6 nov 2019>>
La Grâce Originelle = L1=19ch
La Péché Originel L1=14ch, L2=18ch, L3=12ch, L4=18ch, L5=20ch, L6=16ch
La Réparation du Péché Originel =
La Grâce et le Libre Arbitre = préface de 9 pages +3 livres,
L1= 14ch
L2= 17 ch (début p53 pdf )
L3=18 chapitres. (p97pdf) (p132 pdf = DERNIÈRE PAGE DU LIVRE 3)
début = p479 du pdf
6 nov 2019>>LA TREIZIÈME CONTROVERSE
SUR LA GRÂCE ACCORDÉE AU GENRE HUMAIN
ACCORDÉE À NOTRE PREMIER PARENT
expliquée en un livre
LA GRÂCE DU PREMIER HOMME
CHAPITRE PREMIER
On propose la controverse suivante : l’homme est-il né avec un don surnaturel ?
Comme nous proposons, dans cette dernière partie de notre œuvre, de traiterde la grâce accordée au genre humain dans notre premier parent, de la perte de cette grâce par le péché du premier homme, et de la réparation de cette grâce par notre Seigneur Jésus-Christ, le gros bon sens demande que nous commencions par ce qui est arrivé au début.Que notre première dispute porte donc sur la grâce du premier homme, qui est triple, à savoir la grâce de l’âme, qu’on appelle la justice originelle, la grâce du corps, qui est celle de l’immortalité, et la grâce du lieu, qui est le paradis.
Voici donc la question : le premier homme a-t-il été créé avec un don surnaturel ?À partir d’un seul et même principe, les pélagiens et les luthériensont dévié dans des sentences contraires.Les pélagiens ne reconnurent dans le premier hommeaucun don surnaturel, mais n’y virent que des facultés naturelles.Et ils crurent qu’il ne manquait maintenant rien à l’hommede ce que requiert la nature humaine.Ils en vinrent donc à penser que, par le péché d’Adam, les hommes n’avaient rien perdu; et que la nature humaine était aujourd’hui ce qu’elle était quand elle a été créée.
Les luthériens pensaient au contraire, que par le péché d’Adam, l’homme avait empiré, et ils soutinrent ( d’accord ,en cela,avec les pélagiens) que, dans le premier homme, il n’y avait aucun don surnaturel.Et ils furent comme forcés de conclure que l’homme avait perdu quelque chose qui faisait partie de sa nature, le libre arbitre.Mais les docteurs catholiques qui ne doutent aucunement que notre premier parent ait été orné de multiples dons surnaturels, rejettent sans difficulté ces deux erreurs.Car, s’ils reconnaissentque tout l’homme avait empiré, ils soutiennent queseuls les dons surnaturels ont été perdus,et que les dons naturels comme le libre arbitre a été conservé.Le témoin autorisé de l’erreur des pélagiens est saint Augustin qui, tant dans son livre sur l’hérésie (au chapitre 88) quedans son épitre 106 à Paulin, écrit que les pélagiens ont estimé que le premier homme avaitété créé comme nous voyons les hommes naître aujourd’hui.Qu’ils naissent aujourd’hui sans dons surnaturels,nul n’en doute.
Que les luthériens et les autres hérétiques de notre temps convergent avec les pélagiens, il nous sera facile de le démontrer.Car, en décrivant la condition du premier homme, Jean Calvin (livre 1, chapitre 15, verset 8) ne fait aucune mention de dons surnaturels.Et la différence qu’il met entre la nature du premier homme et cellede l’homme d’aujourd’hui, est que, au tout début, l’homme avait le libre arbitre, et que, aujourd’hui, il ne l’a plus : « Dieu a formé l’esprit humainde façon à ce qu’il puisse discerner le bien du mal, et le juste de l’injuste, et que, à la lumière de sa raison, il voie ce qu’il faut suivre et ce qu’il faut fuir.Et il lui a ajouté une volontépour pouvoir choisir.C’est par ces dons remarquables qu’excellait la première condition humaine»Et un peu après : « Dans cette intégrité,l’homme jouissait du libre arbitre, grâce auquel, s’il le voulait, il pouvait atteindre la vie éternelle.»
Cette intégrité fut naturelle au premier homme, déclare Calvin dans les paroles suivantes, où il décrit la chute du premier homme : « D’où une obscurité pour les philosophesqui cherchaient un édifice dans une ruine,et un assemblage dans la dissipation.Ils tenaient le principe que l’être humain ne serait pas un animal raisonnable s’il n’avait pas la liberté du choix entre le bien et le mal.Cette pensée leur était venue de ce que, autrement, disparaitrait la distinction entre les vertus et les vices, c’est-à-dire, si l’homme ne construisait pas sa vie par sa propre volonté. S’il n’y avait pas eu en l’homme de mutation, qui jusqu’à présent leur a été cachée, il n’y aurait pas eu à s’étonner qu’ils mêlent le ciel avec la terre.Ceux qui professent être des disciples du Christ dans un homme perdu et immergé dans un ruine spirituel, et quicherchent encore le libre arbitre, parmi les choses qui plaisent aux philosophes, n’ont que du dégout pour la doctrine spirituelle, de façon à ne pouvoir atteindre ni la terre ni le ciel.»
Par ces paroles, Calvin reconnait que c’est avec raison que les philosophesont enseigné que l’homme ne serait un animal raisonnable que s’il avait en lui la libre faculté de choisir entre le bien et le mal.Il montre suffisamment ainsiqu’il appartient à la nature humaineque soit en l’homme un libre arbitre, s’il veut être un animal raisonnable.Et comme Calvin fait consister la mutation provoquée par le péchéoriginel en la perte du libre arbitre, il s’ensuitque, selon Calvin, l’intégrité dans laquelle l’homme fut créé, est exclusivement naturelle.
Mais, Luther explique la même chose beaucoup plus clairement dans son commentaire sur Genèse, chapitre 3.Dissertant sur la justice originelle du premier homme, il conclut ainsi : «Voilà pourquoi nous statuons que la justice ne fut pas un certain don, qui serait venu de l’extérieur, séparé de la nature humaine, mais qu’elle a été vraiment naturelle,en tant que la nature d’Adama été d’aimer Dieu, de croire en Dieu, de connaitre Dieu.Ces choses ayant été pour Adam aussi naturelles que la lumièrel’estpour les yeux.»Et plus bas :«Ces choses prouvent donc que la justice originelle a fait partie de la nature humaine;et que, une foi perdue, les choses naturelles ne demeurèrent pas intègres, comme le délirent lesscolastiques.»
Nous n’aurons pasà nous imposer le fardeau de parcourir d’autres sentences des hérétiques,puisque tous , ou presque tous, tiennent Luther et Calvin pour les docteurs suprêmes, et que tous ceux qui sont séparés de l’Église catholiquepar les dogmes de Luther estiment que la luttent entre l’esprit et la chair que tous expérimententest vraiment et proprement un péché, même dans le cas d’un grand sain qui s’oppose de toutes ses forces aux mouvements de la convoitise.Il suit de tout cela que , selon leur sentence, l’homme ne pourra pas avoir été fait au début tel qu’il nait aujourd’hui.Car, toujours et nécessairement, depuis sa création, il pècherait,et, à cause de cela, ses péchés retomberaientsur Dieu, l’auteur de la nature.Donc, la justice originellequi mâtait la rébellion de la chair,de par la sentence des adversaires, appartenait à la constitution naturelle de l’homme, nonaux dons surnaturels.Nous devons ici citer certains articles condamnés, il y a peu d’années, par les souverains pontifes Pie 5, et Grégoire 13.Voici l’article 24 : « La sublimation de la nature humaine et son élévation à la participationde la divine nature a été dueàl’intégrité de la première condition, et on doit donc dire qu’elle est naturelle, non surnaturelle.»Et l’article 26 : « L’intégrité de la première condition ne fut pas une élévation non due de l’humaine nature, mais sa condition naturelle.»
CHAPITRE2
L’homme n’a pas été créé au tout début tel qu’il nait aujourd’hui, mais fut beaucoup plus heureux.
Nous avons décidé de présenteretde prouver quatre propositions contraires aux erreurs de ce temps.La première.L’homme ne fut pas créé tel qu’il naît aujourd’hui,enclin au mal, infirme et ignorant, mais droit, juste, sage, sans concupiscence et sans la difficulté que nous expérimentons continuellement.La seconde.Au moment de sa création, l’homme ne reçut pas seulement la rectitude de l’âme, mais aussi la grâce qui fait un reconnaissant.La troisième.Orné de la justice originelle et doté de l’habitus de la grâce qui fait un reconnaissant, le premier hommen’eut pas besoin d’une aide spécialepour leporter àbien agir, ou à éviter les péchés.La quatrième.L’intégrité avec laquelle a été façonné le premier homme,et sans laquelle, après la chute, les hommes naissent,ne fut pas sa conditionnaturelle, mais une élévation surnaturelle.
La première proposition, qui combat l’erreur des pélagiens, se déduit assez ouvertement des Écritures.Car, nous lisons dans la Genèse (chapitre 1) : « Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance.»La grande majorité des pères interprète ce texte ainsi : l’image se rapporte à la nature de l’intelligence et de la volonté, et la ressemblance à la sagesse et à la justice.Il s’ensuit donc que, à sa création, l’homme ne reçut pas seulement une nature,avec laquelle nous voyons naître présentement les hommes, mais aussi des ornements de justiceet de sagesse, dont nous sommes évidemment privés maintenant.
Mais, laissons-les parler eux-mêmes.Saint Irénée (contre les hérésies, chapitre 6) : «Si l’esprit faut défaut à l’âme, l’animal qui sera laissé sera charnel et imparfait, ayant en lui l’image, mais n’assumant pas la similitude ou ressemblancepar l’Esprit.»Saint Cyprien (dans son sermon sur le bien de la patience, non loin du début ) : « Il dit et enseigne qu’ainsi seront parfaitset consommés les fils de Dieu,quand ils auront été réparés par la nativité céleste, si la patience de Dieu le Père demeure en nous, si la ressemblance divinequ’Adam a perdue en péchant,se manifeste et brille dans nos actions.»Saint Ambroise (dans le livre de la digité de la condition humaine, chapitre 2), enseigne que l’image de Dieu est sise dans la nature des trois facultés de l’âme raisonnable :l’intelligence, la volonté et la mémoire.»Ensuite (au chapitre 3),il enseigne que la ressemblance consiste dans la justice et la probité : « Ces vertus, plus quelqu’un les possède en lui, plus il est près de Dieu, et jouit d’une plus grande ressemblance avec son Créateur.»
Saint Basile (homélie 10, examer)se demande pourquoi ,quand Moïse a ditfaisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, il a ajouté tout de suite après :«Dieu créa l’homme à son image», sans rien dire sur la ressemblance.Et il répond ceci.La raison en est que l’image, qui est la nature même de l’esprit et de la volonté, n’a puêtre faite que par Dieu;mais que la ressemblance qui consiste dans la vertu et l’honnêteté est perfectionnée par nous, avec l’aide de Dieu.»Et, entre autres, au sujet de la différence entre l’image et la ressemblance, il dit :« Si par l’image imprimée dans l’âme, j’ai obtenu l’usage de la raison, c’est en devenant un vrai chrétien que je deviens semblable à Dieu.»
Saint Jérôme (dans son commentairedu chapitre 18 d’Ézéchiel), écrit , en expliquant ce verset : «tu es le sceau de la ressemblance» : « Il est à noter que seule l’image est faite alors (à la création). La ressemblance est complétée dans le baptême.»Il ne faut pas entendre ces paroles au sensoù, à la création, nous n’aurions pas reçu la similitudeou la ressemblance de Dieu dans nos premiers parents. Car, cela serait contraire à l’Écriture qui dit que l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu; et répugnerait à la sentence de saint Jérôme, lui qui, un peut plus haut, avaitenseignéque l’homme a reçu par le Christ la ressemblance qu’il avait perdue avant par son vice.Dans les mots cités, il a donc voulu direque nous, de la première création, nous n’avons que l’image qui, comme il l’enseigne lui-même dans sa lettre à Damase sur le fils prodigue,réside principalement dans la nature du libre arbitre;mais que la ressemblance vient de la régénération qu’apporte le baptême.Car, même si Adam l’avaiteue au tout début,il l’a perdue, en péchant, et pour lui et pour nous.
Saint Jean Chrysostome (homélie 9 sur le Genèse) : « Il a dit image à cause de la suprématie de la raison, et ressemblanceparce que, par les efforts humains, nous devenons semblables à Dieu, en acquérant la douceur et les vertusqui nous rendent semblablesà Dieu, comme le Christ l’a dit : «Soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux.»Saint Augustin (dans son livre contre Adimantus, au chapitre 5), écrit : « Sont fils de Dieu les hommes rénovés à son image , et rendus semblables à lui jusqu’à l’amour des ennemis.»Au même endroit, saint Augustin place dans la vertula ressemblance ou la similitude.Il dit que l’homme est renouvelé dans l’image, non parce que l’image a péri, mais parce qu’elle a été rendue difforme et obscurcie par le péché, après avoir perdu la perfection qui provenait en lui des vertus. Or, cette perfection de l’image nous l’appelons ressemblance.Eucherius (livre 1 de la Genèse) : « Voici quelle est la différence entre l’image et la ressemblance.L’image de Dieu est le propre de tous, la ressemblance, de peu.L’image est loin de l’excellence de la similitude divine en ce que l’image de Dieu ne cesse pas d’êtreune image peccamineuse. L’âme ne parvient à la similitude de Dieu que si elle devient sainte, car, c’est par la grâce, que sera refaitecette âme créée par la nature.»
Saint Jean Damascène (livre 2 sur la foi orthodoxe,chapitre 12) : « Ces mots «à l’image»,signifient la capacité de comprendre, et le libre arbitre.Et par «la ressemblance», est exprimée la ressemblance de la vertu qui peut se produire en elle.»Saint Bernard (sermon 1 sur l’annonciation) : « C’est à l’image et à la ressemblance de Dieu qu’a été fait l’homme. Ayant, dans l’image,le libre arbitre,et les vertus, dans la ressemblance.La ressemblance a péri; c’est dans l’image seule quel’hommea franchi les siècles.L’image a pu être brûlée dans la géhenne, mais non consumée; flamber, mais non être détruite.Il n’en va pas ainsi de la similitude.Ou l’homme demeure dans le bien, ou si l’âme pèche, elle change misérablement en devenant semblable aux bestiauxinintelligents.»Cet auteur dit la même chose dans son traité sur la grâce et le libre arbitre.
Par tant de témoignages des pères nous sommes forcés d’admettreque l’image et la ressemblance nesont pas du tout la même chose; que l’image se rapporte à la nature, mais la ressemblance aux vertus.Ce n’est donc pas l’image qu’Adam a perdueen péchant, mais la ressemblance.Et comme maintenant les hommes naissentsemblables à Adamquand, après le péché, il engendrait des fils,et non comme il était avant son péché,nous sommes en droit de conclure que le premier homme n’a pas été créécommesont les hommes d’aujourd’hui, à leur naissance, mais dans une condition bien meilleure, et beaucoup plus heureuse.
Autre texte de la Genèse 2 : « Ils étaient tous les deux nus, et n’en ressentaient point de honte.»La raison qu’y voient les pères c’estque nos premiers parents ne connaissaient pas, avant le péché, cette rébellion des sensqui nous fait rougir aujourd’hui si on nous voit nus.Saint Augustin (livre 14, chapitre 17 de la cité de Dieu), écrit : «Il est écrit qu’ils étaient nus, mais qu’ils n’en rougissaient pas.Non parce que leur nudité ne leur était pas connue,mais parce que n’existait pas encore la nudité honteuse.Car, leur libido n’avait pas encore ébranlé leurs membresen faisant fi du libre arbitre.Car, la chair n’avait pas encore montré de signeque, par sa désobéissance, elle pouvait entraîner l’homme à la désobéissance.»Saint Bernard (sermon sur l’annonciation) : « N’ont-ils pas trouvé , dans leurs membres, une loi contraire qu’ils avaient reçue de la nouvelle pudeur de lanudité ?»Écrivent des choses semblables saint Jean Chrysostome, Eucherius, Rupert,et d’autres dans leur commentairedu chapitre 2 de la Genèse.Saint Grégoire de Naziance (sermon 2 surpâque), et Cyrille d’Alexandrie(livre 3 contre Julien).
C’est à ce texte que se rapportent les paroles de saint Paul (Romains 7) : «Ce n’est pas moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi.»Il appelle péché la rébellion de la chair,parce qu’elle est née du péché.Il s’ensuit donc qu’avant le péché, Adamne connaissait pas cette rébellion,sans laquelle, depuis, aucun homme ne nait.Et ensuite : « Au tout début, Dieu créa l’homme droit», comme nous le lisons dans l’Ecclésiastique 7 «et, selon lui-même, il le revêtit de vertus». (Ecclé 17).«Nous sommes maintenant, par nature, des fils de la colère», comme le dit saint Paul aux Éphésiens 2.Nous ne naissons donc pas tels que le premier homme a été formé.De plus,«Dieu fit l’homme inexterminable», Sagesse 2.Et, pour qu’il garde le précepte, on le menaça de la peine suivante : «Le jour où tu en mangeras, tu mourras.» (Genèse 2).Voilà pourquoi nous payons la dette de la mort, depuis le tout début,et pourquoi personne ne peut fuir l’empire de la mort.Il est certain qu’on peut en déduireque la procréation de la condition humaine est de loinplus misérable plusque ne fut la première création.
Bien plus heureuse fut la vie des deux humains qui habitèrent le paradis de volupté en toute sécurité avant le péché.C’est ce que nous indique brièvement l’Écriture, dans Genèse 2. Voici l’explication qu’en donne saint Augustin (livre 14, chapitre 10 de la cité de Dieu) : « Que pouvaient craindre ou souffrir les hommesdans unesi grande abondance de biens , où ni la mort n’était crainte, ni aucune maladie corporelle.Rien, non plus n’était absentde ce qu’on peut désirer vertueusement, ni n’était présent ce qui peut porter offenseà la chair ou l’âme d’un homme qui vivait dans la félicité.»Et plus bas : «Comme ils étaient heureux les premiers humains, et comme ils n’étaient troublés par aucunes perturbationsmentales !Ils n’étaient affectés, non plus, par aucune incommodité corporelle.Comme elle aurait été heureuse la société humaine si Adam n’avait pas commisle péché qu’il a transmis à sa postérité;si personne de cette lignée n’avait commis l’iniquité qui requiert la damnation.»
On peut voir chez Prospère une description plus détaillée de la félicité des premiers humains (dans son livre sur la vie contemplative, chapitre 18).Mais maintenant, nous éprouvons tousla misère du corps et de l’âme, comme le dit saint Paul aux Romains 7 : «Malheureux homme que je suis !Qui me délivrera de ce corps de mort ?»Et avant lui, l’Ecclésiastique avait dit, au chapitre 11 : « Lourd est le joug qui pèse sur les fils d’Adam, à partir du jour de lasortie du ventre de leur mère jusqu’au jour de l’ensevelissement dans laterre, la mère de tous.» Et job, qui est encore plus ancien : « L’homme, né de la femme, vivant un court temps,est rempli d’un grand nombre de misères.Il éclot comme une fleur,se fane vite, et s’enfuit comme une ombre.Il ne demeure jamais dans le même état.»Voir, à ce sujet, le troisième livre sur le péché originel, où nous dissertons sur la peine et les multiples conséquences du péché originel.
CHAPITRE 3
Le premier homme a reçu, dans la création, la grâce qui fait unreconnaissant.
Vient ensuite cette autre proposition :Le premier homme n’a pas reçu , à la création, n’importe laquelle droiture d’âme, mais la grâce qui fait un reconnaissant.
Ne manquent pas les théologiens qui séparent la justice originelle concédée au premier parent à la création, de la grâce qui fait un reconnaissant;et qui enseignentqu’Adam a reçu au tout débutun certain habitus qui soumettait la partie inférieure à la partie supérieure, mais qu’il n’a pas reçu la grâce qui fait un reconnaissant, qui rend fils et amis de Dieu, et qui est nécessaire pour mériter la vie éternelle.De cette sentence semble avoir été Pierre Lombard, le maître des sentences. (livre 2 des sentences, dist24), et Jean Scot qui l’a suivi, et d’autres.Nous, nous suivons saint Albert le grand , dans son commentaire de la même distinction, et saint Thomas (1 par quest 95, art 1) et d’autres qui unissent la justice originelle avec la grâce qui rend reconnaissant d’une façon telle que l’obéissance de la partie inférieureà la partie supérieure dépendait de la grâce qui fait un reconnaissant,comme d’une fontaine ou d’une racine. Il importe fort peu qu’on dise que la grâce qui fait un reconnaissant ait été une partie de la justice originelle, ou seulement une racine ou une cause.Car, nous ne nous efforcerons de prouverune seule chose : notre premier parent a été créé avec la grâce qui fait un reconnaissant.
Disons d’abordque les divines lettres indiquent cela assez clairement, quand elles nous enseignent que, par le Christ, nous sommes rénovés conformémentà la justice dans laquelle nous avons été créés. «Renouvelez-vousen esprit par l’Esprit, dit l’apôtre (Éphésiens 4), et revêtez le nouvel homme qui a été créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité.»Celui qui reçoit l’ordre de se renouveler,a été nouveau à un certain temps.Et si le renouvellement consiste en ce que nous revêtions un homme semblable au Christ, créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité,il faut donc que ayons été autrefois, c’est-à-dire, dans notre premier parent,des hommes neufs, créés selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité.En effet, saint Paul dit : renaissez dans l’esprit de votre esprit, pour que nous comprenions qu’en Adam ce n’est pas seulementla chair qui a été viciée par la perte de la grâce, mais aussi notre esprit.Parce que nous ne renaissons pas, dans ce monde,à cette innocencequi fut dans la chair du premier homme, mais seulement dans celle qui fut dans son esprit,attendant, entre temps, la rédemption de notre corps, comme le même apôtre le dit aux Romains 8.
