TROISIÈME CONTROVERSE GÉNÉRALE
LE SOUVERAIN PONTIFE
(pdf latin, tome 1, p.451-535)
2017 09 28 à 20h34 début
LIVRE 2
De Successionne Romanorum Pontificum in Primatu
CHAPITRE 1 : On propose une question : saint Pierre a-t-il été à Rome ? Y est-il mort évêque de Rome ?
Après avoir traité de ce qui permet
d’expliquer la primauté de saint Pierre, et de la démontrer, nous en
venons maintenant à la primauté apostolique de ses successeurs.
Comme le droit de succession des pontifes romains est fondé sur le fait
que saint Pierre, sur l’ordre du Seigneur, établit son siège à Rome,
et y pontifia jusqu’à sa mort, la première question qui se pose est
la suivante : Saint Pierre a-t-il été vraiment évêque de Rome ? A-t-il
jamais transféré son siège ailleurs ?
Plusieurs hérétiques de
notre époque mettent en doute ce qui a été cru constamment par toute
la terre pendant 1500 ans, à savoir que saint Pierre ait été évêque
de Rome, et qu’il ait rendu l’âme à son Seigneur par le martyre de
la croix. Les uns s’expriment avec retenue, d’autres avec impudence.
Le premier, à ce que je sache, qui enseigna que saint Pierre n’avait
pas été évêque de Rome, et qu’il n’avait même jamais vu Rome,
fut Guillaume, le précepteur de Jean Wiclef, comme le Vaudois Thomas le
rapporte (dans son livre 2 sur la doctrine de la foi, article 1, chapitre
7). C’est lui qu’a suivi le luthérien Uldéric Velenus, qui écrivit
un livre entier sur ce sujet. Il croit présenter 18 raisons persuasives
(comme il les appelle lui-même), pour prouver que Pierre n’a jamais
mis les pieds à Rome; et que c’est à Jérusalem, non à Rome, que saint
Pierre et saint Paul ont été mis à mort. Et il déclare à la fin de
son livre, que pour ce service rendu à l’Église, il mérite la
récompense d’une couronne incorruptible. Surement, si Dieu couronne
les mensonges, il recevra, à n’en pas douter, une couronne imputrescible.
Illyricus (dans son livre contre
la primauté du pape) écrit : « La démonstration est convaincante :
saint Pierre n’est pas allé à Rome ». Jean Calvin (livre 4 des
institutions, chapitre 6, verset 15), après avoir montré que la chose
était douteuse, conclut ainsi : « Cependant, en raison du consensus
des écrivains, je ne conteste pas qu’il soit vraiment mort à Rome.
Mais, qu’il ait été évêque à Rome, et surtout pendant une longue
période de temps, je n’arrive pas à me le persuader. » Les Magdebourgeois
disent des choses semblables (dans centurie 1, livre 2, chap 10, col 561).
Il est à noter qu’il y a quatre
choses qui sont mises en doute. Pierre a-t-il été à Rome
? Est-il mort à Rome ? A-t-il évêque de Rome ? A-t-il
changé de siège après avoir reçu celui de Rome ? De ces quatre,
seul le dernier est requis nécessairement et suffit à constituer le primat
du pontife romain. Voilà la raison pour laquelle Calvin s’est
peu soucié des trois premiers, mais au sujet du quatrième, il ne voulut
pas en démordre. Car le premier n’est pas requis et ne suffit
pas du tout, cela n’est que trop évident, car beaucoup d’évêques
sont venus à Rome, sans jamais devenir évêques de Rome. Et il y eut
même un certain nombre de papes qui n’allèrent jamais à Rome, comme
Clément 5, Jean 22, Benoit 7, Clément 6, et Innocent 6. C’est
en Gaule qu’ils furent sacrés pape, et c’est là qu’ils demeurèrent.
Que le deuxième ne soit pas requis
ni ne suffise, plusieurs pontifes romains l’ont attesté en mourant en
dehors de Rome. Comme Clément 1, qui mourut dans le Pont, Pontien
en Sardaigne, Jean 1 à Ravenne, Agapet à Constantinople, Innocent 111
à Pérouse, Innocent 4 à Naples, Jean XX à Viterbe, et d’autres ailleurs.
C’est ce qu’attestent plusieurs évêques qui sont morts à Rome sans
être, pour autant, évêques de Rome.
La troisième est requise mais ne
suffit pas. On le déduit de ce que saint Pierre, qui fut d’abord évêque
d’Antioche, a transféré ensuite son siège à Rome, sans que l’évêque
d’Antioche ait pour autant acquis le droit de revendiquer le premier
rang. Le quatrième donc seul est requis et suffit. Mais comme
tous sont vrais, nous les démontrerons tous par des arguments appropriés.
CHAPITRE 2
Pierre a été à Rome
Nous le prouverons d’abord par
un témoignage de saint Pierre, qui s’exprime ainsi à la fin de sa première
épitre : « L’Église rassemblée à Babylone vous salue, et Marc mon
fils. » Le premier témoin est saint Jérôme (dans son livre des
hommes illustres, au mot Marc). Il s’exprime ainsi : « Dans sa première
lettre, Pierre désigne Rome sous le nom de Babylone. » C’est de la
même façon que commentent ce texte Oecumenius et Bède le vénérable,
et tous ceux qui ont expliqué cette épitre. De plus, saint Jean,
dans l’apocalypse, donne souvent le nom de Babylone à Rome, comme Tertullien
l’a noté (livre 3 contre Marc, et livre contre Jude). La ville
de Rome est indiquée clairement (chap 17) dans l’apocalypse, où l’on
lit que « Babylone est assise sur sept montagnes, et a l’empire
suprême sur les rois de la terre ». Car, il n’y eut pas, au temps de
saint Jean, une autre ville qui exerçât l’empire universel, et
qui fût assise sur sept collines. Les adversaires, d’ailleurs,
accusent souvent Rome d’être la Babylone de l’Apocalypse.
Luther lui-même a écrit un livre entier sur la captivité de Babylone;
et les Magdebourgeois ne reçoivent l’apocalypse parmi les livres divins
que parce que, dans ce livre, on dit beaucoup de choses contre Rome sous
le nom de Babylone. Voir centurie 1 (livre 2, chapitre 4, colonne
56).
Velenus réplique : « Il n’y
a eu que deux vraies Babylone, l’une chez les Syriens, et l’autre en
Égypte, qu’on appelle maintenant le Caire. Il s’ensuit donc
que ce n’est pas de Rome que saint Pierre a écrit, mais de l’Assyrie,
ou de l’Égypte. » Velenus parle pour ne rien dire. Car, saint
Pierre ne parle pas de la Babylone proprement dite, mais de celle qu’on
appelle métaphoriquement Babylone, comme nous le démontrons à partir
d’un grand nombre de commentateurs, qui ont certes plus de poids que
le seul Velenus. D’autant plus qu’il ne peut pas citer un seul écrivain
qui l’appuie ! D’ailleurs, que Velenus nous réponde : s’il
n’exista pas de Babylone en dehors de l’Assyrie et de l’Égypte,
quelle est donc cette Babylone qui, dans l’Apocalypse, détient l’empire
sur tous les rois de la terre ? Cela ne correspond surement ni à l’Assyrie,
ni à l’Égypte !
Mais Velenus insiste : « Si, dans
l’épitre de saint Pierre, on entend Rome par Babylone, comme dans l’apocalypse
de saint Jean, ils ont donc raison tous ceux qui quittent l’Église romaine.
Car, dans l’apocalypse (18) nous lisons : « Elle est tombée Babylone
la grande ! Elle est devenue une demeure de démons, et la gardienne de
tous les esprits immondes. » Et de nouveau : « Sortez de cette
ville, mon peuple, pour ne pas participer à ses manquements, et pour ne
pas être contaminés par ses virus ! » Je réponds que ce n’est pas
l’Église romaine qu’on appelle Babylone, mais la ville de Rome du
temps de saint Jean. Car, comme l’explique Tertullien (livre 3
contre Marc), comme la vraie Babylone était la tête de l’empire, et
avait pour roi Nabuchodonosor, qui persécutait le peuple de Dieu et l’amenait
en captivité, de la même façon, la ville de Rome, au temps des apôtres,
était la tête de l’empire, et avait un Néron comme empereur, qui persécutait
farouchement l’Église de Dieu.
Saint Jean a prédit que cette Babylone
serait saccagée, parce que l’empire romain devait être détruit.
Nous savons que cela s’est réalisé presque au complet. Car, les
Goth, les Vandales, les Huns, les Lombards n’ont-ils pas réduit l’empire
romain à presque rien ? Cette même Babylone il l’appelle la demeure
des démons, et la gardienne de tous les esprits immondes, parce que, comme
le dit saint Léon (sermon sur la naissance au ciel des apôtres Pierre
et Paul) : « Quand elle était dominée par tous les Gentils, elle a partagé
les erreurs de tous les Gentils. » Et, au sujet de : « sortez de
la ville », il s’agit d’une invitation à sortir non avec son corps,
mais avec son cœur, comme saint Augustin l’explique (dans collatione
3 sur le bréviaire). Ce que commande saint Jean c’est que les
saints ne se joignent pas aux païens et aux idolâtres par une ressemblance
de mœurs et de vie, même s’il leur est permis d’habiter dans la même
ville qu’eux. Il appert, d’ailleurs, que ces paroles de saint Jean
n’ont jamais fait sortir les chrétiens de la ville de Rome !
Voilà pourquoi saint Jérôme (dans
l’épitre à Marcella qu’il exhorte au nom de Paula et d’Eustoche,
à sortir de la ville pour se rendre à Bethléem,) après avoir cité
contre Rome ces paroles de l’apocalypse, ajoute tout de suite après
: « La sainte Église est là, là sont les trophées des apôtres et
des martyrs, là a été prêchée la foi par l’Apôtre, et foulée aux
pieds la gentilité, là chaque jour le nom chrétien s’élève toujours
plus haut. » Par ces paroles, il enseigne que ce n’est pas contre
l’Église romaine que saint Jean a parlé, mais contre la gentilité
romaine. Et (dans son livre 2 contre Jovinius, vers la fin), il parle
ainsi de Rome : « Je parle de toi qui, par la confession du Christ, a
effacé le blasphème écrit sur ton front. »
On le prouve, ensuite, par les actes
des apôtres et l’épitre aux Romains. Ces écrits nous révèlent
que, à Rome, il y avait beaucoup de chrétiens, et même une église nombreuse
et florissante, avant que saint Paul n’y aille. Je demande donc
: qui a fait ces chrétiens, si saint Pierre n’est jamais venu à Rome
? Car, que Pierre ait été le premier à prêcher aux Romains, et
qu’il ait fondé une église avant la venue de saint Paul, plusieurs
anciens en témoignent. Que ce soit un autre qui ait fait cela, on
ne peut le démontrer par aucun argument solide. Il est certain que
saint Irénée écrit que l’Église de Rome a été fondée par saint
Pierre et saint Paul, c’est-à-dire, par saint Pierre d’abord, et ensuite
par saint Paul. Eusèbe (livre 2 de l’histoire de l’Église,
chapitre 14), dit, parlant de Pierre : « Par le verbe de la prédication
salutaire, Pierre fut le premier, dans la ville de Rome, à ouvrir, par
les clefs de son évangile, la porte du royaume céleste. » Arnobe
( livre 2 contre les Gentils, dit que Rome « s’est convertie au Christ,
parce qu’elle a vu le quadrige igné de Simon le magicien dégonflé
par la bouche de Pierre, dès qu’il invoqua le nom du Christ »
Épiphane (hérésie 27, qui est celle
de Carpocrate) : « Pierre et Paul furent les premiers à Rome. »
Saint Jean Chrysostome (dans le psaume 48) : « Parce que c’est le pêcheur
Pierre qui occupa principalement la ville de Rome, il y resplendit,
même après sa mort, plus lumineux que le soleil. » Paul Orose
(livre 7 de l’histoire, chapitre 6) : « Au début du règne de Claude,
l’apôtre Pierre de notre Seigneur Jésus-Christ vint à Rome et il enseigna,
par une parole fidèle, la foi salutaire à tous, la démontra par des
vertus très puissantes, et c’est à partir de là que commencèrent
les chrétiens de Rome ». Saint Léon (sermon sur la naissance au
ciel des apôtres Pierre et Paul), enseigne : « Quand, pour imprégner
tout l’univers de l’évangile, les apôtres se partagèrent les provinces,
le bienheureux Pierre, le prince de l’ordre apostolique, fut destiné
à la citadelle de l’empire romain. » Theodoret (épitre aux Romains,
chapitre 1 ) : « Le grand Pierre est le premier à leur (romains) avoir
présenté la doctrine évangélique. » Saint Grégoire de Tours (histoire,
livre 1, chapitre 25), dit d’abord que saint Pierre est venu à Rome
sous Claude. Il ajoute ensuite : « Depuis ces jours-là, des chrétiens
commencèrent à exister dans la ville de Rome. »
L’empereur Théodose (catéchèse 1
sur la sainte trinité et la foi) : « Tous les peuples que régit l’empire
de notre clémence, nous voulons qu’ils se conservent dans la religion
que saint Pierre a apportée aux Romains, et qui perdure jusqu’à maintenant.
» Ajoutons la divination de la sibyille Erytraea. Elle
avait prédit que « la ville de Rome serait assujettie non par le glaive
et la guerre, mais par le filet d’un pêcheur ». Nicolas Sanderus
rapporte cette prophétie, (livre 7 de la visite du monarque, page 250).
Velenus répond que c’est après la passion du Christ, au temps de Tibère,
que les chrétiens ont commencé à exister à Rome, comme le rapportent
Orosius (livre 7 de son histoire), Tertullien dans son apologie,
Platina dans la vie du Christ, et Tranquillus dans la vie de Tibère.
Il s’ensuit donc de tout cela que ce n’est pas par Pierre que l’Église
de Rome a été fondée, puisqu’il n’y est venu qu’au temps de Claude.
Ajoutons en faveur de Velenus, le témoignage de saint Clément (livre
1 dans les reconnaissances), où nous lisons que Barnabée a prêché à
Rome au temps de Tibère. Dorothée de Tyr, après l’avoir lu, a enseigné
que Barnabée est le premier à avoir prêché à Rome.
Je réponds que c’est faux qu’il y
ait eu des chrétiens au temps de l’empereur Tibère, et que c’est
archi vrai que, comme le racontent les pères, saint Pierre ait été le
premier à prêcher aux Romains, et ce, au temps de Claude. Car,
des quatre auteurs cités par Velenus, deux, parmi les plus anciens, ne
disent rien de tout cela. Velenus ment froidement. Même si, dans la préface,
il jure sur son âme de parler franchement, de ne vouloir par aucun mensonge
et par aucune fraude, farder la vérité. Tranquillus, dans la vie
de Tibère, ne se souvient en rien des Chrétiens. Mais, dans la
vie de Claude, il dit que, sous l’impulsion du Christ, les Juifs séditieux
furent expulsés de Rome par Claude. Voilà qui favorise notre opinion,
car nous soutenons, nous, que c’est au temps de Claude que les
Chrétiens ont commencé à exister. Tertullien, dans son apologie,
dit plutôt le contraire de ce que Velenus lui fait dire. Car, il rapporte
que, de la Palestine, Pilate a écrit à Tibère au sujet de la résurrection
du Christ, et qu’il était considéré comme dieu par plusieurs; et que
Tibère avait référé la chose au sénat, pour qu’ils décident s’il
convenait de recevoir le Christ parmi les dieux; que le sénat avait refusé
parce que, comme l’écrivait Pilate, le peuple le considérait
déjà comme Dieu avant qu’il ait été consacré par le sénat.
De ce récit, on ne peut déduire qu’il y avait déjà à Rome des chrétiens,
mais plutôt qu’il n’y en avait pas. Car, s’ils y étaient,
Tibère aurait d’abord connu par eux ce qu’il apprit par une lettre
de Pilate.
De plus, Orosius, qu’a suivi Platina,
ajoute, aux paroles de Tertullien, que le sénat avait décrété qu’il
fallait chasser les chrétiens de la ville. On ne peut pas comprendre la
décision du sénat au sens où il y aurait eu alors des chrétiens
dans la ville de Rome, car le même Orose (dans le même livre 7) enseigne
clairement qu’il n’y a eu des chrétiens à Rome qu’après la venue
de saint Pierre; que Pierre est venu sous Claude. Voici donc quel
était le sens du décret du sénat : il ne fallait en aucune façon accueillir
la religion chrétienne, et chasser de Rome les chrétiens qui y viendraient.
Mais cet édit n’eut aucune force, car comme le rapporte Orosius au même
endroit, Tibère a imposé des sanctions aux accusateurs des chrétiens.
Au sujet de Barnabée, je réponds qu’il
n’est pas vraisemblable que Barnabée ait prêché à Rome au temps de
Tibère, car il est établi qu’aucun d’eux n’a osé prêcher aux
Gentils avant que Pierre (actes 10, et 11) ne soit averti de le faire par
une vision céleste. Et, à cette époque, Barnabée fut le
compagnon assidu de saint Paul jusqu’à la fin du concile de Jérusalem,
comme on le voit dans les actes des apôtres (11. 12. 13. 14. 15). Et pendant
tout ce temps, lui et Paul n’allèrent pas une seule fois à Rome.
Or, on célébra le concile de Jérusalem dix-huit ans après la passion
de Jésus, et 13 ans après la mort de Tibère (comme on peut le voir dans
l’épitre aux Galates, 1 et 2). Barnabée n’est donc pas venu
à Rome au temps de Tibère. Ajoutons que ces livres des reconnaissances
sont considérés comme des livres apocryphes. Ensuite, la synopsis
attribuée à Dorothée de Tyr est pleine de récits abracadabrants
et de mensonges. Car (pour omettre le reste), par quelle raison peut-on
défendre un auteur qui compte parmi les 72 disciples un eunuque de la
reine d’Éthiopie, celui-là même qui avait parlé avec Philippe après
l’ascension du seigneur; qui fait de Junie un évêque, alors qu’il
est certain qu’elle était une femme; et qui fait du César dont parle
Paul aux Philippiens un disciple du Christ et un évêque, bien que, de
toute évidence, il s’agisse de l’empereur Néron ?
Ajoutons enfin, que même si nous recevions
les reconnaissances de Clément et la synopsis de Dorothée, Velenus
n’aurait rien à y gagner. Car le même Clément que suit Dorothée,
raconte ailleurs que Barnabée ne rapporta aucun profit à Rome, et qu’il
s’en retourna tout de suite après avoir prononcé, sans fruit, son premier
sermon.
Troisièmement, on le prouve par l’histoire
de l’évangile de saint Marc. Les auteurs les plus sérieux écrivent
tous unanimement que saint Marc a composé son évangile à Rome, comme
il avait entendu saint Pierre le prêcher. C’est, par exemple ce
que rapportent Eusèbe (livre 2 de son histoire, chapitre 15) en citant
Papias et Clément d’Alexandrie), saint Jérôme (les hommes illustres,
au mot Marc), le pape saint Damase (dans la vie de saint Pierre). Isidore
raconte la même chose dans la vie de saint Marc, et Adon dans sa chronique
de l’année 45. Enfin, Tertullien (livre 4 contre Marcion)
dit que c’est à saint Marc que Pierre confia la tâche d’écrire l’évangile,
parce qu’il était l’interprète de saint Pierre, et son disciple,
comme c’est à saint Luc que saint Paul a mandé le sien.
Velenus répond. Ont été trompés tous
ceux qui ne se sont pas rendu compte qu’il y a eu deux Marc, un qui s’appelait
Jean Marc, dont on fait mention dans les actes des apôtres (chapitres
12 et 15), et un autre dont parle saint Paul dans l’épitre à Philémon.
Le premier de ces deux Marc est celui qui a écrit l’évangile,
qui fut évêque d’Alexandrie, disciple et adepte de saint Pierre, mais
qui n’a jamais vu Rome. L’autre Marc a été le compagnon de
saint Paul, mais n’a écrit aucun évangile. Les anciens pères
ont donc attribué à un seul ce qui se rapporte aux deux; et c’est la
raison pour laquelle ils sont tombés dans l’erreur de penser que saint
Marc avait écrit l’évangile à Rome.
Mais notre Vélénus commet trois péchés.
Le premier. Il pense que Marc Aristarque désigne une seule personne, alors
qu’il y en a manifestement deux. Car, voici comment parle saint
Paul : « Mon compagnon de captivité Épaphras te salue dans le Christ
Jésus, ainsi que Marc, Aristarque, Démas et Luc, mes coadjuteurs. »
Il parle encore plus clairement dans l’épitre aux Colossiens : « Aristarque,
mon compagnon de captivité, et Marc surnommé Barnabée. » Autre
observation. Il veut que l’évangéliste Marc ne soit jamais allé à
Rome parce qu’il a été évêque d’Alexandrie, comme s’il n’avait
pas pu être envoyé de Rome à Alexandrie par saint Pierre. Ou comme
s’il n’avait pas pu voyager d’Alexandrie à Rome, et retourner ensuite
à Alexandrie, après avoir quitté Rome.
Il prétend que c’est Jean Marc qui
a écrit l’évangile, car ce Jean Marc avait Barnabée pour surnom, et
était disciple de saint Paul, comme on le trouve dans les actes
des apôtres (chapitres 12, et 15), et dans l’épitre aux Colossiens
(dernier chapitre). Et il aurait vécu jusqu’à la quatorzième
année du règne de Néron, car, dans la dernière épitre que saint Paul
écrivit à Timothée, en la quatorzième année du règne de Néron,
son martyre étant imminent, il a ordonné à Marc de venir le trouver.
Or, Marc l’évangéliste et évêque d’Alexandrie a été tué la huitième
année du règne de Néron, comme le rapportent Eusèbe dans ses chroniques,
et saint Jérôme dans son livre des hommes illustres, au mot Marc.
On peut aussi le prouver par le récit
de la victoire éclatante qu’a remportée saint Pierre à Rome sur Simon
le magicien. Ce récit nous en avons déjà démontré la véracité par
plusieurs témoignages. Viennent ensuite tous les arguments dont
nous ferons le plein dans le prochain chapitre, ceux qui démontrent que
c’est à Rome que saint Pierre a subi le martyre. N’a pas pu
mourir à Rome celui qui n’y a jamais été.
CHAPITRE 3
Saint Pierre est mort à Rome
Ce sont d’abord les sépulcres qui attestent
que non seulement saint Pierre est venu à Rome, mais que c’est là qu’avec
saint Paul, il a déposé sa vie pour la plus grande gloire de Dieu.
Car, si saint Pierre et saint Paul ne sont pas morts à Rome, qui a transporté
leur corps à Rome ? De quel endroit, quand, et devant quels témoins ?
Ils répondront peut-être que leurs corps ne sont pas à Rome. Où
sont-ils donc, je le demande ? Il est certain qu’on n’a jamais
prétendu qu’ils soient ailleurs. Il n’est pas, non plus, vraisemblable
que les corps des plus illustres apôtres aient été négligés, alors
que nous voyons conservés avec le plus grand soin un si grand nombre de
corps de saints. Cet argument Eusèbe le trouva si convaincant
qu’il jugea superflu d’en chercher d’autres : « Donc, Néron, pour
manifester qu’il était l’ennemi déclaré de la divinité et de la
piété, condamna tout d’abord à mort les chefs et les porte-étendards
des apôtres eux-mêmes : Paul, par la décapitation, et Pierre par la
crucifixion. Tous les deux dans la ville de Rome. Je trouve qu’il
serait superflu de chercher des témoignages externes, puisque, encore
aujourd’hui, leurs monuments insignes et splendides en sont les
meilleures preuves. »
On peut tirer une autre preuve du consentement
unanime et universel de tous les peuples chrétiens. De tous les
pays, en effet, s’organisent des pèlerinages pour venir vénérer les
tombeaux de ces deux apôtres. Voici ce qu’écrit Nicolas 1 dans
son épitre à Michael : « De tous les coins du monde, affluent à chaque
jour, vers les sépulcres des apôtres, des milliers d’hommes, pour des
motifs religieux. La ville de Rome montre assez clairement que l’Église
du Christ est catholique et universelle, puisqu’on y voit toujours auprès
des sépulcres de saint Pierre et de saint Paul, un grand nombre d’hommes
de toutes les races et de tous les pays ».
Mais les adversaires ne nient pas que,
jusqu’à Jean Wiclef, c’est-à-dire jusqu’à peu près 1400 ans,
tous les chrétiens étaient persuadés que Pierre avait vécu et
était mort à Rome. Or, il n’est en aucune façon croyable
que, pendant une si longue période de temps, il n’y eut personne d’assez
futé pour détecter cette erreur, si vraiment erreur il y a. Surtout
que cet évènement que toute la chrétienté a cru si longtemps,
ne s’est pas produit en un endroit retiré, en une seconde, et sans témoins,
ni ne fut une chose facile à feindre et difficile à réfuter.
Car nous disons que saint Pierre a exercé son pontificat à Rome pendant
plusieurs années et que, à la fin, après avoir vaincu publiquement Simon
le magicien, sur l’ordre d’un empereur tout puissant et très cruel,
il a fini sa vie sa vie sur la croix, tête en bas. Comment croire qu’une
chose si célèbre et si connue ait été fausse, et que personne n’ait
été assez perspicace pour la réfuter avant le quinzième siècle?
Enfin, c’est ce qu’attestent les témoignages
des pères de l’Église. Saint Ignace, qui a vécu au temps des
apôtres, le raconte dans l’épitre aux Romains, dont saint Jérôme
(dans ses hommes illustres) rapporte la plus grande partie au mot Ignace.
Demandant aux Romains qu’il n’empêche pas sa passion, il dit : «
Je ne vous le commande pas comme Pierre et Paul ». Par ces paroles,
il semble faire allusion à la passion de saint Pierre et de saint Paul,
qu’ils ont essayé d’empêcher. Car, en pleurant, ils ont forcé
saint Pierre à sortir de la ville, quand Néron le recherchait pour le
supplicier. Saint Ignace dit donc : même si je ne peux pas vous donner
des ordres, comme le pouvaient Pierre et Paul, je vous demande de
ne pas mettre d’obstacles à mon martyre, comme vous en avez mis à ceux
de Pierre et de Paul.
Saint Denys de Corinthe, qui naquit à
la centième année après la mort des apôtres, dit, quand il était à
Rome (comme le rapporte Eusèbe, livre2, chap 25, de son histoire) : «
Enseignant ensemble dans cette ville, ils ont reçu tous les deux ensemble
la couronne du martyre, au même moment. » Cajus, qui vint cinquante
ans après Denys, selon le même Eusèbe, écrit au même endroit : «
Je possède, moi, les trophées des apôtres que je montre. Car,
si tu avances dans la voie royale qui conduit au Vatican, ou par la voie
d’Ostie, tu trouveras suspendus des trophées, provenant de toutes les
parties du monde, tout autour de l’Église romaine ». Égésippe, proche
lui aussi des temps apostoliques, raconte l’histoire tout au long (dans
le livre 3 de la destruction de Jérusalem, chapitre 2). Il ajoute
à ce que ses prédécesseurs avaient dit que, à sa demande, saint Pierre
a été crucifié la tête en bas. Eusèbe (dans sa chronique, l’an
71 après Jésus-Christ), dit : « En plus de tous ses autres crimes, Néron
déclencha une persécution contre les chrétiens, pendant laquelle Pierre
et Paul périrent glorieusement »
Théodoret, parlant de Rome dans son épitre
au pape Léon : « Elle a les sépulcres des pères de tous les chrétiens,
et des docteurs de vérité, saint Pierre et saint Paul, qui éclairent
les âmes des fidèles ». Origène (livre 3 sur la Genèse, comme
le rapporte Eusèbe dans son histoire, livre 3, chapitre 2) : « Et Pierre,
ayant demeuré jusqu’à la fin dans la ville de Rome, y fut aussi crucifié,
la tête en bas, comme il l’avait demandé lui-même, pour ne pas être
mis sur le même pied que son maître. » Saint Athanase (apologie
pour sa fuite) écrit : « Quand Pierre et Paul ont entendu dire qu’ils
devaient subir le martyre à Rome, ils ne reculèrent pas devant ce témoignage
de foi, mais l’acceptèrent avec joie. »
Saint Jean Chrysostome (homélie 32 sur
l’épitre aux Romains) enseigne : « Quand il darde ses rayons,
le soleil ne resplendit pas autant que la ville des Romains, quand
elle répand sur toute la terre la lumière de ces deux lampes. Là ont
été traînés à mort Paul et Pierre. Considérez et admirez le
spectacle que Rome verra : Pierre et Paul ressuscitant subitement
de leur tombeau, et étant emportés dans leur course vers Jésus.
»
Parmi les latins, Tertullien (la
prescription des hérétiques ) : « Si tu te rends en Italie, tu as Rome,
où l’autorité est à notre portée. Heureuse église, dans laquelle
les apôtres ont répandu toute leur doctrine avec leur sang, où saint
Pierre a eu une passion équivalente à celle de son Seigneur, où saint
Paul a été couronné par le supplice de saint Jean-Baptiste. » Lactance
(livre 4 des institutions divines, chapitre 21) : « En partant, le Christ
a révélé à ses disciples les évènements futurs, que Pierre et Paul
ont prêchés à Rome. » Et, plus bas : « Quand Néron les mit à mort,
Vespasien éteignit le nom et la nation des Juifs. Il fit toutes
les choses que les apôtres Pierre et Paul avaient prédit qu’il ferait.
» Saint Ambroise (dans son discours contre Auxence que l’on trouve
dans la lettre 5 : « La nuit, saint Pierre commença à sortir des murs
de la ville de Rome, et voyant le Christ se diriger vers lui, franchir
la porte et entrer dans la ville, il lui dit : « Seigneur, où vas-tu
? » Le Christ lui répondit : « Je vais à Rome pour y être crucifié
de nouveau. » Saint Pierre comprit que cette réponse divine
se rapportait à sa mort à lui. » Et plus bas : « Rebroussant
chemin aussitôt, il honora le Seigneur Jésus par sa mort. »
Saint Jérôme (dans sa vie des
hommes illustres, au mot Pierre) écrit : « Simon Pierre se dirigea vers
Rome pour combattre Simon le magicien, et là, pendant 25 ans, et jusqu’à
la fin, il détint la chaire sacerdotale, c’est-à-dire jusqu’à
la quatorzième année de Néron. C’est au cours de cette même année
qu’il fut cloué à la croix, et qu’il fut couronné par son martyre,
ayant été crucifié la tête en bas. » Saint Augustin (livre
1, chapitre 10, de la constance évangélique) : « Rome commémore et
célèbre les mérites de saint Pierre et de saint Paul au jour de leur
passion qui est le même, avec une grande solennité. » Maxime (sermon
5 de la naissance au ciel des apôtres Pierre et Paul) : « Pierre et Paul
ont subi le martyre dans la ville de Rome, qui devint la métropole et
la tête de toutes les nations. De sorte que là où était la tête
de la superstition, la reposerait la tête de la sainteté. »
Sulpitius (livre 2 de l’histoire
sacrée ) : « C’est dans la ville que la religion prit forme, Pierre
y détenant l’épiscopat, et Paul ayant été amené à Rome un peu plus
tard. » Et, un peu plus bas : « Pierre et Paul ont été tous deux
condamnés à mort. Paul eut la tête tranchée, et Pierre fut élevé
sur une croix. » Paulus Orosius (livre 7 de son histoire ) : «
Car Néron fut le premier à Rome à imposer des supplices et la mort aux
chrétiens, et cherchant à en extirper le nom, il tua les bienheureux
apôtres du Christ, Pierre par la croix, Paul par le glaive ». Paulin
( sermon 3 sur la naissance au ciel de saint Pierre et de saint Paul )
: « Rome est puissante par les monuments sacrés de ses fondateurs Pierre
et Paul. » Isidore (dans la vie de saint Pierre ) : « Trente-sept
ans après la passion du Christ, Pierre a été crucifié par Néron dans
la ville de Rome, la tête en bas, comme il l’avait voulu. » Saint
Léon (sermon 1 sur la naissance au ciel des apôtres Pierre et Paul) :
« La fête d’aujourd’hui, en plus de la vénération qui lui est due
par toute la terre, doit être honorée par notre ville avec une joie spéciale
qui lui est propre, parce que c’est là où a été glorifiée
la sortie de ce monde des princes des apôtres, que, au jour de leur martyre,
doit éclater l’allégresse populaire. » Saint Grégoire
de Tours (livre 1, chapitre 25) : « Néron ordonna que Pierre soit tué
par la croix, et Paul par le glaive. » Saint Grégoire (livre 6,
épitre 37) dit, en parlant de Rome : « Pierre a illustré le siège de
la ville dans laquelle il a daigné siéger, et finir sa vie présente.
»
Prudence (dans son hymne sur saint
Laurent) : « Déguerpis, Jupiter, adultère, inceste de ta
sœur ! Laisse Rome libre, fuis le peuple du Christ ! Que Paul t’extermine
! Que le sang de Pierre te chasse ! C’est par toi qu’a fait ce
qu’il a fait le Néron que tu avais armé ! » Arator (à la fin
des actes des apôtres) : « Dignes de louanges la croix de Pierre et la
couronne de Paul qui ont vaincu les menaces de César, et, dans la citadelle
du tyran ont proclamé les droits de la vérité, et ont vaincu, dans leur
combat contre la mort, le tribunal suprême, de peur qu’un faible ennemi
ne réclame ces titres. »
Elpis, la femme de Boèce, dans
son hymne sur les apôtres : « O heureuse Rome, qui a été rougie par
le sang précieux de si grands princes, ce n’est pas par tes faits glorieux
mais par leurs mérites que tu excelles en beauté sur toute la terre !
» J’en omets une quantité innombrable. Comme Bède le vénérable,
Adom, Freculphum, Bernard et les autres. Ceux que j’ai cités
devraient suffire, car ils ont tous vécu dans les premiers cinq cents
ans, d’autant que nos adversaires n’ont pas pu, jusqu’à présent,
en citer un seul qui allât dans leur sens. Ajoutons, enfin, que
les auteurs païens, même s’ils ne donnent textuellement pas les noms
de Pierre et de Paul, qui étaient pour eux des gens méprisables, racontent,
comme les pères de l’église, que Néron fut le premier à condamner
les chrétiens à la mort, comme on le voit dans les annales de Tacite
(livre 15), et de Suétone sur Néron.
Tout ce que répond à ces témoignages
Velenus c’est ce que quelques-uns des pères ont déjà dit. Que
le Christ ait apparu à Pierre, à la porte de Rome, et lui ait dit
qu’il venait à Rome pour y être crucifié de nouveau, c’est un mensonge
horrible et un blasphème contre saint Pierre et le Saint-Esprit.
Car, le Christ ne descendra du ciel qu’au jour du jugement, comme l’atteste
l’Esprit Saint par la bouche de saint Pierre (actes 3) : « Que le ciel
doit garder jusqu’au temps de la restitution de toutes choses. »
C’est plutôt Velenus qui ment et blasphème en s’efforçant de mettre
des entraves aux pieds de Jésus pour qu’il ne puisse pas bouger jusqu’au
jour du jugement. Car, pour omettre les autres apparitions qui sont
lues dans des auteurs approuvés, il est certain que, (actes 9) le
Christ est apparu dans les airs, proche de la terre, à saint Paul.
Que saint Paul ait vu avec ses yeux corporels le Christ présent et tout
proche, on le déduit de la lumière qui l’entourait, et de la cécité
qui l’a frappé après avoir vu le corps du Christ glorieux, comme on
le lit au même endroit, selon le sens obvie des paroles inspirées elles-mêmes.
Car Ananie (9) dit à Paul : « Le Seigneur Jésus m’a envoyé, qui t’est
apparu sur le chemin. » Et, au même endroit : « Barnabée conduisit
Paul vers les apôtres, et leur raconta comment il avait vu le Seigneur.
» Et saint Paul lui-même : (1 Cor 9) : « Ne suis-je pas apôtre ? N’ai-je
pas vu Jésus-Christ notre Seigneur ? » Et, (1 Corinth 15) : «
A la fin, comme à un avorton, il a été vu par moi aussi. » Il
énumère là les témoins de la résurrection, ceux qui avaient vu le
Seigneur de leurs yeux corporels, et il se place parmi eux.
Au passage des actes 3 je réponds.
Ce que Pierre a voulu dire c’est que le Christ ne viendra, publiquement
et devant tous les êtres humains, qu’à la fin du monde. Mais
on ne peut pas lui faire dire que le Christ s’interdit toute apparition
privée, et qu’il s’est rendu incapable de se montrer à qui il veut.
On peut dire aussi, et peut-être avec plus de probabilité, que Jésus
est apparu à saint Paul sans descendre du ciel, car il n’est pas difficile
à Dieu de faire en sorte qu’un corps soit présent en plusieurs lieux.
CHAPITRE 4
Pierre a été à Rome jusqu’à sa mort
Il reste deux items qu’on pourra
démontrer en même temps. Pierre a vraiment été évêque de Rome, et
a retenu son épiscopat jusqu’à sa mort. Ce qui nous en persuade
d’abord c’est la dignité suprême de l’Église de Rome. Car,
toujours, et du consentement de tous, elle a été considérée comme la
première et la plus importante, comme Calvin lui-même le reconnait.
On ne peut trouver d’autre raison de cette excellence que la présence
du prince des apôtres en tant qu’évêque et pasteur propre de cette
église, comme nous l’avons expliqué plus haut dans la vingt-sixième
prérogative de saint Pierre.
De plus, si saint Pierre n’a pas
été évêque de Rome jusqu’à sa mort, que nos adversaires nous indiquent
l’église où il siégea quand il quitta Antioche. Que saint Pierre
ne soit pas toujours demeuré à Antioche, les antiochiens eux-mêmes le
confessent; et la coutume de l’Église le prouve suffisamment, puisqu’elle
n’a jamais attribué le premier rang à l’évêque d’Antioche.
Et il n’y a ou il n’y a eu aucune église qui ait prétendu avoir eu
saint Pierre comme évêque, à l’exception de celle d’Antioche et
de celle de Rome. Dirons-nous donc que saint Pierre
n’a été l’évêque d’aucune église ? Cela les adversaires
ne peuvent pas le dire, eux qui ne veulent pas faire de saint Pierre l’évêque
de l’église universelle, mais d’une église particulière, comme l’a
été saint Jean à Éphèse, et saint Jacques à Jérusalem. Qu’ils
disent donc à quel endroit saint Pierre a été évêque; et, s’il a
été évêque à Rome, et changea ensuite de siège, qu’ils nous disent
dans quelle ville il l’a transféré !
Que se présentent donc le témoignage
et le consentement de tous les anciens que Calvin doit accepter s’il
ne veut pas se dédire. Car, c’est lui-même qui a écrit qu’à
cause du témoignage unanime des anciens, il ne peut pas nier que saint
Pierre soit mort à Rome. Or, le même témoignage des mêmes anciens
nous enseigne que saint Pierre a été évêque de Rome; et jamais aucun
d’entre eux n’a raconté le contraire. D’où vient donc
l’impossibilité d’admettre que saint Pierre ait été évêque de
Rome ?
Saint Irénée (livre 3, chapitre
3) a composé une liste des évêques romains. Il place en premier
lieu Pierre et Paul, Lin en second lieu, Anaclet en troisième, et Clément
en quatrième, et le reste jusqu’à Éleuthère, qui siégeait alors
à Rome. Il précise en disant que Clément, Sixte et Éleuthère
ont succédé aux apôtres; que Clément a été le troisième après les
apôtres, Sixte le sixième, et Éleuthère le douzième. Il est clair
que, si Pierre n’a jamais été évêque de Rome, on ne peut pas dire
qu’ils lui ont succédé. Tertullien, dans le livre des prescriptions,
écrit : « Qu’ils déroulent la lignée de leurs évêques suivant l’ordre
de succession, pour savoir si le premier d’entre eux vient des apôtres
ou des apostoliques. » Et plus bas : « Comme l’Église de Rome
professe que Clément a été ordonné par Pierre. » Qu’il ne
veuille pas dire que saint Pierre a changé de siège après avoir ordonné
Clément, le montre le même livre où il écrit que saint Pierre
est mort crucifié à Rome. Il laisse entendre que saint Clément
a été ordonné par saint Pierre, quand l’heure de sa passion approchait;
que c’est après la mort de saint Pierre que saint Clément lui a succédé.
Saint Cyprien appelle souvent le
siège de Rome la chaire de Pierre, ce qu’il ne dirait certainement pas
s’il avait pensé que saint Pierre avait choisi un autre siège que celui
de Rome. Il écrit (dans le livre 1, épitre 3 à Corneille) : « Ils osent
naviguer jusqu’à la chaire de Pierre, jusqu’à l’église principale
d’où est sortie l’unité sacerdotale. Ils y apportent des lettres
écrites par des schismatiques et par des profanes, et ils ne pensent pas
que ce sont des romains, des gens inaccessibles à la perfidie. » Et (au
livre 4 de l’épitre 2 à Antonien) : « Cornélius a été fait
évêque quand a vaqué le siège de Fabien, c’est-à-dire le siège
de Pierre et le lieu de la chaire sacerdotale. » Eusèbe (dans la
chronique, à l’année 44) : « Pierre, galiléen de nation, premier
pontife des chrétiens, après avoir d’abord fondé l’église d’Antioche,
est parti pour Rome où, prêchant l’évangile, il demeura pendant 25
ans, évêque de cette ville. » Épiphane (hérésie 27, qui est
celle de Carpocrate) : « La succession des évêques à Rome se fit dans
l’ordre suivant : « Pierre, Paul, Lin, Clément, Évariste, Alexandre
etc. »
Saint Athanase (dans son épitre
sur la vie que doit mener un solitaire) : « N’épargnez aucune révérence,
aucun honneur envers Libère, évêque de Rome car c’est là que se trouve
le siège apostolique » Et plus bas, il fait parler Libère comme
suit : « Nous n’ avons jamais reçu une telle tradition de la part de
ceux qui ont été les auditeurs du bienheureux et grand Pierre. »
Libère nomme ici saint Pierre parmi ses prédécesseurs. Dorothée (dans
la synopsis) : « Ce n’est pas sans une providence divine que, à la
mort de Félix, Libère fut le seul à présider à l’église romaine,
pour que le siège de Pierre ne fut entaché d’aucune infamie. »
Euloge (d’après saint Grégoire, livre 6, épitre 37) dit que, « jusqu’à
maintenant, Pierre siège dans ses successeurs. » Optatus (livre
2 contre Parminius) : « Tu ne peux donc pas nier que tu sais que c’est
dans la ville de Rome qu’à Pierre d’abord a été confiée la chaire
épiscopale. » Et plus bas, il énumère tous les évêques de Rome, depuis
Pierre jusqu’à Siricium, qui siégeait à ce moment.
Saint Ambroise (dans le livre 3
des sacraments, chapitre 1) : « À la vérité, cet auteur enseigne, comme
nous, que l’apôtre Pierre a été prêtre de l’église romaine. »
Saint Jérôme (dans les hommes illustres, au mot Pierre) dit que « Pierre
a tenu la chaire sacerdotale de Rome pendant vingt-cinq ans ». Il
dit la même chose dans l’épitre 1 à Damase sur le nom hypostase) :
« Je parle au successeur d’un pêcheur, et au disciple de la croix.
Je m’associe à ta béatitude, c’est-à-dire à la communion de la
chaire de Pierre. » Saint Augustin (livre 2, chapitre 51, contre
la lettre de Pierre : « Que t’a fait la chaire de l’église romaine,
où Pierre siégeait, et où trône maintenant Anastase ? » Le même
(dans les épitres 164 et 165) énumère les évêques romains depuis saint
Pierre jusqu’à Anastase.
Prudence (dans son hymne sur saint
Laurent) chante : « À Rome règnent les deux princes des apôtres. L’un
est appelé le prédicateur des Gentils; possédant la première chaire,
l’autre rouvre les portes fermées de l’éternité. »
Prospère ( dans son livre de ingr) : « Rome, siège de Pierre, qui est
devenue, pour l’univers, la tête de l’honneur pastoral. » Sulpice
(dans le livre 2 de l’histoire sacrée) : « La religion divine s’affermit
dans la ville de Rome, pendant que Pierre détenait l’épiscopat. »
Pierre, évêque de Ravenne, (dans sa lettre à Eutychès, que l’on
trouve dans les préambules du concile de Chalcédoine) : « Nous t’exhortons,
honorable frère, à accepter avec obéissance ce qui a été écrit par
le bienheureux pape de l’église romaine. Parce que le bienheureux
Pierre, qui vit et préside dans son siège à lui, apporte la vérité
de la foi à ceux qui la cherchent. »
Théodoret (dans son épitre à
saint Léon le grand), après avoir dit que Pierre et Paul étaient morts
à Rome, ajoute : « Ce sont eux qui ont rendu votre siège plus
illustre, ce qui est le plus grand de vos biens. Leur siège, en effet,
Dieu le rendit si illustre et si éminent, quand il a placé votre sainteté
sur ce siège qui émet les rayons partout de la foi orthodoxe. »
Isidore (dans la vie de Pierre ) écrit : « Après avoir fondé l’église
d’Antioche, il se rendit à Rome, sous l’empereur Claude, pour affronter
Simon le magicien. Prêchant là l’évangile, il détint le pontificat
de cette ville pendant vingt-cinq ans. » Bède enseigne la même
chose (dans les six âges du monde). Freculphus (tome 2 des chroniques,
livre 1, chapitre 13). Adon de Vienne (dans les chroniques, en l’an 49).
Et tous les auteurs plus récents.
Qu’après l’autorité des pères
se présentent les témoignages des anciens pontifes romains, martyrs
ou confesseurs ! Saint Clément (livre 7 de la constitution
apostolique, chapitre 47 ) rapporte que, « quand sa mort était
imminente, Pierre lui avait laissé l’épiscopat romain ». Anaclet
enseigne (épitre 3) que, « à cause du siège de Pierre, l’église
romaine est la tête de toutes les autres églises. » Marcel
1 dans son épitre à Antioche, écrit : « Le siège de Pierre a été
chez vous au tout début, mais, sur l’ordre du Seigneur, il a été transféré
à Rome. » Damase dit sur saint Pierre « qu’il a été évêque
pendant vingt-cinq ans à Rome, et qu’il y fut évêque jusqu’à sa
mort ». Innocent 1 ( dans son épitre au concile de Milet. Lettre
93 de saint Augustin). Saint Léon (sermon 1, de la naissance au ciel des
apôtres Pierre et Paul). Gélase (dans son épitre à l’évêque
de Lucanes et de Sicile), Jean 111 (dans son épitre aux évêques
d’Allemagne et de Gaule), Grégoire (livre 1, épitre 33),
Agathon (épitre à l’empereur Constant, Adrien (dans son épitre à
Taras), Nicolas 1 (dans son épitre à Michel) et tous les autres qui ont
écrit quelque chose, ont affirmé que leur siège était celui de saint
Pierre. Ces témoignages les adversaires ne les reçoivent pas, car
ils disent qu’ils ne font que défendre leur propre cause.
Mais c’est sans aucune raison valable qu’ils ne les reçoivent
pas, parce que ce sont des saints, et jamais aucun ancien ne les
a réprouvés.
Passons aux témoignages des anciens
conciles qui sont acceptés par les hérétiques de notre temps.
D’abord, le concile de Sarde, composé de trois cents évêques, (canon
3) : « Nous honorons la mémoire du saint apôtre Pierre, et nous voulons
que ceux qui ont examiné la cause écrivent à Jules évêque de Rome.
Et s’il juge que doive être renouvelé le jugement, qu’il le renouvelle,
et qu’il donne des juges. » De même, dans le concile d’Éphèse
1(tome 2, chapitre 16), on appelle le pontife romain Célestin « le successeur
ordinaire, et le vicaire de Pierre, le prince des apôtres. » Dans
le concile de Calcédoine (acte 2), quand la lettre de Léon a été lue,
tous s’exclamèrent : « Pierre a parlé par Léon ! »
Dans l’acte 3, quand on a porté une sentence contre Dioscore, on a dit
que c’est par un Léon doté « de la dignité de l’apôtre Pierre
», qu’il avait été déposé. Et, dans l’épitre à saint
Léon, c’est tout le concile qui dit que « Léon a été le porte-parole
de Pierre. » Ce qui revient à dire que Pierre a parlé par Léon.
Ces paroles indiquent clairement que ces 630 pères étaient persuadés
que l’évêque romain Léon était le successeur de saint Pierre.
Dans le concile 5, acte 1 (qui n’est
pas le cinquième concile général, mais un certain concile particulier,
qui a précédé le cinquième concile général, voir livre 1 des conciles,
chapitre 5), le patriarche Menas, président du concile, portant une sentence
contre Anthime et les autres hérétiques, dit : « Ils ont méprisé l’Église
romaine, dans laquelle est la succession des apôtres, qui a prononcé
une sentence contre eux. » Dans le concile 6 (actes 8), les évêques
souscrivent de façons variées à l’épitre d’Agathon. On dit, entre
autres : «Je reçois et j’accepte de tout cœur les suggestions qui
nous ont été adressées par notre très saint père Agathon, archevêque
du siège apostolique et princier de l’antique Rome, comme ayant été
dictées par le Saint-Esprit, par la bouche du saint et bienheureux prince
des apôtres Pierre, et écrites par le doigt du pape Agathon trois fois
béni. » Dans ces cinq conciles canoniques, nous avons
plus que 1200 évêques en majorité grecs, qui attestent que le pontife
romain est le successeur de saint Pierre.
CHAPITRE 5
On réfute le premier argument des hérétiques
Dissolvons les objections de Velenus,
qui contiennent les arguments de Calvin et de Illyricus. La première.
Les auteurs qui disent que Pierre est venu à Rome ne sont pas d’accord
entre eux sur le temps où il est venu. Car, Orosius dit qu’il
est venu au début du règne de Claude, saint Jérôme, à la deuxième
année de Claude; le fascicule des temps dit qu’il est venu à
la quatrième année de Claude; la passion et la vie du saint, la treizième
année de Claude. Ensuite, on trouve une étonnante diversité
dans la liste des successeurs de saint Pierre. Car, quelques-uns
placent saint Clément immédiatement après saint Pierre, comme Tertullien
(dans les prescriptions), et saint Jérôme (dans le chapitre 52 d’Isaïe).
D’autres placent Lin après Pierre, et Clément en troisième lieu,
comme Optatus (livre 2 contre Parmenius), et saint Augustin (épitre 165).
D’autres mettent Clément en quatrième lieu, après saint Pierre, saint
Lin, et saint Anaclet, comme saint Irénée (livre 3, chapitre 3), Eusèbe
(dans chroniques), Épiphane (dans l’hérésie 27), et saint Jérôme
(dans les hommes illustres, au mot Clément). Ajoutons que tous ceux-ci
font de Clet et d’Anaclet une seule et même personne. On ne peut
donc rien établir de certain. Car la discorde entre les auteurs
est un indice de fausseté.
Je réponds d’abord, qu’un désaccord
sur le temps de la venue de Pierre à Rome, s’il existe vraiment,
ne saurait infirmer notre thèse sur la venue de Pierre à Rome.
Car, il arrive souvent qu’on soit certain d’une chose, mais non de
la manière dont elle s’est produite, ou des accidents qui l’ont accompagnée.
Car tous les chrétiens sont absolument certains que Jésus est mort sur
une croix pour nous. Mais, il y a une grande divergence sur le temps
de sa mort. Tertullien (livre contre les Juifs), Clément d’Alexandrie
(livre 1 strom) et Lactance (livre 4 des institutions divines, chapitre
10) enseignent que le Christ est mort la quinzième année de Tibère,
à l’âge de trente ans. Saint Ignace (aux Tral), Eusèbe (dans
ses chroniques) et d’autres que c’est à l’âge de 33 ans, la quinzième
année du règne de Tibère qu’il a été crucifié. Onuphrius,
Mercator, et plusieurs auteurs récents veulent que le Christ soit mort
à l’âge de 34 ans. Saint Irénée (livre 2, chapitre 39), prétend
que Jésus avait atteint l’âge de 50 ans. Ce ne serait donc pas sous
Tibère qu’il aurait souffert, mais sous Claude.
Au sujet du jour et du moins où
il est mort, il y a une si grande disparité entre les anciens et les modernes,
que la cause semble encore être une question de fait ou de droit toujours
pendante. Voir Clément (livre 1, stromata) qui présente diverses
opinions. Allons-nous nier, pour cela, que le Christ ait souffert
? Autre exemple. On sait avec certitude que les années de
Daniel ont été accomplies dans la passion du Christ. Et pourtant,
les opinions diffèrent sur le temps où elles commencent, et où elles
finissent. La même chose au sujet des années des rois Perses, des
années de Samuel, de Saül et d’autres princes Juifs. Des
années des empereurs et des pontifes, des années du monde, où l’on
voit autant d’opinions que de chronologies. Allons-nous dire, à
cause de cela, que les rois de Perse n’ont jamais existé, que Samuel
et Saül n’ont pas précédé David, qu’il n‘y eut jamais d’empereurs
et de pontifes, que le monde n’a jamais commencé, et qu’il n’a pas
duré jusqu’à aujourd’hui ?
La divergence entre historiens est
un signe de fausseté par rapport à ce qui les divise, parce qu’il faut
nécessairement qu’il y en ait qui se trompent. Mais comme la discorde
est un signe de fausseté, la concorde absolue existant entre les pères
sur la présence de saint Pierre à Rome, est un signe de vérité.
Mais, je réponds qu’il n’y a pas de discorde entre les bons auteurs.
Car Eusèbe (dans ses chroniques), saint Jérôme (dans son livre sur les
hommes illustres, mot Pierre), et Adon de Trèves (dans le martyrologue)
disent que saint Pierre est venu à Rome la deuxième année de l’empereur
Claude. Orosius n’est pas d’un autre avis puisqu’il dit que
saint Pierre est venu à Rome au début du rège de Claude.
Car, si on divise le règne de Claude en trois parties, en début, milieu
et fin, la deuxième année, comme tu le vois, appartient au début.
Avec eux sont d’accord tous les auteurs qui affirment que saint Pierre
est demeuré à Rome pendant vingt-cinq ans, et qu’il est mort la quatorzième
année de Néron. Comme saint Damase, saint Isidore, Bède le vénérable,
Freculphus, Adon de Vienne, et les autres cités plus haut. On ne
peut pas compter 25 années jusqu’à la quatorzième année de Néron,
sans commencer le calcul à la deuxième année de Claude.
De plus, nous avons de bonnes raisons
de mépriser le fascicule des temps, surtout parce que ce fascicule a suivi
Marianus Scotus, qui milite ouvertement contre lui et contre la vérité.
Car, Marianus Scotus dit dans sa chronique, que Pierre est venu à Rome
à la quatrième année de Claude, qu’il est mort la dernière
année de Néron, et qu’il a quand même siégé à Rome pendant vingt-cinq
ans et deux mois, toutes choses incohérentes. Car, Claude a régné
en tout 13 ans, 9 mois, dix jours. Néron, lui, a régné 13 ans,
7 mois et 28 jours, comme l’attestent Dion Cassius, Stevenio Tranquillo,
Eusèbe et même Mariano Scot. Le fait que, dans les
chroniques d’Eusèbe, on attribue 14 ans, 7 mois, et 28 jours à
Néron, est manifestement une faute de copistes, car, quand on compte toutes
les années l’une après l’autre on n’en trouve que 13. Car,
si on additionne les années de règne de Claude et de Néron, on
n’obtient pas une somme plus élevée que 27 ans, 4 mois, et 18 jours.
Voilà les années que Marianus Scotus veut que se soient écoulées avant
que Pierre ne vienne à Rome. Il y a 23 ans de trop et onze mois.
Donc, ou Pierre est mort après Néron, ou il n’est pas demeuré 25 ans
à Rome.
En ce qui a trait à l’autre partie
de l’argument, de la succession de quatre premiers pontifes, même si
nous ignorions totalement qui a succédé à Pierre, on ne douterait pas,
à cause de cela, que quelqu’un lui ait succédé. Exemple.
Il y a un grand débat, entre les commentateurs de l’Écriture,
au sujet du mari d’Esther. Était-ce Assuérus le Mède, Cambyse le Perse,
Darius Histapis, Artaxerses aux longues mains, ou Mnemon ? Personne
n’a jamais douté à cause de cela qu’Esther ait eu un mari.
Je réponds, ensuite, qu’il est
possible de tout accepter et de tout expliquer. L’apôtre
Pierre, quand sa passion devint imminente, a laissé son siège apostolique
à Clément. Cela, de graves auteurs l’attestent : Tertullien
(les prescriptions), saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien), Jean 111
(dans sa lettre dans sa lettre aux évêques d’Allemagne et de France),
et saint Clément lui-même, (livre 7 de la constitution apostolique, chapitre
37), Anaclet (épitre 1), Alexandre, épitre 1, et Damase (dans la vie
de Pierre). Ensuite, après la mort de saint Pierre, saint Clément
ne voulut pas siéger sur le siège apostolique, tant que vécurent
Lin et Clet, qui avaient été les coadjuteurs de Pierre dans son ministère
épiscopal. Voilà pourquoi le premier successeur de saint Pierre ne fut
pas saint Clément, mais saint Lin. Nous l’apprenons cela d’abord,
d’Épiphane, (hérésie 27) qui raconte avoir appris des vieux que saint
Clément aurait refusé le siège, tant que vivraient Lin et Clet. Nous
l’apprenons ensuite de cette ambiguïté même. Car si, Clément, Lin
ou tout autre, avait succédé à Pierre sans aucune complication, la question
ne se poserait certainement pas du premier successeur de Pierre.
Comme il n’y eut jamais de doute au sujet du premier successeur
de saint Jacques à Jérusalem, ou de Marc à Alexandrie, ou de Pierre
à Antioche.
Mais parce que, à Rome, après
la mort de Pierre, une contestation eut lieu par l’humilité, il fallait
que l’un ait été le successeur de Pierre, et que l’autre devait l’être.
Cette succession n’est donc enveloppée d’aucune obscurité.
À partir de ce qui a été dit, on peut concilier les auteurs qui mettent
Clément avant Lin ou Lin avant Clément. Car, quand Irénée, Eusèbe,
Épiphane, Optatus, Augustin, Jérôme disent que c’est Lin qui a succédé
à Pierre, ils disent la vérité, mais ils ne nient pas que cela se soit
fait parce que saint Clément avait refusé l’épiscopat. Tertullien,
Jérôme et Ruffin et les autres qui racontent que saint Pierre a laissé
saint Clément comme son successeur, disent une chose vraie, mais ils ne
nient pas que saint Clément ait refusé cet honneur.
Ne m’émeut davantage pas non
plus le fait que le pontifical de Damase, que Sophrone et Siméon metaphraste
racontent, dans la vie de Lin, que Lin soit décédé avant saint Pierre.
Sophrone et Siméon, en effet, sont plus récents, et le livre pontifical
attribué à Damase est d’une autorité douteuse à ce sujet.
Mais les auteurs qui écrivent que Lin a succédé à Pierre, sont plus
anciens, plus nombreux et plus crédibles. Car c’est après Lin
qu’il faut placer Clet ou Anaclet, après lequel il faut placer saint
Clément, au quatrième rang. Les auteurs sont Irénée, Eusèbe,
Épiphane, Jérôme, ainsi que le plus vieux canon de messe, où nous lisons
Lin, Clet, Clément. Ensuite, saint Ignace (dans sa lettre à Mariam
Zarben) écrit que saint Clément a succédé à Clet. Après Clément,
un autre Anaclet doit, sans aucun doute, être ajouté, comme l’ajoutent
Optatus, saint Augustin, et saint Damase, et d’autres.
Car, il y a eu deux Anaclet dont
l’un était dit Clet, même si, à cause de la similitude de leurs noms,
beaucoup d’auteurs anciens n’en n’ont vu qu’un. C’est l’autorité
de l’Église catholique qui, d’abord, qui nous le persuade, elle
qui a établi deux fêtes différentes en leur honneur : celle de Clet
au mois d’avril, et celle d’Anaclet, au mois de Juillet. Clet
a été un romain, et fils d’Émilien; Anaclet, un Athénien, et fils
d’Antioche. Il n’est pas croyable que l’Église se soit trompée
dans une chose de cette importance. Nous le déduisons aussi du fait
que certains auteurs anciens placent Anaclet avant Clément, comme Ignace,
Irénée, Eusèbe. D’autres le mettent après, comme Optatus, Damase,
saint Augustin. Voilà qui nous présente un argument en faveur de
deux Anaclet. Le premier Anaclet, on avait l’habitude de l’appeler
Clet. D’où il appert que le pontife que certains appelle Anaclet
(comme Ignace, Irénée et Eusèbe) d’autres l’appellent Clet
(comme Épiphane, Jérome et Damase, Jean 111 et le canon de la messe.)
Il ne faut pas se surprendre de
ce que, à cause de la similitude des noms, certains anciens n’ont vu
dans ces deux Anaclet, qu’un seul et même pontife. Ne voit-on
pas les Grecs confondre Novat et Novatien, bien qu’il soit certain que
Novat ait été un carthaginois, et Novatien un prêtre romain. Et
Eusèbe et Nicéphore de Constantinople firent de Marcel et Marcellin un
seul personnage, dans leurs chroniques, alors qu’il est prouvé qu’ils
furent deux personnages différents.
CHAPITRE 6
On réfute le second argument
Velenus, comme Calvin et les Magdebourgeois,
est persuadé que saint Pierre n’a pas pu venir à Rome avant 18 années
après la passion de notre Seigneur Jésus-Christ. Car, quand eut
lieu le concile de Jérusalem, saint Pierre était encore en Judée.
Or, ce concile fut célébré 18 ans après la passion de Jésus-Christ,
comme le rapporte saint Jérôme (chap.2 Galat). Car, trois ans après
sa conversion, saint Paul est venu à Jérusalem pour rencontrer saint
Pierre (Gal. 1). Après quatorze autres années, il est retourné
à Jérusalem pour participer au concile Gal 2). Si, à ce nombre
d’années, tu ajoutes une année qui s’est écoulée depuis la passion
du Seigneur jusqu’à la conversation de saint Paul, tu obtiens le chiffre
18.
Ajoutons ce que l’on dit : que
Pierre est demeuré cinq ans en Judée, sept ans à Antioche, et pendant
plusieurs autres années dans le Pont, dans la Galatie, dans la Cappadoce,
l’Asie, et la Bythinie. Il n’allait certainement pas dans ces
endroits pour ne prêcher qu’une seule journée. On peut donc en
conclure que 18 ans se sont bien écoulés avant que saint Pierre ne mette
le pied à Rome. De plus, si saint Pierre était venu à Rome
avant l’an 18, il serait certainement venu la deuxième année du règne
de Claude, comme nous l’avons dit plus haut, ce qui est impossible.
Car, en cette année, saint Pierre n’était pas encore libéré des chaînes
avec lesquelles Hérode l’avait écroué, puisque cette libération s’est
produite la troisième année du règne de Claude, comme on l’apprend
par Luc (actes 12), et Josèphe (livre 19 des antiquités, chapitre 7).
