact,  pourquoi ne le serait pas davantage la croix du Seigneur encore tachée de sang ?  Si on honore les sacrements parce qu’ils sont des instruments de grâce, pourquoi par la croix, qui est l’instrument de notre rédemption ?
                                        CAPITRE 28
                                   L’image du Christ
De l’image du Christ nous avons un premier témoignage en Matthieu XX!V : « Alors, apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’Homme. »  C’est-à-dire la croix.    Car, même si Calvin, Musculus et les autres qu’il nomme dans sa chaîne à Marloratus, nient qu’il s’agisse là de la croix, et veulent que le sens des mots soit le suivant : il apparaitra si manifestement que tous les yeux se tourneront vers lui, il n’en resta pas moins que , tous les anciens auteurs voient la croix dans le mot signe.  Comme Origène, saint Jean Chrysostome, saint Jérôme, saint Hilaire, Theophylactus, Tuthymius, Bède,  dans leur commentaire de Matthieu chapitre XX1V.  Saint Cyrille de Jérusalem également (dans sa catéchèse 15), et saint Augustin (dans son sermon 130.)
 Voici ce que l’Église chante à la fête de l’invention : « Ce signe de la croix sera dans le ciel quand le Seigneur viendra pour juger. »   Voici ce que chante aussi la Sybille au livre 7 : « O bois heureux sur lequel  Dieu lui-même est pendu.  La terre ne te reçoit pas;  mais tu verras les toits du ciel, quand la face de Dieu renouvelée luira comme le feu. »  Et Thomas Waldensis  (tome 3, titre 20, chapitre 158), ne dit pas sans de bonnes raisons que cette vraie croix du Christ, qui est maintenant divisée en plusieurs particules, se réformera en récupérant toutes ses parties, et apparaitra dans le ciel.  Car, c’est ce que semblent affirmer la Sybille,  et  saint Jean Chrysostome dans son sermon sur la croix et le larron.  Ce qui n’est contredit par aucun père.
Nous avons un grand nombre d’arguments pour prouver qu’on doit honorer la croix.  D’abord,  elle est honorable la croix qui est appelée son signe par le Christ lui-même.  Car, si les soldats adorent l’étendard de l’empereur (comme le rapporte Sozomène, livre 1, chapitre 4 de son histoire,) pourquoi n’adorerait-on pas celui du Christ ?  La croix est ensuite honorable parce qu’elle apparaitra dans le ciel, à un endroit élevé et digne d’honneur.  Troisièmement.   Parce qu’elle sera tenue par les mains des anges, comme saint Augustin l’enseigne dans son sermon 130.  Quatrièmement, parce qu’elle brillera plus que le soleil, comme l’enseignent saint Augustin et saint Jean Chrysostome.  Car, quand le soleil, la lune et les étoiles s’obscurciront, elle apparaitra, et sera vue par tous. (Matth chapitre 24).
On peut tirer le second argument des témoignages des saints conciles.   Car le synode V1, canon 73, le synode V11 dernier acte, et le synode V111, dernier acte aussi, ont émis des canons sur la vénération du crucifix.  Le troisième argument est tiré de l’usage et des témoignages des anciens.  Saint Justin, dans sa deuxième apologie, écrit : «  Les miracles et les prodiges qui existent parmi nous déclarent la vertu de cette croix. » C’est ce que répondait  Tertullien (apologétique chapitre 16),  à l’objection que faisaient les païens sur l’adoration de la croix.  Minitius dans Octavius dit la même chose.  Ce qui montre et prouve que, dès le début de l’Église, même avant l’invention de la vraie croix, les chrétiens avaient coutume de vénérer l’image de la croix.  Origène (livre 6 sur l’épitre aux Romains), dit que si on considère attentivement la figure de la croix placée devant les yeux, cela suffit pour repousser toutes les tentations.
 Constantin le grand a réduit le labarum en la forme d’une croix, comme le rapporte Eusèbe (livre 9 chapitre 9 de son histoire,  et livre 1 de la vie de Constantin.)  Puisque le labarum était adoré, Constantin n’aurait jamais inséré la croix dans le labarum ,  s’il avait pensé qu’adorer la croix était une idolâtrie.  Bien plus, Sozomène (livre 1, chapitre 4 de son histoire), écrit que Constantin a converti le labarum en croix, pour que les soldats prennent l’habitude de vénérer la croix.