Nous lisons un passage semblable dans l’épitre aux Colossiens (chapitre 3) : « Ne vous mentezpas les uns les autres,vous dépouillant du vieil homme avec ses actes, et revêtant l’homme nouveau,celui qui renaitdans la connaissance,selon l’image avec laquelle il a été créé.»L’homme qui se renouvelle dans la connaissance selon l’image de Dieu , selon laquelle il a été créé au début,c’est notre âme,qui, par la grâce du Christ, progresse chaque jour dans la connaissance de Dieu, dans la sainteté et dans la justice.Et de cette façon,est renouvelée en lui l’image divine qui avait été obscurcie par le péché.N’est pas du tout dissemblable ce passage du chapitre 4 aux Corinthiens : « Mais, bien que notre homme extérieur se corrompe, celui qui est intérieur se renouvelle de jour en jour.»
En plus de ces témoignages de l’Écriture divine,nous avons aussi ceux du concile d’Orange 2 (chapitre 19) : «Même si la nature humaineétait demeurée dansl’intégrité avec laquelle elle a été créée,elle n’aurait pas pu se conserver ainsi sans l’aide de son Créateur.»Si donc,elle ne pouvait pas se conserver elle-même sans l’aide se son Créateur,comment pourrait-elle , sans la grâce de Dieu , réparer ce qu’elle perdu?Nous en concluons donc quequand nous sommes justifiés par la grâce de Dieu,est réparé ce que nous avions perdu en Adam.Or, cette réparation se fait par la grâce qui rend reconnaissant, par laquelle nous sommes faits fils de Dieu par l’adoption.C’est donc cette grâce que nous avons perdue en Adam.
Le concile de Trente, dans son décret sur le péché originel (session 5), a parlé ainsi : « Si quelqu’un ne croit pas que quand le premier homme a transgressé le commandement de Dieu dans le paradis, il a aussitôt perdu la sainteté et la justice dans laquelle il avait été créé, qu’il soit anathème.»Et, un peu plus bas : « Si quelqu’un affirme que la prévarication d’Adam n’a été nuisible qu’à lui seul et non à toute sa progéniture;et que la sainteté et la justice qu’il a perdues, illes a perdues pour lui seulement,et non aussi pour nous, qu’il soit anathème.»Donc, dans le paradis, Adam fut non seulement juste, mais saint.Or, les saints seul l’Esprit Saint les fait, en habitant par la grâce dans les cœurs des hommes, comme saint Basile l’enseigne dans son livre sur le Saint-Esprit, (à Amphilochius, chapitre 16).Adam eut donc, dansle paradis, le Saint-Esprit habitant en lui.
Se présentent maintenant les témoignages d es pères.Saint Irénée (livre 2 contre les hérésies, chapitre 37) fait parler ainsi Adam : «J’ai perdu ma désobéissance l’étole que j’avais reçue de l’Esprit de sainteté.»Et, dans le même livre (au chapitre 20), il avait dit avant : «Pour que nous récupérions dans le Christ Jésus ce que nous avions perdu en Adam.»Saint Cyprien (sermon 3, sur le bien de la patience) : « Impatient, contre le précepte,de la nourriture létale,Adam est tombé dans la mort.Il ne conserva pas dans une patiente vigilance, la grâce divinement reçue.»Il dit la même chose dans son épitre à Pompée, en commentant ces paroles de la Genèse : «Il insuffla sur sa face le souffle de vie.»Il y voit «la grâce du Saint-Esprit infusée par Dieu dans l’âme du premier parent.»Et avant lui, saint Irénée avait le commenté ce texte de la même façon, dans le livre 5 contre les hérésies.
Saint Basile (dans son homélie sur le psaume LXV111), dit, en expliquant le verset : «Comme l’homme était en honneur» : «Il souffla sur sa face, c’est-à-dire qu’il donna à l’hommeune partie de la grâce dont le propre est de faire connaitre le semblable par le semblable.»De même, dans son livre sur le Saint-Esprit à Amphilochius (chapitre 15) : « Par l’Esprit Saint ,est faite la restitution du paradis, le retour à l’adoption des fils.»Avant le péché d’Adam, nous étions donc, au témoignage de saint Basile, fils de Dieu par adoption.Et, dans son homélie«que Dieu n’est pas l’auteur du mal», il parle ainsi d’Adam : « Qu’est-ce qui était pour lui le bien principal ?Être assis avec Dieu, et lui être uni par l’amour.»Lire tout le passage.
Saint Ambroise (livre 6, chapitre 7, Hexameron).Après avoir dit beaucoup de chosessur l’image de la grâce, et après avoir enseigné, entre autres choses,que selon cette image, l’âme était dotée de la grâce des vertus, de la lumière de la piété, de la sagesse et de la justice, il ajoute : «C’est selon cette image qu’était Adam avant le péché.Mais là où il tomba, il déposa l’image du céleste,et prit l’effigie du terrestre.»De même, (livre 7, chapitre 47 sur saint Luc), voici ce qu’il dit en expliquant la parabole du samaritain : « Quels sont ces voleurs sinon des anges de nuit et de ténèbres ?Ce sont eux qui nous dépouillent du vêtement de la grâce spirituelle que nous avons reçu, et qui ont coutume d’infliger des blessures.Veille à ne pas être dénudé par eux comme l’a été Adam.»Adam eut donc, avant sa chute, les vêtements de la grâce spirituelle.
Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur Pâque) dit, en racontant la création du premier homme,qu’il fut un ange terrestre : en même temps,esprit et chair.Esprità cause de la grâce, pour qu’il demeure avec Dieu et glorifie son bienfaiteur.Saint Jean Chrysostome (homélie 16 sur la Genèse) : « Voyant donc, sur la terre, un ange terrestre, et se consumant de jalousie, l’auteur de tous les maux, le démon s’est servi d’une grande machinationpour priver l’homme de la grâce de Dieu , et ledénuder , en le rendant ingrat envers tant de biens reçus de la bonté divine.»
Saint Augustin (livre 2, chapitre 11 sur la correction et la grâce) : «Quoi donc ?Adam n’avait pas la grâce de Dieu ?Il avait plutôt une grande grâce, mais différente.»Et plus bas : « Dieu ne voulut pas que fût sans grâce celui qu’il laissait à son libre arbitre.»Et(dans le livre 11 de la Genèse,chapitre 31,et au livre 13, chapitre 13 de la cité de Dieu) : « Dès qu’ils eurent transgressé le précepte, la grâce intrinsèque les ayant abandonnés, ils se virent nus en jetant les yeux sur leurs membres.»Voici ce qu’écrit saint Augustin (dans son livre sur la correction et la grâce, chapitre 10).Dieu a créé les anges et le premier homme d’abord pour leur montrerce que peut leur libre arbitre, et ensuite, ce que peut le bienfait de sa grâce, et le jugement de sa justice. Mais cela ne veut pas dire que les anges et le premier homme ont été créé, au début, sans la grâce de Dieu, (car il affirme le contraire au chapitre suivant), mais que Dieu a voulu montrer aux anges et au premier hommece que peut leur libre arbitre aidé par la grâce, mais non encore confirmé en grâce; et ensuite, ce que pouvait le bienfait de la grâce dans ceux qui confirmés dans le bien par la béatitude;et ce qu’est le jugement de la justice dans les obstinés, et dans ceux qui son condamnés aux enfers.
Saint Cyrille (dans le livre 2 sur saint Jean, chapitre 3) : « Adam fut dans le paradis tant qu’il conserva la grâce du Créateur par l’habitation en lui du Saint-Esprit.»(Voir le même auteurau livre 1, chapitre 15, au livre 11, chapitre 25, livre 12, chapitre 56, et au livre sur l’adoration du Saint-Esprit, avant le milieu.)Le pape saint Léon(sermon 1 sur le jeûne du dixième mois) : «À laquelle nous répare quotidiennement la grâcedu Sauveur, de façon à ce quece qui est tombé dans le premier Adam soit redressé par le second.»Saint Grégoire (livre 5, épitre 14, et livre 6, épitre 31) affirme que tout de suite après qu’Adam eut péché, son âme est morte, par la privation de la grâce.
Voici ses propres termes : «Son âme n’est pas morte au point de ne plus exister, mais de n’être plus heureuse.»Il parlait de la béatitude commencée par la grâce, non achevée par la grâce.Car, il ajoute, tout de suite après : «Cependant, par la pénitence, Adam est retourné à la vie.»Il entend ici par vie ce qu’il entendait avant par béatitude.On ne peut pas douter que, après la pénitence, Adam ait été heureux de la béatitude de grâce, non de gloire.Nous déduisons la même chose des mots précédents, où saint Grégoire dit que nous sommes morts avec Adam, et que, maintenant, par le Christ, nous sommes libérés de la mort de l’âme, nous qui devons par la suite être libérés de la mort du corps.
Et c’est ce qui nous fait comprendre que l’auteur des question sur le nouveau et l’ancien testament n’est pas saint Augustin, mais n’est même pas un catholique, même si saint Thomas (a par, quest 95, art 1, a 2) a tenté de lui donner une explication orthodoxe.Car, cet auteur, dans la question 123, réfute en différentes paroles ceux qui disent qu’Adam avait reçu le Saint-Esprit, et avait été fils de Dieu par adoption; et que l’adoption perdue par la désobéissance d’Adam nous, les chrétiens, nous l’avons récupérée par l’obéissance du Christ.Cette sentence n’est pas, comme le prétend l’auteur,de pères un peu simplistes, mais des pères les plus savants, tant grecs que latins, et qui découle assez clairement de l’enseignement de saint Paul, comme nous l’avons démontré.
Et ce n’est pas seulement en cela que l’auteur est convaincud’erreur, mais aussi en beaucoup d’autres choses.Exemples.Dans la question deux, il écrit que le monde a été créé par la présomption du diable.Dans la question 21, il écrit que la femme n’a pas été créée à l’image de Dieu.Dans la question 43, il écrit que Jehté n’avait aucun témoignage de justice, alors qu’il a celui si prestigieux de l’apôtre saint Paul aux Hébreux 11.Dans la question 109, il écrit que Melchisédech est le Saint-Esprit, un prêtre, mais non le grand prêtre.C’est cette phrase que blâme saint Jérôme dans son épitre à Évagre sur Melchisédech.Il lui fait remarquer là que l’auteur de l’œuvre où Melchisédech est appelé saint esprit, est inexpert et en science et en écriture.
Et ce n’est pas sans témoignage de l’écriture que cet auteur affirme qu’Adam était privé du Saint-Esprit.Car, l’apôtre écrit, dans sa première lettre aux Corinthiens(chapitre 15) : « Le premier homme, Adam,a été fait dans uneâme vivante;le second, le Christ, dans un esprit vivifiant.»Je réponds qu’en ce passage, saint Paulcompare le corpsrécemment formé d’Adam, qui était animal, et qui avait besoin pour se soutenir de nourriture et de breuvage, avec le corps glorieux du Christ après la résurrection, qu’il dit être spirituel, car il n’était soumis à aucune nécessité corporelle ou besoin, comme la faim ou la soif.Car, saint Paul dissertait alors sur la résurrection des corps.Il parle d’abord d’un corps animal, ensuite d’un corps spirituel, et c’est au sujet du corps animal qu’il cite ces paroles de la Genèse : «L’homme a été fait âme vivante.»Et, au sujet du corps spirituel, il ajoute lui-même : le second homme est fait esprit vivifiant.
Et voilà quelle est l’explication de saint Jean Chrysostome, de Théophylacte, de saint Ambroise, de saint Anselme, de saint Thomas, et d’autres, dans leurs commentaires de ce passage.Et de saint Augustin (dans son épitre 146, et dans le livre 13 de la cité de Dieu, chapitres 2 et 23.)Et bien que le corps d’Adam, dans le paradis, ait été animal, son âme a pu, quand même, être spirituelle, comme ellel’a vraiment été, le Saint-Esprit habitantdans la poitrine d’Adam.
CHAPITRE 4
Dans l’état d’innocence, le premier homme n’a pas eu besoin d’une aide spéciale pour le porter à bien agir ou à éviter les péchés.
Pour mieux comprendre ce qu’a été la grâce du premier homme dans l’état d’innocence, voici la troisième proposition.Parce qu’il était doté dela justice originelle et d’un habitus de grâce qui fait un reconnaissant, le premier homme n’avait pas besoin d’une aide spéciale pour être incité à bien agir ou à éviter les péchés.On explique ainsi cette proposition.Premièrement.L’habitus de grâce perfectionne la nature, de sorte que la partie inférieure demeure soumiseà la supérieure, et la supérieure à Dieu.Deuxièmement.La conservation de cet habitus est semblable à celle de toutes les choses crées.Elles ne peuvent demeurer que dans la mesure où Dieu les conserve perpétuellement.Troisièmement.Dieu coopère avec l’homme par une aide généraledans les choses naturelles, et une aide spéciale dans les choses surnaturelles.Car, les causes secondes ne peuvent agirque dans la mesure où coopère avec elles la cause première.
Quatrièmement.Il y a une motion de Dieu excitant par une aide, qui fait que l’homme se sert des premiers dons.Les trois premiers dons n’accordent pas à l’homme d’agir, mais seulement de pouvoir agir, s’il le veut.C’est ce qu’explique saint Augustin(dans son livre sur la correction et la grâce, chapitre 27, de la cité de Dieu) par la similitude des aliments.Il y a celui qui apporte des mets à quelqu’un et laisse à sa libre décision d’en manger s’il le veut.Il y a aussi celui qui apporte des mets à quelqu’un, et qui les lui met dans la bouche. Ce dernier n’apporte pas seulement le pouvoir de vivre, mais la vie..De la même façon,par l’infusion d’un habitus de grâce, par la conservation de cet habitus,et par le fait qu’il est toujours prêt à coopérer, Dieu donne à l’homme de pouvoir bien agir, s’il le veut.Mais il ne donne pas le vouloir.C’est par une motion toute spéciale et une impulsion qui fait qu’on se sert de l’habitus de grâce, qu’il donne le vouloir et l’agir.
Le premier homme eut donc les trois premiers dons.Il n’eut pas besoin du quatrième, et il ne l’eut pas.Nous, après la chute de nos premiers parents,nous avons besoin de tous ces dons, et nous les obtenons tous par la bonté de Dieu , grâce aux mérites du Christ.La raison de cette différence est la suivante.Le premier don, en Adam, non seulement soumettait l’esprit à Dieu, mais aussi la chair à l’esprit, comme nous l’avons dit plus haut .Rien doncn’empêchait Adam de faire le bien ou ne le ralentissait.Et aucune concupiscence charnelle ne l’incitait au péché.
En nous, ce premier donsoumet l’esprit à Dieu, mais non la chair à l’esprit. Voilà pourquoi, à cause des mauvaises pensées,qui nous incitent continuellement à pécher, ou quiretardent nos bonnes actions, ou qui nous rendent insouciants ou nonchalants, nous avons besoin d’une aide qui nous pousse, nous dirige et nous protège.Nous pouvons confirmer tout cela avec la doctrine de saint Augustin.Qu’avait été donnée à Adamune grâce qui soumet la chair à l’esprit et l’esprit à Dieu, nous l’avons prouvé plus haut par plusieurs témoignages. Un des plus clairs est celui que l’on trouve dans son livre 4 contre Julien, au dernier chapitre : « La grâce de Dieu était grande là où un corps terrestre et animal n’avait aucune inclination bestiale.»
Adam a eu, ensuite,lesecond don qui se rapportait à la conservation du premier bien.Cela est évident, quand on prend la peine de lire son livre 8 sur la Genèse, au chapitre 12 : « L’homme qui a été créé n’était pas tel qu’il aurait pu faire, par lui-même, quelque chose de biensi celui qui l’avait créé l’abandonnait.»Et il fait une comparaison : « Comme l’air, en présence de la lumière, n’est pas fait lumineux, mais le devient.Car, si l’air était fait lumière,il ne deviendrait pas lumière, et serait lumineux même en absence de la lumière.Il en est ainsi pour l’homme.Quand Dieu lui est présent, il est lumineux;mais il s’enténèbre immédiatement quand Dieu s’absente.Ce n’est pas avec les pieds qu’il s’absente de Dieu, mais par le détournement de sa volonté.»Qu’Adam ait eu besoin du troisième don,la coopération divine,ou l’aide adjuvante,en plus de la grâce habituelle,saint Augustin l’indiquepar ces paroles (Livre sur la nature et la grâce, chapitre 26) : «Comme l’œil du corps le plus sain du mondenepeutpas voir sans l’aide de la lumière, de la même façon l’homme parfaitement justifiéne peut pas vivre correctement sans être divinement aidé par la lumière éternelle de sa justice.»
Il n’est pas nécessaire de pousser la rechercheau point de se demander comment, dans la vision, la lumière coopère avec l’œil?Car la comparaison de saint Augustin ne porte que sur le point suivant :comme l’œil le plus en santé et le plus parfait ne peut pasvoir sans être aidé de l’extérieur,de la même manière, l’homme pleinementjustifiéne peut pas bien vivre à moins que, de l’extérieur, ne lui vienne une aidequi est la coopération du Bien tout puissant.Ne doit pas nous troubler le fait qu’unpeu avant, saint Augustin ait utilisé cette comparaison pour prouverla conservation, et qu’il s’en serve maintenant pour prouver la coopération, carvariées sont les propriétésdes mêmes choses.Et c’est pour cela qu’on peut tirer des mêmes choses des comparaisons différentes, selon que le demandentle lieu, le temps et l’occasion.
Mais nous avons d’autres textes de saint Augustin pour prouver la même chose. Dans l’épitre 166, il écrit : « Même sila nature humaine était demeurée dans l’intégrité avec laquelle elle a été créée, elle n’aurait,en aucune manière,pu se conserver sans l’aide de son Créateur.»Et dans l’enchiridion (chapitre 106) : «Si le péché se trouvait logé dans le seul libre arbitre, ce même libre arbitre n’aurait pas suffipour conserver la justice sans l’aide divine par la participation au Bien immuable.»Et dans son livre sur la correction et sur la grâce, chapitre 11 : «Alors Dieu aurait donné à l’homme une bonne volonté,celle dans laquelle il l’avait fait,quand il avait donné à l’hommel’aide sans laquelle il ne pouvait y demeurers’il le voulait.»Ensuite, dans son livre 4, chapitre 27 de la cité de Dieu : « Pourquoi Dieu n’aurait-il pas permis qu’il soit tenté par le serpent, puisqu’il avait été ainsi crééqu’en se fiantà l’aide de Dieu, l’homme bon vaincrait le mauvais ange, et qu’il serait vaincu si, en voulant se faire plaisir à lui-même,il abandonnait Dieu son Créateur et son Secoureur.»
Du quatrième don, la grâce qui incite et persuade intérieurement,Adamn ‘avait pas besoin ,et en a été privé.On peut le comprendre facilement par ces paroles de saint Augustin (sur la correction et la grâce chapitre 11) : « Adam n’avait pas besoin de l’aide qu’implorent ceux qui disent : je vois une autre loi dans mes membres.»On peut le comprendre nsuite, de ce que dit le même saint Augustin (dans son livresur le bien de la persévérance, chapitre 7) où il se demande si l’homme pouvait ne pas pécher, c’est-à-dire persévérer dans le bien,résister aux tentations, observer tous les commandements, il répond : «Cela n’était pas au pouvoir du libre arbitre,tel qu’il existe maintenant.Mais ce l’était autrefois dans l’homme, avant sa chute.»
Etdans le livre 3 Hipagnost, vers le début : « Nous avons raison de dire que personne ne peut, par lui-même, c’est-à-dire, par son libre arbitre,accomplir ce qu’il faut.Seul l’a pu le premier hommequand , avant la faute, la volonté de son libre arbitre était saine.»Et plus bas, parlant de la santé du libre arbitre, il dit : « La première grâce est celle par laquelle le premier homme aurait pu se ternir debout s’il avait voulu observer les commandements.»
Dans ces textes, saint Augustin ne veut pas dire que, avant la chute,le premier homme aurait pu, par les seules forces de son libre arbitre, persévérer dans le bien sans la grâce de Dieu, puisquec’est là quelque chose qui répugne à plusieurs passages antérieurement allégués.Il ne veut pas dire non plus que, après la chute, il n’était pas au pouvoir de l’homme, et de son libre arbitre de persévérer dans le bien avec l’aide de Dieu.Il ditque, dans l’état d’innocence, c’était au pouvoir du libre arbitre de persévérer dans le bien, parce que la grâce sans laquelle on ne peut pas persévérer,était au pouvoir du libre arbitre.Car, la grâce habituelle lui était présente, et il pouvaiten disposercomme il le voulait.La conservation de cette grâce ne pouvait, ni dans le présent ni dans le futur, lui faire défaut,à moins qu’il ne veuille, de lui-même, s’éloigner de Dieu.La coopération divine était des plus promptes, assistant Adamdans le premier acte, non dans le second, à moins qu’Adam ait préféré faire quelque chose par ses propres forces.
On dit qu’après la chute d’Adam, il n’est plus au pouvoir du libre arbitre de persévérer dans le bien, car, en plusd’être privé de la grâce habituelle, de la conservation, et de la coopération dans l’acte premier,il est privé aussi, par la corruption de la nature,de l’appel et de le persuasion interne, qui n’est pas en notre pouvoir.Car, bien que consentir à l’appel soit en notre pouvoir, cependant, l’appel, et surtout être appelé de telle sorte que Dieu voie qu’il est possible et convenable pour nousdene pas résister à l’appel, celan’est surement pas en notre volonté.Mais, nous parlerons plus clairement de cela en sonlieu.