Et aussi par le Christ, car il avait demandé à ses apôtres de ne pas
quitter Jérusalem avant douze ans, comme Eusèbe le rapporte en citant
la martyre Thrasea (histoire de l’église, livre 5, chapitre 18).
Or, la douzième année après la résurrection du Christ correspond à
la troisième année du règne de l’empereur Claude. Pierre n’est
donc pas venu à Rome la deuxième année du règne de Claude, mais après
la neuvième, qui était la dix-huitième après la passion du Christ.
On dit que Pierre a siégé à Rome
pendant vingt-cinq ans. C’est ce que rapportent Damase, Eusèbe,
Jérôme, et d’autres. Il a donc vécu jusqu’à la quarante-troisième
année après la passion de Jésus-Christ. Mais alors, Néron était
déjà mort, et même Galba, Otho, et Vitellius. C’est Vespasion
qui était l’empereur en cette année-là. Pierre est donc
mort au temps de Vespasien. Mais Vespasien fut le plus doux des empereurs.
Il ne tua aucun chrétien à Rome, comme tous l’attestent. Voir
Tertullien (apologie, chapitre 5) et saint Augustin (la cité de Dieu,
livre 3, chapitre 31), Eusèbe, Sulpice, Orose, et tous les autres historiens.
Pierre serait donc mort ailleurs qu’à Rome.
Je réponds, d’abord, que même
s’ils s’étaient trompés les pères qui ont affirmé que saint Pierre
avait siégé à Rome pendant vingt-cinq ans, il n’en résulterait
pas que Pierre n’ait jamais siégé à Rome, comme nous l’avons démontré
par plusieurs arguments. Mais il n’est pas nécessaire de faire
cette concession. Car il est vraiment demeuré vingt-cinq ans à
Rome et sept ans à Antioche, et tout concorde. Car voici quelle
est la brève histoire véridique de la vie de saint Pierre.
Pierre demeura environ cinq ans en Judée.
Voilà pourquoi il fut facile à saint Paul d’aller rencontrer saint
Pierre en Judée. Eusèbe a raison de placer l’entrée de saint
Pierre à Antioche à la cinquième année après la passion du Seigneur.
Ce récit ne répugne pas à la tradition de la martyre Thrasea, car le
Seigneur n’a pas ordonné à tous ses apôtres de ne pas quitter Jérusalem
avant douze ans. C’est ce que nous fait comprendre les actes des apôtres
(chapitres 8, 9, 10). Nous y lisons que Pierre est allé en Samarie,
en Lyddie, à Joppé, à Césarée, avant d’être enchaîné. Avant donc
la douzième année. Mais il est vrai qu’il ne fallait pas que
tous partent, qu’il y ait toujours à Jérusalem un ou quelques apôtres
pour rendre témoignage aux Hébreux. Pierre est donc parti de la
Judée la cinquième année après la passion du Seigneur, pour se diriger
vers la Syrie, établir son siège à Antioche, et demeurer à peu près
sept ans évêque de cette ville.
Mais il ne faut pas conclure de
cela qu’il n’est jamais sorti d’Antioche. Il a très bien pu,
pendant ces années, parcourir les provinces voisines, le Pont, l’Asie,
la Galatie, la Cappadoce et la Bythinie. Et c’est de là que, à
la septième année de son épiscopat d’Antioche, qui était la onzième
après la passion de Jésus-Christ, il retourna à Jérusalem. Et
c’est dans cette ville que, arrêté par Hérode, il fut jeté en prison
le jour des Azymes (actes 12), et libéré peu après par un ange.
Et, la même année, qui était la deuxième du règne de Claude,
il vint à Rome, y fixa son siège, et y poursuivit son ministère pendant
vingt-cinq ans.
Mais, il ne demeura pas à Rome pendant
toutes les années où il y fut évêque. Il retourna à Jérusalem,
après avoir été expulsé de Rome avec les autres Juifs. Car Luc
écrit (actes 18) que l’empereur Claude expulsa tous les Juifs de la
ville. Suétone écrit la même chose dans la vie de Claude.
Joseph aussi, d’après Orosius, et Orosius lui-même (livre 7 de son
histoire). Ils disent tous que cela s’est passé à la neuvième
année de Claude, c’est-à-dire à la dix-huitième année après la
passion du Christ. Quand ceux qui étaient à Antioche entendirent
dire que Pierre était venu à Jérusalem, ils lui envoyèrent Paul et
Barnabée, et c’est alors qu’a eu lieu le concile de Jérusalem.
Après la mort de Claude, Pierre est retourné à Rome, et c’est là
qu’il finit sa vie.
Ne s’oppose pas à notre reconstitution
historique le fait que saint Pierre ait été écroué à Jérusalem
un peu avant la mort d’Hérode, puisqu’on déduit des actes des
apôtres (chap 12), et des antiquités de Joseph (livre 19, chapitre 7)
qu’Hérode est mort la troisième année de Claude.
Car, saint Luc (actes 12) ne dit pas que saint Pierre a été écroué
un peu avant la mort d’Hérode. C’est plutôt le contraire qu’il
dit, car il raconte qu’après la libération miraculeuse de saint Pierre,
Hérode est parti à Césarée, et qu’il y est demeuré. Ce séjour
indique une plus ou moins longue durée de temps, un an, au minimum.
Le même saint Luc rapporte la mort d’Hérode, tout de suite après le
meurtre de Jacques et l’emprisonnement de Pierre, comme étant
une punition pour le péché commis envers les apôtres du Seigneur.
À cette histoire que je viens d’exposer,
s’oppose avec véhémence la nouvelle opinion d’Onuphrius Panuinus.
J’ai donc l’intention de réfuter tout de suite cette opinion.
Panuinus (dans ses notes sur Platina) enseigne, que Pierre n’a pas siégé
à Antioche au tout début, avant d’aller à Rome, mais seulement
après être revenu de Rome, et avoir participé au concile de Jérusalem.
Or, cette opinion, on peut la réfuter par un bon nombre d’arguments
de grand poids. D’abord elle est contraire à l’enseignement
des souverains pontifes, des anciens pères, et des historiens les plus
illustres. Les saints pontifes anciens enseignent tous que saint Pierre
a siégé à Antioche avant de s’établir à Rome. Voici les principaux.
Anaclet (épitre 3), Marcel (épitre 1), Damase (les vies des pontifes),
Innocent (épitre 14), Saint Léon (sermon 1 sur la naissance au ciel des
apôtres Pierre et Paul), Gelasius (livres apocryphes), Pelage junior (épitre
à Benignus), saint Grégoire (livre 7, épitre 37). D’autres
ont écrit la même chose, comme Eusèbe (dans sa chronique), Jérôme
(dans le livre des écrits ecclésiastiques, au mot Pierre, et dans le
commentaire de l’épitre aux Galates 2), Isidore (dans la vie de Pat),
Bède (dans les six états), Adon de Vienne, (dans sa chronique), Simeon
metaphraste (dans la vie de saint Pierre), Haymo (livre 2, chapitre 21,
des souvenirs chrétiens), et un grand nombre d’autres anciens et de
plus récents. Aucun, que je sache, parmi les anciens, n’a jamais
écrit le contraire. Ni aucun des plus récents, à l’exception d’Onuphrium.
On ne peut pas non plus répondre que
ces auteurs parlaient de la venue postérieure de Pierre dans la ville,
c’est-à-dire, pendant le règne de Néron, non de Claude. Car,
plusieurs de ces auteurs notent même le temps, et disent que Pierre est
venu à Rome sous Claude, après avoir déjà fondé l’église d’Antioche,
comme Damase, Eusèbe, Jérôme, Léon, Bède, Isidore, Haymo, Adon.
Les autres que nous avons cités ne précisent pas le temps, mais laissent
tous clairement entendre que saint Pierre fut d’abord évêque d’Antioche
avant de l’être de Rome. Onuphrius est le seul à dire le contraire.
Il est donc évident que son opinion est nouvelle, et qu’elle ne s’appuie
sur aucun auteur.
Cette opinion entre en opposition
avec la tradition ecclésiastique de l’institution d’une fête en l’honneur
de la chaire d’Antioche. Car la solennisation de l’église
d’Antioche est très ancienne, comme nous le montrent les sermons de
saint Augustin sur la chaire de Pierre, ainsi que les martyrologes
de Bède, d’Usuard, d’Adon de Trèves. C’est par toute la terre qu’elle
est célébrée, et d’une façon plus solennelle que la fête de la chaire
de Rome, instituée récemment par Paul 1V. Mais le peuple n’a
jamais considéré ce jour comme un jour de fête, tandis que la fête
de la chaire d’Antioche est célébrée non seulement par le clergé,
mais par le peuple. Si la chaire d’Antioche était postérieure
à celle de Rome, comme le soutient Panuinus, il n’y aurait eu aucune
raison pour laquelle l’Église occidentale ait un jour de fête en l’honneur
de l’institution de la chaire d’Antioche, plutôt que de celle d’Alexandrie,
ou de Jérusalem. Et comment expliquer que la fête de la chaire
d’Antioche soit plus ancienne et plus célèbre que celle de la
chaire de Rome ? Il faut donc concéder que la première chaire de
saint Pierre a été celle d’Antioche, et que c’est pour cela qu’est
célébrée par toute la terre une fête en son honneur.
En troisième lieu, cette opinion
vient se buter contre une raison manifeste. Car, si Pierre n’a siégé
à Antioche qu’après le concile de Jérusalem, c’est-à-dire, dix-huit
ans après la passion du Seigneur, y a-t-il eu, oui ou non, avant cette
époque, un évêque à Antioche? La question se pose, il me
semble. Il n’est pas croyable qu’il n‘y en ait pas eu
un seul, puisque, à Antioche, se trouvèrent beaucoup de chrétiens tout
de suite après la passion du Christ. Ce fut même une église florissante,
parce que c’est là que les premiers disciples du Christ ont été appelés
chrétiens (actes 11). Je demande donc s’il y avait un évêque
à Antioche. Pierre ou un autre ? Si c’est Pierre, c’est
ce que nous prétendons. Si ce n’est pas Pierre, beaucoup d’absurdités
s’ensuivront. Car, ne sera pas vrai ce que tous les historiens,
et Ignace lui-même rapportent, que Pierre a été le premier à siéger
à Antioche, ensuite Évode, puis Ignace. Il faudra aussi concéder
que saint Pierre a, à Antioche, succédé dans l’épiscopat à
un de ses disciples, ce qui est intolérable. De plus, si Pierre
est venu à Antioche, y établit son siège épiscopal, après avoir détenu
la chaire épiscopale de Rome pendant plusieurs années, je pose la question
: Pierre a-t-il quitté l’épiscopat de Rome ou l’a-t-il conservé
? S’il a quitté le siège qu’il avait pris sur l’ordre
de Dieu, il n’a pas siégé à Rome pendant vingt-cinq ans,
ni même vingt ans, ce qui s’oppose à tous les écrivains. S’il
ne l’a pas quitté, il a donc tenu en même temps deux épiscopats particuliers
et distincts, distants l’un de l’autre par plusieurs kilomètres.
Il a donc laissé à la postérité l’exemple pernicieux du cumul des
fonctions épiscopales.
Tu diras peut-être qu’il est
venu de Rome à Antioche, mais qu’il n’y a pas siégé comme l’évêque
de cette ville. Mais de cette supposition résulteraient aussi beaucoup
d’absurdités. Car, si saint Pierre n’a pas été évêque d’Antioche,
le siège d’Antioche ne serait pas patriarcal; les anciens n’auraient
pas institué une fête de la chaire d’Antioche; se tromperaient tous
les historiens qui racontent que saint Pierre a été le premier évêque
d’Antioche. Mais, demandons-nous ce qui a incité Onuphrius
à innover de la sorte ? Son argument se fonde sur l’autorité
de saint Luc (actes des apôtres), de saint Paul (épitre aux Galates),
et d’Eusèbe (chroniques). C’est de ces auteurs qu’il dit avoir
appris que saint Pierre n’a pas quitté la Judée avant les neuf premières
années après la passion du Christ; qu’il est venu à Rome la dixième
année après la passion du Christ. Il s’ensuivrait de là qu’il
n’a pu siéger à Antioche qu’après son retour de la ville de Rome.
Je réponds qu’il n’a pu puiser
aucune de ces choses dans les auteurs cités. Car, dans les actes
des apôtres et dans l’épitre aux Galates, tout ce que nous avons c’est
que saint Pierre a été à Jérusalem en la quatrième, la onzième et
la dix-huitième année après la passion. Au sujet de la quatrième
année, l’épitre aux Galates nous donne les précisions requises.
Car, saint Paul nous raconte qu’il est venu à Jérusalem pour rencontrer
saint Pierre, trois ans après sa conversion, c’est-à-dire, quatre ans
après la passion du Sauveur. C’est pendant cette quatrième année qu’est
arrivé aussi ce que saint Luc raconte de Corneille, d’Aenée, de Tabita,
de Simon le magicien et des autres. Les actes nous parlent
aussi de la onzième année (chapitre 12). Car, c’est dans la deuxième
année du règne de Claude que furent emprisonné Pierre et assassiné
Jacques, comme le rapporte Onophrius. Et, avec l’aide de l’historien
juif Joseph, on peut prouver que la deuxième année du règne de Claude
était la onzième après la passion du Sauveur, ce que je démontrerai
plus loin. C’est l’épitre aux Galates qui nous renseigne
au sujet de la dix-huitième année.
Voilà ce que nous savons avec certitude.
Ces textes ne nous prouvent pas que saint Pierre n’a pas pu habiter à
Antioche de la quatrième année après la passion du Sauveur à la onzième.
De plus, il y a de quoi s’étonner qu’Onophrius prétende avoir appris
d’Eusèbe dans ses chroniques que saint Pierre n’a pas pu siéger à
Antioche avant d’être allé à Rome. Car, dans ces mêmes chroniques,
Eusèbe dit en toutes lettres que c’est sous l’empereur Tibère que
saint Pierre a établi son siège épiscopal à Antioche; qu’ l’a tenu
pendant sept ans, et qu’il est parti ensuite à Rome, à la deuxième
année du règne de l’empereur Claude. Il y a, dans les chroniques d’Eusèbe,
une erreur sur la date de l’emprisonnement de saint Pierre, mais cela
ne change rien à la chose.
L’autre argument d’Onophrius
consiste dans une démonstration historique, qu’il indique brièvement
dans ses annotations sur Platina, et qu’il explique plus au long dans
son commentaire sur Fastor. Voici quelle est cette démonstration.
Le Christ est mort à la deuxième année de Tibère, à l’âge de trente-quatre
ans. Pierre est entré à Rome en la deuxième année de Claude.
De la dix-neuvième année de Tibère à la deuxième de Claude, on compte
dix ans presque entiers. De ces dix ans, Pierre a passé les
quatre premiers en Judée. Il en reste donc six, tout au plus.
Il n’est donc pas question d’un séjour de sept ans à Antioche.
De plus. Le Christ a souffert en la dix-neuvième année de Tibère,
à l’âge d’environ trente-quatre ans. Il le prouve cela par
les olympiades. Car, il est avéré, par le témoignage de Phlegon,
qu’en la quatrième année des 202 olympiades, s’est produite une importante
éclipse du soleil, et cela, pendant la passion du Christ.
Or, la quatrième année de la 202ième olympiade tombe en la trente-quatrième
année du Christ. Il le prouve ensuite en citant Bède le vénérable
qui écrit (dans son livre sur le temps, chapitre 45), que l’Église
croit que le Christ a vécu un peu plus de trente-trois ans dans sa vie
charnelle.
Je réponds que cette démonstration
prouve seulement, si elle prouve quelque chose, que saint Pierre n’est
pas demeuré à Antioche pendant sept ans, mais plutôt six ou cinq.
Elle ne prouve pas qu’il ne soit pas allé à Antioche et qu’il
n’y ait pas été évêque avant de partir pour Rome. On ne peut
donc rien en déduire. Car, saint Pierre a très bien pu, la deuxième
année après la passion du Seigneur, fonder le siège d’Antioche, et
y demeurer pendant sept ans entiers, tout en retournant souvent à
Jérusalem, ou en évangélisant d’autres endroits limitrophes. Mais
nous ne sommes pas obligés de tant nous forcer. Car Onuphrius
n’a pas donné de preuve irréfutable que le Christ soit vraiment mort
la dix-neuvième année de Tibère, et à l’âge de trente-quatre ans.
Car, son argument qu’il tire des olympiades est facile à réfuter, puisqu’
il est très difficile de savoir où ont commencé les olympiades, et comment
Onuphrius a fait pour que la trente-quatrième année de la vie de Jésus
corresponde à l’olympiade 204. D’autres calculent les olympiades
autrement, et font tomber la même olympiade en la trente-troisième année
de la vie de Jésus.
L’argument tiré du témoignage
de Bède le vénérable détruit complètement l’opinion d’Onuphrius.
Car, quand Bède dit que, selon la foi de l’Église, le Christ a vécu
un peu plus que trente-trois ans, il parle d’années commencées non
complétées. Le sens est donc que le Christ a vécu un peu après
avoir atteint l’âge de trente-trois ans. Ce qui est facile à prouver.
Car, au même endroit, Bède prouve son opinion à partir de certaines
indications données par l’Église romaine, qui lui permirent de dater
l’année depuis la passion du Christ, une fois complétées les trente-
trois années qui s’écoulèrent de l’incarnation à la passion.
Car, selon l’opinion des anciens, c’est le vingt-cinq mars qu’il
a été conçu et qu’il est mort. Si de l’incarnation à la passion,
il y a trente-trois ans, il n’y a certainement pas trente-trois ans de
la nativité à la passion.
Onuphrius n’a donc pas prouvé
son opinion. Nous pourrions, nous, par deux arguments, prouver une position
incomparablement plus vraie, à notre avis. Le premier argument s’appuie
sur trois principes. Le premier. Selon l’enseignement d’Eusèbe
(dans ses chroniques) et de Paul Orose (livre 7, chapitre 2) et de presque
tous les autres, le Christ est né en l’an quarante-deux du règne de
César Auguste. Ensuite, Auguste a gouverné pendant 56 ans non complétés,
comme Stevonius et les autres le rapportent. Enfin, le Christ a souffert
à la dix-huitième année de Tibère, ce que racontent explicitement Eusèbe
(dans ses chroniques) Épiphane (dans son livre sur les mesures et les
poids), Eutropius (livre 7), et Bède le vénérable, (dans les six états
du monde). On peut aussi le déduire des écrits ecclésiastiques
de saint Jérôme, au mot Paul, où il est dit que la deuxième année
de Néron correspondait à la vingt-cinquième année après la passion
de Jésus-Christ. Car, même si nous donnions à Tibère quatre années
entières après la passion de Jésus-Christ, à Caïus quatre entières,
et à Claude quatorze entières, et que nous comptions les années que
Néron a complétées, nous n’obtiendrions pas 25 années, mais seulement
24. Il faut donc, comme le rapporte saint Jérôme, donner
à Tibère cinq ans après la passion du Seigneur, et fixer la passion
de Jésus à la dix-huitième année de Tibère et non à la dix-neuvième,
comme le prétend Onuphrius.
De ces trois principes on peut clairement
déduire que le Christ a souffert à la trente-troisième année de son
âge, non à la trente-quatrième, car, de l’année 42 d’Auguste à
l’année 18 de Tibère, on n’en compte pas plus. C’est
ce qu’admettrait aussi Onuphrius s’il reconnaissait que le Christ est
mort à la dix-huitième année du règne de Tibère.
Notre second argument est fondé
sur deux autres principes des plus certains. Le premier. Le
Christ a été baptisé au début de sa trentième année, non à la fin.
L’autre. Après son baptême, le Christ a vécu trois années, et un
peu plus. Le premier principe on le prouve par l’évangile de saint
Luc (chapitre 3) : « Et Jésus commençait sa trentième année. »
À moins qu’on ne fasse violence à ces mots, leur sens naturel et obvie
est que Jésus commençait sa trentième année quand il vint se faire
baptiser. Il avait trente ans : il ne terminait pas ses trente ans,
mais il les commençait. Et c’est de cette façon qu’ont compris
ces mots tous les pères anciens, dont on ne peut, sans témérité,
rejeter le témoignage unanime. Saint Irénée (livre 2, chapitre
39) : « Au baptême, vint quelqu’un qui n’avait pas complété ses
trente ans, mais qui les commençait. »
C’est ainsi que l’a présenté Luc en nous donnant son âge.
Tertullien (dans le livre 2 contre les Juifs), Clément d’Alexandrie
(livre 1 stromata), et Julien l’africain, d’après saint Jérôme
(commentaire sur Daniel, chapitre 9).
Ils écrivent tous que le Christ a prêché
pendant un an, et qu’il a été tué après, quand il termina ses trente
ans. Il s’ensuit nécessairement qu’à son baptême, il en était
au tout début de sa trentième année. Et bien qu’ils se trompent
quand ils écrivent que le Christ a été tué à l’âge de trente ans,
puisqu’ils affirment cela sans aucune preuve, ils ne se trompent
quand même pas quand ils affirment que le Christ a été baptisé au début
de sa trentième année, car ils s’appuient sur l’évangéliste Luc,
et suivent l’explication commune du texte. Eusèbe (dans
le livre 1 de son histoire ecclésiastique, chapitre 18), explique, suivant
la traduction de Christophoron, que Jésus commençait sa trentième année
quand il se rendit au baptistère de saint Jean-Baptiste. Épiphane
(hérésie 51) : « Il avait l’âge de trente ans commencés, mais non
complétés. C’est pour cela qu’on dit qu’il commençait sa
trentième année. » Et plus bas, il ajoute : « Jésus a complété ses
trente ans, quand il fit son premier miracle aux noces de Cana. »
Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur saint Jean-Baptiste),
saint Jérôme (Ezechiel, chapitre 1), saint Jean Chrysostome (homélie
14 sur Marc), et saint Grégoire (homélie 2, sur Ézéchiel), tous
ces auteurs enseignent que le Christ a été baptisé au début de sa trentaine.
Cette façon de s’exprimer prouve assez clairement que le Christ n’avait
pas complété ses trente ans. Parle encore plus clairement
saint Augustin (livre 2 de la doctrine du Christ, chapitre 28) quand
il dit : « Quand il avait à peu près trente ans, le Christ vint se faire
baptiser. » En citant saint Luc, (et Jésus commençait alors sa
trentaine), Isidore (livre 7 dans le lévitique, chapitre 2) précise
que Jésus n’avait pas trente ans révolus quand il fut baptisé.
Ensuite, existe encore un canon 11 du
très ancien concile néo césarien qui interdit aux prêtres ordinaires
d’être consacrés avant la trentième année, parce que c’est à trente
ans que Jésus s’est fait baptiser et à commencé à prêcher. Ce canon
parle du début de la trentaine, comme l’a compris Martin Braccarensis
(dans la collection des canons grecs, canon 20. Le très grave docteur
saint Jérôme, dans son épitre à Théophyle contre Jean de Jérusalem,
prouve que son frère a été ordonné à un âge canonique, parce qu’il
avait atteint l’âge de trente ans. La coutume de l’Église l’enseigne
aussi quand elle devança l’âge de trente ans à vingt-cinq ans. Elle
jugea alors qu’on homme était mur pour le sacerdoce quand il avait atteint
l’âge de vingt-cinq ans. Il ne faut pas voir une contradiction
dans ce que dit saint Ignace. Il écrit, en effet (dans sa lettre
à Trall) que le Christ a été baptisé quand il eut terminé trois décades.
Ni non plus dans ce que dit saint Jean Chrysostome, qui (dans l’homélie
10 sur saint Matthieu), écrit que le Christ est venu au baptême après
trente ans. Car, saint Ignace dit que trois décades avaient été
terminées, parce qu’il était parvenu à la dernière année de la troisième
décade, non parce qu’il était parvenu à la fin de la dernière année.
C’est ainsi que nous interprétons Luc 2 : « quand furent terminés
les huit jours pour la circoncision de l’enfant ». C’est-à-dire
quand on arriva au huitième jour au cours duquel il fallait circoncire
l’enfant. Et, dans les actes 2 : « Quand furent complétés les
jours de la pentecôte, c’est-à-dire quand on arriva au cinquantième
jour. Pour faire mieux comprendre, on se sert d’une figure
qui est en même temps familière même aux auteurs sacrés, comme quand
écrit saint Luc (chapitre 2) : « les huit jours avaient été accomplis
pour que soit circoncis le Seigneur ». On s’exprime ainsi non
parce que les jours étaient complètement passés, mais parce qu’on
est peu éloigné de leur fin, et que c’est du huitième jour qu’il
était question. Comme l’écrit saint Marc (chapitre 18).
Il dit que Jésus est ressuscité « après trois jours », alors que c’est
le troisième jour qu’il est ressuscité.
C’est de cette façon que s’exprime
saint Ignace quand il écrit que Jésus avait complété trois décades
quand il fut baptisé, parce qu’il était alors peu éloigné de la fin
des trois décades, puisque c’est de la dernière année de la
décade qu’il parlait. Il sera plus facile d’expliquer la citation
de saint Jean Chrysostome. Car, au début de l’homélie, il écrit
que Jean est venu baptiser après avoir atteint trente ans. Il s’ensuit
donc que saint Jean n’avait pas alors complété sa trentième année.
Si saint Jean n’avait pas alors complété sa trentième année, à plus
forte raison le Christ, qui était plus jeune que saint Jean de six mois.
Donc, quand saint Jean Chrysostome dit que c’est après l’âge de trente
ans que Jésus est venu au baptême, il veut certainement dire au début
des trente ans, et non à la fin.
On a donc raison d’affirmer que la sentence
commune est à l’effet que le Christ a été baptisé au début de la
trentaine. L’autre principe était que, après le baptême, le Christ
a prêché plus de trois ans, et que, après cela, il a souffert au début
de la trente-troisième année. Ce principe, nous le tirons facilement
de l’évangile de saint Jean (Jean 2, 4. 6 et 13). Puisqu’il il dit
que, après son baptême, il célébra quatre pâques, il est nécessaire
d’arriver au début d’une quatrième année d’enseignement.
Saint Ignace (dans son épitre à Trall) explique clairement que le Christ
a prêché pendant trois années. Ce qui n’est pas absolument vrai,
car il est prouvé que, quarante jours après son baptême, il a commencé
à prêcher, et ce jusqu’à sa passion, ce qui donne trois ans et plus,
comme nous le montre le nombre des jours de Pâques. Quand il dit
que le Christ avait été baptisé après avoir terminé trois décades
d’années, il a omis le peu qui manquait pour compléter les trois décades.
De la même façon, quand il dit qu’il a prêché trois ans, il omet
le peu qui dépasse. Eusèbe (au livre 8 de la démonstration évangélique),
et Bède le vénérable (sur les calculs du temps, chapitre 45) disent
qu’il a prêché trois ans et demi. Ce qui n’est pas tout
à fait exact. Mais ces minuties ne leur disaient rien. Et
peut-être ont-ils compté les années depuis le baptême jusqu’à l’ascension,
car il n’y a pas d’autre moyen de parvenir à trois ans et demi.
Du reste, aucun des anciens n’a jamais attribué quarante ans à la vie
du Christ.
CHAPITRE 7
On réfute cinq autres arguments
Voici leur troisième. Pierre
n’a pas pu venir à Rome avant la neuvième année de Claude, comme il
a été prouvé, et il n’a pas pu venir, non plus,
après cette date. Car, Claude qui ordonna aux Juifs de sortir de
la ville, ordonna certainement aussi de ne pas les recevoir dans la ville.
Il n’est donc jamais venu. Mais, nous avons déjà démontré que,
en la neuvième année de Claude, Pierre n’était pas venu à Rome, mais
en était sorti, et qu’après, au temps de Néron, il y était retourné.
Qu’au temps de Néron il pouvait y avoir des Juifs à Rome, nous l’apprenons
des actes des apôtres, où l’on nous montre saint Paul prêchant aux
Juifs à Rome.
Leur quatrième. Quand saint Paul
blâma saint Pierre à Antioche (Galate 2), le concile de Jérusalem avait
déjà eut lieu. Et cependant, Pierre n’était pas encore allé
à Rome. Je réponds qu’il y était allé, et qu’il en
était retourné. Leur cinquième. Quand saint Paul écrivit
aux Romains, il demanda d’en saluer plusieurs; mais il ne se souvint
jamais de Pierre. Cet argument n’est pas seulement celui de Velenus,
mais aussi celui d’ Illyricum. Ils croient démontrer avec cela
que saint Pierre n’était pas à Rome. Je réponds
que cet argument ne permet de tirer aucune conclusion, car, autrement,
il s’ensuivrait que saint Jean n’a pas été évêque à Éphèse,
ni Jacques à Jérusalem, car écrivant aux Éphésiens il n’a pas un
mot pour saint Jean; et écrivant aux Juifs de Jérusalem, il ne salue
pas saint Jacques. Je dis donc que saint Paul n’a pas demandé
de saluer saint Pierre, car il écrivit cette lettre au moment où Pierre
demeurait en Syrie après être revenu de Rome. Et saint Paul écrivit
cette lettre en chemin, quand il se dirigeait vers Jérusalem, où il fut
fait prisonnier. Car c’est ainsi qu’il le rapporte lui-même
: « Et maintenant, je pars pour Jérusalem, pour pourvoir aux besoins
des saints. En Achaïe et en Macédoine, ils ont fait une collecte
pour les saints pauvres qui sont à Jérusalem. » Et, dans les actes
(24), le même Paul, quand sa cause fut portée devant le tribunal de Félix,
le préfet de Syrie, dit : « Je suis venu apporter des aumônes
à mon peuple, des oblations et des vœux. »
Or, cette captivité de saint Paul eut
lieu entre le concile de Jérusalem et la mort de Claude. Après lequel
concile, saint Paul se rendit à Macédoine et en Achaïe, où il n’était
jamais allé auparavant (actes, chapitre 16). Il atteignit
Jérusalem quand présidait dans cette ville Félix, qui fut préfet de
Syrie jusqu’à la mort de Claude, et au début du règne de Néron,
comme l’atteste Joseph (livre 20 des antiquités, chapitres 9 et 13).
On peut déduire de tout cela que l’épitre aux Romains a été écrite
en la onzième ou la douzième année de Claude. C’est pendant
ces années que saint Pierre revint de Rome, et parcourut de nouveau les
régions de Syrie, qu’il visita. Si Pierre n’était pas à Rome
au moment où saint Paul a écrit son épitre aux Romains, faut-il se surprendre
qu’il n’ait pas été salué par son nom ?
Le sixième argument. Saint
Ambroise (chapitre 16 aux Romains) dit que Narcisse, que saint Paul ordonne
de saluer, était un prêtre romain. Pierre ne fut donc pas évêque
de Rome. Je réponds que Narcisse a peut-être été un prêtre romain,
mais non l’évêque de Rome. Car tous les anciens (Irénée, Eusèbe,
Optatus, Épiphane, Jérôme, Augustin et les autres) qui ont tenu un registre
des évêques romains, n’ont jamais fait mention d’un Narcisse.
Cela ne s’oppose donc pas à ce que rapporte saint Ambroise, car
(au chapitre 3, 1 à Timothée) il dit « que tout évêque est prêtre,
mais que tout prêtre n’est pas évêque. » Et Corneille (d’après
Eusèbe, livre 6, chapitre 33 de l’histoire ecclésiastique) : dit que
« dans Rome, il n’y a qu’un seul évêque, et quarante-six prêtres.
»
Le septième argument. Pierre a
conclu un pacte avec Paul pour être, lui, l’apôtre des Juifs, et saint
Paul, des Gentils (Gal.2). Comment est-il donc vraisemblable
que, si vite oublieux de son engagement, il ait envahi une terre étrangère,
Rome, la mère du paganisme et de la gentilité ? Si tu dis
que Pierre est venu à Rome pour prêcher aux Juifs qui y étaient, tu
dois répondre pourquoi, quand Paul vint à Rome, et commença à prêcher,
ils étaient étonnés de la nouveauté de cet enseignement. C’est
ce que montre les actes des apôtres (à la fin) : « Nous avons entendu
parler de cette secte, parce qu’on la contredit partout. Nous voulons
donc entendre ce que tu en penses. » Et plus bas : « Quelques-uns
croyaient à ce qu’on leur disait, d’autres ne croyaient pas.
Comme ils ne s’entendaient pas entre eux, ils se séparèrent. »
Je réponds que le pacte qu’avaient
conclu saint Pierre et Paul ne voulait pas dire que saint Pierre n’avait
à s’occuper que des Juifs, et à ne prêcher qu’en Judée;
et que saint Paul ne prêcherait qu’aux Gentils, et en dehors de la Judée.
Mais que Pierre prêcherait à tous et partout où il voudrait, mais principalement
aux Juifs. Autrement, il faudrait dire que saint Paul a envahi une
terre étrangère, quand, venant à Rome, il se mit immédiatement à prêcher
aux Juifs (comme on le voit dans les actes des apôtres). Et saint
Pierre n’aurait du venir ni à Antioche, ni à Rome, ni dans l’Asie,
ni dans la Galatie, ni dans le Pont, ni dans la Cappadoce, ou la
Bythinie.
Il est faux aussi ce que dit Velenus de
l’étonnement des Juifs à la nouveauté de la doctrine, quand saint
Paul leur prêcha le Christ, comme si personne avant lui n’avait ainsi
prêché. Car si personne n’avait prêché aux Juifs avant la venue de
saint Paul, qui avait converti les Juifs Romains auxquels il écrivit ?
Il appert, en effet, que cette lettre a été écrite autant à des
Gentils qu’à des Juifs convertis à la foi chrétienne. Car, dans les
quatre premiers chapitres, il disserte sur la justification par la foi
sans les œuvres de la loi, contre la superbe des Juifs qui attribuaient
la venue du Messie à leurs mérites. Et, au chapitre 14, il s’adresse
à ceux qui judaïsaient encore, en s’abstenant d’aliments impurs interdits
par la loi de Moïse. Et, au chapitre 16, il salue beaucoup de juifs
devenus chrétiens.
Quelqu’un dira peut-être : si l’épitre
aux Romains a été écrite du vivant du Claude qui a chassé les Juifs
de Rome, quels sont ces Juifs que saint Paul ordonne de saluer ?
Car, il n’est pas croyable que, du vivant de Claude, les Juifs aient
osé retourner à Rome. Je réponds que non seulement il est croyable
que, après leur expulsion, les Juifs aient pu retourner, mais qu’ils
y sont certainement retournés. Car, saint Paul (actes 18),
a trouvé à Corinthe Aquila et Priscilla, qui, chassés par Claude, venaient
tout juste d’arriver là. Ensuite, après avoir séjourné en Achaïe
un an et six mois, et en Asie, deux ans (actes apôtres 18, 19), il se
dirigea vers Jérusalem. Et, en chemin, il écrivit aux Romains,
et leur ordonna de saluer Aquila et Priscilla qui étaient déjà retournés
à Rome.
Et au sujet de ces paroles des Juifs :
désirant savoir ce que tu en penses, je réponds que ces paroles n’ont
pas été prononcées par des Juifs qui étaient à Rome, mais seulement
par ceux qui n étaient pas encore convertis à la foi du Christ, mais
qui le seraient à la prédication de saint Pierre. Ces paroles ne
signifient pas, non plus, que ces païens n’avaient jamais entendu de
prédication sur le Christ, mais qu’ils n’étaient pas encore persuadés,
et qu’ils demeuraient dans leur obstination.
CHAPITRE 8
On réfute huit autres objections
Les objections qui vont de huit à 15
proviennent des actes des apôtres et des épitres que saint Paul a écrites
de Rome : aux Galates, aux Éphésiens, aux Colossiens, aux Philippiens,
aux Hébreux, à Timothée 2, et à Sénèque. Car, dans toutes ces
épitres, il aurait eu l’occasion de parler de saint Pierre s’il
avait été à Rome. Mais on trouve partout un silence éloquent.
Et dans ces épitres, non seulement il ne dit pas que saint Pierre était
à Rome, mais il laisse clairement entendre qu’il n’y était
pas. Car, (aux Philippiens 2), il dit de ceux qui étaient à Rome : «
tous recherchent leurs intérêts ». Et, aux Colossiens : « Vous
saluent Aristarque, mon co captif, et Marc, surnommé Barnabée,
et Jésus appelé le juste. Ceux-là seuls sont mes coadjuteurs dans le
royaume de Dieu. » Et (2 Timothée 4) : « Dans ma première défense,
personne ne m’assista. Mais tous m’abandonnèrent. »
Ou donc Pierre n’était pas à Rome, ou il fit une grande injure à saint
Paul, puisque saint Paul l’inclut dans le nombre de ceux qui ne cherchent
que leur intérêt personnel, qui ne sont pas ses coadjuteurs dans le royaume
de Dieu, et qui l’ont abandonné dans ses épreuves. Cet argument,
ce n’est pas seulement Velenus qui le fait sien, mais aussi Jean Calvin.
Je réponds qu’on ne peut rien conclure
d’arguments fondés sur une négative. Car, parce que saint Luc,
saint Paul et Sénèque ne disent pas qu’il était à Rome, il ne s’ensuit
pas qu’il n’y ait pas été. Ces trois-là, de toute évidence,
n’étaient pas obligés de tout dire. Et on prête foi davantage
au témoignage de trois personnes, qu’au silence de mille, pourvu que
ces dernières ne nient pas ce que les autres affirment.
Autrement, parce que saint Matthieu n’écrit pas dans son évangile que
le Christ a été circoncis, parce que saint Marc ne se souvient pas de
la présentation au temple, parce que saint Luc ne se souvient pas de la
nouvelle étoile, parce que saint Jean ne dit pas que le Christ est né
de la vierge Marie, toutes ces choses seraient fausses ? Absurde
!
Mais, je réponds quand même à leurs
trois citations. Il ne nie pas, dans ces passages, que saint Pierre
était à Rome, car, quand il dit dans les Colossiens : ceux-là seuls
sont mes coadjuteurs dans le royaume de Dieu, il parle de ses domestiques,
ceux qui avaient coutume de le servir. De la même façon, quand
il dit (2 Tim 4) : Luc est seul avec moi, il parle de ses domestiques et
de ceux qui le servaient. Car, il est certain (dernier chapitre de l’épitre
aux Romains) que plusieurs autres, tant Juifs que Gentils, ont été, à
Rome, convertis à la foi, et qu’ils prêchaient le royaume de Dieu.
Et, dans l’épitre aux Philippiens (chapitre 2), quand il dit que tous
cherchent leurs propres intérêts, il emploie une figure de style qu’il
ne faut pas prendre à la lettre. Le mot tous ici, signifie quelques-uns.
Car, il avait dit un peu avant que Timothée était près de lui.
Ce Timothée ne recherchait certainement pas ses propres intérêts.
Et dans le chapitre 1, il avait dit qu’il y en avait quelques-uns qui
prêchaient l’évangile par charité. Ils ne recherchaient donc
pas leurs propres intérêts ceux-là, mais ceux de Jésus-Christ.
De plus (dans 2 Timothée, chapitre 4),
où il dit : « personne ne m’assiste, tous m’ont abandonné,
» (passage dont Calvin se sert comme d’une arme contre nous),
saint Paul ne parle pas de ceux qui pouvaient l’aider auprès
de César, car il dit, au même endroit, que Luc était présent. Il n’est
pas moins vrai qu’il ait dit que personne ne l’assiste, et que tous
l’ont abandonné. Or, il est certain que saint Pierre ne pouvait
pas aider saint Paul, car il était aussi mal vu de César que saint Paul
ne l’était. Il ne parle donc que de certains nobles qui
avaient accès à César, mais qui se retirèrent par peur du tyran.
On pourrait aussi répondre que saint Pierre n’était pas à Rome quand
saint Paul y fut transporté, et quand il écrivit ces lettres. Car,
même s’il avait fixé son siège à Rome, il s’en éloignait souvent
quand il fallait, en divers endroits, fonder de nouvelles églises, comme
le note Épiphane (hérésie 27). Car, c’est précisément pour
qu’ils remplissent les tâches épiscopales en son absence, que Pierre
s’était donné comme coadjuteurs saint Lin et saint Clément.
CHAPITRE 9
On réfute le seizième argument
Le seizième. Saint Ambroise (sermon 67),
dit de saint Pierre et de saint Paul : « En un seul jour, en un seul lieu,
ils ont subi la condamnation d’un seul tyran. » Mais saint Lin
(dans sa passion de Pierre), dit que saint Pierre et saint Paul n’ont
pas souffert au même temps, ni au même endroit, mais sur l’ordre du
même tyran. De plus, Joseph, qui a vécu au temps de Néron, qui
a écrit la guerre juive, et qui, dans cette histoire qu’il raconte,
se souvient de ceux qui ont été tués par Néron, ne dit pas un mot de
saint Pierre. Il s’en serait surement souvenu s’il avait vraiment
été tué par Néron. Car, Joseph fut un grand ami des chrétiens,
et il s’en souvient volontiers à chaque fois qu’une occasion lui en
est donnée. Car, il a écrit sur la mort du Christ dans les antiquités,
de même que sur saint Jean-Baptiste et sur saint Jacques, évêque de
Jérusalem. Ajoutons que saint Pierre était vieux quand saint Paul
était adolescent, car après la passion du Seigneur, on appelle Paul un
adolescent (actes 7), au temps où Pierre avait déjà une épouse, et
c’est parce qu’il était le plus vieux de tous qu’il en devint le
premier. Et pourtant, saint Paul était déjà vieux quand il écrivit
à Philémon. Il n’est donc pas vraisemblable qu’ils soient morts
tous les deux ensemble.
Mais cet argument se réfute aisément.
Car, dans la première partie de l’argument, Velenus se trompe deux fois.
D’abord, parce qu’il dit que l’histoire racontée par Lin est fictive,
mais qu’elle lui permet de réfuter le témoignage de saint Ambroise.
Car, si l’histoire que Lin raconte est fictive, elle n’a aucune autorité,
et elle ne peut donc pas être utilisée pour réfuter le témoignage de
saint Ambroise. Il pèche ensuite en ce que par « le même
lieu » il entend la même partie de la ville, et oppose ainsi saint Ambroise
aux autres qui placent les martyres des apôtres dans des parties différentes
de la ville. Mais après avoir écrit « dans le même lieu », il
ajoute, « pour que Rome ne fasse défaut ni à l’un ni à l’autre.
» Et au sujet de sa citation de l’historien Joseph, je dis d’abord
que Joseph lui a répondu dans son livre sur la guerre juive, livre 2,
chapitre 11 ) : car, il dit qu’il veut passer sous silence les crimes
de Néron, comme le fait d’avoir assassiné sa mère et sa femme, car
il savait qu’un pareil récit était délicat. Il ne faut pas oublier
qu’il dédiait ses livres aux empereurs romains, qui n’écoutaient
pas volontiers les critiques de leurs prédécesseurs. On pourrait
aussi retourner l’argument sur son auteur, car le même Velenus raconte
que saint Pierre a été mis à mort à Jérusalem, sur l’ordre du grand
prêtre Ana. Je demande alors à Velenus : pourquoi Joseph n’a-t-il
jamais fait mention de saint Pierre quand il raconte l’histoire du grand
prêtre Ana, et des hommes qu’il a tués ? Que Velenus se transperce
donc avec son propre glaive.
Et, au sujet de l’âge de saint Pierre,
je dis que Pierre n’était pas un vieillard quand saint Paul était un
adolescent, mais un homme d’âge mur. Qu’il ait eu une épouse,
et qu’il ait été le premier des apôtres, cela ne prouve en rien qu’il
ait été déjà vieux. Car, il n’est pas croyable que le Seigneur
ait choisi des vieillards, pour leur faire accomplir les travaux les plus
pénibles, et parcourir presque toute la terre habitée. Comme il
n’est pas crédible que l’adolescent Paul ait été appelé à la dignité
apostolique qui comportait le souci de toutes les églises.
Il nous faut donc conclure que saint Pierre était dans la quarantaine
avancée ou au début de la cinquantaine, et que saint Paul avait environ
vingt-cinq ans, c’est-à-dire qu’il était presque deux fois plus jeune.
Il leur était donc possible de parvenir ensemble à l’âge de la vieillesse,
et de mourir ensemble, car, en la dernière année de Néron, Pierre aurait
eu 86 ans, et saint Paul 61 ans.
CHAPITRE
10
On réfute le dix-septième argument
Le dix-septième. L’Écriture
et les pères enseignent ouvertement que c’est à Jérusalem, et
non à Rome que saint Pierre et saint Paul ont été tués; que c’est
par les scribes et les pharisiens qu’ils l’ont été, et non par les
empereurs romans. Car, le Seigneur a dit (Matt 23) : « Voici que
je vous envoie des prophètes, des sages, et des scribes. Vous en tuerez
quelques-uns, vous en crucifierez, et vous en flagellerez dans vos synagogues.
» Commentant ce texte, saint Jean Chrysostome explique que
« Jésus parle des apôtres et de ceux qui le suivaient ». Et saint
Jérôme : « Observe comment, en plus des apôtres, les disciples ont
des dons variés. Les uns étaient prophètes qui prédisaient les
évènements à venir, d’autres sages qui savaient comment prêcher,
d’autres scribes, qui étaient très instruits dans la loi. Étienne
était de leur nombre quand il fut lapidé, ainsi que Paul quand il fut
tué, et Pierre quand il a été crucifié, et les disciples flagellés.
» De même Nicolas, sur ce texte : « Vous en tuerez quelques-uns,
comme Jacques, frère de Jean, (actes 12) et saint Étienne (actes 7),
et plusieurs autres. Vous en crucifierez, comme Pierre, et André,
son frère. »
Je réponds que les paroles de saint Matthieu
(23) et le commentaire de saint Jean Chrysostome, ne nous contredisent
en rien. Car, le Seigneur et saint Jean Chrysostome ne disent pas
que tous les apôtres et tous les disciples seront tués à Jérusalem,
mais seulement quelques-uns. C’est ce que signifie la phrase :
« Vous en tuerez et vous en crucifierez. » Cette prédiction s’est
accomplie dans la lapidation de saint Étienne (actes 7), dans le meurtre
de saint Jacques par Hérode (actes 12), et celui de Jacques le mineur
que les Juifs tuèrent à Jérusalem (Joseph, livre 20, antiquités,
chapitre 6)), et dans le crucifiement à Jérusalem de Siméon, frère
et successeur de saint Jacques le mineur (chroniques d’Eusèebe). Et
plusieurs estiment que Mathias a été crucifié à Jérusalem. Si
Velenus veut à tout prix que le Seigneur parle de tous les apôtres, il
faudra rejeter toutes les histoires qui témoignent qu’André est mort
en Achaïe, Philippe et Jean en Asie, Thomas en Inde, Barthélémy en Éthiopie,
Simon et Jude en Perse.
Saint Jérôme ne peut pas vouloir dire
que Saint Pierre et saint Paul ont été tués à Jérusalem, puisqu’il
enseigne en toutes lettres (dans les hommes illustres) qu’ils ont
été tués à Rome par Néron. Mais, de ces paroles du Christ, il
déduit que variés ont été les dons des disciples du Christ, et différentes
leurs morts. Parce que le Seigneur avait dit qu’il enverrait des
prophètes, des sages et des scribes, saint Jérôme observe que les dons
des disciples ont été variés. Parce qu’il a dit ensuite que
les Juifs en tueront et en crucifieront, le même saint Jérôme constate
que les disciples du Christ émigreront de cette vie par des genres de
mort différents. Et il donne comme exemples la lapidation de saint
Étienne, la décapitation de saint Paul et le crucifiement de saint Pierre.
Il ne nous donne donc pas ce genre d’exemples pour nous faire connaître
quels sont ceux qui seront mis à mort par les Juifs, mais seulement pour
nous enseigner que les morts des disciples du Christ seront différentes.
Enfin, l’autorité de Nicolas Lyran
n’est pas si grande qu’elle puisse contrebalancer celle de tous les
anciens pères et de tous les historiens qui nous rapportent que saint
Pierre a été tué à Rome par Néron, saint André en Achaïe par Égée.
Il est sans doute arrivé à Lyran de suivre saint Jérôme. Voilà pourquoi
il se contente de dire que saint Pierre et saint André ont été crucifiés,
en dépit de toute son imprécision.
CHAPITRE 11 : On réfute
le dernier argument
Voici quel est son dernier argument.
Puisqu’on trouve tant d’erreurs dans le récit des évènements récents,
dit Velenus, les courtisans complaisants et flatteurs de la curie
romaine n’ont-ils pas pu en commettre un grand nombre, eux qui ont écrit
dans des temps si éloignés et si troublés, au sujet de la
venue de saint Pierre à Rome, de sa passion et son épiscopat ? Si saint
Irénée, Tertullien, Eusèbe et d’autres ont été des courtisans de
la curie romaine, Velenus dit la vérité. Mais ils sont, en majorité,
très anciens, comme saint Irénée ou Tertullien, et d’une époque où
la curie romaine n’était pas puissante au point de pouvoir les considérer
comme de ses courtisans. Et ce sont en grande partie, des Grecs,
comme Eusèbe, Thédoret, Sozomène et d’autres, lesquels cherchaient
plus à envier qu’à louer la curie romaine. Une autre partie d’entre
eux était constituée de grands saints comme Ambroise, Jérôme, Augustin,
Jean Chrysostome, qui avaient horreur de l’adulation et de la flatterie.
Il s’ensuit certainement qu’il ment impudemment quand il les présente
comme des flatteurs, des arrivistes et des courtisans.
Mais son argument ne vaut rien, car autant
pour les faits récents que pour les plus anciens, des erreurs peuvent
se glisser quand des choses sont arrivées clandestinement et sans témoins,
quand on confond des dates ou des circonstances. Ces faits peuvent
facilement sombrer dans l’oubli. Mais il n’en est pas ainsi
des évènements les plus célèbres, surtout quand nous sont parvenus
intacts les récits des contemporains, ou quand subsistent des monuments
de pierre qui nous racontent ce qui s’est passé. Je pense que
cela suffit.
2017 09 28 à 20h34 fin
2017 10 08 à 19h44 début
CHAPIRE 12 : Le pontife romain succède
à Pierre dans une église monarchique. On le prouve par le droit
divin et par la raison de la succession.
Nous avons démontré, jusqu’à présent,
que le pontife romain a succédé à Pierre comme évêque de Rome.
Nous nous apprêtons à démontrer la même chose au sujet de sa succession
dans le primat de l’église universelle. Les hérétiques de notre
temps le nient cela, mais ils s’acharnent surtout sur le primat du pontife
romain. Voici les principaux. Luther (livre sur le pouvoir du pape),
Illyricus (livre contre la primauté du pape), le synode smalchadique (dans
le livre sur ce même argument), Jean Calvin (livre 4 des institutions,
chapitres 6 et 7), les magdebourgeois (dans chacune de leurs centuries
chapitre 7). Et avant eux, il y a eu l’évêque de Thessalonique
Nil, dans son livre contre la primauté du pape. Car
cet auteur ne nie pas que saint Pierre ait été le pasteur
de toute l’Église, et qu’il ait détenu l’épiscopat de Rome jusqu’à
sa mort. Mais ce qu’il soutient c’est que le pontife romain n’a
pas succédé à Pierre dans le gouvernement de toute l’Église, mais
seulement dans l’épiscopat de Rome. Il ajoute ensuite qu’il
a reçu par la suite, de décrets conciliaires, un certain primat
(honorifique), comme, par exemple, le privilège de s’asseoir le
premier en tant que le premier des évêques, d’être le premier à émettre
son avis, mais non le droit de commander à tous.
Comme nos arguments et ceux de nos
adversaires sont puisés aux mêmes sources et aux mêmes chapitres,
nous réduirons toute notre dispute à certains chapitres ou genres d’arguments;
et c’est en même temps que nous établirons la vérité, et que
nous réfuterons leurs objections. On prouve donc, d’abord, que
le pontife romain a succédé à saint Pierre dans le pontificat de l’Église
universelle de droit divin, et en raison de la succession. Quelqu’un
doit succéder à saint Pierre de droit divin. Or, celui-là
ne peut être autre que l’évêque romain. C’est donc lui
qui lui succède. Jean Calvin nie la majeure et la mineure.
Voici comment il parle (institution, livre 4, chapitre 6, verset 8) : «
Il est vrai que je leur concède ce qu’ils demandent au sujet de Pierre.
Mais il n’y a rien qui leur permette de faire, d’un cas particulier,
une règle générale, et d’étendre à perpétuité ce qui a été fait
une fois. » Encore : « Supposons que je leur accorde encore
cette autre chose, que jamais ne leur concéderont des hommes sains,
que le primat de Pierre a été institué de telle façon qu’il demeure
toujours dans une perpétuelle succession, comment peuvent-ils en
conclure que le siège de Rome est ainsi constitué que quiconque
est évêque de cette ville préside à l’univers entier ? »
Nous démontrerons donc l’un et
l’autre séparément. Qu’il faut que quelqu’un succède à
saint Pierre dans le pontificat de l’Église universelle, nous le déduisons
de la fin du pontificat. Car, il est certain que le pontife existe
pour l’Église. Car, c’est ce que dit saint Augustin (dans son livre
des pasteurs, chapitre 1) : « Que nous soyons chrétiens, c’est pour
nous; que nous soyons préposés, c’est pour vous. » Or l’Église
n’a pas moins besoin, maintenant, d’un pasteur qu’elle n’en
avait au temps des apôtres. Davantage, même, car les chrétiens sont
plus nombreux, et pires. Le pontificat ne devait donc pas disparaître
à la mort de saint Pierre, puisque ce n’était pas à l’avantage
de saint Pierre qu’il avait été institué, mais pour l’utilité de
toute l’Église; pour qu’il demeure et persévère tant que demeure
l’Église, et certainement tout au long de son pèlerinage sur
cette terre; et qu’il remplisse la tâche apostolique d’un suprême
pasteur.
Nous le prouvons aussi par l’unité
de l’Église. Car l’Église est une et la même en tout temps. Ne doit
donc pas changer la forme de son gouvernement, qui est celle d’une république
et d’une cité. C’est pourquoi, si, au temps des apôtres, il
y avait un seul recteur suprême, et un seul chef de l’Église, il doit
n’y en avoir qu’un seul aussi à notre époque. Nous le prouvons
ensuite par les paroles de Jésus, en saint Jean : « Pais mes brebis ».
Car la charge d’un pasteur est un devoir ordinaire et perpétuel.
Si donc, de par la nature de la chose, l’office d’un pasteur doit durer
tant que dure le troupeau, --le troupeau demeure et demeurera jusqu’à
la fin du monde—, les successeurs de saint Pierre doivent donc demeurer
dans ce travail pastoral. L’autre preuve est tirée du même
passage évangélique. Car, quand le Seigneur a dit à Pierre
: « pais mes brebis », il lui a confié toutes ses brebis, comme nous
l’avons montré plus haut. Non seulement en raison du lieu, mais
aussi du temps, car Dieu ne se souciait pas moins de nous que des anciens.
Or, Pierre ne devait pas toujours vivre dans la chair. Donc, quand
le Seigneur lui a dit : « pais mes brebis », il parlait, en lui, à tous
ses successeurs. C’est bien ce que dit saint Jean Chrysostome
(livre 2 du sacerdoce) : « Pour quelle raison a-t-il répandu son sang
? Certainement pour acquérir ces troupeaux qu’il confierait tant
à Pierre qu’aux successeurs de Pierre. » Et saint Léon (sermon
2, anniversaire de son intronisation) : « Demeure la disposition de la
vérité, et, persévérant dans la force de la pierre qu’il avait reçue,
saint Pierre n’abandonna pas le gouvernail de l’Église qui lui avait
été confié, car il persévère et vit dans ses successeurs. »
Et saint Pierre, évêque de Ravenne (dans son épitre à Eutychès) :
« Le bienheureux Pierre, qui vit et préside dans son siège propre, apporte
la vérité de la foi à ceux qui la cherchent. »
Cinquième preuve. L’Église
est un seul corps, et a sa propre tête ici, sur la terre, en plus du Christ,
comme on le voit dans la lettre de saint Paul aux Corinthiens (1, 12).
Car, après avoir dit que l’Église est un seul corps, il ajoute : «
La tête ne peut pas dire aux pieds : vous ne m’êtes pas nécessaires
». Ces paroles ne conviennent certainement pas au Christ, car il
peut nous dire à nous tous : vous ne m’êtes pas nécessaires.
On ne peut donc assigner au corps de l’Église d’autre tête
que saint Pierre. Or, il ne faut pas qu’à la mort de saint
Pierre, l’Église demeure sans tête. Il faut donc que quelqu’un
succède à saint Pierre. La sixième. Dans l’ancien
testament, il y avait une succession de grands pontifes. Car,
à Aaron succéda Éléazar, (nombres 20), et à Éléazar, Phinées, (juges
20), et ainsi de suite. Or, le sacerdoce de l’ancien testament
était une figure du nouveau. Donc, maintenant aussi, il faut
conserver la succession du siège de saint Pierre, pontife suprême des
chrétiens. Ensuite, tous les arguments utilisés, dans la deuxième
question, pour prouver que le gouvernement de l’Église devait
être monarchique, peuvent également servir de preuves au sujet
que nous traitons.
Que ce successeur de saint Pierre
est le pontife romain, il est facile de le prouver. Car il n’y en a pas,
et il n’y en a jamais eu qui se soit prétendu être le successeur de
saint Pierre, ou qui ait été considéré comme tel, en dehors de l’évêque
romain et d’Antioche. Or, l’évêque d’Antioche ne succéda pas à
saint Pierre dans le pontificat de l’église universelle, car il n’aurait
pu y succéder qu’en cédant son poste, par la mort naturelle, ou par
la mort légale, c’est-à-dire la déposition ou la renonciation.
Or, c’est quand il était encore vivant et évêque légitime que Pierre
a quitté l’Église d’Antioche, et qu’il a fixé son siège à Rome,
comme nous l’avons démontré plus haut. Il reste donc que c’est
l’évêque de Rome qui succède à Pierre après sa mort, qui lui succède
dans toute sa dignité et son pouvoir.
De plus, si l’évêque d’Antioche
avait succédé à saint Pierre dans son pontificat suprême, il aurait
été le premier des évêques. Or, au concile de Nicée (canon 6),
il est déclaré être le troisième patriarche, non le premier ni
le deuxième, comme il l’a toujours été. Et les évêques d’Antioche
ne revendiquèrent jamais un plus haut rang. Pour mieux comprendre
toutes ces choses, il faut faire quelques réflexions préalables.
Il faut d’abord faire une distinction entre la succession et la
raison de la succession. Car, la succession du pontife romain au
pontificat de saint Pierre est de droit divin. La raison de la succession,
c’est-à-dire la raison pour laquelle c’est le pontife romain plutôt
que celui d’Antioche ou d’un autre siège qui succède à Pierre,
a pris origine dans l’agir de saint Pierre. La succession,
dis-je, est d’un droit divin établi par le Christ, succession selon
laquelle le Christ a institué en Pierre un pontificat qui doit durer jusqu’à
la fin du monde. Et, en conséquence, quiconque succède à Pierre
obtient du Christ le pontificat. Mais que ce soit l’évêque
romain et non celui d’Antioche qui soit le successeur de saint Pierre,
cela vient d’une décision de Pierre et non de l’institution première
du Christ. Car, il aurait pu ne choisir aucun siège particulier,
comme il le fit pendant les cinq premières années. Et alors, ce n’aurait
été ni l’évêque de Rome ni celui d’Antioche qui lui aurait succédé,
mais celui que l’Église aurait élu. IL aurait pu, aussi,
demeurer toujours à Antioche, et ce serait alors l’évêque d’Antioche
qui lui aurait succédé. Mais, comme il a fixé son siège
à Rome, et qu’il l’a tenu jusqu’à sa mort, c’est à cause de
cela que c’est l’évêque romain qui lui succède.
Et parce que le pape Marcel a écrit
(dans son épitre à l’église d’Antioche) que c’est sur l’ordre
du seigneur, que saint Pierre est venu à Rome, et comme saint Ambroise
(discours contre Auxence) et saint Athanase (dans l’apologie pour sa
fuite), disent, tous les deux, que c’est sur l’ordre du Christ,
que Pierre a subi le martyre à Rome, il n’est pas improbable que le
Seigneur ait aussi ordonné à Pierre de fixer son siège à Rome, pour
que ce soit l’évêque de Rome qui lui succède. Mais quoi
qu’il en soit de tout cela, le moins qu’on puisse dire c’est
que la raison de cette succession ne provient pas de la première institution
du pontificat que nous lisons dans l’évangile. Une
deuxième remarque. Même si ce n’est peut-être pas de droit
divin que le pontife romain succède à Pierre dans le gouvernement de
toute l’église, parce qu’il est évêque de Rome, cependant, si quelqu’un
demande : est-ce de droit divin que le pontife romain est pasteur et chef
de toute l’église, il faut absolument répondre oui. Car,
rien d’autre n’est requis pour que cette succession soit de droit
divin, c’est-à-dire que la charge ordinaire de gouverner l’Église
universelle avec la suprême puissance, ne vienne pas des hommes, mais
immédiatement de Dieu. Qu’il en soit bien ainsi, nous l’avons
démontré plus haut.
La troisième observation. À supposer
même que ce ne soit pas de droit divin que le pontife romain succède
à saint Pierre, c’est quand même une chose qui appartient à la foi
catholique. Car, qu’une coutume soit de foi, et qu’elle
soit de droit divin, ce n’est pas la même chose. Car ce n’est pas
de droit divin que Pierre ait un surnom; mais c’est de foi que Pierre
a eu un surnom. Et même s’il n’est pas écrit expressément
dans les Écritures que l’évêque romain succède à saint Pierre, on
déduit cependant manifestement des Écritures que quelqu’un a
succédé à saint Pierre. Que celui-il soit l’évêque romain
nous le tenons de la tradition apostolique de Pierre, laquelle a été
proclamée et démontrée par les conciles généraux, les décrets des
papes, et l’enseignement unanime des pères.
Il faut noter enfin que l’épiscopat
romain et le gouvernement de l’église universelle ne sont deux
épiscopats et deux sièges qu’en puissance. Car, ayant été institué
par le Christ pontife de toute l’Église, saint Pierre ne s’est pas
adjoint l’épiscopat de la ville de Rome comme l’évêque d’une
certaine ville s’adjoint un autre épiscopat ou un autre canonicat ou
abbatiat. Mais il a élevé l’épiscopat de la ville de Rome jusqu’au
pontificat suprême de toute la terre, comme quand un simple épiscopat
est érigé en archiépiscopat, ou en patriarcat. Car, cet archevêque
ou ce patriarche n’est pas deux fois évêque, mais une fois seulement;
et le signe en est qu’il ne reçoit du pape qu’un seul pallium,
même s’il est évêque, archevêque, patriarche, et pontife suprême.
Car, ces choses sont une en acte, et multiples en puissance. Il s’ensuit
que celui qui est élu pontife romain est par le fait même pontife suprême
de toute l’Église, même s’il arrivait que les électeurs n’en fassent
pas mention.