Tu diras que même avant le temps de Constantin, le labarum avait la forme d’une croix, comme l’attestent Tertullien (apologie, chapitre 16),  Justin (deuxième apologie), et Minutius dans Octave.  Je réponds que, avant le temps de Constantin, le labarum avait une certaine ressemblance avec la croix, parce qu’il était un voile suspendu sur un bois, mais qu’il n’eut vraiment la forme d’une croix qu’au temps de Constantin.  Le même Constantin, (comme le rapporte Eusèbe dans le livre 1 de la vie de Constantin),  après avoir vaincu Maxence à Rome, éleva une croix dans ce lieu très célèbre en disant : « Voici le signe salutaire. »  Et de nouveau, dans la main droite de sa statue, il ordonna qu’on mette une croix avec ces mots : « C’est avec ce seul signe de vraie force que j’ai libéré votre ville. »  De même, il interdit  par un décret d imposer désormais  le supplice de la croix  aux criminels,  pour que la croix n’inspire plus à tous l’horreur,  mais l’amour et la vénération.  C’est ce que rapportent Sozomène (livre 1, chapitre 8), et saint Augustin (sermons 18 sur des paroles du Seigneur.)  Et il ordonna, par contre, que,   sur les pièces d’argent, soit gravée la figure de la croix, comme le rapporte le même Sozomène.
Imitant la piété de Constantin, Theodose interdit qu’on sculpte ou qu’on peigne pat terre la croix sacrée, pour qu’elle ne soit pas foulée aux pieds.  Car c’est ainsi qu’on le lit dans le livre 1 du codex, tit 8, 1,  cum sit nobis.   Ce témoignage les adversaires l’ont corrompu  en prétendant que Théodose avait défendu de sculpter ou de peindre des images  de la croix du Christ.  Arcadius suivit son père Théodose en ordonnant qu’on grave le signe de la croix sur la monnaie d’or, comme le rapporte Prospère (dans prédictions et promesses, part 3, chapitre 34).   Tibère, qui fut aussi un excellent empereur, marcha sur les traces de Théodose.   Quand il vit, dans le palais, la croix du Christ gravée en marbre sur le plancher, il s’écria : « Nous devons  fortifier notre front et notre poitrine par la croix du Seigneur, et nous, nous la foulons aux pieds ! » C’est ce qu’atteste Paul diacre (livre 18 des choses romaines).  Il ajoute aussi qu’on a trouvé, sous ce marbre,  un trésor fabuleux, plus de cent mille pièces en or.  Ce qui a été perçu comme une récompense pour la piété du prince religieux.
Au temps de Constantin, Lactance a écrit un poème sur la croix, dans lequel on lit, entre autres : « Fléchis le genou,  adore le bois vénérable de la croix. »  Pas tellement longtemps après,  saint Athanase  (dans question 16 à Antioche), explique pourquoi les chrétiens font et vénèrent des images de la croix plutôt que de la lance ou de l’éponge.  Parce que, si les païens disaient que nous adorons le bois,  nous détruirions la figure de la croix  en séparant les deux morceaux de bois, et nous cesserions de la vénérer.  Saint Jean Chrysostome avait  ordonné  que, dans les processions, ouvrent la marche des croix argentées avec des cierges allumés, comme l’attestent Socrate (livre 6, chapitre 8) et Sozomène (livre 8, chapitre 8).  Saint Jean Chrysostome raconte la même chose (dans son livre que le Christ est Dieu).  Il dit que, en son temps, la figure de la croix avait coutume d’être peinte dans tous les endroits : dans les villes, dans les maisons, dans les chambres, sur les vases, dans le désert, sur les montagnes etc.  Saint Augustin (au traité  36 sur saint Jean et dans le psaume 36, écrit : « Qui a jamais tant rendu d’honneur à son supplice,  au point de le conserver pour ses fidèles? »   Saint Cyrille d’Alexandrie  (livre 6 contre Julien) répond à Julien qui lui reprochait que les chrétiens adorent le bois d’une croix, et vont même jusqu’à peindre son image devant leurs maisons.  Ruffin (livre 2, chapitre 29 de son histoire) atteste que, en Égypte, quand les Égyptiens furent convertis à la foi, partout furent peintes des croix à la place de la cuirasse de  Sérapis que les païens vénéraient.
Bède (dans le livre 1 de l’histoire des Anglais, chapitre 25), raconte que quand saint Augustin a été envoyé par saint Grégoire pour convertir les Anglais, il s’est fait précéder d’une croix d’argent  et d’une image du Christ peinte à la façon d’un étendard.  Le même Grégoire (livre 7, chapitre 5,) parle de la vénération de la croix.  Saint Léon le grand (sermon 8 sur la passion du Seigneur) écrit : « Le trophée de son triomphe est d’une grande  dignité, et apportait à tous les peuples le signe salutaire d’une patience invaincue. »  Sedulius la chante dans ses poèmes.
Le cinquième argument vient de l’apparition et des miracles de la croix.  D’abord, est apparue à Constantin dans les airs une croie lumineuse avec ces mots : en toutô vika, c’est-à-dire, en cela tu vaincras.  C’est ce que rapporte Eusèbe dans le livre 1 de la vie de Constantin.  Il ajoute, au même endroit, qu’il le tient de la bouche même de Constantin, qui a juré que la chose s’était vraiment passée ainsi.  Cette croix ne lui est pas apparue non plus en songe, comme Sozomène (livre 1, chapitre 3) et Paul diacre (livre 11 des choses romaines) le disent.  Mais quant il était pleinement éveillé, et avançait avec son armée, comme Eusèbe le rapporte.
