JesusMarie.comSaint Robert Bellarmin
Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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2018 10 05
                       LA HUITIÈME CONTROVERSE GÉNÉRALE
                          SUR LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL
                                   expliquée en deux livres
                                                  PRÉFACE
                        lue à des étudiants lors d’un cours magistral
Les hérétiques, comme le dit Isaïe le prophète au chapitre dix-neuf, sont agités par l’esprit de vertige, et comme les constructeurs de la tour de Babel, ils sont si divisés entre eux par les langues et les mœurs, que l’un ne reconnait pas l’autre. Rien ne le prouve mieux que cette dispute sur les sacrements.  Car, dès qu’il s’agit de sacrements, le nom, le nombre, l’efficacité, tout  est objet de controverse. Ils échangent entre eux des attaques et des ripostes  en s’insultant et en se maudissant réciproquement.  Mais d’une façon si inepte et si absurde, qu’on dirait qu’ils cherchent à obtenir la palme de la sottise, ou la coupe de l’incompétence.  Et parce que la grandeur de ce nouveau gymnase, les nouveaux présages d’études, un nouveau groupe d’auditeurs, ce siège et ces murs semblent postuler une préface plus longue et plus soignée que de coutume, je ne me réjouis pas médiocrement d’avoir obtenu, en ce jour, l’occasion d’entamer une dispute.
Car nous allons disserter de la vanité et de la légèreté des hérétiques de ce temps, et cela, dans les sacrements, dans les controverses les plus graves et les plus importantes de notre foi. Cette dispute ne sera pas privée d’un certain plaisir, à la vue du spectacle furieux qu’ils présentent dans leurs luttes fraternelles; ni non plus d’une certaine utilité quand, par cet exemple, ils montreront abondamment dans quelles ténèbres d’erreurs ils sont tombés, dans quel fosse d’absurdes sentences ils se précipitent, depuis qu’ils se sont éloignés de la citadelle bien armée de la vérité catholique.
Au tout début, quand il fut question du mot sacrement chez nos hérétiques, et quand, dans sa Babylone, Martin Luther laissa entendre que ce mot ne lui disait pas grand-chose, incontinent ses disciples qui regardaient Luther non comme un homme quelconque mais comme un nouveau  prophète tombé du ciel, et  qui considéraient comme des oracles non seulement ses sentences mais un simple signe de tête, commencèrent à réprouver et à répudier le mot sacrement. André Carolstad (dans son livre sur les images et les sacrements), l’attaqua ouvertement : « Ce qu’eux appellent sacrement, nous l’appelons signe. Et si le mot signe déplait, appelle-le ephraxidas. »  Zwingli (dans son livre sur la vraie et fausse religion), écrit : « Ce mot sacrement, je désirerais grandement qu’il n’ait jamais été reçu par les Allemands. »
 Calvin, pour sembler plus grave et plus savant que les autres, même s’il approuve peu ce nom (livre 4, chapitre 14 de ses institutions), n’estime pas qu’il vaille la peine de se déchirer pour un mot.  Peu longtemps après, survint entre Luther et les sacramentaires une grave rivalité. Quand Luther s’aperçut que le mot sacrement était fortement réprouvé par les sacramentaires, il commença à le réprouver lui aussi, à le combattre, comme on peut le voir par le livre qu’il écrivit contre André Carolstad.  Il déplorait que cet André qui avait été son ami de coeur, se soit misérablement changé en un Absalon et en un Judas.
Luther ayant changé d’opinion, André prit la défense du mot sacrement.  Son Achates, Philippe Mélancthon suivit Luther, et utilisa souvent ce mot dans ses livres postérieurs.  Suivirent Luther ceux qu’on appelle proprement luthériens, Brentius, Tilmannus, Kemnitius,  et qui cherchèrent ainsi à se distinguer des sacramentaires.  Mais écoutez, si le cœur vous en dit, par quels arguments le mot sacrement est combattu par Karlstad ou défendu par Luther. « Ce mot ne plait pas, dit le premier. Car, Dieu, dans les saintes lettres n’a jamais ordonné que nous utilisions ce mot.  Et, il n’est pas permis, dans les choses divines, d’usurper des noms que Dieu n’a pas ordonné d’usurper. »  Luther dit, contre lui : « Bien au contraire, ce mot plait.  Car, Dieu, dans les saintes lettres n’a jamais interdit l’emploi de ce mot. Et qui es-tu donc, Carolstad, pour te mettre à la place de Dieu, et pour nous interdire ce qu’il ne nous a pas interdit ? »   Lequel des deux est le plus inepte, bien chers auditeurs ?  Car, s’il n’est pas permis dans les choses divines, d’user de mots que Dieu n’a pas employés, que Carolstad nous indique où il a vu dans l’Écriture les mots trinité, essence, personne, consubstantiel ? Ces mots, et d’autres du même genre, qui ont été analysés à fond et adoptés par tous, sont-ils plus employés par les catholiques que par les hérétiques sacramentaires ? Et s’il n’est pas permis d’appeler sacrements le baptême et l’eucharistie, parce que Dieu n’a pas ordonné qu’ils soient appelés ainsi, pourquoi les appeler signes, symboles ou tessères ?  Car, ils ne peuvent pas montrer un texte ni dans les évangiles, ni dans saint Paul, où le baptême et l’eucharistie sont nommés par ces mots.
Mais le raisonnement de Luther n’a pas, lui non plus, beaucoup plus de poids et de solidité.  Car, s’il n’est pas permis de prohiber les mots que Dieu n’a pas prohibés dans les saintes lettres, on ne peut pas interdire aux Ariens le mot semblable à Dieu (au lieu de égal à Dieu, ou consubstantiel).  Les Macédoniens auront le droit d’appeler Dieu créature; il sera permis à Michel Servet de définir le Verbe éternel, de représenter le Christ comme une raison idéale. Il sera permis à Valentin Gentilis d’appeler le Père essenciateur, et Dieu le Fils essencié.  Il sera également permis aux nouveaux Samosates, d’appeler les images de la trinité des cerbères à trois têtes, et des gérions à trois corps.  En effet, aucun de ces mots n’est prohibé dans l’Écriture.
Avec combien plus de gravité, de maturité et de sagesse l’Église catholique garde-t-elle le mot sacrement.  Elle comprend, en effet, que ce mot convient admirablement bien  au baptême, à l’eucharistie, et aux autres mystères de ce genre.  D’autant plus que ce mot a été employé par Tertullien, Cyprien, Lactance, Ambroise, Jérôme, Augustin, et par tous ceux qui, dès le début du nom chrétien, ont écrit sur les choses de notre foi.  Mais, pour le nom, que cela suffise.  Venons-en maintenant à la nature et au pouvoir du sacrement.
Les écrivains catholiques enseignent unanimement, comme ils ont toujours enseigné, que les sacrements de la loi nouvelle sont les instruments de notre justification, comme nous pouvons le prouver même avec le témoignage des adversaires. Car voici comment parle Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 14) : « Avec le consentement de tous, les écoles sophistiques ont transmis que les sacrements de la nouvelle loi justifient et confèrent la grâce, pourvu que nous n’y mettions pas l’obstacle d’un péché mortel. On ne peur pas dire à quel point cette sentence est funeste et empoisonnée;  et cela d’autant plus que pendant plusieurs siècles, cette grand peste a affecté une bonne partie de la terre ». Voilà ce qu’il pense.
Même si, à sa façon, il appelle les catholiques des sophistes, et la foi de l’Église une peste, il ne peut quand même pas nier qu’il existe un grand consensus parmi les catholiques, et que notre sentence a été tenue par toute la terre pendant de longs siècles.  Nous avons donc raison de dire contre eux, en toute vérité, qu’il n’y a, chez eux, rien d’ancien, rien de certain, rien qui ait jamais été reçu par un consentement commun, mais que tout est nouveau, incertain, et circonscrit dans des bornes brèves et étroites.   Car, même si, de nos jours, les hérétiques sont nombreux et pour ainsi dire innombrables, ils sont divisés et séparés  entre eux par tant d’infimes sectes, qu’il n’y a aucun de leur dogme, si solide soit-il, qui ne soit défini autrement à quelque part. Martin Kemnitius, dans la seconde partie de son examen du concile de trente sur la nature et le pouvoir  des sacrements, admet ingénument  qu’il y a une grande discorde entre les siens, c’est-à-dire entre les successeurs et les disciples de Luther. Et, en vérité, il aurait été d’une impudence extrême s’il avait tenté de camoufler ce qui est plus clair que la lumière du jour.
Car, du consentement même de Kemnitius, sont énumérées parmi les adversaires six opinions différentes et des plus absurdes, qui se combattent entre elles, une que Luther a rêvée, une que Carlostad a imaginée, une autre que les anabaptistes ont délirée, une autre  de Zwingli, une autre de Calvin, etc. Examinons-les donc l’une après l’autre,  et relevons brièvement les inepties de chacune d’entre elles.
 Autant dans Babylone que dans l’assertion des articles, le prince Luther veut que le sacrement ne soit rien d’autre qu’un témoignage divin institué pour exciter et nourrir la foi, qui confirme à la façon d’un miracle, et qui,  à l’instar d’un sceau, obtient la promesse de la grâce. Il a coutume de comparer le sacrement avec la toison de Gédéon, avec le signe qu’Isaïe obtint pour le roi Achaz, avec d’autres miracles et prodiges de cette sorte que les prophètes et les apôtres utilisaient pour susciter la foi.  Mais cette sentence est si absurde qu’il est difficile de concevoir rien de plus absurde.  Car, les signes et les prodiges étaient utilisés à bon droit pour confirmer la prédication, quand ils étaient des choses connues par elles-mêmes et illustres, et ne dépendant en aucune façon de la prédication.
 Au contraire, les sacrements n’ont aucun pouvoir par eux-mêmes, et ils ne peuvent être considérés comme sacrements que par le témoignage qu’apporte la parole de Dieu.  Ceux qui par un prédicateur de la parole de Dieu, comme Vincent Ferrier, sont subitement guéris de maladies, sont délivrés d’une possession diabolique, voient après avoir été aveugles, ou sont rappelés des enfers après être morts, sont, par la force d’un tel miracle, comme sous l’action d’un éclair,  ébranlés, se jettent à genoux, et sont comme forcés de croire aux paroles d’un tel homme.
Or ceux qui voient un homme lavé par des eaux, comme nous le faisons dans le baptême, ne voient rien là d’étonnant, et ne croient pas facilement que dans cette eau se cache quelque chose de sublime, à moins d’avoir auparavant cru dans la parole de Dieu.  Or, si nous commençons à recevoir des sacrements avant d’avoir eu la foi par la parole de Dieu, comment peut-il se faire, je le demande, que les paroles divines soient confirmées par des sacrements ?  Ne serait-il pas ridicule celui qui dirait à un païen : pour que tu croies que ce que je te dis est vrai, je vais répandre  cette amphore d’eau sur ta tête.  Une preuve convaincante, à la vérité !  Car, à moins d’apprendre par la parole de Dieu que cette aspersion et cette onction  purgent l’âme, qui le croirait ? Qui n’en rirait pas ?  Car, de par sa nature, elle n’a rien pour guérir les malades, et effacer les taches du cœur.  Mais tout ce qu’elle peut dans cet ordre, elle le doit à l’institution divine.
Or, ce sont les paroles divines qui font connaitre les institutions divines.  C’est pourquoi cette comparaison qui veut que les adversaires acceptent la parole d’un diplomate à cause d’un sceau est si inepte qu’on ne peut rien inventer de si inepte.  Car la parole de Dieu est plus justement appelée sceau d’un sacrement qu’un sacrement n’est appelé sceau de la parole de Dieu.  Car, en tant que sceau, elle a de la valeur, est honorée, est reconnue  sans diplomate.  Un diplôme sans un sceau n’est pas reconnu comme diplôme, et n’a non plus aucune valeur.  Ainsi en est-il aussi de la parole de Dieu.  Sans le témoignage du sacrement, elle a son autorité propre, et elle l’a entière.  Mais le sacrement, sans le témoignage de la parole,  n’a aucune autorité.  Ce n’est donc pas le sacrement, comme ils le veulent, qui doit être  le sceau de la parole, mais la parole, le sceau du sacrement.
Si donc le sacrement, comme le veulent les luthériens, n’est rien d’autre qu’un instrument pour exciter et nourrir la foi, comment expliquer que des enfants, des fous, des hommes endormis soient baptisés dans l’Église.  Car, y a-t-il, dans les sacrements, une vertu capable de persuader de croire ceux qui n’ont pas l’usage de la raison ? Ou faut-il dire que les anabaptistes ont raison d’enseigner que les sacrements ne sont utiles que pour les adultes et les veilleurs ?  Pas le moins du monde, répliquent les luthériens.  Ce sont plutôt les anabaptistes qui errent comme des fanatiques et des fous furieux, quand ils interdisent le baptême aux enfants.  Car, même si les petits sont privés de l’usage de la raison, cependant, quand ils sont baptisés, Dieu agit dans leurs esprits de façon telle qu’ils entendent la parole de Dieu, connaissent Dieu et l’aiment.  Comme saint Jean Baptistes, autrefois, sentit, dans le sein de sa mère la présence du Christ, et exulta de joie.
Les anabaptistes les pressent de très près, et ainsi, de partout, ils tiennent enfermés les luthériens de façon à ce qu’ils doivent ou  être attrapés, ou tomber spontanément dans la fosse d’une nouvelle erreur.  Mais ils ne peuvent pas se dérober aussi aisément que cela les luthériens, car ils sont ensevelis dans cette fosse armée d’un dilemme, qui les accable.  Vous avez, je pense, des enfants que l’on baptise. Ils se débattent, pleurent, crient.  Je demande donc : comprennent-ils ce que l’on fait ?  S’ils ne comprennent pas, ils ne croient pas.  S’ils ne croient pas, ils sont baptisés pour rien, et les anabaptistes triomphent.  S’ils comprennent, ils sont des sacrilèges, eux qui refusent si opiniâtrement les sacrements, et ils ne sont pas tant purifiés que maculés.  Ils ne sont donc pas baptisés, et les anabaptistes remportent la victoire.
 Eh quoi ! Saint Augustin, autrefois,  n’a-t-il pas ri de ces inepties dans sa lettre à Dardanus. Et à l’exemple de saint Jean-Baptiste qui, par un miracle singulier, a exulté dans l’utérus, n’a-t-il pas répondu, du tic au tac, que l’âne de Balaam avait aussi parlé sagement, mais que, à cause de cela, les hommes n’ont pas, dans leurs délibérations, cherché conseil auprès des ânes.
Mais je ne laisserai pas Luther avant qu’il ne m’explique dans quel évangile, dans quel apôtre ou dans quel prophète il a lu que les sacrements de la nouvelle loi sont des témoignages ou des sceaux de la parole de Dieu.  Nous lisons souvent dans Jean 111, Actes XX11, 1 Corinthiens V1, Éphésiens 1, Tite 111, 1 Pierre 111 que les fidèles sont régénérés, purifiés, purgés, sanctifiés, renouvelés et sauvés.  Que des promesses soient contresignées nous ne le lisons jamais, si ce n’est peut-être dans l’évangile selon Luther.   Luther ne peut pas non plus mépriser cet argument, puisque, dans son livre contre Jean Cochlaeus, il a laissé par écrit que, dans les choses sacrées, c’était une bonne chose de déduire négativement un argument d’une autorité.  Qu’il indique donc le texte où, dans la parole de Dieu, les sacrements de la nouvelle loi sont appelés témoignages, ou il devra reconnaitre que sa sentence est réfutée par un argument dirimant.
Je passe maintenant à Zwingli.  Dans son livre sur la vraie et fausse religion, où il combat âprement la sentence de Luther ainsi que d’autres, il nous découvre sa pensée en enseignant que les sacrements ne sont rien d’autre qu’un gage, et un serment par lequel les hommes professent publiquement qu’ils sont des fidèles du Christ et de son église.  Il suit de cela que, dans la célébration des sacrements, le Christ ne fait rien, ne purge pas les péchés, ne renouvelle pas les hommes, comme l’enseignent les catholiques, et n’atteste pas non plus notre justification, comme le veulent les luthériens.  Cette opinion est si loin de pouvoir être confirmée par un texte de la révélation, qu’elle s’oppose plutôt ouvertement à tous les textes de l’Écriture qui traitent de ce sujet.
 Car, si mon baptême n’est qu’un gage, et non une action du Christ, que veut dire saint Jean quand il dit : « C’est lui qui baptise. »  Que veut dire l’apôtre quand il dit : « Le Christ a aimé l’Église, et s’est livré pour elle, la purifiant par le lavement de l’eau dans la parole de vie ? »  Et, si le baptême ne purge pas les péchés, mais ne fait que rendre témoignage à la future félicité, pourquoi Ananie dit-il à Paul : « Sois baptisé, et purge tes péchés ! »  Pourquoi Paul a-t-il défini le baptême le sacrement de la régénération ? Et que veut dire ce que nous avons déjà cité : la purifiant par le lavement de l’eau dans la parole de vie ?
 Enfin, j’omets beaucoup d’autres textes, et je dis que la chose, dans l’Église, a été  longuement étudiée, et est tout à fait certaine. Elle est même connue des femmes et des petits enfants. Voici.  Les sacrements chrétiens, en vertu de la passion du Christ et de ses mérites, ont une force.  Et, dans le signe de cette chose, le sang et l’eau du Christ ont coulé de son côté percé.  Saint Léon (épitre 4, chapitre 6) écrit : «  Il a sanctionné, alors, le pouvoir de la régénération quand, de son côté percé, ont coulé le sang de la rédemption et l’eau du baptême ».  C’est ce que disent aussi saint Ambroise (dans Luc), saint Augustin, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, et Théophylacte dans leurs commentaires sur saint Jean.
Et là, saint Paul a uni les deux choses : « il s’est livré pour elle, la purifiant dans le lavement de l’eau. »  Car, l’eau ne serait que de l’eau si elle ne tirait pas une force merveilleuse du sang de celui qui s’est livré lui-même à la mort, pour se présenter à lui-même une église glorieuse.  Voilà pourquoi saint Jean clame : « Pas dans l’eau seulement, comme ce fut le cas pour saint Jean-Baptiste, « mais dans l’eau et le sang », c’est-à-dire dans de l’eau mêlée à du sang, et qui, à cause de ce sang, peut efficacement effacer tous les péchés.
 Or, si la nouvelle théologie de Zwingli est vraie, saint Jean est dans l’erreur, saint Paul se trompe, tous les pères hallucinent, vaine est la confession des peuples et des nations, et c’est pour rien que le Christ a voulu que son côté soit ouvert, et que du sang et de l’eau en coulent.   Quel rôle ont joué la passion et la mort du Christ dans l’institution des sacrements s’ils n’ont rien de sacré, rien de divin, s’ils ne peuvent et n’opèrent rien, et ne sont que des témoignages et des gages humains ?
Quand, par astuce, Calvin semble embrasser l’interprétation de Luther et de Zwingli, il n’en diverge pas moins d’opinion avec eux, et, après avoir rejeté l’un et l’autre, il propose son propre dogme. C’est dans les mots suivants que (dans livre 4, chapitre 14, verset 1) il expose sa vraie  définition des sacrements : « Le sacrement est un symbole externe par lequel le Seigneur  contresigne devant nos consciences ses promesses de bienveillance envers nous, pour soutenir l’imbécilité de notre foi, et notre piété envers lui,  que nous attestons autant devant lui et les anges que devant les hommes. »
Qui ne jurerait pas que la sentence de Calvin est de tout point conforme à celle de Luther ou de Zwingli ?  Car ce que dit Calvin quand il déclare que par le sacrement, la promesse de bienveillance est contresignée par le Seigneur pour soutenir l’imbécilité de notre foi, il semble bien l’avoir pris de Luther.  Et quand il ajoute que, par le sacrement, est attestée notre piété envers le Seigneur, il semble bien imiter Zwingli.  Mais il n’y avait pas, en Calvin, une modestie assez grande, ni en Luther et en Zwingli une autorité assez grande pour qu’il soit ou qu’il paraisse leur disciple.
Ainsi, bien qu’il concède à Zwingli que les sacrements sont une certaine profession de notre fidélité envers Dieu, il diffère de lui en ce qu’il nie que ce soit là le seul ou le principal usage du sacrement.  Et, à cause de cela, après avoir passé sous silence le nom de Zwingli, il attaque ouvertement sa sentence, et détruit, un par un, tous ses arguments.  La différence qu’il y a entre Luther et Calvin consiste en ceci.  Bien que l’un et l’autre fassent des sacrements des sceaux de la promesse divine, Luther veut que cette promesse en soit une de justification présente, et Calvin d’élection éternelle.
Dans son antidote du concile (session 6, chapitre 5), il dit que les enfants sont baptisés non pour qu’ils reçoivent de Dieu l’adoption de fils, mais pour que soit contresignée la promesse de vie qui leur appartenait déjà par la grâce de la prédestination.  Et, dans la septième session, (canon 7, à la fin), il affirme que les sacrements sont référés à la fin suivante : pour nous rendre certains de l’adoption perpétuelle et de la grâce à laquelle nous avons été prédestinés avant la constitution du monde.
Mais cette sentence, pour un bon nombre de raisons, est fausse, absurde, pernicieuse, et impie.  Car, elle est en opposition ouverte avec les Écritures, et ferme la porte  du royaume des cieux à beaucoup.  Elle fait un faux sacrement, des ministres sacrilèges, un Dieu menteur et, en quelque  sorte, parjure.  Car, si ce qu’il enseigne n’est pas faux, les sacrements ne se rapportent qu’au passé, c’est-à-dire à la grâce de l’élection.  Alors, pourquoi Ananie a-t-il dit à Paul : « Lève-toi, reçois le baptême pour que tes péchés soient effacés ? »  Pourquoi Paul appelle-t-il le baptême le lavement de la régénération ?  Pourquoi saint Pierre dit-il que le baptême est reçu en rémission des péchés ?  Et quelle est cette témérité, cette fureur, ou plutôt cette démence qui les fait renvoyer les catholiques aux Écritures, alors qu’ils ne veulent  rien écouter de ce que les Écritures clament, qu’ils soutiennent avec obstination et acharnement et défendent ce qu’ils ne peuvent jamais montrer écrit dans l’Écriture ?
Elle est absurde la sentence qui veut que, par les sacrements, soient contresignées aux consciences les  promesses, parce que le baptême des enfants suffit pour le faire comprendre. Car, il est permis et utile de baptiser les enfants, comme l’enseigne Calvin en plusieurs endroits, contre les anabaptistes, même si les enfants sont privés de l’usage de la raison et de la conscience.  Ce que Calvin lui-même n’a pas osé nier (livre 4, chapitre 16 de ses institutions). Or, si la promesse est un diplôme, le sacrement un sceau, et la conscience une cire ou une charte, comme l’entend Calvin, les calvinistes   font un miracle éclatant quand ils baptisent des enfants, car ils écrivent un diplôme sans charte, et impriment un sceau sans cire.
Que cette sentence soit pernicieuse pour un grand nombre et surtout pour les petits, personne ne peut en douter. Car, comme Calvin a persuadé à plusieurs, sur tout au fils des hommes fidèles qu’il enseigne être nés saints et justes,  que les sacrements ne sont pas nécessaires pour recevoir la grâce du Christ, il en est résulté que plusieurs méprisèrent les sacrements, et les méprisèrent toujours plus de jour en jour.  Et, pendant ce temps, les âmes de beaucoup de petits, que Calvin imaginait être saintes, n’ont pas expié le péché d’origine dans les eaux salutaires, et sont mortes dans cet état.
Mais, ce qui est plus grave encore, cette sentence de Calvin sur les sacrements fait, comme je l’ai déjà dit, d’un ministre un sacrilège, et de Dieu un menteur.   Car, si les sacrements sont un serment divin, et un sceau par lequel est contresignée la promesse de l’élection éternelle, à toutes les fois que sont baptisés des réprouvés (ce qui arrive souvent) il arrive autant de fois que les paroles sacramentelles sont fausses, et que Dieu ment par la bouche de son ministre.   Imaginez que le diacre Philippe est encore présent dans ce lieu en train de baptiser Simon le magicien.  Il est certain que quand Philippe l’asperge de l’eau et lui dit « je te baptise », au même moment, si nous en croyons Calvin, Dieu dit : « Moi, Dieu éternel, j’atteste et je jure, et je confirme par mon divin sceau, que toi, Simon, tu as déjà été élu de toute éternité, et prédestiné irrévocablement au royaume des cieux ».  Que cette attestation aurait été fausse, ce serment faux, ce sceau faux il n’est personne qui ne le sache, puisque Simon a été un impie, un hérésiarque et un magicien, et qu’il a péri.
 Calvin ne prend pas suffisamment de précaution quand il dit que, en en tant que ça dépend de lui, Dieu offre un vrai sceau et une vraie attestation.  Car, il ne fait pas seulement offrir, mais il accorde par le sacrement lui-même, quand les hommes sont réellement baptisés, puisque le sacrement n’est pas seulement une oblation, mais une justification opérée par la bienveillance divine, comme Calvin lui-même l’enseigne dans son catéchisme plus court. Donc, il offre tantôt une attestation, tantôt un sacrement, quand il apporte un sacrement et dit je te baptise.  Il n’offre pas, mais il rend un témoignage qui est faux et trompeur, quand ce sont des réprouvés qui sont baptisés.
Il reste encore trois opinions. Mais, comme la plus grande partie de l’heure semble écoulée, j’abrégerai l’exposé en accélérant le pas.  Donc,  pour pouvoir être considéré lui aussi comme le chef d’une nouvelle armée, André Carolstad excogita un nouveau dogme.  Il déclara donc que les sacrements chrétiens n’étaient rien d’autre que des symboles, des tessères, qui permettaient de distinguer les chrétiens des Juifs, des Mahométans et des païens. Comme étaient autrefois les toges pour  les Romains, les palliums pour les philosophes, et comme, pour les chrétiens, les différents vêtements  des moines.  Sa sentence se rapproche étrangement de celle des anabaptistes, eux qui veulent que les sacrements soient des allégories des bonnes œuvres.  Car, pour ces derniers, les hommes ne sont pas  baptisés et le corps du Christ n’est pas consommé pour une autre raison que pour nous avertir, par ces cérémonies, qu’il faut supporter virilement et avec magnanimité les croix, et même la mort pour le Christ, si l’occasion se présente.
Mais il n’est pas nécessaire de tant suer pour réfuter ces sentences, puisque Luther, Philippe, Zwingli, Calvin, Kemnitius et les autres parmi les adversaires  les ont déjà réfutées et fait exploser, de sorte qu’ils les ont presque toutes éteintes et ensevelies.  Et si les sacrements n’ont pour utilité que de diviser l’église en factions ennemies, ou d’avertir  les fidèles qu’ils doivent pratiquer les bonnes œuvres, ils ont si peu de valeur qu’on pourrait les dire superflus.  Car, nous avons d’autres symboles plus utiles et plus efficaces que les sacrements.  Quoi donc ?  La confession de la foi n’est-elle pas une meilleure tessère que le baptême, puisque la confession de la vraie foi est propre aux chrétiens, alors que le baptême nous l’avons en commun avec les hérétiques.  Les exhortations et les exemples ne poussent-ils pas aux bonnes œuvres plus que les cérémonies sacramentelles ?  Et quel besoin y avait-il que les sacrements émanent du côté percé du Christ, s’ils ne peuvent produire rien de plus grand que des allégories, à la façon de la toge des Romains ou le pallium des philosophes ?
Il en reste encore un, Swenefeldius qui, pour mettre fin en un seul mot à toutes les disputes, et pouvoir saluer les nouveaux dogmes en vertu du droit hérésiarque, a répudié d’un seul bloc tous les sacrements chrétiens. Comme il était un homme spirituel et angélique au-dessus du commun des mortels, il pensa qu’on devait vivre du seul Esprit.  Il ne faut pas s’étonner qu’ils dédaignent les sacrements ceux qui méprisent les paroles de la divine Écriture.  Ce qui me renverse  le plus c’est pourquoi ne s’est-il pas contenté de penser en silence, et s’est-il cru obligé d’expliquer ses dogmes par des paroles et des écrits ? Car, il ne convient pas à un homme si spirituel de confier les arcanes de sa sagesse à des poumons, à des palais, à des dents, à des langues.  Il aurait du plutôt s’adresser  à Satan pour  qu’il tende les pièges de ses diverses hérésies, pour qu’il enlève  aux chrétiens  ces fontaines salutaires, ces trésors des charismes divins, ces médicaments célestes préparés par le sang du Christ.
Mais si ces hommes spirituels n’avaient pas  complètement rejeté ce qu’ils ont d’humain, ils auraient certainement  compris que rien de plus approprié ne pouvait être institué par la divine providence que de faire parvenir aux choses spirituelles par des signes corporels,  des hommes constitués  d’esprit et de corps. « Si toi, dit saint Jean Chrysostome (dans son homélie 83 sur saint Matthieu), tu étais incorporel, Dieu t’aurait communiqué des dons dénudés et incorporels.  Mais, comme tu as un esprit joint à ton corps, les choses spirituelles te sont communiquées dans les choses corporelles. »
Quoi donc ? Les sacrements sont-ils  uniquement corporels,  ou en  grande partie spirituels ? Corporel est l’élément, corporelle est la parole, mais mirifique et totalement spirituelle est la vertu et la puissance qui  purifient le cœur quand l’eau touche le corps,  comme le dit saint Augustin.  Voilà pourquoi le Seigneur a déclaré à Nicodème qu’il fallait renaître non seulement de l’eau,  mais de l’eau et de l’Esprit, comme saint Grégoire de Naziance l’a indiqué dans son sermon sur saint Jean baptiste. De l’eau et de l’Esprit, car  c’est un médicament mi corporel mi spirituel qui convient parfaitement à ces malades dont la nature est contenue dans un corps et un esprit.
Chers auditeurs, nous avons parlé du nom, de la nature et de l’efficacité des sacrements.  Si je voulais maintenant énumérer toutes les sentences des hérétiques sur le nombre des sacrements, je démontrerais aisément de quelle vanité et de quelle sottise ils font preuve.  Car Luther en énuméra tantôt un seul, tantôt deux, tantôt trois, et tantôt sept.  Si je tentais d’expliquer les rites et les cérémonies de leurs sacrements, alors, quel que soit le sérieux de la chose, vous ririez.  Il existe chez eux un si grand nombre de formules sacramentaires qu’on peut à peine les connaitre. Et, pour établir un rite quelconque dans leurs églises,  ce qu’ils nient pouvoir être attribué aux pontifes suprêmes,  ils le confient à un avorton ou à un zigoto.  Et si je voulais entreprendre d’expliquer ce que chaque hérétique pense des sacrements, je n’en finirais jamais.  Choisissons-en donc un dans cette foule, et, après avoir laissé tomber tous les autres, parlons-en brièvement, pour pouvoir mettre le point final  à notre exposé.
Les luthériens et les calvinistes s’évertuent à  enseigner que c’est la vraie chair du Christ qui nous est communiquée dans le sacrement.  Mais, cependant, ils rejettent avec entêtement la sentence de l’église catholique sur la conversion du pain dans la chair.  C’est pourquoi Calvin a excogité cette explication compliquée, obscure, étonnante et incroyable selon laquelle la véritable chair peut nous être dérivée et distribuée du ciel par je ne sais  quels tuyaux ou  canaux.  Et, à la vérité, si j’étais un juif ou un païen, je croirais pouvoir comprendre plus facilement la conversion du pain dans la chair qu’enseigne l’église, que la fiction rêvée par Calvin sans l’aide d’aucune autorité ou de raison.
Les luthériens ont enfanté dans leur église, un autre monstre plus repoussant.  Pour qu’il leur soit facile à eux d’avoir la vraie chair du Christ présente dans le sacrement, ils enseignèrent que, dès le début de sa conception, cette chair était partout, et qu’elle remplissait toujours tous les lieux, de la même manière que le fait Dieu.  Ce prodige (car ce n’est  ni un miracle, ni un dogme,  ni une sentence, ni une opinion, mais une hérésie) répugne aux Écritures, s’oppose aux pères, renverse le symbole, en confondant, avec Eutychès,  les natures du Christ. Et il n’y pas non plus à s’étonner qu’il détruise aussi le sacrement, pour la défense duquel il avait été échafaudé.  Car, si le corps du Christ est toujours partout depuis sa conception, il ment donc celui qui affirme qu’à tel moment, à tel endroit, il n’était pas présent.  L’ange a donc menti, quand il a dit, selon Marc : « Il est ressuscité, il n’est pas ici. » Car, celui qui est partout, comment ne pourrait-il pas être là ?  Le Seigneur lui-même a menti quand il a dit : « Lazare est mort, et je m’en réjouis à cause de vous, pour que vous croyiez, car je n’étais pas là. »  Comment donc, Seigneur, n’étais-tu pas là, toi qui es partout ?
Saint Augustin, (dans son épitre à Dardanus) pour ne pas parler des autres, enseigne longuement que, en tant qu’il est Dieu, le Christ est partout, mais que, en tant qu’il est homme, il n’est pas partout.  Et cette ubiquité monstrueuse corrompt et pervertit le symbole de la foi à un point tel que la conception du Christ, sa naissance, sa passion, sa mort, sa sépulture, sa descente dans les enfers, son retour des enfers, ne soient ni vrais ni réels, mais métaphoriques, imaginaires, comme Marcion et Manès l’enseignent.  Car, sur la conception du Christ, le symbole de la foi droite atteste que le corps du Christ est demeuré, pendant neuf mois,  exclusivement dans le sein de la sainte Vierge.  Or, s’il a toujours été partout, il  a été dans le sein de toutes les femmes et de tous les hommes.
  Au sujet de sa naissance, le symbole enseigne que le corps du Christ, le neuvième mois révolu, est sorti réellement du corps de sa mère, et que c’est ainsi qu’il est vraiment et réellement né.  Or, si les songes creux des ubiquistes étaient vrais, il était, avant le neuvième mois, hors de l’utérus, et il était encore dans l’utérus après le neuvième mois.  Il n’est donc jamais sorti de l’utérus, et il ne pouvait pas non plus le faire, car, étant partout, il ne vient pas là où il n’était pas, mais apparait où on ne le voyait pas.
Ainsi, il aurait fallu dire que la naissance du Christ n’avait  été ni vraie  ni réelle, mais apparente, imaginaire, métaphorique. Puisque cette chair ne venait pas là où elle n’était pas, elle n’a pas quitté le lieu où elle était, mais elle commença seulement à être vue, là où on ne la voyait pas encore.  On doit dire la même chose de la passion, de la mort, de la sépulture et des autres mystères du Christ. Celui qui a toujours été partout, c’est métaphoriquement et non réellement qu’il passe du cénacle au jardin des oliviers, du jardin au  grand conseil des Juifs, du conseil au prétoire, du prétoire au calvaire, du calvaire à la croix, de la croix au sépulcre, du sépulcre à la montagne, du mont des oliviers au ciel.  Le corps n’a pas pu, non plus, à la mort, se séparer vraiment et réellement de l’âme.  Et comme l’un et l’autre étaient partout, il s’ensuit qu’il est absurde de penser que, après la mort du Christ, le corps était avec l’âme dans les limbes, et l’âme était avec le corps dans le sépulcre.
Et que dire de la nature humaine du Christ, de ce mystère de l’incarnation adoré par les anges ?  Car, si la nature humaine du Christ  est non seulement présente partout mais (comme l’enseignent les adversaires) a la même immensité divine que Dieu a, elle devra, pour pouvoir remplir les milliards de galaxies, être immense et  infinie.  Elle devra aussi, sans aucun doute, être d’une vertu infinie. Il y a aura donc deux natures infinies, ce qui est impossible. Ou, la seule chose qui reste, la nature humaine se métamorphosera en nature divine, et la confusion des natures entachera tout le mystère.
 Que facilement donc une hérésie enfante une autre hérésie !  Et en allant d’erreur en erreur, on en vient à éradiquer les premiers fondements de notre foi.  Eh quoi !  Cette ubiquité prodigieuse ne détruit-elle pas le sacrement pour la défense duquel elle a été fabriquée ?  Car, si dans n’importe laquelle maison privée, on mange la chair du Christ  dans le pain, dans le vin, dans les pommes, dans les poissons, dans n’importe laquelle nourriture, dans l’air même qu’on respire, quelle nécessité y a-t-il de se réunir à l’Église, de rompre le pain, et de mêler le vin à l’eau, de prononcer les paroles consécratoires, quand chacun a dans son repas profane la scène sacrée, dans son pain terrestre le pain de l’eucharistie, sur sa table, l’autel ?
Et pour que vous puissiez admirer davantage la sagesse des luthériens, en peu d’années, dans la même province, par les mêmes auteurs luthériens, ce nouveau monstre a été enfanté, a péri et a revécu. Comme Brentius le prouve par Luther et par d’autres auteurs luthériens, du vivant de Luther il a été florissant dans la Saxe.  Après la mort de Luther, et sous la direction de Melanchton, il a commencé à languir et à se flétrir.  Et, dans la même Saxe, pendant le concile luthérien de Dresde, qui a eu lieu il y a treize ans, il a été, par un décret public, condamné et exterminé.  Mais, dans les dernières années, une fois l’autorité de Mélanchton  battue en brèche, et Schmidelin lui ayant succédé, il a été rappelé des enfers, et l’ubiquité, avec de grands honneurs,  a été replacée sur son siège.  Voilà donc quelle est la constance de la foi luthérienne, qui veut que soient sacrosaints les dogmes de foi qui étaient quelques années avant des hérésies pestilentielles.
Mais finissons-en !  Je ne veux pas plus longtemps  prolonger mon discours en pourchassant des nuages. Si tous les hommes les considéraient tels, que de labeur et d’effort ils nous épargneraient !  Mais comme l’habileté de Satan est si grande, si grande  la fausseté des hérésies, et si grande aussi la propension des peuples aux nouvelles choses, qu’elles parviennent à persuader un grand nombre d’hommes, de peuples, de provinces, de royaumes, au grand détriment de l’Église catholique, et de l’honneur de Dieu et  des  mérites du Christ, il est donc nécessaire, que de toutes nos forces, nous nous appliquions à révéler les fraudes des hérétiques et à augmenter la gloire du Christ.  Puissions-nous, avec le Christ comme chef et guide, travailler à la propagation de l’Église, à réparer les dommages, et à confondre Satan.
 

CONTROVERSE SUR LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL
PREMIER LIVRE
LA NATURE ET LES CAUSES DU SACREMENT

Cette dispute est bipartite.  La première : de tous les sacrements en général.  La deuxième : une explication sur chacun en particulier.   La disputation générale va avoir deux prolégomènes : un sur les erreurs, un autre sur les mensonges et les calomnies des récents hérétiques.  Il contiendra ensuite six controverses principales : une sur le nom et la signification du mot sacrement, une deuxième sur sa nature et sa définition, une troisième, une troisième sur ses causes intrinsèques et extrinsèques, une quatrième sur ses effets, c’est-à-dire la grâce et le caractère, une cinquième sur le nombre, une sixième sur les cérémonies.
Plusieurs ont écrit sur ce sujet, mais les principaux parmi les hérétiques me semblent être Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, et dans son assertion des articles), Philippe (dans les lieux et dans son apologie de la confession d’Augusta), Jean Calvin (livre 4, chapitre 14), Martin Kemnitius (tomme 11 de l’examen du concile de Trente.)
Et, parmi les nôtres, en plus des scolastiques (sentences 1V), Thomas Waldensis (tome 2 au complet), Gauillaume de Paris (dans son livre sur les sacrements), Jean Eckius (dans ses homélies sur les sacrements), Jean Roffensis (dans sa réfutation des articles de Luther), Hosius cardinal (dans sa confession polonaise), Ruard Tapper (dans son explication des articles de Louvain), Jodocus Tiletanus (dans sa réfutation de l’examen de Kemnitius), Guillaume Alanus (dans son livre sur les sacrements en général), Guillaume Lindanus, (dans la panoplie, livre 4), Pierre Soto (dans l’institution des sacrements.)
                             CHAPITRE 1
                                        Les erreurs
On peut réduire à quatre titres les erreurs anciennes sur les sacrements.  D’abord quelques-uns ont tenté d’éliminer tous les sacrements.  Ce sont ceux qu’Épiphane (dans l’hérésie 40), appelle archonticos, que Theodoret (dans son livre 1 sur les fables des hérétiques) appelle tantôt des archonticos, tantôt  ascodritos, ou des ascodrupitas.  À la suite d’un anachorète syrien du nom de Pierre, ils exécraient le baptême et l’eucharistie, au témoignage d’Épiphane, et (comme l’ajoute Theodoret), tous les signes sensibles et corporels, car ils faisaient constituer la vraie rédemption dans sa seule connaissance.  À cette ancienne hérésie appartient aussi l’erreur des Fraticelles ou des Béguins, qui méprisaient les sacrements de l’Église, comme l’atteste le pape Jean XX11 (dans extravaganti, sainte Romaine, maisons religieuses). À cette hérésie se rattachent aussi les Pauliciens qui, au témoignage d’Euthymius, (part 11 panoplie, tit 21) rejetaient toute la matière des sacrements : l’eau, le pain, le vin, l’huile, et n’utilisaient que les paroles.  Par exemple, ils disaient que le baptême consistait dans ces paroles : « Je suis l’eau vive. »
La seconde hérésie est de ceux qui n’exécraient pas les sacrements ni ne les rejetaient complètement, mais en polluaient la vertu et l’efficacité, comme les Messaliens ou les Euchites.  Nous ont décrit cette hérésie Épiphane (hérésie 80), saint Augustin (hérésie 57), et Theodoret (livre 4 sur les fables hérétiques, mais beaucoup plus longuement, et avec moultes citations, saint Jean Damascène (dans son livre sur les hérésies) où il atteste que selon les dogmes messaliens, les péchés ne sont pas purgés par les divins sacrements, mais seulement par les prières qui sont par eux adressées correctement à Dieu.  Selon eux, les hommes peuvent donc être tout de suite justifiés par des prières, sans le baptême, sans l’eucharistie, et sans l’absolution des prêtres.  Et cela, même s’ils admettaient les sacrements.  Guido (dans sa somme) attribue presque la même hérésie à Guido, et à quelques cathares récents.  Et il ajoute que certains d’entre eux nient que les sacrements de la nouvelle loi confèrent la grâce.
La troisième hérésie est de ceux qui rejetaient certains sacrements.  Car, beaucoup ont rejeté le baptême, comme ceux dont l’hérésie se nommait Gaiane, selon Tertullien ( au début de son livre sur le baptême). Comme les manichéens, selon saint Augustin (hérésie 46), et les Séleuciens, selon saint Augustin (hérésie 59). Etc.
D’autres, comme les Novatiens,  rejetèrent le sacrement de confirmation, au témoignage de Theodoret (livre 3, sur les fables des hérétiques).  D’autres dirent que le sacrement de l’eucharistie n’est rien.  Car, comme l’écrit Pierre de Cluny (dans son livre contre les Petrobrusiens), une de leurs erreurs consistait en ceci que le pain n’est devenu le corps du Christ qu’une seule fois, la nuit où il a été trahi.  Et qu’après il ne l’est plus devenu, et ne peut plus le devenir.  Euthymius écrit  aussi (dans sa panoplie, par 2, titre 23) que l’une des erreurs des Bogomiles était que l’eucharistie n’était rien d’autre, pour eux, que le notre Père.
D’autres ont enlevé le sacrement de pénitence, comme les Novatiens, au témoignage d’Épiphane (hérésie 59) et de saint Augustin (hérésie 38).  D’autres dirent que le sacrement de l’ordre n’était absolument rien, comme les disciples de Taudemus, comme le rapporte celui qui a continué la chronique de Sigebert, à l’an 1124.  D’autres ont détesté l’extrême onction, comme les Albigeois, au témoignage de saint Antoine de Padoue (par tit X1, chapitre 7, verset 5 de sa somme théologique).  Et comme ensuite les Flagellants, selon Bernard du Luxembourg (dans son catalogue des hérétiques.)   D’autres rejetèrent le mariage, comme les Encratites, selon saint Augustin (hérésie 33), et les Manichéens, selon saint Augustin (hérésie 46) etc.
La quatrième hérésie fut de ceux qui n’enlevaient aucun sacrement, mais qui ne les comprenaient pas correctement,  et ne les administraient pas correctement.  Parmi eux étaient les Marcosiens, disciples d’un certain Marc, de très anciens hérétiques, qui disaient qu’il fallait administrer le baptême non au nom de la trinité, mais « au nom du père ignoré, et dans la vérité mère de tous; dans Jésus qui est descendu dans l’unité, dans la rédemption et la communication des pouvoirs ».  C’est ce que rapporte Theodoret (dans son livre 1 sur les fables des hérétiques).  De même les Marcionites, qui baptisaient deux et trois fois les hommes, comme Épiphane le rapporte (hérésie 42).
Plusieurs, également, errèrent au sujet de l’eucharistie.  Ils acceptaient bien qu’elle soit un sacrement, mais ils soutenaient qu’elle ne contenait pas le vrai corps du Christ, et cela au temps même des apôtres, comme le rapporte Ignace (dans son épitre aux fidèles de Smyrne) et Theodoret (dans son troisième dialogue, vers le milieu.)  Ainsi que Bérenger, au témoignage de Lanfranc (dans son livre contre Bérenger).  Ensuite, Jean Wiclef, selon le concile de Constance (session V111).   Quelques-uns errèrent au sujet du sacrement de pénitence, même s’ils ne le rejetaient pas, comme les Audians, qui entendaient les confessions et absolvaient des péchés, sans imposer de pénitence, comme le rapporte Theodoret (dans son livre 4 sur les fables des hérétiques).  Quelques-uns ont erré au sujet des ordres, qu’ils conféraient même à des femmes, comme les Pepurites, au témoignage d’Épiphane (hérésie 49).  Voilà ce qu’on peut dire en général sur les erreurs des anciens.
Or, nous en voyons de pareilles en notre siècle.  Car, tout d’abord, ne manquèrent pas ceux qui méprisèrent tous les sacrements sensibles et corporels.  On peut certes les appeler de nouveaux archontices. Rapportent la même chose au sujet de Swenekfeldianus Frédéric Staphile, (dans son livre sur la concorde des disciples de Luther), et David Chytraeus (dans la préface de ses commentaires sur l’Apocalypse.)   Même si tous les luthériens et les calvinistes ne rejettent pas tous les sacrements, ils leur dérobent toutefois leur vertu et leur efficacité, comme le faisaient les Messaliens.   Ces derniers attribuaient tout à la prière, eux attribuent tout à la foi, et absolument rien aux sacrements qui ne sont que des signes nus non nécessaires.  Car c’est ce qu’écrit Luther (dans son assertion du premier article) : « C’est une sentence hérétique, quoique fort usitée, que les sacrements de la nouvelle loi donnent  la grâce à ceux qui n’y mettent pas d’obstacle. Car, l’Écriture dit que le juste vit de la foi.  Elle ne dit pas qu’il vit des sacrements. »  Cette sentence, que je sache, aucun hérétique de ce temps ne l’a contestée.
Il ne manque pas, non plus, de notre temps, d’hérétiques qui rejettent certains sacrements,  et non tous.  Car, à l’exception de Swenekfeldisnus, tous les autres reçoivent deux sacrements, le baptême et l’eucharistie. Ils en rejettent deux : la confirmation et l’extrême onction, reçoivent le mariage, mais non en tant que sacrement.  Sur la pénitence et les ordres, ils  diffèrent entre eux, comme nous l’expliquerons plus tard.
Ne manquent pas non plus ceux qui reçoivent certains sacrements en les mêlant avec des erreurs.  Car, les anabaptistes reçoivent le sacrement du baptême, mais pour les adultes, non pour les enfants; les Zwingliens reçoivent le sacrement de l’eucharistie,   mais nient qu’il soit le corps du Christ. Luther ne nie pas le sacrement de pénitence, ou la confession intégrale, mais il n’exige ou n’admet aucune satisfaction, ni n’y reconnait un vrai ministre sacramentel, comme on le voit dans l’assertion de ses articles 5, 6, 7, 8.9 et 10.  Enfin, tous admettent l’ordination des ministres, mais ne reconnaissent pas le vrai ministre et le vrai rite de ce sacrement.
Nous voyons donc que les quatre classes d’hérétiques qui, à diverses époques, vexèrent pendant 1500 ans l’Église catholique, ont, en notre siècle, toutes,  ensemble, conspiré contre cette Église.  Mais, avec la grâce de Dieu, elle a triomphé de toutes ces vieilles hérésies.   Avec la même grâce de Dieu, elle triomphera des nouvelles, puisqu’elle ne peut pas perdre sa vertu.
                                      CHAPITRE 2
       Les mensonges et les calomnies des adversaires
Il est nécessaire de présenter les mensonges des principaux ennemis de l’Église, ce qui est fort efficace  pour leur enlever toute crédibilité, comme l’atteste Luther lui-même : « Si on me surprenait une seule fois en train de mentir, de dire des faussetés, ou de prêcher des erreurs, toute ma doctrine, mon honneur, la confiance en moi s’écrouleraient. Tous me considéreraient, comme il est juste, comme un vaurien et un fumiste. »  D’autant plus que ce vice, Luther n’a pas rougi de l’attribuer impudemment aux catholiques.  Car, c’est ainsi qu’il écrit dans son livre contre Cochlaeus : « Mais moi, j’attribue à la divine providence que les papes et les papistes n’aient d’autres patrons que ceux qui ont toujours fondé leur autorité  ou sur une ignorance insigne ou sur des mensonges impudents, pour que, désormais,  personne ne soit plus trompé par l’abomination romaine. »  Et plus bas : « Il est certes déplorable le sort du Pape, parce que les siens ne descendent dans l’arène qu’armés de mensonges. »
Or, ces paroles conviennent parfaitement à Luther.  Car, comme l’atteste Jean Cochlaeus (dans les actes de Luther, année 23),  personne, parmi les catholiques n’a écrit sur Luther sans le convaincre d’un grand nombre de mensonges.  Parmi ceux-là, un dietembergeois a tiré, de deux opuscules de Luther,  quatre-vingt mensonges.  Ensuite, ces mensonges ne nuisent  en rien autant à l’Église que quand ils persuadent aux peuples que nous pensons et enseignons autrement que ce que nous pensons et enseignons vraiment.  C’est donc une chose extrêmement utile de mettre à nu leurs mensonges.  Nous ne révèlerons que les mensonges les plus crasses sur les sacrements.
Dans son livre sur la captivité babylonienne, Luther (au chapitre 1, qui porte sur l’eucharistie), ment d’abord en disant : « Je ne m’arrête pas au concile de Constance, car si son autorité valait, pourquoi ne vaudrait pas aussi  celle du concile de Bâle, qui a statué, contre lui, qu’il est permis aux Bohémiens de communier sous l’une ou l’autre espèce. C’est ce que cet adulateur ignorant amène en preuve à son rêve. »   Que le concile de Constance et celui de Bâle s’opposent l’un à l’autre au sujet de la communion sous une seule espèce, c’est un mensonge éhonté.  Car le concile de Constance et le concile de Bâle ont statué la même chose, le concile de Constance à la session 13, et celui de Bâle à la session 30, à savoir,  que les laïcs ne sont pas tenus, de droit divin, à communier sous l’une et l’autre espèce; qu’il faut donc conserver la règle et la coutume de l’Église.  Ces décrets ne répugnent pas à la concession que le concile de Bâle a faite aux bohémiens de communier sous l’une et l’autre espèce, pourvu qu’ils admettent qu’il s’agit là d’une concession faite par l’Église et non d’un droit divin.
Le second mensonge. Il répète trois ou quatre fois que saint Thomas est l’auteur de cette sentence que tous les catholiques acceptent : dans le sacrement de l’autel, il n’y a pas de substance du pain et du vin, mais seulement des accidents.  Ce qui est un mensonge crasse. Car, Innocent 111, au concile du Latran, c.1 (pour omettre des témoignages plus anciens) a défini cela en 1215, avant la naissance de saint Thomas.  Le troisième mensonge.  Au chapitre 2, sur le baptême, il dit, en parlant des scolastiques : « Les hommes impies soutiennent qu’on ne doit pas être certains de la rémission des péchés ou de la grâce des sacrements. Par ces paroles, ils font perdre la raison à toute la terre. »
 Au témoignage même de Luther, cela est un mensonge.  Car, un peu plus bas, le même dit, avec plus de franchise : « Tous, cependant, admettent que les sacrements sont des signes efficaces de la grâce. »  Nous n’ordonnons donc pas aux hommes de douter de la grâce du sacrement quand nous disons qu’ils sont des signes efficaces de la grâce.  On ordonne, cependant, de douter de sa propre disposition, et, pour cette raison,  de l’obtention de la grâce.  Mais, cela n’est pas douter de la grâce des sacrements.  Car, l’efficacité du sacrement ne dépend pas de ma disposition, mais de la divine institution.  Exemple.   Celui qui ferme les yeux ne peut pas voir le soleil, mais on ne doute pas, à cause de cela, de la capacité d’éclairage du soleil.
  Les luthériens ne peuvent pas nier cela non plus.  Car, dans son livre contre les rebaptisant (année 1528), il parle ainsi : «  Le baptême n’est pas fondé sur la foi du baptisant ou du baptisé, car l’un et l’autre sont incertains de leur  foi, sont entourés de périls et de tentations. »  Et, dans son sermon sur le baptême (en l’an 35), il a dit : « Pour que le baptême soit certain pour nous, Dieu ne l’a pas fondé sur notre foi, puisqu’elle peut être incertaine ou fausse, mais sur sa parole et son institution. »  La différence qu’il y a entre l nous et les luthériens n’est pas que  nous doutions de la grâce du sacrement, alors qu’eux n’en doutent pas, mais que nous doutons, nous d’obtenir la grâce à  cause de nos dispositions, alors qu’eux, par pure témérité, ne doutent en aucune façon.  N’affirment-ils par, en même temps,  que les sacrements ne sont d’aucun profit sans la foi, et  que l’homme peut facilement se tromper quand il pense croire mais ne croit pas.
Le quatrième mensonge. Il ment quand il dit : « Sois un contempteur du Maitre des sentences, avec tous ses scribes, qui n’écrivent que sur la matière et la forme des sacrements, c’est-à-dire que, quand ils écrivent le mieux sur les sacrements,  ils ne transmettent que la lettre morte qui tue; et ils laissent intacts l’esprit, la vie et l’usage, c’est-à-dire la vérité de la promesse divine, et notre foi. »  C’est un mensonge criant.   Car, de la foi de celui qui reçoit les sacrements, et de son droit usage, le maître parle abondamment (livre 4, dist 4 et 9), et les scolastiques au même endroit.
  Francis Stancarus (dans son livre sur la trinité et sur le médiateur) a écrit avec plus de vérité sur le maître des sentences : « Je juge, moi, qu’un seul Pierre Lombard vaut plus  que cent Luther, deux cent Melanchton, trois cent Bulligeros, quatre cent Pierre martyrs, et cinq cent Calvin.  Eux tous, s’ils étaient jetés dans un broyeur, ils ne produiraient pas une once de vraie théologie sur la trinité, l’incarnation, le médiateur et les sacrements. »
Le cinquième mensonge.  Il dit au même endroit : « Ils sont poussés à tellement attribuer aux sacrements de la nouvelle loi,  qu’ils statuent qu’ils profitent aussi à ceux qui sont en état de péché mortel, qu’ils ne requièrent ni la foi ou la grâce, mais qu’ils sont suffisants pour ceux qui n’y mettent pas d’obstacle, le propos actuel de pécher de nouveau »  Et plus bas : « Ils disent que les sacrements profitent même aux impies et aux incrédules, pourvu qu’ils n’y mettent pas d’obstacle, comme si l’incrédulité n’était pas le plus obstiné et le plus hostile obstacle à la grâce. »  Cette sentence il la répète souvent, lui, ses fils, et ses adeptes.
Non seulement les vrais luthériens, mais même Calvin se sert de ces paroles dans Antidote (session 7, canons 5 et 6). Il nous attribue là trois choses.  La première : nous enseignons que les sacrements profitent à ceux qui sont en état de péché mortel.  Ce qui est tout à fait vrai, pourvu que les pécheurs veuillent faire pénitence; et c’est pour remettre les péchés que l’absolution a été instituée.  Et il y a de quoi se surprendre que des luthériens nous taxent d’erreur à se sujet, eux qui veulent que les sacrements aient une promesse de réconciliation, et de rémission des péchés, ce sur quoi nous parlerons plus tard.
Mais, s’il parle des pécheurs non pénitents, c’est un pur mensonge qu’il met dans la bouche des catholiques, en leur faisant dire que les sacrements sont profitables aux pécheurs.  Car, tous les catholiques requièrent la pénitence comme disposition à recevoir la grâce.  Ils nous font dire ensuite que nous ne requérons pas la grâce pour que le sacrement nous soit de profit.  Ce qui est un mensonge manifeste.   Car, si par grâce ils entendent la faveur de Dieu, comme ils l’entendent ordinairement, tous les catholiques disent que la justification des péchés est donnée, dans les sacrements, par la grâce de Dieu et les mérites du Christ, et non par les mérites de celui qui les reçoit.
Mais, si par grâce, ils entendent la qualité inhérente par laquelle nous sommes formellement justifiés, nous reconnaissons que cette grâce-là n’est pas requise avant la perception des sacrements, comme le baptême et la pénitence. Ce qu’ils sont forcés eux-mêmes de reconnaître, puisqu’ils veulent que les sacrements aient une promesse de rémission des péchés.  Nous disons, cependant, que cette grâce est infusée dans la réception elle-même des sacrements.  C’est donc une pure calomnie et un mensonge que les catholiques ne requièrent pas la grâce pour que les sacrements leur soient profitables.
Troisièmement. Ils nous font dire aussi que nous ne requérons pas la foi, et que nous ne considérons pas l’incrédulité comme un obstacle empêchant le sacrement. Ce qui est un énorme mensonge !  Car, ou ils parlent de la substance du sacrement ou du fruit du sacrement.  S’ils parlent de la substance, ni eux ni nous ne requérons la foi.  Car, tous les catholiques avec saint Augustin (livre 4, chapitre 12 sur le baptême) admettent qu’est véritable le baptême que les hérétiques reçoivent sans la vraie foi.  Et Luther enseigne la même chose (dans ses homélies sur le baptême, et dans son livre contre les rebaptisant), ainsi que Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 16).  Mais s’ils parlent du fruit du sacrement, il est faux de dire que les catholiques ne voient pas dans l’incrédulité un obstacle au sacrement.  Car, tous les catholiques requièrent nécessairement dans les adultes la foi en acte, sans laquelle, disent-ils, personne n’est justifié.  Voir le maitre des sentences, Pierre Lombard (livre 4, dist 4), et saint Thomas (111 par queLXV111, art 8), ainsi que le droit canonique que Luther a détruit par le feu (sur la consécration, dist 4, plusieurs canons).
L’occasion de cette fraude serait peut-être que les catholiques ne requièrent pas, dans les sacrements, cette foi spéciale que les adversaires sont les seuls à considérer comme la vraie foi justifiante.  Mais (pour omettre que cette foi n’est pas la vraie foi, mais une opinion téméraire), si on pouvait vraiment nous attribuer, à cause de cela, que nous ne requérons pas la foi dans les sacrements, parce que nous ne requérons pas cette foi spéciale, nous pourrions, nous aussi, leur faire dire qu’ils ne requièrent pas la foi dans les sacrements, parce qu’ils ne requièrent pas la seule foi que nous jugeons vraie.
Au surplus, pour agir de bonne foi, il faut faire une distinction entre les questions.  Car autre est se demander si, dans les sacrements, la vraie foi est requise,  et autre est se demander quelle est cette vraie foi.   Nous nous entendons sur la première question, mais non sur la deuxième.  Et puis, des enfants il ne peut pas être question, car ils ne posent pas et ne peuvent pas poser l’obstacle de l’incrédulité.  Car l’incrédulité ce n’est pas ne pas croire, mais ne pas vouloir croire.  Et comme les enfants ont péché par la volonté d’un autre, et sont habituellement détournés de Dieu, il suffit, s’ils croient par la volonté d’un autre,   et se retournent habituellement vers Dieu par l’infusion de la foi, de l’espérance et de la charité.  Voilà pourquoi Philippe ((dans les lieux, année 41, sur l’usage des sacrements) dit que, au sujet des adultes, la seule chose qu’il y a à comprendre c’est qu’il leur faut croire en acte.
Le sixième mensonge se trouve dans l’assertion du premier article, qui fait de Scot l’auteur de la sentence voulant que les sacrements confèrent la grâce à celui qui n’y met pas d’obstacle.  Il appelle cette sentence hérétique.   Mais, c’est un autre mensonge, car Innocent 111 enseignait la même chose (chapitre majores, du baptême et de son effet), bien longtemps avant que Scot ne naisse.  Et même saint Augustin (dans son épitre 23 à Boniface) où, après avoir dit que le baptême était de profit pour les enfants, même s’ils ne croyaient pas en acte, il parle ainsi : « Celui qui ne croit pas cela et qui pense que c’est une chose impossible, est un infidèle, même s’il a le sacrement de la foi.  Et cet enfant est de loin meilleur qui, même s’il n’a pas la foi en pensée, n’y oppose pas d’obstacle par une pensée contraire.  Voilà pourquoi il reçoit fidèlement le sacrement. »
Le septième mensonge se trouve au même endroit quand il dit que, dans l’usage du sacrement, Scot ne requiert ni la foi, ni le ferme propos, ni un bon mouvement du cœur.  Ce mensonge Roffensis le réfute avec les paroles mêmes de Scot qui (dans 1V, dist 4, question 2 sur diverses choses)  enseigne que la foi, la contrition et l’attrition sont requises.  Voir aussi la question 5 au début, et en réponse au dernier (dist 17, quest 1.) Le huitième mensonge. Dans sa dernière homélie sur le baptême, il dit : « Vient de l’impiété le fait d’avoir attribué au sel et à l’eau, consacrés contrairement à la parole et au commandement de Dieu,  autant de vertu et de force qu’au vénérable sacrement du baptême. » Il y a là deux mensonges. Le premier, que contre le commandement et la parole de Dieu, nous consacrons l’eau et le sel.
 Eh quoi ? Luther n’enseigne-t-il pas juste le contraire, dans la captivité de Babylone (chapitre sur l’extrême onction) où il dit : « Je ne condamne donc pas ce nôtre sacrement d’extrême onction, mais ce que je nie constamment c’est que ce soit ce que l’apôtre saint Jacques a prescrit, puisqu’il ne correspond au nôtre  ni par la forme, ni par l’emploi, ni par la vertu ni par la fin.  Nous le compterons, toutefois, parmi les sacrements que nous avons institués, comme sont la consécrations du sel et de l’eau, et l’aspersion.  Car, nous ne pouvons pas nier qu’une créature quelconque est sanctifiée par la parole de Dieu et la prière, comme nous l’enseigne l’apôtre Paul. »
                                        CHAPITRE 3
                          Les mensonges de Philippe
Le premier. Dans la confession elle-même (article 13), il condamne les scolastiques pour avoir enseigné que, dans l’usage des sacrements, la foi n’est pas requise.  Et, dans l’apologie de ce même article, il explique plus au long et plus clairement sa pensée : « Nous condamnons tout le peuple des docteurs scolastiques parce qu’ils enseignent que, à celui n’y met pas d’obstacle, les sacrements confèrent la grâce par le fait même (par l’opération opérée), sans un bon mouvement de celui qui le reçoit.  C’est purement une opinion judaïque que d’estimer qu’on est justifié par la cérémonie, sans un bon mouvement venant du cœur, c’est-à-dire sans la foi.  Et, cependant, cette opinion impie et superstitieuse est enseignée avec une grande autorité dans le royaume pontifical. »
Ce mensonge est encore plus impudent que les mensonges de Luther, car Luther n’accusait pas tous les chrétiens mais les scotistes seulement. Philippe, lui, blâme tout le peuple des scolastiques.  Bien plus, tout le royaume pontifical.  Ce mensonge est si grotesque qu’il ne mérite pas de réfutation. Car, tous ceux qui peuvent lire savent que tous les scolastiques, avec leur maître (livre 4, distinction 4), requièrent la foi actuelle qui ne peut pas exister sans un mouvement du cœur.  Et Philippe lui-même, dans son apologie sur l’article de la pénitence, dit que les catholiques requièrent la contrition et l’attrition.  Et qu’est-ce que la contrition ou l’attrition sinon un mouvement du cœur ?
Le deuxième mensonge. Dans sa même confession d’Augusta, à l’article de la messe, il écrit : « On accuse faussement nos églises d’avoir aboli la messe. Car, les nôtre retiennent la messe, et la célèbrent avec une grande révérence. »  Que ce soit là un mensonge, nous pouvons le prouver par les articles smalchaldiques, qui ne sont pas, auprès des luthériens d’une moindre autorité que la confession elle-même. Voilà pourquoi, dans le livre de la concorde,  ils sont placés avec la confession.  Dans ces articles, nous lisons : « Du reste, la queue du dragon (la messe) enfanta de multiples abominations et idolâtries. » Et, un peu avant : « La messe doit être abrogée de plein droit. »  Si donc, en tant que queue du dragon, la messe doit être abrogée, pourquoi ne l’ont-ils pas abrogée ?  Ou, s’ils l’ont abrogée, pourquoi se plaignent-ils d’être accusés de l’avoir abrogée ?
Ils répondront peut-être que c’est la messe papiste qu’ils ont abrogée, mais qu’ils ont gardé la chrétienne, c’est-à-dire la distribution et la réception du sacrement.  Car, c’est cela que Philippe appelle la messe dans son apologie.  Or, nous n’accusons pas les luthériens d’avoir aboli cette messe, qui consiste dans la communion, mais d’avoir rejeté la vraie messe, c’est-à-dire l’oblation du sacrifice, et tout le canon.  Si donc, par messe, ils entendent la communion, c’est un mensonge de dire  que nous leur reprochions cela.  Si par messe, ils entendent l’oblation ou le sacrifice, c’est un mensonge de dire qu’ils sont accusés faussement.
Le troisième mensonge.  Il dit, dans le même article : « Avant saint Grégoire le grand, les anciens ne font pas mention de la messe privée. »  Il répète la même chose dans l’apologie du même article.   Si, par messe privée, il entend une messe qui est dite à un nom privé, ou qui ne profite qu’à une seule personne, une messe privée de ce genre n’exista jamais. Car, toute messe est publique quand elle est célébrée par un prêtre, en tant que ministre public, et pour l’utilité commune et publique de toute l’église.  Mais, si par messe privée, il entend une messe qui est célébrée par un seul prêtre, sans distribution de l’eucharistie au peuple, il ment en affirmant que des messes de ce genre n’ont pas été célébrées avant le temps de saint Grégoire.  Car, saint Augustin (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu), se souvient d’une messe privée.  Il écrit qu’un de ses prêtres a offert le sacrifice du corps du Seigneur dans la maison de campagne d’un noble quelconque, qui était vexée par l’infestation d’esprits mauvais, et que la maison a été sur-le-champ libérée.  « Il y parvint. Quelqu’un offrit là le sacrifice du corps du Christ priant, autant qu’il le put, pour que cette vexation cesse;  et, par la miséricorde de Dieu, elle cessa immédiatement » Voilà donc le témoignage de saint Augustin, qui a vécu deux cents ans avant saint Grégoire. Il se souvient nettement d’une messe dite par un prêtre dans une maison privée, sans la distribution du sacrement faite au peuple.  Qu’elle ait été agréable à Dieu, le fait lui-même le prouve.
Le quatrième mensonge dans la même confession d’Augusta (à l’article de la confession) où il parle ainsi : « Ils exaltent sans retenue les satisfactions, mais ils ne font aucune mention de la foi, du mérite du Christ, et de la justice par la foi. »  Il dit la même chose dans la Confession, dans l’Apologie (article 11), avec une plus grande exagération : « Maintenant, de cette foi consécutive à la rémission des péchés il n’est fait aucune mention, même pas par une syllabe, dans la si grande masse des constitutions, des glossaires, des sommes. On n’y lit jamais le nom du Christ. » Et plus bas, dans son apologie (article 15) : « Il existe d’immenses livres, je dirais plus, des bibliothèques entières, où ne trouve  aucune syllabe sur le Christ, ou  la foi dans le Christ. »  Mais ce sont des mensonges éhontés;  et il serait fort étonnant que toute l’Allemagne les croie.  Car, il n’existe aucun livre catholique traitant des sacrements dans lesquels les mots foi et Christ ne figurent pas fréquemment.  Il est certain que saint Thomas, qui n’est pas le dernier venu, dit et prouve (111 par question LX11, article 5) « que tous les sacrements tirent leur force des mérites du Christ, et que c’est par la foi que les mérites du Christ nous sont appliqués. »
                                             CHAPITRE 4
                                  Les mensonges de Calvin
Venons-en maintenant à Jean Calvin qui (livre 4, chapitre 14, verset 14 de ses institutions) écrit : « Du consentement unanime de l’école sophistique, ils transmirent que les sacrements de la nouvelle loi justifient et confèrent la grâce, pourvu que nous n’y mettions pas l’obstacle d’un péché mortel.  On ne peut pas dire à quel point cette sentence est funeste, pernicieuse et fatale. Surtout parce que, pendant de longs siècles  elle a causé un grand dommage dans une bonne partie de l’Église. Elle est tout à fait diabolique, car, pendant qu’elle promet la justice, abstraction faite de  la foi, elle précipite les âmes dans l’abyme. »
Le premier mensonge consiste en ce que, dans les sacrements,  nous promettrions la justice sans la foi. Il a été réfuté plus haut (par la citation de saint Thomas). Observons, entre temps, que Calvin a dit vrai quand il a reconnu qu’il y avait un grand consensus parmi les catholiques, que pendant plusieurs siècles la même doctrine a été prêchée, crue, et reçue dans une grande partie de l’univers; que leur doctrine est récente et née en ce siècle, et qu’elle n’a conquis qu’une province ou l’autre.  Car, si les hérétiques sont nombreux, aucune hérésie particulière n’est parvenue à conquérir les autres.
Le deuxième mensonge est dans le même chapitre 17 : « Entre temps, est enlevée la fiction selon laquelle la cause de la justification et la vertu de l’Esprit saint sont inclus dans des éléments, ou des petits vases ou des charriots ».  Voilà donc la fiction que Calvin nous reproche. Or, les catholiques ne disent pas que la cause de la justification est dans les sacrements en tant qu’ils sont inclus dans des vases;  ils font de ces sacrements des causes instrumentales de la justification.  Mais la vertu du Saint Esprit, la puissance que Dieu attribue aux sacrements pour la justification aucun catholique n’enseigne qu’elle est contenue dans les sacrements comme dans des vases.  Car, cette vertu est ce par quoi le sacrement opère.
 Mais peut-être Calvin est-il allé chercher la cause de son mensonge dans ce que les catholiques enseignent en disant que la grâce est dans les sacrements, comme une chose qui est contenue  dans un vase.  Car, étant l’effet du sacrement, la grâce est contenue dans le sacrement, comme un effet dans sa cause. Et tout ce qui contient, au moins métaphoriquement, peut être appelé vase.   Ajoutons qu’on peut même prendre un vase pour un instrument.  Et c’est dans ce sens que, dans le psaume V11, David appelle des flèches des vases de mort, et Ézéchiel (chapitre 1X)  appelle les armes des vases de trépas, parce que les flèches et les autres armes sont des causes instrumentales de mort.  Calvin ne peut pas même nier cela puisque, dans son antidote du concile de Trente (session 7, chapitres  4 et 5) il reconnait que les sacrements sont des causes instrumentales de l’obtention de la grâce.
Le troisième mensonge est dans le même chapitre (verset 26) où il dit ceci : « Tout ce que les sophistes ont rêvé de l’effet opéré par l’opération même du sacrement est non seulement faux, mais répugne à la nature des sacrements, que Dieu a institués. Et ils  rendent les fidèles vides des biens, dépossédés de tout, réduits à la seule mendicité. Il s’ensuit donc que, en les recevant, ils ne font rien qui leur mérite des louanges; et que, dans cette action qui est, selon eux, purement passive, ils ne peuvent  voir aucune œuvre. »   Par ce mensonge, Calvin satisfait ou son ignorance ou sa malice.  Car les théologiens n’appellent pas  œuvre méritoire  l’œuvre opérée par celui qui reçoit ou qui administre le sacrement, comme Calvin le prétend.  Car, cette œuvre nous l’appelons l’œuvre de l’opérant.  Ce qu’est l’œuvre opérée nous l’expliquerons en son lieu.  Pour l’instant, il suffit de noter que l’œuvre opérée de dépend pas de la bonté du ministre, mais que le mérite en dépend.
Le quatrième mensonge (chapitre 17, verset 43) où il dit que « le premier à avoir, dans le sacrement de l’eucharistie, utilisé du pain azyme a été le pontife romain Alexandre : Il fut le premier à avoir choisi du pain azyme.  Je ne vois pour quelle raison.   Pour provoquer, par ce nouveau spectacle,  l’admiration du peuple, plutôt que pour établir les âmes dans une religion éprouvée ? »  Ce mensonge est en guerre ouverte contre l’évangile. Matthieu, en effet (XXV1), Luc XX11 et Marc (X1V) écrivent que le Seigneur a fait la cène,  le premier jour des azymes.  Ce ne fut donc pas le pape Alexandre, mais le Christ qui fut le premier à utiliser le pain azyme dans le sacrement de l’autel.
 Le cinquième mensonge est au chapitre 19, verset 12, où il dit  : «Quand les anciens parlaient en employant les mots au sens propre, ils n’ont jamais recensé plus de deux sacrements. » Ce mensonge est réfuté par saint Cyprien (pour ne pas parler des autres) qui (au livre 2, épitre 1) m ne considère pas seulement le baptême et l’eucharistie comme de vrais sacrements, mais aussi la confirmation. Car, voici ce qu’il dit de la confirmation : « Ils peuvent être pleinement sanctifiés et être fils de Dieu ceux qui naissent par l’un et l’autre sacrement. »  Et saint Augustin (livre 2, chapitre 104 contre les lettres de Petilianus) : « Le sacrement du saint chrême, est, dans le genre des signes visibles, sacrosaint, comme le baptême lui-même. »
Le sixième est au même endroit.  En parlant de la confirmation, il ajoute : « Les anciens parlaient de l’imposition des mains, mais lui donnaient-ils le nom de sacrement ?  Saint-Augustin dit qu’elle n’est rien d’autre qu’une prière. »   Ce qui est déjà réfuté par les auteurs  cités.  Le septième mensonge est dans le chapitre 19, verset 34, où il dit : « Tous reconnaissent le mariage tel qu’il a été institué par Dieu. Mais personne ne l’avait vu  comme un sacrement donné par Dieu avant saint Grégoire. » Or, saint Augustin, qui a vécu deux cents ans avant saint Grégoire, (écrit dans le livre sur le bonheur conjugal, chapitre 18) : « Dans les mariages des nôtres, plus vaut la sainteté du sacrement que la fécondité de l’utérus. » Et (au livre 1, chapitre 10 des noces et de la concupiscence), il énumère trois fois le mariage parmi les sacrements.  Et souvent aussi ailleurs.
Le huitième mensonge est dans l’antidote du concile (session 7, canon 13) où il dit : « Plusieurs hommes pieux déplorent en gémissant que dans le baptême, on attache plus d’importance au saint chrême, à la cire, à  la saveur du sel, et au crachat (?)  qu’à l’eau du lavement, dans laquelle consiste toute la perfection du baptême. »  Il répète la même chose dans son livre sur les formules d’administration des sacrements.  Calvin s’efforce là de surpasser Luther dans le mensonge.  Car, comme nous l’avons noté dans son dernier mensonge, Luther disait seulement que nous donnions  à ces cérémonies la même valeur qu’au baptême. Lui dit que nous leur donnons une plus grande valeur.  Mais l’un et l’autre mentaient allègrement.  Car, les catholiques mettent si peu ces cérémonies sur un pied d’égalité avec le baptême, ou leur accordent si peu la supériorité sur le baptême, qu’ils les appellent des préparations au baptême.  Enfin, tous les catholiques reconnaissent qu’un simple baptême sans cierge, sans sel, sans huile, et sans les autres choses, suffit pour la justification; et qu’à elles seules, les autres cérémonies ne suffisent pas.  Voir le maître et les autres docteurs (chapitre 4, dist 6).
                                        LE CHAPITRE 5
                             Les mensonges de Kemnitius
Martin Kemnitius a répété beaucoup de mensonges de Luther et de Calvin, mais il a en a ajoutés de son cru.  Comme il serait trop long de les rapporter tous, je me contenterai d’en citer quelques-uns (tirés de son livre sur les sacrements en général, principe 2).  Le premier vient de son Examen (édité en 1566, page 14). Voici son mensonge : « Le pontife Siricius a défini le mariage : « Vivre selon la chair, ce qui ne pourrait pas plaire à Dieu. » Comment, selon la description du sacrement qui figure dans le décret, la justice de Dieu peut-elle, par le mariage,  commencer, augmenter ou réparer ? »  Ce mensonge est tiré de la lettre 1 du pape Siricius (chapitre 7) où, voulant prouver que les prêtres devaient se contenir aussi de leurs épouses, le saint pontife prend pour argument les paroles de l’Apôtre aux Romains V111 : « Ceux qui vivent dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. »  Kemnitius déduit de ces paroles que le mariage n’est rien d’autre que vivre selon la chair, ce qui ne plait pas à Dieu.
 Mais Kemnitius aurait du remarquer que le pape ne parle pas du mariage juste et légitime, mais de celui des prêtres, qui est illégitime, et qui est, en soi, une impudicité sacrilège.  En effet, dans la même épitre (chapitre 4), il avait dit un peu auparavant que, dans l’église, les noces légitimes sont bénies par le prêtre.   Et il est certain qu’il n’a pas voulu dire que ce qui était béni par le prêtre c’était une vie selon la chair qui ne plait pas à Dieu.  Les conjoints légitimes peuvent donc vivre ainsi pour plaire à Dieu; et, on ne dit pas qu’ils vivent  dans la chair, mais dans l’esprit,  s’ils ont des rapports avec leurs épouses légitimes.  Mais les prêtres, auxquels les noces sont interdites, ne peuvent pas  se marier ni avoir de relations sexuelles avec une femme sans déplaire à Dieu, et sans vivre selon la chair.  Voilà ce qu’a vraiment écrit le saint pape Siricius.
Le deuxième mensonge se trouve à la page trente-neuf où, parlant des sacrements de l’ordre et du mariage, il dit : « Même si Richard soutient que par ces rites est conférée une grâce faisant un reconnaissant, les autres, cependant, admettent que cela ne se peut pas. »  Ce mensonge est parmi les plus impudents qui soient, puisque tous les théologiens qui comptent disent ce que dit Richard.  Que suffise le témoignage de saint Thomas (111 par qu LXV, art 1) . Il enseigne et prouve qu’il y a sept sacrements de la nouvelle loi. Et, en réponse au dernier il dit : « Dans chaque sacrement la grâce de la nouvelle  loi est versée. »  Le troisième mensonge (pare 40) où, se demandant pourquoi  l’eau bénite, une rose bénite, une épée bénite, et d’autres choses semblables, ne sont pas des sacrements, il dit : « Quelques scolastiques répondent une chose, d’autres une autre chose. Ils n’arrivent pas à s’expliquer clairement, ou à satisfaire les lecteurs, à moins qu’ils n’approuvent l’ingénuité de Gabriel qui dit que l’eau bénite n’est pas un sacrement parce que lui manque l’institution divine. »
Il y a ici deux mensonges.  Le premier. Que les scolastiques fassent de gros efforts pour montrer pourquoi les choses bénies ne sont pas des sacrements. Ils s’y appliquent si peu que beaucoup n’en parlent même pas, comme étant quelque chose d’évident, et que les autres n’en disent  quelques mots qu’en passant.  Car, aucune de ces choses n’est ce qui compte le plus dans un sacrement; aucune n’est un signe efficace de la grâce justifiante.  Le deuxième mensonge. Gabriel avoue ingénument que, pour être un sacrement, il manque à l’eau bénite l’institution divine.  C’est un mensonge très vrai, parce que Gabriel (4 dist 1 quest 1 art 1) dit que l’eau bénite n’a pas été instituée par Dieu mais par l’Église, et qu’elle n’est donc pas un sacrement.  Mais il ne dit pas qu’il ne lui manque que l’institution divine.  Il dit, au contraire, qu’il lui manque aussi beaucoup d’autres choses.   Car, en cet endroit, il ne dispute pas d’abord et avant tout de l’eau bénite, mais il explique la définition d’un sacrement.  Et, parce qu’il avait dit qu’à un sacrement est requise l’institution divine, il déduit donc de la définition du sacrement que l’eau bénite en est exclue, ainsi que tous les singes naturels.  Il ne faut donc pas en  conclure que, pour être un sacrement, il ne manque  à l’eau bénite que l’institution divine.
Le quatrième mensonge (page 94 et 95), où il y a autant de mensonges que de mots : « Certains, comme Alain, Thomas, Durand, pensèrent que, au moyen des éléments externes des sacrements, était conférée par la parole une vertu surnaturelle. » Or, il ne semble pas avoir lu ces auteurs, car Durand enseigne précisément le contraire, et saint Thomas combat cette opinion (4 dist 1, qu 4).  Le cinquième mensonge se trouve au même endroit : « Ils ajoutent que ni eux ni les autres ne peuvent comprendre qu’il existe un  être incomplet (la force qui se trouve dans les sacrements) qui ne soit pas, par lui-même, dans un des dix prédicaments. »  Mais il est facile de croire que Kemnitius ne comprend pas ce que veulent dire les scolastiques.  Qu’il ne comprenne pas  que cette motion ou force présente dans les sacrements soit un être incomplet, et qu’il ajoute qu’on a tort de dire qu’elle n’est dans aucun prédicament, cela lui fait commettre un mensonge.  Car, il n’est pas nécessaire d’être expert en physique ou en logique pour savoir que le mouvement est un être incomplet, et qu’il n’appartient à aucun prédicament.
Le sixième. Il ment quand il prétend que saint Cyprien a estimé qu’était inutile le baptême conféré par les hérétiques et les mauvais ministres. Car, partout, saint Cyprien distingue les mauvais ministres des hérétiques, et il affirme que les mauvais baptisent utilement, et les hérétiques inutilement.  À cause d’une phrase de saint Cyprien, Kemnitius se croit donc en droit d’unir  faussement que saint Cyprien sépare concsciencieusement.   Voir saint Augustin expliquant la phrase de saint Cyprien (livre 4, chapitre 10 sur le baptême, et livre 6, chapitre 12), et saint Cyprien lui-même (dans ses lettres à Jubajanus, à Stéphane et à Quirinus.)
   Le septième mensonge est à la page 95, où il dit : « Cette opinion selon laquelle la grâce est contenue essentiellement dans les éléments eux-mêmes des sacrements, comme un remède dans une bouteille, de façon à être la vertu des sacrements, ou leur essence ou une qualité inhérente dans les éléments corporaux des sacrements, cette opinion, dis-je, ne fut pas approuvée par tous, comme Bonaventure et Richard. »
 En reprochant ce qu’il ne comprend pas, Kemnitius fait étalage ici  de son incompétence et de sa témérité.  Car, d’abord, il confond la grâce avec la vertu des sacrements, la grâce étant l’effet des sacrements, et la vertu ce par quoi le sacrement opère.  Que la grâce soit contenue dans les sacrements, aucun catholique ne le nie; mais cette vertu physique tous ne l’admettent pas.  Que l’essence même de la grâce  soit inhérente aux sacrements, comme un remède dans une bouteille, aucun des catholiques ne le dit.   Ce que nous admettons tous c’est que c’est dans l’âme que la grâce inhère et non dans les sacrements.  Ils la placent, comme nous l’avons déjà dit plus haut, métaphoriquement dans le sacrement, à la façon d’un vase, comme l’effet dans sa cause.
On trouve son huitième mensonge au même endroit : « Il y en a qui ont placé la vertu des sacrements dans l’opération par laquelle les sacrements sont célébrés, de façon à pourvoir dire que les sacrements confèrent la grâce en raison de la dignité et du mérite de l’opération (de l’œuvre) ou de celui qui célèbre ou qui reçoit.  Ce mensonge est un témoin de l’ignorance de Kemnitius;  il n’est pas de lui, mais c’est de Calvin qu’il l’a reçu.  Voir, plus haut, le troisième mensonge de Calvin.  Il y en a encore d’autres, mais que ceux-là suffisent.
2018 10 05 fin
2018 10 13 debut
                                               CHAPITRE 6
                      Les mensonges de Tilmann Heshusius
Tilmann Heshusius qui s’appelle évêque de Sambiensen, a écrit un livre sur les six cents erreurs des souverains pontifes.   Ce livre n’a pas un seul grain de sel, car il collectionne les erreurs avec si peu de jugement qu’elles sont ou de purs mensonges, ou que leurs contraires sont des hérésies communes à tous les luthériens.  Regardons, comme exemple, le lieu 15 qui porte sur les sacrements.  C’est là qu’il note la troisième erreur qu’il a tirée du catéchisme romain : « La vertu qui émane de la passion du Christ, c’est-à-dire la grâce qu’il nous a méritée sur l’autel de la croix, doit dériver jusqu’à nous par les sacrements, comme par une matrice. »  Il a corrompu les paroles du catéchisme romain.  Du mot alveus ( canal ) qui est dans le catéchisme romain il a fait alvus (matrice ) pour rendre ridicule la phrase du catéchisme.
 Or, on ne peut condamner la sentence du catéchisme sans condamner tous les luthériens.  Formulons donc le contraire, et nous ne pourrons qu’avoir : le Christ, sur la croix, ne nous a pas mérité la grâce; ou s’il l’a méritée, elle ne nous est pas communiquée par les sacrements, comme par des canaux.   Or, il est certain que cette sentence, tous les luthériens la condamneraient, puisqu’ils veulent que la grâce du Christ, qui vient de sa passion,  nous soit offerte et appliquée par les paroles et les sacrements.  Il importe peu qu’ils n’appellent pas les sacrements les canaux de la grâce, car ils les appellent des causes instrumentales, ce qui est plus fort que canaux. Voir Kemnitius (2 par examinis, page 97) et Calvin (antidote du concile, session 7, canon 4).
 Sa cinquième erreur.  Les sacrements de la loi ancienne n’imprimaient pas un caractère qui est un signe spirituel.   Disons maintenant le contraire : les sacrements de l’ancienne loi imprimaient un caractère spirituel. Et demandons-nous si un ou l’autre des luthériens approuve cette assertion.  Car, les luthériens n’ont jamais mis les sacrements de l’ancienne loi avant ceux de la nouvelle loi, même s’ils les ont peut-être mis sur un pied d’égalité.  Et, cependant, ils nient, à l’unanimité, que les sacrements de la nouvelle loi impriment un caractère.  Et c’est ce que dit aussi Heshusius dans sa septième erreur.
 C’est une nouvelle erreur qu’on ne requière pas de bons mouvements intérieurs dans la réception des sacrements.  Cette erreur Heshusius l’attribue à Gabriel (livre 1V sentences  dist 1 quest 3).  Mais les paroles de Gabriel qu’il cite révèlent la fraude.  Car, Gabriel ne dit pas qu’un bon  mouvement intérieur n’est pas requis, puisque, comme tous les autres docteurs, il requiert distinctement la foi et la pénitence.  Il dit plutôt, comme Scot,  que n’est pas requis un mouvement intérieur capable de mériter la grâce de congruo (par convenance ?) ou de condigno (en justice?).  Car, Scot et Gabriel, et beaucoup d’autres,  enseignent que les mouvements intérieurs méritent la justification de congruo (de convenance).  Mais, ils ajoutent que s’il arrivait que ces mouvements ne soient pas assez parfaits pour la mériter de congruo, ils suffiraient quand même, avec le sacrement, pour obtenir la justification.
 La dixième erreur.  Les sacrements de l’ancienne loi ne conféraient la grâce  ni par l’opération de l’œuvre, ni par l’œuvre de l’opérant, ou par mode de mérite, même s’ils se faisaient dans la foi et la charité.  Mais, énonçons le contraire en disant : les sacrements de l’ancienne loi conféraient la grâce par l’opération de l’œuvre, ou par l’œuvre de l’opérant,  ou par mode mérite.  Or, pour tous les luthériens, cette proposition est une  hérésie.  Car tous exècrent ce que nous disons de  l’opération de l’œuvre, et plus encore  de l’œuvre de l’opérant.  Car, conférer la grâce par l’œuvre de l’opérant c’est, pour les sacrements, conférer la grâce à cause de la dignité et du mérite de l’œuvre.  Or, eux ne reconnaissent aucune œuvre digne ou méritoire, mais veulent qu’elles soient toutes des péchés mortels. Comme Heshusius, dans son livre qui porte sur la justification, la foi et les œuvres.  Sa treizième erreur, il la tire du concile de Trente (session 7, canon 13) : « Ils enseignent que sans les rites papistes externes, on ne trouve  ni la vérité, ni la dignité, ni l’efficacité des sacrements. »
Mais, c’est une impudente imposture, car  le concile n’enseigne rien de la sorte.  Voici les vraies paroles du concile que Heshusius a le front de citer telles quelles, afin de se présenter comme un imposteur : « Si quelqu’un dit que les rites reçus et approuvés dans l’Église catholique, qu’on a coutume d’utiliser dans l’administration solennelle des sacrements, peuvent être méprisés, ou omis à volonté sans faute par des ministres, ou être changés en d’autres rites par n’importe lequel pasteur,  qu’il soit anathème ! »
                      LA PREMIÈRE CONTROVERSE
                          LE NOM DU SACREMENT
                                    CHAPITRE 7
                 Doit-on utiliser le mot sacrement ?
Sur le mot sacrement, il existe deux controverses : l’une des hérétiques entre eux, l’autre entre nous et les hérétiques.  La première : doit-on usurper ce mot ?  La deuxième : que signifie véritablement ce mot ?
Au sujet de la première.  Au début de sa nouvelle prédication, Martin Luther ne semblait pas peu abhorrer ce nom.  Car, dans son livre sur la captivité de Babylone, en l’an 20, chapitre sur le mariage, il écrit : « La sainte Écriture ne connait pas le mot sacrement au sens que nous lui donnons, mais dans un sens contraire.  Car, il ne signifie pas le signe d’une chose sacrée, mais une chose sacrée, secrète, cachée. »  Ensuite, (dans son livre sur l’abrogation de la messe), en l’an 21, il écrit : « La conscience pieuse et fidèle doit se garder d’appeler cela sacrifice, et de croire être un sacrifice ce que l’Écriture n’appelle pas sacrifice.  Car, y a-t-il une témérité plus furieuse que d’appeler sacrifice et culte de Dieu  ce que Dieu n’appelle ni sacrifice ni culte ? »    Puisque Luther affirme que le mot sacrement n’est pas dans l’Écriture au sens que lui donne l’Église, et que, pour les mots qui expriment des choses divines, c’est une témérité folle de se servir de noms dont l’Écriture ne se sert pas, on en déduit nécessairement qu’il ne lui plaisait pas que nous utilisions ce mot.  Voilà pourquoi (dans les lieux communs des années 21 et  22, au chapitre des sacrements, il dit, au milieu du chapitre) : « Ce que les autres appellent sacrements, nous les appelons signes. »  Quelle est donc, chez ces hommes, cette soif de nouveautés qui leur fait préférer au mot latin sacrement un mot grec dont on n’a jamais entendu parler : sphragidas, sceau ?
André Carolstad (dans son livre sur les images et les sacrements), marche sur les traces de Luther,  et se prononce formellement contre le mot sacrement.  Et Zwingli, le père des sacramentaires, (dans son livre de l’an 25 sur la vraie et fausse religion), dit ne pas  vouloir faire de tapage à cause de nom, et, néanmoins, il le réprouve ouvertement.  Car, voici ce qu’il dit dans son chapitre sur les sacrements : « Ce mot sacrement, je souhaiterais grandement qu’il n’ait jamais été reçu par les Allemands. »  De même, Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 13) dit ne pas vouloir lancer une controverse  sur le mot sacrement, et cependant il ne le réprouve pas obscurément quand il dit : « Il apparait clairement que les anciens qui ont donné à des signes le nom de sacrements,  n’ont pas bien considéré dans quel sens les auteurs latins employaient ce mot. Mais, ils lui ont, à leur gré, assigner une nouvelle signification, par laquelle ils désignaient des signes sacrés. »
Et pourtant, quand Luther vit que Carolstad et Zwingli, avec lesquels il était en guerre, abhorraient le mot sacrement, il changea  d’idée, et commença à approuver ce mot.  Car, voici ce qu’il écrit dans son livre contre les prophètes célestes, par 2 : « Carolstad dit que le Christ et les apôtres n’ont pas donné à la cène le nom de sacrement, et qu’il veut avoir un nom qui vient de la Bible; que c’est à Dieu à imposer des noms à ses créatures, et que nous qui ne sommes que des hommes, nous ne devons pas donner de nom aux choses divines » Et plus bas : « Conduis-toi comme un homme, homicide des âmes, toi, et l’esprit du péché ! Nous reconnaissons que Dieu n’a pas employé le mot sacrement, et n’a pas ordonné non plus qu’un usât de se mot.  Mais, où a-t-il prohibé qu’on l’appelât sacrement ?  Qui donc t’a donné le pouvoir de prohiber ce que Dieu n’a pas prohibé ?  N’est-il pas un vrai homicide d’âmes celui qui se met  à la place de Dieu et nous enlève notre liberté ? »  Il affirme ensuite et prouve qu’il est permis d’employer ce mot, et même qu’on doit l’employer.  Ces paroles ne militent-elles  pas plus contre Luther que contre Carolstad et Zwingli, puisque c’est lui qui, comme nous l’avons montré,  les leur avait enseignées ?
Après que Luther eut viré son capot de bord, les luthériens le virèrent eux aussi.  Car, dans la confession d’Augusta, ils reçoivent le mot sacrement.  Et Philippe (dans les lieux, en l’an 36) insère un chapitre sur les sacrements, qu’il avait autrefois appelés signes.  Brentius aussi (dans son confession de Wirtemberg, au chapitre des sacrements) retient ce nom.  Et enfin, Kemnitius (2 par de son examen, non loin du début), dit que ce mot ne figure par dans les saintes lettres, mais qu’on doit quand même le retenir et le conserver.  La controverse n’a donc comme adversaires que les seuls sacramentaires et la première opinion de Luther.
Il est facile de prouver que ce nom doit être usurpé et conservé.  D’abord, parce qu’on le repère dans les Écritures.  Il y a deux choses à noter avant d’en faire la démonstration.  Les écritures saintes n’ont pas été, par les prophètes ou les apôtres,  écrites en latin, mais en hébreu ou en grec.  On n’a donc pas à démontrer par l’Écriture le mot latin sacrement, mais le mot grec qui lui correspond mustèrion (mystère).   Car, pour les Latins, le mot sacrement a exactement le même sens que le mot mustèrion pour les Grecs.  Et là-dessus il n’y a aucune dissension.  Les adversaires admettent en effet, que sacramentum et mysterium (sacrement et mystère) sont une seule et même chose.    Ensuite, les catholiques peuvent prouver le mot sacrement par l’Écriture autrement que ne le font les protestants. Que le mariage soit un sacrement proprement dit nous le prouvons par le mot sacrement qui est dans l’Écriture, non seulement en général, mais d’une façon spécifique, c’est-à-dire en tant qu’il signifie les sept choses que nous appelons proprement sacrements.
Car l’apôtre a dit aux Éphésiens : « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et adhèrera à son épouse, et ils seront deux dans une seule chair. C’est un grand mystère (sacrement), dis-je, dans le Christ et dans l’Église. »   Au témoignage du concile de Trente, (session 24), l’apôtre appelle le mariage ou l’union de l’homme et de la femme,  un sacrement proprement dit.  Car, cette union est le signe d’une chose sacrée et mystérieuse, c’est-à-dire l’union du Christ avec l’Église.  Il importe peu que Paul semble avoir parlé de l’union d’Adam et d’Ève, qui ne fut pas un sacrement de la nouvelle loi.  Car, même s’il a recours aux paroles d’Adam, il les accommode aux unions de son temps.  Car à toute union convenait ce qu’Adam a dit : « Ils seront deux dans une seule chair. »  Voilà pourquoi saint Paul n’a pas dit : ce sacrement fut grand, mais ce sacrement est grand, après que le Christ lui ait donné la promesse de la grâce.
Aux hérétiques qui n’admettent pas que le mariage est un sacrement proprement dit, nous ne pouvons pas, par l’Écriture prouver le nom du sacrement, en tant que nom spécifique et propre à nos sacrements.  Car, jamais dans l’Écriture, le baptême, l’eucharistie, la pénitence, l’ordre, la confirmation ou l’extrême onction ne sont appelés sacrement.  Nous pouvons cependant, à l’aide de l’Écriture, montrer que le mot sacrement est un nom générique et commun à nos sept sacrements, et à d’autres choses, c’est-dire en tant qu’il représente le signe d’une chose sacrée ou mystérieuse.  Ce qui suffit pour pouvoir, pour ce nom, utiliser le témoignage de l’Écriture.  Car, un nom générique convient vraiment à une chose, même s’il ne convient pas seulement à cette chose. Exemple.  L’Homme est un animal,  même s’il n’est pas le seul à l’être.
Que  ce mot existe dans l’Écriture, nous le démontrons contre Luther à l’aide du chapitre 2 de Daniel, où il appelle très souvent mystère ou sacrement la statue de Nabuchodonosor, parce qu’elle est le signe d’une chose latente, à savoir la succession des quatre royaumes, et, après eux,  du commencement du royaume du Christ.  Nous en déduisons que le mot hébreu ou chaldéen employé, ne signifie pas seulement une chose secrète, (comme en Isaïe : « mon secret est à moi, ») mais aussi le signe d’une chose secrète, comme dans ce passage de Daniel, même si je ne nierai pas qu’il signifie parfois une chose secrète.  Car l’Écriture appelle parfois mystère le songe  effacé, et donc caché et secret.  L’Écriture appelle aussi  parfois mystère un songe évanoui,  donc quelque chose de caché et de secret, c’est-à-dire  la signification de la statue qui était apparue dans un songe.
Nous prouverons la même chose avec ce passage de l’Apocalypse 17 : « Et sur son front, le mot mystère est écrit. »  Et, plus bas : « Je te dirai le sacrement de la femme. »  Car nous lisons là  que cette femme courtisane vue par Jean a été une sorte de sacrement, ou le signe d’une chose latente, c’est-à-dire de l’empire romain, ou de l’antichrist, comme nous l’avons exposé ailleurs.  Car, ce n’est pas cette chose latente mais la femme que l’on voyait qui était appelée un mystère, et donc un sacrement, à cause de la signification qu’elle contenait, comme on le voit par le nom inscrit sur le front.  On prouve la même chose de 11 Thessaloniciens 11 : « Car le mystère d’iniquité opère déjà. »  L’apôtre appelle mystère d’iniquité les persécutions de l’église primitive par les empereurs,  suscitées par les hérétiques, parce qu’elles représentaient les persécutions qui devaient, dans les derniers jours, être entreprises par l’antichrist.  Car, c’est ainsi que commentent ce passage saint Jean Chrysostome, Theophylactus, saint Ambroise, et presque tous les autres.
On prouve la même chose enfin avec Éphésiens V : « C’est un grand sacrement. »   Car, même si  Érasme et Calvin soutiennent que le mystère dont parle saint Paul n’est pas l’union de l’homme et de la femme, mais du Christ et de son église, du fait que l’apôtre ajoute : « Je dis cela dans le Christ et dans l’église », ils se trompent, cependant, manifestement.  Car que ce ne soit pas au Christ et à l’église, mais à l’union de l’homme et de la femme que saint Paul applique le mot sacrement, le hoc (cela) l’indique.  Parce qu’il se rapporte à ce qui avait été dit : ils seront deux dans une seule chair, et aussi parce que tout le raisonnement de l’apôtre s’écroulerait.  En effet, il veut prouver que les hommes doivent aimer leurs femmes.  Et cela, il le prouve en disant que cet ils-sont-deux-dans-une-seule-chair est un grand sacrement dans le Christ et dans l’Église.   Or, si ce mystère se rapporte à l’union du Christ et de l’église, et n’a rien à voir avec les époux,  qu’est-ce que Paul prouve, je le demande ?  Voir les commentaires  de saint Jérôme, de saint Jean Chrysostome, d’Oecumenius, et des autres pères.  L’union sensible et externe de l’homme et de la femme est donc un sacrement, c’est-à-dire le signe d’une chose spirituelle et latente : l’union du Christ et de l’Église.  Persuadé par ces témoignages, Kemnitius reconnait que le mot sacrement, au sens général du terme,  est dans l’Écriture, même s’il ne l’est pas au sens spécifique.
