JesusMarie.comSaint Robert Bellarmin
Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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TROISIÈME CONTROVERSE GÉNÉRALE
LE SOUVERAIN PONTIFE
(pdf latin, tome 1, p.451-535)

PRÉFACE

 Avant d’accéder à la dispute relative au souverain pontife, je pense qu’il serait bon de faire quelques réflexions préliminaires. D’abord sur la valeur et l’utilité de la présente dispute. Ensuite sur ceux qui, depuis le tout début de l’Église jusqu’à notre époque, s’évertuèrent à combattre la primauté romaine par des livres, ou à prendre sa défense.  Enfin, sur le plan que nous adopterons pour traiter  et expliquer un sujet qui exigera de nous  un long développement.

 Deux choses nous font comprendre l’importance et l’utilité de ce thème : sa suprématie qu’on ose mettre en doute, le nombre et l’acharnement des adversaires. Car, de quoi est-il question quand on parle du souverain pontife ?  Pour le dire en deux mots, c’est de la totalité de la chrétienté.  Car, ce que nous demandons vraiment, c’est : l’église doit-elle demeurer plus longtemps, ou être dissoute et sombrer ?  Car, que demandons-nous d’autre que : faut-il enlever à l’édifice son fondement, au troupeau son pasteur, à l’armée son maréchal, aux planètes le soleil, au corps la tête ?  Ou : faut-il abattre l’édifice, disperser le troupeau, dissoudre l’armée, obscurcir les astres, jeter le corps par terre?

Les adversaires, c’est-à-dire, les hérétiques,  qui, dans presque tous les autres dogmes, diffèrent entre eux autant qu’ils diffèrent de nous, tombent tous d’accord pour assiéger la chaire  du pontife romain de toutes leurs forces, et avec une grande hargne. Car, jamais il n’y eut d’ennemis du Christ et de l’Église, qui n’aient été en même temps aussi ennemis de ce siège.

Il me semble à moi  que le prophète Isaïe ait prophétisé ces deux choses depuis longtemps, à savoir sa sublimité et son utilité, quand il a dit : « Voici que je poserai pour fondement de Sion une pierre, une pierre éprouvée, une pierre d’angle, précieuse, qui servira de fondement dans le fondement ». Il a prévu l’agression et l’assaut des hérétiques sur cette pierre, quand il dit qu’elle est « une pierre d’achoppement et de scandale. » Même si ces dernières paroles n’ont pas été écrites par Isaïe dans le même chapitre, (les premières venant du chapitre 8, les autres du chapitre 28) saint Paul et l’apôtre Pierre (Romains 9, chap 2 de la première épitre de Pierre) les ont réunies dans la même phrase, pour que personne ne puisse douter qu’elles se rapportent vraiment  à la même pierre.  Nous ne sommes pas sans ignorer que ces paroles s’appliquent d’abord au Christ; mais ce n’est pas une ineptie de penser qu’elles visent aussi le vicaire du Christ.

Quels sont les fondements de Sion ? C’est ce qu’explique saint Jean dans son Apocalypse. En décrivant toutes les parties de cette sainte cité, ainsi que ses ornements, il dit, entre autres : « Et le mur de la cité ayant douze fondements, et sur ces douze, les douze noms de l’apôtre de l’Agneau. »  Les fondations de Sion sont donc les apôtres.  Parmi eux, est comptée et excelle  une pierre singulière : « Voici que je poserai une pierre pour fondement à Sion ».  Quelle est cette pierre ?  Personne ne l’ignore parmi les lecteurs de l’évangile.  Car, comme l’un des douze s’appelait Simon, le Seigneur changea son nom en l’appelant Pierre. En effet, dans la langue des Syriens que le Seigneur Jésus utilisait,  « cephas » ne signifie rien d’autre que pierre.  Le Seigneur lui dit donc : « Tu es pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon église ».  La voilà la pierre qui est le fondement de Sion.  Quelle pierre ?  Une pierre d’angle, éprouvée, précieuse, qui est le fondement dans le fondement.

Une pierre éprouvée, car cette pierre a été soumise à toutes sortes d’épreuves; à tous les siècles, toutes les portes de l’enfer se sont ruées  inlassablement  sur elle.    Ne parlons pas des persécutions perpétrées par les Juifs et les païens,  que ce siège subit en commun avec tout le reste de l’Église.  Il ne fait aucun doute que dès le début, de nombreux hérétiques, non pas une fois ou deux fois seulement, mais très souvent, aient engagé le combat avec des forces toujours fraîches.  Ensuite, la jalousie et l’orgueil des Grecs n’ont pas cessé de persécuter ce siège avant que, opprimés par le sultan des  turcs, ils n’aient perdu leur religion et leur indépendance.  Ensuite, des empereurs chrétiens très puissants ont, sous le masque de la religion et de la piété,  fait tous leurs efforts pour abaisser et détruire ce siège, d’où leur étaient parvenus les sceptres de l’empire romain.

 Vous n’ignorez certainement pas quelles tragédies ont imposées à l’Église, à diverses époques, par  les empereurs Henri IV, Henri V, Otto IV, Frédéric II, et d’autres. Et comme si ces choses avaient été de peu d’importance, Satan a ajouté quelque chose de pire : il a incité le peuple romain à se révolter contre le pape.   Nous avons encore la lettre passionnée que saint Bernard écrivit au sénat et au peuple romain.  Par cette lettre, il tentait de mettre un terme à la sédition que Satan avait fomentée contre le pape Eugène.   Ces mutineries, ces  révoltes meurtrières  et pernicieuses ayant pour but la perte du pontife romain, ne durèrent pas quelques jours, ni quelques mois, ni même quelques années, mais même des siècles.

 Éclatèrent aussi des schismes très sérieux, et plusieurs opposant même des papes à des papes, auxquels on n’aurait pas pu  résister, et qui auraient fini par entacher et détruire le siège de Pierre, si cette pierre n’avait pas été très solide et très éprouvée, et si Sion n’avait pas été construite sur ce fondement-là, par Celui qui a dit : « Et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle ».  Et pour que  nous ne  pensions pas que la raison pour laquelle l’Église est restée debout c’est  la vie sans tache et la pureté des mœurs des souverains pontifes, Dieu a permis, comme dernière épreuve, que certains pontifes peu vertueux occupent un certain temps ce siège, et gouvernent l’Église. Tels furent Étienne V1, Léon V, Christophore 1, Sergius 111, Jean X11, et d’autres assez nombreux, si on doit prêter foi à ce que les historiens de leur temps rapportent à leur sujet.

 En effet, il n’y a rien qui réjouisse davantage les hérétiques que la description détaillée des vices de certains pontifes. Nous avouons et nous reconnaissons qu’il y en a eu, et de nombreux.  Mais loin d’obscurcir ou de diminuer la gloire de ce siège, ils ne font que  la rendre plus grande et plus éclatante, car, ils nous font comprendre  que ce n’est pas par un calcul humain, pas  par la prudence, et pas  non plus  par des forces purement  humaines, même vertueuses,  que le pontificat romain a pu durer si longtemps.  C’est parce que cette pierre a été solidifiée, galvanisée  par le Seigneur, fondée par Dieu,  confiée à la garde des anges; parce qu’elle bénéficie d’une providence et d’une protection toute spéciale de Dieu, que, contre elle, les portes de l’enfer ne peuvent absolument pas prévaloir.  Que ces portes soient la persécution des tyrans, la rage des hérétiques, la fureur des schismatiques, les crimes et les châtiments.   Dieu a donc bel et bien posé une pierre éprouvée comme fondement à Sion.

Non seulement une pierre  éprouvée, mais une pierre d’angle, qui unit les deux murs.  Il me semble que c’est ce qui nous permet de marquer la différence qui existe entre le pontife des chrétiens et celui des Juifs d’autrefois.   Car cette pierre-là était un fondement, mais non une pierre d’angle; elle ne soutenait donc pas les deux murs, mais un seul.  Or, notre pierre est une pierre d’angle, car les Juifs et les Gentils, comme deux murs, sont unis par elle, ne faisant qu’une seule église chrétienne.  Oui, c’est vraiment  par cette pierre d’angle qu’ils sont contenus.

Isaïe a ajouté l’épithète « précieuse ». Par ce seul mot, un trésor infini de biens est représenté, qui se déversent avec abondance de ce siège sur toute l’Église. Par qui ont été envoyés les prédicateurs de l’évangile, en Allemagne, en Gaule, en Angleterre, et dans les régions les plus éloignées, si ce n’est par ce siège ? Où trouvèrent un secours et un refuge les évêques chassés de leurs sièges, les proscrits  de tous les coins du monde, comme saint Athanase, Pierre d’Alexandrie, Paul et saint Jean Chrysostome, si ce n’est dans ce siège ?  Où trouvons-nous l’explication des dogmes, les rites sacramentaux, la communication des indulgences, si ce n’est dans ce siège ?

 Je vais laisser  tomber ce qui serait trop long à rapporter, comme le consentement unanime dans la doctrine, le lien de la paix, l’unité de la foi,  qui est elle-même le salut et la vie de la religion.  Par qui tout cela, si ce n’est par ce siège ?  Après avoir obtenu un si grand nombre de pays,  l’Angleterre, l’Écosse, le Danemark, la Norvège, la Suisse, l’Allemagne, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, pourquoi les hérétiques de notre temps n’ont-ils pas pu contraindre tous ces pays à convoquer un concile général. qui définirait au moins un article sur lequel tous  s’entendraient ?  Pourquoi les Grecs, après les années 800 où ils ont fait défection d’avec Rome, c’est-à-dire pendant encore 800 autres ans, n’ont-ils jamais célébré un synode,  pour établir   chez eux un consensus et la paix ?  Alors que nous, pendant ce temps, nous avons célébré pas moins de dix  conciles généraux.  Nous en avons donc eu beaucoup, et le dernier à notre époque, a été célébré du consentement de tous les pères, pendant que les luthériens se disputent âprement entre eux, et désespèrent de ne jamais pouvoir instaurer la paix.   Qu’est-ce qui peut expliquer une telle différence si ce n’est qu’ils sont privés de ce chef et de ce guide, qui seul peut et doit confirmer les frères dans la foi, et maintenir l’Église universelle dans l’unité ?

 Le même prophète ajoute enfin : fondement dans le fondement. Car, qu’est-ce que le fondement dans le fondement si ce n’est un fondement après le fondement, un fondement second, non premier ?  Personne n’ignore que le fondement premier et principal de l’Église est le Christ, de qui l’apôtre dit : « Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, le Christ Jésus ».  Or, après le Christ, le fondement est Pierre;  et sans passer par Pierre on ne parvient pas au Christ. Les hérétiques se vantent de leur foi dans le Christ, et ils se glorifient de suivre sa parole et sa doctrine.  Mais il est nécessaire, comme le dit saint Léon le grand (dans son épitre à Viennois), que soit étranger au mystère divin celui qui ose s’éloigner de la solidité de la Pierre.

 Le siège de Pierre est donc une pierre d’angle éprouvée, précieuse, fondement dans le fondement.  Et cela, c’est ce qu’il est pour nous.  Mais, pour nos adversaires hérétiques, il n’est rien d’autre qu’une pierre d’achoppement, et de scandale.   Alors qu’ils devraient se construire sur elle dans le temple saint et dans le Seigneur, eux, au contraire, comme de vrais aveugles et comme des enragés, ils se frappent la tête contre ce mur.  Il déplait grandement à la sagesse humaine et à l’orgueil de ceux qui sont prudents à leurs yeux qu’un mortel, à qui ils ne se jugent inférieurs ni par l’érudition, ni par l’honnêteté, ni par aucune raison, soit appelé le fondement de l’Église, sur lequel un si grand, un si immense, un si sublime édifice est posé.  Cela leur déplait parce qu’ils ne comprennent pas à quel point il est facile et glorieux pour Dieu de choisir les faibles pour confondre les forts. Ils ne se rendent pas compte non plus que c’est la conduite habituelle de Dieu de nous mener par l’humilité et la foi à la sagesse et à la gloire.

 N’est-ce pas par la folie de la prédication d’un crucifié,  qu’il a décidé de sauver les croyants ?  Et c’est pour cela qu’il choisit des pêcheurs pour convertir des empereurs.  C’est aussi à des choses abjectes et viles, aux espèces de l’eau, de l’huile, du pain et du vin qu’il a associé les vertus des sacrements, et les trésors infinis de dons célestes.  Pour que, pendant que par l’humilité et la foi, nous nous soumettons à ces choses abjectes, nous soyons élevés au sort des fils de Dieu, et à la participation à la divine nature.  Mais eux, ils ferment leurs yeux à toutes ces choses, et  ils ne cessent jamais de délirer et d’éructer  des insultes contre la pierre salutaire, et contre le dessein de Dieu, pour qu’elle soit vraiment, pour eux, une pierre d’achoppement et de scandale. Cette pierre,  les donatistes l’appelaient la cathédrale de pestilence.  Bérenger appelait le pontife de ce siège non celui qui est le pont, mais la pompe et la poulpe.  Les Vaudois la prostituée pourprée. Jean Wiclef la synagogue de Satan.  Les luthériens, les calvinistes, les anabaptistes le trône de l’antichrist.  Et bien qu’ils différent de nous en plusieurs choses, c’est le seul nom qu’ils voulurent nous imposer; car ils ne nous donnent pas un autre nom que celui de papistes, comme s’ils pensaient que nous ne nous trompons qu’en nous appuyant sur le pontife suprême.  Et ils ne pensent pas faire une plus grande insulte à quelqu’un qu’en le nommant pape.  Ils ont même commencé à affubler du nom de pape tout ce qu’ils peuvent trouver de sordide, de fétide et de honteux dans la nature.

 Luther, Calvin et les autres usent d’un style vif et animé quand ils traitent de n’importe lequel sujet,   Mais leur animosité et leur rage  contre le souverain pontife sont telles qu’ils ne cherchent qu’à le vexer, à le couvrir d’opprobres, à le calomnier.   Ils semblent agités par des furies, remplis de démons maléfiques. On dirait qu’ils ont  expulsé tout ce qu’il y a en eux d’humain, et qu’ils ont revêtu le démon. Du reste, qu’ils le veuillent ou nom, puisqu’ils sont fragiles et pétris de glaise, et que le souverain pontife est une pierre très solide, quand ils viennent heurter cette pierre ce n’est pas elle qu’ils fracassent, mais ce sont eux qui, sans doute aucun, sont brisés par elle. « Celui qui se jettera sur cette pierre sera détruit, car la pierre sur laquelle il tombera le broiera. »  Et le pape saint Léon le grand, dans le texte déjà cité : « Celui qui pense devoir nier la principauté à ce siège, ne pourra en aucune façon diminuer sa dignité, mais, enflé par l’esprit de superbe, il s’enfoncera lui-même dans l’enfer ».

 Un immense rocher qui, au milieu de la mer, s’élève au-dessus  de l’océan déchaîné, n’est jamais déplacé,  ne bouge jamais, même si des tsunamis  et des ouragans se ruent sur lui sans arrêt.  C’est plutôt lui qui les freine et les disperse. De la même façon, le siège de Pierre est demeuré immobile,  attaqué qu’il a été  pendant plus de mille cinq cents ans  par les Juifs, les païens, les hérétiques, les séditieux, les schismatiques.  C’est avec toute la fureur de la rage diabolique que ces ennemis se sont rués sur cette pierre, mais ils ont tous été défaits, vaincus, broyés.  Et c’est souvent au moment où les hérétiques complotèrent le plus âprement contre  elle que son autorité a été le plus universellement reconnue.  Puisqu’il en est ainsi, comprends quelle est l’importance de la controverse que nous nous proposons d’expliquer.

J’en viens maintenant à ce que nous avions placé au deuxième rang.  Les premiers à s’opposer sérieusement au pontife romain furent les Grecs, semble-t-il. En l’année du Seigneur 381, déjà, ils cherchèrent à placer l’évêque  de Constantinople, --qui n’était même pas alors un patriarche-- avant les trois patriarches d’Orient; et à le rendre le second après l’évêque de Rome. Il ne suffit pour s’en rendre compte que de lire le chapitre 5 du deuxième concile œcuménique.  Mais comme les Grec n’étaient pas encore satisfaits, ils ont voulu, en 451, rendre l’évêque de Constantinople égal à celui de Rome.  Car, au synode de Chalcédoine, (article 16), les Pères grecs ont défini, non sans fraude, et en l’absence des légats romains, que l’évêque de Constantinople devait occuper le deuxième rang après celui de Rome, mais de façon à avoir des privilèges égaux.  Ils ne se contentèrent même pas de cela, car, au temps de saint Grégoire et de son prédécesseur Pelage, le deuxième du nom, vers 600, ils commencèrent à appeler l’évêque de Constantinople l’évêque œcuménique, c’est-à-dire, évêque de toute la terre, ou évêque universel.  C’est ce dont témoigne saint Grégoire dans les nombreuses lettres qu’il a écrites à Jean, évêque de Constantinople, à l’empereur Maurice, à l’impératrice Constance, et aux autres patriarches de l’Orient.

 Enfin, en l’année 1054, à cause de l’addition du ‘et du Fils’ au symbole du concile de Constantinople, et en s’appuyant faussement  sur une phrase du concile d’Éphèse qui interdisait d’ajouter quoi que ce soit,  ils ont déclaré publiquement que l’évêque de Rome était déchu de son statut, et que, désormais, le premier rang appartenait à l’évêque de Constantinople.  Sigebert raconte la chose dans sa chronique, et les lettres de saint Léon 1X le font assez comprendre. A été conservé  un libelle écrit en grec par l’archevêque Nil de Thessalonice,  contre le primat du pontife romain, qu’un certain  Illyricus a ramené des ténèbres à la lumière, en le traduisant en latin.

 Parmi les latins, les premiers à avoir combattu la papauté sont les Vaudois, qui se sont soustraits  à la juridiction du pontife romain.  Les Vaudois sont apparus en 1170, comme nous le rapporte Reynerius qui a vécu avant l’an 300. En 1300, comme le témoigne Matthieu Palmerius [p.457] dans sa chronique, vécurent certaines personnes qu’on appelait fraticelli, qui, en plus d’autres erreurs, soutenaient que l’autorité de Pierre dans l’église romaine avait déjà cessé, après la secte des fraticelles, comme l’atteste Jean de Turrecremata, ont parus Marsilius Paduanus et Jean de Janduno qui ont fait passer avant le pape non seulement tous les évêques, mais tous les prêtres. Ensuite, au tour des années 1390, s’est levé Jean Wicleff, qui a été suivi peu après par Jean Huss.  On peut lire dans le concile de Constance (sessions 8 et 15) ce qu’ils ont dit contre le siège apostolique.

 À la fin, à notre époque, Martin Luther et tous les hérétiques qui ont apparu après lui, se sont efforcés avec une énergie farouche et une haine diabolique à prendre en faute le pape.  Une de leurs doctrines principales consiste en ce que l’évêque de Rome a été d’abord le pasteur et le prédicateur de l’église de Rome, un parmi d’autres, non un au-dessus des autres.  Et que maintenant il n’est que l’antichrist.  Voir Luther (dans son livre sur le pouvoir du pape, et dans sa lettre, article 25 à Mélanchton, (si c’est vraiment lui qui est l’auteur de ce livre), dans le livre du pouvoir et de la primauté du pape, ou du règne de l’antichrist, écrit sous le nom du synode de Smalchadensis, Jean Calvin (livre 4 des institutions, chapitre 6 et suivants, Jean Brentius (dans la confession de Wirtemberg, au chapitre du souverain pontife, et dans le prolégomène contre Pierre a Soto,   Matthias Illyricus (dans les centuries 1, livre 2, chap 7, col 524 et suivants, et chapitre 10, col 538 et suivants, et ensuite dans les autres centuries, chap 17,  de même dans le livre de la primauté du pape, et dans un autre sur l’histoire du pape et du concile carthaginois 6.

 Ceux qui ont écrit en faveur de l’autorité du pape, on les trouve parmi toutes les nations.   Mais pour que personne ne se plaigne d’avoir été oublié, je déclare que je n’ai pas l’intention de les énumérer tous, mais ceux-là seulement qui me sont tombés entre les mains.
De la Pologne nous n’en avons qu’un, mais qui en vaut plusieurs, le cardinal Hosius (dans son explication du symbole, chap 26, et dans le livre 2 contre Brentium,, ainsi que dans le livre sur l’autorité des souverains pontifes.
De la Gaule, nous en avons deux, Remundum Ruffum, dans son livre contre Charles Molin, écrit en défense du souverain pontife, et Robert Arboricensem.

De l’Allemagne, nous avons cinq.  Jean Eck (dans les trois livres du primat de saint Pierre), Jean Favre (sa réfutation du livre de Luther sur le pouvoir du pape). Jean Cochlaeum dans ses quatre philippiques, Gaspard Schatzgerum dans sa controverse contre Conrad Clingium (livre 3).  De la basse Allemagne, nous en avons six.  Jean Driedonem (livre 4, chap 3, p 2, sur l’Écriture et les dogmes ecclésiastiques), Albert Pighium (livres 3, 4, 5 Eccles), Jean a Louvain (de la protection et de la fermeté perpétuelle de la chaire de Pierre, Guillaume Lindanum, (livre 4 de la panoplie), Jean Bunderium (compend, concert, tit 31).

 De l’Angleterre, six.  Thomas Waldensem (livre 2, foi doctrinale, articles 1 et 3), Jean Roffensem, (réfutation de l’article 25), le cardinal Règinald Polum (sur le souverain pontife, livres 1 et 2, au roi Henri V111,  Alanum Copum (dialogue 1), Nicolaum Sanderum (dans le livre du roi visible), Thomas Stapletonum (livre 6 des controverses).
En Espagne 7. Jean de Turrecremata Ilivre 2 de l’Église), Alphonse de Castro (livre 12, contre l’hérétique Melchior Cano, livre 6 sur les lieux), Pierre de Soto (dans la défense de sa confession, chapitre 74, jusqu’à la fin), Francis Horantium (livre 6, des lieux catholiques), François Turrianum (dans le livre contre Antoine Sadeelem), et Grégoire de Valence, qui a écrit récemment sur le même sujet (dans son analyse de la foi catholique, par 7 et 8).

 En Italie huit.  D. Thomas dans son opuscule contre les Grecs, le bienheureux Augustin (le triomphe anconitain, dans le pouvoir suprême du pape), le bienheureux Antonin ( 3 part tit 22, somme théologique.  Thomas Cajetan (de l’institution et de l’autorité du pontife romain), Gaspard Contarenum ( du pouvoir du pontife romain),  Thomas Campegium (dans le livre du même titre), Jean Antonium Delphinum, (dans le livre 1 et 2 de l’Église).
En Grèce un seul : Jean Antonium Delphinum (livre 1 et 2 sur l’Église).

 En ce qui a trait à l’ordre et à la disposition, cette dispute aura deux parties importantes   Une sur l’institution du souverain pontife, ou sur la monarchie ecclésiastique, une autre sur la fonction et le pouvoir du pape. La première partie contient six questions. 1- la monarchie est-il le meilleur régime ? 2- le gouvernement de l’Église doit-il être monarchique ? 3- Pierre a-t-il été le premier monarque spirituel de l’Église catholique ? 4-  Est-ce que c’est le même Pierre qui est venu à Rome et qui y a établi à perpétuité son siège épiscopal ? 5-  Le pontife romain succède-t-il à Pierre non seulement dans l’épiscopat romain, mais dans le primat de l’église universelle ?  À cette question d’autres sont si étroitement liées qu’elles ne peuvent en être séparées. Comme d’entendre les appels de toutes les parties de l’Église, d’instituer les évêques, de les confirmer, de les transférer, de les punir, et même de les déposer, et de faire d’autres choses du même genre. 6- Le même évêque romain s’est-il, de vicaire du Christ, mu à un certain moment, en antichrist ?

 La dernière partie de la controverse comprend six autres questions.  1- Appartient-il au pontife romain de statuer sur les controverses de foi et de mœurs ?  2- Peut-il errer dans son jugement ? 3- Le pape peut-il faire des lois qui obligent les hommes en conscience, et punir les prévaricateurs ? 4-  La juridiction ecclésiastique a-t-elle été donnée par le Christ au seul pontife suprême, de façon à ne pouvoir être dérivée que par lui sur les autres ? 5- En plus de la juridiction spirituelle, le souverain pontife a-t-il aussi un pouvoir temporel ? 6- Peut-il avoir, ou a-t-il effectivement, à lui donné par les princes, un pouvoir temporel dans certaines provinces ou régions ?

FIN DE LA PREFACE [=p.459 latin]
 

CHAPITRE 1
On propose une question : quel est le meilleur régime ?

 Personne ne peut douter que notre Sauveur Jésus-Christ ait pu et voulu gouverner son Église de la manière  qui soit la meilleure et la plus utile.  Il y a trois formes d’un bon gouvernement : la monarchie, c’est-à-dire le gouvernement d’un seul, dont le vice contraire est la tyrannie; l’aristocratie c’est-à-dire, le régime des nobles, à laquelle s’oppose l’oligarchie, c’est-à-dire une faction de nobles riches; et la démocratie, c’est-à-dire le gouvernement du peuple, qui dégénère souvent en séditions.  C’est ce qu’enseignent les princes des philosophes Platon (dans la république) et Aristote (livre 3 politiques, chap 5, et le l ivre 8 des éthiques, chap 10).  En effet, si l’on veut gouverner une multitude, on ne peut le faire qu’avec une de ces trois formes de gouvernement : ou une personne préside à la multitude, ou quelques-uns, ou tous.  S’il n’y a qu’une personne, ce sera la monarchie, s’il y en a quelques-uns, ce sera l’aristocratie, et si c’est tous, ce sera la démocratie.

 Mais bien qu’il n’y ait que trois formes simples de gouvernement, il peut se former des mélanges entre elles, qui produiront quatre autres formes de gouvernement.  Une qui tient des trois; une autre qui mêle le régime monarchique au régime aristocratique; une troisième qui tempère la monarchie par la démocratie; et une quatrième qui associe le régime démocratique au régime aristocratique. Une première question naît immédiatement : quelle est  de ces sept,  la meilleure forme de gouvernement ?  Jean Calvin, pour bloquer complètement toutes les voies qui nous mènent, par la discussion, à la monarchie ecclésiastique, choisit, parmi les formes simples,  le régime aristocratique; parmi les mixtes, un régime aristocratique tempéré par la démocratie.  Il donne donc la palme au régime aristocratique, et décerne la dernière place de toutes à la monarchie, surtout si elle est établie sur toute la terre, ou dans l’ Église universelle.  Voici ses propres paroles (livre 4, institutions, chap 6, verset 9) : « Est-ce vraiment une chose bonne et utile, comme ils le veulent, que toute la terre soit gouvernée par une monarchie, alors que c’est  la chose la plus absurde de toutes.  Mais même si je leur accorderais cela, je ne concèderais jamais que cela vaille pour le gouvernement de toute l’Église. »  Et, (au chapitre 20,  verset 8) : « Si on considère en elles-mêmes les trois formes de gouvernement que les philosophes décrivent, je ne nierai absolument pas que l’aristocratie, ou l’aristocratie tempérée par la démocratie, soit le meilleur de tous les régimes. »  Il ajoute deux raisons pour justifier son choix : une,  tirée de l’expérience, l’autre, de l’autorité divine : « C’est ce que l’expérience a toujours démontré, et c’est ce que l’autorité divine a confirmé, quand il institua chez les Israélites un régime aristocratique proche de la démocratie ».

 Mais, nous, par contre, à la suite de saint Thomas et des autres théologiens catholiques, nous donnons, parmi les formes simples de gouvernement,  le premier rang à la monarchie, même si, à cause de la corruption humaine, nous pensons que soit plus utile un régime monarchique tempéré d’aristocratie et de démocratie. Pourvu que la monarchie occupe la première place, la deuxième l’aristocratie, et la dernière la démocratie.  Pour pouvoir plus facilement expliquer et prouver cet avancé, nous fragmenterons notre opinion en trois propositions.   Première proposition : parmi les formes simples, la monarchie est la meilleure.  La deuxième : un régime tempéré par les trois formes de gouvernement est, à cause de la corruption humaine, plus utile que la simple monarchie. La troisième : sans tenir compte des circonstances, la simple monarchie l’emporte haut la main sur les autres.  Elle est la forme gouvernementale par excellence.

CHAPITRE 2
On prouve la première proposition : la monarchie simple l’emporte sur l’aristocratie simple et sur la démocratie.

Pour commencer par le commencement,   Nous ne comparons pas ici la monarchie avec les formes mixtes de gouvernement, et nous ne la classons pas avant elles.  Tout ce que nous disons,  c’est que s’il faut choisir une forme simple de gouvernement, c’est la monarchie qu’il faut prendre. Ce que nous prouverons par les arguments suivants.  Premier argument.  C’est ce qu’enseignent à l’unanimité tous les anciens écrivains, les juifs, les grecs, les  latins; tous les théologiens, les philosophes, les orateurs, les historiens et les poètes.   Parmi les théologiens hébreux, citons Philon (dans le livre de la confusion des langues) qui loue cette phrase d’Homère : « C’est une mauvaise chose que plusieurs commandent. Sois le seuil chef !  Car cela n’appartient pas plus aux cités et aux hommes qu’au monde et à Dieu ».

Parmi les Grecs, saint Justin (dans le discours exhortatoire aux Gentils,) enseigne que le gouvernement de plusieurs est nuisible, et que, au contraire, celui s’un seul est utile et salutaire : « Le gouvernement d’un seul est à l’abri des dissensions et des guerres intestines, et il a coutume d’être autonome. »  Saint Athanase (dans son discours contre les idoles) : « Car comme nous disons que la multitude des dieux signifie la non existence  des dieux, il est force que la multitude des chefs fasse en sorte qu’il n’y ait pas de chef.  Et là où il n’y a pas de chef, là commence le désordre ».  Parmi les latins, nous avons saint Cyprien qui, (dans le traite de la vanité des idoles) prouve qu’il ‘y a qu’un seul Dieu, du fait que la monarchie est le rémige le meilleur et le plus naturel : « Pour parler du gouvernement divin, allons chercher sur terre un exemple : les gouvernements qui  n’ont pas commencé dans la foi ont fini par le carnage. »  Et saint Jérôme  (dans son épitre au moine Rustique), écrit : « Un seul empereur, un seul juge d’une province.  Dès sa fondation, Rome n’a pas pu avoir deux frères rois ».  Ensuite saint Thomas (1 p. q. 103, art 3, et livre 4 contre les Gentils, chap 76)

Et parmi les philosophes, Platon (la politique, passé le milieu) : « Le gouvernement d’un seul entériné  par de bonnes lois, est le meilleur de tous les régimes.  Nous devons donner la deuxième place à un gouvernement administré par quelques-uns. Mais le gouvernement le plus débile et le plus faible est celui où tous légifèrent. »  Aristote est de l’avis de son maître Platon (livre 8, Éthiques, chapitre 10).  Après avoir énuméré les trois formes de gouvernement, il dit : « La meilleure de toutes est la monarchie, la pire est la démocratie ».  Sénêque (libre 2 des bienfaits) dit que Marcus Brutus n’a pas agi avec assez de prudence quand il a tué Jules César  dans l’espoir  d’apporter la liberté à la cité, et il en donne la raison : « Parce que  la meilleur forme de gouvernement est celle d’un roi juste. »

Plutarque a écrit un livre entier sur la monarchie et sur les autres façons de gouverner une multitude.  Il exprime ses préférences de cette façon : « Si on a la possibilité de choisir une forme de gouvernement, qu’on ne prenne rien d’autre que le gouvernement d’un seul ».  Et le même Plutarque dit dans Solon : « Plusieurs dissensions se sont élevées chez les Athéniens quand la démocratie était en vigueur.  Il restait, semble-t-il encore une chose à essayer pour procurer aux citoyens le salut et la paix : tout remettre entre les mains d’un seul ».

Parmi les orateurs, Isocrates (dans le discours intitulé Nicoclès), tente de prouver cela par plusieurs raisonnements.   Jean Stobaeus (sermon 45) dit  que la monarchie est la meilleure forme de gouvernement; et dans ce sermon, il confirme son opinion par des citations d’Hésiode, d’Euripide, de Serin, d’Ecphantis,  et de beaucoup d’autres.

Hérodote, dans ses histoires (livre 3, appelé Thalia), quand il raconta les meurtres des mages qui détenaient le pouvoir dans la Perse, raconta aussi les disputes qui éclatèrent entre les princes sur la forme d’un gouvernement.  La conclusion de ce débat fut que, après avoir examiné soigneusement toutes les options, ceux qui prônaient un régime aristocratique [p.463] ou démocratique, unanimement, à l’exception d’un seul, jugèrent que la monarchie était plus utile et plus digne,  et qu’on devait la conserver même en Perse. »

Même parmi les poètes.  Homère (dans le livre 2 de l’Iliade), prononce cette sentence louée par presque tous les écrivains : « Le gouvernement de plusieurs n’est pas bon : un seul chef,  un seul juge ».  Parmi les nombreux autres témoignages en faveur de la monarchie, Jean Calvin ne daigne répondre qu’à cette citation d’Homère.  Il dit (livre 4 des institutions, chapitre 6, verset 8) : « La réponse est facile : ce n’est pas dans ce sens que l’Ulysse d’Homère ou d’autres louent la monarchie,  comme si une seule personne devait avoir le gouvernement de toute la planète. Ce qu’il voulait dire, c’est qu’il ne faut pas confier un gouvernement à deux personnes, et que le pouvoir supporte impatiemment un partage ».

S’il fut facile à Calvin de répondre, il nous sera encore plus facile de réfuter sa réponse. Car, ou il ne dit rien d’autre que ce que nous disons, ou ce qu’il dit est faux, et il se contredit.  Car, quand il dit qu’un royaume n’en comprend pas deux, il veut dire qu’un royaume proprement dit n’en comporte pas deux, parce que s’il y en avait deux, il ne serait pas un royaume proprement dit, puisqu’un royaume est le pouvoir suprême d’un seul homme.  Il ne dit rien du tout, mais il ne fait, par l’ambiguïté de ses paroles,  que  plonger dans les ténèbres les inexpérimentés.  Car, dire, en ce sens là, qu’un royaume ne comprend pas deux royaumes, c’est tout à fait comme s’il disait que le gouvernement d’une personne n’est pas le gouvernement de deux personnes, ou qu’un homme n’est pas deux hommes.   Ulysse aurait donc parlé pour ne rien dire.

Si l’insistance n’est pas mise sur le mot lui-même, mais si par royaume, il entend une multitude qui doive être gouvernée, il dit la même chose que nous.  Car, nous aussi nous affirmons que la monarchie l’emporte sur l’aristocratie et la démocratie; que la multitude n’est pas commodément régie par la multitude, et que le pouvoir supporte impatiemment un partage.
Or, si par royaume il veut entendre non une multitude quelconque, mais une province, ou un petit royaume, au sens où il faut attribuer un roi à une province, mais non à toute la terre, il dit alors quelque chose de faux, et il se contredit.  Car l’Ulysse d’Homère ne parle pas de constituer un gouvernement  dans une seule province, mais il fait un discours à l’armée entière des Grecs, qui guerroyait alors à Troie.  Or, dans cette armée, se trouvaient plusieurs nations.

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et qu’on pouvait dire : autant de princes, autant de rois. Et il affirme que toute cette multitude ne doit pas être régie par plusieurs mais  par un.  Le sens de cette sentence célèbre ne peut donc pas être autre chose  que ceci : dans chaque multitude unifiée, il ne doit y avoir qu’un seul recteur primaire.  Ce qui vaut autant pour les villages que pour les empires.   Car à un petit royaume un roi n’est pas du parce qu’il est petit, mais parce qu’il est un.

 C’est pourquoi, si  un royaume aussi vaste que celui de Ninus, de Cyrus, d’Alexandre ou d’Auguste est un, un roi lui est du. Et, parce que l’Église est une, (Luc 1, son règne n’aura pas de fin, » Et Daniel 11 : « Dans les jours de ces royaumes, le Dieu du ciel suscitera un royaume qui pendant toute l’éternité ne sera jamais détruit. »)  À cause de cela, elle doit être régie par un seul.   Calvin milite ensuite contre lui-même, car non seulement il ne considère pas utile une monarchie pour toute la terre, mais pour aucune ville et même  pas pour l’Église, comme on le découvre dans le livre de ses institutions (chapitre 41, verset 6) où il attribue tout le pouvoir ecclésiastique à une assemblée d’anciens. Et (livre 4, chapitre 20, verset 8), il loue ces cités qui, après avoir secoué le joug des princes, sont gouvernées par le sénat et par le peuple, comme l’est la république de Genève.  Comme Calvin ne laisse aucune place à la monarchie, c’est à lui de savoir quoi répondre aux nombreux graves auteurs qui louent la sentence d’Homère.

 Une autre raison se tire de l’autorité divine, qui montre, de trois façons que la monarchie est le meilleur régime. La première, de l’institution du genre humain.  Car c’est d’un seul que Dieu a fait le genre humain, comme l’apôtre le dit (actes 17). Il n’a pas produit l’homme et la femme de la même façon, mais l’homme de la terre, et la femme de l’homme.  En commentant ce passage (homélie 34, épitre q aux Cor, chap 13), saint Jean Chrysostome a dit que c’était pour qu’il n’y ait pas de démocratie chez les hommes, mais de la monarchie.  Car, si tous les hommes avaient été produits simultanément de la terre, ils auraient du être, à titres égaux, princes sur leur postérité.  On aurait eu raison de se demander alors si le règne d’un seul plaisait à Dieu.  Mais, comme c’est d’un seul qu’il a fait le genre humain, et qu’il a voulu que tous dépendent d’un seul, il a montré suffisamment que son approbation allait plutôt au gouvernement d’un seul qu’au gouvernement de tous.

 Dieu a suffisamment indiqué ses préférences quand il inséra non seulement dans les hommes mais dans toutes les choses une propension naturelle au régime monarchique. Et on ne peut avoir aucun doute que cette propension naturelle  doive être attribuée à l’auteur divin de la nature.  Qu’il existe, en dehors des institutions politiques, un primat naturel d’un seul le déclare d’abord le fait que c’est le père de famille qui possède l’autorité sur l’épouse, les enfants, les domestiques et sur toute chose.  Ensuite, que la plus grande partie de la terre est gouvernée par des rois.  Enfin que les monarchies durent plus longtemps que les démocraties. « Au commencement des choses, écrit saint Justin (livre 1), le gouvernement des peuples et des nations appartenait aux rois. »    Même les animaux privés de raison semblent rechercher le gouvernement d’un seul.    C’est ce que dit saint Cyprien (dans son traité sur la vanité des idoles) : « Il y a une seule reine chez les abeilles, un seul chef pour les cervidés, et dans les troupeaux de gros bétail.

 Et il ajoute que saint Jérôme (dans son épitre à Rustique) a écrit : « et les outardes suivent une seule d’entre elles, dans un ordre parfait ».  Calvin se moque de ces comparaisons (dans le livre 4 des institutions, chap 6, verset 8) : « Ils vont chercher une preuve de la préférence de Dieu pour le régime monarchique chez les outardes et les abeilles, qui se choisissent toujours un seul chef.  Je veux bien accepter les exemples qu’ils nous présentent.  Mais, les abeilles viennent-elles de tous les coins du globe  pour élire une seule reine ?  Chacune de ces petites reines ne se contentent-elles pas  d’alvéoles. Chaque essaim a sa propre reine.  Que gagnent-ils avec ce genre d’exemples, sinon que toutes les églises devraient être gouvernées par leurs épiscopes? »

 Mais il n’est pas difficile de réfuter cette objection de Calvin,   Comme l’Église est un seul troupeau, (Jean 10), non plusieurs troupeaux,  on peut dire aussi qu’elle est une seule ruche, et un seul essaim.  Et comme les abeilles n’ont qu’une seule reine, et comme les outardes suivent l’une d’entre elles en formation de v, de la même façon l’Église universelle doit avoir et suivre un seul chef et un premier docteur.   De plus, les abeilles et les outardes ne sont pas telles par nature qu’elles puissent s’unir par la pensée avec des absents ou des congénères éloignés.  Il ne faut donc pas s’étonner si elles ne se rassemblent pas toutes de tous les coins du monde pour élire une reine. Le fait bien constaté que chaque ruche n’a qu’une seule reine suffit pour démontrer que le régime monarchique est naturel.   Calvin prétend que tout ce que prouvent ces exemples allégués par les pères c’est que chaque église devrait être gouvernée par son propre épiscope. S’il accepte le gouvernement des évêques, pourquoi ne l’accepte-t-il que de nom, puisque  dans la réalité, c’est à un sénat de sages qu’il attribue le pouvoir ecclésiastique ?

 Mais laissons cela de côté.  Quel régime politique Dieu a-t-il voulu confirmer par son autorité, nous pouvons le déduire aussi et principalement par le type de gouvernement qu’il a institué chez le peuple hébreu.   Car, comme Calvin l’affirme sans preuve, le gouvernement des Hébreux ne fut pas aristocratique, mais pleinement monarchique.  Les premiers princes, chez les Hébreux, furent d’abord les patriarches, comme Abraham, Jacob, Juda, et les autres. Ensuite des chefs comme Moïse et Josué, puis des juges, comme Samuel et Samson.  Enfin, de nouveau des juges comme Zorobabel et les Macchabées.   Or, les patriarches étaient dotés d’un pouvoir royal.  C’est ce que montre le récit de leurs actions.   Abraham (Genèse 14), fit la guerre à quatre rois.  On ne lit aucunement qu’il ait reçu ce pouvoir d’un sénat d’aristocrates, ou qu’il ait consulté un sénat de ce genre.  Il condamna au feu sa bru qui avait été accusée d’adultère, sans rien demander à un sénat d’anciens, et sans  le consulter. En tant que chef suprême véritable du peuple juif,  (Exode 32) Moïse ordonna de tuer en un seul jour plusieurs milliers de Juifs, à cause du veau d’or qu’ils avaient érigé.  Et nous ne lisons pas que cet ordre de condamnation ait été précédé par un senatus consulte ou par un plébiscite. On peut dire la même chose des Juges. Sans autorisation donnée par le sénat, et sans le consentement du peuple, ils livraient des guerres, et faisaient périr ceux qu’ils voulaient.  Il est certain que Gédéon (Juges 8), après la victoire sur les Madianites, tua les soixante-dix hommes de la ville de Socoth, et renversa la tour de Phanuel.  Ensuite, les rois et leurs successeurs ont été les chefs des Juifs, et leur puissance royale a été si illustre et si notoire que nous n’avons pas à en faire la preuve. C’est à Calvin de voir où il a lu que la république des Juifs a été gouvernée par un sénat et par le peuple, et non par un prince.

 Mais il nous objectera peut-être que, dans le livre des Rois (livre , chap 8), nous lisons que Dieu a reproché aux Israélites d’avoir demandé un roi. Car s’il n’a pas plu à Dieu que soit instituée une monarchie pour gouverner la chose publique, comment croire que les chefs et les juges institués par Lui  aient eu un pouvoir royal ?  Nous répondons que c’est de deux façons qu’on peut attribuer à une personne le pouvoir suprême sur une république.  La première façon, comme à des rois et des seigneurs qui ne dépendent de personne.  La deuxième, comme à un pro roi ou chef premier, qui préside à tout le peuple,  mais qui est tout de même soumis à son roi.   Et c’est de cette deuxième façon que Dieu avait institué la forme de gouvernement au temps des chefs et des juges, de façon à être le chef premier  de ce peuple.  Mais, parce qu’ils étaient des hommes, et qu’ils avaient besoin d’un chef visible, qu’ils pouvaient aller voir et à qui ils pouvaient demander  quelque chose, il mit à leur tête quelqu’un à tire de pro roi, qui n’était en aucune façon soumis au peuple, mais qui dépendrait du seul vrai roi, Dieu.  D’où ces paroles de Dieu à Samuel : « Ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté, mais moi, pour que je ne règne plus sur eux ».  Et saint Paul (Hebr. 3) : « Moïse a été fidèle dans toute sa maison comme un serviteur. »

 Parce que les Juifs n’étaient pas satisfaits de cette forme de gouvernement, ils voulurent avoir un roi selon le premier mode, un roi qui non seulement commanderait à tous, mais qui ferait les juges et les chefs, et qui possèderait même tout le royaume comme son bien propre, de façon à pouvoir le transmettre à ses fils et à tous ses descendants.  C’est donc avec raison qu’ils ont été blâmés et châtiés par leur Seigneur. Mais ce désir immodéré du peuple d’avoir son propre roi ne déplut par à Dieu au point de les orienter vers l’aristocratie ou la démocratie.  Au contraire, c’est lui-même qui désigna le meilleur roi qu’ils pouvaient avoir.  Et ces rois, il les aida et les protégea tant qu’ils conservèrent leur trône.

 Vient ensuite la raison qui découle de l’énumération de toutes les propriétés que tous admettent devoir posséder un bon gouvernement.  La première qualité est l’ordre.  Le gouvernement est d’autant meilleur  qu’il assure le mieux l’ordre. Or, l’ordre règne davantage dans une monarchie que dans une aristocratie et une démocratie.  Tout ordre suppose que les uns commandent et les autres obéissent. Car ce n’est pas entre pairs que peut s’établir l’ordre, mais entre des supérieurs et des inférieurs.  Là où se trouve la monarchie, tous demeurent dans l’ordre, car il n’y a personne qui n’accepte pas de se soumettre à quelqu’un, à la seule exception de celui qui gouverne tout et tous.  C’est pour cette raison que, dans l’Église catholique, l’ordre est suprême.  Là les fidèles sont soumis aux curés, les curés aux évêques, les évêques aux métropolitains, les métropolitains aux cardinaux, les cardinaux au pape, et le pape au Christ. Là où ce sont les ploutocrates qui détiennent le gouvernement, le peuple reste dans l’ordre quand il accepte de se soumettre aux élites, mais les magnats de la finance ne reconnaissent pas de chef auquel ils doivent obéir.  C’est surtout dans la démocratie que l’ordre fait défaut, puisque tous sont considérés égaux du point de vue de la condition sociale et de l’autorité hiérarchique.

 L’autre propriété est l’obtention de sa propre fin.  Il ne peut y avoir aucun doute là-dessus,  la meilleure forme de gouvernement pour un peuple est celle qui permet d’atteindre le plus commodément et le plus facilement le but proposé. Or, la fin d’un gouvernement est la concorde et la paix entre les citoyens.   Cette  concorde et  cette paix on la trouve  dans un pays quand tous pensent et veulent la même chose.  Cela s’obtiendra plus facilement si tous obéissent à un seul plutôt qu’a plusieurs.  Car, il peut difficilement arriver que plusieurs personnes qui ne dépendent en aucune façon l’une de l’autre, jugent de la même façon sur les mêmes choses.   Donc s’il y en a plusieurs à gouverner le peuple, si l’un commande une chose que rejette un autre, des divisions apparaîtront dans le peuple, des clans, des factions et des partis se formeront, chose qui peut difficilement arriver quand tous obéissent à un seul et même chef.

 Confirment ces choses l’usage, et l’expérience, la maîtresse par excellence.  Prenons le cas des Romains. Sous la royauté, les historiens ne rapportent que de rares dissensions  parmi les citoyens.  Quand les rois furent expulsés, quand le gouvernement était tenu par des consuls élus pour un an,  presqu’à chaque année des conflits éclatèrent entre les patriciens et les gens du peuple. Au point de dégénérer en des guerres civiles, qui finirent par venir à bout de cette puissante cité. En somme, la paix romaine n’a jamais duré plus longtemps que sous l’empereur Auguste, qui fut le premier à établir une monarchie stable.

 La troisième propriété est la force et la puissance.  Or, cette forme de gouvernement, du jugement de tous, l’emporte sur tous les autres, parce qu’elle rend la chose publique plus puissante et plus forte.   La société qui est plus forte que les autres c’est celle dans laquelle se trouve la plus grande union des citoyens, car les forces regroupées sont plus fortes que celles qui sont dispersées.  Or, l’union est plus grande là où tous dépendent d’un seul.  La monarchie fait donc une société plus forte, et elle est donc le meilleur gouvernement.

 Ajoutons l’expérience. Parmi les quatre puissants empires, trois se sont développés sous des rois, ceux des Assyriens, des Perses et des Grecs.   Celui des Romains est le seul  à s’être développé dans un régime démocratique. Mais, dans les plus grandes crises, ce royaume n’a pas pu être conservé sans dictateur, c’est-à-dire, sans roi nommé pour un temps.  Et sous le monarque Auguste, Rome a atteint une puissance et une gloire inégalées,  plus grandes que celles qu’elle a connues aux plus belles époques  de la démocratie.

 La quatrième propriété est la stabilité et la durée.   Personne ne peut nier que la meilleure forme de gouvernement soit celle qui est la plus stable et de plus longue durée.  Or, la monarchie a duré bien plus longtemps que la démocratie ou l’aristocratie.  Cela a déjà été démontré.  Comme le Christ a si bien dit (Matt 12) : « tout royaume divisé contre lui-même périra. »  Il est plus difficile de former des divisions dans une monarchie que dans les autres formes de gouvernement.  Car ce qui est plus unifié est plus difficile à diviser que ce qui l’est moins.   Il est plus facile pour une personne d’être un que pour un groupe aspirant à l’unité. Car ce régime est un naturellement et par lui-même, et rien d’autre que un.  Mais ce qui est uni par art est, par lui-même et naturellement,  multiple.  La monarchie, qui ne dépend que d’un seul, peut moins facilement être scindée ou détruite que l’aristocratie ou la démocratie, qui dépendent d’une multitude aspirant à l’unité.

 Voyons maintenant les faits. La monarchie des Assyriens, de Nine à Sardanapale, dura sans interruption 1240 ans, comme l’enseigne Eusèbe dans sa chronique.  Ou 1300 ans, comme l’indique saint Justin (livre 1), ou 1400 ans, comme le veut Diodore (livre 2, chapitre 7). La durée de ce royaume a ceci de particulier que ce fut toujours le fils qui succéda au roi défunt, si l’on en croit ce que rapporte Velleius Paterculus (dans le premier livre de ses histoires).    Le royaume des Scythes, qui est considéré comme le plus ancien de tous, n’a jamais été détruit par un étranger ennemi (comme le rapporte saint Justin (livre 2), ni ne s’est dissous en aucun temps par lui-même. Il faut donc qu’il ait duré pendant des milliers d’années.  Or, jamais aucune république n’a été stable, et n’a duré longtemps.  Car la très célèbre république romaine a duré à peine 480 ans, si on compte les années qui vont de l’exil du dernier roi à Jules César, le premier empereur.  Or, de l’empereur Jules César jusqu’au dernier empereur oriental de Constantinople, le régime monarchique dura 1495 ans.  En Occident, du même empereur Jules César jusqu’à Augustule, la monarchie a duré 500 ans.  Et de l’empereur Charlemagne jusqu’à l’empereur actuel, presque 800 ans.