Il suffitmaintenant, d’avoir appris par la doctrine de saint Augustin, qu’Adam n’avait pas besoin de cette grâce en plus de celle qu’il avait toujours, et qui était, en quelque sorte, en son pouvoir.Voilà pourquoi, dans le livre de la correction et de la grâce, chapitre 12, et dans le livre 14 de la cité de Dieu, chapitre 27, il compare la grâce et tous les secours concédés au premier homme, avec des aliments que nous mangeons quand nous voulons et que nous ne mangeons pas quand nous ne le voulons pas.Et, dans ces mêmes passages, il répète souvent que le premier homme a eu la grâce avec laquelle il aurait pu persévérer , s’il l’avait voulu;et que pour le vouloir, il était laissé à son libre arbitre.
Les théologiens scolastiquesne pensent pas autrement que saint Augustin sur ce sujet, comme on peut le voir dans la maitre des sentences (livre 2 sentences, dist24, verset 4),Saint Bonaventure (même dist, quest 2),Grégoire ariminensis, dist 20, quest 1, a 1, conclusion 3, et saint Thomas(1, 2, quest 100, art 9).
CHAPITRE 5
Fut un don surnaturel la droiture que lepremier homme reçutdans sa création
La première proposition, la seconde et la troisième, qui étaient contre les pélagiens,nous les avons suffisamment prouvées en peu de mots.Il faut maintenant, contre les luthériens, expliquer et confirmer la dernière.La quatrième proposition pourrait s’énoncer comme suit :La droiture ou la rectitude avec laquelle Adam fut créé, et sans laquelle les hommes naissent après la chute, aété un don surnaturel.Cette proposition est contre les hérétiques de notre époque.Mais avant de la prouver, il faut l’expliquer.Il faut savoir, d’abord, que l’homme consiste naturellement de chairet d’esprit, et quesa nature communique en partie avec les animaux, et en partie avec les anges,et que, donc, enraison de la chair et de la communication avec les bêtes, il aune tendance au bien sensible et corporel où le portent le sens et l’appétit;et en raison de l’esprit et de la communication avec les anges, il a une tendance au bien spirituel et intelligible,vers lequel il estporté par l’intelligence et la volonté.De ces tendances diverses et contraires, existe dans chaque homme une lutte, et, à cause de cette lutte, une immense difficulté de bien agir, une tendanceempêchant l’autre.
Il faut savoir ensuite, que la divine providence, au début de la création, a ajouté un don insigneà cette maladie ou langueur de la nature humaine, qui tirait son origine dela condition de la matière.Et ce don est la justice originelle, par laquelle, comme par un frein doré,la partie inférieure est facilement soumise à la partie supérieure, et la supérieure à Dieu.La chair était soumise à l’esprit de façon telle qu’elle ne pouvait pas se mouvoir sans le consentement de l’esprit, ni non plus se rebeller contre lui, à moins que l’homme ne se rebelle contre Dieu.Mais il était au pouvoir de l’esprit de se rebeller contre Dieu ou de ne pas se rebeller.
Il faut savoir, en troisième lieu, que c’est de multiples façons qu’on peut dire d’une chose qu’elle est naturelle.La première.On considère comme naturel tout ce qu’on a depuis la naissance.Et c’est dans ce sens que l’on dit que nous sommes, par nature, des fils de colère (Éphésiens 2).Et c’est de cette façon que nous admettons que la justice originelle peut être dite naturelle.Mais ce sens n’a rien à voir avec la question présente, parce que la nature ainsi conçue ne s’oppose pas au surnaturel,puisqu’on peut posséder de naissance autant les dons surnaturels que les naturels.Deuxièmement, on peut appeler naturel ce qui est conforme à la nature, ce qui ne la détruit pas, mais l’orne et la parfait.SaintAugustin (dans son livre sur l’Esprit et la lettre, chapitre 27), enseigne que c’est dans ce sens que l’apôtre (Romains 2)emploie le mot naturellement : « Les nations qui n’ont pas de lois font naturellement ce qui est propre à la loi.»Car, c’est parce que le vice est contre la nature que la grâce assainie la nature,quand, par la grâce, la loi est observée.Ce n’est donc pas une sottise de dire que la loi peut être observée naturellement.
Après avoir accepté ce sens, on n’a plus de question à se poser quand un naturel de ce genre est opposé non au surnaturel, mais à ce qui est contre nature.Et, de cette façon, ce n’est pas seulement la justice originellequ’on peut appeler naturelle, mais aussi n’importe lequel don de grâce, et même aussi la vie éternelle.Un troisième sens du mot naturel.Bien que le don soit gratuit, il aide quand même la nature,la rend parfaite dans des œuvres naturelles, même s’il ne l’élève pas à des actes surnaturels.Et c’est de cette façon qu’on peut dire que la justice originelle est un don naturel, si on la considèreà part de la grâce qui fait un reconnaissant, comme l’enseigne André Vega (livre 2, chapitre 11 sur le concile de Trente.)
Quatrièmement, on appelle naturelce qui est ou une partie de la natureou ce qui découle des principes de la nature.Dans ce sens, le corps et l’âme,les facultés du sentir et du comprendre,et les actes qui sont opérés par ces dites facultés,sont considérés comme naturels.Et c’est le sens que nous donnons au mot naturel dans notre dispute présente.Ainsi considéré, le naturel s’oppose donc proprement au surnaturel.
C’est de deux façons qu’on peut dire que quelque chose est surnaturel :en et par lui-même,ou par accident.On appelle par soi surnaturelce qui, de par son genre, n’est pas apte à découler des principes de la nature, comme futla montée d’Élie aux cieux dans un char de feu, la force de Samson , et d’autres choses semblables.On appelle surnaturel par accident ce qui est obtenu par un miracle divin , même si celacontinue à découler des principes de la nature.Tel fut le sens de la vue que le Seigneur a restitué à l’aveugle né, la sagesse divinement accordée à Salomon, et beaucoup d’autres qu’on lit dans l’Écriture.
Les adversaires pensent que c’est de cette façon que fut naturelle la droiture dans laquelle Adam est né, c’est-à-dire qu’elle fut une santé due à la nature, qu’Adam était apte à naitre ainsi de par sa nature bien constituée, c’est-à-dire, non corrompue.Et maintenant, aux hommes qui , en Adam, ont perdu cette rectitude, fait défaut ce don naturel,comme il ferait défaut à un animal s’il naissait aveugle, boiteux, ou malade.Et si maintenant, cette justice originelle était redonnée à quelqu’un, ils diraientque c’est un don surnaturel par accident, comme nous le disons du miracle de l’aveugle né.
Nous estimons, nous, que cette rectitude ou droiturede la partie inférieurea été un don surnaturel,par soi, non par accident, de façon à ce qu’elle ne découlait pas des principes de la nature, et ne pouvait pas en découler.Et comme ce don était surnaturel, comme nous allons le montrer tout de suite,ce don une fois enlevé, la nature humaine fut laissée à elle-même.Et c’est alors qu’elle commença à expérimenter cette lutte de la partie inférieure contre la supérieure, quiaurait été naturelle, c’est-à-dire qui aurait procédé de la condition de la matière, siDieu n’avait pas ajoutéà l’homme le don de la justice.Voilà pourquoi l’état de l’homme après la chute d’Adam ne diffère pas plus de l’état du premier homme dans la nature pure, qu’un homme dévêtu ne diffère d’un nu.
Et, si tu ne tiens pas compte du péché originel, la nature humaine n’est pas pire,et elle n’est pas plus blessée par l’ignorance et l’infirmitéqu’elle ne l’était dans l’état de nature.Donc, la corruption de la nature ne provient pas du manque d’un don naturel quelconque,ni de l’acquisition d’une quelconque mauvaise qualité, mais dela seule perte d’un don surnaturel par le péché d’Adam.Cette sentence est commune aux scolastiques anciens et récents.Car, ce que nous enseignons, ce n’est pas du seul Dominique a Soto que nous l’avons appris,et Saint Thomas et les autres n’ont pas enseigné le contraire.C’est, comme nous l’avons dit, la sentence commune, comme vont le faire voir r les témoignages que nous allons ajouter.
Saint Thomas (1 par quest 95, art 1) parle ainsi de la rectitude avec laquelle Adam a été créé : «. Il est manifeste, dit-il,que cette sujétion du corps à l’âme,et des forces inférieures à la raison, n’était pas naturelle.Autrement, elle serait demeurée après le péché,comme, dans les démons, les dons naturels sont demeurés après leur péché.»Et plus bas : «Ce qui donne à entendreque, si par la disparition de la grâce,l’obéissance de la chair à l’esprit cesse, c’est par la grâce existant dans l’âme que la partie inférieure lui était soumise.»Ce texte nous enseigne clairementque l’homme créé dans l’état de nature, aurait eu cette rébellion de la chair contre l’espritque nous expérimentons maintenant après la perte du don de la justice originelle.Et nous en concluons que l’obéissance de la chair à l’esprit ne fut pas naturelle dans le premier homme, mais surnaturelle et gratuite.Donc, la justice originelle divinement accordée à l’homme n’a pas seulement conservé, mais a apporté et produitla rectitude de la partie inférieure.Saint Thomas dit la même chose ( dans 1, 2 quest82, art 1, a 3) : « Du péché originel provient une inclination à un acte désordonné, non directement, mais indirectement, c’est-à-dire, en enlevant ce qui empêchait, c’est-à-dire, la justice originelle,qui prohibait lesmouvements désordonnés.»
Le même auteur( 1, 2, quest 87, art 7) dit : «Il faut considérer qu’au premier homme a été divinement donné lors de sa création,un don surnaturel, la justice originelle, par laquelle la raison était soumiseà Dieu et les forces inférieures à la raison, et le corps à l’âme.»Et (dans le livre 4 contre les Gentils, chapitre 52) , il écrit : « Selon la doctrine de la foi, nous tenons que l’homme a été. au début, créé de telle façon que la raison de l’homme était soumise à Dieuet que les parties inférieures le servaient sans empêchement, et que le corps ne pouvait pas être détourné de cette servitude par un empêchement quelconque , Dieu suppléant, par sa grâce,à ce qui manquait à la nature pour agir avec la perfection requise.
La même chose ( 2 sentences, dist 31, quest 1, art 1) : « Dieu avait accordé, au tout début, à la nature humaine, au-dessus de la condition de ses principes,d’avoir, dans la raison, la rectitude de la justice originelle, qui pouvait, sans résistance, s’imprimer dans les forces intérieures.Parce que c e don avait été accordé gratuitement, c’est en tout justice qu’il a été enlevé par l’ingratitude de la désobéissance originelle.Voilà pourquoiil est arrivéqu’à cause du péché du premier homme, la nature humainefut laissée de façon à ce qu’elle subsisteselon la condition de ses principes »
Donc, selon la sentence de saint Thomas,la nature humaine est telle qu’elle aurait étési elle n’avait jamais eu un don surnaturel, à la seule exceptionque ce qui provenait autrefoisde la nature et de la condition de la matière, provient aujourd’hui de la peine infligée au péché.Il n’y a pas à s’étonnerque le même saint Thomas ( 1, 2, quest 82, art, à la première objection) enseigneque la concupiscence est naturelle à l’homme, dans la mesure où elle est selon l’ordre de la raison,et qu’elle contre la nature de l’homme en tant qu’elle transcende les limites de la raison.Il ne veut pas dire, par ces paroles,que n’existerait pas plus tard dans l’homme fabriqué dans l’état de nature pure ,une concupiscence qui transcenderait les limites de la raison.Car, il enseigne expressément le contrairequand il dit que les mouvements désordonnés proviennent du péché originel, en tant que prohibant en enlevant.Cela veut donc dire que cette concupiscencen’est pas arrivée par la suitecomme un bien naturel, mais comme une maladie ou un vice de la nature;non de l’intention du créateur, mais comme provenant de la condition de la matière.Comme le vice qui est dans un glaive de fer sujet à la rouille.Car, tout vice peut être dit contraire à la nature.
Il y a encore moins à s’étonner de ce que saint Thomas écrit(dans 1, 2, question 85,art 1, et 2).Il dit que, par le péché, l’homme est privé non seulement de dons naturels,mais que le bien de la nature est aussi diminué.Car, dans ce passage, il ne traite pas du péché originel spécifiquement,mais du péché en général, parce que par l’acte de pécher apparait, dans celui qui pèche,une inclination à un péché semblable.Et par cela, est diminuée l’inclination à la vertu opposée,laquelle inclinationfait partie des biens de la nature.De cette doctrine générale, il s’ensuitque, du péché actuel, est générée une propensionactuelle au même péché (comme le même auteur l’enseignedans la même question 85, article 3).Du péché originel,qui n’existe pas en acte mais en tant qu’habitus, ne nait pas directement cette inclination au mal, mais indirectement(selon saint Thomas), comme interdisant en enlevant.Voilà quelles sont les plaies de chacune des puissances dont parle saint Thomas(1, 2, quest 85, art 3), parce que la justice originelle empêchait cette langueur, qui pouvait exister dans la nature humaineen raison de la condition de la matière.Voilà pourquoi,une fois enlevé le don de la justice originelle, la langueur s’estmanifestée,et est devenue la plaie du péchéce qui aurait pu être la langueur de la nature.
Que la sentence de saint Tomas soit semblable àla nôtre, on pourra s’en apercevoir parle recours à tous les interprètes.Car tous, d’un commun accord,enseignent que la rectitude du premier homme fut l’effet d’un don surnaturel,et qu’une fois ce don enlevé,la nature est demeurée telle qu’elle étaitpar rapportmouvements désordonnés de la partie inférieure.Voir Jean de Capreolus (2 sent,dist 30,quest 1, art 1),Thomas Cajetan ( 1, 2, question 85, art 1, a 2, et question 109,art 3), et François Ferarien, (commentaire livre 1 contre les Gentils,chapitre 62).Ensuite Conrad Koellim,et Bartholomy Medina (1,2, question, 85, articles 3 et 6).
Ce dernier auteur ajoute que c’est la sentenc e commune à tous les théologiens.Il est certain que Jean Scot l’enseigne avec des paroles différentes, puisqu’il parle ainsidans 2 sentences,dist 20, question unique : « On peut donc dire quesi la justice originelle a eu cet effetde produireune parfaite tranquillité de l’âme dans toutes les puissances,de façon à ce que la nature inférieurene soitpas encline à aller contre le jugement de la partie supérieure,ou que si elle y était portée par elle-même , elle ait pu quand même être ordonnée et régulée sans difficulté pour la supérieure, et sans tristesse pour l’inférieure, il est nécessaire de placer un don surnaturel pour que soit cette tranquillitéparfaite dans l’âme.»
Durand ne l’enseigne pas moins clairement(dans 2 sentences,dist 20, quest 5), quand il dit que la justice originelle est proprementl’ordre droit des forces inférieures et supérieures,de façon à ce que les inférieures soient soumises aux supérieures.Et plus bas, au numéro 7, il parle ainsi : « Même si la justice originelle était une condition du corps,elle était cependant un pur don de Dieu, et non une propriété naturelle,car autrement, elle serait demeurée après le péché, comme la nature est demeurée avec ses facultés propres.Donc la justice originellen’aurait pas été transmise par le parent aux enfants,mais elle aurait été infusée par Dieu aux enfants, comme elle a été accordée gratuitementpar Dieu aux premiers parents.»Et (dans la dist 30, question 1), il admet, avec saint Thomas,que la mort et les autres défauts humains que nous avons hérités d’Adam,venaient de la nature,comme cause par soi, mais de la faute,comme cause, prohibant en enlevant,parce que, par la faute d’Adam , nous avons perdu le don de la justice originelle,qui prohibait ces défauts.Gabriel enseigne clairement la même chose (dans 2, dist, 30, questquest 1) et d’autres , qu’il serait trop long et peu nécessaire de présenter.
Les récents docteurs sont du même avis que les anciens, et pour en citer quelques-uns seulement au milieu d’une foule d’autrs,Jean Driedo (livre 1 sur la grâce et le libre arbitre,chapitre 3, par 4,à la fin : « En considérant ces choses, on peut facilement comprendre le consensus de tous les hommes sur l’empire de la raison.Il ne fut pas donné à l’homme comme une partie constitutive de sa natured’animal raisonnable,mais comme une grâce particulièrede Dieu donnant au premier homme, comme le dit le sage,la vertu de tout contenir,par la quelle vertu non seulementles forces inférieures de l’âme, comme la mort, la maladie,et les corruptions des humeurspouvaient être réprimées.
Par le péché,a été perdue cette vertu qu’était la justice originelle. Et, désormaisla nature humaine, laissée à elle seule,est muediversement, selon la diversité des complexions naturelles.»Ruardus Tapper, dans la défense du second article,soumet des propositionssur le péché originel, dontje transcrirai ici la deuxième et la troisième.Voici quelle est la deuxième proposition :«on doit croire d’une ferme et indéfectible foi,que la rébellion des forces, les motions désordonnées,l’ignorance, les infirmités, la mort,et les misères universellesdont souffrent les hommes, sont la peine du péché,et non des conditions naturelles de l’homme tel que créé par Dieu.»
Troisième proposition : « Tous les maux de l’univers auraient pu être des conditions et des propriétés naturelles de l’homme,si Dieu avait créé les hommes sans la grâce et sans la justice originelle,quiseules empêchaient que ces maux soient dans l’homme.Sansquoi les principes de la natureauraient eu leur cours, comme maintenantces maux proviennent de la natureprivée de la justice originelle, comme elles le sont dans les autres animaux.André Vega(livre 2 sur le concile de Trente, chapitre 11), écrit : « La loi des membres, c’est-à-dire la rébellion de la chair contre l’Esprit,existe de par la condition de notre nature,et non de par une mauvaise qualité transmiseen nous par nos parents, comme l’enseignent communément les scolastiques contre Grégoire Armiminensis, et elle aurait été en nous tous si nous avions été créés selon la nature pure.Elle est cependant aussi en nous une cause de punition,que n’auraient paseue ceux qui auraient été créés dans la nature pure, parce que ces défauts naturels, Dieu les réformeraitpar la justice originelle que nous avons perdue par le péché.»Voir à ce sujet Dominique a Soto (dans le livre q sur la nature et la grâce, chapitre 13), Albertum Pigium ( controverse de la première), et les autres.
Je ne voisdonc pas commentun catholique de notre époque pourraitse demandersil’intégralité naturelle de notre premier parent a été naturelle ou surnaturelle, comme nous l’avons noté plus haut, alors que les souverains pontifes Pie V e Grégoire X111 ont condamné l’article suivant : « L’intégrité de la première condition ne fut pasune élévation due à la nature humaine,mais sa condition naturelle.»
CHAPITRE 6
On prouve la vérité de la quatrième proposition
Nous avons maintenant à prouver la quatrième proposition , expliquée dans le chapitre précédent, avec les saintes lettres, les témoignages des pères, et des arguments tirés de la raison.Il peut être bon de rappeler que la sentence que nous confirmons par tous ces témoignages est celle qui soutient que l’intégrité du premier homme a été surnaturelle,ou un don surnaturel accordé au premier homme.L’un et l’autre est sujet de controverse, et a ses négateurs.
Tout d’abord, les saintes lettres montrent, par les paroles suivantes,ce que fut l’homme de par la condition de sa nature : « Tu es poussière, et tu retourneras en poussière» (Genèse 3).Voici le sens de ces paroles.Bien que je t’aie fait glorieux par ma bénignité, de façon à ce que tu n’aies à craindre ni la mort ni aucun mal, cependant, de par ta nature, tu es poussière, mortel, fragile, exposé aux douleurs et aux labeurs.Et, en retournant à ton état naturel, par ta propre faute, tu as dépouillé de ce son surajouté. C’est pour cela que, maintenant, tu es poussière et que tu retourneras en poussière.
Dans le psaume 8 est décrite la première création en ces mots: « Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui, ou le fils de l’homme pour que tu le visites ? Tu l’as fait un peu inférieur aux anges, tu l’as couronné de gloire et d’honneur,et tu l’as établi au-dessus des œuvres de tes mains.»Le psaume XLV111 fait une description semblable : « Quand l’homme était en honneur, il n’a pas compris. Il a été comparé aux animaux sans intelligence, et est devenu semblable à eux.»Ces deux descriptions nous montrentque le premier homme a été orné de dons surnaturels. D’abord, parce que le prophète s’étonne de ce que l’homme soit presque égal aux anges : «qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui» ?C’est comme s’il voulait dire : je m’étonne que l’homme corporel, mortel de sa nature, sujet de toutes les afflictions communes aux animaux, ait été élevé à une telle gloire, qui est peu éloignée de celle des anges.On peut aussi ajouter que les dons accordés au début au premier homme, il les appelle honneur et gloire.Or, il est certain que l’honneur et la gloire désignent quelque chose d’extrinsèque et de surajouté.
L’Ecclésiastique 17 dit la même chose :« Dieu a créé l’homme à partir de la terre, et, selon lui-même, il l’a revêtu de vertu.» En ce passage, la création est référée à la nature , le revêtement de vertus,aux dons surajoutés.Car, on peut dire autant de l’honneur que du vêtement que ce sont des choses extrinsèques et surajoutées.Cela se rapporte àla parabole de celui qui est tombé sur des brigands (Luc X), qui a été dépouillé de ses vêtements,frappé et blessé , et laissélà à demi mort.Par le mot vêtement, qui exprime quelque chose d’extrinsèque,nous comprenons non seulement que le premier homme pouvait être privé des dons surnaturels, mais aussi que les plaies de la nature humaine sont consécutives à son dépouillement.Car, ce n’est pas sans raison que, dans cette parabole, le Seigneur a dit que l’homme a d’abord été dépouillé, et ensuite blessé, alors que c’est le contraire qui arrive dans les vrais vols.Il a voulu signifierpar là, que dans ce vol spirituel, les plaies de notre nature sont néesde la perte de la justice originelle, car ce don de justice ne faisait pas que couvrir et orner, mais il soignait aussi, et guérissait la fièvre de l’homme qui pullulait de par la condition de la matière.Ensuite, de cette nature humaine dépouillée du don de la justice, et laissée à elle-même,des blessures et des plaies firent soudainement irruption.Choses qu’expérimentent tous ceux qui sont nés d’Adam.Donc, cette parabole sur la suppression des dons et des vertus,que le premier homme a causée en péchant, les pères l’exposent d’une commune voix.Saint Ambroise, Bède, Théophylactus,et saint Basile, que saint Thomas citedans son commentaire de ce passage,ainsi que sain Augustin (livre 1, questions sur l’évangile, question 19) et saint Bernard (sermon 1 sur l’annonciation.)