De plus, ce n’est pas en vain qu’il avait été dit à Constantin : en cela tu vaincras, car, les victoires de Constantin le montrent.   Eusèbe rapporte, en effet, (livre 11 d la vie de Constantin)  que Constantin avait donné l’ordre, dans les combats,  de toujours placer le labarum,  où la croix avait été gravée, sur l’aile qui avait le plus besoin de renfort. Et Eusèbe ajoute qu’à chaque fois que le labarum parvenait à un endroit, la victoire avait coutume de suivre.  Il  continue en disant, au même endroit,  que si celui qui portait le labarum, pris de peur et de panique à la vue des ennemis, l’abandonnait et prenait la poudre d’escampette, il était tué sur le champ.  Que celui qui le recueillait de ces mains défaillantes  ne pouvait jamais être blessé, même si les flèches lancées sur lui étaient innombrables.  Car toutes ces choses frappaient l’épée de la croix.
Deuxièmement.   Est souvent apparue une croix très lumineuse au-dessus du mont des Oliviers, au temps de Constantin, laquelle est racontée par saint Cyrille de Jérusalem dans une épitre à Constance.  Troisièmement.  Au temps de Julien l’Apostat,  qui persécutait déjà, comme le rapporte saint Grégoire de Naziance (dans son premier sermon au Julien).  Car, quand Julien inspectait  le foie des animaux pour connaitre l’avenir, il trouva une croix couronnée. Des aruspices chevronnés lui en donnèrent l’explication suivante.   La religion chrétienne qui vénère la croix sera perpétuelle, et ne peut pas être vaincue par Julien.  Ses adulateurs lui disaient que cela signifiait les angoisses et comme les prisons de la croix.  Mais, l’évènement a prouvé que la première interprétation était la vraie.  À la même époque, quand les Juifs, sur l’ordre de Julien, voulurent édifier un temple à Jérusalem à la honte du crucifié, apparut dans le ciel un immense cercle lumineux entourant une croix d’une grande splendeur.  Et, en plus, sur les vêtements de presque tous les hommes de cet endroit,  apparurent des croix dessinées avec un grand art, comme le rapporte saint Grégoire de Naziance  (sermon 2 sur Julien).
Quatrièmement, une croix est apparue dans les airs au temps de l’empereur Arcade,  quand il entreprit la guerre pour la foi contre les Perses, les persécuteurs des chrétiens.  Et c’est dans cette guerre qu’il reçut l’aide divine, comme l’atteste Prospère (dans son livre sur les promesses divines,  part 3, chapitre 34).  Cinquièmement.  Des croix sont apparues sur les vêtements des hommes au temps de Léon l’iconoclaste, quand les hérétiques délirèrent contre les images, comme l’atteste Paul le diacre, (dans la vie de Léon l’iconoclaste).  On peut référer à ce genre de prodiges, l’apparition en Angleterre d’une croix sur un arbre, en l’an 1559, selon Alanum Copum.
En plus de ces apparitions, on peut rapporter  des miracles innombrables effectués par la vertu de la croix du Christ.  Insigne est celui d’Hilarion qui, selon saint Jérôme, s’est produit à Épidaure. Car, quand la mer transgressa ses limites, et qu’il y avait danger qu’elle inonde la ville.   Hilarion peignit trois croix sur le rivage.  Quand elle y parvint, elle commença à écumer. Puis, comme si elle venait buter sur un mur, elle s’éleva à une très grande hauteur.  Elle semblait frémir et s’indigner d’être empêchée d’aller plus loin.  En fin, cédant à la vertu de la croix, elle ramena à elle ses flots.  Bède le vénérable raconte beaucoup de miracles  (au livre 3, chapitre 2 de son histoire des Anglais) opérés par la sainte croix qui avait été érigée par le saint roi Oswald, et le premier de tous, la victoire miraculeuse qu’il remporta avec une poignée de soldats contre des milliers d’ennemis.
 Le dernier argument vient de la raison.   Car, les signes des saintes choses sont saints et vénérables, comme nous l’avons montré plus haut.  Il est certain que n’importe laquelle croix est sainte et vénérable parce qu’elle présente l’image du Christ crucifié, c’est-à-dire du Christ occupé dans l’œuvre même de la rédemption.  On ne peut  penser à rien de plus saint.