 Mais pendant les 480 ans de régime démocratique, la forme de gouvernement n’a même pas été toujours la même à Rome.   On a d’abord créé des consuls.  Un peu après, on a jouté des tribuns,  Ensuite, après avoir rejeté les consuls et les tribuns, on a créé des decemvirs.  On rejeta ces derniers après quelques années, et on rappela les consuls et les tribuns.  On nomma souvent des dictateurs, et on a mis parfois sur pied des tribunaux militaires avec pouvoir consulaire. On voit donc qu’aucun système n’a duré longtemps, et ils ne purent pas, tous ensemble,  parvenir  à l’âge des règnes des monarques.

 On nous opposera peut-être  la république de Venise qui compte mille cents ans d’existence.  Mais même elle, elle n’est pas parvenue au nombre d’années des rois Scythes, ou Assyriens, ni même des Francs.  De plus, la république des Vénitiens n’est pas l’aristocratie teintée de démocratie que loue Calvin, mais une aristocratie de type monarchique, qui ne laisse aucune place  à la démocratie.

 La cinquième propriété est la facilité de gouvernement.  Car il importe de beaucoup qu’on obtienne facilement ou difficilement que la cité soit bien gouvernée.  Or un seul chef peut plus facilement gouverner une cite que plusieurs.   De plus, les peuples obéiront plus facilement à un chef qu’à beaucoup de chefs.  Ensuite, les ministres qui, successivement, et pendant un court temps, gèrent la république,  sont souvent contraints de quitter le gouvernement avant de connaître pleinement les dossiers.  Un roi, par contre, qui exerce toujours la même fonction, même s’il est plus lent à comprendre, l’emporte sur beaucoup d’autres par l’expérience.  Les ministres qu’on charge du gouvernement d’un pays s’occupent de choses qui ne leur sont pas propres à eux, mais communes à tous;  et ils peuvent donc les regarder comme étrangères.  Mais, pour le roi, ces choses sont  les siennes en propre.  Or, il est certain qu’on s’occupe avec plus de soin de ses choses à soi que de celles des autres.   Ajoutons à cela que là ou plusieurs régissent, il peut difficilement ne pas y avoir, de la jalousie, de l’ambition, des luttes pour le pouvoir.   Il arrive donc souvent que les uns boycottent les autres;  et  ils font en sorte que ceux qui sont chargés de l’administration remplissent mal leur devoir, pour que, quand ils en seront chargés à leur tour, ils en retirent une plus grande gloire.  Or, la monarchie n’a personne qu’elle puisse envier, ou avec laquelle elle puisse être en conflit pour l’exercice du gouvernement. Elle voit donc à tout plus facilement.

 Enfin, comme dans les plus grandes familles où le même service est assigné à plusieurs, les travaux se font souvent avec négligence, du fait que l’un remet à un autre ce qui est commun à tous, de la même façon, quand il y a plusieurs princes dans un état, l’un regarde l’autre, et chacun  remettant sa tâche à ses collègues, personne ne prend vraiment soin du bien commun.   Mais le roi qui sait que tout dépend de lui, est forcé de ne rien négliger.   Jusqu’à présent, nous avons démontré que la monarchie l’emporte de loin sur l’aristocratie.  Venons-en donc à la preuve de la deuxième proposition.

CHAPITRE 3 La monarchie mêlée à l’aristocratie et à la démocratie est plus utile en cette vie que la monarchie pure.

 L’autre proposition était donc celle-ci : un régime tempéré des trois formes de gouvernement est plus utile  que la monarchie pure à cause de la corruption de la nature humaine.  Un sain gouvernement requiert, de toute évidence, que, dans un état, il y ait un chef suprême qui commande à tous et qui ne dépende de personne.  Les préfets des provinces ou les maires des cités ne sont pas des vicaires du roi, ni non plus les juges, mais de vrais chefs qui, quoiqu’obéissant au chef suprême, gèrent leur province ou leur cité non comme une chose étrangère, mais comme quelque chose qui leur appartient en propre. De cette façon, on aurait dans un pays autant une monarchie qu’une aristocratie de nobles et de riches propriétaires.   Et si on ajoutait à cela que ni le roi ni les nobles n’acquièrent leur dignité par la naissance, mais que les meilleurs y sont élevés par le jugement universel des peuples, on ferait alors une place à la démocratie dans la monarchie.  Que cette forme de gouvernement soit la meilleure qu’on puisse désirer dans cette vie mortelle, nous le prouverons par deux arguments.

 D’abord, le gouvernement qui en résulterait aurait tous les biens que nous avons déclaré être présents dans une monarchie.  Ce serait, de plus, plus agréable et plus utile.   Que soient présents tous les bienfaits de la monarchie dans ce régime de gouvernement, cela saute aux yeux, puisqu’il comprend, vraiment et proprement, le gouvernement d’un seul.   Qu’il soit plus agréable à tous, il est facile de le comprendre, puisque  tous préfèrent une forme de gouvernement dont ils sont  partie prenante, comme l’est sans doute le nôtre, puisqu’il est attribué à la vertu, non à la naissance.

 Nous n’avons rien à dire sur l’utilité, puisqu’il est certain qu’un seul homme ne peut pas par lui-même gouverner toutes les provinces et toutes les villes en particulier. Et, bon gré mal gré, il est forcé de demander l’aide d’administrateurs qui agissent en tant que ses vicaires ou en tant que princes de ces provinces.  Et on ne peut douter que les princes s’acquitteront plus fidèlement de leurs responsabilités que les  simples vicaires étrangers.

 On tire un autre argument de l’autorité divine. C’est, en effet, cette forme de gouvernement que Dieu a institué autant dans l’ancien que dans le nouveau testament.  Pour l’ancien testament, il est facile d’en apporter la preuve.  Car, le peuple des Hébreux a toujours eu une seule personne, chef, juge ou roi, qui dirige le peuple.  Ce qui se rapporte à la monarchie. Il a eu, en plus, plusieurs chefs subalternes, dont nous parle L’Exode (18) : « Après avoir élu des hommes intègres parmi tout Israël, il les établit princes du peuple, tribuns, centurions, des chefs de cinquante  et de dix qui jugeraient le peuple en tout temps ».  Cela se rapporte à l’aristocratie. De plus, ce n’est pas d’une seule tribu, mais de tout le peuple que les prêtres étaient choisis, comme on  le voit dans le même passage de l’Exode 18, et aussi dans le Deutéronome 1. Ce qui se rapporte en quelque façon à la démocratie.

 On peut prouver la même chose pour le nouveau testament.   Il y a, en elle, la monarchie du pontife suprême, l’aristocratie des évêques (qui sont des princes et des pasteurs, et non des vicaires du souverain pontife),  une certaine démocratie, car, quelle que soit sa classe sociale, personne n’est exclu du sacerdoce, de  l’épiscopat ou de la papauté.

CHAPITRE 4 : La monarchie simple l’emporte sur les autres régimes comme étant  le gouvernement par excellence.

  Vient ensuite la troisième proposition qui était telle : sans tenir compte des circonstances, la monarchie l’emporte haut la main sur les autres formes de gouvernement. Si nous avons accordé la préférence à un régime mixte sur la monarchie simple, parce qu’un seul homme ne peut pas être présent partout, et qu’il doit nécessairement administrer avec l’aide  d’administrateurs qui sont ses vicaires ou des princes, cette circonstance, qui tient à la personne, ne sera pas une raison qui nous empêchera de préférer la monarchie simple à toutes les autres formes de gouvernement.

 Mais nous recevons d’ailleurs un autre argument.   Si la monarchie simple a sa place dans l’empire de Dieu et du Christ, et si on ne doit  attribuer à Dieu et au Christ que ce qu’il y a de meilleur.  Il est donc forcé que le meilleur régime soit la monarchie.  Si quelqu’un veut nier cela, je ne vois pas comment il peut s’empêcher de tomber dans l’erreur de Marcion et des Manichéens. Car, comme, étant régi par son créateur, le monde est bien gouverné, si l’aristocratie est la meilleure forme de gouvernement,  nombreux seront les régisseurs du cosmos,  et donc plusieurs créateurs, plusieurs premiers principes, plusieurs dieux.  Les anciens pères, (saint Cyprien dans son traité sur la vanité des idoles, saint Justin dans son exhortation oratoire, saint Athanase dans son traité contre les idoles, auxquels on peut peut-être ajouter le Juif Philon dans la confusion des langues) prouvent que la monarchie est le meilleur régime en enseignant qu’il n’y a qu’un seul Dieu,  qui régit et gouverne tout ce qu’il a créé. Saint Justin et le Juif Philon nous ont laissé des livres qui traitent de la monarchie de Dieu.

 Puisqu’il en est ainsi, on ne peut trouver d’excuses à l’erreur de Calvin qui, aveuglé par la haine qu’il porte à la hiérarchie ecclésiastique, préfère l’aristocratie à toutes les autres formes de gouvernement, même sans tenir compte de toutes les circonstances possibles.  Car, voici ses propres paroles (livre 4, institutions, chap 20, verset 6) : « Car, si, abstraction faite des circonstances, tu compares ces régimes, tu n’auras pas de difficulté à voir quel est celui qui l’emporte par son utilité, même quand ils concourent dans des conditions semblables. »  Et un peu après : « Si on considère en elles-mêmes les trois formes de gouvernement que décrivent les philosophes, je ne puis nier que l’aristocratie ou un mélange d’aristocratie et de démocratie l’emportent haut la main ».

 Mais, tu me diras, lis ce qui suit, et tu trouveras la réponse à ton objection.  Car, Calvin continue ainsi : « Ce n’est donc pas par elle-même, mais parce qu’il arrive rarement que les rois sachent se gouverner au point de ne jamais s’éloigner du juste et du droit; rarement qu’ils soient conseillés avec la prudence et la sagesse qui  leur permette de voir jusqu’où ils peuvent aller.  Ce sont donc les vices et les défauts des hommes qui rendent plus sur et tolérable le gouvernement de plusieurs. »   Je prends note.  Mais qu’est-il arrivé à l’édition de l’an 1554, où ces mots ne figurent pas ?  Tu me diras peut-être qu’après réflexion ou avertissement, il a corrigé son erreur.  J’omets de dire qu’on ne peut pas supporter qu’un tel maître en Israël se trompe si lourdement.  Ce qui m’étonne c’est que Calvin n’a pas pu corriger son erreur sans se contredire. Car si, comme il le dit lui-même, il n’est pas facile de trouver  quel est le régime qui l’emporte sur les autres, même si on les compare entre eux, abstraction faite des circonstances; et si, quand ont compare les trois formes de gouvernement dont parlent les philosophes, c’est l’aristocratie qui se montre supérieure aux autres, comment peut-être vrai ce qu’il ajoute tout de suite après : « ce sont donc les vices ou les défauts des hommes qui font que le gouvernement de plusieurs soit plus sur et plus tolérable ». Car, si je ne m’abuse,  ces autres phrases disent le contraire : « Si on considère en elles-mêmes ces trois formes de gouvernement, l’aristocratie l’emporte haut la main. »  Et : « Ce n’est pas  par elle-même que l’aristocratie l’emporte, mais parce qu’il arrive rarement que le roi ne s’éloigne pas du droit chemin ».

 Ces autres phrases ne sont pas moins contraires : « On ne peut pas découvrir quel est le régime qui l’emporte sur les autres, si on les considère sans tenir compte des circonstances ». Et cette autre : «  C’est le vice des hommes qui fait qu’on juge l’aristocratie plus utile ».  Si on ne tient compte ni du vice des hommes ni des autres circonstances, la monarchie est-elle supérieure aux autres ou non ?  Si elle l’est, qu’est-ce qui lui permet de dire qu’on ne peut détecter quelle est la meilleure ?  Si elle ne l’est pas, pourquoi défendons-nous la monarchie contre les manichéens et les païens ?  Mais c’est le temps de passer à une autre question.
 

CHAPITRE 5 On propose une seconde question : le régime ecclésiastique doit-il être monarchique ?

Après avoir démontré que la monarchie est le meilleur régime, une deuxième question se pose spontanément : la monarchie convient-elle à l’Église du Christ ?  Pour bien séparer ce qui est certain de ce qui est douteux.  Nous et nos adversaires nous nous entendons sur trois choses.  Une première : il y a, dans l’Église, un certain gouvernement, car, dans les cantiques (6) on dit que « l’armée est rangée en ligne de bataille ».  Dans Actes (20), « Veillez sur vous et sur tout le troupeau, vous que le Saint-Esprit a placé comme épiscopes pour gouverner l’Église de Dieu »  Hébreux 13 : « Obéissez à vos préposés ».  La deuxième : le régime ecclésiastique est un gouvernement qui est spirituel et distinct du politique.  « Celui qui préside dans le zèle (Romains 12) ».  Et (1 Tim 5) : « Ceux qui président bien, sont dignes d’un double honneur »,  et d’autres semblables. Or, il n’y avait pas encore de princes séculiers dans l’Église, ou ils étaient rarissimes.  Ces deux choses Jean Calvin les enseigne lui aussi (Institiutions, livre 4, chapitre 11, verset 1).

La troisième chose est que le roi de l’Église  absolu, indépendant et autonome  est le seul Christ, dont il est dit (psaume 2 : « J’ai été établi roi par lui sur Sion, sa montagne sainte ». Et Luc 1 : « Et son règne n’aura pas de fin ».  En conséquence, on ne cherche pas à trouver dans l’Église une monarchie absolue et indépendante, ni non plus une aristocratie ou une démocratie, mais une forme de gouvernement que peuvent avoir des ministres et des dispensateurs.  Comme le dit saint Paul (1, Corinth 4) : « Que l’homme nous voie comme des ministres du Christ, et des dispensateurs des mystères de Dieu ».

Or, nos adversaires estiment que la forme de gouvernement confiée aux hommes par le Christ  n’est nullement une monarchie, mais une aristocratie ou une démocratie, même s’ils ne sont pas tous d’accord là-dessus.  Illiricus, en effet, dans les centuries (livre 2, chap 7), enseigne qu’il n’y a personne dans l’Église qui gouverne tous les chrétiens, mais que toute l’autorité appartient à l’Église, soit dans les ministres, soit dans le peuple. Mais, toutefois, (dans son livre sur l’élection des évêques), il attribue le pouvoir suprême à la multitude de toute l’Église,  et estime que la démocratie, dans l’Église, remplit le premier rôle, l’aristocratie le second, c’est-à-dire l’assemblée des anciens.   Jean Calvin, par contre, enseigne ouvertement que l’autorité du sénat des anciens est plus grande que celle des évêques.  Jean Brentius (dans le prolégomène contre Pierre a Soto), remet l’autorité suprême aux meilleurs.  Mais ces meilleurs il ne veut pas qu’ils soient des évêques, mais des princes séculiers, qu’il considère comme des membres très nobles de l’Église.

Les docteurs catholiques, eux,  sont tous d’accord pour enseigner que le régime ecclésiastique confié par Dieu aux hommes est de type monarchique, mais d’une monarchie tempérée par l’aristocratie et la démocratie.  C’est ce dont principalement parlent saint Thomas (4 contre les Gentils, chapitre 76), Jean de Turrecremata (livre 2 de l’Ecclésiastique, chapaitre 2), et Nicolas Sanderus (dans les livres sur la monarchie visible de l’Église),  Pour marcher sur leurs pas, nous présenterons quatre propositions, et nous les défendrons le mieux que nous le pourrons.  La première sera : le gouvernement de l’Église ne se trouve pas principalement dans le peuple. La deuxième : ni dans les princes séculiers.  La troisième, ni non plus dans les princes ecclésiastiques. La quatrième : mais principalement dans le Chef et le Prêtre de toute l’Église.

CHAPITRE 6 Le gouvernement de l’Église n’est pas démocratique

La première proposition, donc, nie que le pouvoir ecclésiastique se trouve dans le peuple.  Ce que l’on prouve par les arguments suivants.  D’abord, des quatre choses qui doivent être présentes dans tout gouvernement du peuple.   Le premier argument. Là où il y a un régime populaire, c’est par la plèbe que les magistrats sont constitués, et c’est d’elle qu’ils reçoivent leur autorité.  Car, quand le peuple ne peut, par lui-même, exercer la fonction de juge, il doit en nommer qui le feront en son nom.  C’est pourquoi, Cicéron (au début de 2 agr), appelle bienfait du peuple le consulat, qui était le pouvoir suprême dans la république romaine.  Et, il dit au même endroit, qu’on avait coutume de créer des consuls par la voix du peuple.

Le deuxième argument. Là où le gouvernement appartient au peuple, on en appelle,  même dans les choses de la plus grande importance,  au jugement du peuple après une décision du magistrat. Qu’on avait coutume d’agir ainsi dans la république romaine  Tite-Live l’atteste (livres 2 et 4).  Plutarque, dans Solon, raconte que la même chose se passait à Athènes.   Le troisième argument,   Les lois du pays sont proposées par le magistrat, mais  décrétées par le peuple.  On peut s’en rendre compte en lisant le discours de Cicéron au peuple romain sur la loi Manil, et la loi agricole.

Le quatrième. On avait coutume d’accuser les magistrats devant le peuple, de les priver de leur dignité, de les exiler, ou même de les mettre à mort, si tel était le bon   plaisir du peuple.  Les exemples sont très nombreux.  Des deux premiers consuls qu’ils instituèrent, les Romains démirent de sa fonction Tarquinium Collatinum, seulement à cause de la haine qu’ils portaient au nom du roi Tarquin expulsé, comme le rapporte Tite-Live (livre 2).  Le même historien rapporte aussi, au même endroit, qu’après avoir institué des decemvir, ils les déposèrent peu après, sans leur consentement.

Or, il est facile de démontrer que rien de tout cela ne convient au peuple chrétien.  D’abord, dans toute l’Écriture, il n’y a pas un seul mot qui donne au peuple le pouvoir de créer des évêques et des prêtres.  Mais on en trouve qui donnent ce pouvoir aux évêques (Tite 1) : « La raison pour laquelle je t’ai laissé en Crête, c’est pour que tu consacres des prêtres dans les villes, comme je te l’ai fait à toi. »  Ensuite, les apôtres, qui ont été les premiers ministres de l’Église, on ne lit pas qu’ils aient été choisis et établis par l’Église, mais par le Christ (Marc 6).  Les premiers évêques après les apôtres, alors que l’Église était fervente, n’ont pas été faits tels par le peuple, mais par les apôtres, comme on peut le connaître même par l’histoire des Magdebourgeois.  Car, (à la centurie 1, livre 2, chap 2, col 15), les Centuriates attestent  qu’à Icône et à Antioche, c’est par saint Paul qu’ont été donnés des pasteurs,  et (chapitre 10, colonne 624), ils déclarent avoir appris par Nauclerc et d’autres historiens, que Apollinaire de Ravenne, Materne de Trèves, et Hermagoras d’Aquilée, ont été sacrés évêques par saint Pierre.

À ces témoignages, saint Irénée ajoute (livre 3, chapitre 3), que saint Lin a été sacré évêque de Rome par saint Pierre et saint Paul. Tertullien (les prescriptions) écrit que saint Clément a été sacré évêque par saint Pierre à Rome, et Polycarpe de Smyrne par saint Jean.  Eusèbe (livre 3, chap 4 de son histoire) affirme que c’est saint Paul qui a donné Timothée aux Éphésiens, et Tite aux Crétois.  Nicéphore (dans le livre 2, chapitre 41), écrit que c’est saint Matthieu qui a sacré évêque Platon, dans la ville des anthropophages, du nom de Mirmena.   Saint Léon (dans la lettre 81 à Dioscore), écrit  que saint Marc a été créé évêque, et envoyé à Alexandrie par saint Pierre.  Eusèbe de Césarée nous rapporte que Denys l’aréopagite a été créé évêque par saint Paul,  Et c’est ce que dit en toutes lettres Bède le vénérable dans le martyrologue. Nous pourrions faire la même démonstration pour un grand nombre, si la chose s’avérait nécessaire. Les choses étant ce qu’elles sont, il apparait suffisamment clairement que  dans la sainte église primitive, la démocratie n’a pas eu sa place, puisque c’étaient les apôtres, non le peuple, qui détenaient le pouvoir.

L’appel au peuple pour renverser toute décision faite par les autorités religieuses ne convient pas non plus aux fidèles de l’Église.   On n’a jamais entendu dire que, dans l’Église du Christ,  on ait fait appel, des évêques au peuple; ni que le peuple ait aboli des lois édictées par les évêques, ou qu’ils aient condamné ceux que les évêques avaient absous.  Il n’est, non plus, jamais arrivé que le peuple décide dans les controverses sur la foi.  Nous pouvons, nous, présenter un grand nombre de jugements portés par les évêques, et surtout par les souverains pontifes, en feuilletant les tomes des conciles.  Mais nos adversaires ne peuvent même pas nous montrer un seul jugement prononcé par le peuple.

Ajoutons qu’il y a un grand nombre de témoignages de l’Écriture, des conciles et des saints Pères qui expliquent que le peuple ne peut, en aucune façon, prononcer des jugements ecclésiastiques.  Ces citations, nous les avons présentées quand nous avons parlé du juge ecclésiastique, ou nous le ferons quand nous parlerons des conciles.  Il est certain que si l’Église était une démocratie, on devrait s’étonner de ce que, pendant 1500 ans, aucune cause n’ait été jugée par le peuple.   En troisième lieu, il convient encore moins au peuple de faire des lois, car toutes les lois ecclésiastiques on trouve que ce sont les conciles ou les pontifies qui les ont promulguées, sans jamais attendre l’approbation du peuple pour qu’elles entrent en vigueur.   Au contraire, en traversant la Syrie et la Cilicie,  saint Paul ordonnait au peuple de garder les préceptes des apôtres et des anciens.   Il n’y a aucune loi  ecclésiale qui rende possible un plébiscite, alors que, dans la législation romaine, il y en avait un grand nombre.

Enfin, il ne revient pas à  tous de juger les magistrats. Personne ne pourra nous montrer un évêque qui a été déposé ou excommunié par le peuple, tandis qu’on en trouve un grand nombre qui ont été déposés et excommuniés par les papes et les conciles généraux. Il est hors de doute que l’évêque de Constantinople, Nestor, a été déposé par le concile d’Éphèse, sur la demande du pape Célestin, comme l’atteste Évagre (livre 1, chapitre 4), et que l’évêque d’Alexandrie, Dioscore, a été privé de son siège épiscopal par le concile de Calcédoine, suite à une décision du pape saint Léon le grand, comme le montre les actes 3 du concile. Voilà donc la première raison.

La seconde raison se tire de la sagesse de Dieu.   Il n’est pas croyable que, dans sa sagesse infinie, le Christ roi ait institué, dans son église, le pire régime de tous.  Que la démocratie soit le pire de tous les régimes, c’est ce qu’enseigne Platon (dans axiocho) : « Qui peut être heureux en vivant sous le gouvernement du peuple, même s’il plaît et s’il est encensé ? »  Aristote (livre 8 de l’Éthique, chapitre 10) déclare que parmi les trois formes de gouvernement, la démocratie est la pire de toutes ». Plutarque (dans Solon), rapporte que le Scythe Anacharsidem s’étonnait de ce que, « en Grèce, les savants parlaient et les sots jugeaient », car c’est le peuple qui jugeait ce que disaient les orateurs. De même, dans un apophtegme, il raconte qu’on avait demandé à Lycurgue pourquoi il n’avait pas institué de démocratie à Sparte.  Il a répondu qu’il aurait fallu qu’il l’institue d’abord dans sa maison.

Parmi les nôtres, saint Ambroise (livre 5, hexam, chap 21 sur la multitude du peuple) dit : « Elle n’étend pas les mérites de la vertu, ni ne se soucie de l’utilité publique, mais rend tout transitoire et incertain ».  Saint Jérôme (Matt chap 21) : « La foule est toujours changeante, elle ne peut pas persister dans un dessein bien arrêté.  Et elle est entraînée ça et là comme les flots et les vents. »    Saint Jean Chrysostome (homélie 2 sur saint Jean) : il définit le peuple plein de tumultes et d’agitations, un composé en grande partie par la sottise, emporté souvent témérairement, comme les flots de la mer, dans des avis changeants et contradictoires.  Il dit ensuite : « Celui qui est opprimé par ce genre de servage, n’est-il pas le plus misérable de tous ? »  Il en ajoute la raison, car  il ne peut pas y avoir de régime politique plus mauvais que celui où les sages sont régis par des fous, les compétents par les incompétents, les bons par les mauvais.  Et c’est ce qu’est le régime de la démocratie.  Car, là où domine la démocratie, tout est décidé par les suffrages de plusieurs.  Or, il est évident que le nombre de fous est plus grand que le nombre de sages, les méchants plus nombreux que les bons,  les incompétents plus nombreux que les compétents.

Ajoutons à cela ce que dit Aristote (livre 1, politique, chapitres 1 et 3). Il enseigne que ceux qui sont plus brillants que les autres sont les maîtres de ceux qui sont moins doués.  Saint Augustin dit quelque chose de semblable (livre de l’utilité de la foi, chapitre 12) : « Les sots vivraient mieux s’ils étaient les serviteurs des sages ».  Qui ne voit pas quelle perturbation de l’ordre c’est que de confier à la foule ignorante le gouvernement de la république ?

Enfin, si le peuple avait, dans l’Église, l’autorité qui lui permette de gouverner, ou il la posséderait de soi, ou il l’aurait reçue d’un autre.  Il ne peut pas l’avoir reçue de lui-même, car ce pouvoir n’est pas de droit naturel, ou de droit des gens, mais de droit divin et surnaturel.  Il n’est pas semblable au pouvoir civil qui est dans le peuple tant qu’il n’a pas été transféré dans le prince.  Le peuple ne reçoit pas cette autorité d’un autre, car s’il l’avait il devrait l’avoir de Dieu. Or, il ne l’a pas de Dieu, car, dans le livre de Dieu, les saintes Écritures, jamais n’est confié au peuple le pouvoir d’enseigner,  de paître, de gouverner, de lier et de délier.  Au contraire, le peuple reçoit toujours le nom de troupeau, un troupeau qui a besoin d’être nourri, conservé et protégé.  Il a été dit à Pierre (Jean, dernier chapitre) : « Pais mes troupeaux ! »  Et, dans les actes (20) : « Le Saint-Esprit a placé des épiscopes pour régir l’Église. »  Ce que nous avons donc dans l’Écriture, c’est que le gouvernement de l’Église n’est pas un gouvernement démocratique ».   Mais on objecte trois choses à cela.  La première est tirée de ces paroles de Jésus, en saint Matt 18 : « Dis-le à l’Église ! »  Ce texte ne semble-t-il pas signifier que c’est auprès de l’ensemble des fidèles que se trouve le tribunal suprême de l’Église ? »

Nous répondons que le « dis à l’Église », signifie : rapporte-le au jugement public de l’Église, c’est-à-dire à ceux qui, dans l’Église, sont des personnes publiques. C’est ainsi que saint Jean Chrysostome le comprend : dis-le à l’Église, c’est-à-dire à celui qui en prend soin. Et c’est ce que confirme la coutume des églises.   Car, jamais nous n’avons vu ou entendu dire qu’un criminel ait été mené devant le tribunal de l’assemblée du peuple. Ce que nous voyons souvent, et ce que nous avons entendu c’est que les jugements ont été rendus par les évêques.

Il tire un autre argument des actes des apôtres (chapitres 1 et 6).  Car, dans les actes 1, c’est toute l’Église qui élit Matthias.  On voit la même chose dans le choix des sept diacres (actes 6), et les pères enseignent souvent que l’élection des évêques appartient au  peuple.  Je réponds que nous parlerons ailleurs de l’élection des ministres.  Entre temps, nous nions que le droit qu’a eu le peuple d’élire les évêques puisse prouver l’existence d’une démocratie dans l’Église.  Le peuple, en effet, n’a jamais ordonné personne, n’a jamais créé de ministres, et ne leur a pas donné de pouvoir.  Il n’a fait que nommer et désigner. Ou, comme le disent les anciens, il a fait le choix de ceux qu’il désirait voir ordonnés par l’imposition des mains des évêques.  C’est pourquoi, dans les actes 6, les apôtres disent : « Choisissez sept hommes de bon renom, que nous consacrerons à cette œuvre. »  Dans ce passage, on n’accorde au peuple que le pouvoir  de choisir et de présenter des gens capables d’exercer ce poste. Mais ceux qui ont été présentés, ce n’est pas le peuple, mais les apôtres qui les ont créés diacres.  C’est ce que saint Cyprien enseigne aussi : « Le Seigneur a choisi, les apôtres les ont institués diacres par eux-mêmes (livre 3, épitre 9). »

De plus, même si le peuple lui-même avait institué des évêques, cela ne ferait pas du régime ecclésiastique un régime principalement démocratique. Car, pour qu’il y ait un véritable régime démocratique, il est requis, en plus de beaucoup d’autres choses,  que le peuple établisse les magistrats.  Cela ne suffit pas encore. Car, même si les premiers rois ont été élus par le peuple, leur gouvernement était celui d’une monarchie, et non d’une démocratie.    Pour une raison semblable, les empereurs romains étaient élus autrefois par les soldas; et maintenant ils le sont par certains princes. Et, néanmoins, leur gouvernement est monarchique et non démocratique.  Car, pour qu’il y ait une démocratie, il faudrait que, après l’élection du roi, l’autorité du peuple demeure plus grande que celle du roi, et qu’on puisse en appeler de la sentence du roi au jugement du peuple.  Choses qui n’existent ni dans l’Église, ni dans un royaume, et qui n’ont jamais existé  dans l’empire romain. C’est ce qu’avait compris Valentinien senior (comme le rapporte Sozomène, livre 6,chap 6), quand on avait voulu lui donner des soldats comme collège dans le gouvernement : « Il dépendait de vous de m’appeler à l’empire.  Mais, après avoir été élu par vous, ce  collègue dans le gouvernement que vous demandez, vous n’avez désormais plus le pouvoir de l’élire.  Cela ne dépend que de moi » »

Le troisième argument, ils le tirent de l’autorité des saints Cyprien et Ambroise.  Saint Cyprien (dans le livre 3 de  son épitre 14 aux prêtres et aux diacres, parlant de quelques frères turbulents, dit : « Entre temps, on leur interdit d’offrir et de plaider leur cause auprès de nous ou de l’assemblée du peuple ».  Et saint Ambroise (épitre 32, portant sur le jugement de le foi : « Le peuple a déjà jugé ».  Je réponds que saint Cyprien avait coutume de traiter ses plus importantes affaires devant le clergé et le peuple, et qu’il ne faisait rien sans leur consentement.  Mais cela, il le faisait de plein gré, sans y être contraint par aucune loi, comme nous le montre sa lettre (10, chap 3) où il écrit : « Depuis le tout début de mon épiscopat, je me suis imposé cette règle de ne rien régler sans votre avis et sans le consentement du peuple. »  Mais saint Cyprien ne devenait pas, pour autant, sujet de son clergé et du peuple.  C’est ainsi que se comportait le roi Assuérus envers les sages : il ne faisait rien sans leur avis (comme on le lit dans le livre d’Esther, chap 1).  Mais, même si saint Cyprien s’était soumis spontanément à son clergé et au peuple, ce qu’on ne peut pas du tout croire, il n’en a pas fait une loi pour l’Église.

En ce qui a trait à saint Ambroise, il parle, dans ce texte, il parle d’un tribunal privé où chacun statue ce qu’il doit suivre, non d’un jugement public, qui a l’autorité voulue pour obliger autrui.  C’est le sens que nous pouvons attribuer à ses paroles. Car, il dit ailleurs : « S’il y en a qui veulent venir qu’ils viennent avec le peuple, non pour que chacun agisse en juge, mais pour que, voulant faire examiner son cas, chacun choisisse qui il suivra. » Voir le grand nombre d’autres choses  qui ont trait à notre sujet dans le livre 1 des conciles (chapitres 19 et 20 ».
 
 
 
 

                                         CHAPITRE 7

Le pouvoir ecclésiastique ne se trouve pas auprès des princes séculiers.

L’autre proposition, qui nie que le pouvoir ecclésiastique réside auprès des princes séculiers, s’oppose à deux erreurs de Brentius.  Sa première erreur.   Les dignitaires de l’Église sont les princes séculiers.  Quant aux évêques, il les ravale au point d’en faire les domestiques des princes.  Sa deuxième erreur.   C’est à ces dignitaires séculiers qu’appartient principalement le gouvernement de l’Église. Ces erreurs un Henri V111, roi d’Angleterre, les a commises lui aussi, car, il s’est établi chef de l’Église anglicane, et il a estimé que les autres princes devaient, dans leurs territoires respectifs, être chefs suprêmes de leur église.

La première erreur est facile à réfuter.  Par les paroles prophétiques elles-mêmes, psaume 44 : « Pour remplacer tes pères des fils te sont nés. Tu les établiras princes sur toute la terre ». Voici comment commente ce texte saint Augustin.  Par pères il entend les apôtres, et par fils les fidèles que Dieu a établi évêques, ou princes sur toute la terre.  Et saint Jérôme, au même endroit : « Les apôtres, ô Église, furent tes pères,  parce que ce sont eux qui t’ont engendré. Et maintenant, parce qu’ils se sont retirés du monde, tu as, pour les remplacer, leurs fils évêques ».  Et, plus bas : « Ont été établi des princes de l’Église, c’est-à-dire les évêques. »   Les Pères grecs ne parlent pas autrement.  Saint Jean Chrysostome et Theodoret expliquent que par pères ils entendent les patriarches, et par fils princes les apôtres.   De même, saint Paul ( 1 Cor 12, et Eph 4 ) écrit que Dieu a, dans l’Église, placé d’abord « les apôtres, ensuite les prophètes, et puis les docteurs. »

Si les premiers à être évêques ont été les apôtres et ceux qui leur ont succédé,   les rois et les princes séculiers ne sont certes pas les premiers dans l’Église.  Ou plutôt, comme l’enseigne saint Jean Damascène ( 2 discours pour les images) : « Non seulement l’apôtre n’a pas placé les rois dans le premier rang, mais il ne les as placés dans aucun, pour bien indiquer que  les rois ne sont par des princes de l’Église, mais seulement des laïcs. »

On continue la réfutation à l’aide des pères.   Saint Ignace (dans son épitre 7 à Smyrne), dit que rien n’est plus honorable dans l’Église que l’évêque.   Et il ajoute que le premier honneur est du à Dieu, le second à l’évêque, et le troisième au roi.  Saint Grégoire de Naziance (dans son discours aux citoyens frappés par la crainte), saint Jean Chrysostome (livre 3 du sacerdoce, et dans son homélie 4 sur Isaïe, chapitre 6), saint Ambroise (livre de la dignité du sacerdoce, chapitre 2) placent très clairement l’évêque avant le roi.   Saint Jean Chrysostome (homélie 83)  ne soumet pas les rois seulement aux évêques, mais même aux diacres.  Car, voici ce qu’il dit à son diacre : « Si un prince, si un consul, si  quelqu’un qui est revêtu du diadème se conduit indignement, reprends-le et empêche-le.  Parce que tu possèdes un pouvoir plus grand que lui. » Saint  Augustin (dans le psaume 98) donne pour preuve que Moïse était prêtre le fait qu’il était le plus grand, car il n’y a rien de plus grand qu’un prêtre.  Et le pape Gélase dans son épitre à Anastase : « Tu sais, fils très clément, que même si tu présides au genre humain pour les choses terrestres, tu dois soumettre ton cou dévotement à ceux qui sont chargés des choses divines. »  Et plus bas : « Tu sais que tu dois te soumettre à la hiérarchie ecclésiale  plutôt que de lui imposer ta volonté.  Sache que tu dépends de leurs décisions; et que ce n’est pas à eux à se plier à ta volonté  ».

Saint Grégoire (au livre 13, des morales, chap 19) affirme que, dans le corps du Seigneur, les premiers membres sont les prêtres. Et (livre 4, épitre 31 à Maurice) il enseigne que les prêtres sont comme des dieux parmi les hommes, et que, pour cette raison, ils doivent être honorés même  par les rois.  Nicolas 1 (épitre à Michael) enseigne et prouve la même chose.

On le prouve ensuite avec les actions des évêques et des rois.  Le pape Fabien a exclu Philippe, le premier empereur chrétien, de la communion de l’autel le jour de Pâques, pour certains de ses péchés publics.  Et il ne l’a pas admis avant qu’il ne se soit confessé et qu’il n’ait fait pénitence pour ses péchés.  C’est ce que rapporte Eusèbe (dans son histoire ecclésiastique, livre 6, chap 25. »  De même, l’empereur Constantin a déclaré publiquement qu’il n’avait pas le pouvoir de juger les évêques;  que ce jugement appartenait à Dieu; et qu’il cherchait plutôt à se soumettre à leur jugement.   Saint Ambroise a expulsé de l’Église l’empereur Théodose sénior, et l’a contraint à subir une pénitence publique.  Et ensuite, quand l’empereur a voulu pénétrer dans le sanctuaire et s’assoir dans les bancs réservés aux prêtres,  saint Ambroise lui intima l’ordre de descendre, et de s’assoir avec les fidèles.  Ce que fit l’empereur de plein gré.  Cela, c’est Théodoret qui le raconte (histoire de l’Église, livre 5, chap 17).

Ensuite l’empereur Maxime avait, dans un banquet, saint Martin comme convive, près de lui.  Or, l’échanson n’envoya pas  la première coupe à l’empereur, comme au plus digne, mais à l’évêque,  qui l’accepta, et but.  Et ensuite, ce n’est pas à l’empereur mais à son prêtre que saint Martin  présenta la coupe, ne  trouvant personne de plus digne qui pût boire après lui.  Il lui avait paru tout normal de faire  passer un simple prêtre avant l’empereur, et avant tous les princes et les nobles.  C’est ce que rapporte Sulpice Sévère dans sa vie de saint Martin.

On repousse ensuite cette erreur par des deux raisonnements.  Le premier.  C’est l’évêque qui oint le roi, lui enseigne, le lie et le délie, et le bénit.  Or, l’apôtre dit (Hébreux 7) : « Sans contradiction, c’est l’inférieur qui est béni par le supérieur. » Le deuxième.  Les gouvernements séculiers ont été institués par les hommes. Ils relèvent du droit des gens. Mais le gouvernement ecclésiastique vient de Dieu seul.  Il est donc de droit divin.  Le premier régit les hommes pour qu’ils soient des êtres humains, veillant plus sur les corps que sur les âmes. Le second régit les hommes pour qu’ils soient des chrétiens.  Il se soucie plus des âmes que des corps.  L’un a pour fin la paix temporelle et le salut du peuple.  L’autre la vie et la béatitude éternelles.   L’un se sert de lois naturelles et d’institutions humaines;  l’autre, de lois divines et de sacrements institués par Dieu.  L’un fait la guerre à des ennemis peu nombreux et visibles; l’autre  a pour ennemis invisibles tous les anges déchus.

Mais Brentius a une objection à présenter.  Les évêques sont les serviteurs de l’Église (Cor 2) : « Ce n’est pas nous que nous prêchons, mais le Christ Jésus, nous qui sommes vos serviteurs par Jésus. »  À plus forte raison seront-ils serviteurs du roi, surtout quand saint Pierre dit des rois : « Soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu, au roi à cause de leur prédominance, aux légats, comme envoyés par lui. »   Je réponds qu’il y a deux sortes de servitude.   Tous ceux qui travaillent pour le plus grand bien de quelqu’un,  on  dit d’eux qu’ils lui rendent service.   Il y en a qui travaillent pour quelqu’un en le régentant et en le dominant.  D’autres travaillent pour quelqu’un et le servent en lui obéissant.  Et c’est ce que font les serviteurs ou les esclaves.   Les évêques sont les serviteurs de l’Église, mais au premier sens du terme, c’est-à-dire de la façon dont ont dit qu’un magistrat est au service de la république. Selon ce sens, le roi (s’il n’est pas un tyran) est au service du peuple, le père au service de ses enfants, et le maître d’école de ses élèves.

C’est pourquoi saint Paul ( 1 Cor 4) se dit le père de ceux dont il s’était dit serviteur : «  Par l’évangile, je vous ai engendrés. »  Et il ajoute : « Que voulez-vous ? Que je vienne à vous avec une verge, ou dans la charité et l’esprit de mansuétude ? »  Et (aux Hébreux 13) : « Obéissez à vos préposés, et soumettez-vous à eux ».  C’est pour cette raison que saint Grégoire le Grand s’appelait le serviteur des serviteurs de Dieu. Et, saint Augustin (livre 9 des confessions, dernier chapitre) : « Inspire, Seigneur, de bons sentiments à tes serviteurs mes frères, eux que je sers par la bouche, le cœur et les écrits ».  Et, saint Bernard (livre 2 de la considération) dit au pape Eugène que quand il a été levé pasteur suprême au-dessus des nations et des royaumes, il ne l’a pas été pour qu’il domine sur autrui, mais qu’il serve.

Mais, tu demanderas : les rois sont rois même dans l’Élise, et c’est à eux que les chrétiens doivent être soums, en tant qu’occupant le premier rang.  Cela est vrai, mais seulement dans les choses qui relèvent de la politique.  Les rois chrétiens président sur les chrétiens, non en tant que chrétiens, mais en tant qu’hommes, comme d’ailleurs ils ont, en tant qu’hommes d’état,  autorité sur les Juifs et les Turcs. Car, en tant que chrétiens, ils sont des brebis confiées à la garde des pasteurs, comme l’enseigne saint Grégoire de Naziance (dans son discours aux citoyens frappés de terreur), et comme le dit saint Ambroise (comme il le dit dans le discours dans son discours sur la livraison de la basilique aux ariens) : « On ne peut rien dire de plus honorable pour un empereur que de l’appeler fils de l’Église  , car un bon empereur est dans l’Église, non au-dessus d’elle. »

La dernière erreur  de Brentius sera facile à réfuter après tout ce qui a été dit.  Si les princes ne sont pas des dignitaires de l’Église, ils ne participent pas à la hiérarchie de l’Église.    On peut en plus ajouter ces arguments.   Le gouvernement de l’Église est surnaturel. Il ne revient donc qu’à ceux à qui le Christ l’a confié.  Or, on lit dans la bible qu’il a été commis aux apôtres et à leurs successeurs.   Car, à Pierre l’apôtre, il a été dit : « Pais mes brebis. » (Saint Jean, dernier chapitre) et, des apôtres il est dit  (actes 20) : « Que Dieu a placés évêques pour régir son église. »  Au sujet des rois, nous ne lisons jamais rien de semblable.

De plus, jusqu’au début du quatrième siècle, il n’y a pas eu de prince séculier dans l’Église, à l’exception de l’empereur Philippe,   qui survécut peu de temps.  Il y en eut peut-être un autre dans des régions non soumises à l’empire romain. Et pourtant, l’Église fut la même qu’elle est aujourd’hui, et semblable sa forme de gouvernement. Ce ne sont donc  pas les princes séculiers qui régissent l’Église du Christ.  De même.  Ceux qui ont le pouvoir suprême dans la chose publique peuvent faire tout ce que peuvent faire les juges.  Car, qui peut empêcher un roi d’entendre et de juger les causes qu’il a confiées aux pro-rois, aux préteurs, et aux juges ?  Mais, les rois ne peuvent pas usurper les fonctions de l’évêque, du prêtre et du diacre, telles que prêcher la parole de Dieu, baptiser, consacrer etc.   Les rois ne sont donc  pas les juges suprêmes de l’Église.

Que les rois n’ont pas le droit d’envahir les devoirs des prêtres, nous le prouvons ainsi.  D’abord, ce ne sont pas seulement les hommes qui peuvent devenir rois, mais aussi les femmes.  Or, l’apôtre interdit aux femmes de prêcher en public (i Corinth 14, et Tim 2),  Épiphane (pepuzites, her 49) et saint Augustin (hérésie 27), rangent parmi les hérétiques ceux qui attribuent le sacerdoce aux femmes.  De plus, (dans le psaume 2, 19), le roi Josaphat dit : « Amarias,  prêtre et pontife, présidera dans les choses qui se rapportent à Dieu, tandis que Zabadias s’occupera de ce qui se rapporte aux devoirs du roi ».  Et, (dans paral 2, 26), quand le roi Ozias voulut faire brûler de l’encens, le pontife l’en empêcha, en disant : « Ce n’est pas à toi qu’il appartient de faire brûler de l’encens, mais au prêtre ».   Et, comme il continuait, il fut subitement puni par Dieu au moyen d’une lèpre très grave.  Si dans l’ancien testament, le roi ne pouvait pas remplir l’office du prêtre, il le peut encore moins dans le nouveau, où se trouvent des fonctions sacerdotales  beaucoup plus sublimes.

De même. Dans le synode de Matiscon (chaap 9), dans le concile de Milet (chap 19), et de Tolède 3, 13), sont gravement punis les clercs qui portent devant  un juge séculier des causes ecclésiales.   Et saint Ambroise (dans la lettre  33 à sa sœur) rapporte qu’il a dit à Valentinien : « Ne te fourvoie pas au point de penser que tu aies un droit impérial quelconque dans les choses divines.  Tu as obtenu un droit sur les charges publiques, non sur les sacrées. »  Le même saint Ambroise a dit à l’empereur Théodose : « La pourpre fait des empereurs, non des prêtres ».  Theodoret (livre 5, chapitre 18, et au livre 4, chapitre 18) écrit qu’un certain Euloge, comme le préfet de l’empereur arien Valérien lui avait dit : « Joins-toi à l’Empereur ! », lui répondit spirituellement : « Est-il devenu évêque en devenant empereur ? »

Saint Athanase (dans une lettre à un anachorète),  blâme Constance parce qu’il s’est mêlé des choses ecclésiastiques.  Et il ajoute que Hosius, évêque de Cordou, a dit au même Constance : « Ne joue pas à l’empereur dans ce genre de choses, mais apprends plutôt de nous.  Car Dieu t’a confié l’empire, et à nous les choses de l’Église ». Svidas, dans la vie de Léonce,  témoigne que l’évêque Léonce a dit les mêmes choses à Constance.  Sulpice Sévère (livre 2, histoire sacrée, vers la fin ) rapporte que saint Martin  a dit à l’empereur Maxime que c’était un crime nouveau et inouï qu’une cause ecclésiastique soit jugée par un juge séculier.   Saint Augustin (épitres 48, 50 et 165) enseigne que le devoir des rois pieux est de défendre l’Église par des lois sévères et des peines, de réprimer les blasphèmes, les sacrilèges, et les hérésies condamnées par l’Église.  Et, au même endroit, il reproche aux donatistes d’avoir présenté une cause épiscopale non à des évêques, mais à un roi terrestre, pour que ce soit lui qui juge en dernier recours.  Saint Grégoire (livre 5 de l’épitre 125 à l’empereur Maurice) lui écrit : « Il est connu que les rois pieux aiment la discipline, respectent la hiérarchie ecclésiale, vénèrent les canons, et ne s’immiscent pas dans les causes sacerdotales. » Enseigne la même chose saint Jean Damascène (1 et 2, discours en faveur des images).  Et de plus, l’empereur Basile (dans le synode 8) déclare ouvertement qu’il ne lui est permis ni à lui ni à aucun laïc, de traiter des affaires de l’Église.  L’empereur Valentinien sénior a fait la même déclaration, selon l’historien Sozomène (livre 6, chap 7).

Les arguments de Brentiius ont été tirés de passages de l’ancien testament  où nous lisons que Moïse, Josué, David, Salomon,  Josias, tout rois qu’ils étaient, se sont fréquemment immiscés dans les affaires religieuses.  Pour confirmer son argumentation, Brentius ajoute que la garde de la loi divine leur a été confiée par Dieu, et que, en conséquence, le soin de l’Église leur appartient donc.  L’Apôtre ne dit-il pas : « Ce n’est pas pour rien qu’il porte un glaive, car il est le ministre de Dieu, vengeur de la colère de Dieu pour celui qui agit mal ».   Nous répondons que Moïse ne fut pas seulement un chef,  mais aussi un prêtre, comme il a été démontré dans la question du juge des controverses (au livre 3 du Verbe de Dieiu).  Les autres ont agi en vertu d’une autorité extraordinaire, en tant que prophètes plutôt qu’en tant que rois. Mais ne fut pas effacée, à cause de cela, la loi du Deutéronome qui, dans les doutes sur une question religieuse, renvoyait les Hébreux non au roi, mais à un prêtre.   Et c’est précisément  pour cela qu’Ozias a été puni de la lèpre : parce qu’il avait usurpé une fonction sacerdotale.

À la confirmation, nous répondons que les rois doivent être les gardiens des choses divines, mais non les interprètes.  Car c’est leur rôle d’empêcher par des lois et des peines les blasphèmes, les hérésies et les sacrilèges.    Mais ce qu’est une hérésie, et en quoi consiste la foi orthodoxe, c’est des évêques qu’ils doivent l’apprendre, comme l’ont fait les rois pieux tels que  Constantin, Valentinien, Gratien, Théodose, Martian.  Plusieurs choses ont été dites là-dessus dans la question du juge des controverses, et du président d’un concile général.

                                         CHAPITRE 8

Le gouvernement de l’Église n’est pas principalement auprès des évêques.

Nous voilà rendus à la troisième proposition.  Elle enseigne, contre deux erreurs de Jean Calvin, que le gouvernement de l’Église n’est pas principalement auprès des évêques et des prêtres.   La première erreur de Calvin est que les évêques et les prêtres sont égaux de droit divin. Et la dernière est que c’est dans l’assemblée des anciens que réside le pouvoir suprême de l’Église.  Jean Huss professa cette erreur, comme on peut le déduire de la session 15 du concile de Constance, articles 27, 28, 29.)

La première erreur.  Il est plus avantageux de réfuter cette erreur dans cette dispute plutôt que d’attendre que nous traitions des clercs.  Il suffira, entre temps, de réfuter la première par la deuxième, car ces deux erreurs ne marchent pas de pair.   Car, si l’Église est régie par les meilleurs, c’est-à-dire par les anciens, ou, parmi ces anciens on n’inclut que des évêques, qui sont les vrais dignitaires de l’Église,  ou on inclut aussi des prêtres.  Si on n’inclut que des évêques, il s’ensuit que les prêtres ne sont pas égaux aux évêques, et ne font pas partie des plus puissants, ce qui réfute la première erreur de Calvin.  Si on inclut des prêtres dans l’assemblée des anciens,  il s’ensuit que l’Église n’est pas régie par les élites, ni par l’assemblée des anciens comme l’avait conçue Calvin.  Et c’est ce qui était la deuxième et dernière erreur de Jean Calvin.  Car, il est évident que, dans les conciles généraux, qui traitent de l’administration de toute l’Église, où sont édictées ou abrogées des lois pour le gouvernement de toute l’Église, les prêtres n’ont jamais participé avec le pouvoir de définir, à moins d’avoir été légats, et d’avoir tenu la place de certains évêques.  Il n’y a rien là à prouver, puisqu’il suffit de lire les conciles.