Ce que Luther a dit est donc faux, quand il affirmait que, dans toute l’écriture, le mot sacrement signifiait une chose sacrée, secrète, et jamais le signe d’une chose sacrée et secrète.  N’est pas moins faux ce qu’il ajoutait au même endroit, à savoir que, à toutes les fois que les catholiques ont trouvé, dans l’Écriture, le mot sacrement, ils en ont fait un signe.  Car, nous ne prétendons pas que le mot sacrement signifie partout un signe, mais seulement en certains endroits. Et nous admettons qu’ailleurs, il signifie une chose secrète, comme dans Tobie X11 : « Il est bien de cacher le sacrement du roi. »  Éphésiens 1 : « Pour qu’il nous fasse connaitre le sacrement de sa volonté. »  Et, dans 1 Timothée 111, il appelle l’incarnation «  un grand sacrement de piété. »  Les scolastiques n’ignorèrent pas cela non plus.  Bien au contraire, car, avec le maître des sentences, ils distinguent les différents sens que prend le mot sacrement dans les Écritures.  Voir 1V dist 1, et saint Thomas (2 p. q. LX, art 1).
Si le mot sacrement vient du mot sacré ou initié, ce qui plait à Zwingli,  nous pourrons dire que, dans l’ancien testament, il y a un mot hébraïque qui correspond à notre mot latin : un rite de consécration.  Voir Exode  XXV111, Levit V111, et ailleurs.
La deuxième raison, on la tire des pères.   Les anciens pères, en effet, se sont servis de ce mot pour signifier le baptême, l’eucharistie,  et d’autres symboles sacrés de ce genre.   Tertullien, le plus ancien des auteurs latins, (livre de la prescription, chapitre 16), dit : « Ces choses des sacrements divins le diable les a imitées dans les mystères des idoles. Il asperge et il signe ses soldats sur le front » Voir aussi dans le livre 1 contre Marcion, avant le milieu.   Et, au sujet de la confirmation, il dit : « S’ils naissent de l’un et l’autre sacrement. »  Et (dans le livre 11, épitre 111 à Cécile), il dit : « C’est par ce sacrement (l’eucharistie), que notre peuple montre qu’il est uni. » Et (au livre 1V, épitre 7 à Magnus), il écrit : « Car, dans le sacrement du salut la contagion des fautes n’est pas purifiée comme le sont les saletés de la peau et du corps dans un bain charnel et profane. »  Utilisent le même mot Lactance (livre 4, chapitre 17), saint Hilaire (dans le psaume CXX1), saint Jérôme (dans le chapitre LX1V d’Ézéchiel, et dans le chapitre 1 de Malachie), saint Augustin (épitre 118,   et livre 2, chapitre 3 de la doctrine du Christ), et tous leurs autres successeurs.
De ces sentences des anciens nous déduisons que ce nom a été très ancien, et qu’il faut donc le retenir, même si on ne le trouvait pas dans l’Écriture, comme nous retenons beaucoup d’autres noms qui ne figurent pas dans l’Écriture,  comme trinité, consubstantiel, personne.  Car, très périlleuse est, dans l’église, la liberté d’inventer de nouveaux mots, puisque, avec de nouveaux mots, de nouvelles choses apparaissent.  Voilà pourquoi saint Paul interdit les nouveautés profanes de mots, dans 1 Timothée V1, et saint Augustin (livre 10, chapitre 23 de la cité de Dieu) : « Les philosophes emploient les mots en toute liberté,  et, dans les choses très difficiles à comprendre, ils ne craignent pas d’offenser les oreilles religieuses. À nous, il est permis de parler avec mesure,  pour que, dans les choses que ces mots signifient,  la licence verbale ne fasse pas naitre une opinion impie. »
Nous déduisons aussi des Écritures et des pères anciens cités,  que, sur ce mot, Kemnitius dit des choses fausses qui lui répugnent.  Car, à la page 28, il dit ceci : « Augustin fut le premier à étendre le mot sacrement sur cette matière, et à l’employer plus largement que ne le faisait l’antiquité.  Car, dans l’épitre 5 à Marcellin,  il dit en parlant des signes : « On appelle sacrements les choses qui se rapportent aux choses divines.  Selon Augustin, pour qu’une chose soit un sacrement, il suffit donc qu’elle soit le signe d’une chose sacrée ou divine. » Réponse.  D’abord, il est faux que saint Augustin ait été le premier à étendre ce mot à d’autres signes sacrés que le baptême et l’eucharistie, comme le démontrent les textes cités.  Et de plus, Kemnitius le montre aussi,  lui qui dit à la page 22 : « L’union de l’homme et de la femme dans le mariage est le sacrement du Christ et de l’église, dans Éphésiens V ».  Et, plus bas : « Toutes les figures et toutes les allégories qui signifient quelque chose,  les pères les appellent des sacrements. Tertullien (livre V, contre Marcion) appelle sacrements de figures,  et allégories de sacrements ce qui est dit sur les deux fils d’Abraham.  Contre les Juifs, il parle du sacrement de la houe, quand il dispute sur la hache d’Élisée, et le bois d’Ada »  C’est à lui de montrer quelle logique il y a à affirmer que saint Augustin a été le premier à faire ce que l’on trouve chez les pères les plus anciens, et dans saint Paul lui-même.
Ajoutons, pour finir, que, dans l’église latine, toutes les langues vulgaires ont retenu ce mot : en italien, en français, en espagnol, en allemand, et en d’autres.
                                             CHAPITRE 8
               L’étymologie et la notion de mystère et de sacrement
Puisqu’il  est certain que les mots hébraïques et grecs ont existé avant les mots latins, et que, par le mot sacrement, les latins n’ont voulu exprimer que ce qu’exprimaient, dans leurs mots, les hébreux et les grecs,  il faut donc, avant de parler des mots latins, traiter des mots hébraïques et grecs.  Les hébreux se servent habituellement  de trois mots pour signifier leurs sacrements.  Ils appellent d’un nom particulier (….) toutes les cérémonies, dont font partie les sacrements, comme il appert dans Exode X11, XXV111, et ailleurs.  Mais, ce nom ne signifie pas tant la cérémonie que la loi cérémoniale.  Voilà pourquoi, dans le nouveau testament, les cérémonies des Juifs sont toujours appelées des lois.  Comme dans Matthieu X1  (« La loi et les prophètes jusqu’à Jean »), c’est-à-dire les figures des cérémonies et les oracles des prophètes jusqu’à Jean.  Et aux Galates : « Je déclare que tous ceux qui se circoncisent sont tenus à observer la loi en entier. »  C’est-à-dire que ceux qui admettent la circoncision  doivent, pour les mêmes raisons, admettre toutes les cérémonies.
Il y a un autre mot hébraïque (…)  qui signifie consécration ou initiation.  Exode XXV111, et Lévit V111, où il est question de la consécration d’un prêtre.   Ce mot vient du verbe accomplir, parfaire, parce que celui qui reçoit le sacrement est perfectionné, et devient idoine à remplir une fonction.  Le troisième mot (….) est plus usité chez les Chaldéens que chez les Hébreux.  Voilà pourquoi les Hébreux ne sont pas parvenus à trouver sa vraie racine.  Mais, comme nous l’avons déjà dit,  le chapitre 11 de Daniel nous fait comprendre que ce mot signifie autant une chose secrète que le signe d’une chose secrète
Dans son discours d’exhortation aux Gentils, Clément d’Alexandrie explique l’étymologie du mot mystère.  Eusèbe s’en souvient (dans sa préparation évangélique, livre 11, chapitre V), où il dit que musteron vient de musos, qui signifie forfait et exécration.  Cette étymologie est contestée par Dominique a Soto (livre 4, dist 1, q, 1, art 1).  Il dit que c’est par un i que misos signifie crime et haine, tandis que musteron s’écrit avec un u.   Mais  il n’y avait pas de raisons pour qu’un latin entre en contestation avec des auteurs très graves, et grecs de surcroit, au sujet de l’étymologie d’un mot grec.   Car, bien que misos signifie proprement haine, mèsos, cependant, signifie proprement crime.   Or, c’est de mèsos que saint Clément voit venir le mot musteron, et non de misos, même si, par une erreur des copistes,  certains codex latins d’Eusèbe ont le dernier mot.
 De plus, ce n’était pas l’intention de Clément d’expliquer, en ce lieu, l’étymologie propre et véritable du mot mystère,  car, c’est à dessein qu’il choisit une étymologie moins appropriée, mais très apte à ridiculiser les choses sacrées des païens de son temps.  C’est donc parce qu’il voulait ridiculiser et faire haïr leurs rites sacrés qu’il les appela musthèria apo tou musous, des choses criminelles à exécrer.  Ou bien il les appelait des musteria (mystères) qui ressemblent à des muthèria (mythes), c’est-à-dire fabuleux.
D’autres tirent mustèrion du verbe mueô, qui veut dire je ferme, et stoma, qui veut dire bouche, comme si les mystères devaient être honorés en silence. Ou de musein, et tèreien, qui veut dire cacher et conserver, comme si les choses sacrées devaient être observées en secret.  On peut aussi, sans être accusé d’ignorance, le faire venir du mot mueô mnèsô, qui  veut dire je commence ou je consacre.  D’où vient le mot mustès, c’est-à-dire, l’officiant des choses sacrées qui initie les autres.
Ce mot (mystère) a trois sens.  Le premier et le principal.  Le mystère est dit des cérémonies par lesquelles les hommes sont initiés aux choses sacrées.  C’est pourquoi Cicéron (Marcus Tullius, au livre 11 des lois) emploie ce mot au sens de débuts, initiations.  Et saint Ambroise écrit un livre sur ceux qui sont initiés aux mystères.   Et ce sens répond à l’étymologie que nous avions trouvée dans le mot muéô.  Et à ce mot répond en hébreu le mot …., c’est-à-dire consécration.  Parce que, en fait, les mystères des Gentils étaient célébrés de nuit, puisqu’il fallait qu’ils soient secrets.  Et c’est de là que vient le mot.
Le second sens.  Est appelé mystère tout ce qui est arcane et secret.  Et c’est dans ce sens que parle l’apôtre (dans 1 Corinthiens 13) : « Si je connaissais tous les mystères » »  Et Matthieu X111 : « À vous il est donné de connaitre les mystères du royaume de Dieu. »  Et le mot de l’épitre aux Hébreux répond au premier sens, ou à l’autre mot hébreu, avec lequel ils sont souvent utilisés, c’est-à-dire secret.  La troisième signification est née de la deuxième, ce qui fait qu’on appelle mystère tout signe d’une chose arcane et cachée.  C’est dans ce sens que toutes les figures de l’ancien testament sont appelées des mystères, ainsi que les paraboles et les exemples que nous avons dans l’évangile et dans l’apocalypse, comme le montrent les témoignages ci-haut apportés.  Et ce mot hébreu…..répond au dernier sens.
L’étymologie du mot latin sacrement est très connue. Il vient de je sacre ou je consacre.  Mais, il a plusieurs sens.   Le premier.  Le sacrement est appelé un gage déposé par des combattants dans un lieu sacré.  Car, comme l’écrit Varron (au livre 4 de la langue latine, proche de la fin), les Romains avaient la coutume quand deux se battaient, autant celui qui affirmait que celui qui niait, de déposer cinquante pièces d’argent dans un lieu sacré près du Pontife.  Le duel fini, le vainqueur retrouvait son dépôt, l’autre le perdait.  Le gage de chacun était déposé dans un tronc, comme punition d’un injuste combat.  Ce sont ces dépôts ou gages qu’on appelait sacrements.  Cette signification plut à Zwingli beaucoup plus que les autres (dans son livre sur la vraie et fausse religion, chapitre sur les sacrements) : « Le sacrement n’est rien d’autre qu’une initiation ou un prêt sur gage.  Car, comme les duellistes devaient, avant d’engager le combat, déposer un certain montant d’argent, de la même façon, ceux qui s’initient aux sacrements se lient par un serment, et déposent un gage. »
La deuxième signification.   Le sacrement est la même chose qu’un serment, sans lequel aucune chose sacrée ne peut se faire, puisque celui qui jure prend Dieu comme témoin.   On rencontre ce sens fréquemment dans le droit civil et dans le droit canon, ainsi que dans les auteurs tant gentils que chrétiens.  C’est ce sens qui a plu à Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 13).  Mais, le sacrement n’est pas tant un serment par lequel l’homme s’attache à Dieu, mais par lequel Dieu s’attache à l’homme.  Voilà pourquoi Nicolas Selnecerus ( 2 par pédagogie, chapitre sur les sacrements), dit que mustèrion vient de muô, qui veut dire je ferme, parce que les sacrements font comme fermer les sceaux de Dieu, et lient les divines promesses.
La troisième signification. Le sacrement est un mystère.  Et il signifie, en conséquence, trois choses, que nous disons être signifiées par le mot mystère.  À  savoir, une chose sacrée, le signe d’une chose sacrée, et une chose qui consacre et initie.  Toutes ces acceptions conviennent à nos sacrements, mais surtout celle que nous avons nommée en dernier lieu.  Et pourtant, la première qui est celle de Varron et de Zwingli n’est pas étrangère à nos sacrements.   Car, par les sacrements nous nous attachons à Dieu, et nous faisons à Dieu le gage de notre être.   Mais ce sens du mot ne se trouve pas dans l’Écriture,  et n’est pas non plus suffisamment approprié pour ne convenir qu’à nos seuls sacrements.  Car, en dehors des sacrements, il y a beaucoup de choses par lesquelles nous nous lions à Dieu, comme les vœux, par exemple.
La seconde acception, qui est celle de Calvin, cadre aussi avec nos sacrements.  Car,  comme, dans les sacrements,  nous nous engageons à lui rendre un culte, il s’engage lui aussi à nous protéger.  Mais ce sens n’est pas dans l’Écriture, et n’est pas non plus le sens propre de nos sacrements, puisque, sans sacrements,  par une simple promesse, nous avons coutume de nous vouer à Dieu.  La troisième et la quatrième acception du terme.   On appelle sacrement toute chose sacrée, mystérieuse, ou le signe d’une chose sacrée ou secrète.  On trouve ces sens dans la sainte Écriture, comme nous l’avons montré plus haut, et ils conviennent parfaitement à nos sacrements. Car, tous nos sacrements sont des choses sacrées et divines. Ils  sont aussi des choses mystérieuses qui ne sont connues que des fidèles, qui ne doivent pas être facilement divulgués, comme l’enseigne Denys l’aréopagite (dans sa hiérarchie ecclésiastique, chapitre 1)  et saint Cyrille d’Alexandrie (livre 7 contre Julien).  Enfin, par le mot sacrement, certains pères signifient une chose sacrée et occulte, comme la grâce.  Mais ces acceptions ne sont pas propres à nos sacrements, car il y a plusieurs signes sacrés et mystérieux qui signifient des choses sacrées et mystérieuses, comme toutes les figures de l’ancien testament.
La cinquième acception du terme.  Le mot sacrement signifie une cérémonie d’initiation et de consécration d’un homme à Dieu, ou, ce qui est presque la même chose, le signe d’une chose sacrée.  Non de n’importe laquelle chose sacrée, mais d’une chose sacrée consacrant et initiant un homme.  Ce qui vaut seulement pour les premiers sacrements, comme nous le montrerons bientôt plus au long.  Cette acception répond parfaitement à l’étymologie   du mystère et du sacrement.   Car, le mystère nous le tirons de muéô, qui veut dire : j’initie; et on fait venir à juste titre le mot sacrement de ce qui doit être consacré.  C’est pourquoi saint Augustin  (livre 15, chapitre 26 de la cité de Dieu), écrit : « C’est de là qu’émanent les sacrements, par lesquels les fidèles sont initiés. »  Il dit là que les fidèles sont initiés par les sacrements de la nouvelle loi.  Et, dans l’épitre 23, il dit que les sacrements de la nouvelle loi consacrent les hommes à Dieu.
 Et Tertullien (dans le livre des prescriptions), voulant montrer comment le diable s’efforce d’imiter Dieu, dit : « Il asperge ses croyants et ses fidèles, et promet l’expiation de leurs délits par un lavement.  Et c’est ainsi aussi que Mithra initie. »  Il appelle, là, le sacrement du baptême une initiation.  Et, dans le livre qui traite des sacrements du baptême et de l’eucharistie, saint Ambroise parle « de ceux qui sont initiés par les mystères (ou aux mystères). »  De même, le maître des sentences (1V dist 1), et avec lui la plupart des docteurs,  enseigne que le mot sacrement vient de ce qui doit être consacré.  Saint Thomas (1.2. question C11, art 5), écrit : « On appelle sacrement au sens propre les choses qui sont employées par ceux qui rendent un culte à Dieu pour la consécration par laquelle elles sont affectées au culte de Dieu. »
Enfin, les sacrements de l’ancienne loi ne sont jamais, dans l’Écriture, appelés des choses secrètes, ou des signes d’une chose secrète (mots hébraïques), mais toujours des consécrations et des initiations (mot hébreu), ou des cérémonies (mot hébreu).
                              DEUXIÈME CONTROVERSE
                          LA DÉFINITION DU SACREMENT
                                        CHAPITRE 9
Qu’est-ce qui est requis pour constituer un sacrement de la nouvelle loi ?
Nous avons parlé du nom, nous allons maintenant parler de la chose elle-même.  Cette dispute sur la nature du sacrement comporte trois parties. Il faut d’abord exposer ce qui, du commun accord de tous les catholiques, est requis pour la constitution d’un sacrement de la nouvelle loi. Nous en viendrons ensuite à la définition formelle et scientifique du sacrement.  Il faudra examiner et réfuter différentes sentences des hérétiques, et les déformations de la nature et de la définition du sacrement.
Les docteurs catholiques ont quelque dissentiment sur des questions  théoriques de peu d’importance, comme « le sacrement est-il une seule chose par lui-même ? »  ou : « est-il un être de raison ».   Mais en ce qui a trait à la théologie proprement dite, ils sont tous d’accord, tandis que les hérétiques se disputent entre eux, comme nous le verrons bientôt.  Voici donc quelles sont les choses qui sont nécessairement requises pour constituer un sacrement de la nouvelle loi.
 Il faut d’abord qu’il soit un signe.  Car, c’est ainsi que le définit saint Augustin (livre 2, chapitre 1 de la doctrine du Christ) : « Une chose qui, en plus de ce qu’elle présente aux sens,  fait par elle-même venir à la connaissance d’autre chose. »  Voilà pourquoi le signe doit être une chose connaissable qui doit amener à la connaissance d’une autre chose.  Et parce que  la deuxième chose (amener à la connaissance d’une autre chose) est ce qu’il y a de plus important dans un signe, comme saint Augustin l’enseigne (livre 1, chapitre 1 de la doctrine du Christ), il faut que le signe, en tant qu’il est un signe, soit plus imparfait que la chose qu’il signifie, et qu’il représente plus cette chose que lui-même.  Voilà pourquoi on ne dit pas que l’home est le signe de son image, même si c’est par la connaissance de l’homme, qu’on connait souvent des images. On dit  plutôt que l’image est le signe de l’homme.
Que le sacrement soit un signe quelconque, nous le découvrons dans l’Écriture, à Genèse XV11, où la circoncision est appelée « un signe de l’alliance. »  Et, aux Romains V1, le baptême est présenté comme « un signe de la sépulture et de la résurrection. »  À Corinthiens X1, il est appelé un signe de la passion et de la mort du Christ.  Dans Éphèse V, le mariage est appelé « un signe de l’union du Christ et de l’église. »
Nous le découvrons ensuite dans les pères.   Car, Denys (dans le chapitre premier de la hiérarchie ecclésiastique), et d’autres pères grecs, appellent les sacrements des sumbola, (symboles), c’est-à-dire des signes.  Saint Augustin les appelle des petits signes.  Et dans son livre sur l’enseignement aux illettrés, chapitre 26,il appelle signes  des paroles visibles, comme dans le livre X1X, contre Faust, chapitre 16.
Il faut ensuite qu’il soit un signe sensible, car il y a aussi des signes invisibles comme le caractère imprimé dans les âmes.  Or, il est absolument certain que les sacrements doivent être des signes visibles ou  sensibles. Guillaume Okam (1V dist 1) est le seul à penser qu’il n’appartient pas à l’essence du sacrement d’être un signe visible et sensible, car Dieu pourrait instituer un sacrement sur une chose spirituelle, comme il pourrait le faire avec l’oraison mentale ou la méditation de la passion du Christ qui conférerait alors la grâce par l’opération opérée. Mais Okam se trompe, car cette oraison ou cette méditation aurait l’effet d’un sacrement sans en être un.  Car, le sacrement, intrinsèquement et essentiellement, est une cérémonie religieuse.  Or, la cérémonie est un acte externe.  Voilà pourquoi les saints pères enseignent souvent que les sacrements sont des vestiges qui nous conduisent comme par la main aux choses spirituelles et invisibles.  Comme il appert de saint Denys et de saint Augustin,  aux lieux cités, et de saint Jean Chrysostome (homélie 83 sur Matthieu).
La troisième.  Que ce signe soit volontaire ou donné, non naturel.  Car, il y a des signes naturels qui ne dépendent pas de notre institution, mais qui signifient par leur nature, comme la fumée qui est un signe d’incendie, et l’odeur le signe d’une chose odorante présente, et l’aurore qui est un  signe que le soleil est proche.  D’autres choses sont des signes par la décision de celui qui les a établis tels,  comme les noms, toutes les paroles, et tous les blasons.  Les sacrements sont des signes de ce dernier genre, comme l’enseigne saint Augustin (livre 2, chapitre 3 de la doctrine chrétienne, et livre 3, chapitre 9), et que personne n’a jamais contredit.  Car, la chose parle par elle-même.
La quatrième.  Que ce signe ait, avec la choses qu’il signifie, une certaine ressemblance ou similitude.  Trois, en effet, sont les genres de signe que l’on trouve.  Les uns ont une telle  ressemblance avec la chose signifiée, que, sans aucune institution, ils signifient naturellement, comme une image du Christ est le signe du Christ, et une trace imprimée dans la glaise, un signe du pied.  Certains autres signes n’ont aucune ressemblance avec la chose signifiée, et, dans leurs cas, tout dépend de l’institution, comme les mots sont les signes des choses.  D’autres, ont une valeur intermédiaire.  Car, elles ont, avec la chose qu’elles signifient, une certaine ressemblance, mais si indéterminée et si imprécise qu’elles sont plus aptes à signifier qu’à signifier en acte, à mois d’être déterminée par quelqu’un.  Comme l’image d’un homme qui n’a pas été faite pour reproduire tel homme en particulier, et qui peut signifier n’importe  qui  si on y appose un nom, ou un vêtement, ou quelque autre signe propre à représenter  un individu déterminé.
C’est de ce troisième genre que sont tous les sacrements. Car, à moins d’être déterminés, ils ne peuvent pas, par eux-mêmes, signifier en acte.  Cela apparaitra clairement quand on les verra tous, chacun en particulier.  En effet, une ablution externe ressemble à une ablution interne, et est donc très apte à la signifier, si on lui assigne ce rôle.  Il en est de même de l’onction, de l’aliment du corps du Seigneur, et des autres sacrements.  Il n’y a que le sacrement de pénitence qui consiste essentiellement dans les seules paroles, et qui ne semble pas avoir d’analogie avec une chose signifiée.  Mais il  en  a, toutefois.  Car les mots je t’absous  ne sont pas un sacrement dans ce qu’ils signifient par une institution humaine, c’est-à-dire en tant que mots, mais en tant qu’ils ont été institués par Dieu pour signifier et effectuer la justification des péchés. L’absolution extérieure qui est prononcée par la bouche, a une certaine analogie avec la justification interne, qui est effectuée par Dieu.  En conséquence, l’absolution signifiée par des mots est un sacrement, non en tant qu’elle est signifiés par des mots, mais en tant qu’elle signifie l’absolution interne.
Voilà pourquoi saint Augustin (dans son épitre 23 à Boniface) écrit : «  Si les sacrements n’avaient pas une certaine ressemblance aux choses dont ils sont les sacrements, ils ne seraient pas des sacrements. » Et les pères grecs appellent souvent les sacrements antitupa (antitypes).  Ce mot signifie une chose si semblable à une autre qu’elle semble militer avec elle au sujet de la forme.  C’est comme quand une image peinte exprime une chose  avec tant de vérité qu’elle ne semble pas être l’image mais la chose elle-même.  C’est dans ce sens que saint Grégoire de Naziance a employé ce mot dans son sermon 2 sur pâque.   La nuit pascale, qui était illuminée par une multitude de cierges ardents, il l’appelle un antitype du firmament céleste, où sont vues une infinité d’étoiles lumineuses.  Bien avant saint Grégoire, saint Pierre, dans sa première épitre, appelle le baptême notre antitype par rapport à l’arche de Noé, ce que notre traducteur a bien rendu en disant semblable par la forme.  Donc, puisque les pères appellent les sacrements antitupa (antitypes) de ces choses dont sont les sacrements, ils ne veulent  rien d’autre que les sacrements aient la plus grande ressemblance possible avec les choses dont ils sont les sacrements.
La cinquième.   Ce signe représente une chose sacrée, non profane.  Car, les sacrements sont des cérémonies de la religion.  Voilà, pourquoi, du consentement de tous, les violer est un sacrilège.  Et c’est ce qui découle du nom lui-même, car sacrement vient de chose sacrée.  C’est pourquoi saint Augustin (dans son épitre à Marcellin) dit qu’on nomme sacrements des signes, quand ils appartiennent aux choses divines.  De plus, cette chose sacrée,  que les sacrements de la nouvelle loi  signifient, est triple.  La grâce justifiante, qui est démontrée comme présente,    la passion du Christ, qui est la cause de la grâce, et qui est commémorée comme passée,   et la vie éternelle, qui est l’effet de la grâce, et qui est préfigurée comme future.
C’est ce qu’enseigne saint Thomas d’Aquin ( 3 par quest LX, art 3), et tous les autres docteurs.   Et au sujet du baptême et de l’eucharistie, la chose est très bien connue.  Car, que le baptême soit  un souvenir de la passion, Paul le montre aux Romains V1 : « Nous tous qui sommes baptisés dans le Christ, c’est dans sa mort que nous sommes baptisés. »  Et plus bas, au sujet de la grâce de la justification, il dit : « Celui qui est mort, est justifié du péché. » Et : « Car nous sommes ensevelis avec lui dans le baptême par la mort, pour que, comme le Christ est ressuscité des morts, nous marchions nous aussi dans la nouveauté de la vie. »  Il dit aussi de la vie éternelle au même endroit : « Si nous avons été plantés ensemble dans la similitude de sa mort, nous le serons aussi dans la similitude de sa résurrection. »
Pour une raison semblable au sujet de l’eucharistie (Luv XX11) : « Faites cela en commémoration de moi, c’est-à-dire, en mémoire de la passion. Car, comme l’expose saint Paul (dans 1 Corinthiens 11), « Toutes les fois que nous mangerons ce pain, nous annoncerons la mort du Seigneur. »  Saint Jean dit la même chose au sujet de la grâce : « Celui qui me mange vivra lui aussi pour moi. »  Et de la gloire : « Si quelqu’un mange de ce pain, il  vivra éternellement. »  Voilà pourquoi l’Église chante : « O banquet sacré dans lequel le Christ est pris en nourriture.  Or, on rappelle le souvenir de sa mort, où l’esprit est rempli de grâces, et nous est donné un gage de la future gloire. »
Pour les autres sacrements, la chose n’est pas aussi connue.  Il est pourtant certain que, implicitement au moins, qu’ils signifient tous cela, parce que, comme tous signifient la grâce, ils signifient aussi le principe et la fin de cette grâce. Or, il faut noter ici que ce qui est principalement et essentiellement signifié par le sacrement de la nouvelle loi, est la seule grâce justifiante.   Car, comme nous le dirons plus bas, les sacrements de la nouvelle loi effectuent ce qu’ils signifient.  Ils  n’effectuent pas la passion du Christ ou la vie bienheureuse, mais la seule justification.   Car la passion, ils la présupposent, et la vie bienheureuse ils la promettent.  C’est la justification qu’ils procurent directement.  De plus, comme nous le dirons bientôt, les sacrements ont été institués pour la sanctification.  Or, ce par quoi, proprement et formellement nous sommes sanctifiés, c’est la grâce.  La passion du Christ et la vie bienheureuse sont extrinsèques.
Enfin les sacrements effectuent proprement ce qui est exprimé par les mots.  Par les paroles des sacrements, seule la justification est exprimée la plupart du temps.  Car, c’est ce que signifie le je te lave, je te confirme, je t’absous etc.  Il importe peu que les paroles de l’eucharistie (cela est mon corps) ne semblent pas exprimer la sanctification, mais le corps lui-même du Seigneur, car elles le signifient ce corps en tant que nourriture des âmes, et réfection spirituelle de l’esprit, qui se fait par la grâce interne.  Et, pour ce motif, aucun signe sacré n’est exclu de la nature du sacrement, comme les choses créées qui sont des signes de la puissance et de la sagesse de Dieu, car « les cieux racontent la gloire de Dieu » (psaume XV111, 1).  De la même façon,  toutes les images sacrées du Christ et des saints, les saintes Écriture, le signe de croix, et les autres choses de ce genre qui sont des signes sacrés, et des signes des choses sacrées.  Mais, ils ne signifient pas, par eux-mêmes, la grâce de la sanctification de l’âme.
La sixième.   Ce signe ne doit pas signifier seulement la sanctification, mais il doit signifier ce qui se produit quand on emploie le sacrement.  Car tous les théologiens, d’un commun accord, conviennent que les sacrements de la nouvelle loi signifient la sanctification qui se produit alors; et que c’est ce que montrent les mots : je te lave, je t’absous; et que, pour cette raison, beaucoup de signes sacrés qui signifient la sanctification sont exclus de l’appartenance aux sacrements.  Par exemple.  La manne qui pleuvait sur les Israélites signifiait la réfection spirituelle et la douceur que procure l’eucharistie. Elle n’était donc pas un sacrement, mais la figure d’un sacrement, car cette réfection elle la signifiait en tant que future,  et non actuelle.  Ainsi en est-il de la colombe qui est apparue au-dessus du Christ lors de son baptême.  Elle était le signe de la sainteté et de l’innocence du Christ,  mais non d’une sainteté ou d’une innocence qui naitrait alors ou qui croitrait.  Car, il était plein de grâce depuis son incarnation.
La septième. Tous conviennent que les sacrements de la nouvelle loi ne font pas que signifier la sanctification qui se produit alors, mais celle qui se fait par la vertu elle-même du sacrement, qui tient lieu de cause instrumentale de la sanctification.  Ce qu’il nous faudra prouver plus loin à cause des hérétiques.  Pour cette raison sont exclus de la nature de sacrement les langues de feu qui apparurent sur les apôtres à la Pentecôte.  Car, la charité brûlante qui était alors infusée aux apôtres, avec la sagesse et une éloquence purement divines, elles les signifiaient sans être pour autant un sacrement, car ce n’était pas par la vertu de ces langues qu’était infusée la charité.
Il ne reste qu’une seule question.   Donner la grâce par la vertu des sacrements est-ce quelque chose qui est propre aux sacrements de la nouvelle loi, ou qui convient à tous les sacrements en général. Il suffit pour l’instant d’admettre que les sacrements de la nouvelle loi ont cette propriété.  Il est à noter que quand on dit qu’il est de la nature du sacrement de signifier la sanctification et de l’effectuer, on ne doit pas entendre cela de l’acte, mais d’une aptitude naturelle.  Car,  il peut arriver que, quand un enfant est baptisé, personne ne pense à ce que signifie le sacrement.  Il ne signifiera donc alors  rien en acte, mais il est et sera toujours apte à signifier.  Il peut arriver que l’effet du sacrement soit empêché.  Car, quand quelqu’un accède au baptême, ou à d’autres sacrements, avec la volonté de persévérer dans le péché, cette personne n’est certainement pas sanctifiée en acte.  Cependant, le sacrement signifie vraiment, et on peut même dire qu’il effectue la sanctification, parce que c’est cela que, par lui-même, il signifie et effectue.  C’est donc par accident, c’est-à-dire à cause de l’indisposition de celui qui le reçoit,  que l’effet ne s’ensuit pas.
La huitième et la dernière.   Appartient aussi à la nature du sacrement qu’il soit une cérémonie religieuse établie et solennelle, qui consacre l’homme à Dieu.  C’est ce qu’enseigne saint Thomas (1, 2, quest CH, art 5), et c’est ce qu’on peut facilement prouver.   Et saint Augustin  (au livre 19, chapitre 11 contre Faust, et au livre 4, chapitre 12 sur le baptême contre les donatistes). Il ne peut pas y avoir de religion sans sacrements;  et, en conséquence, les sacrements dureront aussi longtemps que durera la religion.  C’est pourquoi dans l’Exode X11 et ailleurs, on disait que les sacrements de ce temps devaient être conservés en un rite perpétuel, c’est-à-dire ne finir qu’à l’avènement du Christ, quand l’ancien testament aura pris fin.  Et c’est dans ce sens que parle saint Paul ( 1 Corinth 11) du sacrement de l’eucharistie : « À toutes les fois que vous mangerez de ce pain ou que vous boirez à ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. »  Les sacrements ne sont pas des signes montrés pendant un certain temps, mais des cérémonies durables, solennelles et stables.
Et c’est ce qui nous fait comprendre pourquoi n’était pas un sacrement la parole dite à la pécheresse (Luc V11) : « tes péchés te sont remis », et l’insufflation sur les apôtres (Jean XX).  Car, ces choses le Christ les a faites une seule fois, sans instituer de cérémonie à être continuellement renouvelée dans son église.  Et il est possible qu’il n’ait pas employé ces paroles et cette insufflation en tant qu’instrument de sanctification,  mais qu’il n’ait qu’exprimé par des signes nus ce qu’il  avait l’intention de faire. Il a pu aussi s’en servir comme instrument, s’il l’avait voulu ainsi, lui qui peut se servir de n’importe quoi pour faire n’importe quoi.  Mais, n’en ayant pas fait une cérémonie à perpétuer, il n’en a donc pas fait un sacrement.  Voilà donc les choses qui appartiennent à la nature du sacrement de la nouvelle loi.
                                     CHAPITRE 10
            Peut-on définir vraiment le sacrement ?

Passons maintenant à la définition formelle et technique du sacrement.  Il faut traiter brièvement de trois choses.    La première.  Le sacrement est-il définissable ?  La seconde.  Quelle est la véritable définition d’un sacrement ?  La troisième.  Cette définition convient-elle exclusivement à nos sacrements, ou au sacrement en général ?
La première question. Peut-on donner une véritable définition du sacrement, ou une définition boiteuse et vague.  La difficulté vient du fait que le sacrement est ou bien un agrégat accidentel, puisqu’il est formé de choses et de paroles, ou bien un être de raison si on le considère formellement comme un signe signifiant par convention.  On ne peut, en effet,  définir proprement que des êtres réels, et qui sont un par eux-mêmes. Il y a là-dessus trois sentences des docteurs.   Certains pensent qu’on ne peut pas définir formellement le sacrement pour les raisons qu’on vient de donner. Comme Okam, Major, Richard (1V, dist 1).   D’autres admettent que le sacrement est un être de raison, mais qu’il est un par lui-même; et qu’il peut donc être défini. Comme Scot (dist 1, quest 2,).  Car, même si, dans les sacrements, il y a beaucoup de choses qui signifient,  cependant, de toutes ces choses variées se dégage une signification unique, comme une maison est une seule figure, même si plusieurs choses concourent à son existence.  D’autres, enfin, soutiennent qu’on peut véritablement et formellement définir le sacrement, comme Martin Ledesmius (dans son traité des sacrements en général, question 1, article 2.
Pour dire brièvement ce que je pense, on peut considérer les sacrements de deux façons.  Une, sur le plan physique, et l’autre, sur le plan moral, comme on un homme est considéré autrement par un physicien et autrement par un politique.  Selon l’éclairage physique, qui n’est pas l’éclairage propre aux sacrements, il n’appartient pas beaucoup au théologien, et je trouve plus probable la première opinion. D’abord, parce qu’à la nature et à l’essence du sacrement n’appartient pas seulement la signification, mais aussi la chose sensible, qui est une substance quelconque, et qui, après l’ajout d’une signification, constitue un être par accident.  Car, si l’essence du sacrement consistait dans la seule signification,  la chose sensible ne serait rien d’autre que le sujet du sacrement.  Mais l’Église nous enseigne bien autre chose, quand, au concile de Florence, et dans les écrits de tous ses docteurs, elle affirme  que les sacrements consistent dans les choses et dans les paroles, les choses étant la matière, et les paroles la forme.  Car, comment n’appartiendraient pas à l’essence du sacrement les choses qu’on appelle et qui sont la matière et la forme de ce même sacrement ?
En deuxième lieu, le sacrement ne fait pas que signifier, mais il sanctifie aussi, comme, pour les sacrements de la nouvelle loi,  tous les catholiques l’enseignent. Or, signifier et sanctifier sont des choses qui relèvent de prédicaments différents, c’est-à-dire de la relation et de l’action.  Ils ne peuvent donc pas, par eux-mêmes, constituer une seule et même chose.  Ajoutons que ceux qui placent, dans les sacrements, une certaine qualité réelle et physique, sont forcés nécessairement de former un tout avec un être réel et un être de raison.  Car, comme la signification du sacrement dépend d’une institution arbitraire, elle ne peut pas ne pas être un être de raison.  Comment donc pourrait-il être  un par lui-même l’être dont l’essence appartient à une être réel et à un être de raison ?
Si nous considérons maintenant le sacrement sur le plan moral,  comme un théologien doit véritablement le considérer, il est un être réel, et un à sa façon;   et il peut donc, de cette façon, être défini. Comme les philosophes moraux  définissent un règne, une cité, une famille, dont ils démontrent les passions, bien qu’ils soient tous des êtres par agrégation, si on les considère sur le plan physique.  C’est de cette façon aussi que les théologiens définissent les mots église, concile, sacrement, et d’autres choses de ce genre, même si, en physique, on ne peut pas les définir.
Or, sur le plan moral, le sacrement est à ce point une seule et même chose qu’il est un moyen ou un instrument de la justification des hommes.  Car, bien que l’eau et les paroles, l’agir et le signifier sont, en soi, des choses différentes,  cependant, en tant qu’elles forment un seul instrument, elles sont une seule chose.  Et on peut dire que cet un est composé d’un genre et d’une différence, comme il l’est de matière et de forme, en raison de la similitude du composé métaphysique et physique qu’il a.  Car, comme dans un composé métaphysique, il y a deux prédicats, l’un plus universel et plus imparfait, et l’autre moins commun et plus parfait, de la même façon, le sacrement a deux prédicats, l’un plus commun et moins parfait,  qui est un signe.  Car, tous sacrement est un signe, mais tout signe n’est pas un sacrement.  L’autre est moins commun et plus parfait, sanctifiant instrumentalement, et par mode de cérémonie.  Car, c’est aux seuls sacrements qu’il convient.
 Le signe est donc comme un genre, et le sanctifiant,  comme la différence.  Pour une raison semblable, comme il y a deux parties dans le composé physique, dont aucune n’est prédiquée du tout, dont l’une est déterminée et l’autre déterminant,  on appelle l’une matière et l’autre forme.  C’est ainsi que, dans le sacrement,  les choses sont comme  la matière, et les paroles comme la forme.  Car, la chose elle-même, l’eau, par exemple, qui peut indifféremment signifier et même effectuer  plusieurs choses, est déterminée par les mots à signifier et produire telle chose.  Voilà pourquoi saint Augustin dit  (dans traité 80 sur saint Jean) : « Le mot accède à l’élément, et le sacrement est fait. »
Il ne convient pas de discuter avec trop d’anxiété pour savoir si l’essence du genre, les propriétés du genre, de la matière, de la forme conviennent aux parties du sacrement, car, comme nous l’avons dit, ce n’est pas en physicien mais en moraliste que nous considérons les sacrements.
                                         CHAPITRE 11
                  Quelle est la définition du sacrement ?
Voici quelle est la deuxième difficulté : par quelles paroles doit-on concevoir une définition du sacrement ?  Car, il y a, chez les théologiens, plusieurs définitions qu’il faut présenter et expliquer. L’une est : « le signe d’une chose sacrée », une autre, un peu plus explicite : «  la forme visible d’une grâce invisible. »  Ces définitions proviennent de saint Augustin (livre X, chapitre V dans la cité de Dieu). Voici ses propres mots : « le sacrement est le sacrifice visible d’un sacrifice invisible. »  C’est-à-dire qu’il est un signe sacré.  Et il y en a de semblables chez les auteurs catholiques : Hugues, (livre 1, par 9, chapitre 2), Bernard (dans son sermon sur la cène du Seigneur), saint Thomas ( 3 par quest 60, art 1 et 2), Thomas Waldensis (chapitre 20).
Mais, si on les accepte comme elles sonnent, ces définitions s’avèreront imparfaites.  Car, les signes des choses sacrées et de la grâce invisible sont plus nombreux que ne sont les sacrements.  Cependant, si on les accepte telles quelles, selon le sens et  l’intention de l’église et des docteurs, elles sont bonnes et légitimes.  C’est-à-dire, si, par signe, ils entendent un signe sensible, institué, pratique, portant la ressemblance de la chose signifiée, et si par chose sacrée ils entendent justifiante.  Et, comme le note correctement Hugues, le premier qui a dit que le sacrement est le signe d’une chose sacrée, ne semble pas tellement avoir voulu définir précisément la chose elle-même, qu’expliquer une interprétation du nom.  C’est pourquoi ils n’agissent pas comme ils le devraient ceux qui mettent trop d’acharnement à défendre cette définition.  Surtout parce que, au lieu cité, saint Augustin, pour pouvoir y inclure le sacrifice,  donne, du sacrement,  une définition amplement large.
La troisième définition est celle de Hugues de saint Victor, au lieu cité : « le sacrement est un élément matériel ou corporel, proposé sensiblement à l’extérieur, représentant par la similitude, et signifiant par l’institution, et contenant de  par la sanctification, une grâce invisible et spirituelle ». Il y a là deux choses à noter.   La première.  On ne doit pas prendre le mot élément au sens de « les quatre éléments du monde,  » mais de toute chose qu’une parole distingue des autres, selon saint Augustin : « Le mot accède à l’élément, et le sacrement devient ».   Hugo et d’autres appellent élément la matière des sacrements, parce que, dans le premier sacrement, le baptême, le vrai élément de l’eau est la matière; et que c’est de la matière du premier sacrement qu’on a voulu nommer les matières des autres sacrements.  Ou aussi, parce que, étant un corps imparfait,  le mot élément signifie facilement  matière;  et parce que, par sa nature, il est destiné à un composé mixte.  Voilà pourquoi Aristote a appelé la matière première un élément.
En second lieu, il faut noter que quand Hugues a dit que, de par la sanctification, le sacrement  a le pouvoir de conférer la grâce, il n’entend pas, par sanctification, ce qu’entend toujours Kemnitius (p. 94), une certaine bénédiction, ou une consécration précédente, comme la chose qui est bénite par l’eau (car, sans cette bénédiction d’eau, le sacrement est conféré quand même), mais la parole de Dieu qui est comme la forme qui parfait le sacrement.  En conclusion,  cette définition, même si elle pouvait être composée de moins de mots,  comprend intégralement toute la nature du sacrement.
La quatrième définition est celle du maître des sentences, (livre 4, dist 1,) : « Le sacrement est la forme visible d’une grâce invisible, portant l’image de cette grâce, et existant comme cause. »  En ce qui a trait au sens, cette définition ne diffère en rien de la précédente.  Car, la seule chose qui laisse à désirer dans cette définition c’est une explication du signe :  est-il naturel, ou a-t-il été institué ?  C’est ce qu’il faut aller chercher dans les deux derniers mots : existant comme cause.   Car, aucun signe sensible ne peut être cause de la grâce,  ni la signifier infailliblement, si ce n’est par l’institution de Dieu, comme la chose est bien connue.
La cinquième définition est celle du catéchisme de Trente : « Le sacrement est une chose sujette des sens,  qui, par l’institution divine, a le pouvoir de signifier et d’effectuer la sainteté et la justice. »  Cette définition est d’autant plus belle qu’elle est plus brève, mais elle comprend, pourtant, tous les huit chapitres qui se rapportent à la nature du sacrement, comme nous l’avons dit.  D’abord, que le sacrement est un signe, on le voit par le mot « signifier ».  Qu’il soit un signe sensible, on le voit par « sujette des sens ».  Qu’il soit un signe volontaire, on le voit « par l’institution divine ».  Qu’il soit le signe d’une chose sacrée, on le voit par les mots « sainteté et justice ».  Que cette sainteté soit faite par la vertu du sacrement,  on le voit par les mots «  a le pouvoir ». Qu’il soit une cérémonie solennelle, on le voit par « chose sensible instituée pour sanctifier ».  Qu’il ait une ressemblance à la chose signifiée, la définition ne le dit pas expressément, mais on peut le déduire du mot « signifier », et «  par l’institution divine. »  Car, le Dieu qui dispose tout suavement n’aurait jamais institué une chose qui devait en signifier une autre,  si, au point de départ,  elle n’avait pas de ressemblance avec elle.
On trouve une autre définition chez Gratien. (1 quest 1 canon multi saecularium) : « Le sacrement est ce par quoi, sous le couvert de choses visibles, la vertu divine opère le salut dans le secret. »  Cette définition est attribuée par Gratien à saint Grégoire;  à saint Augustin par saint Thomas (4 dist 1, question 1).  Mais elle n’est ni de l’un ni de l’autre, mais d’Isidore de Séville.  On la trouve, en effet, telle quelle dans  le livre 6, chapitre 18 des étymologies. Peut-être l’a-t-il pris chez saint Grégoire ou saint Augustin.  Mais, quel qu’en soit l’auteur, il n’y a pas de raison de nous y attarder, car il est évident pour tous qu’elle a été donnée pour expliquer la signification du nom, et non pour donner une définition précise de la chose.
                                   CHAPITRE 12
 La définition du sacrement convient-elle à la fois aux sacrements de l’ancienne loi et de la loi nouvelle ?
 Suivent une troisième et une dernière question.  Ces définitions conviennent-elles au sacrement en général, ou seulement aux sacrements de la nouvelle loi ?  Il y a, à ce sujet, deux sentences des théologiens.  La première est celle du maître des sentences (livre 4, dist 1), de saint Albert, de saint Thomas, de saint Bonaventure, et de ceux qui enseignent qu’aucune définition ne convient à la fois aux sacrements de la loi ancienne et à ceux de la loi nouvelle; mais que toutes ces définitions conviennent parfaitement et exclusivement aux sacrements de la loi nouvelle; et qu’elles ne conviennent à ceux de la loi ancienne qu’imparfaitement et analogiquement.
  Le fondement de cette sentence est suivant.  Les auteurs cités estiment qu’il appartient en propre au sacrement, même en général, non seulement de signifier la sanctification mais de l’effectuer.  Ils estiment aussi que les sacrements de l’ancienne loi n’effectuaient pas une vraie sanctification, mais seulement une sanctification légale qui est une figure de la vraie sanctification, que seuls les sacrements de la loi nouvelle effectuent.  Ils tirent de cela deux conclusions.  Le mot sacrement est dit analogiquement des sacrements de l’ancienne et de la nouvelle loi, tout comme la sanctification, pour la signification et la production de laquelle ils ont été institués, est dite analogiquement de la vraie sanctification de l’âme et de la sanctification typique et légale.
 L’autre sentence est de saint Thomas (111 par quest 60, art 1 et 2, qui a changé d’opinion assez clairement), de Dominique a Soto, et de Martin Ledesmius (dist 1, quest 1, art 1 et 2).  Ils disent que la définition « signe d’une chose sacrée » convient autant aux sacrements de l’ancienne loi qu’à ceux de la nouvelle; qu’elle est donc une définition du sacrement en général.  Voici sur quoi ils se basent.   Ils estiment qu’à la notion de sacrement en général, il n’est pas requis que le sacrement soit la cause d’une justification, mais seulement qu’il la signifie.  Ils ajoutent, en conséquence, que les sacrements de l’ancienne loi ont été de vrais signes de la vraie signification, parce qu’ils signifiaient la grâce justifiante qui devait nous être donnée par le Christ.  Et ils concluent correctement de cela que les sacrements de la loi ancienne  conviennent univoquement aux nôtres par le genre, même s’ils sont différents par l’espèce, parce que les nôtres effectuent une sanctification que les leurs n’effectuaient pas.  L’une et l’autre sentence plait en partie, et déplait en partie. Je formule donc les propositions suivantes.
 La première proposition. À la notion de sacrement en général, il ne suffit pas que le sacrement signifie, mais il est requis qu’il effectue la sainteté ou la sanctification.  Bien plus, il est plus propre au sacrement de sanctifier que de signifier.  On le prouve en remarquant que, dans l’ancien testament, on dit rarement que les sacrements signifient, mais on dit très fréquemment qu’ils consacrent, qu’ils sanctifient, qu’ils initient (Exode XXV111, et Lévitique V111).  Dans le nouveau testament aussi, on dit du baptême qu’il régénère (Tite 111).  Et il est certain que régénérer c’est faire plus que signifier.
On le prouve aussi par l’étymologie. Tous les noms semblables au sacrement signifient une action, non un signe. Comme on le voit pas le mot vêtements, chaussures, entraves, ornements, firmaments, fondements, et les autres mots de ce genre.  Et le sacrement tire son origine de sacrer non de signifier.  Troisièmement. La seule raison pour laquelle la dernière définition prétend que le sacrement en général ne soit rien d’autre qu’un signe, est la définition selon laquelle le sacrement est « le signe d’une chose sacrée ».  Cette définition n’indique pas que le sacrement effectue la sanctification qu’il signifie.  Nous avons déjà démontré que cette définition-la n’était pas parfaite, d’autant plus que saint Augustin, qui en est l’auteur, la condamne quand il veut l’appliquer au saint sacrifice de l’autel.
La seconde proposition. Les sacrements de l’ancienne loi n’étaient pas des sacrements parce qu’ils signifiaient la grâce justifiante, mais parce qu’ils signifiaient et effectuaient une sainteté légale.  Cette proposition est pour la première sentence, et contre la seconde.  On le prouve d’abord par la précédente conclusion.  Si, au sacrement en général, est plus requise la sanctification que la signification, si les sacrements de l’ancienne loi étaient des sacrements, ils ne pouvaient pas seulement signifier, mais ils devaient aussi effectuer.  Ensuite, parce que signifier une grâce qui devra être donnée par d’autres, n’appartient pas au sacrement en tant qu’il est un sacrement, mais en tant qu’il est une figure et un type de la chose future.  Car, le sacrement, en tant que sacrement, indique une direction vers celui qui est initié par le sacrement, non vers les autres.  Comme l’enseigne correctement saint Thomas (1, 2, quest Cl art 4, et question C11, art 5).
On le confirme ainsi.  Signifier une grâce qui doit être donnée par d’autres, n’était pas seulement  propre aux anciens sacrements, mais convenait aussi aux sacrifices et aux autres observances des Hébreux, comme saint Augustin le démontre (livre 19, chapitre 8,9, 10, et 11 contre Faust).  Non pas seulement eux mais le serpent d’airain signifiait, lui aussi, la guérison des péchés que le Christ allait apporter, (Jean 111); la manne,  la douceur de l’eucharistie, et le passage de la mer rouge le salut par le baptême (1 Cor 10).  Et pourtant, ni le serpent, ni la manne, ni l’arche n’étaient des sacrements de l’ancien testament.
La troisième proposition.  Le sacrement est un genre qui s’applique univoquement aux sacrements de la loi ancienne et aux sacrements de la loi nouvelle.  Les sacrements anciens étaient donc simplement et absolument des sacrements.  Cette proposition est pour la seconde opinion, et contre la première.  Le sacrement en général ne requiert rien d’autres que d’être une cérémonie signifiant et effectuant une consécration ou une sanctification. Il ne requiert pas que cette sanctification  s’opère par une grâce qui purifie l’âme des péchés, car cette sanctification spéciale constitue l’espèce d’un sacrement, non absolument le genre lui-même.  Or, les sacrements de l’ancienne loi signifiaient et effectuaient vraiment une certaine consécration. Car, par la circoncision, les Juifs étaient initiés et consacrés à Dieu pour être son peuple particulier.  Par l’onction sacerdotale, les fils d’Aaron étaient consacrés à Dieu,  pour qu’ils exercent le sacerdoce.  Et, on peut dire la même chose de leurs autres sacrements.  Voir à ce sujet saint Thomas (1, 2, quest C11, art 5 ). Ils étaient donc, au sens propre, de vrais sacrements.
Deuxièmement. Il n’y a aucune religion sans sacrements, comme saint Augustin l’enseigne (livre 19, chapitre 11, contre Faust). Or, dans l’ancien testament, il y avait une vraie église, une vraie religion, de vrais sacrifices, pourquoi pas de vrais sacrements ?  Il importe peu que toutes choses arrivent aux Juifs en figure, (1 Cor X), et que, par conséquent, leurs sacrifices, leurs sacrements, tous leurs rites aient été des types de notre sacrifice, de nos sacrements et de nos rites.   On semblerait devoir conclure qu’ils n’ont été des sacrifices et des sacrements que par analogie avec les nôtres.  Cela importe peu, dis-je.   Les sacrements judaïques étaient, il est vrai, des figures de nos sacrements, mais non seulement des figures. Ils étaient des choses qui existaient par elles-mêmes.
En effet, la circoncision n’était pas seulement la figure du baptême, mais elle était, par elle-même, une cérémonie instituée pour initier les hommes de cette époque, et les intégrer au peuple de Dieu.  Voilà pourquoi, même si la circoncision était imparfaite comparée au baptême, elle était quand même, proprement et absolument, un sacrement.  Exemple. Même si le bœuf est plus imparfait que l’homme, il est, cependant, proprement et absolument, un animal. De la même façon,  l’ordination d’Aaron n’était pas seulement une figure de notre ordination, mais elle était, par elle-même, une cérémonie qui consacrait  des hommes pour offrir le sacrifice.  Et ces sacrifices, ils n’étaient pas seulement des figures de notre sacrifice, mais ils étaient, par eux-mêmes, des sacrifices institués pour rendre un culte à Dieu, en tant que principe et fin de toutes choses.  Enfin, le peuple juif lui-même était une figure du peuple chrétien (1 Cor X), et cependant, qui peut doute qu’il était, par lui-même,  un vrai peuple ?
On ne doit donc pas comparer les choses juives aves les nôtres comme on comparerait une image peinte avec un homme vivant, là où l’image n’est rien d’autre que la chose d’un autre. Mais comme des petits enfants à des hommes murs, comme l’a fait saint Paul (Galates 1V).   Car, le fils est l’image du père, mais, il est cependant par lui-même, un homme.  Et si on compare les activités et les jeux des enfants  avec les occupations et les travaux des adultes, les activités des enfants sont, en quelque sorte, des images des activités des adultes, mais elles ont pourtant l’intérêt et le charme et l’utilité qui conviennent à cet âge.
La quatrième proposition.  Cette définition (le signe d’une chose sacrée) convient univoquement à tous les sacrements, autant aux sacrements de l’ancienne loi qu’à ceux de la nouvelle.  Cette proposition est pour  la seconde opinion, et contre la première.  Il est à noter qu’on peut expliquer cette définition de trois façons.  La première.  En entendant par signe, un signe pratique; par chose sacrée, la grâce sanctifiante.   Et de cette façon, la définition ne convient proprement qu’aux sacrements de la loi nouvelle, et aux anciens, seulement analogiquement ou sous un aspect particulier.  Parce qu’ils étaient des signes pratiques d’une pureté légale, qui n’est pas la grâce sanctifiante, mais seulement le type, comme on dit de l’image d’un homme qu’elle est un homme. Mais cette explication n’est pas selon la pensée de saint Augustin, comme nous l’avons dit plus haut.
On peut aussi donner l’explication suivante. Par signe, on entend un signe pratique, par chose sacrée, une consécration en général,  sans devoir descendre à une justification interne ou légale.  Et, de cette façon, la définition convient univoquement à tous les sacrements.  Mais cette explication n’est pas, non plus,  selon la pensée de saint Augustin, car, il ne parle pas, lui, d’un signe pratique, comme saint Thomas le fait remarquer.
On peut aussi donner cette autre explication.  Nous entendons par signe un signe nu, par chose sacrée, la grâce justifiante, et, de cette façon, la définition convient à tous les sacrements.  Et c’est ce que nous disons en conclusion à la suite de saint Thomas.  Du reste, cette définition, comme nous l’avons déjà dit, n’est point parfaite, même si, au témoignage de saint Augustin, au lieu cité, elle convient aussi au saint sacrifice.
Enfin, les autres définitions, celles de Hugues, de Pierre Lombard, du catéchisme romain ne conviennent qu’aux sacrements de la nouvelle loi.  On peut facilement les accommoder au sacrement en général, si, au lieu de la grâce invisible, ou de la justice, on met consécration.  De cette façon, le sacrement est une chose sujette aux sens qui, de par l’institution de Dieu, a le pouvoir de signifier et d’effectuer une consécration.
                                     CHAPITRE 13
               On réfute les arguments de Kemnitius
Avec tout ce qu’on vient de dire il est facile de répondre aux calomnies de Kemnitius. Dans la deuxième partie de son examen du concile de Trente, au chapitre du nombre des sacrements, il réprouve toutes les définitions que nous venons d’apporter, à l’exception de celle du catéchisme de Trente, dont il ne fait aucune mention. Il ajoute, en plus, deux définitions qu’il réprouve aussi, une de Scot et une d’Okam.
La première définition qu’il répudie est celle d’Isidore (page 38) : « Comment, selon cette définition,  le mariage sera-t-il un sacrement ? »  Je réponds que cette définition convient parfaitement au mariage.  Car, « sous le couvert de choses visibles », c’est-à-dire de l’union des époux, est signifiée la grâce invisible par laquelle Dieu s’unit avec l’âme, et la justifie, ou infuse sa justice, ou augmente l’infusion.  Ce qui ne répugne pas aux paroles de l’apôtre quand il dit que le mariage est le signe de l’union du Christ avec l’église.  En effet, le même sacrement peut être le signe de plusieurs choses.
La deuxième définition qu’il réprouve est celle de Hugues de saint Victor. Il prétend qu’on ne peut pas correctement appeler sacrement un élément corporel, puisque, selon les catholiques, le sacrement de l’eucharistie n’est pas une substance, mais seulement les accidents du pain et du vin. Réponse.  La substance du pain et du vin n’est pas, elle non plus, un élément proprement dit, c’est-à-dire un corps simple, mais un corps mixte.  Mais, comme nous l’avons montré plus haut, Hugues appelle élément une chose sensible quelconque, qui est employés pour parfaire le sacrement.
La troisième définition qu’il réprouve est celle du maître des sentences, qu’il ne cite pas correctement : le sacrement est une forme visible.   Car, dans le mariage, les catholiques  veulent que la matière soit les mots qui expriment le consentement mutuel des époux.  Or, les paroles ne sont pas visibles, et ne peuvent pas être appelées un élément selon Hugues, et si on distingue un élément de la parole selon cette phrase de saint Augustin : « La parole accède à l’élément, et le sacrement devient. »  Réponse. Ils ne manquent pas ceux qui veulent que la matière du sacrement de mariage soit les paroles contractantes, et la forme, les paroles.   C’est ainsi qu’ils assignent une matière visible qui peut être appelée élément.  Voir Pierre Paludan (4 dist 1, quest 4).
Mais même s’il n’y avait que des paroles dans le sacrement de mariage, Kemnitius n’y gagnerait rien.  Car, on peut dire que des paroles sont des éléments, en tant qu’elles ont un lieu matériel.   Quand nous traitons des sacrements, nous parlons d’un élément qui est de soi indéterminé, et qui est déterminé par certains mots, comme par une forme. Nous n’affirmons pas moins que les mots puissent être dits visibles, quand le visible est transféré à toutes les choses sensibles, et quand, par l’habitude de voir, le sens de la vue est transféré à tous les sens.  Comme l’enseigne saint Augustin (livre 10, chapitre 35), nous avons raison de dire : vois comment il éclaire, comment il huile, comment il savoure, comme c’est dur, comme cela sonne bien !  . Nous ne disons cependant pas le contraire : Écoute comme il luit, goûte comment il resplendit, sent comme  il sonne bien, touche comme il brille !
Il  réprouve, en quatrième lieu, deux définitions qui ne sont pas tout à fait justes. Le sacrement est un signe de la grâce invisible, si, par grâce, on entend la grâce qui fait un reconnaissant. Car, même si Richard  se demande si dans le mariage, dans l’ordre et dans les autres sacrements  une grâce de ce genre est donnée, « les autres, dit-il, reconnaissent qu’elle ne peut pas exister. »  Ce qui est un mensonge impudent, comme nous l’avons dit plus haut, au chapitre 2.  La cinquième définition qu’il attaque est celle de Scot et d’Okam.  Mais sans raison, car elle n’a rien de défectueux. Et elle ne diffère que par les mots de l’opinion commune, non par la sentence.
 Sixièmement, il s’en prend à toutes les définitions ensemble. « Si, dit-il, un sacrement est un signe signifiant efficacement un effet gratuit de Dieu, comment ne seraient pas des sacrements la bénédiction des moines, l’eau bénite, la rose bénite, l’agnus Dei, la bénédiction des herbes, des cloches, des images, l’onction royale, la consécration d’un temple, d’un cimetière ou d’un autel.  Ces choses se font par des consécrations précises, et on s’imagine qu’elles ont des effets spirituels. »  Mais, on répond facilement à cela de deux façons.  La première.  La bénédiction des moines et de toutes les autres choses énumérées ne procure pas la grâce sanctifiante, mais d’autres effets, comme l’effacement des péchés véniels, et la protection contre les démons.  Ces effets, c’est surtout l’eau bénite qui les possède.  La deuxième.    Parce que ces effets, ces choses ne les ont pas infailliblement, car le pouvoir qu’elles possèdent ne leur vient pas de l’institution divine, mais des prières de l’Église.
                                         CHAPITRE 14
                     On réfute la définition des luthériens
Venons-en donc à l’exposition et à la réfutation des définitions des adversaires.  Elles sont tout à fait discordantes. Peut-on avoir un signe plus manifeste qu’ils se sont éloignés de la vérité, qui est une ?  On ne peut nier que Kemnitius qui s’efforce de dissimuler et de concilier les discordes des siens, énumère (dans la deuxième partie de son examen, page 96), en plus de la sienne, cinq sentences diverses des luthériens : six donc en tout.
La première sentence est celle de Luther (livre de la captivité de Babylone, chapitre ultime, où il dit) : « Le sacrement, au sens propre, est une promesse annexée à un signe externe. »   Elle est reçue par les luthériens qui l’expliquent un peu plus.  Car, ainsi le définit l’apologie de la confession d’Augusta, article 13 : « Le sacrement est un rite qui a un mandat de Dieu, et auquel est ajoutée une promesse de grâce. »  Pierre martyr a des choses semblables, mais calvinistes ailleurs (chapitre 4 aux Romains, et chapitres 10 et 11 aux Corinthiens).  Mais Martin Kemnitius s’efforce d’expliquer avec une grande précision toutes les choses qui se rapportent à la nature du sacrement.  Et parce que tant  dans son apologie  que dans les lieux,  Philippe annonce d’avance qu’il va donner une interprétation du nom, et varie souvent les mots de sa définition, il sera plus utile de présenter et de réfuter ce qui, selon Kemnitius, est requis à la nature du sacrement.
Il veut d’abord qu’il soit un élément ou un signe externe, matériel, corporel et visible, qui est traité par un certain rite externe. Il requiert ensuite, que ce signe ait un mandat exprimé, ou une institution divine.  Ii veut ensuite que ce mandat soit dans le nouveau testament.  Ce qu’enseigne aussi Philippe (dans les lieux, au chapitre des sacrements) : « Le sacrement est une cérémonie instituée dans l’évangile. »  Quatrièmement, il requiert que le sacrement ne soit pas une cérémonie temporaire, mais dure  jusqu’à la consommation du monde.  Cinquièmement, il dit qu’il requiert une promesse de grâce, par l’effet ou le fruit du sacrement.  Sixièmement, il dit que cette promesse doit être annexée à un signe, et comme revêtu par un signe, de par une ordination divine.  Septièmement, il ajoute que cette promesse ne doit pas porter sur n’importe lequel don de Dieu mais sur la réconciliation du pécheur et la rémission des péchés.  Sur cette dernière partie insistent fortement Luther, dans sa captivité de Babylone, et Philippe dans les lieux (chapitre sur le nom des sacrements).  Huitièmement, il requiert que la promesse, qui  autrement serait générale, soit appliquée par le sacrement, et contresignée en particulier par chacun de ceux qui se servent des sacrements avec foi.
Ce point particulier est expliqué plus clairement par Luther et Philippe, ainsi que par Kemnitius, en bas du chapitre sur l’efficacité du sacrement.  Car, ils veulent que les sacrements soient des témoignages infaillibles de la grâce de Dieu, institués dans le but de raviver et de nourrir la foi, de la façon qu’ont les miracles d’agir.  Voilà pourquoi Philippe (dans les lieux, en l’an 22), compare les sacrements aux miracles avec lesquels Dieu confirmait autrefois la foi.  Et, dans l’article 13 de son apologie, il dit que le sacrement est un témoignage infaillible, comme si Dieu, par un nouveau miracle, promettait qu’il veut le reconnaitre.
Et Luther, dans son livre contre Cochlaeus dit : « Pierre veut, par le baptême, ou par un signe externe, provoquer et exercer la foi qui sauve. »  Et (dans son livre sur la captivité de Babylone, chapitre du baptême), il compare le sacrement avec la toison de Gédéon, avec l’arc-en-ciel que Noé reçut comme un signe, et avec le signe qu’Isaïe (Isaïe V11)  offrit au roi Achaz.   Et aussi dans la confession d’Augusta (article 13) : « Les sacrements sont institués pour être des signes, et des témoignages de la volonté de Dieu envers nous, pour raviver et confirmer la foi chez ceux qui s’en servent. »
Et Kemnitius (au lieu cité, page 102), dit que la parole et le sacrement montrent où la foi doit demander et trouver le Christ médiateur. Et aux pages 101 et 105, il dit que les sacrements sont « des sceaux de la promesse. »  Voilà quelle est leur sentence.  Kemnitius a excogité cette définition pour montrer que seuls le baptême et l’eucharistie sont des sacrements proprement dits.  Mais il n’a pas obtenu le but recherché.  Car, nous pouvons facilement démontrer que cette définition est mauvaise, et qu’elle ne convient même pas à ces deux sacrements.
La première chose qu’il requiert est un élément visible et sensible, comme le disent les catholiques. Et alors, l’absolution sacerdotale sera, elle aussi, un sacrement proprement dit.  Car, l’absolution est une chose sensible, puisqu’elle est perçue par les oreilles;  ou elle reçoit un élément visible, palpable, pour la chose qui est perçue par le sens de la vue ou du toucher.  Et, sans aucun témoignage de l’Écriture,  il s’imagine alors une définition.  Car l’Écriture ne dit à nulle part qu’un sacrement n’est rien d’autre qu’une chose visible et palpable.  Et pour prouver son point, il ne donne pour preuve qu’une seule chose :  le baptême et l’eucharistie, qui sont de vrais sacrements, sont des signes visibles et tangibles.
Cette argumentation-là ou bien elle suppose acquis ce que l’on doit prouver, que le baptême et l’eucharistie sont les seuls vrais sacrements, ou bien, si elle ne le suppose pas, elle ne prouve rien.  Du fait  qu’on dit que les hommes et les oiseaux sont des bipèdes, on ne peut pas en conclure que tout animal est un bipède. De la même façon, du fait qu’on dit que le baptême et l’eucharistie sont des signes sensibles, visibles et tangibles, il ne s’ensuit pas que tous les sacrements doivent être des signes visibles et tangibles.  On ne doit pas, non plus, exclure le sens de l’ouïe, puisque les choses qui sont perçues par ce sens sont parmi les signes les plus excellents, comme saint Augustin l’enseigne (livre 2, chapitre 3 de la doctrine du Christ.)
La deuxième chose qu’il requiert est le mandat exprimé ou l’institution divine. Ou il demande que ce mandat soit exprimé dans le texte de l’Écriture divine, ou il se contente qu’il soit évident que le mandat ait été donné, même s’il n’est pas exprimé explicitement dans l’Écriture.  Si cette deuxième supposition suffit, nous l’admettrons nous aussi, et alors nous prouverons qu’il y a sept sacrements.  Car, même s’il n’est écrit nulle part que Dieu ait commandé et institué le sacrement de confirmation, nous lisons quand même dans les Actes (V111)  que, par l’imposition des mains des apôtres, l’Esprit-Saint a été donné aux baptisés, et cela, d’une façon ordinaire. Nous en concluons donc qu’il a été institué par Dieu.  Car, aucun pouvoir créé ne peut faire en sorte que, par l’imposition des mains, l’Esprit Saint soit donné aux hommes.  Nous pouvons prouver la même chose au sujet des autres sacrements, avec l’aide surtout de la tradition antique et de l’autorité de l’Église.
Si Kemnitius (comme ses mots le laissent entendre) veut requérir un mandat explicite formulé dans les saintes lettres, fausse sera son exigence. Car que le mandat ait été écrit ou qu’il ne l’ait pas été, cela est arrivé par accident, non par un commandement, ou par une institution divine.   Car, autrement, avant que n’aient été écrits les évangiles,  les sacrements de baptême et d’eucharistie qu’ont donnés Jésus et les apôtres n’auraient pas été de vrais sacrements.  Car, il est certain qu’aucun évangile n’avait été écrit quand Jésus baptisait, (Jean 111) et quand il donna l’eucharistie à ses apôtres (Math XXV1), ni non plus quand saint Pierre ordonna de baptiser 3 mille hommes (Actes 11).  Et c’est à cette époque qu’on commença à fréquenter le sacrement d’eucharistie, comme l’indique saint Luc au même endroit.
La troisième chose qu’il requiert est absolument vraie, à savoir  que cette institution soit dans le nouveau testament.  Mais elle détruit la sentence des adversaires.   Car, d’un commun accord, contre le sens commun de l’Église catholique, ils enseignent que le baptême de Jean avait la même force et la même efficacité que celui du Christ, et que, en conséquence, le Christ n’a pas tant institué le sacrement de baptême qu’approuvé celui de Jean.  C’est ce que Calvin enseigne (livre 4, chapitre 14, verset 7), Kemnitius (part 2 de l’examen, chapitre du baptême de Jean), Philippe (dans les lieux, chapitre du baptême des apôtres et de Jean. »  Or, si les choses sont vraiment ainsi, il est certain que le sacrement du baptême n’a pas été institué dans le nouveau testament, car l’auteur et le roi du nouveau testament est le Christ, comme le dit l’apôtre aux Hébreux (1X), et c’est pour cela qu’il est appelé par Isaïe X1 : « père du siècle futur. »  Si le baptême que nous utilisons a commencé avec Jean le baptiste, qui est venu avant Jésus, qui est son précurseur et son messager, il s’ensuit que ce sacrement n’a pas été institué dans le nouveau testament, mais dans l’ancien.
Sa quatrième exigence.   Le sacrement doit être une cérémonie perpétuelle, qui doit donc durer autant que durera la religion.  Elle ne me déplait pas, car nous aussi, nous enseignons cela.  Kemnitius devra, cependant, trouver quoi répondre à Luther (qui, dans la captivité de Babylone, chapitre sur le baptême) énumère parmi les sacrements la rosée tombée sur la toison de Gédéon, et l’ombre qui recule sur le cadran  solaire d’Achaz.
 La cinquième chose requise est la promesse de la grâce.   On peut entendre cette phrase de deux façons.   Une première manière au sujet de la promesse de la grâce : qu’elle soit l’effet du sacrement, de sorte que soient la même chose la promesse de la grâce dans les sacrements, et l’institution du sacrement, en tant que signe efficace ou instrument de la justification.  L’autre manière de concevoir la promesse de la grâce : la promesse d’une grâce précédente qui, dans le sacrement, est contresignée, comme avec un sceau.  Car, comme c’est une chose de promettre qu’un sceau sera efficace pour imprimer, que c’est autre chose de promettre cents écus d’or, et de contresigner un testament avec  un sceau, de la même façon c’est une chose différente de promettre une grâce par des paroles, et de confirmer ensuite la promesse par un signe externe, et une autre chose de promettre que le sacrement sera un instrument efficace pour justifier.
Or, Kemnitius confond ces deux choses.   Car, dans cette cinquième condition, il requiert la promesse comme fruit d’une grâce, ou du sacrement, où il semble parler de la promesse de l’efficacité du sacrement.  Cependant, plus bas, là où il dit avec les autres luthériens que le sacrement est le sceau de la promesse, il parle d’une promesse précédente, dont parlent, sans aucun doute, tous les luthériens. La  promesse de l’efficacité du sacrement se trouve dans la parole de Dieu, selon les catholiques, et cela vaut pour tous les sacrements, mais non selon les adversaires.  Car, les catholiques comptent pour parole de Dieu la tradition; les adversaires qui ne reçoivent que les Écritures, ne montreront pas facilement la promesse au sujet de la grâce et le fruit des sacrements dans tous les sacrements.  Exemple.  L’eucharistie, qui est même pour nos adversaires, un sacrement proprement dit.  On a de ce sacrement de grandes et insignes promesses.   Jean V1 : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
 Mais, les adversaires n’admettent pas que, dans ce chapitre, il s’agisse de l’eucharistie.  Car, voici ce que dit Luther (dans la captivité de Babylone, chapitre sur l’eucharistie) : « En premier lieu, le chapitre 6 de saint Jean doit être mis de côté, parce qu’il ne parle pas de ce sacrement, même pas par une syllabe ».  C’est ce qu’enseignent Calvin et les autres hérétiques dans leurs commentaires respectifs de ce passage.  Or, après avoir mis de côté ce chapitre, ils ne trouveront plus de promesse.  Car, dans Matth (XXV1, Marc ((X1V) on ne trouve pas d’institution du sacrement. Et, en Luc X11 où on la trouve, il n’y a aucune promesse.  Nous n’avons que ces mots : « cela est mos corps qui est livré pour vous. »  Et « ceci est mon sang qui est répandu pour vous et pour plusieurs en rémission des péchés. »
 La promesse de la livraison du corps et de l’effusion du sang ne se rapporte pas au sacrement, mais au sacrifice, qui était alors offert à la cène, et qui devait être offert ensuite sur la croix. »  Car, le Seigneur ne dit pas que son corps est donné par les  apôtres en rémission des péchés, mais qu’il est donné pour eux, par Dieu, en rémission des péchés.  Et, semblablement, il ne dit pas que son sang est versé par les apôtres, mais pour eux rémission des péchés.
La promesse précédente qui, comme par un sceau, est contresignée par un sacrement, n’est pas nécessaire, et ne se trouve pas dans tous les sacrements.  Elle est même fausse dans leur définition elle-même.  Car, dans le baptême, qui est un sacrement, comme tous en conviennent, on ne trouve pas facilement une promesse de ce genre.  Luther (dans sa visite de la Saxe) et Philippe (dans les lieux, sur le baptême), présentent cette promesse (Marc, dernier chapitre) : « Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé. »  Mais il ne s’agit pas là d’une promesse précédente, mais d’une explication de l’efficacité du sacrement.   Et de plus, c’est après sa résurrection que le Seigneur a dit ces paroles.   Le sacrement du baptême avait été institué avant la passion du Christ, et avait commencé à entrer dans les mœurs (Jean 111 et 1V).
Ils diront peut-être qu’il y a une autre promesse. (Jean 111) : « À moins que quelqu’un ne renaisse de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu. »  Mais, cela n’est pas tant une promesse qu’une commination, d’où l’on tire la nécessité et la vertu du baptême.  Mais non une promesse précédente qui serait contresignée par le baptême.  Ajoutons que, avant ces paroles, le baptême de Jean a existé, auquel nos adversaires accordent la même vertu qu’à  notre baptême.  On trouve une promesse de l’eucharistie qui précède un signe.  Car, en Luc XX11, et en 1 Corinth X1, nous lisons que l’eucharistie est le signe du corps du Seigneur livré pour nous, et du sang pour nous répandu.   Mais, nous ne lisons  pas, en cet endroit, que l’eucharistie est un signe attestant et confirmant la promesse, comme ils le requièrent, mais seulement un signe commémoratif.  Car, voici ce que le dit le Seigneur : « Faites cela en commémoration de moi. »
La sixième exigence est fausse, celle qui dit qu’à la promesse doit être annexé un signe.  Car la parole qui est annexée par une directive divine, et qui est comme vêtue d’un signe,  n’est jamais une parole de promesse, mais d’affirmation ou de déprécation.  Car, quand l’eau est aspergée dans le baptême, on ne dit pas : « celui qui croira et sera baptisé sera sauvé », ce que nos adversaires appellent une promesse, mais : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.  (Matth XXV111) »  Ces paroles ne sont en rien une promesse.   Et le Seigneur, quand il fit l’Eucharistie et quand il la donna, ne dit pas : « Celui qui mange de ce pain vivra éternellement, ou une autre phrase du genre, mais : « Recevez et mangez, cela est mon corps. »  Dans le sacrement de la confirmation et de l’extrême onction, nous utilisons des paroles déprécatoires, parce que c’est ainsi que nous enseignent les Actes (chapitre V111)  et Jacques (chapitre V11) dans le sacrement de l’ordre :  Reçois le pouvoir ».  Dans les autres sacrements, des paroles déclaratoires.
Si, avant d’administrer les sacrements, ils prêchent  la parole et annoncent la rémission des péchés, et emploient ensuite le sceau des sacrements, comme Calvin le prescrit dans son libelle sur la formule de l’administration des sacrements, ils le font cela, de leur propre volonté, et non (comme le requiert Kemnitius) en vertu d’une institution divine.  Car, il n’existe aucune directive divine nous enjoignant de ne donner l’eucharistie et le baptême qu’après un prêche.  Car, ni le Seigneur (Matth XXV1) ni Paul (1 Corinth X1) n’enseignent, quand ils nous présentent le rite de l’administration de l’eucharistie, qu’un prêche doit précéder.  Et, il est certain que, dans les baptêmes des enfants, le prêche ne servirait pas à grand chose.
La septième exigence.  Cette promesse doit porter sur la rémission des péchés.  Ce qui est faux.   On peut penser que Kemnitius ajoute cette autre condition pour exclure l’ordre du nombre des sacrements proprement dits.   On trouve, dans l’Écriture, le signe externe par lequel est conférée l’ordination, l’imposition des mains, et la communication de la grâce, quand l’apôtre dit (1 Timothée 1V) : « Ne néglige pas la grâce qui est en toi, qui t’a été donnée par prophétie avec l’imposition des mains du prêtre. »  Kemnitius n’aurait donc pas pensé pouvoir exclure l’ordre des sacrements proprement dits s’il n’avait pas ajouté que cette grâce devait être la rémission des péchés.
 Et si cette condition était vraie, elle exclurait aussi l’eucharistie des sacrements proprement dits, car l’eucharistie n’a pas été instituée d’abord et avant tout pour remettre les péchés, mais pour nourrir et augmenter la charité.  Car il est donné sous l’espèce du pain et du vin qui nourrissent les vivants mais ne raniment pas les mots.  Et saint Paul (1 Corinthiens 1X) ordonne aux hommes de s’examiner pour voir s’ils sont sans péché avant de s’avancer à cette table : « Car celui qui mange indignement mange sa propre condamnation. »
La huitième. Le sacrement doit contresigner la promesse de la grâce,  à la manière d’un sceau, et la confirmer à la manière d’un miracle pour stimuler et nourrir la foi justifiante.  Elle est tout à fait fausse, et mérite d’être réfutée diligemment,  tant parce qu’elle est la principale condition que parce que Calvin la place aussi dans sa définition.
D’abord.  Si les sacrements confirmaient les promesses de Dieu à la manière d’un miracle, ou d’un sceau, ils seraient, pour persuader la foi, plus connus et plus efficaces que la parole de Dieu. Comme cela est faux, cette condition est fausse aussi.  On prouve la proposition ainsi.   C’est vainement qu’on se servirait d’une chose pour en confirmer une autre si elle n’était pas plus connue et plus sure, car c’est en cela que réside toute la force du sceau et du miracle.  En effet, le sceau des rois est toujours plus connu que les lettres des rois;  tous sont capables de discerner le sceau des rois, mais tous ne sont pas capables de discerner les lettres des rois.
 De plus, un sceau sans lettres a de l’autorité, tandis que des lettres sans sceau n’en ont pas.  Il en va de même du miracle.  Le miracle est plus connu et plus efficace que la prédication. Car tous ceux qui voient un aveugle recouvrer la vue ou un mort reprendre vie, comprennent qu’il s’agit là d’une œuvre surnaturelle et divine.  Et ils sont dont poussés à croire ce qui est confirmé par un tel témoignage.  Mais ceux qui entendent quelqu’un prêcher ne comprennent pas immédiatement que ces paroles sont les paroles de Dieu.
Il est à noter que, par les miracles qui se font pour confirmer la foi, ce n’est pas, comme tous le savent,  l’autorité divine qui est confirmée, comme si on devait plus croire à un miracle qu’au Dieu révélant.  Car, Dieu ne peut pas mentir, et il n’est rien de plus grand que l’autorité divine.  L’autorité qui peut être confirmée c’est l’autorité de celui qui propose la foi.  Car, nous sommes plus enclins à croire qu’ont vraiment été révélées par Dieu les choses qu’enseigne un prédicateur si nous voyons des miracles que si nous ne nous  appuyons que sur la seule autorité du prédicant.  Voilà pourquoi il est dit en Marc (chapitre ultime) : « Ils partirent donc, et prêchèrent partout, le Seigneur coopérant et confirmant leurs paroles par les signes suivants. »  Tu vois, là, que ce n’est pas son autorité que Dieu confirme par des signes, mais le sermon des prédicateurs.
On prouve l’assertion voulant qu’il soit  faux  que les sacrements soient plus connus et plus efficaces que la parole de Dieu. On ne peut d’abord rien imaginer qui soit plus grand et plus efficace que la parole de Dieu.  L’expérience montre, ensuite, qu’il est plus facile de comprendre ce qui est dit par des mots que ce qui est signifié par un signe de tête.  Que sont donc les sacrements, si on les compare aux paroles, si ce n’est un simple signe de tête ?  Pour une raison semblable, l’expérience enseigne qu’on persuade mieux avec des paroles qu’avec des signes muets, à moins qu’ils ne soient des miracles.  Voilà pourquoi Luther lui-même admet que les paroles de promesse sont plus efficaces que les sacrements, qui sont des prédications muettes : « La parole elle-même (livre contre Jean Cochlaeus), qui l’emporte de loin sur le signe visible, ne justifie, par elle-même, que le croyant. »
Calvin répond (livre 4, chapitre 14, verset 3) que les sacrements ne confirment pas les promesses de la part de Dieu, mais de notre part.  Parce que, bien que, en tant qu’elles sont de Dieu, elles soient très certaines, cependant, pour qu’elles soient reçues par  nous, à cause de l’imbécilité de notre foi, elles ne sont pas acceptées comme certaines tant qu’elles ne sont pas confirmées par le témoignage des sacrements.  Mais il est très facile de réfuter cela. Car, que les promesses de Dieu aient, de notre part, besoin d’une confirmation, ou qu’elle soit faite cette confirmation parce que nous ne savons pas quelles sont les promesses de Dieu, et que c’est par les sacrements que nous apprenons cela, ou parce que nous savons  et les promesses de Dieu et l’existence des sacrements, nous croyons davantage aux sacrements qu’aux promesses. Or, cela a déjà été  réfuté.  Car nous ne croyons pas à elle seule, mais nous savons aussi, pour des raisons évidentes, que Dieu ne peut pas mentir, qu’il n’y a donc rien de plus certain que les promesses de Dieu.  Cela, les adversaires ne peuvent pas le nier.
On peut réfuter  cela  d’abord et plus facilement.   Il est faux qu’on apprenne les promesses de Dieu par les sacrements, puisqu’on apprend plutôt les sacrements par la parole de Dieu.  À la vérité, si le sceau des rois était inconnu et ne  pouvait être connu que par les lettres où il est apposé, il serait tout à fait superflu. Car, ou les hommes croiraient que les lettres sont du roi, ou ils n’y croiraient pas.   S’Ils y croient, à quoi sert le sceau ?  S’ils n’y croient pas, ils ne croient pas non plus que c’est le sceau du roi. Il ne sert donc à rien.   Par une raison semblable, quand on ne sait pas que les sacrements sont des sceaux de Dieu, à moins que l’Écriture ne le dise, si l’on croit à la parole sans les sacrements, à quoi servent les sacrements  ?  Ils n’opèrent donc rien.  Calvin répond à cette objection (livre 4, chapitre 11, verset 5) que pour les diplomates, non plus, le sceau ne vaut rien sans les lettres, comme il apparait clairement quand on l’appose à une lettre où il n’y a rien d’écrit.  Et, cependant quand il est apposé à l’écrit du diplomate, il sert grandement à le confirmer, en confirmant une promesse faite par un autre.
Mais cette réponse ne détruit pas l’objection .  Car, pour commencer par l’exemple précédent, la promesse confirme la promesse parce que l’une ne dépend pas de l’autre.  L’ange (Luc 1) a confirmé la promesse de la conception virginale par la promesse d’une conception précédente dans le sein d’une femme âgée et stérile.  Car, ces deux œuvres admirables ne dépendent pas l’une de l’autre.  Or, celle qui avait précédé a eu plus de force à confirmer celle qui n’était pas encore.   Mais, les sacrements, comme nous l’avons déjà dit, dépendent totalement de la parole.
 En ce qui a trait à la ressemblance entre un sceau et un diplomate, elle n’est absolument pas comme Calvin le raconte.  Car, un sceau apposé à une lettre non écrite ne confirme rien, il est vrai,  mais cependant, il ne dépend pas à cause de cela de la lettre, ni n’est rien.  Voilà qui nous fait le mieux comprendre avec quelle ineptie les adversaires appellent les sacrements des sceaux, alors qu’ils ont tout à fait une propriété contraire.  Car les sceaux des diplomates ont leur autorité sans les lettres du diplomate, tandis que les lettres n’en ont pas sans le sceau.  C’est  le contraire qui se produit dans la parole et les sacrements.   Car, la parole de Dieu, même sans sacrements, a une autorité infaillible; les sacrements sans la parole n’en ont aucune.  Voilà pourquoi  on devrait plutôt appeler la parole le sceau du sacrement, que le sacrement, le sceau de la parole.
Ils diront peut-être.  Soit !  Les sacrements ne confirment pas la promesse  à la manière d’un miracle ou d’un sceau, mais ils aident et  confirment au moins autant qu’une action externe aide et confirme le discours d’un enseignant.  On ne peut nier en effet que cette action externe concourt à expliquer et  à persuader quelque chose, comme le mouvement des mains et des yeux, bien que la parole joue le premier rôle.  Les sacrements seront donc comme une action de Dieu qui, avait la parole, nous amènerait plus à la foi que la seule parole.
 Je réponds qu’on ne peut pas, non plus, concéder cela.  Dans les hommes, l’action aide la parole parce que la parole humaine est imparfaite, comme le sont toutes les choses créées, mais aussi parce que l’action ne tient pas sa force de la parole mais d’elle-même.  Voilà pourquoi les païens croyaient plus aux oracles d’Apollon, qu’ils pensaient ne pas être faux, que s’ils avaient été émis par la parole et la gesticulation d’un orateur.  Comme les paroles de Dieu sont, par elles-mêmes, d’une suprême autorité, et que les sacrements ne tirent leur force que de la parole, ils ne peuvent rien ajouter à la parole elle-même.
Il est vrai cependant, comme le disent les catholiques, que Dieu a voulu donner sa grâce par des signes sensibles, pour qu’il instruise les hommes par eux, et les amène à la compréhension des choses spirituelles.  C’est une chose d’enseigner des choses spirituelles par la similitude des choses corporelles, et c’en est une autre de confirmer une chose certaine par une chose moins certaine.
 Le deuxième argument.  L’essence et la nature des sacrements, on ne peut pas aller  les chercher mieux que dans les paroles de celui qui les a instituées.  Or, dans les Écritures saintes, qui sont les paroles du Dieu auteur des sacrements, on ne nous dit jamais que les sacrements sont des  témoignages des promesses.   Ils sont décrits partout comme des instruments de justification.  Car, dans Jean 111, il est dit que nous naissons de nouveau par le baptême; et semblablement, aux Éphériens V, l’apôtre Paul dit que l’Église est sanctifiée ainsi que le monde, par le lavement de l’eau dans la parole de vie.  Et, à Tite 111,  il appelle le baptême le bain de la régénération et de la rénovation.
 Ainsi en est-il de l’eucharistie. Jésus dit (en Jean V1) : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. » Nous pouvons démontrer la même chose pour les autres sacrements.   Ils ne peuvent pas, sans grande absurdité, entendre des mots comme régénérer, purifier, donner la vie éternelle, au sens de donner un témoignage de promesses.  Car, qui pourrait supporter quelqu’un qui dirait : le baptême régénère, c’est-à-dire donne le témoignage d’une volonté divine ?  Ou, je te baptise, c’est-à-dire je témoigne ?
Cet argument contre Luther est d’une grande efficacité.   En effet, Luther, que les autres suivent volontiers dans cette voie, dit dans le livre contre Cochlaeus : « Dans les choses sacrées, c’est un procédé puissant et très efficace d’argumenter par l’autorité négativement. »  Qu’ils montrent donc le lieu où on appelle les sacrements des témoignages de promesses, ou qu’ils reconnaissent que nous avons contre eux, un argument très puissant et très efficace.
Ils ont coutume de nous présenter trois passages qui semblent avoir une apparence de vérité.  Le premier.  La Genèse (XV11), où la circoncision est dite le signe de l’alliance.   Le second. Romains 1V, où la circoncision est dite le sceau de la justice de Dieu. Le troisième (11 Pierre 111). Saint Pierre dit que, par le baptême, ce n’est pas la disposition charnelle des sorts qui sauve, mais l’interrogation d’une bonne conscience ou (comme ils le traduisent) un pacte avec Dieu.   Mais, dans ces passages ne sont nommés ni la promesse, ni le témoignage;  et ces citations n’ont rien à voir avec ce dont on parle, comme nous le montrerons plus bas dans la solution des objections.
Le troisième argument.   Si les sacrements n’étaient que des témoignages de promesse et de grâce, ils seraient superflus ou fort peu nécessaires.  Car, nous avons d’autres témoignages beaucoup plus efficaces. En effet, les bonnes œuvres sont des témoignages de la justice obtenue,  de loin meilleures que l’ablution par l’eau ou la consommation de l’eucharistie.  Car, beaucoup d’impies baptisent avec une foi feinte, et  communient, en devenant plus mauvais et plus mal vus de Dieu. Comme dit saint Paul (11 Corinthiens 1) : « Notre gloire est le témoignage de notre conscience. »  Et Pierre 1 : « Veillez à ce que, par vos bonnes œuvres, vous rendiez certaines votre vocation et votre élection. »  Saint Jean 111 : « Celui qui fait la justice est juste, et celui qui est né de Dieu ne pêche pas. »
Le quatrième argument. Si les sacrements n’étaient que des témoignages des promesses, institués pour raviver la foi, c’est pour rien que seraient baptisés les enfants et les fous,  qui non seulement ne croient pas mais ne peuvent pas croire en ce qui se fait.  Or, les luthériens militent tous contre les anabaptistes pour le baptême des enfants.  Ces mêmes luthériens n’enseignent donc pas vraiment ce qu’est le baptême.
 Cet argument a forcé Luther (dans son livre contre Cochlaeus) ainsi que les luthériens, à soutenir que les enfants croyaient en acte quand ils étaient baptisés.  Ce qui est tellement absurde que saint Augustin (dans son épitre 57 à Dardanus) a écrit que ceux qui pensent ainsi font injure aux sens humains.  Car, nous voyons les enfants pleurer au contact de l’eau, chercher où se réfugier, et s’y opposer autant qu’ils le peuvent.   Il est certain que s’ils étaient en possession de leur raison quand ils agissent ainsi, non seulement ils ne seraient pas purgés du péché originel, mais ils en ajouteraient un autre de leur cru.
Le cinquième argument. Si les sacrements étaient des témoignages d’une grâce qui est conférée en particulier à quelqu’un, ils seraient souvent faux comme quand, par exemple, un sacrement est administré à un homme qui fait semblant de croire, alors qu’il ne croit pas.  Il ne serait donc pas permis de le baptiser pour que nous ne forcions pas Dieu à faire un faux témoignage.  Car, nous ne savons pas si un tel croit pour vrai ou feint de croire.  Ils diront, peut-être, que le sacrement est un témoignage de la grâce non absolument, mais si celui qui reçoit le sacrement croit  à la promesse.
  Mais, je prouve, au contraire, que le témoignage est absolu, et non conditionnel.   D’abord, Luther (dans ses assertions, article 1), dit que celui qui ne croit pas à la parole du ministre qui dit : je te baptise ou je t’absous, fait de Dieu, de qui sont ces paroles,  un menteur.  Je réponds ensuite si ces paroles étaient des paroles conditionnelles, la foi justifiante des luthériens serait en ruine.  Car, ils veulent que l’homme, pour être juste,  doive croire d’une façon absolue,  sans aucune hésitation  Car l’homme ne doit croire que si Dieu atteste.  Et de plus, la foi doit être secrète.  Elle ne doit donc pas, pour que l’homme croie,  dépendre d’une condition.  Car, selon Luther, personne n’est sur de croire véritablement.  Car, ce qu’il écrit dans son livre contre les rebaptisant (en l’en 1528) : « Le baptême n’est pas fondé sur la foi du baptisant, ni du baptisé, parce que chacun des deux est incertain de sa foi. »  Et plus bas : « Il advient ce qui a coutume d’arriver au-sujet de la foi,  que celui qui croit est souvent convaincu de ne pas croire du tout, et que celui qui pense ne pas croire croie plus que tous les autres. »
Troisièmement.  Les adversaires parlent de cette chose de façon à laisser croire que, dans les sacrements, le témoignage de Dieu doit être le plus absolu de tous. Car, c’est ce qui dit Philippe (dans les lieux, chapitre sur le baptême) : « Moi, ministre, je te baptise par mandement divin, et à la place du Christ, c’est-à-dire que, par ce signe, je témoigne  que tes péchés sont effacés, et que tu es réconcilié avec le vrai Dieu etc. »  Où il ne fait mention d’aucune condition.  Et voilà pour la définition des luthériens.
                                        CHAPITRE 15
On rapporte les définitions des Anabaptistes et des Zwingliens.
L’autre sentence sur la nature du sacrement est de ceux que Luther et Calvin appellent souvent des fanatiques, qui enseignent que les sacrements ne sont rien d’autre que des signes institués pour distinguer le peuple chrétien des Juifs et des païens, comme la toge était autrefois un signe par lequel on pouvait  distinguer un Romain d’un Grec, et comme aujourd’hui les différents costumes des ordres religieux.  Luther rend André Carolstad l’auteur de cette sentence (dans son sermon sur les paroles de la cène : cela est mon corps).  Cet André a été un des premiers disciples de Luther et un très grand ami. C’est pour cela que, dans son second écrit contre le roi d’Angleterre, il l’appelle son Absalon, car, comme Judas envers le Christ, il lui a été infidèle et rebelle.
 Philippe Melanchton n’eut pas, au tout début, cette définition en horreur, comme on le voit dans les lieux publiés en l’an 22.  Au chapitre des signes, il considère que cette sentence est probable, et il dit à la fin : « Probable, et probable aussi à la volonté de ceux qui ont comparé  les sacrements à des symboles, des tessères militaires, parce qu’ils ne sont que des notes par lesquelles nous sont connues et nous appartiennent les promesses divines. »  Même si, après, il l’a combattue (dans l’apologie de la confession d’Augusta, art, 13, et dans la dernière édition des lieux).
Il faut noter les deux premières sentences que Kemnitius énumère.  La première.  Les sacrements sont des signes par lesquels on distingue les chrétiens des non chrétiens.  L’autre.  Ils sont des symboles associés à la religion chrétienne.   Avec plus de justesse, Philippe fait, de ces deux sentences, une seule sentence.  Car ces deux définitions du sacrement ne reconnaissent que deux sacrements, le baptême et la cène.  Et c’est du baptême qu’ils font un symbole qui distingue les chrétiens des païens. De la cène, ils font un symbole interne de la société chrétienne.
Cette sentence est en partie vraie, et en partie fausse.  Car même si les sacrements jouaient ce rôle, celui de distinguer la vraie religion des fausses, ce n’est cependant pas là le seul ni le principal usage de nos sacrements.  Car, d’abord, dans la sainte Écriture, nous ne lisons jamais que le baptême, l’eucharistie, ou les autres sacrements aient été institués pour établir une distinction entre les chrétiens et les païens.  Mais nous lisons fréquemment qu’ils ont été institués pour justifier les hommes : « Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé. »  Il ne dit pas : Il se sera distingué des autres, mais il sera sauvé.  Actes 11 : « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, en rémission de vos péchés, et pour que vous receviez le don du Saint-Esprit. »  Ajoutons les  textes déjà cités qui enseignent la même chose, c’est-à-dire que les sacrements ont été institués pour justifier.
Ensuite, il existe d’autres signes beaucoup plus aptes à distinguer le peuple chrétien des autres, comme la profession de foi, qui ne convient qu’aux seuls vrais catholiques, alors que le baptême est commun aux hérétiques.  Comme aussi la charité mutuelle, qui n’existe que chez les seuls catholiques, alors que tous les sacrements sont communs avec les schismatiques.  Voilà  pourquoi le Seigneur, en saint Jean (X111) n’a pas dit : Tous connaitront  que vous êtes mes disciples par le fait que  vous avez le baptême, ou l’eucharistie, mais par votre charité mutuelle.
    Troisièmement. Tous les sacrements tirent leur force de la passion du Christ.  En signe de quoi, du côté percé de Jésus ont coulé de l’eau et du sang, comme l’enseignent les pères.   Saint Ambroise (livre 10, chapitre 105, Luc), saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, Theophyle (chapitre X1X sur Jean), saint Léon (épitre 4, chapitre 6), saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 10), saint Jérôme (épitre 83 à Océanus), et saint Augustin (traité 120 sur saint Jean.  Et au traité 15, il prouve la même chose avec les paroles de saint Paul aux Éphésiens V : « Le Seigneur a aimé son église, et s’est livrée pour elle, la purifiant par le lavage de l’eau dans la parole de vie. »  Et (au livre 15, chapitre 26 de la cité de Dieu), il prouve la même chose par d’autres témoignages.
Pour sur, si les sacrements ne faisaient que distinguer comme le font les toges romaines, la passion du Christ n’était pas nécessaire, puisque suffisait le bon plaisir humain.  De plus, cette sentence est éloignée de mille lieux du sens et des paroles de tous les pères. Au nom desquels un seul parlera, saint Augustin (question 84, dans le lévitique).  Écoutons-le : « Sans la sanctification de la grâce invisible, de quel profit sont les sacrements visibles ? »  Et ( dans le livre 19, chapitre 11 contre Faust), il dit : « La vertu des sacrements vaut considérablement, d’une façon inénarrable. Et c’est pourquoi  le mépris rend quelqu’un sacrilège. C’est donc d’une façon impie qu’est méprisé ce sans quoi la piété ne peut pas obtenir son perfectionnement. »
La troisième définition est celle des anabaptistes, qui enseignent que les sacrements ne sont rien d’autre que des allégories, et comme des signes de bonnes œuvres, de vie et de mœurs spirituels.  Car, ils veulent que les hommes soient baptisés pour signifier que les chrétiens doivent supporter des adversités, et même la mort pour le Christ.  Rapportent cette erreur Philippe (dans ses lieux, ans 36 et 41, chapitre sur les sacrements), Jean Brentius (homélie 23 sur le chapitre 3 de Luc), et Kemnitius (page 96 de la deuxième partie de l’examen du concile de trente).