                                  CHAPITRE 29
 Reste le signe de croix que l’on forme dans l’air ou sur le front, ou que l’on marque avec le doigt sur quelque chose. Que ce signe est sacré et vénérable, on peut le démontrer avec des figures de l’ancien testament.   Car, le sang de l’agneau sur le linteau  des maisons (Exode X11) ne signifiait rien d’autre que le signe de la croix sur le front des chrétiens, selon saint Augustin (au chapitre 20 du livre sur l’enseignement du catéchisme aux illettrés).  De même, le Tau qui (Ezéchiel, chapitre 9), qui doit être inscrit sur les fronts de ceux qui gémissent, indiquait clairement le signe de la croix que nous faisons de préférence sur le front, comme l’enseignent saint Cyprien (dans son livre contre Demetrianus)  et saint Jérôme (dans son commentaire d’Ézéchiel).  Ajoutez à ces textes celui de l’Apocalypse X!V : « Ne nuisez pas à la terre, à la mer, ni aux arbres jusqu’à ce que nous ayons signé sur leurs fronts les serviteurs de notre Dieu. »  Que ce signe soit le signe de croix,  l’enseignent Bède, Anselme, Rupert, dans leurs commentaires de ce passage.  Jacob  bénit les fils de Joseph en croisant les mains (Genèse 48).  Il indiquait, par là, qu’un temps viendrait où les bénédictions se feraient par un signe de croix.
 On le prouve ensuite par les témoignages d’anciens qui ont vécu dans les cinq premiers siècles.  Denys l’aréopagite (hiérarchie ecclésiastique, chapitres 4, 5, 6) dit que dans tous les sacrements, on se servait du signe de croix.  Saint Justin (question 118), répond aux Gentils qui se demandaient pourquoi les chrétiens se tournaient vers l’orient pour prier.  Il dit qu’il faut donner à Dieu ce qu’il y a de meilleur : « Comme c’est avec la main droite, et non avec la gauche,  que nous exprimons le signe de la croix quand nous bénissons quelque chose. »  Hyppolite, écrivain très ancien, et un compagnon des apôtres, dont Palladius  le livre cite le livre dans l’histoire lausiaque à la page 148, écrit qu’une vierge munie du signe de la croix, est sortie indemne d’un lupanar.   Tertullien parle ainsi dans le livre de  la couronne du soldat : « Pour tout progrès, toute promotion, toute entrée et toute sortie, quand on se chausse, quand on se lave, quand on mange, quand on allume,  quand on se couche, quand on s’assoit, en quelque circonstance que ce soit, nous marquons notre front du signe de la croix. »
  Saint Cyprien (livre 4, épitre 6) : « Le font est muni comme un signe efficace  des serviteurs de Dieu. »  Et dans le livre sur l’unité de l’Église, il dit, passé le milieu, qu’Ozias, après avoir offensé Dieu,  a été frappé sur le front par la lèpre, là où se signent ceux qui honorent  Dieu. Et dans le livre sur ceux qui ont tombé durant la persécution, il dit, au début : « Avec le signe de Dieu, le front pur n’a pas pu porter la couronne du diable.  Il s’est réservé la couronne du Seigneur. »
 Le pape Corneille (dans l’épitre à Fabien que l’on trouve dans l’histoire d’Eusèbe,  livre 6, chapitre 33), déclare que Novatien a été saisi  par le démon parce qu’il ne recevait pas le signe du Christ sur le front.  Origène (Exode, chapitre 15, homélie 6) dit : « La peur et l’effroi s’emparent des démons quand ils voient sur vous le signe de la croix solidement posé. »  Grégoire le thaumaturge s’est servi souvent du signe de la croix contre les démons, atteste saint Grégoire de Nysse dans sa vie.  Lactance (livre 4, chapitre 26) dit que le Christ a été d’une grande aide à tous ceux qui inscrivaient le signe de la croix sur leurs fronts.   Saint Cyrille de Jérusalem (dans la catéchèse 4) : « Nous n’avons pas honte, nous, de la croix du Christ.   Si quelqu’un se signe en cachette, toi, signe-toi publiquement sur le front ! »  Et plus bas : « Fais ce signe en mangeant, en buvant, en t’assoyant, en te levant, en parlant, en marchant, en somme, dans toutes tes actions. »   Saint Athanase (dans le livre de l’incarnation du Verbe : « Par le signe de la croix, toutes les incantations et les sortilèges se dissipent. »  Saint Basile (livre sur le Saint Esprit, chapitre 37) place,  parmi les premières traditions apostoliques la coutume de se signer du signe de la croix.  Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon 1 contre Julien) dit que même les soldats avaient coutume d’utiliser, à table, le signe de croix.  Saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur le chapitre 12 de saint Matthieu) enseigne que tous les sacrements obtiennent leur dernière touche du signe de la croix.  Et dans son homélie que le Christ est Dieu, il raconte éloquemment plusieurs choses à la gloire de ce signe.
 Éphrem (dans le livre de la pénitence, chapitre 3) : « Peignons donc ce signe vivifiant sur nos portes, sur nos fronts,  sur nos lèvres, sur notre poitrine, et sur tous nos membres.  Armons-nous de l’armature invincible des chrétiens ! »  De même, dans le livre de l’armature spirituelle, chapitre 2, il dit : « Munis-toi comme d’un bouclier, du signe de la croix, car c’est une arme très efficace ! »  Saint Antoine, comme le rapporte saint Alexandre dans la vie de saint Antoine, ordonnait à ses moines de trouver, dans le signe de la croix, la sécurité contre toutes les terreurs.  Palladius, (dans l’histoire lausiaque, chapitre 2) raconte que quand un saint moine vit, dans un puits, un aspic, il munit le puits du signe de la croix, et sans aucune crainte, puisa de l’eau et but.