La deuxième erreur, qui se rapporte directement à ce dont nous parlons, nous la réfuterons par les raisons suivantes.  D’abord, on ne voit jamais dans l’Écriture que le pouvoir suprême ait été confié à un concile de prêtres. Car, toute l’autorité que le Christ a accordée aux apôtres et à leurs disciples, il ne l’a pas donnée seulement à tous ensemble, mais à chacun en particulier.  Et pour l’exercer cette autorité, ils n’avaient pas besoin d’un concile.  Car, chacun des apôtres pouvait, comme le peut aujourd’hui chacun des évêques, enseigner, baptiser, absoudre, lier, ordonner des ministres etc.  Le seul endroit, dans l’Écriture, où soit attribué quelque chose à un groupe, est en Matt 18 : « Quand deux ou trois seront réunis en mon nom, je suis au milieu de vous. »  Or, en ce passage, on n’explique pas que le pouvoir d’un concile est suprême, intermédiaire, ou faible.  Et Calvin lui-même, contre lequel nous disputons (livre 4 institutions, chap 9, verset 2), ne fait pas grand cas de ce passage, puisqu’il dit qu’il vaut autant pour une petite assemblée de quelques personnes que pour un concile général.  Il n’y a donc pas lieu de nous étendre sur ce passage.

En deuxième lieu, si le pouvoir suprême de l’Église résidait auprès des aristocrates, il s’ensuivrait que l’Église manquerait souvent de recteurs,  Et comme la plupart du temps, ce qui est confié à tous n’appartient à personne,  l’Église serait très misérable dans un gouvernement de tous.   Car comme les aristocrates sont égaux entre eux, ils ne peuvent pas administrer le bien commun à moins qu’ils ne soient ou rassemblés, ou qu’ils n’élisent un chef d’un commun consentement, à qui tous doivent obéir, comme les Romains élisaient leurs consuls.   Mais, dans l’Église, ce n’est que rarement que se réunissent en conciles les dignitaires.  Car, dans les trois cents premières années, il n’y eut pas de concile général.  Et pendant cent autres années, les nobles ne créèrent jamais un magistrat auquel l’Église universelle dût, au moins pour un temps, obéir.  Car, s’ils en avaient créé un, il aurait été très certainement l’un des cinq patriarches qui l’emportèrent toujours en dignité sur les autres. Or, le patriarche romain, selon nos adversaires, n’eut jamais ce pouvoir. Des quatre autres  il est absolument certain qu’ils n’eurent jamais de juridiction en dehors de leurs territoires respectifs.

C’est pour cette raison que saint Jérôme (dans son épitre à Pammachius contre l’évêque Jean de Jérusalem) écrit : « Réponds-moi, qu’est-ce qui, en Palestine, appartient à l’évêque d’Alexandrie ? »  Et saint Jean Chrysostome, (dans sa première épitre à Innocent 1), se plaint amèrement  de Théophile, patriarche d’Alexandrie, qui s’immisçait dans les  affaires ecclésiastiques d’autres provinces : « Car, il n’est pas juste que ceux qui sont en Égypte jugent ceux qui sont en Thrace. »   Qui ne voit à quel point il est  absurde que l’Église catholique, qui est une seule chose, une cité, une maison, un corps, selon les Écritures, n’ait personne sur terre qui prenne soin d’elle ?  Car, si les Églises particulières n’étaient pas unies entre elles au point de ne former qu’un seul corps, un recteur suffirait pour chacune d’entre elles.  Mais, maintenant, elles ne peuvent pas plus être privées d’un seul guide qu’un troupeau de son berger, et un corps de sa tête.

Troisièmement, si le pouvoir suprême résidait dans les aristocrates, plus nombreux seraient les participants à un concile, plus grande serait son autorité.  Car il ne pourrait jamais arriver qu’on attribuât plus de pouvoir  à un petit concile  (numériquement) qu’à un grand (numériquement).  Or le concile de 600 évêques d’Ariminum n’eut jamais aucune autorité dans l’Église catholique; et le concile de 150 évêques de Constantinople a toujours joui d’un grand prestige.  Et nous, catholiques, nous en connaissons très bien la raison : l’un fut réprouvé par le pape, et l’autre accepté par le pape, en qui se trouve le pouvoir suprême de l’Église.  Mais ceux qui attribuent aux aristocrates le pouvoir suprême ne peuvent pas expliquer pourquoi un de ces conciles est reconnu par l’Église et l’autre rejeté.  Mais, ils diront que c’est parce qu’un concile s’est trompé et que l’autre ne s’est pas trompé que nous acceptons l’un et que nous rejetons l’autre.   Mais qu’est-ce autre, cela, que se faire juge des conciles et de toute l’Église ?

Quatrièmement, bien que  la démocratie soit la pire forme de gouvernement, l’aristocratie semble être encore plus dommageable à l’Église.  Car, si les hérésies  sont le mal ecclésiastique suprême, c’est par les élites plutôt  que par le peuple qu’elles sont allumées.  Il est certain que  les hérésiarques furent, presque tous évêques ou prêtres. Les hérésies sont des mutineries de hauts dignitaires, sans lesquelles les séditions populaires n’auraient pas grand poids.  En effet, les factions n’éclatent jamais plus facilement et plus souvent que quand les aristocrates détiennent le pouvoir.  Cela, ce ne sont pas seulement l’expérience et l’enseignement des philosophes qui nous le font connaître, mais l’aveu de Calvin lui-même (livre 4, institutions, chapitre 20, verset 8).

Mais on nous opposera trois passages de l’Écriture, auxquels se joignent trois citations des pères.  Le premier vient des Actes 15.  La première controverse qu’a connue l’Église  n’a pas été tranchée par un juge suprême quelconque, mais par l’assemblée des apôtres et des anciens.  Luc ne dit-il pas : « Les apôtres et les anciens s’entendirent pour délibérer sur ce sujet ».    Je réponds qu’on ne peut tirer de ce passage aucun argument en faveur du pouvoir suprême exercé par l’aristocratie. La première question à être débattue dans ce concile l’a été dans une assemblée présidée par Pierre en tant que chef des apôtres.  Pierre n’était pas, non plus dans un diocèse étranger.  Et, en présence de saint Jacques, évêque de Jérusalem, aurait-il osé parler le premier, s’il n’avait pas été  le président de ce concile ?   Il ne répugne pas à une monarchie que quelque chose soit statué dans une assemblée publique, sur le conseil et avec le consentement des notables et des nobles, comme cela avait coutume de se faire dans les comices impériaux.

L’autre citation vient des Actes (20), où sains Paul admoneste les évêques de cette façon : « Veillez sur vous et sur tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis en tant qu’évêques qui régissent l’Église de Dieu. »  La troisième citation (1 Pierre 5) est de saint Pierre qui dit : « Je supplie les anciens qui sont parmi vous, moi qui suis plus ancien encore et témoin des passions du Christ, paissez le troupeau qui est au milieu de vous ».  Je réponds qu’avec aucune de ces deux citations on ne puisse prouver quoi que ce soit. Car, nous ne nions pas aux évêques et aux prêtres le droit de se réunir pour paître et régir l’Église de Dieu.   Mais la question que nous posons porte sur le pouvoir suprême de toute l’Église.   Ce pouvoir réside-t-il dans l’assemblée des ministres ou dans un seul homme ?  Dans leurs textes, saint Pierre et saint Paul ne cherchent pas à résoudre ce problème.  Ils exhortent seulement les évêques à se comporter en vrais pasteurs envers le peuple qui leur a été soumis.

Parmi les Pères, ils citent d’abord saint Cyprien (livre 3, épitre 19 à son clergé) : « Comme cette chose relève de l’avis et de la décision de tous, je n’ose pas porter un jugement prématuré, ni m’en attribuer seul la décision. »   Je réponds que la raison pour laquelle il n’osait pas décider seul, c’est qu’il s’était engagé, en devenant évêque, à ne rien faire sans l’avis et le consentement du peuple, comme nous le lisons dans l’épitre 10, livre 3, et comme nous l’avons déjà expliqué.

Ils citent ensuite saint Ambroise (Épitre à Tite, chap 3) : « La synagogue d’abord, et l’Église ensuite eurent leurs anciens, sans les conseils desquels elles ne firent ou ne  font rien »  Je réponds qu’on ne peut pas plus prouver, par ce texte, une  aristocratie ecclésiale qu’on ne peut démontrer qu’il n’y a pas de monarchie  quand les décisions royales sont conseillées ou approuvées par un sénat.   Car il est certain que Salomon (3, Rois 12) eut une assemblée d’anciens pour le conseiller.  Et le roi Assuérus (Esther 1), faisait état, en toutes choses, du conseil des sages.  Ils n’en étaient pas moins rois pour cela.  De plus, que les anciens évêques n’aient rien entrepris sans tenir compte du conseil des prêtres,  ce fut une chose utile et salutaire, mais non nécessaire. Car, du temps de saint Ambroise, cela ne s’imposait plus, sans que, à cause de cela,  l’Église ne soit détruite.

Ils citent enfin saint Jérôme (chap 1 à Tite) qui dit : « Avant que les inspirations diaboliques n’amènent la sédition dans l’Église, et que les gens du peuple ne se mettent à dire : je suis pour Paul,  je suis pour Apollon, ou pour Pierre, les églises étaient gouvernées par l’assemblée des prêtres.  Après, tous ceux que chacun avait baptisés étaient considérés lui appartenir à lui, et  non au Christ.  On décréta alors, pour l’ensemble de la chrétienté, qu’un des prêtres soit élu pour présider aux autres, pour voir à toutes les affaires de l’Église, et pour  enlever les semences de schisme ».  Aux premiers temps de l’Église, quand elle était encore dans toute sa fraîcheur, c’était donc l’aristocratie qui la régissait, et les évêques étaient ces aristocrates.

Je réponds.  Il semble que le sens de la phrase de saint Jérôme soit le suivant : il estime que, là où il est question de juridiction, les évêques sont supérieurs aux prêtres, par le droit ecclésiastique, non divin.  Cette sentence est fausse, et elle sera réfutée en son temps. Cette citation de saint Jérôme n’aide en rien l’aristocratie de prêtres, mais lui porte plutôt de sévères coups.  Car saint Jérôme ne dit pas que, dans la primitive église, était en force une aristocratie de prêtres, que ce fut un bon régime, et que, petit à petit, après,  à la suite d’abus, la monarchie a été instaurée par des méchants.  C’est le contraire qu’il affirme : l’aristocratie, qui était en force au début, ne fonctionna pas bien. Comme elle donna naissance à  plusieurs séditions et à plusieurs schismes, on décida, d’un commun accord, de la convertir  en monarchie.

On ne peut douter, qu’au sentiment de saint Jérôme, cette mutation ait été faite du vivant des apôtres, et par l’autorité de ces mêmes apôtres.   Car il dit que la mutation a été faite quand on a commencé à dire : moi je suis pour Paul, moi pour Apollon, moi pour Céphas.  Que cela soit arrivé du vivant de saint Paul, l’atteste la lettre de saint Paul1 aux Corinthiens 1.  Ensuite, saint Jérôme (dans le livre des hommes illustres, à Jacques) dit que saint Jacques a été créé évêque de Jérusalem tout de suite après la passion du Seigneur, et, dans son épitre à Évagre (85), il affirme que saint Marc a été évêque d’Alexandrie.   Ajoutons que saint Jérôme ne parle pas du gouvernement général de toute l’Église, mais de quelques églises particulières, quand il dit que, au tout début, les églises ont été gouvernées par un conseil de prêtres.  Et il dit ailleurs que c’est par le Christ que saint Pierre a été établi chef de toute l’Église (livre 1 contre Jovin : « Parmi les douze, un est élu pour que, après avoir été établi chef, toute occasion de schisme soit enlevée ».

                                         CHAPITRE 9

Le gouvernement ecclésiastique doit être principalement monarchique

Il reste la dernière proposition qui affirme que la forme de gouvernement de l’église doive être principalement celle d’une monarchie.

La première preuve provient de ce que nous avons déjà dit. Car, s’il n’y a que trois formes de gouvernement possibles, et s’il a déjà été prouvé que le gouvernement de l’Église ne peut ni ne doit être ni démocratique ni aristocratique, que reste-t-il d’autre qu’une monarchie ?  De plus, si la monarchie est le gouvernement le meilleur et le plus prestigieux qui soit,  comme nous l’avons démontré plus haut, et s’il est certain que le Christ a choisi pour son Église la meilleure forme de gouvernement, qui peut ne pas conclure que ce meilleur régime doive être la monarchie ?

Mais Calvin accourt (livre 4 des institutions, chapitre 6, verset 9), et nie que si la monarchie est le meilleur régime il doive s’ensuivre nécessairement que le gouvernement de l’Église soit monarchique, parce que le roi ou le monarque de l’Église est le Christ.  Mais il est facile de réfuter cette objection, car, même si le Christ est l’unique et le véritable  roi ou  monarque de l’Église catholique, l’Église, qui est corporelle et visible, a besoin d’un juge suprême visible capable d’arbitrer les litiges religieux, et de maintenir dans l’unité et le devoir tous les ministres  inférieurs.  Autrement, non seulement le pape, mais les évêques, les pasteurs, les docteurs et les ministres seraient tous superflus, car le Christ est le « pasteur et l’évêque de nos âmes » (1 Pierre 2).  Il est aussi l’unique maître que le Père céleste nous ordonne d’écouter (Matt 17). C’est lui également qui « baptise dans l’Esprit-Saint ». (Jean 1).

En conséquence, comme les évêques, les docteurs et les autres ministres ne sont pas superflus, même si ce qu’ils font en tant que ministres le Christ le fait pour la plus grande part, pour la même raison il ne faut pas nous enlever celui qui prend soin de toute l’Église comme intendant suprême, même si c’est le Christ qui, d’abord et avant tout, est le berger suprême.  Nous tirons la deuxième raison de la ressemblance qu’a l’Église des hommes mortels avec l’Église des anges immortels, à la suite de saint Grégoire livre 4, épitre 52).  Il est certain que l’une est une image et un modèle de l’autre.  C’est ce qu’enseignent saint Paul (Hébreux 8), et saint Bernard (livre 3 de la considération à Eugène).  Ce dernier écrit que la nouvelle Jérusalem de l’apocalypse qui descend du ciel est l’Église militante, parce qu’elle a été formée et constituée à l’image de la cité céleste.

Il n’est pas moins certain et démontré que, parmi les anges, en plus du Roi suprême universel qu’est Dieu, il y en ait un qui l’emporte sur tous les autres.  Celui qu’on appelle maintenant le diable, ou Lucifer, avait, au tout début, reçu de Dieu cette suprématie, comme en témoignent Tertullien (livre 2, contre Marcion), saint Grégoire (homélie 34 sur l’évangile, et dans le livre 32 des morales, chapitre 24), saint Jérôme, ou plutôt Bède le vénérable (40 Job), saint Isidore, livre 1 du bien suprême, chapitr12,  où Béhetmot, c’est-à-dire le diable est appelé le prince des voies du Seigneur.  Et dans Isaïe (14) où il est comparé avec Lucifer, c’est-à-dire l’étoile la plus belle et la plus grande de toutes, au moins quand à l’apparence ou à l’opinion du peuple, dont les Écritures ont coutume de s’accommoder.  Que ce Lucifer soit le diable,  l’enseignent saint Jérôme et saint Cyrille, en commentant ce passage, et saint Augustin au livre 11 de la cité de Dieu (chapitre 15). Ainsi qu’Ézéchiel (28), où il est dit : « toute pierre précieuse est ton œuvre ».  Et il énumère ensuite neuf pierres, qui (livre 32 Morales, chap 25) selon saint Grégoire, signifient les neuf chœurs des anges, qui ont cet ange comme leur chef.

Après la chute du diable, saint Michel est devenu prince des anges, comme on le voit dans le chapitre 12 de l’Apocalypse, où il est dit : « Michel et ses anges ». Car que veut bien  dire « Michel et ses anges », sinon Michel et son armée ? Et comme on dit, au même endroit «  le diable et ses anges », on comprend que tous les mauvais anges sont soumis au diable,  comme des soldats à leur empereur.  De la même façon, quand on dit  Michel et ses anges, nous devons comprendre que tous les saints anges reconnaissent saint Michel comme leur chef.  L’Église a donc eu raison de le considérer, dans sa liturgie, comme préposé au paradis, et de l’appeler prince de la milice céleste.

Calvin ne répond rien d’autre (livre 4, institutions, chap 6, verset 10),  qu’il ne faut parler des choses célestes que modérément, et qu’il ne faut pas chercher un autre type d’église que celui qui est décrit dans l’évangile et les épitres des saints apôtres.  Comme s’il ne parlait pas modérément celui qui ne dit rien de lui-même, mais  suit en tout  les apôtres et les saint Pères.

La troisième raison on la tire de l’église de l’ancien testament. Il appert que l’ancien testament a été une image du nouveau, selon l’enseignement de saint Paul (1 Cotinth 10) : « Toutes ces choses-là sont arrivées en figure ».  Or, au temps de l’ancien testament, il y a toujours eu  une seule personne à régir tous les autres, en ce qui avait trait à la loi et à la religion.  Et surtout à partir du temps où les Hébreux se constituèrent comme peuple, commencèrent à être gouvernés par des lois et des magistrats, c’est-à-dire, après leur sorte d’Égypte.   C’est alors que Moïse établit un gouvernement Juif, leur écrivit des lois qu’il avait reçues de Dieu, consacra Aaron pontife, et lui soumit tous les prêtres et tous les lévites.   Et depuis ce temps jusqu’aux temps du Christ,  n’a jamais fait défaut un prince de prêtres qui gouvernât toutes les synagogues du monde entier.  Ce serait une chose facile à prouver, mais nos adversaires nous le concèdent.  Car c’est ainsi que parlent les centuriates de Magdebourg (centurie 1, livre 1, chap 7, col 257) : «  Dans l’église du peuple Juif, il n’y avait, de par la loi divine, qu’un  seul grand prêtre, que tous devaient reconnaître, et auquel tous devaient obéir. »  Calvin reconnait la même chose dans ses institutions (livre 4, chap 6, verset 2).

Or, comme l’Église de ces temps était une image de l’Église de notre temps, la raison exige manifestement que, comme l’ancienne Église avait un prêtre suprême visible en plus du prêtre suprême divin invisible, la nouvelle en ait un aussi.  Car aucune perfection ne doit s’y trouver qui ne soit pas pré-contenue  dans son image. Et cette perfection doit être beaucoup plus grande que celle de l’image.    Jean Calvin (livre 4, chapitre 6 des institutions), apporte deux solutions à ce problème.  La première. Il n’y a pas de rapport entre le peuple juif petit et solitaire, et l’Église chrétienne qui réunit tous les peuples et qui couvre toute la terre : « Car il fallait que le peuple des Juifs, entouré partout d’idolâtres, ait un prince religieux suprême, qui les maintiendrait tous dans l’unité, pour qu’il ne soit pas attiré par les diverses religions.  Mais c’est une chose absurde de vouloir donner un seul  chef au peuple chrétien répandu sur toute la terre. »  Et, il ajoute cette comparaison : « Tous les hommes ne doivent pas être confiés au gouvernement d’un seul, parce qu’un champ n’est cultivé que par un seul, »

Loin d’apporter une solution, la première réponse ne semble que durcir le nœud de l’argument. Car si la raison pour laquelle les Juifs eurent un seul chef religieux fut, comme Calvin le dit, afin de les maintenir dans l’unité, pour qu’ils n’apostasient pas en se tournant vers les idolâtres qui les entouraient de partout, l’Église des chrétiens avait encore plus raison de posséder un chef.   Car on a plus besoin d’un chef  là où il est plus difficile de conserver l’unité, pour qu’on ne se tourne pas vers d’autres religions.  Or, il est plus difficile de conserver l’unité dans une grande multitude, que dans une plus petite; et le péril est plus grand là où les ennemis de la foi sont plus nombreux.   Le peuple des chrétiens est manifestement beaucoup plus grand que ne l’a jamais été le peuple des Juifs,  et les ennemis des chrétiens sont plus nombreux (les Turcs, les tartares, les Maures, les Juifs et les autres infidèles), que ceux des Juifs du passé; et ils prennent le déguisement d’une grande variété de sectes et d’hérésies.   Il est donc évident que c’est chez les chrétiens qu’il est plus difficile de conserver la foi, et leurs ennemis représentent un plus grand danger  pour l’unité et la foi que les ennemis des hébreux d’autrefois.

En conséquence, la raison, qui lui faisait attribuer au peuple juif un seul chef religieux, devrait lui faire reconnaître la nécessité d’un seul chef dans l’Église chrétienne.  Et sa comparaison avec un champ ne prouve rien du tout, parce que ce n’est pas parce qu’il n’y a  qu’un seul cultivateur dans un champ que nous voulons qu’il n’y ait qu’un seul pasteur suprême pour toute la terre.   Mais nous confions à un pasteur suprême le soin de régir tout le troupeau, de façon à ce qu’il le paisse par l’intermédiaire d’un grand nombre de pasteurs inférieurs.  Comme un riche propriétaire foncier cultive un grand nombre champs à l’aide de plusieurs cultivateurs, et comme un seul roi gouverne plusieurs provinces et cités à l’aide de plusieurs pro-rois et magistrats.

 Calvin avance ensuite une autre solution.  Il dit qu’Aaron a été la figure non du pontife du nouveau testament, mais du Christ. En conséquence, après que le Christ eut accompli  en lui cette figure, le pape ne pouvait en rien la revendiquer.   Or nous, ce n’est pas seulement de la figure d’Aaron que nous parlons, mais de celle de tout l’ancien testament.   Puisque l’ancien testament est une figure du nouveau,  comme, dans l’ancien, il y eut un régime monarchique  il doit y en avoir un dans le nouveau.  J’ajoute, ensuite, que cet Aaron ne représentait pas seulement  le Christ en figure, mais Pierre et son successeur. Car, comme les sacrifices de l’ancienne loi signifiaient le sacrifice de la croix, et étaient en même temps des types de ce sacrifice, qui est maintenant  offert dans l’Église, de la même façon, le sacerdoce suprême de l’ancien testament représentait le Christ, prêtre suprême, et était en même temps un type de ce sacerdoce que nous voyons maintenant s’exercer dans l’Église, car le sacrifice et le prêtre ne peuvent pas exister l’un sans l’autre.

 Ils nieront peut-être que les sacrifices de l’ancien testament désignaient en même temps la passion du Christ et notre oblation, comme l’enseigne saint Augustin (livre 20 contre Faustus, chap 18) : « Les Hébreux, dit-il, dans les victimes d’animaux qu’ils offraient à Dieu, de façons multiples et variées,  célébraient, comme une si grande chose le méritait,  une prophétie de la victime future, que le Christ présenta.   Voilà pourquoi les chrétiens célèbrent la mémoire de ce sacrifice accompli, par l’oblation sainte et la participation au corps et au sang du Seigneur ». Et, (dans le livre 1 contre les adversaires de la loi et des prophètes, chapitre 18 ) : « Tout ce que les fidèles savent, dans l’Église, du sacrifice dont les ombres furent toutes les sortes de sacrifices antérieurs. »  Et, (dans le livre 3 du baptême, chap 19) : « Ceux qu’il a purifiés de la lèpre,  le Seigneur les a dirigés vers les sacrements, pour qu’ils offrent un sacrifice pour eux par les prêtres, car ne leur était pas encore parvenu le sacrifice qu’Il a voulu, par après, célébrer dans l’Église, pour eux tous, car c’est  par tous ces sacrifices antérieurs qu’il était annoncé d’avance ».

 Il n’y pas d’autre raison pour laquelle saint Grégoire (livre sur la pastorale, par 2, chap 4) interprète tout ce qui est dit au sujet des vêtements et des ornements d’Aaron dans le sens des vertus qui sont requises aux pontifes chrétiens.  Et saint Cyprien (livre 1, épitre 7) applique à nos prêtres tout ce qui, dans l’ancien testament,  est dit  des prêtres d’Aaron.  Ce que les autres pères ne feraient pas si souvent si le nouveau sacerdoce n’avait pas succédé à l’ancien, les pontifes chrétiens aux pontifes Juifs, comme à leurs ombres et à leurs types.

 La quatrième raison on la tire des images avec lesquelles l’Église est décrite dans l’Écriture.   Toutes ces images démontrent  que l’Église doit absolument ne posséder qu’une seule tête.  On compare l’Église à une armée rangée en bataille (le cantique des cantiques, 6), à un corps humain, à une belle femme, (cantiques 7), à un royaume (Daniel 2), à un troupeau (Jean 1), à une maison (1 Timoth), à un navire ou à l’arche de Noé (1 Pierre 3).  Car il n’y a aucune armée rangée en bataille sans un empereur, plusieurs tribuns, plusieurs centurions etc.  Saint Jérôme (dans sa lettre au moine Rustique) écrit : « Dans n’importe laquelle grande armée, on attend le signal d’un seul ».  Or, comment l’Église pourrait-elle être une armée rangée en bataille si tous les évêques, et même tous les prêtres sont égaux ?   Pour une raison semblable, dans tout corps humain, il n’y qu’une seule tête.

  Et pour que tu  n’ailles pas dire que la tête de l’Église est le Christ, nous ne comparons pas, ici, l’Église avec le Christ, comme des membres avec la tête, mais comme une épouse avec son époux.  Ces images sont utilisées  par l’Écriture (apocalypse, 21, 2, Cor, 1, Éphèse 5, et dans les cantiques souvent).  Or, si l’Église qui est sur terre, sans tenir compte du Christ, n’est pas stupidement comparée à une épouse, elle doit, sans tenir compte du Christ, avoir une seule tête, surtout parce que les cantiques des cantiques (7) nomment  la tête parmi les autres membres. « Ta tête, dit l’époux à l’épouse, est comme le mont Carmel ».  L’époux compare la tête de l’épouse au mont Carmel, parce que même si le souverain pontife est une très haute montagne, il n’est, quand même, rien d’autre que terre, c’est-à-dire, homme.  L’épouse compare ensuite l’époux à l’or le plus pur, parce que la tête du Christ c’est Dieu.
 

 Du fait qu’aucun royaume n’a jamais été régi que par un seul homme, et bien que le Christ soit le roi de l’Église, nous déduisons de cela que, en plus du Christ, l’église doit avoir une personne qui la gouverne, que tous les royaumes sont toujours régis royalement, c’est-à-dire par une seule personne qui détient l’autorité sur tous.  Si le roi est présent, il agit par lui-même; s’il est absent, par un autre qu’on appelle  pro-roi.  Il arrive souvent que, même en présence du roi, un premier ministre soit établi.   Qu’un seul troupeau requière  un seul pasteur, l’Évangile nous l’enseigne : « Qu’il devienne un seul troupeau, et un seul pasteur ».  On peut noter, en passant, qu’on peut entendre cet unique pasteur au sens d’un pasteur secondaire, comme de Pierre, et de ses successeurs, comme saint Cyprien l’explique. Car, comme, en parlant des Gentils et des Juifs,  le Seigneur dit qu’il a d’autres brebis qui ne sont pas de ce troupeau, et déclare qu’il a, parmi les élus, beaucoup de Gentils, qui sont déjà croyants ou qui le seront plus tard, et qui n’appartiennent pas à ce peuple Juif.

 Même si, en parlant du pasteur divin, les Juifs et les Gentils formèrent toujours un seul et même peuple, et eurent toujours Dieu comme leur pasteur, selon le gouvernement humain, ils ne furent pas toujours un seul troupeau et un seul pasteur.   Car, les Gentils, et ceux qui appartenaient  à l’unique église, n’étaient pas gouvernés par le pontife hébreu.  Mais, après son avènement, le Christ a voulu faire, des deux peuples, un seul peuple qui soient tous gouvernés par un seul pasteur humain.    Saint Cyprien (épitre 6, à Magnum parlant de Novatien, qui avait voulu devenir évêque de Rome quand Corneille avait déjà été élu et siégeait) : écrit « Voilà pourquoi, voulant nous montrer une unité qui vient de l’autorité divine, le Seigneur déclare : Moi et le Père, nous sommes un. Voulant amener son Église à cette unité, il dit ; « Et il y aura un seul troupeau et un seul pasteur ».  Si le troupeau est un, comment peut-on compter comme membre de ce troupeau celui qui ne lui appartient pas ? Ou comment peut-il être considéré comme pasteur  celui qui, du vivant d’un pasteur qui a dument assumé la succession de ses prédécesseurs,  ne succède à personne et s’auto proclame ? N’est-il pas un intrus, et un profane ? »

 Il reste la maison et le navire.  Il appert que chaque maison a un seigneur et un intendant, selon Luc (12) : « Qui penses-tu est le dispensateur fidèle et prudent, que le Seigneur a établi sur sa famille ? »   Ces Paroles sont dites à Pierre et de Pierre.  Car, un peu avant le Seigneur avait dit : « Bienheureux ces serviteurs que le Seigneur, à son arrivée, trouvera vigilants ». Et saint Pierre posa à Jésus la question suivante : « Cette parabole, la dis-tu pour nous, ou pour tous ? »  Et Jésus répondit à Pierre : « Qui penses-tu est le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur sa famille ? »  C’est comme s’il avait dit :  c’est à toi d’abord que je le dis.  C’est à toi qu’il revient de trouver ce qui est requis  à un économe fidèle et prudent, que  le Seigneur a établi sur sa famille.

 Et un peu après, pour montrer qu’il parlait du seul qui préside à tous les co- serviteurs, et qui n’est soumis qu’à Dieu, il ajoute : « Si ce serviteur dit dans son cœur que le maître tarde à revenir, et se met à frapper les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, le Seigneur de ce serviteur viendra au jour où il ne l’attend pas, et à une heure qu’ne connait pas.  Il le punira et placera sa part avec les infidèles. »  Par ces paroles, le Seigneur dit clairement à Pierre  que c’est lui le serviteur unique qu’il a préposé à sa maison, qui ne peut être jugé que par lui.   Il est certain que saint Jean Chrysostome a appliqué ce passage à Pierre, et à ses successeurs (livre 2 sur le sacerdoce).  Saint Ambroise a adopté cette interprétation, ou quiconque est l’auteur de ce commentaire sur Tite (chapitre 3) : « La maison de Dieu, dit-il, est l’église, dont le recteur est aujourd’hui Damase ».

 Au sujet du navire,  saint Jérôme (dans son épitre à Rustique) dit que « dans un bateau, il n’y a qu’un seul capitaine. »  Et saint Cyprien (livre 1 de l’épitre 6), après avoir enseigné que l’arche de Noé était un type de l’Église, prouve que Novatien n’avait pas pu devenir le capitaine de cette arche, parce que Corneille l’était déjà, et qu’un seul navire demandait un seul capitaine, et non plusieurs.    La cinquième raison on la tire des tous débuts du gouvernement de l’Église. Il est manifeste que l’Église rassemblée  par le Christ a commencé par être un royaume visible et externe; et à être une monarchie, non une aristocratie ou une démocratie.  Car, quand le Christ était sur la terre, c’est lui qui l’administrait comme chef visible, et comme pasteur et recteur suprême, comme l’avouent même les magdebourgeois (centuries, 1 livre 1, chap 7, col 268, et suivantes).  L’Église doit donc avoir encore de nous jours un gouvernement externe, visible, monarchique.  Autrement l’Église d’aujourd’hui ne serait pas la même que celle d’autrefois.  Car le philosophe enseigne (livre 3, polit, chap 2) qu’on dit qu’une cité est de la même espèce tant que demeure la même forme de gouvernement.   Si on la change, la ville est changée aussi.

 On tire une sixième raison de choses similaires.   C’est à bon droit que, dans toutes les villes on institue des évêques qui président à tous les autres ministres et pasteurs du lieu.  C’est ce que reconnait Jean Calvin (livre 4, institutions, chapitre 5, verset 7 : « Que prouvent-ils d’autre qu’on doit attribuer un évêque   à chaque église ?  De plus, c’est à bon droit qu’on institue un métropolitain pour chaque région, lequel préside aux évêques de cette région, et des patriarches dans les plus grandes villes (à cause de leur  lien d’origine avec saint Pierre), qui, comme l’écrit saint Léon le grand  (dans son épitre à Anastase, évêque de Tessalonice, ont un soin plus grand des âmes.   Même un Calvin n’a pas osé nié cela.  Car, voici ce qu’il dit lui-même (chap 4, verset 4, instituti) : « Que, en plus des évêques, chaque province ait un archevêque, qu’au concile de Nicée aient été constitués des patriarches qui étaient supérieurs aux archevêques par la dignité et le rang, tout cela avait pour but de conserver la discipline ».  Il donc équitable, aussi, qu’il n’y en ait qu’un seul qui préside à toute l’Église, et à qui les  archevêques et les patriarches soient soumis.  Car si l’autorité monarchique convient à une ville, à une province, à un pays, pourquoi pas à l’Église universelle ?   Quelle raison demande que les parties soient gouvernées par une monarchie, mais le tout par une aristocratie ?

 De plus, les raisons qui nous permettent de prouver qu’un évêque doive être supérieur aux curés, un archevêque aux évêques, un patriarche aux archevêques, servent aussi à démontrer que le pape est supérieur aux patriarches.   Pourquoi est-il nécessaire que, dans chaque Église, il n’y ait qu’un seul évêque, si ce n’est qu’une cité ne peut être bien gouvernée que par un seul ?  Et aussi une église universelle.   De même, pourquoi a-t-on besoin d’un archevêque, si ce n’est pour maintenir les évêques dans l’unité, pour régler leurs litiges, les rassembler dans un synode, pour les forcer à accomplir leur devoir propre ?  Et, pour les mêmes raisons, il en faut un qui préside aux primats et aux patriarches.    Calvin répondra : la supériorité que les évêques ont sur les prêtres et les archevêques sur les évêques en est une de dignité et d’honneur, non d’autorité et de pouvoir.  Car, c’est ce qu’il enseigne (livre 4 des institutions, chapitre 4, verset 2).

 Mais il est certain qu’on le trompe, ou qu’il se trompe.  Car, pour ne pas parler des autres textes, saint Paul (Timothée 1, 5)  dit : « Ne reçois pas d’accusation contre un prêtre, sans deux ou trois témoins ».  Il fait donc de l’évêque, le juge des prêtres.  Or, il n’y a pas de juge sans pouvoir.  De plus, dans le concile d’Antioche (canon 16), il est statué que si un prêtre ou un diacre  condamné par son propre évêque, a recours à un autre évêque, qu’il ne soit pas reçu par lui. »  Un évêque peut donc condamner un prêtre, ce qui relève certainement d’un pouvoir juridictionnel.  De même, dans le concile 3 de Carthage (chapitre 45), les pères déclarent qu’il est permis à un primat de prendre les clercs relevant d’évêques de n’importe lequel diocèse, de les ordonner évêques, en cas de besoin, même malgré l’évêque dont relève le clerc.  Ne voyons-nous pas ici qu’un primat a un pouvoir plus grand que celui des évêques ?  Enfin, saint Léon le grand (épitre à Anastase, Thessal , 84) et saint Grégoire le Grand (livre 4, épitre 52), enseignent ouvertement que les évêques n’ont pas tous le même pouvoir, mais qu’il y en a qui sont soumis à d’autres.   Et saint Léon déduit de là correctement que c’est au seul siège de Pierre qu’appartient l’Église universelle.

 On peut tirer la septième raison de la propagation de la foi.  Car, l’Église a toujours cru et doit croitre jusqu’à ce que l’Évangile soit prêché dans tout l’univers, comme on le voit en Matt 24 : « Cet évangile du royaume sera prêché dans l’univers entier, et alors, viendra la fin. »  Or, cela ne peut se faire que s’il n’y a qu’un seul chef de l’Église, à qui incombe la tâche de conserver tout le corps, et de le propager. Car, personne ne peut prêcher à moins d’avoir été envoyé.  Romains (10) : « Comment ont-ils pu prêcher sans avoir été envoyés ? »   Un évêque ne peut envoyer des pasteurs pour oeuvrer dans d’autres diocèses.  Leurs diocèses, en effet, ont des frontières bien délimitées au-delà desquelles ils n’ont pas de pouvoir.  Le soin pastoral ne porte que sur les fidèles qui leur ont été assignés.

 C’est pourquoi, dans les histoires des magdebourgeois,  nous trouvons difficilement, après le temps des apôtres, une seule église qui n’ait pas été évangélisée par les légats des pontifes romains.   C’est par le pape Grégoire 11 que saint Boniface a été envoyé pour convertir les Allemands.  Par le pape Conon que saint Kilien a été envoyé aux Francs. Par le pape saint Grégoire, que saint Augustin a été envoyé en Angleterre.  Innocent 1, (dans l’épitre 4), affirme dur comme fer que dans toute l’Espagne, dans toute la Gaule, l’Afrique, les églises ont été fondées par ceux que saint Pierre et ses successeurs avaient envoyés.

 On tire la huitième raison de l’unité de la foi.  Car, il est absolument nécessaire  que tous les fidèles pensent de la même façon dans les choses de foi : « Car il n’y a qu’un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême (Eph 4) ».  Or, il ne peut pas y avoir une seule foi dans l’Église s’il n’y pas un seul juge que tous sont tenus de reconnaitre.  Ce qu’enseigne manifestement, même s’il n’existait pas d’autre raison,  la dissension elle-même des Luthériens.  Nous les voyons divisés en mille sectes, parce qu’ils n’ont pas un chef auquel ils doivent obéir.  Et pourtant, ils descendent tous de Luther !  Ils n’ont pas pu, non plus, convoquer un concile où tous tomberaient d’accord.  Mais, il y a une raison très claire qui les pousse à agir ainsi.  Puisque tous sont égaux, il peut difficilement arriver, que dans des choses obscures et difficiles, l’un fasse passer le jugement de l’autre avant le sien.

 Les magdebourgeois (centuriie 1, livre 2, chap 7, col 522 et suiv) répondent qu’on peut conserver l’unité de la foi par l’association de plusieurs églises qui s’aident entre elles, et qui discutent des choses de la foi par échanges épistolaires.   Mais, il est certain que cela ne suffit pas.  Car, pour conserver l’unité de la foi, un conseil ne suffit pas; il faut un commandement.  Car, que se passera-t-il si un évêque errant ne veut pas  écrire à d’autres, ou si, après avoir écrit, il ne veut pas suivre le conseil donné par les autres ?  Cet Illyricus que ses collèges ont averti pour qu’il rejette l’erreur manichéenne sur le péché originel, en le menaçant même des peines de l’enfer, ne put jamais prendre sur lui de les écouter au moins patiemment. Pourquoi ce dialogue amical ne parvient-il jamais à établit la concorde et la paix entre les luthériens mous et rigides ?

 Tu diras que c’est un concile qui apportera la réponse aux questions difficiles, car tous accepteront ce qu’aura jugé bon la majorité des évêques.  Mais, dans un concile œcuménique, la plus grande partie peut se tromper, si fait défaut l’autorité du pasteur suprême, comme le montrent les conciles d’Ariminensis, d’Éphèse 2,   Ajoutons qu’on ne peut pas toujours convoquer des conciles généraux.  Pendant les 300 premières années, il n’y eut aucun concile général, et pourtant, plusieurs hérésies sévissaient.

 Il nous reste à réfuter  leurs objections.  La première objection est celle de Calvin (Institutions, livre 4, chapitre 20, verset 7, commentaire de Luc 22). Voici ce que nous y lisons : « Il y eut une dispute entre eux pour savoir lequel  était le plus grand. Jésus leur dit alors : les rois des nations dominent leurs sujets.  Qu’il n’en soit pas ainsi pour vous. »  Et Calvin : « Pour comprimer cette ambition, le Seigneur leur enseigna que leur ministère ne serait pas semblable à celui des rois, où l’un est supérieur aux autres ».  Je réponds que, dans ce passage, le Christ n’a pas expulsé la monarchie de l’Église, mais l’a plutôt instituée, tout en expliquant qu’elle serait différente de la monarchie civile.  Car, le Seigneur n’a pas dit : Vous ne présiderez en aucune façon, mais pas comme le font les rois des nations.  Celui qui dit : tu ne gouverneras pas comme lui, dit en fait : tu gouverneras, mais d’une autre façon.  N’est-ce pas ce que laisse clairement entendre ce qui suit : que le plus grand parmi vous se fasse le plus petit.  Le mot grec usité signifie chef et prince, car il n’y avait qu’un seul chef désigné par le Seigneur.

 Ensuite, il a fait comprendre sa pensée en se donnant en exemple.  « Comme moi qui ne suis pas venu pour être servi mais pour servir. »  Et : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert. »  Et pourtant, il dit de lui : « Vous m’appelez maître et Seigneur, et vous faites bien, car c’est ce que je suis ».   Comme le Christ qui ne régnait pas et ne gouvernait pas comme les rois des nations, mais travaillait et servait, mais présidait quand même véritablement, puisqu’il était le Seigneur des seigneurs, de la même façon le Christ veut que l’un des siens préside, mais sans la soif du pouvoir, comme l’ont les rois des nations, qui sont souvent des tyrans, qui donnent des ordres à leurs sujets et à leurs esclaves, et ramènent tout à leur avantage et à leur gloire.  Il veut, en effet, que son vicaire gouverne l’Église comme un pasteur et un père, qui cherche ni la richesse ni les honneurs, mais le bien-être de ses sujets, qui travaille donc pour les autres, et se mette au service de l’utilité publique.

 De plus, les rois des nations, même ceux qui ne sont pas des tyrans, administrent leur royaume de façon à ne donner leur héritage qu’à leurs fils.  Qu’il n’en soit pas ainsi pour les prélats de l’Église, car, ils ne sont pas des rois, mais des vicaires, non des propriétaires, mais des intendants.  C’est ce qui permet à saint Bernard (livre 3 de la considération) de dire : « Que penser de ce qu’il ne t’interdise pas de gouverner, mais de dominer ?  Voici.  Il ne préside pas bien celui qui préside dans la solitude.  Gouverne pour pourvoir, pour guider, pour procurer et servir.  Préside comme il convient à un serviteur fidèle et prudent, que le Seigneur a établi sur toute sa famille. »

 La seconde objection est de Calvin (institutions, livre 4, chapitre 6, verset 1). La voici.  Saint Paul (Éphésiens 4) a décrit toute la hiérarchie ecclésiastique que le Christ a laissée sur la terre après son ascension.  Il n’est jamais fait mention là d’une tête unique, mais c’est à plusieurs en commun qu’il a confié le gouvernement de son église.  Car, voici ce qu’il dit : « C’est lui-même qui a donné des apôtres, des prophètes, et d’autres évangélistes, pasteurs ou docteurs ».  Il n’a pas dit : d’abord un seul pasteur suprême, ensuite des évêques et des curés.   De même : « Vous souciant de conserver l’unité de l’esprit dans le lien de la paix, un seul corps et un seul esprit, comme  vous avez été appelés dans une seule espérance de votre vocation, un seul Seigneur, une seule foi ».  Il n’a pas dit : un seul pontife suprême qui maintient l’Église dans l’unité. Et, au même endroit : « À chacun de nous est donnée une grâce selon la mesure du don du Christ. »  Il n’a pas dit : à un seul a été donnée la plénitude du pouvoir, en tant que vicaire du Christ, mais à chacun est donnée sa portion. »

 Je réponds que le pontificat suprême est clairement exprimé par l’Apôtre en ces mots : « c’est lui qui a donné quelques-uns comme apôtres ». Et plus clairement (1 Corinthiens 12) : « Il a placé d’abord dans l’Église les apôtres, en second lieu les prophètes ». Le pouvoir ecclésiastique suprême n’est pas donné seulement à Pierre, mais aussi aux autres apôtres.  Tous pouvaient dire ces paroles de saint Paul : « Mon angoisse quotidienne, mon souci de toutes les Églises (2 Cor 11) ». Mais à Pierre, il a été donné comme à un pasteur  ordinaire qui aurait des successeurs, aux autres comme à des pasteurs spéciaux qui n’auraient pas de successeurs.  Car, il fut nécessaire au tout début de l’Église, pour répandre rapidement la foi par toute la terre, qu’aux premiers prédicateurs et aux fondateurs de l’Église fussent concédés le pouvoir suprême et la pleine liberté.  Mais, après la mort des apôtres, l’autorité apostolique demeura dans le seul successeur de saint Pierre.  Aucun évêque, à part celui de Rome, n’eut jamais la charge de toutes les églises; et il est le seul à être appelé par tous pontife apostolique.  Le seul dont le siège porte le nom d’apostolique, et dont la charge soit celle d’un apôtre.  Nous donnerons quelques témoignages qui le démontrent.

 Saint Jérôme écrit (épitre 1 au pape Damase sur le nom hypostase) : « Toi qui suis les apôtres par l’honneur, tu les suis également par le mérite. »  Et (livre 2 contre Ruffin) : «  Je m’étonne que les évêques aient reçu ce que le siège apostolique a condamné ». Et, (dans lettre de plusieurs évêques gaulois à  Léon, lettre 52 des lettres de Léon) : « Que votre apostolicité  nous pardonne notre retard ! » Et, à la fin de l’épitre : « Prie pour moi, très bien heureux père, pape vénérable par le mérite et l’honneur du à l’apôtre Pierre. »  De même : « Je révère et salue en vous votre charge apostolique dans le Seigneur ».  Saint Augustin (épitre 162) : « Dans l’Église romaine, a toujours été en vigueur la principauté de la chaire apostolique. »  Enfin, (pour ne pas rapporter une infinité de citations semblables), le concile de Chalcédoine, dans l’épitre au pape saint Léon le grand qui se trouve après l’acte 3) : « Et après toutes ces choses, c’est contre celui à qui a été confiée par le Seigneur la garde de la vigne qu’il prolonge sa folie, c’est-à-dire contre ta sainteté apostolique ». À ce sujet, saint Bernard, parlant de tous les apôtres de qui il a été dit (au psaume 44) : « tu les établiras princes sur toute la terre », dit au pape Eugène : « C’est à eux que tu as succédé, c’est d’eux que tu as hérité.  Car, c’est toi l’héritier, et  c’est la terre qui est ton héritage ».  Et, un peu plus bas, il voit l’autorité apostolique dans le passage déjà cité : « et c’est lui qui a donné des apôtres. »

 On pourrait répondre que, dans ce passage, l’Apôtre ne décrit pas la hiérarchie ecclésiastique, mais qu’il ne fait qu’énumérer les dons différents qui existent dans l’Église.  Il a d’abord indiqué les apôtres, ceux qui ont été les premiers à avoir été envoyés par Dieu. Ensuite, les prophètes, c’est-à-dire ceux qui prédisent le futur, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome, Oecumenius, Theophylactus.  Puis, les évangélistes, c’est-à-dire ceux qui ont écrit les évangiles, comme l’expliquent Oecumenius et Theophylcatus. Enfin, les pasteurs et les docteurs, ce qui signifie en gros toute la hiérarchie des ministres de l’Église. Et (Corinthiens 1, 12), il a ajouté les genres de langues, les guérisons et autres choses qui ne sont pas des ministères ecclésiastiques, mais des charismes.

 Venons-en maintenant à cette citation où l’on parle d’un seul corps, d’un seul esprit, d’une seule foi, d’un seul Dieu, mais non d’un seul pape.   Je réponds qu’un seul pape est compris dans un seul corps et un seul esprit,  car, comme dans un corps naturel l’unité des membres se conserve parce que tous obéissent à la tête, de la même façon l’Église conserve l’unité parce que tous obéissent à un seul.  Le Christ, il est vrai, est  la tête de toute l’Église,  Mais comme il est éloigné de l’Église par sa présence visible, il faut nécessairement que, à la place du Christ, quelqu’un maintienne cette Église dans l’unité. C’est pourquoi Optat (livre 2), appelle Pierre tête, et place en lui l’unité de l’Église, afin que tous adhèrent à cette pierre.  Et saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur Matthieu) parle ainsi de l’Église : « dont le pasteur et la tête est un pêcheur, un être ignoble ».

 Et en ce qui a trait à la plénitude du pouvoir, je réponds que le pontife suprême, si on le compare au Christ, n’a pas la plénitude du pouvoir, mais seulement une portion de ce pouvoir, selon la mesure du don du Christ.  Car, le Christ régit la totalité de l’Église : celle qui est dans le ciel, au purgatoire et sur la terre, ainsi que celle qui fut depuis le début du monde, et qui sera jusqu’à la fin du monde. Et c’est pour cela qu’il peut, à son gré, faire des lois, instituer des sacrements, communiquer la grâce même sans sacrements.  Le pape, lui, ne régit, pendant qu’il vit,  que l’Église de la terre.  Il ne peut pas changer les lois du Christ, ou instituer des sacrements, ou remettre des péchés sans sacrement.   Mais si nous comparons le souverain pontife aux évêques, on a raison de dire qu’il possède la plénitude du pouvoir, parce que les autres président sur des régions délimitées, et possèdent un pouvoir qu’ils ne peuvent exercer que dans leur territoire limité.  Le pape, lui,  c’est sur toute la terre qu’il préside, et il possède la plénitude et la totalité du pouvoir que le Christ a laissé sur la terre, pour l’utilité de son église.

 La troisième objection vient de Calvin (livre 4, institutions, chap 6, verset 9), où il se sert de cet argument : « c’est le Christ qui est la tête de l’Église (Ephe 4),  Il fait donc injure au Christ celui appelle un autre tête ».  Je réponds qu’aucune injure n’est infligée au Christ par le fait que le pape soit la tête de l’Église; cela ne fait plutôt qu’augmenter sa gloire.   Car nous ne prétendons pas que le pape soit tête de l’Église avec le Christ, mais sous le Christ, comme son ministre et son vicaire.  Ce n’est pas non plus faire une injure à un roi si on dit que le pro-roi est, sous le roi, la tête du royaume, car cela ne fait qu’augmenter l’honneur du roi. Car, tous ceux qui entendent dire que le pro-roi est, sous le roi, la tête du royaume, pensent immédiatement que le roi en est la tête d’une façon plus noble.   Ajoutons que, dans l’Écriture, le même Christ qui a dit « je suis la lumière du monde » (Jean 8), a dit aussi : « vous êtes la lumière du monde », sans se faire injure à lui-même.    Et l’apôtre qui a dit : « personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, le Christ (1 Cor 3) »,  a dit aussi : « surédifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes (Ephe 2) ».  Et bien que le Christ soit  « le pasteur et l’évêque de nos âmes (1 Pierre 2), et l’apôtre de notre confession (Hebre 3), le prophète (Luc), et le docteur de justice (Joël 2) », saint Paul ne lui fait  quand même pas d’injure quand il écrit (Ephés 4)_ que dans l’Église il y a des apôtres, des prophètes, des pasteurs et des docteurs.   Enfin,  y a-t-il un nom plus auguste que celui de Dieu ?  Et toutefois, on donne souvent ce nom aux  hommes sains injurier Dieu. Psaume 81 : « J’ai dit, moi, vous êtes des dieux. »  Pourquoi donc ferait-on une  injure au Christ tête de l’Église, si on donne ce nom aussi à un autre ?