Mais cette sentence peut être réfutée sans de grands efforts.  Car, même si les sacrements possèdent cette utilité de rappeler aux hommes qu’il faut pratiquer les bonnes œuvres et les vertus, (car il ne faut certes pas nier que l’aspersion ou l’immersion dans le baptême  nous fait souvenir de la mort au péché et la renaissance à une nouvelle vie, dont nous parle saint Paul aux Romains V1, et que l’eucharistie nous prêche la paix et l’amitié (1 Corinth 10) : « Nous qui participons à un seul pain nous ne recevons qu’un seul corps. »  Mais ce n’est pas là le seul et même le principal usage du sacrement.  Et ce n’est pas non plus en cela que réside l’essence et la nature du sacrement.
Et on le prouve, cela, par les mêmes arguments que nous avons utilités contre Carlostad.  Le premier.  L’Écriture dit que les sacrements sont institués pour justifier, (1 Corinth V1) : « Vous avez été purifiés, vous avez été sanctifiés. »  Ephésiens V : « La purifiant par le lavage de l’eau, dans la parole de vie. »  En deuxième lieu, si les sacrements ne devaient être que des allégories, il n’y avait pas de raison qu’ils sortent du côté percé de Jésus. Car un bon plaisir humain suffisait.
 Troisièmement, parce que ne faisaient pas défaut d’autres avertissements à bien vivre plus utiles et plus efficaces, comme les exhortations,  les exemples du Christ et des saints.  Ajoutons, en quatrième lieu, que si cette sentence était vraie, les sacrements ne seraient des signes que des choses futures.   Or, ils sont aussi des signes de choses  passées ou présentes.  Car, l’eucharistie représente la mort du Christ, (1 Cor 11),  et le baptême l’ablution interne qui se parfait alors, quand ils sont baptisés extérieurement.  Selon les Actes XX11 : « Sois baptisé, et que tes péchés soient effacés. »
La quatrième définition est de ceux qui veulent que les sacrements soient des signes d’une grâce qui n’est pas accordée actuellement, mais qui a été accordée avant.  Cette opinion est rapportée sans nom d’auteur, mais elle est réfutée par Zwingli (dans son livre sur la religion vraie et fausse,  au chapitre des sacrements), et par Kemnitius (page 96 de son examen du concile de Trente).  Et il facile de la réfuter, parce que l’Écriture enseigne clairement que c’est dans la vie présente que les sacrements ont leur effet.  Actes XX11 : « Efface tes péchés ! »
La cinquième définition est de Zwingli et de ses sectateurs, à l’exception de Pierre martyr, comme nous l’avons déjà dit.  Au chapitre des sacrements, dans son livre de la vraie et de la fausse religion, après avoir réfuté la sentence des catholiques et celle des luthériens, il découvre sa pensée, et enseigne que les sacrements ne sont rien d’autre qu’une initiation quelconque et qu’un garant par lequel les hommes s’obligent envers le Christ, et qui donnent le nom de sa milice.  Il déduit de cela que les sacrements  ne sont pas proprement  des témoignages de justice  pour celui qui le reçoit, comme les luthériens le disaient.  Mais ils sont des témoignages publics devant  toute l’église, de l’obligation et de la fidélité qu’il doit au Christ, auquel il s’est consacré.
 Martin Bucer suit la même sentence (dans son commentaire du chapitre 111 de Matthieu), et dans la préface de la seconde édition de ces mêmes commentaires, où il ajoute : « Si ceux qui sont baptisés sont prédestinés, alors  le sacrement n’est pas seulement un signe  qu’ils donnent au nom du Christ, et qu’ils  reçoivent dans l’église externe, mais il apporte aussi une certaine consolation.  Mais, s’ils ne sont pas prédestinés, alors le sacrement est un signe nu qu’ils ne reçoivent que dans l’église externe, mais non de Dieu. »  Il déduit aussi de là qu’aux enfants non prédestinés  le baptême n’est d’aucun profit, car ces enfants périront de toute façon, même s’ils sont baptisés.
Cette sentence est semblable aux précédentes.  Car, elle présente quelque chose de vrai, car on ne peut nier que nous sommes initiés par les sacrements, que nous les donnons au nom du Christ, et que nous attestons publiquement que nous sommes membres de l’Église.  Mais, il erre en ceci qu’il ne reconnait pas une fin plus sublime de l’institution des sacrements.  Et, on le prouve d’abord, par la sentence de Zwingli selon laquelle le Christ n’opère rien, mais l’homme seul atteste qu’il sera fidèle.  Or, il est dit en Jean 1 : « C’est lui (le Christ) qui baptise. » Et aux Éphésiens V : « La purifiant. »  En second lieu, parce que Zwingli requiert que, avant qu’ils reçoivent les sacrements, les hommes soient justifiée et unis intérieurement au Christ, et que, par les sacrements, ils témoignent et professent seulement extérieurement qu’ils veulent militer pour le Christ, et être unis à l’église externe.
 Or, les Écritures attestent que les sacrements ont été institués pour sanctifier et purifier l’homme intérieurement.  C’est ce que veut dire l’apôtre quand  il écrit aux Éphésiens : « La purifiant par le lavement de l’eau dans la parole de vie. »  Commentant ce texte, saint Augustin dit : « D’où vient une vertu de l’eau si grande qu’en touchant le corps elle purifie le cœur ? »  Même chose dans Jean 111, et Timothée 111.  On dit là que le baptême est un bain de régénération et de rénovation.  Ces passages nous enseignent explicitement que le baptême fait renaître l’homme,  qu’il appartient à l’homme interne, et qu’il n’est pas une simple attestation externe de fidélité.  À cette définition se rapportent aussi les textes de l’Écriture déjà cités contre d’autres erreurs, comme Actes  11 et XX11, 1 Cor V1.
  Troisièmement.  L’apôtre (Romains V1) dit clairement que l’eucharistie a été institué en mémoire de la passion du Seigneur.  Les sacrements ne signifient donc pas seulement  que l’homme est initié par Dieu, ou uni à l’Église.
2018 10 13 fin

2018 10 21 debut
                                                CHAPITRE 16
                               On réfute la définition de Calvin
La dernière définition ou sentence est celle de Jean Calvin qui (livre 4, chapitre 14, verset 1) dit que, dans les mots suivants, est contenue une définition simple et idoine du sacrement : « Le sacrement est un symbole externe par lequel le Seigneur contresigne, devant nos consciences,  les promesses de sa bienveillance envers nous, pour soutenir l’imbécilité de notre foi; et par lequel nous témoignons en retour,  notre piété envers lui,  devant lui, les anges et les hommes.»  On doit observer que Calvin semble avoir composé sa définition à partir de phrases de Luther et de Zwingli.  Car, en disant que le sacrement est un symbole qui contresigne les promesses, pour soutenir l’imbécilité de la foi, il a tiré cela de Luther.  En ajoutant ensuite que, par ce symbole, nous attestons auprès des hommes notre piété envers Dieu, il a tiré cela de Zwingli.   Et pourtant, dans la réalité, Calvin diffère grandement de l’un et l’autre.  Car, même si, avec Zwingli, il admet que, par le sacrement, nous témoignons de notre piété devant les hommes, il nie que ce soit le seul ou le principal rôle  du sacrement.  Et (au chapitre 14, des versets 5 à 14), il se bat avec acharnement  pour soutenir  la sentence de Luther, et réfute, sans les nommer,  toutes les objections que Zwingli et Bucer avaient faites contre Luther.
 Par une raison semblable, bien que, avec Luther, il affirme que les sacrements sont des témoignages de la grâce et de la rémission des péchés, il entend la chose bien autrement que Luther.   Car Luther  parle toujours de la grâce qui est donnée à l’homme au moment où il reçoit le sacrement.  Or, Calvin parle de la grâce de la prédestination, et veut, en conséquence, que les sacrements soient des témoins de la grâce de prédestination, pour nourrir la foi par laquelle l’homme croit être prédestiné.  Il s’ensuit donc, comme le notait Bucer, que les sacrements ne sont pas de vrais signes, et qu’ils ne nous profitent pour rien d’autre que pour la prédestination.
 Le fondement de cette chose est que Calvin estime (livre 3, chapitre 2), qu’une fois obtenue, la vraie foi ne peut jamais être perdue.  Il s’ensuit donc  que la vraie foi, sans laquelle les sacrements ne sont d’aucun profit,  est la foi propre des prédestinés, que les non prédestinés ne peuvent jamais avoir.  C’est pourquoi, dans son antidote du concile (session 6, chapitre 5), il dit que le baptême est donné aux enfants parce qu’ils sont déjà considérés comme des membres de l’Église,  puisque, par la grâce de la prédestination, ils  sont adoptés par Dieu comme fils.  Et, plus clairement encore, dans le livre sur le consensus des Tigurins et des Genevois en matière sacramentaire, il écrit : « Avec zèle nous prêchons que Dieu n’a pas promis que sa vertu s’exercerait sur tous ceux qui reçoivent les sacrements, mais seulement sur les élus.  Car, comme il n’illumine vers la foi que ceux qu’il a prédestinés à la vie éternelle, de même,  il fait en sorte que, par la vertu de son Esprit, les élus seuls  perçoivent les mystères qui sont offerts par les sacrements. »
 Après cette brève explication, réfutons cette définition.   Elle est entièrement vicieuse, comme on s’en rendra compte,  si on examine chacun des mots.  Le premier mot est « symbole externe. »  Ce qui est vrai, en soi, mais pas au sens que lui donne Calvin. Car, pour lui, le sacrement est un symbole nu, c’est-à-dire, qui ne fait que signifier, mais qui n’opère rien.  Car, dans toute la définition, il ne donne pas d’autres effets au symbole en dehors de contresigner les promesses de Dieu et de témoigner de notre piété.  Il importe peu que,  dans l’antidote du concile de Trente (session  7, canon 5), il dise que les sacrements sont des instruments de justification,  car il les voit comme des instruments parce qu’ils ravivent et nourrissent la foi. Donc, non par une efficience quelconque, mais objectivement seulement.
 C’est ce qu’explique clairement Théodore de Bèze (dans son livre sur la somme des sacrements, question 11) : « D’où vient l’efficacité des sacrements ? De l’opération du Saint-Esprit, non des signes, si ce n’est que, par ces objets externes, nos sens internes sont mus.  De par ce raisonnement, les signes qui sont accrochés aux portes des auberges peuvent être appelés des instruments de repas, parce qu’ils incitent l’homme à penser que, dans cette maison, est préparé un repas.
 Mais les Écritures enseignent souvent  que les sacrements opèrent certaines choses,  qu’ils purifient, qu’ils lavent, qu’ils sanctifient, qu’ils justifient, qu’ils régénèrent. (Jean 111, 1, Corinth V1, Ephésiens V,  Tit 111, Actes XX11).  Bien plus, les saintes Écritures ne disent jamais que les sacrements sont des témoignages des promesses de Dieu, et de notre piété.  Ou si parfois elles le laissent entendre,  elles ne le disent jamais aussi clairement et aussi fréquemment que quand elles enseignent que les sacrements sont des causes de justification.
 Autre mot :  « de sa bienveillance envers nous ».  Pour deux raisons, ce mot ne cadre pas dans une définition du sacrement.  La première.   Car, il suit de ce mot que le sacrement est toujours le signe d’une chose déjà accomplie,  ou plutôt éternelle.  Car, lui-même ne peut pas nier que, par bienveillance, il entende la grâce de la prédestination.  Et, de plus, il le concède cela dans son antidote au concile de Trente (session 6, chapitre 5) : « Ce n’est pas du baptême que leur salut reçoit son commencement, mais, par le baptême, sont contresignées  les choses qui étaient déjà fondées dans la parole. »  Il concède donc, lui-même, que le baptême  est le  sceau de la bienveillance passée et éternelle de Dieu.  Cela ne contredit pas ce qu’il avait dit dans l’antidote, (session 7, canons 4 et 5), à savoir,  les sacrements sont des instruments de la justification.  Car il veut que les sacrements, en tant qu’ils soutiennent et nourrissent la foi, confirment ou accroissent la justification (car, pour eux,  c’est la foi qui justifie).
Cependant, il ne veut pas que le sacrement soit un sceau de la justification qui s’opère par la foi, mais de la grâce de la prédestination.  Il ne veut pas, non plus, que le sacrement apporte la première justification, mais seulement une confirmation et une augmentation, comme il l’enseigne encore plus clairement dans son petit catéchisme.  Car, la première justification vient de la foi conçue lors d’un prêche précédent.
Or, tout cela répugne totalement aux saintes Écritures,  qui attribuent aux sacrements le pouvoir de conférer la première justification.  Car qu’est-ce d’autre régénérer (ce qui est accordé par le baptême, selon Jean 111, et Tite 111) si ce n’est  faire, d’un homme mort dans ses péchés, un homme vivant de la vie de la grâce ?  Mais, cela plus loin, en son lieu.   Il ne place donc pas correctement, dans la définition du sacrement, cette promesse de la grâce de la prédestination,  parce qu’il arriverait souvent que Dieu ferait un faux témoignage, puisque  personne ne pourrait baptiser sans faire de péché.  Car (comme Calvin le dit dans l’antidote, session 6, chapitre 5),  il profane le baptême celui qui le confère à celui à qui n’appartient pas la promesse.  Car, il force Dieu à faire un faux témoignage, bien plus, à élire celui qu’il n’a pas élu.  Or, personne ne peut savoir si quelqu’un est prédestiné ou pas.   En conséquence, personne ne devrait baptiser personne puisque, en baptisant, on s’expose au péril de profaner le baptême.
À cette objection, Bucer répondrait que les ministres n’ont l’intention de baptiser que les prédestinés, car c’est ce qu’il dit dans la préface de ses commentaires sur Matthieu.  Mais cette réponse est insuffisante.   Car, tout d’abord, cela excuserait peut-être le ministre mais non Dieu, à moins que Dieu ne baptise, lui aussi, sans intention de baptiser, ce qui est ridicule.  Ensuite, de par la sentence des luthériens et des calvinistes, les sacrements ne dépendent pas de l’intention du ministre.  Car, (dans le livre sur la captivité de Babylone, à baptême), Luther a écrit : « Le baptême est vrai et ratifié même si le ministre entend ne pas baptiser, mais s’amuser. »  Et Calvin n’est pas d’une autre idée dans son antidote (session 7, canon 2).
Calvin répond autrement (livre 4, chapitre 15, versets 16, et 17.)  Il dit que Dieu, pour sa part, a vraiment présenté la promesse et le sceau de la promesse à tous ceux qui sont baptisés, qu’ils le reçoivent ou pas.  Dieu est donc toujours véridique.  Il ne dirait pas non plus que les ministres pèchent s’ils confèrent le baptême à ceux qui professent croire, s’ils sont adultes, ou à ceux qui sont les fils de parents fidèles,  s’ils sont encore enfants.  Car, il croit que les enfants des fidèles naissent saints, à cause de la promesse de Dieu dans Genèse  (XV11) : « Voici ton Dieu, et celui de ta descendance. »  Et la raison pour laquelle ne pèchent pas les ministres, c’est parce qu’ils ont une raison probable  qui leur fait penser que ceux qu’il baptisent sont prédestinés et saints.
Mais cette réponse ne satisfait pas pleinement.  Car, d’abord, si l’on confère le baptême à quelqu’un tout en sachant qu’il ne possède pas les promesses divines,  on profane le baptême, comme Calvin lui-même le dit, parce qu’on fait un faux témoignage.  Donc, pourquoi Dieu ne profanerait-il pas le baptême, et ne ferait-il  pas un faux témoignage,  quand il le donne à quelqu’un  qu’il ne sait ne pas être un prédestiné ?  Car, Dieu et le ministre n’agissent pas différemment, mais ils ont une action commune. Comme le dit saint Jean 1 : « C’est lui qui baptise dans l’Esprit saint. »
De plus, le sacrement ne fait pas qu’offrir, mais il présente aussi un témoignage de bienveillance.  Car, c’est ce que Calvin dit dans le petit catéchisme : « Le sacrement est un témoignage de la bienveillance divine envers nous. »  Dieu présente donc le sceau de sa bienveillance à celui qui est baptisé, même s’il ne croit pas.  Car, sans la loi on ne reçoit pas le fruit et la chose du sacrement, mais on reçoit cependant un vrai sacrement, comme Calvin l’enseigne (livre 4, chapitre 16, verset 16).  Contre  les anabaptistes, il reconnait là qu’un vrai sacrement est donné et reçu par les catholiques, où il pense qu’aucune véritable foi ne se trouve.  Si donc Dieu présente vraiment un sceau  et un témoignage de bienveillance  à celui qu’il n’aime pas, comment ne ment-il pas et ne profane-t-il pas le sacrement ?
De plus, on peut prouver que le ministère pèche.  Car, même s’il a une raison probable de croire que celui qui  professe la foi est un prédestiné, il n’en a quand même pas la certitude.  Il peut arriver qu’il mente en disant qu’il croit.  Il peut aussi arriver (comme Calvin le reconnait (livre, 3, chapitre 2, verset 10), qu’il pense croire alors qu’il ne croit pas vraiment.  Or, pour attester  quelque chose au nom de Dieu, est requise une  vraie certitude, et ne suffit pas une opinion probable.  Comme on peut le voir dans un cas semblable, celui du serment.  Car  il n’est pas permis de jurer, c’est-à-dire de se servir du témoignage de Dieu dans une chose que nous pensons être vraie,  mais seulement dans une chose dont nous sommes certains qu’elle soit vraie.
C’est une certitude encore plus grande  que dans le serment, qui devrait être requis  dans un sacrement, selon nos adversaires, car le sacrement est comme un serment de Dieu.  Le serment de Dieu diffère du nôtre en ceci que quand c’est un homme qui jure, c’est lui qui affirme quelque chose, même s’il prend Dieu en témoin. Voilà pourquoi notre serment peut être faux, sans injustice de la part de Dieu.  Comme si quelqu’un jure qu’il pense savoir quelque chose, et que, en fait, il se trompe.  Alors, Dieu ne donne pas de témoignage, et ne pèche pas non plus celui qui a cité Dieu comme un témoin de fausseté, parce qu’il croyait sincèrement que c’était vrai.  Comme s’il voit quelqu’un tué par un autre, qui était tout à fait semblable à un autre qu’il n’avait jamais vu.  Or, selon nos adversaires, dans les sacrements,  Dieu affirme et jure que celui qui reçoit le sacrement est juste et élu. Or, Dieu ne peut être trompé par aucune erreur.  Il pèche donc gravement celui qui confère un sacrement à quelqu’un sans savoir avec certitude s’il est juste ou élu, parce qu’il force Dieu à mentir.
De plus, même si le ministre savait avec certitude que celui qui professe la foi est le fils d’un homme fidèle, est donc juste et élu, que ferait-il si on l’obligeait à baptiser  un enfant fils d’un Turc  ou d’un Juif, et si ses parents, bien qu’infidèles,  se résignaient à être baptisés et à demeurer avec des chrétiens ?  Car, s’il le baptise il profane le baptême, puisqu’il n‘y a aucun signe qui lui permette de penser qu’il est prédestiné.  Et, s’il ne le baptise pas, il va contre l’usage de toute l’Église.  Mais quelqu’un  peut-être objectera-t-il  en faveur de Calvin,  que les catholiques se retrouvent dans les mêmes erreurs, quand ils administrent les sacrements  à ceux dont ils ne sont pas surs s’ils sont vraiment disposés, et affirment quand même que ce sont des signes de la grâce divinement institués.  Je réponds que les catholiques n’ont pas ce genre d’angoisses à se faire.  Car, ils disent que les sacrements sont des causes efficaces de la grâce, à moins qu’on y mette un obstacle. Et qu’ils signifient en même temps une infusion de la grâce, en ce qui a trait au sacrement lui-même. Ensuite, que ces sacrements sont des signes de l’effet que fait la grâce partout où elle est absente.  Car, comme l’eau du baptême lave le corps,  de la même façon la grâce du Sauveur lave  l’âme.  Ce qui est perpétuel et infaillible, et qui ne dépend pas de la disposition.  Car, la disposition aide  pour que qu’un obtienne la grâce, une grâce qui, partout où elle est,  nettoie les saletés de l’âme, si elle en trouve.  Elle lui est intrinsèque et inséparable.
Le troisième mot dans la définition de Calvin est « promesses ».  De la promesse de la rémission des péchés, nous avons déjà disserté dans la réfutation de la définition des luthériens.  Mais Calvin parle de la promesse de la bienveillance de la prédestination, qui est de loin plus facile à réfuter, car il n’existe aucune promesse de ce genre dans toute l’Écriture.  Toutes les promesses incluent une certaine condition, comme la foi, la pénitence, et d’autres semblables,   et dans toutes, la condition de la persévérance. Car « celui qui persévèrera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. (Matth XX1V). »  Or personne, sans une révélation particulière spéciale,  peut se promettre qu’il persévèrera.
On peut aussi réfuter les témoignages qu’il apporte.  Le premier. (Je serai ton Dieu, à toi et à ta descendance après toi.)  Mais, cela requiert aussi une condition de foi, et de persévérance.   Car, comme l’explique saint Paul (Romains 1V et 1X) : la semence d’Abraham  ne sont pas les fils de la chair, mais de la foi.  C’est-à-dire que ceux qui imitent Abraham dans sa foi, ce sont ceux-là qui sont sa semence,  avec laquelle a été contracté le pace de Dieu, pour que celui qui commence à être la semence d’Abraham commence à croire, et cesse de l’être quand il cesse de croire.   Qui pourra jamais persuader quiconque qu’il ne pourra jamais cesser de croire ? Surtout que la foi et la persévérance dans la foi sont des dons de Dieu.
Le quatrième mot est « nos consciences ».  À ces paroles on pourrait joindre ces autres paroles  « pour soutenir l’imbécilité de notre foi. »  On n’a pas de bonne raison à donner pour  employer ces mots dans la définition d’un sacrement. Témoin le baptême des enfants qui est un vrai baptême, même pour Calvin.  Et pourtant, dans les enfants, il n’y a pas de conscience, pas de foi actuelle, à la fortification de laquelle le sacrement est nécessaire.  Et si la promesse est comme un diplôme, et le sacrement comme un sceau,  la conscience sera comme une charte ou une cire.  Comment donc  un diplôme pourrait-il être écrit ou contresigné là où il n‘y a pas de papier ?  Que les enfants croient en acte pendant qu’ils sont baptisés, cela a été déjà réfuté, et Calvin lui-même n’ose pas le soutenir, même s’il n’a pas voulu le rejeter (livre 4, chapitre 16, verset 19).
Calvin répondra donc que le baptême des enfants opère dans la conscience des enfants, dès leur premier usage de la raison, même si avant, elle était incapable de poser un acte.  Car, ils se souviennent après coup d’avoir reçu le baptême, et, par ce signe, ils nourrissent et sustentent leur foi. (livre 4, chapitre 16, versets 20 et 21. )  Il dit la même chose de ceux qui ont été baptisés chez les catholiques, et qui deviennent ensuite calvinistes,  (livre 4, chapitre 15, verset 17).
 À tout le moins, nous avons de bonnes raisons pour prouver que les calvinistes n’agissent pas correctement quand ils baptisent les enfants.  Car, il serait de loin plus utile de les baptiser à l’âge adulte, quand ils sont capables de foi.  Car, nous n’avons aucun souvenir du baptême que nous avons reçu dans l’enfance,  sauf par le récit d’autrui.   Nous n’avons donc, en fait de certitude, qu’un témoignage humain, qui est faillible.  Et même si nous en étions absolument certains,  les choses que l’on voit nous impressionnent plus que les choses que l’on entend.  Pour nourrir la foi, il serait donc préférable de baptiser des adultes plutôt que des enfants.  Or nourrir la foi est, pour lui,  la fin première du baptême,  comme il appert de la définition donnée.  Ils font donc mal en baptisant les enfants.
Ils ne peuvent pas répondre qu’on baptise les enfants pour qu’ils ne périssent pas avant de devenir des adolescents, et décèdent ainsi sans la grâce de Dieu.  Car, dans son antidote (session 6, chapitre 5, et ailleurs), il enseigne que les enfants prédestinés sont sauvés sans baptême, et que les réprouvés périraient même avec le baptême.   La seule chose, donc, qu’il peut dire c’est que les enfants sont baptisés pour être admis dans l’église externe,  ou pour qu’on puisse dire qu’ils sont des membres de l’Église.  Mais cette réponse ne règle rien.  Car, selon Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 15), la fin principale des sacrements est de contresigner les promesses pour nourrir la foi.  Professer qu’on est membres de l’église est une fin moins importante.  Selon Calvin, les enfants ne doivent donc pas être baptisés. Si donc, ils font un baptême pour une fin moins importante, ils portent atteinte à la fin principale.
Le cinquième mot est « contresign », dont nous avons abondamment parlé dans la réfutation de la sentence de Luther.  Et des autres mots, nous avons parlé dans la réfutation de la sentence de Zwingli.
Il ne reste donc qu’à réfuter leurs arguments.
                                          CHAPITRE 17
Voici quels sont les arguments dont se servent autant les calvinistes que les luthériens pour prouver que les sacrements sont les sceaux des promesses.   Le premier est présenté par Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 5). Il commente les paroles de saint Paul aux Romains (1V), où il appelle la circoncision sphragida, c’est-à-dire le sceau de ce pacte,  par la foi duquel  Abraham avait été auparavant justifié.  Je réponds  d’abord que ce qui est dit de la seule circoncision ne peut pas être correctement appliqué à tous les sacrements. Car, est valable un argument qui va du genre à l’espèce et non de l’espèce au genre.
 Je réponds en deuxième lieu que, quand il parle du sceau de la circoncision,  l’apôtre ne fait aucune mention d’une promesse ou d’un pacte.   La circoncision est appelée le sceau de la justice de la foi , non le sceau de la promesse ou d’un pacte.  On l’appelle le sceau de la justice de la foi parce que (comme l’explique Origène dans son commentaire de ce texte), elle contresignait et fermait  la justice de la foi qui devait atteindre sa perfection  en son temps.  C’est-à-dire que, sous la figure et le type de cette circoncision charnelle, est signifiée et voilée la circoncision du cœur, qui est la vraie justification que le Christ allait apportée.  Ou, (comme le disent saint Jean Chrysostome et Theophylacte, et d’autres), on appelle la circoncision le sceau de la justice de la foi. parce qu’elle fut donnée à Abraham en signe et en témoignage de la justice qu’il avait acquise par la foi.
Je réponds en troisième lieu,  que ce privilège appartint au seul Abraham et n’était pas transmissible à d’autres, comme si la circoncision (comme le veulent les hérétiques) témoignerait de la justice de n’importe lequel individu dans lequel elle serait.  Car ce fut le privilège du seul Abraham d’avoir été le père de tous les fidèles, des incirconcis comme des circoncis.  Et aussi parce qu’il était le père des incirconcis puisqu’il crut quand il était encore incirconcis (Genèse X11), comme le dit aussi saint  Paul en commentant ce passage de la Genèse : « Il fut le premier de tous à recevoir le signe de la circoncision  pour que, de cette façon, il soit aussi le père de tous les circoncis. »  Ce privilège il l’avait donc  reçu pour prix de la justice qu’il avait acquise par la foi.  Voilà pourquoi le signe de la circoncision fut pour lui le signe de la justice de la foi.  En conséquence, pour les autres Juifs, la circoncision est aussi un signe, le signe qu’ils sont fils d’Abraham. Mais elle n’est pas, pour eux, le signe de la justice de la foi, parce que tous les Juifs ne sont pas des pères de nombreuses nations.
Que cela soit vrai, saint Paul lui-même nous le montre  en unissant ces deux choses, quand  il dit : « Il a reçu le signe de la circoncision, comme un sceau de la justice de la foi,  pour qu’il soit le père de tous les croyants. »  Tous les circoncis n’ont donc pas le sceau de la justice de Dieu, car ils ne sont pas tous les pères de tous les fidèles.  Une autre raison.   Saint Paul fait une distinction entre un signe et un sceau.   Le mot grec employé est sèmeion, qui signifie un signe en général.  Le mot grec employé pour sceau est sphragis, qui signifie proprement un sceau.
Pourquoi fait-il une distinction entre ces deux mots, si ce n’est pour indiquer que la circoncision  est pour tous un certain signe, mais qu’elle n’est un sceau que pour le seul Abraham, et non pour tous.  Troisièmement.   L’Écriture parle souvent de la circoncision, mais ne l’appelle jamais un sceau, en dehors de ce passage.  Il est certain que quand saint Paul (chapitre 111 aux Romains), demandait : «  Quelle est l’utilité de la circoncision ? », et qu’il répondait : « Grande de toutes manières », il aurait du, selon nos adversaires, indiquer son utilité principale, celle d’être le sceau de la divine promesse.   Mais il n’a même pas prononcé ce mot.
Le second argument de Calvin (au même endroit, verset 6) où il commente Genèse 1X, où il est dit  que l’arc-en-ciel  est appelé le signe de l’alliance entre Dieu et Noé;  et le chapitre XV11 où il est dit que la circoncision est un signe de la foi entre Dieu, Abraham et ses descendants.  Car, si l’arc-en-ciel et la circoncision furent des sceaux confirmant un pacte et une promesse de Dieu, pourquoi ne pourrait-on pas dire la même chose du baptême  et de l’eucharistie ?  Et il confirme en disant que, parmi les hommes, il est aussi d’usage de sanctionner des pactes par un signe externe, comme l’obligation encourue de sacrifier une truie, ou comme une poignée de mains.  Lesquels signes ne seraient rien si ne précédaient pas les paroles d’un pacte.
Je réponds que l’arc-en-ciel et la circoncision étaient des signes d’une alliance ou d’un pacte, mais pour aider la mémoire,  non pour confirmer la foi.   Comme nous avons dit plus haut que le baptême et l’eucharistie sont des signes commémoratifs  de la passion et de la mort du Christ. Il y a une grande différence entre un signe commémoratif et un signe confirmatif.  Car, un signe commémoratif peut-être ce que voit les yeux, même si toute son efficacité dépend de la promesse.   Il ne peut pas y avoir de signe confirmatif si toute l’efficacité dépend de la seule promesse.   Que l’arc-en-ciel et la circoncision aient été des  signes commémoratifs, la chose est évidente.  Car, ils dépendaient à ce point de la parole de Dieu que si quelqu’un n’avait pas  cru à la parole de Dieu, il n’aurait pas cru non plus dans ces signes. Et s’il avait cru dans la parole, il n’aurait pas eu besoin de ces signes.
Ajoutons que quand saint Jean Chrysostome a commenté ces textes, il a parlé ainsi de la circoncision  (dans son homélie 30 sur la Genèse) : « Accordons que le signe de la circoncision était en eux comme un mémorial perpétuel. » Et plus bas que la signe de la circoncision n’a pas été donné par Dieu pour que les hommes croient en lui, mais qu’il a été demandé à Dieu par les hommes, parce que Dieu ne croyait pas aux hommes : « Quand nous n’avons pas confiance en quelqu’un,  nous prenons soin de recevoir d’eux un signe qui tient lieu de gage.  De la même façon, connaissant l’inconstance des esprits, le Dieu de tous a voulu  leur demander un signe. »
Au sujet du signe de l’arc-en-ciel,  il dit, dans son homélie 28 sur la Genèse : « Que dis-tu, ô bienheureux prophète,  je me souviendrai, dit-il, de mon testament, c’est-à-dire de mon pacte,  de ma promesse, de mon engagement.  Non parce qu’il avait besoin de rappel,  mais pour que, regardant ce signe, nous ne soupçonnions  rien de pénible,  mais pour que nous nous souvenions tout-de-suite de la divine promesse, que nous en soyons fortifiés et confirmés.  En ce qui a trait à une confirmation par une coutume humaine, je réponds qu’il y a une grande différence entre  un pacte de Dieu et un pacte des hommes.  Car, parce que nous ne voyons pas l’âme d’un homme, que nous crayons qu’il nous trompe ou qu’il oublie le pacte, nous requérons un signe externe, pour pouvoir, par lui, le convaincre  s’il nie ou oublie son engagement.  Or, nous sommes certains que Dieu ne peut ni oublier ni se tromper.
Le troisième argument, Luther l’exprime dans sa captivité de Babylone en parlant des signes admirables par lesquels Dieu a coutume de confirmer ses promesses, comme la manne, la toison de Gédéon (Juges V1), et l’hombre du cadran solaire qui reculait.(Ézéchiel, 3, Rois XX).  Mais ces choses et d’autres semblables ne portent pas  vraiment sur le point en litige.  Car, puisque les miracles  ne dépendant pas de la parole, mais, étant des œuvres  surnaturelles, ont   leur force par eux-mêmes, on a raison de s’en servir pour prouver que c’est Dieu qui promet ou qui a vraiment promis quelque chose.
 Mais, sans la parole, les sacrements n’ont aucune force, comme nous l’avons déjà dit. Et c’est ce qui nous fait comprendre pourquoi saint Jean Chrysostome a pensé  que l’arc-en-ciel  n’était pas tant un signe commémoratif qu’un signe confirmatif. Il  estimait, en effet,  que cet arc-en-ciel avait été institué par un nouveau miracle, car voici ce qu’il dit : « Même si un déluge s’annonçait, il ne faudrait pas avoir peur, mais avoir confiance en regardant  ce miracle. »  Mais, comme  il est plus probable que l’arc-en-ciel ait été une chose naturelle, il nous faut dire qu’il ne fut qu’un signe commémoratif.
Le quatrième argument, les luthériens le tirent des paroles de la première épitre de saint Pierre (chapitre 111).  Car, dans son commentaire de ce passage, Luther veut que signifie pacte  le  mot grec éperotèma  qui a été traduit par interrogation.  Il l’explique ainsi : « Le baptême nous sauve, non en tant qu’il  lave le corps, mais en tant qu’il contresigne le pacte que l’âme a avec Dieu, quand elle reçoit sa promesse dans la foi. »  Il suit de là que le baptême est le sceau de la promesse.  C’est à peu près de la même manière que l’explique Calvin, même s’il ne voit pas dans le mot grec un pacte, mais une réponse et un témoignage.
Je réponds que ce passage comporte quelque obscurité, mais qu’il n’aide en rien la cause des adversaires.   Dans son commentaire de ce texte, Oecumenius  semble voir dans le mot interrogation un gage ou des arrhes.  Car, il dit que le baptême est comme un gage de bonne conscience, c’est-à-dire que ceux qui, sous l’inspiration de Dieu, ont conçu un bon désir, suivent une voie immaculée, la recherchent partout et s’enquièrent d’elle.  Voilà pourquoi, quand ils ont entendu dire que, par le baptême, l’âme était purifiée,  ils accoururent vite au baptême pour être purgés de leurs saletés.  Et c’est pour cette raison que le baptême est appelé le gage d’une bonne conscience.
Cette explication n’est pas favorable aux hérétiques, mais elle ne semble pas être conforme à la pensée du saint.  Car, saint Pierre attribue beaucoup plus de choses au baptême  que le seul fait d’être le gage d’une bonne conscience, puisque qu’il dit que nous sommes sauvés par le baptême.  Il y a une autre explication, celle de Lyre, Gagné, et Jean de Louvain, qui, par interrogation d’une bonne conscience,  entendent les interrogations et les réponses  qui se font avant le baptême.  Car, le prêtre interroge ainsi le catéchumène :  « Crois-tu en Dieu ?  Et il répond : J’y crois.  Renonces-tu à Satan et à ses pompes ?  --J’y renonce ».  Le baptême est profitable à ceux qui répondent à ces questions avec une bonne conscience.  Aux autres, il  n’est d’aucun profit.
Cette explication ne favorise pas non plus les hérétiques, mais ne semble pas être littérale.  Elle ne vient pas de saint Ambroise, de saint Basile, de saint Augustin, comme le pensait Jean de Louvain.  Car, Pierre fait une antithèse quand il dit : « non la déposition des saletés de la chair, mais l’interrogation d’une bonne conscience. »  Et, sans doute,  l’antithèse formelle sera la suivante :  non la purification des saletés de la chair,  mais la purification des saletés de l’esprit.  Par laquelle antithèse, il distingue notre baptême du baptême des Juifs, qui n’était qu’extérieur.  Or, la partie de cette antithèse  (la purification des saletés de l’esprit) n’est pas formulée par saint Paul en mots propres, mais figurés, comme tous l’admettent.  Il faut donc qu’elle soit  décrite par la cause ou par l’effet.  Si c’est par l’effet, leur explication n’a pas de raison d’être.   Car, l’interrogation et  la réponse dont ils parlent , ou même la foi et la charité,  qu’on détecte par ces interrogations,  précèdent le baptême.   Ils ne sont donc pas des effets de cette purification.
Il est donc nécessaire qu’ils disent que cette purification est décrite par la cause, et que, par conséquent,  l’interrogation qui précède le baptême est la cause de cette purification.  Or cela, on ne peut pas le dire.   Car, alors le sacrement aurait une efficacité qui vient de l’opération de l’opérant,  et non de l’œuvre opérée.   Car, on attribuerait la justification à la foi précédente, et à l’amour de celui qui reçoit le baptême, et non à la l’ablution du sacrement.  Et il n’y aurait aucune différence entre notre baptême et celui des Juifs.  Car même si le baptême juif ne justifiait pas  par l’œuvre opérée, il pouvait justifier par la foi et l’amour de celui qui le recevait, comme n’importe laquelle œuvre méritoire.
Ils diront peut-être que l’interrogation ou la foi précédente  n’est pas une cause efficiente de la purification interne, mais qu’elle en est une disposition.   On a raison de le dire, mais cela ne cadre pas avec les paroles de l’apôtre.  Car,  il attribue, lui, une plus grande  efficacité à l’interrogation de la bonne conscience, qu’à l’ablution externe, qui est cependant un instrument de la justification.
Il existe donc une autre explication que je pense être de saint Augustin (traité 80 sur saint Jean, et dans son sermon 30 sur des paroles du Seigneur), de saint Basile le grand (livre sur le Saint-Esprit, chapitre 15).  Selon eux,  est exprimée  la purification de l’esprit, qui, par antithèse, s’oppose à l’ablution de la chair, non par la cause, comme le voulait la précédente opinion, mais par l’effet.   Il existe en effet, une figure de style très connue qui a pour nom métonymie, selon laquelle par effet on entend la cause.  Pierre appelle donc l’ablution interne interrogation, ou réponse d’une bonne conscience envers Dieu,  car c’est de cette purification que nait la paix,  et le repos de la conscience.   Et aussi l’interrogation devant Dieu, parce qu’il ose accéder à Dieu avec confiance, et interroger, c’est-à-dire parler avec lui, et le prier pour lui et pour les autres.
Ajoutons , en second lieu, que ce texte ne favorise pas nos adversaires, mais plutôt nous, même si, par éperotèma on entend témoignage ou pacte.  Car, tout d’abord, saint Pierre ne parle  pas d’un témoignage ou d’un pacte de Dieu, mais de notre conscience.  Ils  devraient prouver, eux,  que le sacrement est le sceau d’un témoignage ou d’un pacte de Dieu.  Or, il y a une grande différence entre le témoignage et le pacte qu’ils veulent être contresignés par le sacrement,  et le témoignage ou le pacte de notre conscience.  Car cela c’est le verbe de Dieu écrit qui précède l’usage et le fruit  du sacrement, c’est-à-dire la justification. Le témoignage de la conscience suit la justification, et donc l’usage et le fruit du sacrement.
En second lieu, saint Pierre ne dit pas que par le baptême est contresigné le pacte ou le témoignage, mais il dit que les âmes sont sauvées, et que s’accomplit la justification, d’où nait le témoignage de la conscience.  Il le prouve cela par les mots : semblable par la forme.  Car, l’apôtre veut que nous soyons sauvés par les eaux du baptême de la même façon qu’ont été sauvés des eaux du déluge ceux qui étaient dans l’arche de Noé.  Or, les eaux du déluge n’ont pas sauvé l’arche de Noé  en témoignant ou en contresignant promesses, mais en maintenant l’arche sur les flots pour qu’elle ne périsse pas avec les autres édifices de ce monde.  De la même façon, le baptême nous sauve non en contresignant et en témoignant, mais en justifiant réellement l’âme.  Vient donc ensuite, comme nous l’avons dit,  un témoignage, et une interrogation de la conscience bonne en Dieu.
Le cinquième argument, les adversaires pourraient le tirer chez les saints pères qui appellent souvent le sacrement un cachet ou un sceau. Réponse.  Le sens que les pères donnent au mot sceau ou cachet est  très éloigné du sens que lui prêtent les hérétiques.  Ils en parlent, en effet, de trois façons.   Ils appellent les sacrements des sceaux parce qu’ils contresignent les fidèles, et sont comme des notes qui les séparent de ceux qui ne sont pas du troupeau ou de l’armée du Seigneur.  C’est dans ce sens qu’entend ce mot saint Basile (dans son exhortation au baptême), et saint Jérôme (Éphésiens, chapitre 1V), et saint Augustin (livre 19, chapitre 11, contre Faust, et ailleurs, souvent).  C’est ainsi qu’a employé le mot saint Grégoire  de Naziance (dans son sermon sur le baptême, pas loin du début).  Il dit, là, qu’on peut appeler le baptême un sceau, parce qu’il conserve l’homme baptisé,  comme les notes d’un roi conservent les choses contresignées.  Car, personne n’ose toucher aux choses qui portent le sceau d’un grand roi.
Ils appellent, ensuite, les sacrements des sceaux parce qu’ils renferment en elle  une  chose sacrée, c’est-à-dire la grâce invisible.   Car, ce qui est renfermé a coutume d’être contresigné, selon l’Apocalypse V : « Un livre scellé de sept sceaux. »  C’est aussi dans ce sens que saint Augustin appelle les sacrements des cachets sacrés  (dans le livre sur l’évangélisation des illettrés, chapitre 26,), et les scolastiques le sceau de la confession.  C’est à peu près dans ce sens aussi que saint Grégoire de Naziance (vers la fin de son sermon sur le baptême) appelle le baptême un sceau, du fait qu’il contresigne et clôt beaucoup de mystères qui ne sont expliqués qu’aux fidèles : « Tu apprendras en outre,  à l’intérieur, les choses   qui, pour toi aussi seront occultes et fermées, qui ont été contresignées et retenues par le baptême. »
Troisièmement, ils appellent le baptême un sceau, ou un contresigne de la foi, parce que le baptême est une approbation publique et une attestation de la foi de celui qui est baptisé.  Car, c’est ainsi que se sert de ce mot Tertullien dans son livre sur la pénitence, où il dit qu’on éprouve longtemps les catéchumènes pour savoir s’ils croient vraiment. Et que quand on s’est rendu compte qu’ils croient vraiment et fermement, le baptême leur est donné  comme un contresigne et une approbation de leur foi.  C’est de la même façon que parle saint Basile  dans livre 3 contre Eunome,  où il dit qu’il faut d’abord croire, et recevoir ensuite le sceau de la foi : le baptême.  Dans son livre sur le Saint-Esprit (chapitre 12),  il appelle le baptême le sceau de la foi, parce que c’est par ce signe que celui qui est baptisé atteste qu’il croit.
On peut aussi appeler le baptême sceau de la foi parce qu’il parfait et absout d’une certaine manière l’homme fidèle.   Comme les anciens appelaient la mort ou l’assassinat pour le Christ le sceau du martyre, comme Eusèbe le rapporte (livre 5, chapitre 3).  Car la confession des martyrs et les supplices endurés pour le Christ ne méritent pas une louange parfaite tant que dure le péril de l’inconstance ou du changement. Mais c’est  quand ils sont consommés par une mort précieuse qu’ils sont parfaits,  et qu’on peut les considérer comme  munis d’un signe et contresignés par un signe.
              Voilà qui devrait suffire pour la définition.
                           TROISIÈME CONTROVERSE
                            Les causes des sacrements
Nous disserterons d’abord sur les causes intrinsèques; ensuite, sur les causes extrinsèques.   Pour les causes intrinsèques, il y a aura trois questions.  La première : les sacrements consistent dans des choses comme matière,  et dans des paroles comme forme.  La deuxième : quelles sont ces choses et ces paroles ?  La troisième.  Ces choses et ces paroles sont-elles déterminées au point  qu’on ne puisse rien y changer ?
Première question.  Cette question est-elle disputée entre catholiques pour fomenter la discorde, ou pour en arriver à  une meilleure explication ou compréhension  des sacrements ?   Cette question, qui parait futile, est au contraire très utile et même nécessaire,  en raison des calomnies des adversaires, qui du fait que nous requérons, en en faisant un dogme, des choses et des paroles dans les sacrements, s’efforcent de montrer que, parmi ceux que nous considérons comme sacrements, plusieurs ne le sont pas.  Les sentences des docteurs sont variées.
La première vient d’auteurs récents qui veulent que, dans les sacrements,  la matière et la forme ne soient pas, au sens strict,  des choses,  et des paroles, mais qu’une chose sensible soit la matière, que ce soit une chose, une parole, ou l’une et l’autre,  et que la signification soit la forme.  L’enseignement communément reçu selon lequel la chose dans le sacrement est appelée matière, et la parole forme, ils disent qu’il vaut pour le sacrement pris matériellement.  C’est ce qu’enseigne Dominique a Soto  (1V, dist 1 quest 1, art 1 et 2).  Cajetan semble dire la même chose (3 par question LX, art 6), mais il précise que la signification du sacrement est une et simple, et qu’elle résulte du composé sensible des choses et des paroles.  Ce que Sotus ne dit pas.
L’autre sentence est de ceux qui enseignent que le sacrement lui-même, et non seulement sa partie matérielle, consiste de choses,  en tant que matière, et de paroles, en tant que  forme.  Comme saint Thomas (111 par quest LX, art, au second), et tous les anciens théologiens unanimement.  D’autres précisent que ce ne sont pas tous les sacrements qui consistent dans des choses et des paroles,  mais seulement quelques-uns.  Comme Durand (1V, dist  1m quest 3), et les théologiens  (dist 1, 3).
D’autres veulent que tous les sacrements soient constitués de choses et de paroles,  si les choses et les paroles sont prises au sens large pour des signes qui sont de vraies choses, ou qui en tiennent lieu.  Si on prend ces mots au sens strict, tous les sacrements ne sont pas constitués de choses et de paroles.  C’est ce qu’enseigne Dominique a Soto (1V, dst 1, quest 1, art 6), et aussi quelques auteurs plus récents.  Mais on peut, en partie,  concilier ces opinions divergentes.
Prenons d’abord la première opinion.  Il est probable que les sacrements de l’ancienne loi n’aient pas eu de chose et de paroles, mais seulement des choses.  C’est ce que pense saint Thomas ( 3 par quest LX, article 6, vers la fin).  La raison en est que, dans l’Écriture de l’ancien, où sont prescrits les principaux rites des sacrements :  Exode X11,  est prescrit le rite de l’agneau pascal , Lévitique V111, et est prescrit le rite de l’ordination.  De plus, la raison semble postuler  que les nouveaux sacrements institués par le Christ lui-même, soient des signes plus clairs (ou illustres)  que les anciens que Moïse a institués.
On peut objecter que dans  le Lévitique 1V, où sont prescrits des sacrifices pour le péché, (qui étaient aussi des sacrements de l’ancien testament, et  qui correspondaient  à notre sacrement de pénitence, comme l’enseigne saint Thomas, 1, 2,  question C11, art 1.), où  il est prescrit aussi que le prêtre prie pour ceux dont c’est le sacrifice.  Mais, on répond que cette prière du prêtre  ne faisait pas partie de l’essence du sacrifice pour le péché, mais que, dans l’administration du sacrement, on devait l’ajouter pour obtenir plus facilement ce que nous demandons.  Nous apprenons de tout cela que dans le sacrifice pour le péché du prêtre, on n’utilise aucune prière, mais seulement dans le sacrifice pour les péchés des autres, ceux du peuple.   Ce que l’on lit dans Nombres V au sujet des paroles prescrites dans les cérémonies  de type zélotes ne se rapporte pas à notre sujet, car cette cérémonie n’était pas un sacrement, puisqu’elle n’avait pas été instituée pour sanctifier, mais pour investiguer et punir un adultère.
La deuxième proposition.  Dans tous les sacrements de la nouvelle loi, on trouve des choses comme matière, et des paroles comme forme.  Cette proposition-là on ne doit pas la nier, comme elle sonne.  Car, on la trouve telle quelle dans le concile de Florence, dans l’instruction des Arméniens,  et elle a été faite avec l’approbation de tout le concile.  De plus, pour quatre sacrements, nous avons dans la sainte Écriture,  clairement exprimées, des choses et des paroles.  Le baptême (Matth 28)  : « Baptisez-les au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. L’eucharistie  (Matth XXV1) : « Cela (hoc) est mon corps. »  La confirmation (Actes V111) : où l’on lit une imposition des mains et une prière.  L’extrême onction : (Jacques V), où l’on voit une onction et une prière.  Il est donc crédible que les autres sacrements soient eux aussi constitués de choses et de prières, même si nous ne le  voyons pas dans les Écritures. Telle est la sentence commune des théologiens, à l’exception de Durand et de quelques autres, dont seule la façon de parler est à corriger, puisque, sur le fond, ils ne diffèrent pas tellement des autres.
La troisième proposition. On peut dire que ce n’est pas  seulement  ce qui est matériel dans le sacrement  qui est constitué de choses, comme matière,  et de paroles, comme forme,  mais le sacrement tout entier.   Cette proposition est en quelque sorte contraire à Cajetan et à Soto. Même si ce qu’ils disent est vrai en partie.    Il est à noter d’abord, que le sacrement n’est pas un composé naturel ou artificiel, mais qu’il a, avec l’un et l’autre, une certaine ressemblance. Si on le compare avec un produit artificiel,  sa forme est en partie sa signification, et en partie sa vertu opérative.  Les choses elles-mêmes sont la matière,  ainsi que les paroles  dans lesquelles résident  la signification et la vertu opérative.  Comme dans un composé artificiel, toute la substance est appelée matière,  et la forme  accident,  de la même façon,  le sacrement, en tant que signe, dit formellement une signification,  et, en tant que cause, il dit une vertu opérative, tout le reste appartenant à la matière ou au sujet. Et si on conçoit le sacrement de cette façon,  on donnera raison à Cajetan et à Soto.
On peut aussi considérer le sacrement comme étant semblable à un composé physique.  Car, comme dans un composé physique, la matière précède et la forme accède à ,  de la même façon, dans le sacrement la forme accède à la matière.   De plus, dans un composé physique, la matière est indéterminée, mais elle est déterminée par la forme. Il en va de même dans le sacrement.  La parole détermine l’indifférence de l’élément.  Donc, comme dans un composé physique,  la matière est imparfaite, la forme est parfaite,  et donne l’être à la chose.  De même, dans le sacrement, les paroles sont plus parfaites que les choses, puisqu’elles sont des signes plus clairs et plus importants.  Et c’est de cette façon seulement que la parole, avec sa signification est une forme, et que tout l’élément,  avec sa signification est une matière.
On le prouve d’abord, parce que c’est ainsi que parlent  le concile de Florence, et les anciens théologiens.  Car, ils disent que le sacrement est constitué d’une chose et d’une parole,  comme d’une matière et d’une forme. Et selon une signification éloignée, il n’y a pas de composition à partir de la chose et de la parole.  Car, il n’y a pas une autre union des choses  et des paroles, à moins que  la signification indéterminée  soit déterminée par la signification de la parole.  Le concile et les théologiens ne veulent donc pas que seul le sujet de la signification soit constitué de choses et de paroles,  mais que tout le sacrement soit aussi formellement un signe.
  De plus,  la composition d’une chose sensible et d’une signification n’est pas une composition de matière et forme,  en tant que parties essentielles,  mais c’est une composition du sujet et de l’accident.  Or, le concile et les théologiens disent  que les sacrements sont constitués de matière et de forme, non d’un sujet et d’un accident.  Ils ajoutent aussi souvent qu’on ne peut pas changer la matière ou la forme des sacrements,  parce qu’elles font partie de son essence  ou substance.
En second lieu, on le prouve par la raison.   Car, la signification du sacrement  n’est pas une signification simple, comme Cajetan l’enseigne, mais il y en a deux partielles,  avec lesquelles  on compose une totale, comme avec des parties essentielles.   On prouve l’antécédent de deux façons.  La première.  Avant que s’opère l’union de l’élément avec la parole, chacun avait sa signification propre.  Mais l’union ne fait  perdre aucune signification.  Car, la parole ne peut pas enlever la signification de l’élément, qui est donnée par la nature, mais seulement la déterminer, comme par exemple l’eau qui, par elle-même peut signifier n’importe laquelle purgation,  est déterminée par les paroles pour signifier la purification des péchés.  Les deux définitions de meurent donc toutes deux, mais s’associent pour que de deux significations partielles, se fasse une signification intègre et totale. Deuxièmement.  L’élément autant que la parole d’un sacrement signifie quelque chose, comme tous l’enseignent,  ainsi que saint Thomas (111 par quest 60, art 6,  à un et deux).  Mais  le mot ne communique pas  à l’élément sa propre signification, ni l’élément à la parole.  Ils sont donc deux, non une seule et même chose.
On prouve l’affirmation.  Parce que la signification de l’élément est naturelle, comme saint Thomas le dit ailleurs; mais la dignification de la parole est volontaire.   Donc, la signification de l’élément n’est pas communiquée à la parole,  parce que la signification de la parole deviendrait naturelle, et ne serait plus volontaire.   Et, la signification de la parole n’est pas communiquée à l’élément parce que la signification de l’élément deviendrait volontaire, et ne serait plus naturelle.
La quatrième proposition.  Pour qu’on puisse dire  que les sacrements sont constitués de choses et de paroles, il n’est pas nécessaire que les choses ne soient pas des paroles,  et que les paroles ne soient pas des choses,  mais il suffit que quelque chose soit employé qui tienne lieu de chose ou de parole.  Cette proposition concilie les trois dernières sentences. Car, comme nous le fait remarquer correctement Ledesmius, (question 1, article 6), entre nous et Durand, il n’est question de rien d’autre que de nom.
On prouve la proposition.    Car, dans le sacrement de pénitence, il peut arriver qu’il n’y ait d’autres signes que des paroles. Selon le consentement unanime des théologiens,  dans le sacrement de pénitence la forme est l’absolution, la matière éloignée les péchés, et la matière prochaine les actes du pénitent, c’est-à-dire la contrition,  la confession et la satisfaction, qui sont effectuées par un signe externe.  Il peut se faire que les seuls péchés qu’on a à confesser  aient été commis en paroles seulement.  La matière éloignée ne sera alors que des paroles.   Il peut aussi se faire qu’on ne  montre qu’en paroles des signes de contrition, de confession et d’expiation.  Car, il n’est pas de l’essence du sacrement que le pénitent pleure, gémisse, soupire ou se mette à genoux.  S’il ne dit qu’en paroles ses péchés, et s’il affirme qu’il est contrit et qu’il veut faire la satisfaction, on peut l’absoudre.  La matière première elle aussi ne sera alors que des paroles.  Il dit que sont quand même présentes dans le sacrement les choses et les paroles, parce qu’un péché commis en paroles est matière de confession, non en tant que parole, mais en tant que péché.  Le péché, formellement, n’est pas une  parole, mais une chose très distincte de ce qu’est une parole.
Ainsi, la confession n’est pas proprement la matière du sacrement,  en tant que prière quelconque, mais en tant qu’action d’un pénitent.  Car, comme l’enseigne saint Thomas, (1V dist 14, quest 1, art 1),  c’est une chose singulière dans ce sacrement que l’action de celui qui le reçoit soit une partie essentielle du  sacrement.  Car, entre les médicaments corporels, quelques-uns sont extrinsèques, comme des emplâtres qu’on applique aux malades,  et qui ne requièrent pas l’action du malade comme faisant partie du médicament;  et d’autres qui sont en partie extrinsèques et en partie intrinsèques, comme des potions qui requièrent la marche,  comme faisant partie du médicament.  De la même façon, certains sacrements sont appliqués et conférés par le ministre, en totalité, comme le baptême et l’eucharistie;  mais le sacrement de pénitence est appliqué en partie par l’absolution du ministre,  et requiert en partie l’action du malade (la contrition, la confession, la satisfaction).
Nous pouvons montrer la même chose au sujet de la forme.  Car, du consentement de tous, dans le sacrement du mariage, à la place des paroles, un signe de tête ou des lettres suffisent, pourvu qu’ils expriment suffisamment le consentement des deux parties.  Comme l’ont dit les papes Nicolas (27, question 2, canon sufficiat,) et le pape Alexandre (chapitre cum locum, sur les fiançailles et les mariages) : « Le consentement seul suffit pour opérer le mariage. »  Il ne faut pas entendre cette phrase au sens où le consentement intérieur suffise sans signes externe.  Car, le même Alexandre (au chapitre licet, sur l’épouse de deux) enseigne qu’il est nécessaire que le consentement soit exprimé par les paroles accoutumées.  Donc, cette phrase : « le consentement seul suffit pour effectuer le mariage » n’exclut donc  pas le signe par lequel est exprimé le consentement.
La quatrième proposition.  Il n’est pas nécessaire que, dans tout sacrement,  les choses et les paroles soient unies comme les parties essentielles d’une chose.  On doit noter, à ce moment, que le sacrement a une ressemblance avec les choses naturelles  qui sont composées d’une matière et d’une forme.  Mais  il n’est pas un vrai composé naturel, et voilà pourquoi ne sont pas requises toutes les propriétés de l’union de la matière et de la forme;  mais il suffit que quelques-unes soient repérées.
On prouve cette proposition avec le sacrement de l’eucharistie.   En effet, dans l’eucharistie,  du consentement de tous,  on trouve la chose qui tient lieu de matière, à savoir le pain,  et les paroles qui tiennent lieu de forme : cela (hoc) est mon corps, ceci (hic) est mon sang.  Et pourtant, ces choses et ces paroles ne sont jamais unies comme la matière et la forme dans les choses naturelles.  Car, ou bien le sacrement de l’eucharistie est seulement une chose consacrée, c’est-à-dire l’espèce du pain et du vin, en tant qu’elles contiennent le corps et le sang du Christ;  ou bien  la consécration ou la consommation des espèces, comme quelques-uns le veulent, peuvent être appelées sacrement.   Si on donne le nom de sacrement à la consécration,  nous aurons des paroles, mais pas de choses,  à partir desquelles le sacrement est composé, car toute la consécration consiste dans des paroles.   En effet, le pain et le vin ne jouent pas un rôle en tant que parties de la consécration, mais en tant que sujet sur lequel agit le prêtre, et dans lequel est reçue l’action du consacrant.
Si nous appelons le sacrement  une chose consacrée, ou une consommation, nous aurons alors une chose, mais nous n’aurons pas de paroles, à partir des quelles est composé le sacrement.  Car, par rapport à la chose consacrée, les paroles  ne sont pas une partie essentielle, mais un principe productif.  Car, la partie essentielle demeure dans la chose elle-même. Or, les paroles ne demeurent pas dans la chose consacrée, car, dès qu’elle commence à  être une chose consacrée, les paroles cessent d’y être.  Voilà pourquoi le concile de Florence (dans son instruction aux Arméniens) n’enseigne pas que les paroles de l’eucharistie soient une forme par laquelle est constitué le sacrement,  mais par laquelle   est opérée la consécration.  Car, voici ce qu’il dit : « La forme des sacrements ce sont les paroles du Sauveur par lesquelles est opéré le sacrement. »   Quand le concile enseigne que dans tout sacrement,  il existe une chose comme matière et des paroles, comme  forme,   nous ne devons pas entendre ces mots au sens d’un composé naturel.
On peut montrer la même chose pour le sacrement  de la confession.  Car, non seulement, comme nous l’avons déjà dit, la matière se trouve dans les paroles qui prennent la place des choses, mais il peut aussi arriver qu’on fasse un jour la confession,  et qu’à un autre jour soit donnée l’absolution, de façon à ce que la matière et la forme ne soient pas ensemble, ce qu’on ne trouve dans aucun composé physique ou naturel.   Voilà pourquoi autant le concile de Florence (dans son instruction aux Arméniens) que le concile de Trente (session 14, chapitre 4)  disent que, dans le sacrement de confession,  les actes du pénitent sont comme une matière, sans oser pourtant affirmer qu’ils soient une matière au sens strict.  Toutes ces réflexions nous font comprendre  que, dans les sacrements, la matière et la forme sont prises au sens large.  Et c’est ainsi  qu’on réfute toutes les objections qu’on a coutume de nous faire.
                                                 CHAPITRE 19
La parole qui, avec l’élément, fait le sacrement  n’est pas une parole de prédication mais de consécration.
Nous avons déjà dit que, dans les sacrements, les choses et les paroles sont requises, ce que nos adversaires admettent aussi.  Il ne reste plus de doute au sujet de la chose employée dans les sacrements, comme signe sensible et visible.  Car, tous admettent  avec nous que, dans le baptême, on doit employer de l’eau, et dans l’eucharistie,  du pain et du vin. Nous n’avons pas l’intention de discuter ici de la matière et de la forme des autres sacrements, car nos adversaires ne les considèrent pas comme des sacrements.
 J’ai le goût d’ajouter une chose.   Brentius  frôle le ridicule quand (dans sa confession de Wirtemberg,   au chapitre sur le baptême), il exclut l’extrême onction des sacrements en disant qu’il appartient aux éléments du monde, et qu’il fut en usage, chez les Juifs, dans les cérémonies de l’ancien testament.  Car, si cette raison valait quelque chose, il faudrait exclure aussi l’eau, car l’eau appartient plus aux éléments du monde que l’huile, puisqu’elle  est un des quatre  éléments du monde, et que l’huile n’est pas énumérée parmi les éléments, mais parmi les mixtures.  Et dans les cérémonies des Juifs, les ablutions d’eau étaient beaucoup plus fréquentes que les ablutions d’huile. Mais, omettons ces choses sur lesquelles  nous reviendrons plus tard.
Ici ce pose une question extrêmement grave sur  la parole qui, unie avec la chose, fait le sacrement.  Car, tous les catholiques enseignent que les paroles du sacrement sont quelques mots prescrits par Dieu  qui doivent être prononcés  sur la matière, par le ministre.  Comme dans le baptême, ces paroles : « Je te baptise, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit »,  ou dans l’eucharistie : « car cela est mon corps. »  Etc.  Or, Jean Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 4) soutient que la parole sacramentelle  ne fait rien d’autre que prêcher. Car, c’est ainsi qu’il parle : « On dit communément que le sacrement est constitué d’une parole et d’un signe externe.  Nous ne devons pas entendre la parole comme si, --ce qu’on ne peut affirmer que sans raison et sans foi,-- sur-le-champ, et comme par une opération magique, elle avait le pouvoir de consacrer un élément; mais pour que ce qui est prêché nous fasse comprendre  ce que le signe visible lui veut.  Ce qui s’est passé sous la tyrannie du pape, ne manque pas d’une énorme profanation des mystères.   Car, ils pensent qu’il suffit que, devant un peuple sans intelligence frappé de stupéfaction, un prêtre murmure une formule de consécration. »  Et plus bas : « Quand nous entendons faire mention de la parole d’un sacrement, nous entendons une promesse  qui, prêchée à haute voix par un ministre, amène le peuple de Dieu, comme par la main, et nous dirige  là où tend le signe. »  Mais, avant de prouver ou de réfuter quoi que ce soit, il faut expliquer avec soin la sentence de Calvin.
Il faut d’abord noter que Calvin et nos autres adversaires pensent et parlent autrement du baptême et de l’eucharistie, qui sont les seuls, pour eux, à être des sacrements proprement dits.  Car, dans le baptême, deux genres de mots sont requis, et dans l’eucharistie, un seul.  En effet, dans le baptême, ils requièrent une parole de prédication qui est prononcée par le ministre,  et qui explique la promesse divine.  Ils requièrent, ensuite, que, au moment où on  fait l’aspersion avec de l’eau, on dise en même temps ces paroles : je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »  C’est ce qui ressort du libelle de Calvin (sur la formule pour l’administration du sacrement)  et des lieux de Mélanchton (au chapitre du baptême), et de leur pratique quotidienne, et du fait que les catholiques ne rebaptisent pas ceux qui ont été baptisés par les luthériens ou les calvinistes.  Or, c’est ce qu’il faudrait faire si, en baptisant, ils n’employaient pas la véritable formule.
Mais dans le sacrement de l’eucharistie, les calvinistes (comme il appert de la formule de Calvin) ne requièrent pas d’autre parole qu’une parole d’instruction.  Car, ils prescrivent , en premier lieu, que soit récitée l’institution du sacrement, (chapitre X1 de la première des Corinthiens),  à peu près de la même manière que, nous à la messe, nous lisons la même épitre pour l’instruction des fidèles.  Ensuite, un prédicateur en donne l’explication.  Et,  tout de suite après, sans aucun signe de croix, sans aucune parole ou rite sacré, ils distribuent le pain et le vin.  Existe encore une autre formule des Anglais qui relèvent de Genève, dans laquelle, après la lecture de l’épitre aux Corinthiens, et d’un prêche, suit une action de grâces  que le ministre prononce à voix haute. Et après, sans paroles de consécration, le pain et le vin sont distribués.
Les luthériens n’agissent pas tous de la même façon.  Quelques-uns racontent les paroles de l’institution comme un récit purement historique, d’autres le récitent avec l’intention de consacrer,  et d’autres ne récitent rien.  Voir à ce sujet Kemnitius ( 2 par  de l’examen, page 346.).   Il suit de tout cela que les adversaires ont un vrai baptême, mais non une vraie eucharistie,  à part le petit nombre de ceux qui ont  ordonnés dans l’église catholique, et qui en emploient encore les mots.
Il faut noter ensuite, qu’on peut entendre de deux façons  l’enseignement de Calvin selon lequel  la parole sacramentelle est une parole de prédication.  Une première.  Il veut que la prédication  soit une partie essentielle du sacrement.  La deuxième.   La prédication n’est pas une partie du sacrement, mais n’est requise que pour que le sacrement porte ses fruits.  Et il est fort probable   que les luthériens qui, en plus de la prédication, emploient les paroles de consécration dans tous les sacrements,  ne requièrent pas la prédication comme essence du sacrement, mais comme le fruit qu’il doit produire.  En conséquence,  il n’y aura pas, entre nous et eux,  d’altercation à ce sujet.  Mais   avec ceux qui ne profèrent pas les paroles de consécration pour consacrer,  mais pour instruire,  et les appellent ouvertement prédication de l’évangile, comme  le fait Jean Brentius (dans son confession de Wirtenberg, chapitre sur l’eucharistie).
Calvin semble parfois parler de la parole de prédication comme d’une chose distincte du sacrement, comme quand il dit (livre 4, chapitre 14, verset 3), que le sacrement est comme un appendice de la parole.   Et, la plupart du temps, il en parle comme d’une partie essentielle du sacrement.  Car, dans les paroles déjà citées, il dit que le sacrement consiste en deux choses,  en signe et paroles,  et il ajoute que, par parole, il entend prédication.  De même, il applique à la parole de la prédication ce que dit saint Augustin : « La parole accède à l’élément, et le sacrement est produit. »  On ne peut douter que la parole est placée là dans l’essence du sacrement.   Car, au même endroit, saint Augustin  et Calvin citant Augustin,  dit : « Sans la parole,  qu’est l’eau sinon de l’eau ?»  Ce qui veut dire que l’eau, sans la parole, n’est pas un sacrement, mais un élément profane. »
 De plus, si la parole de prédication ne faisait pas partie de l’essence du sacrement, il n’y aurait, chez les calvinistes, aucune parole qui fasse partie de l’essence.  Car, dans ce sacrement, ils n’ont que la parole de prédication.  Ensuite, (dans son commentaire sur le chapitre V aux Éphésiens : « la purifiant par le lavement de l’eau dans la parole de vie »), Calvin dit : « Il appert que, dans la papauté, il n’y a aucune observation légitime des signes.  Car, ils se vantent d’en faire une sorte d’incantation,  comme s’il était destiné plus à un élément sans vie qu’aux êtres humains.  Aucune explication du mystère au peuple,  laquelle seule peut faire qu’un élément sans vie commence à être un sacrement. »   Prenez note des dernières paroles.
Ensuite, Théodore de Bèze enlève tout doute quand il écrit ainsi dans son livre qu’il a intitulé : la somme de la doctrine de la chose sacramentaire : «  Quelle est la cause formelle des sacrements ?  L’intention  de Dieu  comprise dans la parole divine, et expliquée par le ministre, selon le mandat qu’il a reçu.  Non la prononciation des paroles, ni aucune autre vertu cachée dans les mots. »  Ce qui nous fait comprendre que les paroles du baptême (je te baptise…) sont récitées aussi par les calvinistes quand ils versent l’eau, mais qu’elles  ne sont pas la forme du sacrement; que c’est le prêche qui précède qui est la forme,  et que les autres paroles appartiennent au rite, comme Théodore l’a indiqué.  Et que ces paroles ne sont pas proférées pour consacrer l’eau,  mais pour instruire le peuple.
Il faut noter, en troisième lieu, que nous différons des calvinistes en trois choses.  La première.  Nous enseignons, nous, que, dans tout sacrement, il est nécessaire que soient prononcées des paroles instituées par Dieu dans l’action elle-même du sacrement.  Ils enseignent, eux, que cela n’est nécessaire que pour le baptême.  La deuxième.  Nous enseignons, nous, que, pour l’essence du sacrement, n’est pas requise une parole de prédication.  Ils affirment, eux, qu’elle est requise.   La troisième.  Nous enseignons, nous,  que, pour l’essence du sacrement, sont requises certaines paroles conçues, qui sont consécratoires.  Et, ce sont ces paroles que nous appelons proprement paroles sacramentelles.
Mais eux, nient tout cela, et lui donnent le nom d’incantation magique.  Car, même les paroles du baptême, comme je l’ai dit, ils ne les récitent pas quand ils font une aspersion avec de l’eau,   mais quand ils instruisent le peuple, de façon à ce qu’elles fassent partie de la prédication. C’est ce qu’enseignent, comme je l’ai déjà dit, Brentius, les calvinistes et certains luthériens.  Voilà pourquoi ils utilisent, eux, la langue vulgaire dans les sacrements, et nous le latin. Car, eux veulent enseigner ceux qui ne comprennent pas le latin, et,  c’est Dieu que nous invoquons, nous, pour sanctifier l’élément, le Dieu qui comprend toutes les langues.
Voici donc la première proposition.  Non seulement pour le baptême, mais aussi pour  les autres sacrements, des paroles sont requises dans la célébration elle-même du mystère.  On le prouve.  Car, quand, dans l’eucharistie, le Seigneur bénit le pain,  il prononça certaines paroles : « Cela est mon corps qui est donné pour vous. »  (Luc XX11)  Et il ordonna, ensuite, que nous fassions la même chose : « Faites cela en souvenir de moi. »  Nous devons donc, nous aussi, nous servir de certaines paroles, si nous voulons faire ce qu’il a fait, comme il nous l’a commandé.
Ils diront peut-être que le Christ a commandé que nous fassions ce qu’il a fait, mais non de dire les paroles qu’il a dites.  Nous répondons que  le « faites cela » se rapporte à la totalité de l’action du Christ, qu’il comprend donc aussi les paroles.   Et, pour omettre maintenant d’autres arguments,  j’ajoute que c’est ce que nous avons appris de la tradition et de l’usage de l’Église. Cette tradition, si on ne la reçoit pas, peut rendre douteuse la forme même du baptême.  Car, où avons-nous pris que, pendant l’aspersion, il faut dire les paroles : je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ? Pas ailleurs que dans le dernier chapitre de Matthieu.  Ce qu’on ne peut  accepter que si on reçoit la tradition de l’Église.  Car, le Seigneur n’a pas dit : Dites je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,  et, pendant l’aspersion, il suffira de dire : au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
De plus, le Seigneur n’a pas dit non plus : Dites au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, mais : baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.  Ces paroles ne nous obligent pas à dire : au nom du Père etc, mais seulement à baptiser par l’autorité de Dieu, en tant que son ministre.  Ce qui peut se faire, mais si nous ne disons rien. Et on peut le démontrer par d’autres extraits.  Dans Marc (dernier chapitre), le Seigneur dit : « En mon nom, ils chasseront les démons,  ils imposeront les mains sur les malades,  et ils s’en porteront bien. »
 Et cependant, quand les apôtres voulaient guérir quelqu’un, il n’était pas nécessaire qu’ils disent au nom du Seigneur, mais il suffisait qu’ils le pensent.   Car, dans les Actes 1X, Pierre ressuscita Tahitha, et, dans les Actes X1V, Paul  guérit un boiteux sans aucune mention du nom du Christ.  Et, de même, en Matthieu XV111, le Seigneur a dit : « Quand deux ou trois seront réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. »  Et pourtant, il n’est pas nécessaire que disent des paroles ceux qui veulent se réunir au nom du Christ.  Il suffit qu’ils se réunissent par l’autorité du Christ.   De même, en Jean V, le Seigneur a dit : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez pas reçu. Si un autre vient en son nom, vous le recevrez. »  Le mot nom ne signifie rien d’autre  ici qu’autorité.
Que nous devions dire, dans le baptême «  je te baptise au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit », ce n’est pas seulement de l’Écriture que nous devons le ternir,  mais de l’Écriture à laquelle s’adjoint l’explication et la pratique de l’Église.  Or, si dans le baptême on reçoit l’autorité de l’Église,  pourquoi pas dans les autres sacrements  aussi ?
On peut prouver la même chose pour les autres sacrements,  bien que ce ne soit pas tellement nécessaire puisque les adversaires ne les reçoivent pas.  Dans la confirmation,  il est clair qu’il faut employer des paroles, car (Actes, chapitre V111), les apôtres priaient en imposant les mains.   Voilà pourquoi saint Cyprien écrit dans son épitre à Jubaianus : « C’est dans  l’imposition des mains, que l’Esprit-Saint est invoqué et répandu sur les baptisés. »  Saint Ambroise dit la même chose (livre 3, chapitre 2 sur les sacrements) : « Après la fontaine, il reste encore une chose, il faut  qu’arrive  la perfection quand, par l’invocation sacerdotale, l’Esprit Saint est répandu sur les fidèles. »  Saint Jérôme dit la même chose  dans son livre contre les Lucifériens, et saint Augustin (livre 3, chapitre 16, sur le baptême).
Dans le sacrement de pénitence, sont requises aussi des paroles, comme nous le montrent les paroles de  Jésus en saint Jean XX : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les aurez remis. »  Ce qui ne peut se faire sans paroles.   Voilà  pourquoi saint Jean Chrysostome (commentant ce texte) dit que, pour absoudre, « Dieu se sert et de la main et de la parole du prêtre ».  Et saint Léon (dans son épitre 91 à  Théodore) dit  qu’après le baptême, Dieu a préparé un remède de pénitence tel,  qu’on ne peut obtenir le pardon sans les supplications des prêtres.
 Dans le sacrement de l’ordre, sont requises aussi des paroles, comme l’enseigne  saint Ambroise (au chapitre quatre de la première à Timothée) : « Les impositions des mains sont des paroles mystiques, par lesquelles est confirmé celui qui est choisi pour une œuvre,  y recevant l’autorité, au témoignage de sa conscience,  pour qu’il ose, à la place du Christ, offrir un sacrifice  à Dieu. »  De même saint Jérôme (chapitre 18 d’isaïe), dit que l’ordination des clercs se fait par une prière vocale et l’imposition des mains.   Dans le sacrement de l’onction des malades,  l’épitre de saint Jacques (chapitre V)  nous montre clairement que des paroles sont requises : « Ils feront venir les presbytes de l’Église, et ils prieront sur lui, en l’oignant de l’huile au nom du Seigneur. »  Enfin, dans le mariage il est absolument évident qu’il ne peut pas y avoir de consentement mutuel sans qu’il soit exprimé par des paroles, ou des signes équivalents.   Voilà pourquoi Calvin, dans son livre sur la façon d’administrer les sacrements, veut que le mariage soit célébré dans l’église, même s’il ne le reconnait pas comme un sacrement;   et il prescrit certaines paroles à prononcer.
La seconde proposition.  Une parole de prédication n’est pas requise à l’essence du sacrement.   On le prouve d’abord négativement, par un argument tiré de l’Écriture, qui a coutume de faire un bon effet sur les adversaires, puisque dans  les choses divines, on ne peut rien faire sans paroles de Dieu, et qu’ils ne reconnaissant comme paroles de Dieu que celles qui sont écrites.  Dans l’Écriture, on fait mention du baptême dans Jean 111 : « A moins que quelqu’un ne renaisse etc ». Ensuite en Jean 1V, où nous lisons que le Seigneur baptisait par les apôtres.   De même, au dernier chapitre de Marc : « Celui qui croit et sera baptisé, sera sauvé. »  Et l’épitre à Tite, chapitre  3 : « Il nous a sauvés par le lavement. »  Et dans 1 Pierre 3 : « Le baptême vous a sauvés. »
 Mais, dans ces passages, il n’est pas fait mention de paroles ou de prédication.  Il y a deux endroits où il est fait mention de paroles.  Un premier, dans l’Épitre aux Éphésiens V : « La purifiant par le lavage de l’eau dans la parole de vie. »  Un deuxième,  le dernier paragraphe de Matthieu : « Enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »
Le premier texte doit être expliqué par le dernier.  Car, il s’agit là d’une règle générale, louangée même par les adversaires, que, quand la chose est possible, un texte soit expliqué par un autre. Et aussi parce que saint Jean Chrysostome,  Theodoret,  Theophylactus, Anselme et d’autres l’enseignent, en disant : « Dans la parole de vie, signifiez au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »  Comme, saint Jérôme qui, dans le commentaire de ce passage,  entend doctrine par parole de vie.   Mais il faut noter que saint Jérôme a omis l’explication littérale, et ne l’a expliquée qu’au sens mystique, c’est-à-dire, comme il le dit lui-même, tropologique.  Car, par lavage, il n’entend pas le baptême,  mais toute purgation qui peut se faire par la doctrine.   Tous les autres interprètes qui expliquent ce texte au sens littéral, entendent le baptême par lavement, et par parole, l’invocation de la très sainte Trinité.
Il ne reste donc plus que le dernier passage de Mathieu : « Enseignez toutes les nations, baptisez-les.  Pour ce passage, nous ne nions pas que nous ayons l’obligation de donner une instruction qui précède le baptême.  C’est ce que nous enseignons et ce que nous faisons.  Car nous ne baptisons aucun adulte  sans l’avoir longtemps et sérieusement instruit. Mais, nous nions  qu’en ce lieu, est prescrite une prédication  comme faisant essentiellement partie du sacrement.
Nous allons même plus loin, car nous disons qu’en ce lieu,   la doctrine est ouvertement  séparée du sacrement.  Car, c’est ainsi que les distingue saint Jérôme  dans ce commentaire de ce passage : « L’ordre principal qu’il a donné à ses apôtres est d’enseigner à toutes les nations, de les imprégner ensuite des mystères de la foi, et, après la foi et le baptême, il leur prescrivit ce qu’ils devaient observer »
Ce que nous avons dit du baptême peut se dire aussi de l’eucharistie.  Car, ni le Seigneur (Matth XXV1) ni Paul (1 Corinthiens 11) ne déclarent qu’il doit y avoir une prédication, quand on célèbre la cène du Seigneur.  Le Seigneur  n’eut non plus aucune prédication ni explication de l’eucharistie (que Calvin juge nécessaire)  dans la célébration elle-même de la cène.  Il fit,  après cela, un grand sermon que saint Jean a décrit (chapitres 14, 15, 16), mais qui ne se rapportait en rien à la dernière cène,  et parce qu’il eut lieu après la cène, et parce qu’il parla de toute autre chose que de la cène.  Que Calvin nous dise donc de quel évangile il a appris que la prédication est la forme du sacrement.
Une autre preuve que la prédication ne fait pas partie de l’essence du sacrement.  Car, s’il en était ainsi, on ne pourrait pas faire la distinction entre la fonction du prédicateur et celle du baptiseur.   Car, quiconque prêcherait  baptiserait par le fait même, quand il administre la forme du baptême. Et, inversement, celui qui baptise prêcherait, puisque le baptême n’est formellement rien d’autre qu’une prédication.  Or, cette sentence est contredite par saint Paul, quand il dit aux Corinthiens 1 : « Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser mais prêcher. »  Un commentaire attribué à saint Ambroise,  a bien écrit sur ce passage.  Car, il montre que baptiser est beaucoup moins important que prêcher, du fait que celui qui baptise  ne fait que prononcer des paroles solennelles et verser de l’eau, ce qui est très facile.  Voilà pourquoi saint Pierre  (actes X) après avoir prêché à Corneille, ne le baptisa pas lui-même,  mais ordonna qu’il soit baptisé par les ministres inférieurs.   Or, selon Calvin, on doit dire que celui qui baptise est celui qui a apporté la forme (la prédication) du baptême.
Troisièmement.  Si la forme du baptême était le sermon, les hérétiques auraient un faux baptême, et ils devraient donc être rebaptisés, car la prédication des hérétiques ne peut pas être vraie.  Or, l’Église approuve le baptême de certains hérétiques, pourvu qu’il soit donné avec les mots prescrits, c’est-à-dire « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », même s’ils y ajoutent un sermon pervers, comme l’enseigne saint Augustin (livre 3, chapitre 15 sur le baptême) : « Si c’est avec les paroles évangéliques (au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit) que Marcion administrait le baptême,  le baptême est intègre, même si sa foi, dans ses mêmes paroles, portait sur d’autres choses que celles que l’Église enseigne, des choses entachées de fausseté.  Car, sur ces mots (au nom du Père , du Fils et du Saint-Esprit),  non seulement Marcion ou Valentin, ou Arius ou Eunomius, mais les petits charnels eux-mêmes de l’Église auraient peut-être autant d’opinions qu’il y a d’hommes.  Car, l’homme animal ne perçoit pas ce qui est du Saint-Esprit. Ne reçoivent-il pas quand même intégralement le sacrement ? »
Le baptême des catholiques est donné sans prédication.  Bien que précèdent le catéchisme, les sermons et un grand nombre de prédications,  cependant, le jour même où a lieu le baptême,  on ne fait habituellement pas de prédication.  Et cependant, Calvin  ne prescrit pas qu’on doive rebaptiser les catholiques; il reconnait même que c’est un vrai baptême au livre 4, chapitre 14, verset 16 de ses institutions : « Tels sont aujourd’hui nos rebaptiseurs  qui nient que nous ayons été validement baptisés, nous qui avons été baptisés par des impies et des idolâtres, dans le royaume  papal. »
Comment faire coïncider ces deux choses contradictoires :  que la prédication soit la forme du baptême,  et qu’il puisse  y avoir un vrai baptême sans prédication ?   Comment concordent aussi ces paroles du livre des institutions avec les paroles de Calvin ci-haut citées (de son commentaire sur le chapitre V de l’épitre aux Éphésiens), où il dit que, chez les papistes, il n’y a aucune observance légitime des signes, que leur manque l’explication au peuple, qui est la seule à faire  qu’un élément mort commence à être un sacrement ?
Sixièmement.   Si la forme du baptême était la prédication, il ne faudrait certes pas baptiser les enfants, car il ne devrait pas y avoir de prédication là où il n’y a personne  qui écoute ou comprenne.  Car le sage avertit (Eccles XXX11) : « Là où il n’y a pas d’écouteur tu ne feras pas de sermon. »  Or, les petits ne comprennent rien, ne font attention à rien et ne peuvent rien  comprendre.  On ne doit donc pas leur faire un sermon;  ils ne peuvent donc  et ne doivent  donc pas être baptisés.
On a coutume de répondre de deux façons à cette objection, car quelques-uns, comme les luthériens, prétendent  que les petits entendent les sermons.  Mais, nous avons déjà réfuté cela  par le dilemme de saint Augustin dans l’épitre à Dardanus.  Le voici.  Ils ont l’âge de raison, ou ils ne l’ont pas.   S’ils ne l’ont pas, ils ne comprennent donc pas.  S’ils l’ont, ce sont des sacrilèges puisque,  de toutes sortes de façons, ils récusent le sacrement, comme l’expérience le démontre.
 D’autres, comme Calvin, (livre 4, chapitre 16, verset 20),  enseignent que les enfants ne reçoivent pas utilement les sacrements au moment de leur baptême, mais qu’ils reçoivent vraiment un sacrement qui leur sera utile plus tard.  Mais cette réponse-là n’est pas suffisante.  Car, si la prédication de la parole est, non moins que l’eau,   de l’essence du baptême, elle doit l’atteindre autant que l’eau, autrement elle serait inutile, et il n’y aurait pas de sacrement.   En effet, si le ministre aspergeait un enfant avec de l’eau et que l’eau n’atteignait pas l’enfant, personne ne dirait que l’enfant a été baptisé.  De la même façon, si l’on fait un sermon qui ne rejoint pas l’enfant, aucun calviniste ne devrait dire que l’enfant a été baptisé.   Car le sermon n’est vraiment perçu que quand il est compris.  Car on ne peut dire qu’il est catéchisé celui qui ne perçoit pas un sermon, même s’il l’entend de ses oreilles.  Les enfants ne perçoivent donc pas la forme du sacrement , et le sacrement non plus.  Que les calvinistes se fassent des anabaptistes, ou qu’ils cessent de faire entrer le sermon dans l’essence du sacrement.
La troisième proposition.    Est requise à l’essence du sacrement une certaine formule qui consacre et sanctifie l’élément,  plus qu’elle n’instruit les participants.   Cette proposition est contre non seulement Calvin, mais aussi contre Brentius,  et les autres luthériens, tous  ceux qui veulent que les paroles de la consécration soient prononcées pour instruire le peuple, et non pour consacrer la matière.  Voilà pourquoi ils estiment  qu’il est néfaste que ces paroles soient prononcées en latin, devant un peuple qui ignore cette langue.
On prouve cette proposition.  Les paroles prescrites par le Seigneur pour le baptême n’ont pas l’aspect d’une instruction, mais d’une invocation et d’une bénédiction.  Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner les paroles du Christ.  Car, il n’a pas dit :  Enseignez à toutes les nations le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.  Les paroles « au nom du Père… » se rapportent à l’acte du baptême, on à  un acte d’enseignement.  Voilà pourquoi elles raisonnent comme une invocation de la Trinité sur l’aspersion de l’eau, et non comme une instruction.  C’est le sens que prend cette façon de parler dans d’autres passages : Matthieu, dernier chapitre : «  En mon nom, ils chasseront les démons. »  Matthieu V11 : « N’avons-nous pas chassé les démons en ton nom ? »  etc.   De plus, si ces paroles appartenaient à l’instruction, elles seraient très imparfaites.   Car, on ne doit pas enseigner aux catéchumènes seulement la trinité, mais aussi l’incarnation, la passion du Seigneur, et surtout la promesse de la grâce pour l’obtention du mérite. Or, en ces mots, aucune mention n’est faite de ces mystères.
En second lieu, les paroles du mystère eucharistique qui ont été rapportées par l’apôtre Paul ne sonnent pas comme des paroles d’instruction, mais de bénédiction et de consécration.  ! Corinthiens X : « Le calice de bénédiction n’est-il pas une communication du sang du Christ ? »  On pourrait employer le même exemple pour les autres sacrements, si nos adversaires les recevaient.  Voir, quand même, ce que nous avons dit  pour la confirmation de la première proposition.
 Troisièmement, on le prouve par les paroles de l’apôtre : 1 Corinthiens 1 : « Est-ce que c’est Paul qui a été crucifié pour vous, ou est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisé? »  Saint  Paul veut démontrer là que les acteurs des sacrements ne sont pas les hommes qui les administrent, mais Dieu.  Et il le prouve en ajoutant qu’ils ne sont pas donnés au nom des ministres, mais au nom de Dieu, c’est-à-dire du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.  Dans les paroles sacramentelles, le nom signifie donc l’invocation, qui nous fait connaitre l’autorité.  Voilà pourquoi saint Jean Chrysostome écrit : « Ne me dis pas qui a baptisé, mais au nom de qui;  ne cherche pas à savoir qui baptise, mais qui invoquons- nous dans le baptême ?  Voir à ce sujet et sur cet argument Optatus de Milet (livre V contre Parmenianus).
Quatrièmement. On prouve la même chose avec la tradition des conciles.   Car, le concile de Nicée (canon 19), ordonne que soient rebaptisés les Paulianistes.  La même chose a été statuée par le concile de Laodicée (canon 8).  À l’inverse, le concile d’Arles 1 de la même époque (canon 8)  et le pape Siricius  (épitre 1, chapitre 1), ordonnent que les Ariens ne soient pas rebaptisés.   On ne peut trouver  d’autre cause de cette différence de décisions que celle que donne le pape Innocent 1 (épitre 22, chapitre 5) : les paulinistes et les  cataphyges non seulement ne croyaient pas à la trinité,  mais ils ne baptisaient pas avec l’invocation de la trinité.   Les Ariens, par contre,  baptisaient au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, même s’ils ne croyaient pas à la trinité d’une seule essence.  Et, il est certain, en ce qui a trait à l’instruction et l’explication, que les ariens erraient  autant sur la Trinité que les paulianistes ou les cataphryges.  Ce n’est donc pas l’instruction mais l’invocation qui parfait le baptême.
Cinquièmement, on le prouve par les pères qui, lorsqu’ils parlent des paroles des sacrements,  ne font jamais mention d’une instruction, mais d’une invocation et d’une consécration.   Exemples.  Denys l’aréopagite (dans son livre sur la hiérarchie ecclésiastique, dernier livre) donne aux paroles sacramentelles le nom d’invocations consécratoires.     Justin (dans son apologie à Antonin le Pieux) déclare : « Sur celui qui a décidé qu’il devait renaître,  est invoqué le nom du créateur de toutes choses, le Seigneur Dieu.  Et c’est lui seul que nous invoquons quand on conduit quelqu’un aux fonts baptismaux. »  Et, plus bas : « C’est au  nom aussi de Jésus crucifié,  ainsi qu’au nom de l’Esprit Saint qu’est purifié dans l’eau celui qui est illuminé. »
Saint Basile (au livre du Saint-Esprit, chapitre 15) : « C’est par trois immersions,  et autant d’invocations de la trinité, qu’atteint sa perfection le grand mystère du baptême. »  Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 3) : « Par l’invocation du Père, du Christ et du Saint-Esprit, l’eau a pour effet la sainteté. »  Saint Athanase (sermon contre les Ariens, vers le milieu) : «Quand nous sommes initiés par le baptême, pourquoi faisons-nous mention du nom du Fils avec celui du Père ?  Car, dire que le père ne suffit pas à lui seul, ce serait un blasphème. »  Il enseigne là que, dans le baptême, trois personnes sont nommées, non parce qu’une seule ne suffit pas à sanctifier un homme,  mais parce que, dans l’unité de nature,  elles sont inséparables.   On peut en déduire qu’il veut que les paroles du baptême ne soient pas  prononcées pour l’instruction du peuple, comme le soutiennent les hérétiques,  mais pour invoquer Dieu qui nous sanctifie par les paroles.
Saint Grégoire de Nysse (dans son livre sur le baptême), écrit : « Cesse de te battre avec moi, et oppose à toi-même , si tu le peux, les paroles du Christ qui ont institué, pour les hommes, l’invocation du baptême.  Quelles sont donc les paroles du précepte du Seigneur ? « Baptisant les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »  Et, plus bas : « Soumettons-nous au Père pour que nous soyons sanctifiés. »  Saint Cyprien, ou quiconque a été l’auteur du sermon sur le baptême du Christ, dit, près du début : « Célèbrent visiblement le sacrement la solennité des paroles, l’invocation du saint nom, et les signes attribués aux ministres sacerdotaux  par les institutions apostoliques.  La chose elle-même c’est l’Esprit-Saint  qui la forme et l’effectue; et c’est l’Auteur de toute bonté qui, par des consécrations visibles, appose sa main. »
 Saint Ambroise (livre 2, chapitre 3 des sacrements),  dit : « Le prêtre est venu, il a dit la prière sur les fonts baptismaux, invoqué le nom du Père, la présence du Fils, et du Saint-Esprit, en se servant de paroles célestes. C’est dans les  paroles célestes qui sont celles du Christ,  que nous baptisons au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.   Si donc  à la parole d’un homme, à l’invocation du Saint  sera présente la Trinité, combien plus présente sera-t-elle là où opèrera une parole éternelle ? »  Il dit la même chose au sujet des paroles de l’Eucharistie  (livre 4, chapitre 1, sur les sacrements).
Saint  Augustin (livre 3, chapitre 10 sur le baptême, contre les donatistes), dit : « Ce n’est pas une eau profane et adultère, sur laquelle le nom de Dieu est invoqué,  même s’il est invoqué par des profanes et des adultères, car ni la créature ni le nom ne sont  adultères.  Car, le baptême consacré avec les paroles évangéliques du Christ  par des adultères et pour des adultères est saint, même s’ils sont impudiques et immondes, parce que sa sainteté ne peut pas être polluée, et que le sacrement a l’assistance d’une vertu divine. »  Et (dans le livre V, chapitre 20) : « Si donc ce qui est dit dans l’évangile, à savoir  que Dieu n’écoute pas un pécheur,  signifie que, par un pécheur, les sacrements ne sont pas célébrés, comment exauce-t-il un homicide qui le prie ou sur l’eau du baptême, ou sur l’huile, ou sur l’eucharistie,   ou sur la tête de ceux sur lesquels ils impose les mains?  Toutes choses qui se font et qui valent, même quand elles sont  faites par un homicide. »
                                       CHAPITRE 20
                             On répond aux objections
La première, celle de Jean Calvin. Il la tire d’une œuvre de saint Augustin (le traité 80 sur saint Jean).  Après avoir dit : « D’où vient cette  vertu à l’eau qui lui fait purifier  le cœur en touchant le corps  ? », il ajoute : « À moins que la parole fasse cela non parce qu’elle est  dite, mais parce qu’elle est crue.  Car, dans la parole elle-même, autre est le sens transitoire,  autre la vertu permanente. Voilà la parole de Dieu que nous prêchons.  C’est pourquoi, dans les Actes des  apôtres, on lit : « Purifiant leurs cœurs par la foi. »   Et l’apôtre Pierre : « C’est ainsi que le baptême nous sauve.  Non  la déposition des saletés de la chair, mais l’interrogation d’une bonne conscience. Voilà quelle est la parole de Dieu que nous prêchons.»  Je réponds que ce passage a coutume de donner des maux de tête à certains.   Il ne peut quand même pas être si obscur,  puisqu’il fait partie d’un sermon adressé au peuple, à moins de penser que le saint docteur avait coutume de prêcher par des énigmes que seul un Œdipe peut solutionner.
Je rapporterai donc ce que pensent les autres, et ce qui ne semble pas avoir été exprimé correctement.  Calvin estime que tout ce passage doit s’entendre d’un sermon.  Mais il se trompe visiblement.   D’abord, parce que saint Augustin a dit : « Enlevez la parole,  qu’est l’eau sinon de l’eau ? »  Or, si on enlève la parole du prêche, l’eau n’est plus de l’eau pure,  mais de l’eau sacrée et sacramentelle.  Car, chez nous, il n’y a aucun sermon avant le baptême,  et ce baptême est un vrai sacrement, comme le reconnait Calvin lui-même (livre 4, chapitre 15, verset 16).
Ensuite, saint Augustin dit : « La parole accède à l’élément , et le sacrement prend forme. »  Or, le prêche n’accède pas au sacrement, mais le précède, comme l’enseigne le même Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 3).  Il aurait donc fallu qu’il dise : « L’élément accède au verbe, et le sacrement existe. »   Troisièmement.  Saint Augustin a dit : « D’où vient à l’eau une telle vertu que, en touchant le corps, elle purifie le cœur,  à moins que ce soit la parole qui agisse ? »  Et plus bas : « On n’attribuerait pas la purification  à un élément  fluide et salissant, s’il n’était pas ajouté à  la parole. »  Saint Augustin reconnait là que l’eau possède le pouvoir de purifier, mais que ce pouvoir elle ne le tient pas d’elle-même mais de la parole.  Or, le prêche n’attribue rien à l’eau, car tout est référé à l’instruction des auditeurs, non à la sanctification de l’eau.  Bien mieux, Calvin nous fait cette obiection plutôt absurde  (dans son commentaire du chapitre 5 aux Éphésiens) à savoir  que, dans les sacrements, nous référons les paroles à la consécration des éléments plutôt qu’à l’instruction du peuple.
Quatrièmement.  Saint augustin dit : « Pour qu’elle puisse purifier, elle est consacrée par la parole, et c’est le baptême. »  Et le même Augustin enseigne que la parole par laquelle le baptême est consacré est l’invocation : au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.  C’est ainsi qu’il parle dans son livre sur le baptême (livre 3, chapitre 15  contre les Donatistes) : « Si Marcion consacrait avec ces paroles : au nom du Père etc, son sacrement serait valide ». Ce qu’il répète un peu partout.
Cinquièmement.   Augustin a dit : « Cette parole de foi ne vaut que dans l’Église de Dieu.  Elle  purifie l’enfant qui, par elle, croit et offre, même s’il ne peut pas encore croire d’une façon qui le justifie, ni confesser de bouche son salut. »  Or, comme chacun le sait,  la parole de la prédication n’est profitable que si on croit en acte.  Saint Augustin ne parle donc pas de la parole de prédication.
 Après avoir rejeté la sentence de Calvin, quelques catholiques enseignent que, loin de parler des paroles de la prédication, il parle de celles  de la consécration et de l’institution des sacrements.  Car, c’est ce qui, à sa manière, effectue le sacrement,  consacre les eaux, purifie l’enfant etc.  Mais on ne peut pas, non plus, admettre cette explication, car elle n’enlève pas l’objection  que nous font les adversaires par ces paroles : « Non parce que la parole est dite, mais parce qu’elle est crue. »  Et ensuite : « Voilà la parole de foi que nous prêchons. » .
 Ces paroles, saint Augustin les répète trois fois  dans ce texte.  Il n’y a rien, en effet, dans ces paroles,  qui cadre avec les paroles de l’institution des sacrements.  Car, les paroles de l’institution ne tirent pas leur force du fait qu’elles sont crues, mais de ce qu’elles sont dites par le Seigneur,  qui seul peut, avec des éléments, faire des sacrements.  Les paroles institutionnelles  ne sont pas, non plus,  proprement, le verbe de foi que nous prêchons. Car, au même endroit, saint Augustin explique ce qu’est la parole de foi, quand il dit : « Si tu confesses  avec ta bouche que Jésus est le Seigneur, et si tu crois de tout ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. »
En second lieu, en plus de la parole dont il parle ici, il ne reconnait pas, dans le sacrement, une autre parole, mais un élément seul et nu, comme il appert de ces paroles : « Enlevez la parole, qu’est l’eau, sinon de l’eau ! »  Et aussi : « La parole accède à l’élément, et le sacrement est produit. »  Et aussi : « D’o ù vient que l’eau possède une vertu telle qu’en touchant le corps, elle purifie le cœur,  si ce n’est par l’action de la parole? »  Cette parole n’est donc pas la parole  de l’institution, puisqu’il est certain  que,  en plus de la parole de l’institution, les sacrements sont formés de mots et d’éléments, et ne sont pas des éléments nus.