 Saint Ambroise (dans le sermon 43) nous exhorte à commencer toutes nos actions par le signe de la croix.  Et, dans le sermon 90, il rapporte les paroles de sainte Agnès qui disait : « Il a posé un signe sur ma face, et, à cause de lui, je n’admets aucun amant. »  Car, c’est le signe du Christ par lequel nous nous dédions à Dieu.   Saint Jérôme (dans l’épitre à Démétriade), écrit : « Ferme la cellule de ta poitrine, et munis ton front du signe  de la croix. »  Il dit de même à Eustochius : « À chaque entrée, que la main peigne la croix du Seigneur. »  Saint Augustin (traité 118  sur saint Jean, vers la fin) : « Qu’est donc le signe du Christ sinon la croix du Christ, comme tous le savent.  Si ce signe n’est pas employé sur le front des croyants, sur l’eau de la régénération, sur l’huile de l’onction des fidèles, sur le sacrifice qui nous nourrit, aucune de ces choses n’est accomplie selon le rite. »  De même, dans le livre sur les confessions, chapitre 2, il écrit : « Je me signais déjà du signe de la croix, et m’assaisonnais  avec le sel du Christ. »
 Saint Martin dit à saint Sulpice : « C’est protégé par le signe de la croix, et non par un bouclier  ou par un casque, que je pénétrerai, en toute sécurité, dans les formations de bataille en forme de coin. »   Prudence, dans son hymne avant le sommeil : « Que celui qui, appelant le sommeil, demande un chaste repos, signe son front et son cœur de la figure de la croix.  Que la croix repousse tous les crimes.  Que les ténèbres s’enfuient à la vue de la croix. Un esprit qui est dédié à ce signe ne peut pas fluctuer. »  Et saint Paulin de Noles, au huitième anniversaire de la naissance au ciel de saint Félix : « Nous nous sommes  munis de la confession et du signe invincible de la croix.  Ayant armé notre esprit avec Dieu, nous ne regrettons pas les armes du corps, même si nos membres semblent désarmés. »
 Troisièmement, on le prouve par les miracles qui ont été faits par la croix.  Tertullien, au début du Scorpiace, dit que le signe de la croix a été profitable non seulement pour les chrétiens mais aussi pour les païens.  Lactance (livre 4, chapitre 27) rapporte que, en présence d’un chrétien qui avait fait le signe de croix, le diable n’osait pas répondre aux questions de l’empereur.  Épiphane (dans l’hérésie 30) écrit qu’un certain Joseph qui n’était pas encore chrétien avait chassé des démons par le signe de la croix,  et que, après être devenu chrétien, il détruisait, par ce même signe, les incantations des Juifs.
Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon 1contre Julien), écrit que quand un  certain Julien, encore païen, vit des spectres, pendant que des nécromanciens faisaient leurs incantations, il s’est muni du signe de la croix, est sorti de nuit sain et sauf, au milieu de spectres innombrables,  des bains  dont personne n’était jamais sorti vivant parmi ceux qui y étaient entrés de nuit.  Athanase, dans la vie d’Antoine, saint Jérôme (dans la vie de Paul, premier ermite), Theodoret (dans le livre 5, chapitre 21 de son histoire), saint Grégoire (livre 3, chapitre 7 de ses dialogues),  racontent beaucoup de miracles qui ont été opérés par le seul signe de la croix, et surtout des expulsions de démons.  Palladius (dans l’histoire lausisaque, chapitre 54)  raconte qu’après s’être muni du signe de la croix, quelqu’un est resté longtemps indemne au milieu des flammes.  Theodoret, dans la vie de saint Julien, et dans la vie de saint Marcien, écrit que, en son temps, des dragons énormes ont été tués par l’un et l’autre,  avec le seul signe de croix.
 De même, dans la vie de saint Aphratus et de saint Macédonius, de saint Pierre et d’autres,  il rapporte qu’ils ont guéri différentes sortes de maladies avec le seul signe de la croix.  Sulpitius rapporte des choses semblables dans la vie de saint Martin; saint Jérôme dans la vie d’Hilarion,  ainsi que saint Augustin (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu).  Victor Uticensis (dans le livre 2 de la persécution des Vandales),  écrit que l’évêque catholique Eugène a rendu la vue à un aveugle par le seul signe de la croix.  Si nous voulions ajouter les miracles opérés après les cinq premiers siècles, qui sont rapportés par des auteurs crédibles, ceux de saint Benoit, de saint Bernard, de saint François, et de tant d’autres, nous n’en finirions jamais.