 Mais ils rétorquent qu’on n’appelle jamais l’Église le corps de Pierre ou du pape, mais du Christ.   Je réponds que la raison en est que seul le Christ est la tête principale et perpétuelle de toute l’Église.  Car, comme on ne dit pas le royaume du pro-roi mais du roi,  la maison de l’intendant, mais du propriétaire, de la même manière, l’Église n’est pas le corps de Pierre ou du pape, qui ne la gouvernent que pour un temps et à la place d’un autre, mais du Christ, qui la gouverne perpétuellement, et de sa propre autorité.

 De plus, quand nous disons que l’Église est le corps du Christ, le mot Christ peut se rapporter non au Christ comme tête, mais au Christ comme l’hypostase de son corps, comme quand nous disons que là git le corps de Paul, là celui de Pierre, nous ne voulons pas dire que Pierre ou Paul sont des corps, mais nous désignons les personnes de qui sont ces corps.  Car, le Christ n’est pas seulement tête de l’Église, mais il est comme un grand corps formé de membres nombreux et différents.  Saint Augustin a noté (livre 1 des mérites et ls rémission des péchés, chap 31, après avoir lu : « car, comme le corps est un, et a plusieurs membres, le corps n’est pas une seule chose », qu’il n’a pas ajouté : il en est ainsi aussi du corps du Christ, mais il en est ainsi aussi du Christ.   L’Église est donc le corps du Christ  et non de Pierre, parce que le Christ soutient tous ses membres à la façon d’une hypostase, et opère tout en toutes choses.   Il voit par l’œil, entend par les oreilles, il est celui qui enseigne par le docteur, baptise par le ministre, et fait, enfin, tout par tous.   Choses qui ne conviennent ni à Pierre, ni à aucun autre homme.

 La quatrième objection est celle de Théodore de Bèze, qui, (dans la confession, chap 5, art 5), enseigne qu’à Dieu seul revient le fardeau  du gouvernement de toute l’Église; que nous disons donc quelque chose d’impossible quand nous confions au souverain pontife le gouvernement de toute l’Église.  Mais Luther (dans son livre sur le pouvoir du pape), avait déjà dit la même chose, et c’est à lui qu’on attribue le libelle sur la primauté du pape, inscrit dans le synode de Smalchadic.   Je réponds que, sans miracle, il est impossible à un seul homme de gouverner à lui seul toute l’Église, et qu’aucun catholique n’enseigne cela.   Que quelqu’un le fasse par les nombreux pasteurs et ministres qui relèvent de lui nous considérons non seulement que c’est une chose possible, mais utile et avantageuse.

 Car, tout d’abord, l’Apôtre (2 Cor 11) ne dit-il pas qu’il a la sollicitude de toutes les églises ? Il ne parlait pas seulement des églises qu’il avait fondées, mais de toutes.  Car saint Jean Chrysostome écrit, au sujet de ce texte, que saint Paul prenait soin de toute la terre.  Et on peut démontrer la même chose avec les épitres aux Romains, aux Colossiens et aux Hébreux, car il écrit là à des gens à qui il n’avait pas prêché, mais dont il se croyait quand même responsable.  Et même si les apôtres s’étaient réparti des territoires particuliers qu’ils devaient évangéliser avec plus de soin, leur zèle apostolique ne se limitait pas aux frontières d’une province, mais chacun d’eux d’entre eux se sentait chargé de toute l’Église, comme s’il était seul à avoir cette mission.

 De plus, plusieurs princes séculiers reçurent de Dieu des royaumes très vastes, et même plus grands que ne l’est maintenant la chrétienté, qui ne leur auraient jamais été donnés s’ils n’avaient pas été capables de les administrer.  Prenons pour exemple Nabuchodonosor (Daniel 2) : « Tu es le roi des rois, et c’est le roi du ciel qui t’a donné le règne, la force et l’empire, et tous les lieux où habitent les fils d’hommes, et qui a tout soumis sous ta juridiction ».  De même de Cyrus (Isaïe 45) : « Voici ce que dit le Seigneur à Cyrus, mon Christ, dont j’ai pris la droite pour soumettre devant sa face des nations, et faire tourner le dos aux rois. »

 L’immensité de ce royaume, c’est le livre d’Esther (chap 1)  qui nous la découvre.  On nous dit là qu’il a régné sur 127 provinces, de l’Inde jusqu’à l’Éthiopie.  Au sujet de l’empereur Auguste, nous lisons en saint Luc (2) « qu’est sorti un édit de César Auguste pour enregistrer toute la terre ». Et il est certain que la terre n’a jamais été aussi heureusement administrée qu’aux temps de l’empereur Auguste.   Que ce règne avait été préparé par Dieu pour que l’Évangile soit prêché plus facilement dans tout l’univers,  Eusèbe (livre 3, chapitre 9 de la démonstration évangélique) et saint Léon  (sermon sur les saints Pierre et Paul) nous l’enseignent. Puisque Dieu a voulu que presque toute la terre obéisse  aux ordres d’un seul homme, pourquoi n’aurait-il pas plutôt remis le gouvernement de toute l’Église à la prudence et à la sollicitude d’un seul homme ?  Surtout parce que le gouvernement ecclésial est plus facile que le gouvernement civil, et que les rois n’ont pas d’autre aide que la prudence humaine et la providence générale de Dieu, tandis que les pontifes ont la lumière surnaturelle de la foi, les saintes Écritures, les sacrements célestes, et l’assistance particulière du Saint-Esprit.

 Ajoutons qu’il serait plus difficile d’avoir une démocratie ou une aristocratie dans l’Église qu’une monarchie.  Car, une démocratie ecclésiale ne pourrait pas être semblable à celle des Athéniens ou des Romains, qui ne s’appliquait qu’aux citoyens d’une même ville, qui pouvaient sans trop de difficulté se rassembler, et décider à la pluralité des voix ce qu’ils voulaient.  Mais s’il y avait une démocratie dans l’Église, tous les chrétiens du monde auraient le droit de vote.  Et qui pourrait jamais réunir tous les chrétiens dans un seul lieu pour statuer sur une loi de l’Église universelle ?

 Pour une raison semblable, un régime aristocratique ne serait pas semblable à celui des vénitiens, dans laquelle seuls dominent les patrices d’une seule ville, lesquels peuvent facilement se réunir et décider ce qu’ils veulent.  Elle serait plutôt comme elle n’a jamais été.  Tous les magistrats du monde entier, c’est-à-dire les évêques et les prêtres de toute la chrétienté, auraient un droit égal au gouvernement.  Et il serait très difficile de les réunir, ou impossible sans miracle.

 La cinquième objection vient  de ce libelle que les luthériens ont édité au synode smalchaldaique sur la primauté du pape.  Ils disent que Paul (1 Cor 3) met tous les ministres sur un pied d’égalité, et enseigne que l’Église est au-dessus des ministres, quand il dit : tout est à vous, que ce soit Paul, Apollon ou Céphas.   Je réponds que je n’ai pas l’esprit assez aiguisé pour percevoir la force de cet argument. Car si on met sur un pied d’égalité des ministres parce qu’on les énumère ensemble quand on dit ou Paul, ou Apollon ou Pierre, les ducs, les consuls et les empereurs seront égaux en dignité parce que saint Jean Chrysostome (homélie 83 sur Matthieu), a dit : « Si un chef, si un consul, si un roi se conduit mal, reprends-le et corrige-le. »  Il ne s’ensuit pas non plus que l’Église soit, par l’autorité et le pouvoir, au-dessus des ministres  parce qu’ils ont été institués pour l’utilité de l’Église, ce que signifie les paroles de saint Paul : tout est à vous.   Autrement, même les enfants gouverneraient leurs pédagogues et les peuples les rois parce que les pédagogues sont au service des enfants, et les rois au service de leurs peuples.

 La sixième objection est dans ce libelle : Le Christ a envoyé également tous ses apôtres quand il a dit (Jean 20) : « Je vous envoie ».  Il n’en a donc pas établi un au-dessus des autres.   Je réponds que dans ce passage, l’un n’a pas été établi au-dessus des autres, mais il ne manque pas d’autres textes où l’un est nommé le chef des autres.   L’en d’entre eux est certes saint Jean 21 : « Pais mes brebis ! ».

 Enfin, il y en a d’autres qui font l’objection suivante : si le monde devait être régi par un seul en ce qui a trait à la religion, il serait utile aussi que le monde soit régi par un seul en ce qui a trait à la politique.    Mais cela n’a jamais existé et ne convient pas, comme l’enseigne saint Augustin (livre 4, cité de Dieu, chapitre 15) : « Les choses humaines iraient mieux si tous les royaumes étaient petits, et jouissaient de la concorde qu’apporte la proximité. »  Je réponds que le gouvernement civil et le gouvernement religieux ne sont pas du même ordre,   Comme il n’est pas nécessaire que toute la terre soit un seul et même royaume, il n’est pas non plus  nécessaire qu’il y ait un seul roi.   Mais l’Église toute entière est un seul royaume, une seule cité, une seule maison, et c’est pourquoi elle doit être régie par un seul.  La raison de cette différence est que pour la conservation des royaumes civils, il n’est pas nécessaire que toutes les provinces observent les mêmes lois, et les mêmes rites.  On peut, en effet, en raison de la diversité des lieux et des personnes se servir de lois et d’institutions différentes.   Voilà pourquoi on n’a pas besoin d’un seul chef qui maintienne tous dans l’uniformité.  Mais pour la conservation de l’Église, il est nécessaire que tous communient dans la même foi, dans les mêmes sacrements, dans les mêmes préceptes divins transmis. Or, cela ne peut exister que si tous ne forment qu’un seul peuple, maintenu dans l’unité par un seul.

 Serait-ce convenable  que tous les pays du monde soient gouvernés par un seul roi, même si la chose n’est pas nécessaire ? C’est une question qu’on peut se poser.  Il me semble à moi que ce serait tout à fait avantageux si on peut y parvenir sans injustice et sans guerres sanglantes.  Surtout si le monarque universel n’avait pas, sous lui, des vicaires et des pro-rois, mais de vrais princes, comme sont les évêques par rapport au pape.  Mais, cependant, comme il ne semble pas qu’une telle monarchie puisse être instituée sans le déploiement de grandes forces et sans guerres de conquête, saint Augustin a donc raison de dire que les choses humaines se porteraient mieux s’il y avait partout de petits royaumes jouissant de la concorde qu’apporte la proximité, plutôt qu’un seul royaume conquis dans l’injustice, le sang, les tortures et l’esclavage.  Ajoutons que saint Augustin donne son approbation à de petits royaumes, mais il ne nie pas qu’il soit utile qu’un seul empereur préside à tous ces roitelets.   C’est plutôt cela qu’il semble vouloir dire quand il dit que les petits royaumes jouissent d’une grande unité comme plusieurs maisons dans une cité. Il est évident que, dans une cité, il y  une personne à qui tous obéissent, même si chaque maison a son propriétaire
 
 

CHAPITRE 10
On propose une troisième question, et on prouve la monarchie de Pierre par l’évangile de Matt 16

 On a expliqué, jusqu'à présent, et suffisamment bien, si je  ne m’abuse, que la monarchie est le meilleur régime, et  que c’est cette forme de gouvernement qui doit exister dans l’Église. Il reste maintenant la troisième question.  L’apôtre Pierre a-t-il été constitué par le Christ chef et prince de toute l’Église, en lieu et place du Christ ?  Tous les hérétiques que nous avons cités nient cela explicitement. Or, ce n’est pas uniquement une simple erreur, mais une hérésie pernicieuse de nier que la primauté de Pierre a été instituée par le Christ.   Nous nous efforcerons donc de confirmer cela de trois façons et par trois raisonnements.  La première, à partir de deux passages de l’Évangile : un dans lequel elle est promise, et un autre dans lequel elle est manifestée. La deuxième : les nombreuses prérogatives et les privilèges de Pierre.  La troisième : des citations des pères de l’Église, grecs et latins.

 Commençant par la première, le premier texte est de Matth 16 : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Et, je te donnerai les clefs du royaume, et tout ce que lieras sur terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur terre sera délié dans les cieux. »  Le sens clair et obvie de ces paroles, comme  nous les comprenons, est que, par deux métaphores, la principauté de toute l’Église est promise à Pierre.  La première métaphore porte sur un fondement et un édifice : sur ce qui dans un édifice est le fondement, c’est-à-dire la tête dans le corps, le maire dans une cité, le roi dans un royaume, le père de famille dans une maison.  La deuxième métaphore est celle des clefs.  Car, celui à qui on remet les clefs d’une cité est institué roi, ou gouverneur de la cité; il est celui qui admet dans la cité ceux qu’il veut faire entrer, et qui refuse l’admission à ceux qu’il veut exclure.

 À la vérité, les hérétiques déforment ce texte par des tours de passe-passe.  D’abord, ils ne veulent pas voir Pierre dans la pierre.  Ils n’admettent pas non plus qu’à Pierre aient été concédées des clefs.  Ils ne parviennent pas non plus à se persuader que ces métaphores se rapportent au  pouvoir ecclésiastique suprême.  Il nous faudra donc poser quatre questions.  La première : Pierre est-il la pierre sur laquelle est fondée l’Église ?  La seconde : être le fondement signifie-t-il être le gouverneur de toute l’Église ?   La troisième : Pierre est-il celui à qui les clefs ont été données ?  La quatrième : entendons-nous par clefs le plein pouvoir de gouverner l’Église ?

 À la première question on donne quatre réponses différentes.   La première, celle des catholiques : cette pierre est Pierre, i.e. celui qui s’appelait Pierre. Ce n’est pas  à une personne qu’il a été donné,  mais au pasteur et à la tête de l’église.  La deuxième est celle d’Érasme (et d’Origène): tout homme fidèle est une pierre. La troisième est de Calvin (livre 4, institutions chap 6, verset 6) : cette pierre est le Christ.  La quatrième, celle de Luther (livre du pouvoir du pape) et des centuriates (livre 1, centurie 1, chap 4, col 175, et le livre 1 smalchaldici,  du primat du pape) : la pierre dont parle le Seigneur  est la foi, ou la confession de la foi.

 La première réponse, qui est la seule vraie, s’explique par le texte lui-même.  Quand le Seigneur dit cette pierre là, il indique une pierre dont il avait parlé un peu auparavant.  Il venait de donner à Simon le nom de Pierre, cephas, en syrien. Saint Jérôme (chapitre 2 aux Galates) enseigne qu’en langue syriaque, cephas veut dire pierre.  Et à chaque fois qu’en hébreu on a pierre, on a cephas en syriaque.  Le Seigneur a donc dit : « tu es une pierre, et sur cette pierre-là je bâtirai mon église ». Il  est évident que ce « cette » ne peut se rapporter qu’à Pierre, qui venait d’être appelé ainsi.   Et pourquoi le traducteur latin n’-a-t-il pas écrit : tu es une pierre et sur cette pierre là ?  C’est parce qu’il a suivi le texte grec. Il ne l’a pas traduit du syriaque, mais du grec,  où nous lisons : « tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église ».  Pourquoi le traducteur grec n’a-t-il pas dit : tu es une  pierre, et sur cette pierre-là ?  La raison en est que, comme petros et petra signifient tous deux pierre, il a semblé plus convenable de donner à un homme un nom masculin.  Ensuite, pour expliquer la métaphore, il n’a pas voulu dire « sur ton Pierre », --ce qui pouvait être ambigu--mais sur ta pierre, mot qui ne signifie rien d’autre que pierre.

 Venons-en au consensus ecclésial des pères grecs et latins.  Tout le concile de Calcédoine formé de 630 pères (actes 3) a appelé Pierre la tête et le fondement de toute l’Église.  De même, on chante, dans l’Église, à tous les jours par la bouche d’un grand nombre, et on les chante depuis 1200 ans ces vers de saint Ambroise dans l’hymne des laudes du dimanche : « Quand le coq chanta, la pierre de l’Église  confessa sa faute ». Saint Augustin le témoigne aussi (livre 1 retract, chap 21). Déjà à son époque ont avait commencé à chanter dans l’Église  les vers de saint Ambroise professant que saint Pierre était la pierre sur laquelle il a édifié son Église.

 Les Pères grecs maintenant. Origène (homilie 5 sur l’exode) : « Vois pourquoi le Seigneur a dit : hommes de peu de foi, pourquoi doutez-vous ? C’est parce qu’il est grand le fondement de l’Église, et solide la pierre sur laquelle il a fondé son Église. »  Saint Athanase, dans son épitre à Félix, écrite par lui en son nom et au nom du synode d’Alexandrie : « Tu es une pierre, dit-il, et c’est sur ton fondement que les colonnes de l’Église, les évêques, sont confirmées. »   Saint Athanase fait donc du pape le fondement sur lequel s’appuient les évêques pour être des colonnes de tout l’édifice.   Saint Basile (livre 2, contre Eunome), dit : « Pierre, à cause de l’excellence de sa foi, a reçu en lui-même l’édification de l’Église. »  Saint Grégoire de Naziance (dans la modération à conserver dans les débats oratoires) : « Pierre est appelé pierre, et c’est à lui qu’ont été confiés les fondements de l’Église. »  Épiphane (dans ancor), dit : « Le Seigneur a constitué Pierre le premier des apôtres, une pierre solide, sur laquelle il a édifié son Église ».

 Saint Jean Chrysostome (homélie 5 sur Matt) : « Le Seigneur a dit : tu es une pierre, et c’est sur toi que j’édifierai mon Église. »  Et dans l’homélie 4 (sur le chapitre 6 d’Isaïe) : « Pourquoi saint Pierre est-il le fondement de l’Église ?   Il aimait intensément le Christ;  il ne connaissait pas l’art oratoire, mais triomphait des rhéteurs; il était un ignorant qui fermait la bouche aux philosophes; et il  a dissout la sagesse des grecs avec rien d’autre qu’une toile d’araignées, lui qui a jeté son filet dans  la mer, et qui a attrapé l’univers. »  Saint Cyrille (livre 2, chapitre 12, sur saint Jean) : « Il lui a prédit que son nom ne serait pas Simon mais Pierre. Signifiant par ce mot imagé que c’est sur lui, comme sur une pierre très ferme, qu’il édifierait son Église ». Psellus (chapitre 4 du cantique des cantiques) : « Ses jambes sont comme des colonnes de marbre.  Entends par jambes Pierre, le prince des apôtres, sur lequel, dans l’évangile, le Seigneur avait promis d’édifier son Église ».  Nous avons les notes de Psellus sur les commentaires de Théodoret sur les cantiques des cantiques, de Théophylacte (Luc, chap 22) : « Après moi, tu es la pierre de l’Église, et son fondement ».  Euthymius (cap 16, Matt) : « Je te placerai comme le fondement des croyants, j’édifierai sur toi mon Église ».

 Parmi les latins, Tertullien (livre de la prescription, chap 22) écrit : « A-t-il manqué quelque chose à Pierre pour qu’on l’appelle la pierre sur laquelle serait édifiée l’Église ? »  Saint Cyprien dans son épitre à Quintus : « Pierre est celui que le Seigneur a élu pour être le premier, et c’est sur lui qu’il a édifié son Église ».  Il répète souvent des choses semblables.   Saint Hilaire (Matt 16) : « Ô heureux fondement de l’Église, par la réception d’un nouveau nom ! Ô pierre digne d’édifier l’Église, pierre  qui abolira les lois de l’enfer ! Ô bienheureux portier du ciel ! »  Mais Érasme annota, là, en marge : « le fondement est la foi de l’Église ».  Comme si c’était le nom de la foi qu’on avait changé, et non celui de Simon !  Et comme si c’était la foi qui était le portier du ciel !  Et que de dire de ce que saint Hilaire n’ait même pas prononcé une seule fois le mot foi ?  Saint Ambroise (sermon 47) : « Pour la solidité de la dévotion des églises il est appelé pierre, comme le Seigneur a dit : Tu es Pierre.   Car, par pierre,  on exprime ce qui a été placé comme fondement au tout début de la foi;  et c’est cette pierre immobile qui contient toute la masse de toute l’œuvre chrétienne ».  Saint Jérôme (Matt 16) : « Selon la métaphore de la pierre, c’est à bon droit qu’on lui a dit : j’édifierai sur toi mon Église. »  Et dans sa lettre au pape Damase sur le mot hypostase, parlant du siège de Pierre : « Je sais que c’est sur cette pierre qu’a été édifiée l’Église. »  Saint Augustin (dans les psaumes, contre le parti de Donat) : « Énumérez les prêtres à partir de ce siège de Pierre : c’est elle la pierre que ne vainquent pas les portes orgueilleuses de l’enfer. »  Notez que ce que  ces saints appellent pierre ce n’est pas tellement la personne de saint Pierre que son siège.  C’est sur ce siège qu’est fondée l’Église, et c’est contre lui que ne prévaudront pas les portes de l’enfer, car Pierre est la pierre non en tant qu’homme particulier, mais en tant que pontife.

 Le même saint Augustin (sermon 15 sur les saints) dit :  « Le Seigneur a donc nommé Pierre le fondement de l’Église, sur lequel s’édifie l’édifice ecclésiastique. »  Maxime (sermon 1 sur les saints Pierre et Paul) écrit : « Par le Christ Pierre a été fait une pierre, quand il lui a dit : Tu es la pierre etc. »  Saint Paulin (épitre 4 à Sévère) : « C’est le Christ qui est la pierre, mais il n’a pas refusé à son disciple la prérogative de ce nom quand il lui a dit : et sur cette pierre etc. »  Saint Léon le grand (sermon 2, de l’anniversaire de son sacre) : « Demeure donc la disposition de la Vérité, et persévérant dans la fermeté de la pierre qu’il a reçue, saint Pierre n’a pas abandonné le gouvernement de l’Église qu’il avait assumé.  Il est placé avant tous les autres, car, en le disant pierre on déclare qu’il est le fondement, et qu’il est le portier du royaume des cieux.  C’est par le mystère de ces noms (pierre, clef) que nous apprenons ce qu’est l’association toute particulière de Pierre avec Jésus ».  Saint Grégoire le grand (livre 6, épitre 37 à Euloge) enseigne :  « Qui ne sait que la sainte Église est fermement fondée sur la solidité du prince des apôtres ? »

 Tous ces extraits nous font voir l’impudence des hérétiques.  Car Calvin dit, à l’endroit cité, qu’il ne veut pas présenter de témoignages des pères, non parce qu’il ne le pourrait pas, mais parce qu’il ne veut pas ennuyer ses lecteurs en cherchant à démontrer quelque chose de si évident. Au sujet de ce passage de saint Matthieu, Érasme s’étonne qu’il y ait eu des gens qui aient détourné ce texte pour le rapporter à l’église romaine.  Il devra pardonner à saint  Cyprien et saint Jérôme, comme s’il s’agissait d’un paradoxe inouï,  pour avoir dit que l’Église était fondée sur Pierre.  Surtout parce que c’est ce que tous les pères enseignent, et le plus grand nombre des théologiens et des canonistes récents, sans compter les anciens pontifes : Clément, Anaclet, Marcel, Pie, Jules, et d’autres que j’ai omis, pour faire bref, et aussi parce que nos adversaires ne les acceptent pas.

 Venons-en donc à la deuxième opinion qui est celle d’Érasme.  Il prouve que, par le mot pierre, on doit entendre tous les fidèles en citant Origène (traité 1, Matt) : « Est pierre tout imitateur du Christ, et c’est sur une pierre de cette sorte que l’Église est fondée.  C’est dans chacun des parfaits qui témoignent par les paroles et les œuvres et la compréhension du sens des Écritures, qu’est édifiée  l’Église, sur laquelle  les portes de l’enfer ne prévaudront point. »   Mais Origène donne de ce texte une interprétation non littérale, mais allégorique. Dans le lieu cité, il en a pourtant donné une interprétation littérale. Car, pour qui a le sens commun, ce passage ne peut pas signifier littéralement tous les fidèles, puisque le Seigneur ne parle qu’à Pierre, Et cela, il le montre de plusieurs façons. Il l’appelle Simon, qui était le prénom que ses parents lui avaient donné, et ajoute même le nom de son père, l’appelant fils de Jonas, pour le distinguer de Simon le zélote, et de Simon frère de Jacques et de Jude.  Et ce n’est qu’après, qu’il ajoute le nom de Pierre qu’il lui donnait. Il s’est servi ensuite de  pronoms qui désignent  certaines personnes : moi et toi.  S’il est donc permis de dire que ce texte ne se rapporte en rien à Pierre, il sera  possible de détourner de leurs sens tous les textes de la Bible.

 De plus, si tous les fidèles sont le fondement sur lequel est construite l’Église, tous seront donc un fondement.  Si tous sont le fondement, où sont les murs, et le toit de cet édifice?   Comme le dit saint Paul (1 Cor 12) : si tout le corps est un œil, où est l’oreille, où sont les autres membres?  Ajoutons qu’au même endroit, le même Érasme juge absurde que l’édifice ecclésial soit fondé sur l’homme Pierre.  Comment pourrait-il alors être édifié sur les autres hommes ?  Ne sont-ils pas tous des hommes eux aussi ?

 La troisième explication de ce texte de Matthieu 16 est de Jean Calvin, qui même s’il ne le dit pas en mots clairs, semble bien, par pierre, entendre le Christ. Car, sur quelle pierre est édifiée l’Église c’est, selon lui,  une chose évidente puisque l’apôtre dit (c Corinth 3) : « Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé : le Christ Jésus ».  Il cite aussi saint Augustin (traité ultime sur saint Jean) qui dit : « Sur cette pierre que tu as confessée j’édifierai mon Église ». Le sermon 13 sur la parole de Dieu dit la même chose, et (dans le livre de ses rétractations, chapitre 21), il rétracte ce qu’il avait dit avant sur Pierre comme fondement de l’Église, et enseigne que c’est plutôt sur le Christ qu’elle a été fondée, et que c’est  ainsi qu’il faut comprendre ce texte de Matthieu.

 Personne ne doute que le Christ soit la pierre, et le premier fondement de l’Église. Et ce passage-là le démontre également, car si Pierre est fondement de l’Église en remplacement du Christ, le Christ l’est beaucoup plus.  Mais, néanmoins, le sens propre, obvie, immédiat et littéral est que l’Église est édifiée sur Pierre.  Ce que nous prouverons sans répéter ce qui a déjà été dit. D’abord le mot « cette » ne peut pas se rapporter à la pierre Christ, mais à la pierre qu’est Pierre. Car ce démonstratif doit indiquer une chose rapprochée, non une chose éloignée. Or le mot qui venait d’être prononcé n’était pas Christ, mais Pierre.  Ensuite, bien que l’on puisse appeler le Christ pierre, ce n’est pas le nom que lui donne saint Pierre en le confessant, mais Christ Fils du Dieu vivant.  Ce « cette » doit donc être référé à celui qui est appelé pierre, et non à celui qui ne reçoit pas ce nom.  De plus, si le Christ était la pierre, comment aurait-il pu dire : « Je te dis que tu es pierre ».  Il aurait parlé pour ne rien dire, à moins que les paroles qu’il prononçait ne s’adressassent pas vraiment à Pierre. Ensuite, si ces paroles s’appliquaient au Christ, il n’aurait pas dit j’édifierai, mais j’édifie mon Église, car il avait déjà édifié en lui les apôtres et beaucoup d’autres. Il dit j’édifierai, car Pierre n’avait pas encore été institué fondement de l’Église. C’est après la résurrection qu’il le deviendrait.

 À l’argument de Calvin je réponds que saint Paul ne parle pas de n’importe lequel fondement, mais du fondement premier. Autrement il se contredirait lui-même puisqu’il a dit (Éphèse 2) : « surédifié sur le fondement des apôtres et des prophètes. »  Il contredirait aussi saint Jean qui, dans l’Apocalypse, décrit les douze fondements de l’Église du Christ, et explique que ces fondements sont les apôtres.   Pour saint Augustin, je dis qu’il ne réprouve pas notre sentence, mais qu’il donne la priorité à une autre.  Car, voici ce qu’il dit dans les rétractations (1, chap 21) : « J’ai dit, en un certain endroit, au sujet de l’apôtre Pierre, que c’était sur lui comme sur une pierre qu’était fondée l’Église, ce qui est chanté par les bouches d’un grand nombre dans les vers de saint Ambroise, où, il dit en parlant d’un coq : « pendant qu’il chantait, la pierre de l’Église a effacé sa faute ».  Mais je sais que très souvent après,  j’ai expliqué que par « sur celui-ci » il fallait entendre celui que confessait Pierre. Car, il ne lui a pas été dit : tu es la  pierre, mais tu es Pierre, car la pierre était le Christ.  Je laisse au lecteur  le soin de choisir quelle est la plus probable des deux explications. »  Voilà donc quelle est son opinion,  Il ne pense donc pas, comme Calvin, que ce soit un blasphème de déclarer que l’Église ait été édifiée sur Pierre.

 J’ajoute que saint Augustin a été trompé par sa seule ignorance de la langue hébraïque. Car, son argument tient tout entier là-dessus : il n’a pas été appelé pierre mais Pierre.  Il a pensé que la pierre sur laquelle était construite l’Église n’était pas Pierre, parce qu’il croyait que cephas ne signifiait pas pierre, mais un dérivé de la pierre, comme le mot chrétien ne signifie pas le Christ, mais quelqu’un qui est en lien avec le Christ.   Donc, parce que l’Église doit être fondée sur une pierre et non sur un dérivé de la pierre, saint Augustin a pensé que cette pierre ne signifiait pas pierre mais le Christ.  Mais, s’il s’était rendu compte que le mot cephas ne signifie rien d’autre que pierre, et que ce que le Seigneur a dit c’est : « tu es une pierre et sur cette pierre », il n’aurait eu aucun doute sur la vérité de notre opinion.

 Il reste la quatrième, qui est celle de presque tous les luthériens, et qui semble pouvoir être confirmée par des témoignages d’anciens pères.  Hilaire (livre 6, de la trinité) : « C’est sur la pierre de cette confession que s’édifie l’Église ».  De même : « Cette foi de l’Église est le fondement. C’est par cette foi que sont rendues faibles les portes de l’enfer. C’est cette foi qui a les clefs du royaume céleste ».  Saint Ambroise (livre 6, chap 9 sur Luc) : « Le fondement de l’Église est la foi ».  De la même façon (livre 4, de la trinité), saint Cyrille : «Je pense que, par pierre, il n’a pas nommé autre chose que la foi inébranlable et très ferme du disciple ».  Ilirycus ajoute : « Si l’Église était fondée sur Pierre et non pas  plutôt sur la profession de foi, elle se corromprait bientôt, car Pierre a cherché à détourner le Christ de sa passion. En effet,  en Matthieu, on lit : « Va derrière moi, Satan, car tu ne comprends pas les choses de Dieu ! »  Ensuite, il a renié trois fois le Christ, et non sans serment (Matt 26).

 Je réponds qu’on peut considérer la foi ou la confession de deux façons. La première façon : absolument, telle qu’elle est en elle-même, sans relation à la personne de Pierre.  La seconde : en relation à la personne de Pierre.  C’est de la première façon que les adversaires voudraient que la foi soit le fondement de l’Église.  Mais ils se trompent surement, car s’il en était ainsi, le Seigneur n’aurait pas dit : sur cette pierre j’édifierai, mais j’édifie ou j’ai édifié mon Église.  Car, plusieurs avaient déjà cru qu’il était le Fils du Dieu vivant, comme les bergers, la sainte Vierge, saint Siméon, Zacharie, saint Jean Baptiste, les apôtres et les autres disciples.    De plus, la foi au sens strict est correctement appelée le fondement de la justification et de toutes les vertus, comme le dit saint Augustin (sermon de la parole apostolique) :  « La maison de Dieu est fondée en croyant, elle est érigée en espérant, et elle se parfait en aimant ».  Mais la foi n’est pas le fondement premier de l’Église, car les fondements doivent être de même nature qu’elle. Or l’Église est une assemblée d’hommes qui sont comme des pierres vivantes, comme le dit 1 Pierre 2.  La pierre qui est le fondement doit donc être un homme, non une vertu.

 Ensuite ce « cette » montre clairement qu’on ne peut, par pierre, entendre la foi, car ce mot se réfère au mot pierre qui vient juste d’être prononcé.  C’est à Simon qu’il a été dit « tu es la pierre », non à la foi. Il faut donc entendre la foi de la deuxième façon, et dire qu’il ne s’agit pas ici de la foi en général ou de n’importe qui, mais de la foi de celui qui est le fondement, la foi de Pierre, non en tant qu’homme privé, mais en tant que pasteur.  Cela se rapporte donc à ce que nous avons expliqué jusqu’ici,  au sujet du fondement de l’Église.  Car, on dit que c’est la foi de Pierre qui est le fondement de l’Église, pour deux raisons.  D’abord parce que c’est en récompense de sa foi qu’il est advenu à Pierre d’être le fondement de l’Église, comme l’expliquent saint Jérôme, saint Hilaire, saint Jean Chrysostome, et d’autres commentateurs de ce passage.  Ensuite, il est le fondement très solide de l’Église du fait que sa foi ne peut errer, et qu’il doit confirmer et soutenir la foi des autres.   Car, c’est ce que le Seigneur lui a dit en Luc (22) : « J’ai prié pour toi, pour que ne défaille pas ta foi. Et quand, tu seras revenu à toi, confirme tes frères ».

 Donc, dire que, à cause de sa foi indéfectible, Pierre est la pierre très solide qui soutient toute l’Église, c’est dire que c’est sur cette pierre et sur cette foi que l’Église a été fondée. Et c’est ainsi que l’ont compris les pères cités.  Car, saint Hilaire, après avoir dit, à l’endroit déjà cité, que la foi de Pierre est le fondement de l’Église, et qu’il avait reçu les clefs du ciel, ajoute, au sujet de ce même Pierre : « C’est un lieu suréminent qu’il a mérité par la bienheureuse profession de sa foi ». Et un peu après : « C’est à cause d’elle qu’il a les clefs du royaume du ciel, que ses jugements terrestres sont célestes ».    Donc, comme il avait dit que c’est la foi qui est le fondement et qui a les clefs, il dit maintenant que c’est à cause de sa foi que Pierre a mérité un lieu suréminent, c’est-à-dire être la tête ou le fondement, et avoir les clefs.   Et lui-même, dans Matt 16, dit clairement de saint Pierre : « Sois heureux d’être devenu le fondement de l’Église par la réception d’un nouveau nom ! »

 Pour une raison semblable, saint Ambroise (saint Luc, livre 6, chapitre 9) enseigne que c’est la foi de Pierre qui est le fondement de l’Église. Il dit au même endroit : « Il n’a pas nié à son disciple la grâce de ce mot, à savoir, qu’il soit lui-même un Pierre, quelqu’un qui, de la pierre, a la solidité de la constance et la fermeté de la foi ».  Saint Jean Chrysostome, dans les deux textes cités, expliquant ce que c’est qu’édifier l’Église sur la confession de Pierre, nous présente un Seigneur qui parle ainsi : « Moi, c’est sur toi que j’édifierai mon Église ».  Enfin, saint Cyrille, même dans le lieu cité, ne dit pas que c’est la foi de n’importe qui,  qui est le fondement de l’Église, mais celle de Pierre.  Et (au livre 2, chapitre 12 de saint Jean), il écrit Pierre est la pierre sur laquelle l’Église a été fondée.

 Et à l’objection d’Illyricus, je réponds d’abord avec saint Jérôme, dans son commentaire de ce chapitre.   Quand il entendit Jésus lui dire : « arrière Satan », et quand il le renia trois fois, Pierre n’était pas encore le fondement.  Car, dans ce passage, Jésus lui promit que c’est après sa résurrection qu’il lui donnerait de l’être.  J’ajoute que saint Pierre n’a pas erré dans la foi, mais qu’il n’a fait qu’ignorer quelque chose quand  il entendit : « arrière Satan » !  Et quand il l’a renié, il a péché contre la charité, non contre la foi.  Nous traiterons ce sujet explicitement dans le traité de l’Église.

                                                 CHAPITRE 11

                     Que veut dire : édifier l’Église sur la pierre :  Matt 16

 Nous avons une autre difficulté à tirer au clair : que veut dire édifier l’Église sur la pierre ? Les adversaires réfléchissent peu là-dessus.  Car, comme ils ont déjà nié que Pierre est le fondement de l’Église, ils estiment qu’il est peu important de se demander ce que signifie cette construction.  Le rôle propre de la pierre fondamentale est de soutenir tout l’édifice.  Et c’est ce de cette façon que le présentent les pères.   Saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur saint Matthieu) écrit, en commentant ce texte : « Il l’a constitué le pasteur de l’Église ».  Et, plus bas : « Il a établi Jérémie le père d’un peuple. Mais, Pierre c’est de tout l’univers qu’il l’a fait père. »  Saint Ambroise (sermon 17) : « Pierre est appelé une pierre du fait que, comme une pierre immobile, il soutient  la construction de toute l’Église. »  Saint Grégoire (livre 4, épitre 32) : « Il est évident à tous ceux qui connaissent l’Évangile que, par la parole du Seigneur, a été confié à saint Pierre, le prince des apôtres, le soin de toute l’Église. Car, c’est à lui qu’il a été dit : tu es une pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église.»

 Je réponds que c’est pour cela que nous disons que l’Église n’est pas fondée sur la foi en général.  Mais, même si nous le disions, l’argument ne prouverait rien, car on doit comprendre toutes les  choses en tenant compte de leurs natures.  Si donc on dit que l’Église est édifiée sur la foi, le sens devrait être que l’Église dépend de la foi en tant que principe de la justification, et en tant qu’un don sans lequel l’épouse du Christ n’existe pas.  Si on dit qu’elle est édifiée sur Pierre, le sens sera qu’elle dépend de Pierre comme de son chef, car ce type de dépendance est celui de la dépendance d’un homme envers un homme.

 L’autre argument est plus difficile.  Pierre, en ce lieu, est appelé fondement de l’Église de la même façon que les autres apôtres sont ailleurs appelés fondements de l’Église.  Le psaume 86 : « Ses fondements sont sur la montagne sainte », c’est-à-dire comme l’explique saint Augustin, sur les apôtres et les prophètes. Et Apocalypse 21 : « Et le mur de la cité ayant douze fondements, et sur eux, les douze noms des apôtres de l’Agneau. »  Et Éphésiens 2 : « Surédifiés sur le fondement des  apôtres et des prophètes. »  Faisant allusion à ces textes, saint Jérôme (dans son livre sur Jovinien 1) : « Mais tu dis que c’est sur Pierre que l’Église est fondée, bien qu’on dise ailleurs que c’est sur tous les apôtres qu’elle soit fondée, et que c’est sur eux tous, à part égale, que se solidifie et se fortifie l’Église. »  Pierre n’a donc rien reçu de spécial qui lui appartînt en  propre.

 Je réponds que tous  les apôtres ont été fondements de l’Église de trois façons, sans porter préjudice au privilège de saint Pierre.  Une première manière. Ils ont été les premiers à fonder des églises. Saint Pierre n’a pas converti, à lui seul, tout l’univers, mais certains pays ont été amenés à la foi dans le Christ par certains autres, d’autre par d’autres. C’est ce que reconnait saint Paul : « J’ai prêché là où on ne prononçait pas le nom du Christ, pour ne pas édifier sur le fondement d’un autre ».  Cor 3 : « Comme un sage architecte j’ai posé un fondement, et un autre a édifié l’Église dessus. »  De cette manière, tous les apôtres sont également des fondements.  Nous croyons que c’est ce que veut nous faire comprendre l’Apocalypse.

 L’autre manière. On appelle fondements de l’Église les apôtres et les prophètes à cause de la doctrine révélée par Dieu.  En effet, la foi de l’Église s’appuie sur la révélation de Dieu qu’eurent les apôtres et les prophètes. Car ne sont pas  toujours révélés à l’Église de nouveaux articles de foi, mais l’Église donne son assentiment à la doctrine que les apôtres et les prophètes ont apprise du Seigneur, et qu’ils ont communiquée à la postérité par leur prédication ou leurs écrits. De cette façon nous sommes surédifiés, comme le dit saint Paul (Ephésiens 2) sur les fondements des apôtres et des prophètes.  Selon ces deux manières de comprendre le mot fondement, saint Pierre n’est pas plus grand que les autres, mais, comme dit saint Jérôme, c’est en tous,  à part égale, qu’est solidifiée et fortifiée l’Église.

 La troisième façon. Tous les apôtres sont appelés fondements sous l’aspect du gouvernement. Car tous furent têtes, dirigeants et pasteurs de l’Église universelle, mais pas de la même manière que Pierre.  Car les autres apôtres eurent le pouvoir suprême et étendu en tant qu’apôtres ou légats; Pierre, lui, en tant que pasteur ordinaire.  En somme, ils eurent la plénitude du pouvoir en ayant Pierre comme leur chef, et en dépendant de lui, non lui d’eux.  Et c’est ce qui a été promis à Pierre, quand le Seigneur lui a dit, à lui seul, devant tous les autres : « Sur cette pierre  j’édifierai mon Église.»  C’est ce que, en plus des passages cités, enseigne saint Jérôme dans son livre contre Jovinien, expliquant ce que veut dire édifier l’Église sur Pierre : « Bien que la force de l’Église soit solidifiée à part égale par tous les apôtres, un est choisi parmi les douze comme chef, pour enlever toute occasion à un schisme. »
 
 
 

                 CHAPITRE 12

 Quel est celui à qui il a été dit : je te donnerai les clefs : Matthieu 16

 Le troisième doute porte sur la personne à qui il a été dit : je te donnerai les clefs.   Pour  les docteurs catholiques le sens de ces paroles est on ne peut plus limpide.  Mais les adversaires en détournent le sens naturel au point de les rendre obscures.  Qui, je le demande, en lisant normalement : « tu es bienheureux Simon fils de Jonas », et en découvrant tout de suite après : « je te donnerai les clefs », ne dirait pas que les clefs ont été promises par le Christ au fils de Jonas ?  Néanmoins, Luther (dans son livre sur le pouvoir du pape), Jean Calvin (livre 4 Institutions, chapitre 6, verset 4 et suivants, les magdebourgeois (centurie 1, livre 1, et souvent dans le livre samlchadicus sur la primauté du pape) et tous les hérétiques de notre temps veulent que rien de particulier n’ait été promis à Pierre, fils de Jonas; mais que tout ce qui est dit là appartienne à toute l’Église, que Pierre représentait alors.

 Il est à noter que c’est de deux façons que saint Pierre pouvait représenter personnellement l’Église, historiquement et paraboliquement.  Quelqu’un représente la personne d’un autre historiquement quand il signifie que des actions, vraiment  faites par lui, doivent être mises sur le compte d’un autre qu’il représente.  C’est ainsi qu’Abraham, ayant vraiment eu deux fils, signifia Dieu qui aurait deux peuples, comme l’apôtre l’explique (galat 4).  Et Marthe, qui s’appliquait à de nombreux travaux domestiques et Marie qui était assise aux pieds de Jésus, représentaient deux vies différentes, l’active et la contemplative.

 On signifie allégoriquement une chose par une autre, quand une chose vraiment arrivée est dénuée de signification, mais présente quelque chose qui est vraisemblable pour signifier autre chose.  Comme dans l’évangile, le semeur de bon grain représente le Christ prêchant. C’est de cette façon que les légats des princes  ont coutume de recevoir les clefs d’une ville : dans l’intérim : ils n’acquièrent rien en propre pour eux, mais ils ne font que représenter la personne du prince.  C’est de cette dernière façon que les adversaires estiment que Pierre représentait l’Église quand il a entendu le Seigneur lui dire : je te donnerai les clefs.  Ce qui veut dire en clair que les clefs ont été d’abord données à l’Église, et communiquée aux pasteurs par l’Église. Et ce serait cela le sens littéral. Comme le dit le  concile smalchadique du premier pape : « C’est à l’Église que les clefs du royaume ont été immédiatement et principalement attribuées, et c’est par conséquent l’Église qui possède le pouvoir d’appeler ».

 Mais nous, nous pensons que c’est de la première façon que Pierre représente l’Église. De façon telle que c’est lui qui, (pour parler comme eux), principalement et immédiatement, a reçu les clefs, et qui, en les acceptant, signifiait en même temps qu’il recevrait, d’une certaine façon, par après,  l’Église elle-même.  Nous expliquerons plus tard en quoi consiste cette façon.  Montrons maintenant brièvement qu’il en est bien ainsi.  D’abord, le Christ a désigné la personne de Pierre de tellement de façons que (comme le dit avec raison Cajetan), les notaires qui tiennent les registres publics, ne décrivent pas avec plus détails un homme particulier.  Il décrit d’abord la substance de la personne par le pronom « à toi ». Il ajoute ensuite le nom qu’il a reçu à sa naissance, quand il dit : « tu es heureux, Simon ». Il ajoute même le nom du père : « fils de Jonas ». Il n’a pas voulu non plus omettre le nom qu’il venait tout juste de lui donner : et « moi je te dis que tu es Pierre ». À quoi aurait pu bien servir une description si détaillée si rien n’avait été promis à Pierre en propre ?  De plus, Pierre  n’était pas, à ce moment là, un légat ou un vicaire de l’Église. Car, qui lui avait confié une province de cette sorte ? Nous ne pouvons donc pas imaginer que c’est au nom de l’Église, et non pas en son propre nom, qu’il a reçu les clefs.

 De plus, c’est à lui personnellement que les clefs lui ont été promises par le Christ, quand il a dit : « tu es le Christ, le fils du Dieu vivant »!  C’est ce que signifiaient ces paroles : « et moi je te dis ».  Et comme saint Jérôme l’a enseigné, la vraie confession a reçu une récompense.  Cette excellente confession, c’est Pierre qui l’a proférée, et c’est en personne qu’il l’a proférée. C’est donc en personne qu’il a reçu la promesse des clefs.   Et si on nie que c’est à Pierre qu’ont été promises les clefs parce qu’il était une figure de l’Église, il faudra nier aussi qu’Abraham a eu deux fils parce que ces deux fils signifiaient deux peuples.   Il ne sera pas vrai non plus que Marthe se souciait de plusieurs choses et que Marie était assise aux pieds de Jésus parce que ces deux femmes représentaient la vie active et la vie contemplative.  Si c’est une chose grave de mettre en doute des histoires si bien attestées, ce serait aussi une chose grave de douter que quelque chose ait été promis à Pierre en propre, quand cela est raconté aussi clairement dans l’Évangile.

 Celui à qui le Seigneur a dit : je te donnerai les clefs du royaume des cieux, c’est celui-là même qui, un peu après, a entendu le Seigneur lui dire : « arrière satan, tu es un scandale pour moi ! »  Or, ces paroles ont été dites à Pierre seul, et à sa seule personne, comme le récit nous l’indique clairement, et comme Luther l’enseigne dans son livre sur le pouvoir du pape.  Qui donc peut mettre en doute que c’est à Pierre en personne qu’ont été promises les clefs ?   Mais peut-être que ce n’est pas à la même personne qu’il a été dit : « je te donnerai les clefs », et « arrière satan » ! C’est à la même personne évidemment ! Car ces deux paroles de Jésus se trouvent dans le même chapitre, et Pierre est nommé par son nom dans les deux cas.  C’est ce qu’enseignent tous les pères de l’Église.  Il n’est que trop certain que pour saint Hilaire, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome  c’est à la même personne que, en Matthieur16, ont été dites : « je te donnerai les clefs », et « va derrière moi ».

Car même  si saint Hilaire n’a pas osé référer à Pierre le mot satan, c’est à Pierre qu’il réfère tout ce qui précède.  Et lui-même (dans les livres 6 et 10 de la trinité, et dans le psaume 131, réfère même le mot satan à Pierre : « Si grande était l’obligation qu’il avait de souffrir pour le salut de l’humanité, qu’il a donné le nom de satan à Pierre, le premier confesseur du Fils de Dieu, le fondement de l’Église, le portier du royaume du ciel, et juge céleste dans les jugements terrestres. »  Et saint Augustin (livre 1 contre les deux épitres de Gaudance, chapitre 31) : « Razias est-il meilleur que l’apôtre Pierre qui, après avoir dit tu es le christ, Fils du Dieu vivant, et nommé bienheureux par le Seigneur au point de lui remettre les clefs du royaume, sans penser pour autant devoir l’imiter, fut blâmé au même moment, et entendit : va après moi, satan, tu ne comprends pas les choses de Dieu ».

Saint Ambroise dit des choses semblables au sujet d’Isaac (chapitre 3), commentant ces paroles de Jésus à Pierre : tu ne peux pas me suivre maintenant, tu me suivras plus tard, dit : « Il lui avait remis les clefs du royaume, et lui avait déclaré qu’il était incapable de le suivre. »  Il est évident que, pour saint Ambroise,  les clefs ont été confiées à celui qui ne pouvait pas le suivre alors, mais le pourrait plus tard. Il est clair que ces paroles ont été dites à Pierre en personne, comme il a été crucifié dans sa propre personne, et qu’il a suivi le Christ en mourant.

Mais Luther a des objections à faire dans son livre du pouvoir du pape. La première.  Il est certain que c’est à Pierre que le Seigneur a dit : va après moi, tu ne comprends pas les choses de Dieu. Or, ces choses ne conviennent pas à celui à qui le Père a révélé des secrets célestes, et qui a reçu les clefs du ciel. Ce n’est donc pas dans sa personne propre, mais dans la personne de l’Église qu’il a entendu des révélations célestes, et qu’il a reçu les clefs du royaume des cieux.  Je réponds que c’est à la même personne que toutes ces choses-là se rapportent, comme nous l’avons déjà démontré, mais pas de la même façon.  C’est comme une grâce donnée par Dieu qu’il a reçu la révélation et les clefs, et c’est par sa propre infirmité qu’il s’est scandalisé de la passion et de la mort du Christ.  Le nom de satan ne doit pas nous troubler outre mesure.  Il ne signifie pas, en effet,  le diable, mais l’adversaire. Il ne signifie rien d’autre, en effet, dans la langue hébraïque. Et même s’il arrive souvent que satan signifie le diable, ce n’est pas partout.