Répondons, maintenant, aux objections
de Nil et de Jean Calvin. La première est celle de Nil.
Le pontife romain a reçu des pères la primauté du fait que la cité
de Romme commandait à toute la terre, comme on le lit dans le concile
de Calcédoine, (article 16). Il n’eut donc pas cela de la
succession de saint Pierre. Je réponds que ce
décret fut illégitime, car il fut adopté malgré l’opposition de ceux
qui présidaient le concile. Mais on parlera plus longtemps de cette
question au chapitre 27. La deuxième objection.
Le pape de Rome n’est pas un apôtre, mais seulement un évêque. Car
les apôtres n’ordonnèrent pas d’autres apôtres, mais des pasteurs
et des docteurs. Le pape de Rome ne succéda donc pas à saint Pierre
dans son pouvoir apostolique qui portait sur toute l’Église, mais seulement
dans son épiscopat romain particulier. Je réponds que dans le statut
d’apôtre trois choses sont contenues. La première.
Que celui qui est apôtre soit ministre immédiat de la parole, en tant
qu’ayant été instruit par Dieu, et étant capable d’écrire des livres
sacrés. Nous reconnaissons que cela ne se rapporte pas aux pontifes
romains. Car, il n’est pas nécessaire qu’à chaque jour de nouvelles
révélations soient données, et que de nouveaux livres saints soient
écrits. La deuxième. Que celui qui est apôtre fonde
des églises, et propage la foi dans des lieux où elle n’avait jamais
pénétré. Cela appartient aux pontifes romains : la raison
et l’expérience nous l’enseignent. Car ce sont les pontifes
romains qui, depuis les temps apostoliques, ont fondé des églises
dans les différentes parties de la terre, et en fondent encore aujourd’hui.
La troisième. Celui qui est
apôtre a un pouvoir suprême dans toute l’Église. Et nous soutenons
que cela appartient aussi au pontife romain pour la raison précise qu’il
succède à saint Pierre, dans lequel ce pouvoir est ordinaire, et non
délégué, comme dans les autres apôtres. L’argument de Nil n’aboutit
à rien, non plus, quand il dit que les apôtres n’ont pas institué
d’autres apôtres mais des pasteurs ou des docteurs. Car,
ils ne devaient pas sacrer un pontife romain de toute l’Église, ou un
pontife apostolique, puisque le Christ l’avait déjà fait. C’est
pourquoi tous les pères ont toujours donné le nom de siège apostolique
au siège du pontife romain. Et dans le concile de Calcédoine que
cite Nil, (acte 1), la dignité du pape des Romains est appelée
apostolique, et (à l’article 16), son siège est appelé apostolique.
Troisième objection. Pierre
a été le pasteur et le docteur de toute la terre. Mais le
pape n’est et n’est appelé que l’évêque de la ville de Rome.
Je réponds que c’est faux, comme, sans parler des autres,
le concile de Calcédoine nous le fait connaître. Car (à l’article
3), on y lut trois lettres des Orientaux au pape saint Léon, et dans chacune
d’elles Léon est appelé pape de l’Église universelle, nom que l’on
retrouve aussi à l’article 16. La quatrième objection.
Pierre a ordonné les évêques d’Antioche et d’Alexandrie. Mais cela
n’est pas permis à l’évêque de Rome. Je réponds que même
si, à cause de l’entêtement des Orientaux, cela n’est pas permis
de nos jours, ce droit était autrefois reconnu au pape. Car, dans
le concile de Calcédoine (actes 7), nous lisons que l’évêque
d’Antioche Maxime a été reçu par le concile, parce que le pape
saint Léon l’avait confirmé dans son épiscopat. Et Libérat
(dans le bréviaire, chapitre 21) et Jean Zonaras ( dans Justinien) écrivent
que c’est par le pontife de Rome Agapet qu’a été déposé Anthime
de l’épiscopat de Constantinople, et que Mena a été ordonné à sa
place. Mais nous développerons davantage ce sujet en son lieu et
place.
La cinquième objection. Tout
ce qu’a dit ou écrit saint Pierre est un oracle du Saint-Esprit. Or,
cela ne convient pas au pape. Le pape n’a donc pas toutes les prérogatives
de Pierre. Nous ne prétendons pas, nous non plus, qu’il les ait toutes.
La sixième objection. Il a été dit à Pierre sans condition :
tout ce que tu lieras sera lié, etc. Or Pierre a prescrit au pontife
romain de ne lier ou de ne délier que ce qui mérite de l’être.
Je réponds que tout ce que cet argument prouve c’est que Nil a été
un grec léger et un beau parleur. Car qui a jamais entendu dire
qu’il était permis à saint Pierre de lier ce qui ne méritait
pas d’être lié, et de délier ce qui ne méritait pas d’être délié
? Et où donc trouve-t-on cette prescription faite au pape
par saint Pierre, que Nil met de l’avant ? Jean Calvin avait
fait l’objection suivante ( livre 4, chapitre 6, verset 8, des institutions).
« Parce que Pierre, au début, a été placé avant les autres apôtres,
il ne s’ensuit pas qu’aujourd’hui quelqu’un doive être le premier
de tous. Car, c’est un petit groupe qui a avantage à être conduit
par une seule personne; mais c’est par plusieurs que des milliers de
personnes ont intérêt à être gouvernées.
Je réponds que saint Pierre n’a
pas été seulement mis à la tête de tous les apôtres, mais de tous
les milliers de chrétiens. Car, en saint Jean, le Christ ne lui
a pas confié les douze apôtres seulement, mais toutes ses brebis.
Or, nous lisons dans les actes des apôtres (2) que les brebis de
Pierre se sont multipliées jusqu’à atteindre le chiffre de trois mille,
et même (actes 4) de cinq mille, dans la seule Jérusalem. De plus,
plus les hommes sont nombreux, plus grand est leur besoin d’un recteur
unique qui les garde dans l’unité. Mais, nous avons traité de
cela dans la première question. Il objecte encore ceci, au
même endroit. Si Rome est le siège du pontificat suprême
parce que l’apôtre Pierre y est mort en exerçant le pontificat, le
siège du pontificat juif aurait du être dans le désert, parce que c’est
là que sont morts Moïse et Aaron quand ils étaient détenteurs du pontificat.
Et le siège pontifical des chrétiens devrait être à Jérusalem, car
c’est là qu’est mort le pontife suprême, le Christ. Je
réponds avec ce qui a déjà été dit. Le siège pontifical
n’est pas à Rome parce que c’est là que saint Pierre est mort, mais
pace qu’il a été évêque de Rome, et qu’il n’a jamais transféré
son siège ailleurs. Moïse et Aaron ne fixèrent pas leur siège
dans le désert, mais ils y sont morts en chemin. Le Christ, non
plus, ne fixa son siège à Jérusalem, ni à aucun autre droit, comme
nous l’avons dit plus haut.
Il présente comme objection, en
troisième lieu, au même endroit (verset 12), le raisonnement suivant.
Ce privilège du primat sur toute l’église est ou local, ou personnel
ou mixte. S’il est local, ayant été une fois concédé à Antioche,
il ne peut pas lui être enlevé, même si Pierre la quittait pour aller
mourir ailleurs. S’il est personnel, il n’a rien à voir avec le lieu,
et Rome n’a pas plus droit au pontificat suprême que toute autre cité.
S’il est mixte, il ne suffit donc pas à quelqu’un d’être
évêque de Rome pour avoir la primauté. Car, si le privilège est
en partie local, et en partie personnel, il n’est donc lié au lieu que
dans le temps où habite la dite personne, c’est-à-dire Pierre.
Je réponds que, par l’institution primordiale du Christ, la dignité
pontificale a été personnelle. Mais, cependant, par l’intervention
de Pierre, elle est devenue par après locale, plutôt mixte,
mais rien de tout cela sans la permission de Dieu. Je dis qu’elle
a été au début personnelle, car elle ne fut, par le Christ, liée à
aucun endroit, mais déposée dans la personne de Pierre. Je dis
personnelle, tout en étant publique et non privée.
On appelle personnels les privilèges
qui sont donnés à une personne pour elle seulement; publics, ceux
qui sont donnés à la personne et à ses successeurs. Cependant,
parce que, après cela, Pierre fixa son siège à Rome, ce privilège
est devenu local, et donc mixte. Et il est lié à la
ville de Rome aussi longtemps que les successeurs de saint Pierre conserveront
leur siège à Rome. Car si le siège de Pierre était transféré
ailleurs par un ordre divin, les évêques de Rome ne seraient plus alors
évêques de l’église universelle. Transférés au sens où ils
ne seraient plus les évêques de Rome mais d’une autre ville, car la
seule absence de Romme n’équivaut pas à un transfert. Ce que
nous disions là n’est pour nous qu’une hypothèse, car nous ne pensons
pas que le siège de Rome soit un jour transféré ailleurs.
La quatrième objection est faite
au même endroit (verset 13). Si c’est parce qu’il succède
à saint Pierre que le pontife romain est le premier évêque, c’est
l’évêque d’Éphèse qui devrait être le second, celui de Jérusalem
le troisième, et ainsi de suite. Mais nous voyons que le deuxième siège
est celui d’Alexandrie, qui n’a été fondé par aucun apôtre.
Celui d’Éphèse n’a même pas pu occuper le dernier rang. Je
réponds que l’importance et le nombre des patriarches ne dépendent
pas de la dignité des premiers évêques, autrement il n’y en aurait
pas trois, mais douze, selon le nombre des apôtres. Ils ne dépendent
que de la seule dignité et volonté de saint Pierre, comme nous l’avons
démontré avec des citations d’Anaclet, de Léon, de Gélase et de Grégoire,
dans les prérogatives de saint Pierre, à la question 3.
La cinquième objection est tirée
du livre 4 (chapitre 7, verset 28). Si tout ce qu’on dit de Pierre
doit être dit de ses successeurs, il faut dont reconnaitre que tous les
papes sont des Satan, car cela est dit au même endroit où il est dit
: « je te donnerai les clefs du royaume. » Je réponds que
ce qui est dit à Pierre diffère de trois manières. Certaines
choses lui sont dites à lui seul, personnellement, d’autres à lui et
à tous les chrétiens, et d’autres à lui et à ses successeurs.
On peut faire cette distinction en considérant à quel titre certaines
choses lui sont dites. Car, ce qui lui est dit en tant qu’un
fidèle parmi d’autres, s’applique évidemment à tous les fidèles.
Comme en Matthieu (18) : « Si ton frère pèche contre toi… »
Mais les choses qui lui sont dites à lui à cause de sa personne propre,
ne sont dites qu’à lui, comme : « Va en arrière de moi, Satan ! »,
ou comme : « Tu me renieras trois fois. » Car, ces choses lui sont
dites à cause de sa propre imbécilité et ignorance. Il y en a
d’autres qui lui sont dites en raison de sa charge pastorale, qui sont
donc dites aussi à tous ses successeurs, comme : « Pais mes brebis »,
« Confirme tes frères », ou « Tout ce que tu lieras ».
Les arguments de Luther sont très
légers, et ce que nous avons dit peut facilement les réfuter.
Et de plus, ils sont été brillamment combattus par Eck, Fabius, Roffensus
et Cajetanus dont les livres sont dans toutes les mains. Je les omets
donc.
CHAPITRE 13
On prouve la même chose avec les conciles
Il nous faut, en second lieu, prouver
la primauté du pontife romain par les conciles. Luther
(dans son livre sur le pouvoir du Pape) et Illyricus (dans son livre
contre la primauté) et Jean Calvin (dans institution, chapitre 7,
verset 1) disent que le canon 6 du concile de Nicée milite ouvertement
contre nous. Ce concile assignerait au pontife romain une région
déterminée à gouverner, et petite d’ailleurs; et le déclarerait
un des patriarches, mais non la tête des autres. Ils ne purent,
prétendent-ils, découvrir aucun témoignage conciliaire en notre
faveur. Il y a pourtant des témoignages célèbres des conciles
généraux en faveur du primat du pontife romain, et quelques-uns de ces
conciles furent si universels ou oecuméniques qu’ils furent composés
autant de pères grecs que de latins. Ce qui fut obtenu en dépit
de la légèreté d’esprit et de l’orgueil des Grecs.
Voilà donc le premier concile
de Nicée, et le fameux canon 6 que nos adversaires nous opposent.
Mais ce canon requiert une explication pour qu’on puisse en tirer un
argument. En voici donc le texte, tel qu’il nous est parvenu : « Que
la coutume antique perdure en Égypte, ou en Lybie, ou en pentapolis, de
façon à ce que l’évêque d’Alexandrie ait le pouvoir sur eux tous,
parce que la coutume veut qu’il soit semblable à l’évêque
de Rome. » Il y a quelques remarques à faire sur ce canon.
D’abord, d’après Nicolas 1 (épitre à Michaël) : « Le concile de
Nicée n’a rien statué au sujet de l’Église de Rome car son
pouvoir elle le tient de Dieu et non des hommes. Il n’a fait que déterminer
le statut des autres églises à partir de la constitution de l’Église
romaine. Le concile ne dit pas : que l’évêque de Rome ait telle
ou telle région à administrer. Mais : que l’évêque d’Alexandrie
soit chargé de l’Égypte et de la Lybie, parce que c’est ainsi que
l’évêque de Rome en a établi la coutume. » L’Église romaine
est clairement représentée comme la norme ou la règle des autres, et
rien n’a été statué à son sujet. Calvin, Illyricus, Nil
et les autres se trompent donc quand ils disent que le concile de Nicée
a assigné certaines limites territoriales à l’évêque de Rome, pour
qu’il n’ait de pouvoir que sur les diocèses suburbains.
Il faut aussi noter que, dans les
livres de la vulgate, manque le début de ce canon qui commence ainsi :
« L’Église romaine a toujours eu la primauté. Que la coutume
perdure etc. » C’est ainsi que ce canon est cité dans le concile
de Chalcédoine (article 16) par l’évêque Paschasius. C’est
ainsi qu’un peu avant l’an mille, l’a traduit du grec un certain
abbé Denys, comme Alanus Copus l’a annoté dans le dialogue 1.
Et dans le même concile de Chalcédoine, (article 16), après la lecture
de ce canon 6, les juges dirent : « Nous étendons toute la primauté
et le premier honneur, selon les canons, à l’archevêque de l’antique
Rome, très aimé de Dieu ».
On doit observer, en troisième
lieu, ces paroles : « Parce que, pour l’évêque romain, telle
est la coutume. » Il y a quatre façons d’expliquer cette phrase.
La première, c’est Ruffin qui la donne (livre 10 de l’histoire ecclésiastique,
chapitre 6). Il a été décrété par le concile que l’évêque
d’Alexandrie ait la charge pastorale de l’Égypte, comme l’Église
de Rome l’a sur les églises suburbaines. Mais c’est une fausse
exposition, car si l’évêque de Rome est le premier et le principal
patriarche, comment peut-on croire que lui a été assignée, à lui,
la plus étroite région, et aux autres patriarches inférieurs une région
beaucoup plus large ? Car, le patriarche d’Antioche avait tout
l’Orient, celui d’Alexandrie trois grandes provinces ; l’Égypte,
la Lybie et la Pentapolis. Et l’évêque romain n’aurait eu,
lui, que les six évêchés les plus proches de Rome ? De plus, cette
préposition «quoniam » (parce que), indique une raison.
Or, on ne voit pas comment on pourrait logiquement dire que l’évêque
d’Alexandrie a la charge pastorale de trois provinces, parce que
l’évêque de Rome prend soin des évêchés suburbains. Donc,
ou la raison invoquée par le concile de Nicée ne vaut rien, ou Ruffin
n’a pas bien compris le sens du canon du concile. De plus,
le concile de Nicée, cité par le concile 6 de Carthage, ou lu dans le
concile de Chalcédoine, (acte 16), ou rapporté par l’abbé Denys a
perdu le souvenir des « églises suburbaines.» Il n’a que les
mots suivants : « Que l’évêque d’Alexandrie ait le pouvoir sur toute
l’Égypte, la Lybie et la Pantapolis, car, pour l’évêque romain,
aussi, telle est la coutume. » Ces églises suburbaines
furent donc une pure invention du Ruffin qu’a suivi Calvin.
La deuxième explication du texte
est celle de Théodore Balsamonis, (dans son explication du canon) et de
Nil (dans son livre contre la primauté). Le concile a décrété
que l’évêque d’Alexandrie ait le soin de toute l’Égypte, comme
l’évêque romain a le soin de tout l’Occident. Cette interprétation
est plus acceptable, mais elle n’est pas moins fausse. Car, quand
le concile dit : car, telle est la coutume pour l’évêque romain,
il donne la cause pour laquelle on doit persévérer dans la coutume antique
qui confie à l’évêque d’Alexandrie le soin pastoral de ces trois
régions. Or, le fait que l’évêque romain ait le soin pastoral
de tout l’occident n’est pas une raison qui explique pourquoi l’évêque
d’Alexandrie doive être chargé de l’Égypte, de la Lybie et
de la Pendapolis. Pourquoi pas de toute l’Afrique ? Ou pourquoi
pas de l’Égypte seulement ? Et pour quoi l’Alexandrin plutôt
que le Carthaginois ? Ou n’importe lequel autre ? Ajoutons que
le concile n’emploie ni le mot orient, ni le mot occident. Il ne
dit que : parce que telle est la coutume, pour l’évêque romain.
La troisième interprétation est
celle de l’auteur de la somme des conciles. Il pense pouvoir, à
l’aide d’un vieux codex, restituer les mots « parce que telle est
la coutume pour le métropolitain », au lieu de : « parce que telle est
la coutume pour l’évêque romain ». Cette explication n’est
pas solide, elle non plus. Car les exemplaires du concile de
Nicée n’ont jamais été plus complets ni plus amendés que ceux qui
se trouvent dans les archives des pontifes romains, comme nous l’avons
déjà démontré quand nous traitions des appellations. Car ceux
qui étaient en Grèce ont été brûlés par les Ariens, au témoignage
de saint Athanase (dans son épitre à tous les orthodoxes). Il ne
faut donc pas se surprendre de ce que le texte cité par Ruffin et les
autres, soit mutilé et corrompu. Or, c’est des archives
de l’Église romaine que Paschase, le légat de saint Léon au concile
de Chalcédoine, a tiré ce canon. Et, voici ce que nous y
lisons : « parce que telle est la coutume pour l’Évêque romain. »
Ajoutons que l’évêque d’Alexandrie n’invoquerait pas une
bonne raison, s’il faisait dépendre son droit pastoral d’une
coutume établie par les métropolitains. Car, les métropolitains
ne régissent qu’une seule province, et à l’évêque d’Alexandrie
sont soumises plusieurs provinces, et même des métropolitains.
La quatrième et la vraie explication
est que l’évêque d’Alexandrie doit gouverner ces trois provinces
parce que l’évêque de Rome en a fait une coutume. C’est-à-dire,
parce que l’évêque de Rome, avant tous les conciles, avait permis depuis
longtemps à l’évêque d’Alexandrie de prendre soin de l’Égypte,
de la Lybie, et de la Pentapolis. C’est-à-dire qu’il en
fit un droit coutumier. C’est ainsi que comprend ce canon
le pape Nicolas 1 (dans son épitre à Michaël). Et
on ne voit pas d’autre explication qui soit plus plausible.
Le second concile général, dans l’épitre au pape Damase (que cite
Theodoret , livre, 5, chapitre 9 de son histoire), déclare s’être
réuni à Constantinople sur l’ordre du pontife romain, exprimé dans
les lettres que l’empereur leur a envoyées. Ils avouent
donc par là que le pape est la tête, et qu’eux sont les membres.
Le troisième concile (comme le
rapporte Évagre, livre 1, chapitre 4 de son histoire), déclare
qu’il dépose Nestor sur l’ordre écrit du pape Célestin. Et,
dans son épitre au même pape Célestin, le même concile écrit qu’il
n’avait pas osé juger la cause du patriarche d’Antioche, Jean,
parce qu’elle était complexe et difficile à démêler, et qu’il la
réservait au jugement du pape Célestin. Toutes choses qui indiquent
l’autorité suprême du pontife romain. Le concile de Chalcédoine
(actes 1, 2, 3) appelle souvent le pape Léon « pontife de l’Église
universelle ». Et, dans son épitre au pape saint Léon : « Et en plus
de toutes ces choses, il décharge sa folie contre celui à qui la vigne
du Seigneur a été commise, contre ta sainteté apostolique ».
Ici, tu vois que ce très grand concile confesse que la vigne du
Seigneur, c’est-à-dire la garde de l’Église universelle, a
été confiée par Dieu au pontife romain. Le synode de Constantinople,
qui a été convoqué avant le cinquième synode qui s’est prononcé
sur l’évêque Anthime (acte 4), parle ainsi par le patriarche Menas,
président du concile : « Nous suivons, nous, le siège apostolique, et
nous lui obéissons, et nous recevons dans notre communion ceux qu’il
reçoit dans sa communion, et nous condamnons ceux qu’il condamne. »
Si donc tout le concile professe obéir au siège apostolique, il est certain
que le siège apostolique préside avec autorité sur toute l’Église.
Le septième synode (acte 2) reçoit
et approuve l’épitre d’Adrien à Tharasium, qui s’exprime comme
suit : « Éclaire toute la terre le siège qui a obtenu le primat, et
est la tête de toutes les églises de Dieu. C’est pourquoi, le bienheureux
Pierre lui-même paissant l’Église sur l’ordre de Dieu, n’a rien
qui échappe à son autorité, mais a obtenu partout la principauté par
le passé, et l’obtient encore aujourd’hui » Note
que c’est au présent qu’il dit : obtenant la principauté, il (Pierre)
éclaire, et il est la tête. Le concile du Latran sous Innocent
111, auquel participèrent les Grecs et les latins, (chapitre 5)
s’exprime ainsi: « En tant que mère et maîtresse de tous les fidèles
du Christ, L’Église romaine, comme l’a établi le Seigneur, obtient
la suprématie sur toutes les autres de pouvoir ordinaire. »
Le concile général de Lyon sous Grégoire 1X, (chapitre 6, titre
: de l’élection) écrit : « À la vue d’un péril, on appelle l’évêque
romain, vicaire du Christ, successeur de saint Pierre, recteur de l’Église
universelle. » Et cela, en présence autant des Grecs que
des Latins. Enfin, le concile de Florence statua ainsi,
après avoir obtenu le consentement des Grecs et des Latins : « Nous définissons
que le saint siège apostolique du pontife romain détient la primauté
sur toute la terre; que le pontife romain est le successeur de Pierre prince
des apôtres, vrai vicaire du Christ, tête de toute l’Église, père
et docteur de tous les chrétiens; que c’est à lui qu’a été
remis, par Jésus-Christ notre Seigneur, le plein pouvoir de paître,
de régir et de gouverner l’Église universelle. » J’omets les
cinq autres conciles généraux, car ils ne sont reçus ni par les Grecs,
puisqu’ils n’y participèrent pas, ni par les luthériens, puisqu’ils
ont été célébrés après l’an 600. Ces conciles, les voici
: le concile de Lyon sous Innocent lV, (comme ce que nous avons au
chapitre 1 sur l’homicide, dans le sixième concile). Le
concile de Vienne sous Clément lV; celui de Constance (session 8 et 15);
du Latran sous Léon lX, session 11, et le concile de Trente (session
14, chapitre 7, et ailleurs).
CHAPITRE 14
On prouve la même chose avec des témoignages des souverains pontifes
Le troisième argument on va le
tirer des enseignements des souverains pontifes. Il faut d’abord
observer que les lettres des souverains pontifes appartiennent à trois
catégories différentes. La première est celle qui contient
les épitres des pontifes qui ont siégé jusqu’à l’an 300.
Les Magdebourgeois et Calvin admettent que, pendant ces siècles, le primat
était professé en toute vérité, et que les pontifes ont été de vrais
et de saints pontifes. Mais ils disent que leurs épites ont
été trafiquées, ou qu’elles sont de composition récente, et
qu’elles ont été faussement attribuées à ces pontifes. La seconde
comprend les lettres de ces pontifes qui ont siégé depuis l’an 600
jusqu’à nos jours. Nos adversaires soutiennent que, pendant ces
siècles, la primauté a vraiment été enseignée, et par les auteurs
dont les écrits portent les noms. Mais que ces pontifes n’étaient
pas dignes de foi, qu’ils étaient plutôt des pseudos pontifes, ou qu’ils
n’étaient pas pontifes du tout. La troisième comprend ces épitres
dans lesquelles est affirmé ouvertement le primat, et qui ont été écrites
par de vrais et de saints pontifes, qui vécurent entre 300 et 600, comme
Jules, Damase, Syricius, Innocent, Zozime, Léon, Gélase,
Anastase 11, Jean 11, Féliz 1V, Pélage 11, et saint Grégoire.
Il n’y aura donc pas lieu de s’attarder aux témoignages de la première
et de la seconde catégories. Il suffira d’indiquer les textes, et de
répondre aux objections des hérétiques. Ils reconnaissent parfois
que dans ces lettres est affirmée ouvertement notre doctrine. On
ne fera de citations que pour les témoignages de la troisième classe.
Les pontifes suivants affirment
clairement la primauté de l’évêque de Rome. Saint Clément (épitre
1), Anaclet (épitre 3), Évariste (épitre 1), Alexandre (épitre
1), Pie (épitre 1 et 2), Anicet (épitre 1), Victor (épitre 1), Zéphyrin
(épitre 1), Calixte (épitre 2), Lucius (épitre 1), Marcel
(épitre 1), Eusèbe (épitre 3), Melchiades (épitre 1), Marc (épitre
1). À ces témoignages, les adversaires ne répondent
rien d’autre qu’ils sont adventices et récents. Mais même si je ne
peux nier que quelques erreurs s’y soient glissées, je n’oserais affirmer
que ces épitres soient apocryphes. Car, il est certain que ce sont
des documents très anciens. Ils mentent effrontément
les magdebourgeois (centurie 2, chapitre 7) quand ils disent qu’aucun
auteur digne de foi n’a cité leurs paroles avant le temps de Charlemagne.
Car Isidore qui a vécu 200 ans avant Charlemagne, dit (au début de sa
collection des sacrés canons) que c’est sur la demande de quatre-vingts
évêques qu’il a recueilli des canons tirés des épitres de Clément,
d’Anaclet, d’Évariste, et d’autres pontifes romains. De même,
le concile de Vasense (chapitre 6) cite les lettres de saint Clément,
comme elles existent aujourd’hui. Or, ce concile a été célébré
au temps du pape Léon 1, 350 ans donc avant Charlemagne. Ensuite
Ruffin qui précède Charlemagne de 400 ans, dans sa préface de la reconnaissance
(saint Clément) qu’il a traduite du grec, se souvient de l’Épitre
de Clément à Jacques, et dit l’avoir traduite en grec.
Que cette traduction de Ruffin existe vraiment, c’est Gennadius qui l’atteste
dans ses hommes illustres, au mot Ruffin.
Pour la seconde catégorie, nous
avons Adrien 1, dans son épitre à Tharasius, Nicholas 1,
dans son épitre à l’empereur Michaël, Léon 1X dans une épitre
que nous trouvons au chapitre solitae. Tous enseignent clairement
et explicitement que le pontife romain préside à toute l’Église.
À cela les adversaires répondent qu’ils étaient tous des antichrist.
Nous parlerons de cela dans la question suivante. Pour l’instant
nous ne disons que ceci. Si ces pontifes avaient été des antichrist,
toute l’Église aurait péri depuis 1000 ans. Mais les historiens
nous rapportent que l’Église universelle a reconnu ces pontifes,
et a accepté leurs doctrines. Or, s’il est vrai que l’Église
a péri, le Christ a menti quand il a dit en Matthieu (16) que « les portes
de l’enfer ne prévaudront point contre elle ». Mais sur ce sujet,
nous ferons plusieurs développements dans les questions sur l’Église.
Venons-en donc à la troisième catégorie, et présentons douze pontifes
saints et grands.
Le premier est saint Jules 1, qui,
dans son épitre aux Orientaux (qui a été conservée dans l’apologie
2 de saint Athanase) parle ainsi : « Ignorez-vous donc que la coutume
veut qu’on nous écrive d’abord, pour que puisse être décidé ce
qui est juste ? Si un soupçon de cette sorte envers l’évêque
avait pris naissance, il fallait le rapporter à notre église. »
Et plus bas : « Ce sont les choses que j’ai reçues du bienheureux Pierre
que je vous communique. Je n’écrirai rien d’autre que ce que
je pense être connu de vous, si ce n’est que nous troublent les faits
eux-mêmes. » Par ces paroles, saint Jules affirme que c’est
à lui qu’appartient la charge de juger les causes des évêques, même
des orientaux, même des patriarches du premier rang (car dans la cause
de saint Athanase, il s’agissait de l’évêque d’Alexandrie).
Il dit que ce droit il l’a reçu de Pierre, et que cela est connu de
tous. Que peut-on réponde à cela ? L’auteur est saint et très
ancien, l’épitre est certaine, et transcrite au complet par saint Athanase;
les mots en sont clairs et faciles à comprendre.
Le deuxième est saint Damase qui,
dans son épitre à tous les évêques d’Orient (que Theodoret a recopiée
livre, 5, chapitre 10 de son histoire) écrit : « Parce que votre charité
a rendu au siège apostolique la révérence qui lui est due, etc »
Il déclare donc que la révérence est due au pape, et il appelle fils
tous les évêques. On trouve la même chose dans l’épitre 4 aux
évêques de Numidie : « Tout ce qui peut être matière à doute,
ne cessez pas de nous le référer à nous, comme à la tête, ainsi que
le veut la coutume. » Le troisième est saint Cyricius dans son
épitre à Himericus, dont Calvin lui-même reconnait l’authenticité
: « En vertu de notre charge, ce n’est pas à nous à dissimuler
ni à taire la liberté d’action dont jouit celui qu’enflamme
le zèle de la religion chrétienne. Nous portons les fardeaux de
tous ceux qui sont lourdement chargés. Ou plutôt, c’est le bienheureux
Pierre qui les porte en nous, qui nous protège en toutes choses, nous
qui nous nous confions à sa guidance, et c’est lui qui nous protège
contre les hérésies. » Et plus bas, chapitre 15 : « Nous avons
examiné, frère très cher, tout ce que contenait la plainte, et
chacune des causes que, par notre fils le prêtre Bassien, tu as présentées
à l’Église romaine, comme à la tête du corps. » Il prescrit
ensuite à l’évêque de faire parvenir ses décrets à tous les autres
évêques.
Le quatrième est saint Zozime dans
son épitre à Ésichium, évêque de Salonite : « C’est à toi de préférence
que nous avons adressé nos écrits, pour que tu les fasses connaître
à tous nos frères évêques. » Et plus bas : « Que chacun sache
que quiconque négligerait ce qui porte le sceau de l’autorité apostolique
et des pères, serait sévèrement puni par nous, etc. » Le cinquième,
saint Innocent (épitre 22 aux évêques de Macédoine) écrit : « Rends-toi
compte que c’est faire injure au siège apostolique, auquel le rapport
avait été envoyé en tant que tête des églises. » La même
chose dans la lettre au concile de Milet (épitre 93 de sain Augustin)
: « Avec soin, et comme il convient, vous avec rendu honneur au siège
apostolique. Honneur à celui sur qui, à l’exception
des choses qui ne sont pas de son domaine, pèse le souci de toutes
les églises. Vous avez suivi les directives d’une ancienne règle, que
vous savez avoir été observée par tout le monde et par moi. »
Même chose dans l’épitre au concile de Carthage (91). Il écrit
que l’église romaine est « la source et la tête de toutes les églises.
»
Tout ce que les magdebourgeois ont
à répondre à cela c’est que c’est beaucoup trop impunément
qu’Innocent s’est arrogé ces privilèges. Voilà pourquoi
on l’appelle par mépris le nuisible. Mais s’il en est
bien ainsi, pourquoi les anciens pères n’ont-ils pas dénoncé cette
erreur d’Innocent ? Pourquoi saint Augustin (dans son épitre 106
à Paulin) dit-il en parlant de ces deux lettres d’Innocent : « Il nous
a répondu toutes ces choses de la façon dont il est permis et obligatoire
à l’évêque du siège apostolique de s’exprimer. » Et pourquoi
saint Augustin appelle-t-il ailleurs Innocent 1 pape de bienheureuse
mémoire ?
Le sixième est saint Léon.
Mais parce que Luther et Calvin prétendent que les anciens pontifes de
Rome n’ont eu d’autorité qu’en Occident, présentons des textes
de saint Léon le grand, dans lesquels il affirme et démontre la primauté
romaine, et exerce au même moment la juridiction sur les pontifes de Grèce,
d’Asie, d’Égypte et d’Afrique. Dans l’épitre 84 à Anastase,
évêque de Thessalonique, il dit : « Comme mes prédécesseurs
à tes prédécesseurs, suivant l’exemple des anciens envers ta charité,
je t’ai délégué comme vicaire de ma modération, pour que tu nous
aides dans le soin que, d’institution divine, nous avons de toutes les
églises, et qu’aux provinces éloignées du siège apostolique, tu présentes
la présence de notre visite. » Et plus bas : « Nous avons
fait de ta charité notre vicaire, de façon à ce que tu sois appelé
à une partie de la charge pastorale, mais non à la plénitude du
pouvoir. » Et à la fin, là où il disait que c’était
par une grande providence qu’ont été institués, des évêques, des
archevêques et des primats, il ajoute : « Par qui le soin de l’Église
universelle affluerait au seul siège de Pierre, et pour que rien
ne soit détourné de sa tête. » Ces textes montrent non
seulement le primat, mais l’autorité de saint Léon sur les églises
de Grèce.
Le même saint Léon le grand (épitre
46 à Anathole, évêque de Constantinople) écrit : « C’est à
vous qui résidez que nous avons confié l’exécution de ce que nous
avons décidé. » Tu vois qu’il prescrit quelque chose à l’évêque
de Constantinople. Le même (dans l’épitre 62 à Maxime
d’Antioche). Il lui demande de lui faire rapport souvent
sur ce qui se passe dans les églises. Et au même endroit : « L’évêque
Juvénal a cru qu’il pouvait se suffire à lui-même pour obtenir le
premier rang dans la province de Palestine. Que Cyrille de sainte mémoire
ait, avec raison cela, eu en horreur, il me l’a indiqué par ses
écrits, et m’a ardemment supplié de ne donner aucune approbation
à ces tentatives illicites. » Vois comment le patriarche d’Alexandrie
supplie le pape Léon de ne pas permettre que Juvénal usurpe la primauté
sur la Palestine. Et comme cette province relevait du patriarche
d’Antioche, pourquoi Cyrille n’a-t-il pas fait sa demande au patriarche
d’Antioche lui-même ? Le même saint Léon (épitre 81 à Dioscore)
dit au patriarche d’Alexandrie : « Ce que nous savons que nos pères
ont conservé avec un soin attentif, nous voulons que cela soit aussi conservé
par vous. » C’est au patriarche de toute l’Égypte et
de la Lybie que saint Léon donne ces ordres. Le même (épitre
87 aux évêques africains) « Ce que nous avons supporté comme véniel
ne pourra pas, par la suite, demeurer impuni, si quelqu’un
osait usurper ce que nous avons interdit. » Et plus bas : « Nous
avons ordonné que là soit entendue la cause de Lupicinus évêque ».
Léon commandait donc aux évêques
de Grèce, d’Asie, d’Égypte, et d’Afrique. Nous avons encore
aujourd’hui de ses lettres aux évêques d’Allemagne, de France, d’Espagne
et d’Italie, dans lesquelles il se présente comme leur juge et leur
tête. Enfin, dans le sermon sur la naissance au ciel des apôtres
Pierre et Paul, la ville de Rome parle ainsi : « Ayant été fait,
par le siège sacré du bienheureux Pierre, tête de l’univers,
ton règne religieux s’étendra plus loin que ta domination terrestre.
Bien que par un grand nombre de victoires, tu aies agrandi, par le droit
de la guerre, ton empire sur terre et sur mer, ce que le labeur guerrier
t’a asservi est plus petit que ce que la paix du Christ t’a soumis.
» Qu’est-ce qui est plus clair que cela ?
Mais à ces citations, Calvin donne
deux réponses. Une première (livre 4 des institutions, chapitre
7, verset 11). Il dit que saint Léon a été, outre
mesure, avide de gloire et de domination, et que plusieurs ont résisté
à son ambition. Il donne comme preuve une note en marge de
l’épitre 85. Mais nous avons beau chercher, dans cette épitre
il n’y a rien de tel, et nous ne voyons personne résister aux
épitres de saint Léon, à l’exception de l’évêque gaulois Hilaire.
C’est le seul, dans l’épitre 89 de saint Léon, qui a voulu se soustraire
à l’obéissance du siège apostolique. Mais, nous lisons au même
endroit, qu’il est venu à Rome plaider sa cause, mais que, déclaré
coupable par un concile, il a été puni. Demeurent encore aujourd’hui
des lettres de conciles, d’évêques, d’empereurs adressées au pape
Léon, et aussi d’évêques de Gaulle. Dans toutes ces lettres,
on loue grandement sa piété et son autorité. Et je ne pense
pas que, avant Luther et Calvin, personne ait jamais taxé le pape
Léon d’orgueil et d’ambition.
Il répond en second lieu que Léon
n’a pas usurpé la juridiction sur les autres évêques, mais qu’il
ne s’est qu’interposé comme arbitre dans des différends, en autant
que la nature et la loi de la communion ecclésiastique le souffrait alors.
Et il le prouve ainsi. Dans la lettre 84, où il semble le plus donner
des ordres aux évêques, il ajoute vouloir conserver, en toutes
choses, les privilèges des métropolitains. C’est comme s’il
disait que c’est par piété qu’il avertit, mais qu’il laissait à
chacun l’autorité qui leur appartenait. S’il en vraiment ainsi,
il n’était donc pas avide de gloire et de domination, et on ne
peut pas non plus l’accuser d’avoir été ambitieux. Mais, les
paroles de saint Léon que nous avons citées plus haut montrent assez
clairement qu’il commandait aux évêques avec autorité.
Qu’il ait voulu conserver les droits des métropolitains, cela n’a
rien à voir avec notre affaire. Car, il veut les conserver
de façon à ce qu’ils soient soumis au siège apostolique, et à son
vicaire. C’est bien ainsi qu’il parle dans l’épitre
84 : « Donc, selon les canons des saints pères composés par le Saint-Esprit,
et consacrés par la vénération de tout l’univers, nous déclarons
que ta fraternité possède, de toute antiquité, un droit incontestable
de dignité sur les évêques métropolitains de chacune des provinces
dont, par notre délégation, ta fraternité prend soin, pour
que, ni par négligence ni par présomption, ils ne s’affranchissent
des règles établies. » Et plus bas : « Si, par malheur,
parmi ceux qui jugent des plus grandes fautes, une dissension naissait,
qui ne peut pas être apaisée par un tribunal provincial, le métropolitain
prendra soin d’informer ta fraternité de la nature de cette affaire;
et si, après avoir entendu le plaidoyer des deux parties, la question
ne pouvait pas être réglée par ton jugement, il faudra la porter à
notre connaissance, quelle qu’elle soit. »
Septième . Voici ce que dit
saint Gélase aux évêques de Sardaigne : « Chaque église de tout l’univers
sait que le siège de l’apôtre Pierre a le pouvoir de dénouer tous
les liens noués par les sentences d’évêque; qu’il lui
est permis de porter un jugement sur toute église, et qu’il n’est
permis à personne de juger son jugement. » Il dit des choses semblables
dans la lettre à l’empereur Anastase. Il est impossible de répliquer
quoi que soit à cela. Il appert que ce sont les vraies paroles de
Gélase, que Gélase fut un saint homme, et qu’il a vécu avant
l’an mille. Huitième. Jean 11 qui, lui aussi, a siégé
avant l’an mille, écrit dans l’épitre à l’empereur Justinien
(qui se trouve dans le code de Justinien à un tit ) : « Parmi les louanges
sublimes de votre sagesse et de votre mansuétude, le plus chrétien des
princes, il y a un précepte du Seigneur qui irradie comme un astre d’une
lumière plus pure que les autres. Enseignés par l’amour de Dieu,
nos disciplines ecclésiastiques ont conservé la révérence envers le
siège romain; et, tout lui ayant été soumis, tout a été ramené
à son unité, à celui qui en est l’auteur, le prince des apôtres,
Pierre. « Pais mes brebis ». Et ce précepte est qu’elle
est vraiment la tête de toutes les églises. Toutes les règles des pères
et les statuts des princes le déclarent. »
Neuvième. Anastase
11 (dans l’épitre à l’empereur Anastase) : « Par le ministère de
mon humilité, que le siège du bienheureux Pierre tienne, comme
toujours, dans l’Église universelle, la primauté qui lui a été
assignée par le Seigneur. » Dixième. Félix 1V (dans
son épitre à différents évêques), écrit : « J’ai reçu avec reconnaissance
les écrits de votre sainteté que vous avez envoyés au siège apostolique
comme à la tête, pour recevoir une réponse d’où toute église de
toute la religion tire son origine. » Onzième. Pélage
11 (dans son épitre 1 aux évêques orientaux ) : « Le siège de Rome,
selon l’institution du Seigneur, est la tête de toutes les églises.
» Douzième. Saint Grégoire le grand, s’est, tout
autant que saint Léon, déclaré tête de toute l’Église (livre l,
épitre 72, à Gennade) : « Si, du concile de Numidie, il y en a qui désirent
venir au siège apostolique, permettez-le leur. Et si quelqu’un,
parmi eux, voulait leur bloquer la route, empêchez-les. » Voilà
ce qui démontre l’autorité de saint Grégoire en Afrique. De
même (livre 2, épitre 37) : « Après ce qu’à votre béatitude mon
prédécesseur et moi-même avons écrit au sujet de l’archidiacre
Honorat, c’est par mépris de la sentence portée par nous deux,
que le préfet Honorat a été privé de son grade. Si l’un
des quatre patriarches avait fait cela, un tel mépris n’aurait pas pu
se produire sans causer un grave scandale. » Par ces paroles,
saint Grégoire montre qu’il est au-dessus de tous les patriarches.
De même (libre 4, épitre 56, aux
évêques de la province d’Hellade) : « Sachez que nous avons conféré
le pallium à Jean notre frère, évêque de Corinthe, à qui
il vous convient grandement d’obéir. » Voyez l’autorité
qu’a saint Grégoire sur les évêques grecs, qu’il soumet à l’évêque
de Corinthe par la transmission du pallium ! Même chose (livre 7,
épitre 68 à Jean, évêque de Syracuse) : « Car, en ce qui a trait à
l’église de Constantinople, qui doute qu’elle soit soumise au siège
apostolique ? C’est ce que notre très pieux empereur et
notre frère Eusèbe, évêque de cette cité, professent constamment.
» Et (dans la lettre 64 au même) : « Car, si celui-ci se
dit soumis au siège apostolique, et si une faute été trouvée dans les
évêques, je ne sais pas quel évêque ne lui sera pas soumis. »
Quoi de plus clair ? J’omets les lettres aux évêques d’Italie,
de Gaule, d’Espagne, car nul ne doute de leur obéissance.
Calvin répond (livre 4, chapitre
7, verset 12). Il dit d’abord que le pape saint Grégoire
s’est attribué le droit de corriger les autres, mais que ne lui
ont obéi que ceux qui l’ont bien voulu. Mais, cela on ne peut
pas le dire. Car saint Grégoire fut très saint et très humble.
La preuve en est que même les Grecs célèbrent son jour de fête.
Calvin lui-même (livre 4, chapitre sept, verset 22) reconnait que
Grégoire fut un grand saint. Or, l’usurpation des biens
d’autrui ne cohabite pas avec la sainteté. Ce n’est
ni un péché véniel ni une imperfection de se soumettre tous les évêques
mais le fait d’un orgueil intolérable, et la note spécifique
de l’Antichrist, comme ils l’enseignent souvent. Comment
saint Grégoire pouvait-il être saint s’il s’est soumis injustement
tous les évêques ? Il répond ensuite que c’est par le mandat
de l’empereur qu’il a jugé l’évêque de Constantinople, comme on
peut l’apprendre de la lettre de Grégoire (livre 7, épitre 64).
Or, dans cette lettre, saint Grégoire dit que l’empereur veut qu’il
juge le patriarche, parce que les canons l’ordonnent ainsi.
C’est tout à fait comme si l’empereur avait dit qu’il ne voulait
pas empêcher que, même s’il était l’évêque de la cité impériale,
l’évêque de Constantinople soit puni par le pape Grégoire, comme le
prescrivent les canons. C’est pourquoi, dans l’épitre citée
plus haut, saint Grégoire affirme que l’empereur professe constamment
que l’église de Constantinople est sujette de l’église de Rome.
Il répond, en troisième lieu,
que comme il punissait les autres, saint Grégoire était disposé à être
amendé par les autres, ainsi qu’ il le dit dans l’épitre 37, livre
2. Donc, il obéissait autant qu’il commandait. Mais,
dans cette lettre, saint Grégoire parle de la correction fraternelle,
non de la censure d’un jugement. Voici ce qu’il écrit : « Ta
fraternité a mal pris que je l’aie blâmée au sujet des convives.
Mais moi, qui suis le plus élevé non par ma vie, mais par le lieu, je
suis prêt à être corrigé par tous, à être émendé par tous.
Et j’estime être mon seul ami celui qui, avant l’apparition
du juge suprême, essuie les fautes de mon esprit. » Ajouter
qu’il y a une contradiction entre être au-dessus de tous, et soumis
à quelques-uns.
Il répond en quatrième lieu,
que ce statut pontifical a grandement déplu à Grégoire. Car, il
se plaint que, sous couleur d’épiscopat, il soit retourné dans
le siècle (livre 1, épitres 5, et 7). Il est vrai que saint
Grégoire déplorait d’être passé du calme du monastère aux
affaires épiscopales. Mais ne lui déplaisait pas le fait
que le siège apostolique ait à prendre soin de toutes les églises.
Car il milita lui-même vigoureusement pour l’honneur de son siège contre
Jean, évêque de Constantinople. Et, (dans le livre 4 de l’épitre
36 à Euloge), il dit : « Tenons l’humilité dans l’esprit, mais conservons
dans l’honneur la dignité de notre ordre. » Et (dans les épitres
1 et 42 à Jean évêque) : « Nous avertissons que la révérence
envers le siège apostolique ne doit être troublée par la présomption
de personne. Car la condition des membres demeure intègre si la
tête de la foi ne subit aucune injure ». Et (dans son explication
4 du psaume pénitentiel) : « Il étend la témérité de son délire
au point de revendiquer pour lui en justice d’être la tête de toutes
les églises, comme l’est l’église romaine, et d’usurper le
droit de gouverner toutes les nations de la terre. »
CHAPITRE 15
Les pères grecs prouvent la même chose.
Venons-en maintenant aux témoignages
des anciens pères, qui n’ont pas été pontifes suprêmes. Calvin
et Illyricus ne nous en objectent que trois : saint Cyprien, saint Jérôme
et saint Bernard, dont nous parlerons en temps opportun. Mais
à leur trois, nous en opposerons une vingtaine.
Le premier est saint Ignace qui,
dans son épitre aux romains, écrit : « Ignace, à l’église sanctifiée
qui préside dans la région des Romains. » Pourquoi dit-il
à l’église romaine qu’elle préside, si ce n’est parce qu’elle
est la tête de toutes les autres ? Le deuxième est saint Irénée (livre
3, chapitre 3) : « C’est par la plus grande, la plus ancienne,
celle qui est connue de tous, qui a été fondée, instituée par les glorieux
apôtres Pierre et Paul, qui possède la tradition reçue des apôtres,
qui annonce à tous la foi par la succession des évêques parvenue jusqu’à
nous, que nous confondons ceux qui, de quelque façon, par une complaisance
malsaine, par vaine gloire, par cécité, ou par une mauvaise science,
raisonnent autrement qu’il ne faudrait. Car il est nécessaire
que toute église, c’est-à dire tous les fidèles de partout,
communie avec cette église à cause de sa plus puissante principauté.
Car, en elle, par ceux qui y sont, a été conservée la tradition qui
vient des apôtres. » Noter le « il est nécessaire », « et toute
église doit communier. » Et aussi : « à cause de sa plus puissante
principauté ». Et cette autre chose : « en qui toujours a été
conservée par tous la tradition apostolique. » Car,
saint Irénée prouve que nous pouvons confondre les hérétiques avec
la doctrine de l’Église romaine, parce qu’il est nécessaire que tous
communient avec cette église, et dépendent d’elle comme d’une tête
et d’une source. Il faut donc que sa doctrine soit vraie et apostolique.
Qu’il soit nécessaire à tous
les chrétiens de dépendre de l’église romaine, il le prouve d’abord
a priori, parce que la principauté est donnée à cette église.
Ensuite, a posteriori, parce que, jusqu’à présent, tous ont conservé
la foi dans cette église, c’est-à-dire en union et en adhésion à
cette église, comme à une tête et une mère.
Le troisième est Épiphane (hérésie
68, qui est celle des mélétiens) : « Faisant pénitence, Ursace et Valens
partirent avec leurs pamphlets vers le bienheureux Jules, évêque de Rome,
pour rendre compte de leur erreur et de leur faute. » Il est
certain qu’Ursace et Valens étaient des évêques. Pourquoi venaient-ils
à Rome pour que le pontife romain leur donne une punition, si le
pontife romain n’est pas le juge et la tête des évêques ?
Le quatrième, saint Athanase (livre 2 de son apologie). Il assure
que ces mêmes évêques avaient demandé au pape Jules une punition pour
leur forfait. Et, dans l’épitre au pape Félix, il écrit : «
Vous et vos prédécesseurs, Dieu vous a établis au sommet de la
hyérarchie, gardiens apostoliques; et il vous a ordonné de
prendre soin de toutes les églises, pour que vous nous portiez secours.
» Ensuite, dans son livre sur l’évêque Denys d’Alexandrie
: « Quelques-uns, ayant certes une bonne compréhension de l’église,
mais ignorant dans quel sens il avait écrit ces choses, montèrent
à Rome, et l’accusèrent, là, auprès de Denys, évêque de Rome. »
Pourquoi, je le demande, des hommes bons ont-ils accusé Denys, le
patriarche d’Alexandrie, auprès de l’évêque de Rome ?
N’est-ce pas parce qu’ils savaient que le pontife romain est le juge
de tous ?
Saint Basile (dans l’épitre 52
à Athanase) : « Il semble que tous consentent à écrire à l’évêque
de Rome, pour qu’il prenne connaissance de notre situation, et
interpose le décret de son jugement. Et parce qu’il est difficile
que certains soient mandatés par la décision d’un concile, qu’il
investisse de son autorité des hommes choisis, capables de
supporter les fatigues du voyage, des hommes doux et de bonnes mœurs,
accommodants, prudents et pieux, pour qu’ils avertissent ceux qui
ont dévié de la voie droite, et qu’ils rescindent les actes du concile
d’Ariminensis, votés dans la violence. » Saint Basile
attribue à l’évêque de Rome l’autorité de visiter les églises
d’Orient, et de rescinder des conciles généraux, comme celui d’Ariminensis.
Le sixième, saint Grégoire de
Naziance (dans le poème de sa vie). Il dit que l’Église
romaine « a toujours conservé la vraie doctrine sur Dieu », «
comme il convient à une ville qui préside sur tout l’univers ».
Il ne parle pas de l’empire temporel, car, à ce moment, le siège de
l’empire temporel était à Constantinople, non à Rome. Le septième,
saint Jean Chrysostome (épitre 1 au pape Innocent) : « Je
te demande de statuer par écrit que n’ont aucune valeur les choses
qui ont été accomplies avec injustice et perfidie; que ceux qui
ont agi avec iniquité soient soumis aux peines des lois ecclésiastiques
! » Theophile, l’évêque d’Alexandrie, dans un concile
de nombreux évêques, avait déposé saint Jean Chrysostome de l’épiscopat
de Constantinople. Saint Jean Chrysostome écrivit à l’évêque
de Rome, pour que, en vertu de son autorité, il déclare invalide la condamnation
faite par Théophile; qu’il le juge plutôt, et le punisse selon
les lois ecclésiastiques. Saint Jean Chrysostome reconnait donc
que le pape est le juge suprême, même des Grecs. De même (dans
son épitre 2 au même), il dit : « Nous vous rendons des
grâces perpétuelles pour avoir déclaré votre bienveillance paternelle
envers nous. » Saint Jean Chrysostome reconnait donc le pape
Innocent comme son père, même s’il était plus âgé que lui, et détenait
l’épiscopat de la ville Reine. Ensuite, dans la même lettre,
il demande au pape Innocent de ne pas excommunier ses ennemis, même s’ils
le méritent : « Je prie votre vigilance pour que, même s’ils ont tout
rempli de tumultes, et ne veulent pas guérir de leur maladie, vous
ne leur infligiez aucun châtiment, et ne les expulsiez
pas de l’assemblée des fidèles. »
Le huitième. Saint
Cyrille (épitre 10 à Nestor, et épitre onze aux clercs et au peuple
de Constantinople). Il écrit que, à moins que Nestor ne rétracte
ses hérésies avant la date fixée par le pape romain Célestin, il soit
excommunié par tous, et que, une fois déposé, on évite sa présence.
Et, dans l’épitre 18 au pape Célestin, qu’il nomme « très
saint Père , il lui demande si on pourra encore pendant un certains
temps communiquer avec Nestor, ou s’il faut que tous évitent sa présence.
» Ces mots indiquent suffisamment l’idée que saint Cyrille se
faisait du pouvoir de l’évêque de Rome, lui qui, pour la condamnation
et la déposition de Nestor, n’a fait qu’exécuter et mis en
oeuvre ce que le pontife romain avait décidé. Et dans le livre
(thèses) : « Devant Pierre, tous inclinent leur tête de droit divin,
et les princes de ce monde lui obéissent comme au Seigneur Jésus.
» De même : « Nous devons nous, comme des membres
que nous sommes, adhérer à notre tête, le pontife romain et le siège
apostolique. » Ces mots ne sont plus dans le livre « thèses
» qui nous est parvenu. Mais, ils sont cités par le bienheureux
Thomas (dans son opuscule contre les Grecs), et par Gennade Scholarius,
auteur grec (dans le livre 1 du souverain pontife) Il est avéré
que plusieurs livres du trésor ont péri. Car, dans le synode (acte
10) on fait une citation tirée du livre 32.
Mais, aujourd’hui il ne nous reste que 14 livres. De plus,
André, l’évêque de Colosse, dans le concile de Florence (septième
session) a affirmé que, dans les trésors, saint Cyrille avait parlé
magnifiquement de l’autorité du pontife romain, sans qu’aucun grec
n’élève la voix pour le contredire.
Le neuvième. Théodoret (dans
l’épitre au pape Léon) : « J’attends une décision de votre siège
apostolique. Je supplie et j’implore votre sainteté de me secourir,
moi qui fais appel à votre jugement juste et droit.
Qu’elle me commande d’accourir vers vous, et qu’elle montre
que ma doctrine suit les traces des apôtres. » Il était un évêque
asiatique. Il présidait à 800 églises, comme il le dit lui-même
au même endroit, et pourtant, il reconnait le pontife romain comme juge
suprême. De même, dans l’épitre au prêtre René : «
Ils m’ont dépouillé du sacerdoce, ils m’ont expulsé des villes,
sans tenir compte ni de mes cheveux blancs, ni du temps passé dans
la religion. C’est pourquoi je te supplie que tu persuades au très
saint archevêque Léon d’user de son autorité apostolique, et
de commander que je sois présent à ce concile. Car, ce saint
siège détient le pouvoir de gouverner les églises de tout l’univers.
» Le dixième Sozomène (livre 3, chapitre 7)
: « Comme, à cause de la dignité qui est propre à ce siège, le soin
de toutes les églises lui a été confié, le pape a restitué à chacun
son église. » Il parle de Jules 1 qui rendit à Athanase l’épiscopat
d’Alexandrie, et à Paul celui de Constantinople.
Le onzième, celui d’Acace
(dans la lettre au pape Simplice, qui se trouve dans le tome 2 des conciles)
: « Portant la sollicitude de toutes les églises, vous nous
exhortez sans relâche, avec une vigilance spontanée et prévenante.
» Le douzième. L’évêque de Pataras, de qui parle
Libératus (dans le bréviaire, chapitre 22) : « Quand Sylvère vint à
Pataras, le vénérable évêque de la cité alla à l’encontre de
l’empereur, et contesta le jugement porté au nom de Dieu au sujet
de l’expulsion de l’évêque d’un tel siège, disant que, dans le
monde, il y a plusieurs rois, et qu’il n’y en a pas un seul à
être expulsé de son siège comme ce pape qui est au-dessus de l’Église
de tout le monde. » Treizième. Justinien senior (dans une
lettre à Jean 11, qui se trouve dans le codex dans 1 tit.) : «Car nous
ne nous souffrons pas que ce qui se rapporte à la situation des églises
ne soit pas connu par votre sainteté, qui est la tête de toutes les saintes
églises. »
CHAPITRE 16
On prouve la même chose avec les pères latins
Parmi les latins, saint Cyprien
enseigne souvent cela. Mais avant de présenter des extraits de ses écrits,
expliquons brièvement l’argument qu’il développe dans son livre sur
l’unité de l’Église. Ce qui nous permettra de mieux comprendre sa
pensée. Dans son livre sur l’unité de l’Église, il se propose
de montrer en quoi consiste l’unité de l’Église; et il démontre
d’abord d’où naissent les hérésies et les divisions : « Cela vient
de ce qu’on ne retourne plus à l’origine de la vérité, de ce qu’on
ne cherche plus la tête, et de qu’ on ne conserve plus la doctrine du
maître céleste. » Il présente donc trois choses. La première.
L’origine de la vérité provient de l’Église. La seconde : il y a
une tête de l’Église différente du Christ, car un peu avant, il avait
dit que tous les hérétiques cherchaient le Christ. Et, cependant,
il dit ici que toutes les hérésies naissent du fait qu’on ne cherche
pas la tête de l’Église. La troisième. La doctrine
du maître céleste au sujet de l’Église, est celle du Christ
et du pape.
Après avoir exposé ces principes,
il les explique ainsi : « Le Seigneur a dit à Pierre : « Tu es
la pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église; et les portes de
l’enfer ne prévaudront point contre elles. » Et il dit
au même après sa résurrection : « Pais mes brebis ». Saint
Cyprien enseigne là l’origine de la vérité sur l’église,
qu’il disait devoir être cherchée dans les paroles du Christ.
Car, c’est ainsi que commence la doctrine ecclésiale, et,
en même temps la tête de l’Église, qu’il disait devoir être cherchée
en Pierre. Ces mêmes mots montrent que c’est la doctrine
du maître céleste. Voilà pourquoi, un peu après, il ajoute
que l’Église est une dans la racine et dans la tête, même si elle
se multiplie par la propagation. Et il présente trois exemples :
la lumière, la source et l’arbre. Ces trois sont une seule et
même chose dans la racine, et se multiplient par la propagation.
Cette citation nous explique donc que saint Pierre est la tête de toute
l’Église. Que c’est ce qui convient à l’évêque
romain, saint Cyprien le déclare dans le livre 1, (épitre 3 à Cornel),
où parlant du schisme des novatiens qui ne reconnaissaient pas le pape
Corneille, il dit : « Les hérésies ou les schismes ne sont pas nés
autrement qu’en n’obéissant pas au prêtre de Dieu. Il
ne faut pas penser qu’il n’y a un seul prêtre dans l’Église que
pour un temps, et pour un temps seulement, un seul juge qui tient
la place du Christ. Si la fraternité universelle lui
obéissait selon le commandement divin, personne n’aurait de raison
à faire valoir pour se soulever contre le collège des prêtres.
»
Les adversaires répondent que saint
Cyprien parle ici des évêques diocésains et des églises particulières;
et qu’il veut dire que, dans chaque église, quelqu’un doit être prêtre
et juge à plein temps. Mais si on compare ces phrases avec ce qui
précède, il apparaîtra clairement que saint Cyprien parle de l’église
universelle. Car, comme il avait dit plus haut que les hérésies
naissent de ce qu’on ne cherche pas la tête, après avoir expliqué
que la tête de toute l’Église était Pierre, de la même façon il
dit ici que les hérésies naissent parce qu’on ne pense pas qu’il
y a un seul juge dans l’Église, représentant du Christ, en l’occurrence,
Corneille. Voilà pourquoi, un peu plus bas, dans la même
épitre, il appelle l’église romaine le siège de Pierre, l’église
principale, d’où est née l’unité sacerdotale.
Le même, (dans l’épitre 10 au même Cornel) : « Nous nous lamentons
sur nos collègues qui forment les membres d’un corps qui a fait scission
avec l’unité de l’Église; et qui sont d’un parti qui, par
obstination et entêtement, n’a pas seulement récusé le sein de la
racine et de la matrice, mais s’est fait, à l’extérieur de l’Église,
une tête contraire. » C’est manifestement de l’Église catholique
qu’il parle ici, en dehors de laquelle sont les novatiens. Et saint
Cyprien écrit que non seulement ils ne veulent pas revenir à l’Église,
et reconnaître « la racine, la matrice et la tête de cette Église »,
mais qu’ils se sont fait une tête adultère contraire. Donc, comme
Novatien a été la tête de tous les novatiens, Corneille a été
la tête de tous les catholiques.
Le même (au livre 1, épitre 8
au peuple de l’univers) écrit : « Dieu est un, le Christ est un, l’Église
est une, et une est la chaire fondée sur Pierre par la parole du
Seigneur. On ne peut pas dresser un autre autel, inventer un nouveau sacerdoce,
en dehors de l’unique autel et de l’unique sacerdoce. Celui qui
rassemble ailleurs disperse. » Dans ce passage, il affirme
que comme Dieu est un, le Christ est un, l’église est une, par
le nombre, non par l’espèce, de la même manière unique est la
chaire qui enseigne à toute l’église, et cette chaire est celle de
Pierre, en dehors de laquelle quiconque rassemble disperse. Enfin,
(au livre 4 de l’épitre 8), il appelle de nouveau l’église romaine
« la racine et la matrice de l’Église catholique ».
Mais les adversaires font les objections
suivantes. La première porte sur le livre de Cyprien sur l’unité
de l’Église, dans lequel il a dit : «Unique est l’épiscopat,
dont chacun tient respectivement une partie. » Il n’est donc pas
l’évêque de toute l’église. La deuxième porte sur l’épitre
de saint Cyprien à Quintus, dans laquelle Cyprien écrit, en plein concile
: « Car aucun évêque parmi nous ne s’établit évêque des évêques,
ou n’oblige ses collèges à lui obéir par une terreur tyrannique,
puisque, ayant la liberté et le pouvoir d’user en tout de
son jugement propre, aucun évêque ne peut être jugé par un autre,
ni ne peut juger personne. Mais attendons le jugement du Seigneur
de l’univers, Jésus-Christ, qui est le seul à avoir le pouvoir, dans
l’église, de nous régir dans l’exercice de notre gouvernement
et dans nos jugements. »
Je réponds à la première.