D’autres catholiques pensent  que saint Augustin ne parle que des paroles cérémoniales ou consécratoires.  Cette sentence est certainement meilleure que les deux précédentes, mais elle a le petit inconvénient de ne pas pourvoir expliquer pourquoi  saint Augustin allègue  ces paroles de l’épitre aux Romains (chapitre X) : « Voilà la parole de foi que nous prêchons. Si tu les confesses de tout ton cœur… »  Ni pourquoi, un peu avant, il a  allégué ces paroles des Actes (chapitre 15) : « Purifiant par la foi leur cœur. »  Et ces paroles de saint Pierre (1, 111) : « Non la déposition des saletés de la chair, mais l’interrogation d’une bonne conscience. »  Et, enfin, ces paroles de Jésus en saint Jean (chapitre 15) : « Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite. »  Car, on ne peut pas,  sans forcer la note, voir en elle les paroles de consécration, et  à moins de faire de la prédication populaire une énigme.
Je dis donc que, dans cette citation,  saint Augustin ne parle pas toujours de la même parole.  Il parle  tantôt de la parole de consécration, tantôt de la parole de prédication,  comme il est facile de s’en rendre compte par les arguments.  Tu diras donc que saint Augustin se meut dans une équivoque perpétuelle,  puisque, dans les mêmes sentences,  il entend différemment le mot parole.  Par exemple, après avoir   dit : « D’où vient une telle vertu à l’eau,  qui lui permette de purifier le cœur quand elle touche le corps, à moins que ce soit la parole qui le fasse ? »  Il ajoute : « Non parce qu’elle est dite, mais parce qu’elle est crue. »  Où il parle clairement de la parole de prédication.
 Donc, ou bien il parlait aussi, avant, de la parole de la prédication,  ou il commet une vicieuse équivoque.  De plus, pour prouver que l’eau tire sa force de la parole, il cite ce témoignage de saint Paul aux Romains (chapitre X) : « Voilà la parole de foi que nous prêchons.  Or, si tu la confesses… » Et cette autre citation des Actes : « Purifiant leur  cœur par la foi. »  Et cette autre de Pierre (1, 111) : « Non la déposition des saletés du corps, mais l’interrogation d’une bonne conscience. »  Et, il ajoute : « Voilà la parole de foi que nous prêchons. »  Qu’est-ce que prouve saint Augustin, je le demande, s’il parle d’une façon équivoque ?
Enfin,  après avoir dit, dans le dernier sermon,  que l’eau purifie l’enfant par la parole, il ajoute tout de suite après : « Tout se fait par la parole de laquelle le Seigneur a dit : « Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite. »  Paroles qu’on ne peut entendre que des prédications du Seigneur.  Alors, pourquoi les paroles précédentes ne devraient-elles pas être considérées comme des paroles de prédication,  et non de consécration, comme nous le disions un peu avant ? Autrement, il y aurait, dans ces paroles, une équivoque intolérable.
Je réponds qu’il n’y a aucune équivoque dans les paroles de saint Augustin.   Il avait entrepris l’explication de ces paroles du Seigneur en Jean XV : « Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite. »  En expliquant ces paroles, il s’est posé la question suivante : pourquoi le Christ n’a-t-il pas dit : vous êtes purs à cause du baptême qui vous a lavés.  Car, même si la parole de Dieu qui est prêchée purifie, dans la mesure où elle engendre la foi, qui est le début de la justification,  le baptême, lui aussi, purifie,  puisqu’il efface immédiatement toutes les saletés des péchés.  À cette question, il répond que le Christ  a dit : vous êtes purs à cause de la parole, et non à cause du baptême, parce que, dans toute purification, qu’elle se fasse dans le sacrement ou en dehors du sacrement,  la vertu de purification vient toujours de la parole.  Car, si la purification a lieu en dehors du sacrement,  il faut nécessairement que ce soit par la foi actuelle, car, (Romains X),  la foi vient de l’audition,  et l’audition vient de la parole du Christ.
Si la purification se fait dans le sacrement,  c’est l’élément qui purifie, mais, pour qu’il purifie ou puisse purifier, on lui ajoute la parole de consécration.  Car, la purification vient toujours de la parole.   Voilà pourquoi ces paroles de Jésus (vous êtes déjà purs…), il ne les restreint pas à la parole de prédication, mais les prend au sens général du mot.  Et, dans tout le reste du sermon, il ne cherche à prouver qu’une chose : toute purification se fait par la parole.  Voilà pourquoi  il présente pêle-mêle des arguments et des témoignages tantôt au sujet de la parole sacramentelle, tantôt au sujet de la parole de prédication, pourvu qu’ils démontrent que c’est la parole qui purifie.
Cette réponse nous permettra  d’expliquer facilement trois textes, qui semblent comporter une équivoque vicieuse.  Le premier : «  D’où l’eau tire-t-elle une telle vertu qu’en touchant le corps elle purifie le cœur, si ce n’est parce que c’est la parole qui le fait, non parce qu’elle est dite, mais parce qu’elle est crue ? »  Certains entendent ces paroles de cette façon :  à moins que ne soit présente une foi en acte dans les adultes,  et étrangère dans les enfants,  le sacrement n’a aucun effet.   Mais cela n’est pas tout à fait vrai.   Parce que bien que, dans les adultes,  la foi soit requise comme une disposition qui nous permette de recevoir fructueusement le sacrement, ce n’est quand même pas cette foi qui donne à l’élément le pouvoir de purifier.  Car la foi n’a pas le pouvoir de purifier parce que je crois, mais parce que le sacrement a été institué par Dieu.
 Car, ce que demande Augustin c’est d’où vient la vertu de l’eau,  non à qui profite-t-elle.  Donc ce : « non parce qu’elle est dite, mais parce qu’elle est crue », signifie que la parole sacramentelle  ne donne pas un pouvoir à l’eau en tant qu’elle est une chose naturelle, c’est-à-dire , de l’air frappé, car, ainsi, la parole n’est pas meilleure que l’eau, mais en tant qu’elle est une chose spirituelle connaissable par la seule foi, en tant donc qu’elle contient l’invocation de la trinité, (comme le signe de la croix et le nom de Jésus sont honorable et ont le pouvoir de faire des miracles,  et de chasser les démons, non en tant que choses naturelles, et perceptibles par les sens corporels,  mais en tant que représentant des choses divines), de telle sorte que le sens est : non parce que la parole est dite, mais parce qu’elle est crue, c’est-à-dire non en tant qu’elle est perçue par les oreilles, mais en tant qu’elle est perçue par la foi.
Que ce soit là le sens véritable de ce passage, on le voit par ce qui suit : « Car, dans cette parole, autre est le son transitoire, autre est la vertu permanente. »  Il appelle, là,  son  transitoire ce qu’il avait appelé parole dite.  Et il  appelle vertu permanente ce qu’il avait appelé parole crue.  De plus, ce « parce qu’elle est crue »,  signifie ou bien parce qu’elle est crue en acte, ou parce qu’elle est l’objet de la foi, et donc, une chose perceptible par la foi.   Il ne peut pas signifier ce qui est cru en acte, car, aucune foi en acte, n’est rigoureusement nécessaire au baptême.  Car, n’est pas requise la foi actuelle de celui qui reçoit le baptême,  comme il appert des jeunes,  dont saint Augustin dit qu’ils sont vraiment purifiés par la parole dans le sacrement,  même s’ils ne peuvent pas croire consciemment, et professer leur foi de vive voix.  N’est pas requise non plus, ni la foi du ministre, ni celle des parents, ni  de quiconque, comme saint Augustin le prouve (dans l’épitre 23 à Boniface), où  il dit que les enfants sont vraiment purifiés, même s’ils sont baptisés ou présentés  par des infidèles.  La foi actuelle de qui, donc,  est requise si n’est requise ni celle du  baptisé, ni du baptiseur, ni du parrain ?
Tu diras qu’est requise la foi de l’église.  Mais qu’arriverait-il  si, pendant qu’un enfant est baptisé par un infidèle,  personne, dans l’église, ne faisait un acte de foi ? Que se passerait-il, si, par impossible, toute l’église périssait, et un Turc quelconque qui a une certaine connaissance de nos cérémonies, baptisait un enfant avec l’intention de faire ce que le Christ a institué et ce que fait l’Église ?  Il est certain que cet enfant serait baptisé.  Il est vrai, cependant, ce qu’enseignent Augustin et d’autres,   que les enfants sont baptisés dans la foi des parents et de l’Église,  parce que, en fait, si personne n’était croyant, personne ne se mettrait en frais de faire baptiser un enfant.  Ce qui ne prouve pas que la foi actuelle est requis , de sorte que, sans elle, le baptême serait infructueux.
On doit noter ici avec soin que saint Augustin ne nie pas que la parole, en tant qu’elle est dite, et en tant qu’elle est une chose sensible,  ait une vertu.  Car si l’eau, par elle-même, a le pouvoir de purifier, à combien plus forte raison la parole, même en tant que sensible.  Ce qu’il nie c’est que cette vertu vient de la  parole en tant que chose sensible.  C’est donc le sacrement en totalité qui a une vertu, mais il l’a par la parole,  en tant que la parole est une chose spirituelle, connaissable par la seule foi.
Un autre endroit difficile est celui où saint Augustin allègue les Écritures suivantes : Romains X, Actes XV,  et 1 Pierre 111.  Je réponds que ces passages ne sont pas allégués pour prouver que le pouvoir de purifier est dans l’eau par la parole,  mais pour prouver, en général, que la parole possède le pouvoir de purifier.    Car, c’est cela le but qu’il se propose, comme nous l’avons déjà dit.  Et comme il avait déjà prouvé cela par le fait que la parole sacramentelle donne à l’élément le pouvoir de purifier,  il prouve la même chose par les témoignages de ces textes bibliques.   Car,  ces passages démontrent  que les cœurs des hommes sont purifiés par la foi,  et que la foi nait de la parole de la prédication.  D’où il conclut que la parole a le pouvoir de purifier.
Le troisième lieu difficile était à la fin du sermon.  Après avoir dit que, par la parole du sacrement, les enfants sont purifiés, il ajoute : « Tout cela se fait par la parole,  de laquelle le Seigneur a dit : « Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite. »  Mais on a déjà répondu  que ces paroles du Seigneur ne sont pas restreintes par saint Augustin au sermon que le Seigneur a prononcé après la dernière cène, mais sont prises dans un sens général, de façon à ce que le sens soit : vous êtes purs à cause de ma parole, soit que vous ayez cru après m’avoir entendu prêcher,  soit que vous ayez été sanctifiés dans le baptême.  Voilà donc pour ce passage, et pour l’argument principal de Jean Calvin.
L’autre objection est de Calvin, de  Brentius, de Kemnitius et  d’autres.  Ils disent que murmurer certains mots sur l’eau, le pain ou un autre élément muet,  c’est une sorte d’incantation magique.  Mais, cela n’est pas tant une objection qu’un horrible blasphème.  Tout d’abord, il y a deux choses qu’il faut condamner dans les incantations magiques.  La première.  Quelques-uns pensent que, dans certaines figures ou paroles,  se trouve un pouvoir naturel d’opérer quelque chose.  Et cela, c’est de la superstition pure et simple. Car, il n’est que trop évident que les figures ou les paroles ne possèdent aucun pouvoir naturel de produire quelque chose.  La deuxième.  Certains estiment que les figures ou les paroles n’ont en elles-mêmes aucun pouvoir, mais qu’elles en ont acquis un  par un pacte contracté avec le diable dans le but de faire certaines choses.  Or, l’incantation relève de la magie noire ou de la sorcellerie,  et est un grand péché.
Or,  les paroles sacramentelles, nous reconnaissons tous qu’elles n’ont aucune force naturelle.  Voilà pourquoi nous disons qu’une intervention divine est requise,  pour que, grâce à l’institution divine, elles opèrent ce qu’elles n’ont pas le pouvoir d’opérer.  C’est une pure calomnie de Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 4 ) celle qui lui fait soutenir  que, pour consacrer l’élément, nous n’ayons recours qu’à la foi et au  vacarme des mots.  Et Kemnitius (dans son examen, part 2, page 101), dit que nous plaçons un pouvoir dans les syllabes et dans les caractères,  en négligeant le sens des mos.  Mais ce sont-là de purs mensonges.   Car, c’est dans l’institution du Christ que noud plaçons notre confiance, non dans les caractères, non dans le son, ni dans le nombre de syllabes, mais dans le sens et la signification.
En effet, tous les catholiques affirment, quelle que soit la langue que nous utilisions, que, pourvu que le sens demeure le même,  le sacrement atteint sa perfection.   Il est évident que, dans différentes langues,  les mêmes mots  ont des lettres, des sons et des syllabes différents.  Il s’ensuit donc  que nous avons raison de penser qu’ils tirent leur force du pacte et de la promesse du Christ.  Car, si c’est de la magie, que devrons-nous conclure d’autre que le Christ est le diable ?  Car comme toute magie dépend d’un pacte avec le diable, la vertu des paroles sacramentelles dépend d’un pacte avec le Christ.  Il s’ensuit donc manifestement  que ou il n’y a aucune magie dans nos sacrements, ou le Christ est le diable.   Nos adversaires sont donc parvenus à cette horrible impiété de faire du Christ le diable.
Ils diront qu’ils ne font pas du Christ le diable, parce que le Christ n’a pas institué ces formules prononcées  sur des éléments muets.  Mais nous avons déjà suffisamment prouvé que le Christ les a instituées.  Du reste, je leur demanderai s’ils croient que le Christ a pu instituer des signes de ce genre, qui auraient,  en vertu de son pacte, le pouvoir d’opérer quelque chose.  Je ne peux pas penser qu’ils le nient, à moins de nier que le Christ soit  Dieu.  Car, aux Nombres V,  Dieu a institué des paroles à être dites sur les eaux, et il a voulu que ces paroles  aient le pouvoir de communiquer une vertu aux eaux, qui feraient mourir immédiatement les femmes adultères, si elles en buvaient.  De même, aux Nombres XX1, il statua que quiconque regarderait le serpent d’airai serait guéri immédiatement des morsures des serpents.   Et, le Christ lui-même, ne repoussait-il pas les maladies par des paroles, l’imposition des mains, la boue et même par sa salive ?   Le Christ a donc pu instituer  que, par son pacte, des paroles sacramentelles aient une vertu.
Je demande, une fois de plus, si le Christ avait institué ce que, de votre propre aveu, il avait le pouvoir de faire, serait-ce de la magie, oui ou non ? S’ils répondent que ça aurait été de la magie, ils déclarent que le Christ est le démon. S’ils disent que ça n’aurait pas été de la magie, ils perdent toute raison de nous appeler des magiciens.  Car, nous ne faisons que ce que nous croyons que le Christ a institué.  Si le Christ n’avait pas institué cela, nous serions dans l’erreur,  mais en aucune façon le crime de magie ne pourrait nous être imputé.  De plus, les signes et les paroles magiques n’ont aucune force, et le diable ne peut pas, non plus, donner des pouvoirs aux choses, car c’est lui seul qui opère en leur présence.  Mais les paroles et les signes sacramentels ont reçu  de Dieu le pouvoir d’opérer ce qu’ils signifient.  Voilà pourquoi ils opèrent plus admirablement et plus sublimement que ne le pourrait aucune incantation.
La troisième objection de Calvin (livre 4, chapitre 1, verset 4),  il la tire de l’autorité du Christ, des apôtres et de la primitive église, ainsi que de Dieu lui-même : « Il n’est pas nécessaire de nous casser la tête pour démontrer, puisqu’il n’il y là aucune obscurité, ce que le Christ a fait, ce qu’il nous demandé de faire, ce que les apôtres ont  pratiqué, ce que l’église primitive a observé.   Bien plus,  tous savent   que à toutes les fois que , depuis le début du monde,  Dieu a présenté un signe aux saints pères, une doctrine y  a toujours été inséparablement annexée, sans laquelle nos sens auraient été frappés de stupeur par la nudité du signe.  C’est pourquoi, quand nous entendons parler d’une parole sacramentelle, nous y voyons une promesse, qui, prononcée à haute voix par un ministre, amène comme par la main la foule,  là où le signe tend et nous dirige. »
Nous non plus, nous n’avons pas à nous casser la tête pour répondre à ce genre d’objection.  Car  il n’y a rien d’obscur dans l’institution du sacrement d’eucharistie. En effet,  il n’a pas fait précéder la consécration du pain et du vin  par une prédication; et il nous a commandé de faire ce qu’il avait fait.  Voir Matthieu XXV1,  Luc XX11,  1 Corinth X1.  Et tous connaissent ce que les apôtres et les anciens pères ont fait,  par les témoignages que nous avons donnés plus tôt.  Calvin, pour sa part, ne présente aucun témoignage, sauf le texte de saint Augustin que nous avons longuement expliqué.   Enfin, nous ne nions pas que quand Dieu a donné des signes aux pères,  il leur en a fait comprendre le sens, et c’est ce que nous faisons quand  nous instruisons les catéchumènes.  Mais rien ne permet à Calvin d’en conclure que la parole sacramentelle n’est rien d’autre que la prédication.  Car, autre est prêcher, et autre célébrer des sacrements.  On doit faire l’un et l’autre,  sans penser que, pour autant, on ne doit pas faire de distinction de temps ou d’office.
2018 10 21 fin

2018 11 01 début
                                          CHAPITRE 21
Les éléments et les paroles des sacrements sont déterminés de façon telle qu’il n’est permis de rien ajouter, enlever ou changer.
Nous voici rendus à la troisième question des causes intrinsèques : les éléments et les paroles de sacrements sont-ils à ce point assurés et déterminés qu’on ne puisse rien changer en eux.  Et, parce que, parmi les catholiques, il n’y a pas ou peu  de dissension à ce sujet, la chose demande plus une simple explication qu’une dispute en règle.
Par contre, il ne manqua pas d’hérétiques qui changèrent l’ordre des éléments et des paroles.  Voir, à ce sujet, Épiphane, (livre 1, chapitre 9 et 18)  et Épiphane (hérésie 26).  Cependant, tous ceux qui usaient des sacrements voulaient avoir des paroles et des éléments déterminés;  et, la plupart du temps, ils ne s’éloignaient pas des paroles prescrites dans l’évangile.  C’est ce que dit saint Augustin (livre 7, chapitre 25, sur le baptême, contre les donatistes,) : « On trouve plus facilement des hérétiques qui ne baptisent pas du tout que des hérétiques qui ne baptisent pas avec les mots usuels. »
Or, à notre époque, Martin Luther, le plus audacieux de tous les hérétiques, inventa une nouvelle hérésie, selon laquelle n’étaient pas requis, dans les sacrements, des mots certains et déterminés.  C’est bien ce qu’il raconte (dans son livre sur la captivité babylonienne, au chapitre du baptême) : « Quelle que soit la façon dont est effectué le baptême, pourvu qu’il ne se fasse pas au nom de l’homme, mais du Seigneur, il opère vraiment le salut. J’Irai plus loin.   Si quelqu’un reçoit le baptême au nom du Seigneur, même si un ministre impie ne le donne pas au nom du Seigneur, le baptême aura vraiment été donné au nom du Seigneur. »
Luther a rétracté, par la suite, cette erreur, car dans son homélie sur le baptême, en l’an 1535,  il parle ainsi : « Le Christ a clairement exprimé la sorte de  cérémonies qu’il voulait, et il en a prescrit lui-même la forme, afin qu’on emploie ces signes, et non d’autres, ces paroles, et non d’autres. »  Et plus bas : « Si tu aspergeais d’eau l’enfant sans ajouter les paroles du baptême; si, par exemple, tu récitais l’oraison dominicale, ou d’autres paroles tirées des saintes lettres, ce ne serait pas un vrai baptême. »  Et plus bas : « Si sur le pain et le vin, quelqu’un ne prononçait pas les paroles du sacrement, mais le décalogue ou le symbole des apôtres, ou une phrase quelconque de l’Écriture, ou un psaume, ce ne serait pas le vrai corps et le vrai sang du Christ. »  Il dit la même chose dans sa troisième homélie sur le baptême, de l’an 1540.
Même si Luther avait rétracté son erreur, Jean Brentius préféra la première opinion de Luther.   Dans son catéchisme (au chapitre du baptême), il ne fait pas grand cas de la forme du baptême prescrite par le Christ.  Tout comme Zwingli (dans son livre sur la vraie et fausse religion, chapitre sur le baptême, dont nous parlerons au livre 11 des sacrements, chapitre 3).  Il est évident pourtant que, autant la première sentence de Luther répugne à la vérité, autant elle convient mieux que la postérieure aux principes de la théologie luthérienne.  Car, si les sacrements ont été institués d’abord et avant tout pour stimuler et nourrir la foi, il importe peu qu’on utilise tels mots  plutôt que tels autres, pourvu que la foi soit excitée et soutenue par eux.  Pour détruire cette erreur, et pour proclamer la vérité, j’énoncerai donc quelques propositions.
Il faut, dans les sacrements, que des choses aient été certifiées et déterminées par Dieu lui-même.  Cette proposition est acceptée par tous les catholiques, et n’est pas niée par les hérétiques.  Mais ils la prouvent autrement que nous.  Ils la prouvent par le principe général que ne plait à Dieu que le culte qu’il a institué lui-même. Tout le reste n’est que tradition humaine.   Cet argument est faible, comme nous l’avons souvent montré ailleurs.  C’est avec un autre principe que les catholiques la prouvent :  les sacrements de la loi nouvelle sont des causes de la grâce et de la justification. 1 Cor V1 : « Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés. »  Éphésiens V : « En la purifiant par le lavement de l’eau dans la parole de la vérité. »  Or, personne ne peut donner la grâce en dehors de Dieu.  Donc, Dieu seul a pu déterminer ce qui appartenait à l’essence du sacrement.
Au sujet des sacrements de la loi mosaïque et de la loi naturelle, quelques-uns semblent avoir des doutes.  Cependant, s’ils étaient de vrais sacrements, comme ils l’étaient en effet, il nous faut absolument soutenir que les éléments et les paroles de ces sacrements ont été déterminés par Dieu. Tout d’abord, c’est un fait qui saute aux yeux qu’à peu près tous les sacrements qui sont venus à notre connaissance ont été déterminés par Dieu.  Car, la circoncision a été le sacrement de la loi naturelle, et il est évident que c’est Dieu qui a déterminé ce qu’elle est, comment la faire, et à quel moment (Genèse XV11).    L’agneau pascal était un sacrement de la loi écrite, et nous savons très bien que c’est Dieu qui en a déterminé le rite  (Exode, chapitre X11).
 De beaucoup d’autres, nous pouvons prouver la même chose.  Les sacrements anciens étaient des figures et des types de nos sacrements.  Or, instituer certains rites qui infailliblement signifient quelque chose du futur, ne peut convenir qu’à Dieu, qui est le seul à connaitre le futur.  Enfin, même si les sacrements de l’ancienne loi n’effectuaient pas la grâce justifiante, ils causaient une purification légale, et faisaient entrer dans le peuple de Dieu.  Personne ne peut instituer quelque chose qui soit capable de produire une purification légale, ou de faire entrer dans une république donnée, sans être l’auteur de cette loi ou de cette république.
Il est à noter ici avec saint Thomas (3 par quest LX, art 5, a 3),  que dans toute loi,  il y a eu une matière du sacrement déterminée par Dieu, mais pas toujours de la même manière.  Car, dans la loi de nature, les lois n’étaient pas écrite sur des tables, ni promulguées par les hommes ou les anges,  mais dictées à l’intérieur de l’homme, et insufflées dans les cœurs des hommes.  C’est de cette façon que les sacrements ont été inspirés aux principaux pères, comme Adam, Noé et Abraham, qui enseignaient les autres.  Et comme la loi mosaïque a été promulguée par Moïse et écrite publiquement sur des tables, de la même façon les sacrements de cette époque ont été livrés par Dieu par l’intermédiaire de Moïse, et  mis par écrit sur l’ordre de Dieu.  Et puis, parce que l’auteur de la nouvelle loi est le Verbe incarné, c’est par lui que nos sacrements ont été déterminés.
La deuxième proposition. Non seulement  les éléments, mais les paroles aussi ont, dans les sacrements de la nouvelle loi, été déterminées par Dieu, de sorte qu’on ne peut rien changer.  Il faut expliquer cette proposition pour qu’on la comprenne correctement. Notons d’abord  qu’une  variation de la forme peut se faire de six manières. Par l’addition d’une parole, par l’enlèvement d’une parole, par le changement d’une parole pour une autre, par la corruption d’un mot  en changeant ou en enlevant une syllabe, par la transposition, en changeant la prononciation du mot, et enfin, par interruption, en interrompant ou espaçant la lecture.  Il faut noter ensuite que l’intégrité de la forme sacramentelle est double : l’une, substantielle, et l’autre, accidentelle.  La substantielle consiste dans le seul sens, ou la seule signification des mots, non dans le son ou le nombre des syllabes.  Et c’est ainsi que à toutes les fois qu’il y a variation (selon les huit façons) l’intégrité substantielle demeure toujours tant que demeure le même sens.  Et, à l’opposé, la plus infime variation détruit l’intégrité substantielle si le sens périt.  Exemple. Si quelqu’un, en changeant une seule lettre, disait : je te baptise au nom de la Mère, du Fils et du Saint-Esprit, il n’aurait pas la substance formelle.  L’intégrité accidentelle consiste dans toutes les autres choses, c’est-à-dire dans l’intégrité du son, de l’ordre et du nombre de syllabes.
Troisième note. Le jugement sur ces variations, qu’elles soient substantielles ou accidentelles, ne doit pas être mathématique, mais moral.  C’est-à-dire qu’on jugera que le sens des paroles  est conservé quand les auditeurs comprendront, et estimeront  que les mots employés signifient ce que l’intégralité des mots a coutume de signifier, même si la prononciation des mots était très défectueuse.  Exemple.  Ce que rapporte le pape Zacharie (dans sa lettre à Boniface), et qui se trouve aussi dans Gratien, au canon retulerunt, sur la consécration, distinction 1V.).
En raison d’une faible connaissance de la langue latine, quelques-uns baptisaient avec ces mots : je te baptise au nom de la patrie, de la fille et de l’esprit sainte.  Le souverain pontife jugea, dans sa prudence, que la substance de la forme n’avait pas été changée, car on pouvait facilement comprendre ce qu’ils voulaient dire tant par l’action de celui qui devait être baptisé que par l’union de ces mots avec « au nom de.  » Car, s’ils avaient voulu volontairement changer la forme, ils auraient dit au nom de la père et de la fille, (comme l’exige la grammaire), et non au nom de la patrie et de la fille, qui ne signifie rien.  Le fait que les paroles qu’ils employaient ne signifiaient rien c’était le signe qu’ils voulaient dire ce que disent les autres quand ils emploient la vraie formule : je te baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit.
On doit porter un jugement semblable dans le cas d’une interruption.  Exemple.  Si quelqu’un dit, en consacrant l’eucharistie, cela est « cor » (la première partie du mot latin corpus), et dirait, après cela un psaume, ou se reposerait assez longtemps, et ajouterait ensuite : « pus meum » (l’autre partie du mot corps avec mon),  au jugement des hommes prudents, on ne pourrait pas penser qu’il a dit : cela est mon corps. Mais, s’il ne faisait qu’une brève pause entre les deux syllabes du mot latin corpus, cor, et pus, on ne considérerait pas que la forme sacramentelle a péri.
 Il faut noter, quatrièmement, qu’il n’est pas licite de dire en conclusion que la forme n’est changée en aucune façon soit que, par cette mutation, soit enlevée l’intégrité de la forme substantielle, ou seulement accidentelle.  Voici quelle est la différence.  Quand la forme est changée substantiellement, le sacrement n’est pas opéré.  C’est pourquoi cette intégrité est dite nécessaire, de nécessité de sacrement.   Quand la forme n’est changée qu’accidentellement, le sacrement est effectué, mais pèche celui qui a fait le changement.  Et voilà pourquoi on dit que cette intégrité est nécessaire seulement de nécessité de précepte.
Il faut noter, cinquièmement, que le sacrement n’est jamais rendu invalide par la forme des mots, à moins que ne manque vraiment l’intégrité de la substance.   Cependant, il pourrait arriver, par ailleurs, que, à cause d’une simple corruption accidentelle, le sacrement ne soit pas effectué, si celui qui a accidentellement changé la forme veut introduire un nouveau rite, comme l’enseigne Zacharie (canon retulerunt, sur la consécration, dist 4,) et, après lui, saint Thomas (3 par question LX, art 7, au 3, et article 8, dans le corps de l’article).  Les paroles de ces auteurs ne sont pas expliquées correctement par tous.
Il faut donc chercher à savoir si celui qui se propose d’introduire un nouveau rite a l’intention d’introduire un nouveau rite essentiel pour toute l’église du Christ dans tout l’univers, c’est-à-dire qui n’a jamais existé dans l’église vraie et universelle.  Ou bien s’il a l’intention d’introduire un nouveau rite pour une église qu’il juge fausse.  S’il a l’intention d’introduire quelque chose de  complètement nouveau, alors le sacrement n’a pas lieu, non parce que manque la forme, mais parce que manque l’intention.  Parce quand il veut introduire un nouveau rite qui n’a jamais existé dans l’église universelle, il est facilement convaincu de ne pas vouloir faire ce que fait l’Église.  Et c’est ce qu’enseigne saint Thomas, dans les lieux cités. Car,  il donne toujours la raison pour laquelle celui qui veut introduire un nouveau rite ne confère pas le sacrement.  C’est parce qu’il n’a pas l’intention de faire ce que fait l’Église.
S’il veut introduire un nouveau rite non pour l’église universelle, mais seulement pour telle église qu’il croit fausse, en ayant  l’intention de faire ce que fait l’Église, alors le sacrement est valide, même s’il se trompe dans le jugement qu’il porte sur la vraie église.  Par exemple.  Si, pendant qu’il baptise  par ces paroles : que le serviteur du Christ soit baptisé au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, un grec a l’intention d’introduire un rite substantiel et nécessaire contre le rite de l’église romaine, de façon à vouloir persuader que n’est pas valide le sacrement de baptême quand on dit : je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, tout en ayant l’intention de faire ce que fait la véritable église, quelle qu’elle soit, ce prêtre baptisera vraiment, malgré son erreur.  Car, dans ce baptême, se trouve la forme substantielle et l’intention de la vraie église en général, qui, au consentement de tous, suffit.  Son erreur sur le sacrement ou l’église n’irrite pas le sacrement, comme l’enseignent tous les catholiques qui enseignent que les sacrements conférés par les hérétiques sont valides.  Le ministre du sacrement n’est pas tenu non plus de vouloir faire ce que fait l’église romaine, car, autrement, aucun hérétique ne baptiserait validement.  Mais seulement ce que fait la vraie église du Christ.  Dans cette intention est virtuellement inclus de vouloir faire ce que fait l’église romaine, car c’est elle la seule la vraie église.
Voilà pourquoi est vrai ce que dit Paludanus (4 distinct 3, quest 1 art 3) quand il affirme qu’un sacrement n’est pas toujours invalidé quand quelqu’un a l’intention d’introduire un nouveau rite;  et il n’est pas contre saint Thomas, comme il l’a peut-être pensé.  Car saint Thomas n’a pas dit  : quand quelqu’un veut introduire un nouveau rite, le sacrement n’est pas effectué, mais il ne semble pas qu’il ait été effectué. Car le sacrement pourrait avoir été valide, mais on suppose qu’il ne l’est pas, car on présume qu’il n’y a pas eu l’intention voulue.  Dominique a Soto soutient (question 1, article 8) que les Grecs baptisent vraiment par les mots suivants : que le serviteur du Christ soit baptisé, parce que l’Église romaine tolère ce rite. Et que si l’église romaine détestait ce rite, ils ne baptiseraient pas véritablement.
Mais cela n’est pas tout à fait vrai.   Car, si l’église romaine détestait ce rite en y voyant une corruption accidentelle, ils pècheraient certainement, mais ils baptiseraient vraiment.  Si l’église romaine détestait ce rite parce qu’elle y détectait une corruption substantielle, ils ne baptiseraient pas véritablement.  Mais ce ne serait pas, comme le dit Sotus, parce que l’intention fait défaut, mais parce que fait défaut la forme substantielle.
Après avoir donné ces explications, il nous sera possible de prouver notre proposition contre la témérité de Luther et de Brentius.  D’abord, les sacrements ont été institués par Dieu, comme le reconnaissent nos adversaires.  Donc, la partie principale du sacrement, la forme verbale, a été instituée par Dieu.  Celui qui la change pèche donc contre Dieu, et il lui arrive souvent de ne pas célébrer validement  quand il fait un changement substantiel.  En effet, si un sacrement dépend de l’institution de Dieu, il n’y aura certainement pas de sacrement quand nous ne faisons pas ce qu’il a institué.        En second lieu, changer la matière des sacrements serait un grave sacrilège, et il n’y aurait pas de sacrement, comme les adverses le concèdent.   Pourquoi donc n’en va-t-il pas de même pour la forme, qui consiste dans des mots ?
 Troisièmement. Il n’est permis, pour aucune considération, d’ajouter ou de changer des mots.  On ne doit donc pas et on ne peut donc pas changer les paroles des sacrements en aucune façon.  Surtout parce que les paroles de l’Écriture ont été instituées seulement pour signifier, et que les paroles des sacrements ont été instituées pour signifier et sanctifier.
Quatrièmement.  On prouve la même chose par le témoignage des pères.  Saint Irénée (livre 1, chapitre 18) reproche à certains hérétiques d’avoir changé la forme des verbes prescrite dans le sacrement du baptême.  Tertullien (dans son livre sur le baptême) écrit : « L’obligation de baigner est imposée.  Allez, a-t-il dit, baignez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »  Saint Cyprien enseigne la même chose, dans son épitre à Jubaianus.  La même chose aussi saint Athanase (sermon 3 contre les Ariens), et saint Basile (dans son homélie sur le saint baptême).  Et ceux qui ont écrit contre les Ariens, prouvent la divinité des trois personnes par l’ordre que nous avons reçu de baptiser au nom des trois personnes divines.
De même, saint Basile (dans son livre sur le Saint-Esprit, au chapitre 12), dit qu’il perd la grâce celui qui, dans le sacrement du baptême,  enlève ou ajoute quelque chose aux paroles prescrites,  Didyme (au livre 2 sur le Saint-Esprit) : « Celui qui omet un seul des noms prescrits, n’atteint pas la perfection du sacrement, ni ne libère l’homme de ses péchés. »  Saint Augustin (livre 6, chapitre 25 contre les donatistes) écrit : « Les paroles évangéliques sont certaines.  Sans elle, le baptême ne peut pas être consacré. »  Saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 16, sur la foi) : «Que cette forme de paroles doive être employée, le Seigneur le déclare en disant : « Les baptisant au nom de…).  Et il ordonne d’examiner la forme des paroles du baptême arien.
                                               CHAPITRE 22
                            De la fin et de la nécessité des sacrements
Il y a trois choses à expliquer au sujet de la cause finale des sacrements.  Il faudra d’abord parler de la fin elle-même.  Ensuite, de la nécessité que l’ont connait par la fin.  Et enfin, il faudra défendre la sentence de l’Église contre les mensonges et les calomnies des hérétiques. Quand on se demande quelle est la fin des sacrements, il faut s’enquérir de deux choses.  La première. Pour l’obtention de quelle fin Dieu a-t-il institué les sacrements ? La deuxième.  Pourquoi Dieu a-t-il institué tels moyens pour atteindre cette fin, puisqu’il pouvait atteindre le même résultat avec d’autres moyens, ou sans aucun moyen.
La première question a déjà été expliquée dans la dispute sur la définition du sacrement. Nous avons montré, là, que les sacrements ont été institués pour justifier les hommes, et pour qu’ils soient des signes et des causes instrumentales de la grâce de Dieu.  L’autre question ne cause pas de souci, et il n’y a, à son sujet, aucune controverse.   Et beaucoup d’auteurs donnent des raisons, du point de vue de Dieu, de l’homme ou du sacrement, pour lesquelles il fut utile d’instituer des sacrements, c’est-à-dire des signes sensibles pour justifier les hommes.
Voici donc les principales raisons.  La première. Cela convenait à la nature humaine, qui est formée d’un corps et d’un esprit.  C’est ce qu’enseigne saint Jean Chrysostome (homélie 60 au peuple, et 83 sur Matthieu) : « Si tu avais été incorporel, il t’aurait donné des dons invisibles et incorporels.  Mais, parce que l’âme est insérée dans un corps, il te présente les choses spirituelles dans les choses sensibles. »  Enseignent la même chose saint Grégoire de Naziance et saint Grégoire de Nysse dans leurs sermons respectifs sur le baptême.
La deuxième. Pour qu’il apparaisse plus clairement que la grâce donnée par le sacrement est donnée par Dieu seul.  Car, si elle était donnée par des actions spirituelles, les hommes pourraient s’imaginer qu’ils sont justifiés par la vertu de leur propre action. Mais, parce que, maintenant, un don si excellent est octroyé par des choses corporelles et abjectes, toute tentation de cet ordre a été dissipée.  Voilà pourquoi le Seigneur Jésus (en Jean 1X), a rendu la vue à un aveugle avec de la salive et de la boue, et non par le moyen d’un onguent précieux et coûteux.  Et c’est par le moyen d’hommes pauvres et obscurs qu’il a voulu se soumettre le monde.
La troisième. Pour qu’ils soient en même temps des signes et des instruments de justification par lesquels on distingue les fidèles des infidèles, on rassemble le peuple de Dieu, et on rend un culte à Dieu par des cérémonies sacrées.  Car, ces signes n’auraient pas pu distinguer les chrétiens des autres, ni être des cérémonies religieuses à moins qu’ils n’aient été sensibles et externes.  Voir ces raisons exposées par Hugues (livre 1 sur les sacrements, par 9, chap 3; ainsi que Maître et docteurs, (livre 1V sent dist 1) et saint Thomas (livre 4, chapitre 56, contre les Gentils), et parmi les plus récents, Guillaume Alanus, (chapitre 24 du livre sur les sacrements en général.)
Quant à la seconde, au sujet de la nécessité, la nécessité est double.  Une est dite nécessité de précepte; l’autre, nécessité de moyen.   Ces deux nécessités sont inter reliées, parce que, par le fait même que quelque chose est un moyen nécessaire au salut, il est en même temps un précepte naturel, s’il est en notre pouvoir.   Cependant, la différence en est que quand quelqu’un, par ignorance invincible ou pour une juste cause,  n’accomplit pas un précepte, il ne souffre aucun dommage.  Mais si quelqu’un ne prend pas un moyen nécessaire, il subit un grand tort, parce qu’il n’atteint pas la fin, à moins qu’il agisse par ignorance invincible.
  Par exemple, le sacrement de confirmation est un précepte, mais non un moyen absolument nécessaire au salut. C’est pourquoi, celui qui néglige de recevoir ce sacrement pèche. Mais, si c’est pour une cause légitime qu’il ne le reçoit pas, il ne pèche pas, et cette omission ne l’empêchera pas de se sauver.  Le baptême, lui, réel ou de désir, est un précepte et un moyen. Voilà pourquoi celui qui ne se fait pas baptiser ou qui n’en a pas le désir, n’est pas sauvé, à moins que ce soit par ignorance ou incapacité.
Il y a ensuite la nécessité de moyen.  La nécessité est ou absolue, comme des ailes sont nécessaires pour voler, ou elle est nécessaire au bien être, comme un cheval est nécessaire pour voyager.  Ensuite, l’une et l’autre nécessité sont ou absolues et naturelles, comme dans les exemples donnés, ou institutionnelles et arbitraires.  Comme, dans une course à pieds atteindre la borne est le moyen nécessaire de remporter la récompense. Ou elle est en partie  institutionnelle et en partie  naturellement congruente, comme quand un général d’armée permet à ses soldats de piller une ville s’ils s’en emparent.  Ces distinctions nous feront facilement comprendre quelle est la nécessité des sacrements.
Voici donc la première proposition. Aucun sacrement n’a une nécessité absolue, parce que  toute leur nécessité dépend d’un précepte, et d’une institution divine, naturellement congruente.  Car, il est certain que Dieu aurait pu sauver les hommes sans sacrements.  Et là-dessus, il n’y a pas de controverse.
La deuxième proposition. Tous les sacrements sont nécessaires de nécessité de salut, même si non pour chacun.  Sur cette proposition, il n‘y pas, non plus de controverse avec les hérétiques.
La troisième proposition.  Le baptême et la pénitence sont nécessaires, une fois qu’ils ont été institués, d’une nécessité absolue de moyen.  Le baptême, pour tous; la pénitence, pour ceux qui ont péché mortellement après le baptême.  Là-dessus, nous ne sommes pas d’accord. Car, les adversaires soutiennent que les sacrements sont nécessaires parce qu’ils sont des préceptes, et sont aussi nécessaires en tant que moyens utiles.  Ils ne reconnaissent donc pas que ce sacrement soit absolument nécessaire comme moyen.
 Et la raison en est que, comme, pour eux, la foi seule justifie, les sacrements ne sont employés que pour aviver ou nourrir la foi. Et, sans les sacrements, la foi peut, par la seule parole, être engendrée, nourrie, augmentée.  Les sacrements ne sont pas, pour eux, absolument nécessaires.  Mais, cette controverse on la fera dans la dispute sur le baptême et la pénitence.  Maintenant, suffisent deux textes très clairs de l’Écriture (Jean 111) : « À moins que  quelqu’un ne renaisse de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu. » Et Luc X111 : « À moins que vous ne fassiez pénitence, vous périrez tous ensemble. »
La quatrième proposition : L’eucharistie, la confirmation et l’extrême onction sont, après leur institution,  nécessaires, de nécessité de moyen, pour le bien être. Nous ne sommes pas d’accord là-dessus avec les hérétiques,  parce que nous faisons entrer la confirmation et l’extrême onction dans les sacrements.  Mais, on parlera de cela plus tard.   Quant à l’eucharistie, nous sommes tous d’accord qu’elle est de précepte.  Qu’elle soit nécessaire pour le bien-être ou comme moyen, nous semblons être tous d’accord, mais, en réalité,  nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde.
Car, Calvin dit dans son antidote, et Kemnitius (dans son examen du concile de Trente) que les sacrements sont nécessaires, en tant que moyens institués par le Christ. Mais, ils exténuent tellement cette nécessité, en l’expliquant,  qu’ils l’enlèvent presque totalement.  Car, ils veulent que les sacrements ne soient utiles qu’à nourrir la foi, parce qu’ils présentent aux yeux ce que la parole offre aux oreilles.  Voilà pourquoi l’apologie de la confession (article 13), compare les sacrements à une image peinte.  Comme les tableaux religieux de grands  maitres ne sont  pas nécessaires au salut, sauf peut-être pour les illettrés, de la même façon,  les sacrements ne sont pas non plus, nécessaires au salut.
Kemnitius s’efforce de repousser cette comparaison des sacrements  avec les peintures, et de démontrer je ne sais trop quelle nécessité plus grande.  Mais, il ne peut pas nier que cette comparaison est dans l’apologie de Calvin, qu’il professe suivre en tout.  Mais il dit la même chose en d’autres mots.  Car, il veut que les sacrements ne soient rien d’autre que des rites dans lesquels est représentée visiblement une promesse, comme elle est représentée vocalement dans  la parole.  En conséquence, ils  ne reconnaissent pas vraiment la nécessité des sacrements, mais seulement une infime utilité.
La cinquième proposition. L’ordre, après l’institution divine,  est nécessaire non pour tous les hommes, mais pour l’Église universelle, de nécessité absolue de moyen.
La sixième proposition. Le mariage est nécessaire pour le bien être, pas pour tous les hommes, mais pour l’Église universelle.  Là-dessus, il n’y a pas de dissension.  Voir saint Thomas (3 par, quest. LXV, art 4.)
En ce qui a trait à la troisième, il faut réfuter les mensonges et les calomnies de Calvin et de Kemnitius contre le canon 4, session V11 du concile de Trente, où il s’agit de la nécessité des sacrements. Voici les mots du concile : « Si quelqu’un dit que les sacrements de la loi nouvelle ne sont pas nécessaires au salut, mais superflus, et que, sans eux, les hommes peuvent, par la seule foi, obtenir de Dieu la grâce de la justification, bien que tous ne soient pas nécessaires pour tous, qu’il soit anathème ! »
Dans ce canon, le concile définit trois choses.  La première. Les sacrements sont nécessaires au salut, non superflus.  Ce qui est défini contre les Anabaptistes et les Zwingliens, qui voulaient que les sacrements soient utiles pour séparer les croyants des incroyants, et non pour obtenir le salut.  Cette partie de la définition, Calvin et Kemtnitius l’admettent et la soutiennent. La deuxième. Les sacrements sont à ce point,  nécessaires que sans eux, ou leur désir, on ne peut obtenir le salut. Ce qui est défini contre les Luthériens et les Calvinistes, qui n’attribuent qu’à la foi cette nécessité. La troisième. Les sept sacrements ne sont pas nécessaires pour tous.  Comme l’ordre et le mariage.   La seule chose qu’ils reprochent à cette partie de la définition, c’est que nous rangions le mariage et l’ordre parmi les sacrements. Mais nous parlerons de cela plus loin.
Venons-en aux mensonges.  Voici comment, dans son antidote, Calvin calomnie ce canon : « Ces bons pères, en raison de leur grossièreté, ne se sont pas rendus compte que tout ce qui en fait de grâce nous est conféré par les sacrements, doit être quand même imputé à la foi.  Car, celui qui sépare la foi des sacrements fait comme s’il enlevait l’âme au corps.  En conséquence, comme nous n’excluons pas la doctrine de l’évangile quand nous disons que nous obtenons la grâce du Christ par la seule foi, ainsi en va-t-il des sacrements, qui sont des sceaux de l’évangile. »
Par ces paroles, il conteste cette partie du canon où le concile condamne ceux  qui disent que les hommes sont justifiés par la seule foi sans les sacrements.  En somme, il reproche au concile d’avoir condamné une sentence de Luther sans l’avoir bien comprise.  Car, même si les luthériens admettent la justification par la seule foi, et que les sacrements ne justifient pas comme la foi justifie, ils reconnaissent cependant que les sacrements justifient d’une certaine manière. Comme ils ne nient pas non plus que Dieu justifie, que la passion du Christ justifie, que la prédication justifie d’une certaine manière.
Car, ils disent que Dieu justifie en remettant d’autorité les péchés, et en nous recevant en grâce.  Ils disent que le Christ justifie par ses mérites, parce qu’il a mérité pour nous la grâce et la rémission des péchés.  La parole et le sacrement justifient, pour eux, instrumentalement, dans la mesure où ils suscitent et nourrissent la foi qui appréhende la justification. La foi justifie parce que, comme une main spirituelle, elle saisit immédiatement la justification, car la foi de celui qui doit être justifié n’a pas de compagnon. C’est donc, sans raison, que, selon la sentence de Calvin, le concile accuse les luthériens d’exclure les sacrements de la justification, parce qu’ils enseignent que la foi seule justifie.
Kemnitius a une calomnie semblable, à la page 80.  Voici ce qu’il dit : « Ce qu’il faut observer principalement c’est qu’ils opposent la nécessité des sacrements à la justification par la seule foi.  Et les choses qui sont nécessaires au salut il faut les distinguer comme le Christ méritant, le  Père donnant, les organes, ou les instruments de la parole et des sacrements, par lesquels l’Esprit-Saint apporte les bienfaits du nouveau testament, applique, contresigne, augmente, et confirme dans les croyants, et la foi qui saisit ces bienfaits et les reçoit.  Toutes ces choses, chacune à sa façon, sont ordonnées à notre salut.  Et, comme il ne s’ensuit pas que les sacrements soient nécessaires au salut, c’est donc par la seule foi que nous recevons la grâce de la  justification. »
Cela est une calomnie et un mensonge manifeste.  Car, le concile avait très bien compris le sens de leur sentence, et avait vraiment condamné ce qu’ils enseignent. Le concile, en effet,  ne condamne pas ceux qui excluent d’une certaine manière les sacrements de la justification, mais ceux qui les excluent de la réception et de l’application immédiate de la justification qu’ils attribuent à la seule foi. Car, la foi catholique n’admet pas que, par la seule foi, la grâce de la justification soit immédiatement appréhendée et appliquée aux hommes.  Mais elle veut que, pour cela, soient nécessairement requis les sacrements. Et à un point tel que quelle soit  la grandeur de la foi qui existe en quelqu’un, elle ne justifie pas sans la réception du sacrement en réalité ou en désir.  Bien plus, le sacrement est plus requis que la foi.  Car, sans le sacrement reçu en réalité ou en désir, personne n’est justifié, ni les adultes ni les enfants.  Mais, sans la foi quelqu’un peut être justifié, comme les enfants qui n’ont pas de foi à eux, par laquelle ils reçoivent la justification, et qui sont cependant justifiés par le sacrement de la foi.
Ce qui réfute aussi la sentence de Calvin à l’effet que tout ce qui, en fait de grâce,  nous est conféré par le sacrement,  doit être imputé à la foi. Car, cela est faux. La grâce, en effet,  qui est conférée par les sacrements doit être imputée à la vertu des sacrements eux-mêmes, et à l’institution du Christ, non à la foi.  Car, la foi ne donne pas leur vertu aux sacrements, mais ne fait que disposer le sujet à les recevoir fructueusement, comme nous l’avons déjà dit.
Martin  Kemnitius (2 par de l’examen, pages 79 et suivantes),  dit que dans chaque mot de ce canon se cachent des embûches.  Il en a trouvé cinq  qui, à la vérité,  ne sont pas des pièges tendus par le concile,  mais de pures calomnies.  Il dit d’abord : « Il faut considérer l’artificialité de la composition de ce canon.    Et plus bas : « Les autres rites comme la confirmation, l’extrême onction, la confession auriculaire, la satisfaction, ils veulent qu’ils soient des sacrements absolument nécessaires au salut. »
Ce qui est un mensonge éhonté, autant parce que le concile n’ajoute pas le mot absolument, que parce que  la sentence commune des théologiens, dont le concile ne s’est jamais distancé, soutient que seuls trois sacrements sont absolument nécessaires : le baptême, pour tous, la pénitence, pour tous ceux qui pèchent après le baptême, et l’ordre, pour l’église universelle.  Sans les autres sacrements, les hommes peuvent se sauver, pourvu qu’il n‘y ait ni négligence ni mépris. Voir saint Thomas 3 part quest LXV, art 4.
Deuxièmement, ainsi parle Kemnitius : « Personne de ceux qui sont sains d’esprit n’a jamais enseigné que la justification vient de la foi seule, au point d’exclure de la justification la grâce de Dieu, les mérites du Christ, le ministère de la parole et des sacrements. ».
Ce qui est un autre mensonge.  Car, même si Kemnitius et Calvin enseignent qu’on ne doit pas opposer la seule foi aux sacrements, dans la question de la justification, comme on ne l’oppose pas à la grâce de Dieu et aux mérites du Christ, cependant Luther que Kemnitius n’a jamais accusé de n’être pas sain d’esprit, oppose en plusieurs lieux la foi seule aux sacrements, et enseigne explicitement que les hommes sont justifiés par la foi à un pont tel qu’aucune partie de la justification n’appartient aux sacrements.  Voici ce qu’il dit sur le baptême dans son livre sur la captivité de Babylone : « Le baptême ne justifie personne et n’est profitable à personne,  ce n’est que la foi seule qui justifie. »  Et dans son livre contre Jean Cochlaeus : « Aucune partie de la justification ne peut être attribuée au baptême. »
Il n’aurait certainement pas dit que la grâce de Dieu ou les mérites du Christ ne justifient pas, ou ne sont d’aucune utilité.  Et qu’aucune partie de la justification ne peut être attribuée à la grâce du Christ ou aux mérites du Christ.   Luther oppose donc aux sacrements  la justification par la foi seule, qu’il n’aurait pas opposée à la grâce de Dieu ou aux mérites du Christ.  Ainsi Philippe Melanchton que Kemtnitius ne traite certes pas d’insensé, n’aurait jamais dit dans les lieux, de 1522 : « Les signes ne justifient pas. Comme le dit l’apôtre : la circoncision n’est rien. De même, le baptême n’est rien, la participation au repas du Seigneur n’est rien. »
 Mais je demande : aurait-il dit que la grâce de Dieu ne justifie pas, et que la grâce de Dieu n’est rien ?  Les anciens luthériens opposaient donc les sacrements à la seule foi, qu’ils n’auraient pas opposée à la grâce et aux mérites du Christ.  Le concile a donc condamné ces paroles profanes des anciens luthériens, et la sentence que suivent Calvin et Kemnitius, même s’ils diffèrent dans les mots.
Troisièmement,  Kemnitius a dit au même endroit : « Ils ne rejettent pas tant la nécessité des sacrements parce qu’ils sont des causes instrumentales par lesquelles nous est présentée par Dieu et offert la grâce de la justification, mais ce dont ils parlent c’est  de l’obtention et de la réception de la grâce de la justification.  Mais, cela, ils ne veulent pas l’attribuer à la foi seule, mais ils y adjoignent la nécessité des sacrements..  C’est-à-dire qu’ils considèrent la réception des sacrements comme une œuvre à nous.  De telle sorte que la foi reçoive la grâce de la justification non par elle seule, mais grâce à la dignité et le mérite de notre œuvre.
 C’est un mensonge impudent de Kemnitius. Car, aucun catholique n’attribue à la dignité ou au mérite de notre œuvre la justification que nous recevons des sacrements.  Mais, à l’institution divine et aux mérites du Christ.  Car, le baptême et les autres sacrements ne sont pas nos œuvres, et ils ne dépendent pas de notre dignité ou de nos mérites.  Autrement, les sacrements administrés par des impies ne seraient pas utiles.  Cette utilité  les catholiques  autant que les Luthériens l’enseignent contre les donatistes.
Quatrièmement, Kemnitiius ajoute : « Et ils les appellent sacrements de la nouvelle loi pour qu’il y ait une relation mutuelle entre la loi et nos œuvres dans l’usage même des sacrements. »  On peut appeler cela une légère calomnie. Car, par loi, le concile n’entend pas un précepte par lequel l’œuvre est commandée, mais le nouveau testament. Car, dire sacrements de la nouvelle loi et sacrements institués par le Christ c’est dire la même chose, car le Christ est l’auteur du nouveau testament ou de la loi.
Cinquièmement, il ajoute sans trop de réflexion : « Voilà pourquoi ils appellent vœu la promesse d’une certaine œuvre pour recevoir la grâce de la justification.  Qui ne déplorerait pas l’ignorance ou l’impudence de ce censeur ?  Car, ou il ignorait que, dans ce concile,  le mot vœu ne signifie pas une promesse, mais un désir, ou il a caricaturé à dessein.  Il est certain que quand le concile dit que les sacrements sont nécessaires, ou leur désir,  il entend par vœu une volonté.  Car, comme saint Augustin (livre 4, chapitre 23 contre les donatistes) enseigne : sans le baptême, le larron a été sauvé,  parce que sa volonté de le recevoir ne lui fit pas défaut, et  ne fut pas présente la nécessité de le recevoir.  Mais que cela suffise pour les balivernes de Kemnitius, et la cause finale des sacrements.
                                             CHAPITRE 23
                     Le Christ est le seul auteur des sacrements
Au sujet de la cause efficiente des sacrements, il y a quatre controverses, et autant de canons du concile de Trente. Pour rendre la chose plus facile à comprendre, il faut observer qu’il y a une triple cause à considérer par les théologiens.  Une principale, et tout-à-fait indépendante, dans laquelle on dit que se trouve le pouvoir d’autorité.  Une instrumentale, celle d’un instrument conjoint, dans laquelle on dit que se trouve le pouvoir d’excellence.  Une troisième, instrumentale, celle d’un instrument séparé, dans laquelle on dit que se trouve le pouvoir ministériel.
Au consentement de tous, la première cause est Dieu.  Car, lui seul peut, d’autorité,  donner la grâce, et donc instituer des sacrements qui procurent la grâce, ou qui, aussi,  signifient  infailliblement.  La deuxième cause est le Christ en tant qu’homme.  Car, l’humanité du Christ est un instrument uni, dans la personne, (hypostatiquement) à la divinité.  Et c’est pour cette raison qu’on attribue au Christ, en tant qu’homme, une puissance ministérielle, parce qu’elle est dérivée de la divinité.   Mais, on l’appelle un pouvoir d’excellence, parce qu’elle ne convient qu’au Christ.  La troisième cause est tout ministre des sacrements.  Sur la première cause, il n’y a pas de débat.  La controverse porte sur la deuxième et la troisième cause.
La première question est donc : le Christ est-il le seul auteur des sacrements de la nouvelle loi ?  Les adversaires enseignent deux choses.  La première.  Seuls les vrais sacrements ont été institués par le Christ, c’est-à-dire le baptême et l’eucharistie.  Les autres, n’ont pas été institués par Jésus-Christ.  C’est ce qu’enseignent Calvin (dans son antidote du concile,  session V11, chapitre 1.), et Kemnitius (2 part examen, page 13), qui cite saint Cyprien (dans son sermon sur le lavement des pieds), Hugues de saint Victor (livre 2 sur les sacrements, part 15, chapitre 2), et Pierre Lombard (livre 4, dist 23) qui nient que tous les sacrements aient été institués par le Christ. Il aurait pu ajouter Alexandre Alensis, qui (1V, partie question 21, membre 1) dit que la sacrement de confirmation après la mort a été institué par l’église dans le concile de Meldens.  Saint Bonaventure semblerait être du même avis. (4 dist 7, art 1, quest 1).  De plus, le même Alexandre (quest 59, memb 3,) et Bonaventure (1V, question 14), disent que le sacrement de pénitence n’a pas été institué par Jésus-Christ, mais par les apôtres.
Contre cette erreur, le concile de Trente a décrété au canon 1 : « Si quelqu’un dit que les sacrements de la loi nouvelle n’ont pas tous été institués par notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème. »  Il ne faut pas faire dire à ce canon que le concile a voulu définir que tous les sacrements ont été institués  par le Christ, immédiatement ou médiatement.  Non,  mais seulement immédiatement.  Car, autrement, le concile aurait promulgué ce canon pour rien, puisque personne n’a jamais douté que les sacrements aient été institués par le Christ, au moins médiatement.  De plus, le même concile (session 14, canon 1),  s’explique quand il traite du sacrement de l’extrême onction.  Il dit, en effet, que ce sacrement a été institué par le Christ,  et promulgué par saint Jacques.
  Ensuite, si le Christ n’avait institué les sacrements que médiatement, on pourrait dire la même chose des sacrements et de toutes les autres cérémonies liturgiques. Car, toutes les cérémonies ont été instituées médiatement par le Christ, parce qu’il a donné à l’Église le pouvoir d’instituer et d’inspirer, et il lui a donné son assistance pour qu’elle n’erre pas en instituant.  Et cependant, ce concile ne parle pas de la même manière des sacrements et des cérémonies.  Car, à la session XX1, chapitre 2, il dit que l’église a le pouvoir de changer, et d’instituer des choses qui se rapportent aux sacrements, mais en maintenant intacte leur substance.
On peut confirmer par des raisons cette sentence très raisonnable du concile.  D’abord, dans les Écritures, les apôtres ne sont appelés que des dispensateurs et des ministres des mystères (sacrements) de Dieu.  Comme dans 1 Corinthiens 4 : « Que l’homme nous estime comme des ministres du Christ, des dispensateurs des mystères (sacrements) de Dieu. »   Ils ne les ont donc pas institués eux-mêmes, mais ils n’ont fait que  promulguer et administrer les sacrements institués par Jésus-Christ.
 Deuxièmement. Les sacrements de l’ancienne loi ont été institués directement par Dieu, et seulement promulgués par Moïse, comme on le voit dans les livres de l’Exode, et du Lévitique, où on lit toujours quand quelque chose de nouveau a été institué : « Le Seigneur a parlé à Moïse. »  Puisque les sacrements de la nouvelle loi sont de loin supérieurs à ceux de l’ancienne loi, il convenait d’autant plus qu’ils soient institués par Dieu.
Troisièmement. C’est ce que les pères affirment.  Saint Cyprien, ou celui qui est l’auteur du lavement des pieds dit (dans le sermon sur le lavement des pieds) : « Le prêtre suprême est l’instituteur et l’auteur  de son sacrement. Dans les autres choses, les hommes ont, comme docteur, le Saint-Esprit. » Tu vois,  là,  que, selon Cyprien,  ce ne sont pas les sacrements (comme le cite faussement Kemnitius),  mais les autres rites qui ont été institués par les hommes.  Saint Ambroise (livre 1V sur les sacrements, chapitre 4) dit : « Quel est l’auteur des sacrements si ce n’est le seigneur Jésus ? »  Saint Augustin (livre 3, chapitre 9 de la doctrine du Christ)  dit que c’est d’abord le Christ, ensuite la discipline des apôtres qui ont transmis les sacrements à l’Église.   Dans son épitre 118, chapitre 1, il fait de Dieu l’auteur des sacrements.
 Au sujet des témoignages qu’allègue Kemnitius, nous répondons que Cyprien a enseigné le contraire, comme nous venons de le montrer.  Que par institution, Hugues et Pierre Lombard entendaient promulgation, comme on dit que l’ancienne loi est la loi de Moïse, bien que Moïse ne l’ait pas instituée mais promulguée.  On peut répondre la même chose aux témoignages de ceux qui disent que le sacrement de pénitence a été institué par les apôtres.  Car, ces mêmes auteurs disent que le Christ a institué l’absolution et insinué la confession, laissant donc aux apôtres la promulgation plutôt que l’institution, même s’ils lui donnent ce nom.  Et ce qu’ils attribuent à Alexandre et à saint Bonaventure ne peut absolument pas se défendre.  Car, il appert des témoignages du pape Fabien,  de Denys l’aréopagite, de Cyprien et de Tertullien et des autres anciens que le sacrement de confirmation a existé bien avant l’époque du concile de Mendensis.
Voir la hiérarchie ecclésiastique de saint Denys (au chapitre du baptême), Tertullien (au livre sur la résurrection de la chair),   Fabien (épitre aux Orientaux), saint Cyprien (livre 2, épitre 1, et son sermon sur le saint-chrême),   Et la seule chose qu’a statuée le concile qu’ils citent, c’est qu’on doit être à jeun pour recevoir le sacrement de confirmation.  Mais on reviendra sur ce sujet quand on traitera des sacrements en particulier.
                                        CHAPITRE 24
Le ministre ordinaire des sacrements n’est pas un baptisé quelconque.
L’autre question porte sur la cause ministérielle de la confection et de l’administration des sacrements : qui, dans l’Église, est le ministre des sacrements proprement dits ?  Les adversaires sont en dissension entre eux et avec nous sur cette question.  Martin Luther enseigne deux choses fausses et contradictoires.  La première.  Tous sont des ministres, non seulement les hommes, mais aussi les démons. Car, c’est bien ce qu’il écrit (dans son livre sur la messe privée, et sur l’onction des prêtres, en l’an 1534) : « Je ne dirai pas, moi, ce que disent les papistes, qu’aucun ange ne peut consacrer, ni même la sainte Vierge elle-même.  Je dis, au contraire, que si le diable venait, et que j’apprenais par la suite qu’il s’est attribué l’office de pasteur d’église, que revêtu du costume de la prédication, il a enseigné publiquement dans l’Église, a baptisé, célébré la messe, absout des pécheurs, qu’il a rempli ce devoir pastoral  selon l’institution du Christ, je serais forcé de reconnaître que les sacrements qu’il a conférés ne sont pas inefficaces, que nous avons reçu un vrai baptême, un vrai évangile, une vraie absolution, le vrai sacrement du corps et du sang du Christ. »
Il le prouve d’abord, parce que notre foi, la dignité et l’efficacité des sacrements ne sont pas fondées sur la qualité de la personne, mais sur la parole et l’ordination du Christ. Donc, que la personne soit bonne ou mauvaise, ointe ou non ointe, appelée légitimement, ou non appelée,  ce que ce soit satan ou un ange, elle effectue le sacrement, pourvu que soit conservée l’ordination du Christ. Il le prouve ensuite en disant que Judas, qui était membre du diable, ne prêchait pas moins et ne baptisait pas moins que les autres apôtres.   Pourquoi donc le diable ne pourrait pas faire ce que font ses membres ?
La deuxième chose qu’il enseigne c’est que tous les hommes baptisés et seulement les hommes baptisés ont le pouvoir d’administrer les sacrements.  Bien que, pour éviter toute confusion, il ne convienne pas que tous usent de ce pouvoir, mais seulement ceux qui sont légitimement appelés, sauf dans trois cas. Le premier, quand quelqu’un agit comme homme privé dans sa propre maison.  Le deuxième, quand il n’y a personne d’autre, et que la nécessité urge.  Le troisième, quand il y a quelqu’un mais qui ne fait pas aussi bien que je ferais moi-même.  Comme dans saint Paul (1 Corinthiens X1V) : « Si quelque chose a été révélé à un autre, que le premier se taise. »
Que ce soit bien sa sentence, on le voit par ce qui suit (dans la captivité de Babylone, sur l’ordre) : « Sois-en certain, et quiconque professe être un chrétien admettra que nous sommes tous également prêtres, c’est-à-dire que nous avons tous le même pouvoir sur la parole et le sacrement, mais qu’Il ne convient pas à tous de s’en servir, sans le consentement de la communauté, ou l’appel d’un plus grand. »  Et, un peu avant : « Comme si nous étions forcés d’admettre que nous ne sommes  pas tous également prêtres,  --comme nous le sommes vraiment--,  nous tous qui avons été baptisés. »  De même, dans les articles condamnés par le pape Léon X, article 13 : « Là où il n’y a pas de prêtre, n’importe quel chrétien peut agir en prêtre, même une femme ou un enfant. »
Et, dans cet article, il présente comme raison : « Car, celui qui a été baptisé a l’esprit du Christ;  et là où est l’Esprit du Christ, là est le pouvoir de tous et la liberté. »  Et il dit la même chose dans le livre qu’il a édité contre la bulle du pape Léon X, en l’an 20 : « Je réaffirme et je promulgue de nouveau,  avec toute la confiance de mon esprit.  les articles condamnés par la bulle, et je déclare qu’ils doivent être crus par tous les chrétiens, sous peine de damnation éternelle. » Et, un peu plus bas, à la fin de son livre : « La dernière chose que j’ai, mon âme, mon sang, je l’exposerai.  Car, il est préférable que je sois tué mille fois plutôt que je change une seule syllabe aux articles condamnés. »
Il faut noter en passant que Luther a révoqué par la suite quelques-uns de ces articles, notamment sur le libre arbitre,  que dans sa première assertion, il appelle le fondement de toute sa doctrine.  Car, dans cet article 36, il dit que le libre arbitre est une chose qui n’en a que le nom.  Et, il explique, dans son assertion, qu’il fallait entendre cela selon la doctrine de Wicliff selon laquelle tout arrive de nécessité.  Ce qu’il a clairement révoqué dans sa visite de la  Saxe, où il enseigna que l’homme jouit de son libre arbitre dans les œuvres civiles, et que tout n’arrive pas nécessairement.
À ce sujet, (dans son livre sur l’abrogation de la messe privée, de l’an 21), il enseigne  que tous les chrétiens ont le même pouvoir pour la prédication et l’administration des sacrements : « Les Écritures demeurant invaincues, nous affirmerons que le ministère légitime et unique de la parole est commun à tous les chrétiens, comme le sacerdoce et le sacrifice. »  Et plus bas, il prouve par quelques exemples de l’Écriture qu’il est permis même aux femmes de prêcher.  De même dans son livre aux habitants de Prague, et dans celui sur l’institution des ministres de l’Église qu’il a édité en 1523, il écrit : « Dans le nouveau testament surtout, le prêtre ne devient pas, mais nait prêtre; il n’est pas ordonné, mais créé. Car, il nait dans le baptême, et tous les chrétiens sont donc prêtres. »
Et, au même endroit, il prouve éloquemment que tous les chrétiens ont, de par leur baptême, le pouvoir de prêcher, de baptiser, de consacrer, de délier et de lier.  Et, au sujet des clefs, il a ces mots : « Que cessent les mensonges des hommes !  Les clefs sont celles de toute l’Église, et de tous ses membres, tant de droit qu’en pratique, et de toutes les manières. »  Mais, plus bas, il précise que toutes ces choses ne sont pas permises à tous de droit, mais en cas de nécessité, et qu’il faut attendre la vocation et l’appel de la multitude.
De ces données, il déduit deux corollaires. Le premier. Les ministres publics ne diffèrent pas des autres par un pouvoir ou une dignité quelconque, mais seulement par l’usage du pouvoir.  Le deuxième.   Il s’ensuit qu’un ministre peut devenir laïc et un laïc ministre.  Nous présenterons plus bas ses arguments quand le temps sera venu de les réfuter.  Voilà donc quelle est la sentence de Luther.
Jean Calvin pêche par l’autre extrême. Car, non seulement il concède que le diable, une femme ou un chrétien quelconque peut prêcher, et administrer les sacrements, mais  il insiste sévèrement que seuls ceux qui sont légitimement appelés ont ce pouvoir.  Et il ne permet  pas aux laïcs, ou surtout aux femmes, de baptiser.  Et c’est ce qu’il écrit dans son antidote (canon 19, sessions 7) :
 « Nul homme sain d’esprit ne mettra sur un pied d’égalité tous les chrétiens pour la prédication ou l’administration des sacrements.  Non seulement parce que toute église doit être régie de façon convenable et ordonnée, mais aussi parce que c’est par un mandat singulier du Christ que les ministres sont ordonnés pour cette fonction. »  Et plus bas : « La charge de baptiser, là où on découvre qu’elle a été confiée à une femmelette, comment ont-ils pu le lui permettre ? »  Il enseigne longuement la même chose (livre 4, chapitre 3, verset 10, et chapitre 15, à la fin).  Nous ne voulons pas ici engager une dispute avec Calvin à ce sujet,  Car, qu’il dénie aux femmes et aux laïcs le pouvoir de baptiser en cas de nécessité, nous le réfuterons dans notre dispute sur le baptême.
Martin Kemnitius, expliquant toute chose à sa manière, ne découvre pas assez clairement sa pensée.  Car, en parlant du canon 10, session 7 du concile de Trente, il dit trois choses : « On se demande si ce canon a été placé là pour condamner la sentence de Luther, mais mutilée et corrompue : « Car Luther, dit Kemniuts, page 138, n’a jamais pensé que n’importe lequel chrétien puisse, sans un appel légitime,  s’autoproclamer prêtre, et qu’on puisse ou qu’on doive s’arroger ou usurper le ministère de la parole et l’administration des sacrements dans l’église. »
Il aurait du distinguer le pouvoir de l’exécution.  Car, s’il parle de la seule exécution, il est vrai que Luther n’a jamais pensé que quiconque puisse, sans appel de la communauté,  s’arroger le ministère sacerdotal.  Mais, ce n’est pas ce que le concile a condamné dans Luther. Car, tous tant que nous sommes, nous confessons que c’est vrai.  Mais, s’il parle du pouvoir, il est faux que Luther n’a jamais pensé ainsi, comme le démontrent les textes que nous venons tout juste de citer.  Or, c’est ce  que le concile a damné.  On ne peut donc pas dire que la sentence de Luther a été mutilée ou déformée par le concile.  Car le concile n’était pas obligé de décrire tout le livre de Luther, ou de rapporter ce qui avait été bien écrit par lui. Il lui suffisait de citer les paroles de Luther qui étaient condamnables.
Ensuite Kemnitius ajoute que le concile a parlé « frauduleusement ». Il dit que, à la page 140,  de façon détournée, et comme s’ils cherchaient autre choses, les pères du concile ont présenté l’axiome suivant :  « À moins d’avoir été oint et rasé par un évêque, personne n’a  le pouvoir de prêcher et d’administrer les sacrements, même s’il a été légitimement élu  et appelé par l’église, selon le précepte de la parole de Dieu.  Et les sacrements par lui administrés ne sont ni vrais ni efficaces.  Que le lecteur intelligent détecte les embuches cachées dans ce canon. »
Mais ce canon est tout ce qu’il y a de plus clair. Et c’est plutôt Kemnitius qui tend des pièges aux simples d’esprit.  Car, le concile ne dit pas que ceux qui ne sont pas oints et rasés n’ont aucun pouvoir dans l’administration des sacrements. Comment le concile aurait-il pu ignorer que pour les sacrements du baptême et du mariage l’ordination n’est pas nécessairement requise ?  Mais, il dit qu’ils n’ont pas le pouvoir dans tous les sacrements. Et cela pour condamner la sentence de Luther qui accorde un pouvoir aux laïcs pour tous les sacrements, même l’eucharistie et la pénitence.  De plus, le concile ne parle de pas des oints et des rasés, car l’onction et la tonsure sont des cérémonies secondaires dans lesquelles ne consistent pas l’essentiel de l’ordination.  C’est donc Kemnitius qui cache des pièges dans ses paroles.
Troisièmement.  Il dit que la sentence du canon, selon le sens normal des mots, est vraie, mais, cependant, il ne l’expose pas correctement : « Au sujet de la sentence du dixième canon, de la façon dont il est formulé, je réponds : s’il y en a qui pensent que, sans vocation particulière et légitime, il est permis à chaque chrétien d’usurper, dans l’église,  le ministère de la parole et des sacrements, ils sont condamnés de droit et avec raison. »  Mais Kemnitius ne présente pas correctement la sentence du concile.  Car, le concile ne blâme pas ceux qui disent qu’il est permis à chacun d’usurper le ministère sans vocation, car cela personne ne le dit,  et aucun canon n’était requis pour le condamner.  Il condamne ceux qui disent,  que tous les chrétiens ont le pouvoir de prêcher et d’administrer les sacrements, comme le dit Luther, et ce que semble penser Kemnitius, même s’il n’ose par l’avouer ouvertement.  Il faut donc présenter la doctrine de l’Église  qui tient en deux propositions.
La première proposition. Le ministre des sacrements doit être un homme, bon ou mauvais, et non un ange.  Cette proposition est contraire à Luther, et commune à tous les théologiens.  Il est cependant à noter qu’au cas où un bon ange remplissait un certain ministère, il faudrait le considérer ce ministère  comme ratifié, parce qu’il est certain que cela se ferait par une dispense divine extraordinaire. Nicéphore rapporte, en effet, (livre 9, chapitre 20), qu’Amphilochius a été ordonné prêtre par les anges, et que cette ordination a été ratifiée par les évêques de sa province.  Mais si c’est le démon qui le faisait, il faudrait réitérer le sacrement, car le diable ne possède pas ce pouvoir de lui-même, et il ne peut pas le recevoir de Dieu par une dispensation toute particulière. Il ne peut que l’usurper et feindre de le posséder.
On prouve la première proposition.  D’abord, comme pour l’essence des sacrements est requis un élément vrai et naturel, est requise de la même façon une parole vraie et naturelle.  Mais ne parle que celui qui est vraiment et naturellement un homme.  Car la parole est une action d’un  corps vivant, par l’instrument de la langue et du palais.  Un ange bon ou mauvais ne peut donc pas conférer un sacrement.  Car, comme l’enseigne correctement saint Thomas (1 par quest L1, art 3, à 4.) : « Les anges ne peuvent pas parler pour vrai, même avec un corps assumé. »
 Deuxièmement.  Même si les anges pouvaient employer les vrais éléments et les vraies paroles, ils ne pourraient pas, pour autant, effectuer un vrai sacrement.  Car, le sacrement est un signe et une cause infaillible de grâce.  Or, les éléments et les paroles n’ont pas cela naturellement, mais seulement s’ils sont assumés par Dieu comme instruments de justification.  Ils ne sont donc pas de vrais sacrements, quand ils sont utilisés par n’importe qui, mais seulement par celui  à qui Dieu l’a confié.
 Exemple. Les paroles avec lesquelles le Christ et les apôtres faisaient des miracles n’auraient pas eu la même vertu dans n’importe laquelle bouche.  Car, si quelqu’un dit à un boiteux : lève-toi et marche, il n’obtiendra aucun résultat à moins qu’il soit assumé par Dieu comme un instrument pour faire des miracles.   Ne peut donc faire un vrai sacrement que celui qui a en a reçu de Dieu le pouvoir.  Mais, ce pouvoir Dieu ne l’a donné qu’aux hommes, non aux anges, bons ou mauvais.
Le Seigneur a dit à des hommes  en Matthieu (XXV111) : « Allez enseigner toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »  De même, en Luc XX11 il  a dit seulement à des hommes : « Faites cela en souvenir de moi. »  Et en Jean XX, ce n’est qu’à des hommes qu’il a dit : « Ceux à qui vous remettrez les péchés etc. »  Et aux Éphésiens 1V : « Le Christ montant en haut a rendu captive la captivité, et a donné ses dons aux hommes. »  Si, par dons, il n’entendait pas les ministères variés qui sont dans l’église, il n’aurait pas dit avant : « À chacun de nous une grâce est donnée selon la mesure du don du Christ, comme il est écrit : « En montant en hauteur etc… »  Et, un peu plus bas : « Et c’est celui qui a donné des prophètes, des apôtres, des évangélistes, des pasteurs et des docteurs. »  C’est pourquoi saint Jean Chrysostome (livre 3 sur le sacerdoce), atteste ouvertement qu’il a été concédé aux hommes, mais pas  aux anges, d’administrer les sacrements.  Et il dit la même chose dans son homélie 85 sur Jean, vers la fin.
Les arguments en faveur du diable qui ont été présentés ne permettent de rien conclure.  Nous concédons d’abord, que l’efficacité des sacrements ne dépend pas  de la qualité quelconque d’un ministre.  Car, elle ne dépend pas d’une qualité accidentelle comme la bonté.  Elle dépend, cependant, d’une qualité essentielle sans laquelle il ne serait pas un vrai ministre : il doit être un homme.
 Au deuxième argument, je réponds que nous admettons que Judas et un membre du diable a pu administrer de vrais sacrements.  Mais nous nions que cela convienne au diable.  Car, ce n’est pas en tant que membre du Christ que Judas a administré un sacrement, mais en tant que ministre du Christ.  En effet, Judas a été un vrai ministre du Christ parce qu’il était un vrai homme, et qu’il avait reçu du Christ le pouvoir du baptiser, ce qui ne convient à aucun démon.
La seconde proposition. Un vrai ministre des sacrements (à l’exception du baptême et du mariage), n’est pas n’importe lequel baptisé mais seulement celui  qui a été rituellement ordonné par l’Église.  On dit à l’exception du baptême, parce que, à cause de la nécessité suprême de ce sacrement, l’Église a toujours compris qu’il peut être conféré par n’importe qui.  C’est de quoi nous parlerons dans la matière du baptême.  On dit aussi à l’exception du mariage, parce que, comme le mariage consiste dans l’engagement mutuel de deux personnes, il faut de toute nécessité que les parties contractantes soient des ministres.
On prouve cette proposition contre Luther. Par l’Écriture d’abord.  Elle enseigne que, dans l’église, il y a différents offices qui ne conviennent pas à tous.  Voir Romains X11 1, Corinthiens X11, Éphésiens 1V : « Il a fait de quelques-uns des apôtres, d’autres, des prophètes… Tous sont-ils apôtres, tous sont-ils prophètes ?»  On peut donc dire la même chose des pasteurs et des docteurs, qui sont nommés au même endroit.
 On ne peut pas répondre qu’il s’agisse là de l’usage, et non du pouvoir, comme le prétendent les Luthériens.  Car, il est certain que les apôtres n’avaient pas le pouvoir apostolique avant de l’avoir reçu de Dieu.  Ils n’ont pas reçu l’usage seulement, mais le pouvoir.  Deuxièmement. Nous lisons dans Hébreux V : « Personne ne s’attribue à lui-même cet honneur, mais seulement celui qui est appelé par Dieu, comme Aaron. »  Ne sont donc pas prêtres tous ceux qui font partie du peuple de Dieu.
On ne peut pas non plus entendre ce texte au sens de l’exercice d’un pouvoir, car avant qu’il ait été appelé par Dieu au sacerdoce, Aaron n’en avait ni le pouvoir ni l’usage.  De plus, assumer un honneur ce n’est pas exercer un pouvoir, mais le recevoir.  Ce qui est confirmé par ce qui suit : « Le Christ non plus,   ne s’est pas glorifié lui-même, pour devenir pontife. »  Or, assumer un honneur c’est devenir pontife, non exercer le pontificat.
Les apôtres ont été baptisés, et ils baptisaient avant la passion du Christ.  Qu’ils aient baptisé, on le trouve dans saint Jean 1V.  Qu’ils aient été baptisés, saint Augustin l’enseigne dans son épitre 108 à Séleucianus). Et il n’est pas crédible que, avant d’avoir reçu l’ordre de baptiser, ils n’aient pas été baptisés par le Christ.  Et le pouvoir de consacrer l’eucharistie ils l’on reçu  plus tard, (Luc XX11) quand ils entendirent : faites cela en souvenir de moi.  C’est plus tard aussi qu’ils reçurent le pouvoir d’absoudre les péchés (Jean XX) : « Ceux à qui vous les remettrez. »  Ils n’ont pas reçu tout cela dans le baptême.
Quatrièmement.   Si tous les chrétiens avaient reçu ce pouvoir dans le baptême, ils l’auraient reçu parce que, alors, comme dit Luther, ils sont oints par la grâce de l’Esprit-Saint, et deviennent donc des prêtres spirituels.  Mais, cela est faux.  Car, il s’ensuivrait que ceux, qui, dans le baptême, ne reçoivent pas cette grâce, et ceux qui la perdent après, ne confèrent pas vraiment les sacrements, ce que Luther nie pourtant correctement contre les anabaptistes.  On ne peut répondre que le caractère suffit, car les luthériens ne reconnaissent pas ce caractère.
Cinquièmement.    Si tous les chrétiens avaient ce pouvoir, personne ne pourrait être privé de son usage, si ce n’est pour peine d’un grand crime. Or, chez les luthériens, nombreux sont ceux qui sont privés, sans faute de leur part, de l’usage de ce pouvoir.   La raison qu’ils apportent c’est la confusion qui règnerait dans l’Église si tous usaient de ce pouvoir. Car ils peuvent user de ce pouvoir par des représentants.  Mais, on ne devrait certainement pas pouvoir rejeter quelqu’un qui veut exercer le ministère  quand il y a peu de ministres, même s’ils ne sont pas appelés par la magistrature.  Mais eux, rejettent tous ceux qui ne sont pas appelés. Ou dont ils commettent envers eux une injustice, ou ils doivent reconnaitre qu’ils ne possèdent pas ce pouvoir.
Sixièmement.  Dans l’ancienne loi  où les sacrements étaient moins parfaits,  tous ne pouvaient pas les administrer, mais seulement les prêtres. Ne vaut pas ta réponse quand tu dis que les chrétiens sont faits, dans le baptême, des prêtres spirituels.   Car, les Juifs aussi devenaient, par la circoncision, des prêtres spirituels,  et pouvaient offrir des hosties spirituelles.  Bien plus, ce que saint Pierre a dit au sujet de tous les chrétiens (1 Pierre 111) : « Vous êtes un peuple élu, un sacerdoce royal », Moïse l’avait dit de tous les Israélites (Exode X1X), et pourtant, le roi Ozias fut puni de la lèpre quand il a voulu exercer une fonction sacerdotale (11 Paralipomen, XXV1.)
                                     CHAPITRE 25
                  On réfute les arguments de Luther
Après tout ce que nous avons expliqué, il sera facile de répondre aux arguments de Luther.   Le premier.  Dans son livre sur l’abrogation de la messe, il propose six textes de l’Écriture par lesquels il prouve que tous les chrétiens sont tous également prêtres.  Le premier est celui de saint Pierre (1 Pierre 11) : « Comme des pierres vivantes, vous êtes surédifiés dans le saint sacerdoce. »  Le second : « Vous êtes une nation élue, un sacerdoce royal. » Le troisième : « Pour que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. »  On dit là que les chrétiens sont appelés à annoncer, c’est-à-dire à prêcher la vertu du Christ.   Donc, tous les chrétiens peuvent et doivent prêcher, ce qui est la fonction principale du sacerdoce.  La quatrième. Apocalypse V : « Tu nous as faits pour notre Dieu un royaume et un sacerdoce. »  Le cinquième.  Apocalypse XX : « Ils seront des prêtres de Dieu et de son Christ. »  Le sixième (2 Cor 3) : « Qui a fait de nous des ministres idoines du nouveau testament. »
 Il ajoute en plus quelques passages pour prouver que les femmes peuvent prêcher. Joël 11 : « Vos fils et vos filles prophétiseront. »  Actes XX1 : « Les quatre filles de Philippe étaient des vierges qui prophétisaient. »  Exode XV : « Marie prophétisait. » Juges 1V : « Débora enseigna à Barach. » 1V, Rois XX11, Olda donna un conseil au roi Josias.  Luc 1 : la Vierge Marie a prophétisé.  1 Corinthiens 11 : «  Une femme, la tête voilée, prie et prophétise. »  C’est par ce passage qu’il pense pouvoir expliquer ce que l’apôtre dit ailleurs : « Que les femmes se taisent dans l’église. »  Car, dans le premier passage il parle d’une façon absolue, et dans le second il interdit aux femmes de parler en présence d’hommes qui veulent et qui peuvent parler.
De plus, dans son livre  aux habitants de Prague sur l’institution des ministres,  il prouve cela doublement.  D’abord, par la raison suivante : le Christ est prêtre. Psaume C1X : « Tu es prêtre pour l’éternité. »  Or, tous les chrétiens sont frères du Christ.  Psaume 21 : « Je raconterai ton nom à mes frères. »  Et dans le psaume XL1V : « Il t’a oint d’une huile d’allégresse avant tes compagnons. »  Tous les chrétiens sont donc prêtres.
Secondement, il le  prouve par les fonctions que remplissent les prêtres : prêcher, baptiser, consacrer, absoudre, sacrifier, prier pour les autres, et juger les doctrines.  Que tous peuvent prêcher, il le prouve par trois citations de l’Écriture.   La première de Saint Pierre (1 Pierre 2) : « Pour que vous annonciez les vertus. »  La deuxième, de saint Paul (1 Cor 11) : « Toutes les fois que vous mangerez ce pain, vous annoncerez la mort du Seigneur. »   Car, annoncer la mort du Seigneur c’est prêcher.  La troisième, de saint Paul (1 Cor X1V) : « Chacun de vous a un psaume, a une doctrine, a une apocalypse.  Vous pouvez tous prophétiser pour chacun. »
  Luther croit que ces textes lui donnent le droit de triompher.  C’est pourquoi il dit : « Par ces textes, est confirmée avec force et clarté la doctrine selon laquelle le ministère de la parole, qui est le plus important dans l’Église, est unique et commun à tous les fidèles, non seulement de droit, mais de précepte.  Le sacerdoce sera donc, lui aussi, unique et commun à tous.  Contre cette doctrine ne valent absolument rien les menaces divines, les pères infinis, les conciles innombrables, la coutume éternelle, la multitude universelle du monde.  Et c’est avec ces chalumeaux que des larves rasées s’efforcent de stabiliser leur sacerdoce. »
Que tous  puissent baptiser, il le prouve par l’usage de notre église, qui concède aussi aux femmelettes de baptiser. Et donc, d’exercer le ministère de la parole.  Car, il n’y a pas de baptême sans paroles.  Que tous puissent consacrer l’eucharistie, il le prouve, d’abord, par saint Luc (XX11) : « Faites cela en mémoire de moi. »  Ensuite, par saint Paul (1 Cor X1) qui dit à toute l’église : « Car, j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis. »   Enfin, il le prouve en disant que baptiser et prêcher sont des choses plus grandes que consacrer.  Car, par la prédication et le baptême est donnée la rémission des péchés, et par la consécration rien n’est donné, si ce n’est la stupéfaction du prêtre à la pensée de  son pouvoir et de sa dignité.
 Que tous puissent absoudre, il le prouve par saint Matthieu XV111 : « Tout ce que vous délierez sur la terre… »  Que tous puissent sacrifier, il le prouve en disant qu’il n’y a aucun sacrifice dans l’église en dehors de celui dont parle saint Paul aux Romains X11 : « Sacrifions nos corps par la mortification des vices. »  Ce qui est commun à tous.  Que tous puissent prier pour les autres, il le prouve en disant que l’oraison dominicale est commune à tous, et qu’en elle, on prie aussi pour les autres.
Que tous puissent juger et discerner les dogmes, il le prouve de deux façons.   La première.  Par les Écritures qui ordonnent que nous fuyions les faux prophètes.   Jean X : « Mes brebis écoutent ma voix, mais n’écoutent pas la voix des étrangers. »   Matthieu V11 : « Gardez vous des faux prophètes. »  Il le prouve ensuite par ces paroles de saint Paul (1 Cor X1V) : « Si quelque chose a été révélé à celui qui est assis, que le premier se taise. »  C’est ici surtout que Luther jubile.  Il veut, en effet, que soit permis à quiconque de juger l’église romaine, même si elle siège comme mère et maîtresse de toutes les églises.  Voilà donc ses arguments, que nous avons tirés de son livre sur l’institution des ministères.   Il ajoute un dernier argument (à l’article 13 de ses assertions) : « Celui qui est baptisé a l’esprit du Christ.  Or, là où est l’esprit du Christ, là aussi est le pouvoir de tous et la liberté. »
Réponses. Au premier, deuxième, quatrième et cinquième texte cité, je réponds que ces passages doivent s’entendre du sacerdoce spirituel, par lequel nous offrons des hosties spirituelles, c’est-à-dire, des bonnes œuvres, et surtout des louanges et des prières.  Ce sacerdoce, en effet, est commun à tous les hommes pieux.  Mais, le sacerdoce proprement dit est quelque chose d’autre  C’est celui par lequel est offert le sacrifice proprement dit, et à qui il appartient de prêcher au peuple, et d’administrer les sacrements.   Il est clair qu’il en ainsi, car, après avoir parlé de sacrifices, il a ajouté le mot spirituels, pour faire la distinction entre les hosties qui ne sont pas offertes en sacrifice spirituellement et mystiquement, mais réellement, et au sens propre.  Et dans l’apocalypse V et XX, il est question du sacerdoce des bienheureux dans le ciel, qui ne sert, certes, à rien d’autre qu’à offrir des louanges.
On prouve la même chose de la façon suivante.  Les paroles de saint Pierre sont extraites du livre de l’Exode, où on dit des Hébreux la même chose que saint Pierre attribue aux  chrétiens.  Or, dans l’ancien testament, tous n’étaient pas des prêtres proprement dits, mais seulement les fils et la descendance d’Aaron.  Mais, cependant, tous étaient des prêtres spirituels.   Troisièmement.  Car autant Pierre, dans son épitre,  que Jean, dans son Apocalypse,  associent le sacerdoce au règne.  Si donc, en vertu de ce texte, tous les chrétiens sont des prêtres, comment peuvent-ils être des rois ?
Quatrièmement.  Ces textes ne s’entendent que des chrétiens saints et pieux, non des pécheurs, qui ne sont pas une nation sainte, comme saint Pierre les appelle.   Or, le sacerdoce ou le ministère externe convient aussi aux pécheurs, de l’aveu tant des catholiques que des luthériens.  Au sujet de : « Pour que vous annonciez les vertus », je réponds que saint Pierre n’ordonne pas que tous les chrétiens prêchent publiquement la parole de Dieu, mais qu’ils rendent grâce à Dieu, et qu’ils le louent pour ses bienfaits.  Car, comme l’explique correctement Bède, Pierre fait une allusion au
 cantique des Hébreux : « Chantons pour le Seigneur glorieusement (Exode XV).  »  C’est ce qu’ils chantèrent après avoir été libérés de l’Égypte et avoir traversé la mer rouge.  Car, il veut que les chrétiens qui ont été libérés de la servitude diabolique par les eaux du baptême, chantent un cantique d’action de grâces, et louent constamment le pouvoir du Rédempteur.
 Oecumenius ne se trompe pas quand il ajoute que Pierre veut aussi que tous les chrétiens annoncent la vertu de Dieu non pas tant par la parole que par les bonnes œuvres, de façon à ce que leur vie soit, pour les Gentils,  une sorte de prédication, selon ces paroles de Jésus en Matthieu V : « Pour qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient le Père… »   C’est de cette façon, d’ailleurs, qu’on comprend beaucoup de textes de l’Écriture. Comme le psaume XV111 : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament annonce l’œuvre de ses mains. »  1 Timothée 11 : « Comme il convient à des femmes exemplaires. »  Nous avons en grec, le mot annoncer : « annonçant la piété par leurs bonnes œuvres. »  Tu vois que, là, on commande aux femmes d’annoncer la piété.  Et pour que, trompées par une interprétation luthérienne, elles ne pensent pas qu’il leur soit permis à elles aussi, de prêcher, il ajoute : « par vos bonnes œuvres. »  Et : « Je ne permets pas à la femme d’enseigner. »
 À « il nous a fait des ministres idoines », je réponds qu’il ne parle pas de tous les chrétiens, mais de lui, seulement, et de ses autres collègues apôtres.   Car, il se compare avec Moïse, qui a été ministre de l’ancien testament, et il dit que lui a été le ministre de lettres gravées  sur des  pierres, et que lui et ses collègues sont des ministres de l’Esprit.  Or, il appert que, dans l’ancien testament, tous n’ont pas été ministres et promulgateurs de loi, mais seulement Moïse.  De plus, dans tout le chapitre précédent, il parle de lui-même, ainsi qu’au début du troisième chapitre, où il dit : « Nous recommençons donc à nous recommander nous-mêmes ? Ou avons-nous besoin, comme certains, de lettres de recommandation pour vous et de vous ? »
 Aux testes allégués en faveur des femmes, je réponds.  Autre chose est prophétiser, c’est-à-dire annoncer une chose future, et autre chose est prêcher et interpréter les Écritures.  La prophétie n’est pas une fonction propre aux prêtres ou aux ecclésiastiques.  C’est une grâce gratuitement donnée qui convient très bien aux laïcs, hommes et femmes.  Il est certain que David, Élie, Élisée, Isaïe et plusieurs autres ont prophétisé sans avoir été prêtres.  C’est de ce genre de prophétie que parlent les textes allégués.
 L’autre genre est propre aux prêtres, et ne convient pas aux femmes. Et c’est ce que dit saint Paul (1 Corinthiens X1V) : « Que les femmes se taisent dans l’église, car il ne leur est pas permis de parler etc. »  Mais, cependant, à cause de cela, il n’est pas défendu à Dieu de concéder, exceptionnellement, aux femmes d’enseigner aux hommes, comme cela est arrivé à Débora, et il y a deux  cents, à saint Catherine de Sienne.  Mais les exceptions à une règle ne font pas une règle; et les privilèges ne font pas une loi.  À l’argument qui veut que tous soient frères du Christ prêtre, je réponds que cet argument ne prouve rien.  Premièrement, parce que le Christ n’est pas prêtre selon l’ordre d’Aaron, mais de Melchisédech.  Dans le sacerdoce d’Aaron, tous les frères étaient prêtres.  Mais, dans le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech, seul le premier-né était prêtre.
 De plus, dans le sacerdoce d’Aaron, seuls les frères naturels étaient prêtres, les frères adoptifs ne l’étaient pas.  Or, les chrétiens sont des frères adoptifs du Christ, non des frères naturels.   De plus, si tout ce qui convient au Christ nous convient aussi à nous, pourquoi ne faisons-nous pas tous des miracles, pourquoi ne prédisons-nous pas tous le futur ? Pourquoi ne sommes-nous pas tous rédempteurs comme lui ?
 À l’argument tiré du premier devoir du prêtre, je réponds que ces trois citations ne prouvent rien.  Car le « pour que vous annonciez les vertus » de saint Pierre (1 Pierre 11) doit s’entendre de la louange privée, non de la prédication, comme nous l’avons déjà dit.    Le « vous annoncerez la mort du Seigneur » dans saint Paul (1 Corinth 11) doit s’entendre de la commémoration de la passion du Seigneur, que nous faisons non en prêchant, mais en consumant l’eucharistie.  Autrement, tous ceux qui reçoivent le saint sacrement de l’autel devraient le faire en prêchant, ce qui est impossible.  Le « vous pouvez tous prophétiser etc » ne doit pas s’entendre de tous les chrétiens, mais de tous ceux qui avaient reçu ces dons.  Car, il dit : « Chacun de vous a un psaume, une langue. »   Or, il est certain qu’ils n’avaient pas tous le don des langues, comme le reconnait saint Paul lui-même quand il dit (1 Cor X11) : « Tous parlent-ils en langue »?  Et, à notre époque, il n’y a personne qui possède ce genre de dons.
 Saint Paul veut donc dire :  Que chacun parmi vous qui se glorifie de ces dons s’en serve dans l’ordre, c’est-à-dire pour l’édification.  Ajoutons, en second lieu, qu’il ne parle pas d’une prédication publique, qui est propre aux prêtres, mais des échanges pieux et des exhortations qu’ils faisaient quand ils se réunissaient.  C’est donc sans aucune raison valable qu’à cause de ces trois textes mal compris, Luther méprise les pères infinis, les conciles innombrables,  la coutume éternelle, et la multitude universelle du monde.
 Je réponds ensuite que, dans l’église catholique,  les femmes baptisent  en cas de nécessité, et avec permission, non d’office.  Comme il est permis aussi aux Juifs et aux Turcs, en cas de très grande nécessité.  Parce que le Turc peut baptiser, on ne peut pas en conclure qu’il peut administrer tous les sacrements.  De la même manière, parce qu’une femme peut baptiser, on ne peut pas en conclure qu’elle peut administrer tous les sacrements, et qu’elle est une prêtresse.  Il n’est pas vrai non plus que personne ne peut baptiser sans qu’il y ait une prédication.    Car, les paroles qui font partie du rite du baptême ne sont pas des paroles de prédication mais de consécration.
 Au « faites cela », je réponds que cela n’a pas été dit à tous.  Autrement, les femmes et les enfants seraient tenus de consacrer les sacrements.  Pour une raison semblable, le « j’ai reçu du Seigneur… » ne signifie pas qu’à tous a été donné le pouvoir de consacrer, mais qu’à tous à été transmis, expliqué et déclaré ce que le Christ avait institué.   IL faut observer aussi que le pouvoir de consacrer est plus grand que celui de baptiser, car la rémission des péchés est autant donnée par l’eucharistie que par le baptême.  Jean V1 : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. »   Au sujet de : « tout ce que vous délierez sur la terre… », je dis que c’est l’Église qui lie et délie, mais par ses ministres,  non par quiconque, comme le corps parle par la langue, non par la main.  Et l’église universelle détermine les propositions de foi mais par ses docteurs, non par les simples chrétiens. C’est ce que démontre clairement la pratique de l’Église de tous âges.
 Au sujet du sacrifice, nous nions qu’il n’existe pas d’autre sacrifice dans l’église que celui de la mortification des vices.  Car, pour ce sacrifice, on n’a pas besoin d’autel.  Mais, dans les églises, il y a un autel, comme saint Paul le dit aux Hébreux X111 : « Nous avons un autel dont n’ont pas le pouvoir de manger ceux qui servent dans le tabernacle. »   Mais, de cela, plus tard.  Je réponds ensuite à l’argument qui porte sur la prière, que la prière qui est propre au prêtre ce n’est pas n’importe laquelle prière, mais la prière publique, car, c’est à lui qu’il revient d’intercéder publiquement pour tout le peuple.  Comme saint Jean Chrysostome l’enseigne dans le livre 6 sur le sacerdoce.
 Au sujet de ces paroles : « Mes brebis écoutent ma voix… », et « gardez-vous des faux prophètes »,  je réponds qu’elles enseignent elles  doivent porter un jugement sur les dogmes, non en les examinant selon la règle des Écritures, comme le veulent les hérétiques, car, si elles étaient capables de faire cela, il n’y aurait aucun besoin de pasteurs et de docteurs dans l’église. Ce qui leur était demandé c’était de comparer la doctrine qu’ils avaient reçue avec les nouvelles doctrines que leur prêchaient les nouveaux pasteurs, au nom de l’Écriture. Car, tous étaient capables de juger que tel enseignement était une nouveauté, et qu’il était donc suspect.  De plus le Seigneur n’appelle pas pasteurs ordinaires les prophètes étrangers et faux, mais extraordinaires, qui viennent d’eux-mêmes, comme sont venus tous les hérétiques.