La deuxième objection. C’est au nom de tous les disciples que saint Pierre a dit : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. C’est donc au nom de tous qu’il entendit ces paroles : je te donnerai les clefs.  Que ce soit au nom de tous les apôtres que Pierre ait répondu, le déclarent saint Jean Chrysostome qui a écrit que, dans ce passage, Pierre a été la bouche de tous les apôtres, et saint Jérôme qui explique que saint Pierre a parlé au nom de tous, ainsi que saint Augustin qui (dans le sermon 13 de la parole de Dieu) déclare qu’un a parlé pour tous.  On le déduit aussi du fait que le Seigneur les a tous interrogés : « Et vous, que dites-vous de moi ? » Car, ou bien il faut blâmer les apôtres pour ne par avoir répondu à la question du Sauveur, ou bien il faut admettre que saint Pierre a répondu au nom de tous.

Je réponds que saint Pierre a répondu au nom de tous non comme un porte-parole quelconque, mais comme le prince, le chef et la bouche des apôtres (comme le dit saint Jean Chrysostome). Car, il fut le seul à répondre non parce que les autres ignoraient la meilleure réponse. Mais, par leur silence, ils approuvèrent la réponse de saint Pierre, et c’est de cette façon  que tous ont parlé par sa bouche.  Donc, comme Pierre fut le seul à répondre et que les autres acquiescèrent, il fut aussi le seul à recevoir les clefs du Christ, mais pour qu’elles soient communiquées à d’autres après lui.   Qu’il en soit bien ainsi, nous le prouvons par un raisonnement. Si Pierre avait répondu au nom de tous, il l’aurait fait cela parce que les autres le lui avaient demandé, ou parce qu’il savait ce qu’ils répondraient.  Ce n’est pas pour la première raison car, c’est par une révélation divine, qu’il l’a appris, non par une consultation humaine, car le Christ lui a dit : ce n’est ni la chair ni le sang qui t’ont révélé cela. Ce n’est pas non plus pour la deuxième, car c’est à lui seul qu’a été faite cette révélation.  De même. S’il connaissait l’opinion des autres, il aurait trouvé une façon de l’indiquer, comme il l’a fait quand il a dit (Jean 6) : « Vers qui irons-nous ?  Tu as les paroles de la vie éternelle ».  Et, ensuite : « Nous croyons et nous savons que tu es le Christ, le Fils de Dieu ».  Saint Jean Chrysostome note que, dans ce texte, saint Pierre parle pour tous : « et nous croyons, nous ».  Et c’est pour cela que le Christ les a avertis que ce n’était pas vrai pour tous, car, Judas ne croyait pas. Il a dit : «  Ne vous ai-je pas tous choisis ? Et pourtant, l’un de vous est un démon ».  Puisque Pierre ne fit pas mention des autres quand il dit : tu es le christ, le fils du Dieu vivant, ce n’est que la confession de Pierre que le Seigneur approuva.

Se présentent les témoignages des pères qui enseignent sans aucune obscurité que Pierre a répondu si rapidement qu’il ne savait pas ce que les autres pensaient.  Saint Hilaire : « Il a été jugé digne d’être le premier à connaître ce qu’était le Christ de Dieu. »  S’il est le premier, la révélation n’a donc pas été faite au même moment aux autres. Et (dans le livre 6 de la trinité), il écrit : « C’est dans le silence des autres apôtres, qu’il comprend le Fils de Dieu par la révélation du Père ».  Et au même endroit : « Il a dit ce que la voix humaine n’avait pas encore exprimé ».   Saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur saint Matthieu, écrit : «  Quand  il demanda ce que pensait le peuple, tous répondirent.  Quand il les interrogea sur ce qu’ils pensaient de lui, Pierre les prit de vitesse, et dit, avant que chacun ait pu ouvrir la bouche : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».   Saint Cyrille (livre 12, saint Jean, chapitre 64) : « En tant que prince et chef des autres, il s’exclama le premier : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.   Saint Augustin (sermon 24, sur l’évangile du jour) : « Voici le Pierre qui, par une révélation divine de toutes les vérités,  a mérité d’être le premier à confesser le Christ, en disant : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.   Saint Léon (sermon 11 de la passion) enseigne : « C’est avec raison qu’on loue l’apôtre Pierre pour la confession de cette unité, pendant que les apôtres cherchaient quoi répondre à la question du Christ.  En prévenant les bouches de tous, il dit en toute vitesse : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.   Et, (dans le sermon 2 sur saints Pierre et Paul) : « Quand on fait appel à l’ambiguïté de l’intelligence humaine, la réponse est commune à tous ceux qui sont interrogés. Or, quand on veut savoir ce que pensent les disciples, celui qui est le premier dans la dignité apostolique est le premier à répondre. »  De tous ces témoignages ont peut déduire que Pierre  n’a pas répondu au nom des autres pour aucune autre raison que parce que  tous étaient du même avis que lui.

La troisième objection. Les clefs sont promises à Pierre non en tant que fils de Jonas, mais en tant qu’auditeur du Père céleste.   C’est donc proprement à l’auditeur du Père céleste, non à la chair et au sang, que les clefs sont promises.  On ne peut dire d’aucun homme qu’il est certain qu’il soit un véritable auditeur de Dieu.  Mais nous savons avec certitude que l’Église tend toujours l’oreille à la parole de Dieu.  Les clefs ne sont donc pas promises à un homme, mais à l’Église.  Je réponds que ces paroles de Luther sont en conflit avec les paroles elles-mêmes de l’Évangile, car le Christ a dit : bienheureux es-tu, fils de Jonas.  Et, un peu après : je te donnerai les clefs.  Or, Luther dit que les promesses des clefs n’ont pas été faites à Simon fils de Jonas.   Le Christ redit : « que mon Père t’a révélé ».  Et Luther :  d’aucune personne nous sommes certains qu’elle écoute vraiment Dieu; donc, Pierre, non plus.  Est donc faux ou incertain ce que le Christ a dit : mon Père te l’a révélé.  Qu’est-ce que le Père a révélé à Pierre s’il n’a rien entendu ?  Si Saint Pierre a vraiment entendu quelque chose, et comme le témoignage de Jésus est certain, il doit être aussi certain que les clefs ont été données à celui qui a entendu parler le Père.

De plus, être un auditeur des paroles du père n’est pas la raison formelle pour laquelle les clefs ont été données.  Autrement, le pouvoir des clefs dépendrait de la probité des ministres, ce qui est l’hérésie des donatistes, que même dans la confession augustinienne nous voyons rejetée (chapitre de l’Église). Mais cette confession célèbre fut une occasion, ou une cause méritoire expliquant pourquoi les clefs avaient  été données à lui plutôt qu’à d’autres, comme le montrent les commentaires de saint Hilaire, de saint Jérôme, de saint Jean Chrysostome et de Théophylacte.

La quatrième objection.  Saint Paul (épitre aux romains, chapitre 4 ) dit : « Comme la foi d’Abraham fut réputée à justice », la foi de tous ceux qui croient doit être aussi  réputée à justice.  De la même façon, donc, si c’est parce qu’il a confessé le Christ, Fils du dieu vivant qu’il a reçu les clefs, il est  certain que tous ceux qui confessent le Christ Fils de Dieu ont les clefs du royaume des cieux.  Cet argument, dit Luther, est d’une forme semblable à l’argument de saint Paul, et ne peut pas être réfuté, à moins de réfuter l’argument de saint Paul.  Je réponds que cet argument est semblable par la forme mais dissemblable par la matière, et qu’il ne conclut donc rien.  Car, de par sa nature, la foi conduit à la justice, et fait un juste d’un injuste, et un plus juste d’un juste, si ne font pas défaut les autres choses qui, avec la foi, sont requises pour la justification.  Mais la confession de la foi ne conduit pas, par sa nature, à la réception des clefs. Dieu pouvait de centaines de manières différentes récompenser la foi de Pierre, mais c’est pas l’obtention des clefs qu’il l’a fait.  On peut voir quelque chose de semblable dans l’exemple d’Abraham.  En effet, par la foi, Abraham n’a pas obtenu seulement d’être justifié, mais il a mérité d’être le père de plusieurs nations, comme le dit l’apôtre. Mais tous les croyants ne sont pas pour autant pères de plusieurs peuples.   De plus,  la foi n’est pas par elle-même et naturellement unie au don des clefs ou de fécondité, comme elle est par elle-même et naturellement unie avec la justice.

La cinquième objection,  À la mort de Pierre, les clefs sont-elles demeurées dans l’Église, ou ont-elles été perdues ? Si elles sont demeurées, c’est à l’Église qu’elles furent données,  Si elles ont péri, les hommes ne peuvent plus aujourd’hui être absous ou déliés.  De même. Quand le pontife est élu, il apporte avec lui les clefs, oui ou non ?  S’il les apporte, il est donc pontife avant de le devenir; s’il ne les apporte pas, d’où les tient-il ? Lui sont-elles apportées du ciel par un ange, ou ne la reçoit-il pas plutôt de l’Église, à laquelle elles ont été confiées ?   Je réponds qu’à la mort d’un pape, les clefs ne périssent pas.  Elles ne demeurent pas non plus formellement dans l’Église,  sauf en tant qu’elles ont été communiquées aux ministres inférieurs. C’est dans les mains du Christ qu’elles demeurent.  C’est tout à fait comme si en donnant un pro-roi à une province, un roi statuerait que ce serait son bon plaisir que les gens de cette province élisent un pro-roi, et qu’il lui concéderait le même pouvoir qu’au premier.

Sixième objection de Luther et de Calvin. Ils disent qu’en Matt 16, les clefs ne sont pas données, mais promises seulement.  Elles sont données en Matt 18 et Jean 20, et c’est à tous les apôtres qu’elles sont données, non à Pierre seul.   Car il est dit en Matt 18 : « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux ». Et, en Jean 20 : « Recevez l’Esprit Saint. Les péchés seront remis à qui vous les remettrez, et retenus à qui vous les retiendrez. »  Donc, quand elles avaient été données, ce n’était pas à un seul apôtre mais à tous les apôtres qu’elles l’avaient été   Je réponds que le dernier texte ne représente aucune difficulté, car il est certain que, par ses paroles, ce n’est pas tout le pouvoir des clefs qui est donné, mais seulement  le pouvoir que donne le sacrement de l’ordre de remettre les péchés. En effet, dans ce passage est donné un pouvoir sur les péchés, tandis qu’en Matt 16, il est question de lier et de délier.  Or, les hommes ne sont pas liés seulement par les péchés, mais par les lois.  De plus, c’est plus simple de retenir un péché que de lier un pécheur, car retenir signifie laisser un pécheur dans son état, ne pas l’absoudre; tandis que lier c’est lui imposer un nouveau lien, qui se fait par l’excommunication, un interdit, une loi etc. C’est pourquoi les pères enseignent que c’est par les sacrements de baptême et de pénitence que s’exerce ce pouvoir de remettre les péchés.  Voir saint Jean Chrysostome et saint Cyrille sur ce passage, et saint Jérôme (épitre à Hedibiam, question 9).

Le premier texte offre une difficulté plus grande. Origène, par exemple, affirme, en commentant ce passage, que ce n’est pas le pouvoir ecclésiastique qui est donné là, mais que c’est la correction fraternelle qui est recommandée. Il dit que ce passage traite de l’absolution de quelqu’un qui, à cause de l’admonition d’un frère, renonce à son péché,  et  en est libéré par la pénitence qui est due.  Est lié celui qui, après avoir été dénoncé par quelqu’un, est considéré comme un païen et un publicain.  Il précise même que ce texte ne parle pas de la même chose que Matt 16.  Même si l’explication d’Origène est improbable, elle ne favorise certainement pas les Luthériens.  Theophylacte explique le texte autrement. Il dit que les paroles du Seigneur se rapportent à ceux qui souffrent, et que quelqu’un les lie tant qu’il retient l’injustice. Ils libèrent en remettant quand cesse l’injustice.  Car celui qui reçoit l’injustice, la remet à quelqu’un qui se repent ou qui ne se repent pas. S’il la remet à celui qui se repent, il sera absous dans le ciel, mais non parce qu’il la remet, car même s’il ne voulait pas la remettre il serait absous dans le ciel. S’il la remet à celui qui ne se repent pas, alors n’est pas absous dans le ciel celui auquel il a pardonné sur terre.   On peut dire la même chose du pouvoir de lier. Car, même si était vraie leur affirmation, elle n’infirmerait en rien notre cause. Car, il est certain qu’il a été donné à Pierre autre chose que de remettre les injures qui lui ont été faites. C’est donc la position commune des pères (saint Hilaire, saint Jérôme, saint Augustin, saint Anselme) que le Seigneur, en saint Jean parle  du pouvoir des clefs par lequel les apôtres et leurs successeurs lient et absolvent les pécheurs.

Et bien qu’on semble traiter ici principalement du pouvoir de juridiction, par lequel les pécheurs sont excommuniés, les pères nommés parlent, cependant ici, et du pouvoir d’ordre et du pouvoir de  juridiction. Et il semble certain qu’on puisse déduire cela du texte lui-même, car il est dit, d’une façon générale : « tout ce que vous lierez »,    Comme en Matt 15 : « tout ce que tu lieras ».  Mais, s’il en est vraiment ainsi, que répondrons-nous à nos adversaires ? Ce qui a été promis au seul Pierre n’est-il pas donné à tous les apôtres ?  Cajetan (dans le traité des institutions et des actes des pontifes romains, chapitre 5), enseigne que le pouvoir des clefs du royaume des cieux et le pouvoir de délier et de lier, ne sont pas deux choses semblables.  Car, les clefs du royaume des cieux incluent le pouvoir d’ordre et de juridiction, lesquels sont signifiés par l’action de lier et de délier. C’est, selon lui,  quelque chose de plus ample et de plus large que le simple pouvoir d’ouvrir et de fermer, de délier et de lier.  Mais cette doctrine nous semble plus subtile que vraie.  Car, on n’a jamais entendu dire qu’il y ait, dans l’Église, d’autres clefs que celles de l’ordre et de la juridiction.  Et le sens plénier de ces paroles est : je te donne les clefs du royaume, et tout ce que ti délieras sur la terre etc.  Est d’abord désigné  celui à qui a été promise en premier lieu l’autorité ou le pouvoir désigné par les clefs,  Puis, on explique les actions ou la tâche par ces mots lier et délier, de sorte que délier et ouvrir signifient la même chose, ainsi que fermer et lier. Pour dire le vrai, le Seigneur a décrit les actions des clefs par les mots lier et délier, non par fermer et ouvrir, pour que nous comprenions qu’il s’agit là d’expressions métaphoriques, et que le ciel est ouvert aux hommes quand ils sont déliés des péchés qui en empêchent l’entrée.

Laissant cela de côté pour l’instant, nous affirmons d’abord que, par les paroles du Seigneur (Matt 16), n’est pas donné, mais seulement promis ou expliqué ou annoncé d’avance quel pouvoir auraient, en leur temps, les apôtres et leurs successeurs.  Car, il est clair que les apôtres n’ont été faits prêtres qu’à la dernière scène; qu’ils n’ont été évêques et pasteurs qu’après la résurrection.  En conséquence, au moment où  le Seigneur leur parlait ainsi, ils n’étaient que des hommes privés, et n’avaient aucun pouvoir ecclésiastique.  Donc, si par ces mots : « tout ce que vous lierez sera lié »,  est donné réellement le pouvoir de lier, sera réellement  donné et non seulement promis le pouvoir de lier  par ces mots : « tout ce que tu lieras ».   Car les mots sont absolument semblables.   Or, les adversaires soutiennent que par les mots : tout ce que tu lieras, rien n’a été donné, mais seulement promis.  Ils doivent donc concéder que par les mots : « tout ce que vous lierez », rien n’est donné, car ce n’est là aussi qu’une promesse.  La cause de cette promesse est la parole de Jésus selon laquelle il faut considérer comme un païen et un publicain celui qui n’écoute pas l’Église. Et, pour qu’il ne pense pas qu’on puisse mépriser l’autorité de l’Église, il ajoute que le pouvoir des prélats de l’Église sera tel  que ce qu’ils lieront sur la terre sera lié dans les cieux.

Tu diras : si le pouvoir des clefs n’a pas été donné aux apôtres à ce moment, mais seulement promis, quand leur a-t-il été donné ? Je réponds qu’il leur a été donné en Saint Jean 20 et 21, quand le Seigneur a dit à ses apôtres : « Paix à vous.  Comme le Père m’a envoyé, je vous envoie ».  C’est alors qu’il leur a attribué le pouvoir ou la clef de juridiction. Il fit d’eux, par ces mots, comme des légats, et des gouverneurs de l’Église en son nom.  Par les paroles suivantes : « recevez le Saint-Esprit,  les péchés seront remis à qui vous les remettrez », il leur a donné le pouvoir d’ordre, comme nous avons dit plus haut.  Et pour que nous comprenions que ce pouvoir suprême a été conféré aux apôtres en tant que légats, non comme pasteurs ordinaires, mais avec une certaine subordination à Pierre, il dit à Pierre seul (Saint Jean 21) : « pais mes brebis ».  Et c’est alors que lui a été confié le soin de ses frères les apôtres.

Et c’est pour cela aussi, que, en Matt 16, la promesse des clefs a été faite à Simon fils de Jonas, ou Simon fils de Jean, comme on l’a en grec. Et comme, en Matt 16, les clefs n’ont pas été promises avant que Simon ne donne un témoignage de sa foi singulière, le Christ ne lui a pas dit (en saint Jean) de paître ses brebis, avant qu’il ait répondu, à celui qui le lui demandait, qu’il l’aimait plus que les autres.  Et il est clair qu’il n’y aurait pas eu de raison pour laquelle Jésus dise à Pierre seul : je te donne les clefs, pais mes brebis, s’il n’allait recevoir rien de plus que les autres. C’est donc à bon droit que saint Léon (épitre 89) a écrit aux évêques de la province de Vienne  qu’à Pierre a été donné, avant les autres, le pouvoir de lier et de délier.

La dernière objection de Luther et de Calvin  est tirée du témoignage des pères. Car, saint Cyprien (dans le livre de la simplicité des prélats, ou de l’unité de l’Église ) enseigne  que les clefs qui ont été plus tard données à tous  n’ont pas été données  à Pierre séparément  pour d’autre raison que pour signifier l’unité de l’Église : « Tous les apôtres ont été comme Pierre également chargés d’honneurs et de responsabilités, mais c’est de Pierre que l’unité prend son point de départ, et c’est pour que l’Église soit une que la primauté a été donnée à Pierre ».  Saint Hilaire (livre 6 de la trinité) pale ainsi : « Vous autres, hommes saints et bienheureux, c’est pas le mérite de votre foi que vous avez hérité des clefs du royaume des cieux, et du droit de lier et de délier sur la terre et au ciel ».    Saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien) dit que c’est sur Pierre qu’est fondée l’Église, même si la même chose arrive ailleurs à tous les apôtres, et que tous reçoivent… » Saint Augustin (traité 50, en Jean) : « Si saint Pierre n’était pas le sacrement de l’église, le Seigneur ne lui aurait pas dit : je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Mais si cela n’est dit qu’à Pierre, l’Église ne le fait donc pas. Mais si l’Église le fait, quand Pierre a reçu les clefs, il représentait  donc l’Église. »  On trouve des choses semblables dans le dernier traité sur saint Jean, dans le psaume 108, dans la doctrine du Christ, chapitre 18, et dans le livre sur l’agonie de Jésus, chapitre 3. De plus, saint Léon (sur l’anniversaire de son intronisation),  en expliquant ces paroles : je te donnerai les clefs, dit qu’a passé dans les autres apôtres la force de ce pouvoir, et que s’est communiquée à tous la portée de ce décret. »

Je réponds. Quand saint Cyprien a dit que les apôtres étaient égaux en honneur et en pouvoir, il n’a rien dit contre nous.  Nous reconnaissons, nous aussi, que les apôtres sont égaux par le pouvoir apostolique, et qu’ils ont eu sur les chrétiens la même autorité, mais qu’ils ne furent pas égaux entre eux.  C’est ce que saint Léon (épitre 84 à Anastase, évêque de Tessalonique, expliquant ces aroles de saint Cyprien) dit : « Entre les saints apôtres, il y eut une différence sur le plan de l’honneur et du pouvoir, et bien que tous aient été semblables par l’élection divine, c’est à un seul  qu’il  a été donné de présider aux autres ».  C’est ce que  saint Cyprien enseigne là et ailleurs.  Car, quand il dit que c’est de lui qu’origine l’unité, pour que l’Église se montre une.  Il  ne veut pas dire qu’à Pierre plus qu’aux autres a été donné, dans l’ordre du temps, ce pouvoir pour que par lui soit représentée l’unité de l’Église, mais que l’Église a commencé dans le seul Pierre, comme dans son fondement et sa tête, de sorte que c’est de lui que l’Église possède un fondement et une tête, et qu’elle se montre une. Comme une maison est dite une par son fondement, et un corps par sa tête.

Que ce soit là le sens des paroles de saint Cyprien, on le prouve d’abord en constatant qu’il est faux que le pouvoir apostolique ait été donné à Pierre avant tous les autres. Car, à tous il a été donné en Jean 20. Et c’est après cela qu’il a été dit à Pierre : pais mes brebis (Jean 21). On ne doit donc pas entendre « un commencement parfait par un seul »  parce qu’à un seul  a été donné d’abord les clefs, mais parce qu’à un seul elles ont été données comme à un pasteur ordinaire, premier et tête des autres.  De plus, on peut prouver la même chose avec les paroles de saint Cyprien, car, dans le livre sur la simplicité des prélats, expliquant l’unité de l’Église, et pour quelle raison elle tire son origine du seul Pierre, il écrit que l’Église est une de la même façon que tous les rayons du soleil sont dits une seule lumière, parce qu’ils émanent tous d’un seul soleil.  Et comme plusieurs ruisseaux sont une seul eau parce qu’ils viennent tous de la même source; et plusieurs branches un seul arbre, parce qu’elles proviennent toutes de la même racine.  Or, cette racine et cette fontaine d’où l’Église tire son unité, saint Cyprien enseigne en plusieurs endroits que c’est le siège de Pierre.  Il dit (dans le livre 1de l’épitre 3 à Corneille) : « Ils osent naviguer vers la cathédrale de Pierre et à l’Église principale d’où est née l’unité sacerdotale ».

Qu’y a-t-il de plus clair ?  Et, (dans le livre 4 de l’épitre 8 à Corneille), il dit en parlant de la chaire de Pierre : « Nous savons très bien qu’on nous a exhortés à la reconnaitre et à la tenir comme la matrice et la racine de l’Église catholique ».  Et dans son épitre à Bubajan : « Nous la tenons, nous autres, comme la racine et la tête d’une seule Église »  Et, un peu plus bas, expliquant ce qu’est cette racine, il dit : « C’est d’abord à Pierre, en premier, que le Seigneur a donné cette puissance. C’est sur lui qu’il a édifié l’Église, et c’est lui qu’il a institué et montré comme origine de l’universalité. »  Et un peu plus bas : « L’Église qui est une est fondée par la parole du Seigneur sur celui qui est seul à avoir reçu les clefs ».  Tu vois clairement là que l’Église est dite une parce qu’elle est fondée sur le seul Pierre.

Pour en venir au témoignage de saint Hilaire, nous admettons que tous les apôtres ont reçu les clefs, mais pas de la même manière que Pierre.  C’est pourquoi le même saint Hilaire écrit que, parce qu’il est le seul à avoir répondu quand tous les autres gardaient le silence, saint Pierre, par la profession de sa foi, a mérité un lieu suréminent. Saint Pierre a donc eu, parmi les apôtres, un lieu suréminent, si nous en croyons saint Hilaire.  Et (dans le chapitre 16 de saint Matthieu, il dit de Pierre seul : « O bienheureux portier du ciel, à la décision duquel les clefs de l’entrée éternelle sont confiées. »  Et je dis au sujet de saint Jérôme que la réponse se trouve dans un autre passage. Car le même saint Jérôme dit que  les apôtres avaient eux aussi les clefs du royaume, mais comme étant soumis à Pierre.  Et au sujet de saint Léon, je dis qu’est passée dans un grand nombre l’autorité de lier et de délier, mais qu’elle a été donnée principalement à Pierre. Car, le même saint Léon dit ailleurs : « Si le Christ a voulu que les autres princes aient quelque chose en commun avec lui, c’est toujours par Pierre qu’il a donné ce qu’il n’a pas dénié aux autres. »  Et, dans l’épitre (89 aux évêques de la province de Vienne), il dit : « À Pierre, avant les autres, a été donné le pouvoir de lier et de délier ».

Restent les témoignages de saint Augustin.  Pour les expliquer diligemment,  il y a trois choses qu’il faut noter. La première.  Quand il dit que saint Pierre représentait l’Église au moment où il a reçu les clefs, il ne prétend pas qu’il les ait reçues ainsi historiquement, mais symboliquement, car il n’a jamais pensé devoir nier que Pierre les aient reçues en sa personne.  C’est ce qu’on peut déduire de son traité sur le psaume 108, que Luther nous objecte.  Car saint Augustin dit là que saint Pierre a été la figure de l’Église  quand il a reçu les clefs, comme Juda a été la figure des Juifs ingrats quand il a trahi Jésus.  Or, il est certain que c’est historiquement que Judas a livré le Christ en personne.  De même, dans son dernier traité sur saint Jean, saint Augustin enseigne que saint Pierre a été la figure de l’Église militante et de la vie active quand il entendit : « suis-moi », et : « un autre te ceindra et t’amènera où tu ne veux pas »;  et quand il reçut les clefs du royaume. Comme saint Jean a été la figure de l’église triomphante et de la vie contemplative, quand il  se pencha sur la poitrine de Jésus,  et quand il fut dit de lui : si je veux qu’il demeure. Or, il est certain que saint Jean s’est historiquement et vraiment penché sur la poitrine du Seigneur, et que c’est littéralement que se sont réalisées les paroles du seigneur, qu’il soit mort, ou qu’il ne soit pas mort d’une mort violente, ou même s’il faut donner un autre sens à cette phrase.  Il n’est pas moins certain que saint Pierre a entendu en personne, de ses propres oreilles, ces paroles : « un autre te ceindra ».  On doit donc conclure que c’est réellement et historiquement que saint Pierre a reçu les clefs.

Ensuite, (au livre 15 de la trinité, chapitre 26), saint Augustin dit que le Christ a été la figure de l’Église quand il a été baptisé.  Or, sans doute possible, il a été véritablement et réellement baptisé.  Donc, chez saint Augustin, le fait que l’un soit la figure d’un autre n’exclut pas l’historicité d’un récit.  Mais, tu diras que, dans le psaume 108, saint Augustin semble laisser entendre qu’on ne peut pas attribuer à Juda tout ce qui est dit dans le psaume.  Et voilà pourquoi il faudrait exposer au grand jour plusieurs choses pour que Judas soit la figure des impies.  Et dans son dernier traité sur saint Jean, il explique figurativement les choses qui sont dites de saint Pierre et de saint Jean, parce qu’elles ne semblent pas convenir à leurs personnes. Car il est écrit de Pierre qu’il a aimé le Christ plus que saint Jean, et c’est le contraire qui est écrit au sujet de Jean, car on dit qu’il fut plus aimé par le Christ que Pierre.  Comme ces choses ne peuvent pas être vraies littéralement, et comme le Christ qui est juste,  aime toujours plus ceux qui l’aiment le plus, saint Augustin interprète ces paroles au sens où saint Pierre aurait tenu la place de l’Église.  Il dit cela parce qu’il estime que les paroles du Christ ne lui conviennent pas vraiment.

Je réponds que saint Augustin n’a jamais dit que n’était pas littéralement vrai ce qui était dit de Judas dans le psaume, et de saint Pierre et de saint Jean dans l’Écriture.  Car, il n’était pas assez ignorant ou impie pour nier que saint Jean se soit vraiment penché sur la poitrine de Jésus, ou qu’il faille entendre au sens littéral ce qui est dit de lui : celui-ci est le disciple que Jésus aimait. Il ne niait pas non plus qu’il fallait entendre au sens littéral la demande de Jésus : Simon fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci, ou cette autre : suis-moi.  Saint Augustin ne nie donc  pas  qu’on puisse et qu’on doive entendre au sens littéral ce qui est dit de Jean et de Pierre.  Il dit simplement que le sens littéral est souvent obscur, et qu’il n’est pas toujours facile de le trouver.  Il pense que le sens mystique est plus éclairant et plus riche, et c’est pour cela que, laissant de côté le sens littéral, il a décidé d’expliquer ces passages de façon allégorique.  En second lieu, il faut observer  que quand saint Augustin dit que saint Pierre a reçu les clefs dans la personne de l’Église, il ne veut pas dire que ces clefs aient été réellement et historiquement reçues comme un vicaire ou un légat de l’Église, comme le légat d’un roi a coutume d’accepter les clefs d’une cité au nom de son prince;  mais plutôt comme prince et modérateur de toute l’Église.  De la même manière qu’on dit qu’est donné au royaume ce qui est donné au roi,  surtout si cela se rapporte à l’utilité publique.

Que ce soit là la pensée de saint Augustin, on peut le déduire du fait que presque partout où il est dit que saint Pierre est la figure de l’Église, il explique qu’il dit cela à cause de la primauté (traité ultime sur saint Jean) : «  C’est à cause du primat de son apostolat, que saint Pierre était la figure de l’Église »  Dans le psaume 108 : « On reconnait qu’il représente la personne de l’Église à cause de la suprématie qu’il a sur les autres apôtres. »  Et (sermon 13 sur la parole du Seigneur), il dit : « Pierre le bienheureux connu par la pierre, portant la figure de l’Église, tenant la primauté de l’apostolat ».  Il faut observer, à la fin, que, chez saint Augustin, saint Pierre a été, de deux façons, figure de l’Église.  D’abord, recevant les clefs en tant que chef suprême de l’Église, saint Pierre a représenté tous les chefs qui auront les mêmes clefs, mais communiquées par Pierre, et non sans mesure.  Car Pierre ne les a pas reçues pour les utiliser  à lui seul, mais pour les communiquer aux autres évêques et prêtres, à l’exception des apôtres  qui, par une grâce exceptionnelle et extraordinaire, les ont reçues immédiatement du Christ, comme nous l’avons dit ailleurs.

Il fut donc, au début, la figure de toute l’assemblée des ministres ecclésiastiques, et c’est ce que voulait dire saint Augustin (traité 50 sur saint Jean) quand il écrivit ; « Si cela n’est dit qu’à Pierre, l’Église ne le fait donc  pas.  Si cela se fait dans l’Église, c’est donc que saint Pierre représentait la sainte Église quand il reçut les clefs ».  De ce passage, Calvin a enlevé le mot « ne…que », pour nous persuader que tout ce qui a été donné à Pierre lui a été donné en tant que représentant de l’Église.  Or, saint Augustin n’a pas dit : si cela n’a pas été donné à Pierre, l’Église ne le fait pas, mais si cela n’est dit que de Pierre.  Et le sens de ces paroles est : s’il a été dit au seul Pierre je te donne les clefs, de façon à ce qu’il soit le seul à pouvoir lier et délier, il s’ensuit que l’Église et les autres ministres ne font rien de tel.  Mais si tous le font, comme nous le voyons, il est certain qu’en recevant les clefs, saint Pierre représentait l’Église.

En recevant les clefs d’une autre manière, le même Pierre fut la figure de toutes la sainte Église, c’est-à-dire de tous les justes, de tous les membres vivants du corps du Christ.  Car, à cause des donatistes, saint Augustin a conçu une nouvelle manière de parler des clefs et de la rémission des péchés.  En effet, en plus de cette façon de parler qui nous fait dire que les péchés sont remis par les prêtres dans l’administration des sacrements de baptême et de pénitence, façon de parler souvent employée par les pères, on a aussi souvent coutume de dire que les péchés sont remis par la charité de l’Église, par le gémissement de la colombe, et par les prières des saints.  Et c’est de cette façon que les clefs du royaume n’appartiennent qu’aux justes, et c’est aussi ce qu’a signifié saint Pierre en recevant les clefs.  Au traité 121 sur saint Jean, il dit : « La charité de l’Église qui est diffusée dans nos cœurs par le Saint-Esprit, remet les péchés de ceux qui y participent. Mais elle retient les péchés de ceux qui n’y participent pas. »  Même chose (dans le livre 3 sur le baptême, chapitre 18) : « La rémission des péchés est donnée, celle qui est donnée par le gémissement de la colombe, quel que soit celui qui baptise, si la paix de l’Église s’étend sur le baptisé.  Car le Seigneur n’aurait pas dit aux voleurs et aux meurtriers : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez et retenus à ceux à qui vous les retiendrez.  À l’extérieur rien, ne peut être lié, rien ne peut être délié, là où il n’y a personne qui puisse lier ou délier.  Mais est délié celui qui a fait la paix avec la colombe, et est lié celui qui n’a pas fait la paix avec la colombe ».  Et, au chapitre 17 : « Car, le fait que, dans le type d’unité, le Seigneur a donné à Pierre le pouvoir de délier sut terre ce qu’il délierait, il est évident que cette unité porte aussi le nom de colombe parfaite. » Et, un peu plus bas : « Par les prières des saints qui sont dans l’Église, comme le gémissement suppliant de la colombe, est accompli un grand sacrement, et est accordée une occulte dispensation de la miséricorde de Dieu, pour que soient absous les péchés de ceux qui ne sont pas baptisés par la colombe mais par un oiseau rapace s’ils accèdent à ce sacrement avec la paix de l’unité catholique. »  Voir des choses semblables dans livre 5 du baptême, chapitre 21, livre 3, et livre 7, chap 51.

Par ces paroles, saint Augustin ne veut pas dire que l’Église des justes remet les péchés de sa propre autorité, mais qu’à personne ne sont remis les péchés, tout baptisé et réconcilié qu’il soit, à moins que ne s’étende sur lui la charité de l’Église, et qu’il devienne un membre vivant de la colombe, et donc participant des prières des autres justes.  Par les prières des saints, comme par le gémissement de la colombe, est demandée la pénitence intérieure et la charité par laquelle sont justifiée formellement ceux qui sont justifiés.   Saint Augustin a développé cette façon de parler à cause des donatistes. Il leur semblait étrange que des hérétiques puissent justifier les hommes par le baptême, et introduire dans l’Église, alors qu’ils étaient couverts de péchés et à l’extérieur de l’Église. Pour répondre à cette difficulté, saint Augustin enseigna que ce n’était pas tant celui qui baptisait qui remettait les péchés que le gémissement de la colombe.  Car celui qui est baptisé n’est pas justifié parce qu’il est baptisé par un tel ou un tel, mais parce que, par le baptême donné par n’importe qui, la charité de l’Église s’étend sur lui.

                                                  CHAPITRE 13

                               Qu’entendons-nous par clefs ? Matt 16

Il reste une quatrième : qu’entend-on par clefs ? Car, Jean Calvin (Institutions, livre 4, chapitre 6, verset 3), soutient que n’a pas été donnée à Pierre la suprématie dans l’Église, même si on pouvait se convaincre que c’est à lui seul qu’ont été données les clefs du royaume.  Et voici comment il le prouve.  Ce que signifie lier et délier, le Seigneur l’a expliqué (en saint Jean 20), quand il a donné aux apôtres le pouvoir de remettre et de retenir les péchés.  Délier c’est donc remettre les péchés; et lier, les retenir.  Comment sont remis et sont retenus les péchés l’Écriture l’enseigne souvent quand elle atteste que, par la prédication de l’Évangile, les hommes sont illuminés, et libérés de la méchanceté des vices.  Saint Paul (Cor 2, 5) : « Il a placé en nous la parole de réconciliation.  Nous sommes comme des légats du Christ. C’est comme si Dieu exhortait par nous.  Nous faisons ce que le Christ nous a demandé, Réconciliez-vous avec Dieu. »   Est donc dit remettre les péchés celui qui, en annonçant l’Évangile, convertit les hommes à Dieu. On dit qu’il retient les péchés celui qui déclare aux obstinés qu’ils seront punis par des châtiments éternels.  Il suit de là que recevoir les clefs du royaume des cieux ce n’est pas recevoir une principauté ou un pouvoir sur les autres, mais purement et simplement le ministère de la parole.  Cette explication Calvin ne la considère ni farfelue,  ni tirée par les cheveux,  ni forcée, ni contournée, mais naturelle, claire, évidente.

Les magdebourgeois (centuries 2, livre 2, chap 7, col 526) prouvent la même chose d’une autre façon.  Car, si, par ces paroles, la primauté avait été donnée ou promise à Pierre, les apôtres ne se seraient pas demandé plus tard qui était le plus grand parmi eux.  Les évangélistes nous rapportent qu’ils se sont posé cette question (Matt. 18, Marc 9, Luc 9, et Luc 22).  Le Seigneur aurait du répondre, selon les papistes : ne vous disputez pas pour cela, car j’ai déjà établi Pierre comme chef.  Mais il n’a rien dit de ce genre.  Cette promesse des clefs n’a donc aucun rapport avec une primauté.

Mais nous, et tous les catholiques, par clefs données à Pierre, nous entendons le pouvoir suprême sur toute l’Église.  Et cela nous le confirmons par trois raisons.  La première. La métaphore elle-même des clefs, selon le sens habituel qu’elle a dans l’Écriture.  En Isaïe 22, on décrit la déposition d’un souverain pontife, et l’institution d’un autre par ces paroles : « Va, rends-toi jusqu’à celui qui habite dans le tabernacle, Sobnam le préposé du temple, et dis-lui : « Pourquoi es-tu ici ? »  Et plus bas : « Je te chasserai de ton poste, et je te déposerai de ton ministère. Et voici ce qui arrivera en ce jour. J’appellerai mon serviteur Eliacin, fils de Helcias, et je le revêtirai de ta tunique, et je le fortifierai par ton cordon, et je donnerai ton pouvoir dans sa main, et il sera comme un père pour les habitants de Jérusalem, et pour la maison de Juda.  Et je donnerai la clef de la maison de David sur son épaule, et  il ouvrira, et il n’y aura personne qui puisse fermer; il fermera, et il n’y aura personne qui puisse ouvrir. »

Il est clair que par clefs, on n’entend pas ici la rémission des péchés, ou le ministère de la parole, mais une principauté ecclésiastique.  Le mot lui-même se trouve dans Isaïe 9 : « A été faite une principauté sur son épaule ».  On dit que la principauté est posée sur son épaule  pace que les clefs qui représentent la principauté, avaient coutume d’être déposées sur l’épaule.  Personne ne peut nier que les clefs signifient la principauté du Christ, s’il prend la peine de lire ceci du Christ dans l’apocalypse (3) : « Voici ce que dit le saint et le vrai, celui qui a la clef de David, qui ouvre et  personne ne ferme, qui ferme et personne n’ouvre. »   Se présentent à nous aussi les traditions et les coutumes que l’on trouve dans les choses profanes. Quand les villes se livrent à un prince, elles lui offrent les clefs en signe de sujétion, et on a l’habitude d’apporter ces clefs dans la maison de celui qui est institué gouverneur.

On le prouve ensuite par ces paroles : tout ce que tu  lieras.  Car, dans les Écritures, on emploie le mot lier pour celui qui légifère et punit.  Le Seigneur parle ainsi des préceptes (Matt 23) : « Ils lient des fardeaux lourds et importables sur les épaules des hommes, etc. »  Au sujet des peines (Matt 18) : « Tout ce que vous lierez sur la terre. »  Cela, de l’avis même de Calvin, le Seigneur le dit de l’excommunication, car l’Église punit ceux qu’elle lie par la peine d’excommunication. Voilà pourquoi nous avons coutume de dire que les hommes sont obligés d’observer la loi, et cette obligation est telle qu’ils seront punis s’ils ne l’observent pas.  On dit qu’il délie celui qui remet les péchés, qui libère de la peine, qui dispense de la loi, des vœux, des serments, et d’autres obligations semblables.  Donc, comme c’est d’une façon générale qu’a été dit à Pierre  : tout ce que tu délieras, etc,   lui a donc été communiqué le pouvoir de légiférer, de punir, de dispenser, de remettre les péchés, tout à fait comme s’il était le juge et le prince de tous ceux qui sont dans l’Église.

On le prouve en troisième lieu par les Pères.  Saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur saint Matthieu) expliquant cette promesse, dit qu’à Pierre a été confiée toute la terre, et qu’il a été fait pasteur et chef de toute l’Église.  Et saint Grégoire (livre 4, épitre 32), dit d’abord : « Il est évident à tous ceux qui connaissent l’Évangile que, par la parole du Seigneur, le soin de toute l’Église a été confié à saint Pierre, prince de toute l’Église. » Il en donne ensuite la raison : « Car c’est à lui qu’a été dit : Je te donnerai les clefs du royaume des cieux ».  L’argument de Calvin ne permet de rien conclure, celui qui dit que ce n’est pas vrai que les clefs ont été promises à Pierre, puisque lier ou délier a un sens plus large que remettre et retenir les péchés, comme nous l’avons déjà démontré. Et c’est inutilement que les clefs auraient été promises à Pierre en particulier, et ceci en récompense de sa foi singulière, si rien ne lui avait été donné après cela en particulier.

Ensuite il est faux de dire que remettre les péchés n’est rien d’autre que prêcher l’Évangile. Et il est surprenant qu’une explication qui saute à ce point aux yeux ne soit jamais venue à la pensée d’aucun des anciens; mais que Calvin ait été le seul à s’en être  aperçu.  Et il est certain que, dans leurs commentaires de ce texte, saint Jean Chrysostome et saint Cyrille, et saint Jérôme (dans sa lettre à Hebdibiam, question 9) entendent par l’autorité de remettre les péchés, le pouvoir de conférer les sacrements de pénitence et de baptême,  et non le ministère de la parole.   Que prêcher et baptiser ne soient pas la même chose, saint Paul nous le fait comprendre (1 Cor 1) quand il dit qu’il a été envoyé par le Seigneur « non pour baptiser, mais pour prêcher ».  Et à cette autre objection (2 Cor 5), sur la parole de réconciliation, je réponds que par le mot réconciliation, on entend, en effet, dans ce passage, la prédication.  Mais saint Paul ne veut pas dire que la prédication suffise pour la réconciliation, mais que par la prédication les hommes sont touchés de façon à venir se réconcilier avec Dieu, chose qui se fait après le baptême ou la pénitence, comme on le dit dans les Actes 2.  Après la prédication, Pierre a ajouté : « Faites pénitence, et que chacun d’entre vous soit baptisé ! »  Il ne leur a pas dit : vous avez entendu la prédication, cela suffit !

À l’argument des magdebourgeois, je réponds que les apôtres n’ont compris parfaitement  la promesse du Seigneur faite à Pierre qu’après la résurrection; et qu’ils se sont disputés entre eux parce qu’ils soupçonnaient que Pierre allait être nommé leur chef.  Il n’est pas surprenant qu’ils n’aient pas compris, parce que Jésus avait parlé en métaphores.  Et ils étaient  si peu vifs qu’ils ne comprenaient même pas des choses expliquées clairement.  Saint Marc écrit (chapitre 9) : « En descendant de la montagne, il leur prescrivit de ne raconter à  personne ce qu’ils avaient vu avant que le Fils de l’homme ne ressuscite des morts ».   Que la raison pour laquelle ils se disputaient entre eux était le soupçon qu’ils avaient de la principauté de Pierre, c’est ce qu’attestent Origène, saint Jean Chrysostome, saint Jérôme, dans leurs commentaires sur Matt 18.  Ce n’est pas vrai, non plus, ce que disent les magdebourgeois que le Seigneur ne leur a pas répondu qu’il avait déjà choisi un chef, car que veulent bien dire ces paroles du Christ (en Luc 22) : « Celui qui est le plus grand parmi vous, qu’il se fasse le plus petit, et que celui qui préside soit comme celui qui sert. »  N’en a-t-il  pas appelé un plus grand et chef ?
 

                                                        CHAPITRE 14

                             À Pierre seul il a été dit : pais mes brebis : Jean 21

 Jusqu’ici nous avons parlé des paroles du Christ qui promettaient à saint Pierre le pouvoir suprême dans l’Église. Nous allons maintenant entreprendre une réflexion sur les paroles par lesquelles le pouvoir suprême lui a été effectivement donné par le Christ : « Simon, fils de Jean, pais mes brebis ! »  Pour expliquer ces mots, il faudra démontrer trois choses. La première : c’est à Pierre seul qu’il a été dit : pais mes brebis ! La seconde : par le mot « paître », c’est tout le pouvoir ecclésiastique qui lui est donné.  La troisième : par les mots « mes brebis », c’est toute l’Église qui est désignée.  Toutes ces choses les adversaires les nient.

 La première : à Pierre seul il a été dit : « pais mes brebis » ! On le prouve d’abord par le nom : Simon, fils de Jonas.  Car seul Pierre s’appelait de ce nom. Et ce n’est pas sans mystère, non plus, que c’est de la même façon que le Christ appelle Pierre et quand il lui promet les clefs (Matt 16), et quand il le charge de paître les brebis (Jean, à la fin).  Pour que nous comprenions aisément que ce qui a été réellement donné en Jean c’est ce qui avait été promis en Matth 16;  et que c’est à ce même Simon fils de Jean que la promesse avait été faite.     On le prouve ensuite avec les paroles du Christ : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? »  Il est clair que ces paroles ont été adressées au seul Pierre, puisque par « plus que ceux-ci » les autres sont manifestement exclus. De plus, ceux qui sont exclus ce ne sont pas des hommes quelconques mais les principaux apôtres. Car étaient alors présents avec Pierre Nathanaël, que plusieurs identifient avec Barthélémy, Jacques, Jean, Thomas, et deux autres disciples.  Ce n’est donc pas à tous les disciples, mais à Pierre seul qu’il a été dit : pais mes brebis.

 On le prouve en troisième lieu par la triple interrogation. Car, du commentaire qu’on fait saint Cyrille, saint Augustin et d’autres de ce texte, nous apprenons que Jésus lui a demandé trois fois s’il l’aimait plus que les autres, parce qu’il l’avait renié trois fois. Comme il était le seul à l’avoir renié trois fois, il est donc le seul à avoir été ainsi interrogé.  Il est donc clair comme le jour que c’est à Pierre seul que le Christ a dit : pais mes brebis !   On le prouve en quatrième lieu par ces paroles : « Pierre a été contristé ».  Pierre était contristé, si nous en croyons saint Jean Chrysostome, parce qu’il craignait de se tromper  en disant : « tu sais, Seigneur, que je t’aime », comme il s’était trompé en disant : « même s’il me faut mourir avec toi, je ne te renierai pas ».  Mais la cause de cette tristesse ne convient qu’au Pierre qui a renié le Christ. C’est donc Pierre seul qui était contristé, et c’est à Pierre seul que le Christ a dit : « pais mes brebis ! »

 La cinquième preuve : « quand tu seras vieux, tu étendras ta main ... ». C’est à celui dont il est dit « pais », qu’est prédit le crucifiement.  Cette mort a donc été prédite au seul Pierre, et à Pierre en personne.   La sixième preuve vient de : « Et à celui-ci qu’arrivera-t-il ? » et de la réponse du Seigneur : « Que t’importe ! Toi, suis-moi ! »  Car, saint Pierre n’aurait jamais demandé ce qui arriverait à saint Jean s’il avait compris que le « pais mes brebis » avait été dit à tous.  Le Seigneur ne lui aurait pas dit alors : que t’importe, mais il fera la même chose que tu feras toi-même.

 La septième raison nous la tirons des Pères.  En plus de saint Jean Chrysostome, de saint Cyrille et de saint Augustin qui expliquent que c’est à celui qui avait renié trois fois qu’est dit : « pais mes brebis », --ce qui n’est arrivé qu’au seul Pierre--, saint Ambroise dit la même chose (dans le dernier chapitre de saint Luc, en commentant ces paroles) : « C’est parce qu’il est seul à faire cette profession qu’il est placé avant tous ». De même, Maxime (dans le sermon sur saint Paul et saint Pierre) : « Il est maintenant nécessaire de parler des vertus spéciales que les apôtres possédaient en propre. Voici d’abord Pierre, à qui le Christ, avant son ascension, a donné ses agneaux et ses brebis à paître. »  Cette mission fut donc une mission spéciale et propre à Pierre.  De même saint Léon le grand (épitre 89 aux évêques de la province de Vienne) écrit : « Celui à qui a été donné, avant les  autres, le pouvoir de lier et de délier, a reçu aussi, plus spécialement, la charge de paître les brebis ».

 Mais Jean Calvin oppose à cet enseignement des raisonnements contraires (dans le livre 4, chapitre 6, verset 3). Il enseigne que saint Pierre a exhorté ses co-prêtres à paître le troupeau de Dieu (1 Pierre 5).  Et il en conclut que ou ces paroles ont été dites à tous, ou saint Pierre a communiqué son droit à d’autres. Je réponds que saint Pierre a exhorté les prêtres à paître non le troupeau de l’Église universelle, mais de l’église particulière qui leur avait été confiée. C’est bien en effet ce qu’il leur dit : « Paissez le troupeau qui est le vôtre ».  De la même façon, saint Paul (dans les Actes 20) exhorte les évêques asiatiques à veiller sur eux et sur tout le troupeau. Mais il ajoute tout de suite : « Là où l’Esprit saint vous a établis évêques ». C’est-à-dire, pas le troupeau de l’Église universelle, mais celui qui a vous a été confié.  Ces paroles de saint Pierre n’empêchent donc pas que ce soit au seul Pierre qu’ait été confié le soin de paître le troupeau de l’église universelle. Et ce droit plénier il ne l’a transmis à personne.