L’épiscopat est un de la même façon que l’Église est une.
L’Église est une de façon à ce que plusieurs branches forment un seul
arbre, plusieurs fleuves une seule mer, et plusieurs rayons une seule lumière,
comme Cyprien le dit ailleurs. Donc, comme dans les branches,
les fleuves et les rayons, l’unité provient d’une seule tête,
c’est-à-dire de la racine, de la source, du soleil, bien que les branches,
les rivières et les rayons se multiplient, de la même façon, l’Église
est une et l’épiscopat est un dans la racine et la tête, même s’il
y a plusieurs églises particulières. Une partie de
ce grand épiscopat est détenue simultanément par chacun des évêques,
mais non également, mais non de la même façon. Car Pierre et ses
successeurs tiennent cette partie qui est comme la tête, la racine et
la fontaine; les autres tiennent les parties qui sont comme
les branches et les rivières. Car, cet épiscopat unique est semblable
à un corps hétérogène, non homogène. Il suit de là que ce n’est
pas de la même façon que chaque évêque tient une partie de cet
épiscopat. Car, même si la racine est une partie comme la
branche, elle sustente et régit les branches, et tout ce qu’il y a dans
les branches. Tout est donc virtuellement dans la racine, et non le contraire.
De la même façon, l’église romaine ou l’épiscopat romain
est une part de l’Église universelle et de l’épiscopat universel,
comme l’est l’église de Toscane et son évêque. Mais l’église
romaine régit la toscane, et non le contraire.
On déduit avec raison des paroles
de saint Cyprien que le pape de Rome n’est pas le seul évêque de toutes
les églises, les autres étant de vrais et de réels évêques, qui ont
reçu leur part de l’église universelle à gouverner. Mais on
ne peut pas en déduire que le pontife romain ne soit pas le pasteur et
la tête de toutes les églises, et donc de l’église universelle, car
même si c’est une partie de l’église qui a été confiée à sa gouverne,
cette partie occupe, dans l’église, la place que tient la racine dans
un arbre, la tête dans le corps, et la fontaine dans les ruisseaux.
La deuxième objection. Quand il dit que personne ne veut se faire
évêque des évêques, il parle de ceux qui étaient dans le concile
de Carthage. Il n’incluait pas dans cette phrase le pontife romain,
qui est le véritable évêque des évêques, et le père des pères,
comme nous l’avons montré plus haut. Quand il dit
qu’un évêque, qui n’a été institué que par Dieu, ne peut
être jugé que par Dieu, il faut comprendre qu’il parle des choses qui
sont douteuses et cachées. C’est ainsi que l’expose saint Augustin
(livre 3, chapitre 3 du baptême) : « Je pense qu’il s’agit de choses
qui n’ont pas été suffisamment clarifiées. » Cyprien enseigne
ici qu’il veut que chaque évêque puisse, pendant la discussion,
émettre librement son avis, et qu’il ne voulait pas, à la façon
d’un tyran, les forcer à penser comme lui, avant que la question
n’ait été définie. Car, que, selon lui, le pontife
romain puisse juger et déposer des évêques hérétiques ou schismatiques,
nous le montre clairement la lettre écrite au pape Étienne (livre
3, épitre 13). Dans cette épitre, Cyprien demande au pape de déposer
l’évêque d’Arles, et d’en installer un autre à sa place.
Le deuxième, Optatus,
marche sur les traces de Cyprien. (dans l’unique chaire de toute l’Église,
contre Parmenius, 3). Il dit que l’Église catholique est dotée de cinq
prérogatives. La première est qu’il y a une unique chaire, celle
de Pierre, dans laquelle doit être conservée la foi de tous. Et, énumérant
les pontifes romains jusqu’à Syricius, il affirme que cette chaire
n’est pas seulement celle de Pierre, mais aussi de ses successeurs.
Et il conclut ainsi : « De toutes les prérogatives ci-haut
décrites, la chaire est la première, que nous avons démontrée être
nôtre par Pierre ». Le troisième est saint Ambroise (chap 3, 1,
à Timothée) : « Même si tout le monde appartient à Dieu,
on dit quand même que l’Église est sa maison, dont aujourd’hui
Damase est le recteur. » Le même dit dans Satyre : « Il est un
évêque approuvé s’il est en communion avec les évêques catholiques,
c’est-à-dire avec l’église romaine. » Pourquoi, je le
demande, les évêques ne sont-ils catholiques que s’ils communient
avec l’évêque de Rome, si ce n’est parce que l’église de Rome
est la tête de l’église catholique ?
Le même (livre 3 des sacrements, chapitre 1) : « Nous n’ignorons pas
que l’église romaine n’a pas cette coutume, elle dont nous suivons
en toutes choses et l’exemple et la forme. » Et, plus bas : «
Je veux suivre en toutes choses l’Église romaine, même si nous
aussi nous avons quelque chose qui a du sens. Donc, gardons donc correctement
ce qui se fait ailleurs plus correctement. »
Il faut observer que quand saint
Ambroise dit qu’il veut suivre l’église romaine en toutes choses,
il n’accepte quand même pas de suivre la coutume romaine de laver les
pieds à ceux qui viennent d’être baptisés. Il faut donc comprendre
que ce « en toutes choses », ne s’applique qu’aux choses
nécessaires, et qui appartiennent au salut. Autrement, il se contredirait
lui-même. Le quatrième est saint Jérôme (épitre à Agemchiam,
au sujet de la monogamie) : « Plusieurs années auparavant, quand
j’étais au service du pape Damase, évêque de la ville de Rome,
dans les archives ecclésiastiques, et que je répondais aux consultations
des synodes occidentaux et orientaux etc. » Vous voyez comment,
de toute l’église universelle, et de tout l’univers, on demandait
alors des réponses au siège apostolique ! Le même (dans
l’épitre au pape Damase, au sujet du mot hypostase) écrit : « Bien
que ta majesté me terrifie, ton humanité me fait une invitation.
Et, brebis, je demande de l’aide au pasteur. Je parle
avec le successeur du pasteur et le disciple de la croix. Et moi
qui, en toutes choses, ne cherche d’abord que Jésus-Christ, je m’associe
à ta béatitude, c’est-à-dire que je communie à la chaire de
Pierre. Je sais que c’est sur cette pierre que l’Église a été
édifiée. Quiconque mange l’agneau en dehors de cette maison
est un profane. Si quelqu’un n’est pas dans l’arche de Noé,
il périra quand le déluge arrivera en maître. » Et plus bas :
« Je ne connais pas Vital. Je répudie Meletius,
j’ignore Paulin. Celui qui ne ramasse pas avec toi disperse.
Ce qui veut dire que celui qui n’est pas avec le Christ est avec l’antichrist
». Notons d’abord, que tout prêtre d’Antioche qu’il
était, il se considérait comme une brebis de l’évêque de Rome.
Notons ensuite qu’il confessait que Damase était le successeur de saint
Pierre. Ensuite, quand il dit : moi qui ne cherche que
le Christ, je veux me rendre participant à la communion de ta béatitude,
il veut dire qu’il veut adhérer en premier lieu au Christ, et ensuite
au vicaire du Christ. C’est comme s’il disait : Je ne place
personne avant toi, sinon le Christ. Quatrièmement, saint Jérôme
considère le siège de Rome comme le fondement de cette maison et de ce
navire qu’est l’église universelle. Il considère donc
que le pontife romain est la tête de toute l’église. Enfin,
notons qu’il a préféré adhérer au pontife du siège romain plutôt
qu’à son évêque propre Paulin, lequel n’était pas le premier venu,
mais le patriarche d’Antioche. Voici en effet ce qu’il dit : « Je
ne connais pas Vital, je répudie Mélèce, et j’ignore Paulin.
»
C’est pourquoi Érasme lui-même
qui, ailleurs, en notes, a parlé de l’église romaine sans lui
rendre justice dit, en commentant ce texte, que saint Jérôme affirme
que toutes les églises sont sujettes au siège apostolique. Aveu
qu’il faut crier sur tous les toits devant les nouveaux hérétiques
qui considèrent Érasme comme un oracle. Mais Calvin
nous oppose, d’abord, l’épitre de saint Jérôme à Népotien,
dans laquelle il dit : « Chacun des évêques des différentes églises,
chaque archiprêtre, chaque archidiacre, et tout l’ordre ecclésiastique
a pour appui ses recteurs. » Il n’ajoute pas, dit Calvin,
que « toutes les églises sont unies entre elles par la tête comme
par un lien ». Deuxièmement. Ce n’est pas seulement Calvin,
mais Illyricus et Melanchton, qui voient une objection dans la lettre
de saint Jérôme à Évagre, où il dit : « Si on cherche l’autorité,
l’univers est plus grand qu’une ville. Pourquoi m’indiques-tu
la coutume d’une seule ville ? Pourquoi, dans les lois de l’église,
invoques-tu le petit nombre qui ne s’impose que par son arrogance ?
Partout où est un évêque, à Rome ou à Eugugis, à Constantinople
ou à Rhegis, à Alexandrie ou à Tanis, son mérite et son sacerdoce
est le même. Le pouvoir que donnent les richesses et l’humilité
de la pauvreté ne font pas un évêque plus grand ou plus petit.
»
À la première objection, je réponds
que saint Jérôme n’a pas omis de parler de la tête quand il dit que
tout ordre ecclésiastique est fondé sur ses recteurs. Il indique
que, en plus d’un évêque, d’un archiprêtre et d’un archidiacre,
il y a d’autres ministres comme un métropolitain dans chaque province,
un siège primatial dans chacune des régions, et dans toute l’Église
un seul pontife. Autrement, il ne serait pas vrai qu’il y
ait un recteur dans chaque ordre ecclésiastique. En second lieu,
je réponds que saint Jérôme réprouve une mauvaise coutume qui était
à Rome, mais pas dans toute l’église romaine, ni au Vatican,
mais seulement dans les diacres romains. Parce que les diacres romains
étant peu nombreux, et s’occupant du trésor ecclésiastique,
ils en vinrent, peu à peu, à se croire supérieurs aux prêtres, et à
siéger avec eux, alors que l’ancienne coutume voulait que les prêtres
s’assoient avec les évêques, et que les diacres se tiennent debout.
C’est de cette coutume qu’il parle quand il dit : « pourquoi me présentes-tu
la coutume d’une église ? Que vaut le petit nombre d’où ne
peut naître que l’arrogance ? » Que le pontife romain n’approuvait
pas cette coutume, saint Jérôme l’indique quand il ajoute que ce n’est
qu’en l’absence de l’évêque que les diacres osent s’asseoir avec
les prêtres. Quand saint Jérôme dit que les évêques ont
le même mérite et le même sacerdoce, cela est vrai, mais il faut l’entendre
au sens du sacrement de l’ordre, et non de la juridiction. Saint
Jérôme n’a pas, non plus, voulu nier que l’évêque d’Alexandrie
étende sa juridiction sur un plus large territoire que celui de Tanensis,
puisque le premier préside sur trois provinces, et l’autre sur une cité.
Le cinquième, saint Augustin.
Il écrit (dans l’épitre 162) : « L’église qui est chez les romains
a toujours maintenu en vigueur la principauté de sa chaire apostolique.
» Le même (épitre 92 à Innocent) : « Puisque, par le don
si sublime de sa grâce, le Seigneur t’a placé sur le siège apostolique,
il a prescrit aussi à nos temps que ce soit mis sur le compte de notre
négligence, si nous taisons auprès de ta révérence les choses qu’on
doit suggérer pour le bien de l’Église. Nous demandons donc à
ta diligence pastorale de prendre en considération ce que tu ne
pourrais négliger sans un grand péril pour les membres infirmes du Christ.
» Par ces paroles, saint Augustin demande, avec tout le concile
de Milet, à Innocent de faire preuve de zèle pastoral en combattant
les pélagiens qui infestaient principalement la Palestine et l’Afrique.
Il n’aurait certes pas fait une pareille demande s’il n’avait pas
cru qu’Innocent était le pasteur de l’Afrique et de la Palestine.
En fin de compte, pourquoi saint Augustin n’écrit-il pas au patriarche
de Jérusalem, ou au métropolitain de la Palestine, ou à l’évêque
primatial de l’église de Carthage, plutôt qu’au pontife romain ?
N’est-ce pas parce qu’il savait que l’autorité du pape sur l’Afrique
et la Palestine était plus grande que celle de leurs propres évêques
?
De même (dans l’épitre 157 à
Optatus) : « En ma présence, à Césarée, vinrent se joindre à nous
ceux que, en raison de la nécessité ecclésiastique, nous avait
envoyés le vénérable pape Zozime, évêque du siège apostolique.
» Zozime avait ordonné aux évêques d’Afrique de célébrer
un concile à Carthage. Et saint Augustin estima qu’il était nécessaire
d’obéir au pape Zozime. De même (dans le livre 1, chapitre 1,
à Boniface) : « Tu n’as pas dédaigné d’être ami des humbles,
toi qui ne cherches pas les grandeurs, même si tu présides en très haut
lieu. » Et plus bas : « Tu te montres semblable à nous tous qui
sommes investis du ministère épiscopal, bien que tu sois d’un
niveau supérieur, toi qui occupes le sommet de la pastorale » Voyez
qu’ici saint Augustin dit que les évêques sont soumis au souverain
pontife puisqu’il le dit d’un niveau supérieur, et le sommet de la
pastorale.
Sixième, saint Prospère, dans
son livre sur l’ingratitude : « Rome, le siège de Pierre, qui est devenue,
pour l’univers, la tête de l’honneur pastoral, possède par
la religion ce qu’elle ne possède pas par les armes. » Et, (dans
le livre 2 sur la vocation des Gentils, chapitre 6) : « Rome, par la principauté
du sacerdoce, est devenue plus vaste, en tant que citadelle de la
religion, qu’elle ne l’a été au sommet du son pouvoir politique.
» Le septième. Le bienheureux Victor Uticensis (libre
2 de la persécution des Vandales), appelle l’Église romaine « la tête
de toutes les églises. » Vincent Lérins : « On a lu quelques
lettres du martyr Félix, et de saint Jules, des évêques de la ville
de Rome. Eux témoignent que non seulement le bienheureux Cyprien
mais même aussi saint Ambroise ont appelé le pontife de Rome tête de
l’univers, et même la brique. » Vous voyez qu’on au pontife
romain le nom de tête de l’univers.
Le neuvième. Cassiodore
(livre 2, épitre 2, de saint Jean) : « Vous, en tant que gardiens, vous
présidez au peuple chrétien. Vous aimez toutes choses au nom du
Père. » Et plus bas : « C’est pourquoi nous devons, nous,
conserver quelques choses, vous, toutes choses. (Le roi Theodoric
avait remis l’admistratioh de la ville de Rome à Cassiodore).
Plus bas encore : « Ce siège que tout l’univers trouve admirable protège
par son affection ceux qui lui sont fidèles. Et bien qu’il soit
un don fait à l’univers, c’est par vous qu’il est connu, et chez
vous qu’il demeure. » Le dixième, saint Bède le vénérable
(livre 2 de l’histoire de la nation anglaise, chapitre 1 : « Alors qu’il
exerçait le pontificat pour toute l’église, et qu’il présidait
aux églises déjà converties aux vérités de la foi, il fit chrétien
notre peuple encore esclave des idoles ». Le onzième, saint
Anselme (dans le livre sur l’incarnation du Verbe de Dieu, dédié au
pape Urbain ) : « Au seigneur et père de l’église universelle qui
est pèlerine sur la terre, Urbain, pontife suprême, le frère
Anselme, pécheur par nature, moine par l’habit, élu évêque
métropolitain de Cantuariae, sujétion due avec un service
humble et des prières dévotes. Comme la divine providence
a élu votre sainteté et qu’elle vous a chargé de garder la vie et
la foi chrétienne, et de régir son Église, c’est à nul autre de plus
juste qu’on réfère si quelque chose s’élève dans l’Église contre
la foi catholique, pour que cette erreur soit corrigée par son autorité.
Il n’existe non plus rien d’autre qui soit plus sur pour examiner
avec prudence ce qui a été écrit en réponse aux erreurs. »
Le douzième, Hugues de Saint-Victor
(livre 2 sur les sacrements, chap 15, page 3) : « Le siège apostolique,
sur toute la terre, est placé avant toutes les églises. » Le treizième
saint Bernard (que Calvin tire de son côté, en l’appelant saint, livre
4, institutions, chapitre 7, verset 22) dans le livre 2 de la considération
: « Examinons avec plus d’attention qui tu es, quelle personne tu représentes
dans l’église de Dieu. Qui tu es ? Le grand prêtre,
le pontife suprême, le prince des apôtres, l’héritier des apôtres,
tu es Abel par la primauté, Noé par le gouvernement, Abraham par
le patriarcat, Melchisedech par l’ordre, Aaron par la dignité,
Moïse par l’autorité, Samuel par le jugement, Pierre par
le pouvoir, Christ par l’onction. Tu es celui à qui les clefs
ont été remises, à qui les brebis ont été confiées. Il
y en d’autres qui sont portiers du ciel et pasteurs de troupeaux,
mais toi, tu as hérité d’un nom incomparablement plus glorieux que
celui de tous les autres, et combien différent ! Ils ont des
troupeaux qui leur sont confiés, chacun le sien, mais ce sont tous les
troupeaux qui t’ont été confiés à toi, un seul troupeau
à un seul pasteur. Tu n’es pas seulement pasteur des brebis, mais
aussi des pasteurs. » Et, plus bas : « Donc, d’après tes canons,
les autres sont appelés à une partie de la sollicitude pastorale, mais
toi à sa plénitude. Le pouvoir des autres est restreint par
certaines limites; le tien s’étend même sur ceux qui ont reçu un pouvoir
sur les autres. Ne peux-tu pas, le cas échéant, fermer le
ciel à un évêque, le déposer de l’épiscopat, et même le livrer
à Satan ? Que demeure donc intact et entier ton privilège,
autant celui des clefs que de la garde des brebis. »
Voilà ce qu’en enseigne celui
qui a pour témoin de sa sainteté non seulement Jean Calvin, mais des
miracles innombrables. Or, la vraie sainteté ne peut pas exister
sans la vraie foi. C’était donc avec une vraie foi que saint
Bernard croyait que le pontife romain est le pasteur de l’Église universelle.
Mais Calvin trouve des objections à nous faire dans les abus et
les vices de la curie romaine, contre lesquels saint Bernard tonnait dans
le livre de la considération. Comme si, de tous les coins du globe, accouraient
à Rome les ambitieux, les avares, les simoniaques, pour être
élevée aux dignités ecclésiastiques par l’autorité apostolique.
Mais, il n’est pas nécessaire de réfuter cela, car, comme saint Bernard
(sermon 66 du cantique des cantiques) l’enseigne, les mauvaises
mœurs des prélats ne les empêchent pas de l’être vraiment. Et nous
devons leur obéir, puisque Jésus a dit en Mathieu (23) : « Faites
ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font ! »
Se présente, à la fin, le témoignage
d’un empereur latin, comme nous avons présenté plus haut le témoignage
d’un empereur grec. L’empereur Valentin (dans l’épitre
à Théodose, que l’on trouve parmi les préambules du concile de Chalcédoine),
écrit ceci : Nous devons, en notre temps, conserver la dignité
d’une vénération toute particulière à l’apôtre Pierre, en tant
qu’évêque bienheureux de la ville de Rome, à qui l’antiquité a
confié la principauté du sacerdoce sur tous, qui a le siège et
la capacité de juger en matière de foi, même les évêques. »
On trouve des choses semblables à cela dans ses lettres aux augustes
Placidie, et Licinia Eudoxia, et à Théodose lui-même.
2017-10-08-19h44 fin.
2017 10 09 21h40 début
CHAPIRE 12 : Le pontife romain succède
à Pierre dans une église monarchique. On le prouve par le droit
divin et par la raison de la succession.
Nous avons démontré, jusqu’à présent,
que le pontife romain a succédé à Pierre comme évêque de Rome.
Nous nous apprêtons à démontrer la même chose au sujet de sa succession
dans le primat de l’église universelle. Les hérétiques de notre
temps le nient cela, mais ils s’acharnent surtout sur le primat du pontife
romain. Voici les principaux. Luther (livre sur le pouvoir du pape),
Illyricus (livre contre la primauté du pape), le synode smalchadique (dans
le livre sur ce même argument), Jean Calvin (livre 4 des institutions,
chapitres 6 et 7), les magdebourgeois (dans chacune de leurs centuries
chapitre 7). Et avant eux, il y a eu l’évêque de Thessalonique
Nil, dans son livre contre la primauté du pape. Car
cet auteur ne nie pas que saint Pierre ait été le pasteur
de toute l’Église, et qu’il ait détenu l’épiscopat de Rome jusqu’à
sa mort. Mais ce qu’il soutient c’est que le pontife romain n’a
pas succédé à Pierre dans le gouvernement de toute l’Église, mais
seulement dans l’épiscopat de Rome. Il ajoute ensuite qu’il
a reçu par la suite, de décrets conciliaires, un certain primat
(honorifique), comme, par exemple, le privilège de s’asseoir le
premier en tant que le premier des évêques, d’être le premier à émettre
son avis, mais non le droit de commander à tous.
Comme nos arguments et ceux de nos
adversaires sont puisés aux mêmes sources et aux mêmes chapitres,
nous réduirons toute notre dispute à certains chapitres ou genres d’arguments;
et c’est en même temps que nous établirons la vérité, et que
nous réfuterons leurs objections. On prouve donc, d’abord, que
le pontife romain a succédé à saint Pierre dans le pontificat de l’Église
universelle de droit divin, et en raison de la succession. Quelqu’un
doit succéder à saint Pierre de droit divin. Or, celui-là
ne peut être autre que l’évêque romain. C’est donc lui
qui lui succède. Jean Calvin nie la majeure et la mineure.
Voici comment il parle (institution, livre 4, chapitre 6, verset 8) : «
Il est vrai que je leur concède ce qu’ils demandent au sujet de Pierre.
Mais il n’y a rien qui leur permette de faire, d’un cas particulier,
une règle générale, et d’étendre à perpétuité ce qui a été fait
une fois. » Encore : « Supposons que je leur accorde encore
cette autre chose, que jamais ne leur concéderont des hommes sains,
que le primat de Pierre a été institué de telle façon qu’il demeure
toujours dans une perpétuelle succession, comment peuvent-ils en
conclure que le siège de Rome est ainsi constitué que quiconque
est évêque de cette ville préside à l’univers entier ? »
Nous démontrerons donc l’un et
l’autre séparément. Qu’il faut que quelqu’un succède à
saint Pierre dans le pontificat de l’Église universelle, nous le déduisons
de la fin du pontificat. Car, il est certain que le pontife existe
pour l’Église. Car, c’est ce que dit saint Augustin (dans son livre
des pasteurs, chapitre 1) : « Que nous soyons chrétiens, c’est pour
nous; que nous soyons préposés, c’est pour vous. » Or l’Église
n’a pas moins besoin, maintenant, d’un pasteur qu’elle n’en
avait au temps des apôtres. Davantage, même, car les chrétiens sont
plus nombreux, et pires. Le pontificat ne devait donc pas disparaître
à la mort de saint Pierre, puisque ce n’était pas à l’avantage
de saint Pierre qu’il avait été institué, mais pour l’utilité de
toute l’Église; pour qu’il demeure et persévère tant que demeure
l’Église, et certainement tout au long de son pèlerinage sur
cette terre; et qu’il remplisse la tâche apostolique d’un suprême
pasteur.
Nous le prouvons aussi par l’unité
de l’Église. Car l’Église est une et la même en tout temps. Ne doit
donc pas changer la forme de son gouvernement, qui est celle d’une république
et d’une cité. C’est pourquoi, si, au temps des apôtres, il
y avait un seul recteur suprême, et un seul chef de l’Église, il doit
n’y en avoir qu’un seul aussi à notre époque. Nous le prouvons
ensuite par les paroles de Jésus, en saint Jean : « Pais mes brebis ».
Car la charge d’un pasteur est un devoir ordinaire et perpétuel.
Si donc, de par la nature de la chose, l’office d’un pasteur doit durer
tant que dure le troupeau, --le troupeau demeure et demeurera jusqu’à
la fin du monde—, les successeurs de saint Pierre doivent donc demeurer
dans ce travail pastoral. L’autre preuve est tirée du même
passage évangélique. Car, quand le Seigneur a dit à Pierre
: « pais mes brebis », il lui a confié toutes ses brebis, comme nous
l’avons montré plus haut. Non seulement en raison du lieu, mais
aussi du temps, car Dieu ne se souciait pas moins de nous que des anciens.
Or, Pierre ne devait pas toujours vivre dans la chair. Donc, quand
le Seigneur lui a dit : « pais mes brebis », il parlait, en lui, à tous
ses successeurs. C’est bien ce que dit saint Jean Chrysostome
(livre 2 du sacerdoce) : « Pour quelle raison a-t-il répandu son sang
? Certainement pour acquérir ces troupeaux qu’il confierait tant
à Pierre qu’aux successeurs de Pierre. » Et saint Léon (sermon
2, anniversaire de son intronisation) : « Demeure la disposition de la
vérité, et, persévérant dans la force de la pierre qu’il avait reçue,
saint Pierre n’abandonna pas le gouvernail de l’Église qui lui avait
été confié, car il persévère et vit dans ses successeurs. »
Et saint Pierre, évêque de Ravenne (dans son épitre à Eutychès) :
« Le bienheureux Pierre, qui vit et préside dans son siège propre, apporte
la vérité de la foi à ceux qui la cherchent. »
Cinquième preuve. L’Église
est un seul corps, et a sa propre tête ici, sur la terre, en plus du Christ,
comme on le voit dans la lettre de saint Paul aux Corinthiens (1, 12).
Car, après avoir dit que l’Église est un seul corps, il ajoute : «
La tête ne peut pas dire aux pieds : vous ne m’êtes pas nécessaires
». Ces paroles ne conviennent certainement pas au Christ, car il
peut nous dire à nous tous : vous ne m’êtes pas nécessaires.
On ne peut donc assigner au corps de l’Église d’autre tête
que saint Pierre. Or, il ne faut pas qu’à la mort de saint
Pierre, l’Église demeure sans tête. Il faut donc que quelqu’un
succède à saint Pierre. La sixième. Dans l’ancien
testament, il y avait une succession de grands pontifes. Car,
à Aaron succéda Éléazar, (nombres 20), et à Éléazar, Phinées, (juges
20), et ainsi de suite. Or, le sacerdoce de l’ancien testament
était une figure du nouveau. Donc, maintenant aussi, il faut
conserver la succession du siège de saint Pierre, pontife suprême des
chrétiens. Ensuite, tous les arguments utilisés, dans la deuxième
question, pour prouver que le gouvernement de l’Église devait
être monarchique, peuvent également servir de preuves au sujet
que nous traitons.
Que ce successeur de saint Pierre
est le pontife romain, il est facile de le prouver. Car il n’y en a pas,
et il n’y en a jamais eu qui se soit prétendu être le successeur de
saint Pierre, ou qui ait été considéré comme tel, en dehors de l’évêque
romain et d’Antioche. Or, l’évêque d’Antioche ne succéda pas à
saint Pierre dans le pontificat de l’église universelle, car il n’aurait
pu y succéder qu’en cédant son poste, par la mort naturelle, ou par
la mort légale, c’est-à-dire la déposition ou la renonciation.
Or, c’est quand il était encore vivant et évêque légitime que Pierre
a quitté l’Église d’Antioche, et qu’il a fixé son siège à Rome,
comme nous l’avons démontré plus haut. Il reste donc que c’est
l’évêque de Rome qui succède à Pierre après sa mort, qui lui succède
dans toute sa dignité et son pouvoir.
De plus, si l’évêque d’Antioche
avait succédé à saint Pierre dans son pontificat suprême, il aurait
été le premier des évêques. Or, au concile de Nicée (canon 6),
il est déclaré être le troisième patriarche, non le premier ni
le deuxième, comme il l’a toujours été. Et les évêques d’Antioche
ne revendiquèrent jamais un plus haut rang. Pour mieux comprendre
toutes ces choses, il faut faire quelques réflexions préalables.
Il faut d’abord faire une distinction entre la succession et la
raison de la succession. Car, la succession du pontife romain au
pontificat de saint Pierre est de droit divin. La raison de la succession,
c’est-à-dire la raison pour laquelle c’est le pontife romain plutôt
que celui d’Antioche ou d’un autre siège qui succède à Pierre,
a pris origine dans l’agir de saint Pierre. La succession,
dis-je, est d’un droit divin établi par le Christ, succession selon
laquelle le Christ a institué en Pierre un pontificat qui doit durer jusqu’à
la fin du monde. Et, en conséquence, quiconque succède à Pierre
obtient du Christ le pontificat. Mais que ce soit l’évêque
romain et non celui d’Antioche qui soit le successeur de saint Pierre,
cela vient d’une décision de Pierre et non de l’institution première
du Christ. Car, il aurait pu ne choisir aucun siège particulier,
comme il le fit pendant les cinq premières années. Et alors, ce n’aurait
été ni l’évêque de Rome ni celui d’Antioche qui lui aurait succédé,
mais celui que l’Église aurait élu. IL aurait pu, aussi,
demeurer toujours à Antioche, et ce serait alors l’évêque d’Antioche
qui lui aurait succédé. Mais, comme il a fixé son siège
à Rome, et qu’il l’a tenu jusqu’à sa mort, c’est à cause de
cela que c’est l’évêque romain qui lui succède.
Et parce que le pape Marcel a écrit
(dans son épitre à l’église d’Antioche) que c’est sur l’ordre
du seigneur, que saint Pierre est venu à Rome, et comme saint Ambroise
(discours contre Auxence) et saint Athanase (dans l’apologie pour sa
fuite), disent, tous les deux, que c’est sur l’ordre du Christ,
que Pierre a subi le martyre à Rome, il n’est pas improbable que le
Seigneur ait aussi ordonné à Pierre de fixer son siège à Rome, pour
que ce soit l’évêque de Rome qui lui succède. Mais quoi
qu’il en soit de tout cela, le moins qu’on puisse dire c’est
que la raison de cette succession ne provient pas de la première institution
du pontificat que nous lisons dans l’évangile. Une
deuxième remarque. Même si ce n’est peut-être pas de droit
divin que le pontife romain succède à Pierre dans le gouvernement de
toute l’église, parce qu’il est évêque de Rome, cependant, si quelqu’un
demande : est-ce de droit divin que le pontife romain est pasteur et chef
de toute l’église, il faut absolument répondre oui. Car,
rien d’autre n’est requis pour que cette succession soit de droit
divin, c’est-à-dire que la charge ordinaire de gouverner l’Église
universelle avec la suprême puissance, ne vienne pas des hommes, mais
immédiatement de Dieu. Qu’il en soit bien ainsi, nous l’avons
démontré plus haut.
La troisième observation. À supposer
même que ce ne soit pas de droit divin que le pontife romain succède
à saint Pierre, c’est quand même une chose qui appartient à la foi
catholique. Car, qu’une coutume soit de foi, et qu’elle
soit de droit divin, ce n’est pas la même chose. Car ce n’est pas
de droit divin que Pierre ait un surnom; mais c’est de foi que Pierre
a eu un surnom. Et même s’il n’est pas écrit expressément
dans les Écritures que l’évêque romain succède à saint Pierre, on
déduit cependant manifestement des Écritures que quelqu’un a
succédé à saint Pierre. Que celui-il soit l’évêque romain
nous le tenons de la tradition apostolique de Pierre, laquelle a été
proclamée et démontrée par les conciles généraux, les décrets des
papes, et l’enseignement unanime des pères.
Il faut noter enfin que l’épiscopat
romain et le gouvernement de l’église universelle ne sont deux
épiscopats et deux sièges qu’en puissance. Car, ayant été institué
par le Christ pontife de toute l’Église, saint Pierre ne s’est pas
adjoint l’épiscopat de la ville de Rome comme l’évêque d’une
certaine ville s’adjoint un autre épiscopat ou un autre canonicat ou
abbatiat. Mais il a élevé l’épiscopat de la ville de Rome jusqu’au
pontificat suprême de toute la terre, comme quand un simple épiscopat
est érigé en archiépiscopat, ou en patriarcat. Car, cet archevêque
ou ce patriarche n’est pas deux fois évêque, mais une fois seulement;
et le signe en est qu’il ne reçoit du pape qu’un seul pallium,
même s’il est évêque, archevêque, patriarche, et pontife suprême.
Car, ces choses sont une en acte, et multiples en puissance. Il s’ensuit
que celui qui est élu pontife romain est par le fait même pontife suprême
de toute l’Église, même s’il arrivait que les électeurs n’en fassent
pas mention.
Répondons, maintenant, aux objections
de Nil et de Jean Calvin. La première est celle de Nil.
Le pontife romain a reçu des pères la primauté du fait que la cité
de Romme commandait à toute la terre, comme on le lit dans le concile
de Calcédoine, (article 16). Il n’eut donc pas cela de la
succession de saint Pierre. Je réponds que ce
décret fut illégitime, car il fut adopté malgré l’opposition de ceux
qui présidaient le concile. Mais on parlera plus longtemps de cette
question au chapitre 27. La deuxième objection.
Le pape de Rome n’est pas un apôtre, mais seulement un évêque. Car
les apôtres n’ordonnèrent pas d’autres apôtres, mais des pasteurs
et des docteurs. Le pape de Rome ne succéda donc pas à saint Pierre
dans son pouvoir apostolique qui portait sur toute l’Église, mais seulement
dans son épiscopat romain particulier. Je réponds que dans le statut
d’apôtre trois choses sont contenues. La première.
Que celui qui est apôtre soit ministre immédiat de la parole, en tant
qu’ayant été instruit par Dieu, et étant capable d’écrire des livres
sacrés. Nous reconnaissons que cela ne se rapporte pas aux pontifes
romains. Car, il n’est pas nécessaire qu’à chaque jour de nouvelles
révélations soient données, et que de nouveaux livres saints soient
écrits. La deuxième. Que celui qui est apôtre fonde
des églises, et propage la foi dans des lieux où elle n’avait jamais
pénétré. Cela appartient aux pontifes romains : la raison
et l’expérience nous l’enseignent. Car ce sont les pontifes
romains qui, depuis les temps apostoliques, ont fondé des églises
dans les différentes parties de la terre, et en fondent encore aujourd’hui.
La troisième. Celui qui est
apôtre a un pouvoir suprême dans toute l’Église. Et nous soutenons
que cela appartient aussi au pontife romain pour la raison précise qu’il
succède à saint Pierre, dans lequel ce pouvoir est ordinaire, et non
délégué, comme dans les autres apôtres. L’argument de Nil n’aboutit
à rien, non plus, quand il dit que les apôtres n’ont pas institué
d’autres apôtres mais des pasteurs ou des docteurs. Car,
ils ne devaient pas sacrer un pontife romain de toute l’Église, ou un
pontife apostolique, puisque le Christ l’avait déjà fait. C’est
pourquoi tous les pères ont toujours donné le nom de siège apostolique
au siège du pontife romain. Et dans le concile de Calcédoine que
cite Nil, (acte 1), la dignité du pape des Romains est appelée
apostolique, et (à l’article 16), son siège est appelé apostolique.
Troisième objection. Pierre
a été le pasteur et le docteur de toute la terre. Mais le
pape n’est et n’est appelé que l’évêque de la ville de Rome.
Je réponds que c’est faux, comme, sans parler des autres,
le concile de Calcédoine nous le fait connaître. Car (à l’article
3), on y lut trois lettres des Orientaux au pape saint Léon, et dans chacune
d’elles Léon est appelé pape de l’Église universelle, nom que l’on
retrouve aussi à l’article 16. La quatrième objection.
Pierre a ordonné les évêques d’Antioche et d’Alexandrie. Mais cela
n’est pas permis à l’évêque de Rome. Je réponds que même
si, à cause de l’entêtement des Orientaux, cela n’est pas permis
de nos jours, ce droit était autrefois reconnu au pape. Car, dans
le concile de Calcédoine (actes 7), nous lisons que l’évêque
d’Antioche Maxime a été reçu par le concile, parce que le pape
saint Léon l’avait confirmé dans son épiscopat. Et Libérat
(dans le bréviaire, chapitre 21) et Jean Zonaras ( dans Justinien) écrivent
que c’est par le pontife de Rome Agapet qu’a été déposé Anthime
de l’épiscopat de Constantinople, et que Mena a été ordonné à sa
place. Mais nous développerons davantage ce sujet en son lieu et
place.
La cinquième objection. Tout
ce qu’a dit ou écrit saint Pierre est un oracle du Saint-Esprit. Or,
cela ne convient pas au pape. Le pape n’a donc pas toutes les prérogatives
de Pierre. Nous ne prétendons pas, nous non plus, qu’il les ait toutes.
La sixième objection. Il a été dit à Pierre sans condition :
tout ce que tu lieras sera lié, etc. Or Pierre a prescrit au pontife
romain de ne lier ou de ne délier que ce qui mérite de l’être.
Je réponds que tout ce que cet argument prouve c’est que Nil a été
un grec léger et un beau parleur. Car qui a jamais entendu dire
qu’il était permis à saint Pierre de lier ce qui ne méritait
pas d’être lié, et de délier ce qui ne méritait pas d’être délié
? Et où donc trouve-t-on cette prescription faite au pape
par saint Pierre, que Nil met de l’avant ? Jean Calvin avait
fait l’objection suivante ( livre 4, chapitre 6, verset 8, des institutions).
« Parce que Pierre, au début, a été placé avant les autres apôtres,
il ne s’ensuit pas qu’aujourd’hui quelqu’un doive être le premier
de tous. Car, c’est un petit groupe qui a avantage à être conduit
par une seule personne; mais c’est par plusieurs que des milliers de
personnes ont intérêt à être gouvernées.
Je réponds que saint Pierre n’a
pas été seulement mis à la tête de tous les apôtres, mais de tous
les milliers de chrétiens. Car, en saint Jean, le Christ ne lui
a pas confié les douze apôtres seulement, mais toutes ses brebis.
Or, nous lisons dans les actes des apôtres (2) que les brebis de
Pierre se sont multipliées jusqu’à atteindre le chiffre de trois mille,
et même (actes 4) de cinq mille, dans la seule Jérusalem. De plus,
plus les hommes sont nombreux, plus grand est leur besoin d’un recteur
unique qui les garde dans l’unité. Mais, nous avons traité de
cela dans la première question. Il objecte encore ceci, au
même endroit. Si Rome est le siège du pontificat suprême
parce que l’apôtre Pierre y est mort en exerçant le pontificat, le
siège du pontificat juif aurait du être dans le désert, parce que c’est
là que sont morts Moïse et Aaron quand ils étaient détenteurs du pontificat.
Et le siège pontifical des chrétiens devrait être à Jérusalem, car
c’est là qu’est mort le pontife suprême, le Christ. Je
réponds avec ce qui a déjà été dit. Le siège pontifical
n’est pas à Rome parce que c’est là que saint Pierre est mort, mais
pace qu’il a été évêque de Rome, et qu’il n’a jamais transféré
son siège ailleurs. Moïse et Aaron ne fixèrent pas leur siège
dans le désert, mais ils y sont morts en chemin. Le Christ, non
plus, ne fixa son siège à Jérusalem, ni à aucun autre droit, comme
nous l’avons dit plus haut.
Il présente comme objection, en
troisième lieu, au même endroit (verset 12), le raisonnement suivant.
Ce privilège du primat sur toute l’église est ou local, ou personnel
ou mixte. S’il est local, ayant été une fois concédé à Antioche,
il ne peut pas lui être enlevé, même si Pierre la quittait pour aller
mourir ailleurs. S’il est personnel, il n’a rien à voir avec le lieu,
et Rome n’a pas plus droit au pontificat suprême que toute autre cité.
S’il est mixte, il ne suffit donc pas à quelqu’un d’être
évêque de Rome pour avoir la primauté. Car, si le privilège est
en partie local, et en partie personnel, il n’est donc lié au lieu que
dans le temps où habite la dite personne, c’est-à-dire Pierre.
Je réponds que, par l’institution primordiale du Christ, la dignité
pontificale a été personnelle. Mais, cependant, par l’intervention
de Pierre, elle est devenue par après locale, plutôt mixte,
mais rien de tout cela sans la permission de Dieu. Je dis qu’elle
a été au début personnelle, car elle ne fut, par le Christ, liée à
aucun endroit, mais déposée dans la personne de Pierre. Je dis
personnelle, tout en étant publique et non privée.
On appelle personnels les privilèges
qui sont donnés à une personne pour elle seulement; publics, ceux
qui sont donnés à la personne et à ses successeurs. Cependant,
parce que, après cela, Pierre fixa son siège à Rome, ce privilège
est devenu local, et donc mixte. Et il est lié à la
ville de Rome aussi longtemps que les successeurs de saint Pierre conserveront
leur siège à Rome. Car si le siège de Pierre était transféré
ailleurs par un ordre divin, les évêques de Rome ne seraient plus alors
évêques de l’église universelle. Transférés au sens où ils
ne seraient plus les évêques de Rome mais d’une autre ville, car la
seule absence de Romme n’équivaut pas à un transfert. Ce que
nous disions là n’est pour nous qu’une hypothèse, car nous ne pensons
pas que le siège de Rome soit un jour transféré ailleurs.
La quatrième objection est faite
au même endroit (verset 13). Si c’est parce qu’il succède
à saint Pierre que le pontife romain est le premier évêque, c’est
l’évêque d’Éphèse qui devrait être le second, celui de Jérusalem
le troisième, et ainsi de suite. Mais nous voyons que le deuxième siège
est celui d’Alexandrie, qui n’a été fondé par aucun apôtre.
Celui d’Éphèse n’a même pas pu occuper le dernier rang. Je
réponds que l’importance et le nombre des patriarches ne dépendent
pas de la dignité des premiers évêques, autrement il n’y en aurait
pas trois, mais douze, selon le nombre des apôtres. Ils ne dépendent
que de la seule dignité et volonté de saint Pierre, comme nous l’avons
démontré avec des citations d’Anaclet, de Léon, de Gélase et de Grégoire,
dans les prérogatives de saint Pierre, à la question 3.
La cinquième objection est tirée
du livre 4 (chapitre 7, verset 28). Si tout ce qu’on dit de Pierre
doit être dit de ses successeurs, il faut dont reconnaitre que tous les
papes sont des Satan, car cela est dit au même endroit où il est dit
: « je te donnerai les clefs du royaume. » Je réponds que
ce qui est dit à Pierre diffère de trois manières. Certaines
choses lui sont dites à lui seul, personnellement, d’autres à lui et
à tous les chrétiens, et d’autres à lui et à ses successeurs.
On peut faire cette distinction en considérant à quel titre certaines
choses lui sont dites. Car, ce qui lui est dit en tant qu’un
fidèle parmi d’autres, s’applique évidemment à tous les fidèles.
Comme en Matthieu (18) : « Si ton frère pèche contre toi… »
Mais les choses qui lui sont dites à lui à cause de sa personne propre,
ne sont dites qu’à lui, comme : « Va en arrière de moi, Satan ! »,
ou comme : « Tu me renieras trois fois. » Car, ces choses lui sont
dites à cause de sa propre imbécilité et ignorance. Il y en a
d’autres qui lui sont dites en raison de sa charge pastorale, qui sont
donc dites aussi à tous ses successeurs, comme : « Pais mes brebis »,
« Confirme tes frères », ou « Tout ce que tu lieras ».
Les arguments de Luther sont très
légers, et ce que nous avons dit peut facilement les réfuter.
Et de plus, ils sont été brillamment combattus par Eck, Fabius, Roffensus
et Cajetanus dont les livres sont dans toutes les mains. Je les omets
donc.
CHAPITRE 13
On prouve la même chose avec les conciles
Il nous faut, en second lieu, prouver
la primauté du pontife romain par les conciles. Luther
(dans son livre sur le pouvoir du Pape) et Illyricus (dans son livre
contre la primauté) et Jean Calvin (dans institution, chapitre 7,
verset 1) disent que le canon 6 du concile de Nicée milite ouvertement
contre nous. Ce concile assignerait au pontife romain une région
déterminée à gouverner, et petite d’ailleurs; et le déclarerait
un des patriarches, mais non la tête des autres. Ils ne purent,
prétendent-ils, découvrir aucun témoignage conciliaire en notre
faveur. Il y a pourtant des témoignages célèbres des conciles
généraux en faveur du primat du pontife romain, et quelques-uns de ces
conciles furent si universels ou oecuméniques qu’ils furent composés
autant de pères grecs que de latins. Ce qui fut obtenu en dépit
de la légèreté d’esprit et de l’orgueil des Grecs.
Voilà donc le premier concile
de Nicée, et le fameux canon 6 que nos adversaires nous opposent.
Mais ce canon requiert une explication pour qu’on puisse en tirer un
argument. En voici donc le texte, tel qu’il nous est parvenu : « Que
la coutume antique perdure en Égypte, ou en Lybie, ou en pentapolis, de
façon à ce que l’évêque d’Alexandrie ait le pouvoir sur eux tous,
parce que la coutume veut qu’il soit semblable à l’évêque
de Rome. » Il y a quelques remarques à faire sur ce canon.
D’abord, d’après Nicolas 1 (épitre à Michaël) : « Le concile de
Nicée n’a rien statué au sujet de l’Église de Rome car son
pouvoir elle le tient de Dieu et non des hommes. Il n’a fait que déterminer
le statut des autres églises à partir de la constitution de l’Église
romaine. Le concile ne dit pas : que l’évêque de Rome ait telle
ou telle région à administrer. Mais : que l’évêque d’Alexandrie
soit chargé de l’Égypte et de la Lybie, parce que c’est ainsi que
l’évêque de Rome en a établi la coutume. » L’Église romaine
est clairement représentée comme la norme ou la règle des autres, et
rien n’a été statué à son sujet. Calvin, Illyricus, Nil
et les autres se trompent donc quand ils disent que le concile de Nicée
a assigné certaines limites territoriales à l’évêque de Rome, pour
qu’il n’ait de pouvoir que sur les diocèses suburbains.
Il faut aussi noter que, dans les
livres de la vulgate, manque le début de ce canon qui commence ainsi :
« L’Église romaine a toujours eu la primauté. Que la coutume
perdure etc. » C’est ainsi que ce canon est cité dans le concile
de Chalcédoine (article 16) par l’évêque Paschasius. C’est
ainsi qu’un peu avant l’an mille, l’a traduit du grec un certain
abbé Denys, comme Alanus Copus l’a annoté dans le dialogue 1.
Et dans le même concile de Chalcédoine, (article 16), après la lecture
de ce canon 6, les juges dirent : « Nous étendons toute la primauté
et le premier honneur, selon les canons, à l’archevêque de l’antique
Rome, très aimé de Dieu ».
On doit observer, en troisième
lieu, ces paroles : « Parce que, pour l’évêque romain, telle
est la coutume. » Il y a quatre façons d’expliquer cette phrase.
La première, c’est Ruffin qui la donne (livre 10 de l’histoire ecclésiastique,
chapitre 6). Il a été décrété par le concile que l’évêque
d’Alexandrie ait la charge pastorale de l’Égypte, comme l’Église
de Rome l’a sur les églises suburbaines. Mais c’est une fausse
exposition, car si l’évêque de Rome est le premier et le principal
patriarche, comment peut-on croire que lui a été assignée, à lui,
la plus étroite région, et aux autres patriarches inférieurs une région
beaucoup plus large ? Car, le patriarche d’Antioche avait tout
l’Orient, celui d’Alexandrie trois grandes provinces ; l’Égypte,
la Lybie et la Pentapolis. Et l’évêque romain n’aurait eu,
lui, que les six évêchés les plus proches de Rome ? De plus, cette
préposition «quoniam » (parce que), indique une raison.
Or, on ne voit pas comment on pourrait logiquement dire que l’évêque
d’Alexandrie a la charge pastorale de trois provinces, parce que
l’évêque de Rome prend soin des évêchés suburbains. Donc,
ou la raison invoquée par le concile de Nicée ne vaut rien, ou Ruffin
n’a pas bien compris le sens du canon du concile. De plus,
le concile de Nicée, cité par le concile 6 de Carthage, ou lu dans le
concile de Chalcédoine, (acte 16), ou rapporté par l’abbé Denys a
perdu le souvenir des « églises suburbaines.» Il n’a que les
mots suivants : « Que l’évêque d’Alexandrie ait le pouvoir sur toute
l’Égypte, la Lybie et la Pantapolis, car, pour l’évêque romain,
aussi, telle est la coutume. » Ces églises suburbaines
furent donc une pure invention du Ruffin qu’a suivi Calvin.
La deuxième explication du texte
est celle de Théodore Balsamonis, (dans son explication du canon) et de
Nil (dans son livre contre la primauté). Le concile a décrété
que l’évêque d’Alexandrie ait le soin de toute l’Égypte, comme
l’évêque romain a le soin de tout l’Occident. Cette interprétation
est plus acceptable, mais elle n’est pas moins fausse. Car, quand
le concile dit : car, telle est la coutume pour l’évêque romain,
il donne la cause pour laquelle on doit persévérer dans la coutume antique
qui confie à l’évêque d’Alexandrie le soin pastoral de ces trois
régions. Or, le fait que l’évêque romain ait le soin pastoral
de tout l’occident n’est pas une raison qui explique pourquoi l’évêque
d’Alexandrie doive être chargé de l’Égypte, de la Lybie et
de la Pendapolis. Pourquoi pas de toute l’Afrique ? Ou pourquoi
pas de l’Égypte seulement ? Et pour quoi l’Alexandrin plutôt
que le Carthaginois ? Ou n’importe lequel autre ? Ajoutons que
le concile n’emploie ni le mot orient, ni le mot occident. Il ne
dit que : parce que telle est la coutume, pour l’évêque romain.
La troisième interprétation est
celle de l’auteur de la somme des conciles. Il pense pouvoir, à
l’aide d’un vieux codex, restituer les mots « parce que telle est
la coutume pour le métropolitain », au lieu de : « parce que telle est
la coutume pour l’évêque romain ». Cette explication n’est
pas solide, elle non plus. Car les exemplaires du concile de
Nicée n’ont jamais été plus complets ni plus amendés que ceux qui
se trouvent dans les archives des pontifes romains, comme nous l’avons
déjà démontré quand nous traitions des appellations. Car ceux
qui étaient en Grèce ont été brûlés par les Ariens, au témoignage
de saint Athanase (dans son épitre à tous les orthodoxes). Il ne
faut donc pas se surprendre de ce que le texte cité par Ruffin et les
autres, soit mutilé et corrompu. Or, c’est des archives
de l’Église romaine que Paschase, le légat de saint Léon au concile
de Chalcédoine, a tiré ce canon. Et, voici ce que nous y
lisons : « parce que telle est la coutume pour l’Évêque romain. »
Ajoutons que l’évêque d’Alexandrie n’invoquerait pas une
bonne raison, s’il faisait dépendre son droit pastoral d’une
coutume établie par les métropolitains. Car, les métropolitains
ne régissent qu’une seule province, et à l’évêque d’Alexandrie
sont soumises plusieurs provinces, et même des métropolitains.
La quatrième et la vraie explication
est que l’évêque d’Alexandrie doit gouverner ces trois provinces
parce que l’évêque de Rome en a fait une coutume. C’est-à-dire,
parce que l’évêque de Rome, avant tous les conciles, avait permis depuis
longtemps à l’évêque d’Alexandrie de prendre soin de l’Égypte,
de la Lybie, et de la Pentapolis. C’est-à-dire qu’il en
fit un droit coutumier. C’est ainsi que comprend ce canon
le pape Nicolas 1 (dans son épitre à Michaël). Et
on ne voit pas d’autre explication qui soit plus plausible.
Le second concile général, dans l’épitre au pape Damase (que cite
Theodoret , livre, 5, chapitre 9 de son histoire), déclare s’être
réuni à Constantinople sur l’ordre du pontife romain, exprimé dans
les lettres que l’empereur leur a envoyées. Ils avouent
donc par là que le pape est la tête, et qu’eux sont les membres.
Le troisième concile (comme le
rapporte Évagre, livre 1, chapitre 4 de son histoire), déclare
qu’il dépose Nestor sur l’ordre écrit du pape Célestin. Et,
dans son épitre au même pape Célestin, le même concile écrit qu’il
n’avait pas osé juger la cause du patriarche d’Antioche, Jean,
parce qu’elle était complexe et difficile à démêler, et qu’il la
réservait au jugement du pape Célestin. Toutes choses qui indiquent
l’autorité suprême du pontife romain. Le concile de Chalcédoine
(actes 1, 2, 3) appelle souvent le pape Léon « pontife de l’Église
universelle ». Et, dans son épitre au pape saint Léon : « Et en plus
de toutes ces choses, il décharge sa folie contre celui à qui la vigne
du Seigneur a été commise, contre ta sainteté apostolique ».
Ici, tu vois que ce très grand concile confesse que la vigne du
Seigneur, c’est-à-dire la garde de l’Église universelle, a
été confiée par Dieu au pontife romain. Le synode de Constantinople,
qui a été convoqué avant le cinquième synode qui s’est prononcé
sur l’évêque Anthime (acte 4), parle ainsi par le patriarche Menas,
président du concile : « Nous suivons, nous, le siège apostolique, et
nous lui obéissons, et nous recevons dans notre communion ceux qu’il
reçoit dans sa communion, et nous condamnons ceux qu’il condamne. »
Si donc tout le concile professe obéir au siège apostolique, il est certain
que le siège apostolique préside avec autorité sur toute l’Église.
Le septième synode (acte 2) reçoit
et approuve l’épitre d’Adrien à Tharasium, qui s’exprime comme
suit : « Éclaire toute la terre le siège qui a obtenu le primat, et
est la tête de toutes les églises de Dieu. C’est pourquoi, le bienheureux
Pierre lui-même paissant l’Église sur l’ordre de Dieu, n’a rien
qui échappe à son autorité, mais a obtenu partout la principauté par
le passé, et l’obtient encore aujourd’hui » Note
que c’est au présent qu’il dit : obtenant la principauté, il (Pierre)
éclaire, et il est la tête. Le concile du Latran sous Innocent
111, auquel participèrent les Grecs et les latins, (chapitre 5)
s’exprime ainsi: « En tant que mère et maîtresse de tous les fidèles
du Christ, L’Église romaine, comme l’a établi le Seigneur, obtient
la suprématie sur toutes les autres de pouvoir ordinaire. »
Le concile général de Lyon sous Grégoire 1X, (chapitre 6, titre
: de l’élection) écrit : « À la vue d’un péril, on appelle l’évêque
romain, vicaire du Christ, successeur de saint Pierre, recteur de l’Église
universelle. » Et cela, en présence autant des Grecs que
des Latins. Enfin, le concile de Florence statua ainsi,
après avoir obtenu le consentement des Grecs et des Latins : « Nous définissons
que le saint siège apostolique du pontife romain détient la primauté
sur toute la terre; que le pontife romain est le successeur de Pierre prince
des apôtres, vrai vicaire du Christ, tête de toute l’Église, père
et docteur de tous les chrétiens; que c’est à lui qu’a été
remis, par Jésus-Christ notre Seigneur, le plein pouvoir de paître,
de régir et de gouverner l’Église universelle. » J’omets les
cinq autres conciles généraux, car ils ne sont reçus ni par les Grecs,
puisqu’ils n’y participèrent pas, ni par les luthériens, puisqu’ils
ont été célébrés après l’an 600. Ces conciles, les voici
: le concile de Lyon sous Innocent lV, (comme ce que nous avons au
chapitre 1 sur l’homicide, dans le sixième concile). Le
concile de Vienne sous Clément lV; celui de Constance (session 8 et 15);
du Latran sous Léon lX, session 11, et le concile de Trente (session
14, chapitre 7, et ailleurs).
CHAPITRE 14
On prouve la même chose avec des témoignages des souverains pontifes
Le troisième argument on va le
tirer des enseignements des souverains pontifes. Il faut d’abord
observer que les lettres des souverains pontifes appartiennent à trois
catégories différentes. La première est celle qui contient
les épitres des pontifes qui ont siégé jusqu’à l’an 300.
Les Magdebourgeois et Calvin admettent que, pendant ces siècles, le primat
était professé en toute vérité, et que les pontifes ont été de vrais
et de saints pontifes. Mais ils disent que leurs épites ont
été trafiquées, ou qu’elles sont de composition récente, et
qu’elles ont été faussement attribuées à ces pontifes. La seconde
comprend les lettres de ces pontifes qui ont siégé depuis l’an 600
jusqu’à nos jours. Nos adversaires soutiennent que, pendant ces
siècles, la primauté a vraiment été enseignée, et par les auteurs
dont les écrits portent les noms. Mais que ces pontifes n’étaient
pas dignes de foi, qu’ils étaient plutôt des pseudos pontifes, ou qu’ils
n’étaient pas pontifes du tout. La troisième comprend ces épitres
dans lesquelles est affirmé ouvertement le primat, et qui ont été écrites
par de vrais et de saints pontifes, qui vécurent entre 300 et 600, comme
Jules, Damase, Syricius, Innocent, Zozime, Léon, Gélase,
Anastase 11, Jean 11, Féliz 1V, Pélage 11, et saint Grégoire.
Il n’y aura donc pas lieu de s’attarder aux témoignages de la première
et de la seconde catégories. Il suffira d’indiquer les textes, et de
répondre aux objections des hérétiques. Ils reconnaissent parfois
que dans ces lettres est affirmée ouvertement notre doctrine. On
ne fera de citations que pour les témoignages de la troisième classe.
Les pontifes suivants affirment
clairement la primauté de l’évêque de Rome. Saint Clément (épitre
1), Anaclet (épitre 3), Évariste (épitre 1), Alexandre (épitre
1), Pie (épitre 1 et 2), Anicet (épitre 1), Victor (épitre 1), Zéphyrin
(épitre 1), Calixte (épitre 2), Lucius (épitre 1), Marcel
(épitre 1), Eusèbe (épitre 3), Melchiades (épitre 1), Marc (épitre
1). À ces témoignages, les adversaires ne répondent
rien d’autre qu’ils sont adventices et récents. Mais même si je ne
peux nier que quelques erreurs s’y soient glissées, je n’oserais affirmer
que ces épitres soient apocryphes. Car, il est certain que ce sont
des documents très anciens. Ils mentent effrontément
les magdebourgeois (centurie 2, chapitre 7) quand ils disent qu’aucun
auteur digne de foi n’a cité leurs paroles avant le temps de Charlemagne.
Car Isidore qui a vécu 200 ans avant Charlemagne, dit (au début de sa
collection des sacrés canons) que c’est sur la demande de quatre-vingts
évêques qu’il a recueilli des canons tirés des épitres de Clément,
d’Anaclet, d’Évariste, et d’autres pontifes romains. De même,
le concile de Vasense (chapitre 6) cite les lettres de saint Clément,
comme elles existent aujourd’hui. Or, ce concile a été célébré
au temps du pape Léon 1, 350 ans donc avant Charlemagne. Ensuite
Ruffin qui précède Charlemagne de 400 ans, dans sa préface de la reconnaissance
(saint Clément) qu’il a traduite du grec, se souvient de l’Épitre
de Clément à Jacques, et dit l’avoir traduite en grec.
Que cette traduction de Ruffin existe vraiment, c’est Gennadius qui l’atteste
dans ses hommes illustres, au mot Ruffin.
Pour la seconde catégorie, nous
avons Adrien 1, dans son épitre à Tharasius, Nicholas 1,
dans son épitre à l’empereur Michaël, Léon 1X dans une épitre
que nous trouvons au chapitre solitae. Tous enseignent clairement
et explicitement que le pontife romain préside à toute l’Église.
À cela les adversaires répondent qu’ils étaient tous des antichrist.
Nous parlerons de cela dans la question suivante. Pour l’instant
nous ne disons que ceci. Si ces pontifes avaient été des antichrist,
toute l’Église aurait péri depuis 1000 ans. Mais les historiens
nous rapportent que l’Église universelle a reconnu ces pontifes,
et a accepté leurs doctrines. Or, s’il est vrai que l’Église
a péri, le Christ a menti quand il a dit en Matthieu (16) que « les portes
de l’enfer ne prévaudront point contre elle ». Mais sur ce sujet,
nous ferons plusieurs développements dans les questions sur l’Église.
Venons-en donc à la troisième catégorie, et présentons douze pontifes
saints et grands.
Le premier est saint Jules 1, qui,
dans son épitre aux Orientaux (qui a été conservée dans l’apologie
2 de saint Athanase) parle ainsi : « Ignorez-vous donc que la coutume
veut qu’on nous écrive d’abord, pour que puisse être décidé ce
qui est juste ? Si un soupçon de cette sorte envers l’évêque
avait pris naissance, il fallait le rapporter à notre église. »
Et plus bas : « Ce sont les choses que j’ai reçues du bienheureux Pierre
que je vous communique. Je n’écrirai rien d’autre que ce que
je pense être connu de vous, si ce n’est que nous troublent les faits
eux-mêmes. » Par ces paroles, saint Jules affirme que c’est
à lui qu’appartient la charge de juger les causes des évêques, même
des orientaux, même des patriarches du premier rang (car dans la cause
de saint Athanase, il s’agissait de l’évêque d’Alexandrie).
Il dit que ce droit il l’a reçu de Pierre, et que cela est connu de
tous. Que peut-on réponde à cela ? L’auteur est saint et très
ancien, l’épitre est certaine, et transcrite au complet par saint Athanase;
les mots en sont clairs et faciles à comprendre.
Le deuxième est saint Damase qui,
dans son épitre à tous les évêques d’Orient (que Theodoret a recopiée
livre, 5, chapitre 10 de son histoire) écrit : « Parce que votre charité
a rendu au siège apostolique la révérence qui lui est due, etc »
Il déclare donc que la révérence est due au pape, et il appelle fils
tous les évêques. On trouve la même chose dans l’épitre 4 aux
évêques de Numidie : « Tout ce qui peut être matière à doute,
ne cessez pas de nous le référer à nous, comme à la tête, ainsi que
le veut la coutume. » Le troisième est saint Cyricius dans son
épitre à Himericus, dont Calvin lui-même reconnait l’authenticité
: « En vertu de notre charge, ce n’est pas à nous à dissimuler
ni à taire la liberté d’action dont jouit celui qu’enflamme
le zèle de la religion chrétienne. Nous portons les fardeaux de
tous ceux qui sont lourdement chargés. Ou plutôt, c’est le bienheureux
Pierre qui les porte en nous, qui nous protège en toutes choses, nous
qui nous nous confions à sa guidance, et c’est lui qui nous protège
contre les hérésies. » Et plus bas, chapitre 15 : « Nous avons
examiné, frère très cher, tout ce que contenait la plainte, et
chacune des causes que, par notre fils le prêtre Bassien, tu as présentées
à l’Église romaine, comme à la tête du corps. » Il prescrit
ensuite à l’évêque de faire parvenir ses décrets à tous les autres
évêques.