Et voici d’autres témoignages de pères.Denys l’aréopagite, (dans son livre sur le divorce,les noms, chapitre 4 partie 4), dit, parlant des démons : « Les dons accordés aux anges n’ont pas été changés.Ils demeurent tous intégralement.»Voici comment a expliqué ce texte Marsilius Ficinus : ««Exemple.L’air nocturne est ténébreux non parce qu’il a subi un notable changement, ou qu’il a perdu sa nature.Mais, parce que lui manque la lumière du soleil, qui rend lumineuse une chose ténébreuse par elle-même.Il en est ainsi de l’âmeet du démon. On dit qu’ils sont mauvais,non parce qu’ils ont perdu quelque chose de naturel, ou qu’ils ont reçu quelque chose d’étranger,mais faute de demeurer dans le bienfait de Dieu.»C’estde là,(du témoignage de Denys l’aréopagite), que les scolastiques ont reçu l’idée que les dons naturels des démons sont demeurés tels quels après la chute.La même chose pour les dons naturels des humains.Si les dons naturels sont demeurés tels quels dans l’ange et dans l’homme après la chute, et s’il est avéré que la justice dans laquelle ils avaientété créés n’est pas demeurée en eux après la chute, il s’ensuit nécessairement que ne fut pas naturelle la justice qui était dans l’ange et dans l’homme.
Il importe peu que ce passage de saint Denys ne nous enseigne pas seulement que les dons naturels de l’ange et de l’homme sont demeurés après la chute, mais aussique notre nature a été blessée et corrompue par le péché d’Adam.Car, si oncomparenotre nature et celle des démons à l’état dans lequel elles auraient pu être si elles avaient été crée dans la nature pure, on doit dire qu’elle est intègre.Et c’est dans ce sens que Denys et les théologiens entendent le mot intègre (ou tels quels).Mais si on regarde l’état auquel elle avait été élevéepar la bénignité du Créateur, on doit dire qu’elle a été blessée et corrompue.Nous avons de cela un exemple en Samson.Après la perte de sa chevelure, il avait perdu la force divinement reçue, non parce qu’il était devenu plus faible que la majorité des hommes, mais parce qu’il était plus faible ou moins fort qu’il ne l’était avant.
Saint Basile (dans son livre sur le Saint-Esprit à Amphilochius, chapitre 16) écrit : « La sanctification n’existe pas sans le Saint-Esprit.Car, elles ne sont pas saintes par nature les vertus célestes, mais, selon qu’ellessont plus ou moins grandes, c’est du Saint-Esprit qu’ elles reçoivent leur juste mesure de sanctification.» On ne peut douter un instant que ce que saint Basile écrit au sujet des anges vaut aussi pour le premier homme.Ce n’est donc pas par nature que fut saint le premier homme quand il habitait le paradis;mais c’est du Saint-Esprit qu’il avait reçu la juste mesure de sa sanctification.En conséquence, la justice originelle, c’est-à-dire la ressemblance divine dont il était doté n’était pas sa condition naturelle, mais un don surnaturel.Saint Jean Chrysostome (dans son homélie 15 sur la Genèse) parle ainsi d’Adam et d’Ève qui,à cause de leur justice originelle,ne rougissaient pas de leur nudité : « Ils étaient revêtus de la gloire qui vient d’en haut.»Tu vois ici que la justice originelle est comparée à un vêtement, et à un vêtement qui vient d’en haut, pour que tu comprennes que cela est arrivé à nos premiers parents non de par les principes de leur nature, mais de ce qui estau dessus de la condition humaine, directement du ciel.
Saint Cyrille (livre 1, chapitre 9 sur saint Jean) écrit en parlant d’Adam : « Par la participation de la lumière, la grâce du Dieu glorifiant resplendit sur sa nature, l’élevantet l’ornant d’une variété de dons.» Et plus bas : « Car le Seigneur est miséricordieux, lui qui, par sa bonté, rend grand et admirablela créature qui, par sa nature, est petite et abjecte.»Et, au chapitre 13 : « Comme la créature étaitesclave, c’est gratuitement et par la volonté du Père qu’elle a été appelée aux choses surnaturelles.» Et, (dans son livre sur l’adoration en esprit, à la fin) : « Après que du Créateur cet animal ait obtenu la perfection de sa nature, il reçut immédiatement la ressemblance avec Dieu.»Ensuite, dans le livre «que l’Esprit est Dieu», il écrit, près du début : «Pouvoir faire et concéder aux créatures une dignité qui excède leur nature,est quelque chose de plus grand que ne le supporte la nature des créatures.C’est donc l’Esprit Saintqui déifie.En tant qu’il déifie, comment alors serait-il une créature et non plutôt Dieu lui-même ?»Par ces témoignages de ce grand savant qu’est saint Cyrille, nous apprenonsque, en plus des dons naturels, Adam a reçu plusieurs dons surnaturels, et que la nature humaine, petite et abjecte par elle-même, a été élevée à une immense gloire par la bénignité du Créateur.
Les pères latins ne donnent pas un enseignement différent.Saint Ambroise (dans son livre sur Isaac et sur l’âme, au chapitre 5) écrit : « Adam n’était pas nu quand l’innocence le revêtait.»Et (au livre 2 sur Jacob et la vie bienheureuse, chapitre 5), il écrit : «Après avoir été ainsi dépouillé, il est devenu nu.»Et (dans son livre sur Élie et le jeûne, chapitre 4), il écrit : « Adam était couvert du voile des vertus avant qu’il prévarique; et comme s’il avait été dépouillé par la prévarication, il se vit nu,parce qu’il avait perdu le vêtement qui le recouvrait.»Que ce vêtement d’innocence n’ait pas été naturel mais gratuit c’est l’appellation elle-même du vêtement qui l’indique, parce qu’un vêtement est quelque chose de surajouté, et aussiparce que,écrivantdans le livre 7, chapitre 47 sur saint Luc, le même auteur écrit, en expliquant la parabole de celui quia rencontré des brigands, et en l’appliquant à Adam et à nous tous : « Qui sont ces voleurs de grand chemin sinon les anges de la nuit et des ténèbres ?Ce sont eux qui nous dépouillent des vêtements de la grâce spirituelle, et qui ont coutume de nous blesser.»
Et(dans le livre sur la paradis, chapitre 14) : « Que veut dire le «Adam où es-tu ?»C’est-à-dire,non dans lequel es-tu,mais dans lesquels es-tu ?Ce n’est donc pas une interrogation, mais une réprimande. Ce qui veut dire : de quels biens, de quelle béatitude, de quelle grâce t’es-tu éloigné, et dans quelle misère t’es-tu plongé ?»Saint Jérôme (dans le chapitre 3 d’Osée) écrit : « Les démons qui sont tombés de leur dignité propre, et qui ne possèdent plus rien de leur antique grâce, sont arides, engourdis, desséchés.»Ce texte nous enseigne que, après le péché, les anges ont perdu leurs dons surnaturels. Car, si, par le nom de grâce, il avait entendu les noms naturels, il s’ensuivrait que les anges n’auraient rien retenu de leurs dons naturels après le péché, et qu’ils auraient doncété réduits à rien du tout.Le même raisonnement vaut autant pour les hommes que pour les anges, comme les adversaires eux-mêmes le reconnaissent, et comme l’enseigne saint Augustin(dans son livre sur la correction et la grâce, chapitres 10 et 11.)On ne doit donc pas nier qu’après la chute d’Adam, les hommes ont perdu des dons surnaturels.
Saint Augustin (livre 12, chapitre 9 de la cité de Dieu), parle ainsi : « Créant la nature en même temps qu’il prodigue la grâce.»Dans ce texte, saint Augustin fait une nette distinction entre la nature et la grâce.Et (au livre 13, chapitre 13), il parle ainsi de nos premiers parents : « Après que fut faite la transgression du précepte, ils perdirent la grâce divine et furent honteux de la nudité de leurs corps.»Et ( au livre 11, chapitre 31 de la Genèse), il écrit : « Dès qu’ils transgressèrent le précepte, ils furent abandonnés par la grâce interne de Dieu, et quand ils jetèrent les yeux sur leurs membres, ils virent qu’ils étaient nus.»Et (dans le livre 4 contre Julien, dernier chapitre), il écrit : « Pourquoi nous parle-t-on de la nudité après qu’on eut gouté du fruit défendu, si ce n’est parce qu’avait été dénudé ce que la grâce recouvrait ?En effet, la grâce de Dieu était grande là où le corps terrestre et animal n’avait aucune libido.Donc, celui qui revêtu de la grâce, n’avait pas dans son corps de quoi rougir, sentit, une fois dépouillé de la grâce, qu’il devait se couvrir.»
Tu vois que, dans ces textes, saint Augustin donne toujours le nom de grâce à l’innocence et à la justice originelle du premier homme.Tu vois aussi qu’elle est toujours comparée à un vêtement , qui est ajouté de l’extérieur au corps humain.Tu vois enfin, que la libido bestiale convient naturellement au corps terrestre et animal; et que ce n’est donc pas par nature, mais par une grande grâce de Dieu,que le corps terrestre d’Adam ait, dans l’état de nature, été privé de la libido bestiale.
Ajoutons que le même saint Augustin (dans le livre 3 sur le libre arbitre, chapitres 20, 22, et 23), n’enseigne pas obscurémentque l’homme pouvait être créé sans la justice originelle.Loin de corriger cette affirmation dans le livre surles rétractations, il le confirma plutôten disant (livre 1, chapitre 9 des rétractations) : « Si l’ignorance et la difficulté avaient fait partie de la condition du premier homme, il n’aurait pas fallu le reprocher à Dieu, mais l’en louer. Et si la justice originelle avait été naturelle,Dieu n’aurait pas pu créer l’homme sans elle, à moins que Dieu ait voulu créer quelque chose d’imparfait et de manqué, ce qui répugne à sa sagesse et à sa bonté. «Les œuvres de Dieu, comme le dit le Deutéronome 32, sont parfaites.»Dans son livre sur la conception virginale, et du péché originel (chapitre 22), saint Augustindit ceci en parlant d’Adam : « Parce que, ayant été élevé à une si grande grâce, il a abandonné spontanément les biens qu’il avait reçus afin deles conserver pour lui et pour ses descendants, ces descendants perdirent, par le fait même, ce que leur père aurait pu leur donner en les conservant, mais dont il les a privés en le ne les conservant pas.»
Enfin, saint Bernard (dans son premier sermon sur l’ascension) dit que, en prévariquant, Adam a perdu les vêtements des vertus, et la ressemblance avec Dieu, mais non l’image divine, « car cette dernière n’était pas posée sur la nature,mais insérée et imprimée dans la nature.»Selon le témoignage de saint Bernard, la justice et les autres vertus, que l’homme a perdues en péchant, n’étaient pas insérées et imprimées dans la nature humaine, comme le sont les dons naturels, mais surajoutés, comme les sont les dons surnaturels.Ce qui devrait suffire pour le témoignage des pères.
Ajoutons maintenant des arguments tirés de la raison.Il est naturel à un corps animal doté de sens et d’appétit de convoiter le bien sensible.Il est naturel à un esprit raisonnable de convoiter un bien spirituel.Si donc est créée une natureformée d’un esprit raisonnable et d’un corps animal, il lui sera naturel d’avoirdes tendancesen lutte les unes avec les autres.Qu’avant le péché, nos premiers parents n’aient pas connu cette lutte des tendances contraires, cela ne venait pas de leur condition naturelle, mais d’un don surnaturel.La deuxième raison.Si la corruption qui est maintenant dans la nature humaine ne provient pas du seul retrait du don surnaturel, et n’aurait pas existée dans l’homme créé dans la nature pure, je cherche sa cause.Car, il doit y avoir une cause à la rébellion de la chair contre l’esprit.Certains répondent que l’Écriture proclame que Dieu est cette cause.Or, plusieurs textes de l’Écriture nous enseignent que la concupiscence ne vient pas de Dieu.Saint Jean (épitre 1, chapitre 2), dit que la concupiscence n’est pas du Père, mais du monde.Saint Jacques(dans son épitre au chapitre 1), écrit que personne n’est tenté par Dieu, mais par sa concupiscence.Ce qu’il n’aurait certes pas écrit si la concupiscence qui est la source des tentations nous avait été infusée par Dieu.
Le précepte«tu ne convoiteras pas», que l’apôtre (Romains 7) appelle loi de l’esprit, est saint et bon, et vient certainement de Dieu.Comment donc la loi des membres qui lui fait la guerre pourrait-elle être de Dieu ? Et comment Dieu commande-t-il que nous ne fassions pasce qu’il nous force de ne pas faire sous peine de péché ?Saint Augustin a écrit en plusieurs endroits que la désobéissance de la chair a été infligée à l’homme par Dieu, comme peine du péché.Mais, il explique que cela a été fait par le retrait de la grâce, nonpar une injection de concupiscence.Car, voici ce qu’il dit (au livre 11, chapitre 31 de la Genèse) : « Dès qu’ils eurent transgressé le précepte, ils ont perdu la grâce intrinsèque.Et quand ils jetèrent les yeux sur leurs membres, ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.»Et (au livre 4 contre Julien, chapitre 13), il dit : « Ce n’est pas dans le fruit de l’arbre qu’était la libido. L’arbre était donc bon, mais mauvaise était la désobéissance, etc.»
Tu entends ? La libido a surgi quand Dieu s’est retiré, non quandil l’a insérée dans l’homme.Et il parle de la même façon aussi dans d’autres textes cités plus haut.Quandle même saint Augustin enseigne que le péché est parfois la peine du péché,et qu’il est donc de Dieu, de qui vient toute juste peine, il ne veut pas dire que le péché est de Dieu au sens où il insérerait la malice, mais en n’accordant pas sa miséricorde.
Au livre 5 contre Justin, chapitre 3, il écrit : « Quand on dit que l’homme est livré à ses désirs, il devient par là coupable, parce que, étant abandonné par Dieu, il cède aux mauvais désirs, etest attrapé, traîné, possédé.Et le péché devient pour lui , en tant que peine, la conséquence d’un péché précédent.»Et, dans l’épitre 105 à Sixte, il écrit : « Dieu n’endurcit pas en instillant la malice, mais en n’impartissant pas la miséricorde.»Et, au traité 33 sur saint Jean : « Dieu aveugle, Dieu endurciten abandonnant et en n’aidant pas;ce qu’il peut faire par un jugement occulte qui ne peut pas être injuste.»Ce n’est donc pas Dieu qui est la cause de notre concupiscence ou de la corruption de notre nature, si ce n’est en se retirant tout en prohibant, comme le dit saint Thomas dans les textes cités plus haut.
J’omets les opinions de ceux qui réfèrent la cause de la corruption à la pomme interdite, ou au souffle du serpent, parce qu’elles sont manifestement improbables, et parce qu’elles seront plus commodément réfutées dans la dispute sur le péché originel.Comme on ne peut trouver aucune autre cause de cette corruption en plus de la condition de la matière, comme cause efficiente,le péché d’Adam comme cause déméritoire, et la justice divine dépouillant l’homme du don surnaturel,en tant que cause qui enlève en prohibant,nous allons nous en contenter, et nous n’en chercherons pas d’autre.
La troisième raison.Par les péchés qui sont commis par les hommes après la chute du premier homme, même s’ils sont très nombreux et très graves,n’est perdu que le don de la grâce surnaturelle,et acquise une tendance à commettre de nouveau le même péché, et est diminuée l’inclination à la vertu contraire à ce péché.Mais le principe ou le don naturel n’est pas corrompu,et n’est pas acquise, non plus, ou augmentée une propension à tous les vices, ni n’est diminuée non plus l’inclination à toutes les vertus, comme l’atteste l’expérience.Or, le péché d’Adam comme il fut un certain péché et un péché actuel du même genre que sont ceux que commettent les autres humains,ne semble pas avoir pu produire d’autre effetque produisent les autres,excepté que, en tant que péché de la tête de toute la nature, il a rejailli ou estretombé sur tous les descendants.Il n’est donc pas probablequ’à cause du péché d’Adam, les principes naturels,ou les dons naturels aient pu être corrompus, -- si ce n’est pas le retrait de la justice originelle--, ni que soit née la concupiscence, qui est une propension à tous les vices, laquelledécoule d’une nature composée de contraires.
La quatrième raison.Si la nature humaine, comme elle est maintenant, est mauvaise, après que la fauteait été enlevée, tombe nécessairement dans le péché,et ne pouvait donc pas avoir été créée par Dieu, comme le disent les adversaires, sans la justice originelle, il s’ensuit certainementqu’un homme mort ne peut pas être rappelé à la vie par Dieu, à moins qu’il ne soit doté de la justice originelle.Et lamêmeabsurdité s’ensuivrait , que la nature mauvaise soit créée ou réparée parDieu.Car, la réparation n’est pas moins une œuvre du seul Dieu que la création.Et comme Dieu serait considéré comme l’auteur du péché s’il avait créé une nature qui ne pouvait pas éviter le péché,de la même façon il serait considéré l’auteur du péché si, à lui seul et par sa propre action,il avait réparé une nature qui ne peut pas s’abstenir de pécher.
Mais nous savons par les saintes écritures que beaucoup de morts sont revenus à la vie par la vertu divine,et que, parmi eux, quelques-uns , comme il est croyable, avaient été purgés du péché originel, tel Lazare le frère de Marthe,et les enfants qu’élie et Élisée rappelèrent de la mort.Et qui, sans doute possible, étaient privés de la justice originelle dans leur nouvelle vie, et quiétaient semblables à tous ceuxqui étaient nés naturellement de leurs parents.
Ajoutons que, de la majeure, on peut tirer une raison.Car, si les âmes justes de Lazare et des enfants, dont nous parlons maintenant, Dieu a pu les unir à un corps mortel, animal,exposé à la concupiscence età l’ignorance, pourquoi n’aurait-il pas pu davantage, au début du monde, unir à un corps semblable des âmes ni justes, ni injustes ?
La cinquième raison milite contre ceux qui soutiennent que dans la création, fut concédé à nos premiers parents non seulement la rectitude, mais aussi tous les dons.Les premiers parents avaient été élevés à la dignité qui faisait d’eux des fils de Dieu, et des dieux en quelque sorte, c’est-à-dire des participants à la divine nature, comme saint Paul le dit de ceux qui sont justifiés par le Christ.Les adversaires ne nient pas cela, et nous le prouverons plus au long dans la dispute suivante.Or, il est tout à fait absurde qu’une créature comme l’homme fasse un dieu ou un fils de Dieu.Voilà pourquoi saint Augustin (dans son livre 3 contre Maximin, chapitre 15) écrit : « C’est par la grâce que l’homme est devenu fils, et non par la nature.»Et saint Cyrille ( dans le livre 1, chapitre 18 sur saint Jean) : « La nature et l’adoption relèvent de catégories différentes.Ainsi en est-il desvrais fils et des fils adoptifs.»Nous sommes, nous, fils de Dieu par adoption.Il est donc naturellement Fils celui par lequel nous sommes adoptés comme fils.Et il avait dit plus haut : « En recevant le Fils par la foi, les Gentils ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu.Ils l’ont reçu du Fils, à qui seul la filiation divine appartient naturellement.»
CHAPITRE 7
On réfute les arguments contre cette sentence
La première objection.Si la justice originelle avait été surnaturelle, il s’ensuivrait que la concupiscence de la chair était naturelle, et donc bonne et voulue par Dieu.Or, dans son épitre 1, chapitre 2, saint Jean dit qu’elle n’est pas du Père, mais du monde.Et, saint Paul (aux Romains 7) dit qu’il la déteste.Et saint Augustin (dans son livre 6 contre Julien, chapitre 5), prouve, en plusieurs endroits, qu’elle est mauvaise et contraire à la nature.
Je réponds que, maintenant, la concupiscence de la chair est une peine du péché.Cependant, elle fut, sans aucun doute, naturelle à l’homme dans la nature pure, non en tant qu’un bien de la nature, mais en tant qu’un défaut, ou une maladie de la nature,consécutive à la condition de la matière.Voilà pourquoi on a raison de dire qu’elle ne vient pas de Dieu, qu’elle est digne de haine et non d’amour, qu’elle est mauvaise, contraire à la nature, pour deux raisons.La première, parce que ce n’est pas par la volonté de l’auteur de la nature qu’elle aurait existé, mais indépendamment d’elle, si l’homme avait été créé dans la nature pure.La deuxième, parce que Dieu l’a supportée, et que c’est par la faute de l’homme qu’elle a sa place en nous.
La seconde objection.Par biens naturels, saint Augustin, dans ce texte, semble entendre non des formes, mais des choses assujetties, comme si le sens de sa phrase était le suivant : les maux qu’on appelle vices sont des privations de biens naturels, parce qu’ils sont dans les bonnes natures,et les privent des vertus contraires.Car, il avait dit, un peu avant, en employant la même façon de parler, les maladies corporelles sont des privations de biens, car, bonne est la substance qui est privée de la santé, quand survient la maladie.Or, si nous entendons les paroles de saint Augustin dans ce sens, elles sont vraies, et ne militent pas contre notre sentence.Car nous ne nions pas que les âmes humaines privées de vertus par l’arrivée des vices doivent être dits et être des biens naturels.De plus, saint Augustin parle des vices qui sont des sortes d’habitus acquis par la répétition de mauvaises actions.Non de la concupiscence, de l’ignorance, de l’infirmité ou de la malice, avec lesquelles nous naissons.