 On peut nous opposer certains textes de saint Augustin et de saint Jean Chrysostome.  Car, saint Augustin (dans le livre de l’agonie du Christ, chapitre 30) a écrit ceci : « Quand il dit à un seul : « aime-moi, pais mes brebis. », c’est à tous qu’il le dit.  Saint Jean Chrysostome (livre 2 du sacerdoce), désirant persuader Basile d’accepter l’épiscopat auquel il était appelé, lui cite notre texte, et dit : « Basile montrera son très grand amour du Christ s’il pait son troupeau, comme il est écrit : pais mes brebis. »  Saint Jean Chrysostome veut donc que ces paroles de Jésus ne s’appliquent pas seulement à Pierre, mais à tous les évêques.  Je réponds que même si ces paroles s’appliquent au seul Pierre, proprement et principalement, elles peuvent quand même, d’une certaine façon, convenir à tous les évêques.  Car tous ceux qui sont appelés par Pierre à prendre part à son zèle apostolique, doivent imiter la conduite de Pierre en paissant le troupeau qui leur a été confié. C’est pourquoi, ce qui est dit du pasteur suprême peut-être dit, d’une certaine façon, et toute proportion gardée, des autres pasteurs mineurs. Et quand, voulant faire de Pierre le pasteur de l’Église, il lui a demandé s’il l’aimait plus que les autres, c’était pour faire comprendre à ceux qui ont à être élus et institués pasteurs,  qu’ils doivent l’emporter sur les autres en charité.  Et c’est ce que dit saint Léon (dans le troisième sermon sur l’anniversaire de son intronisation) : « On croit cela de Pierre d’une façon particulière, parce que le successeur de Pierre est placé avant tous les régisseurs d’Église »

                                                      CHAPITRE 15

                                               Que signifie paître : Jean 21

 Après avoir établi que c’est à Pierre qu’il a été dit : « pais mes brebis », il reste à se demander ce que veut dire le mot : « paître ».  Car Martin Luther (dans son livre du pouvoir du pape) soutient que par le mot « pais », aucun nouveau pouvoir n’est donné, mais que n’est intimée à Pierre que l’obligation d’aimer, de prêcher et d’enseigner, comme à quelqu’un qui avait déjà été institué évêque et pasteur, non de l’Église universelle, mais d’une portion, comme pour tous les autres apôtres et pasteurs.   Et cela, il le prouve avec les raisons suivantes.

 La première. Paître ne signifie pas présider, mais  apporter de la nourriture et servir à table, chose que même un inférieur peut faire. Il n’est donc pas institué un gouvernant celui à qui on a dit de paître.  Ensuite, le Seigneur ne commande pas aux chrétiens d’obéir à Pierre, mais il commande à Pierre d’apporter des aliments aux chrétiens.  Par le mot « pais », il a donc été institué serviteur, non chef.  Enfin, si par ces mots le pontificat était institué, il s’ensuivrait que ne sont pas évêques ceux qui n’aiment pas, ou ne paissent pas. Nous n’aurions souvent alors aucun pontife, car la plus grande partie des pontifes n’aiment pas le troupeau et ne le paissent ni par la parole ni par l’exemple. C’est pourquoi, dans ce mot « pais », il ne faut voir aucune institution de pontife, mais un simple précepte d’aimer et d’enseigner.

 Mais à nous, il ne sera pas difficile de montrer que par la parole « pais », le pouvoir suprême ecclésial a été attribué à celui qui l’a entendue.  Car, d’abord, on ne dit pas qu’il « pait », celui qui fournit de la nourriture à un titre quelconque, mais celui qui le fait en tant que préposé, intendant et gouverneur.  C’est le Seigneur qui dit (Luc 12) : « Qui penses-tu être le dispensateur fidèle et prudent, que le Seigneur a établi sur sa famille, pour leur donner, au bon moment, leur mesure de froment ? »   Celui qui pait c’est donc celui que le Seigneur a préposé  à sa famille.

 De plus, par le mot « paître », on entend, selon la façon de parler usuelle, tout acte pastoral.   Car paître c’est la même chose que  agir en pasteur, ou être pasteur.  Or, l’acte pastoral ne consiste pas seulement à fournir de la nourriture, mais aussi et surtout  à conduire, prendre soin, réduire, présider, gouverner, châtier. Quoi donc? Les pasteurs des brebis ne font-ils que leur donner du foin ?  Ne les dirigent-ils pas aussi, et ne les forcent-elle pas avec un bâton à obéir ?  Voilà pourquoi, dans l’Écriture, le mot paître est souvent employé au sens de gouverner, comme nous le lisons dans le psaume 12 : « Tu les conduiras avec une verge de fer ».  En hébreu : « pais-les ».  Ceux qui sont pais avec une verge de fer ne peuvent certainement pas nier un pouvoir dans leurs pasteurs.  Et en Isaïe (44) : « Je dis à Cyrus : tu es mon pasteur ».  Dans ce passage, il ne prédit pas à Cyrus un ministère de service aux tables, mais un royaume immense.
 

 On peut démontrer la même chose plus efficacement avec le mot  employé par saint Jean dans son évangile.  Car, il a écrit : poimaine, ce qui veut dire : « pais » en gouvernant et en présidant. Même un Homère, (livre 2 de l’Iliade), appelle Agamemnon pasteur de peuples (poimena laôn). Et, dans l’Écriture, où nous lisons en Matthieu (2) : «  car, de toi sortira le chef qui gouvernera mon peuple, Israël », nous avons en grec poimanei ton laon : le pasteur de mon peuple.  Et il est à noter que chez Michée (chap 5), le mot paître est rendu par le mot dominer.  Ensuite, dans l’Apocalypse (19) là où l’on dit en latin : et il les gouvernera avec une verge de fer, on trouve en grec : il les « paîtra » avec une verge de fer.   Donc, comme poimanô ne signifie pas paître, mais conduire et gouverner, il découle manifestement de ce que le Seigneur a dit à Pierre : poimaine ta prosata, que Pierre a été institué dirigeant et président  de l’Église.

 Viennent enfin en renfort les témoignages des anciens pères.  Saint Jean Chrysostome (livre 2 sur le sacerdoce) donne souvent à la charge confiée à Pierre le nom de « paître », et il l’explique par cet autre texte de saint Matthieu (24) : « Le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur sa famille. »  Commentant ce passage, saint Augustin entend par « paître », enseigner, gouverner. Enfin, saint Grégoire le grand (dans le livre sur le soin des pasteurs), appelle souvent les pasteurs recteurs;  et le gouvernement des âmes dans le ministère pastoral,  le gouvernement suprême. Et lui aussi, il entend le mot « paître » au sens de gouverner, conduire, présider.

 Les arguties de Luther ne prouvent rien du tout. À sa première objection, je réponds que « paître » n’est pas le travail d’un serviteur mais d’un recteur.  Car les serviteurs ne paissent pas leurs maîtres même s’ils les servent à table.  C’est tout le contraire qui est vrai. On dit plutôt que ce sont les serviteurs qui sont pais par leurs maîtres, dans la mesure où ils vivent des richesses de leurs maîtres.  À la seconde objection je réponds que, entre présider et dépendre  de, gouverner et être gouverné, paître et être pais, il existe une relation de dépendance réciproque telle que l’un ne peut pas exister sans l’autre.  En conséquence, le mot qui dit à Pierre de présider, de gouverner, de paître nous commande à nous d’obéir à Pierre, d’être gouvernés par lui, de nous soumettre à lui, d’être pais par lui.

 Je réponds à la troisième objection que « paître » est un précepte, mais un précepte par lequel est instituée la principauté ecclésiale. Car, par l’action est signifié le pouvoir d’où l’action procède. Tout comme quand Dieu a dit : « que la terre germe de l’herbe verte », et aux êtres vivants : « croissez et multipliez-vous », il a attribué la fécondité aux choses, et a institué des natures capables d’engendrer.  Ce n’est pas seulement Dieu, mais les hommes aussi qui ont coutume d’instituer des préfets, par la seule vertu du commandement.  Car, si un roi dit à quelqu’un : « Va, gouverne telle province », tous comprennent qu’il a été institué préfet de cette province.

 Mais Luther dit : si c’est par un précepte qu’a été constitué le pontificat, quelqu’un cesse donc d’être pontife quand il cesse d’observer le précepte.  Je réponds que le pontificat a été institué par les paroles d’un précepte d’une façon telle que la puissance qui est accordée ne dépende pas de l’observation du précepte.  On le voit, cela, même dans les choses humaines.  Car un pro-roi ne cesse pas d’être un pro-roi tant qu’il n’a pas été rappelé par le roi, même s’il n’administre pas droitement sa province.  Enfin, ce n’est pas vrai que, comme le reproche faussement Luther, les papes, depuis longtemps, ne paissent pas leur peuple.  Car, même si la plupart d’entre eux ne prêchent pas, ils exercent beaucoup d’autres actes pastoraux quand, par exemple, ils lient, ils délient, ils dispensent, ils jugent les controverses, sacrent des évêques, et  font par d’autres les prédications qu’ils ne font pas eux-mêmes.  Comme l’évêque d’Hippone Valère, et quelques autres, empêchés par l’âge ou par un défaut d’élocution remplissaient, par leurs prêtres, leur devoir de prêcher.

                                            CHAPITRE 16

 Que les paroles « mes brebis » signifient l’Église universelle : Jean 21

 Il reste une troisième question. Est-ce que, par « mes brebis », on entend toute l’Église ?  Tous les luthériens le nient, et surtout Luther (le livre sur le pouvoir du pape), Illyricus (dans son livre contre la primauté du pape), les magdebourgeois (centurie 1,livre 2, chap 7, col  525), le livre smalchaldicus sur la primauté du pape, et Jean Calvin (livre 4, institutions, chapitres 6 et 7).

 Mais, pour nous, c’est une chose réglée une fois pour toutes et tout à fait certaine qu’ont été confiés à Pierre, en tant que brebis, tous les chrétiens et même les apôtres, quand Jésus lui a dit : « pais mes brebis ». Il est à noter que le Christ a dit deux fois : « pais mes agneaux », et une seule fois : « pais mes brebis ».  Car, même si, dans le texte grec, on lit une seule fois : « pais mes agneaux », et deux fois : « pais mes brebis », il semble bien que le texte ait été corrompu par la faute des copistes, qui ont écrit probata quand ils devaient écrire probatia.  Il n’y avait qu’un iota de différence.   Qu’il en soit ainsi, je l’apprends de saint Ambroise et de Maxime.  Car, saint Ambroise, dans le dernier  chapitre de saint Luc,  dit que ce sont les agneaux qui ont été d’abord  confiés à Pierre, en grec, arvia.  Ensuite, les petits moutons, qu’on appelle en grec probatia.  Et, en troisième lieu, les brebis, en grec, probata.  Maxime, dans le sermon sur saint Pierre et sur saint Paul, dit qu’à Pierre ce sont les petits moutons et les brebis qui ont été confiés.  Il ne dirait certainement pas cela à moins d’avoir lu probatia et probata.    Je l’apprends aussi de notre traduction,  Car, si en grec, le mot probata avait été écrit deux fois, même un novice ne l’aurait pas traduit la seconde fois par agneaux.  Car qui ignore que agneaux se dit arnia et non probata ?

 Donc, puisque tous les codex latins donnent  « agneaux », et que cette traduction n’a jamais été critiquée par saint Jérôme ni par personne d’autre, il faut nécessairement en conclure que le traducteur a lu probatia, c’est-à-dire petits moutons, et l’a rendu par agneaux, car les agneaux et les petits moutons sont souvent pris les uns pour les autres.   Après avoir clarifié ce point, nous prouvons, à partir de cette traduction qui ne semble pas dénuée de mystère, qu’à Pierre sont soumis tous les chrétiens.  Car, si, par petits moutons, nous entendons agneaux, nous dirons qu’on a répété ces mots pour signifier deux peuples, les Juifs et les Gentils.  Et que les brebis, qui ne sont nommées qu’une seule fois, signifient les évêques, qui sont comme les mères des agneaux.   Le Seigneur a donc confié à Pierre le soin des agneaux, c’est-à-dire du peuple juif, et des agneaux encore, c’est-à-dire des Gentils, ainsi que des brebis, c’est-à-dire de ceux qui engendrent ces agneaux dans le Christ, les apôtres et les évêques.

 Mais si, par oviculas, nous entendons des moutons plus gros que les agneaux mais plus petits que les brebis adultes, on devra dire, comme saint Ambroise au lieu cité, qu’à Pierre ont été confiés des agneaux, des petits moutons, et des brebis, c’est-à-dire les débutants, les progressants, et les parfaits, de façon qu’il n’y ait personne, dans l’Église, quelque spirituel, érudit, ou saint qu’il soit, qui ne soit pas soumis à Pierre.  On peut entendre aussi, par agneaux, les peuples qui ne reçoivent aucun soin pastoral, qui ne sont que fils et non parents.  Par oviculas, (petits moutons), on peut entendre les prêtres mineurs, c’est-à-dires les vicaires et les curés, qui sont parents des peuples tout en étant fils des évêques.  Par brebis, enfin, on peut entendre les prêtres majeurs, les évêques, qui président aux agneaux et aux petits moutons. Mais eux aussi sont soumis à Pierre.   C’est à cela que semblait penser saint Léon quand (dans le sermon 3 sur l’anniversaire de son intronisation), il enseigne que saint Pierre a été mis, par le Christ,  à la tête de toutes les nations, de tous les patrices et de tous les apôtres, car les nations sont des agneaux, les pères des jeunes moutons, et les apôtres des brebis adultes et parfaites.

 Ensuite, le mot « miens » nous fournit une raison non sans valeur.  Car, comme, sans aucune restriction, est ajouté « miennes » à « brebis », cela signifie manifestement que sont confiées à Pierre toutes les brebis contenues dans « miennes.  Il ne fait aucun doute que le mot « miennes » comprenne absolument toutes les brebis, car il n’y en pas une dans l’Église qui ne se glorifie pas d’être une brebis du Christ.  Donc, tous les chrétiens, sans exception, sont confiés à Pierre.  Et dans la vie de tous les jours, on trouve des expressions semblables.   Car celui qui dit : je laisse mes biens  à mes fils n’exclut certainement aucun de ses biens, ni aucun de ses fils.  Et quand le Seigneur dit en Jean 10 : « je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, et je dépose ma vie pour mes brebis », personne n’oserait imaginer qu’il ne parle pas de toutes.

 De plus, qu’est-ce d’autre ce « pais mes brebis » que « aie soin de mon troupeau » ?   Car le troupeau du Christ est unique, selon saint Jean (10) : « Il y aura un seul troupeau, et un seul pasteur ».  Le Christ a donc commis le troupeau universel à Pierre.    Quand le Seigneur a dit à Pierre : « pais mes brebis », ou il a confié à saint Pierre toutes ses brebis, ou aucune, ou  un petit nombre précis, ou un nombre indéterminé de ses brebis.  Or, personne n’osera dire qu’aucune brebis ne lui a été confiée, ou seulement un petit groupe déterminé, car ce serait évidemment totalement faux. Ni non plus un groupe indéterminé, car ce n’est pas la façon de faire d’un sage pourvoyeur de ne donner aucune définition de charge, quand il pourrait le faire, si  cette indétermination devait engendrer de la confusion et de la perturbation.  De plus, confier à quelqu’un des choses sans les lui nommer, c’est comme si rien ne lui était confié.  Car, que pait-il donc, je le demande, celui qui ne connait pas son troupeau ?  Il reste donc que ce sont toutes les brebis que le Christ à donné à paître à Pierre.

 Et c’est ce que pensent tous les anciens pères.  Épiphane (dans ancor) : « Voici celui qui a entendu : « pais mes brebis », celui à qui a été confié le troupeau ». Que le troupeau du Christ est unique, nous l’avons déjà démontré par des citations de l’Évangile. Saint Jean Chrysostome dit, en commentant ce passage : « Après avoir laissé de côté les autres, il parle à Pierre seul, et il lui confie le soin des frères ». Et un peu plus bas : « Quand le Seigneur communiqua à Pierre de grandes choses, il lui  remit le soin de toute la terre ».   Saint Ambroise (au dernier chapitre de saint Luc) dit : « Devant s’envoler au ciel, il le laissa son vicaire ».  Pour que nous ayons un Pierre qui nous réchaufferait de son amour paternel et pastoral, comme le Christ le ferait lui-même.  Et, au même endroit : « Parce que, parmi tous les disciples, il a été le seul à faire une profession de foi, c’est avant tous qu’il est placé ».

[fin 4 sept 2017, 18h57]
[2017 09 12 19h55, début]
2017 09 12 a1955début
suite et la fin du chapitre 16

 Théophylacte, (dans le dernier chapitre de saint Jean) dit «  À la fin du repas, il institue Pierre préfet des brebis de tout l’univers. Ce n’est pas à un autre, mais à lui qu’il les a confiées. »  Et (au chapitre 22 de Luc), il dit : « Toi, Pierre, quand tu seras converti, tu seras un bon exemple de pénitence pour tous, toi qui, apôtre du Christ, a renié, et a reçu de nouveau d’être le premier de tous, et le préfet de toute la terre ».  Saint Bernard (dans le livre 2 de la considération), écrit : « A qui ont été remises en totalité, et chacune en particulier, toutes les brebis je ne dis pas seulement des évêques, mais des apôtres ?  Si tu m’aimes, Pierre, pais mes brebis. Lesquelles ? Les peuples de telle ou telle cité, de telle région, de tel royaume ?   Mes brebis, a-t-il dit. »  N’est-il pas évident que ce ne sont pas quelques brebis qui lui sont confiées, mais toutes ?  Il n’y a pas d’exception là ou il n’y a pas de distinction.

 Le moment est venu de réfuter les arguments des adversaires.  La première objection de Luther est la suivante.   Le Christ n’a pas dit : pais mes brebis, comme il avait dit ailleurs : enseignez toutes les nations !  Il n’a donc pas donné à Pierre toutes ses brebis  à paître.  Je réponds que le mot « mes », a une valeur générale et universelle, comme nous l’avons démontré plus haut.    La deuxième objection de Luther est aussi celle d’Illyricus.  Si à Pierre avait été commis le soin de toutes les âmes, il aurait donc du les paître toutes.  Mais cela, il ne le fit pas.  Car, les autres apôtres ont pais une partie du troupeau du Christ, et c’est par le Christ qu’ils ont été envoyés, non par saint Pierre.   Je réponds que saint Pierre a pais son troupeau universel en partie par lui-même, et en partie par d’autres.  Car, même si c’est le Seigneur lui-même qui a envoyé les apôtres prêcher et paître son troupeau, du fait que ce qu’ils faisaient avait été commis au soin de Pierre, Pierre agissait par ceux qui dépendaient de lui comme de leur tête et leur chef.

 La troisième objection est commune à Luther et aux autres, dans des œuvres que nous avons déjà citées.  Saint Paul (chapitre 2 aux Galates) ne reconnait aucune sujétion à Pierre, à Jacques ou à Jean : « À qui nous n’avons jamais été soumis jusqu’à maintenant ».  De même : « Ne compte pas pour moi ce qu’ils ont été, ceux qui semblent être quelque chose ».  De même : « Ceux qui semblent être quelque chose ne m’ont donné aucun ordre ».  De même : « Ils ne m’ont rien apporté ».
 Je réponds que l’intention de saint Pierre, dans l’épitre aux Galates n’a pas été de montrer qu’il n’était pas soumis à Pierre en ce qui a trait au gouvernement, car il ne fait nulle mention de cela;  mais que son évangile est vrai et divin, qu’il l’a reçu directement du Christ,  et qu’il est le même que celui de Pierre, de Jacques et de Jean.   C’est de cela, en effet, que les pseudos apôtres tiraient gloire. Ils disaient que c’était par le Christ qu’avaient été instruits saint Pierre, saint Jacques et saint Jean, mais que saint Paul avait été le disciple des hommes.  Ils estimaient donc que l’évangile des apôtres était plus véridique que celui de saint Paul.  C’est donc pour réfuter les calomnies de ces pseudos apôtres que saint Paul a écrit sa lettre : « Paul, apôtre ni des hommes, ni par les hommes, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père. »  Et, plus bas : « Je vous fait connaître l’évangile qui est prêché par moi, car il n’est pas selon l’homme.  Car, je n’ai rien reçu d’un  homme, rien n’appris d’un homme, mais tout par la révélation de Jésus-Christ ».

 Et c’est à cela que se rapportent les paroles : « ceux qui semblent être quelqu’un ne m’ont rien apporté ».  Car, saint Paul, dit, par ces paroles, qu’il n’a rien reçu des autres apôtres en fait de doctrine, mais que c’est le Christ qui lui a tout enseigné dans le détail.    Et le fait qu’il ajoute : « Ils m’ont considéré comme leur associé », nous force à croire qu’ils ont été des associés dans le ministère de la prédication, mais ne nous empêche pas de penser que saint Pierre fut plus grand que saint Paul sur le plan hiérarchique.  Car (dans le livre des rois, chapitre 23), l’Écriture dit : « Saül sortit avec ses compagnons», et la même Écriture nous montre que Saül était leur roi, et eux ses sujets.
 Quand il dit que jusqu’à maintenant, il ne s’est pas soumis à eux, ce n’est pas de saint Pierre ou de saint Jacques qu’il parle, mais des pseudos prophètes.  Car voici ce qui est écrit : « Mais à cause des faux frères qui se sont introduits pour déplorer la liberté que nous avons dans le Christ Jésus, pour nous réduire en servitude.  À ces gens, je n’ai pas cédé jusqu’à aujourd’hui ».   Et ses autres paroles : « peu importe à moi ce qu’ils ont été ceux qui semblent être quelque chose », n’ont pas été prononcées pour mépriser saint Pierre ou saint Jean, comme le prétend le livre smalchadique, mais pour les louer et les honorer.  Saint Paul lui-même en donne l’explication. C’est quand il a voulu aller parler de son évangile avec les apôtres qui étaient à Jérusalem, même s’ils étaient des hommes sans instruction, et de vils pêcheurs,  c’est alors qu’il a dit que lui importait peu ce qu’ils avaient été auparavant, car Dieu ne fait pas acception de personne.  Ceux qu’il était allé voir c’étaient ceux qui étaient devenus de grand apôtres par la grâce du Christ, et les colonnes de l’Église.
 Et ces autres paroles : « Ceux qui semblaient être quelque chose ne m’ont donné  aucun ordre ».  Que le synode smalchadique nous dise où ils ont lu ce texte, et de quelle épitre ils l’ont transcrit dans leur libelle sur le primat de Pierre, car il est certain qu’on ne trouve rien de tel dans saint Paul.   Mais la familiarité que nos adversaires ont avec Dieu est si grande qu’ils osent faire des ajouts à sa parole, sans craindre les punitions dont Dieu menace ceux qui font des additions à la révélation.
 La quatrième objection est faite par les mêmes.  Saint Paul (dans l’épitre aux Galates, chapitre 2), enseigne que c’est de droit humain et divin que fut divisée la juridiction entre Pierre et Paul : à Pierre a été attribué le peuple Juif, à saint Paul, celui des Gentils.  Les brebis n’ont donc pas été  toutes confiées à Pierre. Voici quelles sont les paroles de saint Paul : « Quand ils virent que m’avait été confiée l’évangélisation du prépuce comme à saint Pierre celle de la circoncision, (car l’apostolat qu’avait exercé saint Pierre auprès des Juifs, je l’avais exercé auprès des Gentils), ils nous associèrent à leur mission  pour que nous allions, nous, chez les païens, et eux chez les Juifs ».  L’apostolat de saint Pierre n’a donc rien à voir avec nous qui sommes des Gentils.
 Je réponds que la division dont parle saint Pierre dans l’épitre aux Galates, n’en est pas une de juridiction, mais de provinces, pour faciliter l’évangélisation.  Bien que tous les apôtres pouvaient tous ensemble, et chacun en particulier, prêcher l’évangile dans tout l’univers, cependant, pour plus d’efficacité et de rapidité, une double division des provinces a été faite entre les apôtres. Car, comme Origène le raconte (livre 3 de son histoire, chapitre 1), ils se partagèrent d’abord les provinces : à André, la Scythie, à Thomas, Parthe, à Bartholomée l’Inde, à Matthieu l’Éthiopie,  à Jean l’Asie, et d’autre ailleurs.
 Une autre distribution a été faite ensuite entre Pierre et Paul.  Pierre consacrerait la majeure partie de son temps à l’évangélisation du peuple Juif, sans cependant s’interdire la conversion des Gentils.  Saint Paul, lui, s’appliquerait principalement à la conversion des Gentils, sans s’empêcher de travailler aussi à la conversion des Juifs.  Nous confirmerons tout cela sans trop d’effort, avec des textes de l’Écriture.
 D’abord, qu’il était permis à Pierre de prêcher aux Gentils, même s’il était l’apôtre des Juifs, plusieurs passages nous le montrent.   Car, c’est lui qui a prêché à Corneille et à toute sa maison (auctor 10).  Voici ce qu’il en dit lui-même (actes 15) : « Vous savez que, depuis les premiers jours, Dieu a élu par ma bouche les Gentils, pour qu’ils écoutent la parole de l’évangile et croient ». Et, en Matthieu, fin), le Seigneur a dit aux apôtres : « Allez donc enseigner toutes les nations».  Et saint Marc (fin) : « Prêchez l’évangile à toute créature. »   Tous les apôtres  pouvaient donc de droit divin prêcher à tous les Gentils.   Et il est certain que le prince des apôtres n’a pas été exclu d’un droit qui a été donné à tous.
 De plus, le pape Innocent 1, (épitre 1 à Décentium, chapitre 1) enseigne que dans toute l’Italie, la Gaule, l’Espagne, l’Afrique et la  Sicile, des églises ont été constituées par Pierre, ou par d’autres que lui ou ses successeurs avaient envoyés.  Personne ne peut nier que ces pays aient été peuplés de Gentils.  Enfin, si Pierre n’a été que l’apôtre des Juifs, pourquoi n’a-t-il pas placé le siège de son pontificat à Jérusalem, qui était la métropole de la Judée, plutôt qu’à Antioche en Syrie, ou à Rome, villes de Gentils ?  Et Pourquoi les Gentils qui étaient à Antioche n’ont-ils pas présenté à Paul, apôtre des Gentils, la question de l’observation légale, mais à Pierre et à Jacques, apôtres des Juifs ?
 Que saint Paul pouvait évangéliser aussi les Juifs, même si le mandat qu’il avait reçu portait surtout sur les Gentils, ses actions nous le révèlent amplement.  Car, à quel que endroit qu’il allait, il se rendait d’abord évangéliser les Juifs dans leurs synagogues.  Les actes (13) nous le montrent prêchant dans une synagogue juive à Salamine, à Antioche de Pisidée, au chapitre 14, à Iconium, au chapitre 17, à Thessalonique, au chapitre 18, à Corinthe et à Éphèse,  au chapitre 28, à Rome.  Et (à 1 Corinth 9), il dit : « Je me suis fais Juifs avec les Juifs pour les acquérir à Jésus-Christ ». Ensuite, il écrit aux Juifs comme se sentant responsable d’eux. Il déclare qu’il se sent chargé de toutes les églises.  Si de toutes, de celles des Juifs aussi certainement.
 Saint Pierre et saint Paul pouvaient donc, de droit divin, prêcher autant aux Gentils qu’aux Juifs.  Mais, parce que saint Paul était principalement apôtre des Gentils, c’est pour cette raison que le Seigneur a dit de lui (actes 9) : « C’est mon vase d’élection, pour qu’il apporte mon nom aux Gentils, aux rois et aux fils d’Israël ».  Notons que les Gentils sont nommés d’abord, les Juifs après.  À Pierre et aux autres apôtres, il a été dit : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ».  Les Juifs, là, sont nommés en premier, et les Gentils en dernier.  C’est donc pour cela que saint Paul dit (Galates 2) que saint Pierre est l’apôtre de la circoncision, et lui, du prépuce.  Et c’est ainsi que l’explique saint Jérôme à l’endroit où on lui avait posé la question : était-il permis à saint Pierre d’évangéliser les Gentils, et à saint Paul, les Juifs ?  Il a répondu qu’il leur était tout à fait permis; qu’ils avaient tous les deux adopté ce plan pour former l’Église de tous les coins du monde. Mais le mandat de saint Pierre portait surtout sur les Juifs, et celui de saint Paul sur les Gentils.

Il faut noter, de plus, que la charge de Pierre fut plus honorable que celle de Paul, car le Seigneur a voulu que ce soit par lui que soient évangélisés les Juifs, et par les apôtres les Gentils. Matthieu 15 : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui périssent. » Et l’apôtre (Romains 15) : « Le Christ Jésus a été le ministre de la circoncision. »  Et le même saint Paul (Romains 11) compare les Juifs à un olivier, et les Gentils à des oliviers sauvages qu’il faut greffer sur l’olivier franc, pour qu’ils deviennent participants de son huile.
La cinquième objection.  L’apôtre Paul, dans la même épitre aux Galates, (chapitre 2), dit avoir résisté à Pierre en face. Il était donc plus grand que lui, ou à tout le moins son égal.  Toutes les brebis du Christ ne sont donc pas toutes soumises à Pierre.  Je réponds ainsi.  Je sais que Clément d’Alexandrie a écrit que ce n’était pas l’apôtre Pierre qui avait été réprimandé par saint Paul, mais un autre Pierre.  Je sais aussi que saint Jérôme et d’autres ont prétendu que saint Paul ne l’avait pas apostrophé véritablement, mais avait fait semblant seulement.  Mais parce que l’opinion de saint Augustin est de loin  plus vraisemblable, je réponds qu’il est permis à un inférieur de reprendre un supérieur, quand il le faut vraiment, et en conservant le respect qui est du à l’autorité.   Saint Cyprien, dans son épitre à Quintus, loue l’humilité de Pierre. Quand il a été réprimandé par saint Paul, il n’a pas répondu qu’il détenait le premier rang, et qu’il fallait plutôt s’en tenir aux traditions qu’aux nouveautés.  Il précise là que c’est par un inférieur que Pierre a été repris.  Et saint Augustin, dans l’épitre 19 à saint Jérôme : « C’est un exemple saint et rare que saint Pierre a présenté à la postérité, pour qu’on ne dédaigne pas d’être corrigé par des inférieurs, pour que les mineurs osent défendre avec confiance la vérité auprès de leurs supérieurs, en gardant sauve la charité ».
Saint Grégoire (dans son homélie 18 sur Ézéchiel) dit : « Il a donné son consentement à ce que disait son frère, et il a suivi sur ce point l’avis d’un inférieur, pour être également le premier dans la vertu, c’est-à-dire pour que celui qui était le premier dans l’apostolat soit aussi le premier dans l’humilité. »  Et plus bas : « Il a été réprimandé par quelqu’un qui lui était inférieur, et il n’a pas refusé d’être repris. »
La sixième objection. Les apôtres (Actes 6) ont établi des diacres sans aucun mandat de saint Pierre. Ils vont même jusqu’à envoyer saint Pierre en Samarie (actes 8).   Saint Pierre n’était donc pas le chef et le pasteur des apôtres.  C’est plutôt lui qui leur obéissait.   De plus, saint Pierre (actes 10) se demandait s’il était permis d’évangéliser les Gentils; et parce qu’il l’a fait, il a été blâmé par des disciples (actes 11). Qui peut donc croire facilement que les Gentils appartenaient à ce berger ?
Je réponds d’abord que ne préjuge en rien de la primauté de Pierre le fait que tous les apôtres, après avoir délibéré entre eux, aient, d’un commun accord, constitué des diacres.  Il faut croire que cela a été fait sur l’initiative de Pierre ou avec son consentement.  On aurait dérogé à sa principauté si on avait pris cette décision sans son accord, et malgré lui. Au sujet de la mission de saint Pierre et de saint Jean en Samarie (actes 8), je réponds que le mot mission n’implique pas nécessairement une sujétion dans celui qui est envoyé.  On dit qu’il envoie quiconque est l’auteur de ce que quelqu’un aille à quelque part.  Il le fait cela soit par un ordre, comme quand le Seigneur a envoyé ses serviteurs (ceux de qui l’on dit : le serviteur n’est pas plus grand que le maître, Jean 13), ou soit par le conseil ou la persuasion, comme quand un pair envoie un pair, ou un inférieur un supérieur.  Car (Matt 2) Hérode a envoyé les mages à Bethléem, sans avoir sur eux aucune autorité.  Et le peuple Juif (Josué 22) a envoyé le prêtre Phinees aux fils de Ruben et de Gad, même si, de droit divin, le grand prêtre était supérieur au peuple, comme les magdebourgeois eux-mêmes le reconnaissent.  Les apôtres envoyèrent donc saint Pierre aux Samaritains en le lui conseillant et en le persuadant, car c’était une chose de la plus grande importance d’avoir à confirmer dans la foi un nouveau peuple.
Quand aux choses que l’on tire des chapitres 10 et 11 des actes, je dis que plusieurs se trompent en pensant que  Pierre ne savait pas qu’il fallait prêcher aux Gentils avant d’en avoir une révélation (actes 11).  Cela est d’une grande absurdité car les apôtres ont reçu l’ordre d’enseigner toutes les nations. Et pour qu’on n’aille pas dire qu’ils n’avaient pas compris, saint Luc ajoute qu’il leur avait fait comprendre le sens des écritures. Et il ajoute tout de suite après, pour qu’on sache de quelle écriture il parle : « qu’il fallait que le Christ, ressuscite des morts, et que soit prêchée en son nom la pénitence à toutes les nations. »  Et saint Pierre (actes 1, 2, 3), montre souvent qu’il avait compris les Écritures, car il cite les psaumes, Joël, le Deutéronome, et la Genèse 22 : « Dans ta semence, seront bénies toutes les familles de la terre. »
Cette vision, saint Pierre l’a eue en partie pour lui et en partie pour les autres.   Pour lui, non pas pour qu’il comprenne qu’il lui était permis de prêcher aux Gentils, mais pour qu’il réalise que le moment était venu de le faire.  Car, parce que le Seigneur avait dit : vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre, ils comprirent qu’il leur fallait d’abord prêcher aux Juifs, ensuite en Samarie, et après aux Gentils.  Ce que Pierre se demandait donc c’était si le temps était arrivé de prêcher aux Gentils, et s’il leur serait permis de le faire advenant une occasion, avant d’avoir prêché par toute la Judée et la Samarie.  C’est ce doute que le Saint-Esprit lui a enlevé par la vision qu’il lui a donnée.  C’est pourquoi saint Cyrille (dans le livre 9 contre Julien) dit, expliquant cette vision : « Pierre a compris aussitôt que le moment était arrivé de transformer les ombres en vérité. »
Saint Pierre l’a vue aussi pour les autres, car il y avait beaucoup de pharisiens convertis à la foi en Jésus-Christ, qui estimaient qu’il ne fallait pas évangéliser les Gentils, et qui auraient reproché à Pierre de prêcher à Corneille, comme cela est arrivé (actes 11)
C’est donc pour que saint Pierre ait une excellente raison à présenter aux pharisiens qui s’y opposaient que Dieu lui a montré cette vision, comme l’explique justement saint Jean Chrysostome dans son homélie 42 sur saint Matthieu : «Il disait cela pour d’autres, pour préparer une justification contre les accusateurs. »  Et, (dans le commentaire de ce chapitre 10 des actes) : « Saint Pierre craignait-il de manger ? Loin de moi cette pensée. Tout cela a été fait par une dispensation divine, pour convaincre ceux qui le lui reprochaient. »

                                 CHAPITRE 17

On explique la première prérogative de saint Pierre par le changement de nom

Jusqu’à présent, nous avons présenté ce qui se rapportait à la promesse et à l’institution de la primauté de saint Pierre.  Maintenant, pour confirmer cette primauté, nous décrirons les diverses  prérogatives singulières de saint Pierre.  Nous le ferons, cela, d’autant plus volontiers que les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapt 10, col 558) se sont évertués à énumérer quinze péchés, et des lapsus horribles (ce sont eux qui parlent), de saint Pierre, qu’ils disent avoir été racontés dans les livres saints pour un motif divin, à savoir, pour que nous n’attribuions pas trop de privilèges à saint Pierre.  Mais, à l’exception de la négation du Christ, qui fut un grand péché, nul ne peut le nier, les quatorze autres ne sont pas des péchés horribles, mais des mensonges et des blasphèmes des magdebourgeois, comme nous le démontrerons par après.  Pour l’instant, opposons aux faux  14 crimes les vraies prérogatives.
La première prérogative est le changement de nom, car (en Jean 1), le Seigneur a dit à Pierre : « tu t’appelleras céphas ». Il nous faut observer, ici, avec saint Jean Chrysostome, que Dieu n’impose jamais de nouveaux noms sans de grands motifs. C’est pour signifier les privilèges concédés à ceux dont les noms sont changés. Il en fut ainsi d’Abraham.   Il s’appelait d’abord Abram, c’est-à-dire père élevé, mais Dieu a voulu qu’il s’appelât ensuite Abraham, c’est-à-dire père d’une multitude  (Genèse), pour signifier, par ce nom, que cet homme, déjà vieux, et sa femme, une aïeule stérile, serait tellement changé par le don de Dieu qu’il deviendrait le père de plusieurs fils, ou plutôt de plusieurs peuples et nations.
Dans ce changement de nom de Simon en Pierre, il y a deux prérogatives.  La première.  De tous les apôtres, seul Pierre a vu son nom changer.  Car, même si, en Marc 3, il a appelé boanerges les fils de Zébédée, il s’agit là d’un surnom plutôt que d’un nouveau nom.  En effet, les évangélistes ne leur donnèrent jamais plus ce nom par la suite. Ils ne disaient que : Jacques et Jean.  Mais Pierre, ils l’appellent presque toujours Pierre.   Saint Paul (Galates 2) nomme souvent Pierre, mais il ne l’appelle jamais autrement que Pierre ou Cephas.  Il parle souvent de saint Jean, mais ne l’appelle jamais Boanerges : il dit Jean tout simplement.

                             CHAPITRE 18

On explique la deuxième prérogative par la façon dont les évangélistes appelaient les apôtres.

La deuxième prérogative. Le nom que Jésus lui a donné signifie en syriaque pierre (cephas).  Saint Jérôme atteste (chapitre 2 de l’épitre aux Galates) que, en grec, le mot signifie tête (comme dans le livre deux contre Parmenius l’a annoté Optatus). De plus, c’est un des noms les plus célèbres du Christ.  Car aucun mot ne lui est plus souvent donné que le mot pierre. Voir Isaïe, 8 et 28, Daniel 2, psaume 117, Matt 21, Rom 9, 1, Cor. 10, Éphésiens 2, 1, Pierre 2 et ailleurs. C’est donc à Pierre seul que le Christ communique son nom, et ce nom par lequel il est lui-même signifié comme fondement et tête de l’Église universelle.  Que pouvait-il indiquer d’autre par là que sa volonté de faire de Pierre le fondement et la tête de l’Église comme son tenant lieu.
C’est donc avec raison que saint Léon le grand (dans son épitre 89 aux évêques de la province de Vienne) dit : « L’associant étroitement à lui-même, il a voulu lui donner le nom qui le caractérisait en propre quand il lui a dit : « Tu es la pierre ». Et (dans le deuxième sermon de l’anniversaire de son intronisation), il introduit Jésus parlant ainsi à Pierre : « Comme mon Père t’a manifesté ma divinité, je te fais connaître à mon tour ton excellence, parce que tu es la pierre. Bien que je sois moi-même la pierre inviolable, et la pierre angulaire, à laquelle aucune autre ne peut être substituée, tu es, quand même, toi aussi, la pierre, car c’est par ma force que tu es solidifié, de façon à ce que ce qui m’appartient en propre par ma puissance, soit possédé en commun avec toi par participation. »
Une autre prérogative de Pierre.  Quand les évangélistes nomment les apôtres, Pierre est toujours placé le premier.  Matt (10) : « Voici quels sont les noms des douze apôtres : le premier Simon, nommé Pierre. »  Nous lisons la même chose en Marc 3, Luc 6, Actes 1.  Cela n’a certainement pas été fait parce que saint Pierre avait été choisi le premier par le Christ, car c’est d’abord saint André que le Seigneur a appelé, comme le raconte saint Jean (chapitre 1).
Mais les magdebourgeois accourent qui (centurie 1, livre 2, chapitre 7, colonne 524) prétendent que saint Pierre a été appelé le premier à cause de dons particuliers, ou de son âge.  Non parce qu’il était le chef des apôtres mais le plus âgé.  Ils écrivent ( au chapitre 10, col 561) que c’est par hasard que saint Pierre ait été nommé le premier. Il fallait bien qu’il y en ait un, et le sort a voulu que ce soit Pierre.  Mais aucune de ces explications ne tient debout. La première d’abord.  Car, ou ils parlent des dons que Pierre a reçus en faveur de l’Église, de ce qu’il a reçu les clefs, de ce qu’il est le fondement de l’Église, et alors ils prêchent pour notre clocher, ou de ses dons personnels propres, c’est-à-dire de ses vertus. Alors, ce qu’ils disent est faux.  Car, l’évangéliste ne pouvait pas facilement savoir qui était le plus digne parmi les apôtres, et il n’aurait jamais osé  porter un jugement là-dessus, surtout quand il savait que saint Jean était vierge, et saint Pierre marié, et que saint Jean était aimé à ce point par Jésus qu’on l’appelait celui que Jésus aimait.  Il n’aurait pas ignoré, non plus que saint Jacques évêque de Jérusalem était réputé posséder une telle sainteté que tous l’appelaient le juste, et le frère de Jésus.
Ce qu’ils avancent sur son âge est en opposition avec les anciennes traditions.  Car Épiphane (hérésie 51, qui est celle des alogores), écrit : « André est accouru le premier, parce que Pierre était plus jeune que lui. »  Saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien) que saint Jean n’a pas été choisi chef des apôtres parce qu’il était encore un adolescent.  Mais que saint Pierre était le plus âgé de tous, il ne le dit pas.   Ajoutons que les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre 10 de la vie d’André) écrivent que saint André était probablement plus âgé que saint Pierre.
 Qu’il n’ait pas été nommé le premier par hasard, ou parce qu’il en fallait un, mais à cause de sa dignité, deux choses nous le font comprendre.  D’abord, à Pierre seul saint Matthieu donne le titre de premier. Les autres il les présente sans dire que l’un est le deuxième ou le troisième ou le douzième.  Il les nomme sans aucune considération de rang.  Saint Matthieu enseigne donc qu’entre Pierre et les autres, il y a une différence hiérarchique, que Pierre est supérieur aux autres.  Entre les autres, il n’établit aucun ordre, parce que tous sont égaux, comme le note saint Albert le Grand dans son commentaire de ce passage. Il écrit que, de ce mot premier, les pères ont déduit  la primauté dont les hérétiques haïssent tant le nom.  Car, comme le mot principauté vient de prince, le mot consulat de consul,  le mot primauté vient de premier.  C’est pourquoi saint Ambroise (2 Corinthiens 12) dit  : « C’est avant saint Pierre que saint André a suivi le Sauveur, mais ce n’est quand même pas lui qui reçut le primat, mais saint Pierre. » Et saint Augustin (dans son dernier traité sur saint Jean), enseigne, commentant ce passage : « Il est nommé le premier à cause de sa primauté apostolique. »  Il est certain qu’on ne parle pas de primauté pour quelqu’un qui est nommé en premier per hasard, mais qui est placé en premier parce que cela lui était du, et qu’il le méritait à cause de son rang et de son autorité.
 Deuxièmement, on le déduit de ce que l’ordre dans lequel on énumère les autres est modifiable, tandis que saint Pierre est toujours placé en premier. Car, Matthieu (10) met André après Pierre, Marc (2) Jacques après Pierre, Luc ( 6) André après Pierre.  Mais l’ordre dans lequel sont énumérés les autres est changé, car saint Matthieu a mis saint  Thomas avant lui, Luc a mis Matthieu avant Thomas, et Thaddée avant Simon le zélote.  Saint Luc dans les actes (1), place saint Jean après saint Pierre, et dans les autres on trouve aussi un grand changement.  Pour une raison semblable, quand on en nomme deux ou plusieurs, Pierre est toujours placé en premier. Marc (5) et Luc (8) : « Il ne permit à personne d’entrer avec lui hormis Pierre, Jacques et Jean ». Luc 22 : « Il envoya Pierre et Jean ». Matth 17 : « Il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean ». Marc 13 : « Pierre, Jacques, Jean et André l’interrogèrent. » Jean (à la fin) : « Étaient ensemble Simon Pierre, Thomas, Nathanaël, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples ».  Il est facile de constater que Pierre est toujours nommé le premier. Ce ne peut pas être par hasard.

 Il y a un seul texte où saint Pierre n’est pas nommé en premier : Galates 2.  Car, ce qu’on y lit c’est : « Jacques, Céphas et Jean ». Mais, il n’est pas certain que ce soit ce qu’a dicté saint Paul, car saint Ambroise, saint Augustin et saint Jérôme lisent ainsi le texte, et le commentent dans cet ordre : « Pierre, Jacques et Jean ».  Et saint Jean Chrysostome, dans son commentaire de ce passage, écrit : Pierre, Jacques et Jean, et indique que c’est ainsi qu’il l’a lu.  Il est donc possible que saint Paul se soit exprimé ainsi.
 Mais si nous admettons qu’il faille lire Jacques, Pierre et Jean, il faudra dire avec saint Anselme et saint Thomas que c’est parce que saint Jacques était évêque de Jérusalem, et que c’est dans cette ville que se trouvaient alors les apôtres. Ou qu’il a nommé les apôtres sans tenir compte de leur rang.  Car saint Paul savait très bien que saint Pierre était plus grand que saint Jacques :   l’épitre aux Galates (chapitre 1) nous le montre assez clairement.  C’est là qu’il dit que « au bout de trois ans, je suis venu à Jérusalem rencontrer Pierre ».  Il n’a pas dit qu’il était venu à Jérusalem pour rencontrer saint Jacques, qui état présent à Jérusalem à ce moment. Et saint Paul (1 Cor 1) : « Chacun dit : moi, je suis pour Paul, moi, pour Apollon, moi pour Céphas, moi pour le Christ ». Cette phrase avance en progressant, et Pierre est nommé juste avant le Christ.

 Non seulement Pierre est nommé en premier et occupe le premier rang, mais il est souvent décrit dans les Écritures comme le père de famille, le chef et le prince des autres.  Car, comme dans l’Apocalypse on parle du diable et de ses anges, de saint Michel et de ses anges, c’est-à-dire du chef et de ses soldats, de la même manière, on dit dans Marc (1) : « Pierre le suivit, et ceux qui étaient avec lui ».  Luc (9) : « Pierre dit et ceux qui étaient avec lui ». Marc (16) : « Dites à ses disciples et à Pierre ». Actes (2) : « Pierre étant là avec les onze ».  Au même endroit : « Pierre et les apôtres dirent ».  Saint Paul (1 Cor 9) : « N’avons-nous pas le droit de mener avec nous une femme sœur comme les autres apôtres, les frères du Seigneur, et Céphas ? »  Je demande :  Saint Pierre n’était donc pas un disciple ? Il n’était donc pas un apôtre ?  Pourquoi dit-on alors Pierre et les apôtres ?  N’est-ce pas parce qu’il est le premier et le chef des autres ?