 Si quelque chose est révélé à quelqu’un qui est assis, que le premier se taise, dit saint Paul.   C’est bien pour rien que Luther croit, à cause de ce texte, pouvoir crier victoire, car cela se passait dans les réunions dont parle saint Paul,  non lors de la prédication publique du pasteur, et encore moins lors du jugement public du conseil,  ou du souverain pontife.   Ce qui est démontré par l’usage de l’église.  Car, on n’a jamais entendu dire  que quand un prêtre prêchait publiquement dans une église, il ait été permis à quiconque de parler, et encore moins, à des hommes privés de rejeter le jugement de toute l’Église.  Deuxièmement, car on n’est pas obligé de croire quiconque nous dit qu’il a eu une révélation, sauf dans des situations graves, et surtout si cette révélation est contraire à la doctrine des pasteurs ordinaires.  Autrement, ce serait ouvrir la porte toute grande à toutes les hérésies. Car il n’y a jamais  eu d’hérésiarque qui ne se soit pas vanté que ses dogmes aient été la très vraie révélation de Dieu.
 On le voit par les paroles du prophète :  « Que deux ou trois parlent, et que les autres jugent ! »  Car, il ne conviendrait pas que deux ou trois prêchent, mais il convenait tout à fait que dans une réunion fraternelle, deux ou trois parlent.  Ajoutons que Justin (dans sa seconde apologie, près de la fin) distingue la prédication qui n’appartient qu’au prêtre, d’une réunion spirituelle qu’au même endroit, après la prédication et les sacrements, ils tenaient entre eux.
 À l’argument voulant que quiconque est baptisé a l’Esprit du Christ, et là où est l’Esprit du Christ, là se trouve tout pouvoir et la liberté, je réponds d’abord que la majeure n’est pas vraie universellement, car beaucoup sont baptisés, qui ne reçoivent pas l’Esprit du Christ, parce qu’ils sont baptisés sans foi et sans pénitence.   Plusieurs le reçoivent et le perdent après, sans pourtant perdre le baptême.  Ensuite, il faut dire que la mineure est fausse.  Car, plusieurs ont l’Esprit du Christ sans avoir un pouvoir sur toutes choses.  En effet, ils ne peuvent ni parler dans des langues étrangères, ni prédire le futur, ni guérir les malades, ni ressusciter les morts.
                                                     CHAPITRE 26
 La foi ou l’innocence d’un ministre n’est pas requise pour que les sacrements soient efficaces.
 Suit la troisième question, qui porte sur les qualités du ministre des sacrements.  La foi est-elle nécessairement requise, ou la charité, de façon à ce que les hérétiques, les infidèles, les schismatiques, les mauvais catholiques ne pourraient pas conférer les sacrements. Nous ne nous demandons pas s’ils pèchent ou pas en conférant les sacrements, mais seulement s’ils les confèrent validement quand ils  n’omettent rien de ce qui appartient à la substance des sacrements.  Mais, de nos jours, il ne semble pas y avoir de controverse sur ce sujet.  Car, même si Luther  dit  souvent que l’Esprit du Christ, reçu au baptême, est le fondement du pouvoir d’administrer les sacrements, et que, en conséquence, seuls les bons qui ont l’Esprit du Christ confèrent efficacement les sacrements, cependant, lui-même a enseigné, par la suite, que la foi et la probité étaient si peu requises que le diable peut conférer les sacrements efficacement, comme nous l’avons montré plus haut.
 La confession d’Augusta (article 8) reconnait que les sacrements sont efficaces, même s’ils sont administrés par des hypocrites et des indignes.  Calvin enseigne la même chose (livre 4, chapitre 15, verset 16). Et dans son antidote du concile de Trente (canon X11, session 7), il dit anathème à ceux qui nient que les sacrements sont efficaces quand ils sont administrés par des méchants.  Et il n’ajoute rien d’autre que le mot amen : qu’il en soit ainsi.  Enfin, Kemnitius (dans son examen du concile de trente, 2 part, page 155, affirme que le canon 12 ne lui déplait pas.   Il a coutume d’attribuer aux Anabaptistes et aux Hussites la sentence voulant que les sacrements ne soient efficaces que si le ministre est fidèle et pieux.  Mais, je me demande si les Hussites enseignent vraiment cela, car ils ont coutume de demander au pontife romain les ordinations de leurs prêtres, même s’ils ont tenu et tiennent encore  pour hérétiques le pontife romain et tous les évêques catholiques.  Et, il est certain que si les Hussites considèrent comme valides les ordinations de ceux qu’ils appellent hérétiques, ils accepteront beaucoup plus facilement le baptême conféré par eux.
 C’est ce que nous montre le livre du Luther sur le sénat de Prague, où il enjoint les Bohémiens Hussites de ne pas demander d’ordinations à Rome, puisque pour les Romains ils sont hérétiques, et que pour eux les Romains sont hérétiques.  Donc, ce que Jean Huss dit, dans ses articles condamnés au concile de Constance, (session 14) à l’effet qu’un mauvais prélat ou un réprouvé est équivoquement un pasteur, et que personne n’est évêque quand il est en état de péché mortel, ou ben il l’entend seulement de la juridiction, ou bien les Hussites ne suivent pas leur maître sur ce point.  Kemnitius, au lieu cité, attribue cette erreur aux Anabaptistes.  Mais parce que leur doctrine est pour beaucoup difficile à comprendre, et non divulguée publiquement, on ne sait pas sur quels fondements elle s’appuie.
 Voilà pourquoi il suffira, à ce moment-ci, de donner le nom de ceux qui, autrefois, ont erré de cette façon.  Ensuite, par quels pères et par quelles raisons leurs objections ont été réfutées.
 Avant l’an 300, commença à naître, en Asie  et en Afrique, cette opinion erronée que n’étaient pas valides  les sacrements administrés par des hérétiques et des schismatiques après leur séparation de l’unité catholique. C’est ce qu’Eusèbe rapporte  (livre 7, chapitre 6,  d’après l’épitre de Denys d’Alexandrie, sur les Africains;  livre 7, chapitre 2), saint Augustin (livre 2, chapitre 7 sur le baptême) dans lequel il indique que le premier auteur de cette hérésie a été l’évêque de Carthage Agrippine, le prédécesseur de saint Cyprien.   C’est aussi ce qu’atteste Vincent de Lérins qui dit qu’Agrippine a été le premier des mortels à penser qu’il fallait rebaptiser.
 Saint Cyprien, avec beaucoup d’évêques africains, a suivi son prédécesseur, sans pour autant, se séparer de l’Église à cause de cela, comme on  le voit pas les lettres qu’il a écrites à Quintus, Pompeius, et Jubaianus.  Voilà pourquoi, il n’a jamais été considéré comme un hérétique.  Ne manquent pas ceux qui soutiennent qu’il a, à la fin de sa vie, révoqué sa sentence, comme saint Augustin le dit dans la lettre 48 à Vicentius.  De la même façon, saint Jérôme (dans son dialogue contre les Lucifériens)  rapporte que, par respect pour l’autorité du pape Étienne, les autres évêques auraient fini par renoncer à leur erreur.
 Ont marché sur leurs traces, peu à près, les hérétiques donatistes, qui ont tenu avec acharnement cette erreur, et l’ont même renforcée.  Car, au début, Agrippine et saint Cyprien ne voyaient pas des hérétiques dans ceux qui pensaient le contraire.  Voilà pourquoi ils ne rebaptisaient pas ceux qui avaient été baptisés par des catholiques d’opinion contraire, tandis que les donatistes rebaptisaient même les catholiques, qu’ils tenaient pour hérétiques.  C’est ce que dit  saint Augustin (dans son livre sur l’unique baptême, chapitre 13) quand il compare les donatistes avec  Aggripine et Cyprien : « Rebaptiser des hérétiques fut une erreur humaine.  Rebaptiser des catholiques est toujours le fait  de la présomption diabolique. »
 Deuxièmement, les donatistes défendirent leur erreur après la définition de l’Église dans un concile général, ce qui est propre aux hérétiques. Aggrippine et Cyrien ne connurent aucune définition de l’Église faite en termes absolus, comme Augustin l’atteste (livre 2, sur le baptême, chapitres 7 et 9.)   Troisièmement, saint Cyprien ne réprouvait que les sacrements administrés par des hérétiques et des schismatiques, c’est-à-dire par ceux qui étaient en dehors de l’Église. Il ne réprouvait pas les sacrements administrés, dans l’Église,  par de mauvais prêtres, comme saint Augustin le démontre (livre 4, chapitre 9 sur le baptême, et le livre de l’épitre contre Parmenianus, chapitre 2).   Mais les autres donatistes excluaient manifestement tous les pécheurs de l’administration des sacrements, comme saint Augustin l’atteste (livre 2 du livre contre les Parméniens, chapitre 10.)  Ils excluaient tous les hommes mauvais, même occultes, comme le dit encore saint Augustin (livre 2 contre Cresconius, chapitre 28.)
 Après les donatistes, les Lucifériens enseignèrent cette erreur, au moins en partie.  Car, au témoignage de saint Jérôme (dans son dialogue contre les Lucifériens), ils admettaient un baptême conféré par des hérétiques, mais non l’ordination.  Or, un certain diacre Hilaire rapporte, selon saint Jérôme, qu’ils n’admettaient même pas le baptême.  Il y en a eu d’autres, ensuite, au temps de saint Bernard, qui niaient que des hommes mauvais pouvaient administrer efficacement les sacrements, comme il l’atteste lui-même dans son sermon 66 sur les cantiques des cantiques.  Les Albigeois, ensuite, enseignèrent la même chose, comme le rapporte saint Antoine dans sa somme théologique (par 1V, tit 2, chapitre 7, verset 5.)
  Entre les deux existèrent les Waldenses qui concédaient l’administration des sacrements aux bons laïcs, et l’enlevaient aux mauvais prêtres, au témoignage de saint Antoine (par 4, tit 11, chapitre 7, verset 2. »  Saint Thomas  jeta un coup d’œil à cette erreur (dans les livre 4 contre les Gentils, chapitre 77) quand il enseigna qu’il existait une certaine erreur selon laquelle tous les bons et aucun mauvais pouvaient être des ministres idoines des sacrements.   Ce qui ressemble étrangement à ce qu’enseignait Luther, au début,  quand il soutenait que sont prêtres tous ceux qui ont l’esprit du Christ, et ceux-là seuls.
 Ensuite, est apparu Jean Wiclif, qui n’a pas peu enrichi cette hérésie.  Car, il nie que puissent conférer les sacrements non seulement les pécheurs, occultes ou manifestes, mais aussi ceux qui sont bons aujourd’hui et qui seront mauvais demain, c’est-à-dire, les réprouvés.  Voir, sur cette erreur, le concile de Constance, (session V111), et Thomas Waldens (tome 11, chapitre 14).
 Cette hérésie a été réfutée par plusieurs anciens souverains pontifes.  Dès sa naissance, par le pape et martyr saint Étienne, comme le rapporte Eusèbe (livre 7, chapitre 2 et suivants de son histoire).  Ensuite, Siricius (dans son épitre 1 à Himérius), Innocent 1 (dans son épitre 22 aux évêques de Macédoine), Léon (dans son épitre 77 à Nicet), Anastase 11 (dans son épitre à l’empereur Anastase), etc.
 Plusieurs conciles condamnèrent cette hérésie.  D’abord, le concile de Nicée.  Car, c’est ce qu’atteste saint Augustin très souvent (dans son livre 2, sur le baptême, chapitres 3, 4, 5, 7, 9, et ailleurs).  Mais, comme il ne nomme jamais le concile de Nicée,  plusieurs se demandent de quel concile il parle.  Mais, il n’y a aucune raison de douter, car il l’appelle le concile plénier de toute la terre.  Or, le seul concile général et plénier que saint Augustin ait connu c’est celui de Nicée.  Car, quatre conciles généraux seulement ont eu lieu au temps de saint Augustin : celui de Nicée, celui de Sardes, de Constantinople 1, et celui d’Éphèse. Or, le concile d’Éphèse a été convoqué peu de temps avant la mort de saint Augustin, et célébré après sa mort.  Cela nous n’apprenons par  la lettre des  Africains à l’empereur Théodose junior.
 Et le concile de Constantinople ne traita pas de ce sujet. Il n’était pas non plus un concile plénier de toute la terre, et il ne fut reconnu par le pape que bien après.  Ajoutons que dans son livre 2 sur le baptême (au chapitre 9), il déclare que le concile plénier dans lequel cette vérité a été définie, a été célébré avant sa naissance.   Il est avéré que seul le concile de Nicée a été célébré avant la naissance de saint Augustin.  Car saint Augustin est né en 357, et le concile de Nicée a eu lieu 327. Et le concile de Constantinople en 383,  Voir la chronique d’Eusèbe, avec l’addition de Prosper.  Quant au concile de Sardes, il ne traita pas de cette question, et il n’a pas été connu de saint Augustin, comme nous l’avons montré dans la dispute sur le droit d’appel, et avec le concile 6 de Carthage.
 De plus, dans le concile de Nicée, au canon 19, on ordonne que les paulianistes soient rebaptisés.  On peut en déduire que le baptême des autres hérétiques avait été approuvé par le concile.  Ensuite (qu’un seul devrait suffire), saint Jérôme dans son dialogue contre les lucifériens dit,  à la fin : « Le concile de Nicée a reçu le baptême de tous les hérétiques. Il n’a rejeté que celui des disciples de Paul de Samosate.  Il donc là clairement affirmé  que le synode de Nicée a approuvé le baptême de tous les hérétiques (car, c’est de cela que l’on parlait) à l’exception de ceux qui n’utilisaient pas la forme légitime.  Peu longtemps après, le concile de Carthage 1 (canon 1) présidé par l’évêque Gratus, a, au temps de l’empereur Constantin 1, blâmé la même erreur.  Saint Augustin se souvient aussi de ce concile (livre 2, chapitre 2, sur le blasphème contre les Donatistes.)  De même, le concile d’Arles (1, canon 8), à la même époque.  Et longtemps après, celui de Constance (session V111), de Trente (session 7, canon 12.)
 De plus, de nombreux docteurs réfutèrent cette erreur, et surtout saint Augustin, dans tous ses livres contre les Donatistes. Optatus, également, dans ses livres contre Parmenianus, saint Jérôme (dans son dialogue contre les lucifériens), saint Grégoire de Naziance, (dans son sermon sur le baptême), saint Thomas (livre 4, chapitre 24, du contre les Gentils),  et Thomas Waldensis (tome, 2 au début, et dans plusieurs chapitres) où il présente, lui aussi, beaucoup de témoignages.
 Les arguments principaux dont on se sert sont au nombre de trois.  Le premier.   La tradition, la coutume très antique qui remonte au temps des apôtres. C’est surtout de cet argument dont s’est servi le pape Étienne, comme le témoigne saint Cyprien dans son épitre à Pompée.  Saint Augustin utilise souvent cet argument (livre 1, chapitre 9 sur le baptême) : « La terre entière était tenue par la force de la tradition,  par cette pratique très antique qui remonte au temps des apôtres ».  Vincent de Lérins dans son communitorium, observa que l’argument tiré de la tradition et la pratique de l’Église suffit pour renverser la cause de saint Cyprien, qui militait contre la vérité avec beaucoup d’éloquence, de nombreuses citations bibliques et dans un concile de nombreux évêques africains.
 Ce qui nous fait comprendre que Luther et les siens ont un esprit contraire à celui qu’eut l’ancienne vraie église du Christ.   Car, à cause d’un seul texte de l’Écriture mal compris, il foule aux pieds, dans son livre sur l’abrogation de la messe,  la coutume éternelle de l’église universelle.  Ainsi que dans son livre sur l’institution des ministères, destiné aux gens de Prague.  La vieille église, par la pratique de deux ou de trois cents ans, réfutait tous les témoignages que Cyprien et les siens présentait.  Et, avec raison. Car, il est tout à fait certain qu’une coutume universelle perpétuelle de l’Église ne peut pas militer contre la parole de Dieu, et que la coutume est plus claire que la parole.   Car, ils jugent à bon droit que c’est par la coutume que la parole de Dieu doit être interprétée; et qu’on ne doit pas abolir une coutume à cause d’une parole de Dieu obscure ou ambigüe, comme, à notre époque,  les luthériens soutiennent qu’on doive faire.
 En second lieu, ils présentaient une raison fondée sur la parole de Dieu,  sous la forme du syllogisme suivant.  Le ministre des sacrements opère par la vertu et l’autorité divine.  Or,  Dieu n’enlève pas  au ministre, à cause de son péché ou  de son infidélité, le pouvoir qu’il lui a donné.   Donc…  On prouve ainsi la majeure.  L’Écriture enseigne cela souvent (Jean 1) : « C’est celui qui baptise dans l’Esprit-Saint. »  Ce n’est donc pas le ministre qui est l’auteur principal du baptême, mais le Christ.  Comme l’explique très bien saint Augustin (traité 5, Jean 1, Corienthiens 111) : « Ce n’est pas non plus celui qui plante ou qui arrose qui est quelque chose, mais celui qui donne la croissance. »
 De plus, si les ministres baptisaient par leur vertu, il y aurait des baptêmes différents.  Quelques-uns seraient meilleurs que d’autres à cause de la diversité des mérites et d’excellence des baptiseurs.  Mais, comme di saint Paul (Éphésiens 1V), il n’y a qu’un seul baptême. Les apôtres n’ont jamais, non plus,  dit « mon baptême », comme ils ont parfois dit « mon évangile », en parlant de l’évangile qu’ils prêchaient (Rom XV1, et 11 Timothée 11 : « selon mon évangile. »  Dans le baptême, ils ne reconnaissaient donc rien qui leur appartenait en propre.  Ils n’y voyaient qu’un ministère pur et simple.  Enfin, ce fut une très bonne chose que les sacrements ne dépendent pas de la vertu humaine, pour que les hommes ne prennent pas l’habitude de mettre leur confiance dans les hommes, comme il est écrit : « Malheur à l’homme qui met sa confiance dans l’homme. »
J’ai déjà prouvé la mineure.  Car, l’autorité de conférer les sacrements n’est pas une grâce qui fait un débiteur, mai une grâce donnée gratuitement.  Elle n’entre donc pas en opposition avec une mauvaise vie,  et peut cohabiter avec elle.  Jean X1, 51 nous montre  que cette grâce peut exister dans des pécheurs, puisque le très méchant Caïphe a pu prophétiser.  Ne voyons-nous pas la même chose dans Matt V11, 22 : « N’avons-nous pas chassé des démons en ton nom ? »
Deuxièmement. L’autorité de conférer des sacrements n’est pas donnée pour l’utilité de celui qui l’a,  mais pour les autres.  Il ne convenait donc pas qu’elle soit enlevée à cause du péché de son détenteur.  Car ainsi, l’un serait puni à cause de la faute d’un autre.   Troisièmement.   Dieu, à cause des péchés, n’enlève pas le pouvoir de juridiction, comme nous l’enseigne saint Pierre (1 Pierre 11).  L’apôtre commande là aux chrétiens d’obéir à leurs maitres, même à ceux qui sont acariâtres.  Il leur ordonne aussi, au même endroit, d’obéir aux rois, et aux autres magistrats, qui étaient, alors,  des infidèles et des païens.  Il enlève donc encore moins le pouvoir d’ordre.  Car, s’il fallait enlever le pouvoir de punir à celui qui le possède, il faudrait  enlever le pouvoir de juridiction plutôt ce que celui de l’ordre. Car, on aime davantage le pouvoir de juridiction;  et celui qui en est privé se sent plus puni que s’il perdait le pouvoir d’ordre.  Et de plus, le pouvoir de juridiction dépend plus de la probité de la vie que ne dépend le pouvoir d’ordre.  Car, il est plus difficile de dominer les passions en exerçant l’autorité qu’en administrant les sacrements, comme l’expérience le montre.
Quatrièmement.  Dieu n’enlève pas, à cause des péchés, des pouvoirs naturels d’œuvres naturelles.  Il ne doit donc pas, non plus, enlever le pouvoir surnaturel des œuvres surnaturelles qui ne dépendent pas du mérite de l’opérant.  Car, Dieu ne pourvoit pas moins au bien de toute l’Église qu’il ne pourvoit au bien de ce monde.  Cinquièmement.  Judas était un pécheur et un réprouvé, et cependant il baptisait, comme l’enseigne saint Augustin (traité 5 sur saint Jean, saint Jean 1V) : « Jésus ne baptisait pas, mais ses disciples. »  Et que Judas ait baptisé efficacement, saint Augustin nous le fait comprendre en disant qu’on ne lit pas qu’aient été rebaptisés ceux que Judas avait baptisés.
On tire un troisième argument de choses semblables.   Car, d’abord, chez les Juifs, ceux qui avaient été circoncis par les Samaritains, qui étaient des hérétiques, n’étaient pas circoncis de nouveau, mais on les admettait comme ayant été vraiment circoncis, comme le fait remarquer saint Augustin (dans son livre 1 contre Cresconiius, chapitre 31).  De plus, la parole de Dieu est efficacement prêchée par les indignes, comme l’explique saint Augustin  (livre 4 sur le baptême, chapitre 11, commentant Matthieu XX111) : « Faites ce qu’ils disent, ne faites pas ce qu’ils font. »
 Et, aux Philippiens 1 : « Quelques-uns annoncent le Christ  dans un esprit de compétition,  non sincèrement, ne désirant qu’ajouter de la pression à mes chaînes.  Mais qu’importe, pourvu que, toute façon, le Christ soit annoncé,  par intérêt, ou dans la vérité.  De cela je me réjouis, et je m’en réjouirai toujours. »  De plus, comme le notait saint Augustin, la bonté d’âme d’un semeur n’a rien à voir avec l’efficacité de la semence, et de la plantation, comme l’observe le même saint Augustin (livre 3, chapitre 8 contre Cresconius : « Est-ce que cela dépend  de la propreté ou de la saleté des mains ?  Il suffit que la semence soit bonne et la terre fertile, et que ne manque ni la chaleur du soleil, ni la pluie du ciel.
Et comme saint Grégoire de Naziance l’enseigne (dans son sermon sur le baptême), l’image d’un roi n’est pas moins bien imprimée sur un sceau de fer que sur un sceau d’or.  Et comme dit aussi saint Augustin (livre 3, chapitre 10 sur le baptême) : « La lumière du soleil et même celle des lampes n’est pas salie par la vase, ni par les excréments qu’elle rencontre sur sa route ». Enfin, comme l’enseigne le même saint Augustin, (traité 5 sur Jean) : « Il importe peu que, pour irriguer les terres, l’eau passe par des conduits en pierre ou en argent. »
Quant au troisième, les arguments des hérétiques sont réfutés soigneusement par saint Augustin dans ses livres contre  les donatistes.  Voici les principaux.  Le premier argument des donatistes.  Personne ne donne ce qu’il ne possède pas.  Les hérétiques et les impies n’ont pas la rémission des péchés.  Ils ne la donnent donc pas, et ils n’administrent pas efficacement les sacrements.
Je réponds à la mineure que les hérétiques n’ont pas la rémission des péchés formellement, mais qu’ils l’ont matériellement, comme un domestique, qui n’a souvent pas la sixième partie de la drachme, mais qui transporte beaucoup de pièces d’or de la maison de son maître à une autre.  Et, dans les choses naturelles et artificielles, l’effet n’a pas à être semblable à l’instrument, mais à la cause principale.  En effet, la chaleur n’a pas la forme substantielle du feu; et la hache à deux faces n’a pas la forme de la chaise à dossier. Et cependant, elles opèrent instrumentalement.
Ajoutons ensuite qu’il faut distinguer le sacrement de son effet.  Et, parmi les effets, il faut distinguer le caractère de la grâce.  Car, ces deux choses peuvent être séparées.  Il pourra donc arriver qu’un hérétique baptise, et confère et le caractère et la grâce, comme quand il baptise un enfant.  Ou bien, qu’il ne confère pas la grâce, parce que, en croyant à un hérétique, celui qui est baptisé met l’obstacle d’infidélité.  Mais, le baptême n’est pas  nul pour autant, car il a tracé le caractère.  Il pourra arriver aussi que ni le caractère ni la grâce ne soient conférés, comme quand on donne l’extrême onction à un hérétique malade.   Cependant, il administre quand même un vrai sacrement, et un sacrement efficace, même s’il n’opère rien à cause des mauvaises dispositions de celui qui le reçoit.  Il faut ici noter comme saint Augustin, (livre 6, chapitre 1 sur le baptême),  que c’est là la principale erreur de saint Cyprien et des autres : ils ne faisaient pas de distinction entre les sacrements, leur usage, et leur effet.
Le second argument des hérétiques.  Celui qui n’a pas l’Esprit Saint ne peut pas remettre les péchés, car le Christ a dit en saint Jean (XX) ; « Recevez l’Esprit saint. Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. »   Je réponds en niant la mineure.  Par Esprit Saint, dans ce passage, nous entendons le pouvoir de remettre les péchés, comme interprètent ce texte saint Jean Chrysostome et saint Cyrille.  Or, ce pouvoir peut exister sans la grâce qui fait que quelqu’un est agréé.  Que par le mot Saint Esprit on puisse comprendre n’importe lequel de ses dons, même s’ils ne font pas d’un homme un saint, saint Paul nous le fait comprendre (1 Cor X11) : « À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit pour l’utilité.  À l’un est donné, par l’Esprit, un sermon de sagesse. »  Et 1 Corinthiens X1V : « Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes. »  Ce qu’il appelle ici esprit c’est le don de prophétie donné par l’Esprit Saint.
On peut dire aussi que, par ces paroles (recevez l’Esprit-Saint etc.), le Seigneur a voulu signifier que l’effet des sacrements dépend principalement de la vertu du Saint-Esprit.  Il est donc nécessaire que, au moins,  le Saint Esprit assiste, pour qu’il soit reçu au moins en tant qu’assistant et opérant dans les sacrements, même si le sacrement n’est pas opéré par le ministre lui-même.  Le Saint-Esprit assiste toujours dans ses sacrements, (comme l’enseigne saint Augustin livre 3, chapitre 10 du baptême), même si le ministre est un adultère ou un homicide. Car, le sacrement n’est jamais adultère.
De même, parce qu’ils ne manquent pas ceux qui, dans ce passage, entendent par Esprit Saint entendent l’Esprit en tant qu’il donne la grâce et la charité, et se diffuse dans nos cœurs, comme saint Ambroise (sermon 10 sur le psaume CXV111), et saint Augustin (dans son commentaire au chapitre XX de Jean.)  Voilà pourquoi nous pouvons ajouter la grâce du Saint-Esprit donnée par l’ordination sacrée au  pouvoir de remettre les péchés.  Mais, on ne peut pas en déduire que celui qui n’est pas en état de grâce ne peut pas remettre les péchés.  Car cette grâce et le pouvoir de remettre les péchés ne sont pas une seule et même chose; et quand la grâce est unie au pouvoir, on ne peut pas affirmer qu’elle ne peut pas en être séparée.  Car, n’est pas donné à celui qu’il l’a le pouvoir de remettre les péchés, mais de ne pas offenser Dieu dans l’exercice d’un si saint ministère, si, tout en demeurant ennemi de Dieu, il présume réconcilier les autres avec Dieu.
Le troisième argument des hérétiques.  Les sacrements n’appartiennent qu’à la seule église catholique, celle que le Christ a fondée.  Or, les hérétiques sont à l’extérieur de l’Église, dans la synagogue de Satan.  Je réponds que les sacrements sont toujours dans l’Église, même si, parfois, on les trouve en dehors de l’Église.  Voilà pourquoi, quand ils viennent à l’Église, après avoir été baptisés par des hérétiques, on doit reconnaitre ce qui appartient à l’Église, c’est-à-dire, le baptême, et on doit s’efforcer de corriger leur erreur.  Autrement, il faudrait répudier aussi l’évangile et beaucoup d’autres bonnes choses qui demeurent chez les hérétiques après leur séparation d’avec l’Église.
Les hérétiques pourraient enfin revendiquer certains textes des pères, comme celui de saint Ambroise (sermon 3 contre les Ariens), où il dit que tous les hérétiques ont une eau inutile.  Le même saint Ambroise a dit aussi au sujet de ceux qui s’initient aux mystères divins (chapitre 4) : « Le baptême des perfides n’assainit pas. »  Et saint Léon (épitre 77 à Nicétas, chapitre ultime) où il dit que « Nul hérétique ne peut donner la sanctification par les sacrements. »  Je réponds que saint Athanase dit deux choses. La première.  « Les Ariens viennent à l’Église catholique, dans  la crainte de perdre l’intégralité du mystère, c’est-à-dire du baptême. »  La seconde.  Il nie absolument que le baptême des Ariens, ou des autres hérétiques, puisse purifier : « Car, ce n’est pas celui qui dit seulement « Seigneur, Seigneur », qui donne un baptême légitime, mais celui exprime le nom et qui a la vraie foi. »
Dans le premier texte, il est question de la substance du sacrement, et voilà pourquoi il ne dit pas catégoriquement que le baptême des Ariens n’est pas intègre, mais qu’il y avait un danger qu’il ne le soit pas toujours, parce qu’il leur était facile de corrompre la formule du baptême, et de dire au nom du créateur et de la créature, au lieu de au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.  Dans l’autre texte, il n’est pas question de la substance, mais de l’utilité du sacrement.  Et voilà pourquoi il dit que, parce qu’il leur manque la vraie foi, les hérétiques ne sanctifient pas ceux de leur secte  qu’ils baptisent.  Et c’est de cette façon que parlent Ambroise, Léon et les autres.  Voilà pourquoi ces pères ne disent jamais que le baptême des hérétiques doit être réitéré.  Ce qu’ils diraient certainement s’ils parlaient de la substance.
                                              CHAPITRE 27
              Est requise l’intention de faire ce que fait l’Église
Il reste une dernière question sur la cause ministérielle.  L’intention du ministre est-elle nécessaire à la confection d’un sacrement ?  Cette question va avoir quatre parties.   La première.  Explication de la sentence des hérétiques. La seconde.  Explication de la sentence des catholiques, et réfutation des mensonges des adversaires.  La troisième.  La confirmation de la vérité.  La quatrième. La réfutation des objections.
Une nouvelle hérésie est née à notre époque, selon laquelle, n’est pas requise l’intention du ministre.   Le sacrement, pour eux, est parfaitement valide, si sont présents les éléments et les paroles,  même si le ministre fait cette action par jeu, par dérision, en faisant semblant de croire, et en mentant aux fidèles.
Le premier auteur de cette hérésie semble bien être Luther.  Car, voici ce qu’il a écrit dans son livre sur la captivité de Babylone (chapitre sur le baptême) : « Je ne doute pas que celui qui reçoit le baptême au nom du Seigneur soit vraiment baptisé au nom du Seigneur, et même si un impie ministre ne le donne même pas au nom du Seigneur. Car, la vertu du baptême ne réside pas tant dans la foi de celui qui confère le baptême que dans la foi de celui qui le reçoit, comme nous le montre l’exemple d’un mime baptisé par jeu. »  Et, dans l’article 12, qui porte sur ceux que le pape Léon a condamnés : « Si un prêtre n’absout pas sérieusement, mais par jeu,  et si le pénitent se croit absout, il est vraiment absout. »  Et dans ses assertions, il confirme cela, ainsi que dans son livre sur la messe privée, de l’an 34, où il utilise trois arguments qu’on réfutera plus tard,
Jean Calvin a suivi Luther (dans son antidote du concile de Trente, session 7, canon 11.  Il écrit : « Les choses qu’ils marmottent sur l’intention de consacrer, ils sont allés les chercher chez les sophistes, sans aucune raison qui tienne. »  Et plus bas : « Moi, je porte un si grand respect à la sainte institution du Christ, que si un épicurien quelconque administrait, même pour s’en moquer, la cène du Seigneur, selon le mandat du Christ, et selon la règle par lui donnée, je ne douterais pas que le pain et le vin présentés par sa main ne soient les gages du corps et du sang du Christ. »  Tilmannus Heshusius  enseigne la même chose, dans son livre sur les six cents erreurs des souverains pontifes (lieu 15).
Martin Kemnitius enseigne aussi la même chose (2 par examen, pages 141 et suivantes), où il traite abondamment de cette  question.  Et même si, à la page 146, il enseigne que l’action sacramentelle ne doit pas être une moquerie, une bouffonnerie, ou un simple jeu, --en quoi il semble penser comme nous,-- cependant, il n’entend cela que de l’action externe, non de l’action interne. Car, après cela, à la page 154, il enseigne que le sacrement est un véritable sacrement même si le ministre l’administre en s’amusant.  Et, dans toute sa dispute, il soutient que l’efficacité d’un sacrement ne dépend en aucune façon de l’intention du ministre. Et, à la page 1045, il écrit, en parlant de l’absolution : «Il ne doit pas  se faire de souci de conscience au sujet de l’intention du ministre. Si la parole de l’évangile est annoncée, et s’il la reçoit avec foi,  qu’il statue qu’il est absout devant Dieu, quelle que soit  l’intention du ministre. »
Ambroise Catharinus semble se rapprocher de cette sentence hérétique.  Car, (dans son opuscule sur l’intention des ministres sacramentaires), il distingue une double intention.  Une première.  Celle de faire l’acte externe que fait l’Église. Une deuxième.  Celle de faire un acte externe en tant que sacramental, ou avec l’intention de célébrer le mystère que le Christ a institué, et que l’Église célèbre.   Il dit que la première intention est requise, mais non la deuxième.  De  sorte que, si, pendant qu’il baptise un enfant, le ministre a l’intention de verser l’eau sur l’enfant, et de dire « je te baptise », il conférera un vrai sacrement, même s’il dit ces paroles et verse l’eau uniquement pour laver le corps de l’enfant de ses saletés, ou pour s’amuser.  Cette opinion je ne vois pas en quoi elle diffère de celle de Kemnitius, et des autres hérétiques, si ce n’est que, à la fin de son opuscule, Catharinus professe se soumettre aux décisions du souverain pontife et du concile.  Mais les hérétiques rient de l’un et de l’autre.
Pour les catholiques, est requise l’intention de faire ce que fait l’Église.  Ce que dit expressément le concile de Trente (session 7, canon 11), ainsi que le concile de Florence, dans son instruction aux Arméniens.  Mais il y a quelques précisions à faire.  La première.   Il n’est pas requis que le ministre ait  une intention générale de faire ce que fait l’Église,  de façon à ne pas pouvoir en avoir de particulière.  Bien plus, il est préférable d’avoir l’intention particulière de conférer le sacrement de baptême, d’absolution, de confirmation, et de consécration du pain et du vin.  Mais pour quelqu’un qui ne connaitrait pas nos mystères, il suffirait qu’il ait l’intention générale de faire ce que fait l’Église.  Et c’est cela qu’enseignent les conciles.
De plus, il n’est pas nécessaire d’avoir l’intention de faire ce que fait l’église romaine, mais ce que fait la véritable église, quelle qu’elle soit, ou celle que le Christ a instituée, ou ce que font les chrétiens.  Car toutes ces expressions signifient la même chose.  Mais tu demandes : qu’arrivera-t-il si quelqu’un entend faire ce que fait une église particulière (comme celle de Genève) qui est fausse, mais qu’il croit vraie,  et a l’intention de ne pas faire ce que fait l’église romaine ?  Je réponds que ça suffirait.   Car, dans ce cas particulier, celui qui entend faire ce que fait l’église de Genève entend faire ce que fait l’église universelle.  Car la raison pour laquelle il désire faire ce que fait cette église particulière c’est parce qu’il pense qu’elle est membre de l’église universelle.  Même s’il se trompe dans la connaissance de la vraie église.  Car, ce qui enlève l’efficacité d’un sacrement ce n’est pas l’erreur d’un ministre sur une église, mais le défaut d’intention.  Et voilà pourquoi, dans l’église catholique, on ne rebaptise pas ceux qui ont été baptisés à Genève, même si en administrant le sacrement, ils entendent faire ce que fait l’église de Genève et non celle de Rome.
Ajoutons que la vraie église romaine et la fausse église de Genève n’ont pas de dissension par rapport à l’essence du baptême, mais seulement par rapport au rite cérémonial.   De telle sorte que si un catholique entendait baptiser comme baptisent les ministres de Genève, et non comme le font les prêtres catholiques, il aurait l’intention de conférer un vrai baptême quant à la substance, mais non quant au rituel.  Il confectionnerait donc un vrai sacrement, bien qu’il pècherait, et que, en tant que suspect d’hérésie, il pourrait être puni de droit.
Troisièmement. L’intention actuelle n’est pas requise nécessairement, et l’habituelle ne suffit pas. L’intention virtuelle est requise, et elle suffit, bien qu’on doive s’efforcer de la rendre actuelle.  On dit que l’intention est actuelle quand le ministre a cette intention en acte.  Cette intention actuelle n’est pas requise, comme des scrupuleux voudraient le faire croire.  C’est-à-dire qu’il n’est pas requis que  nous disions de cœur et de bouche les paroles suivantes : j’entends faire ce que fait l’église. Cette intention, exprimée explicitement dans l’acte même, n’est pas exigée nécessairement, car on pourrait difficilement l’exprimer oralement sans détourner notre pensée des choses saintes que nous faisons.
On dit que l’intention habituelle est une sorte d’inclination, de promptitude qui vient d’un habitus infus ou acquis, qui peut se trouver même dans une personne qui dort.  Mais cette intention-là, sans aucun doute, ne suffit pas.  Car l’acte qui en procède n’est ni humain ni délibéré.  Autrement, il faudrait dire qu’est véritablement baptisé celui qui l’a été par une personne ivre ou endormie.  On parle d’intention virtuelle quand l’intention actuelle n’est pas présente actuellement, mais qu’elle l’a été auparavant, et que c’est en vertu de cette intention que se fait l’opération.  Cette intention-là, au consentement de tous, est requise si l’actuelle n’est par présente, et elle suffit.
Cette doctrine ne répugne pas à celle de saint Thomas bien qu’il dise (3 par quest LX1V, art 8), que l’intention habituelle suffise.  Car, comme il l’explique lui-même, par habituelle il entend virtuelle, car  il ne connait que l’intention actuelle et habituelle.  Scot, Babriel et d’autres théologiens postérieurs firent, pour une plus grande clarté, une distinction tripartite, et en ajoutèrent une troisième qu’ils appelèrent virtuelle.  Il faut noter enfin que tous les docteurs catholiques sont tous du même avis dans cette doctrine, à la seule exception de Catharinus.  Nous en dirons quelques mots  dans la réfutation  des mensonges de Tilmann et de Kemnitius que nous entreprenons maintenant.
Le premier mensonge. L’un et l’autre auteur dit, dans les lieux notés, que le concile de Trente a défini que le sacrement n’était ratifié que si l’intention du ministre porte non seulement sur l’acte mais aussi sur la fin du sacrement, c’est-à-dire ce pour quoi il a été institué.  Ce qui est fort différent de ce que nous enseignons.  C’est donc un mensonge, car, dans tout le canon 11, le concile ne nomme jamais la fin du sacrement.  Et le concile n’a pas dit, comme eux semblent l’avoir compris, qu’il faut que le ministre entende faire ce que l’église entend, mais ce que l’église fait.  Or l’expressions ce que l’église fait  ne décrit pas une fin mais une action.
On peut ensuite le prouver par la pratique de l’Église.  L’église ancienne elle-même ne rebaptisait pas les enfants baptisés par les pélagiens, comme nous ne rebaptisons pas, nous non plus, ceux qui ont été baptisés par les Zwingliens et les calvinistes.   Et nous savons pourtant très bien que tous ces baptisés l’ont été sans l’intention de la vraie fin, qui est d’enlever le péché originel.  Nous ne concédons pas, pour autant, que comme le veulent Kemnitius et Catharinus, le concile ait défini que la seule intention que doit avoir le ministre soit de faire l’acte externe que fait l’Église.
 Car, il n’y avait pas de raison de définir cela, puisque cela n’a jamais été nié par personne.  Car celui qui a l’intention de faire un acte externe non sérieusement, mais par manière de jeu,  n’entend pas faire ce que fait l’Église, mais simuler ce que fait l’Église.  Comme ces soldats qui, en faisant des génuflexions, disait au Christ « salut, roi des Juifs », non sérieusement, mais par moquerie et dérision.  Personne ne prétendra qu’ils avaient l’intention de faire  ce que font ceux qui vénèrent leurs rois.  Ils ne cherchaient qu’à simuler une adoration.
Le deuxième mensonge.  Kemnitius prétend que les scolastiques avaient des opinions divergentes sur ce sujet.  Le maître des sentences et le pape Innocent 1V auraient voulu que suffise l’intention de faire ce que le Christ a été institué, mais qu’Alexandre et Gabriel auraient voulu que soit requise l’intention de la fin du sacrement.  Mais leurs opinions ne sont pas divergentes, si on les comprend bien.  Car, tous enseignent ce que le Maître des sentences a enseigné (sentence 1V, dist V).  Alexandre et Gabriel ne font pas exception.  Car, dans sa somme (4 par, 13, membr 1, art 2), il dit, il est vrai, qu’est requise, dans le ministre, l’intention de la fin du sacrement.
  Mais, par intention de la fin, il entend l’intention de l’action intégrale et complète.  Il dit donc là ce que disent les autres, mais en d’autres mots.  Qu’il en soit bien ainsi, on le voit pas un autre passage où il distingue une fin double : une intrinsèque à l’œuvre, qui n’est rien d’autre que l’action terminée et complète. Une autre extrinsèque, qui est le fruit et l’utilité de l’oeuvre.  Par exemple, dans le sacrement, la fin intrinsèque est la cérémonie complétée par les éléments et les paroles unies selon le rituel. Et la fin extrinsèque est la rémission des péchés.  Or, Alexandre enseigne que l’intention de la première fin est nécessairement requise, mais pas de la deuxième.
Gabriel (4 dist V1 quest 1 conclusion 3) dit que l’intention du ministre est requise non seulement par rapport à l’acte de celui qui doit être baptisé, en tant qu’objet, mais même par rapport à l’effet, en tant que fin.  Gabriel a reçu tout cela de Scott (1V dist V1, question 5.).   L’un et l’autre, comme ils l’expliquent eux-mêmes, entendent pas acte en tant qu’objet, l’acte externe lui-même, comme pourrait l’entendre celui qui voudrait baptiser par jeu.  Cette intention, même nous, nous disons qu’elle ne suffit pas.  Par l’effet en tant que fin, ils entendent la fin générale et éloignée, non particulière et prochaine.  Car ils ne veulent pas que soit requis que le ministre veuille l’effet de la grâce ou du salut, mais seulement qu’il désire faire dans le baptisé ce que font les chrétiens dans ceux  qu’ils baptisent.  Car, c’est ainsi que Scot l’explique. Or, cela n’est rien d’autre que dire qu’est requise l’intention par rapport à l’œuvre, non en tant qu’œuvre naturelle quelconque, et qui peut se faire par jeu, mais en tant qu’œuvre sacrée, ou cérémonie que le Christ a instituée, ou dont les chrétiens se servent.  Cette sentence se réduit donc à tout ce que les catholiques enseignent.
Au sujet du troisième, il faut prouver la sentence de l’Église.  La première raison.  Comme la forme certaine des paroles requiert nécessairement  que soit déterminée l’indifférence de la matière, est requis, également, quelque chose qui est déterminé par l’indifférence de la forme.  Car, ces mots : je te baptise, et d’autres semblables, peuvent avoir différents sens.  Car, baptiser c’est asperger avec de l’eau.  Asperge avec de l’eau celui qui lave les corps sales, qui rafraichit, qui soigne en lavant etc.  Or, on ne peut rien imaginer d’autre,  capable de déterminer l’indifférence de la forme, que l’intention du ministre, qui dit ces paroles, et dont c’est l’action au complet.
  Ils diront peut-être qu’elle est déterminée par l’intention de celui qui le reçoit.   Mais, cela est faux, car, ici, il est question de l’action du ministre, non du receveur.  Car, l’action de l’un ne peut pas être déterminée par l’action d’un autre.  De plus, qu’arriverait-il quand sont baptisés ceux qui, comme les enfants, ne peuvent avoir aucune intention.  Diront-ils qu’elle est déterminée par l’institution du Christ ?  Au contraire.  Car, si l’institution du Christ faisait ce que les mots signifient, pourvu qu’ils soient proférés à l’extérieur, sans relation avec l’intention de celui qui les dit, pourquoi n’aurait-on pas un vrai sacrement si les mots étaient proférés par un perroquet ?
La seconde raison est tirée du genre de ministère.  Car, les ministres des sacrements sont des instruments de Dieu, mais des instruments animés, et qui se servent de leur raison.  On doit noter ici qu’un homme peut être l’instrument d’un agent de plusieurs façons.  La première. Selon les membres corporels seuls, comme quand quelqu’un se sert de la main d’un autre pour saisir quelque chose, ou force quelqu’un à porter des fardeaux, ce qui peut se faire sans le vouloir.
 La seconde.  Par membres du corps, et puissances sensorielles, comme si quelqu’un ordonnait à un de ses serviteurs de lui lire quelque chose, ou de signifier à quelqu’un de passer la nuit dehors pour voir quelque chose, et rapporter ce qu’il a vu.  À cela n’est pas requise la volonté du serviteur, sauf  celle qui lui fait faire un acte externe. Car, même s’il n’avait pas l’intention de lire pour signifier quelque chose, il s’acquitte de son travail  en voulant proférer des paroles. Car le Seigneur ne se sert pour instrument que de sa langue et de ses yeux.
Troisièmement.  Par membres corporels, puissances sensorielles ou aussi la raison, c’est comme quand un roi établit des présidents et des juges dans les villes, qui portent des jugements en son nom, et qui gouvernent le peuple.  Dans ces cas, non seulement le corps et les sens sont des instruments, mais aussi la prudence et la volonté.  Car le roi ne détermine pas les actions particulières, mais les laisse au jugement de son instrument.  Voilà pourquoi, en pareils cas, sont requis non seulement le pouvoir, mais aussi la volonté, et donc l’intention d’accomplir des actions.  Car, il n’est pas vraiment absout celui que le juge absout  sans avoir l’intention de l’absoudre, même s’il semble l’être  extérieurement.
Que les ministres des sacrements soient du troisième genre, on le voit pas les Écritures.  Matthieu XX1V : « Quel est le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur sa famille ? »  La fidélité et la prudence indiquent là que le Seigneur parle d’un serviteur qui, selon qu’il le désire, peut faire ou ne pas faire. Car c’est pour cela que sont requises la fidélité et la prudence.  C’est pour cela qu’ils sont appelés aussi des préposés (Rome X11) : « Celui qui pourvoit aux besoins ». Et Hébreux X111 : « Obéissez aux préposés. »   Le Christ n’a donc pas déterminé des actions particulières, mais il a dit (Jean XX) : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous remettrez les péchés. » Il a manifestement laissé à leur jugement de lier et de délier.  Et cette raison est tout à fait convaincante.  Car, comme ces instruments sont des instruments qui fonctionnent par la volonté et l’intention, si on les leur enlève, ils cessent d’être des instruments.
La troisième raison on la tire de la différence qu’il y a entre les paroles spéculatives et pratiques.   Car, puisque toute leur efficacité réside dans leur signification, les paroles spéculatives ont toujours la même force, quelle que soit la personne qui les prononce.  Les mots, en effet, signifient toujours la même chose, qu’ils soient dits par un ivrogne, un perroquet, un fou, ou par l’âne de Balaam, pourvu que le sens ne soit pas ambigu, car alors il faudrait recourir à l’intention du parleur.
Mais, les mots pratiques, qui ont une efficacité plus grande que celle qui leur vient de la signification,  ne sont efficaces que s’ils sont dits par celui qui a le pouvoir et la volonté de faire ce que les mots signifient.  Exemples.   Les ordres des rois et des juges sont efficaces, non ceux des personnes privées. Semblablement, ceux  qui ont le don des miracles commandent efficacement aux maladies et aux démons, non les autres qui utilisent les mêmes paroles.  Et la raison en est que, comme les mots, par eux-mêmes et de leur nature, ne sont pas opérants, il est nécessaire qu’ils ne soient efficaces que quand ils sont prononcés par celui qui possède le pouvoir.
On peut prouver la même chose au sujet de la volonté.  Car le pouvoir ne passe jamais à l’acte à moins que ne le veuille celui qui le possède.  Voilà pourquoi saint Paul dit ceci du pouvoir de prophétiser (1 Corinthiens, 14) : « Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes. »  Et c’est aussi ce qu’enseigne l’expérience. Car, si un roi, en dormant ou après avoir trop bu, ordonne qu’un tel soit tué, cet ordre n’est habituellement pas mis à exécution, car on ne sait pas ce qu’il veut vraiment.   Les paroles sacramentelles sont aussi des paroles pratiques, puisqu’elles sont des instruments de justification.  Elles requièrent donc le pouvoir et la volonté, et donc l’intention.
Si quelqu’un objecte que les paroles des sacrements ont, par elles-mêmes, une vertu opérative qui leur vient de l’institution du Christ, et que leur efficacité ne dépend donc pas de l’intention ou du pouvoir du ministre,  On doit répondre qu’il y a, là-dessus,  deux sentences des théologiens.  Car, quelques-uns, comme Cajetan, (3 par quest LX1V, art 1), et Sotus  (4 dist 1,  q. 5, art 1), et Ledesmius veulent qu’il y ait, dans le ministre lui-même, une vertu opérative efficace et instrumentale, comme elle existe dans le sacrement;  et, selon cette sentence, la réponse est facile à donner.  Car, dans les paroles des sacrements, il y a une vertu opérative, mais dépendamment du ministre.  Car, les mots, alors,  n’ont de vertu que quand ils sont unis  à la vertu qui est dans le ministre.
D’autres, cependant, estiment que le ministre n’a, en lui-même, aucun pouvoir efficient sur la justification : il ne fait que concourir, en appliquant le sacrement, comme celui qui plante et qui arrose (1 Cor 111), ne produit pas efficacement et physiquement les fruits des arbres, mais leur appliquent des agents.   C’est ce que semble penser saint Thomas (3, par, question LX1V, article 1, à 1).  On ne doit pas en conclure que, selon cette sentence, ils ne consacrent pas vraiment et proprement, qu’ils n’absolvent pas, ne baptisent pas, ne réconcilient pas.
 Car, la différence qu’il y a entre les agents volontaires et les autres choses est que les autres choses ne sont pas considérées comme agissant proprement, quand elles ne font qu’appliquer les agents.  Car, on ne dit pas qu’un chat a incendié la maison s’il y a appliqué le feu, mais on dit que la maison a brulé par hasard.  Mais quand ce sont des agents volontaires qui agissent librement, on dit que ce sont eux qui sont responsables d’une action.  En effet, un médecin soigne un malade quand il lui applique le remède  approprié.  Et  il le tue  véritablement quand il met volontairement du poison dans la médecine.
Et, selon cette deuxième sentence, on doit répondre à l’objection posée, que les paroles sacramentelles n’ont pas  de vertu propre, et ne sont donc sacramentelles que quand Dieu s’en sert comme d’instruments.  Or, Dieu ne s’en sert comme d’instruments que quand elles sont prononcées par celui qui a reçu le pouvoir de les dire.  Voilà donc pourquoi les paroles sacramentelles dépendent du pouvoir et de la volonté du ministre.  Même si la première sentence semble être plus probable, cependant l’une et l’autre sont en mesure de réfuter l’objection.
La quatrième raison vient des choses absurdes qui en résulteraient.  Comme le note Hugues de saint Victor (livre 11, sur les sacrements, par 6, chapitre 13.)   Car, d’abord, si un père amenait son fils dans une piscine, s’il l’immergeait en le signant et en disant, à la façon d’un chrétien, je te lave au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, sans avoir l’intention de le baptiser, on devrait dire que cet enfant est baptisé si l’intention n’était pas requise, et si la matière et la forme suffisaient.  Mais, ce serait ridicule.
Ensuite, si le prêtre lisait l’évangile pendant le repas, comme cela se fait aux repas des prélats et des religieux, et, au milieu de sa lecture, prononçait les mots : ceci est mon corps, ceci est mon sang, tout le vin qui se trouve sur la table serait consacré si l’intention n’était pas requise.  Enfin, si quand quelqu’un engage une servante, il lui disait : je t’accepte comme  mienne ( pensant au mot servante, mais sans le dire), et si l’autre répondait : je t’accepte comme mien (en pensant au mot maitre, mais sans le dire), ils seraient mariés.
                                              CHAPITRE 28
                                     On réfute des arguments
Il reste à réfuter les arguments.  Ceux de Luther, de Calvin, de Kemnitiius,  de Catharinus.
Le premier argument de Luther vient de l’assertion de l’article 12.  La parole de Dieu, indépendamment de l’intention de celui qui la dit, excite la foi dans l’auditeur.  Mais, c’est  la foi qui justifie.  Donc, la parole sacramentelle, quelle que soit l’intention de celui qui la profère, est efficace et confirme.  Voilà  pourquoi l’apôtre se réjouit (Phillip 1) que la parole soit prêchée avec toutes sortes de motifs différents, même si quelqu’un prêchait par envie, orgueil, ambition, car elle était toujours fructueuse.  Il en va donc de même de la parole,  dans les sacrements.  Elle sera utile même si elle est prononcée par jeu.   Deuxièmement.  Le même Luther confirme (dans le livre sur la messe privée), en évoquant le fait suivant : l’évêque d’Alexandrie Alexandre a jugé valide un baptême que l’enfant Athanase avait conféré à des enfants en jouant avec eux.  On lit aussi, au sujet de certains Gentils, qu’un d’eux avait été baptisé pour se moquer des chrétiens, et qu’il s’était converti immédiatement dès que l’eau lui toucha la tête.  On en déduit que ce fut un vrai baptême.
Je réponds que le premier argument apporte une vraie preuve pour ceux qui, comme Luther, pensent que les sacrements n’ont été institués que pour exciter la foi, et que la foi seule justifie.  Mais, pour nous, il ne prouve rien. Car, même si nous concédions que, quelle soit l’intention avec laquelle elle est prononcée, une parole peut exciter la foi, nous ne concéderions pas, pour autant, que, quelle que soit l’intention avec laquelle elle est prononcée, une parole peut avoir un effet sacramentel.  Et la raison de la différence entre les deux est que, pour exciter la foi, aucune efficience n’est requise, puisque la signification suffit.
 À sa confirmation je réponds qu’autre est avoir l’intention de prêcher tout court, et autre est avoir l’intention de prêche  de mauvaise foi.  Et c’est de cette dernière intention dont parle saint Paul. Et c’est aussi de la même façon que nous concédons que le baptême est vrai et efficac, quand le ministre a vraiment l’intention de baptiser, même de mauvaise foi
Tu diras aussi que celui qui a l’intention de ne pas prêcher sérieusement porte quand même des fruits en prêchant, et qu’il en va de même pour les sacrements.   Je réponds que les paroles de prédication et les paroles sacramentelles ne sont pas de même espèce.  Car, les paroles de prédication sont, pour ainsi dire, des paroles spéculatives, qui ne dépendent pas de l’intention, tandis que les paroles des sacrements sont des paroles pratiques, qui, comme je l’ai déjà prouvé, dépendent de l’intention.
 Même si ces arguments semblent apporter de l’eau au moulin de Luther, ils ne tracent pas la vraie voie à suivre, comme le montrent ces mêmes arguments.  Car, ils concluent que les paroles suffisent sans l’eau ou l’élément, et que les sacrements peuvent être conférés par un homme ivre, ou par une pie.
À la seconde confirmation je réponds que les sacrements peuvent être conférés par jeu de deux façons, comme l’explique Hugues (dans son livre 2, chapitre 6, chapitre 13.)  Une première.  Ils entendent, en jouant, conférer vraiment les sacrements, mais dans un but récréatif.  Ils peuvent conférer vraiment les sacrements, comme le peuvent aussi ceux qui les confèrent pour des motifs pécuniaires.   Ce jeu n’empêche donc pas la vérité du sacrement, car ce jeu est extrinsèque à l’action sacramentelle elle-même.
 Une deuxième.  Ceux  qui jouent sans avoir l’intention de conférer un sacrement, mais de tromper et d’induire en erreur, comme ceux qui ont habillé Jésus avec un manteau rouge et qui lui disaient : salut, Roi des Juifs.  Ils n’entendaient pas le couronner roi, mais s’en moquer.  Or, ce jeu empêche que le sacrement soit véritable, parce que le jeu est intrinsèque à l’action.  Je dis donc que le jeu d’Athanase fut de la première catégorie, car il voulait vraiment baptiser, mais il a fait de cette action un jeu qu’il accomplissait par plaisir.
On doit interpréter de la même manière ce que rapportent les historiens Ruffin (livre 10, chapitre 14 de son histoire), Sozomène (livre 11, chapitre 16), et Nicéphore (livre 8, chapitre 40).  Ils écrivent qu’on n’a fait que compléter, par les paroles du rituel, le baptême qu’avait donné Athanase enfant à des catéchumènes, parce que les enfants ont coutume de faire leurs jeux  sérieusement.
 Car, par exemple, quand ils feignent que l’en d’entre eux est roi, et les autres ses serviteurs, ou qu’ils font semblant d’assiéger une ville, le roi prend au sérieux son rôle,  il donne des ordres et les autres obéissent.  Et c’est sérieusement qu’ils attaquent une ville ou qu’ils la défendent de l’intérieur.  On dit que ce sont des activités ludiques, parce qu’elles sont puériles et qu’elles ont pour but l’amusement.   Nicéphore ajoute que la même histoire est arrivée de son temps (livre 3, dernier chapitre.
Et, au sujet du mime je réponds que rien, dans cette histoire, ne nous est contraire. Car, le premier historien à rapporter cette histoire est (que je sache) Adon de Trévires, kalendes 8 de septembre du martyrologe. Et c’est de lui que l’ont reçu ceux qui sont venus après, comme Vincent (livre 12, chapitre 102, mémoires) et saint Antonin (1 par tit 8, cap 1, verset 9 de sa somme historique).
 Adon raconta donc l’histoire d’un mime du nom de Genest qui, devant l’empereur Dioclétien, fit semblant d’être malade, dans le but de ridiculiser les mystères chrétiens, et  demanda de recevoir le baptême.  Alors, sur l’ordre de l’empereur, on a fait venir un prêtre et un exorciste qui le baptisèrent.  Et quand le prêtre lui demanda ce qu’il voulait, subitement converti, il ne répondit pas mensongèrement mais sérieusement qu’il demandait la grâce du Christ, et qu’il désirait recevoir le baptême, même si l’empereur croyait qu’il feignait encore.  Voir Surius, tome 1V, dans la vie de saint Genest.
Le second argument est de Calvin (dans antidote) et de Kemnin (dans 2 par de l’examen, au lieu cité), qui argumentent ainsi. Si l’efficacité du sacrement dépendait de l’intention du ministre, périraient la certitude que l’homme doit avoir sur l’effet d’un sacrement, ainsi que la consolation spirituelle. Car, personne ne peut être certain de l’intention d’un autre.  Je réponds  que, dans ce monde, l’homme ne doit pas chercher de certitude infaillible  de son salut, ou de la justification, qui soit  semblable à celle de la foi divine. Car, ces choses ne conviennent pas à l’état dont l’apôtre dit (1 Corinth X) : « Que celui est debout veille à ne pas tomber ! »  Et Philippiens 11 : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement. »  À ce sujet, voir saint Augustin (livre 2, chapitre 13, du bien de la persévérance, et de la réprimande et de la grâce, chapitre 13. )
Nous avons une  certitude humaine et morale d’avoir les sacrements, suffisante pour apaiser l’homme, même s’ils dépendent de l’intention d’un autre.  Car, puisque rien n’est plus facile que d’avoir une intention, il n’y a pas de raison de douter que le ministre l’ait vraiment, sans qu’il en donne un signe extérieur certain.  Et cela suffit pour que l’homme ne demande pas d’être baptisé de nouveau, et qu’il ait confiance d’avoir vraiment reçu le baptême.
Et il est à remarquer que les luthériens sont contraints de confesser la même chose, qu’ils le veuillent ou non.  Car, ils baptisent les enfants comme les catholiques. Et quand ils deviennent des adolescents, ils ne peuvent ni se souvenir ni savoir s’ils ont vraiment reçu le baptême, à moins de vouloir croire ce que  disent leurs parents.  Ils croient donc à leurs parents, qui peuvent se tromper, et trouvent ainsi la paix.  Combien plus .pourra-t-il s’assurer d’avoir reçu le baptême celui qui se voit être baptisé, comprend les mots, et n’a aucun indice d’une intention contraire du ministre.
Le troisième argument est celui de Kemnitius, qu’il tire d’un texte de saint Augustin (lkivre 7, chapitre 53 sur le baptême).  Il n’ose pas soutenir qu’a de la valeur  le baptême administré par jeu, mais il dit qu’il faut attendre une révélation de Dieu.  D’autres ajoutent un autre texte de saint Augustin (traité 5 sur saint Jean), où il semble dire que le baptême administré par un homme ivre est valide.  Et pourtant, il n’est que trop certain que les homes ivres n’ont pas l’intention de  conférer un sacrement.
  Kemnitius ajoute que le pape Innocent 1V,  au témoignage d’un ange dans sa somme, estima que, pour qu’un sacrement soit véritable, il n’était pas requis que le ministre ait en tête de faire ce que fait l’Église.  Il alla plus loin, car il ajouta que s’il avait une intention contraire, c’est-à-dire ne pas faire ce que fait l’Église, il suffit qu’il apparaisse vouloir le faire.
Je réponds d’abord à l’objection tirée de saint Augustin. C’est une objection qui se retourne contre eux.  Car, tout d’abord, saint Augustin, au même endroit, dit qu’il doute de cela, parce que la chose n’a été définie dans aucun concile. Voici ses propres paroles : « Mais, dans cette chose, il nous parait plus sûr de ne pas  avancer témérairement une sentence qui n’a été présentée dans aucun concile régional catholique, qui n’a été définie dans aucun concile plénier. Qu’on veille à ne soutenir avec autorité que ce qui a été corroboré par la gouvernance de notre Seigneur Jésus-Christ, et le consentement de l’Église universelle. »
 La chose maintenant a été définie dans deux conciles généraux, celui de Florence et celui de Trente. Il importe peu qu’ils ne soient pas reçus par les luthériens, car le concile de Nicée lui-même n’a pas été reçu des donatistes dans la cause de l’anabaptisme. Ce qui n’a pas empêché  saint Augustin de proclamer que la cause est certaine, et définie par l’autorité de ce concile.
De plus, quand le même saint Augustin dit, au même endroit, qu’il faut demander une révélation de Dieu pour savoir si le baptême conféré par jeu, sans intention véritable de conférer un sacrement, est valide ou pas, il témoigne ouvertement qu’il n’est pas certain, comme le prétendent les adversaires, que l’Écriture enseigne que l’intention du ministre n’est pas requise.
 Ainsi, sans aucun doute possible, selon la sentence de saint Augustin, nous faisons mieux que les adversaires qui ne baptisent pas ceux qui ont été baptisés sans intention du ministre, alors que nous, nous les baptisons.  Car, en cas de doute, il est préférable de réitérer le baptême, au moins sous condition, plutôt que d’exposer quelqu’un au péril de mourir sans baptême.  Il est facile de répondre à l’autre citation de saint Augustin.  Car, il n’a pas parlé de ceux qui sont ivres, mais de ceux qui ne sont qu’éméchés.
Au sujet de l’autorité d’Innocent 1V, je réponds que Kemnitius, à son accoutumée, n’a pas  rapporté fidèlement sa sentence.  Car, (au chapitre si quis puerum extra de baptismo etc), après avoir dit que le baptême était valide même si le ministre avait l’intention de ne pas faire ce que fait l’Église, le pape Innocent ajoute : « Pourvu qu’il ait l’intention de baptiser ». Paroles que Kenmnitus n’a pas citées.  Car, pas seulement une seule fois, mais trois fois, le pape Innocent répète que le baptême n’est pas ratifié si le ministre n’entend pas baptiser, mais seulement laver un corps.
On peut entendre de deux façons ces paroles du pape Innocent : « Même s’il a l’intention de ne pas faire ce que fait l’Église. » La première. Ce que fait l’Église quant à la substance de l’action. La deuxième.  Quant à l’effet de cette action.  C’est dans le dernier sens que le pape prend ces mots.  Et voici ce qu’il veut dire : même si le ministre ne pense pas à faire ce que fait l’église, c’est-à-dire justifier l’homme en effaçant ses péchés, parce qu’il pense que cette cérémonie n’a pas ce pouvoir, il suffit qu’il fasse ce que fait l’Église.
 Kemnitius prend ces mots au premier sens, mais inutilement, car Innocent le contredit trois fois.  Et Innocent n’a pas dit ce que Kemnitius lui fait dire : le sacrement est ratifié si le ministre donne l’impression de vouloir baptiser pour vrai.
Le quatrième argument est celui de Catharinus qui cite des textes de saint Thomas, de saint Jean Chrysostome,  et du pape Nicolas.      Saint Thomas (3 par quest LX1V, art 8, a 2), dit que pour que le sacrement soit parfait,  l’intention de l’église suffit, laquelle est exprimée dans la forme même des mots;  et que rien d’autre n’est requis de la part du ministre.  Il s’exprime plus clairement (1V, dist 6, quest 1, art 2), là où il dit que n’est pas requise l’intention mentale du ministre, mais que suffit la formule dans laquelle est contenue l’intention de l’Église.    Saint Jean Chrysostome (homélie 85 sur Jean) : « Le prêtre prête sa langue et sa main.  Car, il n’est pas juste que, à cause de la malice d’un autre, soient lésés  ceux qui font une démarche pour recevoir le salut. »
 Quand les Bulgares ont demandé au pape Nicolas si ceux qui sont baptisés par des Juifs doivent être rebaptisés, il a répondu qu’ils ne devaient pas l’être, s’ils ont été baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Sans faire aucune mention de l’intention.  Catharinus ajoute ensuite la raison suivante : il semblerait trop dur d’accepter que Dieu ait placé le salut des hommes dans le jugement d’un ministre impie, rendant ainsi incertaine notre justification.
Cet argument a déjà été réfuté. Mais on pourrait ajouter une autre réponse.  Parce que, parmi les hommes, quand un maître fait un contrat avec quelqu’un par l’entremise de son serviteur, ou confie la charge à un autre, l’intention du ministre n’est pas requise.
Au sujet de saint Thomas, je réponds qu’il enseigne qu’est requise l’intention interne du ministre.  Car (3 par  quest LX1V, art 8, dans le corps de l’article), il dit qu’il faut déterminer les choses qui se font dans les sacrements, car elles peuvent être employées à  des usages divers par le ministre.
De même, à la réponse 1, il dit que, parce qu’il est un instrument animé, le ministre doit remplir son devoir avec l’intention de faire ce que fait le Christ et l’Église.  De même (article 9, 1), il dit que le sacrement est un vrai sacrement, même si le ministre pense qu’il vaut pour autre chose que ce qu’il vaut vraiment, pourvu qu’il ait l’intention de faire ce que fait l’Église.
Ensuite, à l’article 10, il dit encore plus clairement qu’est requise, dans le ministre, l’intention de conférer les sacrements, non de jouer ou de ridiculiser; et que, sans cette intention, le sacrement n’a pas lieu.  Il importe peu que saint Thomas ait ajouté : « Surtout quand il manifeste son intention à l’extérieur. »  Car, il veut dire c’est ceci.   Quand un ministre a l’intention de ne pas conférer un sacrement, mais de s’amuser, et ne manifeste pas extérieurement cette intention, le sacrement est nul.   Mais, il serait encore plus nul s’il manifestait son intention.  Car, dans le premier cas, il est nul devant Dieu, et dans le dernier, il est nul devant Dieu et les hommes.
Au passage que Catharinus nous objecte, (2, art 8), je réponds que quand Cajetan et Soto disent que saint Thomas enseigne que n’est pas requise l’intention mentale pour que le sacrement soit parfait, mais que suffit la prononciation des mots, il ne parlait pas de la perfection du sacrement proprement dite, mais de la perfection devant les hommes, qui suffit à la certitude humaine et à l’apaisement de l’âme, sans que soit requis autre chose.
On peut le prouver, cela, de deux façons.  La première. Parce que dans l’argument 2, saint Thomas s’était objecté à lui-même que si l’intention mentale du ministre était requise, personne ne pourrait être sûr d’avoir reçu le sacrement.  La réponse doit donc être entendue de la perfection du sacrement par rapport à la certitude, non en soi.  Ensuite, dans cette réponse, saint Thomas ajoute que suffit l’expression externe de la formule sacramentelle, si n’est pas exprimée une intention contraire du ministre, ou du catéchumène.
Cette addition est la bienvenue, s’il s’agit de la certitude; mais elle est fausse, s’il s’agit de la perfection absolue du sacrement, comme le veut Catharinus.   Car, si n’était pas requise l’intention interne du ministre, le sacrement serait certainement un vrai sacrement si le ministre exprimait une intention contraire, de la façon suivante : « Je n’ai pas l’intention de baptiser, mais de me moquer du sacrement, et voilà pourquoi je dis ces paroles : je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ».  Et  même s’il exprimait sa dérision par un geste externe, et disait ces paroles avec ironie, il y aurait un sacrement ?  Saint Thomas enseigne le contraire.
Au texte de saint Jean Chrysostome, je réponds qu’il ne parle pas de la probité des ministres, mais qu’il veut dire que l’efficacité des sacrements ne dépend pas de la bonté des ministres, mais de la bonté de Dieu seul.   Voilà pourquoi, quand il dit que le prêtre prête sa main et sa langue, il exclut les vertus, mais non l’intention du ministre.  Car il veut dire que le ministre est l’instrument de Dieu, non l’agent principal.
 Et du fait que le ministre est un instrument, il s’ensuit qu’il n’agit pas par sa vertu propre, et que, en conséquence, ne sont requises ni la foi, ni l’espérance, ni la charité, ni une autre vertu.  Mais, on ne peut pas en déduire que n’est pas requise l’intention, mais plutôt le contraire, puisque l’homme est un instrument animé et rationnel. Il doit donc être mu par Dieu selon sa nature, c’est-à-dire avec réflexion et intention.
Tu diras que la raison que présente saint Jean Chrysostome, à savoir qu’il n’est pas juste que quelqu’un soit lésé par la malice d’un autre, nous amène à conclure que les sacrements ne dépendent pas de l’intention du ministre. Parce que la malice du ministre pourrait nuire à ceux qui reçoivent les sacrements, s’il retirait en secret son intention.  Je réponds que cette conclusion porte sur la probité et non sur l’intention, pour deux raisons.
La première.  Car, si les sacrements dépendaient de la probité, la malice de l’un nuirait très souvent à un autre, car nombreux sont les mauvais, et ne peuvent pas être ratifiés les sacrements qui, sans une nécessité urgente, sont administrés par des infidèles, des hérétiques, ou des pécheurs publics.   Mais s’ils dépendent de l’intention du ministre, c’est très rarement que nuira aux fidèles l’intention du ministre.  Car l’intention tous peuvent l’avoir, et il n’y a aucune  raison qui les empêcherait  de vouloir l’avoir.
Deuxièmement, parce qu’il est juste que les sacrements ne dépendent pas d’une qualité du ministre qui n’est pas absolument nécessaire au ministère, comme la probité.  Mais il n’était pas également juste qu’ils ne dépendent pas d’une qualité, comme l’intention, sans laquelle le ministre ne peut pas être ministre.  J’ajoute que si cette raison prouvait que les sacrements ne dépendent pas de l’intention de conférer sérieusement les sacrements, elle prouverait aussi qu’ils ne dépendent pas non plus de l’intention de faire un acte externe, qui est la seule chose qu’admettent Catharinus et les hérétiques.  Car, même de cette façon, il pourrait se faire que la malice du ministre nuise  à celui qui reçoit le sacrement, si, par exemple, quelqu’un ne voulait pas dire les paroles ou verser de l’eau quand on ne peut pas en trouver d’autre qui pourrait ou voudrait le faire.
Et cela nous permet aussi de répondre à l’objection de Catharinus, selon laquelle il serait trop dur de laisser le salut des hommes entre les mains d’un ministre impie.  Car, il est forcé de reconnaitre cela dans l’autre cas.  Et il ne devrait pas sembler dur que Dieu ne permette pas  qu’elle  détruise la nature de l’homme.  Autrement, il semblerait dur également qu’il abandonne au libre arbitre d’un tyran les vies de plusieurs innocents.
Au sujet de l’autorité du pape Nicolas, je dis qu’il ne s’est pas soucié de l’intention, parce qu’elle est ordinairement présente, et parce que l’Église ne porte pas de jugement sur le for intérieur.  La troisième raison que nous avons donnée apporte une réponse au dernier argument tiré de la coutume humaine.
 
 2018 11 01 fin

2018 11 11 debut
                                  LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL
                                            DEUXIÈME LIVRE
                   L’effet, le nombre et les cérémonies des sacrements
         QUATRIÈME CONTROVERSE SUR L’EFFET DES SACREMENTS
 Cette controverse comprend trois parties. La première.  Les sacrements de la loi nouvelle sont-ils de vraies causes de la justification par l’œuvre opérée ? La deuxième.  Est-ce quelque chose qui est propre aux sacrements de la loi nouvelle, ou qui leur est commun avec ceux de la loi ancienne ?  La troisième.  Les sacrements de la loi nouvelle impriment-ils un caractère ?
 La première question se divise en quatre chapitres.  Le premier. On explique l’état de la question.  Le deuxième. On présente les sentences des hérétiques. La troisième.  On confirme la vérité.  La quatrième. On réfute les objections.
                                                CHAPITRE 1
 Quel est l’état de la question au sujet de l’efficacité des sacrements ?
Quand on dispute de l’efficacité des sacrements de par l’œuvre opérée, il faut d’abord expliquer ce que l’on cherche.  Car, pour rendre odieuse la sentence des catholiques, les adversaires l’exposent de travers.
Il y a d’abord quatre choses à noter. La première. L’état de la question n’est pas celui que présente Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 17) en ces termes : « La seule qu’on cherche ici est la suivante : Dieu opère-t-il par une vertu propre et intrinsèque, ou se sert-il de symboles externes comme de vicaires, ou de tenants lieu. »  Or, jamais personne n’a posé la question en ces termes. Car, ce serait demander si les sacrements sont la cause première, ce qui n’est jamais venu à l’esprit de personne, à moins d’être complètement maboule.  La seule chose que nous cherchons, c’est donc : sont-ils des instruments de Dieu, c’est-à-dire, est-ce que Dieu nous justifie par les sacrements, et non est-ce que les sacrements nous justifient sans Dieu ?  Comme personne ne se demande : est-ce que c’est le charpentier qui opère, ou ses serviteurs en tant que ses vicaires ? Car, sans le contremaitre, les ouvriers ne peuvent rien faire.
 Il s’ensuit donc que les hérétiques profèrent un énorme mensonge et une très vaine calomnie quand ils disent que nous séparons les hommes du Christ et de sa passion, et que nous les enchaînons à des signes, parce que nous enseignerions que les sacrements sont les causes de la justification.  Mais, au contraire, en parlant ainsi, nous attirons les hommes vers le Christ et sa passion, car nous disons que les sacrements sont des instruments du Christ,  par lesquels il nous applique les mérites de sa passion.  Séparerait-il  les hommes du feu celui qui dirait que la chaleur est l’instrument par lequel le feu réchauffe ?
 Et pourtant, c’est ainsi que parle Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 14 : « Celui qui met la cause de la justice dans les sacrements enchaîne à la terre, par cette superstition, les âmes misérables des hommes, qui y sont suffisamment enclines de par leur nature, afin qu’elles trouvent leur apaisement dans le spectacle d’une chose corporelle plutôt qu’en Dieu. »  Luther dit des âneries semblables.
Il faut, noter, en second lieu, que la controverse ne porte pas sur la façon dont les  sacrements sont des causes, c’est-à-dire, en produisant un effet, physiquement ou moralement seulement, ou par une qualité inhérente et la seule motion de Dieu ? Car, ces choses n’ont rien à avoir à une question de foi.   Mais, seulement,  en termes généraux : les sacrements sont-il de vraies et propres causes instrumentales de la justification, de façon à ce que du fait que quelqu’un est baptisé, il s’ensuive vraiment qu’il soit justifié ?
 Car, c’est ce qu’enseignent tous les catholiques, comme Luther lui-même le reconnait (dans son livre sur la captivité de Babylone, chapitre sur le baptême) : « Ils sont très nombreux ceux qui pensent que, dans la parole et dans l’eau, il y a une vertu occulte spirituelle  qui opère dans l’âme de celui qui reçoit la grâce de Dieu. D’autres les contredisent en disant qu’il n’y a aucune vertu dans les sacrements, mais que la grâce est donnée par Dieu seul, qui prête son assistance  en vertu du pacte sacramental qu’il a contracté. Cependant, tous admettent que les sacrements sont des signes efficaces de la grâce. »
Et cela suffit pour la foi et pour l’usage légitime des sacrements.  Comme dans les miracles du Christ, il n’était  pas requis que les hommes qui avaient à être guéris, sachent par quel genre de cause la fibre du vêtement du Christ apportait la santé et la guérison. Il n’était pas nécessaire, non plus, que les apôtres qui guérissaient en imposant les mains,  comprennent comment cela se faisait.  De la même manière, il n’est pas nécessaire que ceux qui administrent ou qui reçoivent les sacrements sachent comment ces sacrements sont des causes de  justification.
Ajoutons que c’est quelque chose qui est commun à beaucoup de mystères de foi. Nous savons par l’Écriture qu’il existe des choses dont nous ignorons la manière d’être, comme le Dieu un et trine en même temps, un Christ homme et Dieu en même temps, la résurrection des mêmes corps, la présence divine et  corporelle entière du Christ dans l’eucharistie.   De sorte que, dans cette question, il suffit de prouver, par le témoignage des Écritures, que les sacrements sont causes de la grâce.
  Comment cela se fait, c’est une chose difficile à comprendre, et encore plus à expliquer.  Il n’y a là rien d’étonnant.  Car, si l’homme  ne peut pas donner d’explication valable des choses naturelles créées par Dieu qui tombent sous nos sens, comme le dit Salomon (Eccl V111), à combien plus forte raison sera-t-il incapable de rendre raison des choses surnaturelles ?  Cependant, ce n’est pas sans utilité que les scolastiques en disputent.  Ils peuvent ainsi montrer qu’il y a plusieurs façons de défendre ce que la foi défend; et ils formulent plusieurs explications qui ne manquent pas de probabilité, mais qui ne sont pas de foi.
Elle n’est donc pas honnête l’objection que nous font nos adversaires, et surtout Kemnitius (dans la seconde partie de son examen, chapitre sur l’efficacité du sacrement, et le chapitre sur l’œuvre opérée.) et  Heshusius (dans son livre sur les cinq cents erreurs des papes,  tit 1 , qui porte sur les sacrements).  Ils réprouvent les opinions des scolastiques sur la manière d’opérer des sacrements, en nous reprochant de croire que ces opinions font partie de la foi de l’église catholique.
Il faut prendre note, en troisième lieu, de ce que c’est que conférer la grâce par l’action opérée.  Car les adversaires voient dans cette expression une nouveauté, et ils exposent la sentence de travers.  Calvin (dans son antidote du concile de Trente, session 8, canon 8,) dit que « conférer la grâce par l’œuvre opérée, ce   sont des mots monstrueux ».  Kemnitius (dans 2 par examen, page 115), dit que, quand il a employé ces mots, le concile n’a pas conservé la forme des saines paroles que Paul nous ordonne de garder (11 Tim 1).
Mais il ne vaut pas la peine de faire une grande dispute pour un mot.  Car, il n’y a pas là de nouveauté, à part le fait que, contre la règle grammaticale, le mot opéré est pris au sens passif.  Mais, cela, non plus, n’est pas nouveau,   Car, dans l’épitre aux Hébreux (chapitre X111),  le mot promeretur est employé au passif : « Car, c’est de telles hosties que Dieu mérite. »  Et, saint Augustin (dans le psaume CXXXV111 a préféré dire ossum ossi  plutôt que os ossis, pour qu’om comprenne plus facilement. « Il est préférable d’être blâmés par les grammairiens plutôt que de ne pas être compris par le peuple. »
Ils disent donc que par, œuvre opérée nous entendons deux choses qui sont contradictoires et qui sont mutuellement exclusives. La première.  Ils disent que œuvre opérée signifie œuvre méritoire, ou la dignité de l’œuvre, de la part du ministre ou de celui qui reçoit le sacrement. Luther a été le premier à présenter la chose ainsi dans la captivité de Babylone (chapitre sur le baptême), où il dit que les papistes « ont fait du sacrement un précepte,  et de la foi une œuvre. »  C’est comme s’il disait que les papistes pensent que les sacrements donnent la grâce, parce que celui qui le reçoit fait une bonne œuvre prescrite par Dieu.
Ensuite Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 26), écrit : « Tout ce que les sophistes ont rêvé sur l’œuvre opérée n’est pas seulement faux mais milite contre la nature du sacrement que Dieu a institué.   Et les fidèles vides de bonnes œuvres et les pauvres n’en retirent rien d’autre que leur mendicité et  leur pauvreté.  Il s’ensuit donc qu’en les recevant, ils ne font rien qui leur mériterait des honneurs;  et que cette action, qui n’est que passive, ils ne peuvent en rien en faire une bonne œuvre. »  Il dit la même chose (dans son antidote (session 7, chapitre 8).  Il  réfute que les sacrements opèrent la grâce par l’action opérée en disant seulement  qu’il serait absurde que l’efficacité des sacrements dépende des mérites des hommes. Et enfin, Kemnitius (2 par examen, page 95) : « Il y en a qui ont placé la vertu des sacrements dans l’action par laquelle le sacrement est administré ou reçu.  Tout comme s’ils disaient que les sacrements confèrent la grâce à cause de la dignité et du mérite de l’œuvre qu’opère ou celui qui les administre ou qui les reçoit. »
Cette explication est d’une grande fausseté, et elle ne fait que témoigner ou de leur ignorance ou de leur mauvaise foi.  La preuve en est que tous les catholiques opposent l’œuvre opérée à l’œuvre de l’opérant.  Et par œuvre de l’opérant, ils entendent une œuvre bonne ou méritoire de l’opérant.  De plus, comme tant les catholiques que les luthériens enseignent, contre les donatistes, que l’efficacité des sacrements ne dépend pas de la bonté du ministre, comment quelqu’un a-t-il pu jamais imaginer que les catholiques croyaient que les sacrements conféraient la grâce par la dignité ou le mérite du ministre ?  Car, on ne peut douter que la bonne œuvre et le mérite dépendent de l’opérant, puisque (Matth V11) : « Un arbre mauvais ne peut produire de bons fruits. »
De même, les catholiques enseignent que les sacrements confèrent la grâce et souvent la première grâce, de telles sorte que les impies deviennent justes.  Comment pourrait-il se faire, alors, qu’ils croient que c’est à cause de la dignité ou des mérites du récipiendaire  que les sacrements confèrent la grâce ?  Car, si celui qui reçoit le sacrement du baptême pouvait, avant sa réception, faire des œuvres bonnes et méritoires, il n’était pas un impie, mais un juste.
La deuxième explication est fausse.  Celle qui veut que conférer la grâce par l’œuvre opérée signifie conférer la grâce à un pécheur sans foi, et sans un bon mouvement du cœur du pécheur, de sorte que la vertu de l’œuvre opérée ait été excogitée pour exclure la foi et la pénitence interne, dans l’affaire de la justification.  Luther (dans sa Babylone, au chapitre du baptême), écrit : « La seule chose qu’ils ont imposée c’est d’attribuer aux sacrements de la nouvelle loi d’être profitables même à ceux qui sont en état de péché mortel;  et de ne requérir ni foi ni grâce. »  Calvin (dans son antidote,
Et, au canon V111 : « Si on leur concède ce qu’ils demandent, à savoir que c’est par l’œuvre opérée qu’est procurée la grâce dans les sacrements,  on sépare de la foi la part du mérite, et on fait en sorte que l’usage du sacrement vaille, par lui-même, pour le salut. »   Kemnitius (2, par examen, page 125) écrit : « Les pontifes promeuvent l’opinion de l’œuvre opérée,  voulant que, par les sacrements, la grâce soit conférée aux usagers, de façon telle qu’on ne requiert d’eux  aucun bon motif intérieur. »  Philippe dit des choses semblables (dans sa confession d’Augusta, article 13, et dans son apologie), et Heshusius (dans son livre sur les 600 erreurs des papes, tit 15).
Mais cette présentation contredit la précédente.  Car si l’œuvre opérée est l’œuvre méritoire du récipiendaire, comme peut-il se faire que l’œuvre opérée exclue la foi, puisque sans foi aucun mérite n’a de sens. « Car, sans la foi, il n’est pas possible de plaire à Dieu. (2, Hébreux, 11).  Et, de plus, sa présentation de notre sentence est fausse, calomnieuse et mensongère.   Car, le concile de Trente lui-même (session 6, chapitre 6, ) enseigne en toutes lettres que le commencement de la justification se fait par la foi et la pénitence.  Ce que tous les théologiens enseignent également, comme nous l’avons montré plus haut, au chapitre 7, dans la réfutation des mensonges.
Donc, pour comprendre ce que c’est que l’œuvre opérée, il faut noter qu’à la justification que reçoit quelqu’un, quand lui est administré le sacrement,  plusieurs choses concourent;  De la part de Dieu, la volonté de se servir de cette chose sensible.  De la part du Christ, sa passion.  De la part du ministre, le pouvoir, la volonté, la probité.  De la part du récipiendaire, la volonté, la foi et la pénitence. Et de la part du sacrement, l’action externe qui résulte de l’application idoine de la matière et de la forme.  De plus, de toutes ces causes, ce qui activement, prochainement, et instrumentalement effectue la grâce de la justification c’est la seule action externe qui est appelée sacrement.   Et on parle d’œuvre opérée, quand on reçoit passivement (opérée) de façon à ce que  pour, le sacrement, conférer la grâce par l’œuvre opérée soit la même chose que conférer la grâce par la vertu de l’action sacramentelle elle-même, instituée par Dieu, et par les mérites de l’agent ou du récipiendaire.
C’est ce que dit saint Augustin (dans son livre 4, chapitre 24 sur le baptême) : « Le sacrement lui-même, par lui-même, vaut beaucoup. »  Car, la volonté de Dieu qui se sert d’un sacrement, concourt activement, et est la cause principale.  La passion du Christ concourt aussi, et est la cause méritoire, mais non effective, car elle n’existe pas en acte, et a eu lieu dans le passé, même si elle demeure objectivement dans la pensée de Dieu.  Le pouvoir et le ministre concourent nécessairement, mais sont des causes éloignées.  Ils sont requis, en effet, pour accomplir l’action sacramentelle, qui ensuite est opérée immédiatement.  La probité du ministre est requise, pour que le ministre ne pèche pas en administrant le sacrement. Cependant, elle n’est pas la cause de la grâce dans le récipiendaire, et ne l’aide pas par mode sacramentel, mais par mode impétratoire et exemplaire.  La volonté, la foi et la pénitence sont nécessairement requises dans le récipiendaire adulte, comme dispositions de la part du sujet, mais non en tant que causes actives.  Car, la foi et la pénitence n’effectuent pas la grâce sacramentelle, mais ne font qu’enlever les obstacles qui empêchent l’efficacité des sacrements.  Voilà pourquoi, dans les enfants, où n’est pas requise cette disposition, le sacrement a lieu sans la foi et la pénitence.
Exemple tiré des choses naturelles.  Pour faire bruler du bois, il faut d’abord scier du bois, tirer du feu d’une pierre, appliquer le feu au bois, et obtenir ainsi la combustion et la sécheresse, ou la production du feu à partir d’une pierre, ou l’application du feu au bois,  mais le feu seul en tant que cause première, et  la chaleur ou la caléfaction, en tant que cause instrumentale.
Quatrièmement, il faut noter la fraude ou l’incompétence de Kemnitius. Car (2 par examen, chapitre de l’œuvre opérée), il admet que certains catholiques, comme Gropperus et Alphonse ont bien expliqué ce que c’est que l’œuvre opérée.  Mais, il ajoute que les autres catholiques ne pensent pas comme eux, ni même le concile de Trente, et que la controverse demeure toujours entière.  Or, le pauvre Kemnitius n’a pu comprendre ni les premiers ni les autres. Ou, s’il l’a pu, il ne l’a pas voulu. Voici ce qu’il dit : « Gropperus et Alphonse imaginent faire injure aux scolastiques comme si, par œuvre opérée, ils avaient enseigné que les sacrements confèrent la grâce à celui qui la reçoit sans la grâce. Mais, ils disent que, dans la dispute sur l’œuvre opérée, ils n’ont voulu rien d’autre  que la vérité des sacrements n’est pas dans la dignité du ministre opérant, ni ne doit être estimée par le mérite, mais vient de l’institution, de la puissance et de l’opération du Dieu auteur. »
 Et plus bas : « Si c’est ce que veulent les pontifes quand ils disputent sur l’œuvre opérée, il n’y aurait pas de controverse, parce que cette sentence est vraie.  Mais, les scolastiques n’ont pas tous affirmé cela autrefois; et même aujourd’hui, ce n’est pas ce que veulent les papes quand ils se battent pour l’opinion de l’œuvre opérée.  Car, par des paroles exotiques, ils nourrissent l’église avec un monstre, et le lui font avaler de force. »
Dans ces paroles, il y a trois faussetés. La première.  Gropperus et Alphonse ont fait semblant d’injurier les scolastiques. Ils n’ont pas fait semblant, mais ils ont l’ont vraiment dit, comme nous l’avons souvent prouvé, et que nous le prouverons bientôt après.  La deuxième.  Qu’il n’y aurait pas de controverse si tous les catholiques disaient la même chose que Gropperus et Alphonse.  Car, ces deux auteurs ne disent pas seulement que les sacrements ne tirent par leur efficacité de la dignité du ministre, et n’excluent pas la foi, ce qui plait à Kemnitius et à nous, mais ils soutiennent aussi que les sacrements ont une vraie efficacité, c’est-à-dire une efficacité apte à produire grâce, de par l’institution divine.
 Alors que Kemnitius n’attribue aux sacrements que l’efficacité de nourrir la foi par le moyen d’un objet qui représente la divine promesse.  La troisième.  Il dit que ni  les anciens scolastiques ni les souverains pontifes ne comprennent l’œuvre opérée comme l’exposent Gropperus et Alphonse, eux, qui n’excluent pas la foi.  Que ce soit un mensonge, on le voit clairement par la réfutation de ses arguments.
D’abord, il le prouve ainsi.  Tous les scolastiques disent que les sacrements de la loi nouvelle donnent la grâce par l’œuvre opérée, et que les sacrements de la loi ancienne la donnaient par l’œuvre de l’opérant. Or, si l’œuvre opérée excluait la dignité du ministre, la circoncision, elle aussi, aurait donné la grâce par l’œuvre opérée, car la malice d’un ministre ne nuisait en rien à la circoncision.  De par la sentence des scolastiques, l’œuvre opérée n’exclut donc pas seulement la dignité du ministre, mais même la foi, et le mouvement interne du récipiendaire, toutes choses qui appartiennent à l’œuvre de l’opérant, et qui étaient nécessaires dans l’ancienne loi.
Je réponds d’abord que quand certains scolastiques, comme Gabriel (que citera un peu après Kemnitius) enseignaient que les anciens sacrements ne procuraient pas la grâce par l’œuvre opérée, ils exceptaient la circoncision.  L’argument de Kemnitius ne vaut donc rien, dans leur cas.  Je dis ensuite que l’œuvre opérée n’exclut pas seulement la dignité du ministre pour l’efficacité de la grâce sacramentelle, mais aussi la foi et le mouvement interne.  Car, comme nous l’avons dit, même s’ils sont requis dans les adultes, ce ne sont pas ces choses qui effectuent la grâce, mais le sacrement en tant qu’instrument de Dieu.  Dans les sacrements de l’ancienne loi, ce n’est pas le sacrement lui-même qui opérait la grâce, mais la foi et la dévotion du récipiendaire et de toute la synagogue, ou quelque chose d’autre, comme nous le dirons plus tard.
 L’argument de Kemnitius prouve que, selon la sentence des scolastiques l’oeuvre opérée exclut de l’efficacité de la grâce sacramentelle, la foi et le mouvement interne.  Mais il ne prouve pas ce qu’il fallait prouver, que l’œuvre opérée exclut absolument la foi et le mouvement intérieur, de façon à ce que, comme ils le disent, les sacrements confèrent la grâce à ceux qui les reçoivent, sans la foi et sans la conversion interne du cœur.
Il le prouve ensuite avec l’aide de Gabriel  (1V, dits 1, q, 3) qui dit que se trouve une œuvre opérée quand n’est requis aucun mouvement interne.   Je réponds qu’il ne cite pas Gabriel honnêtement. Car, Gabriel ajoute bientôt après : un mouvement qui mérite la  grâce par la convenance ou le droit.  Gabriel n’exclut donc pas le mouvement intérieur qui dispose à la grâce, mais celui qui mérite la grâce.  Car, même si cette disposition peut être méritoire de grâce par convenance, ou d’une augmentation de la grâce, de droit, si elle est un acte qui procède de la charité, cette grâce en est quand même une qui est donnée à cause de  la disposition.  L’autre grâce est celle qui est donnée par la vertu du sacrement, comme le même auteur l’explique (1V dist, 4, quest 2,  conclusion 4, au premier).
Il le prouve ensuite en citant Paludanus qui (1V dist 1 quest 1, conclusion 2, preuve 4) dit qu’il n’est pas requis, dans les sacrements, que l’homme se dispose, mais que la disposition est effectuée par le sacrement lui-même, et que c’était cela causer la grâce par l’œuvre opérée.  Je réponds que Kemnitius n’a pas compris Paludanus.  Car, Paludanus ne parle pas de la disposition qui est un mouvement interne du récipiendaire, comme la foi et la pénitence, lesquels sont expressément requis, comme il le dit lui-même à dist 4, question 5.  Mais, il parle de cette disposition dernière qui, comme il le pense,  suit immédiatement la grâce.  Et il dit que cette disposition est un caractère dans trois sacrements, et, dans les autres, un ornement de l’âme.  Car, comme il ne pouvait pas comprendre comment le sacrement produit la grâce, il a excogité cette sentence selon laquelle le sacrement produirait une disposition que suivrait immédiatement la grâce.  C’est une de ces choses qui font écrire et suer les scolastiques.
Quatrièmement, il le prouve en citant Marsilius (1V, sentences, question 2, article 2,) et Mesingerus (6 chap Jean) qui distinguent l’œuvre opérée de la dévotion interne de l’opérant.  Je réponds qu’ils la distinguent, mais qu’ils ne l’excluent pas de l’efficacité, comme je l’ai dit.  Cinquièmement, il le prouve avec saint Thomas et Gabriel, qui disent que la messe profite par l’œuvre opérée, même à ceux qui n’ont pas la pénitence dans le cœur.  Je réponds qu’ils parlent du sacrifice et non du sacrement.  En effet, le sacrifice profite aux impénitents par mode impétratoire, parce qu’ils leur inspirent la conversion et la pénitence.  Comme le font nos prières, mais pas avec la même efficacité.
 Sixièmement, il le prouve en disant que beaucoup de catholiques soutiennent que les sacrements produisent la grâce par l’œuvre opérée, parce que le baptême profite aux petits qui n’ont ni foi, ni bon mouvement interne.  Donc, de la même manière, ils excluent, dans les adultes, la foi et le bon mouvement intérieur, car, même dans les adultes, ils veulent que le sacrement ait une vertu par l’œuvre opérée.
Je réponds que les catholiques prouvent efficacement, par l’exemple des enfants, que l’efficacité des sacrements ne dépend pas de la dignité ou de la qualité du récipiendaire.  Mais, il ne s’ensuit pas, toutefois, qu’ils excluent dans les adultes la foi et la pénitence.  Ils les requièrent, au contraire, comme des dispositions dont n’ont pas besoin les petits, comme on le démontrera en temps et lieu.
Kemnitius prouve ensuite que, par œuvre opérée,  le concile de Trente voulait exclure la foi et le mouvement interne.   Il soutient d’abord, que les scolastiques ont expliqué différemment l’œuvre opérée, que certains ont voulu exclure le mouvement interne et d’autres non.  Voilà pourquoi, le concile de Trente, en admettant en principe l’œuvre opérée, ne l’a pas restreint à une position plutôt qu’à l’autre, et a semblé ainsi les approuvé toutes.
Je réponds qu’il est faux qu’il y ait eu des scolastiques qui, par œuvre opérée, aient exclu le mouvement interne.  Et, s’il en avait été ainsi, le concile n’en aurait approuvé aucune, mais aurait seulement défini en général que les sacrements confèrent la grâce par l’œuvre opérée.  En second lieu,  parce que le concile (au chapitre 14) n’entend pas dire  que les sacrements ne dépendent pas de la dignité du ministre, comme Gropoperus présente  l’œuvre opérée, mais quelque chose d’autre, c’est-à-dire, que n’est pas requise la foi du récipiendaire.
  Je réponds que, pour les sacrements, conférer la grâce par l’œuvre opérée, ne signifie pas proprement une négation (ne pas dépendre de la dignité du ministre), mais une affirmation : les sacrements opèrent la grâce par leur propre vertu. De quoi s’ensuit la négation, c’est-à-dire qu’ils ne dépendent pas de la dignité du ministre ou du récipiendaire.  C’est pourquoi le concile (au canon 8) a défini cette affirmation contre les luthériens; et, au canon 12, la négation contre les donatistes et les anabaptistes.
En troisième lieu, il prouve  que le concile dans ce chapitre (8) oppose l’œuvre opérée à la foi.  Il en conclut donc que la foi est exclue par l’œuvre opérée.  Je réponds que si l’antécédent était vrai, on pourrait nier la conséquence.  Car, si le concile opposait l’œuvre opérée à la foi, il aurait l’intention d’exclure la foi de l’efficacité de la grâce sacramentelle, mais non de l’exclure en tout et partout.  Mais, cependant, l’antécédent est faux,  parce que le concile n’oppose pas l’œuvre opérée à la foi, mais à la seule foi.  Ce que même un Kemnitius avait noté un peu plus loin.
En plus des arguments, Kemnitius ajoute deux mensonges formels, par lesquels il clôt sa dispute sur l’œuvre opérée.  Car, non seulement il a attribué aux théologiens une exposition absurde de l’œuvre opérée, mais il imagine même que, convaincus par ses mensonges, les théologiens n’osent plus défendre leur opinion : « Les écrivains du pontife commencent à tergiverser, et n’osent pas entreprendre publiquement la défense de leur axiome, qui veut que, sans la foi, la seule réception des sacrements procure le salut. »  Or, comme je l’ai déjà démontré, ce ne fut là jamais un axiome des souverains pontifes, mais un mensonge des luthériens.
 Ensuite, comme un homme habile, il investigue les causes pour lesquelles les scolastiques sont tombés dans une erreur si absurde.  Il en trouva deux.  La première.  Quand ils lurent, chez Augustin, (livre 3, chapitre 14), qu’il importait peu à l’efficacité des sacrements de quelle foi était rempli  celui qui reçoit les sacrements, sans se rendre compte qu’il parlait de la substance des sacrements, non de son utilité ou de son fruit, ils pensèrent que, pour que soient profitables les sacrements, la foi n’était pas requise.  Et quand ils lurent, dans le même Augustin (épitre 23) que les petits, sans la foi actuelle, recevaient salutairement le sacrement, parce qu’ils ne mettaient pas l’obstacle d’une pensée contraire, ils pensèrent que ce qui valait pour les enfants valait aussi pour les adultes.
Mais ces soi-disant causes sont d’une grande frivolité et d’une grande fausseté. Car, tous les théologiens (1V dist 4) distinguent le sacrement de la chose du sacrement.  Et, ils enseignent que le sacrement, même sans la foi et la pénitence, peut être reçu, mais non la chose du sacrement, c’est-à-dire la grâce.   De plus, le concile de Trente (session 7, canon 13, sur le baptême) enseigne que le baptême profite aux enfants, sans qu’ils aient la foi actuelle.  Et (à la session 6, chapitres 5 et 8; et sessions X1V, chapitre 4, et ailleurs), il enseigne que, dans les adultes, la foi et la pénitence sont nécessairement requises à la justification; et que c’est ce que l’Église a toujours enseigné.