Ensuite, tous les vices sont des privations de biens naturels, c’est-à-dire de la rectitude naturelle non telle qu’elle aurait été dans le premier parent s’il avait été créé dans la nature pure.Car la nature créée sans justice et sans péché (c’est ce que nous appelons nature pure), a sa rectitude à elle, n’ayant aucune difformité causée par le vice.Si, par biens naturels, nous étions forcés d’entendre (chez saint Augustin), la justice originelle donnée divinement, et surajoutée à la nature, on répondrait immédiatement que ce don naturel est appelé bon parce qu’il ne détruit pas la nature, mais la perfectionne.Comme on dit, à l’inverse, que le crime est contre nature parce qu’il ne perfectionne par la nature, mais la corrompt.
La troisième objection.Dans ce texte, saint Augustin enseigne qu’il convient à la nature angéliqued’adhérer à Dieu par la charité, et que c’est par là qu’elle se distingue des natures privées de raison, auxquelles il ne convient pas d’adhérer à Dieu par la charité, et d’être heureusesà cause de cela,même si elles ne peuvent pas être malheureuses.Mais il n’enseigne pas que cela convienne naturellement à la nature des anges, comme si l’ange pouvait adhérer à Dieu par ses seules forces, ou commesi le don de charité infuse était nécessairement du à l’ange, de façon à ce qu’on doive dire qu’il est du et non gratuit.Parce que c’est plutôt le contraire que dans des mots éloquents il enseigne au livre 12, chapitre 9, quand il dit ceci : «Et cette bonne volonté qui l’aurait faite si ce n’est celui qui les a créés avec une bonne volonté, c’est-à-dire avec un amour chaste, par lequel ils adhéreraient à Lui, Dieu prodiguant la grâce en même temps que formant la nature.»Et plus bas : « Il faut donc confesserqu’on doit dire des anges ce que l’on dit des saints hommes, que c’est par la louange due au Créateur que la charité est infusée en eux par le Saint-Esprit qui leur est donné.»
Il fait, ici, clairement, dans les anges, la distinction entre la nature et la charité, qu’il appelle grâce;et il est écrit que ce n’est pas par la création mais par le Saint-Esprit que l’inspiration a été infusée en eux.Ensuite, il ne dit rien d’autre des anges que ce qu’il avait dit des hommes dans son livre sur la prédestination des saints (chapitre 8) : pouvoir avoir la foi et la charité cela relève de la nature humaine; l’avoir, cela relève de la grâce des fidèles.
La quatrième objection.Saint Augustin (dans son livre sur la correction et sur la grâce, chapitre, et dans son enchiridion, chapitre 106), écrit que la félicité par laquelle l’homme ne pourrait ni pécher ni mourir, c’est-à-dire, la vie éternelle,est maintenant un don de la grâce. Ce qui était la récompense future du mérite, si l’homme avait persévéré dans l’état d’innocence.Il semble découler de celaque, dans l’état d’innocence, il n’était besoin d’aucune grâce pour mériter la vie éternelle;et que la justice originelle ainsi que la charité, par laquelle nous méritons, n’aurait pas été un don de la grâce, mais une condition naturelle du premier parent.
Je réponds que d’après la sentence de saint Augustin, les mérites de la vie éternelle, pour nous qui vivons après la chute d’Adam, viennent de la grâce, comme pour les saints anges et pour Adam avant la faute.Donc, dans tout état, la vie éternelle et le mérite proviennent de la grâce.Car ni les anges ni le premier homme dans l’état d’innocence, n’auraient pu avoir le mérite de la vie éternelle sans la grâce. C’est ce qu’enseigne saint Augustinaux endroits mêmes où a été tirée cette objection.Car, dans l’enchiridion (chapitre 106), après avoir dit que ce que la nature humaine aurait accepté parla grâce (ne pas mourir) si elle n’avais pas péché, ce qui est reçu par mérite, il ajoute, que sans la grâce, aucun mérite n’aurait pu obtenir cela.
Et, dans son livre sur la correction et la grâce chapitre 11 , sur le statut du premier homme avant la chute), il écrit : « Il n’a pas voulu qu’il soit sans la grâce, car le libre arbitre suffit pour commettre le mal, mais il a peu de valeur pour choisir le bien, à moins qu’il ne soit aidé par le Bien tout-puissant.»Tu vois donc que, selon saint Augustin, ni pour les anges, ni pour le premier homme avant la faute,la félicité ne pouvait être une récompense, et non une grâce, puisque, sans la grâce, on ne peut avoir aucun bon mérite.Et, après la chute d’Adam, elle n’est pas seulement pour nous une grâce, mais aussi une récompense, comme l’enseigne saint Augustin (dans son épitre 105 à Sixte) : « Nuls donc sont les mérites des justes ?Ils ne le sontpas, mais ils ne furent pas des mérites pour qu’ils deviennent justes.»Et plus bas : «Comme c’est par le mérite du péché, comme un impôt ou une taxe, que la mort est rendue, de même, c’est par le mérite de la justice, comme un impôt ou une taxe, que la vie éternelle est rendue.»
Si pour nous et pour eux la vie éternelle est une récompense et une grâce, pourquoi, demanderas-tu, saint Augustin dit-il, dans les lieux cités, que la vie éternelle est pour nous un don de grâce, etpour Adam, s’il n’avait pas péché, une récompense future du mérite ?Je réponds que c’est pour deux raisons.La première.Parce que les anges et le premier homme avant la chute avaient seulement la grâce par laquelle ils pouvaientbien mériter, et persévérer s’ils le voulaient.Le reste était laissé à leur libre arbitre.Les saints d’après la chute d’Adam n’ont pas seulement la grâce par laquelle ils pourraient bien mériter et persévérer s’ils le veulent, mais une grâce plus puissante qui les fait vouloir, comme saint Augustin l’enseigne (dans le livre sur la corruption et la grâce, chapitres 11 et 12.)Voilà pourquoi, par rapport à cette grâce qui nous fait vouloir et persévérer, on dit que, pour nous, la vie éternelle est un don de la grâce, pour les anges et pour le premier homme, s’il n’avait pas péché, la récompense du mérite.Bien que, comme nous l’avons montré, ce soit en même temps une récompense et une grâce.Que cette grâce qui nous fait vouloir n’enlève pas le libre arbitre, nous l’expliquerons plus tard en son lieu.
L’autre cause.Parce que, après le péché d’Adam, nous sommes devenus indignes de la béatitude,et dignes de la misère sempiternelle.Car, non seulement nous n’avons pas un bon vouloir, mais nous ne pouvons bien vouloir que si nous le recevons par une nouvelle bénignité de Dieu.Au sujet de cette nouvelle bénignité dont les saints anges n’avaient pas besoin,ni le premier homme s’il n’avait pas péché, nous appelons la béatitude un don de la grâce,qui aurait été autrement une récompense future du mérite.Et c’est ce qu’enseigne saint Augustin dans l’enchiridion(chapitre 106), quand il dit : « Mais après cette ruine, plus grande est la miséricorde de Dieuquand le libre arbitre lui-même doit être libéré de la servitude du péché et de la mort qui le dominaient.»
Exemple.Si , dans sa bénignité, un roi invite plusieurs athlètes à combattrepour une insigne récompense, et leur fournirait les armes et tout ce qui est nécessaire à un combat; si, ensuite, quelques-uns en luttant vaillamment emportent la palme, et d’autres sont vaincus et se retirent;et si le roi, par une nouvelle libéralité, leur fournit de meilleures armes, et les invite de nouveau à la lutte,et ferait ainsi en sorte que certains en sortiraient vainqueurs, le trophée de ceux qui auraient gagné serait en même temps une récompense et une faveur.Si donc, on compare les premiers vainqueurs avec les autres, on serait en droit de direqu’aux premiers, le triomphe est la récompense du mérite, et autres, le don de la grâce.
La cinquième objection.Saint Augustin (livre 3 sur le libre arbitre, chapitre 18) parle ainsi : « Approuver le faux pour le vrai et errer malgré soi, ne pas pouvoir se garder des œuvres libidineuses, cela ne vient pas de la nature de l’homme, mais de la punition d’un condamné.»Je réponds qu’il ne parle pas de la nature telle qu’elle fut dans le premier homme, mais comme elle aurait pu être.Car, dans le même livre (comme nous l’avons dit plus haut) le même saint Augustin écrit : « Si l’ignorance et la difficulté faisaient partie de la nature du premier homme, le Créateur n’aurait pas pu les leu reprocher, mais les en louer.»Et il explique assez longuement (dans le chapitre 24 et les chapitressuivants), que l’homme aurait pu être créé comme il nait aujourd’hui, même si aucun péché n’avait été commis avant.
La sixième objection.Dans son sermon 13 sur la passion du Seigneur, saint Léon appelle naturelle l’innocence du premier homme, quand il dit : «La liberté de l’innocence naturelle que nous avons perdue par la prévarication des premiers parents, ils ne l’ont reçue par aucun mérite précédent des saints.»Je réponds qu’il appelle l’innocence naturelle parce qu’elle avait été accordée avec la nature depuis le début de la création, et devait être propagée aux descendants par le moyen de la nature.Comme nous pouvons dire maintenant qu’était naturel le péché originel, selon ce texte de l’Écriture (Ephés 2) : «Nous étions nous aussi , par nature, des fils de la colère.»Mais même si ce péché provenait de la nature, c’est quand même de l’extérieur qu’il est parvenu à la nature, et ne découle donc pas des principes de la nature.De la même manière, même si le don de l’innocence originelle avait été transmis avec la nature, ce n’est pas de la nature qu’il aurait procédé, mais du don de la grâce surnaturelle.
La septième objection.Le concile de Trente enseigne à la session 5,qu’à cause du péché d’origine, nous avons encouru le pouvoir du démon, et que l’homme a empiré en son entier, c’est-à-dire,corps et âme. Cela, ce n’est pas seulementêtre privé du don de la grâce de la justice originelle.Car, dans son état naturel, l’homme n’était en aucune façon au pouvoir du démon, non seulement par rapport à notre mortalité, mais aussi par rapport au péché.Je réponds.
Personne d’entre nous ne nie qu’à cause du péché originel, nous ayons été misérablement spoliés non seulement de la justice originelle et de la grâce, mais que nous soyons aussi tombés au pouvoir du démon, et que l’homme en son entier, corps et âme ne soit empiré.Nous ne disons pas toutefois que, quand il fut créé, l’homme était au pouvoir du démon, mais qu’il est devenu semblable à nous quand à la mortalité du corps, la rébellion des membres, l’ignorance,la difficulté etc. Mais que de la perte de la justice originelle, l’homme entier a empiré, de sorte qu’il n’y a pas lieu de dire que c’est Dieu ou le démon qui a inséré en nous la rébellion de la chair, ou quia enténébré les œuvres dues par nous,mais l’ignorance et la cupidité et d’autres maux de ce genre par la perte de la justice originelle.
Huitième objection. L’impulsion naturelle de notre chair est plus rebelle maintenantqu’elle aurait été avant le péché sans la grâce, selon la doctrine de saint Augustin très claire et très cohérente.Voici ses propres paroles sur la correction et sur la grâce (chapitre 12) :« Adam était dans les biens dela nature; nous sommes, nous, dans les maux de la nature.Lui n’avait pas besoin de la mort du Christ pour conserver la santé du corps et de l’âme.Nous avons besoin, nous , de recevoir la santé de l’âme, selon saint Paul : « Qui me libèrera de ce corps de mort ?»Adam n’a pas eu besoin d’aide contre la rixe charnelle;nous en avons besoin, nous.Adam reçut la grâce qui lui donnait de pouvoir s’il le voulait. Nous l’avons reçue, nous , pour vouloir, et de vouloir d’autant plus que nous aimons avec ardeur;pour qu’avec la volonté du Saint-Esprit,nous vainquions la volonté contraire de la concupiscence.»
Je réponds que ces paroles de saint Augustin ne nous permettent pas de conclure que l’impétuosité naturelle de notre chair est maintenant plus rebelle qu’elle ne l’aurait été avant le péché, sans la grâce; ni, non plus que la nature pure fut plus sainte et plus pure avant le péché qu’après le péché.Car, d’abord, saint Augustin ne dit pas qu’Adam était dans les biens de la nature, et nous, dans les maux de la nature.Mais : «Il était, lui, dans les biens qu’il avait reçus de la bonté de son Créateur.»Et un peu après : «Dans cette vie, les saints qui bénéficient de cette grâce de libération, sont dans les maux.»Il ne fait là,aucune mention de la nature.
Et par les mots qui précèdent, nous comprenons qu’il parle des biens de la grâce, non de la nature. Car, voici ce qu’il dit : « Quoi donc ?Adam n’a pas eu la grâce de Dieu ? Il en a eu une plus grande, mais différente.Il était, lui, dans les biens qu’il avait reçus de la bonté de son Créateur.»Le sens de ses paroles semble donc être le suivant : Adam a été dans les biens de la grâce originelle et de la justice;nous,dansles maux lesqui ont rejailli sur nous depuis la perte de la grâce.»
Mais, admettons que saint Augustin ait ditqu’il était, lui, (Adam)dans les biens de la nature, et que nous sommes, nous, dans les maux de la nature. Qu’est-ce que tu en concluras si ce n’est qu’Adam a eu , par un don surnaturel, une nature immunisée contre toute maladie qui pouvait naître de la condition de la matière; et que nous avons, nous, une nature privée de ce don, et, à cause de cela, sujette à la maladie naturelle ?
Ensuite, ce qu’ajoute saint Augustin, à savoir qu’Adam n’avait pas besoin de la mort du Christ, alors que nous, nous en avons besoin, cela a pour cause ce qu’il indique au même endroit quand il dit que c’est par le sang du Christ que nous sommes libérés de la faute héréditaire, ou personnelle. Car, il s’ensuitque, comme Adam, n’avait pas besoin, dans son état, du sang du Christ, car il n’avait aucune faute héréditaire ou individuelle,dont il devait être libéré, nous avons, nous, besoin du sang du Christ, car nous avons tous une faute propre ou héréditaire.En quoi cela sert-il à prouver que, dans le premier homme, la nature pure sans la grâce était plus saine que la nôtre ?
Que saint Augustin ait ajouté, un peu après, qu’Adam n’avait pas besoin d’aide contre la rixe de la chair, il n’y a pas à s’en étonner, car, en lui, la justice originelle mâtait la rixe de la chair.Car, saint Augustin n’a pas écrit que, sans la justice originelle, Adam n’aurait pas eu besoin d’aide contre la rixe de la chair;mais, qu’Adam était dans les biens, c’est-à-dire, du fait que, dans l’état de félicité où il était orné du don divin de la justice originelle, il ne souffrait d’aucune attaque de la chair, ni n’avait pas besoin de l’aideque nous implorons sans cesse quand nous disons : je vois une autre loi dans mes membres…Malheureux homme que je suis,qui me libèrera de ce corps de mort ?
Donc, Adam fut doté d’une grâce plus joyeuse, nous, plus puissante, parce que la grâce en lui ne soumettait pas seulement le corps à l’esprit, mais l’esprit àDieu. En nous, a été laissée la lutte de la chair contre l’esprit, mais la grâce de Dieu met tant d’ardeur divine dans notre esprit que nous vainquons avec l’appétit supérieur l’appétit inférieur qui convoite des choses contraires.De là vient qu’il a plu à Dieu de ne donner au premier, doté de la justice originelle, que la grâce avec laquelle l’homme pouvait opérer la justice s’il le voulait, et à nous qui avons été spoliés de cette première grâce, une grâce plus puissante qui nous fait vouloir réellement.
Neuvième objection.Dès que les enfants deviennent adolescents, apparait une grande abondance de vaine cupidité, qui, par leur attrait séducteur, les précipitent dans des vices de toutes sortes.Lire, à ce sujet, saint Augustin dans le chapitre 22 du livre 22 de la cité de Dieu.Il n’en aurait pas été ainsi pour l’hommeresté dans la lumière, car, il n’y avaiteu aucune possibilité de péché et aucune inclination au mal.
Je réponds.Il fallait prouver l’assomption de l’argument.Il suppose sans preuve que, dans l’état de nature pure, l’homme n’avait pas été créé de façon à ce qu’il n’y ait ni possibilité de péché, ni inclination au péché, comme cela se passe chez nous après la chute d’Adam.La raison enseigne plutôt que l’homme fut créé tel,qu’en lui a été une inclination aux vices, car les objets des sens sont proches et présents, et les spirituels, éloignés et absents. Et aussi parce que pendant tout le temps de la petite enfance et de l’enfance, c’est à peine si l’homme a l’usage de sa raison, à cause de l’indisposition naturelle des organes.Et pendant tout ce temps, ce sont les sens et l’appétit inférieur qui dominent.Et enfin parce que, si on n’attribue pas à la condition de la nature l’inclination aux vices, on ne pourra pas en trouver d’autre cause, comme nous l’avons déjà démontré.
La dixième objection.Si, à cause d’une matière contraire à la nature de l’homme, un tel assaut de sensualité avait été dans le premier homme au moins d’une certaine façon, l’homme aurait eu une nature corrompue, et qui entraîne au péché.Mais, si on admet cela, il sera très difficile d’excuser Dieu de ne pas être l’auteur du péché, puisque, avant tout démérite de l’homme c’est lui qui a donné à la nature cet instinct de rébellion, qui est inique, mauvais et donc un péché.Mais l’écriture clame le contraire.Elle dit que Dieu a fait l’homme droit, sans une telle courbure, et que c’est lui-même qui s’est mêlé de toutes sortes rixes et de batailles charnelles.
Je réponds que cet argument ne distingue pas suffisamment l’état dans lequel Adam a été réellementcréé, d’avec celui dans lequel il aurait pu l’être. L’Écriture clame qu’Adam a été créé droit, et que c’est lui-même qui s’est empêtré dans différents filets.Et c’est tout à fait vrai, parce que Dieu créa l’homme revêtu de la justice originelle, qui établissait une paix et une joie suprême entre l’esprit et la chair.Or, en péchant, il a perdu la justice originelle, et c’est ainsi qu’il enfanta en lui la guerre entre l’esprit et la chair.Mais, si Dieu avait créé l’homme dans la seule nature humaine, il l’aurait fait droit au sens où il n’y aurait eu en lui aucun habitus vicieux, mais il aurait été quand même sujet à la rébellion de la chair contre l’esprit.
Il n’est pas difficile, à cause de cela, de démontrer comment Dieu n’est pas l’auteur du péché. D’abord, Dieu n’aurait pas eu àfaire cette rébellion même s’il avait créé l’homme dans la nature pure, car elle serait quand même survenue sans que l’auteur la veuille, à cause de la condition de la matière.Car, on nepeut pas appeler auteur de la rouille le forgeron qui a travaillé le fer, même s’il a fait un glaive en fer.Ensuite, cette rébellion n’est pas proprement un péché,(comme nous l’avons montré dans nos livres sur le péché d’origine, où nous avons présenté ce texte comme argument)ni ne conduit nécessairement à un péché , comme saint Augustin l’explique (dans son livre 3 sur le libre arbitre).Car, ou à l’homme créé dans la nature pure Dieu aurait prêté son aide pour qu’il puisse maîtriser la concupiscence, ou il lui aurait donné de ne pas consentir aux cupidités, ou il ne le lui aurait pas donné.S’il le lui avait accordé, l’homme n’aurait pas nécessairement cédé à la concupiscence. S’il ne le lui avait pas accordé, il aurait cédé, certes, mais non par sa faute, et donc il n’aurait pas péché.Et voici ce qu’il écrit dans son livre sur la correction et sur la grâce, (chapitre 11) : « Si cette aide avait fait défaut à l’ange ouà l’homme dès le moment où ils ont été créés,la nature n’aurait pas été faite pour pouvoir, sans l’être divin, demeurerconstante si elle le voulait; et ce n’est pas par sa faute qu’elle serait tombée.Car une aide aurait fait défaut, sans laquelle on ne peutpas demeurer.»
La onzième objection.Contre les accusateurs de la nature, les pères ont coutume d’opposer la corruption du péché originel apportée par notre vice, et non la nature elle-même, comme le font les païens, quand ils l’appellent marâtre.Voir saint Augustin (livre 4 contre Julien, livre 2, chapitre 2 des mérites des pécheurs et de la rémission;et dans le livre 4, chapitre 17, de la cité de Dieu.
Je réponds que les pères ont eu raison d’enseigner qu’il ne faut pas accuser la nature, mais attribuerau péché originel la cause de toutes nos misères.Car, comme nous l’avons dit plus haut plusieurs fois, Dieu a fait l’homme heureux dans sa création, mais c’est lui qui s’est rendu misérable par sa désobéissance.Mais du diras que ce dont les philosophes païens accusent la nature,d’être pour nous une marâtre plutôt qu’une mère, peut nous servir d’argument pour montrer que la nature humaine telle qu’elle existe maintenant n’est pas comme elle aurait duêtre naturellement.
Je réponds que les philosophes païens ont, sur la nature, eu des pensées différentes, comme le montre Theodoret (livre 5 contre les Grecs).Car les uns soutenaient que les hommes avaient été créés , par nature, dans la misère, d’autres, dans la félicité.Cicéron (dans son livre 3 sur la république, (d’après saint Augustin, livre 4, chapitre 12, contre Julien), dit que la nature a été pour nous comme une marâtre.Platon, dans son livre 3 sur la république, écrit, au contraire, que l’homme peut devenir heureux par le corps, et est, de tous les animaux, le plus heureux.Dans son livre sur les parties, Galenus n’en célèbre pas moins l’auteur de la naturequi, avec le genre humain, a fait des choses merveilleuses.