                                   CHAPITRE 19
 On explique quatre autres prérogatives avec l’évangile de saint Matthieu.
 La troisième prérogative se trouve dans Matthieu 14 où seul Pierre marche sur les flots avec Jésus.  Voici comment parle de cette prérogative saint Bernard (au livre 2 de la considération) : « Il désigna comme son seul vicaire celui qui, comme lui, marchait sur les flots, celui qui devait présider non sur un seul peuple, mais sur tour l’univers, comme les grandes eaux représentent les nombreux peuples. »  Semblable est ce que raconte saint Jean (21).  Alors que les autres disciples venaient en bateau vers Jésus qui attendait sur la grève, Pierre se jeta à l’eau, et se dirigea vers Jésus en nageant. Ce qui fait dire à saint Bernard : « Qu’est-ce donc ? C’est le signe du pontificat singulier de Pierre, par lequel ce n’est pas un seul navire que, comme les autres, il avait à gouverner, mais tout l’univers. Car, la mer est comme l’univers, les bateaux, comme les églises. »
 La quatrième prérogative est la révélation particulière faite à Pierre seul (en Matt 16). Car c’est, pour Pierre, un privilège insigne d’avoir été le premier de tous les apôtres à avoir appris de Dieu les mystères suprêmes de notre foi, c’est-à-dire, la distinction des personnes en Dieu, et l’incarnation. Car, même si, auparavant,  le Christ a été souvent appelé fils de Dieu, comme quand les apôtres dirent en Matt 14 : « tu es vraiment le fils de Dieu, ou quand Natanaël s’exclama : « tu es le fils de Dieu », ils appelaient le Christ fils de Dieu de la même manière qu’on appelait les saints fils de Dieu.  Mais saint Pierre a compris que le Christ était le Fils naturel de Dieu.  C’est le texte grec qui nous confirme dans cette voie, par l’emploi des articles.  Et aussi la magnifique approbation du Seigneur : « Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, car ce n’est ni la chair ni le sang qui t’a révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. »  Ainsi que les témoignages des pères.
 Car saint Hilaire (dans le psaume 131) appelle Pierre le premier confesseur du Fils de Dieu.  Et (au livre 6 de la trinité), il enseigne que saint Pierre avait dit des paroles qu’aucune bouche humaine n’avait jamais prononcées. Et (au chap 16 de saint Matthieu), il écrit  que saint Pierre a été digne de connaître, le premier,  la divinité du Christ.  Et saint Athanase (dans le sermon 4 contre les Ariens) affirme que saint Pierre a été le premier de tous à connaitre la divinité du Christ, avant tous les autres disciples.  Disent des choses semblables saint Jean Chrysostome (Matt chap 16), saint Cyrille (livre 12 sur Jean, chapitre 64), saint Augustin (sermon 124), et saint Léon 1 (sermon sur la naissance au ciel de saint Pierre et de saint Paul.
 La cinquième prérogative est en Matthieu 16, où il est dit : « les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. »  Par ces paroles sont promises non seulement la stabilité de l’Église universelle, mais celle de la pierre sur laquelle est fondée l’Église, comme le note Origène.  Il a donc été promis à Pierre, par un privilège tout spécial,  que son siège ne serait jamais détruit.  Si les autres apôtres avaient eu cette promesse, eux aussi, Jérusalem, le siège de saint Jacques,  serait encore debout, Éphèse, le siège de saint Jean, celui de Matthieu en Éthiopie, d’Andrée en Scythie.  Les portes de l’enfer ont fini par prévaloir sur tous ces sièges. Voilà pourquoi saint Augustin parle ainsi aux donatistes : « Énumérez les pontifes à partir du siège de Pierre, car c’est elle la pierre que ne vaincront point les portes de l’enfer. »
 La sixième est de Matthieu 17 où le Seigneur paie le tribut pour lui et pour Pierre : « Donne-le leur pour moi et pour toi. »  Les apôtres déduisirent de ces paroles que saint Pierre était placé avant tous les autres, comme l’écrivirent Origène, saint Jean Chrysostome.   Et saint Jérôme (chapitre 16 de Matt), affirme, en plus de saint Jean Chrysostome, que, dans ce passage, saint Pierre est placé avant tous les autres, et est honoré si grandement par le Seigneur qu’il n’a pas voulu que saint Marc raconte cet épisode.  Car, saint Marc, dans son évangile, rapporte tout au long la négation de saint Pierre, mais il omet ou raconte brièvement tout ce qui est à son honneur.  On ne peut trouver d’autre explication à cela que c’est parce que saint Pierre l’a voulu ainsi.
 L’auteur des questions sur l’ancien et le nouveau testament (que nous trouvons dans le tome 4 des œuvres de saint Augustin) dit (question 75) que, pour payer le tribut, le Seigneur a donné deux didrachmes, un pour lui, et un pour Pierre, parce que, aussi bien dans le Christ que dans Pierre, tous étaient contenus : « Il l’a établi leur tête pour qu’il soit le pasteur du troupeau dominical. »   Et saint Jérôme (chapitre 18 de Matthieu)  après avoir dit que les apôtres avaient déduit de ce geste la principauté future de Pierre, ajoute tout de suite après : « Comprenant la cause de l’erreur, le Seigneur veut guérir le désir de la gloire par une démonstration d’humilité. »  Les apôtres se trompèrent donc quand ils estimèrent que Pierre était le chef.
 Je réponds que les apôtres se sont trompés non parce qu’ils ont deviné, par là, que saint Pierre serait leur chef, mais parce qu’ils rêvaient d’une principauté temporelle.  Ils ne pensaient pas, à ce moment-là qu’autre chose leur était promis, même s’ils avaient entendu bien des paraboles sur le royaume du Christ.   Cette erreur le Seigneur l’a corrigée souvent, avertissant les chefs de l’Église qu’ils ne devaient pas être semblables aux rois des nations, et qu’ils devaient se préparer, dans ce monde, à des persécutions et à la mort, et ne pas rechercher l’honneur et la gloire.
                                    CHAPITRE 20
            On explique trois autres prérogatives avec l’évangile de saint Luc
 La septième prérogative, on la tire du chapitre 5 de saint Luc, et de Jean 21, où on présente deux miracles accomplis pendant la pêche de saint Pierre.  Le premier des deux désigne l’église militante, comme l’explique saint Augustin (dans son traité 122 sur Jean). Le second, l’Église triomphante, car l’un a été fait avant la résurrection, l’autre après. De même, dans le premier miracle, les filets n’ont pas été jetés uniquement à droite ou uniquement à gauche, pour que ne croyons pas que seuls les bons ou seuls les mauvais viennent à l’Église.  Non, car il a été dit sans plus de précision : « Lancez vos filets pour capturer des poissons. »  Mais dans le second, les filets n’ont été jetés qu’à la droite du bateau de pêche, parce que seuls les bons sont ramassés pour la vie éternelle.
 De plus, dans le premier miracle, les filets se rompirent, et le navire enfonçait dans l’eau, pour signifier les schismes, les hérésies et les scandales qui font tanguer l’Église.  Mais, dans le second, le filet ne s’est pas rompu, comme le note explicitement l’évangéliste, qui avait encore à la mémoire la première pêche miraculeuse, et le navire n’enfonçait pas, car, dans l’autre vie, il n’y aura ni schisme ni scandale.
 Encore d’autres détails.  Dans le premier miracle, on prend les poissons sans les compter, pour que soit réalisé ce qui avait été écrit : « J’ai annoncé, j’ai parlé,  et ils se sont multipliés en surnombre ».  Mais dans le deuxième miracle, il n’y eut pas d’excédent, mais un chiffre précis 153, car personne ne peut être ramassé pour le royaume de Dieu au-delà du nombre des élus.  Ensuite, dans le premier miracle, les poissons entrent dans le navire encore battu par les flots.  Dans le second miracle, ils sont apportés au rivage, lequel, à cause de sa stabilité, désigne la vie immortelle et bienheureuse.  C’est donc une prérogative insigne de saint Pierre que dans chaque navire et chaque pêche, qui se rapportent clairement à la condition de l’Église, c’est toujours Pierre qui est le chef.  Car, en Luc 5, quand le Seigneur vit plusieurs navires, il entra dans un seul qui était celui de Simon pour y enseigner, pour que nous comprenions que le Seigneur n’est et n’enseigne que dans l’Église gouvernée par Pierre.
 Saint Ambroise (sermon 11) dit  : «Le Seigneur entre dans le seul navire de l’Église où saint Pierre est établi maître. »  De même, c’est à Pierre seul qu’il a été dit : « Va au large, et lâchez vos filets pour la capture de poissons. »  Dans cet épisode,  saint Pierre reçoit de Jésus des ordres comme suprême nautonier, et comme un pêcheur qui conduit les autres à la pêche.  Au même endroit, le Seigneur dit à Pierre en figure : « Ne crains pas. À partir de ce moment, ce sont des hommes que tu attraperas. »  On trouve la même chose en Jean 21. Pierre dit : « Je vais pêcher. Et les autres lui dirent : nous venons avec toi. » Au même endroit : « Simon Pierre monta, et tira le filet sur le rivage. » Que peuvent bien signifier d’autre ces figures sinon  que Pierre est celui qui amène les hommes du monde à la foi et à l’église militante, et qui, en les régissant et les gouvernant, les conduit à l’Église triomphante.
 La huitième est de Luc 22, où le Seigneur dit : « Simon, Simon, voici que Satan a demandé de vous cribler comme le froment, mais moi, j’ai priai pour toi, pour que ne défaille pas ta foi ».  Par ces paroles, le Seigneur montre clairement  que saint Pierre sera le chef et la tête de ses frères.  C’est de cette façon que commentent ce texte les Grecs et les Romains.   Théophylacte : « Parce que je te vois comme le prince de mes disciples, après avoir pleuré pour m’avoir renié, confirme les autres.  Car, c’est ce qui te convient, toi qui, après moi, es la pierre et le fondement de l’Église. » Saint Léon (sermon 3 sur l’anniversaire de son intronisation) : « Il prie en particulier pour la foi de Pierre pour que soit plus certain l’état des autres, si l’esprit du premier n’est pas vaincu. »
 La neuvième est que, après sa résurrection, le Christ s’est montré en premier lieu à Pierre. On l’apprend par ces paroles de saint Luc (24) : « Le Seigneur est vraiment ressuscité, et il est apparu à Simon ».  Saint Ambroise écrit en note que c’est à Pierre que le Christ est apparu avant tous les hommes, et même avant Marie Madeleine, comme saint Marc l’écrit dans le dernier chapitre. On l’apprend aussi de ces paroles de saint Paul (1 Corinthiens, 15) « Je vous ai livré en premier lieu ce que j’ai reçu, que le Christ est mort, qu’il a été enseveli, et qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures, qu’il a été vu par saint Pierre, et ensuite par les onze. Il est apparu aussi à plus de cinq cents frères.  Il a ensuite été vu par Jacques et par tous les apôtres, et par moi, en dernier lieu, comme à un avorton. « Saint Jean Chrysostome a ceci à dire sur ce texte : « Il n’a donc pas été vu par tous au début, mais par un seul d’abord, celui qui était le chef et le plus digne. »  Et plus bas : « Il apparait donc en premier lieu à Pierre.  Car, celui qui a été le premier à le confesser, n’a pas été pour rien le premier à le voir ressuscité. » Theophylactus dit des choses semblables dans son commentaire de ce texte.
                                          CHAPITRE 21
 On en explique deux autres tirées de l’évangile de saint Jean

 La dixième prérogative consiste en ce que saint Pierre fut le premier à qui Jésus lava les pieds, comme l’expose saint Augustin au chapitre 13 sur saint Jean. Et même si saint Jean  Chrysostome et Theophylactus prétendent que Judas fut le premier, et Pierre le second, ils découvrent quand même dans ce texte la primauté de saint Pierre, car ils disent qu’aucun autre apôtre n’aurait osé se présenter avant saint Pierre, et que c’est par orgueil et effronterie que Judas a brigué le premier rang.  Mais l’opinion de saint Augustin semble la meilleure.
 La onzième vient de saint Jean où à Pierre seul le Christ prédit la mort, et la mort de la croix, pour que, comme il lui avait donné son nom (pierre), et lui avait imposé de remplir sa charge, il l’ait pour associé et compagnon dans la mort : (saint Jean 21) : « Quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te conduira là où tu ne veux pas.  Il a dit cela, ajoute l’évangéliste, annonçant par là par quelle mort il allait glorifier Dieu. »  Au même endroit, le Seigneur continue en parlant à Pierre : « Suis-moi! »  Ces paroles quelques-uns les interprètent au sens d’une charge apostolique, comme Theophylactus, qui commente ainsi : « En disant suis-moi, je t’envoie prêcher, et je remets toute la terre entre tes mains. » D’autres y voient une allusion à la mort, comme Euthymius qui dit : « Suis-moi, c’est-à-dire imite-moi en souffrant le supplice de la croix. »
 L’explication sera plus globale si nous retenons l’un et l’autre commentaire.  Car, comme le Seigneur avait confié ses brebis à Pierre, et lui avait prédit son genre de mort, il lui dit pour tout conclure en un mot : « suis-moi », c’est-à-dire, sois ce que je suis, en vivant et en mourant. Prend soin des âmes tant que tu vivras, et après, par la mort de la croix, passe de ce monde au Père.  Et pour que n’allions pas nous imaginer qu’il ait dit cela à tous, il exclut explicitement saint Jean qui le suivait alors corporellement : « Si je veux qu’il demeure, que t’importe ! Toi, suis-moi! »
                                CHAPITRE 22
 On explique neuf autres prérogatives tirées des actes des apôtres et de l’épitre aux Galates
 La douzième prérogative vient des actes 1 où saint Pierre, comme un père de famille, rassemble tous les disciples, et enseigne qu’il faut en élire un autre pour remplacer Judas.  Voici comment saint Jean Chrysostome commente ce passage : « Oh ! Comme il comprend, Pierre, que le troupeau lui a été confié !  Comme il agit en chef dans cette assemblée formée d’apôtres et de disciples ! » Oecumenius : « C’est Pierre qui se lève, non Jacques, comme celui à qui il  a été donné de présider l’assemblée chrétienne. Et personne ne prend la parole pour exprimer une opinion contraire, mais tout de suite après sa décision, on en choisit deux qu’on estimait les plus dignes de remplir ce rang, pour que Dieu élise l’un d’entre eux. »
 La treizième vient des actes des apôtres (2) où, après avoir reçu le Saint-Esprit, saint Pierre est le premier à promulguer l’évangile.  Et dans ce premier sermon, il en convertit trois mille.  Saint Jean Chrysostome sur ce passage : « Pierre était la bouche de tous, mais les autres étaient là debout, approuvant par des signes de tête, tout ce qu’il disait. »  La quatorzième, vient aussi des actes (3) : c’est Pierre qui fait le premier miracle pour témoigner de sa foi.  Car, même si saint Pierre et saint Jean étaient ensemble, c’est Pierre seul qui a dit au boiteux : »Je n’ai ni or ni argent, mais, ce que j’ai je te le donne ».  Saint Ambroise note joliment que ce n’est pas sans raison que le premier miracle ait été fait pour fortifier des pieds, afin de montrer qu’il était le fondement de toute l’Église.
 La quinzième vient des actes (5) où saint Pierre, comme un juge divin suprême, reconnait et condamne l’hypocrisie d’Ananie et de Saphyr, et les tue par sa parole.   La seizième vient des Actes (9) où nous lisons : « Il est arrivé, quand saint Pierre passait au milieu de tous. » Voici ce qu’a à dire de ce texte saint Jean Chrysostome : « Comme un chef militaire qui examine en marchant la partie qui est bien ordonnée, celle qui a besoin de son intervention, regarde-le tournoyer partout, et être toujours à la disposition de tous. »  La dix-septième vient des Actes (10) où saint Pierre est le premier de tous à prêcher aux Gentils, comme il avait été le premier à prêcher aux Juifs.  Et c’est à lui seul qu’a été montrée la vision qui lui faisait comprendre que le temps de prêcher aux Gentils était arrivé. C’est à lui qu’il est dit :  « courage, et mange ».  Car, c’est à la tête qu’il revient de manger, et, par la manducation, d’apporter la nourriture dans l’estomac, de se l’incorporer.  Cette image signifie que c’est à Pierre qu’il revient, en tant que tête de l’Église, de convertir les infidèles, et de les rendre membres de l’Église.
 Mais tu me feras l’objection suivante :  Aux actes 8, le diacre Philippe n’avait-il pas converti un païen, l’eunuque de la reine d’Éthiopie ? Et, dans les actes (9), saint Paul ne parlait-il pas avec les Gentils, et ne discutait-il pas avec les Grecs ?  Comment peut-on donc dire que saint Pierre a été le premier à prêcher aux Gentils ?  Je réponds que l’eunuque en question était un prosélyte, qu’il était donc converti au judaïsme.  Il n’était donc pas un vrai païen, comme l’était Corneille. Car, Pierre ne ment pas (actes 15)  quand il dit avoir été le premier à prêcher aux Gentils.  Ensuite (actes 11), saint Luc écrit que ceux qui avaient été dispersés par la persécution qui suivit la mort de saint Étienne, ont parcouru diverses régions en évangélisant, « ne prêchant la parole à personne d’autre qu’aux Juifs. »  Que saint Philippe ait été un de ceux-là, saint Luc (actes 8) nous le fait comprendre.  De plus, si le diacre Philippe avait déjà prêché à un Gentil sans que personne ne lui fasse de reproche, pourquoi saint Pierre se demandait-il si le temps de prêcher aux Gentils était arrivé.  Pourquoi y a-t-il été poussé par une vision ?  Pourquoi certains furent-ils scandalisés, pourquoi d’autres l’accusèrent-ils d’avoir osé ce que personne n’avait jamais tenté ?  Ajoutons, que cet eunuque allait au temple de Jérusalem pour prier, qu’il lisait Isaïe dans son char,  tous signes certains de judaïsme.
 De plus, saint Jérôme (dans son épitre à Salvina, parlant de Corneille) écrit : « Le premier baptisé par l’Apôtre fut la dédicace du salut des Gentils. »  Et saint Jean Chrysostome (dans son homélie 22 sur les Actes, parlant de Corneille) : « Tu vois où se trouve le début des Gentils ? D’un homme pieux jugé digne par ses œuvres. »  S’il y a des Pères qui disent que l’eunuque baptisé par le diacre Philippe était un Gentil, c’es qu’ils ne considèrent pas sa religion, mais sa nationalité.
 Au sujet de saint Paul, les codex grecs n’offrent aucune difficulté. Car, on ne lit pas en grec : il parlait aux Gentils, mais « il parlait et disputait contre les Grecs ».  Ceux que saint Luc appelle ici Grecs ce sont des Juifs nés en Grèce et parlant le grec, comme l’indiquent saint Jean Chrysostome et Oecumenius.  Il n’est pas non plus vraisemblable que saint Paul ait prêché aux Gentils dans la ville de Jérusalem.  Et on ne parle d’aucun soulèvement suscité par les Juifs, par  ceux qui, par la suite, ont protesté avec tant de véhémence contre saint Pierre, parce qu’il avait prêché à Corneille.    Parce que les codex latins ont : «  il parlait avec les Gentils, et il disputait avec les Grecs », on peut penser qu’il leur parlait et qu’il disputait avec eux non pour les attirer à la foi, mais pour défendre la foi contre leurs calomnies.  C’est pourquoi, le même saint Luc ajoute que non seulement ils ne s’étaient pas convertis, mais que la haine qu’il avait allumée en eux était si forte qu’ils cherchèrent à le tuer.  Saint Pierre fut donc autant le premier père des Gentils que  le père des Juifs.
 La dix-huitième vient des actes (12) où l’on voit que toute l’Église était en prière sans arrêt à cause de l’incarcération de saint Pierre.  Et c’est par un miracle insigne qu’il fut libéré.  Nous savons qu’avant ce temps, saint Étienne a été en danger, et qu’il fut ensuite lapidé.  Nous savons aussi que saint Jacques a été emprisonné, et ensuite tué.   Mais nous ne lisons pas que l’Église ait prié sans interruption pour lui, comme elle l’a fait pour saint Pierre. Quelle raison peut-on donner à cette diversité de comportement, si ce n’est que la perte de la tête est plus importante que celle d’un membre. C’est pourquoi saint Jean Chrysostome commente ce texte en disant : « C’est le signe d’un grand amour, cette prière. Tous suppliaient le Père. »
 La dix-neuvième se trouve dans les actes 15.  Pierre est le premier à parler au concile de Jérusalem, et saint Jacques et les autres apôtres se sont rangés  à son opinion, comme saint Jérôme l’enseigne dans son épitre à saint Augustin (la onzième parmi les épitres de saint Augustin), ainsi que Théodoret (dans son épitre à saint Léon, au sujet de la même chose) : « Paul, héraut de la vérité, trompette du Saint-Esprit, accourut au grand Pierre, pour, par sa décision, fermer la bouche de ceux qui, à Antioche, voulaient imposer aux païens convertis toutes les prescriptions cérémoniales ».  La vingtième vient des Galates 1 où saint Paul dit : « Après trois ans, je suis monté à Jérusalem voir Pierre ». Oecumenicus dit que saint Paul est monté à Jérusalem pour aller voir un supérieur, Pierre.  Saint Jean Chrysostome (homélie 87, sur saint Jean) : « Il était la bouche et le prince des apôtres.  C’est pour cela que saint Paul est monté à Jérusalem pour rencontrer saint Pierre à part. »  Saint Ambroise (chapitre 1 aux Galates) : « Aller voir Pierre était une chose qui s’imposait, car il était le premier des apôtres, et c’est à lui que le Seigneur avait remis le soin de l’Église. »  Saint Jérôme (dans son épitre à saint Augustin déjà citée, 89 : « Pierre fut d’une telle autorité que saint Paul l’a écrit dans une de ses épitres, et est allé le voir à Jérusalem au bout de trois ans »

                                 CHAPITRE 23
On propose d’autres prérogatives provenant de différents auteurs
Jusqu’à présent, c’est de l’Écriture que nous avons tiré nos prérogatives.  Nous en ajouterons douze autres que nous irons chercher chez différents auteurs.  La vingt-et-unième prérogative consiste en ce que le Seigneur n’a baptisé de ses mains que le seul Pierre. C’est ce qu’écrit Évode, successeur de saint Pierre à son évêché d’Antioche.  Dans l’épitre qui porte le nom de la lumière, on nous explique que, parmi les femmes disciples, seule la mère de Jésus a été vierge; que parmi les hommes, seul Pierre a été baptisé par le Christ; André, Jacques et Jean, par Pierre;  les autres par ces derniers. C’est ce que rapportent Euthymius (chapitre 23 sur Jesn), et Nicéphore (livre 2 de son histoire, chapitre 3).
La vingt-et-unième est que seul saint Pierre a été sacré évêque par Jésus-Christ. Et c’est de saint Pierre que les autres apôtres auraient reçu leur consécration épiscopale.  C’est ce que démontre Jean de Turrecremata( livre de sur l’Église, chapitre 32) par plusieurs raisonnements, dont voici les deux principaux. Le premier.  Le Seigneur n’a ordonné aucun évêque, ou les a ordonnés tous, ou quelques uns seulement, ou un seul.   On ne peut pas dire qu’il n’a ordonné personne, car, s’il en était ainsi, nous n’aurions aucun évêque, puisque personne ne peut donner à autrui ce qu’il n’a pas. En  effet, un non évêque ne peut pas sacrer un évêque.  Si le Seigneur n’a ordonné personne, il n’a donc pas ordonné non plus saint Pierre.  Qui donc a ordonné Pierre et les autres ? Il est évident que tous les apôtres n’ont pas pu être directement ordonnés par le Christ.
Il n’a certainement pas ordonné Mathias, celui qui a remplacé Judas. Il n’a certainement pas non plus ordonné saint Paul qu’il avait appelé du haut du ciel et qu’il avait fait apôtre.  Qu’il ait reçu l’ordre d’être ordonné par l’imposition des mains des ministres de l’Église, cela ressort des actes des apôtres (13) et d’une lettre de saint Léon à Dioscorus (81 dans ses œuvres, et 79 dans les tomes des conciles). Parlant de l’ordination des évêques, ce pape présente l’exemple de saint Paul.  Saint Jean Chrysostome, commentant ce passage des actes, dit que le signe que l’ordination de saint Paul fut véritable est qu’il changea de nom. Car tout de suite après, on ajoute Saül dit Paul.  Ensuite, que Jacques le frère de Jésus, un des douze, ait été ordonné évêque de Jérusalem par les apôtres Anaclet l’enseigne dans son épitre 2, où il écrit qu’un évêque doit être ordonné par trois évêques, comme saint Jacques a été ordonné par Pierre Jacques et Jean.
Clément d’Alexandrie raconte, lui aussi, d’après Eusèbe de Césarée (livre 2, chapitre 1 de son histoire de l’Église) que Jacques, le frère de Jésus, a été ordonné évêque par saint Pierre, saint Jacques et saint Jean. Saint Jérôme écrit la même chose (dans ses hommes illustres, Jacques) : « Tout de suite après la passion du Seigneur, saint Jacques a été ordonné évêque de Jérusalem par les apôtres. »  On ne peut pas dire non plus que ce Jacques n’était pas un des douze  apôtres, car saint Jérôme s’y oppose formellement dans son livre contre Helvidius, ainsi que nous même, comme nous l’avons montré ailleurs, car il s’ensuivrait que l’Église ne ferait jamais mémoire d’un des apôtres.  Il est facile de démontrer que le Seigneur n’a pas pu en ordonner seulement quelques-uns, parce que, à l’exception de saint Pierre, ils étaient tous égaux entre eux, et nul n’avait un droit sur un autre,  et tout le pouvoir, qui leur avait été remis, leur avait été donné à tous ensemble. Si on ne peut pas dire que le Seigneur n’a ordonné personne, ni non plus qu’il les a tous ordonnés ou qu’il n’en a ordonné que quelques-uns, saint Pierre a donc été ordonné par lui.
La deuxième raison.  Les anciens enseignent souvent que l’Église de Rome est la mère de toutes les églises; que c’est d’elle que tous les évêques reçoivent leur consécration et leur dignité.  Cela ne peut être vrai que si saint Pierre, qui a été évêque romain, a effectivement ordonné les apôtres et tous les autres évêques par lui-même ou par d’autres.  Car, puisque  tous les apôtres ont consacré plusieurs évêques dans différents lieux, il s’ensuivrait, si les apôtres n’avaient pas été faits évêques par saint Pierre, que la plus grande partie des évêques ne devrait pas son origine à saint Pierre. Alors, pourquoi le pape Anaclet dit-il dans son épitre 1 : « Dans le nouveau testament, après le Christ, c’est par Pierre que commence l’ordre sacerdotal. »  Car, il ne peut pas parler de l’ordre des prêtres, car il appert que, à la dernière cène, tous les apôtres ont été ordonnés prêtres ensemble. Il parle donc de l’ordre des évêques. Il ne peut pas dire qu’ils ont commencé par Pierre, si tous les apôtres ont tous été consacrés directement par le Seigneur.
Pourquoi aussi saint Cyprien dit-il (livre 4, épitre) que l’Église romaine est « la matrice et la racine de toute l’Église catholique » ? Pourquoi Innocent 1 dit-il (dans l’épitre au concile de Carthage, 93, dans les épitres de saint Augustin) : « L’épiscopat et toute l’autorité de ce nom émane de Pierre. » De même, ce qu’il a écrit (dans un épitre au concile de Milet, 93, dans les œuvres de saint Augustin) : « À chaque fois qu’on réfléchit sur la foi, j’estime que tous nos frères, nos co-évêqes, doivent reconnaître saint Pierre comme l’auteur de leur nom et de leur dignité. »  Pourquoi le pape Jules 1 (dans son épitre 1 aux Orientaux) a-t-il dit : « Cette faute, vous ne pourriez pas la commettre,  si le siège de Pierre d’où vous avez reçu les honneurs de la consécration, et où vous avez puisé la loi de toute l’observance, qui est pour nous une mère sacerdotale,  était aussi la maîtresse de la doctrine ? »  Pourquoi saint Léon (dans le sermon 2 de l’anniversaire de son couronnement) a-t-il dit : « Si le Seigneur a voulu que les autres apôtres aient quelque chose en commun avec lui, ce n’est jamais que par lui qu’il a donné ce qu’il n’a pas refusé aux autres. »
Et dans l’épitre 89 : « Le Seigneur a voulu que le sacrement de cette fonction appartienne à tous les apôtres, mais de façon à placer principalement cette charge dans le  bienheureux Pierre, le chef suprême des apôtres, pour que ce soit comme de sa tête que ses dons se répandent dans tout le corps. »   Mais certains nous objectent ceci. L’épiscopat est inclus dans l’apostolat.  Autrement,  ne serait pas vrai ce qu’Anaclet dit :(épitre 2) que les évêques succèdent aux apôtres.  Or c’est le Christ, non Pierre, qui a fait tous les apôtres.  C’est donc le Christ qui a ordonné les apôtres, et non Pierre.  Ce qui est dit dans le psaume s’applique à Juda : « qu’un autre reçoive son épiscopat ». Or Juda ne fut pas ordonné évêque par Pierre.  Donc, Pierre  ne les a pas tous ordonnés.
Je réponds que l’épiscopat est contenu dans l’apostolat, et que les évêques succèdent aux apôtres (car le Seigneur a élu douze disciples, et il les a nommés apôtres, avant même de les faire prêtres, encore moins avant qu’ils soient évêques.  Car, c’est à l’apostolat qu’appartient le droit de prêcher, à laquelle fut unie une vaste juridiction, laquelle ne peut pas exister dans les non évêques). Et j’ajoute que tous les apôtres furent des évêques, et même les premiers évêques de l’Église, même s’ils n’ont pas été ordonnés par le Christ, mais par Pierre.
Au sujet de Juda, je réponds que ce qu’on appelle épiscopat dans le psaume 108, n’est pas vraiment ce que nous appelons aujourd’hui épiscopat, mais une préfecture quelconque. Le mot hébreu, en effet, signifie visite ou préfecture.  Et il est croyable que saint Pierre ait cité ce psaume en hébreu, et qu’il lui ait donné un sens accommodatif.  Saint Luc, qui écrivait en grec, a suivi les septante. Ce sont eux qui traduisirent : tèn épiscopèn, épiscopat.  Par ce mot, les traducteurs ne pouvaient entendre qu’une préfecture, car, en leur temps, l’épiscopat proprement dit n’avait pas encore été institué. Ajoutons que Cicéron lui-même emploie ce mot dans sa lettre 7 à Atticus, quand il dit qu’il a été établi par Pompée préfet (episcopus) de toute la Campanie.
On peut répondre que ce psaume parle de l’épiscopat proprement dit, non de ce que Judas avait, mais de ce  qu’il aurait eu, s’il n’avait pas trahi le Seigneur.   La vingt-troisième est à l’effet que c’est saint Pierre qui, le premier, a détecté le premier hérétique, le prince et le père de tous les autres qui vinrent après lui, Simon le magicien (actes 8), qui le condamna et qui l’anéantit.  Car il convenait, en effet, que ce soit le prince et le père de l’Église qui l’emporte  sur le prince et le père de tous les hérétiques. C’est saint Irénée (livre 1, chap 20, et livre 3, au début) qui dit que Simon a été le père de tous les hérétiques.   Puisque Jean Calvin (institutions, livre 4, chapitre 6, verset 15) considère l’affrontement de saint Pierre et de Simon le magicien comme une fable absurde, citons des témoignages anciens.  C’est ce que rapportent Égisippe (livre 3 de la destruction de Jérusalem, chapitre 2) et saint Clément (livre 6 de la constitution apostolique, chapitres 7, 8,9, où est racontée toute l’histoire.
De même Arnobe (livre 2, contre les Gentils) : « Dans cette ville seigneuriale  de Rome elle-même, se trouvaient aussi des hommes de Numa adonnés à la pratique des anciennes superstitions.  Ils ne refusèrent cependant pas d’abandonner leurs croyances paternelles, et d’adhérer à la vérité chrétienne quand le chariot igné de Simon le magicien fut  dissipé par la bouche de Pierre, et s’évanouit   au nom du Christ.  Car ils virent de leurs propres yeux celui qui se confiait dans les faux dieux être trahi par ceux qu’ils craignaient eux-mêmes, s’écrouler sous son poids, gisant par terre, les membres fracassés. »    Racontent la même chose saint Damase, (dans sa vie de Pierre), saint Cyrille (dans sa catéchèse 6), Épiphane (hérésie 21), Théodoret (livre 1 des hérésies et des fables), Saint Ambroise (discours contre Auxence), saint Jérôme (livre des hommes illustres, à Simon Pierre), Sulpice (livre 2, de son histoire, chapitre 13), saint Grégoire de Tours (livre 1 de son histoire, chapitre 25), Eusèbe (livre 2 de son histoire, chapitre 13), Maxime (dernier sermon sur saint Pierre et saint Paul), saint Augustin, qui dit ceci (dans le livre sur les hérésies, chapitre 1) : « Dans la ville de Rome, saint Pierre, avec la vraie vertu du Dieu tout-puissant, réduisit à rien Simon le magicien. »
Voici ce qu’explique le même saint Augustin (dans la lettre 86 à Casulanum) : « C’est l’opinion d’un grand nombre, bien qu’elle soit considérée comme fausse par la plupart des romains, que devant combattre le dimanche avec Simon le magicien, saint Pierre, en raison du péril que représentait cet affrontement, avait jeuné la veille avec l’Église de Rome; et que , à cause de la victoire honorable et glorieuse qu’il remporta, elle adopta cette coutume, que certaines églises occidentales imitèrent. »  Il ne veut pas dire qu’il était incertain que saint Pierre ait eu à lutter avec Simon le magicien, comme le pensait Calvin, que ce fut cela la cause du jeune du samedi.  Car, même si les auteurs cités s’entendent tous pour rapporter que saint Pierre a livré un combat spirituel avec Simon le magicien, quelques-uns précisent que cet affrontement épique se produisit un dimanche, et que la veille il n’y eut pas de jeune; que ce n’est donc pas pour cette raison qu’on jeune à Rome le samedi.  Car c’est de cela que s’enquiert saint Augustin dans la lettre.
 La vingt-quatrième consiste en ce que saint Pierre, sur l’ordre de Dieu, a établi à Rome le siège suprême. Les apôtres ont été envoyés un peu partout dans le monde, et saint Pierre à la tête et la ville reine de l’univers.  C’est un signe évident de la principauté de saint Pierre. C’est ce qu’enseigne également saint Léon (semon 1 sur la naissance au ciel de saint Pierre et de saint Paul) : « Car, quand les douze apôtres, ayant reçu du Saint-Esprit la connaissance de toutes les langues, entreprirent d’évangéliser le monde, se répartirent les diverses provinces de la terre, le prince des apôtres, Pierre, fut destiné à la forteresse de l’empire romain, comme une lumière de vérité, qui révèle le salut à toutes les nations.   Elle serait ainsi, par la tête, répandue avec plus d’efficacité sur tout le corps. » Et Maxime (sermon 1 sur la naissance au ciel de saint Pierre et de saint Paul) : « Là où le monde avait la tête de l’empire, c’est là qu’il plaça les princes de son royaume. »  Mais nous en parlerons encore davantage dans la question suivante.
La vingt-cinquième consiste en ce que, à la fin de la vie de saint Pierre, le Christ lui ait apparu et qu’il lui ait demandé : « Où vas-tu, Seigneur ? »; et que le Christ lui ait répondu : « Je vais à Rome pour être crucifié de nouveau. »  C’est ce qu’attestent Égésippe (livre, sur la destruction de Jérusalem) et saint Ambroise (dans son discours contre Auxence).  Voici ce que rapporte saint Ambroise à ce sujet : « Pendant la nuit, il commença à sortir des murailles, et voyant le Christ venir vers lui à la porte, il lui dit : « Seigneur, où vas-tu ? » Et le Christ lui a répondu : « Je vais à Rome pour être crucifié de nouveau. »  Pierre comprit que la réponse divine se rapportait à sa propre croix.   Saint Athanase, dans l’apologie de sa fuite, indique la même chose, bien que moins clairement. Il écrit : « Quand saint Pierre entendit dire qu’il fallait qu’il subisse le martyre à Rome, il n’a pas rejeté cette perfection, mais il vint à Rome avec joie. »  Enfin, saint Grégoire rapporte la même chose (dans son explication 4 du psaume de la pénitence) : « Il a dit à Pierre : je viens à Rome pour y être crucifié de nouveau.  Celui qui avait déjà été crucifié en personne disait qu’il serait crucifié de nouveau en Pierre. »
Que pouvait-il bien signifier le Seigneur en disant qu’il serait crucifié de nouveau dans la crucifixion de Pierre, si ce n’est que Pierre est son vicaire, et que ce qui arrive à Pierre arrive aussi à lui. »  Car, c’est ainsi qu’il avait parlé à Samuel (1 Rois 8) : « Ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté, c’est moi, pour que je ne règne pas sur eux. »

                                CHAPITRE 24

               On présente trois dernières prérogatives

La vingt-sixième prérogative consiste en ce que seules ont toujours été fréquentées les églises patriarcales ou primatiales que saint Pierre a fondées.  Que parmi les anciennes églises trois seulement ont été proprement patriarcales et primatiales, celles de Rome, d’Antioche et d’Alexandrie, nous l’indiquent clairement le concile de Nicée, le canon 6 du concile de Chalcédoine, l’acte 16 de l’épitre 3 d’Anaclet, de l’épitre 53 de saint Léon à Anatholium, de l’épitre 37 de saint Grégoire à Euloge, livre 6. Ce que ne nient pas Calvin et Luther.
Ensuite, pendant environ cinquante ans, il y eut une quatrième église patriarcale, celle de Jérusalem, mais par le nom plutôt que par la réalité, par l’honneur plutôt que par le pouvoir.   Car le patriarche d’Alexandrie  siégeait non seulement  à la seconde place dans les conciles, mais il avait la préséance sur tous les évêques d’Égypte et de Lybie.  Celui d’Antioche non seulement siégeait à la troisième place, mais il avait la préséance sur tous les archevêques et évêques d’Orient.  Et celui de Jérusalem siégeait  à la quatrième place, mais n’avait préséance sur aucun archevêque ou évêque. Il était plutôt soumis à l’archevêque de Césarée, qui était le métropolitain de la Palestine, et au patriarche d’Antioche, qui, comme nous l’avons dit, présidait sur tout l’Orient.  Qu’il en était bien ainsi, c’est le concile de Nicée qui nous le fait comprendre. On y découvre que l’évêque de Jérusalem prenait rang après celui de Rome, d’Alexandrie, et d’Antioche, sans que, pour autant, rien ne soit enlevé à l’autorité du métropolitain qui était à Césarée.
Voilà pourquoi saint Jérôme (dans son épitre à Pammachus, contre Jean, évêque de Jérusalem) parle ainsi : « Toi qui t’enquiers des règles ecclésiastiques, et qui te sers des canons du concile de Nicée, réponds-moi. Qu’est-ce qui, dans la Palestine, appartient à l’évêque d’Alexandrie ? Si je ne m’abuse, il a été décrété là que le métropolitain de la Palestine serait l’archevêque de Césarée, et de tout l’orient, celui d’Antioche.  Tu devais donc t’adresser à l’archevêque de Césarée, avec lequel tu savais que nous étions en communion, ou si tu le préférais, envoyer tes lettres à Antioche.  Mais je sais pourquoi tu n’as pas voulu les envoyer à Antioche. Tu as préféré importuner quelqu’un qui était fort occupé,  plutôt que rendre à ton métropolitain l’honneur qui lui était du. »
Nous avons aussi le témoignage de saint Léon (dans la lettre 62 à Maxime d’Antioche) qui s’exprime ainsi : « Pour obtenir la primatie de la province de Palestine, Juvénal a cru pouvoir se suffire à lui-même, et confirmer son audace insolente par des écrits factices. »  Enfin, les papes déjà cités Anaclet, Léo, Grégoire, ne font, en énumérant les patriarcats, aucune mention de Jérusalem.    S’est ajouté par la suite le patriarche de Constantinople, car, au temps du concile de Nicée, Constantinople n’existait pas encore, ni donc  un patriarche de Constantinople. Car, c’est à la vingtième année de l’empire de Constantin, cinq ans donc après le concile de Nicée, que fut inaugurée Constantinople, comme l’écrit saint Jérôme dans sa chronique.  Par la suite, tant au concile de Constantinople qu’à celui de Chalcédoine, l’évêque de Constantinople a manigancé pour que non seulement  l’évêque de Constantinople devienne patriarche, mais détienne le second rang.  Ce n’est pas avant l’époque de Justinien qu’on en fit la demande aux pontifes romains.  Aux temps de l’empereur Justinien, c’est-à-dire après l’an 500, par la décision de l’empereur et la permission des pontifes romains, les évêques de Constantinople et de Jérusalem commencèrent  à faire partie des patriarches, sans que personne ne demande rien de plus.
Puisque les choses se sont vraiment passées ainsi, Calvin (Institutions, livre 4, chapitre 6, verset 13) se demande, non sans raison, pourquoi les églises patriarcales furent si peu nombreuses, et pourquoi elles ont été rangées dans cet ordre-là.  Car, si tu tiens compte de l’antiquité, le siège de Jérusalem devrait occuper le premier rang.  Or, c’est au quatrième rang qu’il est relégué, ou plutôt à aucun.  Si on tenait compte de la dignité du premier évêque, c’est le siège d’Éphèse qui devrait, après Rome, occuper le second rang, car il a été fondé par saint Paul, et gouverné par saint Jean jusqu’à sa mort.  Le siège de Jérusalem, où s’assit saint Jacques, apôtre et frère de Jésus, et, après lui son frère Simon, devrait passer avant le siège d’Alexandrie, où trôna Marc, disciple des apôtres.   Ensuite, pourquoi Alexandrie est-elle plus vénérable qu’Antioche, puisque l’église d’Antioche  est plus ancienne que celle d’Alexandrie, et puisque saint Pierre en personne siégea à Antioche, et ses disciples à Alexandrie ?
Si tu réponds comme Calvin (institutions, livre 4, chapitre 7, verset 14) qu’en établissant des sièges patriarcaux, le concile de Nicée a fait choix des villes les plus nobles et les plus importantes, saint Léon te contredira dans son épitre 54 à Martien.   Saint Augustin, répondant à l’argument des Grecs voulant que le siège de Constantinople soit un siège patriarcal venant tout de suite après Rome, parce qu’il était le siège impérial, dit ceci : « Que la cité de Constantinople ait sa gloire, et, qu’avec la protection de la droite de Dieu, elle jouisse longtemps du gouvernement de votre clémence ! Mais les choses divines relèvent d’une autre logique que les choses séculières; et cette construction ne pourra pas être stable sans la pierre que le Seigneur a placée à sa fondation. »  Et le pape Gélase (dans l’épitre à l’évêque Dardanus) : « Car, en ce qui a trait à la cité impériale, autre est le pouvoir du royaume séculier, autre est la distribution des dignités ecclésiastiques. Car, comme une petite ville quelconque ne diminue par la prérogative du présent royaume, de la même manière, la prérogative du gouvernement impérial actuel ne change pas la mesure de la dispensation religieuse. »
Nous nous demanderons ensuite pourquoi on a constitué seulement trois sièges patriarcaux, alors qu’il y avait plusieurs villes importantes et impériales ?  Or, les villes importantes et impériales ont toujours été  situées là où trônait l’empereur. Au temps du concile de Nicée, les villes  où résidait l’empereur en Orient était Nicomédie, qui est, de loin, la ville la plus illustre de la Bithynie. En Occident, Trèves et Milan.   Trèves, dans la Gaule transalpine, et Milan dans la cisalpine, étaient les villes les plus célèbres. En effet, à cette époque, c’est de son siège de Nicomédie que Dioclétien régnait sur tout l’Orient; et c’est de Milan que Maximin gouvernait l’Italie, l’Afrique et l’Illyricum. Et c’est de Trèves que Constance, le père de Constantin, gouvernait la Gaule et la Grande Bretagne.  D’où l’épitre du pape Gélase à Dardanus : « Nous rions de ce qu’on veuille accorder à Acacius  une prérogative égale à la nôtre, pour la raison qu’il est l’évêque de la ville impériale. L’empereur n’a-t-il pas résidé longtemps à Ravenne, à Sirmius, à Trèves ? Est-ce que les évêques de ces villes ont usurpé une dignité excédant celle qui leur avait été accordée de toute antiquité ? »
Pourquoi donc les sièges de Nicomédie, de Trèves et de Milan ne devinrent-ils pas des sièges patriarcaux ?  Ajoutons que le concile de Nicée n’institua pas des sièges patriarcaux, comme l’enseigne faussement Calvin, mais les confirma seulement.  Car voici ses propres mots : « Continuera en Égypte ou en Pentapolis la coutume antique qui donne à l’évêque d’Alexandrie tout pourvoir sur eux ». Et plus bas : « Il en sera de même pour Antioche et les autres provinces. Que son honneur soit conservé par chaque église. » Et plus bas : « Parce que par une coutume antique et une vieille tradition, on rend honneur à l’évêque de Jérusalem, qu’il continue donc à recevoir cet honneur. »
La seule vraie cause du nombre de sièges patriarcaux est donc la dignité de saint Pierre, car seules églises patriarcales proprement dites sont celles où saint Pierre a siégé en tant qu’évêque.  À Alexandrie, il a siégé où par lui-même, comme Nicéphore l’atteste (livre 14, chapitre 3) ou par son disciple Marc qu’il a envoyé là pour qu’il y fonde une église en son nom, comme l’enseigne saint Grégoire (livre 6, épitre 37, à Euloge d’Alexandrie) : « Bien qu’il y ait plusieurs apôtres, à cause de sa principauté, seul le siège du prince des apôtres l’emporta en autorité, lequel siège est d’un seul en trois lieux.  Car c’est lui qui a anobli le siège où il a voulu lui-même s’asseoir, et où il a daigné finir sa vie présente. C’est lui qui a donné les titres de noblesse au siège où il a envoyé l’évangéliste Marc, son disciple.  C’est lui qui a fortifié ce siège où il a siégé sept ans, même s’il devait le quitter un jour.  Comme c’est un siège unique et d’une seule personne, sur lequel, par autorité divine, trois évêques président maintenant, tout ce que j’entends de bien de vous je me l’impute à moi-même. »   Au même endroit, il dit : « Il m’ a parlé de la chaire de Pierre, celui qui est assis sur la chaire de Pierre. »
Il affirme donc là que l’évêque d’Alexandrie est assis sur la chaire de Pierre, car, c’est au nom de saint Pierre que saint Marc a été le premier évêque d’Alexandrie. Gélase enseigne exactement la même chose (dans le décret des livres canoniques et apocryphes, qu’il présenta dans un concile de 70 évêques).  Saint Léon raisonne de la même façon (dans la lettre 53 à Anathole) : « Que son siège ne perde rien de sa dignité, celle qu’elle tient de l’évangéliste Marc, disciple de saint Pierre.  Et que l’Église d’Antioche, dans laquelle, à la prédication de saint Pierre, est apparu pour la première fois le nom chrétien, persévère dans le rang qu’elle tient de son fondateur, et  ne descende jamais plus bas qu’au troisième rang. »  De même Anaclet, dans l’épitre 3 : « Le second siège, celui d’Alexandrie, a été consacré au nom de Pierre, par Marc son disciple.  Le troisième siège, celui d’Antioche, est honorable à cause du nom de l’apôtre Pierre. »
Voilà donc quelle est la raison du nombre de ces sièges. Et la raison de l’ordre dans lequel ces sièges patriarcaux sont rangés est que les trois  sont des sièges de l’apôtre Pierre.  L’Église de Rome, il l’administra en personne jusqu’à sa mort; celle d’Alexandrie, par son disciple Marc; celle d’Antioche, par Évodius.  Comme Pierre est plus grand que l’évangéliste Marc, Marc plus grand qu’Évodius, qui ne fut ni apôtre ni évangéliste, l’église romaine est  supérieure en dignité et autorité à celle d’Alexandrie, et celle d’Alexandrie à celle d’Antioche.  Et bien qu’il ne faille pas nier, qu’en choisissant ces villes pour ses sièges épiscopaux, saint Pierre ait tenu compte de leur grandeur, comme saint Léon l’enseigne (dans son épitre 84 à Anastase, vers la fin), la cause première et immédiate de ces sièges est la primauté et la dignité de saint Pierre.
La vingt-septième est la fête de la chaire de saint Pierre.  Car, le fait qu’on célèbre publiquement dans l’Église une fête en l’honneur de l’institution de l’épiscopat de saint Pierre, et qu’on ne fasse rien de semblable en l’honneur des autres apôtres, ce fait, dis-je démontre que le siège de Pierre l’emporte sur tous les autres; bien plus, qu’il est la seule et unique chaire qui doive enseigner à tout l’univers, comme le dit Optatus (dans le livre 2 contre Parménien).  Que cette fête en l’honneur de la chaire de Pierre est très ancienne, on peut facilement l’apprendre par le martyrologe de saint Bède le vénérable, et par un sermon de saint Augustin sur les saints (15).
La vingt-huitième prérogative vient du fait que dans les épitres canoniques, après le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, les anciens ajoutaient le nom du prince des apôtres.  L’évêque Atticus écrit  que, à la fin du concile de Chalcédoine, on devra lire de cette façon : « Pour que, en faisant les lettres canoniques, que les latins ont coutume d’appeler formées, on ne présume en rien aucune fausseté frauduleuse, les trois cent dix-huit pères réunis en concile ont sainement décrété que les lettres formées aient ce mode de calcul et de supputation suivant : on met la première lettre de Père, Fils et Saint-Esprit,  ce qui donne, p. v. a, qui signifient les chiffres 80,40 et 1.  Le p est la première lettre de l’apôtre Pierre, qui signifie le chiffre 80.    La première lettre est de celui qui a écrit l’épitre; la seconde de celui qui la reçoit; la troisième de la cité où la lettre est écrite; la quatrième, l’adresse et le temps qui s’expriment par le même chiffre.  Et c’est dans toutes ces lettres grecques qui, comme nous l’avons dit, expriment des chiffres qu’est contenue l’épitre, quant on les a réunies en un tout.  Optatus de Milet se souvient des épitres formées ou formatées (livre 2 contre Parminius) en ces mots : « Avec Sirice, l’échange d’épitres formées nous unit dans la société d’une communion unique. »  Et le concile de Milet (chapitre 20), défend aux clercs de venir aux réunions sans épitres formées ou formatées.  Voir Burchardum (livre 2, chapitre 227), Ivonem (livre 6, chapitre 433, 434), et Sidoine Apollinaire (livre 7, épitre 2).
[2017 09 12 19h55, fin]

[2017 09 19 à 18h50 début]
CHAPITRE 25
Des témoignages des pères grecs et latins confirment la primauté de Pierre