                                         CHAPITRE 2
La sentence des hérétiques  sur l’efficacité des sacrements
L’hérésie des Messaliens est très ancienne. Ils enseignaient que les hommes n’étaient pas justifiés par les sacrements, mais par les prières.  C’est ce que rapporte saint Jean Damascène (dans son livre sur les hérésies) : « Le baptême ne perfectionne pas l’homme, et les divins sacrements n’expient pas les souillures de l’âme, mais seulement les prières qui sont pieusement dites par d’autres. »  Et, si on l’on en croit Guidon, les Arméniens et les nouveaux Cathares niaient que les sacrements confèrent la grâce.
Mais venons-en à notre époque.  Les luthériens parlent tantôt des sacrements comme s’ils ne différaient en rien des catholiques, et écrivent tantôt des choses nettement contraires.  Mais, toutefois, ils demeurent toujours dans la même sentence qui veut que les sacrements n’aient immédiatement aucune efficacité sur la grâce, mais ne soient que des signes dénudés.  Ils leur reconnaissent quand même, médiatement,  un certain effet, qui est de stimuler et de  nourrir la foi qui justifie les hommes.  Mais cet effet les sacrements ne l’opèrent que par la représentation ou la signification.  Car, ils veulent que les sacrements concourent à la justification de la même manière que la prédication de la parole.  La prédication se sert des oreilles, et excite la foi par l’audition, tandis que les sacrements se servent des yeux,  et stimulent la foi par la vision.
C’est cette sentence que Luther et Philippe prêchaient au début; et ils déclaraient ouvertement ce qu’ils pensaient, à savoir que les sacrements n’opéraient rien.  On peut citer plusieurs textes qui contredisent ce qu’avance impudemment Kemnitius (2 par examen, page 111).   Il prétend effrontément que Luther a toujours réprouvé la sentence profane suivante : « Les sacrements ne sont pas des organes ou des causes instrumentales de la grâce, mais  ne font, à l’instar d’une image, qu’exciter la foi. »
Écoutons donc Luther parler lui-même.  En l’an 1520 (dans le livre de la captivité de Babylone, au chapitre sur le baptême), il écrit : « Le baptême ne justifie personne, et n’est utile à personne, mais la foi dans la parole de la promesse, à laquelle est ajouté le baptême.  Car, ce sont ces choses qui justifient. »  Et, au même endroit : « Le même Dieu qui nous sauve maintenant par le baptême et par le pain, a sauvé Abel par le sacrifice, Noé par l’arche, Abraham par la circoncision, et tous les autres par leurs signes. »
Et un peu plus bas, il énumère parmi les sacrements de l’ancienne loi, --qui ne sont pas, pour lui, inférieurs aux sacrements de la nouvelle loi quant à l’efficacité- le signe donné à Gédéon dans la rosée et la toison, le signe donné à Manus dans le sacrifice, et le signe offert à Achaz par Isaïe, au chapitre V11 : « Nos signes et ceux des pères, ou les sacrements, ont une parole annexe de promesse qui exige la foi, et qui ne peut être remplie par aucune autre œuvre.  Ce sont  donc  des signes ou des sacrements de justification parce qu’ils sont des sacrements de la foi justifiante, et non de l’œuvre. Voilà pourquoi toute leur efficacité est dans la foi elle-même, non dans l’opération.  Car, celui qui croit dans ces choses c’est celui-là qui les accomplit, même s’il n’opère rien. »
Et, plus bas : « Il ne peut pas être vrai que, dans les sacrements, soit présente une vertu efficace de justification, ou qu’ils soient des signes efficaces de la grâce. Car, ces chose sont dites au détriment de la foi.»  En l’année 1521 (dans ses assertions, article 1),  il dit : « Nous disons, nous, que ce ne sont ni les sacrements de l’ancienne loi ni les sacrements de la nouvelle loi qui justifient, mais seulement la foi. »  En 1523 (dans son livre contre Cochlaeus), il écrit : « On ne peut attribuer au baptême aucune partie de la justification.  Car, autrement, s’il justifiait en partie, il ne serait pas permis de nier que le baptême justifie sans la foi.  Quand on le dénie au baptême, on le laisse correctement à la seule foi. »
Philippe Melanchton (dans ses lieux édités en 1522, au chapitre des signes) dit que c’est une erreur horrible des scolastiques d’enseigner que les sacrements justifient.  Et il ajoute : « Les signes ne justifient pas, comme le dit l’apôtre : la circoncision n’est rien. De même, le baptême n’est rien, la participation à la table du Seigneur n’est rien.  Ce ne sont que des témoins, des seaux de la divine volonté à ton égard. »  De même, dans l’apologie éditée en 1530 (à l’article 13), il dit que le sacrement est un signe de promesse, et est  comme une représentation peinte de la parole.
 Et, dans son livre contre les anabaptistes, il écrit : « Comme la volonté de Dieu se montre dans la parole ou dans la promesse, elle se montre aussi de la même façon dans le signe, comme dans une peinture. »  Et, plus bas : « C’est ce qui fait comprendre que les sacrements ne justifient pas. »  On voit donc apparaitre cette comparaison de la peinture qu’exécrait tellement Kemnitius.  Et, pourtant, au début de son examen (principe 2),  il professe être un sectateur de cette apologie.
Les sacramentaires ont suivi Luther et Philippe.  Et c’est d’eux que Calvin a tiré cette comparaison d’une peinture, (livre 4, chapitre 14, verset 6).  Et au chapitre 17, il utilise cette même comparaison d’une peinture : « Qu’Il demeure établi une fois pour toutes qu’il n’y a  d’autres parties des sacrements que celles de la parole de Dieu, qui consiste à offrir pour nous et proposer le Christ, et en lui les trésors de la grâce céleste. »
  Et, plus bas : « Qu’on prenne garde, ensuite, de ne pas se laisser entrainer dans l’erreur par les choses qui, pour amplifier la dignité des sacrements,  ont été magnifiquement écrites par les anciens. De façon à penser qu’une vertu latente est annexée et fixée aux sacrements qui, par elle-même, nous confèrerait la grâce du Saint-Esprit;  alors que la seule fonction qui leur a été assignée par Dieu est d’attester et de sanctionner la bienveillance de Dieu à notre endroit. »
 Et, plus bas : « Les sacrements sont pour nous, de la part de Dieu, ce que sont pour les hommes, des messagers de bonne nouvelle, ou des arrhes dans les pactes qui ont à être sanctionnés.  Ils n’accordent donc, par eux-mêmes, aucune grâce, mais ils annoncent et montrent et, comme des gages et des tessères, font en  sorte que soient ratifiées pour nous les choses qui, par la largesse divine, nous sont données. »  Et, au verset 18, il se sert de l’exemple de la rosée et de la toison de Gédéon, et des autres signes dont s’était servi Luther.
Mais, dans ses livres postérieurs, ébranlé, semble-t-il,  par les arguments des catholiques, Luther écrivit bien autrement.  Car, dans son homélie 1 sur le baptême, éditée en 1535, dit : « Le baptême a été institué pour qu’il nous serve, pour qu’il nous soit profitable, pour qu’il nous donne non quelque chose de corporel ou de charnel, mais une grâce éternelle, une pureté éternelle, une sainteté et une vie éternelle. »  Et, dans son homélie 2 sur le baptême, en 1540, il a dit : « Le baptême ne peut pas ne pas opérer ce pourquoi il a été institué : la régénération, et la rénovation faite par le Saint-Esprit. »
 Et, plus bas : « Le baptême a une telle vertu et une telle énergie que l’homme qui a été conçu et est né dans le péché, est régénéré devant Dieu;  et que celui qui, avant, avait été condamné à mort, est déjà le fils de Dieu.  Qui peut percevoir et saisir avec ses sens, sa pensée ou son intelligence la gloire et la vertu du sacrosaint baptême ? »  Et, plus bas : « Saint Jean a voulu, par ces paroles, que le baptême soit tellement efficace, et possède une telle vertu, qu’il efface les péchés, noie et suffoque la mort, purifie et nous guérisse des nos saletés et de nos vices. »
C’est cette dernière façon de parler qu’ont imitée les luthériens les plus récents, comme Kemnitius.  Car, dans la deuxième partie de son examen (à la page 98), où il citait certains textes de l’Écriture en faveur de l’efficacité des sacrements contre les anabaptistes, il écrit : « Ces témoignages si manifestes qui attribuent aux sacrements une efficacité, ne doivent pas, par des tropes, être détournés de leur véritable signification simple et naturelle, c’est-à-dire, de leur sens propre et premier. Nous devons donc faire comme les anciens qui ont entendu ces paroles comme elles sonnent. »
 Et, à la page 101, il écrit en toutes lettres : « Les sacrements sont des causes instrumentales, de façon telle que c’est  par ces moyens ou organes, que le Père veut montrer, donner, appliquer sa grâce; que le Fils communique ses mérites aux croyants, que l’Esprit-Saint exerce son efficience pour le salut de tout croyant. »  Il semble bien, ici, parler comme un catholique.  Et Calvin parle souvent comme parlent les catholiques. Car, (dans son antidote du concile, session 7, chapitre 5), il dit : « Il faut constamment rappeler à la mémoire que les sacrements sont des cause de l’obtention de la grâce. »  Et, au canon 6 : « S’il y en a qui nient que les sacrements contiennent la grâce qu’ils figurent, nous les réprouvons. »
Et pourtant, ni Luther, ni Calvin, ni Kemnitius n’ont vraiment pris leur distance avec la première sentence qui n’attribuait aucune efficacité aux sacrements.  Car, quand ils disent que les sacrements sont des causes instrumentales, qu’ils confèrent la grâce, qu’ils sont efficaces, ils veulent toujours dire par le moyen de la foi, de telle sorte qu’ils ne font rien d’autres que d’exciter et nourrir  la foi qui seule justifie.  Car, le même Calvin (au chapitre 5), explique comment les sacrements sont des causes instrumentales de la grâce, et dit que les sacrements ont leur effet s’ils servent à la foi.
 Et, au canon 8, il dit que les sacrements produisent en nous la grâce de la même façon que la parole de Dieu le fait dans la prédication.  Or, il est certain que la parole prêchée n’a pas d’autre effet que d’exciter ou de nourrir la foi.  Ensuite, Théodore de Bèze (dans son live sur la somme de la chose sacramentaire, question 2), explique ainsi la sentence de Calvin, son précepteur : « D’où vient l’efficacité des sacrements ? De l’opération du Saint-Esprit, non des signes, si ce n’est que par ces objets externes, les sens intérieurs sont touchés. »
Kemnitius (pate 101) expliquant avec précision de quelle façon les sacrements sont efficaces, finit par conclure qu’ils le sont de la même manière que la promesse, ou la parole de la promesse.  Et, (à la page 102), il dit : « La parole et les sacrements nous montrent où on doit chercher la foi, et où on peut trouver le Christ médiateur, le Père et le Saint-Esprit. »  Et, à la page 105, expliquant comment la foi justifie dans les sacrements, il dit : « Cela ne signifie pas que la foi reçoive la grâce sans le moyen ou l’organe de la parole ou des sacrements.  Car, l’objet de la foi est la parole et les sacrements.
 De plus, dans la parole et les sacrements, le véritable objet de la foi est le mérite du Christ, la grâce de Dieu, et l’efficience du Saint-Esprit.  La foi justifie donc parce que, dans la parole et les sacrements, elle appréhende et reçoit ces choses.  Et, en ce sens, on dit que la foi du sacrement justifie comme la foi de la parole.
Enfin, quels que soient les mots catholiques que les luthériens utilisent, ils ne peuvent, en aucune façon penser, comme nous le pensons, que les sacrements sont des causes vraies et immédiates de la justification.  Ils ne le pourront que s’ils remettent en question leur premier principe qui veut que  c’est la foi seule qui justifie.  Ce qu’ils n’ont pas fait jusqu’à présent.
                                          CHAPITRE 3
On prouve par l’Écriture que les sacrements confèrent la grâce par l’œuvre opérée.
Il reste à prouver que les sacrements sont de vraies causes instrumentales de la grâce.  Et, pour ne pas travailler pour rien, il faudra démontrer, en même temps, que les sacrements causent autrement que ne le fait  la prédication.  Car, à tous nos témoignages, ils ont coutume de répondre que les sacrements sont de vraies causes de la grâce, mais en excitant la foi, comme le fait la parole de Dieu, au témoignage de saint Paul (Romains 1) : « La vertu de Dieu en vue du salut pour tout croyant. »
Nous présenterons six classes d’arguments. La première classe.  Des témoignages du nouveau testament, où cela est dit expressément.  La deuxième classe. Les prophéties de prophètes, et les figures de l’ancien testament.  La troisième.  Les conciles.  La quatrième, les pères grecs.  La cinquième, les pères latins.  La sixième, la raison.
La première classe : des témoignages tirés du nouveau testament.
Le premier témoignage est de Matthieu 111, Marc 1, Luc 111, Jean 1, où Jean-Baptiste dit : « Je vous  baptise dans l’eau, lui, il les baptisera dans l’Esprit-Saint. »  On ne peut douter que ces paroles établissent, entre l’efficacité du baptême de Jean et celle du baptême du Christ, une différence aussi grande  que celle qui existe entre l’eau et l’Esprit.  Car, dans le baptême de Jean, il y avait une ablution externe, et une parole de promesse.  En effet, il prêchait un baptême de pénitence, en rémission des péchés (Luc 111), et  il prêchait, en même temps, la foi du Médiateur, en disant aux Juifs de croire en celui qui était sur le point de venir (Actes X1X).
À cet argument, Calvin répond (au chapitre de Matthieu), que l’efficacité du baptême de saint Jean et de celui du Christ était la même; mais qu’ils ne faisaient que recevoir visiblement le Saint-Esprit, et que c’est ce que veulent dire ces paroles : «  Après avoir entendu ces choses, ils ont été baptisés au nom du Seigneur Jésus ». Car, en plus d’être une vicieuse équivoque, puisque dans tout ce récit, le mot baptême est pris au sens de baptême d’eau, il sera permis de pervertir toutes les Écritures, s’il est permis de détourner de leur sens des mots si clairs, il ajoute tout de suite : « Et quand Paul leur imposa les mains, l’Esprit Saint vint sur eux, et ils parlaient en langues, et prophétisaient. »   Ce « ils ont été baptisés » signifie donc qu’ils ont reçu visiblement le don de l’Esprit Saint.
Calvin répond que les derniers mots doivent être expliqués par les premiers.  Car, Luc n’aurait pas dit : ils ont été baptisés, et quand il leur imposa les mains, mais ils ont été baptisés, car, quand il leur imposa les mains.  Car c’est ainsi qu’ont coutume de se faire les explications. Cette phrase : « (après avoir écouté ces choses, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus, et quand Paul leur imposa les mains, vint le Saint-Esprit »), montre évidement qu’il y a eu deux actions, faites à des moments différents : le baptême et l’imposition des mains.   Ensuite, il compare ce passage avec un autre du même auteur (Actes V111), où on a également un baptême au nom du Seigneur Jésus et l’imposition des mains.  Et, il sera plus clair que le jour que, par baptême, on entend dans l’un et l’autre texte un vrai baptême.
Le second témoignage est tiré de Marc, à la fin : « Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé. »  Dans ce passage, est attribuée au baptême la vertu de sauver.  Or, il ne sauve pas sans justifier et effacer les taches des péchés.  On ne peut pas répondre qu’il sauve en excitant la foi, car, tout d’abord, dans ce passage, la foi a précédé.  Ce serait une grande ineptie de dire que l’effet a précédé la cause.  Comme il serait absurde de dire : celui qui sera guéri recevra le remède. Il serait aussi absurde de dire : celui qui croira et sera baptisé, si le baptême est la cause de la foi.  C’est donc parce que l’audition de la parole de Dieu est la vraie cause de la foi que, dans l’Écriture, elle précède toujours, comme en Jean V : « Celui qui entend et croit a la vie éternelle. » Et en Jean V1 : « Tous ceux qui ont entendu et appris, viennent à moi. »  La foi n’est donc pas un effet du baptême, puisqu’elle le précède, mais bien plutôt une disposition au baptême.
Et voici un argument ad hominem. Le Christ, en ce passage, n’unit pas le sacrement à la prédication, comme le prétendent les adversaires.  Car, il ne dit pas : celui qui entendra la parole et sera baptisé, mais il l’unit à la foi, qui est un effet de la parole. Pour les adversaires, la foi justifie immédiatement en appliquant les mérites du Christ, non en suscitant une autre cause. Pourquoi donc n’admettent-ils pas, pour les mêmes raisons, que le baptême justifie immédiatement, en appliquant les mérites du Christ, puisque le Christ parle de la même manière de la foi et des sacrements ?
Le troisième témoignage, ce saint Jean 111 : « Si quelqu’un ne renait pas de l’eau et du Saint-Esprit, il ne pourra pas entrer dans le royaume des cieux. » Ce texte fait clairement du baptême d’eau une cause de la nouvelle nativité.  Car, c’est bien ce que signifie cette phrase.   On ne peut pas dire que renaître de l’eau c’est renaître de la foi, que l’eau suscite.  Car, d’abord, le Christ aurait du dire : À moins que quelqu’un ne renaisse de la parole et du Saint-Esprit, puisque la cause qui suscite principalement la foi est la parole plutôt que l’eau.   Ensuite, l’enseignement du Christ  serait complètement inintelligible.  Car, comme il n’avait rien dit, avant, de la foi, qui aurait pu deviner qu’il ne faisait que formuler une raison de susciter la foi.
  Troisièmement. Car « si quelqu’un ne renaît » serait une fausseté, car si c’est la foi seule qui justifie, il importe peu au salut que la foi soit excitée par l’eau, le vin, ou une autre chose.  Et, il appert que la foi peut être suscitée de plusieurs façons sans le baptême d’eau.  Une bonne prédication, en effet, suffit amplement pour susciter la foi.
Calvin n’a pas pu répondre autrement qu’en niant qu’il s’agisse ici du baptême, comme l’avaient nié avant lui Bucer et Zwingli.  C’est pourquoi, Calvin, (dans son commentaire de ce texte, et (dans le livre 4, chapitre 16, verset 25), nie qu’il faille l’entendre du sacrement du baptême, mais de la seule rénovation intérieure; et par l’eau, il entend le Saint-Esprit.  Ce qui donnerait le sens suivant : « À moins que quelqu’un ne soit rené de l’eau, c’est-à-dire du Saint-Esprit, qui purifie comme l’eau. »
Or, tous les auteurs et commentateurs, jusqu’ici, ont vu dans ce texte le baptême.  Saint Justin (apologie 2),  Tertullien (livre sur le baptême), Saint Cyprien (livre 3 à Quirinus, chapitre 25), saint Ambroise (livre 3 sur le Saint-Esprit, chapitre 11), saint Jérôme (chapitre 16 sur Ézéchiel), saint Basile, saint Grégoire de Naziance, saint Grégoire de Nysse (dans son sermon sur le baptême),  Ensuite, tous les commentateurs de ce passage. Origène, saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Cyrille, Bède le vénérable, Théophylactus, Euthymius, et d’autres.
 Deuxièmement. S’il était permis de jouer ainsi avec les mots de l’Écriture, on pourrait nier le baptême de l’eau. Car, sous le nom de l’eau, entendons partout le Saint-Esprit, et il sera ainsi permis de pervertir tous les mystères.
Troisièmement.  On ne peut nier que ce soit une locution forcée, absurde, et inusitée dans l’Écriture. Et  l’exemple que propose Calvin ne vaut pas : « Il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et dans le feu. »  Il veut, là, par feu, entendre le Saint-Esprit, qui a une ressemblance avec le feu.  Car, par le mot feu, on peut facilement entendre un feu externe qui est descendu visiblement sur les apôtres à la pentecôte, ou le feu de la tribulation, ou le feu du purgatoire.  Ce qu’explique Bède dans son commentaire de Luc 111.
De plus, dans ce passage, le feu est mis après le Saint-Esprit.  Et ce n’est pas aussi absurde de placer un mot après un autre, par lequel il déclarerait cela.  Mais en Jean 111, le Seigneur a placé l’eau avant le Saint-Esprit. Ce serait la chose la plus absurde du monde de placer d’abord la déclaration, et ensuite, ce qui doit être déclaré.  On ne peut pas, non plus nier, que si l’eau signifie le Saint-Esprit,  ce mot étant employé pour exprimer l’effet du Saint-Esprit, qui est de purifier.
Quatrièmement. Si, dans ce passage, le mot eau n’était employé que pour signifier l’effet du Saint-Esprit, il n’irait pas bien avec l’obligation de renaître. Car, si on ne regarde que ce qu’elle signifie, l’eau n’engendre pas, mais lave et rafraichit.  Le Seigneur aurait donc du dire : À moins que quelqu’un ne soit purifié par l’eau et par le Saint-Esprit.  L’eau, dans ce passage, ne déclare donc pas seulement l’effet de l’Esprit-Saint, qui est de  concourir sacramentalement à la régénération spirituelle.
Le quatrième témoignage : Actes 11 : « Faites pénitence ! Et que chacun de vous soit baptisé pour la rémission des péchés ! »  Et cet autre qui lui est semblable (Actes XX11) : « Maintenant, pourquoi diffèrerais-tu d’être baptisé et d’effacer tes péchés, en invoquant son nom ? »  Dans ces passages, la rémission des péchés est attribuée au baptême.  Et on ne peut pas dire que cela survient parce que le baptême excite la foi.  Car, ceux à qui Pierre parlait, dans les Actes 2,  croyaient déjà, comme saint Luc l’indique au même endroit.
Après avoir entendu prêcher saint Pierre, ils se sont repentis du mal qu’ils avaient fait, et ils ont dit : « Que ferons-nous, frères ? »  Pierre ne leur répondit pas : « Il vous faut croire, ou croire davantage, mais faites pénitence ! »  Pour une raison semblable, saint Paul, à qui Ananie avait dit (Actes XX11) : « Reçois le baptême, et sois purifié de tes péchés », croyait déjà et avait fait pénitence en jeûnant pendant trois jours.
Calvin répond, et dans son commentaire des Actes, et dans ses Institutions (livre 4, chapitre 15, verset 18) que être baptisé pour la rémission des péchés, ou être purifié de ses péchés par le baptême ne signifie rien d’autre que d’accepter le témoignage ou le sceau de la justification acquise, et cela,  pour corroborer et confirmer la foi.
 Mais, sans parler de ce que nous avons déjà démontré, les sacrements ne peuvent pas être des sceaux, ou ils seraient certainement de faux sceaux, puisque le ministre ne sait pas si celui à qui il applique le sceau divin est vraiment justifié. Et comment ne pas admirer le tour de force que représente ce nouveau trope, selon lequel purifier des péchés signifierait recevoir le sceau de la justification acquise ?  C’est une chose inouïe  qu’une action signifiée soit employée pour signifier un signe.
  Des exemples pourront nous le faire mieux comprendre.   Ce serait une absurdité pour quelqu’un de dire « bois du vin » s’il voulait signifier «  regarde le lierre qui pend dans l’hospice ».  Pour une raison semblable, si on disait à un empereur victorieux de retour de combat : « Triomphe des ennemis ! » en voulant dire :  Reçois le triomphe en signe de la victoire remportée !  Ce serait un voeu stupide !  Car, on ne dit pas : vainc les ennemis à quelqu’un qui les a déjà combattus, et  les a déjà vaincus.
Cinquième témoignage dans actes 111 : « Quand  Simon vit que, par l’imposition des mains des apôtres, le Saint-Esprit était donné. »  Et cet autre semblable de l’épitre à Timothée (11 Timothée 11) « Je te conseille de renouveler la grâce qui est en toi par l’imposition de nos mains. »  Ces passages s’entendent des sacrements de confirmation et d’ordre qui, pour beaucoup de nos adversaires, ne sont pas des sacrements au sens propre.
 Or, si ces sacrements improprement dits sont de véritables causes de la grâce, à bien plus forte raison les sacrements proprement dits.  Il est évident que, dans ces textes, l’imposition des mains est  présentée comme une cause de la grâce, comme la préposition « par » le montre.  On ne peut pas dire que l’imposition des mains cause la grâce en suscitant la foi, car tous ceux qui, par l’imposition des mains, ont reçu la grâce du Saint-Esprit, croyaient déjà, et étaient baptisés.
Le sixième témoignage est tiré de 1 Corinth X : « Nous sommes à plusieurs un seul corps, nous tous qui participons d’un seul pain. »  La participation à un seul pain est présentée là comme étant la cause d’un seul corps.  Ce qui est plus clair en grec : oi gar pantes ex tou enos artou metexomen.  Car, tous nous participons à un seul pain.  Comment sommes-nous un seul corps parce  que nous participons tous  à un seul pain ? N’est-ce pas parce que pain nourrit et accroit la vitalité de ce corps ?  Car, dans les choses corporelles, la même nourriture nourrit tous les membres du même corps.
 On peut donc en conclure que des membres sont membres de ce corps s’ils sont nourris par la même nourriture.   Si donc tu enlèves au sacrement de l’autel la vraie causalité de la grâce, il ne sera plus possible de prouver que nous sommes un seul corps, du fait que nous participons à la même eucharistie.
On lit la même chose dans 1 Corinth X11 : « Car, nous tous,  nous avons été baptisés en un seul Esprit, et en un seul corps. »  En cet endroit, saint Paul prouve que nous sommes un seul corps parce que, par le baptême, nous avons reçu le même Esprit.  Cet argument serait dépourvu de sens si le baptême ne conférait pas l’Esprit.   Le septième témoignage : Éphésiens V : « Le Christ a aimé l’Église, et s’est livré pour elle, la purifiant par le lavage de l’eau, dans la parole de vie. »  Un autre texte de saint Paul lui est semblable (Tite 111) : « Il nous a sauvés par le baptême de la régénération. »  Il dit ouvertement ici que nous sommes purifiés et sauvés par le lavement de l’eau et le baptême. L’un et l’autre mot signifient une cause instrumentale.
Calvin répond (dans son commentaire de ces textes) que le baptême est un lavage de l’âme au sens propre, et qu’il est un symbole efficace.  Parce que quand Dieu montre ce symbole, est opéré aussi en même temps ce qui est signifié par le symbole.  Et, c’est par accident, que, de cette manière, est jointe la justification que Dieu seul opère dans le baptême.  Nous n’avons donc pas de raison de dire  que nous sommes plus purifiés et sauvés par le baptême que par n’importe laquelle action qui se fait alors en même temps.
 On ne peut pas non plus appeler le baptême un bain de régénération, si, par lui, Dieu ne nous lave pas, même si au même temps, il nous lave.  SI Calvin dit que Dieu ne nous purifie pas par le baptême parce que, en montrant ce symbole, il provoque la foi, il pourrait dire aussi que les hommes sont enivrés par le lierre qui pend dans l’hospice, parce que ce lierre provoque les hommes à acheter du vin qui les enivre après.
Le huitième témoignage : 1 Pierre 111 : « Ce qui fait que le baptême nous sauve, nous qui sommes de la même forme, ce n’est pas la déposition des saletés de la chair, mais l’interrogation d’une bonne conscience devant Dieu. »  Nous avons ici, d’abord, le baptême qui nous sauve.  Ensuite, nous sommes sauvés d’une façon semblable à celle qui, au temps de Noé, en a sauvés quelques-uns par l’eau.  Et cette eau  a sauvé vraiment et efficacement ceux qui étaient dans l’arche, en maintenant l’arche à la surface.
Enfin, nous avons à  parler de la différence qu’il y a entre notre baptême et celui des juifs. Celui des Juifs enlevait les saletés de la chair,  le nôtre purifie les consciences.  Donc, comme le baptême des Juifs enlevait les cœurs de chair, non seulement en le signifiant, mais aussi en l’effectuant, notre baptême lave vraiment  la conscience, non seulement en le signifiant, mais en l’opérant.
                                       CHAPITRE 4
La deuxième classe des témoins, les témoignages des prophètes.
Le premier.  Isaïe (chapitre 1) : « Qu’est pour moi la multitude de vos victimes, dit le Seigneur. J’ai tout ce qu’il me faut. Les holocaustes des béliers, et la graisse des animaux gras, et le sang des veaux, des agneaux et des boucs, je n’e veux pas. »  Et il ajoute : « Lavez-vous, et vous serez purs. »  Ces paroles les pères de l’église (saint Jérôme et saint Cyrille, Theodoret et saint Basile) les appliquent, à la lettre,  au baptême, qui a succédé à ces anciennes expiations.  Que le baptême ait le pouvoir de purifier, ces mots le montrent : « Lavez-vous, et vous serez purs ! »
Voilà pourquoi saint Jérôme s’exprime ainsi : « À la place des victimes et des holocaustes anciens, me plait la religion de l’évangile qui vous baptisera dans mon sang par le baptême de la régénération, qui seul peut enlever les péchés. » Le mot « seul » ici n’exclut évidemment pas Dieu, ni les mérites du Christ, ni la foi, ni les autres vertus, mais les sacrifices et les cérémonies judaïques.
Le deuxième.  Ezéchiel, chapitre 36 : « Je répandrai sur eux une eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos iniquités.  Et,  je vous donnerai un cœur nouveau.  C’est du baptême qu’entendent ce passage saint Jérôme, et Theodoret dans leurs commentaires, ainsi que saint Cyprien (livre 1, dernière épitre, et livre 4, chapitre 7).  Saint Jérôme note que par l’aspersion de l’eau du baptême, n’a pas lieu seulement la purification des péchés, mais sont donnés aussi un cœur nouveau et un esprit nouveau.
En troisième lieu, Michée (chapitre 7).  Saint Jérôme explique (dans l’épitre 83 à Oceanus), que c’est de la grâce du baptême qu’il est dit : « Il projettera au fond de la mer tous nos péchés. »  C’est de cette façon, également que Rupert l’explique, ainsi que saint Augustin (dans son commentaire sur le psaume CX111. «  Par immersion dans la mer, on n’entend pas seulement une représentation figurée de l’extinction des péchés, mais une extinction réelle par les eaux de la mer »
.   Quatrièmement, Zacharie (chapitre X111) : « En ce jour, il y aura une fontaine ouverte pour la maison de David, et les habitants de Jérusalem pour l’ablution du pécheur et de la menstruée. »  Saint Jérôme et Rupert expliquent tous les deux ce texte en l’appliquant au baptême, qui a la vertu de purger les péchés.  Cinquièmement, David (psaume 1) : « Asperge-moi, Seigneur, avec de l’hysope. »  Mais nous reparlerons de ce texte un peu plus bas.
                              Les figures des sacrements
La première est dans la Genèse 1 : « L’Esprit du Seigneur planait sur les eaux. »  Les mots hébreux employés signifient qu’il planait sur les eaux pour les rendre fécondes.  Car, c’est à partir de là qu’ont été créés les poissons et les oiseaux.  Et, en hébreu on a « il incubait » ou « couvait » à la manière d’une poule qui tient au chaud son nid, et donne de la vie aux  œufs par la chaleur, dit saint Jérôme (dans sa question sur la Genèse). Que ce fut cela aussi une image du baptême, qui est fait de l’eau et du Saint-Esprit,  l’enseignent Tertullien (dans son livre sur le baptême), saint Jérôme (dans son épitre 83 à Océanus).
 Donc, comme au tout début du monde, l’eau reçut du Saint-Esprit une vertu vivifiante, de la même façon, le baptême reçoit du Saint-Esprit le pouvoir de procréer de nouveaux hommes.  « Il ne faut pas se surprendre, dit Tertullien, si, dans le baptême, les eaux ont le pouvoir de donner la vie. »  Et, au même endroit, il donne aux chrétiens  le nom de petits poissons, parce qu’ils surgissent de l’eau.
Et, c’est pour cette raison que les lettres majuscules des vers sybilliens forment un poisson, et signifient Jésus-Christ, fils du Dieu Sauveur.  C’est ce qu’a rapporté saint Augustin, dans sa cité de Dieu, chapitre 23, et Prosper (livre sur les prédictions, chapitre 29), et, avant l’un et l’autre, Octave de Milet (1, 111 contre Parmenianus).  « C’est de là qu’est le poisson qui,  dans le baptême est inséré dans les ondes des fontaines, pour que, quelle qu’elle ait été auparavant, cette eau  et la piscine sont appelées poisson.  Car le mot grec ikthus est comme un sigle qui signifie Jésus Christ, Fils de Dieu Sauveur.  C’est en faisant allusion à cela que saint Jérôme dit, dans son épitre 43 : « Bonosus, comme le Fils Poisson demande des choses aqueuses. »
La deuxième figure est dans la Genèse (V11) : le déluge qui sauve Noé, et ceux qui étaient dans l’arche.  C’est ce qu’explique saint Pierre (épitre 1, chapitre 3), comme nous l’avons déjà dit.  La troisième figure est dans Genèse XV11 : la circoncision, au sujet de la quelle saint Paul dit (épitre 1, chapitre 3) : « Vous avez été circoncis par une circoncision non  manuelle, non  par une incision du corps charnel, mais par la circoncision du Christ, ayant été ensevelis avec lui dans le baptême. »  La circoncision coupait et efficacement la chair.  Elle n’était pas seulement un témoignage d’incision.
La quatrième figure est celle de l’Exode X1V : la submersion des Égyptiens dans la mer rouge, et la traversée des fils d’Israël.   Saint Paul en parle ainsi : « Tous ont été baptisés en Moïse, dans la nuée et la mer. »  Et, il dit, plus bas : « Ces choses-là leur sont arrivées en figure. »  La mer rouge fut donc une figure du baptême;  la nuée une figure du Saint-Esprit.  Et, comme la mer rouge a vraiment submergé les Égyptiens, et libéré les Israélites, le baptême a vraiment effacé les péchés, et sauvé les âmes.  Voir saint Cyprien (livre 4, épitre 7), saint Augustin (traités 11 et 13 sur saint Jean), et saint Jérôme (dans son épitre 83 à Oceanus)
 La quatrième figure est celle de l’Exode XV1 et XV11 : la manne qui a plu du ciel, et l’eau sortie du rocher, qui étanchait la soif.  C’étaient des figures de l’eucharistie : du corps et du sang du Seigneur, comme l’explique saint Paul  au même endroit (1 Corinth 10).  Or la manne et l’eau sustentèrent vraiment les corps des Israélites; et ils n’étaient pas des témoignages, mais des figures.  Donc, l’eucharistie sustente vraiment l’âme, car, autrement,  la figure serait meilleure que la chose figurée.
La sixième est celle des Nombres X1X : l’eau de lustration, mêlée à la cendre d’une vache rousse, qui fut la figure du baptême, comme l’écrit saint Augustin (dans les questions sur les Nombres, au chapitre XXX111.)  Il est à noter que, selon ce même saint Augustin, trois choses étaient nécessaires à l’expiation : la cendre d’une vache rousse, l’eau et l’hysope, par laquelle l’eau était aspergée.  Le cendre de la vache signifiait la mort et les mérites du Christ;  l’eau, le baptême qui applique les mérites du Christ; l’hysope, l’herbe humble, qui a ses racines dans la pierre, signifie la foi,  sans laquelle le baptême n’est pas donné aux adultes,  ou qui ne leur est pas profitable, s’il  leur est donné.  Dans ce rite expiatoire, ce n’est pas l’hysope qui purifiait, mais l’eau qui tirait son pouvoir de la cendre de vache et de l’aspersion de l’hysope.
 De la même manière, ce n’est pas la foi qui, en toute rigueur de termes,  purge les péchés dans le baptême, mais l’eau qui tire sa vertu de la passion du christ et de l’accueil de la foi.  Ce sont ces expiations que regardait David, tant  dans la figure que dans le figuré, quand il dit dans le psaume L : « Asperge-moi avec l’hysope, et je serai purifié. Lave-moi, et je serai plus blanc que la neige ! »   Il demandait cette purification qu’il connaissait dans sa figure, comme l’explique Theodoret, dans son commentaire de ce passage.
La septième figure est celle de Josué 1V :  la traversée du Jourdain par les fils d’Israël, sous la conduite de Jésus, et leur entrée dans la terre promise.  Cela aussi est une figure du baptême, selon saint Ambroise (dans son commentaire de Luc 1 : « Il le précédera dans l’esprit et la vertu d’Élie. »  Et saint Augustin (psaume CX111) : « Et toi aussi, tu es un ancien converti du Jourdain ! »  Or, personne n’a jamais dit que les fils d’Israël ne se soient pas rendus à la terre de la promesse sans traverser vraiment et réellement le Jourdain, mais qu’il n’était question que d’une promesse contresignée de traversée.
 La huitième figure est dans les Rois V : Le Syrien Naaman est guéri de la lèpre par un bain dans le Jourdain.  Voir, à ce sujet, sains Ambroise ( dans 4 chap Luc, et livre 2, chapitre 4, sur les sacrements).  Et, il est certain que l’eau du Jourdain qui guérit Naaman ne fut pas le sceau d’une promesse.
La neuvième est dans Jean V : la piscine probatique, qui est une figure très claire du baptême, et qui a été célébrée par plusieurs pères, comme Tertullien (dans son livre sur le baptême), saint Ambroise (livre 1, chapitre sur le Saint-Esprit), saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, et Theophylacte, dans leurs commentaires respectifs de ce passage de saint Jean.  Saint Jean-Chrysostome, entre autres, explique magnifiquement cette figure.  Et, il ajoute que Dieu a voulu démontrer, par des figures variées, l’efficacité du baptême, pour que la chose ne semble pas incroyable : « Le baptême, dans le futur, aura la grâce et le plein pouvoir de purger les péchés, et de rendre la vie aux morts. »
 Et s’il n’en était pas comme le dit saint Jean Chrysostome, la figure aurait plus d’importance que la chose figurée.  La dixième est dans Jean 1X : l’aveugle né, à qui Dieu rendit la vue par l’eau de la piscine de Siloe.  Voir, à ce sujet, saint Ambroise (épitre 75 à Bellicius), et saint Augustin (traité 44 sur Jean).
Il y a deux choses à noter sur ces passages scripturaires.  La première.  L’Écriture parle très  souvent  des sacrements par des prophéties, des figures, des paroles au sens limpide et clair.  Mais, elle ne dit pas une seule fois que la vertu des sacrements consiste à exciter et nourrir la foi.  Elle répète sans  se lasser qu’ils purgent les péchés, et purifient l’âme. Et si on prenait cette chose au sérieux, comme il se doit, il faudrait en conclure que la sentence des hérétiques est archi fausse.   Car, comment croire que la fin immédiate et principale des sacrements ne soit jamais inculquée par l’Écriture, alors qu’il est si souvent question de la fin médiate ?
Il faut noter ensuite que s’il est permis de nier que les sacrements sanctifient vraiment et immédiatement, alors qu’un si grand nombre de textes de l’Écriture l’enseignent clairement,  on pourra, pour la même raison, nier que la foi justifie, comme nos adversaires l’enseignent souvent.   Car, les Écritures n’attribuent rien à la foi qu’elles n’attribuent aussi aux sacrements.
Exemples.  Luc, chapitre 7, dernier verset : « Ta foi t’a sauvé. » et dans l’épitre de saint Pierre (1 Pierre, chapitre 3), il est dit : « Le baptême vous sauve. »  De même, au sujet de la foi, Jésus en saint Jean V : « Celui qui croit en celui qui m’a envoyé a la vie éternelle. »  Au sujet des sacrements (Éphésiens V) : « La purifiant par le baptême de l’eau, dans la parole de vie. »  Au sujet de la foi : Romains 3 : « Nous jugeons que l’homme est justifié par la foi. »  Au sujet des sacrements (Tit 111) : «Il nous a sauvés par le baptême de la régénération. »  Au sujet de la foi (Romains V) : « Justifiés donc par la foi. »  Au sujet des sacrements (Jean 111) : « À moins que quelqu’un ne renaisse de l’eau et de l’Esprit-Saint. »
                                       CHAPITRE 5
           La troisième classe des arguments :  les conciles
Le concile de Nicée qui, tout de suite après avoir été traduit en latin, a été édité par Alphonse de Pise, enseigne, dans le chapitre intitulé diatupôsis, doctrine du baptême, avant le canon 8 : « Notre baptême ne doit pas être considéré par les yeux du corps.  Tu vois l’eau, mais considère la vertu de Dieu cachée dans les eaux. »  Et, plus bas : « Celui qui allait être baptisé est descendu, entaché de péchés, détenu par la corruption de la servitude.  Il est remonté affranchi  de la servitude et des péchés, fils de Dieu, héritier et cohéritier du Christ. »
Le concile de Constantinople 1 dans le symbole : «  Nous croyons en un seul baptême pour la rémission des péchés. »  Le concile de Milet (chapitre 2) : « Les enfants qui n’ont pu commettre aucun péché, sont vraiment baptisés pour la rémission des péchés, pour qu’en eux soit purifié par la régénération, ce qu’ils avaient contracté  par la génération. »  Et il n’est que trop certain que, dans les enfants, le baptême ne peut pas être une cause de rémission des péchés en excitant la foi.
Le concile d’Oranges 11, canon 25 : « Nous croyons aussi, selon la foi catholique, que, après avoir reçu la grâce de Dieu par le baptême, tous les baptisés, avec l’aide et la coopération du Christ, peuvent et doivent, s’ils veulent faire l’effort voulu,  accomplir tout ce qui se rapporte au salut. » Il est à noter qu’on ne peut pas  entendre cela au sens d’une excitation de la foi, car, un peu plus bas, le même concile dit que la foi est d’abord infusée par Dieu, pour que nous demandions en toute fidélité le sacrement du baptême.  De plus, même si la foi, selon les adversaires, justifie des péchés, cependant, elle ne donne pas la grâce de bien agir.  Or,  selon ce concile, c’est le baptême qui donne la grâce de bien agir.
À ces conciles, ajoutons les conciles plus récents, ceux de Florence et de Trente.
                                              CHAPITRE 6
                         La quatrième classe : les pères grecs
Saint Justin (dans son apologie à Antonin) : « La rémission des péchés qui ont été commis auparavant, c’est dans l’eau que nous l’obtenons. »  Et, il avait dit, avant, que » personne n’était amené au baptême avant d’avoir cru. »  Il dit des choses semblables dans son dialogue avec Triphon.  Clément d’Alexandrie (livre 1, chapitre 6) écrit : « On appelle cette action de plusieurs façons : grâce, illumination, perfection et lavage (bain).  Lavage (baptême) par lequel les péchés sont purifiés; grâce, par la quelle sont remises les peines dues aux péchés;  illumination, par laquelle nous voyons une lumière sainte et salutaire; perfection, parce qu’il ne lui manque rien.  Car, qu’est-ce qui manque à celui qui a connu Dieu ?»
Origène (homélie 14, chap 11 de Luc) : « Les enfants sont baptisés en rémission des péchés. »  Et, plus bas : « Et parce que par le sacrement du baptême, les souillures de la naissance sont déposées, c’est pour cela que les enfants sont baptisés eux aussi. »  Saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 3) : « Tu étais mort dans le péché quand tu es descendu, et quand tu es remonté, tu étais vivifié dans la justice. »  Lire toute sa catéchèse. Et dans sa préface : « Le baptême accomplit de grandes choses : la libération de la captivité, la rémission des péchés, la régénération de l’âme, un char de triomphe pour monter au ciel. »
 Saint Basile (dans son livre sur le Saint-Esprit, chapitre 15) rapporte l’objection des hérétiques : Si l’Esprit-Saint est égal au Père et au Saint-Esprit, parce que nous baptisons en lui, l’eau sera elle aussi égale au Père et au Fils, parce que nous baptisons dans l’eau. Et il répond : « S’il y a une grâce dans l’eau, elle ne vient pas de la nature de l’eau, mais de la présence du Saint-Esprit. »
Selon les adversaires, il aurait du répondre que l’eau ne fait rien, et que c’est ainsi qu’ aurait été réfutée l’objection.  Mais saint Basile reconnait qu’il  y a une vertu dans l’eau, mais il explique qu’elle ne s’y trouve pas de par la nature de l’eau, mais de par la vertu de Saint-Esprit.  Voir aussi l’homélie 13, qui est une exhortation au baptême, où il dit de façon encore plus claire la même chose.   Voir aussi saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur les saintes lumières, et dans son oraison sur le saint lavement.  Saint Grégoire de Nysse (dans son livre sur le baptême) : « Le baptême, dit-il, est  l’expiation des péchés, la rémission des fautes, la cause du renouvellement et de la régénération. »  Et, expliquant à la fin, comment cela se fait, il amène plusieurs exemples de ces choses par lesquelles Dieu a fait des miracles, comme la verge d’Aaron etc.
 Et il ajoute : « Et bien que toutes ces choses aient été des choses  matérielles,  inanimées, et perceptibles par les sens, elles devinrent des moyens, après avoir reçu de Dieu le pouvoir d’opérer de grands miracles.  Et, par un raisonnement semblable, l’eau aussi, qui n’est rien d’autre que de l’eau, après avoir été bénie par une grâce céleste, opère la régénération dans l’homme. »
 Si quelqu’un, en doutant et en hésitant, me demande par quelle raison l’eau régénère, je lui répondrai du tic au tac : montre-moi le mode de la nativité qui se fait selon la chair.  Tu diras peut-être :  la semence est la cause efficace de l’homme. Entends donc contrairement à nous, si tu le peux,  que l’eau qui est bénie, purge et illumine l’homme.
Il est à noter là qu’on ne peut pas faire dire à la sentence de Grégoire ce qu’enseignent les hérétiques, à savoir que les sacrements opèrent parce qu’ils meuvent objectivement vers la foi.   Car, d’abord, il compare l’eau du baptême à la verge d’Aaron, qui avait fait réellement un miracle visible.  Ensuite, il le compare à la femme qui est la cause efficiente de l’homme, comme il le dit lui-même.  En troisième lieu, il nie que l’eau puisse faire quoi que ce soit sans recevoir une force surnaturelle.  Enfin, la question qu’il pose (comment l’eau peut-elle régénérer), n’aurait pas de sens si elle ne faisait que signifier ?
Saint Jean Chrysostome (homélie 39 sur la Genèse) dit : « Car, ce que la circoncision opère dans la déposition de la chair, le baptême le fait dans la déposition des péchés. »  De même, dans son homélie 21 sur Jean, il enseigne longuement qu’il faut croire aux paroles du Christ affirmant que l’eau a le pouvoir de régénérer, même si la manière transcende la raison.
 Et dans son homélie 25, il dit : « Ce qu’est la matrice pour l’embryon, l’eau l’est pour le fidèle. Car, c’est dans l’eau qu’il a été façonné et formé.  Car, il a été dit d’abord : que les eaux produisent des reptiles d’âme vivante.  À partir du moment où  le Christ est entré dans le baquet du Jourdain, l’eau ne produisit plus des reptiles mais des âmes rationnelles et spirituelles. »  Voir la même chose dans l’homélie 35 sur Jean, homélie 1 sur les Actes, et homélie aux néophytes, où il énumère dix effets du baptême qui sont opérés même dans les enfants.
Et parmi tous ces effets, il ne lui est jamais venu à la pensée de dire qu’il excite la foi, la seule chose que reconnaissent nos adversaires.
Saint Cyrille d’Alexandrie (dans son livre 2 sur saint Jean, au chapitre 42), dit : « Quand par l’ardeur du feu l’eau est chauffée intensément, elle ne réchauffe pas moins que le feu lui-même.  De la même façon, par l’opération du Saint-Esprit, l’eau qui asperge le corps du baptisé est réformée par la vertu et la puissance divines. »  Tu vois ici que, dans le baptême, l’eau est un instrument de Dieu comme la chaleur dans l’eau chauffée est un instrument du feu pour réchauffer.
  Theodoret (dans le chapitre aux Hébreux) dit ceci en commentant : « Asperge les cœurs de  la mauvaise conscience ! »  Dans la loi, dit-il, on se servait d’aspersions, et on lavait fréquemment les corps. Or, ceux qui conforment leur vie au nouveau testament, purifient leur âme par le très saint baptême, et libèrent leur conscience des premières taches.   Voir le même Theodoret (dans l’épitome des décrets divins, au chapitre du baptême), saint Jean Damascène, (livre 4, chapitre 10, sur la foi), Theophylactus (3 et 5  chapitres de saint Jean), et Oecumenius, chapitre X aux Hébreux.
                                              CHAPITRE 7
               On prouve la même chose avec les pères latins
Tertullien (dans son livre sur le baptême) : « Il a donné d’abord le liquide d’où l’on vivrait, c’es-à-dire que l’eau produisit des êtres animés.  Il n’y a donc pas à s’étonner que les eaux sachent animer. »  De même, dans le livre de la résurrection de la chair, il prouve que le corps ressuscitera parce que les sacrements s’appliquent au corps pour y transférer leur effet à l’âme.
 Voici ce qu’il dit : « La chair est lavée pour que l’âme soit purifiée.  La chair est ointe pour que l’âme soit munie, la chair est ombragée par l’imposition des mains pour que l’âme soit illuminée par le Saint-Esprit.  La chair est nourrie par le corps et le sang du Christ, pour que l’âme soit engraissée par Dieu. »
 Il énumère, là, différents effets des sacrements, sans penser une seconde à l’excitation de la foi.
Saint Cyprien (livre 11, épitre 2 à Donat) écrit qu’avant qu’il soit baptisé, on avait eu toutes les peines du monde à l’amener à croire ce que les chrétiens prêchaient sur la vertu du baptême, à savoir qu’il change l’homme subitement, qu’il efface les péchés, qu’il infuse les vertus; mais qu’il avait appris plus tard, par l’expérience, que c’était vrai : « Je pensais qu’il était difficile de croire, à cause des mœurs dissolues de l’époque, ce que promettait pour mon salut la divine indulgence, à savoir que quelqu’un puisse naître de nouveau;  et que, après avoir reçu une nouvelle vie par le lavement de l’eau salutaire,  ce qui était avant disparaissait, et que, le corps conservant sa nature, l’eau change l’homme dans son âme et dans son esprit.  Je me disais : comment une telle conversion est-elle possible ? »
 Et plus bas : « Mais après que, par l’aide de l’onde génitrice, la tache atavique ait été effacée dans ma poitrine purifiée, et ait été infusée une pure lumière; et après que, par une gorgée de l’Esprit céleste, la seconde nativité ait, d’une façon admirable,  réparé l’homme pour en faire un nouvel homme,  etc… »
Il y a deux choses à noter dans ces paroles.   La première. Si les sacrements ne faisaient que mouvoir l’esprit pour qu’il puisse croire, comme les adversaires le prétendent, comment expliquer que saint Cyprien ait eu tant de misère à croire dans l’effet du baptême ?  Car, que la parole d’un ardent prédicateur parvienne à susciter la foi dans un incroyant, ce n’est pas une chose si difficile à comprendre !
 La seconde.   Saint Cyprien dit que le baptême agit immédiatement et pour toujours, et qu’il renouvelle l’homme.  Cela, il ne le dirait pas s’il croyait que le baptême ne fait qu’exciter la foi.  Car alors, il n’aurait pas son effet sur-le-champ et dans la majorité des cas.  Car, l’expérience enseigne que, par le même miracle ou par les mêmes paroles  enflammées, quelques-uns sont émus plus rapidement que d’autres, d’autres plus tardivement, et d’autres jamais.
De même, dans le livre 3 de l’épitre 8 à Fidus,  il enseigne que les enfants doivent être baptisés, même avant le huitième jour, (surtout en danger de mort), pour qu’ils reçoivent la rémission du péché.  C’est ce qu’ordonne aussi, le pape Siricius (épitre 1, chapitre 2).  Or, si le baptême ne fait qu’exciter la foi, et qu’il est de profit pour les enfants seulement parce que, quand ils deviendront des adolescents, ils s’en souviendront etc    pourquoi saint Cyprien ordonne-t-il que soient baptisés les enfants moribonds ?
 De même, dans son épitre 7, livre 4 à Magnus, il dit que comme le venin du scorpion et du serpent s’éteint dans l’eau, de la même façon,  le diable qui résiste à l’exorciste avant le baptême, perd toute sa force dans le baptême.  Ce serait parler pour ne rien dire si le baptême ne faisait qu’exciter la foi.  Voir aussi, son sermon sur le baptême du Christ,  sur la cène du Seigneur, et sur l’onction du saint-chrême.  Gaudentius dit des choses semblables (dans son traité 1 sur l’Exode.)
Lactance (livre 8, chapitre 5 sur la récompense divine) : « Purifié par le lavage céleste, l’homme rejette l’enfance avec toute les taches de la vie passée;  et après avoir reçu un accroissement de force divine, il devient un homme parfait et complet. »  Le pape Sylvestre, comme le rapporte Nicéphore (livre 7, chapitre 3) parla ainsi quand il baptisa Constantin : « Par la vertu divine qu’elle a conçue par l’invocation de la trinité, cette eau,  comme elle purifie le corps de l’homme, purifie l’âme de toute tache et de toute souillure, et la rend plus brillante que les rayons les plus resplendissants. »
Saint Ambroise (livre 2, chapitre 2, sur la pénitence), dit : « Il semblait impossible que l’eau puisse purifier le péché. Naaman le syrien ne crut pas, non plus, que l’eau pouvait le purifier de sa lèpre. Mais ce qui était impossible, Dieu l’a rendu possible, en nous donnant une si grande grâce. »   Voir aussi son livre 1 sur les sacrements (chapitres 4 et 5, livre 2, chapitres 1 et 5).  Ainsi que son livre d’initiation aux mystères (chapitres 3 et 9),  et son livre X sur saint Luc  (chapitre 3), et son livre 3 sur le Saint-Esprit (chapitre 11).
Saint Jérôme (dans son épitre 83 à Océanus) écrit : « Quelle puissance a le baptême, et quelle grâce a l’eau sanctifiée par le Christ, je l’enseignerai un peu après. »  Et plus, bas, là où il présente plusieurs témoignages et figures, il dit : « Les jours me feront défaut si je veux classer tous les textes de la Sainte Écriture qui se rapportent au pouvoir que possède le baptême. »  Voir le même dans son dialogue contre les lucifériens, et dans son livre 3 contre les pélagiens.
 Optatus (livre 5 contre les Parméniens, au début) : « Le baptême des chrétiens institué par la Trinité, confère la grâce. S’il est répété, il cause du tort à la vie. »  Tu vois d’abord, qu’il affirme clairement que le sacrement confère la grâce.  Et, en disant ensuite que la répétition du baptême cause du dommage, il montre de toute évidence, qu’il n’opère par seulement en suscitant la foi. Car, alors, il serait plutôt fort utile de le répéter.
Saint Augustin (livre 4, chapitre 22 sur le baptême) dit : « Ce n’est pas seulement une passion endurée au nom du Christ qui peut suppléer à l’absence du baptême, mais aussi la foi, et la contrition du cœur, si, par hasard, les persécutions actuelles nous privent du secours de la célébration du mystère du baptême. »
 S’il arrive donc parfois que la foi et la conversion du cœur suppléent à l’absence du baptême, il s’ensuit manifestement que le sacrement ne justifie pas en excitant la foi, mais immédiatement en appliquant les mérites du Christ, et en justifiant immédiatement.  Et, au même endroit (au chapitre 24), il  prouve que le sacrement du baptême est très profitable aux enfants, même s’ils sont privés de la foi. Il le prouve aussi par la circoncision, qui était donnée au huitième jour : « Pourquoi  lui a-t-il  été prescrit de circonscrire, le huitième jour, tout enfant mâle, qui ne pouvait pas croire avec son intelligente et sa volonté, afin que cela lui soit imputé à justice, si ce n’est que le sacrement, par lui-même, valait  énormément ? »  Saint Augustin enseigne là que le sacrement n’opère pas en excitant la foi, mais en produisant un effet par sa propre vertu.
Le même saint Augustin (au livre 19, chapitre 11 contre Faust) écrit : « On ne peut décrire ce que vaut  la vertu des sacrements.  Elle vaut tellement que si elle est méprisée,  elle fait des sacrilèges.  Car, il n’y a que l’impiété qui méprise ce sans quoi la piété ne peut pas atteindre sa perfection. »  Or, si les sacrements ne faisaient qu’exciter la foi ils ne vaudraient pas d’une façon inénarrable, puisque très souvent, peu de personnes sont touchées par les sermons.
 Et, cependant, Luther reconnait (dans son livre contre Jean Cochlaeus) que « la prédication est beaucoup plus efficace que le baptême. »  Ce qui est très vrai s’il n’est question que  de susciter la foi.  Saint Augustin dit aussi (dans son traité 80 sur saint Jean) : « D’où vient une telle vertu à l’eau, qu’en touchant le corps, elle purifie le cœur ? »   Et plus bas : « La purification on le n’attribuerait pas à un élément périssable et corruptible, s’il ne purifiait pas dans la parole. »
Le pape saint Léon (dans son sermon 4  sur la naissance du Seigneur) écrit : « Tout homme qui renait de l’eau du baptême est semblable à l’utérus de la vierge.  La fontaine est remplie par le même Esprit  qui remplit aussi la Vierge.  De sorte que le péché que la sainte conception avait évacué, l’ablution mystique l’enlève. »
 Et, dans le sermon 5 : « L’origine qu’il a reçue dans l’utérus de la Vierge, il l’a placée dans la fontaine du baptême, en donnant à l’eau ce qu’il avait donné à Marie. Car la vertu du Très-haut et l’ombrage du Saint-Esprit qui firent que Marie enfantât le Sauveur,  font également que l’eau régénère le croyant. »
L’auteur de l’homélie sur le sacrement du corps du Seigneur (que l’on trouve parmi les homélies d’Eusèbe Emissenus, et dans le tome 9 de saint Jérôme), dit : « Au moindre signe d’un commandement du Seigneur, sortirent subitement du néant les créatures célestes, les poissons des océans, et l es continents. Possède une puissance semblable la vertu qui se trouve dans les sacrements spirituels. »
 Et, au même endroit, à partir de la vertu du sacrement de baptême, qui change subitement un homme, et le renouvelle dans son âme, il prouve qu’on ne devrait pas considérer comme incroyable que les paroles du sacrement changent le pain en la chair du Christ.  On ne voit pas très bien comment pouvoir  interpréter tout cela comme une incitation à croire. Car, dans la consécration non plus, les paroles ne changent pas le pain pour exciter par là la foi.  Cet auteur accorde la même vertu à la consécration, par rapport au pan, qu’au baptême, par rapport à l’âme.
Saint Grégoire (livre 9, épitre 39 à Theodista Praticia enseigne que, dans le baptême, tous les péchés sont vraiment remis, comme, dans la mer rouge, tous les Égyptiens sont vraiment morts : « Donc, celui qui soutiendra que, dans le baptême, les péchés ne sont pas complètement remis, devra dire que dans la mer rouge, les Égyptiens ne sont pas vraiment morts. »
  Enfin, saint Bernard (pour omettre les plus récents) dans son sermon sur la cène du Seigneur, écrit : « Le sacrement du corps du Seigneur opère en nous deux choses :  pour les péchés véniels, il affaiblit les sens, et, pour les péchés les plus graves, il enlève totalement le consentement.  Si quelqu’un, parmi vous, ne ressent plus si souvent les mouvements ardents de la colère, de l’envie, de la luxure, ou d’autres vices, qu’il rende grâce au corps et au sang du Seigneur.  Car, c’est la vertu des sacrements qui opère en lui. »
Ces paroles on ne peut pas les ramener à l’effet de nourriture de la foi.  Car, saint Bernard ne dit pas seulement que les péchés sont remis par les sacrements, ce qu’admettent les luthériens  (par la foi qui appréhende la justice du Christ, et la bienveillance de Dieu.), mais il dit aussi que la vertu du sacrement opère en nous pour que nous ne consentions pas aux péchés, ce qui ne pourrait pas se faire par la foi seule, et ce que n’enseignent pas non plus nos adversaires.
À cet argument tiré des pères,  les hérétiques répondent différemment.  Philippe (dans son apologie, art 13) dit effrontément : « On ne peut citer aucun écrit des anciens auteurs qui approuverait les scolastiques sur ce sujet. »
 Luther, dans son livre contre Cochlaeus, admet les passages de saint Augustin et des autres pères qu’avait cités Cochlaeus, mais, à son accoutumée, ce n’était que pour cracher son venin : « S’il y en a, parmi les pères, qui ont pensé que les sacrements justifiaient par leur vertu, comme saint Augustin, ainsi que le soutient Cochlaeus, je ne m’en étonne pas.  Ce sont des paroles d’hommes, qui militent souvent les unes contre les autres, des docteurs qui enseignent à la lumière de leur seule raison, sans tenir compte de l’Écriture. »
  Or, il est certainement plus croyable de penser qu’un si grand nombre de saints pères aient mieux compris l’Écriture que Luther.  C’est ce qu’il concéderait lui-même, s’il n’était pas aveuglé par l’esprit de l’orgueil.
Calvin répond (dans le livre 4, chapitre 14, verset ultime) que les pères ont parlé en parabole : « Ces malheureux sophistes ont, avec leur économie immodérée des sacrements, distordu les choses que nous lisons dans les anciens auteurs. Comme sain Augustin, par exemple, qui enseignait que les sacrements de l’ancienne loi ne faisaient que promettre le salut, et que les nôtres le donnaient.  Comme ils ne se rendirent pas compte que ces figures et d’autres façons de parler étaient des hyperboles,  ils promulguèrent leurs dogmes hyperboliques. »
Mais cela peut se retourner contre lui-même. Car les pères que nous venons de citer réfèrent ces admirables effets à la toute-puissance de Dieu.  Et la toute-puissance ne produit pas d’œuvres là où les paroles ne sont pas vraies et réelles, mais hyperboliques.
De plus, les pères nous avertissent de temps en temps qu’ils ne parlent pas hyperboliquement, comme saint Jean Chrysostome dans son homélie 4 aux catéchumènes, où il dit que, par le baptême, les âmes sont lavées et purifiées.  Il précise qu’il ne dit pas cela par ambition, c’est-à-dire, par amplification verbale,  pour faire montre de son éloquence oratoire.
 Et saint Augustin (au chapitre 23 vers la fin) dit que « ce sont des infidèles ceux qui ne croient pas que les petits enfants puissent, sans la foi actuelle, être sauvés par le sacrement ».  Ce qui nous fait comprendre qu’il ne parlait pas par hyperboles, mais qu’il transmettait les dogmes de foi.   Et il n’est pas croyable que tous les pères grecs et latins, non seulement dans leurs sermons, mais aussi dans leurs lettres et leurs écrits dogmatiques et leurs commentaires de l’Écriture, aient toujours parlé par  hyperboles.
Kemnitius (2 par examen, page 98), dit que l’Écriture accorde ouvertement un pouvoir aux sacrements, et qu’il ne faut, par des tropes, les détourner de leur sens pour leur faire dire autre chose que ce que les pères enseignaient vraiment.  Cependant, par la suite, il réduit tout cela à une efficacité par l’excitation de la foi, ce que nous avons déjà réfuté.
                                        CHAPITRE 8
                       La sixième classe vient de la raison
Pour saisir plus facilement l’efficacité de ces raisons, il faut observer qu’il y a deux sortes de signes et de mots.  Certains n’ont pas été institués pour une autre fin que signifier, ceux qu’on peut appeler des signes théoriques.  D’autres sont institués pour signifier et pour effectuer quelque chose, et on les appelle des signes pratiques.
  Ils diffèrent en ceci que les premiers n’opèrent rien immédiatement par leur propre force, mais ne font que représenter un objet.  Et, si par hasard, un effet s’ensuivait, il ne proviendrait pas de la force du signe, mais d’ailleurs.  Les derniers opèrent immédiatement, et de par leur vertu propre.  Exemple.  Quand quelqu’un avertit une autre personne que l’ennemi est présent, cette personne s’enfuit immédiatement. Or, la cause immédiate de cette fuite n’est pas l’avertissement, mais l’appréhension de malheurs. L’admonition fut donc un signe de la première catégorie.  Pour une raison semblable, celui qui, à la vue d’un signe hostile, court à un refuge, n’est pas mu immédiatement par le signe mais par l’appréhension des choses dont il a besoin, et que ce signe représente.  Ce signe n’est donc, pas non plus, un signe pratique, au sens où nous le prenons ici.  Car, nous avons parfois coutume d’appeler signes pratiques tous ceux qui se rapportent à une œuvre, médiatement ou immédiatement, comme nous le faisions dans la dispute sur l’intention du ministre.  Car, nous appelions pratiques tous les mots impératifs. Et ceux-là nous les appelons théoriques.
  Nous disons que sont pratiques ceux qui, en plus de la signification, ont une efficacité, comme le sceau qui est un vrai signe pratique, parce qu’il ne représente pas seulement une image,  mais l’imprime dans la cire.
On distingue encore ces signes pour une autre raison.  Car les paroles et les signes théoriques ne sont utilisés que par ceux qui sont intelligents.  Car, comme ils n’opèrent qu’en représentant quelque chose à l’esprit, il serait stupide de se servir de ces signes là où on ne fait pas usage de l’esprit.  Or, les mots et les signes pratiques peuvent être employés même pour les choses inanimées, non seulement pour celles qui sont dépourvues d’intelligence, mais de sentiment et de sensation.
Comme dans l’Écriture Josué a commandé au soleil et à la lune, (Josué X).  En Matthieu V111,  le Seigneur a commandé à la mer et aux vents.  En Matthieu 1X, Luc V11,  et Jean X1, il a commandé aux morts. Et, Actes 1X, Pierre a dit à Tahita : Léve-toi.  En Matthieu XV11 : « Si vous aviez la foi grosse comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : déplace-toi. »  Moïse a frappé la pierre pour donner des eaux (Exode XV11), et le Seigneur mit ses doits dans l’oreille d’un sourd et muet; et il toucha aussi sa langue pour le guérir.
La controverse entre nous et les hérétiques consiste donc en ceci.  Ils font, eux, des sacrements, des signes du premier genre, quand ils affirment qu’ils ne justifient pas,  si ce n’est qu’en excitant la foi. Nous en faisons,  nous, des signes du deuxième genre.  Si donc nous pouvons démontrer que les sacrements sont des signes de la deuxième catégorie, nous aurons gain de cause.
Voici donc la première raison que nous apportons. Les sacrements sont validement administrés à ceux qui ne peuvent pas se  servir de leur intelligence.  Ils sont donc des signes du second genre, et justifient vraiment, non en excitant la foi à la façon d’un sermon, mais en produisant immédiatement la sainteté.  La conséquence résulte clairement de ce qui a été dit. On prouve ainsi l’antécédent : on baptise validement les enfants, les sourds, les fous, les comateux.
 On tire un exemple insigne de saint Augustin (livre 4, chapitre, livre des confessions.)   Quand un moribond commençait à délirer, et avait perdu conscience de qui se passait autour de lui, « le sacrement qu’il reçut lui fut très utile ».  Ajoutons que le concile de Carthage 1V (canon 76), et celui d’Oranges 1 (sur les époux adultères, chapitres 26 et 28), et la lettre 91 de saint Léon à Théodore  enseignent tous que les sacrements du baptême et de l’absolution peuvent être conférés aussi à ceux qui sont en danger de mort, même si la peur de la mort leur a enlevé l’usage de la raison ou de la parole, pourvu qu’il soit avéré qu’ils aient déjà désiré le sacrement.
Or, à ces gens, c’est fort inutilement qu’on ferait un sermon, ou qu’on leur exhiberait des signes pour exciter leur foi.
La deuxième raison.  Les paroles et les signes des sacrements dépendent de l’institution divine;  et ils ne purent pas avoir été institués par les hommes, de leur propre autorité.  Ils ne sont donc pas de purs signes, comme les paroles d’un sermon,  mais des signes pratiques, ayant le pouvoir d’opérer surnaturellement quelque chose.
 L’antécédent est concédé par les adversaires, comme il a été démontré plus haut.  Il reste donc à prouver la conséquence.  Si les paroles et les signes sacramentaux étaient de purs signes  institués pour agir sur l’esprit, ils auraient facilement pu avoir été institués par les hommes, et  ils auraient eu le même pouvoir.  Il importe peu, en effet,   à la signification pure quel est celui qui a institué les signes, pourvu qu’ils représentent le même objet.
 Est-ce qu’on se demande  quel est celui qui a affiché ces signes dans l’auberge ?  Les mots hébraïques écrits par Dieu sur la pierre signifient-ils autre chose que les mots grecs ou latins écrits par des hommes ?  Les trompettes que Dieu avait ordonné d’employer pour appeler au combat, agissaient-elles mieux sur les soldats que  les trompettes profanes employées par les  païens ?  En conséquence, si Pierre ou Paul avaient institué les sacrements de baptême et d’eucharistie, ils auraient la même vertu qu’ils ont présentement.
 Ce qu’on ne peut certes pas dire selon l’enseignement de l’église catholique, qui veut que  les sacrements ne font pas que signifier, mais qu’ils effectuent aussi ce que, par eux-mêmes, ils ne peuvent pas faire.
La troisième raison. Les sacrements ne dépendent pas seulement de Dieu pour l’institution, mais aussi pour leur usage.  Car, c’est Dieu qui, par ses ministres, baptise, consacre, absout etc. Ils ne sont donc pas de simples signes institués pour exciter la foi, à la manière des prêches. Mais, ils effectuent quelque chose.  L’antécédent, les adversaires le concèdent, et il a été prouvé plus haut dans la question de la cause efficiente des sacrements, à partir de textes comme celui de saint Jean  1 : « C’est lui qui baptise. », d’une homélie de saint Chrysostome ( sur Matthieu, 83), du traité 5 de saint Augustin sur saint Jean, et d’autres.
On prouve la conséquence. Car, comme les paroles et les autres signes ne font que signifier, et exciter l’âme par la représentation d’un objet, il importe peu d’où ils procèdent.   Car, que ce soit le maitre qui parle ou l’esclave, les mots ont toujours la même signification.  Et la trompette n’incite pas plus au combat les soldats,  si c’est l’empereur qui en joue ou le trompettiste.  Donc, si les sacrements dépendent nécessairement de Dieu comme de leur cause principale qui opère par les ministres, on est forcé de reconnaitre qu’ils ne font pas que signifier, mais qu’ils produisent un effet.
La quatrième raison. Les sacrements ne dépendent pas seulement de Dieu en tant qu’instituteur, mais en tant qu’agent principal,  et aussi, de la passion et de la mort de Jésus, comme nous l’avons prouvé plus haut au début de la question sur la cause efficiente des sacrements.  Voilà pourquoi, les pères, à l’unanimité, ont enseigné que les sacrements ont coulé du côté percé d Christ.
 Voilà pourquoi aussi beaucoup d’anciens ont enseigné que le Christ a voulu être baptisé, pour que, par le contact de sa chair très pure, il donne aux eaux la force de purifier, comme saint Ambroise (livre 2, chapitre 12 sur saint Luc), saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur les saintes lumières), saint Jean Chrysostome (homélie 25 sur saint Jean), Bède (Luc, chapitre 3), et d’autres.  Luther lui-même enseigne la même chose dans ses homélies sur le baptême.
Les sacrements n’opèrent donc pas seulement en représentant un objet, à la façon d’un sermon, mais en produisant vraiment quelque chose.  Car, autrement, ils n’auraient pas eu besoin des mérites du Christ;  et le Christ ne leur aurait donné aucune vertu.  Et comme il ne convient absolument pas de dire qu’un sermon émane  du côté percé du Christ, car les paroles possèdent cela d’elles-mêmes, nous n’aurions pas de raison de dire que les sacrements  proviennent du côté percé du Christ, ou que le Christ leur a donné une vertu.
La cinquième raison.  Les sacrements ont été institués pour faire en sorte que nous soyons certains d’avoir reçu la rémission des péchés et la grâce de Dieu.  Ils n’opèrent donc pas seulement en représentant un objet comme la prédication, mais en produisant réellement ce qu’ils signifient. L’antécédent est admis par tous, et surtout par les adversaires.   Car, les catholiques enseignent que, par les sacrements, est engendrée en nous une certitude morale de la rémission des péchés, mais non, toutefois, infaillible.
  Car, même si les sacrements sont efficaces infailliblement par eux-mêmes, il peut se faire que, à cause de notre indisposition,  ne nous soient pas efficaces.  Or, les adversaires veulent que les sacrements engendrent une certitude absolue. Et ils nous reprochent d’ordonner aux hommes de douter de l’efficacité des sacrements.  Comme le pense Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, dans son chapitre sur le baptême), Kemnitius  (livre 2 par examen, chapitre sur l’intention des ministres.)  et d’autres.
On prouve la conséquence.   Car, si les sacrements n’opéraient qu’en signifiant et en excitant la foi, ils n’apporteraient aucune certitude.  Car, alors, le sacrement dépendrait de notre foi, non de l’institution du Christ, ce qui est enlever la vraie certitude de l’efficacité des sacrements, comme Luther le reconnait contre les Anabaptistes, en l’en 1528, où il prouve longuement que les sacrements ne doivent pas dépendre de la foi du donateur ou du récipiendaire, mais de la seule institution de Dieu, pour ne pas rendre incertaine son efficacité.
On ne peut non plus répondre que les sacrements apportent une certitude infaillible, parce qu’ils excitent la foi qui justifie infailliblement. Car, l’expérience nous a enseigné le contraire.  Car, combien y en-a-t-il qui sont baptisés sans croire vraiment ?  Et si la prédication, qui est plus efficace que les sacrements, selon Luther dans son livre contre Cochlaeus, n’excite pas la foi infailliblement, comme nous l’expérimentons, les sacrements pourraient encore moins exciter infailliblement la foi. Si donc les sacrements présentent une certitude quelconque, ce ne peut être que pace que,  par l’œuvre opérée,  ils produisent ce qu’ils signifient.
La sixième raison.   Les sacrements se comportent différemment envers la foi et envers la parole; ils n’opèrent donc pas de la même manière.  On prouve l’antécédent.    Car, la parole de Dieu précède la foi,  et les sacrements la suivent.  Romains X : « La foi vient de l’audition. »  On prêche dont la parole de Dieu aux infidèles et aux hérétiques pour qu’ils commencent à croire.   Or, les sacrements requièrent la foi, surtout pour les adultes. Et ils ne peuvent  être correctement conférés qu’à ceux qui ont cru d’abord.   Voilà pourquoi (dans les Actes 111) quand l’eunuque a dit : « Voici de l’eau.  Qui m’empêche d’être baptisé ? », Philippe a répondu : « Si tu crois de tout ton coeur, c’est permis. »
Et, dans l’Église, il y a toujours eu la coutume, pour ceux qui voulaient être chrétiens, de devenir d’abord catéchumènes,  et d’être instruits assez longtemps, et de ne pas les baptiser avant qu’ils aient été instruits et affermis dans la foi.  Saint Justin, dans son apologie à Antonin, dit, expliquant les mœurs de l’Église : « Ceux qui ont été persuadés, et qui croient que sont vraies les choses que nous leur prêchons, et qui déclarent pouvoir vivre ainsi,  reçoivent l’ordre de prier en jeunant, et de demander à Dieu la rémission de leurs péchés passés,  pendant que nous jeunons et prions avec eux.  Ensuite, nous les amenons là où il y a de l’eau, et ils sont régénérés par le même  mode de régénération qui nous a nous-mêmes régénérés. »
  De quoi il s’ensuit que la sentence des hérétiques n’est pas seulement fausse, mais des plus ineptes.
La septième raison.  Les sacrements ne sont pas moins efficaces s’ils sont administrés dans une langue qu’on ne comprend pas, (le grec ou le latin) que s’ils le sont dans une  langue vulgaire que tous comprennent.  Ils n’opèrent donc pas à la façon d’une prédication, mais ont leur effet propre en plus d’exciter la foi.  La conséquence est évidente, car, si les sacrements opéraient à la manière d’une prédication, ils n’auraient d’effet que quand ils sont donnés en langue vulgaire.  On prouve ainsi l’antécédent. Les luthériens et les baptistes admettent notre baptême qui est toujours administré en latin, car ils ne rebaptisent pas ceux qui ont été baptisés par nous.
La huitième raison.  Si les sacrements opéraient en excitant la foi,  il n’y aurait aucune raison de les administrer aux hommes doctes qui peuvent lire les Écritures, ni même aux illettrés qui écoutent les sermons.  Car, la sainte Écriture et la prédication évangélique excitent la foi bien mieux que le baptême et l’eucharistie.  Il serait donc préférable, au lieu de se faire baptiser, de lire un chapitre de la Bible.
Ajoutons que même une peinture du baptême pourrait avoir le même effet que le baptême, car elle rend une promesse visible, et excite la foi.  Et elle a ceci de plus que le baptême qu’elle demeure toujours, tandis que le baptême arrive une fois pour toutes.
La neuvième raison.  Même si plusieurs sont présents, les sacrements ne sont profitables qu’à ceux qui les reçoivent, entendent et voient ce qui se passe.   Autrement, il  ne serait pas nécessaire que chacun soit baptisé et communie au corps de Notre Seigneur Jésus-Christ;  mais, il suffirait qu’un seul soit baptisé et communie en présence de toute la multitude.
 Les sacrements n’opèrent donc pas à la manière d’une prédication, en excitant la foi. La conséquence est évidente.   Car, s’ils opéraient à la façon d’un sermon, ils seraient de profit à tous ceux qui écoutent.  Car, tous ceux qui sont présents  peuvent être excités à croire quand est prononcée la promesse de Dieu, et quand elle est placée devant les yeux par un signe visible.  Et il importe peu que le sacrement semble être le seul à être dirigé vers un seul, car la prédication aussi peut s’adresser à un seul et, exciter quand même tous les auditeurs.
De plus, quand le ministre baptise et dit : je te baptise, il ne veut pas dire : je te purifie de tous tes péchés (selon les luthériens), mais, je témoigne que tes péchés te son remis, comme Melanchton l’explique (dans se lieux, chapitre sur le baptême), et Calvin (livre 1V, chapitre 13, verset 15).
 Mais cette attestation n’est pas profitable à celui qu’il baptise, à moins qu’il ait, entre temps, réfléchi et cru que Dieu lui est propice par le Christ, comme ils l’avouent eux-mêmes.  Tous ceux qui sont présents peuvent penser et croire la même chose, car la promesse est commune  à tous, et ce qui est dit à un convient à tous.  Car Dieu n’est pas propice au baptisé parce qu’il est baptisé, (selon la sentence des Luthériens).
Voici donc la véritable attestation du baptême : Dieu lui est propice pourvu que par la foi il appréhende cette bienveillance divine.
La dixième raison. Si les sacrements avaient un effet seulement en signifiant, il n’y aurait pas de différence entre les nouveaux sacrements et les anciens sacrements, car les anciens signifiaient aussi la grâce du Christ et la rémission des péchés, et pouvaient exciter la foi.  Que cela soit faux, nous le démontrerons dans la question suivante.
                                            CHAPITRE 9
                   On réfute des objections tirées des Écritures
Il faut réfuter les arguments de Luther, de Philippe, de Calvin et de Kemnitius, qu’ils tirent tantôt des Écritures, tantôt des pères, tantôt de la raison.
Commençons donc par la première classe d’arguments. Le premier vient de Habacuc 11 et de Romains 1, et de Hébreux X : « Le juste vit de la foi, dit l’Écriture ».  Saint Paul n’enseigne pas que le juste vit des sacrements.  Les sacrements donc ne justifient pas à moins qu’ils n’excitent la foi.  On le confirme par des passages semblables, comme Romains  1V : « Abraham a cru en Dieu, et celui lui a été imputé à justice. »  Et Paul n’a pas ajouté : et par le corps est reçu le sacrement pour la justice.  De même, Luther dans Babylone (chapitre sur le baptême) et dans son assertion (premier article.)
Je réponds que l’Écriture ne dit pas que le juste vit de la seule foi.  Il reste donc une place pour les sacrements.  Autrement, non seulement les sacrements, mais Dieu aussi, et les mérites du Christ,  et d’autres choses semblables seraient exclues, que même les Luthériens ne veulent pas exclure.  Car, l’Écriture n’a pas dit : le juste vit de Dieu ou des mérites du Christ.
 Ensuite, même si l’Écriture ne dit pas, avec ces mots, que le juste vit des sacrements, elle dit la même chose en d’autres termes.  Car, quand elle dit que l’homme est régénéré par le baptême, (Jean 111, et Tit 111), que dit-elle d’autre que le baptême donne la vie ?
Troisièmement.  Ces paroles prophétiques : le juste vit de la foi, ne signifient pas à la lettre que l’homme devient ou est réputé juste par la foi, mais, que, par la foi qu’il a, le juste attend constamment ce que Dieu a promis, et qu’il ne se laisse pas déprimer ou décourager même si les promesses semblent tarder. Que ce soit là le véritable sens ne pourra pas en douter celui qui examine avec soin les paroles d’Habacuc, et de saint Paul aux Hébreux.  Car l’un et l’autre parlent de patience et de longanimité. ‘S’il tarde, dit le prophète, (et l’apôtre qui le cite), attends le, car il viendra quand il viendra, et ne tardera pas.  Celui qui est incrédule, son âme ne sera pas vraiment en lui-même.  Car, le juste vit de la foi. »
À la confirmation, je réponds de la même façon. Car, saint Paul a attribué la perfection à la foi, mon non à elle seule.  Et de plus, l’Écriture attribue la même chose aux sacrements, en d’autres endroits, comme dans Actes 11 : « Que chacun de vous soit baptisé en rémission des péchés. »  et en  Actes XX11 : « Sois baptisé et efface tes péchés par l’invocation de son nom. »
Le second argument est tiré de Marc, à la fin : « Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé.  Celui qui ne croira pas, sera condamné. »  Dans les lieux cités, Luther argumente de deux façons avec cet argument.  Le  premier. « Celui qui croit et est baptisé est sauvé; celui qui ne croit pas est condamné, même s’il est baptisé.  Ce n’est donc pas le baptême, mais la foi qui sauve. »  Le deuxième. Le Seigneur a dit : « Celui qui ne croit pas sera condamné ».  Il n’a pas dit : celui qui ne sera pas baptisé sera condamné.  C’est donc la foi seule qui sauve, et non le baptême.  Deuxièmement, le Seigneur a dit également : « Celui qui ne croira pas sera condamné ».  Il n’a pas dit : « celui qui ne sera pas baptisé sera condamné. » C’est donc la foi seule qui sauve, et non le baptême.
Je réponds au premier argument que la conséquence est mauvaise. Car la seule chose que nous pouvons déduire de cet antécédent, c’est : ce n’est donc pas le baptême seul qui sauve; et non : donc le baptême ne sauve pas.  Autrement, des paroles que saint Paul a dites aux Corinthiens (1 X111) : «  la foi n’est d’aucun profit sans la charité », nous pourrions conclure : la foi n’est donc d’aucun profit.
Au second, je réponds que le Seigneur n’a pas dit : celui qui n’aura pas été baptisé sera condamné, non parce que ce n’est pas tout à fait vrai,  puisque le même Seigneur a dit en Jean 111 : « si quelqu’un ne renait pas de l’eau et du Saint-Esprit, il ne pourra pas entrer dans le royaume des cieux, » car il n’était pas nécessaire de le préciser, puisqu’on pouvait le comprendre de ce qu’il avait dit : « celui qui ne croira pas sera condamné. »  Car, celui qui ne croit pas ne voudra pas être baptisé;  et même s’il le voulait, son baptême serait sans valeur.
 Et dans l’affirmation, il aurait fallu ajouter « un baptême de foi », car ce  ne sont pas tous ceux qui croient qui sont baptisés.  Les arguments du genre à l’espèce sont semblables. Cela vaut négativement : il n’est pas un animal,  il n’est donc pas un homme.  Affirmativement, cela ne vaut pas : c’est un animal, ce n’est donc pas un homme.
Le troisième argument est tiré de saint Paul aux Romains 1V.   Voici comment parle Philippe dans son apologie (article 13). « Paul proteste contre les scolastiques qui enseignent que les sacrements opèrent par l’œuvre opérée; et il nie qu’Abraham ait été justifié par la circoncision.  Mais il dit que la circoncision a été un signe proposé à l’exercice de notre foi.  Donc, de la même  façon, les sacrements ne justifient pas autrement qu’en excitant la foi. »
Je réponds d’abord que saint Paul n’a pas dit que la circoncision a été un signe proposé à l’exercice de notre foi, mais qu’elle a été donnée à Abraham comme un sceau de la justice de sa foi, c’est-à-dire ce privilège a été fait pour Abraham, pour qu’il soit le premier à avoir le sacrement de la circoncision. Car, c’est ce qu’avaient mérité son obéissance et sa foi. Car, ce fut un témoignage de la justice de sa foi, comme nous l’avons rappelé au chapitre 17.  Voilà pourquoi ce texte n’a rien à voir avec le débat présent.  Car, la circoncision ne fut qu’au seul Abraham,  un signe pour exciter sa foi, mais le témoignage d’une foi qu’il avait déjà eue.
Deuxièmement.  La circoncision et le baptême n’ont pas grand-chose en commun. Car, de la circoncision, Paul dit : « La circoncision n’est rien. » (1 Corinth V11), et du baptême, il dit à Tite 111 : « Il nous a sauvés par le baptême de la génération. »  Le quatrième argument est celui de Zwingli (dans son livre sur la vraie et fausse religion).  Il dit, en commentant Luc V : « Qui, sauf Dieu, peut remettre les péchés ? » : « Les pharisiens comprenaient que seul Dieu, non les sacrements, peut justifier. » Selon ce passage d’Isaïe : « C’est moi seul qui efface les iniquités. »
Je réponds qu’elle est grande la cécité des hérétiques, qui préfèrent croire aux pharisiens plutôt qu’au Christ.  Car le Christ avait guéri un paralytique pour montrer qu’il pouvait, en tant qu’homme, remettre les péchés : « Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés, etc »  Et, de plus, le Christ n’avait-il pas dit à des  hommes, en Jean XX : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. »  Mais les paroles d’Isaïe n’étaient pas fausses à cause de cela, car il parle de celui qui remet les péchés, de sa propre autorité, et celui-là ne peut être que Dieu.
Le cinquième argument est de Kemnitius, et il est tiré du chapitre 5 aux Éphésiens, où l’apôtre dit : « La purifiant par le lavement de l’eau dans la parole de vie. » « Dans ce texte, saint Paul attribue toute la vertu du baptême à la parole.  La parole, en effet, opère en excitant la foi, car, (Romains X) « la foi vient de l’audition, et l’audition de la parole du Christ ».  Kemnitius ajoute le passage  suivant  de saint Pierre  (1 Pierre 111) : « Le baptême vous  a sauvés, non une déposition des saletés de la chair, mais  l’interrogation d’une bonne conscience en Dieu, par la résurrection de Jésus-Christ. »  Il dit là que le sacrement sauve par la résurrection, c’est-à-dire par la foi dans la résurrection.
Je réponds que, aux Éphésiens V, par la parole de vie, on n’entend pas le prêche, dont l’effet est la foi, mais la forme du sacrement, c’est-à-dire une parole pratique de consécration, et non  une parole de prédication.  Car c’est ainsi que l’expliquent tous les commentateurs, comme nous l’avons montré plus haut dans la question de la forme du sacrement.
 D’ailleurs, saint Pierre n’a pas dit que le baptême sauve par la foi dans la résurrection, mais par la résurrection, c’est-à-dire, comme Bède l’explique, parce que quand nous sommes baptisés, nous représentons la résurrection du Christ en émergeant de l’eau.  Et comme, en nous justifiant, le baptême fait en sorte que nous marchions dans une nouveauté de vie, comme le Christ, par la résurrection, a commencé à vivre une nouvelle vie, comme le dit aussi saint Paul (Romains V1) : « Le Christ a été livré pour nos fautes, et il est ressuscité pour notre justification. »
C’est exactement comme s’il disait : par la passion du Christ, nous sommes morts au péché, et par sa résurrection, nous commençons à vivre une vie de justice.  La préposition par  ne signifiant pas une cause méritoire, mais une cause exemplaire.   Car, le Christ n’a pas mérité en ressuscitant, puisqu’il était alors en dehors de la voie et de l’état du mérite.
                                        CHAPITRE 10
               On répond aux objections tirées des pères
Ils nous opposent d’abord saint Augustin parce qu’il a dit que « ce n’est pas le sacrement qui justifie,  mais la foi du sacrement. »  Dans la captivité de Babylone, (au chapitre sur le baptême), Luther cite cette sentence, sans nommer saint Augustin, comme étant un proverbe bien connu.  Et (dans ses assertions, à l’article 1, contre Corhlaeus), il la cite en l’attribuant à Augustin. C’est ce que fait aussi Philippe dans son apologie, (article 13), où, après avoir dit qu’on ne pouvait pas présenter une seule lettre des anciens en faveur de la sentences des scolastiques, il ajoute : « Saint Augustin a même dit le contraire, quand il a déclaré que c’était la foi du sacrement qui justifiait, et non le sacrement. »
Je réponds que saint Augustin n’a jamais rien dit dans ce sens et dans ces mots.  Il a plutôt enseigné le contraire.  Car, dans l’épitre 23 à Boniface, il dit que les enfants sont des fidèles et qu’ils sont sauvés s’ils meurent après le baptême, car « même s’ils n’ont pas la foi, ils ont le sacrement de la foi. »  C’est comme s’il disait : ce n’est pas la foi qui sauve les petits, mais le sacrement de la foi.  Luther a peut-être tiré cette phrase du traité 80 sur Job où Augustin dit que « le coeur est purifié par l’eau du baptême, les paroles accomplissant cela, non parce qu’elles sont dites, mais parce qu’elles sont crues.
 Mais, dans la question de la forme du sacrement, nous avons déjà démontré que ce « parce qu’elles sont crues » ne signifie pas un acte de foi, mais un objet.  Et si, on trouvait ailleurs cette sentence en termes propres, il faudrait l’entendre pour le seul temps où quelqu’un ne peut pas recevoir le sacrement.  Car, dans cette nécessité, suffit la foi du sacrement avec son désir, comme. dit saint Augustin (au livre 1V, chapitre 22 sur le baptême) dans les enfants qui ne peuvent pas avoir de foi actuelle, suffit le sacrement de foi, comme avec l’épitre 23, nous l’avons déjà prouvé.
Ils citent ensuite des paroles de saint Augustin tirées des livres sur les questions du nouveau et de l’ancien testament (à la question 59) : « Celui qui pense que le baptême consiste dans une raison charnelle, n’est pas un spirituel.  Et il ne pourra pas, non plus, recevoir les dons célestes celui qui croit que c’est par l’eau et non par la foi qu’il est transformé »
.  Je réponds d’abord que le livre cité n’est pas de saint Augustin, mais d’un hérétique quelconque,  qui enseigne beaucoup de choses contre la foi et contre saint Augustin, comme, par exemple, que la femme n’a pas été créée à l’image de Dieu (question 21), que Melchisédech était le Saint-Esprit (question 109), et qu’Adam n’avait pas l’Esprit-Saint (question 123).
Je réponds ensuite que le témoignage allégué ne nous est pas contraire, mais plaide plutôt en notre faveur.   Car, cet auteur parle de la cause formelle de la justification, non de la cause efficiente;  et il dit que l’homme est transformé et rénové non par une eau externe, comme si notre baptême n’était rien d’autre qu’une purification de la chair, comme autrefois celui des Juifs.  Mais, par la foi qui, étant parfaite et vivante, purifie et justifie formellement, selon la parole de saint Pierre (Actes XV) : « Purifiant par la foi leurs cœurs. »  Cette foi, c’est-à-dire la justification formelle cet auteur dit qu’elle est donnée dans le baptême. : « L’eau, on la voit, mais ce qu’on ne voit pas, l’Esprit Saint opère pour que la foi soit en nous. »
 Ici, on ne peut pas parler de la foi imparfaite et inchoative qui, selon nous, dispose à la justification, et qui, selon les Luthériens appréhende la justification.  Car cette foi-là doit précéder le baptême.  On parle donc ici que  de la foi parfaite, qui est infusée dans le baptême, et qui justifie formellement. Comme le définit le concile de Trente (session 6, chapitre 7).
Troisièmement, Calvin (livre 4, chapitre 14, ) présente un autre texte de saint Augustin ( tiré du livre 3 des questions sur le Lévitique, question 84), dans lequel il dit deux choses.  La première. Seul un ministre humain confère un sacrement visible, tandis que Dieu confère la grâce invisible.  Deuxièmement, ces deux choses sont séparées de telle façon que dans certains, se trouve le sacrement visible sans grâce invisible, comme dans Simon le magicien baptisé par Philippe.  Et dans d’autres une grâce invisible sans sacrement visible, comme pour le bon larron.
Je réponds au premier texte que l’homme administre les sacrements de deux façons. Une première.  En faisant ce qu’il peut faire par sa vertu naturelle.  La deuxième. En appliquant des sacrements comme des instruments mus par Dieu, et élevés pour  faire une action surnaturelle. Selon la première façon, nous disons en toute vérité, que l’homme ne justifie pas, mais fait seulement laver le corps, et c’est dans ce sens que parle saint Augustin. Selon l’autre façon, on dit, en toute vérité, que l’homme justifie, mais pas  par une autre action que  celle dont se sert Dieu pour justifier.  Et c’est dans ce sens qu’il faut comprendre ce que dit saint Jérôme (chapitre 1V d’Isaïe) : « L’homme fournit l’eau, Dieu le Saint-Esprit. »
Au second texte, je dis que ces choses peuvent être séparées.  Non pas parce que le sacrement sensible soit une cause de la grâce invisible, mais parce que son effet peut être empêché par un obstacle ou une indisposition du sujet;  et aussi parce que Dieu peut, sans sacrement, donner quand même sa grâce.   Quatrièmement.  Il a coutume de citer un autre texte de saint Augustin (livre 15, chapitre 26 sir la trinité), où il dit que Dieu seul peut donner l’Esprit Saint; et que, pour cette raison, les apôtres n’ont pas donné l’Esprit-Saint quand ils imposaient les mains,  mais qu’ils n’ont que prié pour qu’il descende.
Je réponds qu’autres sont les dons du Saint-Esprit, et autre le Saint-Esprit.  Les dons du Saint-Esprit les sacrements les donnent.  Mais le Saint-Esprit ne peut être formellement donné que par celui de qui il procède, Mais, instrumentalement, il est donné par les hommes.   Car, aux Actes V111, nous lisons que, par les mains des apôtres le Saint-Esprit était donné.  C’est exactement ce qu’admet saint Augustin.  Cinquièmement. Ils citent d’autres paroles de saint Augustin contre Faust (livre 19, chapitre 16) : « Que sont les sacrements corporels, si ce n’est quelques paroles visibles. »  On peut déduire de cette phrase que les sacrements ne justifient pas, si ce n’est à la façon d’une prédication ou d’une peinture qui n’agit qu’en représentant.
Je réponds que, dans ce texte, saint Augustin indique un effet du sacrement, c’est-à-dire la signification.  Mais, il ne faut pas, pour cela, nier les autres effets qu’il a décrits souvent ailleurs.  Pourquoi, dans ce passage, n’est-il question que de la signification ?  La raison en est qu’il disputait des sacrements en général, c’est-à-dire, des sacrements de l’un et l’autre testament..  Il a donc du mettre l’accent sur l’effet qui est commun à tous les sacrements.
Et pourquoi a-t-il appelé les sacrements des paroles visibles ? C’est parce qu’il disputait contre les Manichéens, qui réprouvaient le changement des anciens sacrements dans les nouveaux. Il disait qu’il avait été nécessaire de changer les paroles après l’avènement du Christ. Car, comme les anciens disaient : le Christ viendra, mourra, ressuscitera, nous devons, nous dire : il est venu, il est mort, il est ressuscité.  C’est pour cela qu’il dit que les sacrements doivent être changés pour ne pas signifier quelque chose de faux.  Et pour montrer la similitude entre les deux testaments, il dit : « Que sont les sacrements (quelle est leur signification) si ce n’est des paroles visibles ? »
Sixièmement.  Kemnitiius présente un autre texte de saint Augustin, tiré de la cité de Dieu (livre 21, chapitre 25), où saint Augustin blâme ceux qui croyaient que ne pouvaient pas être damnés ceux qui ont reçu le sacrement du baptême et de la cène du Seigneur, sans avoir la foi, et sans mener une bonne vie.  Je réponds que saint Augustin a raison de blâmer ceux qui non seulement croyaient que les sacrements opèrent par l’œuvre opérée, mais qui pensaient qu’on ne peut pas, par des péchés ultérieurs,  perdre la grâce, et le salut une fois reçu dans le sacrement.
 Mais cette sentence n’est pas la nôtre, mais celle de Martin Luther qui, (dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre sur le baptême), dit : « Tu vois à quel point est riche le chrétien, ou le baptisé,  lui qui, même s’il le voulait, ne peut pas perdre son salut, quelle que soit la quantité de ses péchés,  à moins qu’il ne veuille plus croire ? »
Septièmement.  Il a coutume de citer saint Bernard, qui dans son sermon sur la cène du Seigneur, a dit : « Comme un chanoine est investi par un livre, l’abbé par un bâton, l’évêque par un anneau, ainsi diverses grâces sont données par différents sacrements ».   Je réponds que saint Bernard ne compare pas les sacrements avec un livre, un bâton ou un anneau, par rapport à l’efficacité des sacrements,  mais par rapport à leur diversité.  Car, il enseigne, au même endroit, que les sacrements confèrent la grâce, comme nous l’avons cité plus haut.  Finalement, il cite Tertullien qui, dans son livre sur la pénitence, appelle le baptême le gage de la foi.  Comme le dit aussi saint Basile (livre 111, contre Eunomius, et livre sur le Saint-Esprit, chapitre 12.)
Mais nous avons déjà répondu à tout cela au chapitre 17, quand nous avons montré que le baptême est appelé sceau de la foi, non parce qu’il excite la foi, mais parce que, par le baptême, est testé celui qui est baptisé, pour savoir s’il croit;  et aussi parce que l’Église qui baptise lui donne une attestation publique de sa foi.    Mais, bien que les pères aient vraiment attribué cela au baptême, ils ne niaient pas, pour autant, d’autres effets plus importants, mais ils en parlaient souvent, comme je l’ai déjà montré.
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                                           CHAPITRE 11
                      On répond aux objections tirées de la raison
La première vient de Luther (Babylone, chapitre sur le baptême), et de Philippe (dans son apologie, art 13).  La voici.  Dans tout sacrement, est requise une parole de promesse. Et là où il y a promesse, là est exigée nécessairement  la foi qui  accepte la promesse.  C’est donc la foi qui opère immédiatement et qui justifie.  Luther confirme cela en disant que beaucoup sont sauvés sans le sacrement, comme ceux qui n’ont personne pour les baptiser; et que, à l’inverse, beaucoup sont condamnés parce  qu’ils reçoivent  les sacrements sans avoir la foi.
Je réponds que, comme nous le voyons souvent chez les adversaires,  cet argument pèche de trois façons.  La première.  La parole de la promesse est requise dans l’institution du sacrement, mais elle n’est pas requise dans l’opération lui-même du sacrement.  Rien n’est plus évident.   Car, ceux qui baptisent ne disent pas : celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, ce qui est la promesse.  Mais, ils disent ; je te baptise etc…  Et ceux qui consacrent l’eucharistie ne disent pas : « Celui qui mangera ce pain vivra éternellement », mais : « Ceci est mon corps. »  Et ceux qui absolvent les péchés ne disent pas : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez », mais : je t’absous de tous tes péchés.
Or, ici nous parlons de l’emploi du sacrement, non de l’institution. Car, nous parlons de l’effet du sacrement.  En effet, le sacrement opère quand nous l’utilisons.  Voilà pourquoi cet argument est hors de propos, et  est en porte à faux.
La deuxième. Même si quand nous utilisons le sacrement, la promesse est toujours requise, et donc la foi, on ne peut pas en conclure que c’est la foi qui justifie immédiatement.  Nous dirons donc que la foi est requise comme condition,  et comme ce qui applique le sacrement à l’homme.  Exemple.  Le médecin offre un remède et promet la santé.  Mais, dans le malade est requise la foi qui prend au sérieux la promesse, et donne son assentiment au médecin.   Ce n’est cependant pas la foi qui guérit le malade,  mais  le médicament,  même s’il est reçu sans faire confiance au médecin.  De la même manière donc…
La troisième. Même si la promesse était requise, et même si c’était la foi qui justifiait dans le sacrement, on ne pourrait quand même pas conclure, comme ils le font,  que la foi seule agit, et que le sacrement ne produit rien.  On conclurait tout au plus que l’un et l’autre sont nécessaires,  et que l’un ne suffit pas sans l’autre.