Les philosophes païens différaient entre eux sur la nature humaine parce que quelques-uns voyaient dans la nature pure de l’homme de très grands biens,qui étaient innés, et qui brillent magnifiquement.D’autres tournaient les yeux de leur esprit sur les défauts qui existent dans l’homme en raison de la condition de la matière, indépendamment de la volonté du créateur, et ils trouvaient juste qu’il enlève ces défauts , ne sachant pas ce que nous avons appris des saintes lettres, que ces défaut avaient été supprimés dans la création du premier homme, et qu’ils avaient été autorisés de réapparaitre comme peine du péché.Et c’est pour cela que saint Augustin (dans livre 4 contre Julien, chapitre 12) dit avec raison que les philosophes qui appellent la nature une marâtre ont vu ce qui se passe, mais en ignorent la cause.
Douzième objection.Les mouvements désordonnés de la concupiscence de la chair se produisent surtout dans les membres génitaux.Mais, avant leur péché, il n’y avait aucun mouvement désordonné de la chair,et ces membres génitaux servaient à la générationsans aucune libido, comme saint Augustin le montre contre lespélagiens dans une longue démonstration.Donc, dans la nature pure, aucun assautde la sensualité contre la raison n’a pu se faire .Je réponds qu’il fallait prouver l’assomption de l’argument.Car c’est par une longue dispute contre les pélagiens que saint Augustin démontrequ’il n’y eut pas dans le premier homme doté de justice originelle, de fièvre sexuelle.Ce dont nous ne doutons pas.Mais, il ne démontre pas que, dans la nature pure, il n’y auraitpas pu en avoir, car c’est plutôt le contraire qu’il démontre en tant d’endroits, cités par nous.Voilà pourquoi cette conclusion n’est conforme ni à l’enseignement de saint Augustin, ni à la vérité.
On peut peut-être ajouter une treizième objectionqui se formule ainsi.La béatitude éternelle est la fin naturelle de l’homme (comme saint Thomas l’enseigne, dans 1 par question 12, art 4.Il a donc du avoir des moyens naturelspour parvenir à cette fin.Autrement, il serait plus misérable et plus abject que toutes choses, car, les autres choses atteignent leurs fins par des forces naturelles qui leur sont propres.Donc, la justice et les autres vertus qui sont nécessaires pour l’obtention de la vie éternelle ont été naturelles au premier homme.
Je réponds.Est-ce que la béatitude éternelle qui consiste dans la vision de Dieuest la fin de l’homme naturel ou surnaturel ?Ce n’est pas une petite question.Mais, parce que l’explication de cette question n’apporte pas grand-chose à notre compréhension, je réponds quela béatitude éternelle est la fin naturelle de l’homme par rapport au désir que nous en avons, non par rapport àson obtention.Car c’est quelque chose qui n’est ni nouveau, ni indigne de la nature humaine de désirer naturellement ce qu’on ne peut obtenir que par une aide surnaturelle.Ce n’est pas nouveau.Les âmes des hommes séparées de leurs corps ont une inclination et une propension naturelle aux corps dont elles ont été les formes.Mais, elles n’ont pas pu être réunies à leurs corps sans une aide surnaturelle.Ce n’est pas indigne.Au contraire, c’est pour elles une dignité suprême d’avoir été créées pour une fin plus sublime que celle qu’elles peuvent atteindre par les seules forces de la nature.
Quelqu’un dira peut-être.Admettons que l’homme a besoin de moyens surnaturels.Cependant, il s’ensuivra qu’il n’aurait pas pu être créé sans ces moyens; et il n’aurait donc pas pu avoir été créé comme il nait aujourd’hui.Il n’aurait pas pu avoir été créé pour une fin inférieure sans que sa nature ne soit changée, et on n’aurait pas pu lui refuser les moyensnécessaires à l’obtention de la fin naturelle.
Je réponds qu’il aurait été tout à fait équitable que Dieu ne refuse pas les moyens nécessaires à l’homme ordonné à une si grande fin. Mais rien d’absurde ne s’ensuivrait s’il les avait refusés. Car même si la béatitude suprême était la fin naturelle de l’homme, c’est quand même une fin disproportionnée, et hors de sa portée.L’homme, en effet, a une autre fin naturelle qui lui est tout à fait proportionnée : chercher la vérité en réfléchissant.Voilà pourquoi Dieu aurait pu, par des moyens naturels, conduire l’homme à la fin qui lui est propre, sans l’élever à une plus haute.Exemple.La chauve-sourisa la capacité et le désir naturel de voir le soleil. Cependant, il est croyable qu’elle ne le verra jamais, mais seulement une lumière blafarde et crépusculaire, ce qui est, pour les yeux, un objet non seulement naturel, mais proportionné.
CHAPITRE 8
Adam, et ses descendants n’auraient jamais pu mourir sans avoir péché
Nous avons disserté jusqu’à présent des dons surnaturels qui appartenaient à l’âme du premier homme dans l’état d’innocence. Il nous faut maintenant parler de l’immortalité du corps.Comme pour la justice originelle, on trouve deux erreurs sur l’immortalité des corps.La première fut celle des pélagiens, qui affirmaient que l’homme serait mort même s’il n’avait pas péché, comme saint Augustin l’atteste (au chapitre 88 de son livre sur les hérésies.)S’est approché de cette erreur Augustin Eugubinus (dans son annotation au chapitre 2 de la Genèse),Il écrit que, par la faute d’Adam, le genre humain a encouru la mort de l’âme, non celle du corps; que les hommes seraient morts même s’ils n’avaient pas péché.Il ajoute cependant que si cela s’avérait être contre la foi, il le réprouve et le condamne.
L’autre erreur est de ceux qui non seulement enseignent que l’homme ne serait pas mort s’il n’avait pas péché, mais que cette immortalité ait été naturelle, et non surnaturelle.Cette sentence semble découler de celle que nous avons réfutée plus haut, sur la justice originelle. Et c’est à eux que se rapporte l’article 75, ceux que les papes Pie 5 et Grégoire 13 ont récemment condamnés.Le voici : « L’immortalité du premier homme n’était pas un bénéfice de la grâce, mais sa condition naturelle».Nous réfuterons donc brièvement l’une et l’autre erreur, et nous démontrerons à l’aide de l’Écriture, des pères et de la raison, que la mort est une punition du péché, et que ni Adam ni aucun de ses descendants n’auraient pu mourir sans que la faute n’intervienne.Nous prouverons ensuite que cette immortalité du premier homme n’était pas naturelle, mais surnaturelle, non due, mais gratuite. Qu’elle ne doit pas être appelée une condition de la nature, mais un bienfait de la grâce.
Que la mort ait été une peine du péché, on le lit dans ces paroles de la Genèse : «Le jour où tu en mangeras, tu mourras de mort.»Pourquoi donc cette menace de peine de mort si Adam ne serait pas mort s’il n’avait pas péché ?Les pélagiens répondaient (selon saint Augustin, livre 1 sur les mérites des péchés, et la rémission, chapitre 2) qu’il faut entendre ce texte de la mort de l’âme, et non de la mort du corps, comme dans cette phrase du Christ : «Laissez les morts ensevelir les morts !»Mais, saint Augustin réfute cette interprétation par la les paroles de la Genèse 3 : « Tu es poussière et tu redeviendras poussière.»Car, par ces paroles, Dieu condamne Adam à la peine dont il l’avait menacée avant.Un texte en explique donc un autre. Il est certain, en effet, que c’est le corps et non l’âme qui a été fait de la poussière et qui retournera en poussière.Voilà pourquoi saint Jérôme (dans les questions hébraïques) loue Symmachus qui avait traduit ainsi : quand tu en mangeras, tu seras mortel, car, il ne devait pas mourir instantanément après la transgression, mais il devenait sujetà la mort dans le futur.
Ne répugne pas ce qu’enseigne saint Grégoire (au livre 5, épitre 14) quand il applique ce passage à la mort de l’âme.Car, on peut l’entendre de l’une et de l’autre mort, et le commentaire sera complet, si en unissant l’explication de saint Augustin à celle de saint Grégoire, nous disons que Dieu a menacé Adam de la mort de l’âme, et aussi de la nécessité de mourir corporellement, comme l’immortalité du corps (comme nous le montrerons plus haut) dépend de la vie de l’âme, et donc de la grâce et de l’amitié de Dieu.Bien plus, saint Augustin(livre 13, chapitre 12 de la cité de Dieu), entend ce texte d’une triple mort pour cette même raison que l’une est la cause de l’autre : la mort de l’âme par la perte de la grâce, la mort du corps par la perte de l’âme, et la mort ultime par la perte de la gloire.Et, avant lui, saint Ambroise(dans son livre sur le paradis, chapitre 9) a dit :« Il est écrit tu mourras de mort, et non tout simplement tu mourras, parce la parole porte sur le corps et sur l’âme».
Mais, en plus de ce texte, nous en avons beaucoup d’autres, et certains qui sont si clairs qu’on nepeut pas les détourner de leur vrai sens.Qu’y a-t-il, en effet, de plus clair que ces paroles : « Dieu n’a pas fait la mort» (Sagesse 1).Et Sagesse 2 : «Dieu a créé l’homme inexterminable.C’est par l’envie du diable que la mort est entrée sur la terre.»Romains 5 : «Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort.» EtRomains 6 :«Le prix à payer pour le péché est la mort.»Et Romains 8 : « Si le Christ est en vous, le corps est mort à cause du péché.»
Il est à noter que saint Augustin (dans son livre 1 sur les mérites des péchés et sur la rémission, chapitre 5)n’a pas voulu que l’apôtre dise que le corps est mortelà cause du péché,mai que par le péché, il est amené à lanécessité inévitable de mourir.Ce qui doit nécessairement arriver bientôt, et ce qui est imminent, on dit habituellement que ça a déjà été fait.Ensuite, aux Corinthiens 15, ne dit pas cette parole une seule fois, mais il la répète : «En Adam, tous meurent.» Et , «Par un homme, la mort.»Et, «l’aiguillon de la mort est le péché.»
Àces textes de l’Écriture, on ajoute les définitions des conciles. Voici ce que nous lisons dans le concile de Milet, canon 1 : «Il a plu au concile d’anathématiser celui qui dirait qu’Adam, le premier homme, a été fait mortel, de façon à ce que, qu’il pèche ou qu’il ne pèche pas, il serait mort dansle corps, c’est-à-dire qu’il serait sorti de son corps non par le mérite du péché, mais par une nécessité de nature.»Et, dans le concile d’Orange (canon 2) : «Si quelqu’un affirme que la prévarication d’Adam n’a nui qu’à lui-même et non à toute sa postérité;et que seule la mort du corps qui est la punition du péché, et non aussi le péché qui est la mort de l’âme ont été transmis au genre humain par le premier homme, «dans lequel tous ont péché».On lit des choses semblables dans le concile de Trente.
Nous omettons les témoignages des pères qui sont d’une clarté fulgurante, et nous allons passer à l’argument tiré de la raison.Quelqu’un ne peut être privé de la vie que par l’un de ces quatre moyens : il est opprimé par une force extérieure,par la faim ou par la soif, la maladie ou la vieillesse.Le premier homme était très sage, et il dominait librement toutes les choses qui étaient sous lui, comme on le voit par les noms qu’il a donnés aux animaux, et par cette parole de Dieu : «Dominez les poissons de la mer et les oiseaux du ciel.»Voilà pourquoi il connaissait ce qui est nuisible, et pouvait et devait les éviter.Et s’il ne l’avait pas évité, il aurait certainement commis un péché, et il n’aurait donc pas péri dans l’état d’innocence.Pour que dans son sommeil aucun malheur ne lui arrive, et pour qu’Adam ne soit blessé d’aucune façon,l’œil de la divine providence veillait, et les anges faisaient bonnegarde.Car, c’est ce que nous lisons du juste : «Dieu le gardera de tout mal.» (Psaume CXX), et (Psaume XC, 1) : « Il a commandé à sessaints anges de te garder dans toutes tes voies.»On ne peut douter que ces textes puissent s’appliquer aussi à Adam, qui était juste et ami de Dieu.
Pour que l’homme ne meure par le manque de nourriture, Dieu avait fait pousser plusieurs arbres fruitiers.Et s’il n’avait pas voulu s’en nourrir pour vivre, il aurait certainement péché.Car, Dieu avait dit :(Genèse 2)«Tu mangeras de n’importe lequel arbre.»Et la raison naturelle, c’est-à-dire la loidivine écrite dans son cœur lui intimait qu’il était nécessaire de se servir des aliments que Dieu lui avait donnés.Il ne pouvait pas mourir non plus de maladies.À l’homme avait été donnée unejustice originellequi ne soumettait pas seulement la partie inférieure à la raison, mais le corps à l’âme, de façon à ce que, dans cet état de félicité incroyable, l’homme jouisse intérieurement et extérieurement.Et pour qu’il ne meure pas de vieillesse, Dieu lui aurait procuré, dans l’arbre de vie, une sorte de fontainede jouvence, ou il aurait appelé les hommes à l’état de gloire avant qu’ils ne vieillissent.Je dis cela, tout en sachant qu’il y a deux opinions sur l’arbre de vie, comme on le verra dans le dernier chapitre.
CHAPITRE 9
L’immortalité du premier homme a été surnaturelle, non naturelle
Les pères ont constamment enseigné que l’immortalité d’Adam a été surnaturelle, et non naturelle.Saint Augustin (livre 1 de la Genèse à la lettre, chapitre 25) : « Autre est ne pas pouvoir mourir, et autre pouvoir ne pas mourir.C’est de la première façon que l’homme a été créé immortel, car, il le tenait cela, de l’arbre de vie, non de la constitution de la nature.»Livre 13, chapitre 20 de la cité de Dieu, il dit, en parlant de l’immortalité du premier homme : « Cet état leur venait, par une admirable grâce de Dieu, de l’arbre de vie qui était au milieu du paradis avec l’arbre défendu.»Et (au livre sur les mérites des péchés, et la rémission, chapitre 4), il écrit :
« Si Dieu a pu fournir aux Israélites des vêtements et des sous-vêtements qui ne se sont pas détériorés pendant tant d’années, y a-t-il de quoi s’étonner qu’ à l’homme obéissant, il ait accordé le pouvoir, tout en ayant un corps animal et mortel,de demeurer dans un état où il aurait vécu sans défaut jusqu’à ce que Dieu veuille qu’il passe de la mortalité à l’immortalitésans connaitre la mort.Car, comme cette chair que nous avons maintenant n’est pas vulnérable parce qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit vulnérable, la chair d’Adam ne fut pas mortelle parce qu’il n’était pas nécessaire qu’elle meure.Je pense qu’une telle disposition a encore été concédée au corps animal et mortel même à ceux qui ont été transportés là sans la mort.Car, Hénoch et Élie n’ont pas langui dans une longue vieillesse.
Dans ce passage, saint Augustin enseigne, de diverses façons, que le corps de nos premiers parents a été mortel de par sa nature, et qu’il n’avait été immortel que par la grâce du Créateur.Il compare d’abord l’immortalitédu premier homme aux vêtements et aux sous-vêtements des Israélites qui ne se sont pas détériorés pendant tant d’années.Ensuite, il compare l’état du premier homme d’avant le péché avec l’état d’Hénoch et d’Élie, qui avaient certainement un corps mortel, et qui devaient mourir un jour, mais qui, par la grâce de Dieu ont été conservés pendant de si long siècles.Troisièmement, parce qu’il dit deux ou trois fois,que le corps du premier homme fut mortel, et qu’il aurait passé, sans mourir, de la mortalité à l’immortalité.Or, s’il était mortel, il était certes mortel par nature, à moins que quelqu’un ne délire au point d’attribuer la mortalité du premier homme à la grâce et l’immortalité à la nature.
Quatrièmement, parce qu’il dit que sont corps était mortel même s’il ne serait jamais mort, comme notre chair est vulnérable même si elle n’est jamais blessée.Notre chair est vulnérable par nature, mais en se surveillant étroitement, on pourra faire en sorte qu’elle ne soit jamais blessée.Ce corps était donc mortel par nature, mais par la grâce de Dieu, il ne serait jamais arrivé qu’il meure.
Saint Cyrille (livre 1 sur saint Jean, chapitre 15) : « L’homme animal a été produit ,par Dieu , raisonnable,parce qu’il ne peut pas être éternel et incorruptible par sa nature.Ayant été signé de l’esprit de vie, il a obtenu le bien de l’immortalité, qui est au-dessus de sa nature.»Les théologiens scolastiques, ainsi que leur maître ont soutenu la même doctrine (sentences, livre 2, livre 19), que confirme une raison évidente ettout à fait certaine.Car, comme la nature de l’homme est formée d’éléments et d’humeurs contraires,elle a un pouvoir intrinsèque de corruption.L’immortalité est donc en elle en marge de sa nature, ou plutôt au-dessus de sa nature, tandis que la mortalité est naturelle.
De plus, dans l’état d’innocence, l’homme pouvait être engendré,comme il lui a avait été dit (Genèse 1) : «Croissez et multipliez-vous !.»Sa nature est donc corruptible,même si par l’aide de Dieu, il lui serait arrivé de ne pas se corrompre.De même, dans l’état d’innocence, la nature humaine avait besoin de nourriture et de breuvage, comme on le voit dans la Genèse au chapitre 1, où l’on donne comme nourriture à l’homme desvégétaux et des fruits.Or, le corps, qui a besoin de nourriture pour être conservé, et qui périt s’il ne se nourrit pas,est convaincu d’être mortel de par sa nature.Et c’est ici qu’il convient de citer Genèse 3 : tu es poussière, et tu retourneras en poussière, comme nous l’avons expliqué plus haut, dans la dispute du début.
Quelqu’un peut nous objectera le témoignage de saint Augustin (livre 13, chapitr4e 15 de la cité de Dieu),o« nous lisons : « Il appert que pourles chrétiens qui tiennent la vraie foi catholique,la mort de notre corps ne nous a pas été infligée par la loi de la nature, mais par le mérite du péché.»Je réponds que, par ces mots, saint Augustin veut direque la nécessité de mourir qui procède de la nature de l’homme, a été enlevée par la grâce de Dieu, et c’est pour cela que la mort qui règne maintenant en nous, n’a pas été infligée par la loi naturelle,mais parle mérite du péché.»Je répondsensuite que ces paroles de saint Augustin signifient que la nécessité de la mort qui est une conséquence de la nature de l’homme, avait été enlevée par la grâce de Dieu, et voilà pourquoi, la mort qui règne aujourd’hui ne nous a pas été infligée par une loi de la nature, mais par le mérite du péché.
Deuxièmement.On pourrait nous objecter le témoignage du canon2 concile d’Orange 2 où il estdit qu’ils font injure à Dieu ceux qui soutiennent que les hommes seraient morts même s’ils n’avaient pas péché, car si la mort avait été naturelle à l’homme,il pouvait mourir sans injustice divine, comme les autres animaux meurent sans injustice de Dieu.Je réponds que si l’home avait créé dans l’état de nature pure, il aurait pu, en effet, mourir sans injustice de la part de Dieu.Mais, parce que, par la bénignité de Dieu, la nécessité de mourir avait été enlevée de la nature humaine, et qu’elle avait été changée en punition pour le péché, il n’aurait pu se faire sans injustice que l’homme meure sans avoir commis aucune faute.
De plus, la mort qui était due à l’homme dans l’état de nature pure, est, maintenant, sans aucun doute possible, une peine. La peine, en effet, ne pouvait pas être juste si la faute ne l’avait pas précédée.Voilà pourquoi ilserait injuste envers Dieu, maintenant,l’homme qui dirait que c’est par une dette de la nature que la vie finit, et non par le mérite du péché.
On pourrait nous faire une dernière objection. L’âme raisonnable est immortelle par nature, on devait donc lui donner un corps qui était immortel par nature, la mortalité étant en dehors de la nature.Je réponds qu’un corps immortel convenait parfaitement à l’âme en tant qu’elle est immortelle.Cependant, parce que cette âme est la forme du corps, on devait lui attribuer un corps qui était apte aux fonctions que l’âme devait exercer dans le corps.Donc, les fonctions que nous exerçons aujourd’hui, et que nous aurions pu exercer aussi dans l’état d’innocence,se font dans un corps composé d’humeurs et de qualités contraires, d’où suit naturellement la nécessité de la mort.Voilà pourquoi, absolument parlant, le corps du premier homme devait être dit mortel par sa nature, et immortel par la grâce du Créateur.
CHAPITRE 10
Le paradis terrestre, où Adam demeura dans son état d’innocence, était terrestre et corporel.
Voici la première question. Le paradis a-t-il été un lieu véritable et corporel, comme l’Écriture semble le laisser entendre dans le livre de la Genèse, ou plutôt,un lieu spirituel, et allégorique ?Ne manquèrent pas, parmi les anciens, les auteurs qui ont voulu détruire toute cette histoire du paradis, des fleuves et des arbres, et la transmuter en pures allégories.Est bien connue la sentence de l’hébreu Philo, dans le livre 1 de ses allégories.De celle de l’hérésiarque Valentin , chez Irénée (contre les hérésies, chapitre 1, avant le milieu), et d’Origène (dans son commentaire du livre de la Genèse).Mais, en notre siècle, (ce qui devrait nous étonner grandement ) la sentence déjà condamnée par les pères a été rappelée à la lumière parFrançois Georges (dans le tome des problèmes),qui s’est efforcé de la réhabiliter en commentant les paroles suivantes : «Le Seigneur avait planté un paradis de volupté.» (Genèse 2), et dans l’harmonie du monde,cantique 1, tome 7, chapitre 21, dont nous réfuterons les raisons un peu après.