 Il reste encore à présenter le témoignage des Pères en faveur de la primauté de saint Pierre. Il faut d’abord observer que si les Pères ont dit que saint Pierre a été la tête de l’Église, ou qu’il a eu la primauté sur les apôtres et sur l’Église, cela devrait suffire pour démontrer ce que nous attendons des pères.  Car, les adversaires eux-mêmes admettent que ces deux noms signifient le pouvoir suprême dans l’Église.  C’est ce que disent les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre 7, colonne 527).  Ils affirment que la note propre de l’Antichrist est de détenir la primauté dans l’Église. Et Calvin (livre 4, institutions, chapitre 7, verset 3 ) : « Il est certain que tant que dura le vrai et pur visage de l’Église, ces noms d’orgueil que s’est attribués plus tard le siège de Rome, étaient tout à fait inconnus ». Il parle du nom de tête et de primat, et précise qu’au temps de saint Jérôme, le vrai visage de l’Église durait encore.
 Je cite d’abord, parmi les Grecs, Origène (car j’omets Denys, Clément, Anaclet  que nos adversaires n’acceptent pas).  Il dit (dans le chapitre 6 de l’épitre aux Romains) : « Comme c’est à Pierre qu’à été remise la charge suprême de paître les brebis, et comme c’est sur lui que, comme sur une terre, est fondée l’Église, la seule chose qu’on exige de lui est la charité. »  Eusèbe (chroniques, année 44 après Jésus-Christ),  dit de saint Pierre qu’il est « un apôtre originaire de Galilée, et le premier pontife des Chrétiens. » Il dit cela pour nous faire comprendre que saint Jacques était l’évêque d’une ville, et saint Pierre de toute la terre chrétienne. De même (livre 2, chap 14 de son histoire), il appelle saint Pierre « le plus approuvé et le plus grand, le prince et le chef des premiers, et le maître de la milice de Dieu. »  Qu’est d’autre le chef de la milice de Dieu que la tête de l’Église militante ?
 Saint Basile (dans le sermon sur le juste jugement de Dieu) dit, en parlant de Pierre : « Bienheureux est celui qui fut placé avant les autres disciples, à qui les clefs du royaume céleste ont été remises ! »  Saint Grégoire de Naziance (discours sur la modération à garder dans les disputes) voulant montrer que, dans toutes choses, il y doit y avoir un ordre, il tire un argument des apôtres qui, bien qu’ils aient été tous grands, avaient quelqu’un qui leur avait été préposé : « Tu vois comment, parmi les disciples qui étaient tous grands,  sublimes et dignes d’être élus, un sera appelé pierre;  et comment le fondement de l’Église est attribué à sa foi. Et vois avec quel calme et quelle sérénité les autres disciples ont accepté cela ! » Et Épiphane (hérésie 51) dit : « Le Christ élut saint Pierre pour qu’il soit le chef des disciples. »  Et (dans ancora) : « Voici celui qui entendit le Christ lui dire : « Pais mes brebis », celui à qui a été confié le troupeau. »
 Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 2) appelle Pierre « le prince excellent des apôtres ».  Saint Cyrille d’Alexandrie (livre 12 sur Jean, chapitre 64) écrit : « En tant que prince et chef des autres, il s’exclame en premier : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Et (dans les trésors, si nous acceptons ce que dit saint Thomas dans sa somme contre les Gentils) : « Comme le Christ, chef qui sort d’Israël,  a reçu du Père le sceptre de l’Église des Gentils, et est au-dessus de toute principauté et royauté, au dessus de tout ce qui existe, et gouverne toute chose, de la même façon c’est à Pierre et à ses successeurs que le Christ a confié en totalité, et à nul autre, l’Église qui lui appartient en propre.  Et c’est à lui seul qu’il l’a donnée. »
 Saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur saint Matthieu) : « Le Christ établit saint Pierre  pasteur futur de l’Église. »  Et plus bas : « Seul Dieu peut octroyer que demeure immobile la future Église ballotée par les flots, dont le pasteur et le chef est un pêcheur, un homme de basse extraction. »  Et, plus bas : « Le Christ a préposé Jérémie à une nation, Pierre, à l’univers entier. »  Et, dans sa dernière homélie sur saint Jean, il répète souvent que c’est à Pierre qu’a été remis le soin de ses frères apôtres, et de tout l’univers.  Euthymius (sur le dernier chapitre de saint Jean) enseigne que Pierre a reçu « la présidence sur les apôtres ».  Au même endroit : « Si tu dis : comment se fait-il que ce soit saint Jacques qui ait reçu le siège de Jérusalem ? Je réponds que c’est de toute l’Église que Pierre a établi chef. » Euthymius enseigne ici que, comme saint Jacques a été chef de l’église de Jérusalem, saint Pierre a été chef de toute l’Église.
 Théophylacte (chapitre 22 sur saint Luc) : « Il est absolument clair que le sens de : « confirme tes frères » est : parce que je t’ai établi le prince des disciples, après avoir pleuré pour m’avoir renié, et après  avoir fait pénitence, confirme les autres, car cela te convient à toi qui es, après moi, la pierre et le fondement de l’Église. »  Et plus bas : «  Toi, Pierre, une fois converti, tu seras un bon exemple de pénitence pour tous, toi qui, après avoir renié quand tu étais un apôtre, a reçu de nouveau la primauté et la suprématie sur toute la terre. »  Tu entends ici le nom de primat que Calvin n’a jamais entendu.  Oecumenius (chapitre 1 des actes) : « Pierre se leva, non Jacques, comme le plus fervent, et comme celui à qui à été confiée la présidence sur les disciples. »
 Hugo Etherianus ou Herettianus écrit, en l’an 1160, au temps de l’empereur Emmanuel, des livres sur la procession du Saint-Esprit contre les Grecs (livre 3, chapitre 17).  Il dit : « Il apparait de toute évidence que Pierre est le successeur perpétuel du Christ, le prince et le chef non seulement des latins et des grecs, mais de l’Occident et du Septentrion, des Arméniens, des Arabes, des Juifs, des Madianites,  et de tout l’Orient,  ainsi que des pays au climat tempéré. »  Nous avons ajouté Hugo aux Grecs, non pas parce qu’il était un grec, mais parce qu’il écrivit la plupart du temps en grec, et dans le palais d’un empereur grec.
 Parmi les latins, saint Cyprien (dans l’épitre à Quintus) dit que, quand il a été réprimandé par saint Paul, saint Pierre n’a pas répondu que c’était lui qui avait la primauté, et que l’obéissance lui était due d’office. Saint Cyprien indique clairement,  par ces paroles, que saint Pierre détenait l’autorité suprême, et qu’il pouvait exiger l’obéissance de la part de tous. Et, pour que les adversaires ne disent pas que la raison pour laquelle saint Pierre n’a pas dit qu’il détenait l’autorité suprême, c’est parce qu’il aurait dit une fausseté, écoutons l’explication qu’en donne saint Augustin (livre 2 sur le baptême, chapitre 1) : « Le même Cyprien parle ainsi dans l’épitre à Quintus : « Car, Pierre, celui que le Seigneur a élu comme chef, et sur lequel il édifie son Église, quand saint Paul lui fit des reproches au sujet de la circoncision, n’a prononcé aucune parole insolente pour se justifier, n’a manifesté aucune arrogance, en disant que c’est lui qui détenait l’autorité suprême, et qu’il devait s’en tenir aux choses anciennes plutôt qu’aux nouvelles. »  Et un peu après : « Voici comment saint Cyprien explique ce que nous aussi nous apprenons dans l’Écriture sainte, à savoir, que l’apôtre Pierre, par une grâce excellente, possède le primat sur tous les apôtres. »
 De la même manière, saint Cyprien (dans son livre sur l’unité de l’Église, ou de la simplicité des prélats) fait de Pierre, comme nous l’avons dit plus haut, le chef, la source, et la racine de toute l’Église. Et dans l’épitre à Jubajanum, il dit au sujet de saint Pierre : « Nous le considérons, nous, comme le chef et la racine de l’Église unique. »  Saint Cyprien emploie donc fréquemment ces deux noms que l’ancienne Église n’aurait jamais entendus, selon Jean Calvin.  Saint Maxime (sermon 3 sur les apôtres) écrit : « De quel mérite était donc Pierre auprès de son Seigneur, pour qu’il donne à celui, qui avait piloté un petit navire, le gouvernail du bateau de l’Église! »  Optatus (livre 1 contre Parminius) dit : « La chaire est une, et tu n’oseras pas nier que tu sais que c’est à Pierre qu’a été confiée la chaire dans la ville de Rome, où s’est assis Pierre, le chef de tous les apôtres, qui a été appelé la pierre.  Pour que l’unité de la chaire de vérité soit conservée par tous, pour que chacun n’oppose pas la chaire d’un autre apôtre ou la sienne propre, car il serait schismatique et pécheur celui qui promouvrait une autre chaire contre l’unique véritable.  La chaire de vérité est donc une, elle est la première de toutes. Car c’est sur elle que s’assirent saint Pierre, et Lin son successeur. »  Tu vois que la chaire de Pierre et  de son successeur, est appelée la chaire unique de toute l’Église. Choses qui, pour Calvin, étaient inouïes.
 Saint Ambroise (dernier chapitre de saint Luc) appelle Pierre « le vicaire de l’amour du Christ envers nous, et il dit qu’il est supérieur à tous. Et (dans le chapitre 12 de l’épitre 2 aux Corinthiens), il dit que « ce n’est pas André qui a reçu la primauté, mais Pierre ». Et voilà de nouveau ce nom que Calvin n’a jamais entendu !  De même (au chapitre 1 sur les Galates) il dit que Pierre « a reçu du Seigneur le soin de toute l’Église. »  Ensuite (sermon 11) : « Le Seigneur est monté dans le seul navire de l’Église où Pierre est établi maître, selon la parole du Seigneur : sur cette pierre j’édifierai mon Église. Ce navire navigue sur la haute mer de ce siècle de façon à ce que, si le monde périt, il garde indemnes tous ceux qu’il prendra à bord.  Cette figure nous la voyons déjà dans l’ancien testament. Car, comme l’arche de Noé, dans le naufrage du monde, a conservé indemnes tous ceux qu’elle avait reçus, de la même manière, l’Église de Pierre, à la conflagration du monde, maintiendra sains et saufs tous ceux qu’elle accueillera. Et comme, à la fin du déluge, la colombe apporta à l’arche de Noé un signe de paix, de la même manière, après le jugement, le Christ apportera la joie de la paix à l’Église de Pierre ».
 Saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien) : « Parmi les douze, un est élu, pour que, ayant été établi tête, soit enlevée toute occasion de schisme. Mais pourquoi saint Jean, qui était vierge, n’a-t-il pas été élu ?  Il a été rejeté à cause de l’âge, parce que Pierre était plus âgé que lui. Car il ne convenait pas qu’un jeune homme, et presque un adolescent, soit préféré à des hommes d’âge mur. » Ici, on entend le mot tête que Calvin n’a jamais entendu.  Saint Augustin dit souvent que Pierre a reçu la primauté (et surtout au livre 2, chapitre 1 du baptême que nous avons déjà cité, et où il ajoute) : « Je pense que je peux, sans rabaisser saint Paul, le comparer à saint Cyprien, en ce qui a trait à la gloire du martyre. Mais cependant, je dois craindre grandement de manquer de respect envers saint Pierre. Car, qui ne sait que la principauté de son apostolat doit être préférée à toute autre ?  Mais si la grâce donnée à chaque chaire est différente, unique est la gloire des martyrs. »
 On doit noter que, dans ce texte, selon l’enseignement de saint Augustin, la chaire de Pierre l’emporte sur les chaires des autres évêques, puisqu’il craignait d’être irrespectueux envers saint Pierre s’il le comparait avec saint Cyprien, qui n’était pas un évêque quelconque, mais le primat de toute l’Afrique du nord.  Notons aussi qu’il pensait pouvoir comparer le martyre de saint Pierre à celui de saint Cyprien, même si celui de Pierre a été plus noble, car les palmes des martyres sont du même genre.  Mais le siège de saint Cyprien ne peut pas être comparé avec celui de saint Pierre, car le siège de saint Pierre n’est pas seulement plus noble que celui de saint Cyprien, mais il est d’un autre genre, puisqu’ils diffèrent comme le tout et la partie.  Car, saint Pierre n’était pas seulement évêque de Rome, comme saint Cyprien était évêque de Carthage, mais il était le pontife de toute la terre, tandis que saint Cyprien ne l’était que d’une partie.
 Le même saint Augustin, parlant de la pénitence de saint Pierre (sermon 124) écrit : « Il guérit la maladie de tout le corps dans la tête même de l’Église. C’est là qu’il entretient la santé de tous les membres. »  L’auteur des questions sur l’ancien et le nouveau testament (qui sont dans le tome 4 des œuvres de saint Augustin, question 75) dit  : « Comme étaient dans le Sauveur tous les titres du magistère, de la même façon, après le sauveur, c’est dans Pierre qu’ils le sont. Car c’est lui que le Sauveur a mis à leur tête, pour qu’il soit le pasteur du troupeau du Seigneur. »  Et plus bas : « Il est manifeste que, en Pierre, tous sont contenus.  Car, en priant pour Pierre, on comprend qu’il a prié pour tous. Car c’est souvent dans le préposé que le peuple est châtié ou loué. »
 Saint Léon enseigne souvent ces choses (surtout dans le sermon 3 de son intronisation) : « Parmi tout le monde, un seul est élu, Pierre. C’est lui  qui est préposé à l’évangélisation de tous les Gentils, et qui est chargé de tous les apôtres et de tous les pasteurs de l’Église.  Car, même si, dans le peuple de Dieu, il y a plusieurs prêtres et plusieurs évêques, Pierre règne au sens propre sur ceux que régit principalement le Christ. » Et, (dans l’épitre 84 à Anastase, à la fin) : « C’est avec une grande sagesse qu’il a été établi que chacun ne revendique pas toute chose, mais qu’il y en ait dans chaque province qui auraient le dernier mot dans les contestations.  Et quelques-uns, dans les plus grandes villes, auraient une charge supérieure. C’est d’eux que le soin de toute l’Église affluerait au siège unique de l’Église universelle, pour que jamais rien n’échappe à sa tête. »  Tu as ici le nom de tête, et le soin de l’Église universelle.
 Saint Prospère (dans le livre sur l’ingratitude) : « La ville de Rome, siège de Pierre, qui est devenue la tête de l’honneur pastoral pour tout l’univers, tout ce qu’elle ne possède pas par les armes, elle le tient par la religion ! »  Arator (dans le chapitre 1 des actes, dit sur saint Pierre : « Celui à qui l’Agneau a confié les brebis qu’il a sauvées par sa passion,  a été établi pasteur de troupeau pour toute la terre, et est, par cette charge, devenu le plus grand … »  Saint Grégoire (livre 4, épitre 32 à Maurice) : « Il est évident  à tous ceux qui connaissent l’évangile, qu’à saint Pierre, le prince de tous les apôtres, a été confié par la voix du Seigneur, le soin de toute l’Église. »  Et plus bas : « Voici celui qui a reçu les clefs du royaume céleste, à qui a été attribué le pouvoir de lier et de délier, à qui a été confié le soin de toute l’Église, et à qui a été donnée la principauté ecclésiale. »
 Bède le vénérable (vigile de saint André) : « Pierre, qui confessa le Christ avec une vraie foi, qui l’a suivi avec un vrai amour,  reçut d’une façon toute spéciale les clefs du royaume des cieux, et la principauté du pouvoir juridique, pour que tous les croyants du monde comprennent que tous ceux qui se séparent de l’unité de la foi, ou de sa communion,  ne peuvent pas être absous des chaînes de leurs péchés, ni entrer par la porte du royaume des cieux. »  Saint Bernard (épitre 237 à Eugène) : « Le lieu où tu te tiens est une terre sacrée, car c’est le lieu de Pierre, le lieu du prince des apôtres, là où il posa ses pieds.  Le lieu de celui que le Seigneur a établi le maître de sa maison, et le prince de toute sa possession. »  Et (au livre de la considération) il dit au sujet de Pierre : « Celui qui, à l’instar du Seigneur, a marché sur les flots, a été désigné par le Christ son unique vicaire. Il  ne préside pas à un seul peuple, mais à tous, comme les grandes eaux signifient tous les peuples. »
 Ces 24 témoignages des pères de l’Église, semblables aux 24 voix des anciens de l’Apocalypse, démontrent clairement le consensus de l’ancienne église, tant grecque que latine. On ne peut leur objecter rien d’autre que ce que Luther et Calvin disent au sujet de Léon : ils ont parlé sous le coup de la passion, et se sont trompés.  Mais, s’il en est ainsi, pourquoi personne ne les a jamais réfutés ?  Il est avéré que  Épiphane, saint Augustin, Theodoret, saint Jean Damascène, ont tenu un index des hérésies et des hérétiques, dans lequel ils placèrent même Origène.  Alors, pourquoi, je le demande, personne n’a jamais taxé Origène d’hérétique parce qu’il disait que, à Pierre, avait été confié le soin suprême de la garde des brebis ?  Pourquoi n’-a-t- on pas rangé parmi les hérétiques saint Cyprien, saint Ambroise, Optatus, saint Léon et tant d’autres, parce qu’ils enseignaient, en toutes lettres, que Pierre avait le primat,  qu’il était la tête de l’Église, et que toute la terre lui avait été confiée ?  Certes, une telle erreur, qui, comme ils le disent,  convient si bien à l’antichrist, aurait due  être réprouvée par les plumes de tous les écrivains.
 Donc, comme d’une seule voix, les pères proclament que le Christ a donné à l’apôtre la suprématie sur toutes les églises, comme les prérogatives insignes de saint Pierre sont attestées, comme nous voyons que, dans les livres sacrés et divins ce primat a été autant gratuitement promis qu’il a été  fidèlement donné, nous serons trop obstinés si nous fermons les yeux devant une si claire lumière de vérité.

CHAPITRE 26
On réfute un argument tiré de la comparaison de Pierre avec Jacques.

 Les objections qu’on a coutume de présenter contre le primat de Pierre, ont été réfutées en grande partie, par l’explication que nous avons  donnée  de deux textes de l’Écriture (Matt 16, et Jean fin), où il fut question de la pierre, des clefs et des brebis.   Il reste encore trois points à éclaircir.  Le  premier qui consiste à comparer Pierre et Jean; le deuxième, à les comparer avec Paul, et le troisième, à citer les fautes horribles et funestes de Pierre, que le saint Esprit a voulu narrer pour que n’attribuions par trop de choses à Pierre.
 Le premier argument est celui de Luther (dans le livre du pouvoir du pape).  Il prouve que saint Jacques fut plus grand que saint Pierre par les raisons suivantes.  D’abord, le Christ a été évêque de Jérusalem, non de Rome, et les apôtres furent ses prêtres.  Donc, saint Jacques, qui, après la passion du  Christ, est devenu évêque de Jérusalem, a succédé au Christ, ou a surement été son vicaire.  Non Pierre.   Ensuite, Jérusalem est la mère de toutes les églises, car (Isaïe 2)  « De Sion sortira la loi, et la parole du Seigneur, de Jérusalem. » C’est donc Jacques qui est le père de toutes les églises, non Pierre.  Enfin, le concile de Nicée (canon 7) attribue la primauté à l’évêque de Jérusalem.  Et cela, en confirmant une coutume et une tradition anciennes.
 Nous pouvons, dit-il,  ajouter deux témoignages de grands poids.  Un de saint Clément, (dans le livre 6 de la disposition, selon Eusèbe, histoire de l’église, livre 2, chapitre 1), qui écrit : « Bien qu’ils aient été choisis par le Christ de préférence à tous les autres, les apôtres Pierre, Jacques et Jean,  ne revendiquèrent pas, après l’ascension,  la gloire de la suprématie, mais sacrèrent  évêque des apôtres Jacques dit le juste.» C’est en parlant du pouvoir du pape que Luther dit que Pierre, Jacques et Jean ont rejeté leur primauté, et l’ont remise à un Jacques qui leur était inférieur.  L’autre passage est de saint Jean Chrysostome qui, (dans l’homélie 3 sur les actes), dit : « Voyez la modestie de Jacques. Il avait reçu la charge d’évêque de Jérusalem, et cependant, il ne dit rien. Considère aussi la modestie singulière des autres apôtres, de quelle façon ils lui laissent la place, et ne cherchent plus à se demander qui est le plus grand. »
 Je réponds au premier argument. Le Christ n’a été évêque d’aucune ville en particulier, mais il a été évêque non seulement de Jérusalem, mais de toute l’Église; et qu’il n’a pas eu de successeur, puisqu’il est toujours vivant. Mais, son vicaire général, il convenait qu’il l’établisse ailleurs plutôt qu’à Jérusalem.  Car, comme par l’avènement du Christ la loi et le sacerdoce étaient changés, il convenait aussi de changer le lieu du pontife suprême, pour que tout soit renouvelé. Et c’est aussi parce que le temple et la ville de Jérusalem devaient être détruits et brûlés peu après l’ascension de Notre Seigneur.
 À l’autre argument je réponds que Jérusalem a été, de toute antiquité, considérée comme la mère de toutes les églises, et a été jugée digne de grands privilèges à cause de la présence du Seigneur et des apôtres;  et surtout parce que c’est dans ce lieu que les mystères de notre rédemption se sont accomplis en plénitude.  Mais cela ne s’oppose en rien à la primauté de Pierre. Car, si saint Jacques a été pasteur et évêque de Jérusalem, Pierre l’a été, lui, de toute l’Église; et donc, de Jérusalem, qui n’est qu’une portion de l’Église universelle.  C’est ainsi que répondent à cette objection saint Jean Chrysostome et Euthymius (dans leur commentaire du dernier chapitre de saint Jean). Saint Bernard leur a donné son approbation (dans le livre 2 sur la considération) quand il a dit : « Se contentant de l’Église de Jérusalem, saint Jacques a cédé à  Pierre l’Église universelle. »
 Au troisième argument je réponds que Luther n’a pas bien lu le concile de Nicée. Car, comme nous l’avons démontré plus haut, le concile de Nicée a donné à l’évêque de Jérusalem le quatrième rang parmi les patriarches.  C’était un poste plus honorifique que juridique, car, en tant que simple évêque, il était soumis à l’archevêque de Césarée, métropolitain de toute la Palestine,  et au patriarche d’Antioche.  À la citation d’Eusèbe, je réponds que le texte en question a certainement été corrompu.  Car, même si dans le  codex de Bâle, qui donne la traduction de Ruffin, les mots ci-haut cités se trouvent, dans celui de Cologne, traduit par un catholique, on ne voit pas le mot primauté, et au lieu de « évêque des apôtres » on a « évêque des Jérusalemites. »  Cette traduction correspond à celle de Nicéphore (livre 2, chapitre 3) et avec la phrase de ce même Eusèbe qui (dans le même livre 2, chapitre 14 de son histoire de l’église) dit que Pierre a été l’apôtre suprême, et le prince des premiers.
 Elle correspond aussi au texte du codex grec, tant celui de la bibliothèque  du Vatican que celui de  la bibliothèque de Paris.  (Et il donne le texte grec au complet, où se trouve au lieu « d’évêque des apôtres », « évêque des chrétiens de Jérusalem ».)   Clément d’Alexandrie, cité par Eusèbe, ne dit pas que Pierre, Jacques et Jean ont remis à Jacques le mineur le gouvernement de l’église universelle, et l’ont constitué évêque des apôtres, ce qui est d’une grande absurdité.  Il dit seulement que les apôtres n’ont pas recherché leur gloire personnelle, et n’ont pas, pour cette raison, assumé l’épiscopat le plus noble de tous à ce moment, mais l’ont remis à Jacques le mineur.  Car, même si l’épiscopat d’une seule ville ne déroge en rien à la primauté, ce n’était pas une petite gloire qu’être évêque de Jérusalem à cette époque, puisqu’elle était plus noble que toutes les autres.
 À la citation de saint Jean Chrysostome (homélie 3 dans les actes), je réponds que saint Jean Chrysostome parlait du siège d’une église particulière quand il a dit que « les apôtres ont concédé à Jacques le siège. » Car, que saint Jean Chrysostome place saint Pierre avant saint Jacques nous l’avons montré par plusieurs citations.  Car, dans son commentaire de saint Jean sur  « suis-moi », il dit : « Par ces paroles, il lui montre qu’il se souciait de lui et qu’il lui portait une affection familière.  De sorte que, si quelqu’un demandait : comment se fait-il que ce soit Jacques qui ait reçu le siège de Jérusalem, je répondrais qu’il a établi Pierre maître de toute la terre. »  Le même saint Jean Chrysostome (homélie 3) après ces mots qu’on nous oppose, ajoute au sujet de Pierre : « C’est à bon droit que, dans le commerce,  possède un monopole celui qui a tout le monde sous sa direction.  Or,  c’est à quelqu’un de semblable  qu’a dit le Christ : « Quand tu seras converti, confirme tes frères ! »

CHAPITRE 27
La comparaison entre Pierre et Paul

 L’autre argument vient de ce que Paul est appelé l’apôtre par excellence, l’apôtre tout court. Il semble donc s’ensuivre que ce soit lui  le chef des apôtres, plutôt que Pierre. On a découvert que  sur les anciens sceaux utilisés par les papes pour les diplômes, étaient gravées les images de saint Pierre et de saint Paul, mais celle de Paul à droite, et celle de Pierre à gauche. Saint Thomas en a parlé (dans son épitre aux Galates, leçon un), et saint Pierre Damien dans son traité sur cette même chose.  Je réponds que saint Paul a été l’apôtre par excellence, non parce qu’il fut plus grand que saint Pierre en pouvoir et en autorité, mais pour deux raisons qui n’enlèvent  rien à la primauté de saint Pierre.  La première. Parce qu’il a écrit beaucoup plus, et qu’il fut plus savant et plus sage que tous les autres.  Car, nous l’appelons apôtre par antonomase quand nous citons ses écrits. L’autre raison est qu’il appartient en propre à l’apôtre d’implanter la foi.  Paul  a implanté la foi en plus de lieux qu’aucun autre. De plus, les autres apôtres ont été envoyés dans certaines provinces,  mais Paul,  à tous les Gentils sans restriction.  Lui-même dit de lui : « J’ai travaillé plus que tous les autres. (1 Corinth 15) »
 Saint Jérôme l’atteste aussi (dans le chapitre 5 d’Amos) en commentant ces mots : « Celui qui appelle les eaux de la mer, et les répand sur la surface de la terre. » Il dit que saint Paul n’a pas seulement implanté la foi du Christ par tout le long tracé qui va de Jérusalem à Illyricum, (comme saint Paul le dit Romains 15), mais aussi de la mer rouge jusqu’à l’océan, dans presque toute la terre.  De sorte que c’est plutôt la terre qui lui a fait défaut que son zèle de prédicateur.  En conséquence, Paul excelle donc dans ce qui est le propre de l’apôtre;  et on le dit, comme saint Pierre, prince des apôtres, parce qu’il a été institué tête et chef des brebis. On peut aussi, d’une autre façon, l’appeler le prince des apôtres parce qu’il a rempli à la perfection la charge apostolique.  Comme on dit que Virgile est le prince des poètes, et Cicéron le prince des orateurs.
 Saint Augustin a, en peu de mots, présenté l’une et l’autre de ces raisons (livre 3 contre Boniface, chapitre 3) : « Si on dit apôtre tout court, sans aucune précision, on ne pense qu’à l’apôtre Paul, parce qu’il est connu par plus de lettres, et qu’il a travaillé plus que tous les autres. »   L’objection qu’on fait au sujet des images de saint Pierre (à gauche)  et de saint Paul (à droite) gravées sur le sceau pontifical, peut être résolue de plusieurs façons.  La première. Il est suffisamment attesté que Pierre fut plus grand que Paul par l’autorité, comme nous l’avons enseigné par les témoignages de saint Cyprien (dans son épitre à Quintus), de saint Augustin (épitre 19 à saint Jérôme), de saint Jérôme (épitre 89 à saint Augustin), de saint Grégoire (homélie 18 sur Ezéchiel), de Theodoret (dans son épitre à saint Léon), de Oecuménius  (Galates, chapitre 1). Même s’il était avéré que le nom de Paul était placé avant celui de Pierre, cela n’apporterait aucun préjudice aux pontifes romains, car ils reconnaissent comme leur père et leur prédécesseur autant Paul que Pierre. L’un et l’autre apôtre ont fondé l’église de Rome, et l’ont gouvernée avant tous les autres, comme l’atteste saint Irénée (livre 3, chapitre 3), et l’un et l’autre ont fini leur vie dans la ville de Rome par le martyre. La gloire de Paul appartient donc tout entière aux pontifes romains.  La dignité et l’autorité suprême de Paul ne porte donc pas atteinte au pontificat de Pierre, car elle était exceptionnelle et extraordinaire.
 Exemple.  Même si, dans le peuple des Juifs, Moïse était plus grand qu’Aaron, Aaron n’en était pas moins le véritable grand prêtre.  Et ce n’est pas à Moïse, mais à Aaron que les pontifes, qui vinrent après, succédèrent dans la dignité de pontife suprême, car le pouvoir de Moïse était extraordinaire,  mais celui d’Aaron, ordinaire.  En conséquence, même si nous admettions que, par un privilège extraordinaire, saint Paul ait été plus grand que saint Pierre, nous ne nierions pas, pour cela, le pouvoir ordinaire de Pierre, ni qu’il ait bien été le pontife suprême de l’Église.   On pourrait ensuite répondre que ce n’est pas  pendant de longs siècles que saint Paul a été placé à droite, car dans les sceaux qui nous sont parvenus, s’il y en a quelques uns qui donnent la place d’honneur à saint Paul, il y en a un assez bon nombre qui placent saint Pierre à droite. Comme dans les diplômes scellés par le pape, saint Paul se tient à droite, dans les médailles c’est saint Pierre qui occupe cette place d’honneur.
 Et c’est peut-être à dessein que les anciens ont adopté cette façon de faire, à savoir, qu’ils aient placé tantôt l’un à droite, tantôt l’autre, pour signifier de cette manière que ces apôtres ou étaient égaux entre eux, ou qu’on ne savait pas qui l’emportait sur l’autre.  Car, si saint Pierre est plus grand par le pouvoir, saint Paul est plus grand par la sagesse, comme le dit élégamment saint Maxime (dans son dernier sermon sur saint Pierre et saint Paul), où il écrit « qu’à Pierre a été donnée la clef du pouvoir, et à saint Paul la clef de la sagesse. »  Voilà pourquoi saint Léon s’exprime ainsi (dans son sermon 1 sur la naissance au ciel de saint Pierre et de saint Paul) : « La grâce de Dieu les éleva, parmi tous les membres de l’Église, à une telle hauteur qu’il les établit,  dans le corps de l’Église, dont le Christ est la tête, comme la lumière de deux yeux jumeaux.  Nous ne devons trouver aucune différence dans leurs mérites et dans leurs vertus, car ils sont semblables par l’élection et le travail apostolique, et la fin de leur vie les a rendus égaux. »
 Et saint Maxime, au lieu cité : « Saint Pierre et saint Paul excellent donc parmi tous les autres, et l’emportent sur tous les autres  par une prérogative particulière.   Mais, de tous les deux, qui doit-on préférer ?  Cela est incertain.   Je pense qu’ils sont égaux en mérites, puisqu’ils ont été égaux dans la passion. » Et saint Grégoire (livre 1 des dialogues, dernier chapitre) : « L’apôtre Paul est le frère de Pierre dans la principauté apostolique. »  On peut donner aussi une troisième réponse. Car, comme l’a annoté Antoine Nebrissensis (aux 50 lieux de l’Écriture), quand deux compétiteurs arrivaient égaux, la règle voulait que soit placé à gauche le plus âgé et le plus méritant, et à droite le plus jeune et le moins honorable, et nul ne précédait l’autre en rien, en signe d’honneur à rendre.  Car on appelait « latéraux », et par contraction « voleurs » ce qui recouvrait, en guise de défense, le côté droit des maisons nobles. Cela, il le prouve par plusieurs arguments,  surtout par le témoignage de deux poètes illustres. Voici ce que dit Ovide (livre 5, des fêtes, des vieux) : « Et il allait au milieu des jeunes, sans susciter leur indignation, comme s’il était le seul commensal intérieur. »  Il appelle « intérieur » celui qui est à gauche.  C’est Virgile qui nous l’apprend (livre 5 de Enéades), car il dit de Cloanthe qui naviguait à gauche de Gya : « Lui, entre le navire de Gya et les écueils sonores, il se trace un chemin à gauche, et dépasse tout à coup le premier. »
 Nous pouvons aussi accepter le témoignage d’Eusèbe, qui (dans le livre de la vie de Constantin) écrit qu’il a vu en Palestine Constantin adolescent parcourir la province avec Auguste senior.  Il était toujours assis à sa droite.  On ne peut douter que l’adolescent Constantin, qui n’était alors qu’un homme privé, ait été  placé dans un lieu moins honorable que celui de l’empereur.  Ne répugne pas à ce que nous venons de dire ce que déclare saint Ambroise (dans un sermon sur la pentecôte, 61), et ce qu’écrit saint Jérôme (commentaire 1 dans son chapitre aux Éphésiens). Ils disent, en effet, que la session à droite est le signe d’un plus grand honneur.  Car, la droite, est en général, plus noble, et surtout pour les sièges qui sont alignés.  Exemple.  Si on place deux sièges contre un mur, et si l’un ne touche pas l’autre, il ne fait aucun doute que la droite est due à celui qui est le plus digne.  Il en est différent quand on est en marche, et quand l’un recouvre le côté de l’autre avec son corps.
 Il est donc croyable qu’on ait commencé, au début, à peindre saint Paul à la droite de saint Pierre, comme étant plus jeune et inférieur.   Car, dans les diplômes pontificaux, Paul est placé à la droite de Pierre, de façon à ce qu’il le précède, et qu’il recouvre tout. Ce qui, pour Paul, est un signe d’honneur, et pour Pierre, de dignité. Qu’on ait commencé par la suite à le peindre à droite, même quand il ne recouvrait pas Pierre, ou quand le Christ ou la sainte Vierge étaient placées au milieu, cela semble provenir d’un manque de savoir, car ils constatèrent que saint Paul était placé à droite, mais ils ne se rendirent pas compte qu’il était peint ainsi quand il recouvrait Pierre.  Ils pensèrent donc que cela avait été fait pour des raisons d’ordre honorifique.  Voilà pourquoi, ils continuèrent à placer saint Paul à droite quand ils étaient assis tous deux, ou quand un grand espace les séparait.
 Que ce ne soit pas pour honorer saint Paul que les anciens ont agi ainsi, on peut le prouver par le fait que dans toutes les autres choses, saint Pierre est toujours placé avant saint Paul.  Si on les nomme, Pierre précède; si on les invoque dans les prières, Pierre précède; si on doit les célébrer par un jour de fête en leur honneur, Pierre précède.  Pourquoi cet ordre serait-il changé dans les images ?  Enfin, si ces choses ne parviennent pas à convaincre certaines personnes, on peut admettre que c’est pour l’honorer que saint Paul a été placé à la droite de saint Pierre. Et on peut trouver trois causes à ces marques d’honneur.  La première. Il semble avoir eu plus d’influence que saint Pierre.  Il a amené à la foi plus de Gentils; a parcouru un plus grand nombre de provinces, avec un plus grand labeur. Il a nous a laissé plus d’écrit d’une immense utilité que Pierre.  L’Église, en effet, quand elle rend un culte aux saints, ne regarde pas tant le degré d’honneur qu’ils eurent sur la terre, que ce qu’ils ont légué d’utile à la postérité.  Car, quand elle les honore, par motif de reconnaissance, elle rend un culte plus grand à ceux à qui elle doit davantage.  Certes, les diacres saint Étienne et saint Laurent exerçaient un ministère semblable auprès de leurs évêques respectifs : saint Étienne était au service de saint Jacques, évêque de Jérusalem et apôtre, et saint Laurent au service du souverain pontife Sixte.  Et pourtant, l’Église honore plus saint Étienne que saint Jacques, plus saint Laurent que Sixte, car les martyres illustres de ces diacres profitèrent admirablement à toute l’Église.  La preuve que l’Église fait plus de cas des diacres Étienne et Laurent que de saint Jacques et de Sixte, c’est que le jour de leur naissance au ciel a une octave, et celui de Jacques et de Sixte n’en a pas.
 Autre cause du même genre.  Saint Jérôme et saint Thomas d’Aquin furent de simples prêtres.   Saint Antoine, saint Benoit et saint François ne furent même pas prêtres.  Et cependant, en ce qui à rait au culte qu’on leur rend, ils passent avant bien des saints évêques, bien des martyrs, et bien des souverains pontifes, parce que, par leurs écrits, par leur fondation d’ordres religieux, ils rendirent plus de service à l’Église que beaucoup d’autres.   L’autre raison est que saint Paul fut principalement le docteur des Gentils, saint Pierre, celui des Juifs. Saint Paul est placé avant saint Pierre pour que l’Église signifie par là que les Gentils ont été placés avant les Juifs, par celui qui a dit : « que le plus grand serve le plus petit. »
 La troisième raison pourrait être que Pierre a été appelé par le Christ quand il était encore mortel, et comme placé à gauche.  Paul, lui, c’est du ciel qu’il a été appelé par un Christ immortel, qui règne et siège à la droite de son Père.  Cette raison est invoquée par Pierre Damien (dans son épitre à Désiré, qu’il a écrite sur ce sujet), par Innocent 111 (dans son sermon sur l’évangile) et par saint Thomas (lecture 1, sur l’épitre aux Galates).   Pierre Damien ajoute une quatrième raison. Saint Paul était de la tribu de Benjamin, lequel fut un type de Paul.  Car, bien qu’il ait été le dernier parmi  ses frères, il est quand même appelé par son père le fils de sa droite, et est placé par Joseph avant tous ses frères.

CHAPITRE 28
On réfute l’objection des quinze péchés de Pierre claironnés par les Magdebourgeois

 Leur dernier argument vient des fautes horribles de saint Pierre que les Magdebourgeois énumèrent (centurie 1, livre 2, chapitre 10, colonnes 558,559, 560).  Et ils insistent que ce n’est pas sans le conseil du Saint Esprit qu’elles ont été fidèlement rapportées, pour qu’on n’attribue rien de trop à Pierre.  Car Dieu avait prévu ce qui arriverait plus tard.
 La première faute.  Il a demandé (Matt 14), par curiosité, comme ils le disent, d’être autorisé à marcher sur les flots.  Et c’est pour cela que, après,  il a été puni, et qu’il tomba dans un plus grand péché : le doute.  Je réponds qu’en cela, saint Pierre n’a commis aucun péché,  mais qu’il a plutôt démontré une foi singulière.  Car s’il avait péché en demandant de marcher sur les flots, il n’aurait pas obtenu du Christ ce qu’il demandait, car Dieu ne coopère pas à nos péchés par des miracles.   C’est pourquoi Maxime (sermon 1 sur la naissance au ciel de l’apôtre) dit : « Voici Pierre, qui crut tellement à la parole de Jésus que les flots de la mer ont été mis à l’épreuve par ses pas sur l’eau.  Car, comme un fidèle serviteur, il demanda à son Seigneur, -ce que son amour obtint-, qu’il lui donne la faculté de faire des pas nouveaux sur l’eau.  Et la seule raison pour laquelle il eut peur, semble-t-il,  c’était pour que la fragilité humaine connaisse la distance qui sépare le Maître du serviteur. »  Et plus bas : « Vraiment bienheureuse et admirable la foi de Pierre, même quand il a peur, cette foi que n’a pu ébranler la crainte d’un péril imminent.  Car, en criant pendant qu’il enfonçait : « Seigneur, délivre-moi ! », c’est de lui qu’il s’est méfié, ce n’est pas du Seigneur qu’il a douté.  Que cette peur du glorieux Pierre n’induise donc personne au vice ! »
 La seconde.  Pierre (Matt 16) a dit au Christ : « Loin de toi, cela, Seigneur ! Que cela ne t’arrive pas ! »  Par ces paroles, prétendent les Magdebourgeois, saint Pierre a commis une faute horrible et dégoutante. Et, un peu plus bas : « Par ces mots, on raconte une faute horrible, qui mérite la condamnation éternelle, à moins que, par une très grande miséricorde de Dieu, il ne se rétracte.  Car on ne peut douter qu’il commettait un péché grave en demandant quelque chose de pareil. »   Je réponds que saint Jérôme a estimé que cela s’était passé bien autrement.  Car, (dans le chapitre 14 sur saint Matthieu), il écrit : « Dans tous les passages, on découvre chez Pierre une foi très vive. Quand Jésus demanda à ses disciples ce que les hommes pensaient de lui, il a confessé le Fils de Dieu.   Et même s’il a erré en pensée quand il a interdit à Jésus de se rendre jusqu’à la passion,  il n’a pas erré dans l’affection. »  Et (au chapitre 16) : « Cette erreur de l’apôtre, qui venait de son affection respectueuse, ne m’apparaîtra jamais comme une tentation du démon. »
 La troisième. Ils la découvrent dans Matt. 17 : « Seigneur, il est bon pour nous d’être ici.  Si tu le veux,  faisons-y trois tentes etc. »  Ils disent que Pierre a péché quand, en dehors de la parole de Dieu, il a pensé instituer un culte pour perpétuer la mémoire de cet évènement. Bien plus, c’est par le Père céleste que cette superstition de Pierre a été châtiée.  Je réponds que saint Pierre n’a péché en aucune façon.  Marc (chapitre 9) nous le fait facilement comprendre, quand il explique : « Il ne savait pas ce qu’il disait, car ils étaient prostrés par la terreur. »  Saint Pierre était donc hors de lui-même quand il parla ainsi, et, dans un tel désordre mental, il a certes pu se tromper, mais pécher, nullement.  Saint Jean Chrysostome, en commentant ce texte, estime que ces paroles de saint Pierre expriment une très grande ferveur. Voici ce qu’il dit : « Tu vois à quel point l’amour du Christ l’incendiait. Car, tu ne dois pas chercher à savoir  s’il souhaitait prudemment, mais plutôt quelle était la grandeur de son amour du Christ, à quel point il en était enflammé ! »
 De plus, il est étonnant que les Magdebourgeois aient flairé une superstition et un nouveau culte en mémoire de la transfiguration, quand Pierre se contente de dire : il est bon pour nous d’être ici. Et, au surplus, ce n’est pas pour perpétuer la mémoire d’une chose passée qu’il voulut dresser trois tentes, mais pour éterniser le moment de la présence  avec le Christ glorieux.  C’est pourquoi saint Léon (dans le sermon de la transfiguration), dit que ce que saint Pierre a demandé était bon, mais à contretemps, car le moment n’était pas encore arrivé pour lui de jouir de cette gloire.  Il n’a cependant pas péché en demandant la gloire avant le temps, car il ne savait pas ce qu’il disait.
 La quatrième. Pierre fut un des disciples, (Matt 16) et peut-être pas le moins insistant, qui discutait pour savoir lequel d’entre eux était le plus grand. Cette ambition larvée le Seigneur l’a rabrouée par une longue exhortation.  Mais l’Écriture ne dit jamais que Pierre fut de ce nombre. Les pères qui ont commenté ce passage (Origène, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, et d’autres) enseignent que ce n’était pas saint Pierre qui avait lancé ce débat, mais les autres disciples, car ils pressentaient que Pierre serait placé avant tous les autres.  On peut le déduire, cela, de l’évangile lui-même. Car, après avoir dit que Pierre avait été envoyé à la mer, (chapitre 17), Matthieu ajoute au début du chapitre 18 : « À ce moment-là, les apôtres s’approchèrent de Jésus pour lui demander : qui, penses-tu, est le plus grand ? »  Il indique clairement que c’est, en l’absence de Pierre, que la question a été soulevée. En effet, c’est au moment même où saint Pierre a été envoyé à la mer que les autres disciples allèrent trouver Jésus.
 La cinquième.  Ils disent que saint Pierre a voulu limiter à sept fois le nombre du pardon des péchés : « Combien de fois pardonnerai-je à mon  frère quand il pèche contre moi ? Jusqu’à sept fois ? »  Ce sont des enfantillages.   Saint Pierre n’a rien voulu restreindre; il interroge son maître tout simplement.   La sixième.  Ils reprochent à saint Pierre cette demande (Matt 19) : « Voici que nous avons tout laissé. Que nous arrivera-t-il ? » Il semble là avoir rêvé des récompenses  charnelles, et avoir parlé avec arrogance.  Mais entends le commentaire de saint Jean Chrysostome : « Ce n’est pas par ambition ou par vaine gloire qu’il dit ces choses, mais pour introduire dans le monde un peuple vrai, parce que pauvre. »  En effet, le Seigneur n’a reproché à Pierre aucun péché, mais il lui a promis de très grandes récompenses. »
 La septième. Ils reprochent à Pierre d’avoir dit (Jean 13) : « Tu ne me laveras jamais les pieds pendant toute l’éternité ! »  Ils disent que « c’est par une dévotion dépravée inconsciente qu’il refuse que le Christ lui lave les pieds ». Voici ce que saint Jean Chrysostome a à dire sur cette objection : « Le fait de ne pas obéir était  une preuve d’amour et de respect. » Et, plus bas : « Il est véhément en refusant, et plus véhément encore en permettant. L’un et l’autre par amour. »   Saint Basile (dans son sermon sur le jugement de Dieu), dit, au sujet de ce passage : « Il ne donna le signe d’aucun péché, d’aucun mépris, mais il manifesta, plutôt, de quelle façon il honorait le Sauveur.  Et il montra quel est le respect qui convient à un serviteur et à un disciple. »  Saint Cyrille (chapitre 9, livre 4 sur saint Jean) : « C’est avec raison que le disciple fidèle s’effraya  de cet abaissement de son maître, et que, poussé par sa révérence coutumière, il le récusa. »
 La huitième.  Ils la vont chercher dans ces paroles de saint Pierre (Matt 26) : « Même s’il me faut mourir avec toi, je ne te renierai pas. »  Il semble accuser de mensonge le Jésus qui lui avait prédit qu’il le renierait. Mais écoutons saint Jérôme : « Ce n’est ni de la témérité, ni un mensonge, mais la foi de l’apôtre Pierre, et son amour ardent envers le Sauveur. »  Écoutons aussi saint Jean Chrysostome : « D’où cela t’est- il venu ? D’un grand amour, et d’une forte volonté. »  Il n’y a donc pas eu de faute ici, ou s’il y en a eu une, ce fut un excès d’amour et de piété.  La neuvième, ils la découvrent au jardin des oliviers.  Après avoir reçu l’ordre de veiller, il a dormi.  Mais l’évangéliste leur trouve une excuse, à Pierre aussi bien qu’aux autres apôtres : « leurs yeux s’étaient appesantis ».  Et comme ils avaient veillé une bonne partie de la nuit, je ne vois pas quelle grande faute il y avait à être vaincu par le sommeil.
 La dixième.  Pierre (Matt 26) a coupé l’oreille de Malchus.  Ils disent que « contre l’interdiction du Christ, il s’est servi d’un glaive, et que,  dans un effort téméraire et impie, il a amputé l’oreille du ministre du pontife ». Et plus bas : « Le conseil prédit dans l’Écriture cherche à empêcher, autant que possible, les actes violents. »  D’abord, il est faux que ce soit contre une interdiction du Christ que saint Pierre s’est servi de son épée. Car le Seigneur n’avait rien prédit au sujet de l’emploi du glaive, en dehors de ce que nous avons en Luc 22 : « Que celui qui n’en a pas vende sa tunique pour acheter un glaive. »  Et quand les disciples lui dirent : « Voici deux glaives », le Christ répondit : « cela suffit », c’est-à-dire, deux glaives suffisent.  Si par ces paroles, il ne commandait pas qu’on se serve de glaives, il le prohibait encore moins.  Et bien que le Seigneur réprouvât, après coup, cette action de Pierre, parce qu’il n’avait pas besoin de cette défense-là, le Seigneur ne blâma pas le zèle de Pierre.  Saint Jean Chrysostome (homélie 85 en Matthieu) enseigne : « Considère, toi, l’amour pieux et l’humilité du disciple.  Car, c’est un autre qui a frappé Malchus, par la ferveur envers celui qui devait être aimé par-dessus tout; et un autre qui, par obéissance, a remis l’épée au foureau.  »  Saint Cyrille (livre 9, chapitre 35 sur saint Jean) : « L’intention de Pierre qui brandit un glaive contre les adversaires, ne fut pas contraire à un commandement de la loi. »  Saint Ambroise (chapitre 22, Luc) : « Érudit dans la loi, prompt par l’affection, Pierre savait qu’avait été réputé à justice que Phinees ait tué les sacrilèges, et frappé le serviteur du prince. »
 Ils blasphèment donc les Magdebourgeois quand ils disent que Pierre a fait cela par une impulsion impie, et pour s’opposer violemment au conseil de Jésus. Car, ce n’est pas par haine contre le conseil de Dieu, mais par amour envers son maître, qu’il avait improvisé cette défense.  La onzième.  Ils lui reprochent son reniement.  Nous ne nions pas que ce fût un grand péché, mais loin de faire obstacle à la primauté apostolique, il l’a plutôt confirmée.  Car, c’est ainsi que parle saint Grégoire (homélie 21 sur cet évangile) : « Examinons pourquoi le Dieu tout puissant  a permis que celui qu’il avait établi chef de toute l’Église, tremblât à la voix d’une servante, et le reniât.  Nous savons que cela s’est produit par la dispensation d’une grande piété, pour que celui, qui avait à être le pasteur de l’Église, apprenne, par sa propre faute, qu’il devait être miséricordieux envers les autres. »
 La douzième. Quand Jésus été pris par les Juifs, ce célèbre et fougueux héros a pris la fuite.  D’abord, Pierre ne fut pas le seul à agir ainsi, puisque saint Matthieu (chapitre 26) rapporte que « tous les disciples, après l’avoir abandonné, prirent la fuite. »  Ensuite, s’il est vrai que Pierre s’est enfui au début, il n’est pas moins vrai qu’il retourna bientôt après : « Et, il le suivait de loin »  Ajoutons, enfin, que dans cette fuite, il ne commit aucun péché. Car s’ils avaient du suivre Jésus, ça aurait été pour le défendre, ou pour l’empêcher de se livrer à la mort.  Or, ils avaient déjà compris que le Seigneur ne voulait aucune défense.  Ils n’étaient pas  plus tenus à se présenter à  la mort qu’à obéir au commandement du Seigneur, qui les incitait à fuir quand ils seraient persécutés.
 La treizième. Après la résurrection du Seigneur, quand saint Pierre accourut au sépulcre avec une grande ardeur, il n’interpréta pas correctement tout ce qui exprimait la résurrection, comme saint Jean le reconnait (chapitre 20).  Mais, au même endroit, saint Jean a disculpé saint Pierre et lui-même,  en disant qu’ « ils ne connaissaient pas les Écritures qui annonçaient sa résurrection ».  Saint Pierre agissait donc par ignorance à ce moment, mais sans faute de sa part.   Car, il n’était pas de ceux qui ne veulent pas comprendre pour ne pas être obligés de faire le bien. Il ignorait tout simplement.
 La quatorzième faute ils la voient dans la demande qu’il a faite à Jésus au sujet de saint Jean : « Et lui, quoi ? » Car il a entendu une réprimande du Seigneur quand il lui répondit : « Que t’importe ? Toi, suis-moi ! » Si on peut  appeler cela une curiosité, elle est très digne de pardon, car, comme le dit saint Jean Chrysostome, c’est son grand amour de saint Jean qui l’a fait parlé ainsi. Il pensait que saint Jean aurait aimé le savoir, mais n’osait pas le demander. C’est donc pour plaire à Jean qu’il a interrogé le Seigneur, comme en son nom.
 La dernière faute. Ils lui reprochent de ne pas avoir, à Antioche, marché dans la vérité de l’Évangile, et d’avoir mérité d’être rabroué par saint Paul. En rapportant ce péché, ils marchent sur les traces de leurs prédécesseurs, comme, par exemple, l’hérétique Marcion, et l’apostat Julien qui accusaient Pierre d’avoir commis un péché énorme, et d’avoir été justement ramené à l’ordre par saint Paul.  Ces calomnies ont été parfaitement réfutées autrefois par Tertullien (livre 4 contre Marcion), par saint Cyrille (livre 9 contre Julien).
 Voici comment les choses se sont passées.   Pendant son séjour à Antioche, Pierre,  au nom de la liberté chrétienne, prenait ses repas avec les Gentils. Survinrent des Juifs de Jérusalem qui avaient été envoyés par saint Jacques.  Alors Pierre se mit à penser qu’il ne pouvait pas éviter d’offenser soit  les Juifs soit  les Gentils.  Car, sil continuait de manger avec les Gentils, les Juifs s’en formaliseraient.  Faibles dans la foi comme ils étaient, ils n’arrivaient pas à se persuader qu’il leur était permis de manger ce que mangent les Gentils. Mais, si, par contre, il se séparait des Gentils pour se joindre au Juifs, il offenserait les Gentils qui le jugeraient faible, ou qui se serviraient de son exemple pour judaïser. Face à ce dilemme, Pierre choisit ce qui lui semblait le moindre mal. Car, étant d’abord et avant tout apôtre des Juifs, il préféra vexer les Gentils plutôt que les Juifs. Saint Paul blâma ce choix, et le reprit assez vertement.
 Les pères Grecs n’ont vu aucun péché dans cette décision de saint Pierre, comme le montrent leurs commentaires de l’épitre aux Galates. Chapitre 2.  Saint Jérôme donna son assentiment aux pères grecs dans son commentaire de cette épitre (89 chez saint Augustin).  Mais la plupart des pères latins reconnaissent un certain péché, comme Tertullien (livre 4 contre Marcion), saint Cyprien (dans son épitre à Quintus), saint Ambroise (Galates, chapitre 2), saint Augustin (dans son épitre à saint Jérôme, 8.9.19), saint Grégoire (morales, chapitre 12), et d’autres.  Du reste, ce péché, si péché il y a eu, ou fut véniel, ou fut une imperfection, ou ne fut que matériellement un péché : un manque de jugement, mais sans faute de sa part.  Car il est certain qu’il a agi pour le mieux.   S’il a erré dans le choix qu’il a fait, la cause en fut un manque de réflexion : ce fut alors un péché véniel.  Ou un manque de lumière, et une ignorance involontaire : il n’y eut alors aucune faute de sa part.   Il est vraisemblable  que la Providence ait permis cela pour mettre davantage en relief la pensée de saint Paul; pour donner un exemple très utile de liberté, chez Paul, de patience et d’humilité chez Pierre.

2017 09 19 fin
 
 

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 2019.