À la confirmation, je réponds que la foi et le sacrement peuvent paraître égaux dans cette chose.  Car, en cas de nécessité, quelqu’un peut se sauver sans le sacrement réellement reçu, pourvu qu’il en ait le désir, ainsi que la foi et la pénitence; et  au contraire, les petits sont sauvés par le seul sacrement, sans la foi actuelle. Et un adulte qui a le sacrement sans la foi est condamné; et est condamné également un adulte qui a la foi  et qui ne veut pas recevoir le sacrement.   Ces différents cas nous font comprendre que l’un et l’autre sont requis, quand on peut les avoir, et que l’un et l’autre justifient, mais différemment.  Car, le sacrement justifie activement  en tant qu’instrument de Dieu;  et la foi et le pouvoir justifient  en tant que dispositions, et selon certains, en tant que causes méritoires de convenance.  Car, comme nous l’avons dit plus haut, ce n’est pas la même grâce qui est donnée par la vertu du sacrement, et qui est donnée sans le sacrement. en vertu de la disposition ou du mérite de convenance de la foi et de la pénitence.
Le deuxième argument vient de Zwingli (dans son livre sur la vraie et la fausse religion, au chapitre des sacrements).  Seul Dieu connait les cœurs des hommes. Lui seul peut donc les purifier. Ce ne sont donc pas les sacrements qui purifient.  Et il  confirme ainsi son syllogisme.   Si les sacrements justifiaient par l’œuvre opérée, les sacrements imposeraient une obligation à Dieu : il ne pourrait pas, en effet, ne pas justifier celui que le sacrement justifie.
Je réponds que l’argument  prouve seulement que le sacrement n’est pas la cause principale.  Il ne prouve pas qu’il ne soit pas une cause instrumentale.  Car, il n’est pas nécessaire que le sacrement connaisse les cœurs ou les consciences, mais il suffit que Dieu les connaisse, lui qui agit par le sacrement.   Je réponds à la confirmation que Dieu n’est pas lié par les sacrements mais que, au contraire, ce sont les sacrements qui  sont liés par Dieu.  Car, Dieu peut justifier sans les sacrements; et les sacrements ne peuvent pas justifier sans Dieu.  Dieu, il est vrai, ne peut  pas ne pas justifier celui qui reçoit les sacrements avec piété et foi.   Mais cela ne signifie pas qu’il est lié par les sacrements, mais (s’il est permis de parler ainsi) qu’il est lié par sa vérité,  puisqu’il ne peut pas ne pas être fidèle à ses promesses.
      Ajoutons que si ces arguments prouvaient quelque chose, ils prouveraient que les hommes ne peuvent pas être sauvés non plus par le sang du Christ  ou par la foi dans le Christ.  Car, le sang du Christ ne scrute pas les cœurs, ne pénètre pas plus dans l’âme que les sacrements.  Et s’il parait absurde à nos adversaires que Dieu  soit lié, d’une certaine manière, aux sacrements, Ils devraient aussi trouver absurde qu’il soit lié par le sang du Christ, ou par notre foi.  Et pourtant nos adversaires ne disent rien plus souvent que nous sommes justifiés par le sang du Christ et par la foi en lui.
La troisième vient de Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 14).  Ceux qui disent que les sacrements justifient soustraient les hommes à Dieu, et leur font trouver la paix de l’âme dans le spectacle d’une chose corporelle.  Non en Dieu.
Je réponds d’abord que si cet argument valait quelque chose, il prouverait que, dans l’ancien testament, Dieu n’aurait pas du présenter un serpent d’airain, qu’on n’avait qu’à regarder pour être guéri. Je dirais même que Dieu n’aurait pas du s’incarner, de peur que les hommes ne trouvent la paix et le repos dans la contemplation d’une chose corporelle.  Je réponds, ensuite, que, d’après notre doctrine, c’est le contraire qui s’ensuit.  Car, nous disons que les sacrements n’ont pas de vertu par eux-mêmes, mais que c’est Dieu qui opère par eux.  Et, en parlant ainsi, nous tournons les âmes vers Dieu.  Comme ceux qui étaient guéris par le Christ en touchant la frange de son vêtement,  par un crachat ou par de la boue, n’étaient pas pacifiés par le vêtement, par le crachat, ou par la boue, mais par la vertu du Christ qu’ils reconnaissaient et louaient.
La quatrième est de Kemnitius (par 2 de l’examen, dans le chapitre sur l’efficacité du sacrement.)  La parole de Dieu et les sacrements justifient de la même manière.  Or, la parole justifie seulement en excitant la foi.  Les sacrements non plus ne justifient qu’en excitant la foi.  Il prouve la majeure en déclarant que l’Écriture qui enseigne que les sacrements justifient enseigne aussi que la parole justifie.  Romains 1 : « L’évangile est une vertu de Dieu pour le salut de tout croyant. »  Il le prouve aussi  en déclarant que dans la justification par les sacrements,  il y a deux choses qui concourent, comme la main droite et la main gauche. L’une est Dieu qui offre la grâce, l’autre est l’homme qui l’accepte. La main de Dieu est la parole et le sacrement, et la main de l’homme est la foi.  Donc, ni la parole ni la foi ne sont de profit à moins d’être acceptées par la foi.  Et s’il y a un profit, c’est uniquement parce que le sacrement est accepté par la foi.  Hébreux 1V : « Sans la foi, la seule audition d’un sermon ne leur est d’aucune utilité. »
Je réponds qu’il est faux que la parole et le sacrement justifient de la même façon.  Comme je l’ai expliqué plus haut, leur justification est si différente que la parole précède la foi, et le sacrement suit la foi.  À la première preuve je réponds que, dans ce passage, on entend par le mot évangile non un sermon mais les mystères de l’évangile, comme l’incarnation, la passion, les sacrements etc.  Je réponds ensuite  que si, par évangile, on endentait la prédication, je dis que, au même endroit, il explique comment l’évangile sauve.   Car, l’apôtre ajoute : « Car la justice de Dieu est révélée en lui par la foi dans la foi. »  Or, l’Écriture n’a jamais expliqué comment les sacrements sauvaient.
Je dis, troisièmement, que l’Écriture attribue un pouvoir de justification et à la parole et au sacrement.  Mais elle n’a jamais dit qu’ils justifient de la même manière.   Et du fait que nous  lisons que la parole et le sacrement justifient, il n’est pas permis de conclure immédiatement qu’ils justifient de la même manière.  Autrement, il faudrait aussi conclure  que justifient tous de la même manière :  et la parole par laquelle Dieu justifie, et la foi  ou la passion du Christ.   Car l’Écriture enseigne que toutes ces choses justifient. Et, cependant, Kemnitius n’admettrait pas qu’elles justifient toutes de la même façon
Je réponds à la deuxième, qu’on peut dire que la parole et le sacrement sont la main de Dieu par laquelle nous viennent la grâce et la justice.  Mais pas de la même façon.  Car, la main peut avoir plusieurs emplois.  On peut dire que la parole est une main, parce qu’elle offre le salut, non parce qu’elle l’opère réellement ou parce qu’elle l’applique.  Le sacrement, à l’inverse, est dit une main parce qu’il applique réellement le mérite du Christ, et produit la grâce.  Il y a un signe évident de cette différence : la parole n’est prêchée qu’à ceux qui ont l’intelligence; et elle n’a de profit que si elle est comprise et crue.  Or, le sacrement (le baptême) est présenté et il produit son effet même chez ceux qui ne comprennent pas, chez les enfants et les fous.
Pour une raison semblable, on peut dire que la foi est notre main, non (comme le voudrait Kemnitius,) parce qu’elle reçoit la promesse, et est la seule à justifier de cette façon,  mais parce qu’elle enlève les obstacles, et dispose l’âme, là où cette disposition est nécessaire.  Autrement, non seulement le baptême ne serait d’aucun profit pour les enfants et les fous,  mais il ne serait de profit même pas pour les adultes et les sains d’esprit, si au moment même du baptême, ils pensaient à toute autre chose.  Car, alors la foi ne saisirait pas les promesses.
Le dernier argument de Zwingli est le suivant.  Il ne peut pas arriver que les sacrements, qui sont des choses matérielles,  pénètrent jusqu’à  l’âme.  Ils ne purgent donc pas les saletés du péché qui résident dans l’âme.  On peut confirmer ainsi cet argument.   Si les sacrements pouvaient, en quelque façon,  agir dans l’âme, cela devrait se faire par une action qu’ils font dans les corps, comme le dit saint Augustin au sujet de l’eau qui touche le corps et purifie le cœur.  Or, bien souvent, les sacrements n’atteignent même pas le corps. Car, quand quelqu’un est absous de ses péchés, il n’est pas nécessaire que le son des paroles ou que les mains du prêtre parviennent jusqu’au pénitent.
Pour une raison semblable, le mariage peut se faire seulement par des signes de tête, ou entre des absents.  Il n’est donc pas nécessaire que les paroles de la consécration  se rendent jusqu’au pain afin de le consacrer.  Car, ces paroles peuvent être dites à voix basse, et à une  distance telle que l’écho des paroles ne parvienne pas au pain.   Et pour finir, on peut dire la même chose du baptême, car la vertu doit être dans les paroles.
Deuxièmement. La justification est une œuvre plus noble et plus difficile que la création du monde, comme l’enseigne saint Augustin ( au traité 72 sur saint Jean.  Cela est facile à comprendre, car  dans la justification on détecte la création de la grâce, qui est une chose divine, et surnaturelle.  Or, aucune créature ne peut être un instrument de création, comme l’enseigne saint Thomas (1 par quest  XLV, art 5).
Troisièmement.  La justification est instantanée.  Les sacrements ne peuvent pas agir dans l’instant.  Ils ne peuvent donc pas justifier. On prouve la mineure.  Une cause ne peut opérer que quand elle existe.  Or, comme l’action sacramentelle est successive, elle ne peut pas être instantanée.  J’explique.   Les choses successives n’ont d’être que dans le devenir, elles consistent dans un flux.  Voilà pourquoi à une chose successive, on ne peut assigner aucun instant, ou même une partie d’un instant,  si ce n’est qu’en tant qu’elle est une chose continue indivisible.   Cette chose qui continue toujours ce n’est pas la chose successive, ni une partie d’elle, car les choses successives requièrent essentiellement une certaine extension.   On ne peut donc pas penser qu’une chose successive agisse, si ce n’est successivement, et donc dans le temps.  Et comme elle n’est jamais dans aucun instant, elle ne peut pas être ce qu’elle n’est pas,  ni agir quand elle n’est pas.
Quatrièmement.  Dans le sacrement, il y a ou il n’y a pas une vertu surajoutée divinement.  S’il n’y en a pas, ils ne peuvent pas produire un effet surnaturel.  Car il est incompréhensible  que, demeurant ce qu’elle était auparavant sans rien recevoir, elle puisse faire quand même ce qu’elle ne pouvait pas faire avant.  S’il y a une vertu  surajoutée, cette vertu est corporelle ou spirituelle.    Si elle est corporelle, elle ne peut ni produire un effet spirituel, ni agir sur une chose spirituelle.  Elle n’est donc d’aucun profit.  Car la raison pour laquelle est requise une vertu spirituelle  c’est parce qu’un sacrement ne peut pas agir sur l’âme, qui est un esprit, et ne peut pas, non plus, produire une grâce spirituelle.   Or, si la vertu est spirituelle, elle ne pourra pas demeurer dans un sacrement corporel.   Car, un accident spirituel et indivisible ne peut pas être reçu dans un sujet corporel et constitué de plusieurs parties.  Car, tout ce qui est reçu est reçu selon le mode de celui qui le reçoit.
Cinquièmement.   Cette vertu serait soit dans chaque partie du sacrement, soit  une de ses parties dans une partie du sacrement, et une partie dans une autre.  Pas la première hypothèse, car  il s’ensuivrait alors qu’elle ne dépend pas d’un sujet dans l’être, et qu’on ne comprendrait pas très bien pourquoi elle serait une substance et non un accident.  De même, dès qu’un mot est prononcé, l’effet serait immédiatement produit, ce que personne ne concède.  Ce n’est pas parce que, étant corporelle, après l’émission d’un mot périrait une partie,  et qu’ainsi cette vertu ou en entier ou en grande partie périrait avant que l’effet ne commence à se produire.  Car, cette vertu serait superflue ou inutile dans les parties du sacrement qui produisent un effet.
Sixièmement.   Cette vertu est seulement dans les mots,  ou dans l’élément seulement, ou dans les deux.  Si elle est seulement dans les mots, comment la réception de l’eucharistie justifie-t-elle ?   Si elle est seulement dans les éléments, comment les paroles de consécration de l’eucharistie opèrent-elles ?  Si elle est dans les deux, ou il y aura une seule vertu, et cela est impossible puisqu’un accident ne peut pas être dans deux sujets;  ou il y aura deux vertus, et il y aura alors deux vertus dans un sacrement, ce qui semble absurde.   Si tu dis : ce sera deux parties partielles, on te répondra que ça ne se peut pas, parce qu’elles devraient concourir en même temps  à l’œuvre.  Or, il arrive qu’une partie du sacrement prenne plus de temps qu’une autre,  comme quand quelqu’un se confesse un jour et est absout un autre jour.  On ne peut donc pas comprendre (comme le dit Kemnitius) ce qu’est cette vertu, quand elle advient, et quand elle cesse.
À ces arguments, on peut répondre de trois façons. La première.  Avouer son ignorance tout en satisfaisant les hérétiques, et en même temps,  en leur fermant la bouche.  Car, nous sommes tenus de rendre raison de l’objet de notre espérance (1 Pierre 111),  mais nous sommes tenus à le faire cela avec des principes de foi, non de métaphysique.  Car, saint Augustin (livre 3) dit au sujet des mérites des pécheurs…chapitre 4 : il dit en parlant des arguments contre le mode de transmission du péché originel : « Même si je n’étais pas capable de réfuter ces arguments, je comprends quand même que je dois m’en tenir aux divines lettres. »
  Et, (dans l’épitre 29 à saint Jérôme),  il dit que quand on lui demandait comment le péché d’Adam se propageait dans ses descendants,  il avait coutume de répondre : « J’avoue que j’ignore cela, comme j’ignore beaucoup d’autres choses. »   Et cependant, il n’a pas, à cause de cela, fait défaut à la défense de la foi.  Au contraire, il la défendait âprement, montrant qu’il fallait croire que le péché original se propageait dans les enfants, même si nous en ignorons le mode, parce que c’est ce que l’Écriture enseigne, ainsi que la tradition et l’usage de l’Église.
Quelqu’un pourrait répondre aussi que les sacrements sont de vraies causes de la justification, mais morales, non physiques.  Comme est la vraie cause d’un homicide celui qui ordonne qu’il soit fait, même s’il ne touche même pas du doigt à l’homme assassiné.   Cette réponse peut être défendue en conservant la foi, (comme le font Ledesmius et Cano, et comme semblent le penser des anciens scolastiques comme saint Bonaventure, Scot, Durand, Richard, Okam, Marsile, et Gabriel.)
 Tous ces docteurs, en effet, enseignent que les sacrements justifient vraiment,  et cependant ils veulent que ce soit Dieu seul qui produise la grâce en présence des sacrements, de façon à ce que les sacrements ne soient pas des causes physiques.
Mais je pense qu’est de loin plus probable et plus sure la sentence qui donne aux sacrements une vraie efficacité.  Parce que les pères enseignent souvent  que les sacrements n’agissent pas avant d’avoir reçu de Dieu la vertu, la bénédiction ou la sanctification.   Et ils réfèrent l’effet du sacrement à la toute-puissance divine. Et ils le comparent avec de vraies causes efficientes, comme nous avons vu plus haut.  Deuxièmement.   Parce qu’il n’y aurait pas de différente entre le mode d’agir des sacrements et des signes magiques.  Troisièmement.  Car, l’homme ne serait pas, dans l’action même du sacrement, un ministre de Dieu.  Mais, par une action, l’homme présenterait un signe, et, à la vue de ce signe,  Dieu,  par une autre action, infuserait sa grâce, comme quand l’un montre la facture à un marchand, et un autre la paye.  Or, les Écritures enseignent que c’est Dieu qui baptise par l’homme, comme nous l’avons déjà dit.
Troisièmement.  On peut répondre, avec saint Thomas, (3 quest LX11, art 4) que les sacrements sont des causes efficientes, même physiques,  mais instrumentales; et que la vertu qui leur est divinement répartie n’est pas une qualité neuve spirituelle inhérente, ou corporelle, mais seulement un mouvement ou un sage de Dieu.  Car, par le fait que Dieu se sert de cette action sacramentelle pour produire une grâce, il l’élève et la fait atteindre un effet surnaturel qu’elle ne pourrait pas atteindre si elle était mue par quiconque d’autre.
Pour bien comprendre cela, il faut noter quatre choses.  La première. Il y a une grande différence entre les instruments dont se sert Dieu, et dans ceux dont se servent les hommes. Il y a, pour tout dire, cinq différences.   La première. L’homme a besoin d’une double application, une qu’il s’applique par un instrument, comme quand il tient une hache dans sa main.  Le premier mouvement est dans l’homme,  le dernier dans l’instrument.  Or, Dieu n’a pas besoin de la première application, et  il est très présent à toutes choses.  Voilà pourquoi le mouvement par lequel Dieu meut les sacrements est seulement une application du sacrement à l’œuvre.  Il est dans le sacrement, et non en Dieu.
La deuxième. L’homme a besoin d’un instrument qui soit naturellement apte à telle œuvre.  Il ne pourrait pas fendre du bois avec une égoïne, à moins qu’elle soit en fer et bien effilée.  Mais Dieu n’a pas besoin de la capacité d’un instrument, puisqu’il serait capable de tout faire seul.  Il se sert d’un instrument parce qu’il lui plait d’honorer ainsi la créature,  et de montrer en lui sa puissance.  Comme si quelqu’un voulait, à dessein, voulait se servir d’une plume peu idoine.  Il s’ensuit donc qu’il n’est pas nécessaire de mettre dans le sacrement une qualité inhérente qui le  perfectionne formellement.  Il suffit que Dieu veuille se servir de ce sacrement, car il n’a pas besoin d’un instrument possédant toutes les qualités requises.
La troisième.  Quand l’homme se sert d’un instrument,  il est nécessaire que, en plus du mouvement de cet homme qui meut l’instrument, l’instrument lui-même concoure par sa vertu naturelle, et opère ce qui lui est propre.  Exemple.   Quand un ébéniste se sert d’une hache pour faire une chaise,  il ne suffit pas qu’il sache comment frapper, mais il faut aussi que la hache soit bien aiguisée.  Or, quand Dieu se sert d’un instrument, il n’est pas nécessaire que cet instrument opère quelque chose dans le sujet par sa vertu naturelle.  Et s’il opère quelque chose, cette opération n’est pas la cause de l’effet divin,  en tant qu’opération, mais seulement en tant que chose dont Dieu a voulu se servir pour produire tel effet.
Ce qui nous permet de comprendre que dans l’utilisation de plusieurs sacrements, n’est requise aucune action qui leur soit propre et naturelle, comme on le voit dans l’absolution, le mariage et la consécration de l’eucharistie.  Dans certains sacrements, est requise une action appropriée, comme le lavement ou l’onction, comme nous l’avons déjà dit, cette action naturelle n’étant pas une cause, mais, une certaine chose.
Il s’ensuit que la motion ou l’utilisation que Dieu fait du sacrement n’est pas seulement la vertu de l’agent empreinte dans l’instrument,  mais la totalité de la vertu par laquelle il agit.  Car, ce qui est dans le tranchant d’une hache et la vertu de l’agent imprimée en elle, tout cela, dans les sacrements, n’est que la motion de Dieu.
La cinquième différence découle de ce que nous venons de dire.  L’homme ne peut pas se sertir d’un instrument sans toucher la chose dans laquelle l’effet est produit. Car l’instrument doit produire sur le sujet  son action propre et corporelle, puisque l’action corporelle ne se fait pas sans contact.  Or, Dieu peut, par ce qui est dans un lieu,  agir sur une chose qui est dans un autre lieu très éloigné.
Il faut noter, en second lieu, que tous concèdent que Dieu peut se servir de n’importe lequel instrument, même les plus ineptes, pourvu qu’il les rende lui-même aptes à ce qu’il veut leur faire faire.  Mais même cela n’est pas nécessaire.   Car, Dieu peut avec un instrument inepte et qui demeure tel, effectuer ce qu’il veut.  Comme peut un excellent copiste se servir si dextrement d’une mauvaise plume qu’il parvienne, avec elle,  à former de magnifiques  lettres.  Nous en avons un exemple dans saint Jean V, où quand l’ange descendait, et quand l’eau bougeait,  toutes les maladies, par cette eau, étaient guéries.  Ce qui  fut une figure du baptême, conne nous l’avons dit plus haut.
Voilà pourquoi, en imitant cette façon de parler, les pères ont souvent dit que les sacrements n’opéraient que quand  descendait en eux l’Esprit saint.  Voir Tertullien (dans son livre sur le baptême), saint Ambroise (livre 1, chapitre 7 sur l’Esprit Saint),  saint Jean Chrysostome (Jean chapitre 5),  et, au même endroit, Theophylactus  et Theophile d’Alexandrie (livre 1 sur Pâques).  Pour une raison semblable, quand Dieu voulut conserver le monde par la prédication de l’évangile, il pouvait choisir des hommes éloquents, ou rendre éloquents des hommes frustres.  Mais il n’a pas voulu choisir cette façon de faire.  Il préféra choisir des hommes frustres qui parlaient simplement et sans art,  et c’est par eux qu’il a converti le monde.
Troisièmement, il faut noter que la vertu des sacrements est parfois dans l’élément,  parfois dans la parole, et parfois dans l’un et l’autre.   Car, l’action sacramentelle est proprement une action du ministre qui donne le sacrement, et non l’action de celui qui le reçoit, la réception du sacrement étant notre œuvre propre.  Or, le sacrement n’est pas notre œuvre propre, mais celle de Dieu.  L’action du ministre est  celle dont Dieu se sert comme d’un instrument en vue de la justification.  Quand donc un ministre se sert d’éléments et de paroles, comme dans le baptême, la confirmation et l’extrême onction,  c’est alors que Dieu se sert aussi des éléments et des choses;  et la vertu de Dieu est dans les éléments et dans les paroles.
  Et il faut que ces deux choses concourent en même temps, autrement, rien ne se ferait.   Quand  un ministre ne sert que de paroles, la matière du sacrement se trouve dans le récipiendaire.  Alors la vertu n’est que dans les paroles  C’est ce qui se passe dans les sacrements d’absolution, de mariage, et de consécration de l’eucharistie.  Car le ministre n’emploie pas les péchés du pénitent pour les effacer, ni du pain pour consacrer quelque chose, mais des paroles pour consacrer le pain.
Et voilà pourquoi il ne répugne pas au sacrement de pénitence qu’on dise les péchés un jour  et que le pénitent soit absous un autre jour.  Car, la vertu opérative n’est pas dans les péchés, mais dans l’absolution.  Dans la consécration de l’eucharistie est requis, cependant, le pain, non parce que la vertu opératoire serait dans le pain, mais parce que si le pain n’était  pas  présent il n’y aurait pas de matière sur laquelle le sacrement agirait.  Or, dans l’absolution, même s’il n’y a pas de confession, il y a cependant un homme sur lequel tombe l’absolution.  Il arrive aussi que, parfois, le ministre n’utilise qu’un seul élément,  comme quand il offre l’eucharistie, et, alors, la vertu n’est que dans un seul élément.
Quatrièmement.  Il faut noter que la grâce justifiante n’est pas proprement créée, ni tirée du pouvoir naturel de l’âme, mais est induite de la puissance obédientielle.   Voilà pourquoi saint Thomas ne se contredit pas quand il dit qu’une créature ne peut pas concourir instrumentalement à la création,  et que les sacrements concourent, quand même, à la production de la grâce dans l’âme.  Je m’explique.   Ce qu’on appelle être créé au sens propre, c’est ce qui se fait indépendamment du sujet.  On dit qu’est tiré de,   ce qui dépend du sujet dans le devenir, dans l’être, et dans l’agir.  On peut donc dire que l’âme rationnelle est vraiment créée, même si cela se fait dans le corps, car cela ne dépend en aucune façon du corps.  En effet, , il est évident que l’âme peut être séparée du corps, et opérer quand  même; et qu’elle a d’abord été une nature qui subsiste par elle-même, avant d’avoir été infusée dans le corps.
Et la grâce  est une qualité spirituelle, qui dépend de toutes les façons du sujet, et c’est pour cela qu’elle en est tirée.  Mais elle n’en émane pas comme d’une puissance naturelle, parce que, dans l’homme, un tel pouvoir n’existe pas.  Autrement, la grâce serait une chose naturelle.  Il importe assez  peu, ici, que la grâce ne puisse provenir que de Dieu, car même l’âme ne peut être créée que par Dieu, et est, quand même, une chose naturelle.    La grâce ne donne donc pas  à l’homme un être naturel,  mais surnaturel.
Il y a, toutefois, dans l’homme, une capacité naturelle à la grâce,   car il convient naturellement à l’homme de recevoir la grâce, comme l’enseigne saint Augustin (au chapitre 5 de la prédestination des saints),  et on peut appeler cette capacité une capacité obédientielle, car même si elle ne peut pas naturellement concourir activement ou passivement à la production de la grâce, elle est d’une nature telle qu’elle peut devenir tout ce que Dieu voudra qu’elle devienne, et c’est ce qu’on appelle la puissance obédientielle.
Cette éduction de la grâce de la puissance obédientielle ne répugne ni à ce que disent les théologiens, ni à ce qu’enseigne le concile de Trente  qui (à la session 6, chapitre 7) décrète que la grâce est infusée.  Car, l’infusion s’oppose à l’acquisition, non à l’éduction.  Car, c’est ainsi qu’on distingue la science infuse de la science acquise.  Cela ne veut pas dire qu’aucune n’a été tirée de la puissance de l’intelligence, mais qu’une est acquise par un travail approprié,  et que l’autre est donnée par Dieu seul sans labeur.
Et si on raison d’appeler infuse la science des choses naturelles que Dieu avait donnée à Adam et à Salamon, sans effort de leur part, même si elle a été tirée d’une puissance naturelle,  à combien plus forte raison dit-on que  doit être infusée la grâce qui est donnée par Dieu seul,  et à laquelle la puissance naturelle ne correspond pas.
À partir de ces réflexions préliminaires, je réponds à l’argument de Zwingli en niant la conséquence.   Car, une chose corporelle peut agir dans l’âme non de par sa nature, mais par la vertu de Dieu.  Voilà pourquoi saint Augustin  (dans son traité 88 sur saint Jean) n’a pas craint de dire : « L’eau touche le corps  et purifie le cœur. »  Et le feu véritable et corporel peut tourmenter et torturer les âmes  et les démons.  Bien plus, nous expérimentons que nos âmes, qui sont pourtant des esprits, sont  affectées, d’une façon étonnante,  par les affections du corps. Nous expérimentons aussi comment nos corps retiennent nos âmes comme dans une prison.   Car l’âme ne peut pas, même s’il elle le voulait, se séparer du corps, bien que le corps ne soit qu’un corps, et que l’âme soit un esprit.
À la première confirmation, on a déjà répondu que n’a pas besoin de contact ce qui agit par son action propre et naturelle.   À la deuxième, je dis d’abord que la citation de saint Augustin est inopportune.  Car, quand saint Augustin dit que c’est une plus grande chose de justifier un impie que de créer le ciel et la terre, il ne veut pas dire que c’est plus difficile d’infuser l’habitus de la grâce dans l’âme que de créer le ciel.  Il veut plutôt dire (comme il l’explique lui-même au même endroit), que c’est une plus grande œuvre de miséricorde de justifier un impie que de créer la terre.  C’est aussi une œuvre plus noble, car le ciel et la terre passeront, mais le salut des élus ne passera pas.
Voilà pourquoi il dit, au même endroit, que les fidèles coopèrent avec Dieu dans leur justification, qu’ainsi, les fidèles concourent à une œuvre plus grande que la création du ciel et de la terre.  Deuxièmement.  Il n’est pas impossible à une créature de concourir, comme un pur instrument de Dieu, à la vraie création.    Saint Thomas, au lieu cité, nie cela de la créature qui concourt en disposant le sujet par sa propre action.  Troisièmement.  J’ai déjà prouvé que la grâce, au sens propre du terme, ne peut pas être créée.
À la troisième confirmation, on peut dire, que dans les choses successives, un dernier intrinsèque n’est pas donné; et que donc la justification  est donnée dans la dernière partie sensible, non dans la dernière, qui n’est rien.  Ou on doit dire que la justification se produit dans l’instant où finit l’action sacramentelle.  Car, même si l’action cesse négativement selon ses parties, c’est-à-dire, n’existe plus dans la première, elle cesse, cependant, affirmativement, c’est-à-dire par la dernière de son être, quant à son terme.    Car, comme dans une ligne on ne peut pas distinguer une dernière partie, mais on peut détecter le dernier point où se termine la ligne, il en est de même dans le temps et le mouvement.
Mais, disent-ils, alors, ce n’est pas une action sacramentelle.  Je réponds qu’elle l’est au plus haut point, de la façon dont une chose successive peut l’être.  Car, une chose qui existe dans la succession  n’est jamais  par toutes ses parties existantes dans la chose, mais elle a toujours quelque chose d’indivisible, qui est soit le commencement, soit la fin, soit ou la continuité d’une chose successive.  Et c’est par cela qu’on dit qu’elle existe.  Et on dit qu’elle existe parfaitement quand cet indivisible termine l’action.  Cela se manifeste dans le temps.  On ne dit qu’il est une heure que quand elle est révolue. Et également dans la parole. Elle signifie parfaitement quelque chose quand elle est arrivée à son terme.
Au sujet de la quatrième, j’ai déjà dit que cette vertu est corporelle, parce qu’elle est le mouvement d’une chose corporelle, même si on peut dire qu’elle est spirituelle en raison de sa cause et de son effet.  À la cinquième, je dis que cette vertu est en partie dans une partie du sacrement, et en partie dans une autre partie.  Elles ne sont pas pour autant superflues ou inutiles, car cette particule opère dans la vertu de toutes les précédentes.   Comme un discours signifie parfaitement quand la dernière parole a été prononcée, qui ne donnerait pourtant aucun sens si elle n’était pas précédée des autres.  Et la finition d’un mouvement est acquise  par la dernière mutation, qui, cependant, ne pourrait rien faire, si les autres ne l’étaient pas venues avant.
À la sixième j’ai déjà répondu que la vertu est tantôt dans les paroles, tantôt dans l’élément, et tantôt dans les deux.  Au dernier je dis  que cela leur semble une chose difficile parce  qu’ils s’imaginent qu’il faille insérer une qualité spirituelle dans une chose corporelle.  Mais ceux qui comprennent que ce genre de qualité n’est pas nécessaire n’éprouvent pas ce genre d’angoisses.
                                             CHAPITRE 12
On explique la controverse qui porte sur la différence  entre les sacrements de la loi ancienne et de la loi nouvelle.
Suit l’autre question sur l’effet des sacrements : est-ce que justifier par l’œuvre opérée (ou l’opération de l’œuvre)  est quelque chose qui est propre aux sacrements de la nouvelle loi, ou est commun aux sacrements des deux lois ?  Cette question comportera quatre parties.  La première.  La présentation de la sentence des hérétiques. La deuxième.  Celle des catholiques.   La troisième. Nous prouverons la vérité.  La quatrième. Nous résoudrons les objections.
La  première. Les catholiques et les hérétiques s’entendent pour enseigner qu’il y a au moins six différences entre les sacrements de la  loi ancienne et de la nouvelle.  La première. Que nous avons maintenant de nouveaux rites externes, qui sont différents de ceux qu’ils avaient.  La deuxième.  Que nos sacrements sont moins nombreux que les leurs.  La troisième. Que les nôtres sont plus faciles, comme il appert  de la circoncision et du baptême.   La quatrième.  Que les nôtres sont plus nobles en raison de leur auteur, parce qu’ils ont été institués et promulgués par le Christ, tandis que les anciens ont été promulgués par Moïse, s’ils n’ont pas été institués par lui. La cinquième.  Parce qu’ils ont été des figures des nôtres.  La sixième. Les sacrements de l’ancienne loi ont été donnés pour un temps, c’est-à-dire jusqu’à l’avènement du Messie, tandis que les nôtres dureront jusqu’à la fin du monde.  On tire toutes ces données de saint Augustin  (épitre 118 à Januarius,  livre 3 sur la doctrine chrétienne, chapitre 9,  et livre X1X contre Faust,  chapitre 13, sur le psaume LXXX111.
On se demande donc si, en plus de ces différences, la distinction la plus importante ne portait pas sur l’effet principal des sacrements, qui est la justification du pécheur.  Les hérétiques de notre temps ne voient, à ce sujet, entre les deux testaments, aucune différence, même s’ils ne sont pas tous d’accord entre eux.
 D’abord, les anabaptistes, les carolstadiens, et les zwingliens qui, (comme nous l’avons montré plus haut) n’attribuent  aux sacrements que de pouvoir discerner les fidèles des infidèles, ou d’être une sorte de profession de fidélité, ou une admonition de bonnes choses, sont forcés d’accorder plus de choses aux sacrements de l’ancienne loi qu’à ceux de la nouvelle .  Car la circoncision, qui demeure toujours et qu’on peut voir distinguait mieux les Juifs des Goïm que le baptême, qui n’est donné qu’une fois, ne distingue les chrétiens des non chrétiens.  Et, pour la même raison, la circoncision est un meilleur rappel que le baptême d’être fidèle et de faire des bonnes œuvres.
Luther, qui veut que les sacrements servent à exciter la foi, attribue la même chose aux sacrements de la loi ancienne.  Voilà pourquoi il dit (dans la captivité de Babylone, au chapitre sur le baptême) : « C’est une erreur d’enseigner que les sacrements de la loi nouvelle diffèrent de ceux de la loi ancienne par rapport à  l’efficacité de la signification, c’est-à-dire que les nôtres signifient efficacement  en opérant ce qu’ils figurent, mais pas les leurs. »   Et  il répète la même chose dans l’assertion de l’article 1.
Il est à noter que Luther distingue deux genres de signes anciens (dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre du baptême). Il dit  qu’il il y en avait quelques-uns qui avaient, annexée,  une parole de promesse, et qui exigeaient donc la foi, comme le signe de l’arc-en-ciel donné à Noé, le signe de la rosée sur la toison de Gédéon, le signe du recul du soleil donné par Isaïe au roi Ézéchias, et d’autres semblables.  Il déclare que ces signes ont été de vrais sacrements, et qu’ils sont égaux aux nôtres quant à l’efficacité.
Il y en a eu d’autres  qui n’avaient pas une promesse annexée, comme toutes ces cérémonies légales par lesquelles les hommes expiaient leurs péchés.  Il dit que ces cérémonies ne furent pas de vrais sacrements, et qu’elles sont de loin inférieures à nos sacrements.  Voilà pourquoi (dans l’homélie 1 sur le baptême, au début de la deuxième partie), il s’en prend aux anabaptistes qui n’attribuaient pas plus à notre baptême qu’aux lavements judaïques. Comme s’il attribuait beaucoup de choses au baptême lui qui n’a pas craint de le mettre sur un pied d’égalité avec l’arc-en-ciel.
De plus, cette distinction de Luther révèle une autre erreur, qu’on peut considérer comme un paradoxe, à savoir qu’il ne veut pas que soient des sacrements ceux qui, par tous les anciens, ont été vus comme des sacrements,  comme les lavements judaïques, l’agneau pascal,  les sacrifices et autres choses semblables; tandis qu’il veut que soient des sacrements ceux qui n’ont jamais été considérés comme tels, même pas en dormant,  par qui que ce soit, comme l’arc-en-ciel, la toison de Gédéon, l’ombre de l’horloge du roi, etc.
Calvin est du même avis que Luther. Il enseigne que les sacrements de l’ancienne loi justifient de la même manière que les nôtres, c’est-à-dire en nourrissant la foi.   Car (au livre 4, chapitre 14, verset 23).  Il écrit : « Ce dogme des scolastiques, qui établit une si grande différence entre les sacrements de l’ancienne loi et ceux de la nouvelle, comme si ceux de l’ancienne loi ne faisaient que recouvrir de leur ombre  la grâce de Dieu  que les sacrements de la loi nouvelle seraient les seuls à donner, ce dogme, dis-je,  doit être désapprouvé. »  Il dit des choses semblables (dans son antidote du concile de Trente, session 7, canon 2).
  Il diffère, cependant, de Luther sur deux choses.   La première. Il estime que les sacrements de la loi nouvelle donnent une grâce plus abondante que les sacrements de l’ancienne loi, car ils excitent la foi plus clairement. Et donc, une plus grande foi justifie davantage : « Nous ne nions pas, pour autant, que, dans le royaume du Christ, on reçoive plus abondamment la grâce. »
Luther, lui, mettait sur un pied d’égalité les anciens et les nouveaux sacrements.  Deuxièmement, comme nous l’avons déjà montré,  il ne veut pas que soient des sacrements égaux aux nôtres  toutes les cérémonies judaïques, mais seulement celles qui ont des promesses annexées.  Mais Calvin considère  toutes les cérémonies comme des sacrements qui confèrent la grâce, même si non aussi abondante que la nôtre.  Car, (dans son livre 4, chapitre 14, verset 21), il  fait entrer les purifications des Juifs parmi les sacrements. Et, au chapitre 26, il enseigne la même chose plus longuement.  Et bien que l’un et l’autre erre, Calvin enseigne de façon moins absurde que Luther.
                                       CHAPITRE 13
              On explique les sentences des catholiques
Quant au second, tous les catholiques conviennent que les sacrements de l’ancienne loi  ne conféraient pas la grâce par l’opération de l’œuvre (l’œuvre opérée). Car, c’est ce qu’enseignent tous les théologiens (1V, dist 1), et c’est ce qu’a défini le concile de Florence (dans son instruction aux Arméniens), ainsi que le concile de Trente, même si plus brièvement et plus obscurément, car (session 7, chapitre 2)  il n’était pas nécessaire qu’il définisse cette vérité.
On doit noter ici, que ces conciles n’ont pas défini (comme nous le reproche de façon mensongère et calomnieuse Kemnitius, dans 2 par examen, pages 58 et 59) que les anciens pères n’avaient pas la grâce de Dieu méritée par le Christ, ou qu’il l’ait eue sans aucun organe ou moyen capable d’appliquer les mérites du Christ.  Car, les conciles ne parlent pas de ces choses.  Ils affirment seulement que la différence qui existe entre nos sacrements et les leurs est que les nôtres confèrent la grâce que les leurs ne faisaient que signifier.
 Il ne s’ensuit pas pour autant que les anciens pères n’aient pas eu la grâce, ou qu’ils l’aient eue  par un instrument capable d’appliquer les mérites du Christ.  Car, même s’ils ne l’ont pas eue par les sacrements, cette grâce, ils l’ont eue tout de même par la foi, comme encore maintenant les adultes sont justifiés par la foi et la contrition, avant même qu’ils aient accès aux sacrements.
Or, même si les catholiques s’entendent entre eux sur ce principe,  et différent avec les hérétiques de notre temps,  il y a quand même, chez eux, deux questions,  dont je dirai quelques mots,  qui sont des opinions.  Cela, en effet, s’avère nécessaire pour donner une meilleure explication de la controverse en cours, et pour pouvoir mieux réfuter les calomnies des hérétiques.
 La première question porte sur les sacrements de l’ancienne loi, à l’exception de la circoncision : est-ce qu’ils justifiaient, au moins,  par l’œuvre de l’opérant ?  Le maître des sentences (4, dist, 1) le nie.  Il  dit, en effet,  que ces sacrements ne justifiaient pas, même s’ils étaient reçus dans la foi et la charité, car ils étaient donnés comme des fardeaux à porter, non pour justifier.
La deuxième sentence est commune aux théologiens.  Ils enseignent que ces sacrements justifiaient par l’œuvre de l’opérant, c’est-à-dire par la foi et la dévotion de celui qui les recevaient.  Et cette sentence est très vraie.  Car, véritable est la sentence de l’apôtre aux Romains 11 : « Ceux qui font la loi sont justifiés. »  Même si cette justification n’est pas proprement sacramentelle, mais est commune à toutes les bonnes œuvres qui se font dans la charité.  Elle n’est pas non plus la justification première, mais seconde.
Kemnitius  (2 par examen, page 58) vocifère que cette sentence milite directement, et de front, avec saint Paul qui, aux Romains 1V, enseigne expressément qu’Abraham n’a pas été justifié par les œuvres.  Cette objection provient d’une incompétence crasse.  Car, saint Paul parle des œuvres qui se font par les seules forces du libre arbitre, par lesquelles  forces nous nions, nous aussi, que quelqu’un soit justifié.  Quand les théologiens disent que les sacrements de l’ancienne loi justifiaient par l’œuvre de l’opérant, ils parlent d’une œuvre qui provient de la grâce de Dieu.  Car l’œuvre de l’opérant il l’appelle foi, charité, obéissance, qui sont toutes des dons de Dieu, puisqu’on ne peut pas les avoir sans une aide spéciale de Dieu.  C’est de ces œuvres dont parle saint Paul aux Romains 11 : « Ceux qui font la loi sont justifiés. »  Et saint Jacques (au chapitre 11) : « Abraham n’a-t-il pas été justifié par ses œuvres ? »
L’autre question porte sur la circoncision, qui n’est par proprement un sacrement de la loi de Moïse, mais de la loi naturelle.   Comme saint Jean dit, au chapitre V1 : « La circoncision ne vient pas de Moïse, mais des pères. »  Or, sur la circoncision, il  y a deux opinions.
 La première est celle d’Alexandre (par 4, question V11,  membre 7. Art 4),  de saint Bonaventure, de Scot, et de Gabriel (4, dist, 1) qui admettent que la circoncision  justifiait par l’œuvre opérée.  Mais plusieurs arguments militent contre cette sentence.   D’abord, quand l’Écriture dit que les sacrements étaient de purs éléments, loin d’exclure la circoncision, c’est plutôt d’elle qu’elle parle, comme nous le verrons plus loin.   Deuxièmement, les conciles de Florence et de Trente n’attribuent qu’à nos sacrements le pouvoir de justifier.
 Ne vaut pas non plus ce que disent certains à savoir que quand ces conciles nient que les sacrements de l’ancienne loi justifient, ils ne parlent que des sacrements mosaïques, c’est-à-dire qui ont été promulgués par Moïse, et non de la circoncision, qui est un sacrement de la loi naturelle donnée à Abraham et non à Moïse.  Cette restriction ne vaut rien, car ces conciles se proposaient d’expliquer l’excellence des sacrements de la nouvelle loi, laquelle n’est pas moins obscurcie si les sacrements de la naturelle sont égaux aux nôtres, que si on attribuait la chose aux sacrements de la loi écrite.
De plus, comme Dieu procédait pas à pas  dans la loi, il avait donné à l’état de nature une  loi plus imparfaite que dans celui de la loi écrite, et à l’état de la loi écrite une loi plus imparfaite que dans celui de l’Évangile.  Sans doute possible, il a procédé ainsi dans les sacrements.  En conséquence, si les sacrements de la loi mosaïque ne justifient pas, les sacrements de la loi naturelle justifient encore moins.
Mais il faut noter que cette première sentence ne favorise pas les hérétiques de notre siècle, même si un sacrement ancien quelconque  était égal aux nôtres.  Car, quand les hérétiques mettent sur un pied d’égalité les sacrements anciens et les nouveaux,  ils n’exaltent pas les anciens, mais abaissent et ravalent les nôtres.  Or, cette première sentence ne rabaisse pas nos sacrements, mais relèvent les anciens.
La deuxième sentence est celle de saint Thomas ( 3 par quest LXX, art 4) et des disciples de Saint Thomas, Capreolus, Sotus, Lesdemius, et d’autres (dans 1V dist 1 ou 2) qui enseignent que la circoncision ne justifiait pas, de par sa propre vertu, mais justifiait quand même en tant qu’elle était une profession de foi, et qu’elle mettait la foi en application. Ces auteurs veulent donc que les anciens aient été justifiés par le mérite de la passion du Christ, comme nous sommes justifiés, nous;  mais que ce mérite nous est appliqué par les sacrements, et aux Hébreux par la seule foi.  Laquelle foi requérait, comme condition sans laquelle elle ne pouvait rien opérer, le sacrement de circoncision.  Cette sentence, sans aucun doute, est plus probable, mais parce que nous ne nous sommes proposé que de défendre la foi contre les hérétiques, laissons cela, et passons au troisième chapitre.
                                         CHAPITRE 14
Il nous faut maintenant prouver la vérité.  Nous prouverons qu’aucun sacrement de la loi naturelle ou écrite ne justifiait par l’œuvre opérée (l’opération de l’œuvre),  ou selon la façon dont justifie le sacrement de la nouvelle loi.  Et cela, contre tous les hérétiques de ce temps, et aussi contre ceux qui attribuent à la circoncision la justification par l’œuvre opérée.
Le premier argument est tiré des divines lettres. Car, les prophètes et les apôtres enseignent à l’unanimité que les anciens sacrements ne justifiaient pas,  tandis qu’ils enseignent le contraire des nôtres.  Psaume XXX1X : « Je n’ai pas voulu de sacrifice et d’oblation…et je n’ai pas demandé d’holocauste pour les péchés. »  L’Écriture ne nie pas que Dieu ait voulu des sacrifices, puisque c’est lui-même qui les a commandés, mais il nie les avoir voulus pour l’expiation des péchés. »  Saint Paul L : « Si tu avais voulu un sacrifice (pour l’expiation du péché), je te l’aurais donné volontiers, mais tu ne désires pas d’holocauste. Le sacrifice pour Dieu est un esprit contrit. »  Dans ce texte, l’Écriture oppose le sacrifice à la contrition; et elle nie de l’un ce qu’elle affirme de l’autre.  Ce qu’elle ne ferait pas si l’un et l’autre concourraient à la justification.  Car, il ne serait pas permis de dire que Dieu ne veut pas le baptême, mais la contrition.
Le troisième texte. Isaïe 1 : « Qu’est pour moi la multitude de vos victimes ? Qui a demandé cela de vos mains ? »  Le quatrième.  Jérémie X1 : « Est-ce que les chairs saintes enlèveront de toi les méchancetés dans lesquelles tu te glorifies ? »  On parle là du sacrifice pour les péchés.  Et il est certain qu’on ne dirait pas du baptême : Est-ce que le  baptême enlèvera de toi tes malices ?      Le cinquième texte est d’Amos V : « Si vous m’offrez vos holocaustes et vos dons, je ne les accepterai pas, et je ne regarderai pas vos offrandes de graisse. »   Or, si les sacrifices ne justifiaient pas, les autres cérémonies justifiaient  encore moins, car aucune cérémonie n’a une promesse de rémission des péchés plus grande que ne l’ont les sacrifices.
On prouve la même chose avec les paroles de l’apôtre.  Romains 111 : « Qu’est-ce que le  Juif a de plus, ou quelle est l’utilité de la circoncision ?  Grande de toute façon.  D’abord, parce que c’est à eux qu’ont été confiées les paroles de Dieu. » Ce d’abord, (comme en témoignent aussi Calvin et Pierre le martyr dans leurs commentaires), n’est pas le premier mot d’une énumération,  comme si saint Paul voulait présenter un grand nombre d’utilités.  Mis il signifie surtout, principalement, car il ne décrit pas d’autres utilités.
Selon l’auteur Paul, les Juifs circoncis surpassaient les païens seulement parce qu’ils avaient la loi de Dieu et les oracles des prophètes.  Ce n’était donc pas la circoncision qui justifiait.   Car, autrement ils surpasseraient les païens aussi par la justice, ce que surtout saint Paul entend réfuter.   Voilà pourquoi il ajoute un peu après : « Eh bien !  Leur sommes-nous supérieurs ? Non pas.  Nous avons été blessés nous aussi. Les Juifs et les Grecs, nous sommes tous sous le péché. »
Dans ce texte, après avoir dit que les Juifs l’emportaient sur les Gentils par la circoncision, parce que les paroles de Dieu leur avaient été adressées,  Il nie quand même  que les Juifs soient supérieurs aux Gentils. Car  ils ne l’emportent pas par ce qui a trait à la justification, de quoi il était question.  Car, les circoncis comme les incirconcis sont tous pécheurs.  Par ces paroles, il enseigne clairement que la circoncision ne justifie pas.   Car, il ne veut pas dire que personne n’a été juste avant l’avènement du Christ, puisqu’il appert que les patriarches, les prophètes et beaucoup de Gentils ont été justes, comme Melchisédech, Job et d’autres.
  Mais il veut dire qu’ils n’ont pas été justes du fait qu’ils aient été circoncis ou incirconcis,  mais parce qu’ils croyaient dans le Messie futur.  L’apôtre ajoute au même endroit : « Par les œuvres de la loi,  aucune chair ne sera justifiée devant Dieu. »  Qui donc pourrait nier  que la circoncision ait été une œuvre de la loi ?  Au même endroit : « Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs ?  Ne l’est-il pas aussi des Gentils ?  Oui, des Gentils aussi.   Car, il n’y a qu’un seul Dieu qui justifie,  la circoncision par la foi, et le prépuce par la foi. »
C’est comme s’il disait : Dieu est le Dieu de tous. Comment donc est-il croyable que Dieu n’ait donné qu’aux Juifs un remède contre le péché ?  Nous pouvons, nous, à  partir de là, argumenter autrement.  Dieu est-il seulement le Dieu des hommes ?  Ne l’est-il pas aussi des femmes ?   Qui donc croira que Dieu n’ait donné un remède qu’aux seuls hommes ?
Le second texte vient de  Romains 1V, où l’apôtre prouve péremptoirement qu’Abraham n’a pas été justifié quand il était circoncis, mais quand il était encore incirconcis. Et il en déduisait que la circoncision n’avait pas été donnée pour qu’elle justifie.  Si donc le premier à qui elle a été donnée ne fut pas justifié par elle, combien moins les autres devaient-ils être justifiés par elle.  Le troisième texte, 1 Corinthiens V11 : « La circoncision n’est rien, l’incirconcision n’est rien. »   S’agissant de la justification, l’apôtre fait aussi peu de cas de la circoncision que de l’incirconcision.
Le quatrième texte : Galates 1V : « Comment pouvez-vous retourner à des éléments faibles et impuissants, que vous voulez de nouveau servir. »  Par le mot éléments, il entend la circoncision, dont il parle surtout dans cette épitre, et en même temps des autres cérémonies légales.  Et il ne dirait certes pas qu’elles sont faibles et impuissantes si elles pouvaient justifier.  Au même endroit il dit que les Juifs ont, comme des enfants, servi les éléments de ce monde, tandis que nous sommes, nous, parfaits.  Cette distinction ne serait certes pas vraie, si nos sacrements n’avaient pas une autre vertu que ceux des Juifs.
Le cinquième texte est de Galates V1 : « Ce n’est  ni la circoncision ni le prépuce qui vaut quelque chose, mais une nouvelle créature. »  On voit qu’il oppose ici la nouvelle créature aussi bien à la circoncision qu’au prépuce.  Ce qui serait tout à fait inepte si la circoncision avait le pouvoir de produire une nouvelle créature.   Le sixième texte est aux Philippiens 111 où Paul dit qu’il considère comme un détriment la justice qui vient de la loi, et cela, il le répète plusieurs fois.  Ce qu’il ne dirait certes pas s’il avait été justifié par une cérémonie légale quelconque.
  Voilà pourquoi, au même endroit, il parle de la circoncision  comme par moquerie.  Il dit, en effet :   « Voyez la concision. »  Or, comme l’explique saint Jean Chrysostome, est dit circoncis ce qui a été coupé dextrement en rejetant le superflu.  On dit qu’a été concis ce qui est coupé à la hâte, en une opération bâclée.  Au même endroit, l’apôtre dit ne pas avoir confiance dans la chair, et par confiance dans la chair il entend, comme il l’explique lui-même, confiance dans la circoncision, et autres choses du même genre.
Le septième passage : Colossiens 11, où tous les anciens sacrements sont appelés des ombres des sacrements futurs, le corps du Christ.  Or, si nos sacrements avaient la même vertu, nous serions encore dans l’ombre.  Il dit, au même endroit : « Vous avez été circoncis d’une circoncision  non faite avec la main, …mais de la circoncision du Christ, ensevelis avec lui dans le baptême. »   Saint Paul dit ici que la circoncision est faite avec la main, et donc que le baptême n’est pas fait avec la main, car le baptisant principal est le Christ.  Il n’accorde rien d’autre à la circoncision  que d’expulser de la chair, et il l’oppose au baptême.
Il est à noter que dans le texte grec  on a : dans l’expulsion du corps des péchés de la chair.  Il faut donc unir dans l’expulsion  avec vous avez été circoncis, et non avec circoncision faite de main d’homme, pour que le sens soit : vous avez été circoncis dans l’expulsion  des péchés de la chair,  non dans la circoncision faite de main d’homme, mais dans la circoncision spirituelle du Christ, avec qui vous avez été ensevelis dans le baptême.  De ce texte on tire un argument semblable, mais d’une autre façon.  Car, comme l’expliquent les Grecs (saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus)  Paul enseigne que la circoncision des Juifs a été  la dénudation d’une petite peau, tandis que la nôtre a été l’expulsion de tout le corps des péchés.
La huitième : Hébreux V11 : « Ce fut une réprobation du mandat précédent à cause de son impuissance  et de son inutilité. » Il parle là des mandats cérémoniaux, dont le principal était la circoncision.  Le neuvième :  Hébreux 1X,  où il dit que les cérémonies anciennes ont été des justices de la chair, qu’elles sanctifiaient certes la chair, mais seulement pour la purification de la chair.  Le dixième, Hébreux X, où il dit que la loi a eu une ombre des choses, non l’image elle-même des choses, et qu’elle n’a pas pu rendre parfaits ceux qui l’observaient; qu’elle n’a pas pu, non plus,  enlever les péchés et purifier la conscience.
Dieu, est-il dit, n’a pas voulu d’hosties et d’oblations,  qui ne lui plaisaient pas.  On doit entendre cela par rapport à la justification par l’œuvre opérée.  Car, on ne peut nier que ces choses lui plaisaient à cause de l’obéissance et de la dévotion de l’offrant, puisqu’on les appelle une odeur qui, pour Dieu,  est très suave. (Lévit 1).
Mais voyons ce que les adversaires ont à dire sur ces citations.  Luther et les luthériens répliquent  que quand les Écritures nient que les sacrements anciens justifient, on doit entendre cela de ceux qui n’ont pas une promesse annexée.  Or, les passages cités par nous  parlent expressément de la circoncision, qui, comme tous le concèdent, avait une promesse annexée.  De plus, aucune cérémonie judaïque n’a eu une promesse mieux exprimée  que le sacrifice et l’oblation.    Car, au Lévitique 1V, V, e V1, la rémission des péchés est promise à celui qui offre un sacrifice.  Et, de nouveau au Lévitique  XX, XX1, XX11, la sanctification est promise à ceux qui se purifient avec de l’eau, comme la loi le prescrit.  Et cependant, l’apôtre (Hébreux X),  explique longuement qu’il est impossible aux sacrifices et aux ablutions judaïques de remettre les péchés.
Kemnitius (dans son examen 2 par, page 63, après sa réponse à Luther0, fait une autre proposition qui est aussi celle de Calvin (livre 4, chapitre 14, versets 23, et 25),  et du Martyr (dans chapitre V11, 1 aux Corinthiens).  La voici.  Quand l’Écriture réprouve  les sacrements anciens comme étant inutiles, elle ne parle pas des sacrements en eux-mêmes, mais comme les Juifs les interprétaient de travers, c’est-à-dire des cérémonies toutes nues, privées de la promesse éloignée et de la foi dans le Christ.  Car, il est tout à fait vrai que les sacrements n’ont eu aucune valeur pour ceux qui les ont reçus sans la foi.
Je réponds.  Il n’y pas, entre nous et les hérétiques, de débat pour savoir si ces sacrements reçus avec foi étaient profitables. Car, cela nous l’admettons tous, et c’est ce que disent les scolastiques.  Et les hérétiques leur reprochent à tort d’enseigner que les sacrements furent utiles aux Juifs par l’opération de l’opérant.  Mais la question à débattre est : furent-ils utiles en tant que sacrements ?  Car cette utilité par l’œuvre de l’opérant n’est pas propre aux sacrements, mais est commune à toute bonne œuvre.
Je réponds ensuite que les sacrements sans promesse et sans foi  ne sont d’aucun profit, et que cela ne convient pas seulement aux sacrements de la loi ancienne, mais même aux nouveaux, comme les adversaires eux-mêmes l’enseignent.  Et cependant, saint Paul distingue les nouveaux des anciens d’une façon telle qu’il  déclare que les nôtres sauvent, régénèrent,  purifient et justifient.  Ephes V, Tit 111, Corinth 1;  et que les anciens étaient des éléments pauvres, dénudés, qui ne valaient rien et qui n’étaient rien.  1 Corinth V11,  Gal V, Hébreux X,  et, d’autres.  Troisièmement.   Dans ces textes, l’apôtre enseigne que les cérémonies n’ont été d’aucune utilité pour la justification, là où il dit qu’elles étaient des ombres et des figures des nôtres. (Colossiens 11, 1,  Corinth X, Hébreux X.)
Saint Paul veut donc que ces sacrements-là aient été inutiles pour justifier, non seulement parce qu’ils étaient faussement expliqués par les Juifs, mais aussi par eux-mêmes, en tant que sacrements institués par Dieu.  Non seulement en tant qu’ils étaient expliqués de travers par les Juifs, mais aussi en eux-mêmes, en tant qu’ils étaient des sacrements institués par Dieu.   Car ils étaient des figures pour eux qui ne pensaient en rien au Christ, mais qui n’acquiesçaient qu’au rite lui-même.
En somme, si Paul voulait seulement dire que les sacrements anciens sans la foi n’avaient aucune utilité, il ne comparerait pas  la circoncision avec le prépuce, et ne dirait pas que la circoncision n’est rien, et que le prépuce n’est rien. (1 Corinth V11,  et Gal V1) : « Ni la circoncision ni le prépuce ne valent quelque chose. »  Car, le prépuce non seulement n’est rien et ne vaut rien sans la foi, mais il n’est absolument rien, et ne vaut absolument rien en lui-même.
En plus de cette solution, Calvin en apporte trois autres.   Une (livre 4, chapitre 14, verset22) qui veut que saint Paul ait parlé des sacrements anciens non absolument, mais comparativement.  Et surtout en Colossiens 11, où il appelle ces sacrements des ombres.  Car, Calvin dit que saint Paul n’a  pas voulu nier l’efficacité de ces sacrements, mais magnifier l’efficacité des nôtres, qui donnent une plus grande grâce que les leurs.
Je réponds.  C’est le contraire qui est vrai, car si nos sacrements ne différaient des anciens que parce qu’ils donnent une plus grande grâce,  Paul n’aurait pas eu le droit de dire qu’ils n’étaient rien, qu’ils ne valaient rien;  il n’aurait pas comparé la circoncision avec le prépuce; et n’aurait pas dit que les deux sortes de sacrements différaient entre elles comme l’ombre et le corps.  Car, l’ombre n’est pas un moindre corps, elle n’est un corps en aucune façon.  Elle n’a rien d’autre qu’une certaine ressemblance avec le corps, une ressemblance privative, qui n’est rien du tout.
L’autre solution de Calvin se trouve au même endroit, verset 24.  Il soutient que saint Paul parlait des sacrements de  l’ancienne loi au temps où ils avaient été abrogés par le Christ.   Je réponds qu’aux Romains 11, saint Paul dit : « La circoncision est profitable si tu observes la loi. »  Il indique là qu’il parlait de ce qui convenait à la circoncision quand elle continuait encore.  Car, après l’abrogation, elle n’est pas utile, elle est même dommageable, comme le même saint Paul le dit à Galates 111.
Saint Paul veut donc dire que quand elle était en vigueur, la circoncision était utile, non parce qu’elle justifiait, mais parce que les circoncis avaient la loi de Dieu, et pouvaient plus facilement que les autres trouver quelle est la volonté de Dieu, comme le même saint Paul l’explique au chapitre 111 : « Quelle est l’utilité de la circoncision ? Grande de toute manière. »  De même 1 cor V11, quand il disait que la circoncision n’est rien, il parle du temps où elle était encore en vigueur.
 Car, il avait dit un peu avant : « Il est  appelé quand il est circoncis, qu’il n’ajoute pas un prépuce. Il est appelé dans le prépuce, qu’Il ne se fasse pas circoncire. »  Et le sens est : est-ce que quelqu’un qui vient à la foi chrétienne du judaïsme ou du paganisme etc. Il parle donc de ceux qui avaient été circoncis quand la loi était encore en vigueur, et qui vinrent ensuite à la foi dans le Christ.  Et il les met en garde de ne pas se penser supérieurs aux autres du  fait qu’ils ont  été circoncis,  car la circoncision n’est rien.
De plus, aux Galates 1V, il dit  que les pères anciens ont servi sous les éléments de ce monde.  De même, à Philipp 111, il dit qu’il ne met pas sa   confiance dans la chair, c’est-à-dire (comme il l’explique lui-même) qu’il ne se glorifie pas d’avoir été circoncis le huitième jour.  La circoncision qu’il méprise c’est donc celle qu’il avait reçue quand elle était encore en vigueur.
Dans Colossiens 11 et dans Hébreux X, il les appelle des ombres et des figures.   Or, elles n’étaient des ombres et des figures qu’avant d’avoir été abrogées.  De même, dans Hébreux V11, il dit que la loi a été abrogée à cause de sa faiblesse et de son inutilité.  Enfin, dans Hébreux X, il enseigne expressément qu’il était impossible que les péchés soient expiés par les sacrifices et les holocaustes; et que la raison pour laquelle le Christ était venu, c’était d’accomplir ce que ces rites étaient impuissant à faire..
La troisième solution est du même, au même endroit, au verset 25.  Calvin  dit là que les cérémonies de la loi ancienne étaient appelées des ombrages n’ont parce qu’elles n’avaient rien de solide, mais parce que le complément que devait leur apporter le Christ était comme suspendu.  Il ajoute aussi qu’on les appelait des ombres non à cause de  l’efficacité, mais du mode de signification, car elles signifiaient des choses futures, tandis que les nôtres signifient des choses passées.
Je réponds d’abord que cette explication démolit le texte.  Car, ce ne sont pas seulement les cérémonies que saint Paul appelle des ombrages, mais il donne aussi à la circoncision le nom d’ombre.  Deuxièmement.  Si la seule raison pour laquelle on les appelait des ombrages était que leur complémentation était suspendue jusqu’à l’avènement du Christ, c’est-à-dire parce qu’elles représentaient quelque chose qui n’existait pas encore, on pourrait appeler les nôtres aussi des ombrages ou des ombres, car elles représentent la résurrection et la gloire futures.
 Troisièmement.  C’est avec une grande impudence qu’il affirme que saint Paul ne parle pas de l’efficacité, mais seulement du mode de signification, car les mots n’est rien, ne vaut rien, éléments pauvres, infirme, inutiles, ne peuvent expier le péché, ces mots-là ne peuvent s’entendre que de l’efficacité.  Enfin,  saint Paul disputait avec les Juifs de l’efficacité et de la justification, non du mode de signification.  Et les Juifs n’étaient pas assez sots pour ne pas comprendre que, quand ils croyaient dans le Messie, leurs sacrements signifiaient des choses futures.  Et voilà pour le premier argument.
                                           CHAPITRE 15
           On prouve la même chose avec les pères et les anciens
Le premier est Philo (livre de la circoncision), où il expose toutes les causes de la circoncision, qu’il affirme avoir reçues des anciens.  Il ne dit pas clairement, et il n’insinue pas obscurément qu’elle ait été instituée pour apporter un remède au péché.  Joseph (livre 1, chapitre 12, des antiquités) ne donne pas d’autre cause de la circoncision que de distinguer les Juifs des non Juifs.  Et pourtant, s’il fut jamais quelqu’un capable de savoir pour quelles raisons a été instituée la circoncision,  c’étaient bien ceux-là, car ils étaient des hébreux, des hommes très instruits,  et ils vécurent au temps où la loi était encore en vigueur.
Justin (dans son dialogue avec Tryphon (avant le milieu) dit : « Du fait qu’on ne pouvait pas circoncire les femmes, on en déduit que la circoncision a été donnée comme un signe,  non comme une œuvre de justice. »  Et dans presque tout le dialogue, il prouve que la circoncision ne justifie pas, mais n’a été donnée que pour distinguer un Juif d’un Goïm.      Denys l’aréopagite (dans son livre sur la hiérarchie ecclésiastique, chapitre 5, partie 1), enseigne que l’église est à mi-chemin entre la synagogue et la patrie céleste,  que la synagogue a eu des sacrements charnels, qui n’étaient que des ombres et des figures; et que la Jérusalem céleste avait la vérité à l’état pur, sans aucun signe corporel;  et que, ayant des signes corporels et des dons célestes, notre église communique avec l’une et l’autre.
Saint Irénée (livre 4, chapitre 30) : « Dieu n’a pas donné la circoncision  comme une pourvoyeuse de la justice, mais comme un signe, pour qu’on puisse connaitre la descendance d’Abraham. »  Et plus bas : « Mais parce que, par ces choses, l’homme n’était pas justifié,  car elles  étaient données comme un signe au peuple, il montre que, sans la circoncision, Abraham a cru en Dieu, et que cette foi lui a été imputée à justice. »  Voir la même chose au livre suivant, chapitres 28, 29, 32, 34.   Origène (dans son livre  11 contre Celse), dit que les chrétiens ont eu raison de rejeter la circoncision, les sabbats, et autres choses semblables, parce qu’elles étaient charnelles et corporelles, et d’être passés à la loi spirituelle de Dieu.  De même dans son homélie 3 sur le Genèse, où, expliquant  le précepte de la circoncision, il oppose la circoncision charnelle des Juifs  à la circoncision spirituelle des chrétiens.  Et il veut que, entre nos sacrements et les leurs, il y ait une différence aussi grande qu’entre l’esprit et la chair.
Eusèbe de Césarée ( livre 1, chapitre 10, sur la démonstration évangélique,  et dans le livre 1, chapitre 1 de l’histoire de l’église) enseigne pour quelles raisons des sacrements charnels ont été donnés aux premiers parents, comme des éléments et des ombres de choses spirituelles.   Eusèbe  d’Eumèse, ou quiconque est l’auteur de ces homélies, dit dans l’homélie sur le sabbat après le premier dimanche du carême : « Faisons ici trois tentes. »  La première tente est celle de la synagogue, la seconde, celle de l’Église, la troisième, le ciel.  La première a été dans l’ombre et dans la figure, la deuxième dans la vérité et la figure, et la troisième, dans la seule vérité.  Dans la première,  la voie est montrée, dans la seconde, elle est trouvée, dans la troisième, elle est possédée.  Car les sacrements de l’église n’enseignent et ne montrent  pas seulement un remède, comme ceux de la synagogue,  mais ils sont plutôt eux-mêmes des remèdes, et la rémission des péchés. »
Saint Athanase (sermon sur : « tout m’a été livré par mon père » vers la fin), enseigne clairement que la circoncision ne fut rien d’autre qu’une ombre et une figure du baptême, lequel est la circoncision véritable et spirituelle.    Épiphane (hérésie 8, qui est celle des épicuriens) écrit : « La circoncision fut quelque chose de charnel, qui a servi pour un temps, jusqu’à la grande circoncision, le baptême, qui nous circoncit de nos péchés. »
Saint Basile (livre sur le Saint-Esprit, chapitre 14) enseigne : « Celui qui compare la vérité à une ombre,  et à des figures ce qui était représenté par des figures, s’efforce d’exalter la dispensation universelle de l’évangile. »  Et, plus bas : « Pourquoi compares-tu des lavements avec des lavements,  quand ces différents lavements n’ont en commun que le nom, et que les choses sont autant différentes qu’entre le songe et la vérité, les ombres ou les images et les choses qui existent réellement ? »
Saint Jean Chrysostome (homélie 27 sur la Genèse) : « Notez que Dieu a voulu que la circoncision soit statuée par une loi,  non parce qu’elle pouvait quelque chose pour le salut de l’âme, mais pour que, en signe de gratitude, elle soit appliquée à tous les enfants d’Israël comme un signe et un sceau, et pour qu’il ne leur soit pas permis de se mêler aux autres nations.  Voilà  pourquoi saint Pau l’appelle un signe : « Et il donna le signe de la circoncision comme un sceau,  car cette circoncision ne conduit pas au salut. »  Voir les homélies 39 et 49 sur la Genèse, l’homélie sur la trahison de Judas, l’homélie 7 sur l’épitre aux Romains, et l’homélie 14, sur l’épitre aux Hébreux.
Enseignent la même chose saint Cyrille (livre X contre Julien, passé le milieu), Theodoret  (question 67 sur le Genèse,  et livre V11 sur les Grecs, saint Jean Damascène (livre 4, sur la foi, chapitre 10, 14 et 26),   Theophylactus  (chapitre 2 aux Romains),  et Oecuménius (chapitre 1V aux Romains).
Chez les latins.  Tertullien (dans son livre contre les Juifs, chapitre 1), écrit : « Puisque  Dieu a fait Adam incirconcis, pourquoi, si la circoncision purge l’homme,  ne l’a-t-il pas circoncis après sa faute,  s’il est vraiment  vrai que la circoncision   purge ? »  Et plus bas : «  Dieu prévoyant que cette circoncision ne serait pas donnée pour le salut… »  En les appelant charnels, et les nôtres spirituels,  Il prouve également, avec les prophètes, que les sacrifices et les sacrements des Juifs ne justifiaient pas.
 Saint Cyprien  (livre 1, chapitre 8 contre les Juifs),  oppose la circoncision charnelle à la circoncision spirituelle des chrétiens. Et il ajoute que  Adam, Énoch, Noé, Job et Melchisédech furent des justes sans circoncision, « pace que, dit-il,  le sceau de la semence n’est d’aucun profit. »  Il dit la même chose  (au livre 3, épitre 8 à Fidus.)    « La circoncision charnelle, enseigne-t-il, une fois advenue la spirituelle,  s’évanouit comme l’ombre devant la lumière ».
Saint Ambroise (épitre 72 à Irénée) : « La circoncision corporelle est un signe,  la circoncision spirituelle est la vérité. L’une  ampute un membre, l’autre les péchés »  Il ajoute : « Il dit la même chose au chapitre 1V aux Romains : « La circoncision n’a donc aucune dignité, elle n’est qu’un signe ».  « Ce signe, les fils d’Abraham l’acceptaient pour qu’on sache qu’ils sont les descendants de celui qui avait reçu ce signe à cause de sa foi en Dieu.   Pour qu’ils soient croyants comme lui. » Voir le même livre 1 sur Abraham, chapitre 4, où il traite expressément de la circoncision, et le livre sur les sacrements (chapitre 4 et 6),  et les livres d’initiation aux mystères (chapitres 8 et 9).
Saint Jérôme (chapitre 111 aux Galates) explique pourquoi la circoncision a été instituée,  et, par aucun mot, il n’indique qu’elle l’a été comme un remède aux péchés : « Parce que c’est de la semence d’Abraham que le Christ devait venir, et que d’Abraham au Christ, beaucoup de siècles devaient s’écouler, Dieu pourvut à ce que les descendants bien-aimés d’Abraham ne se mêlent pas aux autres nations, et ne devienne plus reconnaissable sa famille. Il a donc marqué la nation israélite avec le cautère de la circoncision.
 Pendant les quarante années de séjour dans le désert nul n’a été circoncis, parce qu’ils  vivaient alors sans possibilité de  métissage avec d’autres peuples.  Mais,  dès que le peuple eut franchi le Jourdain,  la circoncision devint  de nouveau nécessaire pour prévenir l’erreur du mélange avec les autres races.  Que ce soit par Jésus (Josué) le second chef, que le peuple ait été circoncis, comme il est écrit, cela signifie qu’ avait cessée, dans le désert,  la circoncision qui avait été imposée en Égypte; et que les croyants devaient être purifiés par la circoncision spirituelle dans un Messie qui porterait le nom de Jésus. De même, dans le chapitre 1 d’Isaïe, il dit que Dieu a rejeté les cérémonies judaïques, et s’est complu dans le lavage du baptême : « Qui seul, dit-il, peut purger les péchés. »
Enfin, saint Augustin dans le psaume 73, dit : « Les sacrements ne sont pas les mêmes, parce que autres sont les sacrements qui procurent le salut, et autres sont les sacrements qui promettent un Sauveur.  Les sacrements du nouveau testament donnent le salut, et ceux de l’ancien testament promettaient un Sauveur »
Kemnitius et Calvin ne répondent qu’à ce texte.  Kemnitius (dans l’examen, pages 59 et 60,)  répond que saint Augustin parle des sacrements anciens qui n’avaient pas une promesse annexée, mais qui étaient de purs signes, selon la distinction faite par Luther.  Mais cette réponse n’en est pas une, car saint Augustin parle en général des sacrements anciens, et surtout des sacrifices,  et  il dit qu’ils ont tous été changés, parce qu’ils ne donnaient pas la grâce.
 De plus, quand saint Augustin affirme que ces sacrements ont été des signes qui promettaient le Sauveur, il semble parler surtout de ceux qui avaient une promesse annexée.  Car comment n’auraient-ils pas eu une promesse annexée s’ils promettaient le Sauveur ?  Il répond, en deuxième lieu, avec Calvin, (livre 4, chapitre 14, verset 26) que saint Augustin ne parle pas de l’efficacité des sacrements, et que la seule différence qu’il voyait entre les nouveaux et les anciens est que les uns signifiaient le Christ futur, et les autres le Christ déjà arrivé et donné.
Je prouverai le contraire, car saint Augustin ne dit pas que nos sacrements signifient le Sauveur, mais qu’ils donnent le salut.   Il ajoute, de plus, au même endroit : « Les sacrements ont été changés, ils sont devenus plus faciles, moins nombreux, plus salubres et meilleurs. »   Ces choses appartiennent à l’efficacité, non à la signification.
 Le même saint Augustin, en d’autres endroits, établit une différence manifeste d’après l’efficacité (épitre 19 à saint Jérôme) : « Pourquoi ne dirais-je pas que ces sacrements  de l’ancienne loi n’étaient pas bons, puisqu’ils ne justifiaient pas les hommes ? Car ils n’étaient que  des ombres qui annonçaient à l’avance la grâce qui nous justifierait. Quoi de plus clair. »  Saint Augustin ne dit-il pas, contre Faust (livre 9, chapitre 13)  ce que, après lui, le concile de Florence a défini :  « Les autres sacrements ont été institués avec une plus grande vertu, et une meilleure utilité. »
Nos sacrements l’emportent sur les anciens par l’utilité et la vertu, non par la seule signification (traité 41 sur Jean) : « Dans les sacrifices, dit-il, il n’y avait pas d’expiation des péchés, mais une ombre des choses futures. »  Et (dans la question 25 dans le livre des nombres), il écrit : « Si on considère les anciens sacrements en eux-mêmes, ils ne peuvent en aucune façon guérir par eux-mêmes.  Mais si on cherche les choses pour lesquelles ces sacrements ont été institués, on peut trouver en elles la rémission des péchés. »   Cela devrait suffire pour les témoignages des pères.

2018 11 17 fin

2018 11 22 debut
                                               CHAPITRE 16
             On prouve la même chose avec des raisons basées sur l’Écriture
La première raison.   Pour qu’il puisse justifier,  le sacrement doit avoir, annexée, une promesse abondante de grâce.  Il n’y avait rien de tel dans la loi ancienne.  Donc, aucun d’eux ne justifiait.  La majeure est, pour les adversaires, tout ce qu’il y a de plus certain.  Car, c’est ce qu’affirme Luther (assertions, article 1), Philippe (dans les lieux, en l’an 58, sur les sacrements), ainsi que Kemnitius (2 par examen, page 42).  Il fait entrer, dans la définition des sacrements,  qu’ils avaient une promesse de la grâce, et pas de n’importe laquelle, mais de la rémission des péchés.   Ils sont donc forcés d’admettre cela, quand ils veulent que les sacrements justifient en excitant la foi.   Car, pour eux, la foi ne justifie qu’en appréhendant une promesse de pardon.
 On prouve la mineure avec saint Paul, Hébreux 111 : « Son ministère est d’autant meilleur qu’il est le médiateur d’un meilleur testament, qui a été sanctionné par de meilleures promesses. »  Et  plus bas, expliquant ce que sont ces promesses meilleures du nouveau testament, il cite ce passage de Jérémie XXX1 : « Je serai propice à leurs iniquités, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés. »  Ensuite, avec le traité de saint Augustin sur le psaume 72, où il dit que les promesses de l’ancien testament et du nouveau testament sont différentes, comme les sacrements eux-mêmes sont différents.  Car, on promettait alors des choses terrestres, et maintenant, des célestes.
 Troisièmement, on le prouve avec Luther lui-même.  Car, dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre sur l’eucharistie, il parle ainsi : « L’ancien testament, donné par Moïse, était la promesse non de la rémission des péchés, ou de choses éternelles, mais de choses temporelles, comme  de la terre de Canaan, par laquelle personne n’est renouvelé en esprit. Voilà pourquoi il fallait tuer un animal sans raison, en figure du Christ, dans le sang duquel le même testament était confirmé.  De sorte qu’on puisse dire : tel sang, tel testament, telle hostie, telle promesse. »  Il nous présente, là, contre lui, un argument irréfutable.
 On ne peut pas répondre qu’il parle des sacrements qui n’ont pas une promesse annexée, car il se souvient expressément de la promesse.  Et de plus, un peu après, il va chercher des exemples dans l’arc-en-ciel, dans la toison de Gédéon,  et dans le cadran solaire d’Achaz.  Et il dit que ces signes n’ont eu que des promesses terrestres.  Et pourtant, dans le chapitre suivant qui est celui du baptême, il veut que ces signes soient des sacrements au sens propre, et égaux aux nôtres.
 Mais Calvin nie cette mineure. Car (dans son livre 4, chapitre 16, verset 4), il dit que la promesse des sacrements du nouveau et de l’ancien testament est une seule et même promesse  pour les deux.   On prouve donc cette mineure par toutes les choses qu’ils appellent sacrements.  Car, Luther appelle sacrement le sacrifice d’Abel, l’arc-en-ciel, la toison de Gédéon, l’horloge d’Achaz.  Or, aucun d’eux n’a la promesse d’une rémission des péchés.  Car, au sujet du sacrifice d’Abel, nous ne lisons rien d’autre qu’il avait plu à Dieu après qu’il  eut été fait.  L’arc-en-ciel n’eut la promesse que du seul salut temporel.
 Voilà pourquoi il est dit, dans la Genèse (1X), qu’il a été donné comme alliance non seulement aux hommes, mais aussi aux bêtes de la terre, et à tous les reptiles.  Semblablement, dans la toison de Gédéon et dans l’horloge d’Achaz, des signes ont été faits pour confirmer la promesse d’une victoire contre les ennemis.  Au sujet des autres sacrements, de la circoncision, des sacrifices pour le péché, de la manne, de la traversée de la mer rouge, nous montrerons la même chose. quand nous répondrons aux arguments.
 La deuxième raison.  La loi ancienne se différencie de la loi nouvelle en ceci qu’elle ne justifie pas, alors que l’autre justifie.  Il ne peut donc pas se faire que les anciens sacrements, qui étaient une certaine partie de la loi, justifient.  On prouve l’antécédent en disant d’abord comme saint Jean 1 : « La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont arrivées par le Christ. »  Comment cela pourrait-il être vrai si les sacrements mosaïques conféraient la grâce ?  Deuxièmement, (11 Corn 111) la loi ancienne est appelée une lettre qui tue, la nouvelle un esprit vivifiant.  Pourquoi l’ancienne n’aurait-elle pas été, elle aussi, un esprit vivifiant si ses sacrements avaient vivifié ?  Troisièmement.  En Galates 1V, il est dit qu’elle engendre dans la servitude, et que la nôtre apporte la liberté.  Et pourquoi cela, si elle aussi conférait la grâce qui libère de la servitude du péché ?
 Quatrièmement, on l’appelle l’ancien testament, parce qu’il appartient au vieil homme, et ne sait pas rénover.  On dit que le nôtre est nouveau parce qu’il renouvelle, comme l’enseigne saint Augustin (livre 3, chapitre 1, contre les deux épitres pélagiennes, chapitre 1.  Et l’apôtre, à Tite 111, appelle le baptême  le lavement de la rénovation.
 Il ne s’ensuit pas, pour autant, qu’il n’y ait pas eu de justification des péchés dans les saints hommes de l’ancien testament.  Il y en a eu, mais non par l’ancien testament, non par ses sacrements, mais seulement par le nouveau testament, auquel ils appartenaient par la foi et le désir.
 La troisième raison. La promesse, dans les sacrements, qui ont été institués pour justifier, ne peut s’accomplir que si elle est accueillie par la foi, comme le disent nos adversaires.  Or, les promesses annexées aux anciens sacrements,  s’accomplissaient  même si les hommes n’y croyaient pas.  Ces sacrements n’avaient donc pas été institués pour justifier.   On prouve la mineure.   Car, la promesse de Dieu  annexée à l’arc-en-ciel (qui est pour Luther un vrai sacrement) fut de ne plus jamais engloutir la terre avec des eaux diluviennes.  Cette promesse s’accomplit et s’accomplira même si les hommes n’y croient pas.
  De même, la promesse annexée à la circoncision fut qu’Abraham deviendrait le père d’un grand nombre de nations, et donnerait à sa postérité la terre promise, (Genèse XV11, Romains 1V).  Cette promesse devait s’accomplir même si les Hébreux n’y croyaient pas.  Tous les sacrements avaient, eux aussi, une promesse annexée sur la mort future du Christ pour la rémission des péchés. C’est ce que signifiaient tous ces sacrifices sanglants.  Cette promesse devait être tenue, que les hommes y croient ou qu’ils n’y croient pas.  Voilà pourquoi l’apôtre dit en Romains 111 : « Est-ce que leur infidélité évacuera la fidélité de Dieu ? Non, jamais.  Car, Dieu est véridique, et tout homme menteur. »
 La quatrième raison. Les saintes Écritures disent que nos sacrements sauvent, régénèrent, justifient, comme nous l’avons prouvé plus haut.  On ne lit jamais rien de semblable des anciens sacrements, comme le montrera la réponse aux objections.  C’est donc avec une grande témérité qu’ils soutiennent que les sacrements anciens et nouveaux sont semblables, égaux même, quant à l’efficacité.
                                                     CHAPITRE 17
                                            On répond aux objections
 Les adversaires nous opposent cinq arguments.  Le premier, tiré de la Genèse (au chapitre XV11), où Dieu parle ainsi de la circoncision : « Le mâle, dont la chair du prépuce n’aura pas été circoncise, son âme sera enlevée du peuple parce qu’il aura nullifié mon pacte. »  C’est de ce texte que tant les catholiques que les hérétiques tirent un argument.  Les catholiques qui pensent que la circoncision justifiait par l’œuvre opérée (par l’opération de l’œuvre); et les hérétiques qui ne voient pas de différence entre les sacrements de l’ancienne loi et de la nouvelle.
 D’abord, les catholiques, qui  ont suivi saint Augustin (livre 16, chapitre 17 de la cité de Dieu).  Voici comment ils raisonnent.  Dieu a menacé de mort éternelle tout mâle des Hébreux, même les enfants, s’il n’était pas circoncis. Par la circoncision, les mâles étaient donc libérés de la mort éternelle.
 Calvin (livre 4, chapitre 16, verset 3) raisonne ainsi.  Dans la circoncision, la promesse est la même que dans le baptême, à savoir,  la rémission des péchés et la vie éternelle.   Ces deux sacrements ne différent donc que par un rite externe, ou un signe.  Il prouve ainsi l’antécédent.  Quand Dieu institua la circoncision (Genèse XV11), il dit à Abraham : « Je serai ton Dieu et celui de ta semence après toi. » « Dans ces paroles, dit Calvin, la promesse de la vie éternelle est contenue, comme l’a interprété le Christ, quand il prouva la résurrection en disant (Matthieu XX11) que Dieu est appelé le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. « Car il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. »  C’est donc la même chose, poursuit Calvin, le « Je serai ton Dieu »    et  le « Je te donnerai la vie éternelle ».  Or, comme le premier accès à Dieu est par la rémission des péchés, Dieu promit donc aussi la rémission des péchés quand il dit : je serai ton Dieu et celui de ta semence après toi. »
 Il confirme son argument par un texte de saint Paul (Éphésiens 11), qui dit que les Gentils qui étaient incirconcis étaient  sans Dieu, sans le Christ, sans espérance, et étrangers aux promesses.  Les Juifs avaient donc tout cela par la circoncision.
 Je réponds à l’argument des catholiques que toute la force de cet argument dépend de deux mots qui se trouvent dans l’édition grecque que saint Augustin a fait sienne. Voici, en effet, comment les Grecs lisent le texte cité : « Et l’incirconcis mâle, dont la chair du prépuce n’aura pas été circoncise  le huitième jour, son âme périra de son peuple. »  Les mots huitième jour sont des mots ajoutés par les Grecs, car on ne les lit pas dans les codex hébraïques, ni,  dans la paraphrase chaldaïque, ni non plus dans l’édition de la vulgate latine.  Et, à cause de ces mots « huitième jour », saint Augustin se sent contraint d’appliquer ce texte aux enfants, et de dire que Dieu menace d’une peine les enfants non circoncis.
 Et, en conséquence, il est forcé de voir dans les mots qui suivent (parce qu’ils ont nullifié mon pacte) le péché originel, et le pacte fait avec Adam de ne pas manger de l’arbre de la science du bien et du mal.  Car les enfants ne pouvaient avoir prévariqué que de ce péché.  Et, il est enfin contraint d’expliquer ces mots (cette âme périra) dans le sens de la mort éternelle, qui est due au péché originel.
 Voir Augustin (livre 16, chapitre 27, de la cité de Dieu;  livre 2 sur le péché originel, chapitres 30 et 31;  et livre 2 sur les mariages et sur la concupiscence, chapitre 11. »
 Si nous enlevons du texte, comme il se doit,  les mots « au huitième jour », l’argument s’effondre.  Car nous ne sommes pas obligés d’appliquer ce texte aux enfants.  Je dirais plus, nous sommes forcés de ne l’entendre que des seuls adultes.  Et voici quel en est le sens : le mâle hébreux qui ne voudra pas être circoncis, ou qui ne voudra pas circoncire son fils, périra de son peuple, parce qu’il a désobéi au précepte sur la circoncision donné par moi.  Il ne s’ensuit donc pas de cette phrase que la circoncision justifie plus que n’importe lequel précepte de la loi.   Car, Dieu a, des milliers de fois, menacé de mort ceux qui n’observaient pas les préceptes.
 Que ce soit vraiment là le sens de ce texte, on le montre de trois façons.  La première, par les mots eux-mêmes : il a nullifié mon pacte.  Car, même si saint Augustin voyait dans ce pacte celui qui avait été contracté avec Adam, il est cependant plus clair que la lumière du jour qu’il faut l’entendre du pacte fait avec  Abraham sur la circoncision des mâles.  Et qu’y a-t-il de plus claire que l’explication donnée par Dieu lui-même dans le même chapitre : « Voici quel est mon pacte que vous observerez.  Chaque mâle des vôtres sera circoncis. »  Donc,  la cause de la menace que l’on trouve en cet endroit n’est donc pas le péché originel, mais un péché actuel, c’est-à-dire la transgression du précepte de la circoncision.    Ce péché, seuls les adultes peuvent le commettre.
 Deuxièmement.  On le prouve par la peine (son âme périra de son peuple).  Car, ces mots ne signifient pas la mort éternelle ou la géhenne, mais une certaine peine temporelle.  Car, c’est ce que signifie  « de ton peuple ».  Il ne dit donc pas qu’il périra dans l’absolu, mais qu’il périra de son peuple, c’est-à-dire qu’il sera séparé de son peuple ou par la mort corporelle ou par une excommunication.  Car le mot hébraïque employé signifie au sens propre « séparer ».  Et cette peine est souvent imposée dans l’Écriture à tous ceux qui omettent une cérémonie quelconque, comme on le voit dans l’Exode 12 et 31, dans le Lévitique 7, 17, 18, 19, 20 et 23, et dans Nombres 15, et 19.  Dans ce dernier texte,  il est dit que son âme périra de son peuple, celui qui, après avoir touché un cadavre ne se purifiera pas avec de l’eau.  Cette simple omission ne semble certes pas être un crime digne de la mort éternelle.
 Troisièmement.   On le prouve par le chapitre 1V de l’Exode où le Seigneur a voulu tuer Moïse parce qu’il n’avait pas circoncis son fils.  Nous voyons clairement par là que la peine était la mort corporelle, et qu’elle était infligée non aux enfants, mais aux adultes, c’est-à-dire à ceux qui étaient capables de commettre un péché actuel.  Et bien que saint  Augustin (dans la question 11 sur l’Exode, et dans le livre 4 sur le baptême, au chapitre 24) s’efforce de montrer que c’était le fils de Moïse, non Moïse, qui était en péril à cause de la non circoncision, la chose demeure, quand même, très claire.
 Car, si Dieu avait menacé de mort un enfant qui  ne serait pas circoncis un huitième jour, de quel profit aurait été au fils de Moïse une circoncision faite après le huitième jour ?   De plus, le texte est très clair : « Quand Moïse était en chemin vers une hôtellerie,  le Seigneur accourut vers lui, et voulut le tuer »  Qui donc, si ce n’est Moïse, dont on parlait dans les mots précédents.  Et le texte continue ainsi : « Sephora prit donc une pierre très coupante, et circoncit le prépuce de son fils. »
Si le (il voulut le tuer) se rapportait au fils de Moïse, l’écriture aurait dit :  il circoncit son prépuce, non celui de son fils. De plus, l’Écriture ajoute  que Séphora a dit : « Tu es pour moi un époux sanguinaire. »  Ce qui veut dire : « Je t’aurais perdu, si je ne t’avais pas racheté par le sang de mon fils. »  Voilà pourquoi saint Jérôme (dans son commentaire du chapitre 5 aux Galates), ne doute pas que, en cet endroit, que c’est Moïse qui a été en péril, et non son fils.
Au sujet de l’argument de Calvin, je nie que, à la circoncision, il y eut une promesse annexée  portant sur la rémission des péchés et la vie éternelle.  Car cela répugne, d’abord, à saint Paul et à saint Augustin qui, comme nous l’avons déjà vu, enseignent que les promesses du nouveau testament sont meilleures que les anciennes.  Deuxièmement. Cela répugne à la première institution de la circoncision.  Car, elle a été commandée d’abord à Abraham lui-même, et c’est à lui qu’a été faite la promesse,  avant la circoncision, comme nous le montrent la Genèse (chapitres 12 et suivants) et saint Paul (Romains 1V).  La promesse ne portait donc pas sur la rémission des péchés.
 Troisièmement, cela répugne au chapitre 17 de la Genèse, où nous lisons seulement la propagation de la postérité et la terre de Palestine : « Je place mon alliance entre moi et toi, et je te multiplierai excessivement ».  Et, un peu après : « C’est moi, et je ferai un pacte avec toi.  Tu seras le père de plusieurs nations. »  Et plus bas : « Je donnerai à toi et à ta semence une terre pour ta pérégrination, toute la terre de Chanaan. »
L’apôtre enseigne la même chose (Romains 1V).   Il est vrai que cette promesse terrestre fut une figure de la promesse spirituelle et céleste qui allait être donnée à ceux qui avaient circoncis leur cœur, et non leur corps.  Et cela, les patriarches et les prophètes le comprenaient, et les autres hommes parfaits de ce temps.  ( Hébreux X1, Tobie senior 11, Jean 13).  Mais, au sens littéral, la promesse terrestre était annexée à la circoncision charnelle, qui seule appartenait à l’ancien testament.  Et affirmer le contraire, comme le fait Calvin,  ce n’est rien d’autre que de faire de la loi un évangile, et de tout confondre.
À la preuve donnée par Calvin, tirée de « Je serai ton Dieu », je réponds que ces paroles ne signifient pas la promesse de la vie éternelle, mais seulement, comme l’explique saint Jean Chrysostome (dans son commentaire de ce passage) la promesse d’une protection particulière.   La protection particulière qui était due à un peuple particulier, comme l’était le peuple Juif, comme on le répète souvent dans le Deutéronome.  De cette façon, Dieu n’était pas seulement, pour son peuple,  le Dieu des biens, mais aussi des maux.
 Ajoutons que ces mots n’expriment pas tant une promesse de Dieu que l’obligation du peuple.  Car dire  « je serai ton Dieu et celui de ta semence », c’est comme s’il disait : vous n’aurez pas d’autre de Dieu que moi.  Voir Jérémie 24 : « Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. » Et Genèse 28 : « Si le Seigneur est avec moi, et me donne du pain pour manger,  il sera mon Dieu. »
Mais Calvin rétorque : « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, comme le Christ l’a dit.  Ton Dieu signifie donc la promesse de la vie éternelle. »  Je réponds que les paroles du Christ ne signifient rien d’autre  que Dieu n’est pas le Dieu de ceux qui n’existent pas, mais de ceux qui existent, qu’ils soient bons ou mauvais, bienheureux ou condamnés. Car, il présentait un argument pour réfuter l’erreur des Sadducéens selon laquelle les âmes des morts n’étaient pas immortelles.
 Il voulait donc leur prouver que les âmes ne s’éteignaient pas avec le corps, mais demeuraient véritablement, et continuaient à vivre.  Et c’est ce qu’il a magistralement prouvé par les paroles de Dieu à Moïse (Exode 1V) : «  Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. »  Car, s’ils étaient déjà morts selon leur corps, s’ils ne continuaient pas à vivre par leur âme, Dieu n’aurait pas dit d’eux ce qu’il a dit.  Car, Dieu n’est pas le Dieu de ceux qui ne sont rien.
À l’objection tirée de l’épitre aux Éphésiens, je réponds que les Gentils ont été sans Dieu, sans le Christ, sans l’espérance et sans les promesses,  non parce qu’ils étaient privés de la circoncision, mais parce qu’ils étaient privés de la vraie foi, de la connaissance du vrai Dieu, et qu’ils adoraient des idoles à la place de Dieu.  Car, les Gentils qui ont connu le vrai Dieu, comme Job, le centurion Corneille, et d’autres, n’étaient pas, même incirconcis,  sans Dieu, sans le Christ, et sans espérance.
Le deuxième argument est tiré du Lévitique (chapitres 4, 5, 6), où nous lisons ceci : « L’âme qui pèchera, et qui, au mépris du Seigneur, déniera à son prochain le dépôt qui avait été remis à sa foi, ou lui extorquera quelque chose, ou fera une calomnie,  etc,   et  qui, pour son péché, offrira, de son troupeau, un bélier immaculé, et le donnera au prêtre conformément à l’estimation et la mesure du délit,  le prêtre priera pour lui devant le Seigneur, et lui seront remises toutes les fautes qu’il a commises en péchant. »  Nous voyons clairement ici qu’est promise à celui qui offre un sacrifice  la rémission de n’importe lequel péché, même le parjure, qui compte parmi les péchés les plus grands.
 Et, on confirme l’argument.   Si cette promesse qui a été instituée par Dieu avec une si grande promesse de rémission des péchés,  ne justifie pas, c’est sans aucun gain que les catholiques concluent de l’épitre de saint Jacques  que l’extrême onction justifie. « Quelqu’un est-il malade parmi vous, qu’il appelle un prêtre… »
Je réponds que, en ce qui a trait  à l’expiation des péchés,  les anciens sacrifices valaient pour la peine temporelle, pour l’impureté légale, non pour la faute et la peine de la géhenne, si ce n’est que, en tant que signes, ils étaient une attestation de la foi dans le Christ, comme l’enseignent communément les théologiens (1V sent dist 1) et saint Thomas (dans 1, 1, quest 103, art 2), et Alphonse Tostat (chapitre 1, Lévitique, question 19.)
On peut prouver cela de plusieurs façons.   D’abord, parce que l’Écriture n’a pas institué des sacrifices pour tous les péchés, mais seulement pour les péchés d’ignorance, surtout contre les cérémonies de la loi, comme il appert du Lévitique  (1V et V), et aussi pour les péchés contre le tort fait au prochain dans les choses externes, dans le parjure, et le désir de posséder les biens d’autrui (Lévitique V1).  Et pour d’autres péchés plus graves, tels que le blasphème, l’homicide, l’adultère, l’idolâtrie, on ne trouve aucun sacrifice.
Il importe peu que dans le Lévitique V1, il soit dit que, par le sacrifice d’un bélier, est expié tout péché qu’a coutume de commettre un homme. Car il parle de tout péché qui se rapporte au vol du bien d’autrui, non de tout péché absolument parlant.  Autrement, c’est bien pour rien que, dans les chapitres suivants, on établirait différents sacrifices pour différents péchés.  Donc, si les sacrifices n’expiaient pas tous les péchés, mais seulement quelques-uns, on ne peut douter qu’ils n’expiaient pas la faute, mais seulement la peine temporelle, ou l’impureté légale.  Car, Dieu ne remet jamais un  péché selon la faute et la peine éternelle, sans les remettre tous.  Et c’est de là qu’apparait la différence entre les promesses de l’ancien testament, et la promesse du sacrement de l’extrême onction.  Car, Jacques dit expressément : « S’il est dans les péchés, ils lui seront remis. »
On prouve cela ainsi.  Les sacrifices anciens, comme le note saint Thomas, (au lieu cité) ne plaisaient pas à Dieu par eux-mêmes, mais par la dévotion et l’obéissance des offrants.  Comme on le voit dans Proverbes XV, où les victimes des impies sont appelées des abominations pour  le Seigneur.  Et dans Eccles 34 : « Dieu n’approuve pas les dons des iniques, et il ne regarde pas leurs offrandes. »  Isaïe 1 : « Où le Seigneur avait dit qu’il ne voulait pas les sacrifices des Israélites, il ajoute : « Je maudirai vos bénédictions. »  Et, dans 1 Rois XV, il dit : « Dieu veut-il un sacrifice, ou bien plutôt  que vous obéissiez à la voix du Seigneur ? »
Ensuite, dans la Genèse (1V) : « Dieu regarda Abel et ses dons; il ne regarda ni Caïn, ni ses dons. »  Ce qui fait dire à saint Grégoire (livre 22, chapitre 12 de ses mémoires) : « Une oblation ne sait pas  comment plaire à la colère du juge, à moins que ne lui plaise la pureté de l’offrant ».  Et plus bas : « Ce n’est donc pas Abel qui plut à cause des dons, mais les dons qui plurent à cause d’Abel. »
Nous concluons de tout cela que les sacrifices ne valurent pas pour l’expiation du péché.   Car celui à qui  on avait commandé de faire  des offrandes était juste ou injuste.  S’il était juste, il n’avait pas  besoin d’une rémission des péchés. S’il était injuste, son sacrifice ne valait rien, comme nous l’avons déjà démontré.   Tu répliqueras peut-être qu’il peut valoir pour l’injuste, à cause du mérite du sacerdoce offrant.  Or, les mérites de l’un ne peuvent pas, certainement et infailliblement,   apporter à un autre la première grâce.  Or, ici, il est question d’une promesse absolue de rémission des péchés.  Il faut donc  l’entendre exclusivement de la rémission de la peine temporelle.
Troisièmement. Quand il est question, en Ézéchiel (chapitre 18), de rémission des péchés, il n’est jamais fait  mention de sacrifices.  Bien plus, les autres prophètes et Saint Paul enseignent longuement que les fautes des âmes ne peuvent pas être expiées par un sacrifice.  Pour que les  Écritures ne se contredisent pas, nous sommes forcés de reconnaitre que, dans le Lévitique, il ne s’agit que d’une expiation légale de l’impureté, ou de la rémission d’une peine temporelle.