Que leparadis ait étéun lieu physique,plein de plantes véritables,irrigué par une vraie source et de vrais fleuves, nous pouvons le prouver.D’abord, avec les divines lettres. où le paradis est décrit d’une façon telle qu’on ne peut pas imaginer qu’il ne puisse pas être un corps physique et véritable. Genèse 2 : « Le Seigneur Dieuavait planté un paradis de volupté dès le début, et il y posa l’homme qu’il avait formé.»Il dit, de même, au même endroit : «Un fleuve sortait du lieu de volupté pour irriguer le paradis, qui se divisait en quatre embranchements,dont l’un s’appelait Phison.etc »Or, ces fleuves sont réels, visibles, navigables et potables, comme on le voit dans le cas de l’Euphrate et du Tigre, qui sont parmi les fleuves les plus connus et les plus grands.De plus, au chapitre 3,Adam et Ève se cachèrent dans les arbres du paradis , et se firent des pagnes avec des feuilles de figuier.Ils étaient donc réels et vrais les arbres du paradis au milieu desquels des humains vrais et corporels ont pu se cacher.Elles étaientdonc vraies les feuilles de figuier avec lesquelles ils ont pu couvrir leurs membres.
Ensuite, nous lisons, au même endroit, qu’Adam a été éjecté du paradis,qu’un ange reçut pour mission de bloquer l’accès à l’arbre de vie.Or, si l’arbre de vie n’avait été que spirituel, une sagesse ou une vertu, comme quelques-uns l’imaginent, Dieu n’aurait pas usé d’une telle diligence pour en interdire l’accès aux hommes.Dans le livre des proverbes, chapitre 3,où la sagesse est appelée arbre de vie, les hommes sont souvent invités à la sagesse et à la vertu.
Se présentent en second lieu les témoignages des pères qui ont réfuté la sentence d’Origène et l’ont considérée comme erronée et contraire à la foi orthodoxe.Saint Méthode (d’après Épiphane, hérésie 64) enseigne que « le paradis de cette terreest un lieu parfait pour mener une vie paisible et heureuse, destiné aux saints.Le Tigre et l’Euphrate et les autres fleuves qui coulent là, sont comme des crues qui inondent notre continent, de l’eau qui ne vient pas des nuages, car la terre n’aurait pas pu supporter une telle masse d’eau.»Saint Épiphane dans sa lettre à l’évêque Jean de Jérusalem, écrit : « Qui a jamais entendu dire ce que nous raconte Origène ,qui nous donne à nous le troisième ciel comme paradis, et qui transfère de la terre au ciel le paradis que l’Écriture nous rapporte, et qui voit des allégories (des vertus angéliques)dans les arbres que nous décrit l’Écriture, alors que la vérité ne reçoit pas cela ?»
Saint Jérôme (dans son épitre à Pammachius sur les erreurs de Jean de Jérusalem), dit, en énumérant les erreurs d’Origène : « Il allégorise le paradis à un point tel qu’il enlève la vérité de l’histoire,voyant dans les arbres des anges, dans les fleuves des vertus célestes, déformantpar son interprétation figurée,tout ce que contient le paradis.»Et, dans son commentaire (chapitre 10), commentant ce passage de Daniel il écrit : «Le vingt-quatrième jour du premier mois, j’étais près du grand fleuve qui est le Tigre », il dit : «Qu’il cessent donc de délirer ceux qui, cherchant des images et des ombres dans la vérité, s’efforcent à renverser la vérité en croyant devoir soumettre aux lois de l’allégorie les fleuves, les arbres et le paradis.»
Saint Jean Chrysostome (homélie 13 sur la Genèse) :« Moïse a inséré dans l’Écriture le nom du lieu pour qu’il ne soit pas permis de dire des balivernes à ceux qui veulent en imposer aux oreilles des simples, en disant qu’il n’existe, sur la terre, aucun jardin qu’on nomme paradis, mais au ciel seulement, et en appelant ce genre de récit des fables».Satin Augustin (livre 13, chapitre 21 ce la cité de Dieu) conclut ainsi, après avoir réfuté longuement ceux qui spiritualisent à ce point le paradis qu’ils nient qu’il ait été corporel : « Même si on peut dire ces choses que personne ne nous interdit de dire, cependant, on croit à la vérité très fidèle de cette histoire que le récit de choses advenues recommande.»Et, dans le livre 8 de la Genèse, chapitre 1, il affirme qu’il approuve la sentence de ceux qui enseignent que le paradis a été à la fois corporel et spirituel.De ce nombre est saint Basile,qui, même si dans son livre sur le paradis, ne fait aucune allusion à Origène et à son erreur,explique le récit du paradis et selon la vérité de l’histoire, et selon une compréhension spirituelle.
Saint Ambroise a fait la même chose, comme je le démontrerai plus tard.Voir aussi Theodoret (questions 24 et 29 sur la Genèse),saint Jean Damascène (livre 2 sur la foi orthodoxe, chapitre 11),Bède le vénérable,Eucherius, et Rupert (chapitre 2, livre sur la Genèse).Ajouter aussi les docteurs scolastiques(2 sentence dist 17).Tous, d’un commun accord, enseignent un paradis corporel.Ajouter, enfin, queles arguments de François Georges sont d’une si grande légèreté qu’on a raison de s’étonner qu’un homme aussi instruit ai pu, à cause de raisons si débiles, se séparer du consentement unanime de toute l’Église.
CHAPITRE 11
On résout les objections
Voici quelle est la première objection. On ne lit jamais dans l’Écriture que le paradis a été planté sur la terre.Je réponds qu’on le déduit facilement du mot planter, car, ce n’est que sur la terre qu’on peut planter des arbres. C’est ce qu’enseignent clairement les arbres, les fleuves et les autres choses que l’on trouve dans la description du paradis.Autrement, on pourrait également faire cette sorte d’objection : on ne lit jamais que l’homme ait eu des viscères. Il n’en avait donc pas.
La deuxième objection.Si le paradis avait été terrestre et corporel, il aurait du avoir été créé le troisième jour, car, c’est alors que, sous le commandement de Dieu, la terre a produitl’herbe et tous les arbres.Or, c’est après le sixième jour qu’on nous décrit la production de l’herbe et des arbres dans le paradis.Je réponds que, dans son livre sur le paradis, saint Basile estime que, par une providence spéciale de Dieu, les arbres du paradis n’ont pas été créés le troisième jour avec les autres plantes, mais à part, en un autre temps.
Nous pouvons dire aussi que les arbres du paradis et le paradis lui-même ont été créés le troisième jour, et, que, parce que c’était quelque chose de la plus grande importance, sa production a été décrite plus amplement après la narration des six jours.Car, la production d’Adam du limon de la terre, et d’Ève de la côte d’Adam, est décrite après le récite des œuvres des six jours, alors qu’il appert qu’ils ont été créés le sixième jour.C’est peut-être pour cela quele traducteur latina écrit «avait planté» le paradis,au lieu de «a planté » le paradis.Pour signifier que ce n’était pas alors qu’avait été créé le paradis, mais beaucoup avant, c’est-à-dire le troisième jour.
La troisième objection. Le paradis aurait été créé pour rien,et n’aurait servià personne dans le futur, car Dieu n’ignorait pas que l’homme pécherait, et serait chassé de ce lieu.Je réponds que Theodoret (question 21 sur la Genèse), a mis en note que le paradis n’avait pas été créé pour rien, d’abord parce que , pour fuir le péché, ne serait pas peu utile à l’homme le souvenir d’une si joyeuse habitation, dont il savait avoir été chassé par la désobéissance.Ensuite, parce que Dieu ne punit par les hommes avant qu’ils pèchent, et qu’il ne cesse pas de leur faire du bien seulement parce qu’il prévoit qu’ils pècheront.D’autres estiment que ce paradis sert à quelqu’un, et que c’est là qu’habitent Énoch et Élie.On peut ajouter que ce paradis est utile pour nous, parce que, dans ceparadis si merveilleux, on voit en image le paradis spirituel et céleste, qui le surpasse en excellence et en beauté.Enfin, si cen’est pas en vain qu’a étédonné à l’homme de pouvoir ne pas mourir etne pas pécher, et d’être d’une grandeur unique à cause de la justice originelle, même si Dieu savait qu’il pècherait et qu’il mourrait, et perdrait en peu de temps des dons si sublimes, ce n’est pas non plus en vain qu’a été créé le paradis terrestre, même si Adam n’a pas pu s’en servir que fort peu de temps.
La quatrième objection.Dans ses questions hébraïques,saint Jérômeécrit, en commentant ce verset(le Seigneur a planté un paradis de délices dès le début) , que «le paradis a été créé avant le ciel et la terre.Il ne se peut donc pas qu’il soit terrestre et corporel.»Saint Jérôme a cru que le paradis terrestre avait été créé avant le ciel et la terre.Donc, selon lui, le paradis terrestre n’est ni terrestre ni corporel, mais spirituel et divin.Je réponds que ou saint Jérôme parlait de l’opinion d’autres commentateurs, comme ill’a faitsi souvent dans son commentaire de l’épitre aux Éphésiens, et d’autres textes;ou il a voulu dire que le paradis terrestre avait été créé avant que la fabrication de la terre ait atteinte sa perfection.Ce qui est tout à fait vrai.Car, même si la formation de la terre avait commencé le troisième jour où l’on croit que le paradis a été créé, elle n’était pas encore parvenue à son terme.Car, le quatrième jour, le ciel a été orné d’étoiles, et le sixième , la terre a été ornée d’animaux,Et il est certain qu’on ne peut pas avoir de doutes sur le sens des paroles de saint Jérôme, commenous l’avons montré un peu avant par ses paroles.
À ces quatre objections de François Georges, on peut en ajouter deux autres.Il y a donc une cinquième objection que soulevaient les anciens valentiniens et les origénistes.Dans sa deuxième épitre aux Corinthiens, (chapitre 12), saint Paul écrit qu’il a été ravi au troisième ciel, et tout de suite après, il dit comme dans une répétition, qu’il a été ravi au paradis.Je réponds que Méthode (dans Épiphane) et saint Épiphane lui-même (dans les lieux cités) enseignent que saint Paul a été ravi deux fois, une fois au troisième ciel, et une autre au paradis. On ne doit donc pas déduire de ce passage que le paradis se trouve dans le troisième ciel.
On pourrait répondre plus simplementrépondre que le paradis où a été ravi saint Paul et celui dont Adam a été éjecté ne sont pas les mêmes, comme l’enseigne correctement saint Ambroise (dans son commentaire du chapitre 6 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens).Car, le mot paradis signifie lieu de délices, ou jardin, et ce mot est employé au sens de paradis corporel non seulement dans la Genèse (2 et 3), mais aussi dans l’Ecclésiastique (2).Nous y lisons en effet ceci ; «Je me suis fait des jardins et des vergers».Or, on en hébreu, on a jardins et paradis.Et, dans le cantique des cantiques4 : «Les productions de ton paradis de grenades et de pommes.»On emploie aussi le mot au sens d’un paradis spirituel dontle paradis corporel fut la figure, comme Ézéchiel 28 : «Tu as été dans les délices du paradis.»Dans saint Luc 23 : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis. »Et dans l’Apocalypse 11 : «Au vainqueur, je donnerai de manger de l’arbre de vie, qui est dans le paradis de mon Dieu.»On ne peut douter que c’est dans ce sens qu’est pris le mot paradis dans 2 Cor 12.
La sixième objection est tirée de l’autorité de saint Ambroisequi explique tout le récit mystiquement et spirituellement , non seulement dans son livre sur le paradis, mais aussi dans son épitre 12 à Sabinus,qui était prêtre depuis longtemps.Il répondit à Sabinus qui lui avait demandé ce qu’il pensait du paradis, qu’il avait écrit un livre entier sur ce sujet;et après avoir indiqué les opinions des autres, il dit que tous s’entendent pour écrire que le paradis fut spirituel : « Tous sont d’accord pour dire que l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal, ainsi que les autres arbres pleins de vigueur et qui débordaient de vie, étaient spirituels.On en déduit que le paradis n’a pu être ni terrestre, ni dans un sol quelconque, mais dans ce qui principalement en nous est animé et vivifié par les vertus de l’âme,et par l’infusion du Saint Esprit.»
Je réponds que saint Ambroise ne nie pas qu’ait été corporel le paradis dans lequel Adam a habité, mais qu’une fois cela acquis, il mit tout son soin a expliquer les significations et les mystères du paradis dont nous parle l’Écriture.Ce que nous pouvons prouver de plusieurs façons.
La première.Dans son livre sur le paradis, (chapitre 1), il a ces mots : «Dieu plaça donc l’homme dans ce paradis (verger)qu’il avait planté.Comprends que ce n’est pas l’homme fait à l’image de Dieu qu’il a placé là, mais celui qui a un corps.Car un incorporel n’habite pas dans un lieu.»Ces paroles indiquent assezclairementque, selon la sentence d’Ambroise, le paradis a été corporel, puisque c’est là qu’Adam a été placé en tant qu’il est doté d’un corps, non d’un esprit.
La deuxième.Dans le même livre, au chapitre 3, saint Ambroise reconnait que, du paradis, sortait des fleuves : le Phison, le Géon, le Tigre et l’Euphrate.Et il expliqueque le Phison est le Gange, et le Géon le Nil,qui sont des fleuves véritables et célèbres. Et il ajoute que le Tigre et l’Euphratequi sortaient du paradis, sont les mêmes que ceux que l’on voit en Mésopotamie, et que cette région a reçu d’eux son nom.Si Ambroise croyait que desfleuves véritables et corporels sortaient du paradis, il a certainement cru aussi que le paradis était corporel et réel.
La troisième.Dans le même livre, au chapitre 7, il pose une question.D’où est venue la mort d’Adam ?De la nature du bois ou de Dieu ?Et il répond que la mort ne vient ni de la nature du bois ni de Dieu, mais de la désobéissance d’Adam,qui eut la présomption de goûter aufruit de l’arbre interdit.Dans cette question, et dans la réponse qu’il apporte à cette question, l’arbre est clairement, pour lui, quelque chose de corporel.
La quatrième.Dans l’épitre 12 ci-haut citée à Sabinus,il ajoute ceci, après avoir présenté plusieurs opinions sur le paradis : «L’historien Joseph dit que le lieu était rempli d’arbres et de jeunes pousses, qu’il était irrigué par un fleuve qui se divisaiten quatre fleuves, ec.»Il ne condamne pas ici Joseph, mais indique seulementque, en tant qu’historien,il ne s’est soucié que de la description de la seule histoire.Ce qui nous fait comprendre que saint Ambroise ne nie pas l’historicité du fait, mais qu’il l’omet comme une chose archi connue,et bien expliquée par d’autres.Autrement, il ne dirait pasqu’en tant qu’historien, Joseph décrit un paradis corporel, mais qu’il n’a su imaginer que des délices corporels.
La cinquième.Parce que, dans la même épitre, il enseigne que tous sont d’accord pour dire que dans le paradis, il y a eu des arbresvivants et raisonnables.Si on donne au mot paradis un sens mystique, ce sera vrai, mais si on lui donne son sens normal, ce ne sera plus vrai,et il n’a pas pu entrer dans l’esprit de saint Ambroise de croire que c’était vrai.Car, pour omettre les écrits de saint Épiphane contre les origénistes, qui nient le paradis corporel, que saint Ambroise n’a pas pu ne pas connaitre, il avait certainement lule livre de saint Basile sur le paradis.Car, c’est à partir des homélies de saint Basile sur l’œuvre des six jours , que saint Ambroise a composé son Exameron, en empruntant dans son livre sur le paradis beaucoup de choses tirées du livre de saint Basile sur le paradis.Or, saint Basiledécrit manifestement un paradis corporel, et donne en même temps, à ce paradis, une signification spirituelle.
Donc ce qu’il dit au sujet du paradis, qu’il ne peut être ni terrestre, ni être dans notre sol,ne vaut que pour ce qu’il avaitdit auparavant, du paradis où se trouvent des plantes animées et raisonnables.
CHAPITRE 12
Le lieu du paradis terrestre est fort éloigné de la connaissance humaine
On pose une autre question sur le paradis.Dans quelle partie de la terre se trouve le paradis ?Quelques-uns ont pensé que c’est toute la terre qui est le paradis dont parle l’Écriture.Joseph semble être de cet avis (dans le livre des antiquités, chapitre 2).Il dit que le fleuve qui irriguait le paradis est un cours d’eau qui parcourait toute la terre, voulant ainsi , semble-t-il, signifier un océan.Mais l’Écriture sacrée répugne à cette sentence.Car, si Dieu avait introduit dans le paradis l’homme forméde la glaise, en dehors du paradis, et l’avait ensuite renvoyé dans la région où il avait été façonné, (comme nous le lisons dans Genèse 2 et 3), comment peut-il se faire que le paradis soit partout sur la terre ?À moins qu’ait été en dehors de la terre la glaise avec laquelle Adam a été formée;et qu’après sa chute, Adam ait été expulsé en dehors de la terre, pour omettre la garde des anges assignée au paradis,pour interdire l’entrée au paradis aux hommes habitantle reste de la terre.Ces écrivains se mettent donc tous d’accord pour estimer que le paradisest le verger de l’ensemble de la planète, et comme le royaume du prince des animaux.
L’autre sentence se porte à l’autre extrême.Ils enseignent que le paradis est en dehors de la terre que nous habitons.Car, ils pensent que notre terre est complètement entourée par l’océan;que l’océan est entouré par une autre terre beaucoup plus grande,et que c’est elle qui est nommée et qui est le paradis.Saint Éphrem a attribué cette sentence à Bar-Cepha, dans le livre qu’il a écrit sur le paradis.Mais cette interprétation ne convient pas non plus aux lettres divines et à la tradition des pères.Si le Tigre et l’Euphrate et les autres fleuves qui viennent du paradis se trouvent sur notre terre, il n’est pas crédible que, au terme d’un gigantesque parcours,ils nous soient parvenus d’un autre continent, qu’on imagine être au-delà de l’océan.Plusieurs navigations semblent avoirsuffisamment démontré que l’océan n’est pas entouré d’une autre terre,et qu’il n’y a pas d’autre terre au-delà de l’océan.De plus, l’opinion commune , qui est conforme à la traduction des septante de Genèse 2,situe le paradis à l’Orient. D’où il suit qu’il est faux qu’un océan universelsoit ceint par lui.
La troisième sentence est de ceux qui pensent que le paradis est un lieu élevé qui s’étend jusqu’au globe de la lune.On a coutume d’attribuer cette sentence au vénérable Bède.Mais, on n’a jamais pu la détecter dans ses œuvres.On la trouve dans une glosede Bridefer Ramsès,dans le chapitre 41 de Bèdesur la supputation des temps.Pierre Lombard la rapporte sans la réfuter (dans son livre 2 sur les sentences, dist 17).Or, il est incroyable que le paradis soit placé là,parce que cette région est la plus insalubre de toutes, et qu’elle est tout à fait inhabitableà cause de la trop grande subtilité et de l’agitation perpétuelle de l’air, et aussi parce que le paradis serait aperçu dans quelques régions, par nous ou par nos antipodes.Surtout quand la même opinion place le paradis à l’Orient, comme il appert de la glose de Bridefertci-haut citée.Etc, etc…
Mais peut-être que l’auteur de cette sentence a voulu se servir d’une hyperbole, pour démontrer par l’altitude, l’excellence du paradis, comme le suppose saint Thomas(2 par question 102, art 1.)Comme nous comprenons les paroles de saint Basile qui écrit, dans son livre sur le paradis,qu’en raison de la hauteur de son site, le paradis n’admet aucunes ténèbres.Et de saint Jean Damascène qui (dans le livre 2 sur la foi, chapitre 2), écrit que le paradis est plus élevé que notre terre.Et de Rupert qui (dans le livre 1 sur la Genèse, chapitre 37),écrit que le paradis est un lieu proche du ciel.Et enfin, d’Alchimius Avitus qui (au livre 1 de ses poèmes sur le début du monde, capitre 9,) chante ainsi sur le site du paradis : « Là où, dépassées les Indes, commence la tête du monde,là où sont empêchés les confins de la terre de rejoindre le ciel,làperdure un lieu inaccessible à tous les mortels .»
La quatrième sentence est celle d’auteurs plus récents, d’Augustin Egubinus,de Jérôme d’Oléastre,de François Vatablus (dans ses notes sur le chapitre 2 de la Genèse), et de Corneille Jansenius(dans son chapitre 113 sur la concorde des évangiles).Ils estiment que le paradis a été en Mésopotamie, et que, au temps du déluge, sa beauté et son aménité ont péri,au point qu’il ne demeure aucun vestige d’un paradis, et qu’on n’a plus besoin de la garde d’un ange, vu que seulement les animaux et quelques humainsont accès à ce lieu.Cette sentence ne me plait pas pour plusieurs raisons.La première.C’est une nouvelle opinion, et qui répugne à l’enseignement de l’ensemble des docteurs, autant des scolastiques que des pères.Ensuite, du paradis, sortait un fleuve qui se divisait ensuite en quatre fleuves, dont les noms sont Euphrate, Tigre, Phison, et Géon.Or, de la Mésopotamie, aucun fleuve ne sort.Les fleuves Tigre et Euphrate coulent dans la Mésopotamie, mais n’en proviennent pas.C’est dans l’Arménie que se trouvent leurs sources.Selon cette interprétation, le mot paradis conviendrait plus à l’Arménie qu’àla Mésopotamie.Le Phison et le Geonn’ont pas leurs sources dans la Mésopotamie,et n’y sont présents en aucune manière.