Le quatrième est saint Zozime dans
son épitre à Ésichium, évêque de Salonite : « C’est à toi de préférence
que nous avons adressé nos écrits, pour que tu les fasses connaître
à tous nos frères évêques. » Et plus bas : « Que chacun sache
que quiconque négligerait ce qui porte le sceau de l’autorité apostolique
et des pères, serait sévèrement puni par nous, etc. » Le cinquième,
saint Innocent (épitre 22 aux évêques de Macédoine) écrit : « Rends-toi
compte que c’est faire injure au siège apostolique, auquel le rapport
avait été envoyé en tant que tête des églises. » La même
chose dans la lettre au concile de Milet (épitre 93 de sain Augustin)
: « Avec soin, et comme il convient, vous avec rendu honneur au siège
apostolique. Honneur à celui sur qui, à l’exception
des choses qui ne sont pas de son domaine, pèse le souci de toutes
les églises. Vous avez suivi les directives d’une ancienne règle, que
vous savez avoir été observée par tout le monde et par moi. »
Même chose dans l’épitre au concile de Carthage (91). Il écrit
que l’église romaine est « la source et la tête de toutes les églises.
»
Tout ce que les magdebourgeois ont
à répondre à cela c’est que c’est beaucoup trop impunément
qu’Innocent s’est arrogé ces privilèges. Voilà pourquoi
on l’appelle par mépris le nuisible. Mais s’il en est
bien ainsi, pourquoi les anciens pères n’ont-ils pas dénoncé cette
erreur d’Innocent ? Pourquoi saint Augustin (dans son épitre 106
à Paulin) dit-il en parlant de ces deux lettres d’Innocent : « Il nous
a répondu toutes ces choses de la façon dont il est permis et obligatoire
à l’évêque du siège apostolique de s’exprimer. » Et pourquoi
saint Augustin appelle-t-il ailleurs Innocent 1 pape de bienheureuse
mémoire ?
Le sixième est saint Léon.
Mais parce que Luther et Calvin prétendent que les anciens pontifes de
Rome n’ont eu d’autorité qu’en Occident, présentons des textes
de saint Léon le grand, dans lesquels il affirme et démontre la primauté
romaine, et exerce au même moment la juridiction sur les pontifes de Grèce,
d’Asie, d’Égypte et d’Afrique. Dans l’épitre 84 à Anastase,
évêque de Thessalonique, il dit : « Comme mes prédécesseurs
à tes prédécesseurs, suivant l’exemple des anciens envers ta charité,
je t’ai délégué comme vicaire de ma modération, pour que tu nous
aides dans le soin que, d’institution divine, nous avons de toutes les
églises, et qu’aux provinces éloignées du siège apostolique, tu présentes
la présence de notre visite. » Et plus bas : « Nous avons
fait de ta charité notre vicaire, de façon à ce que tu sois appelé
à une partie de la charge pastorale, mais non à la plénitude du
pouvoir. » Et à la fin, là où il disait que c’était
par une grande providence qu’ont été institués, des évêques, des
archevêques et des primats, il ajoute : « Par qui le soin de l’Église
universelle affluerait au seul siège de Pierre, et pour que rien
ne soit détourné de sa tête. » Ces textes montrent non
seulement le primat, mais l’autorité de saint Léon sur les églises
de Grèce.
Le même saint Léon le grand (épitre
46 à Anathole, évêque de Constantinople) écrit : « C’est à
vous qui résidez que nous avons confié l’exécution de ce que nous
avons décidé. » Tu vois qu’il prescrit quelque chose à l’évêque
de Constantinople. Le même (dans l’épitre 62 à Maxime
d’Antioche). Il lui demande de lui faire rapport souvent
sur ce qui se passe dans les églises. Et au même endroit : « L’évêque
Juvénal a cru qu’il pouvait se suffire à lui-même pour obtenir le
premier rang dans la province de Palestine. Que Cyrille de sainte mémoire
ait, avec raison cela, eu en horreur, il me l’a indiqué par ses
écrits, et m’a ardemment supplié de ne donner aucune approbation
à ces tentatives illicites. » Vois comment le patriarche d’Alexandrie
supplie le pape Léon de ne pas permettre que Juvénal usurpe la primauté
sur la Palestine. Et comme cette province relevait du patriarche
d’Antioche, pourquoi Cyrille n’a-t-il pas fait sa demande au patriarche
d’Antioche lui-même ? Le même saint Léon (épitre 81 à Dioscore)
dit au patriarche d’Alexandrie : « Ce que nous savons que nos pères
ont conservé avec un soin attentif, nous voulons que cela soit aussi conservé
par vous. » C’est au patriarche de toute l’Égypte et
de la Lybie que saint Léon donne ces ordres. Le même (épitre
87 aux évêques africains) « Ce que nous avons supporté comme véniel
ne pourra pas, par la suite, demeurer impuni, si quelqu’un
osait usurper ce que nous avons interdit. » Et plus bas : « Nous
avons ordonné que là soit entendue la cause de Lupicinus évêque ».
Léon commandait donc aux évêques
de Grèce, d’Asie, d’Égypte, et d’Afrique. Nous avons encore
aujourd’hui de ses lettres aux évêques d’Allemagne, de France, d’Espagne
et d’Italie, dans lesquelles il se présente comme leur juge et leur
tête. Enfin, dans le sermon sur la naissance au ciel des apôtres
Pierre et Paul, la ville de Rome parle ainsi : « Ayant été fait,
par le siège sacré du bienheureux Pierre, tête de l’univers,
ton règne religieux s’étendra plus loin que ta domination terrestre.
Bien que par un grand nombre de victoires, tu aies agrandi, par le droit
de la guerre, ton empire sur terre et sur mer, ce que le labeur guerrier
t’a asservi est plus petit que ce que la paix du Christ t’a soumis.
» Qu’est-ce qui est plus clair que cela ?
Mais à ces citations, Calvin donne
deux réponses. Une première (livre 4 des institutions, chapitre
7, verset 11). Il dit que saint Léon a été, outre
mesure, avide de gloire et de domination, et que plusieurs ont résisté
à son ambition. Il donne comme preuve une note en marge de
l’épitre 85. Mais nous avons beau chercher, dans cette épitre
il n’y a rien de tel, et nous ne voyons personne résister aux
épitres de saint Léon, à l’exception de l’évêque gaulois Hilaire.
C’est le seul, dans l’épitre 89 de saint Léon, qui a voulu se soustraire
à l’obéissance du siège apostolique. Mais, nous lisons au même
endroit, qu’il est venu à Rome plaider sa cause, mais que, déclaré
coupable par un concile, il a été puni. Demeurent encore aujourd’hui
des lettres de conciles, d’évêques, d’empereurs adressées au pape
Léon, et aussi d’évêques de Gaulle. Dans toutes ces lettres,
on loue grandement sa piété et son autorité. Et je ne pense
pas que, avant Luther et Calvin, personne ait jamais taxé le pape
Léon d’orgueil et d’ambition.
Il répond en second lieu que Léon
n’a pas usurpé la juridiction sur les autres évêques, mais qu’il
ne s’est qu’interposé comme arbitre dans des différends, en autant
que la nature et la loi de la communion ecclésiastique le souffrait alors.
Et il le prouve ainsi. Dans la lettre 84, où il semble le plus donner
des ordres aux évêques, il ajoute vouloir conserver, en toutes
choses, les privilèges des métropolitains. C’est comme s’il
disait que c’est par piété qu’il avertit, mais qu’il laissait à
chacun l’autorité qui leur appartenait. S’il en vraiment ainsi,
il n’était donc pas avide de gloire et de domination, et on ne
peut pas non plus l’accuser d’avoir été ambitieux. Mais, les
paroles de saint Léon que nous avons citées plus haut montrent assez
clairement qu’il commandait aux évêques avec autorité.
Qu’il ait voulu conserver les droits des métropolitains, cela n’a
rien à voir avec notre affaire. Car, il veut les conserver
de façon à ce qu’ils soient soumis au siège apostolique, et à son
vicaire. C’est bien ainsi qu’il parle dans l’épitre
84 : « Donc, selon les canons des saints pères composés par le Saint-Esprit,
et consacrés par la vénération de tout l’univers, nous déclarons
que ta fraternité possède, de toute antiquité, un droit incontestable
de dignité sur les évêques métropolitains de chacune des provinces
dont, par notre délégation, ta fraternité prend soin, pour
que, ni par négligence ni par présomption, ils ne s’affranchissent
des règles établies. » Et plus bas : « Si, par malheur,
parmi ceux qui jugent des plus grandes fautes, une dissension naissait,
qui ne peut pas être apaisée par un tribunal provincial, le métropolitain
prendra soin d’informer ta fraternité de la nature de cette affaire;
et si, après avoir entendu le plaidoyer des deux parties, la question
ne pouvait pas être réglée par ton jugement, il faudra la porter à
notre connaissance, quelle qu’elle soit. »
Septième . Voici ce que dit
saint Gélase aux évêques de Sardaigne : « Chaque église de tout l’univers
sait que le siège de l’apôtre Pierre a le pouvoir de dénouer tous
les liens noués par les sentences d’évêque; qu’il lui
est permis de porter un jugement sur toute église, et qu’il n’est
permis à personne de juger son jugement. » Il dit des choses semblables
dans la lettre à l’empereur Anastase. Il est impossible de répliquer
quoi que soit à cela. Il appert que ce sont les vraies paroles de
Gélase, que Gélase fut un saint homme, et qu’il a vécu avant
l’an mille. Huitième. Jean 11 qui, lui aussi, a siégé
avant l’an mille, écrit dans l’épitre à l’empereur Justinien
(qui se trouve dans le code de Justinien à un tit ) : « Parmi les louanges
sublimes de votre sagesse et de votre mansuétude, le plus chrétien des
princes, il y a un précepte du Seigneur qui irradie comme un astre d’une
lumière plus pure que les autres. Enseignés par l’amour de Dieu,
nos disciplines ecclésiastiques ont conservé la révérence envers le
siège romain; et, tout lui ayant été soumis, tout a été ramené
à son unité, à celui qui en est l’auteur, le prince des apôtres,
Pierre. « Pais mes brebis ». Et ce précepte est qu’elle
est vraiment la tête de toutes les églises. Toutes les règles des pères
et les statuts des princes le déclarent. »
Neuvième. Anastase
11 (dans l’épitre à l’empereur Anastase) : « Par le ministère de
mon humilité, que le siège du bienheureux Pierre tienne, comme
toujours, dans l’Église universelle, la primauté qui lui a été
assignée par le Seigneur. » Dixième. Félix 1V (dans
son épitre à différents évêques), écrit : « J’ai reçu avec reconnaissance
les écrits de votre sainteté que vous avez envoyés au siège apostolique
comme à la tête, pour recevoir une réponse d’où toute église de
toute la religion tire son origine. » Onzième. Pélage
11 (dans son épitre 1 aux évêques orientaux ) : « Le siège de Rome,
selon l’institution du Seigneur, est la tête de toutes les églises.
» Douzième. Saint Grégoire le grand, s’est, tout
autant que saint Léon, déclaré tête de toute l’Église (livre l,
épitre 72, à Gennade) : « Si, du concile de Numidie, il y en a qui désirent
venir au siège apostolique, permettez-le leur. Et si quelqu’un,
parmi eux, voulait leur bloquer la route, empêchez-les. » Voilà
ce qui démontre l’autorité de saint Grégoire en Afrique. De
même (livre 2, épitre 37) : « Après ce qu’à votre béatitude mon
prédécesseur et moi-même avons écrit au sujet de l’archidiacre
Honorat, c’est par mépris de la sentence portée par nous deux,
que le préfet Honorat a été privé de son grade. Si l’un
des quatre patriarches avait fait cela, un tel mépris n’aurait pas pu
se produire sans causer un grave scandale. » Par ces paroles,
saint Grégoire montre qu’il est au-dessus de tous les patriarches.
De même (libre 4, épitre 56, aux
évêques de la province d’Hellade) : « Sachez que nous avons conféré
le pallium à Jean notre frère, évêque de Corinthe, à qui
il vous convient grandement d’obéir. » Voyez l’autorité
qu’a saint Grégoire sur les évêques grecs, qu’il soumet à l’évêque
de Corinthe par la transmission du pallium ! Même chose (livre 7,
épitre 68 à Jean, évêque de Syracuse) : « Car, en ce qui a trait à
l’église de Constantinople, qui doute qu’elle soit soumise au siège
apostolique ? C’est ce que notre très pieux empereur et
notre frère Eusèbe, évêque de cette cité, professent constamment.
» Et (dans la lettre 64 au même) : « Car, si celui-ci se
dit soumis au siège apostolique, et si une faute été trouvée dans les
évêques, je ne sais pas quel évêque ne lui sera pas soumis. »
Quoi de plus clair ? J’omets les lettres aux évêques d’Italie,
de Gaule, d’Espagne, car nul ne doute de leur obéissance.
Calvin répond (livre 4, chapitre
7, verset 12). Il dit d’abord que le pape saint Grégoire
s’est attribué le droit de corriger les autres, mais que ne lui
ont obéi que ceux qui l’ont bien voulu. Mais, cela on ne peut
pas le dire. Car saint Grégoire fut très saint et très humble.
La preuve en est que même les Grecs célèbrent son jour de fête.
Calvin lui-même (livre 4, chapitre sept, verset 22) reconnait que
Grégoire fut un grand saint. Or, l’usurpation des biens
d’autrui ne cohabite pas avec la sainteté. Ce n’est
ni un péché véniel ni une imperfection de se soumettre tous les évêques
mais le fait d’un orgueil intolérable, et la note spécifique
de l’Antichrist, comme ils l’enseignent souvent. Comment
saint Grégoire pouvait-il être saint s’il s’est soumis injustement
tous les évêques ? Il répond ensuite que c’est par le mandat
de l’empereur qu’il a jugé l’évêque de Constantinople, comme on
peut l’apprendre de la lettre de Grégoire (livre 7, épitre 64).
Or, dans cette lettre, saint Grégoire dit que l’empereur veut qu’il
juge le patriarche, parce que les canons l’ordonnent ainsi.
C’est tout à fait comme si l’empereur avait dit qu’il ne voulait
pas empêcher que, même s’il était l’évêque de la cité impériale,
l’évêque de Constantinople soit puni par le pape Grégoire, comme le
prescrivent les canons. C’est pourquoi, dans l’épitre citée
plus haut, saint Grégoire affirme que l’empereur professe constamment
que l’église de Constantinople est sujette de l’église de Rome.
Il répond, en troisième lieu,
que comme il punissait les autres, saint Grégoire était disposé à être
amendé par les autres, ainsi qu’ il le dit dans l’épitre 37, livre
2. Donc, il obéissait autant qu’il commandait. Mais,
dans cette lettre, saint Grégoire parle de la correction fraternelle,
non de la censure d’un jugement. Voici ce qu’il écrit : « Ta
fraternité a mal pris que je l’aie blâmée au sujet des convives.
Mais moi, qui suis le plus élevé non par ma vie, mais par le lieu, je
suis prêt à être corrigé par tous, à être émendé par tous.
Et j’estime être mon seul ami celui qui, avant l’apparition
du juge suprême, essuie les fautes de mon esprit. » Ajouter
qu’il y a une contradiction entre être au-dessus de tous, et soumis
à quelques-uns.
Il répond en quatrième lieu,
que ce statut pontifical a grandement déplu à Grégoire. Car, il
se plaint que, sous couleur d’épiscopat, il soit retourné dans
le siècle (livre 1, épitres 5, et 7). Il est vrai que saint
Grégoire déplorait d’être passé du calme du monastère aux
affaires épiscopales. Mais ne lui déplaisait pas le fait
que le siège apostolique ait à prendre soin de toutes les églises.
Car il milita lui-même vigoureusement pour l’honneur de son siège contre
Jean, évêque de Constantinople. Et, (dans le livre 4 de l’épitre
36 à Euloge), il dit : « Tenons l’humilité dans l’esprit, mais conservons
dans l’honneur la dignité de notre ordre. » Et (dans les épitres
1 et 42 à Jean évêque) : « Nous avertissons que la révérence
envers le siège apostolique ne doit être troublée par la présomption
de personne. Car la condition des membres demeure intègre si la
tête de la foi ne subit aucune injure ». Et (dans son explication
4 du psaume pénitentiel) : « Il étend la témérité de son délire
au point de revendiquer pour lui en justice d’être la tête de toutes
les églises, comme l’est l’église romaine, et d’usurper le
droit de gouverner toutes les nations de la terre. »
CHAPITRE 15
Les pères grecs prouvent la même chose.
Venons-en maintenant aux témoignages
des anciens pères, qui n’ont pas été pontifes suprêmes. Calvin
et Illyricus ne nous en objectent que trois : saint Cyprien, saint Jérôme
et saint Bernard, dont nous parlerons en temps opportun. Mais
à leur trois, nous en opposerons une vingtaine.
Le premier est saint Ignace qui,
dans son épitre aux romains, écrit : « Ignace, à l’église sanctifiée
qui préside dans la région des Romains. » Pourquoi dit-il
à l’église romaine qu’elle préside, si ce n’est parce qu’elle
est la tête de toutes les autres ? Le deuxième est saint Irénée (livre
3, chapitre 3) : « C’est par la plus grande, la plus ancienne,
celle qui est connue de tous, qui a été fondée, instituée par les glorieux
apôtres Pierre et Paul, qui possède la tradition reçue des apôtres,
qui annonce à tous la foi par la succession des évêques parvenue jusqu’à
nous, que nous confondons ceux qui, de quelque façon, par une complaisance
malsaine, par vaine gloire, par cécité, ou par une mauvaise science,
raisonnent autrement qu’il ne faudrait. Car il est nécessaire
que toute église, c’est-à dire tous les fidèles de partout,
communie avec cette église à cause de sa plus puissante principauté.
Car, en elle, par ceux qui y sont, a été conservée la tradition qui
vient des apôtres. » Noter le « il est nécessaire », « et toute
église doit communier. » Et aussi : « à cause de sa plus puissante
principauté ». Et cette autre chose : « en qui toujours a été
conservée par tous la tradition apostolique. » Car,
saint Irénée prouve que nous pouvons confondre les hérétiques avec
la doctrine de l’Église romaine, parce qu’il est nécessaire que tous
communient avec cette église, et dépendent d’elle comme d’une tête
et d’une source. Il faut donc que sa doctrine soit vraie et apostolique.
Qu’il soit nécessaire à tous
les chrétiens de dépendre de l’église romaine, il le prouve d’abord
a priori, parce que la principauté est donnée à cette église.
Ensuite, a posteriori, parce que, jusqu’à présent, tous ont conservé
la foi dans cette église, c’est-à-dire en union et en adhésion à
cette église, comme à une tête et une mère.
Le troisième est Épiphane (hérésie
68, qui est celle des mélétiens) : « Faisant pénitence, Ursace et Valens
partirent avec leurs pamphlets vers le bienheureux Jules, évêque de Rome,
pour rendre compte de leur erreur et de leur faute. » Il est
certain qu’Ursace et Valens étaient des évêques. Pourquoi venaient-ils
à Rome pour que le pontife romain leur donne une punition, si le
pontife romain n’est pas le juge et la tête des évêques ?
Le quatrième, saint Athanase (livre 2 de son apologie). Il assure
que ces mêmes évêques avaient demandé au pape Jules une punition pour
leur forfait. Et, dans l’épitre au pape Félix, il écrit : «
Vous et vos prédécesseurs, Dieu vous a établis au sommet de la
hyérarchie, gardiens apostoliques; et il vous a ordonné de
prendre soin de toutes les églises, pour que vous nous portiez secours.
» Ensuite, dans son livre sur l’évêque Denys d’Alexandrie
: « Quelques-uns, ayant certes une bonne compréhension de l’église,
mais ignorant dans quel sens il avait écrit ces choses, montèrent
à Rome, et l’accusèrent, là, auprès de Denys, évêque de Rome. »
Pourquoi, je le demande, des hommes bons ont-ils accusé Denys, le
patriarche d’Alexandrie, auprès de l’évêque de Rome ?
N’est-ce pas parce qu’ils savaient que le pontife romain est le juge
de tous ?
Saint Basile (dans l’épitre 52
à Athanase) : « Il semble que tous consentent à écrire à l’évêque
de Rome, pour qu’il prenne connaissance de notre situation, et
interpose le décret de son jugement. Et parce qu’il est difficile
que certains soient mandatés par la décision d’un concile, qu’il
investisse de son autorité des hommes choisis, capables de
supporter les fatigues du voyage, des hommes doux et de bonnes mœurs,
accommodants, prudents et pieux, pour qu’ils avertissent ceux qui
ont dévié de la voie droite, et qu’ils rescindent les actes du concile
d’Ariminensis, votés dans la violence. » Saint Basile
attribue à l’évêque de Rome l’autorité de visiter les églises
d’Orient, et de rescinder des conciles généraux, comme celui d’Ariminensis.
Le sixième, saint Grégoire de
Naziance (dans le poème de sa vie). Il dit que l’Église
romaine « a toujours conservé la vraie doctrine sur Dieu », «
comme il convient à une ville qui préside sur tout l’univers ».
Il ne parle pas de l’empire temporel, car, à ce moment, le siège de
l’empire temporel était à Constantinople, non à Rome. Le septième,
saint Jean Chrysostome (épitre 1 au pape Innocent) : « Je
te demande de statuer par écrit que n’ont aucune valeur les choses
qui ont été accomplies avec injustice et perfidie; que ceux qui
ont agi avec iniquité soient soumis aux peines des lois ecclésiastiques
! » Theophile, l’évêque d’Alexandrie, dans un concile
de nombreux évêques, avait déposé saint Jean Chrysostome de l’épiscopat
de Constantinople. Saint Jean Chrysostome écrivit à l’évêque
de Rome, pour que, en vertu de son autorité, il déclare invalide la condamnation
faite par Théophile; qu’il le juge plutôt, et le punisse selon
les lois ecclésiastiques. Saint Jean Chrysostome reconnait donc
que le pape est le juge suprême, même des Grecs. De même (dans
son épitre 2 au même), il dit : « Nous vous rendons des
grâces perpétuelles pour avoir déclaré votre bienveillance paternelle
envers nous. » Saint Jean Chrysostome reconnait donc le pape
Innocent comme son père, même s’il était plus âgé que lui, et détenait
l’épiscopat de la ville Reine. Ensuite, dans la même lettre,
il demande au pape Innocent de ne pas excommunier ses ennemis, même s’ils
le méritent : « Je prie votre vigilance pour que, même s’ils ont tout
rempli de tumultes, et ne veulent pas guérir de leur maladie, vous
ne leur infligiez aucun châtiment, et ne les expulsiez
pas de l’assemblée des fidèles. »
Le huitième. Saint
Cyrille (épitre 10 à Nestor, et épitre onze aux clercs et au peuple
de Constantinople). Il écrit que, à moins que Nestor ne rétracte
ses hérésies avant la date fixée par le pape romain Célestin, il soit
excommunié par tous, et que, une fois déposé, on évite sa présence.
Et, dans l’épitre 18 au pape Célestin, qu’il nomme « très
saint Père , il lui demande si on pourra encore pendant un certains
temps communiquer avec Nestor, ou s’il faut que tous évitent sa présence.
» Ces mots indiquent suffisamment l’idée que saint Cyrille se
faisait du pouvoir de l’évêque de Rome, lui qui, pour la condamnation
et la déposition de Nestor, n’a fait qu’exécuter et mis en
oeuvre ce que le pontife romain avait décidé. Et dans le livre
(thèses) : « Devant Pierre, tous inclinent leur tête de droit divin,
et les princes de ce monde lui obéissent comme au Seigneur Jésus.
» De même : « Nous devons nous, comme des membres
que nous sommes, adhérer à notre tête, le pontife romain et le siège
apostolique. » Ces mots ne sont plus dans le livre « thèses
» qui nous est parvenu. Mais, ils sont cités par le bienheureux
Thomas (dans son opuscule contre les Grecs), et par Gennade Scholarius,
auteur grec (dans le livre 1 du souverain pontife) Il est avéré
que plusieurs livres du trésor ont péri. Car, dans le synode (acte
10) on fait une citation tirée du livre 32.
Mais, aujourd’hui il ne nous reste que 14 livres. De plus,
André, l’évêque de Colosse, dans le concile de Florence (septième
session) a affirmé que, dans les trésors, saint Cyrille avait parlé
magnifiquement de l’autorité du pontife romain, sans qu’aucun grec
n’élève la voix pour le contredire.
Le neuvième. Théodoret (dans
l’épitre au pape Léon) : « J’attends une décision de votre siège
apostolique. Je supplie et j’implore votre sainteté de me secourir,
moi qui fais appel à votre jugement juste et droit.
Qu’elle me commande d’accourir vers vous, et qu’elle montre
que ma doctrine suit les traces des apôtres. » Il était un évêque
asiatique. Il présidait à 800 églises, comme il le dit lui-même
au même endroit, et pourtant, il reconnait le pontife romain comme juge
suprême. De même, dans l’épitre au prêtre René : «
Ils m’ont dépouillé du sacerdoce, ils m’ont expulsé des villes,
sans tenir compte ni de mes cheveux blancs, ni du temps passé dans
la religion. C’est pourquoi je te supplie que tu persuades au très
saint archevêque Léon d’user de son autorité apostolique, et
de commander que je sois présent à ce concile. Car, ce saint
siège détient le pouvoir de gouverner les églises de tout l’univers.
» Le dixième Sozomène (livre 3, chapitre 7)
: « Comme, à cause de la dignité qui est propre à ce siège, le soin
de toutes les églises lui a été confié, le pape a restitué à chacun
son église. » Il parle de Jules 1 qui rendit à Athanase l’épiscopat
d’Alexandrie, et à Paul celui de Constantinople.
Le onzième, celui d’Acace
(dans la lettre au pape Simplice, qui se trouve dans le tome 2 des conciles)
: « Portant la sollicitude de toutes les églises, vous nous
exhortez sans relâche, avec une vigilance spontanée et prévenante.
» Le douzième. L’évêque de Pataras, de qui parle
Libératus (dans le bréviaire, chapitre 22) : « Quand Sylvère vint à
Pataras, le vénérable évêque de la cité alla à l’encontre de
l’empereur, et contesta le jugement porté au nom de Dieu au sujet
de l’expulsion de l’évêque d’un tel siège, disant que, dans le
monde, il y a plusieurs rois, et qu’il n’y en a pas un seul à
être expulsé de son siège comme ce pape qui est au-dessus de l’Église
de tout le monde. » Treizième. Justinien senior (dans une
lettre à Jean 11, qui se trouve dans le codex dans 1 tit.) : «Car nous
ne nous souffrons pas que ce qui se rapporte à la situation des églises
ne soit pas connu par votre sainteté, qui est la tête de toutes les saintes
églises. »
CHAPITRE 16
On prouve la même chose avec les pères latins
Parmi les latins, saint Cyprien
enseigne souvent cela. Mais avant de présenter des extraits de ses écrits,
expliquons brièvement l’argument qu’il développe dans son livre sur
l’unité de l’Église. Ce qui nous permettra de mieux comprendre sa
pensée. Dans son livre sur l’unité de l’Église, il se propose
de montrer en quoi consiste l’unité de l’Église; et il démontre
d’abord d’où naissent les hérésies et les divisions : « Cela vient
de ce qu’on ne retourne plus à l’origine de la vérité, de ce qu’on
ne cherche plus la tête, et de qu’ on ne conserve plus la doctrine du
maître céleste. » Il présente donc trois choses. La première.
L’origine de la vérité provient de l’Église. La seconde : il y a
une tête de l’Église différente du Christ, car un peu avant, il avait
dit que tous les hérétiques cherchaient le Christ. Et, cependant,
il dit ici que toutes les hérésies naissent du fait qu’on ne cherche
pas la tête de l’Église. La troisième. La doctrine
du maître céleste au sujet de l’Église, est celle du Christ
et du pape.
Après avoir exposé ces principes,
il les explique ainsi : « Le Seigneur a dit à Pierre : « Tu es
la pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église; et les portes de
l’enfer ne prévaudront point contre elles. » Et il dit
au même après sa résurrection : « Pais mes brebis ». Saint
Cyprien enseigne là l’origine de la vérité sur l’église,
qu’il disait devoir être cherchée dans les paroles du Christ.
Car, c’est ainsi que commence la doctrine ecclésiale, et,
en même temps la tête de l’Église, qu’il disait devoir être cherchée
en Pierre. Ces mêmes mots montrent que c’est la doctrine
du maître céleste. Voilà pourquoi, un peu après, il ajoute
que l’Église est une dans la racine et dans la tête, même si elle
se multiplie par la propagation. Et il présente trois exemples :
la lumière, la source et l’arbre. Ces trois sont une seule et
même chose dans la racine, et se multiplient par la propagation.
Cette citation nous explique donc que saint Pierre est la tête de toute
l’Église. Que c’est ce qui convient à l’évêque
romain, saint Cyprien le déclare dans le livre 1, (épitre 3 à Cornel),
où parlant du schisme des novatiens qui ne reconnaissaient pas le pape
Corneille, il dit : « Les hérésies ou les schismes ne sont pas nés
autrement qu’en n’obéissant pas au prêtre de Dieu. Il
ne faut pas penser qu’il n’y a un seul prêtre dans l’Église que
pour un temps, et pour un temps seulement, un seul juge qui tient
la place du Christ. Si la fraternité universelle lui
obéissait selon le commandement divin, personne n’aurait de raison
à faire valoir pour se soulever contre le collège des prêtres.
»
Les adversaires répondent que saint
Cyprien parle ici des évêques diocésains et des églises particulières;
et qu’il veut dire que, dans chaque église, quelqu’un doit être prêtre
et juge à plein temps. Mais si on compare ces phrases avec ce qui
précède, il apparaîtra clairement que saint Cyprien parle de l’église
universelle. Car, comme il avait dit plus haut que les hérésies
naissent de ce qu’on ne cherche pas la tête, après avoir expliqué
que la tête de toute l’Église était Pierre, de la même façon il
dit ici que les hérésies naissent parce qu’on ne pense pas qu’il
y a un seul juge dans l’Église, représentant du Christ, en l’occurrence,
Corneille. Voilà pourquoi, un peu plus bas, dans la même
épitre, il appelle l’église romaine le siège de Pierre, l’église
principale, d’où est née l’unité sacerdotale.
Le même, (dans l’épitre 10 au même Cornel) : « Nous nous lamentons
sur nos collègues qui forment les membres d’un corps qui a fait scission
avec l’unité de l’Église; et qui sont d’un parti qui, par
obstination et entêtement, n’a pas seulement récusé le sein de la
racine et de la matrice, mais s’est fait, à l’extérieur de l’Église,
une tête contraire. » C’est manifestement de l’Église catholique
qu’il parle ici, en dehors de laquelle sont les novatiens. Et saint
Cyprien écrit que non seulement ils ne veulent pas revenir à l’Église,
et reconnaître « la racine, la matrice et la tête de cette Église »,
mais qu’ils se sont fait une tête adultère contraire. Donc, comme
Novatien a été la tête de tous les novatiens, Corneille a été
la tête de tous les catholiques.
Le même (au livre 1, épitre 8
au peuple de l’univers) écrit : « Dieu est un, le Christ est un, l’Église
est une, et une est la chaire fondée sur Pierre par la parole du
Seigneur. On ne peut pas dresser un autre autel, inventer un nouveau sacerdoce,
en dehors de l’unique autel et de l’unique sacerdoce. Celui qui
rassemble ailleurs disperse. » Dans ce passage, il affirme
que comme Dieu est un, le Christ est un, l’église est une, par
le nombre, non par l’espèce, de la même manière unique est la
chaire qui enseigne à toute l’église, et cette chaire est celle de
Pierre, en dehors de laquelle quiconque rassemble disperse. Enfin,
(au livre 4 de l’épitre 8), il appelle de nouveau l’église romaine
« la racine et la matrice de l’Église catholique ».
Mais les adversaires font les objections
suivantes. La première porte sur le livre de Cyprien sur l’unité
de l’Église, dans lequel il a dit : «Unique est l’épiscopat,
dont chacun tient respectivement une partie. » Il n’est donc pas
l’évêque de toute l’église. La deuxième porte sur l’épitre
de saint Cyprien à Quintus, dans laquelle Cyprien écrit, en plein concile
: « Car aucun évêque parmi nous ne s’établit évêque des évêques,
ou n’oblige ses collèges à lui obéir par une terreur tyrannique,
puisque, ayant la liberté et le pouvoir d’user en tout de
son jugement propre, aucun évêque ne peut être jugé par un autre,
ni ne peut juger personne. Mais attendons le jugement du Seigneur
de l’univers, Jésus-Christ, qui est le seul à avoir le pouvoir, dans
l’église, de nous régir dans l’exercice de notre gouvernement
et dans nos jugements. »
Je réponds à la première.
L’épiscopat est un de la même façon que l’Église est une.
L’Église est une de façon à ce que plusieurs branches forment un seul
arbre, plusieurs fleuves une seule mer, et plusieurs rayons une seule lumière,
comme Cyprien le dit ailleurs. Donc, comme dans les branches,
les fleuves et les rayons, l’unité provient d’une seule tête,
c’est-à-dire de la racine, de la source, du soleil, bien que les branches,
les rivières et les rayons se multiplient, de la même façon, l’Église
est une et l’épiscopat est un dans la racine et la tête, même s’il
y a plusieurs églises particulières. Une partie de
ce grand épiscopat est détenue simultanément par chacun des évêques,
mais non également, mais non de la même façon. Car Pierre et ses
successeurs tiennent cette partie qui est comme la tête, la racine et
la fontaine; les autres tiennent les parties qui sont comme
les branches et les rivières. Car, cet épiscopat unique est semblable
à un corps hétérogène, non homogène. Il suit de là que ce n’est
pas de la même façon que chaque évêque tient une partie de cet
épiscopat. Car, même si la racine est une partie comme la
branche, elle sustente et régit les branches, et tout ce qu’il y a dans
les branches. Tout est donc virtuellement dans la racine, et non le contraire.
De la même façon, l’église romaine ou l’épiscopat romain
est une part de l’Église universelle et de l’épiscopat universel,
comme l’est l’église de Toscane et son évêque. Mais l’église
romaine régit la toscane, et non le contraire.
On déduit avec raison des paroles
de saint Cyprien que le pape de Rome n’est pas le seul évêque de toutes
les églises, les autres étant de vrais et de réels évêques, qui ont
reçu leur part de l’église universelle à gouverner. Mais on
ne peut pas en déduire que le pontife romain ne soit pas le pasteur et
la tête de toutes les églises, et donc de l’église universelle, car
même si c’est une partie de l’église qui a été confiée à sa gouverne,
cette partie occupe, dans l’église, la place que tient la racine dans
un arbre, la tête dans le corps, et la fontaine dans les ruisseaux.
La deuxième objection. Quand il dit que personne ne veut se faire
évêque des évêques, il parle de ceux qui étaient dans le concile
de Carthage. Il n’incluait pas dans cette phrase le pontife romain,
qui est le véritable évêque des évêques, et le père des pères,
comme nous l’avons montré plus haut. Quand il dit
qu’un évêque, qui n’a été institué que par Dieu, ne peut
être jugé que par Dieu, il faut comprendre qu’il parle des choses qui
sont douteuses et cachées. C’est ainsi que l’expose saint Augustin
(livre 3, chapitre 3 du baptême) : « Je pense qu’il s’agit de choses
qui n’ont pas été suffisamment clarifiées. » Cyprien enseigne
ici qu’il veut que chaque évêque puisse, pendant la discussion,
émettre librement son avis, et qu’il ne voulait pas, à la façon
d’un tyran, les forcer à penser comme lui, avant que la question
n’ait été définie. Car, que, selon lui, le pontife
romain puisse juger et déposer des évêques hérétiques ou schismatiques,
nous le montre clairement la lettre écrite au pape Étienne (livre
3, épitre 13). Dans cette épitre, Cyprien demande au pape de déposer
l’évêque d’Arles, et d’en installer un autre à sa place.
Le deuxième, Optatus,
marche sur les traces de Cyprien. (dans l’unique chaire de toute l’Église,
contre Parmenius, 3). Il dit que l’Église catholique est dotée de cinq
prérogatives. La première est qu’il y a une unique chaire, celle
de Pierre, dans laquelle doit être conservée la foi de tous. Et, énumérant
les pontifes romains jusqu’à Syricius, il affirme que cette chaire
n’est pas seulement celle de Pierre, mais aussi de ses successeurs.
Et il conclut ainsi : « De toutes les prérogatives ci-haut
décrites, la chaire est la première, que nous avons démontrée être
nôtre par Pierre ». Le troisième est saint Ambroise (chap 3, 1,
à Timothée) : « Même si tout le monde appartient à Dieu,
on dit quand même que l’Église est sa maison, dont aujourd’hui
Damase est le recteur. » Le même dit dans Satyre : « Il est un
évêque approuvé s’il est en communion avec les évêques catholiques,
c’est-à-dire avec l’église romaine. » Pourquoi, je le
demande, les évêques ne sont-ils catholiques que s’ils communient
avec l’évêque de Rome, si ce n’est parce que l’église de Rome
est la tête de l’église catholique ?
Le même (livre 3 des sacrements, chapitre 1) : « Nous n’ignorons pas
que l’église romaine n’a pas cette coutume, elle dont nous suivons
en toutes choses et l’exemple et la forme. » Et, plus bas : «
Je veux suivre en toutes choses l’Église romaine, même si nous
aussi nous avons quelque chose qui a du sens. Donc, gardons donc correctement
ce qui se fait ailleurs plus correctement. »
Il faut observer que quand saint
Ambroise dit qu’il veut suivre l’église romaine en toutes choses,
il n’accepte quand même pas de suivre la coutume romaine de laver les
pieds à ceux qui viennent d’être baptisés. Il faut donc comprendre
que ce « en toutes choses », ne s’applique qu’aux choses
nécessaires, et qui appartiennent au salut. Autrement, il se contredirait
lui-même. Le quatrième est saint Jérôme (épitre à Agemchiam,
au sujet de la monogamie) : « Plusieurs années auparavant, quand
j’étais au service du pape Damase, évêque de la ville de Rome,
dans les archives ecclésiastiques, et que je répondais aux consultations
des synodes occidentaux et orientaux etc. » Vous voyez comment,
de toute l’église universelle, et de tout l’univers, on demandait
alors des réponses au siège apostolique ! Le même (dans
l’épitre au pape Damase, au sujet du mot hypostase) écrit : « Bien
que ta majesté me terrifie, ton humanité me fait une invitation.
Et, brebis, je demande de l’aide au pasteur. Je parle
avec le successeur du pasteur et le disciple de la croix. Et moi
qui, en toutes choses, ne cherche d’abord que Jésus-Christ, je m’associe
à ta béatitude, c’est-à-dire que je communie à la chaire de
Pierre. Je sais que c’est sur cette pierre que l’Église a été
édifiée. Quiconque mange l’agneau en dehors de cette maison
est un profane. Si quelqu’un n’est pas dans l’arche de Noé,
il périra quand le déluge arrivera en maître. » Et plus bas :
« Je ne connais pas Vital. Je répudie Meletius,
j’ignore Paulin. Celui qui ne ramasse pas avec toi disperse.
Ce qui veut dire que celui qui n’est pas avec le Christ est avec l’antichrist
». Notons d’abord, que tout prêtre d’Antioche qu’il
était, il se considérait comme une brebis de l’évêque de Rome.
Notons ensuite qu’il confessait que Damase était le successeur de saint
Pierre. Ensuite, quand il dit : moi qui ne cherche que
le Christ, je veux me rendre participant à la communion de ta béatitude,
il veut dire qu’il veut adhérer en premier lieu au Christ, et ensuite
au vicaire du Christ. C’est comme s’il disait : Je ne place
personne avant toi, sinon le Christ. Quatrièmement, saint Jérôme
considère le siège de Rome comme le fondement de cette maison et de ce
navire qu’est l’église universelle. Il considère donc
que le pontife romain est la tête de toute l’église. Enfin,
notons qu’il a préféré adhérer au pontife du siège romain plutôt
qu’à son évêque propre Paulin, lequel n’était pas le premier venu,
mais le patriarche d’Antioche. Voici en effet ce qu’il dit : « Je
ne connais pas Vital, je répudie Mélèce, et j’ignore Paulin.
»
C’est pourquoi Érasme lui-même
qui, ailleurs, en notes, a parlé de l’église romaine sans lui
rendre justice dit, en commentant ce texte, que saint Jérôme affirme
que toutes les églises sont sujettes au siège apostolique. Aveu
qu’il faut crier sur tous les toits devant les nouveaux hérétiques
qui considèrent Érasme comme un oracle. Mais Calvin
nous oppose, d’abord, l’épitre de saint Jérôme à Népotien,
dans laquelle il dit : « Chacun des évêques des différentes églises,
chaque archiprêtre, chaque archidiacre, et tout l’ordre ecclésiastique
a pour appui ses recteurs. » Il n’ajoute pas, dit Calvin,
que « toutes les églises sont unies entre elles par la tête comme
par un lien ». Deuxièmement. Ce n’est pas seulement Calvin,
mais Illyricus et Melanchton, qui voient une objection dans la lettre
de saint Jérôme à Évagre, où il dit : « Si on cherche l’autorité,
l’univers est plus grand qu’une ville. Pourquoi m’indiques-tu
la coutume d’une seule ville ? Pourquoi, dans les lois de l’église,
invoques-tu le petit nombre qui ne s’impose que par son arrogance ?
Partout où est un évêque, à Rome ou à Eugugis, à Constantinople
ou à Rhegis, à Alexandrie ou à Tanis, son mérite et son sacerdoce
est le même. Le pouvoir que donnent les richesses et l’humilité
de la pauvreté ne font pas un évêque plus grand ou plus petit.
»
À la première objection, je réponds
que saint Jérôme n’a pas omis de parler de la tête quand il dit que
tout ordre ecclésiastique est fondé sur ses recteurs. Il indique
que, en plus d’un évêque, d’un archiprêtre et d’un archidiacre,
il y a d’autres ministres comme un métropolitain dans chaque province,
un siège primatial dans chacune des régions, et dans toute l’Église
un seul pontife. Autrement, il ne serait pas vrai qu’il y
ait un recteur dans chaque ordre ecclésiastique. En second lieu,
je réponds que saint Jérôme réprouve une mauvaise coutume qui était
à Rome, mais pas dans toute l’église romaine, ni au Vatican,
mais seulement dans les diacres romains. Parce que les diacres romains
étant peu nombreux, et s’occupant du trésor ecclésiastique,
ils en vinrent, peu à peu, à se croire supérieurs aux prêtres, et à
siéger avec eux, alors que l’ancienne coutume voulait que les prêtres
s’assoient avec les évêques, et que les diacres se tiennent debout.
C’est de cette coutume qu’il parle quand il dit : « pourquoi me présentes-tu
la coutume d’une église ? Que vaut le petit nombre d’où ne
peut naître que l’arrogance ? » Que le pontife romain n’approuvait
pas cette coutume, saint Jérôme l’indique quand il ajoute que ce n’est
qu’en l’absence de l’évêque que les diacres osent s’asseoir avec
les prêtres. Quand saint Jérôme dit que les évêques ont
le même mérite et le même sacerdoce, cela est vrai, mais il faut l’entendre
au sens du sacrement de l’ordre, et non de la juridiction. Saint
Jérôme n’a pas, non plus, voulu nier que l’évêque d’Alexandrie
étende sa juridiction sur un plus large territoire que celui de Tanensis,
puisque le premier préside sur trois provinces, et l’autre sur une cité.
Le cinquième, saint Augustin.
Il écrit (dans l’épitre 162) : « L’église qui est chez les romains
a toujours maintenu en vigueur la principauté de sa chaire apostolique.
» Le même (épitre 92 à Innocent) : « Puisque, par le don
si sublime de sa grâce, le Seigneur t’a placé sur le siège apostolique,
il a prescrit aussi à nos temps que ce soit mis sur le compte de notre
négligence, si nous taisons auprès de ta révérence les choses qu’on
doit suggérer pour le bien de l’Église. Nous demandons donc à
ta diligence pastorale de prendre en considération ce que tu ne
pourrais négliger sans un grand péril pour les membres infirmes du Christ.
» Par ces paroles, saint Augustin demande, avec tout le concile
de Milet, à Innocent de faire preuve de zèle pastoral en combattant
les pélagiens qui infestaient principalement la Palestine et l’Afrique.
Il n’aurait certes pas fait une pareille demande s’il n’avait pas
cru qu’Innocent était le pasteur de l’Afrique et de la Palestine.
En fin de compte, pourquoi saint Augustin n’écrit-il pas au patriarche
de Jérusalem, ou au métropolitain de la Palestine, ou à l’évêque
primatial de l’église de Carthage, plutôt qu’au pontife romain ?
N’est-ce pas parce qu’il savait que l’autorité du pape sur l’Afrique
et la Palestine était plus grande que celle de leurs propres évêques
?
De même (dans l’épitre 157 à
Optatus) : « En ma présence, à Césarée, vinrent se joindre à nous
ceux que, en raison de la nécessité ecclésiastique, nous avait
envoyés le vénérable pape Zozime, évêque du siège apostolique.
» Zozime avait ordonné aux évêques d’Afrique de célébrer
un concile à Carthage. Et saint Augustin estima qu’il était nécessaire
d’obéir au pape Zozime. De même (dans le livre 1, chapitre 1,
à Boniface) : « Tu n’as pas dédaigné d’être ami des humbles,
toi qui ne cherches pas les grandeurs, même si tu présides en très haut
lieu. » Et plus bas : « Tu te montres semblable à nous tous qui
sommes investis du ministère épiscopal, bien que tu sois d’un
niveau supérieur, toi qui occupes le sommet de la pastorale » Voyez
qu’ici saint Augustin dit que les évêques sont soumis au souverain
pontife puisqu’il le dit d’un niveau supérieur, et le sommet de la
pastorale.
Sixième, saint Prospère, dans
son livre sur l’ingratitude : « Rome, le siège de Pierre, qui est devenue,
pour l’univers, la tête de l’honneur pastoral, possède par
la religion ce qu’elle ne possède pas par les armes. » Et, (dans
le livre 2 sur la vocation des Gentils, chapitre 6) : « Rome, par la principauté
du sacerdoce, est devenue plus vaste, en tant que citadelle de la
religion, qu’elle ne l’a été au sommet du son pouvoir politique.
» Le septième. Le bienheureux Victor Uticensis (libre
2 de la persécution des Vandales), appelle l’Église romaine « la tête
de toutes les églises. » Vincent Lérins : « On a lu quelques
lettres du martyr Félix, et de saint Jules, des évêques de la ville
de Rome. Eux témoignent que non seulement le bienheureux Cyprien
mais même aussi saint Ambroise ont appelé le pontife de Rome tête de
l’univers, et même la brique. » Vous voyez qu’on au pontife
romain le nom de tête de l’univers.
Le neuvième. Cassiodore
(livre 2, épitre 2, de saint Jean) : « Vous, en tant que gardiens, vous
présidez au peuple chrétien. Vous aimez toutes choses au nom du
Père. » Et plus bas : « C’est pourquoi nous devons, nous,
conserver quelques choses, vous, toutes choses. (Le roi Theodoric
avait remis l’admistratioh de la ville de Rome à Cassiodore).
Plus bas encore : « Ce siège que tout l’univers trouve admirable protège
par son affection ceux qui lui sont fidèles. Et bien qu’il soit
un don fait à l’univers, c’est par vous qu’il est connu, et chez
vous qu’il demeure. » Le dixième, saint Bède le vénérable
(livre 2 de l’histoire de la nation anglaise, chapitre 1 : « Alors qu’il
exerçait le pontificat pour toute l’église, et qu’il présidait
aux églises déjà converties aux vérités de la foi, il fit chrétien
notre peuple encore esclave des idoles ». Le onzième, saint
Anselme (dans le livre sur l’incarnation du Verbe de Dieu, dédié au
pape Urbain ) : « Au seigneur et père de l’église universelle qui
est pèlerine sur la terre, Urbain, pontife suprême, le frère
Anselme, pécheur par nature, moine par l’habit, élu évêque
métropolitain de Cantuariae, sujétion due avec un service
humble et des prières dévotes. Comme la divine providence
a élu votre sainteté et qu’elle vous a chargé de garder la vie et
la foi chrétienne, et de régir son Église, c’est à nul autre de plus
juste qu’on réfère si quelque chose s’élève dans l’Église contre
la foi catholique, pour que cette erreur soit corrigée par son autorité.
Il n’existe non plus rien d’autre qui soit plus sur pour examiner
avec prudence ce qui a été écrit en réponse aux erreurs. »
Le douzième, Hugues de Saint-Victor
(livre 2 sur les sacrements, chap 15, page 3) : « Le siège apostolique,
sur toute la terre, est placé avant toutes les églises. » Le treizième
saint Bernard (que Calvin tire de son côté, en l’appelant saint, livre
4, institutions, chapitre 7, verset 22) dans le livre 2 de la considération
: « Examinons avec plus d’attention qui tu es, quelle personne tu représentes
dans l’église de Dieu. Qui tu es ? Le grand prêtre,
le pontife suprême, le prince des apôtres, l’héritier des apôtres,
tu es Abel par la primauté, Noé par le gouvernement, Abraham par
le patriarcat, Melchisedech par l’ordre, Aaron par la dignité,
Moïse par l’autorité, Samuel par le jugement, Pierre par
le pouvoir, Christ par l’onction. Tu es celui à qui les clefs
ont été remises, à qui les brebis ont été confiées. Il
y en d’autres qui sont portiers du ciel et pasteurs de troupeaux,
mais toi, tu as hérité d’un nom incomparablement plus glorieux que
celui de tous les autres, et combien différent ! Ils ont des
troupeaux qui leur sont confiés, chacun le sien, mais ce sont tous les
troupeaux qui t’ont été confiés à toi, un seul troupeau
à un seul pasteur. Tu n’es pas seulement pasteur des brebis, mais
aussi des pasteurs. » Et, plus bas : « Donc, d’après tes canons,
les autres sont appelés à une partie de la sollicitude pastorale, mais
toi à sa plénitude. Le pouvoir des autres est restreint par
certaines limites; le tien s’étend même sur ceux qui ont reçu un pouvoir
sur les autres. Ne peux-tu pas, le cas échéant, fermer le
ciel à un évêque, le déposer de l’épiscopat, et même le livrer
à Satan ? Que demeure donc intact et entier ton privilège,
autant celui des clefs que de la garde des brebis. »
Voilà ce qu’en enseigne celui
qui a pour témoin de sa sainteté non seulement Jean Calvin, mais des
miracles innombrables. Or, la vraie sainteté ne peut pas exister
sans la vraie foi. C’était donc avec une vraie foi que saint
Bernard croyait que le pontife romain est le pasteur de l’Église universelle.
Mais Calvin trouve des objections à nous faire dans les abus et
les vices de la curie romaine, contre lesquels saint Bernard tonnait dans
le livre de la considération. Comme si, de tous les coins du globe, accouraient
à Rome les ambitieux, les avares, les simoniaques, pour être
élevée aux dignités ecclésiastiques par l’autorité apostolique.
Mais, il n’est pas nécessaire de réfuter cela, car, comme saint Bernard
(sermon 66 du cantique des cantiques) l’enseigne, les mauvaises
mœurs des prélats ne les empêchent pas de l’être vraiment. Et nous
devons leur obéir, puisque Jésus a dit en Mathieu (23) : « Faites
ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font ! »
Se présente, à la fin, le témoignage
d’un empereur latin, comme nous avons présenté plus haut le témoignage
d’un empereur grec. L’empereur Valentin (dans l’épitre
à Théodose, que l’on trouve parmi les préambules du concile de Chalcédoine),
écrit ceci : Nous devons, en notre temps, conserver la dignité
d’une vénération toute particulière à l’apôtre Pierre, en tant
qu’évêque bienheureux de la ville de Rome, à qui l’antiquité a
confié la principauté du sacerdoce sur tous, qui a le siège et
la capacité de juger en matière de foi, même les évêques. »
On trouve des choses semblables à cela dans ses lettres aux augustes
Placidie, et Licinia Eudoxia, et à Théodose lui-même.
2017 10 09 21h40 fin
2017-10-21 17h07 début
CHAPITRE 17 : On prouve la même chose
par l’origine et l’antiquité de la primauté
Jusqu’à présent, nous avons montré
que le droit divin, les conciles généraux, les déclarations des souverains
pontifes, les pères grecs et les pères latins reconnaissent que le pontife
romain a reçu du Christ lui-même la principauté ecclésiastique,
depuis la résurrection du Christ. Maintenant, par un autre argument
qu’on appelle réduction à l’absurde, nous entreprenons
de démontrer la même chose. Car, si les choses ne se sont pas passées
comme nous avons dit, c’est en un autre temps et par un autre auteur
qu’a commencé la principauté ecclésiale du pontife romain. Nous
démontrerons qu’on ne peut assigner aucun autre temps, qu’on ne peut
indiquer aucun autre auteur plus ancien, à moins de remonter à l’époque
du Christ, et au Christ lui-même. Il est donc nécessaire d’en
passer par là.
Les adversaires répondent qu’ils
sont en mesure d’assigner un autre temps et un autre auteur.
Jean de Turrecremata (livre 2, chapitre 39, somme sur l’Église) énumère
quatre opinions d’hérétiques. La première est celle de ceux
qui disent que le pontife romain a reçu son autorité des apôtres.
La seconde, qu’il l’a reçue d’un concile général.
C’est cette opinion que suit Nil. La troisième attribue
aux électeurs pontificaux l’autorité du souverain pontife.
Le libelle de Schamalchadicus sur la primauté enseigne certainement
une chose semblable. Il donne même comme preuve que le pape
n’est pas au-dessus de l’Église, le fait que c’est elle qui
l’élit. La quatrième est de ceux qui enseignent qu’il a reçu
son autorité des empereurs, opinion partagée par un grand nombre d’hérétiques.
Dissertons brièvement de chacune.
La première opinion présente comme
preuve trois témoignages. Un d’Anaclet (dans l’épitre
2) où il dit : « Les autres apôtres ont reçu en commun le même
honneur et la même puissance que Pierre. Et ils voulurent qu’ils
soient leur chef. » L’autre est celui de Jules 1, épitre 1) où
il dit, en parlant des apôtres : « Ils voulurent que la sainte église
romaine aient la primauté sur toutes les églises. » Le troisième
est un ancien canon « moi Louis », dist. 63, où le pontife romain est
dit vicaire de Pierre. Il semble suivre de cela que ce n’est pas
le Christ, mais Pierre, qui a donné l’autorité au pontife romain.
Mais cette objection se réfute sans trop d’effort, car le même Anaclet
dit (dans l’épitre 3) : « Ce n’est pas des apôtres, mais du
Seigneur lui-même, notre Sauveur, que l’église romaine a obtenu
le primat, quand il a dit à Pierre : « Tu es Pierre, etc., »
C’est pourquoi, quand le même auteur
écrit que les apôtres aient voulu que Pierre soit le premier d’entre
eux, il ne parle pas d’une volonté qui instituerait, mais qui approuverait
et reconnaîtrait ce que le Seigneur avait institué. C’est ainsi
que semble parler le pape Jules. Un autre pourrait aussi répondre
que c’est du seul Christ que Pierre a reçu la primauté, mais que l’église
romaine l’a reçue, en quelque sorte, des apôtres.
Car, comme nous l’avons dit plus haut, le pontife romain, en tant que
successeur de Pierre, a du Christ, le primat. Mais le mode
de succession est né d’une décision de Pierre. Voilà
pourquoi le bienheureux Grégoire (livre 6, épitre 37 à Euloge
) dit : « C’est lui-même qui a élevé le siège, dans lequel il a
daigné se reposer et finir sa vie présente. » Le nom de
vicaire ne présente aucune difficulté. Car, si le pontife romain est
appelé à un endroit le vicaire de Pierre, en six cents autres il est
nommé le successeur de Pierre, comme il appert des témoignages cités.
Ensuite, on dit que le pape est le vicaire de Pierre parce que saint Pierre
vit toujours, et n’a pas abandonné le gouvernail de son église, comme
le dit saint Léon (dans le sermon 2 de l’anniversaire de son couronnement).
Mais, comme saint Pierre ne remplit pas directement la charge pastorale,
mais la régit et la protège par ses mérites et ses prières, ces appellations-là
sont impropres, et ne peuvent être employées que par révérence
envers saint Pierre. C’est pourquoi, saint Léon (dans le
lieu cité) se dit lui-même « l’héritier de Pierre. »
L’autre opinion qui enseigne que
le pape a reçu sa primauté des conciles, est appuyée par Nil sur
deux arguments. Le premier vient du concile de Chalcédoine (canon
28, comme lui le cite, ou acte 16 dans notre codex). Il dit, là,
que c’est des pères que l’église romaine a reçu la primauté,
parce que cette ville exerçait, alors, son empire sur tout le globe.
Le deuxième (dans la constit Novel 100 de Justin, 131 pour nous.)
Nous y lisons : « Nous définissons selon les décrets des saints
synodes, que l’évêque très saint de la vieille Rome est le premier
de tous les prêtres. » Ce que Nil pense pouvoir confirmer par le
concile 4, sous Symmachus, où nous lisons : «C’est d’abord le mérite
du bienheureux Pierre, et ensuite, l’autorité
des vénérables conciles qui ont accordé au premier siège apostolique
un pouvoir singulier dans les églises. » Illyricus (dans son livre
contre la primauté, et dans son histoire de la primauté) donne
en quatre endroits, comme preuve, la lettre 301 d’Énée Sylvius,
qui fut ensuite pape. Dans cette épitre, Énée parle ainsi
: «C’est avant le concile de Nicée qu’il vivait, et il avait
peu de respect envers l’église romaine. »
Mais ces arguments se réfutent facilement.
Que le pontife romain n’ait pas reçu des conciles, mais du Christ,
son autorité, s’ajoute à tous les arguments déjà présentés,
le témoignage de Gélase dans un concile de 70 évêques : « La sainte
église romaine n’a été mise avant les autres par aucun concile, par
aucune autre église, mais c’est par la voix évangélique du Seigneur,
notre Sauveur, qu’elle obtint la primauté. » Voilà pourquoi,
au premier argument de Nil, je réponds que ce décret en est un d’un
grand concile, mais qu’il n’a pas été porté d’une façon légitime.
Il n’a donc nulle force, nulle autorité. Car, l’acte 16
de ce concile nous fait comprendre qu’il a été voté en l’absence
des légats du siège apostolique, qui présidaient le concile. Ces
mêmes légats n’ont pas cessé ensuite de réclamer ouvertement.
Car, ne peut pas être légitime un décret qui a été fait
sans l’aval du pontife romain ou de son légat, au témoignage
du concile 7, acte 6 (que Nil lui-même accepte), et en omettant tous les
autres témoignages. Ce ne sont pas seulement les légats qui manifestèrent
leur dissentiment, mais saint Léon lui-même. Il confirma
les autres décrets du concile, mais condamna et réprouva celui-là
(dans la lettre 51 à Anatole, et aussi à Martien, à Pulchérie, à Maximin
et à Juvénal.)
Que dire de ce que, dans ce décret, deux
choses soient manifestement fausses. La première, que le primat
ait été accordé au pontife romain par le concile de Nicée. Car,
le concile de Nicée n’attribua pas la primauté à l’évêque de Rome
comme s’il ne l’avait jamais eue auparavant, mais il reconnut
qu’il l’avait, et qu’il l’avait toujours eue. Car, c’est
ainsi que commence le canon 6 du concile de Nicée (comme il est rapporté
par le concile de Chaldédoine, article 16) : « L’Église romaine a
toujours la primauté. » De plus, si, avant le concile de
Nicée, le pape ne jouissait pas de la primauté, de quel droit Denys,
patriarche d’Alexandrie, a-t-il été accusé auprès du pontife
romain, Denys ? Le pontife romain ne s’est pas récusé en disant
qu’il n’était pas un juge universel; et l’évêque d’Alexandrie
n’a pas rejeté le jugement du pape. Or, tous les deux sont des
sains canonisés. Qu’il en soit bien ainsi, c’est Athanase
lui-même qui le raconte (dans son livre sur la sentence de Dyonisius).
Enfin, il n’y a, dans tout le concile de Nicée, aucun mot qui indiquerait
qu’un nouveau pouvoir ait été reconnu au pontife romain, comme
nous l’avons montré plus haut.
Le deuxième. Ce qui est affirmé
dans le décret n’est pas moins faux, c’est-à-dire que la cause, pour
laquelle les pères ont concédé au pontife romain la suprématie, est
que c’est dans cette ville que se trouvait le siège de l’empire romain.
Cela, le pape Léon le réfute de plusieurs façons (lettre 52 à Martian)
ainsi que Gélase (dans son épitre aux évêques de Dard). Et la
raison est facile à trouver. Car, comme Gélase le note à juste
titre, Milan, Ravenne, Trèves, et Nicomédie ont été longtemps
des sièges de l’empire romain. Mais les pères ne leur ont pas,
pour cela, donné le primat. Que demeure donc ce que les pères enseignent
à l’unanimité : le siège du pontife romain est le premier de tous,
parce que c’est là que s’est assis le prince des apôtres. Ce pouvoir
la présence d’aucun empereur n’a pu le conférer, ni son absence le
lui enlever.
Je réponds à l’autre argument
que les canons des conciles ont, d’une certaine façon, attribué l’autorité
à l’église romaine, en déclarant et en affirmant ce privilège.
Comme on dit que le concile de Nicée a défini que le Fils de Dieu est
consubstantiel au Père. Voilà pourquoi Jean 11 (dans son épitre
à Justinien), ajoute, après avoir déclaré que l’église romaine est
la tête de toutes les églises : « Comme les règles des pères et les
statuts le déclarent. » Et Nicholas 1 (dans l’épitre à l’empereur
Michaël) : « Ces privilèges c’est par le Christ qu’ils sont
donnés à l’Église. Ils ne sont pas donnés mais honorés et
célébrés par les synodes. » Et au concile 4 sous Symmaque,
on énumère trois causes (qu’un lecteur prudent notera) du primat de
l’église romaine. Voici ce que nous y lisons : « La primauté
de ce siège vient du mérite de l’apôtre Pierre. Ensuite, suivant
l’ordre du Seigneur, c’est l’autorité des vénérables conciles
qui a accordé à l’église romaine un pouvoir singulier sur les églises.
» On met d’abord en premier lieu le mérite
de Pierre, pace que c’est par le mérite de sa confession que Pierre
a obtenu la primauté (Matt 16). On met ensuite le commandement du
Seigneur parce que la primauté lui a été annoncée et accordée
quand il lui a été dit : « pais mes brebis ». Et c’est en troisième
lieu qu’on met l’autorité des conciles, qui déclare cet ordre du
Seigneur.
Il est facile de répondre à Ilyricus,
car Énée Sylvius ne cherche pas, dans cette épitre, à démontrer autre
chose que la suprématie de Pierre a été instituée par le Christ.