                                                 CHAPITRE 30
                         On répond aux objections des hérétiques
 Après tout ce qui a été dit, il sera facile de réfuter les objections des hérétiques.  La première.  La croix a apporté à Jésus de la douleur et de l’ignominie.   Nous répondons que si la croix n’avait apporté à Jésus que de la douleur et de l’ignominie, c’est à bon droit qu’elle serait exécrée.  Mais, elle a apporté aussi de la joie et de la gloire, à cause de la défaite du diable et de la rédemption du genre humain.  Cette joie et cette gloire sont telles qu’elles ont comme absorbé la douleur et l’ignominie.  La deuxième.  Ils seraient des impies les enfants qui honoreraient les potences sur lesquels leurs parents ont été suspendus.  Je réponds que ce sont deux situations dissemblables.   Car, ceux qui sont suspendus sur les potences le sont par la sentence d’un juge, pour une faute véritable, ou déclarée telle au cours d’un procès légitime.  De plus, ils le sont malgré eux.  Voilà pourquoi le seul profit qu’ils retirent de leur mort est une peine et une infamie.
 Mais le Christ n’a pas été crucifié à cause d’une faute véritable ou prouvée telle dans un procès légitime.  Car, tous savent que son juge lui-même a témoigné n’avoir trouvé aucune faute en lui.  De plus, le Christ s’est livré lui-même spontanément pour être crucifié par ses ennemis.  Il aurait pu s’évader, s’il l’avait voulu, mais il préféra l’obéissance à son Père.  En effet, quand il s’est rendu témoignage à lui-même en disant : C’est moi, tous ses ennemis tombèrent par terre.  Enfin,  le Christ retira beaucoup de biens de sa mort, comme nous l’avons déjà dit, et pour lui et pour nous.  Ce n’est pas seulement dans la mort du Christ que nous voyons cela, mais dans celles des autres qui ont été tués pour Dieu ou la patrie.  Car les amis conservent volontiers les instruments de leurs supplices, comme des monuments de leurs vertus.
 Le troisième argument.  Honorer la croix c’est comme se réjouir de la mort du Christ à la manière des ennemis. Je dis d’abord que nous n’avons rien en commun avec les ennemis du Christ.   Car, quand nous nous réjouissons de la passion du Sauveur,  nous ne nous réjouissons pas de ce dont se réjouissaient les ennemis du Christ, mais de ce dont lui-même se réjouissait, c’est-à-dire de son triomphe, non de son ignominie.  Nous savons aussi qu’il faut compatir aux souffrances du Christ, et les honorer avec de pieuses larmes.
Le quatrième argument.   Si nous honorons toutes les croix, il ne s’ensuit pas que nous devions honorer toutes les crèches, toutes les épines, toutes les lances, tous les fouets.   La raison pour laquelle nous adorons toutes les croix c’est qu’elles sont des images de la vraie croix, sur laquelle le Sauveur a été suspendu, et du Christ crucifié.  Or, une crèche, une épine ou une lance ne sont pas des images du Christ,  ni même le berceau, les épines et la lance qui ont touché le Christ.   Car, à une image, ne suffit pas la ressemblance,  il est aussi requis que l’une soit exprimée par l’autre.  Voilà pourquoi on ne dit pas qu’un frère est l’image de son frère, même s’ils sont semblables, parce que l’un ne vient pas de l’autre.  C’est le fils qui est dit et est vraiment l’image du père, non seulement parce qu’il est semblable au père, mais parce qu’il en provient.  Or, les croix sont toutes faites pour représenter la première,  et elles en sont toutes des images.  Mais quand on peint ou on sculpte une crèche pour représenter la nativité de notre Seigneur Jésus-Christ, ou une colonne pour représenter la flagellation, ces images ou ces sculptures ne sont pas privées de vénération.
 Si tu demandes pourquoi nous peignons et adorons une croix sans le Christ crucifié, et que nous ne peignons pas et n’adorons pas  une crèche ou ne colonne sans le Christ, je réponds que c’est pour trois raisons.  La première.  Parce que la croix, à elle seule, renvoie au Christ crucifié.  Les autres, non.  La deuxième.  La croix n’a pas d’autre usage, surtout depuis l’édit de Constantin, que de nous faire entendre qu’il ne faut pas crucifier les êtres humains.  Mais les autres choses ont d’autres emplois.  Car, quelqu’un qui verrait une colonne peinte ne pourrait pas facilement savoir ce qu’elle signifie.  Est-ce une colonne du Christ ? Une colonne de Trajan ? D’Adrien, d’Hercule, ou d’autres ?  La troisième.   Quand nous sommes accusés d’adorer le bois, nous pouvons toute de suite montrer (comme l’explique Athanase, dans un texte cité) que c’est la figure et non la matière que nous vénérons,  en séparant les deux bois l’un de l’autre.  Chose qu’on ne peut pas facilement faire avec une colonne, une lance, ou une éponge.