Quelques-uns répondentque c’est dans la Mésopotamie que l’Euphrate et le Tigre se rejoignent,et que c’est de cette façon que sont formés quatre embranchements ou fleuves, les deux premiers étant le Tigre et l’Euphrate, et les deux derniersPhison et Geon,bien qu’ils ne soient pas appelés de ces noms à notre époque.Mais cette réponse ne semble pas satisfaisante.Car, l’écriture ne dit pasque des fleuves qui venaient d’ailleurs se sont rejoints dans le paradis, mais qu’ils provenaient du paradis, et qu’ils se sont divisés en quatre.Or, enla Mésopotamie nul fleuve ne nait,mais des fleuves déjà distincts provenant d’ailleursse rejoignent là. C’est plutôt un argument qui prouverait que le paradis n’était pas dans ce lieu, et qu’il n’y avait pas de paradis.
On dit ensuite que Phison et Geon circulent parmi des régions variées, et que les deux qui naissent de la fusion des deux fleuves, après un court trajet, se jettent dans le golfe persique.Si , toutefois, est vrai ce qu’ils disent. Car, quand je regarde les cartes géographiques,je ne vois pas les fleuves Tigre et Euphrate s’unir après leur rencontre,mais aller se jeter ensemble dans le golfe persique.On ne peut donc pas appeler des deux fleuves Phison et Geon.
Plusieurs auteurs graves soutiennent que le Phison et le Géon étaient le Nil et le Gange.C’est ce qu’enseigne Joseph (Antiquités 1, chapitre 2) et Épiphane (dans sa lettre à Jean de Jérusalem), saint Ambroise (dans son livre sur le paradis, chapitre 3), saint Jérôme(dans ses lieux hébraïques), saint Augustin (livre 8, chapitre 7 sur la Genèse),Alchimius Avitus et Claude Marius Victor (dans les lieux cités),Eucherius (dans la Genèse, chapitre 7).Et ce qui est bien plus important, Jérémie 2, où la vulgate traduit : « Que cherches-tu dans la voie de l’Égypte,pour y boire une eau trouble ?»Or, dans la version des septante, nous lisons : «pour que tu boives l’eau de Géon ?» Et, dans son commentaire de ce passage, saint Jérôme atteste que le mot Géon a toujours figuré dans l’édition principale.La vulgate ne s’oppose doncpas aux septante en disant eaux du Nil,au lieu de Géon.
Ajoutons aussi que l’Écriture divine(Ecclés 24)semble enseignerque Phison est le Gange, et Géon le Nil : « Celui qui est plein de sagesse comme le Phison, et comme le Tigre aux joursdes nouveautés.Celui qui est plein de sens comme l’Euphrate, qui se multiplie comme la crue du Jourdain au temps de la moisson; qui envoie la discipline comme la lumière, et assiste comme Géon au jour de la vendange, ou de la récolte.»Dans ce passage, Raban Janseniuset d’autres interprètes voient le Gange dans le Phison, et le Nil dans le Géon.Car, le Gange est un fleuve très long,et c’est ce que signifie le mot Phison, parce qu’il semble est plus plein que les autres fleuves.Et, c’est à cette étymologie que fait allusion l’Ecclésiastique, quandil dit : «Qui est plein de sagesse comme Phison.»
Le Nil commence à s’accroitre après le solstice d’été,et il a coutume d’atteindre son plein au temps de la vendange.Et c’est pour cela que l’Ecclésiastique dit : et comme Géon au jour de la vendange.De plus, comme l’a correctement noté Jansenius, voulant comparer la sagesse de Dieu aux cinq fleuves célèbres, l’Ecclésiastique décrit ces fleuves dans l’ordre qu’ils ont entre eux.Le premier à partir de l’Orient , est le Gange, le second le Tigre, le troisième l’Euphrate, ele quatrième le Jourdain, et le cinquième, le Nil.L’ordre de la narration nous force donc d’entendre par Phison le Gange, par Géon le Nil, puisque Phison est nommé en premier lieu et Géon en second lieu.Et la seule raisonpour laquelle le Jourdain est nommé avant Géonest qu’il est le premier en raison du site.Si Phison et Géon sont vraiment le Gange et le Nil comme un si grand nombre de graves auteurs l’affirment constamment, ils ne peuvent pas tirer leur nom de la séparation du Tigre et de l’Euphrate, et on ne peut pas placer le paradis dans la Mésopotamie, puisque ces deux fleuvesn’ont absolument rien à voir avec la Mésopotamie.
Ce qui nous permet de réfuter ce que quelques-uns soutiennent,à savoir que ces deux fleuves étaient près de la Mésopotamie, mais que leurs noms ont été modifiés.Ce qui répugne à l’Écriturequi, comme nous l’avons dit, indique (dans Eccl 24) que Phison et Geon étaient de très grands fleuves, qui ne peuvent pas facilement tarir,et qu’on ne les voit pas près du Tigre et de l’Euphrate.Car, même si quelqu’un soutenait avec obstinationque, dans l’Ecclésiastique, Phison et Géon ne sont pas le Gange et le Nil, ils ne pourraient quand même pas nier que c’étaient des fleuves grès grands et très célèbres, non des embranchements d’autres fleuves. À moins qu’ils veuillent que l’Ecclésiastique ait comparé pour rien les flots immenses de la divine sagesse à de petites rivières; et que ces petites rivières se joignaient aux grands fleuves Tibre et Euphrate.
Ajoutons à cela que saint Basile (dans son livre sur le paradis), saint Jean Damascène, (livre 2 de la foi, chapitre 110), saint Augustin (livre 14, chapitre 10 de la cité de Dieu),Alchimius Avitus,et Claude Marie Victor, et saint Isidore de Séville, etc décrivent un paradis au printemps perpétuel, sans gel,sans brume, sans pluie, sans neige, sans grêle, sans nuages.Car, c’est ceque signifie l’écriture quand elle nous raconteque les premiers humains étaient nus dans le paradis.Or, même si la Mésopotamieest un pays agréable à habiter,elle a quand même des chaleurs accablantes, de la pluie, de la grêle, du froid.On ne peut pas , non plus, répondre que c’est le déluge qui a modifié la félicité de ce lieu, car le déluge n’a pas changé le site de lieux, et les conditions atmosphériques.Les arbres, les fruits et les fleurs auraient péri, et le climat aurait péri ?Je m’étonne d’autant plus que Luther(dans son commentaire 2 sur la chapitre de la Genèse) écrive que, dans le paradis, il n’y avait pas d’hiver, mais un printemps perpétuel, tout en soutenant que leparadis étaitla Syrie, la Mésopotamie, l’Égypte et Damase,où il n’y a pas de printemps perpétuel.
Il reste encore à dire que, selon l’enseignement de trèsgraves auteurs, Énoch et Élie ont été transportés dans le paradis, d’où a été chassé Adam,et qu’ils mènent là une vie heureuse.Voir saint Irénée, (livre 5, chapitre 5, contre les hérésies),qui, d’après la tradition des prêtres qui avaient entendu parler les apôtres, écrit que Énoch et Élie ont été transférés dans le paradisoùétait Adam.Voir aussi, saint Athanase (dans son livre ou épitre sur le synode de Nicée), saint Jérôme (dans son épitre à Pammachus sur les erreurs de Jean de Jérusalem), et saint Augustin (dans son livre 1 sur les mérites des péchés, et la rémission, chapitre 3,et dans son livre sur le péché originel, chapitre 23.)
Et on confirme cette sentence par un texte de l’Ecclésiastique XL1V : « Énoch plut à Dieu,et il l’a transporté dans le paradis,pour qu’il donne aux Gentils la pénitence.»Ce mot paradis n’est pas dans le texte grec, mais il l’est dans tous les codex de la traduction latine de la vulgate, que nous ne pouvons pas rejeter si nous voulons obéir , comme nous le devons, au concile de Trente, session 3.Et bien que le mot paradis puisse signifier n’importe lequel jardin ou verger, il ne peut signifier, quand , dans l’Écriture, il est placé sans qualificatifs,que le paradis où Adam a demeuré, ou celui dont il a été la figure, le ciel.Or, ilest certain qu’Énoch n’est pas monté au paradis céleste, d’où personne ne descend pour prêcher la pénitence aux Gentils.
CHAPITRE 13
On réfute des objections.
L’Écriture atteste que la paradis (verger) a été planté dans l’Eden, vers l’orient, Genèse 2.L’Éden est à côté de Chara, en Mésopotamie, come on le déduit de ce texte d’Ezéchiel 27 : «Charan, Chene et Eden, tes négociateurs», et de ce texte des Rois 4, XV111 : « Les dieux ont-ils libéré chacun des paysque mes pères ont dévastés, à savoir Goram, Charan et Reseph, et les fils d’Edon qui étaient à Thalassar ?»Et, ensuite, dans la Genèse 4 : « Caïn est sortiloinde la face du Seigneur,et il habita comme un transfuge, à l’orient, dans la contrée d’Eden,»Secondement.C’est en Mésopotamie qu’on trouve les fleuves qu’on dit être dans le paradis, etque c’est une région paradisiaque.
Nous répondons que, dans l’Écriture, le mot Éden est tantôt le nom d’un lieu, etque tantôt il signifiedélices ou voluptés, comme le savent les experts en langue hébraïque.Et, dans les lieux cités, Éden est clairement le nom d’un lieu, mais non du lieu d’où fut éjecté Adam .Et ne semble pas être un petit argument que c’est là qu’on nous dit qu’ait habité Caïn.À moins que quelqu’un ne délire au point de penser qu’un paradis ait été donné à Caïn comme exil.De plus, de l’éden où se trouvait le paradis, sortait un fleuve qui se divisait bientôt en quatre têtes.Or, de l’Eden quiest proche de la Mésopotamie, aucun fleuve ne sort.Dans le second chapitre de la Genèse, il n’y a pas de nom de lieu;mais que le mot signifie volupté, l’autorité de la vulgate nous le persuade suffisamment, et aussi celle de saint Jérôme qui non seulement traduit ainsi, mais qui, dans ses questions hébraïques, affirmeque c’est ainsi que l’a rendu Symmachus, ainsi que les septante.En ce qui a trait aux fleuves età l’aménité du lieu, nous avons déjà signalé que de la Mésopotamie, aucun fleuve du paradis ne sort, et qu’il n’y a pas ce climat paradisiaque qu’on rapporte avoir été dans le paradis.
On pourrait faire un autre argument contre nous au sujet des sources de l’Euphrate et du Tigre,qui sont bien connues.Mais saint Augustin répondà cette objection (au livre 8, chapitre 7 de la Genèse) ainsi queThéodoret (dans la question 29 sur la Genèse),et Rupert (dans son livre 2 sur la Genèse,chapitre 24.).Nous ne rapporterons cependant que des paroles de saint Augustin : «Ce lieu du paradis est si éloigné que nul homme ne le connait, ce lieu d’où l’on croit que se forment, par la séparation, quatre cours d’eau.Mais, ces fleuves, dont les sources nous sont connues, coulent sous terre en certains endroits, et font plus loin irruption dans d’autres endroits, comme s’ils trouvaient là leurs sources.Que quelques cours d’eau aient coutume d’agir ainsi, qui l’ignore ?»
CHAPITRE 14
Le paradis subsiste encore
Les théologiens se posent une autre question : les eaux du déluge ont-elles détruit le paradis ?Certains auteurs parmi les plus récents, que nous avons cités plus haut, au chapitre précédent,Eugubinus, Jansenius,estiment que le paradis d’Adam n’existe, maintenant,nulle par, sur la terre.Ce qu’ils prouvent avec le chapitre 7 de la Genèse, où on lit que les eaux du délugerecouvraient tous les monts les plus élevés sous tous les cieux,et aussi en disant que le paradis était situé en Mésopotamie, qui est une région archi connue, et dans laquelle ne se trouve aucun paradis.
Or, je n’ai jamais lu aucun des anciens auteurs qui aitécrit que le paradis terrestre d’Adam avaitété détruit par les eaux du déluge, ou par une autre cause.J’en ai lu au contraire, plusieurs qui affirment qu’il existe encore aujourd’hui, comme, par exemple, à peu près tous les scolastiques, (dans 2 sentence 17),saint Thomas ( 1 p. quest 102,art 1),et de plus, des anciens pères commesaint Irénée, saint Jérôme, saint Augustin, Theodoret, Bède, Archimus Avitus, et ceux que j’ai cités au chapitre précédent.Je n’oserais pas témérairementprendre mes distances d’avec une opinion si universelle et si célèbre. Surtout que saint Augustin semble relier celaà la foi catholique , quand il parle ainsi dans son livre 2, sur le péché originel, chapitre 23 : «Les questions que l’on estime être en marge de la foi sont perçues bien différemment de celles dans lesquelles, demeurant sauve la foi qui nous fait chrétiens, ou on ignore ce qui est vrai, ou on suspend une réponse définitive, ou on se prononce autrement que ne le conjecture une suspicion humaine et infirme, comme quand, par exemple, on se demande ce que fut le paradis, et où est ce paradis où Dieu a créé l’homme qu’il a façonné avec de la poussière, bien que la foi chrétiennene doute pas qu’ait vraiment existé ce paradis.»
On ne semble pas répondre tout à fait à point si on dit que saint Augustin ne voulait pas affirmer que le paradis existe maintenant,mais que ce que la Bible raconte n’est ni une fiction ni une parabole.Car, tout d’abord, ces questions qu’on peut discuter en gardant la foi sauve,comme qu’est le paradis, et où se trouve-t-il,présupposent que maintenant, le paradis est dans la nature.Car, autrement, il faudrait d’abord se demander si le paradis existe avant de se demander en quoi il consiste, et où il est.Ensuite, on peut connaitre cela à partir d’une autre question que pose tout de suite après saint Augustin : « Quand on se demande où se trouvent maintenant Énoch et Élie, ici, ou là, nous ne doutons pas qu’ils vivent dans les corps avec lesquels ils sont nés.»C’est comme s’il disait, dans ce passage : la foi chrétienne ne doute pas que le paradis existe;et, nous ne doutons pas qu’Énoch et Élie vivent maintenant dans le corps avec lequel ils sont nés.Et il est certain que non seulement Énoch et Élie ne sont pas des personnages de fables,mais qu’ils existent et vivent encore aujourd’hui.On sait donc, de la même façon que, pour saint Augustin, le paradis terrestre n’est pas seulement une chose non fictive, mais qu’il existe encore réellement maintenant.
Ensuite, le même saint Augustin( livre 2 sur la Genèse, chapitre 24),dit qu’on ne peut pas douter que des fleuves prennent leur origine du paradis, parce que l’Écriture le dit, bien que leurs sources soient ailleurs, en Arménie.Il veut manifestement dire, par là, qu’il ne faut pas douter que le paradis existe maintenant.
Se présente aussi une raison probable qui explique pourquoi le paradis devait se conserver :pour qu’Énoch et Élie, dont on est certain qu’ils vivent dans leurs corps,aient un lieu convenable pour demeurer jusqu’à ce que, combattant contre l’antichrist,ils passent de la vie à la mort.Car, que ces deux là vivent,et qu’ils viendront à la fin du monde, pour s’opposer à l’antichrist,nous l’avons prouvé par l’Écriture,par le consentement universel des pères grecs et latins,au livre 3 du souverain pontife, chapitre 6, où nous renvoyons nos lecteurs.
L’argument sur les eaux du déluge ne nous contraint pasà faire bande à part.Car, il est croyable que l’eau du déluge ne soit pas montée dans le paradis, comme l’enseignent les théologiens scolastiques.Et au sujet de ce passage de l’Écritureoù l’on dit que l’eau a recouvert les plus hautes montagnes de partout sur la terre,je réponds qu’il faut entendre cela de toutes les montagneshabitées par des pécheurs,qui avaient été données comme habitationsaux hommes après la chute d’Adam.Semblable est ce lieu (dans le même chapitre 7 de la Genèse) : « Tous les hommes sont morts, survécutseul Noé, etceux qui se trouvaient avec lui dans l’arche.»Car, il y a d’abord une proposition universelle :tous les hommes sont morts, laquelle n’est pas différence de cette autre : toutes les montagnes ont été recouvertes d’eau.Or, il est certainque la première phrase ne s’entendait pas de tous les être humains, car Enoch ne mourut pas, mêmes’il n’était pas dans l’arche.Donc, de la même manière, cette proposition : toutes les montagnes étaient recouvertes d’eau, doit s’entendre de toutes les montages où il y avait des hommes destinés à mourir, et non des montagnes ou de la région du paradis.
Mais, du diras :si les eaux du déluge n’atteignirent pas le paradis , c’est en vain que Noé a construit cette arche avec un si dur labeur, car il pouvait être conservé dans le paradis avec les autres êtres humains.Ensuite,quand les eaux du déluge montèrent plus haut que les plus hautes montagnes de la terre entière, il ne fut certes pas possible que, sans un miracle divin,elles n’atteignissent pas le paradis.Il ne faut pas inventer des miracles à plaisir.La proposition de l’Écriture ne doit pas être restreinte, à moins que l’Écriture n’indique expressément une exception, ou nous expose une raison nécessaire.Or, on ne trouve pas dans l’Écriture que , dans le déluge universel, le paradis ait bénéficié d’une exception , et on ne trouve aucune raison contraignante.
Je réponds d’abordque le paradis terrestre n’est pas un lieu d’hommes pécheurs sujets aux calamités humaines,mais seulement de ceux qui sont exposés aux misères qui sont communes à tout le genre humain, et dont n’étaient pas sujets autrefois Adam et Ève, de même qu’Énoch et Élie.Comme la région du paradis ne convenait pas à Noé, son épouse et ses enfants, Dieu a donc du trouver une autre façon de les sauver.À la seconde objection, je répondsqu’un miracle n’est pas imaginé par nous frivolement,mais qu’il est affirmé nécessairement à cause du témoignage de la sainte Écriture.Car, l’Écriture atteste qu’Énoch ne périt pas au temps du déluge,sans toutefois avoir été dans l’arche.Voilà pourquoi nous sommes obligés de supposer un miraclequi l’a sauvédu déluge.Il était plus convenable que, par un miracle, l’eau ne se rendit pas là où se trouvait Enoch, plutôt qu’il ait été suspendu dans les airs au-dessus des eaux, ou qu’il ait passé une année entière au milieu des eaux.
Au troisième argument, je réponds que l’exception du paradis a été voulue pour une excellente raison, d’abord, pour conserver Énoch, ensuite parce que le déluge avait étéenvoyé sur la terre à cause des péchés des humains.Les eaux devaient donc détruire seulement ce qui était à l’usage de tels hommes.Mais, même si nous supposons que les eaux du déluge ont entré dans le paradis,et qu’au milieu de ces eaux, Énoch ait été conservé par une providence toute spéciale de Dieu, tu ne pourras pas en conclure que le paradis a été totalement détruit.Le déluge n’a pas changéla géographie,ni les conditions atmosphériques.Il n’a pas, non plus, déraciné tous les arbres, et n’a pas fait de la terre un désert.Car, autrement, où la colombe aurait-elle trouvée la branche d’olivier qu’elle a apportée à Noé tout de suite après le déluge ? Le déluge a probablement causé certains dommages au paradis, mais non au point où il aurait cessé d’être.
CHAPITRE 15
Dans l’état d’innocence, ce n’est pas seulement l’homme qui, dans le paradis, était doué de raison, mais aussi les animaux.
On a coutume de demander aux théologiens : si l’homme n’avait pas péché, les animaux aurait-ils été doués de raison, comme l’homme ?Saint Jean Damascène nie cela (dans son livre 1, chapitre 11, sur la foi),ainsi que saint Thomas ( 1 p. question 102, art 2) et d’autres scolastiques ( 2 sentences, dist 17).Mais, plus grande nous semble être l’autorité de saint Basile (dans son livre sur le paradis), et de saint Augustin ( livre 14, chapitre 11 de la cité de Dieu) qui sont d’un avis contraire.Voici les paroles de saint Augustin : « Dans le paradis corporel, tous les animaux terrestres étaient inoffensifs et soumis à Adam et à Ève.Ce ne serait certes par un petit ornement qui aurait fait défaut au paradis terrestre, si on n’avait pu apercevoir aucun poisson dans les cours d’eaux,aucun oiseau dans les arbres,aucune vache dans les champs.Et, pour le dire en un mot, ce n’est pas pour rien qu’il a été dit aux premiers humains d’exercer leur empire sur les oiseaux, les poissons et les animaux.Car, on n’avait pas à craindre que les oiseaux ou les animaux ne mangeassent du fruit de l’arbre de vie, et ne devinsent immortels.Car, ils n’auraient pas pris d’aliments qui ne convenaient pas à leur nature, et s’ils avaient pu se nourrir des fruits de l’arbre de vie, ils ne seraient pas devenus immortels pour autant.Car, ce n’était pas de par sa propre nature que l’arbre aurait apporté l’immortalité aux hommes, mais par l’octroi d’une salubrité occulte.À peu près de la même façon que les sacrements chrétiens corporels et sensibles produisent une grâce spirituelle et invisible.
Car, voici ce qu’enseigne saint Augustin(livre9, chapitre 4 de la Genèse) : « Dans les autres arbres, il y avait un aliment, mais dans celui-là, un sacrement (mystère).»Et ( au chapitre 5) : «Un tel arbre aurait fourni un aliment corporel qui aurait donné à l’homme une santé stable, non par sa propre vertu, mais par l’infusion d’une salubrité occulte.Car, sans que le pain ordinaire ait quelque chose de plus, Dieu a pu, avec un petit pain,soustraireun homme à la disette de nourriture pendant quarante jours.Voir, à ce sujet, Theodoret, (question 26 sur la Genèse),Eucherius (libre 1, chapitre 13 sur la Genèse), et saint Augustin ( livre 13, chapitre 20 de la cité de Dieu.)Si les animauxgoûtaient à la sainte eucharistie, ils n’en recevraient aucun fruit spirituel.De la même façon, s’il savaient gouté à l’arbre de vie, ils n’auraient, en aucune façon, pu devenir immortels.
LA SUITE EST LE PÉCHÉ ORIGINEL