Car, c’est ainsi qu’il commence son épitre à Martin Mayer : « Il
y a quelques hommes de ta nation, qui sont peu réfléchis, auxquels
l’autorité du souverain pontife romain ne parait pas nécessaire, ni
avoir été instituée par le Christ. C’est contre eux que
nous avons décidé d’écrire cette lettre, et de te la transmettre,
pour que si de tels hommes allaient te voir, tu aies en main le glaive
qui te permette de confondre leur témérité. » Quand il
dit ensuite qu’il avait vécu avant le concile de Nicée et avait peu
de respect envers l’église romaine, cela ne signifie rien d’autre
que, pendant les persécutions continuelles, les pontifes romains
n’ont pas pu exercer librement l’autorité qu’ils avaient reçue
du Christ; que les autres évêques ont été forcés de vivre par eux-mêmes,
sans trop penser à l’église romaine. Cette opinion d’Enée
Sylvius est vraie en partie, et fausse en partie. Il est vrai que
l’autorité du pontife romain a connu des empêchements, comme le démontrent
les persécutions qui ont sévi pendant ces siècles. Mais il n’est
pas vrai qu’on eut alors peu de respect envers l’église romaine, comme
le montreront les exemples que nous présenterons plus bas.
La troisième opinion n’a aucun fondement.
Car, il est prouvé que les pontifes ont existé avant les cardinaux; et
que certains papes n’ont pas été créés par les cardinaux.
Il est certain, en effet, que ce ne sont pas les cardinaux qui ont
créé Pierre pontife; que c’est Pierre qui a créé Clément pontife,
et non les cardinaux. De plus, si ce sont les cardinaux qui confèrent
l’autorité apostolique, ils pourraient aussi la retirer.
Ce qui est faux, du consentement de tous. Car ce ne sont
pas les cardinaux qui déposent un pape douteux, mais un concile général.
Mais, tu diras, quoi qu’il en soit des cardinaux, il est évident
que c’est par des hommes que le pontife romain est élu et créé.
C’est donc d’eux qu’il reçoit son pouvoir. Que
le pontife romain soit vraiment et réellement fait tel par les hommes,
le témoigne le décret d’élection pontificale de Grégoire V11
(que l’on trouve dans sa vie par Platina) : « Nous, cardinaux de la
sainte église romaine, clercs, acolytes, sous-diacres, presbytres, en
présence d’évêques, d’abbés, et de plusieurs ecclésiastiques et
de laïcs, nous élisons aujourd’hui , le 10 des calendes de mai, dans
la basilique de saint Pierre-aux –liens, l’an 1073, comme vrai vicaire
du Christ, l’archidiacre Hildebrand, homme de grande doctrine,
d’une grande piété, prudence, justice, constance, religion, un homme
modeste, sobre, continent, gouvernant sa maison, charitable envers les
pauvres, docte, et éduqué de son plein gré dans le sein de la sainte
mère l’Église depuis ses tendres années jusqu’à l’âge adulte.
Nous voulons que ce soit lui qui soit investi de ce pouvoir de l’église
de Dieu que, par mandat divin, Pierre a le premier exercé.
» De ces deux textes, nous pouvons tirer quelques conclusions.
La première. Le pontife n’est pas au-dessus de l’Église, mais
il est soumis à l’Église, dans la mesure où c’est l’Église qui
fait le pape, et non le pape l’Église. C’est l’enseignement
du synode smalchadique, dans le livre contre la primauté. La deuxième.
C’est de droit humain, non divin, que le pontife possède le pouvoir
qu’on lui reconnait.
Je réponds. La première conclusion
est sans aucune valeur, car les électeurs créent aussi l’empereur comme
le peuple crée le roi. Ce qui n’empêche pas l’empereur
d’être au-dessus des électeurs, et le roi au-dessus du peuple.
La deuxième conclusion ne vaut guère mieux, car, il faut observer que,
dans le pontife, il y a trois choses : le pontife lui-même, qui est comme
une certaine forme; la personne, qui est le sujet du pontificat;
et, l’union de l’un et de l’autre. La première chose, le pontificat,
vient du Christ seul. La personne, elle, par ses causes naturelles, vient
de Dieu; mais, en tant qu’elle est une personne, c’est
par les électeurs qu’elle est élue et désignée à l’épiscopat.
Cette union des deux vient du Christ, par la médiation de l’acte humain
des électeurs. Car, en élisant et en désignant une personne
en particulier, ils concourent à l’union du pontificat avec telle personne.
Voilà pourquoi on dit que les électeurs ont vraiment créé un pontife,
et sont la cause que le pontife en question ait le pouvoir qu’il possède.
C’est comme dans la génération d’un homme. L’âme
est infusée par Dieu seul, mais le père, en disposant la matière, est
cause de l’union de l’âme avec le corps. Voilà pourquoi
on dit que l’homme engendre un homme, même si on ne dit pas qu’il
produit l’âme de l’homme. Ces mots : « nous voulons
qu’il soit investi de la puissance » ne font que déclarer et
exprimer l’élection parfaite de l’homme comme successeur de saint
Pierre.
La quatrième opinion est celle de beaucoup
d’hérétiques, qui ne s’entendent, pourtant, pas entre eux. Car, Marsile
de Padoue, et après lui Jean Wiclef et Jean Huss, en soutenant que le
pontife romain recevait son autorité de César, semblaient, par César,
entendre Constantin le grand, à cause du canon qui commence par
le mot Constantin (dist 96). Dans ce canon, Constantin a décrété
que le pontife romain devait, dans tout son royaume, être considéré
par les prêtres comme le roi est considéré par les juges inférieurs.
Leur opinion a été exposée par Jean de Turrecremata (livre 2, chapitre
12, et et livre 4, dernier chapitre.) Jean Calvin (livre 4,
chapitre 7, verset 17), dit que la primauté du pontife a été donnée
chez les Grecs, par l’empereur Phocas; chez les Gaulois et les
Germains, par Pépin le bref, et ensuite chez les Francs, par Charlemagne.
Luther (dans son livre sur le pouvoir du pape), dit que c’est Constantin
1V qui a accordé la primauté au pontife romain, en preuve de quoi il
cite le témoignage de Platina dans la vie Benoit 11. Le même
Luther, cependant, (dans son livre sur la supputation des temps), enseigne
que c’est Phocas qui a octroyé la suprématie au pape. Les
centuriates enseignent la même chose (centurie 6, chapitre 1), Illyricus
(dans l’histoire de la primauté), le livre smalchaldicus sur la primauté
du pape, Theodore Bibliander (chronique, table 11), et plusieurs
autres.
Mais toutes ces choses sont faciles à
réfuter. D’abord, la première opinion ne nous contredit
en rien. Car, s’il est vrai que Constantin le grand donna
au souverain pontife son palais du Latran, et beaucoup d’autre
choses temporelles, le pouvoir spirituel, il ne l’a pas donné
au pape, et il ne pouvait pas le lui donner. Car, dans
le même canon, il reconnait que Pierre a été vicaire du Christ,
et que ses successeurs doivent donc être les princes et les têtes
de toute l’Église. Il n’a donc fait rien d’autre que de déclarer
un droit antique, en plus de faire au pape de grands dons temporels.
Ajoutons que les luthériens et les calvinistes soutiennent que ce canon
est adventice. Il n’existe donc, au sujet de l’édit de
Constantin, aucun contentieux entre nous et les luthériens, en ce
qui a trait à la juridiction spirituelle. Car, ils admettent qu’elle
n’a pas commencé avec Constantin. L’opinion de Luther
repose donc sur un faux fondement. Car, Platina ne dit pas
que Constantin 1V a donné la primauté au pape, mais qu’il lui avait
rendu le droit qu’il avait, ou pensait avoir dans la confirmation d’un
pape. Les prédécesseurs de Constantin 1V, depuis l’époque
de Justinien qui libéra la ville des Goths, avaient coutume, en
effet, de n’autoriser l’élection d’un pontife romain qu’après
l’avoir confirmée. Les papes ont toléré cela pour le bien
de l’Église, parce qu’ils voyaient très bien qu’ils ne pouvaient
pas exercer leur ministère sans le consentement de l’empereur.
Car, dans l’explication 4 du psaume pénitentiel, on protestait avec
véhémence contre la témérité des empereurs qui usurpaient le droit
de l’église romaine. Et cependant, quand ce même Grégoire (comme
le raconte le diacre Jean, livre 1, chapitre 2 de la vie de saint Grégoire),
fut élu pape par le clergé et le peuple, il écrivit en secret
à l’empereur en disant qu’il n’accepterait jamais. Mais le
préfet de la ville fut mis au courant, et envoya des soldats qui arrêtèrent
l’envoyé de Grégoire, et déchirèrent ses lettres. Il
envoya ensuite d’autres messagers qui déclarèrent au peuple et au clergé
l’élection de l’empereur, et apportaient sa confirmation. Platina
écrit donc que Constantin 1V, ému par la sainteté de Benoit 11, lui
a envoyé la sanction par laquelle il stipulait qu’il considèrerait
comme vicaire du Christ celui que le clergé et le peuple éliraient, sans
attendre aucune démarche de l’empereur. La sanction de Constantin
1V ne porta donc pas sur le pouvoir du pape, comme le pensait Luther, mais
seulement sur l’élection.
Au sujet de Phocas, je réponds qu’il
est vrai que Phocas a émis un décret à l’effet que l’Église romaine
est la tête de toutes les églises, comme l’attestent le vénérable
Bède (dans le livre des six âges du monde, à Phocas), Adon
(dans les chroniques), et le diacre Paul (livre 18, des choses romaines).
Mais Phocas n’a pas, pour autant, à cause de cela, introduit une
suprématie. Car, il décrète, en déclarant et en affirmant,
non en instituant quelque chose de nouveau. Cela, on peut le démontrer.
Car, Grégoire (livre 7, épitre 63 à Jean de Syracuse) écrit : « Qui
doute que le siège de Constantinople est soumis au siège apostolique
? C’est ce que le très pieux empereur et mon frère Eusèbe confessent
volontiers. » Cette lettre précède le règne de l’empereur
Phocas d’au moins cinq ans, comme on peut le voir par le numéro officiel.
De plus Justinien senior, qui a précédé Phocas de 70 ans, affirme (dans
l’épitre à Jean 11) que « l’église romaine est la tête de toutes
les églises ». Et Valentin, qui a précédé Phocas
de 140 ans, affirme (dans son épitre à Théodose), que « le pontife
romain a la primauté du sacerdoce sur tous les autres. » Nous trouvons
la même chose dans les témoignages d’Irénée, d’Athanase, de Cyrille,
de Theodoret, de Sozomène, et d’autres grecs, cités plus haut.
La raison pour laquelle Phocas a pensé
devoir de nouveau sanctionner, par une loi, une chose aussi certaine
n’est autre que l’orgueil des évêques de Constantinople, comme l’ont
noté Bède, Adon et le diacre Paul. Comme ils se disaient
par écrit, contre tout droit et raison, patriarches universels et
les premiers de tous les évêques, et parce que les excommunications
de ces évêques de Constantinople faites par les pontifes romains n’avaient
pas pu entamer leur orgueil, il a semblé bon à l’empereur, le seul
que les Grecs craignaient véritablement, d’intervenir personnellement.
Et c’est pour cela qu’il déclara que l’église romaine est la tête
de toutes les églises; que le patriarche de Constantinople n’est pas
patriarche universel; que son siège est celui d’une église particulière,
et qu’il est soumis au siège apostolique.
Au sujet de Pépin le bref, je réponds
que c’est en hallucinant que Calvin a recouvert la vraie histoire
de deux mensonges, qu’il présente comme des preuves de son hérésie.
Il dit d’abord que c’est par l’appui des papes que Pépin le bref
est devenu roi des Francs, et Charlemagne empereur romain. Cela est
vrai, et plusieurs historiens l’ont raconté. Mais que ce
soit injustement et avec scélératesse que le vrai roi des Francs ait
été spolié par le pape Zacharie et par Pépin le bref, c’est complètement
faux, et injurieux non seulement envers le pontife, mais envers les
rois de France et les empereurs de Germanie, car l’un et l’autre
descendent de ce Pépin. Il ajoute que Pépin et
Charles ont accordé ensuite la suprématie au pape, et qu’ils ont tous
trois divisé leur proie comme des voleurs, pour qu’a Pépin et
Charles soient concédés le pouvoir temporel, et aux pontifes romains
la primauté du sacerdoce. Ce qui n’est pas seulement faux,
mais contraire au mensonge précédent, car ces deux mensonges ne s’accordent
pas entre eux, et l’un détruit l’autre.
Que c’est en toute justice et légitimité
que le pape Zacharie ait déposé le roi Childéric et ait sacré Pépin
tous les historiens l’affirment, tant grecs que latins, à
l’exception des magdebourgeois (centuriee 8, chapitre 8 dans la vie de
Zacharie), et de Calvin (œuvre citée). Voici leurs noms.
Euinhardus, (dans la vie de Charlemagne), Aimonius (livre 4,
chapitre 61, des gestes des Francs), Cedrenus (dans la vie de Léon l’isaurien,
Paul diacre (livre 6, chapire 5, des gestes des Longbards), Blondus (livre
l0, décade 1), Rhegino (livre 2 des chroniqueurs), Marianus Scotus
(livre 3 chronologie), Otho Frisingensis (livre 5, histoire), Adon de Vienne
(chronique des six âges), Paul-Émilien (livre 1 et 2 des gestes des Francs),
Sigebert (chronique), l’abbé uspergensis (chronique). Un peu avant
l’époque de Pépin le bref, les rois des francs avaient dégénéré
des vertus de leurs ancêtres au point où, après avoir remis le pouvoir
aux généraux de l’armée ou aux maires du palais, ils ne se montraient
au peuple qu’une fois l’an, aux calendes de mai. Ils employaient
le reste du temps aux divertissements frivoles, à la recherche de
plaisirs sensuels de toutes sortes. C’est donc du consentement de tous
les nobles qu’on a demandé au pontife suprême qu’il soit permis de
transférer le titre de roi sur ceux qui étaient les vrais rois, et qui
administraient avec bonheur les affaires du royaume. Cette
demande était juste, à n’en pas douter. Car la Gaulle était
alors infestée de monstres qui sont, pour toutes les nations, la
cause de grandes calamités, et qui remplissaient le royaume de dissensions.
Non seulement les rois ne s’occupaient
pas des affaires du royaume, mais, à cause de leur inertie, la religion
périclitait et était presque éteinte, comme le montre l’épitre de
saint Boniface au pape Zacharie. Dans cette épitre, il écrit que
pendant environ 80 ans, sous le règne des rois fainéants, aucun
synode n’a été convoqué, que les églises épiscopales sont possédées
par des laïcs et des publicains, que les clercs ont quatre ou cinq
concubines, que la religion a été foulée au pieds et presque anéantie.
Comprenant que, depuis plusieurs années, les rois de France n’étaient
rois que de nom, voyant que le roi du moment Childéric, à l’exemple
de ses prédécesseurs, ne se souciait de rien et était, en plus, stupide;
constatant, en même temps, que le royaume et la religion tombaient en
ruine, et que tous les nobles du royaume demandaient Pépin pour roi;
comme il était celui à qui il incombait de pourvoir au salut de
tous, il jugea qu’il était permis aux Francs de transférer le
règne à Pépin, et il les affranchit du serment d’allégeance qui les
liait à Childéric. Que ce fut une chose juste, nul ne peut le nier,
pourvu qu’il soit sain d’esprit. Les évènements ont d’ailleurs
démontré que ce changement a été extrêmement avantageux et profitable.
Car, le royaume des Francs n’a jamais été plus puissant, la religion
n’a jamais été plus florissante en France qu’au temps de Pépin et
de Charlemagne. Ajoutons, enfin, que tous les historiens cités
racontent que ce Pépin, qui a été oint et couronné sur l’ordre
du pape, fut un homme d’une grande sainteté, au témoignage de
Boniface évêque et martyr, qui ne fut certes jamais l’auteur d’une
injustice et d’un crime public.
Que ce ne soit pas à cause de cela
que Pépin et Charlemagne ont accordé au pontife romain le premier rang
dans la Gaulle et la Germanie, on peut facilement le démontrer.
D’abord, parce que personne n’avait jamais prétendu cela avant Calvin.
Les auteurs cités, et surtout Paul Émilien, disent que les rois
des Francs ont assuré la protection du siège apostolique contre les Lombards
et les autres ennemis, ont donné au pontife romain l’exarchat de Ravenne,
et d’autres choses temporelles. Mais du pouvoir spirituel il n’est
jamais fait mention. De plus, si les nobles du royaume ont demandé
d’être relevés de leur serment d’allégeance, et qu’il leur soit
permis de transférer de Childéric à Pépin la couronne royale
(comme l’écrit Paul Émilien, et les autres), ils considéraient
certainement le pape comme le pontife de toute l’église, comme
quelqu’un ayant autorité sur eux, en France. Car, pourquoi n’ont-ils
pas demandé cela à leurs propres évêques, ou pourquoi n’ont-ils
pas fait ce qu’ils voulaient sans la permission du pape ? Pourquoi
même ont-ils attendu la décision et l’ordre du pape, comme Reghino
et d’autres l’écrivent ? Si donc, avant le sacre de Pépin,
le pontife romain exerçait la primauté en Gaule, comment a-t-il
pu la recevoir de Pépin ? Ces choses ne se contredisent-elles pas
?
De plus, avant le temps de Pépin,
il est avéré que les Francs et les Germains étaient soumis au pape dans
les choses spirituelles. Car, saint Boniface écrivit
au pape Zacharie, sous le règne de Carloman, comme lui-même l’indique,
avant donc que Pépin ne devint roi. Et l’on sait que Carloman
déposa sa couronne et se fit moine, avant l’élévation de Pépin eu
trône royal. Or, dans cette lettre, il déclare que les églises
de Germanie étaient alors soumises au pape, et, entre autres choses, il
demande au pape d’ériger trois épiscopats en Germanie, et de lui donner
l’autorité de convoquer un synode en France, et beaucoup d’autres
choses de ce genre. De même, Bède le vénérable, qui a précédé
Pépin d’environ cent ans, écrit (dans son histoire des Anglais, chapitre
1) : « Grégoire exerçait son pontificat sur tout le globe. »
Saint Grégoire, qui a précédé Pépin d’environ deux cents ans, (livre
4, épitre 52), écrit qu’il a mandaté l’évêque Virgile d’Arles
auprès des évêques de Gaule, comme devant tenir sa place; et il lui
a prescrit de référer au siège apostolique les causes difficiles à
résoudre : « Pour que nous puissions mettre fin à la contestation
par une réponse adéquate, qui enlève tout doute ».
Saint Léon qui a précédé Pépin de
350 ans, dit, (dans son épitre 89 aux évêques de Gaule) : « Que votre
fraternité reconnaisse avec nous que le siège apostolique a été
consulté par les prêtres de votre province un nombre incalculable
de fois, et que selon la diversité des causes pour lesquelles on
avait fait appel, des jugements ont été confirmés ou invalidés. »
Saint Cyprien, qui a vécu cinq cents ans avant Pépin, (livre 3,
lettre 13), écrit au pape Étienne pour qu’il dépose l’évêque d’Arles,
et le remplace par un autre. Enfin, saint Irénée qui a vécu 680
ans avant Pépin, dit (livre 3, chapitre 3) : « Il est nécessaire que
toutes les églises, c’est-à-dire tous les fidèles, communient
avec l’église de Rome, à cause de sa plus puissante principauté. »
Il n’exclut certes pas les Gaulois, puisqu’il était lui-même évêque
de Gaulle. Et, pour omettre tout le reste, quand le Seigneur
a dit à Pierre : « Pais mes brebis », il a surement compté les Gaulois
et les Germains parmi ses brebis.
CHAPITRE 18
On prouve la même chose par l’autorité
que le pape a eue sur les autres évêques.
Le sixième argument se tire de l’autorité
que les anciens pontifes de Rome ont eue sur les autres évêques.
Nous lisons, en effet, que, sur toute la planète, des évêques ont été
institués, déposés ou rétablis par les pontifes romains. Et pourtant,
un seul suffirait pour démontrer le pouvoir que possédait le pape sur
les évêques. Au sujet de l’institution, on peut présenter plusieurs
exemples. Dans le concile de Chalcédoine (acte 7), nous lisons
que Maxime d’Antioche a été confirmé évêque par le pape Léon le
grand. Au sujet de la confirmation d’Anatole, évêque de Constantinople,
le pape Léon écrit ceci (lettre 54 à Martien) : « Qu’il suffise que,
avec l’aide de votre piété, et par mon consentement, il ait obtenu
l’épiscopat d’une si grande ville. » Dans l’épitre
84 à Anastase, évêque de Thessalonique, il écrit : « Au sujet de la
personne qui doit être consacrée évêque, le clergé et l’évêque
métropolitain s’en rapportent à ta fraternité, ce qui est bien vu
dans toute la province. Fais-lui comprendre que pour que l’ordination
soit canoniquement célébrée, ton autorité doit l’approuver. »
Et plus bas : « Car, comme nous ne voulons pas que des justes élections
soient retardées indument par des atermoiements, nous ne permettons
pas non plus qu’elles soient faites à ton insu. »
Et, dans l’épitre 87 aux évêques africains, il écrit : « Nous
entendons dire que Donat le novatien s’est converti avec tout son peuple.
Pour que nous l’autorisions à présider sur son troupeau, qu’il se
souvienne de nous envoyer par écrit sa profession de foi. »
Saint Grégoire (livre 4, épitre 34 à
Constance Auguste) dit : « Il a été ordonné évêque de Salolitane
par mon répondant à mon insu. Il s’est donc produit quelque
chose qui n’arrive sous aucun prince intérieur. » Et souvent,
dans ses lettres, il indique qu’il envoie le pallium à un archevêque,
à ceux de Grèce, d’Italie, d’Espagne, etc. Il est à noter
que même si la confirmation des évêques démontre la primauté du pontife
romain, il n’est toutefois pas nécessaire qu’il confirme
tous les évêques personnellement, car il a pu concéder ce droit à des
patriarches, comme il l’a fait souvent. Au sujet
de la déposition, on trouve plusieurs exemples. Saint Cyprien (livre
3, épitre 13) écrit à Stéphane : « Qu’un autre soit nommé en sa
place ! » Et plus bas : « Tu nous indiqueras clairement qui sera nommé
évêque à Arles à la place de Marcien, pour que nous sachions vers qui
orienter nos frères, et à qui écrire. »
Calvin (livre 4 des institutions, chapitre
7, verset 7) tire un argument de ce texte. « Si Stéphane
présidait en Gaule, Cyprien n’aurait-il pas du lui dire de les réprimander
lui-même, puisqu’ils étaient siens. Mais il parle bien autrement.
Il dit que c’est la société fraternelle, qui nous relie les uns les
autres, qui requiert que nous nous avertissions mutuellement. »
Je réponds que ces paroles que Calvin attribue à saint Cyprien ne se
trouvent nulle part. Et si saint Cyprien avait pensé que Stéphane
n’avait pas d’autorité dans les Gaules, mais ne pouvait qu’avertir
amicalement, pourquoi n’a-t-il pas semoncé les Gaulois lui-même
personnellement ? Nicholas 1 (dans l’épitre à Michel),
énumère huit patriarches constantinopolitains déposés par les pontifes
romains, parmi lesquels un certain Anthime que le pape Agapet déposa,
sans tenir compte des menaces proférées par l’empereur et l’impératrice.
Il sacra à sa place, de ses propres mains, Menas, comme l’écrit
Liberatus dans le bréviaire, (chapitre 21) et Zonaras (dans la vie de
Justinien). Gélase rapporte la même chose (dans son épitre aux
évêques de Dard) : « Le siège apostolique a condamné, de sa propre
autorité, Dioscore, pontife du second siège. » Et,
au même endroit : « Il ne reçut pas Pierre d’Alexandrie, car il savait
seulement qu’il avait été condamné par le siège de Pierre, sans avoir
appris qu’il avait été acquitté »
Le pape Damase déposa aussi le patriarche
d’Antioche, comme le rapporte Theodoret (livre 5, chapitre 23 de son
histoire). Et bien qu’il cherchât à maintenir Flavien dans
son épiscopat, l’empereur Théodore lui ordonna quand même de
se rendre à Rome pour plaider sa cause. Et le patriarche d’Alexandrie
Théophile, par ses légats, intercéda en faveur de Flavien auprès du
pontife romain, comme le rapporte Socrate (livre 5, chapitre 15 de son
histoire). Saint Jean Chrysostome aurait tenté quelque chose de
semblable, selon Sozomène (livre 8, chapitre 3). Enfin, Flavien
ne put garder son épiscopat avant que le pontife romain, apaisé,
n’y consente, et qu’il promette d’envoyer ses délégués.
Il envoya donc à Rome plusieurs évêques et les prêtres les plus en
vue de l’église d’Antioche, comme Théodoret l’écrit lui-même.
Sixte 111 a déposé aussi l’évêque de Jérusalem Polychronium,
par l’archidiacre saint Léon qu’il avait envoyé à Jérusalem, celui
qui devint ensuite pape, comme le rapportent les actes des conciles, aux
actes de Sixte 111. Pour que le pontife romain ait pu déposer
ainsi tous les patriarches, ceux de Constantinople, d’Antioche, d’Alexandrie
et de Jérusalem, il fallait qu’il ait été le juge suprême de toute
l’Église.
Au sujet du rétablissement d’évêques
déposés par d’autres, les exemples sont nombreux. Car saint Cyprien
dit (livre 1, épitre 4) : « Le pape ne peut pas annuler une décision
que le droit canonique juge parfaite. Basilide, après que
ses crimes aient été détectés, partit pour Rome afin de rencontrer
notre collègue Stéphane qui siège au loin, et cherchant à tromper celui
qui ignorait ce qui s’était vraiment passé, il sollicita
d’être injustement rétabli dans un épiscopat dont il avait été justement
déposé. » Julius restitua l’épiscopat à Athanase d’Alexandrie,
à Paul de Constantinople, à Marcel d’Acyre, déposés par un synode
oriental, comme l’écrit Gélase (dans on épitre aux évêques de Dard),
et Sozomème (livre 3, chapitre 7). « Comme le soin de tous appartenait
à son siège apostolique, il restitua à chacun son église propre.
» Et, un peu plus bas : « Athanase et Paul sont retournés à leur
siège, et ils envoient des lettres de Jules aux évêques de l’Orient
». Et au sujet de la déposition de Theodoret par le concile d’Éphèse
2, voici ce que nous lisons dans le concile de Chalcédoine : « Qu’il
entre le révérend évêque Théodoret, et qu’il participe au synode,
parce que le très saint archevêque Léon lui a restitué son épiscopat.
» On pourrait présenter beaucoup de cas semblables,
auxquels nos adversaire ne peuvent et ne pourront jamais rien opposer.
Nil a quand même cinq arguments
à nous opposer. Le premier. On dit que l’évêque
romain est le premier, parce qu’il a pour second l’évêque de Constantinople,
pour troisième celui d’Alexandrie, et pour quatrième celui d’Antioche.
On ne parle pas de premier et de deuxième dans le cas d’un supérieur
et d’un inférieur, mais seulement quand il s’agit de degrés d’honneur
et de dignité. Car on ne dit pas que l’évêque romain est
premier relativement aux évêques de Tusculane et de Tyburtine, qui lui
sont soumis. Je réponds que le pontife romain est tout ensemble
évêque, archevêque, patriarche et pape. Et ainsi, en tant qu’évêque,
il est le premier dans cette province où Ostie est le deuxième, et Porto
le troisième, et ainsi de suite. Mais, en tant qu’archevêque,
il n’est pas premier par rapport à l’évêque d’Ostense qui n’est
pas archevêque, mais un simple évêque soumis à son archevêque.
Mais il est le premier par rapport à l’archevêque de Ravenne,
de Milan et des autres archevêques d’Occident. Mais en tant
que patriarche d’Occident, il n’est pas premier par rapport aux archevêques
de Ravenne et de Milan qui ne sont pas patriarches, mais par rapport aux
patriarches de Constantinople, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem.
Et c’est ainsi qu’on peut compter cinq patriarcats.
Enfin, en tant que pape et chef de l’Église
universelle, il n’est pas premier par rapport à l’évêque de Constantinople
ou d’une autre ville, mais seulement prince et pasteur de tous,
et son pouvoir n’a ni second ni collègue. Car, comme,
entre les évêques d’une même province, il en fallait un qui préside,
et soit appelé archevêque; comme entre les archevêques de plusieurs
provinces, il en fallait un qui préside aux autres, et soit dit
patriarche, pour une raison semblable, entre les patriarches d’une
même église catholique, il en faut un qui préside aux autres,
et soit appelé pape ou vicaire du Christ. Que celui-là soit
le pontife romain, nous l’avons déjà démontré par des exemples multiples.
Le deuxième argument. Le sixième
synode (canon 36) renouvelle les constitutions 2 et 4 du synode qui
accordaient à l’évêque de Constantinople des pouvoirs semblables
à ceux de l’évêque romain. Le pontife romain n’a donc pas
une dignité et une autorité plus grandes que celles du pontife
de Constantinople. Il ne peut donc pas commander à tous les évêques.
Je réponds que dans le concile général 2, le pontife de Constantinople
ne fut pas mis sur un pied d’égalité avec celui de Rome, mais seulement
placé avant celui d’Alexandrie et d’Antioche (canon 5) : « Il faut
que l’évêque de la ville de Constantinople ait une primauté d’honneur
après l’évêque de Rome, parce qu’elle est la nouvelle Rome. »
Dans le concile de Chalcédoine (acte 16), on ajouta à ce canon qu’il
fallait accorder au patriarche de Constantinople des privilèges semblables,
voire égaux, à ceux de l’église de Rome. Mais comme les légats
protestèrent, le concile envoya une lettre au pape Léon pour lui demander
de confirmer les décrets du concile. Les pères n’osèrent
pas, dans leur lettre, faire mention de privilèges égaux. Ils dirent
simplement qu’ils avaient renouvelé le canon du synode 2 qui accorde
le second honneur au siège de Constantinople. (Cette lettre se trouve
dans les actes du concile de Chalcédoine, acte 3).
Dans la lettre qu’il envoya au
concile, et dans toutes les autres qu’il écrivit à ce sujet,
le pape ne parle jamais de privilèges égaux, mais il ne fait que
condamner âprement la cupidité ambitieuse de l’évêque de Constantinople,
qui veut se placer au-dessus des archevêques d’Alexandrie et d’Antioche.
Nicéphore écrit aussi (livre 17, chapitre 9), que quand le pape Jean
1 vint à Constantinople, il fut invité par l’empereur Justinien
à concélébrer avec le patriarche de Constantinople, pour qu’ils
apparaissent égaux. Mais le pontife n’a pas voulu s’asseoir
avant que, à cause de la prérogative de son siège apostolique, on lui
ait placé un trône au-dessus de celui de l’évêque de Constantinople.
Il n’y a donc que le seul canon 36 du synode 6 qui confère au patriarche
de Constantinople des pouvoirs semblables à ceux du pape.
De plus, ces canons n’ont aucune force,
car ils n’ont pas été portés par un vrai concile légitime et
œcuménique, mais par un conventicule qui s’attribue faussement le titre
de concile général. Il est admis que le sixième synode qui a été
célébré sous le pape Agathon et l’empereur Constantin 1V, n’émit
aucun canon. Mais cinq ans après la dissolution du concile,
se sont réunis de nouveau des évêques grecs, sous Justinien junior,
et ils ont émis plusieurs canons sous le nom de sixième concile.
On l’apprend cela par la préface de leurs canons, et par la confession
de Tharase, évêque de Constantinople, (synode 7, acte 4).
Ces canons Bède le vénérable les appelle les canons d’un concile
erratique. On l’apprend aussi du pape Serge qui les a réprouvés,
selon Justinien junior (dans son livre des six états du monde).
Il s’ensuit donc que ce sixième chapitre n’ait pas été général,
ou n’ait pas été légitime. Car un concile général ne peut
pas être légitime sans l’autorisation et l’approbation du premier
siège, ce que les Grecs eux-mêmes admettent (synode 7, acte 6).
On peut ensuite se demander comment peut être légitime un concile où
n’a été invité aucun évêque latin ? S’il n’est pas légitime,
il est clair qu’il n’a aucune autorité. S’il est légitime,
mais n’est qu’un concile particulier, il n’a pu faire des lois que
pour ceux qui tombaient sous sa juridiction. Il ne pouvait donc pas
abaisser le siège romain, ni le spolier de son héritage. C’est
pourtant ce qu’il tenta de faire quand il essaya de donner au siège
de Constantinople les mêmes privilèges que possède, de droit, le siège
romain. Car, le siège romain ne fut jamais soumis à un concile
de Grecs. On le démontre par le fait qu’il n’existe aucune loi
impériale, aucun canon ecclésiastique, aucune raison, aucune coutume
que les Grecs peuvent présenter en preuve. Nuls seraient les canons
qui soumettraient le premier siège au deuxième. C’est le gros
bon sens qui le dit. On ne peut donc rapporter aucune histoire
qui établirait que les évêques grecs ou occidentaux aient statué
quoi que ce soit dans l’église romaine, en vertu de la seule autorité
des évêques grecs.
La primauté de l’église romaine ou
c’est le Christ qui la lui a donnée, comme nous le croyons, ou c’est
le concile général de Nicée, comme Nil le prétend. De quel
droit, donc le concile de Trullanus a-t-il pu enlever ce que le Christ
ou un concile général avait accordé ? Il est évident que
la primauté de l’église romaine est rabaissée par la communication
de ses privilèges à une autre église, communication sanctionnée
par le concile de Trullanus. Car il n’est pas supérieur
à tous celui qui a un égal. Ajoutons de plus, que même si, aux
synodes 2 et 4, l’évêque de Constantinople n’avait pas été mis
sur le même pied que celui de Rome, mais n’avait été déclaré que
le second après lui, ce concile n’eut pas été ratifié
pour autant; et cela, tant que l’évêque de Rome le contestait.
Car, au synode 4 quand les Grecs voulurent donner le second rang au siège
de Constantinople, et quand ils alléguèrent comme preuve un décret
du synode 2 célébré autour des années 80, les légats romains répondirent
: « S’ils ont bénéficié de ce privilège depuis les années 80, pourquoi
le réclament-ils maintenant ? S’ils n’en ont jamais bénéficié,
pourquoi le demandent-ils ? » Ils voulaient dire, par ces
mots, que c’était en vain qu’ils alléguaient un décret qui était
sans valeur, du fait qu’il n’avait jamais été appliqué.
Le troisième argument. Parce qu’il
est le premier des patriarches, le pontife romain a du pouvoir sur le second,
celui de Constantinople. Pour une raison semblable, le pontife de
Constantinople a autorité sur celui d’Alexandrie, parce qu’il est
troisième, et celui d’Alexandrie sur celui d’Antioche, parce qu’il
est quatrième. Et celui d’Antioche sur celui de Jérusalem. Mais
cela, aucune raison, aucune loi, aucune coutume ne l’admet.
Je réponds que ce n’est pas parce qu’il est le premier patriarche
qu’il a un pouvoir sur le patriarche de Constantinople et les autres
patriarches, mais parce qu’il est le seul pape de l’Église universelle,
le successeur de Pierre, et le vicaire général du Christ. Un archevêque,
en effet, ne préside pas sur les autres évêques de son diocèse parce
qu’il est le premier évêque, mais parce qu’il est le seul archevêque
de cette province. De la même façon, un patriarche
n’est pas supérieur à tous les autres archevêques qui lui sont soumis
parce qu’il est le premier archevêque, mais parce qu’il est le seul
patriarche de cette région.
Le quatrième argument. Le pontife romain
n’ordonne pas les patriarches, comme les patriarches ordonnent leurs
métropolitains, et les métropolitains leurs évêques.
Il ne préside donc pas sur les patriarches comme les patriarches président
sur leurs métropolitains, et les métropolitains sur leurs évêques.
Je réponds que le pontife romain n’avait pas coutume d’ordonner les
patriarches parce qu’il n’était pas toujours facile pour les patriarches
de se rendre à Rome, ni pour le pape d’aller rencontrer les patriarches
chez eux. Mais, il confirmait leur élection par lettres, comme nous
l’avons montré dans le cas d’Anatole de Constantinople, et de Maximin
d’Antioche. Que cette confirmation ne fût pas une simple formalité
le prouve clairement le cas de Flavien qui ne put jamais détenir l’église
d’Antioche tant que le pape ne lui en eut donné l’autorisation.
Mais il faut noter que la déposition ou le rétablissement des évêques
ne le cède en rien à l’ordination des évêques. Or, ce n’est
pas une seule fois, mais très souvent que le souverain pontife a déposé
et rétabli des évêques, comme nous l’avons montré plus haut.
Même un Nil ne peut pas ignorer que le patriarche de Constantinople Menas
a été ordonné évêque par le pape Agapet, comme Zonaras le rapporte
(dans la vie de Justinien.)
Le cinquième argument. Le synode
de Nicée (canon 6) a déterminé quelles seraient les régions que gouverneraient
les patriarches. A l’évêque de Rome, il a donné
l’Occident, à celui d’Alexandrie, l’Égypte, la Lybie et la Pentopolis,
à celui d’Antioche, la Syrie et la Mésopotamie. Le pontife
de Rome ne doit donc pas, à lui seul, tout régir, et commander aux patriarches.
Je réponds que le concile de Nicée n’a assigné au pontife romain aucune
région en particulier. Car, ce que Nil dit au sujet de l’Occident,
il l’a appris de l’interprétation de Balsomis, non du canon du concile
lui-même. Car dans ce canon, on ne trouve rien au sujet du souverain
pontife, si ce n’est cette phrase que cite Nil lui-même : « parce que
cela, pour l’évêque romain aussi, est la coutume. » Puisque
ces paroles donnent la raison pour laquelle l’Égypte, la Lybie
et la Pentapolis devaient, selon l’antique coutume, être soumises
à l’évêque d’Alexandrie, elles ne peuvent donc pas avoir
d’autre sens que celui-ci : parce que l’évêque de Rome a coutume
de confier à l’évêque d’Alexandrie le gouvernement de ces trois
provinces. De plus, si le concile de Nicée avait l’intention
de définir le pouvoir de l’évêque de Rome, pourquoi n’a-t-il pas
commencé par lui ? Pourquoi a-t-il commencé par l’évêque
d’Alexandrie, qui était le deuxième? Et pourquoi n’a-t-il
pas nommé la région qu’il attribuait au pontife romain ?
Ajoutons que, même si le concile de Nicée avait dit, en termes clairs
et nets, que l’Occident relève en propre du pontife romain, Nil
n’aurait encore rien encore gagné, car cela aurait pu s’entendre du
patriarcat du pontife romain, qui s’ajoute à son gouvernement de toute
l’Église. Il faut observer enfin que Nil écrit que l’Occident
doit être soumis au pontife romain. Ce que son fidèle interprète
Illyricus a omis de dire pour ne pas être, par le témoignage de Nil lui-même,
contraint de se reconnaître le sujet du pontife romain.
CHAPITRE 19
On prouve la même chose avec des lois, des dispenses et des censures.
On peut tirer le septième argument
du pouvoir que l’évêque de Rome possède sur ses enfants, même
les plus puissants et les plus nobles, de faire des lois, de dispenser
des lois, et de punir. Au sujet des lois, on peut donner plusieurs
exemples, car rares sont les pontifes qui n’ont pas émis de décrets.
Saint Léon le grand écrit aux évêques de Campanie, de Picène, et de
Thuscia. Voici ce qu’il dit à la fin de la lettre : « Cette monition
déclare que si quelqu’un des frères venait à l’encontre de ce qui
a été statué, ou cherchait à s’y opposer de quelque manière, ou
osait admettre ce qui a été prohibé, qu’il sache qu’il sera privé
de sa charge. » Et plus bas : « Toutes les décrétales définies
par Innocent de bienheureuse mémoire, et les canons disciplinaires ou
sacramentaux de nos prédécesseurs nous demandons à votre dilection
de les conserver. Si quelqu’un venait à les mépriser, qu’il sache
que le pardon lui sera refusé. » Le même (dans l’épitre 81
aux évêques d’Alexandrie). Il leur prescrit deux lois, en se
servant des mêmes mots dans chacun des deux cas : « Nous voulons que
vous gardiez aussi cela. » Le pape Hilaire présidant un concile
romain : «Qu’il ne soit permis à personne, sans qu’il soit en danger
de perdre son statut, de se comporter témérairement envers les constitutions
divines, ou les décrets du siège apostolique. » Le pape Anastase
junior écrit à l’empereur Anastase : « Qu’on ne résiste pas, par
orgueil ou entêtement, à ce qui a été ordonné par l’église
romaine, l’autorité apostolique. Que ses ordres soient plutôt
exécutés par obéissance, si vous voulez être en communion avec
la sainte église de Dieu, qui est votre tête. » Saint
Grégoire (dans le privilège qu’il a donné au monastère de saint Médard,)
dit, à la fin : « Si quelqu’un parmi les rois, les juges, ou les séculiers
violait des décrets de notre pouvoir papal et de notre autorité
apostolique, qu’il soit privé de son honneur ! »
Au sujet des dispenses, nous avons un
exemple dans l’épitre 1 de Gélase, (car nous omettons volontairement
les plus récents, qui sont innombrables) : « Nous, contraint
par la nécessité, et poussé par la prudence du siège apostolique,
nous vous demandons de peser avec circonspection les décrets des
canons paternels, de jauger les préceptes de nos prédécesseurs,
pour que nous tempérions par une réflexion appropriée, et
en autant que cela se peut, ce que la nécessité des temps demande de
relâcher pour la restauration des églises. » Et il donne un grand
nombre de dispenses au même endroit. De même, saint Grégoire
(livre 12, pitre 31). Il dit à l’évêque de Sicile Félix, qu’il
a donné aux Anglais des dispenses sur les degrés prohibés de mariage,
ainsi qu’aux Siciliens, pour qu’ils ne célèbrent un concile
qu’une fois par année, alors que les lois obligent de célébrer
un concile deux fois par année. Or, cette règle, dont saint Grégoire
a dispensé les Siciliens, est le canon 5 du concile général 1.
Au sujet des censures, il y en
a plusieurs exemples, dont certains très anciens. Quand il apprit
que saint Jean Chrysostome était mort, Innocent 1 excommunia l’empereur
Arcade et Eudoxie, son épouse, qui ne permirent pas que le saint soit
rétabli dans son église, comme Innocent l’avait ordonné. Témoigne
encore aujourd’hui de ce fait la lettre d’Innocent à Nicéphore (livre
13, chapitre 34). On ne peut pas nous objecter l’excommunication
d’un empereur faite par Ambroise, un simple évêque. Car,
n’étant pas pape, saint Ambroise la fit cette excommunication dans son
église à lui, au moment où l’empereur avait son siège à Milan.
Mais saint Ambroise n’osa jamais excommunier quelqu’un en dehors de
son diocèse; tandis que le pape Innocent excommunia des empereurs siégeant
à Constantinople, ainsi que des résidants de Constantinople.
Grégoire 11 excommunia lui aussi l’empereur grec Léon, comme l’atteste
Zonara dans la vie de Léon Isaurien. Nicholas 1 menaça d’excommunication
le roi Lothaire, et excommunia en même temps sa concubine Valdrade, ainsi
que les archevêques de Cologne et de Trèves. Les magdebourgeois
font un récit mensonger de cette histoire (centurie 9, chapitre 8) quand
ils disent que c’est injustement que le pape Nicholas a vexé le roi
Lothaire et les dits archevêques. Car, comme l’écrivent Rhegino
(livre 2), Otto Frisingensis (livre 6, chapitre 3), et Sigebert (dans sa
chronique, 862), Lothaire haïssait son épouse Thietbergam et adorait
sa concubine. Après avoir suborné de faux témoins, il convainquit
sa femme d’inceste, la répudia par l’autorité des archevêques de
Cologne et de Trèves, et prit sa concubine pour épouse légitime.
Cela, les dits archevêques l’ont confessé dans un concile à
Rome.
Donc, s’ils veulent que Lothaire et
les archevêques soient justes, les magdebourgeois devront accuser
saint Paul qui enseigne (1 Cor 7) que, même pour cause de fornication,
on ne peut, du vivant de l’épouse légitime, en épouser une autre.
Et que dire alors de ce que l’épouse de Lothaire n’avait pas péché,
mais avait été condamnée par de faux témoins ! Parce qu’ils
veulent à tout prix trouver le pape en tort, les magdebourgeois
ont-ils le droit de fabriquer de faux témoignages ?
Mais nous avons un exemple encore plus illustre et plus ancien. Quand
Pie 1 eut décrété qu’on ne célèbrerait pas Pâques avec les Juifs
le quatorzième jour du premier mois, mais le dimanche suivant, et que
certains asiatiques eurent refusé d’obtempérer, le pape Victor 1 les
excommunia tous, en l’an 190, comme le rapporte Eusèbe dans son histoire
(livre 5, chapitre 24). Mais Calvin nous objecte (livre 4 des
institutions, chapitre 7, verset 7) que saint Irénée l’a supplié de
retirer son excommunication; que le pape obéit, sans protester,
à celui qui lui demandait une chose juste. Que saint Irénée et
plusieurs autres aient supplié Victor de ne pas séparer de l’unité
du corps ecclésiastique un si grand nombre d’églises pour une si petite
raison, le même Eusèbe l’atteste. Mais que Victor ait changé
d’avis, on ne le lit nulle part. Mais même si Victor avait changé
d’avis, Calvin ne pourrait pas chanter victoire, car nous lui rétorquerions
qu’il les avait déliés par la même autorité qu’il les avait liés.
De plus, l’intervention d’Irénée
et des autres n’affaiblit pas notre argument, mais le renforce plutôt.
Car, comme ils étaient plus nombreux ceux à qui déplaisait la décision
du pape, ils auraient pu d’autant plus facilement la mépriser,
ou même excommunier Victor, s’ils avaient pensé que le pape était
un évêque parmi d’autres, et non plutôt la tête et le juge de tous.
Mais il n’y eut personne qui enseignât que la décision du pape était
nulle et non avenue, que Victor devait être condamné et excommunié.
Personne non plus ne l’a averti de ne pas transgresser ses limites, et
de ne pas juger ceux qui ne dépendaient pas de lui. C’est
ce qu’on lui aurait d’abord reproché, si on ne l’avait pas considéré
comme le juge de tous. Quelques-uns pensèrent donc qu’il
avait fait ce qu’il pouvait, mais non ce qu’il devait.
Tel semble bien être le sens des paroles d’Eusèbe : « Nous ont été
conservées les lettres de ceux qui lui ont fait des reproches salés,
comme à quelqu’un qui ne se soucie pas de maintenir la paix des églises.
»
Mais il faut noter que même si Irénée
et d’autres pensèrent alors que Victor avait agi imprudemment, il n’en
avait pas moins agi avec prudence, comme toute l’Église le jugea après
coup. Car un des principaux promoteurs de la coutume qui veut
célébrer Pâque avec les Juifs a été Blasius. Or, c’est de
cette façon qu’il voulait introduire peu à peu le judaïsme, comme
l’écrit Tertullien dans les prescriptions : « Blasius voulut introduire
le judaïsme en catimini, car il disait qu’on ne pouvait pas célébrer
la Pâque autrement que selon la loi de Moïse, le quatorzième jour du
premier mois. » Ce Blasius commença à semer son hérésie au temps
du pape Victor, comme l’atteste Eusèbe (livre 5, chapitre 15 de son
histoire). Le pape Victor voyait donc que cette diversité de célébration
de la pâque n’était pas seulement une façon différente de célébrer
la même chose, mais qu’elle était porteuse d’une hérésie, le judaïsme.
Il pensa donc que le temps était venu de lui faire face. Les pères
du concile de Trente approuvèrent la décision du pape Victor (comme on
le voit dans la vie de Constantin d’Eusèbe, livre 3), et déclarèrent
même hérétiques les quartodécimans, qui pensaient le contraire,
comme l’enseignent Épiphane (hérésie 50), et saint Augustin
(hérésie 29).
CHAPITRE 20
On prouve la même chose avec les vicaires du pape
On tire le huitième argument des nombreux
vicaires, ordinaires ou temporaires, qu’avait le pape dans diverses régions,
et qui se réservaient les causes majeures. Du fait que le roi envoie
de ses représentants dans les provinces, on conclut que ces provinces
lui sont soumises. De même aussi, du fait que c’est
le roi qui accorde aux préfets des provinces le pouvoir de juger,
en se réservant certaines causes, nous en déduisons qu’il est
le juge suprême. Il en est ainsi pour l’Église. Du fait
que le siège apostolique a eu des vicaires dans toutes les régions
éloignées, ou des légats pour une affaire particulière, mais se réservait
les cas les plus graves, on conclut avec raison que le juge suprême de
toute l’église est le siège apostolique. Les exemples sont nombreux.
Saint Léon (épitre 84) fait d’Athanase, l’évêque de Thessalonique,
son vicaire pour l’Orient, comme ses prédécesseurs l’avaient été
pour les prédécesseurs de saint Léon, comme lui-même l’indique.
Il semble que c’est pour cette raison qu’on ait statué, dans le concile
de Sarde, que les clercs étrangers ne devaient pas s’attarder
longtemps dans la ville de Thessalonique. Car, c’est là
que siégeait le vicaire du pape, là que les clercs confluaient de toutes
les villes de la Grèce; et il leur arrivait parfois d’y séjourner
plus longtemps qu’il n’aurait fallu. Le même (épitre 87) envoya ses
représentants à l’évêque Potence, dans les régions d’Afrique.
Le pape Célestin manda saint Cyrille
d’Alexandrie pour qu’il juge Nestor, évêque de Constantinople, et
qu’il ordonne que l’église de Constantinople soit remise aux
mains de l’évêque déposé (tome 4 des œuvres de saint Cyrille d’Alexandrie,
et lettre de saint Cyrille au clergé et au peuple de Constantinople.
Gélase, (dans sa lettre aux évêques de Dard) : « Pourquoi
Acacius n’a-t-il pas cherché à référer au siège apostolique, alors
qu’il savait très bien que c’est par lui qu’il avait été mandaté
pour prendre soin de ces provinces ? » Il parle de l’évêque
de Constantinople Acace, à qui le pontife romain avait confié la
charge pastorale de toute l’Égypte, et qu’il avait délégué
pour qu’il dépose l’évêque d’Alexandrie. Hormisdas, dans
sa lettre à Saluste, évêque d’Espagne, fait de lui son vicaire pour
la Boétie et la Lusitanie. Justinien (dans la collation authentique
9, titre 6, ou dans la nouvelle constitution 131), écrit que l’évêque
de la première Justinienne doit présider dans certains lieux en tant
que vicaire du pontife romain, parce que c’est ainsi que le pape Vigile
l’a voulu. Grégoire (livre 4, épitre 52,) établit, pour être
son vicaire dans les Gaules, Virgile, évêque d’Arles, et se réserve,
lui aussi, les causes les plus graves.
CHAPITRE 21
On prouve la même chose avec le droit d’appel
On peut tirer un neuvième argument du
fait que de toutes les parties du globe chrétien, on puisse faire appel
légitimement au pontife romain; et que ses décisions sont sans appel.
Voilà donc un argument très certain de la principauté romaine, comme
Calvin lui-même le reconnait. Il écrit, en effet (dans livre 4,
chapitre 7, verset de 9 de ses institutions) : « Le pouvoir suprême se
trouve auprès de celui qui attire tous à son tribunal. » Mais il ajoute
ensuite : « Plusieurs ont souvent fait appel au pontife romain.
Il a lui-même cherché à provoquer ces appels, mais on s’est toujours
moqué de lui à chaque fois qu’il parvint à ses fins. » Calvin
veut donc que le pape en ait appelé plusieurs à son tribunal pour qu’ainsi
ils se soustraient à leurs juges légitimes. Mais, selon lui,
ces appels furent dérisoires. Comment se moquerait-on de quelqu’un qui,
après avoir été condamné par l’évêque de Florence, ferait appel
à l’évêque de Milan ? Ou de quelqu’un qui, après avoir été
condamné par le roi d’Espagne, en appelle au roi de France ? Il
faut donc prouver qu’on pouvait légitimement faire appel au souverain
pontife, et que ces appels n’étaient pas dérisoires. On
le prouve d’abord avec le concile de Sardes, qui fut un concile général
que l’Église a de tout temps reçu. Car Sulpice (livre 2
de l’histoire sacrée) raconte que toutes les églises du monde y furent
convoquées, et Socrate (livre 2, chapitre 16, histoire générale) l’appelle
un concile général. De plus, comme l’écrivent Athanase (au début
de son apologie 2) et Hilaire de Poitiers (dans son livre sur les synodes),
300 évêques catholiques y participèrent, provenant de trente-six
provinces du monde chrétien. Saint Athanase les énumère toutes,
comme l’Italie, la Gaule, l’Espagne, la Grande Bretagne, l’Afrique,
l’Égypte, la Syrie, la Thrace, la Panonie, etc. Les légats
du pape Jules furent présents, comme le note aussi Athanase.
Que les décrets de ce synode soient obligatoires pour tous, les dernières
paroles du synode l’indiquent assez clairement : « Les choses qui ont
été décrétées ici que les observe l’Église catholique répandue
par toute la terre. » Même les magdebourgeois considèrent ce concile
comme légitime (centurie 4, chapitre 9).
Or, dans ce synode, on trouve deux canons
qui traitent de notre sujet, le quatrième et le septième. Voici quelle
est la teneur du quatrième canon : « Quand un évêque aura été déposé
par le jugement d’évêques qui demeurent dans la même région, et déclarera
qu’il lui faut plaider sa cause dans la ville de Rome, on n’installera
pas un autre évêque dans l’église de celui qui a porté appel à Rome,
tant que la cause n’aura pas été tranchée par le jugement de l’évêque
de Rome. » Septième canon : « Si un évêque accusé, jugé
et dégradé par les évêques de sa région se réfugie auprès
de l’évêque de Rome pour y plaider sa cause, et si l’évêque de
Rome juge qu’il est juste de l’entendre, qu’il daigne écrire aux
évêques qui demeurent dans la même province que l’accusé, qu’il
leur demande de faire une enquête soigneuse, et de porter un jugement
conforme aux faits et à la vérité. Si celui qui demande
qu’on rouvre son procès parvient par ses supplications à amener le
pontife romain à envoyer un légat, ce que voudra et estimera ce dernier
fera loi. Et si le pape décide d’envoyer des légats, ayant
son autorité, qui jugeront avec les évêques, libre à lui.
S’il pense que les évêques peuvent à eux seuls, mener à bien la chose,
qu’il agisse en tout selon son jugement inspiré par la prudence et la
sagesse. »
On le prouve ensuite avec Gélase qui
écrit, dans son épitre à Faust : « Voilà quels sont les canons qui
statuent, que, de toutes les églises, on puisse faire appel au jugement
de ce siège, et qu’on ne puisse jamais faire appel de sa décision ».
Et dans son épitre aux évêques de Dard : « Les canons ont voulu qu’on
fasse appel à elle de toutes les parties du monde, et qu’on ne fasse
jamais appel de ses décisions. » On le prouve, troisièmement,
par les exemples de ceux qui ont fait appel. Car, même avant le
concile de Sardes, la coutume était en vogue de faire appel à l’évêque
de Rome, comme le dit avec raison le pape Léon (dans son épitre 89 aux
évêques de Gaulle). Il dit même que c’est « une coutume très ancienne
». L’an 112 du Christ, pendant le pontificat de Pie 1, Marcion
vint à Rome après avoir été excommunié par son évêque du Pont, comme
Épiphane le rapporte (hérésie 42). L’an 252, sous le pontificat
de Corneille, les africains Fortunat et Felix franchirent la Méditerranée,
se rendirent à Rome, et firent appel au pape. C’est saint Cyprien
lui-même qui le raconte (livre 1, épitre 3). Un peu après, sous
le pontificat de Stéphane, Basilide en appela au pape, après avoir
été déposé en Espagne (Cyprien, livre 1, épitre 4). L’an 350,
sous le pontificat de Jules, saint Athanase fit appel au pape après avoir
été déposé par des évêques orientaux, et il fut rétabli, comme nous
l’avons montré plus haut (Sozomène, livre 3, chapitre 7). Ce
jugement du pape a été porté avant le concile de Sardes, comme l’atteste
Athanase au début de son apologie.
Après l’an 400, sous le pontificat
d’Innocent 1, saint Jean Chrysostome a fait appel au pape après avoir
été déposé par Théophile, comme il appert des lettres que les deux
ont écrites au pape. De même, au même siècle, l’évêque Flavien
de Constantinople a fait appel au pape Léon, comme l’écrit Liberatus
dans son bréviaire (chapitre 11). Theodoret fit appel au même,
comme son épitre au pape le démontre. Après l’an 500, saint
Grégoire (livre 2, épitre 6), prive de la sainte communion Jean, évêque
grec de la première justinienne, parce qu’il avait condamné un
évêque thébain qui avait fait appel au siège apostolique.
J’omets les témoignages des temps postérieurs, parce que les hérétiques
n’ont pour eux que du mépris. Mais le temps est venu de réfuter
les arguments de Nil, d’Illyricus et de Calvin.
CHAPITRE 22
On réfute les arguments de Nil sur le droit d’appel
Nil prétend pouvoir prouver à l’aide
de deux arguments qu’on peut faire appel à l’évêque de Constantinople
comme on faisait appel à l’évêque de Rome; que ces deux évêques
étaient donc égaux, et que l’évêque romain n’était pas le seul
à présider à toute l’église. Le premier argument. Le
synode 6 concéda à l’évêque de Constantinople des privilèges égaux
à ceux que possédait l’évêque de Rome. Mais on a déjà réfuté
cet argument plus haut. Le deuxième. Il le tire
du concile de Chalcédoine (canons 9 et 17), qui statue que
si un clerc a un malentendu avec un autre clerc, c’est à son évêque
à porter un jugement. S’il a un différend avec un évêque, c’est
à leur archevêque de juger. Si le différend est avec un
autre archevêque, c’est à l’archevêque de Constantinople de juger.
Le jugement suprême est donc réservé à l’évêque de la ville impériale.
Je réponds qu’on ne perçoit pas clairement le sens du canon.
Que veut-il dire par premiers diocèses, ou évêques primatiaux ? Un certain
archidiacre et Jean de Turrecremata (sur le canon si clericus 11, question
1) enseignent qu’un évêque diocésain primatial est plus
grand et plus digne qu’un archevêque, mais moindre qu’un patriarche.
Et le pape Nicolas (dans l’épitre à l’empereur Michaël) écrit que
par évêque primatial on ne peut entendre nul autre que l’évêque romain.
Cette opinion semble plus vraie parce que son auteur est plus grave, plus
ancien, plus docte, d’autant plus qu’il n’est pas facile de prouver
que, au temps du concile de Chalcédoine, il y ait eu dans l’Église,
surtout en Orient des évêques primatiaux (primats) distincts des
archevêques et des patriarches. Car le premier sens du mot grec
exarkos ne signifie pas d’abord primat, mais prince. Ce mot s’applique
donc plus naturellement au souverain pontife qu’à ces évêques primatiaux.
Car il est le seul à être le prince de n’importe lequel diocèse chrétien.
Je réponds ensuite que le sens de ce
canon est correctement donné par le pape Nicolas (au lieu cité).
Le concile a déclaré que celui qui aurait un différend avec son métropolitain
aille au prince des diocèses, c’est-à-dire au pontife romain.
S’il est près de la ville de Constantinople, et se contente du jugement
donné par l’évêque du lieu, qu’il aille le voir. En
conclusion, la loi générale statue sur l’appel au pontife romain, et
permet à ceux qui sont près de Constantinople de porter leur cause devant
l’évêque de cette ville. On peut répondre, en deuxième lieu,
que tous ces canons n’ont pour nous de force que dans la mesure où ils
sont sanctionnés par les papes. Car, saint Léon dans son épitre
59 au concile de Chalcédoine, écrit qu’il a approuvé ce concile seulement
en ce qui a trait à l’explication de la foi. Et Liberatus, dans
son bréviaire, chapitre 12, atteste que tous ces canons ont été votés
en l’absence des légats du pape, qui avaient jusque-là présidé le
synode. De plus, la coutume, qui est l’interprète des lois,
enseigne ouvertement qu’il ne fut jamais permis d’en appeler au
patriarche de Constantinople, si ce n’est par ceux qui tombaient sous
sa juridiction. Personne, en effet, ne peut présenter d’exemple
qu’on ait, de l’occident, du midi ou du septentrion, fait
appel à une église orientale.
Troisièmement, même si on concédait
que, selon ces canons, il était possible de recourir de partout
à l’église de Constantinople, il ne s’ensuivrait pas que l’évêque
de cette ville soit égal à celui de la ville de Rome. Car, d’après
les canons de ce concile de Chalcédoine, l’évêque de Constantinople
ne peut juger que ceux qui se sentent lésés par leur métropolitain.
Mais peuvent avoir recours au pape ceux qui sont lésés par des patriarches,
par des conciles généraux, même les plus grands en nombre et en dignité,
comme on le voit dans les cas d’Athanase, de Paul, de Chrysostome, de
Flavien et de Théodoret. Ajoutons, enfin, que ce canon du
concile de Chalcédoine ne porte pas sur le droit d’appel, mais sur le
premier jugement, ce dont Nil ne s’est pas rendu compte.
Car, même si l’archevêque de Constantinople avait le droit de
juger toutes les causes provenant de toutes les églises, il est permis,
selon les canons du concile de Sardes, de faire appel de son jugement auprès
de l’évêque de Rome. Les canons du concile de Chalcédoine ne
contredisent donc pas ceux de Sardes. Car, le jugement ultime est
toujours réservé à l’évêque de Rome.
CHAPITRE 23
On réfute le premier argument des luthériens
Venons-en maintenant aux arguments des
luthériens. On nous objecte un passage de saint Cyprien (livre 1 de l’épitre
3) où il dit : « Car, comme il a été statué par nous tous, et comme
il est autant équitable que juste que chaque cause soit entendue là où
le crime a été commis, etc, il importe donc que ceux sur
lesquels nous présidons ne courent pas ici et là. » Et plus bas
: « À moins que, aux désespérés et à ceux qui ont tout perdu, semble
inférieure l’autorité des évêques constitués en Afrique. »
Il réprouve là ceux qui ont fait appel au pontife romain, et prouve
qu’on ne doit pas faire appel à Rome, soit parce qu’ainsi l’a statué
un concile d’évêques africains, soit parce que l’autorité des évêques
africains n’est pas moindre que celle du pontife romain.
Je réponds que Cyprien a mal pris les appels à Rome de ceux qui avaient
été jugés et convaincus de crimes manifestes. Ce n’est pas l’appel
lui-même qu’il rejetait. C’est ce que nous fait comprendre
le livre 1, épitre 4, où, en parlant de Basilide, qui, condamné en Espagne,
avait fait appel au pape, Cyprien écrit : « Celui qu’il faut blâmer
ce n’est pas tant celui de qui on a arraché, par inadvertance,
un pardon, que celui qui l’a arraché frauduleusement. » Il est
certain que s’il ne reconnaissait pas de droit d’appel à Stéphane,
il ne l’aurait certainement pas jugé coupable de ne pas avoir rejeté
l’appel, même si Basilide avait eu une cause juste.