 La cinquième objection.  Il faut honorer les lèvres de Judas, et les mains de ceux qui ont tué le Christ,   en raison du contact qu’elles ont eu avec son corps, et parce qu’elles ont été des instruments de sa passion.  Je réponds qu’entre la croix et les lèvres de Judas ou les mains des meurtriers, il y a une grande différence, comme l’enseigne Thomas Waldensis (tome 8, tit 13, chapitre 120).   Car le Seigneur a choisi la croix, l’a embrassé avec amour, comme une chose innocente qui servait à la rédemption.  Mais, les lèvres de Judas et les mains des impies le Christ ne les a ni choisies ni aimées, mais les a exécrées comme des choses impies et scélérates.  Or, nous, nous ne devons aimer et honorer que ce que le Christ a aimé et honoré.
Mais les Wicléfistes peuvent répondre  que la croix et les lèvres de Judas son semblables.  Car, comme les lèvres de Judas furent l’instrument de son crime, car en elles-mêmes elles étaient incapables de commettre une faute, la croix fut, elle aussi, un instrument du crime des Juifs.  Et comme le Seigneur a choisi la croix, non comme instrument de crime, mais de passion, il a de même choisi les lèvres de Judas et la main des meurtriers non comme instruments de crime, mais de passion. Et c’est pour cette raison que saint Augustin a écrit que Judas a été choisi par le Christ  pour accomplir, par lui, notre rédemption.
 Je réponds que la différence consiste en deux choses.  La première.  Parce que les lèvres de Judas et les mains des meurtriers du Christ n’étaient pas seulement des instruments de la passion, mais qu’ils faisaient partie des hommes impies.  Et c’est pour cela qu’on ne peut pas les honorer comme des instruments de la passion,  car cela semblerait honorer en même temps des hommes impies.  Mais la croix, les épines et la colonne ne font pas partie du groupe d’hommes impies, car, de par leur nature, elles sont innocentes.  La seconde.   Parce que, dans la passion du Seigneur, nous pouvons considérer l’action et la passion, dont la première fut scélérate, et l’autre très sainte.  Or, les lèvres de Judas et les mains des impies furent des instruments prochains  et immédiats de cette action scélérate, et lointains et médiats de la passion salutaire.   La croix et les clous, au contraire, furent des instruments prochains et immédiats de la passion sainte, et lointains et médiats de l’action scélérate, comme il  va de soi.   Et voilà pourquoi les lèvres de Judas ont participé plus à l’action qu’à la passion, et la croix plus à la passion qu’à l’action.  En somme, la croix est vénérable absolument parlant, et les lèvres de Judas sont  détestables  absolument parlant.
 Enfin, au sujet de la magie et de la superstition, je dis que le signe de croix en est tellement éloigné qu’il  est leur pire ennemi, comme le souligne avec raison saint Athanase (dans son livre sur l’incarnation du Seigneur et de son avènement salutaire) : « Par la vertu du signe de la croix toutes les influences magiques disparaissent, les sorts et les maléfices deviennent inefficaces. »  Et plus bas : « Qu’il vienne celui qui veut faire l’expérience de ce que l’on dit. Que dans les prodiges démoniaques, dans les impostures des augures,  et dans les miracles de la magie il se serve du signe de la croix dont on se moque, et qu’il invoque le nom du Christ.   Et il verra comment, par la crainte de ce nom, les démons fuient, les prophéties cessent, toute la magie et la sorcellerie s’effondrent. » Jacques Sprenger (maléfices, part 2, question 1, chapitre 2) raconte que, quand ils sont initiés  aux choses sacrées démoniaques, les magiciens et les sorciers promettent publiquement devant le diable assis sur une tribune, et en présence de témoins, qu’ils fouleront aux pieds la croix du Seigneur.  Car, la où la croix est honorée aucun art magique n’est efficace.
 Il faut donc savoir qua la raison  pour laquelle il est interdit, comme de la superstition, d’user de caractères et de figures pour produire certains effets, comme le font les sorciers,  c’est parce que ces effets ne peuvent pas être naturels, car ces caractères et ces figures n’opèrent  pas naturellement.  Ces effets ne proviennent pas, non plus, de Dieu,  car Dieu n’a fait aucune promesse de ce genre, et n’est pas invoqué par eux.  Ces choses sont donc faites par les démons, et les caractères ne servent que comme signes d’alliance entre les démons et les sorciers.  Or, le signe de la croix opère des merveilles, non en vertu de la force naturelle qu’il possède en tant que figure quelconque ou en tant que signe d’un pacte avec le démon, mais en tant que signe divinement institué.
 Et pour que cela devienne encore plus clair, notons trois effets admirables de la croix.  Le premier.  Elle  terrifie et met en fuite les démons.  Le second.   Elle repousse les maladies et tous les maux.  Le troisième.   Elle  sanctifie les choses sur lesquelles elle est imprimée.  Et le premier effet est causé par trois choses : l’appréhension du démon, la dévotion de l’homme et l’institution de Dieu.  Car, quand il voit la croix, le démon se souvient que, par la croix, il a été vaincu, spolié, lié et privé de sa force.   Voilà pourquoi il la craint et la fuit, comme un chien fuit une pierre ou un bâton dont s’est servi son maitre pour le battre.