Au sujet de ce que dit Cyprien « que
chaque cause doit être entendue là où le crime a été commis », le
sens de ce décret est que le premier jugement doit être porté d’abord
à l’endroit où le crime a été commis. Il n’exclut pas qu’un
autre jugement soit porté ensuite ailleurs. Mais, tu diras que,
par ce décret, Cyprien fait la preuve qu’on ne devait pas faire appel
outremer, que les appels étaient prohibés. Je réponds que Cyprien
ne parle pas uniquement de l’appel au pape, mais des crimes manifestes
des coupables. Voici comment Cyprien raisonne. En vertu du
décret du concile, chacun doit être jugé à l’endroit où le crime
a été commis. Le procès a déjà eu lieu, et leurs crimes ont
été clairement démontrés. Pourquoi donc en appellent-ils à Rome
si ce n’est pour surprendre le pontife romain, ou vexer les évêques
qui l’ont jugé.
Ajoutons que si ce décret interdisait
les appels outremer, ce ne sont pas seulement les appels à Rome qui seraient
interdits, mais à un juge quelconque, comme le reconnaissent les
magdebourgeois (centurie 3, chapitre 7, colonne 176), et comme les mots
eux-mêmes le laissent entendre, généraux comme ils sont. Et ce
serait une loi absurde et ridicule qui prohiberait tout appel, car dans
quelle république de banane serait tolérée une loi qui ne permettrait
pas de faire appel ? Donc, comme les centuriates attribuent cette
loi à l’église de Dieu qui est une république régie avec sagesse,
ne montrent-ils pas qu’ils sont, eux, illogiques et ridicules
? Et au sujet de cette autre réflexion de saint Cyprien selon laquelle
l’autorité des évêques d’Afrique n’est pas inférieure à celle
de l’évêque de Rome, je réponds que la comparaison ne porte
pas sur les évêques, mais sur la cause en question. Et voici quel
en est le sens. L’autorité des évêques africains n’est
pas si faible qu’elle n’ait pas ce qu’il faut pour entendre
cette cause.
CHAPITRE 24
On réfute trois arguments
En deuxième lieu, ils nous objectent
un texte de Damase. Dans son épitre à Théophile et à Anysius
(qui est la 79ième parmi les épitres de saint Ambroise), il écrit :
« Comme les juges du concile provincial de Capoue ont déjà porté un
jugement sur Bonosus et ses accusateurs, nous vous avertissons qu’on
ne peut pas porter la cause devant notre tribunal. » Je réponds
d’abord que cette lettre n’est pas du pape Damase, et que c’est à
saint Ambroise que, dans ses œuvres, elle est attribuée. Mais elle
ne peut pas non plus être de lui, car elle fait mention d’un Ambroise
qui serait une personne différente. On ne sait donc pas de qui elle est.
Je réponds ensuite que, à supposé qu’elle soit de Damase, comme plusieurs
le pensent, ce Damase ne dit pas qu’il ne peut pas juger, mais
qu’il ne convient pas qu’il juge de nouveau ce qui a été bien jugé.
Car, même si le pontife est le juge suprême, il ne convient pas que,
quand un concile provincial a statué quelque chose, il juge autrement
sans raison suffisante.
En troisième lieu, Calvin (livre 4, chapitre
7, verset 9 des institutions), nous objecte le canon 22 du
concile de Milet : « S’ils pensent devoir faire appel de leurs évêques,
qu’ils ne fassent appel qu’aux conciles africains, ou aux métropolitains
de leurs provinces. Celui qui pense à faire appel outremer
ne sera pas, en Afrique, reçu en communion par personne. »
Quelques-uns répondent avec Gratien (2 question 6, canon placuit), en
ajoutant : « à moins qu’il s’agisse d’un appel au siège
romain ». Mais, cette exception ne semble pas justifiée, car c’est
précisément à cause de l’église romaine que les évêques africains
statuèrent qu’il ne fallait pas faire appel outremer. Les africains
n’ont jamais donné d’autre sens à l’expression outre mer que l’église
romaine. Il n’est pas nécessaire de se réfugier dans ces
explications sans issue, quand la réponse obvie est à la portée de la
main. La réponse est donc celle-ci. Ce canon ne se rapporte
pas à ce qui est en jeu. Car, la question des appels aux pontifes
romains ne porte pas sur les appels de prêtres ou de clercs mineurs, mais
d’évêques. En effet, le concile de Sardes, qui voulut que les
évêques puissent en appeler au pape (canons 4 et 7), voulut aussi que
les prêtres et les clercs mineurs en appellent aux évêques voisins,
c’est-à-dire qu’il était permis aux prêtres d’en appeler de leurs
évêques à d’autres évêques de leur région (canon 17).
Ces deux canons, le pape Zozime a bien voulu les sanctionner de son autorité,
et a vu à ce qu’ils soient appliqués en Afrique, comme le montrent
le concile de Carthage 6, et l’épitre du même concile du pape Boniface.
Or, ce canon 22 du concile de Milet parle
des prêtres et des ordres mineurs, et non des évêques, comme nous l’explique
saint Augustin, qui y fut présent, mais qui écrit dans la lettre 162
qu’il est permis aux évêques africains de faire appel outre mer, mais
non aux clercs mineurs. C’est ce que nous font comprendre les mots
eux-mêmes du concile : « Il a plu au concile que les prêtres, les diacres,
et les autres clercs inférieurs dans les causes qu’ils auront.. »
Voilà pourquoi Innocent 1 a approuvé tout le concile de Milet (dans son
épitre 93 au concile). Car, il ne l’aurait certainement pas approuvé
s’il y avait détecté quoi que ce soit qui déroge au siège apostolique.
C’est ici qu’apparaissent l’ignorance et l’arrogance de Calvin,
lui qui, au lieu cité, enseigne que Zozime a fait en sorte que ce canon
du concile de Milet soit corrigé par le canon 6 du concile de Carthage.
Mais c’est le contraire qui est vrai. Zozime a ordonné que ce
canon soit confirmé et mis en pratique. Mais, tu diras : s’il
en est ainsi, de quel droit les pontifes romains ont-ils accueilli l’appel
du prêtre Apiarius d’Afrique, et l’ont-ils rétabli dans sa dignité,
comme le rapportent les africains dans leur lettre à Boniface, et dans
d’autres à Célestin ? Je réponds que même s’il était interdit
aux clercs inférieurs de faire appel de leurs évêques à Rome, il n’était
pas interdit au souverain pontife de les admettre s’il le voulait.
De plus, ce que les pontifes romains ont fait ce n’est pas tant d’accepter
de les juger que d’écouter leurs doléances, et de demander aux évêques
africains de bien se renseigner et de juger en conscience. De ces
deux lettres on déduit qu’Apiarius est venu deux fois à Rome, qu’à
chaque fois il a été renvoyé en Afrique, et que c’est par un concile
africain qu’il a été jugé après son retour de Rome.
En quatrième lieu, Calvin (livre 4, chapitre
7, verset 10 des institutions) nous objecte une lettre (162) de saint Augustin,
où nous lisons que la cause de Célestin a été jugée par le pape et
par d’autres sur l’ordre de l’empereur; qu’elle a été ensuite,
sur l’ordre du même empereur, jugée une deuxième fois par l’évêque
d’Arles, et une troisième fois par l’empereur. Or, si
le pape est juge de droit divin, pourquoi ne juge-t-il pas de lui-même,
mais seulement sur l’ordre de l’empereur ? De même, si on ne
peut pas faire appel de sa décision, pourquoi a-t-on fait appel
dans le cas de Célestin, et pourquoi, après la sentence du pape, a-t-il
été jugé par l’évêque d’Arles, et par l’empereur ? Enfin,
pourquoi dans son premier jugement, le pape a-t-il supporté
que des associés lui soient imposés par l’empereur ? Je réponds
d’abord au premier point. Le pape n’a jugé Célestin que quand
l’empereur l’a voulu, parce que les donatistes n’avaient pas porté
la cause devant le pape, comme ils auraient du, mais devant l’empereur.
Qu’ils aient mal agi en cela, c’est ce que saint Augustin enseigne.
Il ajoute même qu’on ne saurait trop louer le comportement de l’empereur,
car il n’osa pas juger la cause qui avait été portée devant son tribunal,
mais l’a remise au pape. Au second point je réponds que le pape
a permis que siègent avec lui des représentants de l’empereur pour
complaire aux donatistes qui n’avaient pas confiance au pape. Au
troisième point, je réponds que l’évêque d’Arles et l’empereur
ont jugé après le jugement du pape non parce qu’il le fallait, mais
pour fermer la bouche aux donatistes. Et, comme le rapporte encore
saint Augustin, l’empereur s’excusa auprès des évêques
d’avoir à entendre cette cause malgré lui.
CHAPITRE 25
On réfute le dernier argument
Calvin (lieu cité), les magdebourgeois
(centurie 3, chapitre 9), et même les Grecs dans le concile de Florence
(session 29) et surtout Illyricus (dans son livre de l’histoire, concile
6 de Carthage,) pensent avoir trouvé un argument irréfutable tiré de
l’histoire du concile 6 de Carthage, dont voici un résumé.
Le pape Zozime demanda aux Africains par ses légats qu’ils mettent
en application trois canons du concile de Nicée : l’un portant sur le
droit d’appel des évêques à l’évêque de Rome; l’autre portant
sur l’appel des clercs inférieurs aux évêques proches; le troisième,
sur l’interdiction d’aller au palais de l’empereur. Après
avoir reçu ces demandes du pape, les africains convoquèrent
un concile national de 217 évêques, et répondirent au pape Boniface,
qui avait succédé à Zozime, qu’ils ne trouvaient pas ces canons dans
le concile de Nicée, et qu’ils avaient écrit aux patriarches orientaux
de Constantinople et d’Alexandrie pour qu’ils leur envoient des
exemplaires authentiques du concile de Nicée; et qu’entre temps, ils
observeraient ces canons, jusqu’à ce qu’ils aient pris connaissance
des originaux. Cyrille d’Alexandrie et Atticus de Constantinople
envoyèrent enfin les exemplaires en question, mais on n’y lut pas les
trois canons, seulement les 20 qu’on trouve dans l’histoire de Ruffin
(livre 10, chapitre 6), comme aussi le raconte Cyrille dans sa lettre aux
Africains.
N’ayant pas trouvé des canons dans
les exemplaires reçus d’Orient, les évêques africains écrivirent
au pape Célestin, qui avait succédé à Boniface, que ses canons ne faisaient
pas partie du concile de Nicée. Ils avaient donc de la difficulté
à accepter les appels à Rome. On trouve cela dans le concile
6 de Carthage, et dans les deux lettres. Mais nous n’avons
pas, par écrit, ce que le pape a répondu. À propos de cette
histoire, Illyricus et les magdebourgeois débitent une foule de mensonges,
et en tirent deux arguments. En ce qui a trait aux protagonistes,
Illyricus dans son histoire, travestit les noms des papes de cette histoire,
car il appelle souvent Innocent le nuisant, Boniface, le malfaisant, Célestin,
l’infernal, et Léon le loup infernal ou le lion rugissant. Pour
répliquer à ce burlesque et à cette surenchère, il suffit de
lire les actes eux-mêmes du concile carthaginois, et les épitres
du concile à Boniface et Célestin, qu’il rapporte entièrement dans
son libelle. Les pères africains parlent avec plus de respect et
plus de gravité qu’eux. Voyez ensuite les louanges que décerne
à ces pontifes saint Augustin (épitre 157 à Optatus, et livre
1 à Boniface et Prospère, à la fin du livre contre Collat.)
Dans le livre d’Illyricus, il y a autant
de mensonges qu’il y a de phrases. Quelques-uns suffiront.
Il dit, au début de son livre, que Prospère et Orose ont été
présents avec saint Augustin au sixième synode de Carthage. Or
les noms de Prospère et d’Orose ne figurent pas dans le concile.
Ils ne pouvaient pas, non plus, prendre part à un concile africain car
ils n’étaient ni africains, ni évêques, et parque ce concile,
bien entendu, ne regroupait que des évêques africains. Il affirme
un peu après qu’Eulalius avait été élu en même temps avec le pape
Boniface. Mais cet Eulalius qui avait été élu par la majorité
du peuple et du clergé, fut d’une telle modestie qu’il céda spontanément
sa place, alors que le pontificat lui appartenait de droit. C’est
sans témoignage qu’Illyricus raconte ces choses, tandis que nous pouvons,
nous, citer Anastase le bibliothécaire, qui écrit, dans la vie
de Boniface, qu’un concile formé de 252 évêques a rejeté Eulalius,
comme ayant été injustement ordonné, et à confirmé Boniface
à l’unanimité.
Illyricus dit et répète souvent que
les souverains pontifes ont demandé aux évêques africains que leur soit
concédée la juridiction sur l’Afrique, et sur toutes les autres régions;
qu’on a délibéré pendant cinq ans sur cette question, et que, à la
fin, un concile a décrété qu’aucun droit ne serait concédé aux papes
en Afrique. Cela est un mensonge honteux, car jamais rien de tel
n’a été demandé, et on ne trouve aucun décret de ce genre dans
les conciles. Ce mensonge n’est pas seulement flagrant, mais impudent,
car sans c’est sans aucune vraisemblance qu’il est proféré.
Car qui croirait que les pontifes romains aient jamais demandé la
juridiction aux africains et aux européens ? Qui croirait que les
pères africains ont délibéré pendant cinq ans sur cette question, alors
qu’ils pouvaient répondre en une parole qu’ils n’avaient eux aucune
juridiction sur les nations étrangères, qu’ils ne pouvaient donc
pas en concéder à d’autres ? Ne se moquerait-on pas d’un historien
qui prétendrait que le roi de France aurait demandé la juridiction aux
Espagnols ? Et ne serait-il pas risible le roi qui prendrait
cinq ans pour répondre ?
Voici un autre mensonge, qui est encore
plus énorme, et qui est répété des milliers de fois par Ilyricus et
les centuriates. Le pape Zozime aurait volontairement et contre sa
conscience, falsifié le concile de Nicée pour pouvoir, par lui, imposer
frauduleusement un joug aux Africains. Nous parlerons de ce mensonge
dans la réfutation des arguments. Venons-en maintenant aux
arguments. Le premier. Si c’est de droit divin
que le pape est le juge suprême de toute l’Église, pourquoi les souverains
pontifes ne cherchent-ils pas à confirmer le droit d’appel au siège
apostolique par ce droit divin plutôt que par le concile de Nicée ?
Et pourquoi tant de catholiques et tant d’évêques carthaginois réunis
en concile se refusaient-ils d’admettre ce droit, à moins qu’il ne
fût écrit dans le concile de Nicée ? Nous répondons brièvement
à cet argument qu’on a toujours pu, de droit divin, faire appel
au pontife suprême. Mais, convenait-il d’user de ce pouvoir ?
Dans plusieurs lieux on en a douté, et non sans raison. Car, on
pouvait apporter des raisons pour et contre. En effet, si le droit
d’appel à Rome est concédé toujours à tous, il arrivera facilement
que plusieurs fuiront les tribunaux légitimes; que soient vexés les évêques
qui ont porté un premier jugement; et que des causes faciles et évidentes
traînent en longueur. Saint Cyprien (dans sa lettre 1, épitres
3 et 4) se plaint de ceux qui font appel à Rome après avoir été légitimement
jugés et condamnés. Saint Bernard lui-même énumère
tous les inconvénients qui naissent d’un trop fréquent recours à Rome.
Si, par contre, on ne concède aucun droit
d’appel, une occasion sera donnée à des évêques particuliers
de juger inconsidérément et témérairement, et d’opprimer leur
peuple à la manière d’un tyran; de penser qu’ils n’ont pas de supérieur,
qu’ils n’ont personne à qui rendre des comptes. Ce qui
ne serait rien d’autre que de diviser le corps de l’Église en
autant de parties qu’il y a d’évêques. Donc, comme
la chose avait autant d’inconvénients que d’avantages, le concile
général de Sardes déclara, avec le consentement du pontife
romain, qu’il convenait que les prêtres et les clercs inférieurs
puissent faire appel de leurs évêques à un concile provincial, les évêques
au siège apostolique. Que cette déclaration ne soit pas une
concession nouvelle l’attestent les exemples de tous ceux qui, à toutes
les époques, avant le concile de Sardes et de Nicée, ont
fait appel aux papes. Pourquoi, dans le concile de Carthage, les
évêques romains ont-ils cherché à confirmer leur droit d’appel non
par le droit divin mais le concile de Nicée, c’est parce qu’ils voulaient
non seulement démontrer que tous pouvaient faire appel à eux, mais que
c’était une chose avantageuse pour l’église universelle, puisque
c’est ce que pensait aussi un concile général.
Pour une raison semblable, les pères
africains cherchaient à empêcher ce genre d’appel, parce qu’ils
estimaient que leurs églises n’avaient pas d’avantage
à en tirer, même s’ils n’ignoraient pas et ne niaient pas que cela
puisse légitimement se faire. C’est pourquoi, dans une et l’autre
épitre qu’ils écrivirent au pape sur cette question, ils protestent
de leur soumission au siège apostolique, quand ils lui envoient
les actes du concile. Ils ne commandent pas, mais ils demandent qu’il
ne prête pas facilement l’oreille à ceux qui font appel de leurs jugements
auprès de lui. Mais tout cela se comprendra mieux quand on réfutera
le prochain argument. L’autre argument est de Calvin et des magdebourgeois.
Le voici. Les papes Zozime, Boniface et Célestin ont cherché à
prouver le droit d’appel au pontife romain par les décrets du concile
de Nicée. Or, après un examen attentif, ces canons
sont apparus falsifiés et corrompus. Le droit d’appel au pape
ne se fonde donc ni sur le droit divin, ni sur le droit humain.
Nous répondons d’abord que les
pères africains se sont trompés par ignorance; mais que Calvin
et les magdebourgeois pêchent par malice. Car, les évêques
africains disent deux fois dans leurs lettres au pape qu’ils n’ont
trouvé ces canons dans aucune décision des pères et dans aucun synode.
Il est donc clair qu’ils ne possédaient pas les canons du concile de
Sardes, dans lesquels ces canons sont contenus en toutes lettres,
car, s’ils les avaient eus, ils en auraient fait mention. Or, l’autorité
de concile de Sardes n’est pas inférieure à celle du concile de Nicée.
Ce n’est pas non plus une plus grande erreur de citer le concile de Nicée
à la place de celui de Sardaigne, que de citer Matthieu au
lieu de Jean, et Jérémie au lieu de Zacharie, comme Matthieu l’a
cité au chapitre 27. Comme donc nous ne pouvons pas donner à Matthieu
le nom de faussaire, parce que c’est le même Esprit Saint qui a soufflé
dans Zacharie et Jérémie, on ne peut pas, non plus, dire que les papes
sont des faussaires parce qu’ils auraient cité le concile de Sardes
à la place de celui de Nicée, puisqu’ils ont tous les deux la même
autorité. Les magdebourgeois connaissaient eux le concile
de Sardes, et ils l’ont transcrit comme légitime dans leur quatrième
centurie. Il est donc nécessaire qu’ils avouent que les évêques
d’Afrique ont été trompés, et ont eu, à cause de cela, un comportement
excessif. Mais en attribuant la victoire aux évêques
africains, ils militent contre eux, et pêchent par malice.
Mais, tu diras que, dans ce concile de
Carthage, on cite textuellement le concile de Sardes. Les Africains
ne l’ignoraient donc pas. Je réponds que les mots qui parlent
du concile de Sardes dans le concile 6 de Carthage n’ont pas été prononcés
par les évêques africains, mais par les légats pontificaux.
C’est en obéissant à des directives écrites du pape Zozime,
qu’ils lisaient ces textes. Et, de plus, je pense que ce passage
est corrompu, ou a été confondu avec celui de Nicée. Mes doutes
viennent surtout du fait que c’est en marge qu’on a écrit
: « du concile de Sardes. » On comprend pourquoi ces mots
ont été écrits en marge, car les paroles qui sont là citées ne se
trouvent que dans le concile de Sardes; et on devine aussi que les mots
écrits en marge ne faisaient pas partie du texte originel. Or, les
légats romains disaient citer des canons du concile de Nicée. Après
avoir entendu les légats, saint Augustin dit que les évêques africains
s’engagèrent à observer les canons qu’on leur présentait comme étant
du concile de Nicée, tout en se réservant le droit de s’enquérir judicieusement
s’ils faisaient vraiment partie du concile de Nicée. Ces paroles
nous montrent que ces canons qu’on leur avait lus étaient bien
pour eux des canons du concile de Nicée.
Ajoutons que saint Augustin (livre 3,
contre Crescence, chapitre 34) ne voit dans le concile de Sardes qu’un
de ces conciles d’évêques orientaux opposés à Athanase.
Car, il y a eu deux conciles de Sardes, d’après l’historien Sozomène
(livre 3, chapitres 10 et 11 de son histoire), un concile général de
300 évêques, que saint Augustin n’a jamais vu, et un autre hérétique
de 76 évêques, que saint Augustin a vu. Je dis, ensuite, que les
canons du concile de Nicée que présente Ruffin (livre 10, chapitre 6,
de son histoire), ceux qui ont été envoyés de l’Orient vers l’Occident,
ne contiennent pas tous les canons que le concile de Nicée a édités.
Et il est probable que les trois canons que Zozime citait comme faisant
partie de concile de Nicée, en faisaient vraiment partie. Que ces
20 canons ne constituent pas tous les canons du concile de Nicée on peut
le prouver à partir de lettres d’Athanase et du pape Marc, qui affirment
tous deux que les exemplaires qui se trouvaient à Alexandrie ont été
brûlés par les ariens. Mais les magdebourgeois se moquent de cet
argument, et il est vrai qu’il n’est pas solide.
Car, cette combustion des livres eut lieu au temps de l’empereur Constantin,
quand, après l’expulsion d’Athanase, l’arien Georges a été
ordonné à sa place, comme Athanase le rapporte lui-même dans une
épitre adressée à tous les orthodoxes. Or, la chronique
de saint Jérôme nous indique qu’à ce moment, le pape Marc était décédé.
Si donc le pape Marcel avait envoyé aux Alexandrins un texte provenant
des archives romaines, l’exemplaire alexandrin et l’exemplaire
romain seraient semblables en tout point. Alors, comment expliquer
que dans l’exemplaire, envoyé par saint Cyrille, manquent les
trois canons qui se trouvaient dans le romain ? Laissons donc
de côté cette lettre d’Athanase, et prouvons que les canons de Ruffin
ne sont pas complets.
D’abord, parce qu’un des principaux
canons du concile de Nicée portait sur le jour de la célébration de
la fête de Pâque, le dimanche après le quatorzième jour, comme
nous le montrent les épitres de Constantin (Eusèbe, livre 3 de
la vie de Constantin), Épiphane (hérésie 69), et Athanase (épitre au
synode d’Ariminie et de Séleucis. Or ce canon ne fait
pas partie des 20 canons de Ruffin. Deuxièmement. Saint
Ambroise (dans son épitre 82) enseigne que, dans le concile de Nicée,
il a été statué qu’aucun bigame ne serait admis à la cléricature.
Cela, non plus, ne se trouve pas dans les vingt canons. Troisièmement,
saint Jérôme, dans sa préface à Judith, enseigne que le concile de
Nicée avait placé le livre d’Esther parmi les livres canoniques.
On ne trouve pas cela non plus dans les canons de Ruffin. Quatrièmement,
saint Augustin (épitre 110), affirme que le concile de Nicée a interdit
que deux évêques siègent en même temps dans la même église; et il
déplore qu’on ait agi imprudemment contre ce canon. Ce canon-là
non plus n’apparaît pas dans les 20 de Ruffin. Cinquièmement.
Dans le canon 14 d’un concile africain, les pères déclarent
que, d’après un canon du concile de Nicée, il n’est permis
d’offrir l’eucharistie qu’à jeun. Où est donc ce canon parmi
les 20 de Ruffin ? Sixièmement. À la fin d’un canon
du concile de Chalcédoine, Atticus rapporte que le concile de Nicée
a établi une manière précise d’écrire des lettres formatées (Operatus,
livre 2 contre Parménius,) Voici ce que dit Operatus : « Avec le
pape et nous de tout l’univers, par un échange de lettres formatées,
nous formons une société de communion et de communication. » Et
le concile de Milet interdit aux prêtres (canon 22) de participer
à une assemblée sans lettres formatées. Cela non plus n’apparait
pas dans les 20 canons.
Enfin, septièmement. Luther, Calvin,
les centuriates et les autres hérétiques nous objectent souvent
le canon du concile de Nicée cité par Socrate (livre 1, chapitre 8 de
son histoire) qui permet aux prêtres de prendre des épouses. Or, ce canon
ne se trouve pas parmi les 20. Si donc on dit que Zozime est un falsificateur
et un corrupteur parce qu’il a cité un canon du concile de Nicée qui
ne se trouve pas parmi les 20, il faudra, pour la même raison, appeler
falsificateurs et corrupteurs Constantin, Athanase, Épiphane, Ambroise,
Jérôme, Augustin, Atticus, Socrate, les évêques africains, et même
les centuriates, Luther et Calvin. Car tous ces gens-là citent des
canons qui ne font pas partie des 20 connus.
Ajoutons, ultimement, que dans la session
20 du concile de Florence, un docteur célèbre du nom de Jean déclara
qu’il prouvait prouver, par des nombreux témoignages de saints anciens,
que les pères du concile 6 de Carthage ont reconnu que les canons du concile
de Nicée qu’on leur avait envoyés d’Alexandrie et de Constantinople,
étaient corrompus et falsifiés. Je dis, en troisième lieu, qu’il
me semble à moi que ces trois canons n’on jamais fait partie du concile
de Nicée, mais ont été considérés comme tels par les papes Zozime
et Boniface parce que, pour eux, les conciles de Nicée et de Sardes étaient
la même chose, et les canons de l’un et de l’autre étaient conservés
ensemble dans la bibliothèque romaine, comme s’ils avaient été
les canons d’un seul et même concile. C’est donc parce qu’ils
ignoraient cela que les pères d’Afrique ont été perplexes.
Voici les raisons que je peux avancer
pour confirmer ma position. La première. Parce qu’on trouve
tels quels dans le concile de Sardes les mots lus par les légats du pape.
Il n’est pas vraisemblable que ces canons se soient déjà trouvés dans
le concile de Nicée, et que les pères de Sardes n’aient pas indiqué
que ces cannons, ils ne les composaient pas, mais qu’ils les rénovaient.
J’estime, ensuite que dans le concile de Nicée, le droit d’appel au
pape était contenu implicitement, du fait que le canon 6 ordonne de conserver
les anciennes coutumes. Or, le droit d’appel au pape est une de
ces anciennes coutumes, comme nous le montrent la lettre (89) du pape Léo,
et les exemples ci-haut donnés. Le concile de Nicée statue aussi qu’une
cause jugée une fois peut être jugée par un autre, comme l’indique
la lettre de Jules présentée par Athanase dans son apologie 2.
Mais, c’est le concile de Sardes qui prescrit cela en termes formels.
La deuxième. Parce que dans le concile de Nicée traduit du
grec avant l’an 1000 par Denys (manuscrit qui se trouve dans le monastère
de saint Vedaste Atrebat), les canons de Nicée sont présentés avec ceux
de Sardes, comme s’ils faisaient partie d’un seul et même concile.
La troisième. Car, autrement, on ne pourrait pas expliquer
pourquoi le concile de Sardes, qui fut œcuménique et reconnu, ne figure
pas parmi les conciles généraux. Car, on devrait l’appeler le
second concile oecuménique. Mais il ne s’ajoute pas aux
autres conciles parce qu’il est une seule et même chose que le concile
de Nicée.
Mais pourquoi donc le concile de
Sardes a-t-il été fondu dans le concile de Nicée ? On peut donner
comme raisons que ce sont les mêmes pères qui ont siégé dans l’un
et l’autre concile, et que le concile de Sardes n’a rien défini de
nouveau en matière de foi, mais n’a fait que corroborer les décrets
de Nicée, tandis que les autres conciles ont toujours condamné de nouvelles
hérésies. Ce n’est donc pas par fraude que Zozime a pris un concile
pour l’autre, mais parce qu’ils étaient pour lui un seul et même
concile. Je pense qu’on doit dire la même chose de l’épitre
de Jules aux Orientaux. Innocent (épitre à Victor) et Léon (épitre
25 à Théodose) citent ce canon au nom du concile de Nicée. De
la même façon, on appelle le symbole de Constantinople le symbole de
Nicée, parce qu’il est une explication de ce concile. Voilà pourquoi
les anciens avaient l’habitude d’appeler nicéens les canons de Sardes,
parce qu’ils n’étaient qu’une explication de ceux de Nicée.
J’en ajoute une quatrième. Les
pères de Carthage n’ont jamais décrété qu’aucun droit ne devait
être accordé au pontife romain en Afrique; ou qu’il n’était jamais
permis à aucun évêque africain de faire appel outremer.
Il n’y avait pas non plus entre les papes et les évêques africains
une dissension aussi grande que celle que nous trace Illyricus. Car,
il n’y eut jamais de décret de cette sorte, et dans leur lettre à Bonifac
, et dans l’autre à Célestin, les évêques africains témoignent ouvertement
de leur concorde et même de leur soumission. Voici leur lettre à
Boniface : « Puisqu’il a plu au Seigneur que notre humilité écrive
au sujet de ces choses dont ont discuté nos saints frères, notre co-évêque
Faustin, les co-presbytes Philippe et Asellus, qui nous apportèrent
des mandements et des lettres écrites par le pape Zozime, nous devons
relater brièvement que les discussions se sont terminées dans la concorde,
et en maintenant sauve la charité, mais non sans certaines altercations
et prises de bec. » Ils affirment, dans cette lettre, qu’ils ont
reçu des mandements du pape Zozime, mais ils ne disent pas expressément
qu’ils le reconnaissent comme supérieur. Or, dans la lettre à
Célestin, voici ce qu’ils disent : « Après le salut de politesse,
nous vous supplions instamment de ne pas admettre facilement ceux qui font
appel à vous. » Par ces paroles, ils ne rejettent pas le
droit d’appel au pape, et ils ne disent pas non plus que le pape ne peut
pas recevoir les africains qui font appel à lui, mais ils lui demandent
seulement de ne pas prêter trop facilement l’oreille à leurs récriminations.
Saint Augustin (dans l’épitre 157)
enseigne ouvertement la primauté du pontife romain en Afrique, en disant
que c’est sur l’ordre de Zozime que lui et les autres évêques se
sont réunis à Césarée. Et il écrit que l’hérésie pélagienne a
été condamnée par Innocent et Zozime dans tout l’univers.
Le même Augustin fut très ami de Boniface, tout en lui étant soumis,
comme on le voit dans les deux lettres qu’il a écrites à Boniface sur
l’hérésie pélagienne. Dans une lettre (261) au pape Célestin,
il réfère au pape la cause d’un évêque africain, et lui dit, entre
autres : « Collabore avec nous par ta piété, vénérable et bienheureux
seigneur, et faisant preuve de la charité qui est due, ordonne qu’on
présente à ton tribunal tout ce qui a été décidé. »
Et plus bas : « Il existe des exemples des jugements de ce siège apostolique
et des confirmations des jugements des autres. » Que pensait donc le pape
Célestin de saint Augustin ? Dans son épitre aux Gaulois,
il fait de grands éloges de saint Augustin, et dit de lui qu’il
est toujours demeuré dans la communion de l’église romaine, que
lui et ses prédécesseurs l’ont toujours considéré comme un très
grand docteur. Cette union étroite d’Augustin avec l’église
de Rome suffit pour convaincre Illyricus de mensonge manifeste, lui qui
écrit que saint Augustin et ses collègues ont toujours tenu les papes
pour des faussaires et des honteux corrupteurs, qui avaient toujours
été exclus de toute forme de gouvernement en Afrique.
Peu après ce concile de Carthage, saint
Léon écrit dans sa lettre 87 aux évêques de la province de Mauritanie
en Afrique, et leur annonce qu’il avait reçu dans sa communion l’évêque
Lupin, expulsé d’Afrique. Le même dit qu’il a envoyé son légat,
l’évêque Potentium, pour prendre connaissance des affaires d’Afrique
à sa place. Donc, ou le concile de Carthage n’avait pas
prohibé ces choses, ou les pères africains avaient changé d’idée.
De plus, après les années 40, quand l’évêque de Carthage, saint
Eugène, fut empêché par le roi Honoric de participer à un synode, il
répondit qu’il écrirait à ses collègues d’outremer, car on ne peut
rien statuer en matière de foi sans le consentement des évêques, et
surtout de l’évêque de Rome, qui est la tête de toutes les églises.
C’est Victor uticensis qui rapporte cela, au livre 2 de la persécution
des Vandales. L’évêque de Carthage reconnaissait donc,
même après le concile 6 de Carthage, que l’église romaine est
la tête de toutes les églises, et donc aussi de celles d’Afrique.
Il n’était certainement pas un schismatique celui qui professait qu’il
allait écrire au pape. Et, un peu après, quand Trasimonde, le successeur
d’Honoric, relégua, en 220, presque tous les évêques africains en
Sardaigne, le pape romain Symmachus les nourrit tous à ses frais,
comme s’ils étaient ses propres membres, et les traita royalement, comme
le diacre Paulin l’écrit (au livre 17 des choses romaines). Cela
n’est pas non plus une preuve de dissension, mais plutôt d’un resserrement
d’amitié et d’entente fraternelle. Au même moment, Fulgence,
de loin le plus éminent des évêques africains, fut étroitement lié
avec l’église romaine, comme on le voit au chapitre 12 de sa vie.
Car, quand il voulut partir vers les déserts des moines d’Égypte,
un évêque syracusain le mit en garde contre son projet, en lui faisant
savoir que ces moines étaient séparés du siège apostolique avec lequel
il communiait, lui. Ayant donc mis de côte son voyage en Égypte,
il vint à Rome, ville remplie des reliques des saints
apôtres Pierre et Paul et des martyrs. Ce même Fulgence,
comme le rapporte son disciple en racontant sa vie, était uni avec l’église
de Carthage, et était très ami de son évêque. Le résultat
de cette amitié fut que l’évêque de Carthage devint aussi lié à
l’évêque de Rome, Fulgence ne pouvant pas être ami de deux ennemis.
Ne dit-on pas que les amis de nos amis sont nos amis ?
Après cette époque, le bienheureux
Grégoire, qui fut un ami intime de l’évêque de Carthage, proclame
ouvertement le droit d’appel à Rome et sa juridiction sur toutes
les provinces d’Afrique (livre 1, épitres 72 et 75; livre 7, épitre
32). Mais Illyricus trouve matière à objection dans l’épitre
de Boniface 11 à l’évêque d’Alexandrie, Eulalie, et dans l’épitre
de l’évêque Eulalie, évêque de Carthage au même Boniface.
On déduirait de ces lettres, qu’après le concile 6 de Carthage, les
évêques carthaginois auraient été, pendant 100 ans, privés de
la communion avec l’église romaine, et qu’ils ne se seraient réconciliés
avec Rome que quand Eulalie fit sa soumission au siège apostolique,
en anathématisant ses prédécesseurs. Je réponds que ces lettres
me semblent très suspectes, car d’abord elles ne cadrent pas avec ce
que nous avons dit au sujet de la bonne entente qui existait entre
Augustin, Eugène, Fulgence, les autres africains et l’église
romaine. Ensuite, l’alexandrin Eulalius auquel le pape Boniface
semble avoir écrit n’a pas existé, et, n’a certainement
pas été évêque à cette époque, comme nous le montre la chronologie
de Nicéphore de Constantinople. De plus, Boniface précise,
dans sa lettre, qu’il écrit sous l’empereur Justin. Or Justin
mourut avant que Boniface ne commence à régner, comme le racontent tous
les historiens. Et cette lettre, qui est attribuée à Boniface,
est composée presque uniquement de deux fragments dont l’un vient de
la lettre d’Hormisdas pape à Jean, et l’autre de la lettre de saint
Grégoire aux évêques de Gaule (52, livre4). Or, saint Grégoire,
à cette époque, n’était pas encore né. Il n’est pas
croyable non plus que Grégoire ait puisé dans les paroles de Boniface,
car le style est typiquement grégorien.
Dans la lettre qui est attribuée à Eulalius,
évêque de Carthage, on trouve des phrases du pape Grégoire tirées de
son épitre 36 à Euloge; et le reste de la lettre n’est
rien d’autre qu’un fragment de l’épitre de Jean, évêque de Constantinople,
au pape Hormisdas. Mais, si par hasard, ces lettre étaient vraies,
(car, je ne suis absolument sur de rien), il ne faudrait par les prendre
au sens où tous les prédécesseurs d’Eulalie aient été privés de
la communion de l’Église romaine. Car, cela répugne avec ce que
racontent les historiens les plus fiables. Elles voudraient
dire seulement qu’Aurèle a été le premier à se révolter contre
l’église de Rome, puis, à son exemple Eulalie, et peut-être
quelques autres; et qu’Eulalie, après mûre réflexion,
a fait sa soumission à l’église de Rome. C’est tout ce qu’on
peut tirer de ces deux lettres.
CHAPITRE 26
On prouve la même chose du fait que le
pontife romain ne peut être jugé par personne.
Le dixième argument on le tire de ce
que le pontife romain ne peut être jugé par personne sur cette terre.
On ne peut pas trouver de preuve plus convaincante de sa primauté qu’en
montrant qu’il est si élevé au-dessus des autres qu’il ne peut être
jugé par personne. Mais, avant d’en arriver à la preuve, il faut
faire trois remarques. La première. Nous ne parlons pas ici, du
pontife en tant que chef temporel, car les adversaires eux-mêmes ne nient
pas qu’il ne puisse pas être jugé dans les choses temporelles.
C’est quelque chose, en effet, qui est propre à tous les princes
absolus : on ne reconnait personne qui leur soit supérieur dans
les choses temporelles. Nous parlons donc du pape en tant que
pontife, et nous disons que même s’il ne possède aucun gouvernement
temporel, il ne peut être jugé sur terre par aucun prince chrétien,
séculier ou ecclésiastique, ni par aucun synode, concile général
ou œcuménique. Notons donc qu’on se trompe de deux façons à
ce sujet. La première est celle de ceux qui enseignent que le pontife
peut être puni, jugé et déposé par l’empereur, s’il ne remplit
pas bien sa charge. C’est ce qu’a soutenu un certain Marsilius
de Padoue d’après Jean de Turrecremata. Cette erreur, ce dernier
la réfute au livre 2, chapitre 93, et suivant. L’autre
erreur est celle de Nil (dans son livre sur la primauté du pape). Il enseigne
que le pape ne peut pas être jugé et déposé par un prince, mais qu’il
peut l’être par un concile d’évêques. Or, Calvin (livre
4, chapitre 7 des institutions, verset 19) et les autres hérétiques de
notre temps embrassent ces deux erreurs, et soumettent le pape autant aux
princes qu’aux évêques.
II faut noter, troisièmement, que la
raison principale pour laquelle le pape ne peut pas être jugé c’est
parce qu’il est le prince de toute l’église, et qu’il n’a donc
pas de supérieur sur terre. Car, étant le prince suprême de l’Église,
il ne peut être jugé par aucune autre autorité ecclésiastique.
Et de plus, parce que l’Église est une république spirituelle,
et est donc plus grande et plus sublime que n’importe laquelle république
temporelle, le chef suprême de l’Église peut diriger et juger le chef
suprême de la république temporelle, mais ne peut ni ne doit être jugé
par lui, à moins que ne soit renversé l’ordre normal et naturel des
choses. Voilà donc la raison première, et comme le disent
les scolastiques, celle qu’on peut donner a priori. Mais
parce que cette raison présuppose ce que nous nous efforçons de prouver,
à savoir que le pontife romain est le chef de toute l’Église, nous
laisserons donc tomber ce genre d’arguments, et nous demanderons
aux conciles, aux papes, aux empereurs, et aux docteurs de l’Église
de démontrer que le pontife romain ne peut être jugé par personne.
Nous confirmerons ainsi notre première thèse, qui est que le pontife
romain est la tête et le chef de l’Église universelle.
On le prouve, d’abord, par les conciles.
Dans le concile de Nicée les pères ont déclaré que « le premier siège
n’est jugé pas personne. » Le pape Nicolas rapporte ces mots
dans son épitre à l’empereur Michaël. Le concile romain formé
de 280 évêques, sous Sylvestre, dit dans le dernier canon : « Le premier
siège n’est jugé ni par l’empereur, ni par les rois, ni par l’ensemble
des évêques, ni par le peuple. » Ce décret, le pape Nicolas le
rappelle aussi à l’empereur Michaël. Nous trouvons la même chose dans
un synode romain sous Sixte 3 (chapitre 5). Voici ce que nous y lisons
: « Il n’est pas permis de juger un pape. » Et Sixte, qui était
accusé, répondit : « Bien qu’il dépende de moi que je sois jugé
ou pas, qu’on ne cache pas la vérité ! » Quand Dioscore, évêque
d’Alexandrie, osa condamner le pape Léon 1 dans le concile d’Éphèse
no 2, ce fait horrifia tellement l’Église catholique que le concile
de Chalcédoine (dans l’épitre aux empereurs Martian et Valentin, et
dans l’épitre au pape Léon, acte 3 de ce concile) a condamné Dioscore
pour plusieurs raisons , mais surtout pour avoir présumé juger le premier
siège. Dans le concile 5 sous Symmaque, on reçoit le livre du diacre
Ennodius, dans lequel il est écrit, entre autres : « Les causes
des autres hommes, Dieu a voulu qu’elles soient réglées par des hommes.
Mais, sans aucun doute possible, il s’est réservé de juger celui qui
préside sur ce siège. » Le concile romain, sous le pape Hadrien
2, a prononcé ces paroles qui ont été reprises dans le concile 8, acte
7 : « Nous lisons que le pontife romain juge les préposés de toutes
les églises, mais que quelqu’un le juge, lui, nous ne le lisons
pas. » Et le concile 8 lui-même (acte 10, canon 21) affirme qu’il
n’est permis à aucun chef terrestre de juger les patriarches, surtout
celui de Rome. Ensuite, dans le concile de Milet (canon 19), on punit
gravement les clercs qui veulent être jugés par l’empereur. Si
l’empereur ne pouvait pas juger les clercs, il ne pouvait, à plus forte
raison, certainement pas juger le pape.
On le prouve, ensuite, à partir des témoignages
de souverains pontifes. Gélase, dans son épitre à l’empereur
Anastase, écrit : « Il y a deux choses, empereur auguste, qui régissent
principalement ce monde : l’autorité du souverain pontife, et la puissance
royale. De ces deux pouvoirs, le plus important est celui des prêtres,
dans la mesure même où ils devront rendre compte des rois eux-mêmes
devant le tribunal divin. Tu sais aussi que tu dépends de leur jugement,
et que tu ne peux pas les plier à ta volonté. » Saint Grégoire
(livre 9, épitre 39 à Théotista) écrit : « Si le bienheureux Pierre
était accusé avec les fidèles, il pourrait répondre s’il tenait compte
de l’autorité qu’il a reçue dans la sainte église, que les brebis
de doivent pas oser réprimander leur pasteur. » Nicholas 1 dans
la lettre à l’empereur Michaël écrit : « Il est démontré assez
clairement que le pontife ne peut être ni lié ni délié par la puissance
séculière, c’est-à-dire ni condamné ni absous. » Innocent
111 (dans l’épitre à l’empereur qui se trouve au chapitre solitae)
enseigne la même chose explicitement. Et (dans le sermon 2 de la
consécration du pontife. Enseignent la même chose Boniface V111
(dans une seule sainte), et Jean XX11, dans « bien que selon la doctrine
de l’apôtre ».
On le prouve ensuite par les témoignages
des empereurs. Au sujet de Constantin, Ruffin écrit dans son histoire
(livre 10, chapitre 2) qu’il a refusé de juger les évêques, protestant
que « c’est plutôt lui qui devait être jugé par les évêques ».
L’empereur Basile a fait une confession semblable dans le discours qu’il
tint à la fin du synode 8. Et il avertit tous les laïcs, de quel
rang ou de quelle dignité qu’ils soient, « de ne pas juger les juges,
et de ne pas paître les pasteurs ». Enfin, le pape Nicholas
1 dans sa lettre à l’empereur Michaël, prouve, à l’aide de plusieurs
exemples, que les empereurs n’ont jamais commandé aux papes, mais se
sont contentés de faire une demande, en qualité de pères
s’ils voulaient obtenir d’eux qu’ils fassent quelque chose.
Vient ensuite le témoignage des saints
docteurs. Nous ne citerons que quelques textes. Ambroise (dans son
discours sur la basilique qu’il devait remettre aux Ariens), dit
: « Un bon empereur est à l’intérieur de l’Église, non en dehors.
» Il est certain que s’il n’est pas au-dessus de l’Église,
il est encore moins au-dessus du père et du pasteur de l’Église.
Saint Grégoire de Naziance, dans le discours où il s’excuse de s’être
abstenu jusque là de toute fonction ecclésiastique, dit : « Vous, brebis,
ne cherchez pas à paître les pasteurs, et ne vous soulevez pas contre
leurs paroles. Car, il vous suffit d’être bien pais. Ne
jugez pas les juges, et n’imposez pas de lois aux législateurs ! »
Et pour que tu ne penses pas que saint Grégoire exclue les princes, écoute
ce que dit le même docteur aux citoyens apeurés et au prince irascible.
Voici donc ce qu’il au dit au prince ou préposé : « Avez-vous
reçu un message de liberté, d’indépendance ? La loi du
Christ ne vous soumet-elle pas à mon pouvoir, à mon tribunal ?
Car, nous commandons, nous aussi, et en vertu d’un pouvoir plus grand
et plus parfait. Reçois donc une parole plus libre, plus indépendante
encore : sache que tu es une brebis de mon troupeau ! » Saint
Bernard, dans l’épitre à l’empereur Conrad, écrit : « J’ai lu
que toute âme est soumise aux pouvoirs les plus sublimes !
J’espère que vous mettrez en pratique cet enseignement en rendant au
vicaire de Pierre le respect qui lui est du, comme vous voulez qu’on
fasse pour vous. » Le martyr Boniface, d’après Gratien (canon
40) : « Si le pape qui peut juger tout le monde mais ne doit être
jugé par personne, etc. » Enfin, Hugo de saint Victor (paragraphe
2, les sacrements) : « Le pouvoir spirituel juge le pouvoir terrestre.
Mais, puisque c’est par Dieu lui-même qu’a été institué le pouvoir
spirituel, il ne peut, s’il dévie, être jugé que par Dieu.
»
CHAPITRE 27
On réfute les arguments de Nil
Il nous reste encore à réfuter des arguments.
Ceux de Nil, d’abord, de Calvin, ensuite, puis des anciens hérétiques,
et de Jean de Turrecremata. Mais avant d’entamer les arguments
de Nil, nous pensons devoir avertir le lecteur de ne pas trop se fier à
la traduction d’Illyricus, car il lui arrive souvent de déformer les
paroles de Nil. Prenons comme exemple, les premiers mots de cette
citation. Nil dit : « Que jugeant tous, il n’est jugé par personne,
c’est quelque chose qui est faux, et qui ne convient pas aux mœurs
des apôtres. » Illyricus : « Les adversaires disent en bavardant
que le pape juge tous les hommes mais ne peut être jugé par personne.
C’est un mensonge inspiré par la vanité, et qui détonne avec les canons
apostoliques remplis de modestie et de vérité. » Il est
certain que le mot bavarder n’est pas dans le grec. Et là où Nil se
contente de dire que c’est faux, Illyricus amplifie en disant : plein
de vanité et de mensonge. Il traduit ensuite : mœurs apostoliques par
canons des apôtres équilibrés et modestes. Il ne se rend même
pas compte que ces mots ne s’accordent pas avec ceux qui précèdent,
car c’est avec les actions des apôtres qu’il avait dit qu’il
prouverait son point, non avec les canons. Mais laissons tomber,
et examinons ses arguments.
Si Paul fait approuver sa doctrine
par les apôtres, et si Pierre a supporté patiemment les réprimandes
de Paul, de quel droit le pape romain refuse-t-il de rendre compte de sa
vie et de ses actions à qui que ce soit ? Je réponds que l’exemple
de Paul plaide en notre faveur. Si Paul accourut à Pierre pour conférer
avec lui de son évangile, c’est parce qu’il reconnaissait que Pierre
était plus grand que lui, et parce qu’il voulait donner un exemple pour
que, dans des cas de ce genre, on accoure au siège de Pierre. C’est
ce qu’a fait remarquer saint Jérôme dans sa lettre à saint Augustin,
(qui est la onzième dans les épitres de saint Augustin), et le grec Théodoret,
dans son épitre à saint Léon. Pierre, il est vrai, a supporté
d’être morigéné par saint Paul, mais il s’agissait de la correction
d’un frère, non de la sentence d’un juge. Car, comme saint Augustin
l’enseigne dans son épitre 19 à saint Jérôme, et Grégoire dans son
homélie 18 sur Ézéchiel, Paul n’a pas blâmé Pierre comme un supérieur
agit envers son inférieur, mais comme même des mineurs reprennent
par charité des supérieurs.
La deuxième objection. Le
pape romain Honorius a été non seulement jugé mais condamné par le
sixième concile général. Je répondrai plus tard, plus au long,
quand je me demanderai si un pape peut être hérétique.
Qu’Honorius ait été jugé et condamné pour motif de foi (si ce qu’on
rapporte de lui est vrai), nous ne le nions pas, et nous ne nions
pas non plus que l’Église puisse juger un pape hérétique. Comment
cela peut-il concorder avec ce que nous soutenons aujourd’hui,- que le
pape ne peut être jugé par personne,- la réponse apparaîtra dans le
dernier argument. La troisième. Les apôtres et les conciles
ont promulgué plusieurs lois sur les évêques qui lient certainement
tous les évêques. Or, le pape n’est rien d’autre qu’un évêque.
Il est donc tenu par ces lois, et a donc un supérieur qui peut le juger.
Je réponds que le pape est tenu par les lois ecclésiastiques, quant à
la direction, non quant à la coercition, selon le langage des juristes.
Bien que les conciles, particuliers ou généraux, parlent de tous les
évêques sans exception, quand ils portent des lois, on doit comprendre
qu’il ne s’agit que des évêques qui sont soumis au législateur.
C’est ce que les conciles provinciaux font clairement comprendre, quand
ils disent : « si un clerc, si un évêque a fait cela ». Et pourtant,
il n’est que trop évident que ces lois ne lient que les clercs ou les
évêques de cette province.
La quatrième. Le sixième
synode prescrit nominalement une loi au pontife romain, quand, au canon
13, il reproche à l’église romaine de ne pas permettre aux prêtres,
aux diacres et aux sous-diacres de se marier, et lui ordonne de le
permettre à l’avenir. Et, au canon 55, il reproche
à l’église romaine de jeûner le samedi, et lui ordonne de ne
plus le faire à l’avenir. Je réponds, comme je l’ai déjà
dit, que ces canons sont faussement attribués au sixième synode.
Et quand ils furent plus tard promulgués par le neuvième synode,
les pontifes romains non seulement ne les approuvèrent pas, mais ils les
répudièrent. Voyez à ce sujet François Turruianus (livre
sur le synode 6), et Melchior Cano (livre 5, dernier chapitre, réfutation
de l’argument 6). Ces deux canons indiquent assez clairement quelle
était la nature de ce concile. Car, quand au canon 13, ils
disent qu’ils présentent la doctrine des apôtres et de l’antiquité,
qui permet aux clercs d’avoir des épouses, ce qu’ils affirment est
certainement faux. Car, le concile de Carthage 2, de loin le plus
ancien, et plus célèbre que ce faux synode 6, dit, aux chapitre
2 : « Il a plu à tous que les évêques, les prêtres et les diacres,
ceux qui manipulent les sacrements, s’abstiennent de leurs épouses en
tant que gardiens de la pudicité, pour que ce que les apôtres ont
enseigné et ce que l’antiquité a observé, nous le gardions nous aussi.
» De même, le grec Épiphane, auteur très ancien et très réputé,
dit (hérésie 19, qui est celle des Cathares) : « L’Église ne reçoit
pas comme prêtre, évêque, diacre ou sous-diacre, un homme qui
engendre des enfants d’une seule femme, mais celui qui s’abstient d’une
seule femme, ou qui est veuf, là surtout où les canons ecclésiastiques
sont sincères. Mais, tu me diras qu’en certains endroits,
les presbytres, les diacres et les sous-diacres ont, encore aujourd’hui,
des enfants. Je te réponds que cela n’est pas selon les canons,
mais selon l’esprit des hommes, qui devient languissant avec le
temps »
Mais, nous dit Nil, le sixième concile
cite le sixième canon des apôtres qui prescrit aux clercs de ne pas,
pour des motifs religieux, rejeter leurs épouses. Je réponds
que ce canon prescrit aux clercs, qui ont une épouse, de voir à ce qu’elle
ne manque pas du nécessaire, non de cohabiter avec elle comme mari et
femme. Cette explication, Nil ne peut pas la récuser, car, loin
de le contredire, le canon 48 du concile de Trulle reproduit le même
canon. Il est à remarquer que ce canon des apôtres
ne prescrit pas seulement aux clercs mineurs de ne pas rejeter leurs épouses,
mais même aussi aux évêques, tandis que les canons du concile de Trulle
permettent aux clercs mineurs la cohabitation avec leurs épouses, mais
l’interdisent aux évêques. Mais nous parlerons plus longuement
de cette question plus loin. En ce qui a trait au canon du
jeûne du samedi, il s’agit là d’une chose indifférente, et il est
permis à chaque région de conserver ses propres coutumes, comme l’enseigne
saint Jérôme (dans son épitre à Lucin Boetic), et saint Augustin (dans
son épitre 86 à Casula). Un concile de Grecs ne devait donc pas
et ne pouvait donc pas imposer de loi aux Latins à ce sujet. Ajoutons
le témoignage d’Innocent 1, (épitre 1) qui enseigne qu’on doit jeûner
le samedi, et du grec Épiphane qui, dans son résumé de la doctrine,
n’excepte que le dimanche, du jeûne du carême.
Mais le canon 65 des apôtres défend
de jeûner le samedi. Je réponds que ce canon semble apocryphe,
car l’Église ne reçoit que cinquante canons des apôtres, comme le
cardinal Humbert l’atteste (dans son livre d’avant Nicée), ainsi que
Gratien (dist. 16). Si les apôtres avaient réellement interdit
cela, c’est en haine des hérétiques qu’ils auraient fait ce commandement.
Car ces hérétiques jeûnaient le samedi pour ne pas sembler honorer le
Créateur qui s’est reposé le septième jour. Quand cette hérésie
fut dissipée, il redevint permis de jeûner le samedi, en souvenir de
l’ensevelissement du Seigneur, et pour prendre davantage ses distances
avec le judaïsme. La cinquième. Il réplique
de deux façons à la réfutation que nous avons présentée.
La première. Même si ces canons n’étaient pas légitimes, la
raison enseigne manifestement que le pape doit pouvoir être jugé.
Car, tous les évêques, en tant qu’évêques, sont égaux, comme l’enseigne
Denys l’aréopagite, quand il dit que tous sont du même ordre, et de
la même dignité. Or, le pape n’est rien de plus qu’un évêque,
puisque c’est par des évêques qu’il est ordonné, et parce
que le même Denys ne reconnait pas, dans la hiérarchie ecclésiastique,
de dignité supérieure à l’épiscopat. Le pape est donc,
autant que les autres, lié par les décisions des conciles, et peut donc
être jugé comme les autres évêques.
La deuxième. Que ces canons soient
légitimes, et qu’ils soient l’œuvre d’un concile général, on
peut le démontrer de plusieurs façons. D’abord, parce que
le concile qui a promulgué ces canons est une réplique du sixième
concile. Les mêmes pères qui, au début, se rassemblèrent
pour expliquer la foi, se mirent, à la fin, à faire des canons.
On peut dire ensuite que ne manqua pas, dans ce concile, la légation romaine,
car l’évêque de Gortyne, en Crète, remplaça le pape, comme l’histoire
de Basile nous le montre. Ensuite, puisque que le concile qui
a produit ces canons s’appelle lui-même universel, il est difficile
de croire que les pères d’un tel concile aient voulu mentir. Parce
que le canon 1 du septième synode reçoit les canons des six conciles
généraux; et parce que le sixième n’en a pas d’autre que ceux-là.
Parce que le pape Adrien (dans son épitre à Taras) parle avec admiration
de Tharase, du fait qu’il a toujours observé avec les siens, ces décrets,
en citant le canon 82. On peut donc en conclure que ces canons avaient
été confirmés par les pontifes romains.
Je réponds à la première objection,
que l’égalité des évêques ne nous permet pas de rien conclure.
Car, les évêques sont égaux par rapport au sacrement de l’ordre, comme
le dit Denys, mais non par rapport à la juridiction. Cela, même
Nil l’affirme quand il dit, dans le même livre, que l’évêque de
Constantinople est de loin plus grand que celui de Césarée et des autres
qui sont soumis au siège de Constantinople. Le pape ne peut
pas être jugé non pas parce que sa dignité épiscopale est plus grande
que celle des autres, mais parce qu’il a une juridiction épiscopale
plus grande, de sorte que, présidant à tous, il n’est le sujet de personne.
Ces arguments ne prouvent donc pas que les canons de Trulle soient légitimes.
On ne peut pas dire non plus qu’il fut une répétition ou une continuation
du concile 6, car les présidents des conciles ne furent pas les mêmes,
les empereurs furent différents, et le nombre des évêques participants
ne fut pas semblable. Car, dans le sixième, étaient présents
l’empereur Constantin, les légats du pape Agathon, et 289 évêques,
comme nous l’avons dans acte 3 du synode 6. Mais, au temps
du pseudo sixième, n’étaient présents ou représentés
ni Constantin ni Agathon, et les évêques étaient au nombre de
220 seulement. De plus, au début du pseudo sixième, ils disent eux-mêmes
qu’ils ont repris les synodes 5 et 6. Et voilà pourquoi Théodore
Balsamon ne l’appelle pas tant le sixième, que le
cinq- sixième. Or, comment pouvait-on dire ou croire que ce synode
avait repris ou prolongé le cinquième, quand aucun participant
du cinquième n’y était présent ? Et de plus, entre le cinquième
et ce cinquième-sixième, 130 ans s’écoulèrent. Ensuite, pourquoi
fallait-il prolonger les conciles 5 et 6 et non en convoquer un autre
? C’est parce que, disent-ils, ces canons ils ne les firent
pas. Ils n’ont pas non plus voulu le faire, car, ce n’était
pas pour composer des canons, mais pour expliquer la foi, que le
concile avait été institué.
Je réponds à la deuxième. Quel est
donc cet évêque de Gortynensis ? Et qui lui a donné le mandat
de représenter le pape dans le concile ? C’est à Nil à nous
l’apprendre. Le nom, l’histoire qu’il raconte, le Basile dont
il parle, tout cela est inconnu. Mais, quoi qu’il en soit de cette
charade, nous savons, nous, que le pape Serge siégeait à cette époque,
et qu’il a résilié le synode, comme étant erratique, comme l’attestent
Bède le vénérable (dans les six états du monde, dans le jeune Justinien),
Paul diacre, (livre six des gestes des Lombards, chapitre 4) Otho
Frisigensis (livre 5, chapitre 13), Adon de Vienne, Marianus Scotus, et
Rhegino (dans sa chronique) où ils parlent du jeune Justinien.)
Que ce synode qui a composé ces canons soit le même que celui que le
pape a réprouvé, nous l’enseignent Tharasius et Épiphanius, qui (dans
le synode 8, actes 4 et 6) disent que, cinq ans après le synode 6, les
Pères se sont réunis de nouveau, et ont alors, composé ces canons.
Nous savons de source certaine qu’à ce moment, Serge était pape à
Rome. Or, il ne reste aucun souvenir d’un autre concile célébré
en ce temps. Nous traiterons plus longtemps de cela dans les
conciles. De plus, Athanase le bibliothécaire écrit, dans sa préface
au sixième concile, que ces canons n’existent pas pour les pontifes
romains, ni pour les autres patriarches, à l’exception de celui de Constantinople.
Il en déduit correctement que ce synode n’a été convoqué ni par l’autorité
du souverain pontife, ni par celle des autres patriarches.
Ensuite, Humbert, le cardinal légat de Léon IX (dans son livre contre
les grecs) écrit que non seulement ces canons ne sont pas reçus par le
siège apostolique, mais qu’ils sont démentiels.
Je réponds à la troisième. Il
ne faut pas se surprendre que ces pères donnent à ce concile un nom menteur,
en l’appelant universel. Il savait, ce canon, qu’il ne
pouvait prescrire de loi à l’église romaine qu’en s’appelant mensongèrement
synode universel. De plus, quand, au canon 2, ils reçoivent le synode
présidé par Cyprien, qui est jugé erratique par l’Église, et
quand, au canon 19, ils mentent effrontément en affirmant que la cohabitation
avec les épouses est permise aux prêtres en vertu d’une coutume
apostolique, sans compter les autres mensonges, comment se
surprendre que, dans le titre même, il y ait un mensonge ?
Je réponds à la quatrième. Quand on dit que le concile 7
a reçu tous les canons des six conciles généraux, il ne faut pas
penser qu’il n’ait reproduit que les canons qui portent sur les mœurs.
Non, tous les canons, y compris les canons qui portent sur la foi.
Ce n’est que le concile de Nicée qui a composé des canons moraux. Car,
les conciles 2 et 5 ajoutèrent d’autres canons, mais ils ne furent pas
approuvés par le siège apostolique, comme l’acte 16 du concile
de Chalcédoine nous le montre. Ces canons ne sont donc pas, à proprement
parler, des canons de conciles œcuméniques. Les synodes 3, 5 e
6, pour leur part, ne composèrent aucun canon portant sur les mœurs.
Je réponds à la cinquième. Le
pape Hadrien aurait félicité Tharasius parce qu’il aurait constaté
qu’il gardait la vraie foi selon les décrets du sixième concile général.
Or, Ce que l’on trouve des canons du cinq-sixième concile général
dans l’épitre d’Hadrien provient exclusivement de la lettre de Tharase.
Même si, à ce moment, le pape ne réprouve pas ces canons, parce que
ce n’était pas le temps opportun de le faire, il ne les approuve cependant
pas. Mais, ce qu’Hadrien n’a pas fait, Nicholas l’a fait dans
sa lettre à l’empereur Michaël quand, en voulant citer un de ces canons,
il dit avoir appris de l’Apôtre de se servir même des témoignages
des ennemis, quand il le fallait. Enfin, la sixième et la dernière.
Il est intolérable de voir que le pontife romain ne veuille pas
se soumettre aux canons des saints pères alors que c’est d’eux
qu’il reçoit sa dignité. Ayant lui-même fait beaucoup de canons,
il serait indigne d’être honoré comme un père, puisqu’il méprise
les saints pères. Je réponds que les raisons alléguées
ne peuvent pas prouver que le pape soit soumis aux canons, car ce n’est
pas des pères qu’il a reçu sa dignité, mais du Christ, comme nous
l’avons démontré plus haut. Et, puisque c’est lui-même qui
fait les canons, c’est là le signe que c’est lui le chef
et le législateur. Et le prince ne peut pas être lié par
ses lois, puisqu’il n’a personne qui lui soit supérieur, et que les
lois ne sont données qu’à des inférieurs par un supérieur.
De plus, s’il est honoré par tous comme le père, c’est qu’il n’a,
dans l’église, aucun père, et que tous sont ses fils. Y a-t-il
lieu de s’étonner si ce n’est pas le père qui est soumis aux
fils, mais les fils au père ? Ajoutons que le pape ne méprise ni
les pères ni leurs canons, même s’il ne peut pas être contraint par
eux; s’il s’en sert comme d’une direction à donner à l’Église,
et ordonne aux autres de les observer.
2017-10-21 17h07 fin.
2017 10 25 20h12 début
CHAPITRE 28 : On réfute les objections
de Calvin
Quand Calvin nous reproche de dire
que le pontife romain ne peut être jugé par personne, (livre 4, chapitre
7, versets 19, 20, et 21 de ses institutions), il ne présente aucun
argument qui s’y rapporte de près, mais dit seulement qu’il peut tirer,
des conciles, des historiens et des anciens écrits, beaucoup de choses
que les pontifes romains ont été contraints de faire. Mais jusqu’à
présent, de cette si grande masse de documents, il n’a rien voulu nous
faire part. Ses considérations sur le nom de prêtre suprême
et d’évêque universel relèvent plutôt du prochain chapitre.
Cependant, dans un autre endroit (livre 4, chapitre 11, verset 12), il
cite certains passages de saint Grégoire qui, tout pape qu’il était,
se reconnaissait le sujet de l’empereur. Car (dans le livre 3,
épitre 61), il appelle l’empereur son Seigneur sérénissime, et se
déclare loyalement son indigne serviteur. Il confesse même ingénument
qu’il lui doit allégeance (livre 4, épitre 31). Il dit la même
chose au livre 4, (épitre 31). Il parle là de lui, et se range parmi
ceux qui sont gouvernés par l’empereur. Il dit la même chose
dans l’épitre 34 : « J’ai confiance que le Dieu tout-puissant accordera
une longue vie aux pieux souverains, et, selon sa miséricorde, nous gardera
sous leur main. »
Je réponds qu’il ne faut pas
se surprendre de ce que saint Grégoire se déclare le serviteur de l’empereur,
car, comme l’écrit Jean le diacre (livre 4 de sa vie, chapitre
58), il donnait à tous les prêtres le nom de frères, à tous les clercs
le nom de fils, et à tous les laïcs le nom de seigneurs. Mais on
ne peut pas déduire de cela qu’il pouvait être jugé par tous les laïcs.
L’obéissance et la sujétion lui faisaient, par humilité, s’appeler
serviteur de l’empereur, et lui faisaient recevoir les désirs de l’empereur
comme des ordres et des commandements. Il nous arrive même
à nous de dire que nous obéissons quand nous faisons ce que quelqu’un
désire, même si cette personne n’avait donné aucun ordre, ni
ne pouvait même en donner. Ajoutons que ce n’est pas
sans raison que le pape Grégoire parlait si humblement à l’empereur,
parce que, à cette époque, l’empereur était le maître temporel de
la ville de Rome; et le pape avait un urgent besoin de l’aide et
de l’amitié de l’empereur pour qu’il le défende, lui et le peuple
romain, contre les glaives et la fureur des Lombards. De plus, dans l’administration
de la république temporelle elle-même, l’empereur, qui demeurait loin,
se servait beaucoup du pape, comme leurs épitres le révèlent.
Et il est certain que le pape devait rendre compte à l’empereur des
choses qu’il faisait en son nom.
Mais si nous ne regardons que les
personnes, l’empereur était une brebis, et le pape son pasteur.
C’était donc au pape à juger l’empereur et non à l’empereur à
juger le pape, car on voit que souvent de pieux pontifes ont jugé des
empereurs, comme Fabien Philippe, Ambroise Théodose, Innocent Arcadius;
mais on ne lit jamais que des empereurs pieux aient jugé des pontifes
romains, ou leur aient ordonné quoi que ce soit, comme Nicholas le prouve,
par plusieurs témoignages, dans sa lettre à l’empereur Michaël.
Ce n’est pas que le pape saint Grégoire ignorât ces choses ou les ait
passées sous silence. Car dans la même épitre que Calvin
cite (livre 4, épitre 31), il ajoute, après s’être reconnu son serviteur,
que l’empereur doit porter respect aux prêtres, ce qui est surement
le comportement d’un inférieur, non d’un supérieur. Il présente,
au même endroit, l’exemple de Constantin qui n’a jamais osé juger
des évêques, même quand ils le demandaient et le voulaient. Cet
exemple, saint Grégoire ne l’aurait certainement pas donné, s’il
avait pensé qu’un pape doive être jugé par un empereur. De plus,
quand l’empereur l’appela simplet, il ne garda pas le silence, mais
lui dit qu’il lui avait fait une injure par ce mot, puisque simplet semble
le synonyme de stupide. Et où serait l’injure, je le demande,
si le maître appelait son serviteur simplet, ou si le juge appelait un
coupable simplet ? Saint Grégoire comprenait donc quelle était
la nature de son poste, et la révérence que l’empereur lui devait,
même si, en partie par humilité, et en partie par nécessité, il se
déclarait son serviteur. Lisez l’épitre 47, et le commentaire
de saint Grégoire sur le psaume pénitentiel 101, et vous constaterez
que l’empereur Maurice se comportait an tyran, et que l’obéissance
que le pape lui rendait n’était pas due, mais imposée de force.
CHAPITRE 29
On réfute neuf autres arguments
Suivent maintenant des arguments
que Jean de Turrecremata et d’autres hérétiques ont puisés auprès
des anciens hérétiques. Le premier. Notre Seigneur Jésus-Christ
lui-même a reconnu que le pouvoir impérial lui était supérieur,
quand il a dit à Pilate (Jean 10) : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur
moi, s’il ne t’avait été donné d’en haut. » Celui qui s’appelle
le vicaire du Christ, le pontife romain, doit donc être encore plus soumis
au pouvoir de l’empereur. On le confirme par le commentaire que
donne saint Augustin de ce texte. Il enseigne clairement que le pouvoir
que Pilate avait sur le Christ venait de Dieu, selon cette parole de l’apôtre
(Rom, 13) : « Il n’est de pouvoir que de Dieu. » De même,
saint Bernard écrit à l’évêque Henri,( épitre 42) : « Dites, si
vous l’osez, que Dieu ne reconnait pas l’autorité des princes, car,
en disant que le pouvoir que Pilate avait sur lui venait d’en haut, le
Christ avoue qu’il avait été institué par le ciel. » Je réponds
que, en droit, le Christ n’a été le sujet de personne, puisqu’il
était Dieu et le Fils de Dieu, mais que c’est volontairement que, à
cause de nous, il s’est soumis au jugement de Pilate, sans reconnaître
sur lui aucune autorité, mais en supportant humblement celle qu’il avait
de fait, non de droit. On voit la même chose dans l’évangile
de saint Matthieu (17). Quand on lui demanda de payer le tribut,
il déclara d’abord qu’il n’était pas tenu de le faire, et ordonna
ensuite qu’on s’en acquittât pour éviter le scandale.
Au texte de saint Jean (19), on
peut répondre de deux manières. La première avec saint Cyrille
et saint Jean Chrysostome. Ils enseignent que le Seigneur ne parle
pas d’un pouvoir juridique, mais d’une permission divine, sans
laquelle les péchés eux-mêmes ne peuvent pas exister. Et voici
quel serait le sens : tu ne pourrais rien faire sur moi si mon Père n’avait
pas décrété de le permettre. C’est de ce pouvoir qu’il parle
aussi en Luc 22 : « C’est votre heure, et celle de la puissance des
ténèbres. » Mais, tu diras, si le Seigneur parle d’une permission,
comment peut-il ajouter tout de suite après : « C’est pourquoi, celui
qui m’a livré à toi a commis un plus grand péché. » Dieu a
permis à Pilate de porter un jugement de condamnation sur le Christ, et
il n’aurait pas permis aux Juifs de livrer le Christ à Pilate, et c’est
parce qu’ils l’ont livré sans permission d’en haut qu’ils auraient
péché plus que Pilate ? Je réponds que la deuxième phrase suit
logiquement la première. Car, quand le Seigneur dit « c’est pourquoi
», il ne donne pas seulement la raison pour laquelle les Juifs ont péché
plus que Pilate, mais aussi la raison pour laquelle Pilate a péché, même
si moins gravement que les Juifs. Voilà donc quel est le sens de
ces paroles. Parce que, sans que la justice l’exige, mais
par la seule permission de Dieu, vous m’avez crucifié, à cause de cela,
toi aussi tu pêches, mais pêche davantage celui qui sans que la justice
le lui demande, mais poussé par la seule haine, m’a livré à toi, et
t’a incité par ses clameurs à me crucifier.
L’autre interprétation est celle
de saint Augustin et de saint Bernard. Ils disent que le Christ
parle d’un vrai pouvoir juridique, comme le laissent entendre les mots
qui suivent : voilà pourquoi, celui qui m’a livré à toi a un plus
grand péché que toi. Et voici quel en est le sens : tu me crucifies,
parce que tu as peur d’offenser César, de qui tu tiens ton pouvoir.
Or, tu pêches, parce que tu dois obéir plus à Dieu qu’aux hommes.
Mais pêche davantage le Juif qui m’a livré à toi, car ce n’est pas
par crainte d’un pouvoir supérieur qu’il m’a crucifié, mais par
haine et envie. Et bien que la première explication semble plus
littérale, la deuxième n’a rien qui nous soit contraire. Car,
on dit que Pilate a eu un pouvoir sur le Christ, et qu’il l’a eu vraiment,
non en soi, mais par accident. Car il avait lui-même un pouvoir
sur tous les Juifs qui étaient soumis à l’empire romain. Et Jésus
lui a été présenté comme l’un de ces Juifs particuliers. C’était
donc parce qu’il lui était présenté ainsi qu’il avait un pouvoir
sur lui. Car même si Pilate soupçonnait que le Christ pouvait
être le Fils de Dieu, ce n’est pas en tant que Fils de Dieu qu’il
l’a jugé et condamné, mais en tant que citoyen Juif. De la même
façon, en changeant l’habit d’un clerc, on pourrait l’amener devant
un juge séculier pour qu’il soit jugé par lui. Le juge
pourrait entendre la cause, et être excusé de toute faute, s’il agissait
par ignorance.
Le deuxième argument. Paul
(actes 25) fait appel à César : « Je suis devant un tribunal de César,
il faut que je sois jugé là-bas. » Et plus bas : « J’en appelle
à César ». Si saint Paul voyait en César un juge, il est certain
que saint Pierre le voyait aussi. Car, Pierre et Paul sont
égaux. Je réponds que saint Paul en a appelé à César
parce que César était son juge de fait, si non de droit. C’est
ce que répond Jean de Turrecremata (livre 2, chapitre 96, somme de l’églis
). On peut ajouter qu’il en a appelé à César non parce qu’il
le croyait supérieur aux juges de la Judée, qui l’injuriaient,
mais parce qu’il ne pouvait se libérer d’un jugement injuste, qu’en
recourant à un tribunal supérieur. Lui-même l’a expliqué, quand
il a dit qu’il a été forcé d’en appeler à César (actes 28).
Le troisième argument. Saint Paul dit aux Romains 13 : «
Que toute âme soit soumise aux pouvoirs supérieurs. » Et saint
Pierre 1 et 2 : « Soyez soumis à toute créature humaine à cause de
Dieu, comme à un roi, à cause de sa suprématie. »
Dans ces passages, on parle des pouvoirs séculiers. Il n’exclut
personne de la sujétion, ni clerc, ni évêque, ni pape, quand il dit
: toute âme est soumise. On ne peut pas répondre que l’apôtre
ne parle que des chefs politiques de son temps, qui étaient païens, car,
en relisant publiquement toujours les mêmes textes, l’Église
nous indique assez clairement que saint Paul et saint Pierre ont parlé
de tous les chefs de gouvernement qui étaient et qui seront.
Je réponds que saint Pierre
et saint Paul ont parlé en termes généraux, et ont exhorté leurs sujets
à obéir à leurs supérieurs autant temporels que spirituels.
On ne peut pourtant pas en conclure que le pape soit soumis au roi, mais
que c’est seulement celui qui est sujet qui doit obéissance à un supérieur.
Que ces phrases aient un sens général, on le prouve par saint Paul :
« Que chacun se soumette en tout aux autorités les plus hautes. »
Il ne restreint pas ici le sens au seul pouvoir séculier, mais il parle
de tous les pouvoirs. Ne nous contredit pas non plus l’exemple
des rois qui portent le glaive. Car c’était, pour saint Paul,
une façon imagée et expressive de parler des rois, car à cette
époque les calomniateurs accusaient les chrétiens de sédition et de
rébellion. Voilà pourquoi, il conclut d’une façon générale,
à la fin : « Rendez donc à tous ce qui leur est du, le tribut à qui
est du le tribut, l’honneur à qui est du l’honneur, la crainte
à qui est due la crainte. » Pour des raisons semblables, saint
Pierre parle en termes généraux : « Soyez soumis à toute
créature », c’est-à-dire à toute créature qui détient le pouvoir.
Et il parle ensuite explicitement des rois et des chefs, pour la même
raison que saint Paul. Voilà pourquoi saint Bernard (que nous avons
cité plus haut) dit (dans l’épitre 183 à l’empereur Conrad) : «
Lis ! Que toute âme soit soumise aux autorités les plus hautes.
Cette sentence je veux que vous l’observiez en portant respect au vicaire
du Christ, comme vous voulez qu’elle soit observée à votre sujet par
tout l’empire. »
Le quatrième argument. Dans
l’ancienne loi, le roi jugeait et déposait le pontife, car Salomon (3
rois 2) déposa Abiathar, et mit à sa place Sadoch. Pour une raison
semblable, dans le nouveau testament, il reviendra à l’empereur de déposer
le pape. Je dis, d’abord, qu’on peut nier la similitude, car,
comme dans l’ancien testament, des promesses temporelles furent seules
données, comme l’enseignent saint Jérôme (livre 1 contre les pélagiens,
et dans l’épitre à Dard sur la terre promise) et saint Augustin (quest
13 dans le livre des nombres 19, contre Faustus, chapitre 31), il
ne faut pas se surprendre que le pouvoir temporel ait été supérieur,
tandis que dans le nouveau testament, c’est le pouvoir spirituel qui
est supérieur. Je réponds, ensuite, que, même dans l’ancien
testament le pontife a été plus grand que le roi, comme l’enseignent
Philon (dans le livre des victimes), Theodoret (question 1 dans le lévitique)
et Procopius (chapitre 4 dans le lévitique). Et on le déduit cela
du chapitre 27 des Nombres où il est dit qu’à la parole du pontife
Éléazar, le roi Josué, tout comme le peuple, devait entrer et
sortir. On le déduit aussi du Lévitique (4), où quatre sacrifices
ont été institués, par l’ordre et la grandeur desquels on découvrait
l’ordre et la grandeur des personnes pour lesquelles ils étaient faits.
Le premier, un veau pour un pontife; le second, un veau aussi pour tout
le peuple; le troisième, un bouc, c’est-à-dire un animal plus vil,
pour le roi; le quatrième, une chèvre, pour une personne en particulier.
Et je dis, au sujet de Salomon, que ce n’est pas en tant que roi, mais
en tant que prophète et qu’exécuteur de la divine justice qu’il déposa
Abiathar, et lui substitua Sadoch. Car, il est dit dans 3
rois 2 que Salomon a déplacé Abiathar « pour accomplir la parole de
Dieu ».
Le cinquième argument. Les
empereurs chrétiens ont souvent jugé et déposé des pontifes, car Constance
envoya Libère en exil, Justin, Sylvère. Le roi Théodoric envoya
le pape Jean 1 en prison. Othon 1 déposa le pape Jean X11, et mit
Léon V111 à sa place. Henri 11 déposa Grégoire V1, et ordonna
que Clément 11 soit sacré. Les histoires de ces temps sont pleines
de toutes ces choses. Je réponds que ces choses on été vraiment
faites, mais de quel droit ! Il est certain que c’est injustement
que le pape Libère a été relégué en exil, comme l’atteste saint
Athanase dans une lettre à un moine. Liberatus, dans le bréviaire,
dit la même chose au sujet de Sylvère. Saint Grégoire dit
la même chose au sujet de Jean premier (livre 4, dialogues, chapitre 30
). Et il est certain que Constance et Théodoric ont été
ariens, que Justinien a été euthychiaen. Il ne faut donc pas
se surprendre que, comme l’on fait les empereurs païens, des princes
hérétiques aient, par un droit tyrannique, déposé et torturé des pontifes.
Au sujet de l’empereur Othon 1,
il est assez clair que c’est dans une bonne intention, mais non selon
la science, qu’il a déposé le pape Jean X11, qui a été le plus
indigne de tous les pontifes. Il ne faut donc pas se surprendre qu’un
empereur pieux comme était Othon 1, mais non versé en droit canon, ait
jugé qu’il était de son devoir de le déposer, d’autant plus que
plusieurs docteurs étaient de son avis. Voilà pourquoi Othon Frisingensis
(livre 6, chapitre 3) parle en termes modérés de l’empereur, quand
il relate cette histoire. Voici ce qu’il dit : « Avait-il
le droit de faire ce qu’il a fait, oui ou non ? Ce n’est pas à des
gens de notre génération de le décider. » Ajoutons qu’Othon
ne déposa pas lui-même le pape, mais vit à ce qu’un concile d’évêques
le déposât. Ce concile ne fut pas tant un concile qu’un
conciliabule qui fut abrogé par la suite, comme le prouve le cardinal
Baronius (tome 10 de ses annales) avec des témoignages d’historiens
de cette époque. La difficulté est moins grande au sujet de Henri
111, car, comme le raconte le même Othon Trisingensis (livre 6, chapitre
32), l’empereur Henri ne déposa pas Grégoire, mais le persuada de céder
sa place à un autre, car son élection semblait avoir été entachée
de simonie. Le pape simoniaque cédant sa place, Clément fut élu.
Léon Hostiensis, qui vécut à cette époque, ajoute (livre 2 des
chroniques cassiniennes, chapitre 80), qu’un concile d’évêques a
été convoqué, que l’empereur avait invité le pape à être présent
au concile, à le présider lui-même en personne, et à agir
comme juge suprême, même si c’était de sa propre cause que le concile
délibérait. Sincèrement repenti, il demanda pardon pour ses erreurs,
et abdiqua spontanément son pontificat.
Le sixième argument. Les
pontifes se déclarent eux-mêmes être sujets des empereurs. Car,
saint Grégoire, d’après Gratien, canon si quis, question 7 : « Si
quelqu’un voulait répliquer à ces choses, qu’il vienne au siège
apostolique, pour que, là, devant la confession de saint Pierre, il décide
justement avec moi dans quelle mesure l’un de nous doit recevoir, là,
sa sentence. » De même, le pape Hadrien a concédé à Charlemagne
le droit d’élire le pontife romain et de donner des ordres au siège
apostolique (dist.63 canon Hadrianus). Léon V111 concéda la même
chose plus tard à Othon 1, (dist. 63 canon du synode). Léon 1V
demanda des juges à l’empereur Louis, et promit de s’en ternir à
leurs verdicts, (canon nos si incompeter 2 q.7). Je réponds que
ces paroles de saint Grégoire ne se trouvent pas dans ses œuvres.
De plus, Grégoire n’en appelle pas au jugement des hommes, mais de Dieu.
Car il semble parler de la tromperie qui fausse les par jugements,
et de l’attente de la divine justice qui frappe souvent immédiatement
les parjures. Hadrien et Léon n’ont concédé à l’empereur
que le droit de confirmer ou d’infirmer l’élection d’un nouveau
pontife, et de commander à l’église romaine en tant que chef temporel.
Il ne s’ensuit pas qu’ils aient eu un pouvoir sur le pape. Et
ces deux privilèges qui ont été concédés à l’empereur à cause
du grand nombre de schismes, et à cause des ennemis lombards et grecs
qui vexaient sans relâche l’Église romaine, furent révoqués quand
ces causes furent disparues. Ajoutons que ces canons ne semblent
pas être légitimes, puisque Gratien ne les tient que du récit de l’historien
Sigibert, et qu’on peut prouver le contraire par la coutume de l’époque,
comme l’indique le cardinall Baronius au tome 4 de ses annales.
Léon 1V s’est soumis au jugement prudentiel de l’empereur, non à
son jugement coercitif, comme le même chapitre nous le montre clairement.
Le septième argument.
Il est permis à chacun de tuer un pontife s’il est envahi injustement
par lui. Il est, à plus forte raison, permis à des rois ou à des conciles
de déposer le pontife, s’il perturbe la république, ou s’il s’évertue
à tuer les âmes par son mauvais exemple. Je réponds en niant la
conséquence, car, pour résister à un agresseur et pour se défendre
contre lui, aucune autorité n’est requise. Et il importe peu que
celui qui envahit soit juge ou supérieur à celui qu’il envahit.
Mais pour juger ou punir, il faut avoir l’autorité. Donc, comme
il est permis de résister à un pontife qui agresse le corps, il est permis
aussi de résister à celui qui envahit les âmes, ou qui trouble la république,
et surtout s’il s’efforce de détruire l’église. Il est permis,
dis-je, de lui résister en ne faisant pas ce qu’il ordonne, et en empêchant
que ses ordres soient mis à exécution. Mais il n’est cependant
pas permis de le juger, de le punir, de le déposer, choses que seul un
supérieur peut faire. Voir, à ce sujet, Cajetan (traité de l’autorité
du pape et des conciles, chapitre 27), et Jean de Turrecremata (livre2,
chapitre 106).
Le huitième argument. Le
pontife est vraiment, au for interne de la conscience, soumis à son confesseur
comme au ministre de Dieu. Pourquoi, donc, au for externe, ne pourrait-il
pas être soumis à un prince, qui est, lui aussi un ministre de Dieu ?
Je réponds que la différence en est que, au for interne de la conscience,
le confesseur est un pur instrument de Dieu, de sorte que c’est plutôt
Dieu par l’homme qui juge, qu’un simple homme. La preuve en est
que le confesseur ne peut pas forcer un pénitent à faire pénitence malgré
lui; et qu’en confession, on juge aussi des crimes les plus cachés qui
ne relèvent que de la seule connaissance de Dieu. Mais, dans le
for externe, l’homme est un véritable juge, même en tant qu’homme,
même si c’est par Dieu qu’il a été fait juge. Il ne juge donc
que ce qui est connu et prouvé, et peut imposer une peine à quelqu’un
malgré lui.
Le neuvième argument. Le
pontife peut donner un libelle de répudiation à son épouse l’Église
par l’abdication, comme on le voit dans le sixième article sur la renonciation,
chapitre 1. L’église peut donc, elle aussi, donner un libelle
de répudiation à son époux, le souverain pontife, et en élire un autre.
Je réponds d’abord, en niant la conséquence, car le pape est au-dessus
de l’Église, mais l’Église n’est pas au-dessus du pape. Selon
le Deutéronome (24), le mari pouvait donner un libelle de répudiation
à son épouse, mais on ne lit nulle part que l’épouse pouvait donner
un libelle de répudiation à son mari. Je dis ensuite que
le pontife romain ne peut pas renoncer à son pontificat sans le consentement
de l’Église. Et si donc l’église pouvait donner un libelle
de répudiation au pape, elle ne le pourrait pas sans son consentement.
Et en consentant, ce serait lui qui abdiquerait, spontanément, sans
y être forcé par personne.
CHAPITRE 30
On réfute le dernier argument,
et on traite de la question suivante : un pape hérétique peut-il être
déposé ?
Dixième argument. En cas
d’hérésie, le pape peut être jugé et déposé par l’Église (dit.
40 canon si papa). Le pontife est donc soumis à un jugement humain, au
moins en ce cas. Je réponds que, à ce sujet, il y a cinq
opinions. La première est celle d’Albert Pighius (livre
4, chapitre 8, la hiérarchie ecclésiastique). Il soutient, là,
qu’un pape ne peut pas être hérétique. Il ne peut donc être
déposé en aucun cas. Cette sentence est probable, et peut
facilement être soutenue, comme nous le montrerons plus tard en son temps.
Mais, comme elle n’est pas certaine, et comme l’opinion commune lui
est plutôt contraire, il vaut donc la peine de se demander ce qu’on
doit répondre à la question un pape peut-il être hérétique.
Voici quelle est la deuxième opinion. À partir du moment où le pape
tombe dans une hérésie, même intérieure seulement, il est en
dehors de l’Église et déposé par Dieu. En conséquence, il peut être
jugé par l’église, être déclaré déposé de droit divin, et
déposé de fait, s’il refuse de céder sa place. Voilà ce qu’enseigne
Jean de Turrecremata (livre 4, paragraphe 2, chapitre 20. »
Mais, moi, personnellement, je n’approuve pas cet enseignement.
Car, la juridiction du pontife est donnée par Dieu, par l’opération
concomitante des hommes, car c’est des hommes que tient celui qui n’était
pas pape de commencer à l’être. Dieu ne l’enlève donc que
par l’homme. Mais un hérétique occulte ne peut pas être jugé par
l’homme, et il ne veut pas, non plus, abandonner son poste spontanément.
Ajoutons que le fondement de cette opinion est que les hérétiques sont
hors de l’Église. Nous montrerons au long et large que cette opinion
est fausse dans le livre 1 de l’Église.
La troisième opinion se porte à
l’autre extrême. Elle enseigne que le pape n’est déposé, ou
ne peut être déposé ni par une hérésie occulte, ni par une hérésie
manifestée publiquement. C’est Turrecremata qui rapporte et réfute
cette opinion (au lieu cité), qui est fort improbable. D’bord,
parce que le canon si papa dist. 40, stipule qu’un pape hérétique
peut être jugé. Et c’est ce qu’enseigne Innocent (sermon 2,
de la consécration d’un pontife). Et, ce qui est encore plus fort,
dans le synode 8 (acte 7), on transcrit les actes d’un concile romain
sous Hadrien, dans lesquels on lisait que le pape Honorius semblait
avoir été anathématisé justement, parce qu’il avait été convaincu
d’hérésie; et que c’était la seule occasion où il était permis
à un inférieur de juger un supérieur. Mais, il faut noter ici
qu’Honorius n’a pas été hérétique, et que, Hadrien 11, trompé
par des exemplaires corrompus du synode 6, a pensé faussement qu’Honorius
avait été hérétique. Mais, cependant, nous ne pouvons nier
qu’Hadrien et tout le concile romain aient estimé qu’en cas d’hérésie,
le pontife romain pouvait être jugé. Ajoutons qu’elle serait
très misérable la condition de l’église si elle était forcée de
reconnaître pour pasteur un loup qui dévore les moutons.
La quatrième opinion est celle
de Cajetan, (dans son traité sur l’autorité des conciles et des papes,
chapitres 20 et 21). Il enseigne qu’un pape manifestement hérétique
n’est pas déposé par le fait même, mais peut et doit être déposé
par l’Église. Cette position est indéfendable, à mon jugement.
Car, d’abord, qu’un hérétique manifeste soit, par le fait même,
déposé, les autorités le prouvent, et la raison. L’autorité
est celle de saint Paul (épitre à Titus, 3) qui ordonne qu’après deux
avertissements, c’est-à-dire après qu’il se soit montré obstiné,
on l’évite, et cela, avant toute excommunication ou sentence de juge.
C’est ce qui fait dire à saint Jérôme, à propos de ce passage, que
les autres pécheurs sont exclus de l’église par une sentence d’excommunication,
mais que les hérétiques font scission eux-mêmes, et se séparent d’eux-mêmes
du corps du Christ. Mais on ne peut empêcher qu’un pape demeure pape,
pas plus qu’on ne peut demeurer sans sa tête. Car comment pourrions-nous
nous séparer d’un membre qui fait partie de nous ? Il existe
aussi une raison, et qui est des plus certaines. Un non
chrétien ne peut, en aucune façon, être pape, comme le reconnait Cajetan
(même livre, chapitre 26), et la raison en est que ne peut pas être
tête ce qui n’est pas membre. Et n’est pas membre de l’Église
celui qui n’est pas chrétien. Or, l’hérétique manifeste
n’est pas chrétien, comme l’enseigne clairement saint Cyprien, (livre
4, épitre 2), saint Athanase (sermon 2 contre les Ariens), saint Augustin
(livre de la grâce du Christ, chapitre 20), saint Jérôme (contre Lucifer,
et les autres). L’hérétique manifeste ne peut donc pas être
un pape.
Cajetan répond (dans son apologie
pro tract predicto, chapitre 25, chapitre 22) qu’un hérétique n’est
pas chrétien absolument parlant, mais qu’il l’est à un certain point
de vue. Car, comme il y a deux choses qui font le chrétien, la foi
et le caractère, après avoir perdu la foi, l’hérétique adhère d’une
certaine façon à l’Église, et est donc capable de juridiction.
Il est donc encore pape, mais il doit être déposé, car, par l’hérésie,
il s’est mis en condition, condition ultime, de ne plus être pape, comme
un homme qui n’est pas encore mort, mais qui est moribond.
Mais, contrairement à ce qu’il dit, si en raison du caractère, l’hérétique
demeurait uni en acte avec l’Église, il ne pourrait jamais être séparé
d’elle, parce que le caractère est indélébile. Or, tous reconnaissent
que certaines personnes peuvent être séparées, de fait, de l’Église.
Le caractère n’a donc pas pour effet qu’un hérétique demeure en
acte dans l’Église, mais est seulement un signe qu’il était dans
l’Église, et qu’il devait y rester. Comme le caractère
imprimé sur une brebis ne la fait pas appartenir à la bergerie,
quand elle erre sur les montagnes, mais indique de quel bercail elle a
fui, et où elle peut être de nouveau ramenée de force. On le confirme
par un texte de saint Thomas ( 3 par question 8, article 3). Il dit
que ceux qui sont privés de la foi ne sont pas unis en acte au Christ,
mais en puissance seulement. Il parle, là, de l’union interne,
non externe, qui se fait par la confession de la foi et par les sacrements
visibles. En conséquence, comme le caractère appartient
à l’interne, et non à l’externe, on peut donc dire que,
selon saint Thomas, le caractère seul n’unit pas l’homme
au Christ.
Donc. Ou la foi est une disposition
absolument nécessaire pour que quelqu’un devienne pape,
ou seulement pour qu’il soit un bon pape. Dans le premier
cas, une fois cette disposition enlevée par une disposition contraire
qui est l’hérésie, le pape cesse aussitôt de l’être, car la forme
ne peut pas se conserver sans les dispositions nécessaires.
Dans le second cas, on ne peut pas déposer un pape pour motif d’hérésie,
car, autrement, il faudrait aussi le déposer pour des motifs de l’ordre
de l’ignorance ou de la malhonnêteté, et d’autres qui sont nécessaires
pour qu’un pape soit bon. Voilà donc pourquoi Cajetan enseigne
(traité praed, chapitre 26) qu’un pape ne peut pas être déposé en
raison de manque de dispositions. Cajetan prétend que la foi
est une disposition absolument nécessaire, mais partielle, non totale,
et qu’une fois disparue, le pape peut demeurer pape à cause d’une
autre partie de la disposition qui est le caractère, et qui demeure.
Voici ce qu’on peut lui opposer. Ou
une disposition totale, qui est le caractère et la foi, est absolument
nécessaire, ou pas, ou elle suffit si elle est partielle. Dans le
premier cas, une fois la foi disparue, il ne reste plus de disposition
absolument nécessaire, parce que c’est la totale qui était
absolument nécessaire, et qu’elle a cessé d’être totale.
Et, à cause de son défaut, le pape peut donc être déposé.
De plus, ceux qui ont une disposition ultime à la mort cessent bientôt
d’exister sans l’action d’autre force externe, comme il est évident.
Et un pape hérétique cesse donc d’être pape sans aucune autre intervention.
De plus, les saints pères enseignent à l’unanimité que les hérétiques
ne sont pas seulement en dehors de l’Église, mais qu’ils sont privés,
par le fait même, de toute juridiction et de toute dignité ecclésiastique.
Cyprien (livre 2, épitre 6) écrit :
« Nous disons que tous les hérétiques et tous les schismatiques n’ont
ni pouvoir ni droit. » Et (au livre 2 de son épitre 1), il
enseigne que les hérétiques qui retournent à l’Église doivent être
reçus comme des laïcs, même s’ils étaient antérieurement, dans l’Église,
prêtres ou évêques. Optatus (livre 1 contre Parmenius) enseigne que
les hérétiques et les schismatiques ne peuvent ni avoir les clefs du
royaume des cieux, ni lier, ni délier. De même, saint Ambroise
(livre 1 de la pénitence, chapitre 19), et saint Augustin (dans l’enchiridion,
chap 66). Saint Jérôme enseigne la même chose contre Lucifer
: « Ce qui est important ce n’est pas que ceux qui ont été hérétiques
ne peuvent pas devenir évêques, mais que ceux qui sont appelés à l’épiscopat
ne soient pas hérétiques. » Le pape Célestin 1 (dans la
lettre à Jean d’Antioche, qui se trouve dans le concile d’Éphèse,
tome 1, chapitre 19) : « Si quelqu’un a été excommunié, ou expulsé
ou privé de sa dignité presbytérale ou épiscopale par l’évêque
Nestorius ou par ceux qui le suivent, ou par ceux qui ont commencé à
prêcher de telles choses, il est clair qu’il est toujours demeuré
dans notre communion, que nous ne le considérons pas comme quelqu’un
qui s’est éloigné de nous, car il ne pouvait déplacer personne par
une sentence celui qui méritait d’être déplacé lui-même. »
Et, dans son épitre aux clercs de Constantinople : « L’autorité de
notre siège a statué qu’aucun évêque, clerc ou laïc, qui a été
expulsé de son siège, excommunié ou déposé par Nestorius ou ses semblables,
ou par ceux qui ont commencé à prêcher de telles choses, ne doit être
considéré comme expulsé, excommunié ou déposé, car il ne pouvait
expulser ou démettre personne celui qui en prêchant de telles choses
a titubé. » Nicolas 1 premier reprend et confirme ces enseignements
dans son épitre à l’empereur Michaël. Saint Thomas enseigne
lui aussi la même chose (2, 2, question 39, article 3). Il dit que
« les schismatiques perdent toute juridiction et que sont invalides
les choses, qu’ils s’efforcent de se faire avec leur prétendue juridiction
».
Est sans valeur ce que certains répondent
: ces pères parlent selon les droits anciens. Mais, maintenant,
en vertu d’un décret du concile de Constance, ne perdent leur
juridiction que ceux qui sont déclarés nommément hérétiques et persécuteurs
de prêtres. Mais, je dis que cela ne vaut rien du tout. Car
les pères de ce concile, quand ils disent que les hérétiques perdent
leur juridiction, n’allèguent aucun droit humain qui n’était peut-être
plus en vigueur alors. Leurs arguments portent seulement sur la nature
de l’hérésie. Le concile de Constance ne parle que des excommuniés,
de ceux qui, par la sentence de l’Église, avaient perdu leur juridiction.
Les hérétiques, en effet, sont, même avant l’excommunication, en dehors
de l’Église, et privés de toute juridiction, car c’est par leur propre
jugement qu’ils ont été condamnés, comme l’enseigne l’apôtre
à Tite 3, c’est-à-dire qu’ils sont séparés du corps de l’Église
sans excommunication, comme l’explique saint Jérôme.
Ensuite, ce que Cajetan dit, en second
lieu, au sujet d’un pape hérétique, à savoir qu’il peut vraiment
et d’autorité, être déposé par l’Église, cette deuxième
affirmation n’est pas moins fausse que la première. Car, si l’Église
dépose un pape malgré lui, elle est certainement au-dessus du pape.
Cajetan répond lui-même à cette objection en disant que du fait que
l’Église dépose un pape, cela ne la rend pas supérieure au pape,
car elle n’a de pouvoir ou d’autorité que sur l’union de la
personne avec le pontificat. Comme l’église peut unir telle
personne avec le pontificat sans se déclarer supérieure au pape, elle
peut également séparer telle personne du pontificat en cas d’hérésie,
sans se dire supérieure au pape. Je réponds d’abord,
qu’on dit que le pape est supérieur aux évêques parce qu’il a le
pouvoir de les déposer. Mais, cependant, en déposant un évêque, le
pape ne détruit pas l’épiscopat, mais le sépare seulement de telle
personne. Je réponds ensuite que la déposition sans le consentement
de l’évêque est, sans doute possible, une punition. Quand l’Église
dépose un pape malgré lui, elle le punit donc. Or, la punition est l’acte
d’un supérieur envers un inférieur. Je réponds aussi que, selon
Cajetan et les autres thomistes, le tout et les parties pris ensemble sont
une seule et même chose. Celui qui a autorité sur les parties prises
ensemble, de façon à pouvoir les séparer, l’a donc aussi sur le tout
qui est formé de ces parties.
L’exemple que donne Cajetan ne vaut
rien. Il dit qu’au conclave, les électeurs ont le pouvoir
d’appliquer le pontificat à telle personne, mais qu’ils n’ont pas
de pouvoir sur le pape. Car, quand cela se fait, l’action s’exerce
sur la matière de la chose future, et non sur le composé qui n’existe
pas encore. Or, quand elle est détruite, l’action s’exerce sur
le composé, comme on le voit dans les choses naturelles. Donc, quand
les cardinaux créent un pontife, ils exercent leur autorité non sur le
pontife qui n’existe pas encore, mais sur la matière, c’est-à-dire
sur la personne que, par l’élection, ils disposent d’une certaine
façon à recevoir de Dieu la forme du pontificat. Mais, s’ils
déposaient un pontife, ils exerceraient nécessairement leur autorité
sur le composé, c’est-à-dire sur la personne du pontife dotée de dignité.
Au-dessus, donc, du pape.
Il existe donc une cinquième opinion
qui est la véritable. Un pape hérétique manifeste cesse, par lui-même,
d’être pape et chef, comme il cesse, par lui-même, d’être chrétien
et membre du corps du Christ. Il peut donc être jugé et puni par
l’Église. Voilà quelle est la sentence de tous les anciens pères,
qui enseignent que les hérétiques manifestes perdent aussitôt toute
juridiction. Comme saint Cyprien (livre 4, épitre 2) : « Ne peut
pas détenir l’épiscopat, même s’il est le premier évêque, celui
qui se sépare du corps de ses co-évêques, et de l’unité de l’Église.
» Il dit, là, que Novatien, même s’il avait été un pape véritable
et légitime, aurait quand même été déchu de son pontificat,
en se séparant de l’Église ».
Les docteurs récents les plus célèbres
enseignent la même chose. Jean Driedon (livre 4 sur l’écriture
et les dogmes de l’Église, chapitre 2, paragraphe 2, sentence 2) enseigne
que les seuls à être séparés de l’Église sont ceux qui sont expulsés
de l’Église, ou excommuniés par elle, ou qui s’en éloignent
d’eux-mêmes, et combattent l’Église, comme les hérétiques et les
schismatiques. Et, dans la septième sentence, il dit que ceux qui
sont séparés de l’Église ne conservent aucun pouvoir spirituel sur
ceux qui sont dans l’Église. Melchior Cano (livre 4 sur le lieu,
chapitre 2) enseigne que les hérétiques ne sont ni des parties ni des
membres de l’Église. Et (au dernier chapitre de l’argument 12), il
dit qu’on ne peut concevoir que soit pape ou tête de l’Église celui
qui n’en est ni une partie, ni un membre. Et au même endroit,
il explique longuement que les hérétiques occultes sont encore dans l’église,
qu’ils en sont des parties et des membres, et qu’un pape hérétique
occulte est encore pape. Les autres auteurs, que nous avons
cités en parlant de l’église, pensent de la même façon.
Le fondement de cette opinion est
qu’un hérétique manifeste n’est, en aucune façon, un membre de l’Église,
ni par l’âme ni par le corps, ni par une union interne, ni par une union
externe. Car, les mauvais catholiques sont unis à l’église et
en sont des membres. Ils sont unis à l’âme par la foi, et au
corps par la confession de la foi, et la participation aux sacrements visibles.
Les hérétiques occultes sont unis à l’église et en sont membres,
mais seulement par l’union externe. Les bons catéchumènes, eux,
sont dans l’église par la seule union interne, mais pas encore par l’union
externe. Mais les hérétiques manifestes ne sont dans l’Église
d’aucune façon, comme on l’a déjà prouvé.
CHAPITRE 31
On prouve la même chose à partir des
noms qu’on peut attribuer au pontife romain
Le dernier argument provient des noms
donnés au pontife romain. Il y en a quinze : pape, le père des
pères, le pontife des chrétiens, le prêtre suprême, le prince des prêtres,
le vicaire du Christ, la tête du corps de l’Église, le fondement de
l’édifice de l’église, le pasteur du troupeau du Seigneur, le père
et le docteur de tous les fidèles, le recteur de la maison de Dieu, le
gardien de la vigne du Seigneur, l’époux de l’Église, celui
qui préside sur le siège apostolique, l’évêque universel.
De tous ces noms pris isolément et simultanément on peut déduire sa
suprématie.
Le nom le plus ancien et le plus
commun est celui de pape. Car, saint Ignace (dans la lettre à Mariam
Zarbensem, écrit : « Quand tu étais à Rome, auprès du pape Lin ».
Chez les Grecs, le mot papa est le nom que les enfants, qui balbutiaient
encore, donnaient à leur père, comme nous l’apprennent le comique Philemon
(Athénée, livre 8) et Homère (Odyssée, livre 6). Les latins employaient
un mot similaire : pater. De même Ausonius. C’est à partir de
là que les ecclésiastiques se mirent à appeler le chef spirituel «
pape ». Les anciens, il est vrai, appelaient tous les évêques
de ce nom, car, saint Jérôme, par exemple, donnait le nom de pape à
saint Augustin dans toutes ses lettres, et même aussi à n’importe
lequel prêtre. Mais ce nom appartient à l’évêque de Rome
de trois façons. D’abord, quand, par antonomase, on prononce le
mot pape, il ne peut s’agir que du pontife romain, comme on le voit dans
le concile de Chalcédoine (acte 16,) où nous lisons : « Le pape apostolique
et bienheureux nous a prescrit cela. » Il ne sent pas le besoin
d’ajouter Léon, ou romain, ou de la ville de Rome : pape, tout
court. En second lieu, parce que c’est de lui seul qu’on
dit qu’il est le pape de toute l’Église, comme on le voit dans ce
même concile de Chalcédoine (acte 16), où Léon est appelé pape de
l’Église universelle. Comme nous le montre aussi le bréviaire
de Libérat (chapitre 22), où nous lisons qu’il n’y a de pape de l’église
universelle que le pontife romain. On le prouve aussi par le fait
que l’évêque romain est appelé pape par le monde entier et par les
conciles généraux; et par le fait que le pape n’appelle personne
pape ou père, mais tous fils ou frères, comme nous le montrent l’épitre
au concile 2, citée par Théodoret (livre 5, chapitre 10), et l’épitre
du concile de Chalcédoine à Léon.
Le second nom est père des pères.
Ce nom est donné au pontife Damase par Étienne archevêque de Carthage,
dans la lettre au même Damase, qu’il a écrite au nom des conciles d’Afrique
: « Au seigneur bienheureux, et au sommet apostolique élevé, au Père
des pères, Damase, pape. » Nous ne lisons pas que ce nom ait jamais été
donné à d’autres. Le troisième, le pontife des chrétiens.
Nous le trouvons dans les chroniques d’Eusèbe, en l’an 44).
Le quatrième : pontife suprême. Dans la même épitre d’Étienne,
nous lisons : « Et au pontife suprême qui préside sur tous. »
Saint Grégoire se sert de ce titre dans ses dialogues (livre 1, chapitre
4). Saint Anselme, dans sa préface sur le livre de l’incarnation du
Verbe dédié au pape Urbain 11, et saint Bernard, dans toutes ses épitres
aux pontifes romains. Saint Jérôme dans sa préface sur l’évangile
à Damase : « Toi qui est le pontife suprême. » Et dans le synode
6 (article 18), tout le concile acclame le pape Agathon sous le nom de
notre père, et pape suprême. Le cinquième est le prince des prêtres.
C’est ce que nous lisons dans l’épitre de Valentianus à Théodose,
qui est placée avant le concile de Chalcédoine, dans le tome un des conciles
: « Bienheureux es-tu, évêque de la ville de Rome, à qui a été remise
la principauté du sacerdoce, au-dessus des villes les plus anciennes.
» Et dans Prospère, livre 2, chapitre 6, au sujet de la vocation
des Gentils : « À cause de la principauté du sacerdoce, Rome est devenue
plus ample par la forteresse de la religion que par le trône de la puissance.
»
Mais Calvin a ici une objection à nous
faire (livre 3, chapitre 7, verset 3 des institutions). Le concile
de Carthage 3 (canon 26) a interdit que quiconque soit appelé prince des
prêtres, ou prêtre suprême, mais seulement évêque du premier
siège. Je réponds que ce concile a voté cette loi à l’intention
des évêques africains, dont plusieurs avaient une dignité égale, afin
qu’aucun d’entre eux ne s’appelle prêtre suprême ou prince des
prêtres. Il est clair que ce concile africain qui n’était
qu’un concile provincial, ne pouvait obliger ni le pontife romain
ni les évêques des autres provinces. Voilà pourquoi, en dépit
de ce canon, Grégoire, Anselme, Bernard, et ce sixième synode lui-même
on appelé le pape pontife suprême. Le sixième, vicaire du
Christ. C’est ce titre qu’emploie saint Bernard (dans le
livre 2 de la considération), et le concile de Lyon sous Grégoire X,
et le sixième (titre de l’élection, chapitre ubi periculum).
Le septième, tête de l’Église, dont se sert le concile de Chalcédoine
dans sa lettre au pape Léon : « Sur qui tu présides comme la tête sur
les membres. » Mais Calvin (livre 4 des institutions, chapitre 7,
verset 21) objecte que saint Grégoire (livre 4, chapitre 2) écrit à
l’évêque Jean de Constantinople : « Pierre est le premier membre de
l’Église sainte et universelle. Paul, André, Jacques que sont-ils
d’autre que les têtes de chacun des peuples ? Mais tous sont membres
de l’Église sous une seule tête. » Dans cette lettre, saint
Grégoire réprimande Jean qui se voulait la tête de toute l’Église,
et qui utilisait cet argument : « ni Pierre ni aucun autre apôtre
n’ont été la tête de toute l’Église, mais ils ne furent que les
têtes de chacune de leurs églises respectives, et des membres de l’Église
universelle ». Je réponds qu’être tête de toute l’Église
peut s’entendre de deux façons. La première façon, qu’il soit
tête de façon à être le seul à être tête et prince, et que tous
les autres inférieurs ne soient ni têtes, ni princes, mais seulement
ses vicaires. La deuxième, qu’il soit la tête mais la tête générale,
sans enlever aux autres leurs particularités et le fait d’être
vraiment têtes, comme les causes universelles n’enlèvent pas les causes
particulières, et comme, dans une armée, l’empereur n’enlève pas
les chefs particuliers des légions et des cohortes. De la
première manière, le Christ seul est tête de toutes les églises, car,
comparés au Christ, tous sont des vicaires et des administrateurs.
Et personne ne peut être dit son collègue ou son co-évêque. De
cette manière, saint Pierre n’est tête que de l’église romaine en
particulier, car il est le seul à être la tête et l’évêque
particulier de cette église. Les têtes particulières des autres
églises sont les évêques, qui sont de vrais princes, et non des vicaires
de Pierre, mais des collègues et des co-évêques, et c’est de
cette façon que parle saint Grégoire. De l’autre manière, saint
Pierre a été, et le pontife romain est véritablement maintenant la tête
de toutes les églises, comme l’enseigne saint Grégoire lui-même en
ces mots : « Que le respect du au siège apostolique ne soit troublé
par la présomption de personne. Car, l’état des membres persévère
dans son intégrité si la tête de la foi ne reçoit aucune injure. »
Et dans l’épitre 54 : « Le siège apostolique est la tête de toutes
les églises. » Il dit la même chose dans son explication du psaume
de pénitence 4.
La huitième, le fondement.
Saint Jérôme dans son épitre 1 au pape Damase sur l’hypostase, écrit
: « Nous voyons dans ta sainteté les angoisses du bon pasteur, avec quelle
fidélité tu gardes la porte qui t’a été confiée, et avec quel soin
tu pais le troupeau du Christ. » Le dixième, le recteur de la maison
de Dieu. Voici ce que dit le concile de Chalcédoine dans son épitre
au pape saint Léon le grand : « Il ose en plus étendre son insanité
sur celui a à qui a été confiée par le Seigneur la garde de la vigne,
c’est-à-dire ta sainteté apostolique. » Le douzième,
père et docteur de tous les chrétiens. C’est ce que nous avons
dans le concile de Florence, dernière session. Et c’est pour cette
raison que l’Église romaine est appelée mère et maîtresse de toutes
les églises, comme nous l’avons dans le concile du Latran, chapitre
5, sous Innocent 3. La treizième, époux de l’Église. C’est
ainsi qu’appelle le pape le concile de Lyon (chapitre ubi periculum,
sur l’élection).
Mais quelques-uns nous objectent certaines
paroles de saint Bernard dans son épitre 237. Il met en garde le
pape Eugène contre l’idée de se croire l’époux de l’Église. Il
veut qu’il se voie plutôt comme l’ami de l’époux, et ce qui
semble plus absurde encore, comme le vicaire époux de la reine du roi.
Je réponds que comme on dit que le pape est la tête, le recteur, le pasteur
de l’Église à la place du Christ, on dit aussi qu’il est l’époux
à la place du Christ, ou le vicaire et le ministre du Christ. Car
c’est le Christ qui est l’époux véritable et principal, comme le
dit saint Jean-Baptiste, (Jean 3). C’est lui, en effet, qui féconde
l’Église par son Esprit, et c’est par sa semence à lui seul, (la
parole de Dieu) que naissent des fils. On dit que les pontifes romains
sont des époux parce qu’ils coopèrent extrinsèquement à la génération
d’enfants, en tant que ministres du Verbe et des sacrements. Et ces enfants
ce n’est pas pour eux qu’ils les engendrent, mais pour le Christ.
Saint Bernard ne cherche donc qu’à mettre en garde le pontife pour qu’il
ne se croie pas l’époux principal. Et même si, dans la génération
charnelle, il est absurde de penser qu’un roi puisse être aidé par
un vicaire, et qu’une seule femme soit l’épouse de plusieurs, dans
la génération spirituelle, ce n’est pas absurde.
La quatorzième, le détenteur du siège
apostolique. Il est à noter que ce n’est pas seulement l’église
romaine que les anciens appelaient le siège apostolique, mais aussi les
églises d’Antioche, d’Éphèse, de Jérusalem, celles qui ont été
fondées par des apôtres, et là où ces mêmes apôtres ont siégé comme
évêques, comme l’explique Tertullien (livre des prescriptions), et
saint Augustin (l’épitre 162, et les autres). Mais, quant à l’emploi
de ce nom, l’église romaine l’emporte sur les trois autres.
D’abord, parce que, quand on dit siège apostolique tout court, sans
ajouter ni d’Antioche, ni d’Éphèse ni de Jérusalem, on comprend
tout de suite qu’il s’agit du siège de Rome, lequel est dit apostolique
par antonomase. Comme on le voit chez saint Augustin (épitre 106)
: « Les conciles de Carthage et de Milet ont envoyé, sur ce sujet, des
comptes-rendus au siège apostolique. » Il n’ajoute pas romain,
même si c’est ce qu’il veut que l’on comprenne. Que ce soit
bien au pape Innocent que ces rapports aient été envoyés, les épitres
90 et 92 du même saint Augustin nous l’apprennent.
On pourrait citer beaucoup d’autres
exemples. Ensuite parce qu’on ne dit pas seulement que le pontife romain
détient le siège apostolique, comme le font les évêques d’Antioche
et d’Éphèse, mais la principauté du siège apostolique, comme le dit
saint Augustin dans l’épitre 162. Enfin, parce qu’on ne dit
pas seulement que le pontife romain est le détenteur du siège apostolique,
comme c’est le cas pour celui d’Antioche et des autres, mais que sa
charge est apostolique, comme on le voit dans le concile de Chalcédoine
(acte 1). On y lit que les vicaires du pape Léon ont dit : « Son apostolat
a daigné ordonné que Dioscore ne siège pas dans le concile. »
De la même façon, l’empereur Honorius, dans son épitre au pape Boniface
: « Nous demandons d’abord que, par des prières quotidiennes, ton apostolat
daigne faire des vœux fervents pour notre salut et pour notre empire.
» On trouve la même chose dans l’épitre aux évêques de Gaule
(épitre 51 de saint Léon) : « Que votre apostolat pardonne notre retard
! » Enfin, dans l’épitre de saint Bernard 190 à Innocent, nous
lisons : « Il faut référer à votre apostolat les dangers et les scandales
qui surgissent dans le royaume de Dieu ». Ce nom n’est jamais
donné à personne d’autre qu’au pontife romain.
Nous déduisons de tout cela que les évêques
d’Antioche, d’Éphèse et de Jérusalem étaient détenteurs de sièges
apostoliques, au sens où c’est là que des apôtres ont siégé, mais
qu’en aucune façon ils n’ont succédé à ces apôtres dans leur apostolat.
Autrement, leur dignité serait elle aussi un celle d’un apostolat.
Mais le pontife romain est non seulement l’évêque d’un siège apostolique,
mais il succède, d’une certaine façon, à Pierre dans l’apostolat,
et c’est pour cette raison qu’on donne à sa charge pastorale le nom
d’apostolat. Par cette réponse, nous réfutons aussi l’objection
de Nil qui, dans son livre sur la primauté du pape, affirmait que le pontife
romain n’avait pas de juridiction sur les autres évêques, parce que
les évêques d’Antioche, d’Éphèse et de Jérusalem étaient détenteurs
de sièges apostoliques.
Le quinzième, évêque universel.
Dans le concile de Chalcédoine (acte 3), on a lu trois épitres écrites
au pape Léon par des Grecs différents. Elles commencent toutes de la
même façon : « Au très saint, très bienheureux archevêque universel
et patriarche de la grande Rome. » Ces paroles réfutent trois mensonges
des hérétiques. Le premier est celui de Luther qui dit que le pape Léon
a refusé le titre d’universel. Et il ajoute que le pape a dit : « Que
dire sur le nom du très grand et du très saint ? » Luther veut
donc laisser entendre qu’au temps de Grégoire on n’avait pas encore
entendu les noms de très grand et de très saint, ce qui montre une grande
ignorance ou une grande malice, car tous les anciens appellent le pape
très saint, et le lieu cité cloue le bec à Luther. Dans le concile
de Chalcédoine (acte 2), Aetius, évêque de Nicopolis appelle Léon «
notre seigneur, et très saint pape. » Il n’y a aucun titre
qui déplaise davantage aux hérétiques d’aujourd’hui ! Mais il ne
déplut pas, autrefois, à l’ensemble du concile, au sénat, aux juges,
et à tous ceux qui entendirent Aetius dire : « Parce que maintenant a
été lue la lettre de notre seigneur et très saint père. » Saint
Grégoire emploie lui aussi cette expression, comme nous l’avons noté
plus haut (dialogues, chapitre 4), ainsi que la totalité du concile de
Chalcédoine dans son épitre à saint Léon.
L’autre est celui des magdebourgeois
qui (centurie 6, chapitre 7, colonne 439) disent que le pontife romain
a été créé patriarche par l’empereur Justinien en 524.
S’il en était ainsi, comment le concile de Chalcédoine, célébré
en 454, a-t-il pu souvent appeler Léon le patriarche universel ?
La troisième est de Calvin (livre 4, chapitre 7, verset 4 des institutions)
qui rapporte les paroles de saint Grégoire (livre 4, épitre 32), et affirme
ailleurs que le nom universel avait été offert par ses prédécesseurs
dans le concile de Chalcédoine. Et il ajoute tout de suite après : «
Mais cela n’a aucune apparence de vérité, et on ne voit rien de tel
dans les actes de ce concile. » Ce mensonge est d’une grande impudence.
Car, même si le concile n’a rien décrété à ce sujet, il suffit de
constater que le nom qui a été donné au pape par le concile n’a pas
déplu aux membres de ce concile. En effet, à l’acte 3, on donne
souvent ce nom au pape Léon, et personne n’a exprimé la moindre protestation.
Mais contre ce nom, Calvin fait une objection avec les paroles de Grégoire
(livre 4, épitre 32), et il répète plusieurs fois que saint Grégoire
dit en plusieurs endroits que le nom d’évêque universel
est profane, sacrilège, précurseur de l’Antichrist. Et il ajoute
que saint Grégoire écrit qu’aucun de ses prédécesseurs n’a jamais
voulu l’employer. Font la même objection Illyricus (dans son livre
sur l’histoire du concile 6 de Carthage), et Luther (dans son livre
sur le pouvoir du pape, canon du concile africain cité par Gratien dist.
99, canon du premier siège, ou nous lisons : que « même le pontife romain
n’est pas appelé universel. »
Je réponds qu’on peut entendre de deux
façons le nom d’évêque universel. La première façon.
Celui qu’on appelle universel est le seul évêque de toutes les
villes chrétiennes, de façon à ce que les autres ne soient pas vraiment
des évêques, mais les vicaires de celui qu’on nomme évêque universel.
Et, dans ce sens, ce nom est profane, sacrilège et antichrétien.
Et c’est dans ce sens que Grégoire prend le mot, comme on le voit
par la raison qu’il allègue. Car, voici comment il s’exprime (au livre
4 de l’épitre 31 à Constant : « C’est une chose bien triste, en
effet, et difficile à supporter patiemment, que le dit frère et mon co-épiscope
soit contraint d’être appelé lui seul évêque. » Et (livre
4, épitre 36 à Euloge) : « Si un seul patriarche est appelé universel,
le nom de patriarches est enlevé aux autres. » Et, (livre
7, épitre 69 à Eusèbe) : « Si un seul est universel, il s’ensuit
que vous n’êtes pas évêques. »
On peut l’entre d’une autre façon.
On peut appeler évêque universel celui qui a, en général, le soin de
toutes les églises, de façon à ne pas exclure les évêques de la charge
pastorale. Entendu dans ce sens, le mot peut être attribué au pape,
comme l’enseigne saint Grégoire. Saint Grégoire reconnait (livre
34, épitre 32, et dans celles qui suivent) que le titre d’universel
a été attribué au pontife romain par le concile de Chalcédoine, qui
fut saint et catholique. Cela, Grégoire l’enseigne souvent.
Il estime donc que ce nom peut convenir au pape dans un certain sens.
Autre raison. Le même Grégoire (livre 4, épitre 32) soutient
qu’à Pierre a été confié par le Seigneur le soin de toute l’Église.
C’est donc comme s’il disait que Pierre a été constitué par le Christ
pasteur universel. Troisième raison. Même si les pontifes
romains, comme le dit saint Grégoire, ne se donnèrent jamais le
titre d’évêques universels, ils se sont appelés souvent les évêques
de l’église universelle, comme nous le montrent les épitres de Sixte
1, de Victor 1, de Pontien 1, d’Étienne1, et saint Léon (lettres 54,
62, 65). Ces textes saint Grégoire les avait surement lus, et il
n’ignorait pas, que, selon le gros bon sens, évêque universel ou évêque
de l’église universelle étaient des expressions qui exprimaient
la même chose.
Mais tu diras. Si ce mot peut avoir
un bon sens, pourquoi saint Grégoire déclare-t-il, sans faire aucune
distinction de ce genre, qu’il est profane, sacrilège; et pourquoi
interdit-il absolument son usage ? Je réponds que c’était pour
deux raisons. La première, par prudence. Le mot christolocos
(qui tient lieu du Christ) a un bon sens, mais les pères défendirent
de l’employer de peur que, sous ce mot, ne se cache l’hérésie de
Nestorius, qui appelaient Marie mère du Christ, mais non mère de Dieu.
La deuxième, car, la question qui se posait alors était la suivante :
si ce nom peut être donné à l’évêque de Constantinople, pourquoi
pas à l’évêque de Rome ? Or, comme ce nom d’universel ne convenait
en aucune façon à Jean, et qu’il l’avait quand même usurpé, saint
Grégoire déclare que ce nom est profane, sacrilège, dans la mesure même
où il est appliqué à l’évêque de Constantinople. Et il le refusa
même pour lui, même s’il pouvait lui convenir dans un certain sens,
pour mieux réprimer l’orgueil de l’évêque de Constantinople.
Nous en avons donc fini avec l’argument de Calvin.
À celui de Luther et d’Illyricus, je
dis qu’ils ne se sont pas rendus compte que ces mots n’étaient pas
ceux du concile africain, mais de Gratien, qui, après avoir rapporté
le canon du concile africain qui interdisait aux évêques du premier siège
de se dire princes des prêtres, ajoute aussitôt : « car même le pontife
romain n’est pas dit universel. » Ces mots qui sont ceux de Gratien,
n’ont donc aucune autorité, et on peut comprendre les paroles de Grégoire
autrement que lui.
Il y a quelque chose, dans ce mot universel
qui est digne de remarque. Combien grand a été et combien grand
est encore l’orgueil des Grecs, et avec quelle sévérité il a
été puni par Dieu ! Car, pendant 300 ans, le siège de Constantinople
n’a jamais été compté parmi les sièges patriarcaux. Les évêques
de Constantinople ont cherché par la suite non seulement à devenir patriarches,
mais à être placés avant ceux d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem,
à se mettre ensuite sur le même pied que celui
de Rome, et à se déclarer universels. Ils n’ont pas pu
être ramenés à la raison par les censures de Pélage 11, et des autres
papes (car ils furent excommuniés plusieurs fois pour ce motif, comme
l’écrit Léon dans sa lettre à l’empereur Michaël), ni par l’humilité
de saint Grégoire qui, comme l’écrit Jean le diacre dans sa vie
(livre 2, chapitre 1), a commencé, à cause de cela, à récuser
les titres d’archevêque et de patriarche, et à n’accepter que celui
de serviteur des serviteurs de Dieu. Ni non plus par l’édit de
l’empereur Phocas, dont nous avons parlé plus haut. À la
fin des fins, selon le jugement terrible et insondable de Dieu, les Grecs
ont été livrés, avec leur patriarche universel, entre les mains
des Turcs, comme l’avait prédit sainte Brigitte (livre 7, chapitre 9
de ses révélations), ainsi que le pape Nicolas V, comme le rapporte le
scolastique Gennadius (dans le livre pour le concile de Florence, chapitre
7, verset 12.)
2017 10 25 20h12 fin
Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 2019.