Donc,  la croix a la même force que la prière, et opère comme elle.  Car, le signe de la croix est une invocation des mérites du Christ crucifié,  qui est exprimée par le signe.  Voilà pourquoi opposer  au diable le signe de la croix c’est lui opposer le mérite de la passion du Christ, c’est-à-dire, invoquer Dieu contre le diable, par les mérites du Christ. Et voilà aussi pourquoi l’effet procède surtout de la foi, de la confiance, de la dévotion intérieure, que du caractère lui-même de la croix.  Comme quand nous prions oralement,  l’effet est attribué plutôt à la foi, à la confiance et à la dévotion interne qu’au son de la voix.  De ceux deux façons-à, il n’y a aucun doute à avoir.
 J’estime, cependant, que d’une troisième façon, par l’institution de Dieu, vaut le signe de croix contre le démon.  Car nous voyons que des Juifs et des païens qui ne croient nullement dans le Christ, mettent en fuite le démon par le signe de la croix, en ayant simplement l’intention de faire ce que font les chrétiens,  comme le rapportent saint Grégoire de Naziance (sermon 1 contre Julien), saint Épiphane (hérésie 30), et saint Grégoire (livre 3, chapitre 7 de ses dialogues).  Il apparait là que ce n’est pas la foi du chrétien ni la dévotion du croyant qui met en fuite le démon, mais le signe de la croix lui-même.  Voilà pourquoi saint Augustin (livre 83 des questions, question 79), dit qu’il a été commandé aux démons par Dieu de céder à la croix, comme devant le sceptre du roi suprême,  comme les peuples le cèdent aux soldats quand ils montrent le signe de l’empereur : « Il n’est pas étonnant que ces signes valent quand ils sont utilisés par de bons chrétiens, puisque même quand ils sont usurpés par des étrangers à la foi ils conservent leur valeur à cause de l’honneur du à un si excellent empereur.  Quand ces puissances ne cèdent pas à ce signe, c’est Dieu qui les en empêche pas des moyens occultes, quand il juge que cela est juste et utile.  Car ces esprits n’osent, en aucune façon, mépriser le signe de la croix.  Ils gémissent partout où ils le voient. »
  Quant aux maladies et aux maux qui ne peuvent pas percevoir la forces des signes, nous disons qu’ils fuient par la croix, comme par un signe de foi et de confiance, ou plutôt comme par une invocation exprimée par un signe.  Car, le Christ a promis à ses fidèles qu’il donnerait tout ce qu’ils demandent avec foi, et au sujet des maladies il a dit en Marc (dernier chapitre) : « Ils prendront des serpents, ils imposeront les mains sur les malades, et ils se sentiront bien.  Et s’ils boivent quelque chose de mortel, cela ne leur nuira pas. »  Contre les maladies et les autres maux, les fidèles implorent donc le secours de Dieu par les mérites du Christ.  Ils le font cela avec leurs cœurs, leurs bouches ou avec un signe de tête.  Mais comme l’effet n’est pas produit par l’opération de la prière elle-même, à la manière des sacrements, mais par l’opération de l’opérant, il ne se produit pas infailliblement.
 Quant aux bénédictions, on doit dire à peu près la même chose.   Car, quand nous bénissons des hommes, des maisons,  des champs, et des choses semblables, avec ce signe, nous recommandons à Dieu par les mérites du Christ, ces choses que nous bénissons.  Et, nous faisons la même chose, quand nous bénissons de l’eau, de l’huile, des rameaux, des chandelles : nous recommandons ces choses à Dieu, et nous lui demandons de vouloir qu’elles soient salutaires pour nous, et qu’il nous aide par elles comme par des instruments.  Enfin, ce que nous demandons explicitement par les prières, nous le demandons implicitement par le signe de la croix.
  Bien qu’on ne puisse ni ne doive nier qu’une certaine sainteté est communiquée aux choses quand on les bénit par le signe de la croix, non pas une sainteté qui possède une qualité physique, mais une sainteté semblable à celle que possèdent la croix, les clous, les vêtements et les autres choses qui ont touché le Christ ou les saints.   Car, que soient sanctifiés d’une certaine façon ceux qui touchent les reliques les pères l’enseignent constamment.  Comme saint Basile (dans le psaume 115), saint Grégoire de Nysse (dans la vie de saint Thédore), saint Jean Chrysostome (dans son sermon sur les saints Juventius et Maximus) et d’autres.  Si le contact des reliques sanctifie, pourquoi pas aussi le contact de l’étendard salutaire ?
Il est certain que saint Augustin (dans son livre sur les péchés, les mérites et la rémission des péchés, chapitre 26), déclare : « Je pense que les catéchumènes sont, d’une certaine façon, sanctifiés par le signe de la croix et par la prière de l’imposition des mains;  et que ce qu’ils reçoivent est saint, même si ce n’est pas le corps du Christ. »
 Et cela devrait suffire pour les reliques et les images, compte tenu de la brièveté de notre travail.
2018 09 08 fin
 

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.