Le troisième argument est tiré de 1 Corinthiens X, ou, parlant de la manne des Hébreux, et de l’eau qui jaillit du rocher, saint Paul parle ainsi : « Ils mangèrent la même nourriture spirituelle et burent le même breuvage spirituel. »  Calvin fait grand cas de cet argument (livre 4, chapitre 14, verset 23) : « De toutes les choses dont parle l’apôtre, il n’a jamais rien dit de plus splendide que de celles-là. Car  il enseigne que les pères ont mangé la même nourriture spirituelle que nous, c’est-à-dire le Christ.  Qui osera déclarer inutile et nu un signe qui présentait aux Juifs la vraie communion au Christ. ? »  Et plus bas : « Donc,  le premier des sacrements fait de nous (anciens et nouveaux) des égaux, et il ne nous laisse aucune prérogative particulière. »  Pierre le martyr proclame le même argument (commentaire de 1 Corinthiens X), ainsi que Kemnitius (2 part examen, page 67).
Mais cet argument présente quatre difficultés.  La première. Ils insistent sur la même.  Si, dans la manne, les Juifs avaient mangé la même nourriture que nous mangeons, nous,  dans l’eucharistie, la manne et l’eucharistie auraient, de toute évidence, la même vertu. La deuxième.  Ils insistent aussi sur le mot spirituel.  Car si cette nourriture et ce breuvage étaient spirituels, ils auraient certes eu un effet spirituel.  Ils n’étaient donc pas des signes corporels nus.  La troisième.  Ils insistent sur la cause.  Car, (comme ils le disent), l’apôtre voulait avertir les chrétiens de ne pas placer une trop grande confiance dans la réception des sacrements, et de ne pas penser que, parce qu’ils avaient reçu le baptême et l’eucharistie, ils étaient sauvés, sans avoir à persévérer dans les bonnes œuvres.
 Cela, l’apôtre le fait avec des exemples d’anciens, pour qui avaient été de peu de profit de semblables sacrements, parce qu’ils ne s’abstinrent pas de pécher. Ils font donc que leurs sacrements et les nôtres aient la même dignité et efficacité, si l’argument de saint Paul vaut quelque chose.  La quatrième.  Ils confirment leur interprétation avec saint Augustin qui, disputant sur ce texte de saint Paul (au traité 26 de saint Jean), dit que les sacrements des Juifs et les nôtres furent différents par  les signes, mais semblables par la chose qu’ils signifiaient.  Différents par l’espèce visible, semblables par la vertu spirituelle.
Je réponds que Calvin et Kemnitius militent ouvertement contre eux-mêmes. Car, tout d’bord, Calvin et Kemnitius veulent que, dans ce passage,  la manne et l’eau jaillie du rocher, et même le passage de la mer rouge, aient été, pour les Juifs, des sacrements;  et des sacrements qui justifient comme, pour nous, le baptême et l’eucharistie.
Or, plus haut, ils avaient nié qu’ils étaient des sacrements.  Car Calvin ( livre 4, chapitre 14, verset 19), dit que les sacrements dont nous parlons présentement sont des cérémonies ordinaires, non quelque chose qui a été fait une fois, ou qui a été réitéré.  Et Kemnitius (examen 2 par, page 41) a mis, dans la définition du sacrement, qu’il doit être une cérémonie qui dure autant que dure la religion.   Il est évident que le passage de la mer rouge, l’eau jaillie du rocher ou la manne ne sont pas tels, car ces signes ne furent jamais des cérémonies, et ne durèrent que peu de temps.
Calvin dit ici que les sacrements anciens sont si semblables aux nôtres qu’aucune prérogative particulière n’est laissée aux nôtres.  Et pourtant, plus haut (chapitre 11, verset 22), il avait dit que les nôtres étaient plus excellents, du fait qu’ils conféraient une grâce plus abondante.
Kemnitius milite contre lui dans une chose beaucoup plus importante. Car, dans ce passage, il admet, avec Calvin, que l’eucharistie n’est en rien plus prestigieuse que ne le fut la manne des Juifs.   Et cela, sans se rendre compte que Calvin présentait cet argument pour prouver que l’eucharistie n’était le corps du Seigneur qu’en figure, ou trope, tandis que Luther et lui (Kemnitius, 2 partie de l’examen, p. 332) enseignaient le contraire.
Mais, survolons tout cela, et répondons à la première partie de l’argument.  Quand l’Écriture dit : « vous avez mangé la même nourriture », elle ne veut pas dire que leur nourriture était la même que la nôtre, mais la même pour tous.  Car le sens en est :  tous les Juifs ont mangé la même nourriture, et cependant, tous ne plurent pas à Dieu.  On le prouve ainsi.  Ces signes n’étaient pas des sacrements, les nôtre le sont, comme nous l’avons déjà montré.   Ensuite.  Leurs signes étaient communs aux bêtes, car les bêtes burent aussi de l’eau jaillie miraculeusement du rocher, et traversèrent aussi la mer rouge.  Et les chiens, les poules  et d’autres animaux domestiques mangèrent aussi la manne comme nourriture.
 Que les signes de l’eucharistie aient été dévorés par des bêtes, ce ne fut pas par hasard, ou par la malice de  quelqu’un, comme cela aurait pu être, mais de par l’institution et la volonté de Dieu.  Car, Dieu tira l’eau du rocher pour abreuver les hommes et les bêtes.  Troisièmement.  Car, on ne lit nulle part qu’une promesse avait été faite de manger de la manne, de boire de l’eau du rocher ou de traverser la mer rouge.  Nos sacrements, eux, ont de grandes promesses.    Ils aboutissent donc à une impasse.
Pierre le martyr (dans son commentaire de 1 Corinthiens X), s’efforce de s’en extirper.  Et après avoir demandé : où sont donc les promesses annexées à la mer rouge et à la manne, il répond ainsi : « J’estime que c’est ce que nous lisons dans l’Exode  et dans les Nombres. Dans l’Exode, on les avertissait qu’ils devaient s’attendre à voir les merveilles de Dieu.  Tu trouveras la  même chose écrite au sujet de la manne, si tu cherches attentivement. »  Mais ces témoignages sont des inepties et des pitreries.  Car, s’ils avaient déniché quelque chose, ils en auraient indiqué le  livre, le chapitre et la page.  Ils ne nous inciteraient pas à chercher.
Quant à moi, j’ai cherché aussi attentivement que j’ai pu, et je n’ai trouvé que  les promesses suivantes (Exode X1V) faites aux fils d’Israël qui s’apprêtaient à traverser la mer rouge.  Moïse leur dit : « Tenez-vous droits, et voyez les merveilles de Dieu. Des égyptiens que vous voyez maintenant, vous n’en verrez jamais plus un seul ! Le Seigneur combattra pour vous, et vous, vous vous tairez. »  Cette promesse est une promesse temporelle, et elle a été accomplie incontinent quand les Égyptiens ont été tués dans la mer rouge, comme nous le lisons au même endroit.
 De même, quand dans Exode XV1, la manne et les cailles ont été données au peuple juif, aucune promesse n’a été ajoutée que celle-ci, si on peut l’appeler promesse : « Ce soir, vous mangerez de la viande, et, au matin, vous vous rassasierez de pain. » Ensuite, (Exode XV11 et Nombre XX), de l’eau a été tirée de la pierre.   Or, il n’y a de promesse, là, que celle-ci : « quand tu feras jaillir de l’eau de la pierre, toute la multitude boira, ainsi que les chevaux. »
Pierre le martyr avait bien vu qu’il ne s’agissait là que de promesses terrestres.  Et pour ne pas reconnaitre qu’il s’est fourvoyé,  il s’évertue à tirer de ces promesses terrestres la promesse de la rémission des péchés.  Voici le raisonnement dont il se sert.   Le mal suprême et la racine de tous les autres maux, c’est le péché.  Quand  nous demandons d’être délivrés d’un certain mal, quel qu’il soit, nous demandons donc, implicitement, d’être libérés du péché.  Donc, de la même façon, les biens, quels qu’ils soient,  que Dieu promet ou accorde, sont fondés sur la réconciliation avec lui, sur sa grâce, et sur sa faveur.
Or, il est certain qu’il serait plus facile de tirer de l’eau d’un rocher que de tirer, de ces passages, une promesse de réconciliation. Car, même si le péché d’Adam fut l’occasion de tous les maux, les souffrances de cette vie ne sont pas si étroitement liées avec les péchés pour qu’on ne puisse les en séparer.  Car, les hommes pèchent souvent sans être punis dans cette vie.  Et il arrive souvent qu’ils soient affligés sans avoir péché, comme Job et Tobie, et d’autres,  qui ont été tourmentés non à cause de leurs péchés, mais pour qu’ils s’exercent à la vertu.
 Et il arrive souvent, à l’inverse, que Dieu donne de grands biens temporels à ceux auxquels il ne donnera ni sa grâce, ni la vie éternelle, pour les récompenser de certaines bonnes actions qu’ils ont faites, ou pour d’autres raisons.  Il arrive aussi souvent que Dieu ne donne pas de biens matériels  à ceux à qui  il donnera la vie éternelle  (Luc XV1).  Et, dans l’Écriture, on entend souvent parler de rois comme Nabuchodonosor, de Cyrus, et d’autres à qui il a soumis la terre, alors qu’ils n’étaient pas ses amis.  Voir saint Augustin (livre 5, chapitres 12 et 15).
Le martyr erre donc manifestement quand il dit que  tous les biens que Dieu donne sont fondés sur la réconciliation avec Dieu et sur sa grâce.  Car, il ne peut pas tirer la conclusion suivante :   Dieu a promis à son peuple juif la victoire sur ses ennemis et l’abondance de nourriture et de breuvage, il leur a donc promis la rémission des péchés et la vie éternelle.
Voir saint Basile (sans son livre sur le Saint-Esprit, chapitre 11), où il prouve que, dans la traversée de la mer rouge, et le don de la manne, il n’y a eu aucune promesse spirituelle.  Et il ajoute que ceux qui égalent leurs signes aux nôtres anéantissent la dispensation universelle de l’évangile. Voici ce qu’il dit : « Quelle rémission des péchés dans la mer, quel renouvellement de vie.  Quel don de l’Esprit a été donné par Moïse ?  Quelle mort au péché ? »
À la deuxième partie de l’argument, je dis que la manne et l’eau jaillie du rocher ont été appelées nourriture spirituelle et breuvage spirituel, non à cause de l’effet, mais de la cause, et par rapport à la signification.  À cause de la cause parce que l’une et l’autre avaient été produites miraculeusement par les anges, comme l’indiquent, en ce lieu, saint Jean Chrysostome Théophylacte.  Voilà pourquoi le psaume 77 appelle la manne le pain des anges : « L’homme a mangé le pain des anges. »
 Et il est certain qu’on ne l’appelle pas pain des anges parce que c’est de ce pain que se nourrissent les anges, mais parce que ce sont les anges qui l’on fait.  Et l’apôtre explique lui-même pourquoi l’eau est appelée breuvage spirituel : « Ils ont bu d’un breuvage spirituel qui sortait de la pierre, la pierre étant le Christ. »  Ce n’est donc pas l’eau qu’ils buvaient qui est appelée spirituelle, mais la pierre qui était la cause de cette eau.  Et saint Paul avertit que la vraie cause de cette eau n’a pas été la pierre corporelle  visible, qui était rivée à la terre, mais une pierre invisible, c’est-à-dire la providence de Dieu, le Christ, qui ne les abandonne jamais.
Voilà pourquoi quand l’apôtre disait : « ils buvaient de la pierre spirituelle », le sens n’est pas (comme le voulait Calvin) qu’il buvait déjà de la pierre spirituelle,  c’est-à-dire le Christ, comme d’une cause efficiente.   En effet, l’apôtre ne compare pas l’eau avec le Christ, mais la pierre, qui est la cause de l’eau.  On le confirme par le texte de saint Jean (V1) : « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et sont morts.   Celui qui mangera de ce pain, vivra éternellement. »  Le Seigneur enseigne manifestement là que la manne ne fut pas, pour les Juifs, une nourriture spirituelle, en tant qu’effet, comme l’est l’eucharistie.  Car, ceux qui mangèrent la manne sont morts.
 Calvin répond (livre 4, chapitre 14, verset 25), ainsi que Pierre le martyr (au lieu cité), que le Christ s’est accommodé à l’opinion crasse des Juifs qui ne voyaient dans la manne qu’une nourriture pour le ventre.  Le Christ n’aurait donc pas dit qu’il donnerait une nourriture meilleure que la manne, mais meilleure que  ce qu’était la manne, selon l’opinion crasse des Juifs.
Mais je prouverai le contraire, car ou les Juifs avaient raison de penser que la manne était seulement une nourriture corporelle, ou ils n’avaient pas raison.  S’ils avaient raison, notre eucharistie est donc de  loin meilleure que la manne, puisqu’elle est une nourriture spirituelle.  S’ils n’avaient pas raison, le Seigneur a donc approuvé leur erreur, et sans aucune sincérité. Bien plus, il n’a pas dit vrai.  Il déclare, en effet, que cette nourriture ne fut que corporelle, quand il leur dit que sont morts leurs pères qui en avaient mangé.  Et il l’avait dit plus clairement un peu avant.  Car, quand ils se glorifiaient de ce que leurs pères aient mangé de la manne dans le désert, qu’ils considéraient presque comme céleste, le Christ leur dit : « Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, mais mon Père qui vous donne le vrai pain du ciel. »
 C’est-à-dire, comme l’expliquent très bien saint Cyrille (livre 3, chapitre 34 sur saint Jean), et saint Jean Chrysostome (homélie 44 sur Jean), la manne n’était pas vraiment un pain céleste, mais un pain terrestre, même s’il descendait du ciel.  Il est clair  que le vrai pain céleste est celui que le Père vous donne aujourd’hui.
Ajoutons que saint Jean Chrysostome (homélie 45 sur saint Jean)  est de notre avis : «  Vois à faire une différence entre ce pain et la manne, par la fin respective de l’un et l’autre.   Et pour montrer que la manne n’apportait pas grand chose, le Seigneur ajoute : « nos pères ont mangé la manne dans le désert, et sont morts. »  De même, saint Cyrille (livre 4, chapitre 11, sur saint Jean, chapitre sur la manne des Juifs), qui cite les paroles du Christ : « Je suis le pain vivant. L’autre ne fut qu’une figure, une image, une ombre. »
À la troisième partie de l’argument, je réponds que l’apôtre n’avait pas pour but de montrer qu’il ne fallait pas trop se fier aux sacrements, mais plutôt qu’il ne fallait pas en abuser.  C’est le contexte qui nous le fait comprendre.   Car, (au chapitre V111), Il exhortait les chrétiens à ne pas manger d’idolothytes, pour ne pas scandaliser les faibles.  Ensuite (au chapitre 1X), il montre, par son exemple, qu’il ne faut pas scandaliser les faibles.  Puis (au chapitre X), il revient à la question des idolothytes, et prouve qu’il ne faut pas les manger, parce qu’il est trop honteux de passer de la table du Seigneur à la table des démons.  Car, c’est un signe d’une grande ingratitude envers le Christ, et d’une grande irrévérence envers le sacrement lui-même.  Et, pour montrer cela, il donne les exemples des Juifs.
Il n’est donc pas requis (comme le veut Calvin) que nous attribuions à la mer rouge une vertu semblable à celle du baptême,  et à la manne une vertu semblable  à celle de l’eucharistie.  Car, plus ils sont inférieurs, plus l’argument de saint Paul est fort.  Car, si les Juifs ont été punis parce qu’ils ont méprisé la figure de nos sacrements, et furent ingrats envers Dieu,  de qui ils avaient reçu ces bienfaits, combien plus justement devront être punis ceux qui méprisent les sacrements eux-mêmes, et combien plus ingrats seront-ils envers Dieu, de qui ils ont reçu des bienfaits beaucoup plus grands !
À la quatrième partie de l’argument, je réponds que saint Augustin n’a jamais dit que leurs sacrements et les nôtres étaient égaux par rapport à l’efficacité, mais seulement par rapport à la signification, ou à la chose signifiée, parce qu’ils signifient tous le même Christ.  Voir saint Augustin (non seulement dans les traités 26 et 45 sur saint Jean, qui donnent des citations des adversaires, mais aussi dans les psaumes 72 et 77, ainsi que dans le livre 50 sur les homélies.)  Il répète partout que les signes ont été différents, mais que c’est la même chose qui  était signifiée, le Christ.
Ses paroles (tirées du traité 26 sur saint Jean) que Calvin cite (« ils sont différents par l’espèce visible, mais semblables par la vertu spirituelle »), ne sont pas rapportées intégralement, et de bonne foi.  Car, voici comment parle saint Augustin : « Autre chose eux, autre chose nous, mais par l’espèce visible; tout en signifiant la même chose par la vertu spirituelle. »  C’est-à-dire, les signes étaient différents.  Cependant, en ce qui a trait à la vertu spirituelle signifiante, ils étaient semblables, pace qu’ils signifiaient la même chose.
Il avait dit plus clairement la même chose un peu avant : « Ils sont différents dans les signes, mais dans la chose qu’ils signifient, ils sont égaux. »   Saint Augustin ne pouvait, en aucune façon, enseigner ce que lui attribue Calvin, à savoir que les sacrements anciens et nouveaux étaient égaux quant à l’efficacité, puisque, dans le psaume 72, il avait dit que les nôtres étaient plus salubres et plus heureux; et (dans le livre 19 contre Faust, chapitre 13) il avait soutenu qu’ils avaient une plus grande vertu, et une plus grande utilité.
Il y a une chose, ici, à noter.  L’explication de saint Augustin qui, par la même nourriture spirituelle (1 Corinth X) entend que les sacrements des deux lois sont les mêmes par rapport à la signification, et que c’est pour cette raison que cette nourriture est dite spirituelle,  cette explication, dis-je, ne nous est pas contraire, comme nous l’avons déjà démontré.  Cependant, il n’y a aucune nécessité de la suivre.
 Car, si par nourriture spirituelle, nous entendons la nourriture spirituelle comprise (avec l’intelligence), comme le veut saint Augustin, alors seuls les justes en mangeraient.  C’est ce que déclare saint Augustin, et c’est pour cela qu’il note que saint Paul a dit : «  Nos pères ont mangé de la même nourriture spirituelle. »  Non « vos » pères, parce qu’il ne parlait que des justes qui nous sont semblables.   Le Christ (dans Jean V1) a dit : « Vos pères ont mangé la manne », non nos pères, parce qu’il parlait des Juifs mauvais qui n’avaient pas mangé spirituellement cette nourriture.
Mais cela répugne aux paroles de l’apôtre qui dit : « Tous nos pères ont mangé la même nourriture spirituelle. »  Par « tous »,  il entend non seulement les justes, mais tous sans distinction, les mauvais autant que les bons. Tous ceux qui étaient dans le désert.   Car, il ajoute : « Mais plusieurs n’ont pas plu à Dieu. »  Et, un peu avant, il avait dit : « Nos pères ont tous été sous la nuée, et tous ont traversé la mer rouge. » Or, il est certain que ce ne sont pas seulement les bons qui ont été sous la nuée et qui ont traversé la mer rouge,  mais aussi les mauvais.
L’explication de saint Jean Chrysostome est donc plus vraie, ainsi que celle des autres exégètes que nous avons cités plus haut.  Il ne faut pas s’étonner que nous donnions la préférence à l’explication de saint Jean Chrysostome sur celle de saint Augustin, car saint Jean a écrit un commentaire détaillé  de cette épitre de saint Paul, tandis que ce n’est qu’en passant  que saint Augustin a donné cette explication.
Son quatrième argument Kemnitius le prend chez saint Paul (Colossiens 11) : « Vous avez été circoncis d’une circoncision non manuelle. »   Kemnitius commente : « Paul  (page 66), confondant les mots circoncision et baptême, veut dire que nous qui, dans le nouveau testament, avons par le baptême expulsé le corps des péchés de la chair, nous avons reçu et nous possédons la même chose que celle qu’on reçue les circoncis, dans l’ancien testament, par la circoncision. »
Je réponds que ces arguments ne prouvent rien du tout.  Car, même si saint Paul appelle le baptême une circoncision, parce que la circoncision a été une figure du baptême, il ne s’ensuit pas, cependant, que l’effet de l’un et l’autre ait été le même, puisque la figure ne peut pas avoir la même vertu que la chose figurée.  Voilà pourquoi le même apôtre appelle « faite de main d’homme », la circoncision judaïque, tout en niant que la nôtre soit faite de main d’homme.  Celui, en effet, qui baptise principalement c’est Dieu, et non l’homme.
 Saint Paul n’a pas, non plus, attribué au baptême l’effet propre à  la circoncision, car, expulser les péchés du corps, c’est-à-dire le purifier de tous les péchés, et spiritualiser l’homme, il n’attribue ces chose qu’à la circoncision chrétienne, c’est-à-dire, au baptême.  Car, la circoncision des Juifs ne circoncisait qu’une petite partie du corps, non le corps entier.
Le cinquième argument de Kemnitius (page 67) est tiré de Hébreux X111 : « Le Christ Jésus,  le même hier et aujourd’hui, et dans les siècles. »  Je  réponds que cet argument, s’il prouve quelque chose, ne permettrait de conclure que ceci : les anciens sacrements signifient la même chose que les nôtres, c’est-à-dire, le Christ, qui, pendant l’ancien testament, était latent dans les figures et les prophéties.
 Mais il ne prouve même pas cela, car l’apôtre parle de la foi et de la doctrine, et non des sacrements.   Il veut qu’on croit que le Christ est éternel, non temporel, comme le rêvent les hérétiques.
                                        CHAPITRE 18
                                        Le caractère
Est-ce que les sacrements impriment dans l’âme un caractère indélébile ?  Sur ce sujet, nous ferons trois développements.  Le premier.  Qu’est-ce que les adversaires pensent du caractère ? Le second.  Quelle est la sentence ou la doctrine des catholiques sur le caractère ? Le troisième.  Nous démontrerons cette vérité à l’aide de l’Écriture, des  pères et de la raison.  À la vue de quoi, les arguments de nos adversaires s’évaporeront.
Jean Wiclef (livre 4, chapitre 15 de sa trilogie), au témoignage de Thomas Waldensis (tomme 2 sur les sacrements, chapitre 109), affirme que le caractère sacramentel ne peut être prouvé ni par l’Écriture, ni par la raison.  Et les hérétiques de notre époque enseignent tous la même chose.   Le premier, Jean  Calvin (dans la deuxième partie de son examen, pages 120 et suivantes), et Tilmann Heshusius (dans son livre sur les erreurs des pontifes, tit V.)
Les arguments de Kemnitius sont au nombre de trois.  Le premier. Les Écritures et les pères font le silence sur ce caractère.  Ce fut aussi l’argument de Calvin.  Par ce que nous dirons, il se détruira de lui-même.  Le deuxième.  Même parmi les scolastiques, ce n’est pas une chose certaine.  Cet argument, aussi, sera bientôt évanoui.  Le troisième.  Le premier auteur de ce caractère fut Innocent 111, qui décréta plusieurs mauvaises choses, parmi lesquelles, il vit à ce qu’Othon soit créé empereur, qu’il excommunia et déposa, par la suite.
 Dans cet argument, il y a deux mensonges. Le premier.  Que c’est Innocent 111 qui ait été le premier à excogiter un caractère. Ce qui est un grand mensonge, car le même pape Innocent 111, (au chapitre majores, sur le baptême) rapporte l’opinion de certains qui enseignaient que ceux qui étaient baptisés malgré eux ne recevaient que le caractère, comme ceux qui étaient baptisés fictivement.  Il n’est donc pas le premier à avoir excogité le caractère.
Il dit ensuite que ce pontife fut un mauvais pape.  Or, il fut l’un des pontifes les plus célèbres.  Car, pour ne pas parler de ses livres sur le mépris du monde, de ses sermons et de ses épitres, tous les historiens le louent comme un pape excellent et très savant.   Et sans parler de Italicus, Blondus, Platina et d’autres, écoutons seulement le témoignage de deux allemands.  Albert Grantius, un allemand qui a écrit avant la contestation luthérienne,  (livre 4, metropolis, chapitre 1) sans être poussé ni par la haine ni par l’amour : «Accéda au sacerdoce suprême le pape Innocent 111, qu’aucun siècle n’eut de pareil en doctrine, et en grandeur d’âme. »
Le même historien écrivit (7 choses de la Saxe, chapitre 37) qu’Othon fut un empereur rebelle à l’église, et que c’est pour cela qu’il ne réussit dans aucune de ses entreprises. Et qu’au moment de sa mort, il ressentit une telle douleur et une telle contrition de ce péché que, en signe de pénitence,  il commanda à ses plus vils serviteurs de fouler son cou avec leurs pieds.  Pénitence imposée non par le pape, mais par l’empereur lui-même.
L’abbé Uspergensis, allemand lui aussi, et qui vécut au temps d’Innocent 111, et qui n’était pas favorablement disposé à son égard, partisan qu’il était de l’empereur Philippe qui était opposé au pape, et le seul que Kemnitius cite contre Innocent 111, cet auteur parla du pape en toute  vérité et justice.  Car, en parlant de l’empereur Philippe, il dit qu’il n’est pas croyable que le pape ait préféré sa volonté propre à celle de Dieu, même si cet empereur était son adversaire.  Ce qui veut dire que ce n’est pas par mauvaise volonté que le pape n’a pas favorisé Philippe, mais à cause de fausses rumeurs.
 Et plus bas, en parlant de l’excommunication d’Othon, il dit qu’Othon, contre sa foi jurée, avait envahi le patrimoine de saint Pierre, et cherchait à l’usurper.  Il ajoute ensuite que, pour le bien de la paix, le pape a voulu tolérer toutes les injustices, sans, malgré tout cela, parvenir à fléchir l’obstination d’Othon.  Il dit, au même endroit, que le pape, comme un homme fort qui met sa confiance en Dieu, accomplit trois choses : la déposition d’Othon, une expédition pour venir en aide à la terre sainte, et un concile général œcuménique.
                                         CHAPITRE 19
               La sentence des catholiques sur le caractère
Nous allons présenter la sentence des catholiques par des propositions, qui nous fourniront une réponse aux questions qu’a touchées Kemnitius, et desquelles il dit qu’il n’y a rien de certain.
La première proposition. Par quelques sacrements, un signe spirituel est imprimé dans l’âme, que l’on appelle caractère.  C’est la sentence de tous les catholiques (4 dist 6), et elle se trouve en toutes lettres dans les conciles généraux de Florence (instruction des arméniens), et de Trente (session 7, canon 9).
 Il faut aussi noter que certains théologiens, comme Durand (4, dit, 4, quest 1) et Scot (dist 6, quest 9), ainsi que Gabriel (au même endroit, question 2) admettent un caractère, mais semblent dire certaines choses qui favorisent Kemnitius. Durand dit d’abord que le caractère n’est pas  une chose distincte de l’âme dans la réalité, mais seulement selon la raison.  Il dit cependant, au même endroit, qu’on ne doit pas nier l’existence d’un caractère, et que c’est ce que tous les théologiens enseignent.  Le doute de Durand ne porte donc pas sur l’existence du caractère, mais sur sa nature.
Tous les autres théologiens soutiennent que le caractère est réellement  distinct de l’âme.  Scot doute des  raisons utilisées pour prouver le caractère, et il soutient qu’on ne peut le prouver par aucun texte de l’Écriture ou des Pères.  Mais, confiant dans l’autorité de l’Église, il ne doute pas qu’il est tout à fait certain qu’un caractère soit donné.  Gabriel doute que l’Église ait défini une pareille chose, mais il ajoute, quand même, qu’il serait présomptueux de nier le caractère.  Il dit deux fois cette dernière phrase à la fin de son premier doute.
Tous les autres enseignent, non seulement par l’autorité de l’église, mais aussi par celle de l’Écriture et des pères, qu’on peut démontrer l’existence du caractère sacramentel.  Le seul débat qu’il y eux entre les scolastiques ne portait donc que sur la façon de prouver le caractère.
Le mot caractère les scolastiques le reçurent de saint Augustin, qui se sert souvent de ce mot.  Les écrivains qui vinrent avant saint Augustin employaient le mot signe ou sceau, non caractère.  Mais ils désignaient tous la même chose.  Car, en grec, le mot caractère signifie une forme ou une figure. On trouve ce mot dans Hébreux 1,  et dans le codex latin de l’apocalypse X111, même s’il ne se rapporte pas là aux sacrements, mais à d’autres choses.
La seconde proposition.  Le caractère n’est pas une relation, mais une vraie qualité.  Cette proposition est commune à tous, à l’exception de Scot et de Durand.  Durand, en effet, au lieu cité, enseigne que le caractère est un être de raison.  Cette sentence se distingue à peine de l’hérésie de notre temps, et semble avoir été expressément condamnée dans les conciles.  On ne peut douter que s’il avait connu ces conciles, il aurait enseigné autrement.
Car, les hérétiques ne nient pas, et ne peuvent pas nier que, dans les ministres, il y ait une relation de raison qui n’existe pas dans ceux qui ne sont pas députés à ce ministère.  On doit donc conclure que quand le concile de Trente anathématise ceux qui nient le caractère, il entend condamner une erreur, et condamne donc, sans l’ombre d’un doute, ceux qui nient le caractère réel.
 Scot veut qu’il soit une relation réelle, mais il est certain que cela peut à  peine se défendre, car, de l’avis de tous, le caractère est produit par l’action sacramentelle.  Or, les relations ne sont pas produites, mais surgissent ensemble pour la production d’un fondement prochain.  De plus, que serait donc le fondement de cette relation ?  Serait-ce l’âme ?  Le caractère, serait, alors, dans toutes les âmes.  Serait-ce la foi ou la grâce ?  Mais le caractère peut exister sans elles.  Je sais que Scot a établi un certain genre de relation, qui rend possible l’action.
Je n’ai pas l’intention de disputer là-dessus plus longtemps, car il ne manque pas de théologiens qui ont très bien réfuté cette sentence de Scot. Le mot caractère ne signifie-t-il pas une autre  chose qu’une relation ?  En disant qu’un caractère est imprimé, que nous sommes consacrés par lui, marqués d’un signe, scellés, les pères nomment quelque chose de réellement existant.  Le caractère est donc une qualité réelle, de laquelle provient la relation de similitude avec le Christ, auquel nous sommes configurés par le caractère.
La troisième proposition.  Le caractère a trois fonctions.  Il rend apte au culte divin, il configure au Christ, et distingue  les chrétiens des autres. J’explique.  La première fonction est de rendre apte au culte divin.  Car, le caractère est une puissance spirituelle et surnaturelle, en partie active, et en partie passive.  Trois sacrements seulement impriment un caractère : le baptême, la confirmation et l’ordre.  Le caractère du baptême est une puissance passive, car il rend l’homme apte à recevoir tous les autres sacrements, et, sans lui, la réception d’aucun autre sacrement n’est ratifiée.  Le caractère de l’ordre est une puissance active pour administrer les sacrements aux autres.  Le caractère de la confirmation est passif et actif, car il rend, lui aussi, apte à recevoir les autres sacrements, et rend apte à professer  la foi. Mais il semble être plus actif que passif le caractère de la confirmation, car, sans ce caractère, sont maintenus d’autres sacrements, ce qui ne serait pas si ce caractère était principalement passif comme celui du baptême.
 Il faut quand même noter ici que cette puissance n’est pas physique, mais morale.  Car, le caractère ne produit pas d’effet, mais on dit seulement qu’il opère car, partout où est ce caractère,  Dieu est présent de par son pacte, et concourt à produire un effet surnaturel.  Chose qu’il ne fait pas là où il n’y a pas de caractère.
La deuxième fonction provient de la première.  Car, cette puissance dérive du Christ et est une sorte de participation au pouvoir du Christ, qui, en tant que grand prêtre, a tout pouvoir sur les sacrements.  Voilà pourquoi le caractère nous configure au Christ, et nous rend plus semblables à lui que ceux qui n’ont pas ce caractère.
La troisième fonction procède de la deuxième.   Le caractère, avons-nous dit, nous configure au Christ d’une manière toute spéciale.  C’est de là que vient la distinction entre prêtres et laïcs, laïcs confirmés et laïcs non confirmés, baptisés et non baptisés.  Et c’est ce qui nous fait comprendre pourquoi les théologiens disent que le caractère est le sacrement et la chose du sacrement, alors qu’un signe externe n’est qu’un sacrement, et  la grâce,  la seule chose signifiée.  Car, le caractère est un effet du sacrement sensible, et c’est pour cela qu’on dit qu’il est la chose du sacrement.  Et, il est en même temps le signe que l’homme est consacré à Dieu, et est un soldat du Christ; un signe aussi de la grâce qui,  à moins qu’on y mette un obstacle,  est présente ou sera présente.
La quatrième proposition.  Le caractère sacramentel est seulement dans l’âme comme dans un sujet.  Il est à noter que tous admettent que le caractère est dans l’âme par inhérence.  L’accident n’est pas inhérent à un accident mais à une substance.   Cependant, un accident peut être dans un autre de deux façons.  La première. Parce que, grâce à lui, il est dans une substance.  La seconde.   Parce qu’il parfait l’opération d’un autre accident, comme on dit que la foi est dans l’intelligence, l’espérance et la charité dans la volonté.
C’est de cette façon que certains placent le caractère dans l’intelligence, comme s’il était nécessaire à la production des actes de l’intelligence.  D’autres le placent dans la volonté, car ils pensent qu’il dispose à la charité, qui est dans la volonté.  D’autre le placent dans la substance de l’âme, ce qui semble plus vrai, car le caractère n’est pas un habitus ou une puissance opérative.  Voilà pourquoi les conciles de Florence et de Trente ont dit qu’il était « imprimé dans l’âme. »
La cinquième proposition.  Le caractère est indélébile.   C’est ce qui a été décrété par les conciles déjà cités, et qui est concédé par tous.  La raison a posteriori est la suivante.  Il est avéré que les sacrements qui impriment un caractère ne peuvent pas être répétés.  A priori, on avance plusieurs raisons, mais la plus importante est que le caractère n’a rien qui lui soit contraire, et qu’il est dans un sujet incorruptible.  Car, de par sa nature, il n’est pas comme l’habitus de foi ou des autres vertus, qui sont enlevés par des actes contraires, mais il est, selon certains, comme la puissance, ou, selon d’autres, comme une forme, ou comme une figure.   Le caractère est aussi une certaine consécration de l’âme.  Or, la consécration dure tant que dure la chose consacrée.
La sixième proposition.  Trois sacrements seulement impriment un caractère : le baptême, la confirmation et l’ordre.   Nous trouvons cela dans les conciles ci-haut cités,  et tous le concèdent.   La raison a posteriori a déjà été donnée.   Il est difficile et peu nécessaire  de donner une raison a priori.  On a coutume de présenter la suivante.   Dans ces trois sacrements l’homme reçoit un nouveau pouvoir et, par une nouvelle consécration, il est député à un nouveau ministère, et, en quelque sorte, change d’état.  Et voilà pourquoi il reçoit un nouveau sceau.
 Car, dans le baptême, l’homme passe du diable au Christ,  est inscrit dans sa famille, et reçoit le pouvoir de participer aux sacrements, et aux autre bienfaits de l’église du Christ.  Dans la confirmation, il est inscrit dans la milice du Christ,  pour qu’il porte son étendard sur le front, reçoive la force et la puissance, pour lutter d’office contre les démons.   Dans le sacrement de l’ordre, il est inscrit dans le nombre des chefs, et des préposés de sa milice, et il reçoit le pouvoir de distribuer tous les biens du Seigneur.
Dans les autres sacrements, ne se fait pas un changement de statut ou d’état; et  le chrétien n’est pas  député à un nouveau ministère.  Il ne reçoit pas non plus une nouvelle puissance, mais est alimenté spirituellement, comme dans l’eucharistie, ou reçoit un médicament contre les maladies, et les blessures des péchés, comme dans le sacrement de pénitence, on il reçoit un antidote contre les restes des péchés, comme dans l’extrême onction, ou il reçoit un remède contre la concupiscence, comme dans le mariage.
La septième proposition.  Ni la circoncision ni aucun autre sacrement de l’ancienne loi n’impriment un caractère dans l’âme.   C’est ce qu’enseigne saint Thomas (3 part quest LX111, article 1.)  Scot a pensé le contraire au sujet de la circoncision (4, dist 6, question 9, 1).    Mais la sentence de saint Thomas est plus vraie.  Car, c’est dans le corps que la circoncision imprimait un caractère, et c’est ainsi qu’elle était une figure du baptême qui imprime dans l’âme un caractère.  De plus, un caractère est imprimé en nous pour recevoir ou administrer des œuvres surnaturelles.
  Or, aucune œuvre des sacrements de l’ancienne loi n’étaient surnaturelle.  C’est parce qu’il avait enseigné que la circoncision conférait la grâce par l’opération de l’œuvre (par l’œuvre opérée),  que Scot attribua aussi à la circoncision l’impression d’un caractère.  Or nous, qui enseignons que la circoncision n’a, de par elle-même, aucun pouvoir, nous devons, si nous voulons être conséquents avec nous-mêmes, lui nier le pouvoir d’imprimer un caractère spirituel.
La huitième proposition.  Dans le Christ, aucun caractère ne fut créé.  C’est ce qu’enseigne saint Thomas (3 par quest LX111, art 5).  Et la raison qu’il en donne est que le caractère est une participation au sacerdoce du Christ; et qu’il  n’est donc qu’en ceux qui ont le sacerdoce par participation.  De même, marquer d’un caractère est le fait de brebis, d’esclaves, de soldats, de sujets, de tous ceux qui reçoivent une fonction d’un plus grand qu’eux.  Or, le Christ, est le Pasteur, le Chef, le Seigneur.
 De même le Christ ne reçoit aucun sacrement de la nouvelle loi, à part l’eucharistie.  Il ne reçoit donc pas non plus leurs caractères.  Enfin, nous avons besoin, nous, d’un caractère pour que Dieu, en vertu de son pacte, concoure avec nous dans nos actions sacramentelles.  Mais le Christ n’a pas besoin que quelqu’un concoure avec lui en vertu d’un pacte, puisque, en tant que Dieu, il est la cause principale, et en tant qu’homme, la cause instrumentale conjointe.  Car, il ne contracte aucun pacte avec lui-même.
                                            CHAPITRE 20
                       On prouve le caractère par l’Écriture.
Il ne faut pas se surprendre que  nous ne trouvions pas, dans l’Écriture,  autant de témoignages sur le caractère que sur la grâce.  Car la grâce est l’effet principal, et le caractère est  un effet secondaire.  De plus, la grâce est l’effet de tous les sacrements, le caractère de quelques-uns seulement.  Ensuite, la vraie raison d’un sacrement peut exister sans le caractère.  Et la connaissance de la grâce est plus importante que la connaissance du caractère.  Ne manquent pas, quand même, les passages de l’Écriture où il est question du caractère, et surtout quand on y ajoute les commentaires des pères, et de l’Église, sans laquelle aucun dogme ecclésial ne peut être décrété.
Le premier témoignage est celui de Corinthiens  1 : « Le Dieu qui nous a  oints, qui nous a signés, et nous a donné le gage de l’Esprit dans nos cœurs. »  Ici,  sont présentés trois effets du sacrement de confirmation, dans lequel nous sommes oints,  signés tant intérieurement qu’extérieurement.  Le premier : l’onction, qui sans aucun doute, est donnée par la grâce qui fait un reconnaissant.  Car, comme l’huile guérit les maladies, rend robustes les membres, éclaire et console, c’est ce que la grâce fait en justifiant.
 Le deuxième.  Elle est un signe,  une contresignature ou un cachet, par laquelle nous nous consacrons à Dieu, et nous nous députons à son culte.   Par quoi nous entendons le caractère que les pères appellent souvent signe ou sceau.  Le troisième : le gage de l’Esprit, c’est-à-dire le témoignage d’une bonne conscience, qui suit la justification, et qui est comme les arrhes de la future gloire.   Car rien sur la terre n’est plus agréable que le témoignage d’une bonne conscience.  C’est la paix qui surpasse tout sentiment.
On ne peut pas répondre que par signe, on entend le sacrement externe lui-même, par lequel sont contresignées les promesses, comme le veulent les adversaires. Parce que saint Paul parle de la contresignature du cœur, non du corps, comme d’une action interne et d’un témoignage interne. Et aussi parce que saint Paul dit que c’est nous  qui sommes contresignés, non les promesses.  Car, saint Paul parle de la même façon du signe et de l’onction.  Voir saint Ambroise (livre 1, chapitre 6 sur le Saint-Esprit) Haymon et Theodoret sur ce passage.)
Le second texte est des Éphésiens 1 : « Dans lequel croyant vous aussi, vous avez été signés par l’Esprit saint de la promesse, c’est-à-dire  les arrhes de l’hérédité. »  Il est à noter que, en grec, le mot « croyant » est au passé défini, c’est-à-dire, après qu’ils eurent cru.  Ce qui nous fait comprendre qu’il parle du baptême qui est donné après la foi.  Et, il dit que, dans le baptême, est donnée une contresignature par la vertu de l’Esprit Saint.  Et c’est du sceau reçu dans le baptême que l’entendent les pères latins et grecs, comme saint Jean Chrysostome, Theophylactus, saint Jérôme, Haymo, Bède, Anselme, et les autres.   On ne peut pas, non plus, dire qu’il s’agit ici de la contresignature des promesses pour exciter la foi, puisque  que c’est, après la foi, qu’est donnée cette marque  ou ce signe.
Le troisième texte est des Éphésiens 1V : « Ne contristez pas le Saint-Esprit de Dieu, dans lequel vous avez été signés au jour de la rédemption. »  Par jour de la rédemption, il entend manifestement le jour de la régénération par le baptême, comme Aymo et Oecumenius l’interprètent. Il ne faut pas se laisser troubler par l’emploi des cas faits par saint Paul :  un accusatif (in diem) au lieu d’un datif (ei).  Nous en avons un autre exemple : il me sauvera dans son royaume céleste : in regnum (accusatif) au lieu de in regno (ablatif).
Dans son commentaire de ce texte, Calvin voit dans tout cela une contresignature des promesses  que Dieu fait dans les cœurs, pour confirmer davantage la foi.  Mais cela répugne à la façon de parler de l’apôtre qui dit toujours ne pas être contresigné.  Car, ce serait s’exprimer de façon impropre et inusitée de dire qu’un homme est contresigné du fait que les promesses faites à cet homme ont été contresignées.
À ces choses s’ajoutent les figures et les prophéties de l’ancien testament.  Car, au consentement de tous, la circoncision a été une figure du baptême.  Or, la circoncision ne faisait pas que couper la chair, par quoi était signifiée la justification du péché, mais elle laissait aussi dans le corps la marque du cautère par laquelle les Juifs étaient distingués des autres peuples.  Cette marque laissée par l’opération, si elle signifiait quelque chose, signifiait certainement le caractère, que les chrétiens ont,  gravé dans leur âme, et qui les distinguent des non chrétiens.
La prophétie.  Isaïe LXV1 dit, en parlant de la vocation des Gentils : « Toutes les nations et toutes les langues viendront, et verront ma gloire, et je placerai en eux un signe. »   Bien que par ce signe on puisse entendre le signe de la croix, ou un autre signe,  rien ne nous empêche d’y voir le caractère.  Surtout quand nous entendons Paul parler d’un signe spirituel interne, et parce qu’on doit expliquer l’Écriture par l’Écriture, quand la chose est possible.
Quelques-uns ajoutent une autre figure (Exode X11), où sont signés les ambages et les linteaux avec le sang de l’agneau.  Et la prophétie d’Ézéchiel 1X « Le signe du tau sur le front de ceux qui se lamentent et gémissent. »  Mais ces textes sont hors de propos, car les pères y ont vu le signe de la croix, qui est marqué sur le front.  Ézéchiel, en effet, parle du front, et le linteau, qui est dans la porte de quelqu’un, signifie la même chose que le front de l’homme.
Voilà pourquoi, même dans l’Apocalypse, où se trouve une contresignature semblable, le front est aussi nommé : « jusqu’à ce que nous signions les serviteurs de notre Dieu, sur leurs fronts ».  Et, de plus, dans les deux textes, ont dit que tous ceux qui ont été signés ont été sauvés.  Ce qui ne convient certes pas au caractère, car seront damnés beaucoup de ceux qui ont reçu le caractère;  et seront sauvés beaucoup de ceux qui ne l’ont pas reçu.
Mais seront tous sauvés ceux qui sont signés du sang de la croix du Christ, c’est-à-dire, tous ceux auxquels seront appliqués les mérites du crucifié, dont la figure est le signe de la croix.  Et personne ne se sauvera sans que ne lui soit appliqué ces mérites.  Voir saint Cyprien, (traité contre Démétrianus), saint Jérôme (Ezéchiel, chapitre 1X),  et Gaudentium (traité 5 sur l’Exode. »
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                                                CHAPITRE 21
                            On prouve la même chose avec les pères.
Denys l’aréopagite (livre sur la hiérarchie ecclésiale, chapitre 2, partie 1,) dit que « le baptême donne une forme à l’homme,  qui le rend capable de  recevoir les autres sacrements ». Cette forme nous l’appelons, nous, caractère.  Au paragraphe 3, il dit la même chose en parlant de celui qui est baptisé : « Celui-là la divine majesté l’admet en communauté de biens avec elle, et lui donne sa lumière comme un signe. »
 Cyrille de Jérusalem (dans la préface de sa catéchèse), décrivant le baptême par son effet, l’appelle régénération, rémission des péchés, sceau saint et indélébile. »  De même, dans la catéchèse 4 : « L’Esprit-Saint, dit-il, au temps du baptême, a contresigné ton âme. »  Et, dans la catéchèse 16, il dit : « Celui-ci, jusqu’à aujourd’hui, contresigne les âmes dans le baptême. » Voir aussi la catéchèse 17.
 Saint Basile (dans le sermon 13, qui est une exhortation sur le baptême), dit : « Dieu donne des tessères à ceux qui militent sous lui. »  Et plus bas : « Un trésor non contresigné  est facilement pillé par les voleurs : une brebis non signée contre le péril succombe aux embuches. »  Et, définissant, plus bas, le baptême par ses effets, il l’appelle « le sceau inviolable. »
 Saint Grégoire de Naziance (dans son serment sur le saint lavement) dit, lui aussi, que le baptême est un sceau qui conserve les fidèles, et qui fait connaitre que nous la sommes la possession de Dieu.   Saint Jean Chrysostome (homélie 2 sur l’épitre aux Éphésiens) : « Il nous a marqués du caractère du Saint-Esprit. »  Et, plus bas : « Sont signés aussi les Israélites, mais par la marque de la circoncision, comme des bêtes.  Nous, nous sommes signés comme des fils, par le Saint-Esprit. »  Et, dans l’homélie 14,  il dit que « nous sommes signés comme le troupeau du Seigneur ».
 Épiphane (hérésie 8, qui est celle des Épicuriens), après avoir dit que la circoncision était un retranchement charnel, et un sceau charnel, il ajoute, en parlant du baptême : « Il nous  circoncit des péchés, et il contresigne au nom de Dieu. »  Et, à l’hérésie 30,  il appelle le baptême « le sceau du Christ. »  Saint Ambroise  (livre 1 sur le Saint-Esprit, chapitre 6) : « Nous sommes signés par l’Esprit, pour que nous puissions tenir sa splendeur, son image et sa grâce. »   Il dit aussi à ceux qui sont initiés aux mystères (chapitre 7) : « Répète que tu as reçu un sceau spirituel. »
 Saint Augustin (livre 6, chapitre 1 sur le baptême)  dit que cela a été approuvé dans un concile général : « C’est une chose assez connue par les pasteurs de l’Église catholique répandue dans tout l’univers, grâce auxquels  la coutume originelle a été confirmée par l’autorité d’un concile plénier, qui avait accueilli la brebis qui errait à l’extérieur, laquelle avait reçu le caractère dominical par ses faux ravisseurs.  Elle  a été corrigée de l’erreur en venant au salut chrétien de l’unité, a été libérée de la captivité  a guéri de ses blessures,  mais a  vu son caractère dominical approuvé plutôt que réprouvé. »
 Voir aussi les épitres 23, 50 et 240, les traits 5 et 6 sur saint Jean,  le livre deux, chapitre 13 contre l’épitre de Parminius, le livre 2, chapitre ultime  contre les lettres de Petilianus, livre 1, chapitre 30 contre Cresconius,  le traité 5 sur l’épitre de saint Jean.  Voir aussi Theodoret (chapitres 1 et 2 aux Corinthiens),  Haymon, Primasius, Anselme, Theophylactus, Oecumenius  (dans  1 et 4 aux Éphésiens), et saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 10, sur la foi).
Tout ce qu’ils peuvent répondre à ces textes c’est que les pères n’ont appelé ce dont nous parlons ni caractère, ni sceau, mais un symbole externe.  Car saint Augustin (dans son sermon de ce qui s’était passé avec Émérite), dit trois choses qui semblent favoriser cette opinion.  Il dit d’abord que le caractère est connu de l’extérieur, et que c’est après avoir été reconnu, qu’il est approuvé.  Il dit ensuite que si Donat avait baptisé au nom de Donat, il aurait imprimé le caractère de Donat. Or, il est certain que le caractère de Donat ne peut se graver dans l’âme.  Il dit, en troisième lieu, que le caractère est l’invocation de la Trinité qui se fait dans le baptême : « Je prêtre attention à la foi dans le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.  C’est le caractère de mon empereur. Il avait prescrit à ses soldats, ou plutôt à ses compagnons qu’il avait réunis dans ses camps,  d’imprimer en eux ce caractère, en disant : allez, baptisez les nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »
Je réponds que, chez saint Augustin et les autres pères, le caractère ne peut pas être un symbole ou un sacrement externe.  Car, d’abord, les pères, comme saint Cyrille,  disent que ce sceau est dans l’âme, non dans le corps.  Ou qu’il est spirituel, comme saint Ambroise, ou qu’ils opposent au cautère de la circoncision, qui était dans le corps, comme Épiphane et saint Jean Chrysostome.  Ils disent, enfin, qu’il est une sorte de consécration, comme saint Augustin (livre 2, chapitre 13, contre l’épitre de Parmenius).  Et il est certain que, au sens propre, c’est l’âme qui est consacrée, non le corps, selon Tertullien (livre de la résurrection de la chair) : « La chair est ointe pour que l’âme soit consacrée. »
Ils disent ensuite « inhérer et demeurer », ce qui ne convient pas à un symbole externe qui ne demeure que quand il advient.  Saint Augustin (livre 2, chapitre 13, contre l’épitre de Parmenius) : « Les sacrements chrétiens ne sont pas moins inhérents que les notes corporelles, car on voit que les apostats eux-mêmes n’en sont point privés.  Et ils  ne sont pas restitués à ceux qui viennent à résipiscence, car ils ne peuvent pas être perdus. »  Les autres pères enseignent la même chose quand ils disent qu’il est un sceau indélébile, (saint Cyrille, saint Grégoire de Naziance).
En ce qui a trait aux citations de saint Augustin, où il dit que le caractère est enfoncé, imprimé, gravé, tous ces mots ne cadrent pas avec une action transitoire.  Troisièmement,  si les mots caractère ou sceau signifiaient  des symboles externes, tous les sacrements imprimeraient un caractère.  Car, tous, selon eux, sont  des symboles externes contresignant une promesse.   Pourquoi donc aucun père n’a jamais dit que par l’eucharistie était imprimé un caractère ?
Et aux autres passages de saint Augustin allégués, je réponds que le caractère peut être vu à l’extérieur et connu, non en lui-même, mais dans sa cause. Car, quand nous savons qu’un tel a été validement baptisé, nous savons en même temps que lui a été imprimé un caractère, parce que c’est un effet qui suit toujours et nécessairement la cause.  Et cela est assez évident, car  un acte externe, nous ne le voyons plus après qu’il ait passé.  Voilà pourquoi saint Augustin n’aurait pas pu dire qu’un symbole externe  a été vu et reconnu, quand viennent à l’église ceux qui ont été baptisés par des hérétiques.
Et au sujet du caractère de Donat, je dis que saint Augustin parle par hypothèse.  Car, il veut dire que si Donat pouvait conférer le sacrement en son nom, il imprimerait son propre caractère.  Or, saint Augustin n’était pas sans savoir  qu’un baptême au nom de Donat ne pouvait en aucune façon être conféré, et ne pouvait en aucune façon imprimer un caractère dans l’âme;  qu’il n’était pas non plus un sacrement externe.
Au dernier,  je dis que l’invocation de la trinité et tout le symbole externe peuvent être appelés caractère, non imprimé, mais imprimant.  Car, comme la même image est dans le sceau et dans la cire,   l’image du sceau étant un caractère imprimant, et dans la cire un caractère imprimé, de la même façon, le sacrement externe et surtout la forme du sacrement est un caractère imprimant.  Et, après sa réception, par la vertu et l’impression du sacrement, suit bientôt un caractère dans l’âme.
                                            CHAPITRE 22
                    On montre la même chose par la raison
On tire la première raison de la libéralité divine et de la coutume.  Car Dieu diffère en ceci des hommes  que quand les hommes confient à des hommes une tâche,  ils ne leur communiquent aucune vertu interne qui les rende  apte à s’en acquitter.  Et, quand ils aiment quelqu’un, ils ne le rendent ni bon ni beau, mais l’aiment comme il est.  Et quand ils veulent être aimés par les autres, ou gagner leur confiance, ils ne leur communiquent pas une vertu interne qui les fasse aimer et estimer et approuver.  Mais, quand il aime, Dieu  rend bon et beau en aimant, en infusant sa grâce.  Et quand il veut  qu’on croie en lui, qu’on espère  en lui et qu’on l’aime, il infuse les habitus de foi, d’espérance et de charité.
Il est donc crédible que quand Dieu députe ou consacre quelqu’un  pour donner ou recevoir les sacrements, ou pour exercer un ministère, il ne le fait pas par une simple députation, comme le font les êtres humains,  mais en infusant certaines qualités qui les rendent aptes, idoines à tel office ou ministère.  Or, ces qualités nous les appelons caractères.
La deuxième raison.  De l’avis de tous, sauf des anabaptistes, le baptême confère quelque chose de sacramental, même s’il est donné ou reçu sans la foi, tandis que, sans la foi, l’eucharistie et l’absolution ne confèrent absolument rien.  Le baptême a donc un autre effet sacramental en plus de la grâce.  On peut utiliser le même argument pour la confirmation et l’ordre.
On prouve l’antécédent.  Celui qui est baptisé par les infidèles, tout en communiant dans leur  infidélité, on dit qu’il est baptisé, et vraiment baptisé,  si on a employé les rites et les mots avec l’intention (de faire ce que fait l’église.)  Les luthériens et les calvinistes ne nient pas cela.  Mais  celui qui est absous sans la foi n’est pas vraiment absous; et celui qui communie sans la foi,  ne communie  pas vraiment au corps du Seigneur, selon Calvin. Et, selon les catholiques, il reçoit vraiment, dans la bouche, le vrai corps du Seigneur, mais, dans l’âme,  il ne reçoit rien d’autre qu’un péché.
Demeure donc, dans le baptême, un effet sacramentel  qui n’est pas la grâce, puisque, sans la foi, la grâce n’est pas donnée; qui n’est pas non plus l’action extérieure, car, cette action on la trouve aussi dans l’eucharistie et dans l’absolution.  C’est donc quelque chose de permanent dans l’âme, et c’est cette chose-là que nous appelons caractère.  S’il n’en est pas ainsi, que les adversaires expliquent donc pourquoi, sans la foi, un homme est baptisé;  mais n’est pas absous, sans la foi,  ou ne communie pas pieusement  et efficacement au corps du Seigneur, sans la foi.   Et c’est ce que fut l’ancienne question des donatistes qui  pensaient pas que le baptême n’avait pas  d’autre effet que de donner la grâce;  et qui le croyaient invalide quand il était reçu sans la foi.
La troisième raison.  Le baptême, la confirmation et l’ordre ne peuvent pas être répétés s’ils ont été correctement conférés.  Mais, comme tous le savent, on peut répéter les sacrements d’eucharistie et de pénitence.  On ne peut pas trouver d’autre raison pour expliquer cette dichotomie que le caractère.  Il est donc nécessaire d’affirmer que certains sacrements impriment un caractère.
La majeure est reçue par tous, même par les hérétiques de notre temps, sauf par les anabaptistes.  On prouve la mineure ainsi.    Si on admet un caractère,  la raison de cette différence est évidente. En effet, certains sacrements ne peuvent pas être répétés, parce que, après avoir été donnés une fois, ils demeurent dans leur effet.  Les autres sont répétés parce qu’ils ne demeurent ni en eux-mêmes, ni en leur effet.  Car, la grâce, qui est le seul effet des autres sacrements, peut facilement être perdue, et est souvent perdue.  De plus, même si elle n’est pas perdue, elle peut être augmentée, et le sacrement est donc répété pour augmenter la grâce.   Mais le caractère ne peut pas être augmenté par la répétition du même sacrement.
Ajoutons  que la grâce n’est pas le sacrement, mais son effet seulement.  Mais le caractère est le sacrement et l’effet du sacrement.  Cette raison montre donc clairement pourquoi certains sacrements sont répétés et d’autres non, comme les conciles de Florence et de Trente l’enseignent.  Si on n’accepte pas cette raison, on ne pourra pas en trouver d’autre de valable.  Ce que je vais montrer en réfutant les objections de Calvin et de Kemnitius.
Calvin (livre 4, chapitre 18, verset 19),  dit que le baptême ne peut pas être répété parce qu’il est l’entrée dans l’église, et une initiation à la foi.   Comme il n’y a qu’un seul Dieu en lequel nous croyons, et une seule église, dans laquelle nous entrons, il n’y a aussi qu’un seul baptême.   Mais cette raison n’est pas solide.  D’abord, parce que ceux qui sont baptisés par les hérétiques tout en croyant comme eux, n’entrent pas dans l’église, et ne sont pas, non plus,  initiés à la foi, puisque, chez les hérétiques, il n’y a ni église, ni foi.  Deuxièmement.  Ceux qui sont baptisés dans l’église catholique et qui, par la suite, s’en séparent dans l’hérésie ou l’apostasie, doivent, s’ils veulent être sauvés, entrer de nouveau dans l’église, et être initiés à la foi.  Pourquoi donc ne peuvent-ils pas être de nouveau baptisés ?
Voilà pourquoi la raison donnée par Calvin prouverait quelque chose si un baptisé ne pouvait ni  sortir de l’Église, ni perdre la foi. Ce qui est faux, comme on le constate.  Troisièmement.   On n’entre pas moins dans l’église et on n’est pas moins initié à la foi par la parole que par le baptême.  Or, la parole peut être répétée pour fortifier davantage notre foi et pour nous faire adhérer plus fortement à l’Église.  Pourquoi, alors, ne pourrait-on pas répéter le baptême ?  Quatrièmement.   L’ordination n’est ni une initiation à la foi ni une entrée dans l’église, mais elle ne peut quand même pas être réitérée, comme saint Augustin l’enseigne (livre, 1, chapitre 1 sur le baptême.)
Kemnitius (2 par examen pag 133)  fournit une raison non en son nom, mais au nom de Gabriel.   Pourquoi certains sacrements peuvent être réitérés et d’autres pas, la cause en est l’institution divine.  Mais cette raison ne vaut pas grand-chose.  Car,  sans une raison majeure, Dieu n’interdirait pas qu’un sacrement si utile soit répété.  Et ceux qui ne peuvent pas donner de raison pour laquelle Dieu a fait cette interdiction, c’est avec une grande témérité qu’ils disent que Dieu l’a prohibé.  Car, d’où savent-ils que Dieu a fait cette prohibition ?  Cela, l’écriture ne le dit certes pas.  Mais si tu te réfugies auprès des pères et de la tradition des conciles, tu constateras qu’ils enseignent que Dieu n’a pas voulu que certains sacrements soient réitérés, parce qu’ils impriment un caractère.
Le même Kemnitius (page 136), nous renvoie à un autre endroit où il s’engage à donner de solides raisons tirées des saintes lettres (pages 238, 239, 240 de l’examen du canon 11 sur le baptême).  Il donne quatre raisons qu’il ne considère pas très solides, et quatre autres,  qu’il dit être très solides.   La première des causes non solides : parce que le baptême signifie la mort du Christ.  Or, le Christ n’est mort qu’une seule fois.  Cette raison ne vaut rien, parce que l’eucharistie signifie aussi la mort du Christ (1 Corinth 11), et peut quand même est répétée.   Tous les sacrifices des Juifs signifiaient aussi la mort du Christ, mais ils étaient fréquemment répétés.  On dira que ce ne sont pas des choses semblables, car, par le baptême, nous mourons avec le Christ : nous mourons en effet au péché, comme il est mort corporellement.
Je réponds.  La force de l’argument de Kemnitius vient de ce que la mort du Christ, qui n’arriva qu’une seule fois, est représentée par le baptême, ou par le fait que nous mourons au péché.  Si c’est la première explication, elle ne prouve rien, car ce qui a été une fois peut être souvent représenté, comme on le voit dans les pièces de théâtre où on représente des choses qui sont arrivées une seule fois.  Et d’ailleurs, c’est par accident que nous mourons dans le baptême.
Si c’est la seconde explication, elle ne conclut rien, elle non plus, parce que le même peut, plusieurs fois, mourir avec le Christ, quand il pèche  plusieurs fois, et se repent plusieurs fois de ses péchés.  De plus, l’ordination n’est pas une représentation de la mort du Christ, mais elle ne peut quand même pas être répétée.  La représentation de la mort du Christ n’est donc pas la vraie raison prohibant la réitération de certains sacrements.
La deuxième raison non solide se trouve dans  Jean X111 : « Celui qui est pur n’a  besoin que d’un lavement de pieds, car il est entièrement pur ».  Ce texte est hors de propos, car il parle de celui qui est vraiment pur.  Donc, celui qui, après le baptême, est redevenu impur, ce n’est pas ce texte qui lui interdit d’être baptisé de nouveau.   La troisième raison non solide.  Il est dit dans Hébreux 1V : « Il est impossible à ceux qui ont été illuminés une fois d’être rappelés de nouveau à la pénitence. »  Où, par illumination, il entend le baptême.   Cette raison ne vaut pas non plus, car saint  Paul parle de ceux qui, après avoir été une fois illuminés et rénovés, c’est-à-dire justifiés, (comme le démontrent les mots :  rappelés de nouveau).  Pourquoi  n’auraient-ils pas  pu être au moins baptisés une seconde fois ceux qui dans le premier baptême n’ont pas été justifiés ?
La quatrième raison non solide.  Il est dit dans Éphésiens 1V : « Un seul baptême. »  Cette raison n’est, en effet,  pas solide.  On dit un seul baptême parce que seul le baptême du Christ est salutaire, et qu’il est célébré par un rite certain.  On dit aussi un seul pain pour l’eucharistie  (1 Cor X11), et pourtant on répète la réception de l’eucharistie, et la profession de foi.  Et, si quelqu’un perd la foi, il doit la retrouver de nouveau, mais il ne peut pas recevoir le baptême de nouveau.
La première raison très solide.  Parce que, dans le baptême, Dieu a contracté un pacte  perpétuel  avec nous.  Car, Dieu ne suit pas la règle vulgaire selon laquelle quand la foi jurée de l’un est trahie,  la foi jurée de l’autre l’est aussi.  Dieu, en effet, conserve toujours son pacte, même si nous sommes infidèles.  Romains 111 : « Leur infidélité évacuera-t-elle la fidélité de Dieu ? »  Voilà pourquoi, quand nous péchons après le baptême,  il n’est  nul besoin d’un nouveau pacte.  Il suffit de recourir à celui qui a été contracté une fois pour toutes dans le baptême.
Cette raison est moins solide que les précédentes. Car, d’abord, en Hébreux V1, saint Paul nie que l’homme qui pêche puisse revenir au pacte du baptême.  Car il ne dit pas qu’il est impossible d’être baptisé de nouveau, mais : « il est impossible d’être rappelé de nouveau ».  C’est-à-dire, que l’homme ne peut plus avec la même facilité que dans le baptême  revenir à l’amitié de Dieu, et à la rémission de la faute et de la peine.  Il a besoin d’une pénitence laborieuse, faite de jeûnes et de larmes.  Il a donc besoin d’un autre pacte plus sévère que ne l’était le premier.
Deuxièmement.  Quand quelqu’un est baptisé sans la foi, Dieu ne fait aucun pacte avec lui, car un pacte se  fait entre deux personnes consentantes.  Voilà pourquoi Kemtnitius lui-même dit que, par le baptême, la grâce est non seulement offerte, mais procurée, appliquée, et donnée.  Or, il est certain qu’elle n’est ni appliquée ni donnée à qui ne croit pas.    Pour cette raison, pourraient   être rebaptisés au moins  ceux qui ont reçu le baptême sans la foi, ce qui est faux, comme ils le concèdent eux-mêmes.    Troisièmement.  Comme le baptême est un pacte, la parole de Dieu en est un aussi,  et surtout pour nos adversaires, qui disent que, dans la justification, la parole et le sacrement se comportent  de la même façon. Or, la parole est répétée à chaque jour.
Quatrièmement.  Il est faut que le pacte de Dieu soit perpétuel pour celui qui perd la foi en Dieu, de façon à ce que la promesse doive être conservée quelle que soit la façon dont se comporte celui à qui elle a été faite.  Car, les promesses de Dieu sont conditionnelles.  Dans le baptême, en effet,   il promet qu’il sera pour nous un père et un époux,  si nous persévérons à être des fils et des épouses.  Jérémie XV111 : « Je parle subitement contre une nation et contre un royaume, pour l’éradiquer, le détruire, le disperser.  Si cette nation fait pénitence de son mal, je ferai moi aussi pénitence de ce que j’avais pensé lui faire.  Et je parlerai subitement de cette nation et de ce royaume pour l’édifier et le planter.  S’il fait mal sous mes yeux, je ferai pénitence du bien que j’ai dit que je leur ferais. »
Et ce que Kemnitius tire des Romains  (est-ce que leur infidélité évacuera la fidélité de Dieu ?) doit s’entendre des promesses absolues, comme était l’envoi d’un Messie rédempteur.  Mais, dans le baptême, ce genre de promesse n’existe pas.  Car, elle dépend de la foi du récipiendaire, comme eux-mêmes l’enseignent. Elle n’est donc pas absolue, mais conditionnelle.
La seconde raison très solide.   Du baptême, il n’a jamais été dit qu’il pouvait être répété.  D’autres sacrements il a été dit, comme l’eucharistie : « toutes les fois que… »  Et du sacrement de pénitence : « Je ne te dis pas sept fois, mais soixante fois sept fois. »  Mais cette raison ne vaut pas, non plus, grand-chose.  Omettons d’abord  que ce passage de saint Matthieu  ne s’entend pas du sacrement de pénitence, mais du pardon des injures, et répondons-lui  ce qu’a répondu Luther à Carolstad, (dans le livre contre les prophètes célestes) : il n’est pas écrit qu’il fallait répéter le baptême, mais il n’est pas écrit non plus qu’il ne faut pas le répéter.
Et saint Augustin (livre 7, chapitre 4 sur la trinité), dit sur le nom trois personnes : « Nous disons qu’il y a en Dieu trois personnes, non parce que l’Écriture le dit, mais parce qu’elle ne le contredit pas. »   De la même façon, nous pourrions rebaptiser, nous, non parce que l’Écriture le dit, mais parce qu’elle ne dit pas le contraire, d’autant plus que le baptême est une chose bonne et très utile, s’il n’y avait pas un danger de sacrilège, à cause du caractère déjà imprimé.
La troisième raison est des plus faibles  Nous n’avons pas d’exemple de re baptême dans l’Écriture , et la circoncision qui était une figure du baptême, n’était reçue qu’une fois.  Cette raison ressemble à la précédente.  Car, dans toute l’Écriture, nous n’avons aucun exemple d’une interdiction de réitérer le baptême.  Nous avons même, selon les adversaires, un exemple d’anabaptisme.  Car, dans les actes X1X, Paul a ordonné de baptiser ceux qui avaient été baptisés par saint Jean-Baptiste.   Or, selon tous les luthériens, et selon Kemnitius lui-même, le baptême de saint Jean avait la même efficacité que celui de Jésus.  Si donc un exemple est la seule chose qu’il nous faut, il faudrait donc rebaptiser.
Les adversaires devraient donc ouvrir les yeux, et comprendre qu’on a pu rebaptiser après le baptême de saint Jean le Baptiste parce qu’il n’avait pas, dans l’âme, un effet indélébile, comme l’a le baptême du Christ.  Si nous regardions les exemples des pères, les luthériens devraient absolument rebaptiser.  Car, saint Cyprien, et quelques autres évêques carthaginois, et quelques autres en Asie,  rebaptisaient.  Il a résisté aux décisions de l’église romaine qui interdisait de rebaptiser.(Eusèbe, livre V11, histoire)  Pourquoi donc les adversaires, dans cette question,  ne suivent-ils pas ces pères africains et asiatiques, plutôt que l’église romaine, comme ils ont coutume de faire dans toutes les autres choses  ?  Et ce que Kemnitius raconte de la circoncision  est en notre faveur.  Car, la circoncision n’était pas répétée parce qu’elle imprimait dans la chair un caractère indélébile.
La quatrième raison ne vaut rien du tout.   Par le baptême, nous naissons spirituellement.  Il n’y a qu’une nativité spirituelle, et une seule nativité corporelle.  Voilà pourquoi  Nicodème disait à Jésus (Jean 111): « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? »   Il portait un jugement vrai sur la nativité corporelle.   Cette raison, Kemnitius l’a volée chez les catholiques.  Car saint Thomas l’a semble parler ainsi (3 par q LXV1,  art 9). Mais la différence entre les catholiques et Kemnitiius consiste en ceci : les catholiques s’en servent comme de quelque chose qui convient.  Et, ils notent en même temps la véritable cause qui est l’impression d’un caractère, comme l’ont bien enseigné les conciles de Florence et de Trente.  Mais, après avoir éliminé la vraie cause, Kemnitius saute sur cette congruité, comme s’il s’agissait d’une raison très solide.
Je montrerai donc que cette raison n’est pas solide.   Car, d’abord, l’homme, comme le concèdent les adversaires, est engendré spirituellement non seulement par le baptême, mais par la foi  et la parole de Dieu.    Comme on le voit dans Paul (1 Corinthiens 1V) : « Je vous ai engendrés par l’évangile. »  Et pourtant, on répète souvent les actes de foi et les sermons.  De plus, même la génération corporelle est naturellement une seulement, cependant, surnaturellement parlant, elle peut être répétée;  et, dans la résurrection, c’est la même chose qui est répétée, que le Seigneur appelle régénération (Matth 19).   Or, puisque le baptême est une régénération spirituelle, qu’est-ce qui peut bien empêcher qu’il soit réitéré.
Troisièmement.  Même si la régénération corporelle ne peut en aucune façon être répétée, la génération spirituelle ne lui est pas en tout point semblable.  Car, comme la mort corporelle est unique, de même aussi la nativité corporelle.  Or, la mort spirituelle est multiple.  Pourquoi donc la génération spirituelle ne pourrait-elle pas être multiple ?  Quatrièmement.   L’ordination n’est pas une génération, mais ne peut quand même pas être répétée.  Enfin, ceux qui, sans la foi, sont baptisés ne sont pas vraiment régénérés, mais ne peuvent pourtant pas être rebaptisés. À l’inverse,  ceux qui, sans le baptême, sont régénérés par la foi, pas  la contrition et par le désir du baptême, peuvent néanmoins être baptisés après, (Corneille, acte X).  Ce n’est donc pas la raison.
                                      CONTROVERSE 5
             DU NOMBRE ET DE L’ORDRE DES SACREMENTS
La cinquième controverse qui porte sur le nombre des sacrements comprend cinq parties.  La première.  Les sentences des hérétiques.  La deuxième.  Nous prouverons la vérité de la doctrine de l’église catholique sur les sacrements.  La troisième.  Nous réfuterons les arguments des adversaires.  La quatrième.  Nous ajoutons quelque chose, par mode d’appendice,  sur l’ordre des sacrements.
                                          CHAPITRE 23
Ce que les hérétiques pensent sur le nombre des sacrements
Les hérétiques diffèrent entre eux sur le nombre des sacrements.  C’est Luther qui leur a tracé la voie à tous dans son livre sur la captivité de Babylone.  Car, dans ce livre, paru en 1520,  il enseigne beaucoup de choses.  Au début du livre, il affirme qu’il n’y a qu’un seul sacrement, s’il nous faut parler selon la façon dont s’exprime l’Écriture.  Au même endroit, cependant,  il soutient qu’on doit nier qu’il y ait sept sacrements, et que, pour le moment, on ne doit en admettre que trois : le baptême, le pain et la pénitence.  Au milieu du livre, au chapitre de la confirmation, il déclare qu’il ne condamne pas les sept sacrements,  mais qu’il nie seulement qu’on puisse  prouver leur existence à partir des seules Écritures.
Or, cela ne concorde pas très bien avec l’enseignement donné au début du livre, quand il soutenait qu’il fallait nier qu’il y ait sept sacrements, et qu’on devait n’en retenir que trois.  Car condamner les sept sacrements n’est pas bien différent de nier les sept sacrements.  De cette inconstance de Luther, sont nées différentes sentences des luthériens et des autres hérétiques.
La première sentence.  Il n’y a qu’un seul sacrement, bien qu’il y ait plusieurs signes sacramentels.  C’est ce qu’a d’abord enseigné Luther au lieu cité.  Il n’eut pas d’adeptes de cette opinion.  Car, tous admettent plusieurs sacrements, et cela, selon l’Écriture.   La deuxième opinion est de ceux qui n’admettent que deux sacrements au sens propre, le baptême et l’eucharistie.  Cette opinion, c’est Luther lui-même qui l’émit dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre des signes, où il ne reconnait que ces deux là.  De même, Illyricus (dans la confession d’Antuerpiensi, au chapitre 11 sur les sacrements, et au chapitre 18 sur l’absolution.)  Nicolas Selneccorus (dans la deuxième partie de son apologie, chapitre sur les sacrements), et Kemnitius (2 par examen, chapitre sur le nombre des sacrements,  page 12 et suivantes.)
La troisième est de ceux qui admettent trois sacrements : le baptême, l’eucharistie et la pénitence.   C’est l’opinion la plus générale, celle qui est la plus acceptée par les luthériens.  Car, tout d’abord, même si dans sa captivité de Babylone, Luther a réduit drastiquement le nombre des sacrements à deux, il a, dans le même livre, enseigné qu’il y en avait trois.  Et cela, il l’a toujours répété, comme en l’année 523, (dans son livre contre les docteurs de Prague sur l’institution des ministres;  et, en l’année 534, dans son livre sur la messe privée, et, enfin, en 545, l’avant dernière année de sa vie, dans ses assertions contre les docteurs de Louvain.
Voici son assertion 35 : « Nous confessons volontiers qu’est un sacrement la pénitence,  avec le pouvoir des clefs de ceux qui absolvent.  Car, elle a la promesse et la foi dans la rémission des péchés à cause du Christ. »  C’est ce qu’enseignent à peu près tous les catéchismes des luthériens, comme celui de Philippe, de Brentius, et d’autres.  Ainsi que leurs rituels, et l’apologie de la confession d’Augusta, article 13.
Il est à noter ici que Illyricus et Kemnitius n’ont pas de défense contre une accusation de parjure et de défection de la foi d’Augusta.  Car, comme le rapporte Tilmannus Helshesius (dans son livre sur la présence du corps du Christ à la cène), tous les luthériens jurent dans les mots de la confession et de l’apologie,  qui promeuvent quelqu’un à un degré ou à un pastorat.    Mais Illyricus (dans son apologie de la confession d’Autuerpiensis, chapitre 18)   et Kemnitius (2 part, examen pages 44, et 903, apologie de la confession)  répondent que la pénitence est appelée sacrement au sens large, non parce qu’elle est vraiment et proprement un sacrement.
 Mais cette sentence ne tient pas debout, car l’apologie dit ceci : « Si nous appelons sacrements des rites qui ont un mandat de Dieu, et à qui est ajoutée une promesse de grâce, il est facile de juger quels sont ceux qui sont des sacrements au sens propre. »  Et un peu après, appliquant la définition : « Sont de vrais sacrements le baptême, l’eucharistie, et l’absolution,  qui est le sacrement de pénitence. Car, tous ces rites ont un mandat de Dieu et une promesse de grâce. »
Kemnitius est donc le seul à ne pas vouloir que l’absolution soit un sacrement au sens propre, parce qu’elle n’a pas de rite prescrit par Dieu.  Or,  l’apologie professe que l’absolution a un rite prescrit par Dieu.  Donc, selon la sentence de l’apologie, l’absolution est un véritable sacrement.
La quatrième opinion est celle de Zwingli (dans son livre sur la vraie et fausse religion).  Car, dans le chapitre sur les sacrements, il enseigne qu’il y a deux sacrements, le baptême et la cène.  Cependant, au chapitre sur le mariage, il ajoute le mariage.   Il est vrai que ce n’est pas de gaité de cœur que Zwingli a appelé le mariage sacrement.  La raison n’en est pas qu’il pensait que la définition du sacrement ne convenait pas au mariage.  Il craignait que le mot sacrement n’obscurcisse et n’entache la dignité du mariage.  Car il prétendait que le mot mariage ou épousailles était plus digne et vénérable que le mot sacrement.
La cinquième opinion est celle de Calvin.  Il reconnait trois sacrements, mais non les mêmes que ceux de Luther ou de Zwingli.  Car, il veut que soient des sacrements le baptême, l’eucharistie, et l’ordination.  Car, même si  au livre 4, (chapitre 18, versets 19 et 20 de ses institutions), il ne reconnait que deux sacrements, le baptême et la cène, cependant, un peu après, (chapitre 19, verset 31, comme au chapitre 14, verset 20), il énumère l’ordination parmi les vrais sacrements, et fait remarquer que quand il dit qu’il n’y a que deux sacrements, il parle des sacrements ordinaires et communs à tous les chrétiens.  Voilà pourquoi  (dans son antidote du concile de Trente, session V11, canon 1), il ne rejette que quatre sacrements : la confirmation, la pénitence, le mariage et l’extrême onction.
C’est l’opinion de Philippe qui même, si, avec Luther, il ne reconnut au début que deux sacrements,  il  dit ensuite, (dans les lieux qui ont parus en l’ana 536, 552, et 558, (dernière édition),  ceci au chapitre du nombre des sacrements : « Il me plait grandement d’ajouter l’ordination, c’est-à-dire l’appel au ministère de l’évangile.  Car, cela aussi est prescrit par un mandat évangélique, et une promesse lui est annexée. »  Et, dans tout le chapitre, il prouve longuement que l’ordination est un sacrement,  et qu’il y a donc quatre sacrements.   Lucas Lossius (dans son catéchisme de l’année 57)  enseigne  la même chose. Mais, dans le catéchisme qu’il avait édité en 51, il ne reconnaissait que trois sacrements.
La septième opinion, composée du luthéranisme, du calvinisme et du et du  zwinglinisme, fut, non ouvertement, mais obscurément, celle de Philippe.  Car, dans les lieux édités en 58, même s’il n’admettait que quatre sacrements, il avait, comme Zwingli,  une forte tendance à en ajouter un cinquième, le mariage.  Il reconnait que le mariage est le signe d’une chose sacrée, qu’il a un manda divin, et qu’il a une promesse annexée.   La seule chose qui lui manque pour être un sacrement chrétien c’est d’avoir existé avant le Christ.   Or, s’il veut que le baptême soit un sacrement parce qu’il a été reçu et confirmé par le Christ, pourquoi, pour la même raison, le mariage ne serait-il pas un sacrement ?
La huitième opinion est de ceux qui admettent six sacrements.  Dans ses tables analytiques, Lyndanus attribue cette opinion à Guilllaume Postello, dans sa panthenosia.  Il mourut ensuite catholique.
La neuvième opinion est de ceux qui admettent sept sacrements.  C’est de foi que les catholiques tiennent qu’il  y a sept sacrements.  Mais pour eux ce n’est qu’une opinion qui ne peut pas être de foi.  Car, celui qui, dans un seul article est hérétique,  est tout simplement privé de la foi.  Cette opinion est celle de certains luthériens qui ont aimé ce que Luther avait dit quand il déclarait qu’il ne condamnait pas les sept sacrements.  Jean Steidanus écrivit (20 livres sur l’histoire)  deux ans après la mort de Luther,  c’est-à-dire en l’an 548.
 Il raconta que dans un certain conciliabule de Lipsis, il avait été déterminé que la confirmation et l’extrême onction étaient des rites qui conféraient la grâce,  et qu’il fallait donc recevoir sept sacrements.  Furent présents à ce conciliabule plusieurs théologiens de Wittemberg et de Lipsis,  et avec eux, Philippe Melanchton.  C’est alors qu’on a commencé à les appeler des luthériens mous, comme le raconte Surius dans son histoire, en l’an 48.
Voilà pourquoi Matthias Illyricus (dans le livre intitulé : exhortation d’Illyricus à la constance  dans la religion du Christ reçue, et dans la confession d’Augusta) se demande pourquoi, dans l’interim de Lipsis, les sept sacrements papistes ont été restitués.  Et, dans la préface de la septième centurie, il n’hésite pas à appeler hérésiarques les princes des luthériens mous ou politiques.
On peut déduire de tout cela que ce fut une pure inconstance de Luther et de Philippe, et des principaux pères luthériens, et cela dans une chose si grave. Deuxièmement que la vraie église ne peut pas exister chez nos adversaires.  Car, pour eux, la note principale de la vraie église, est le consensus dans la doctrine sacramentelle.  Car, c’est ce que dit Luther (dans son livre sur les notes de l’Église), et dans la confession d’Augusta,  et dans l’apologie, article 7.   Ils admettent que, jusqu’à présent, ils n’ont pas pu s’entendre sur le nombre des sacrements.   C’est comme si chacun attirait l’église vers lui seul, sans se troubler du petit nombre des croyants.
On peut, en troisième lieu, en déduire que ces hérésies ne peuvent pas durer longtemps, car tout royaume divisé contre lui-même périra.  Et c’est ce que Luther lui-même a noté au psaume V : « Les hérétiques ne sont pas vaincus par la violence, ou par l’astuce, mais par a dissension mutuelle.  Le Christ n’a pas lutté contre eux autrement qu’en leur envoyant un esprit de vertige et de dissension, comme entre  les Sichimites (Juges 1X) et entre les ouvriers de la tour de Babylone (Genèse X1),  et, dans la loi nouvelle, entre les ariens, les donatistes et les pélagiens. »  Saint Hilaire a développé ce thème dans son livre V11 sur la Trinité.
                                  CHAPITRE 24
On prouve, avec l’Écriture et les pères, la vérité catholique sur le nombre des sacrements.
La sentence des catholiques est et a toujours été qu’il y a sept sacrements proprement dits.  On peut le prouver de trois façons.  La première.  Par le témoignage de l’Écriture et des pères qui, sans les énumérer, attestent qu’il y a sept véritables sacrements.  La seconde.  Par les témoignages des conciles et des docteurs, qui précisent qu’ils sont au nombre de sept.  La troisième, par des raisons ou des convenances.
Sur les premiers témoignages, il y a trois choses à noter.   La première.  Les adversaires ne doivent pas demander que nous montrions, dans l’Écriture ou dans les pères, le chiffre sept.  Car, même eux, ils ne peuvent pas expliquer les noms binaires, ternaires ou quaternaires.   Car, l’Écriture ou les pères n’ont pas écrit de catéchisme, comme nous faisons depuis à cause de la multitude des hérésies, mais ils ont traité de ces choses dans différentes circonstances ou livres. Et cela n’est pas propre aux sacrements, mais à un grand nombre de vérités.
 Par exemple, l’écriture raconte certains miracles du Christ, mais ne nous donne jamais de chiffres.   Elle nous  livre les articles de foi, mais ne nous indique jamais leur nombre.  Les apôtres ont, ensuite, édité un symbole de foi en douze articles.  On ne peut pas, non plus, par l’Écriture, savoir quel est le nombre des livres canoniques.  Mais, plus tard, les conciles ont promulgué des canons, et ont fixé un certain chiffre qu’ils avaient appris de la tradition.
La seconde. Les adversaires ne doivent pas non plus demander que nous montrions, dans l’Écriture, qu’ont été nommément appelés sacrements  la confession, l’ordre, le mariage ou la confirmation.  Car, nous ne disputons pas du nom, mais de la chose.   Eux non plus ne pourront pas montrer que le mot sacrement ait été donné au baptême ou à l’eucharistie.  Car, il n’a été donné qu’au mariage,  que presque tous les hérétiques nient être un vrai sacrement.
Nous voyons, au contraire, que le mot sacrement a été donné, dans l’Écriture, à beaucoup de choses qui, du consentement de tous, ne sont pas des sacrements.  Comme dans Éphésiens 1, le dessein de Dieu d’appeler les Gentils à la foi est appelé sacrement (mystère) de la volonté de Dieu.  Et, en 1 Timothée 111, l’incarnation du Verbe est appelée un sacrement (mystère)  de piété.  Et, dans l’apocalypse XV11, on appelle sacrement (mystère) de la femme le signe imprimé sur le front de la femme qui représente Babylone.
La troisième.  Il suffit que nous montrions par les Écritures et les pères que la définition du sacrement s’applique  à des rites qui ne sont pas plus nombreux que sept.  Car, même si nous ne nous entendons pas dans l’explication de la définition du sacrement, (comme nous l’avons montré plus haut au livre 1 de la deuxième controverse), nous nous entendons cependant tous sur la définition générale, à savoir que les sacrements sont des rites, ou des signes externes et sensibles,  qui, de par leur institution divine, ont, annexée, une promesse de la grâce justifiante.  Cela ayant été dit, passons maintenant à la preuve.
                         Le baptême est un sacrement
D’abord, il n’y a pas de dispute sur le baptême.  Car le rite est bien décrit (Éphésiens V) : lavement avec de l’eau dans la parole de vie.  L’institution aussi et le mandat (Jean 111) : « Si quelqu’un ne renait de l’eau etc. »  Et Matthieu (dernier chapitre ) : « Baptisez-les au nom du Père… »  Ainsi que la promesse de grâce, (Marc, dernier chapitre) : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. »  Et Tite 111 : « Il nous a sauvés par le lavement. »  C’est ce qu’enseignent tous les pères  ci-haut cités dans la question de l’effet des sacrements.
                              L’eucharistie est un sacrement
Il n’y a pas de dispute non plus sur l’existence de ce sacrement.  Car, nous avons le rite en Matthieu (XXV1)  et 1 Cor X1 : « Il reçut le pain en rendant grâce, le rompit … »  Et l’institution et le mandat au même endroit : « Faites ceci… », et Jean V1 : « À moins que vous ne mangiez… »  Et la promesse de grâce : « Celui qui mangera de ce pain aura la vie éternelle. »  Les pères enseignent la même chose, comme saint Augustin (épitre 118, chapitre 1).  Après avoir dit que le Christ avait institué des sacrements en petit nombre, très importants par la signification, faciles à observer, il donne comme exemples le baptême et l’eucharistie.
                       La confirmation est un sacrement.
De la confirmation nous avons le rite externe : imposition des mains (Actes 8 et 19).  Nous avons l’effet de la grâce au même endroit, car, par l’imposition des mains des apôtres l’Esprit-Saint était donné, dans la même phrase où il a été dit, au sujet du baptême (Tite 111) : il nous a sauvés par le bain de la génération. »  L’institution et le mandat nous ne les avons pas  explicitement dans l’Écriture, mais on les déduit facilement des lieux cités.  Car les apôtres n’auraient jamais, d’une façon habituelle et avec tant de confiance,  imposé les mains pour communiquer la grâce du Saint-Esprit,  si le Seigneur ne le leur avait pas prescrit.  Car, ils n’ignoraient pas qu’aucun homme ne peut instituer une cérémonie capable de donner la grâce du Saint-Esprit.
Car même Kemnitius (2 part examen, page 13, et dans son apologie de la confession d’Augusta, article 13)  et Calvin (livre 4, chapitre 19, verset 2) affirment qu’aucun homme ne peut faire en sorte qu’un symbole externe contienne une promesse certaine de grâce.  Il faut donc ou que les apôtres aient été téméraires, ce que personne n’osera dire, ou qu’ils en aient reçu le mandat du Christ.   Cette cérémonie, en effet, fut nécessaire et ordinaire,  car il ne suffisait pas de prier pour que vienne le Saint-Esprit.
 Et du fait que ce furent les premiers des apôtres, saint Pierre et saint Jean, qui entreprirent le voyage pour ce ministère, c’est-à-dire qui allèrent de Jérusalem en Samarie, pour imposer les mains à ceux que le diacre Philippe avait baptisés.  Car, ils pouvaient prier pour eux tout en demeurant à Jérusalem.
Il faut noter que l’imposition des mains était jointe à l’onction et au signe de croix.  Car, ces choses se font en même temps, pendant que le signe de la croix est marqué sur le front des confirmés, et cela par le ministère de la main épiscopale. Voilà pourquoi saint Denys l’aréopagite, (chapitre 2, par 3, et chapitre 4, par 3) parle clairement du saint chrême dans ce sacrement.   Et Tertullien (dans le livre sur la résurrection de la chair) place la confirmation sur le même plan que le baptême et l’eucharistie : «  La chair est lavée pour que l’âme soit purifiée; la chair est ointe pour que l’âme soit consacrée. »
Et dans la prescription des hérétiques, il enseigne que le diable imite les sacrements chrétiens.  Et il présente deux exemples : il baigne, lui aussi ses croyants, et il signe sur le front ses soldats. » Et dans le livre sur le baptême, il dit : « Ensuite, la main est imposée en bénissant, provoquant et invitant l’Esprit-Saint. »
Tu vois donc là que Tertullien, un auteur du deuxième siècle, et  l’auteur romain le plus ancien, signale trois choses : l’onction, le signe de croix sur le front, et l’imposition des mains.
De même, saint Cyprien (livre 1, épitre 12,  et livre 2, épitre 1), l’appelle tantôt une onction, tantôt une imposition des mains, et lui donne ouvertement le nom de sacrement.  C’est bien ce qu’il dit (livre 2, épitre 1,) en parlant du baptême et de la confirmation : «  Ils peuvent alors être pleinement sanctifiés et devenir enfants de Dieu, s’ils naissent de l’un et l’autre sacrement. »  Saint Augustin (livre 2 contre les lettres de Pétilianus, chapitre 104 : « Le sacrement du chrême est dans le genre des signes sacrosaints visibles, comme le baptême lui-même. »
                                                La pénitence.
Jean XX : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. »  Nous avons ici le rite externe, et l’absolution judiciaire qui est le signe d’une chose interne que Dieu fait par la parole externe, comme par un instrument.  Nous avons ensuite la promesse de la grâce : les péchés leur seront remis.   Nous avons aussi le mandat, au même endroit : « Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. »  Voilà pourquoi l’apôtre (11 Corinthiens 5) dit : « Dieu nous a donné le ministère de réconciliation. »  Et, plus bas : « Nous remplissons une mission pour le Christ. »
Saint Ambroise (livre 1, chapitre 7 sur la pénitence), écrit : « Qu’importe que ce soit pour la pénitence ou pour  le lavement que les prêtres revendiquent un droit qui leur a été donné ? C’est le même ministère dans l’un et l’autre. Mais, du diras que dans le baptême opère la grâce des mystères (sacrements).   Et dans la pénitence ? Le nom de Dieu n’opère-t-il pas ? »
Saint Cyrille (livre 12, chapitre 56) compare la réconciliation des pénitents avec le baptême.   Saint Augustin (au livre 5 sur le baptême, chapitre 20), énumère avec le baptême, l’eucharistie, la confirmation, et même la réconciliation par l’imposition des mains.  Et dans le psaume  146, il dit : « Celui qui lie leurs contritions. »  Il appelle plusieurs fois sacrement la réconciliation des pénitents : « Que sont, dit-il, ces chaînes ?  Des sacrements temporels. Les chaînes médicinales sont nos contritions; des sacrements temporels  qui nous apportent la consolation. »  Et plus bas, il dit que sont des sacrements qui n’existeront pas dans le ciel, et l’eucharistie  et l’imposition des mains du préposé dans la pénitence.
                                  L’extrême onction
Nous avons le rite dans Jacques V : « Qu’ils prient sur lui, l’oignant avec de l’huile au nom du Seigneur. »  Nous avons aussi la promesse. « Et Dieu les allègera, et s’ils ont des péchés, ils leur seront remis. »  Le mandat nous le déduisons de ce que l’apôtre n’aurait pas osé promettre un tel effet s’il n’avait pas reçu cela du Seigneur, comme nous l’avons montré plus haut  par les témoignages de l’apologie, de Calvin et de Kemnitius.
Les pères.  Innocent 1 (dans son épitre 1, chapitre 8, à Decentius), dit, en parlant de l’huile sainte des infirmes : « À des pénitents, cela ne peut pas être conféré, parce que cela fait partie du genre sacrement.  Car, à  ceux auxquels les autre sacrements sont interdits, comment peut-on penser que ce qui est un sacrement puisse  être permis ? »  Saint Bernard, (dans la vie de saint Malachie), écrit qu’il avait été appelé pour oindre une femme mourante, et que, comme l’onction était retardée, elle mourut.   Malachie s’était grandement désolé qu’elle soit morte sans la grâce de ce sacrement.  Il a tellement prié et pleuré  qu’il l’a rappelé la morte à la vie.  Et, après qu’il l’eut ointe, elle a recouvré sa santé. »  Saint Bernard ajoute : « Il l’a ointe, en sachant que dans ce sacrement étaient remis les péchés. »
                           Le sacrement de l’ordre
Nous avons un rite externe, l’imposition des mains (1 Timothée 1V).  Et aussi, au même endroit,  la promesse de la grâce : « Ne néglige pas  la grâce qui est en toi, qui t’a été donnée par la prophétie, avec l’imposition des mains du presbyte. »  Et à 11 Timothée 1 : « Je te conseille de ressusciter la grâce de Dieu qui est en toi par l’imposition des mains. »   Nous avons aussi l’institution et le mandat.  Éphésiens 1V : « C’est lui qui a donné des apôtres, des évangélistes, des pasteurs et des docteurs. » Et, de plus, comment l’apôtre pouvait-il savoir qu’une grâce avait été donnée à Timothée par l’imposition des mains ?  N’est-ce pas parce qu’il avait appris de Dieu qu’une grâce était conférée par ce signe ?
Saint Augustin (livre 11 contre l’épitre de Parmenianus, chapitre 13), écrit, en parlant du baptême et de l’ordination : «  L’un et l’autre sont des sacrements, et c’est par une consécration que l’un et l’autre sont donnés à l’homme, c’est-à-dire quand l’un est baptisé, quant l’autre est ordonné.  Voilà pourquoi, dans l’église romaine, il n’est permis de réitérer aucun de ces deux là. »  Il dit des choses semblables dans le livre 1, chapitre 1 sur le baptême.
                                         Le mariage
Nous avons même le nom de sacrement dans Éphésiens V : « C’est un grand sacrement (mystère). »  Ainsi que le rite externe, c’est-à-dire le contrat visible entre un homme et une femme.  Car, c’est de cela que l’apôtre dit que c’est un grand sacrement, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome et saint Jérôme au lieu cité, lequel cite saint Grégoire de Naziance, et tous les autres.  Nous avons aussi l’institution divine dans Matthieu X1X : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. »  Nous déduisons la grâce annexée de ce texte de saint Paul.   Car l’union de l’homme et de la femme signifie l’union de Jésus-Christ avec l’Église.
Or, cette union est double.   Une par conformité de nature, qui se fait dans l’incarnation, laquelle unit le Christ non seulement avec l’Église, mais avec tout le genre humain.  L’autre par la grâce et la charité,  et, avec la seule Église.  Et c’est à cause d’elle que le Christ est appelé époux, et l’église épouse, selon 11 Cor X1 : « Je vous ai mariés à un seul homme pour que vous vous présentiez au Christ comme une vierge chaste. »  Donc, pour que le mariage de l’homme et de la femme puisse signifier l’union du Christ avec son église, il ne faut pas qu’il y ait entre les époux une union naturelle  et charnelle, comme elle existe aussi chez les Gentils, mais une union spirituelle qui provient de la grâce et de la charité.  Ce sacrement confère donc cette grâce pour que la signification soit parfaite.
Voilà pourquoi Paul (Éphésiens V), avertit souvent les hommes d’aimer leurs femmes comme le Christ aime son église.  Et il demande aux femmes d’être soumises à leurs maris, comme l’Église est soumise au Christ.  Et la raison qu’il en donne est que leur union est un sacrement du Christ et de l’église.   Saint Augustin enseigne souvent cela (dans son livre sur le bien conjugal, chapitre 18) : « Dans nos noces, la sainteté du sacrement vaut plus que la fécondité de l’utérus. »  Et, au chapitre 24 : « Pour tous les peuples, et pour tous les hommes, le bien du mariage est dans la  cause de la génération, et dans la promesse tenue de la chasteté. En ce qui a trait au peuple de Dieu, il consiste aussi dans la sainteté du sacrement, qui interdit d’épouser une autre personne, même après une répudiation. »
Que cela suffise pour l’instant.  Dans la dispute sur les sacrements en particulier, nous apporterons d’autres précisions.
Le lavement des pieds n’est pas un sacrement
Il reste à démontrer qu’il n’existe pas d’autres sacrements que ces sept là.  Car, les anciens ont donné le nom de sacrements à beaucoup d’autres choses, en plus des seuls vrais.  Par exemple, le pape Alexandre 1, dans son épitre 1, appelle sacrement l’eau bénite;  et, saint Augustin (livre 19, chapitre 14 contre Faust, et dans le psaume 141, appelle sacrement le signe de la croix.  Et, dans le psaume 65, (livre 4, chapitre 1, sur le symbole) il appelle sacrements les cérémonies qui se font avant le baptême, comme les exorcismes etc.  Et, (au livre 11, chapitre 26, sur les péchés et leur rémission), il appelle sacrement le pain béni qu’on donnait aux catéchumènes.   Enfin, saint Ambroise (livre 3, chapitre 1 sur les sacrements),  et saint Cyprien (dans son sermon sur le lavement des pieds), et saint Bernard  (dans son sermon sur la cène du Seigneur), soutiennent que le lavement des pieds que le Seigneur a institué (en Jean X111) est un sacrement.
Mais aucune de ces choses ne pose de difficulté, sauf la dernière. Car on ne trouve  que procèdent de l’Écriture ni l’eau bénite, ni le signe de croix, ni le pain béni, ni l’exorcisme, ni non plus les autres cérémonies du baptême.  Les adversaires ne peuvent donc pas les considérer comme des sacrements.  De plus, toutes ces choses sont données avant le baptême, comme le montre bien saint Augustin.  Or, du consentement de tous, le baptême est le premier sacrement, et il est comme la porte des sacrements.   Enfin, aucune de ces choses n’a de promesse de la grâce qui rend quelqu’un reconnaissant.  Et il n’est pas évident qu’ils aient été institués par le Christ ou les apôtres.  Or, seul le Christ pouvait instituer de vrais sacrements.
Pour le lavement des pieds, la difficulté est plus grande.   Car, nous avons en Jean X111, un rite externe, le lavement des pieds lui-même;  une promesse de grâce : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »  Nous avons aussi un mandat de Dieu : « Je vous ai donné un exemple. »  Et : « Et vous devez, vous aussi, vous laver les pieds les uns des autres. »  Les mots eux-mêmes indiquent que c’est un mystère : « Ce que je fais maintenant tu ne le comprends pas, mais tu le comprendras plus tard. » Nous avons ensuite des témoignages comme ceux des pères Ambroise, Cyprien et Bernard, que rapportent Kemnitius (page 32) pour prouver que les sacrements sont plus nombreux que le chiffre sept.
Je réponds que le lavement des pieds n’a rien en commun avec les autres sacrements proprement dits.  On ne peut l’appeler un sacrement qu’au sens large, comme on dit que sont des sacrements toutes les choses qui ont un sens mystique, et qui sont des types et des figures d’autre chose.  Car, ce lavement des pieds fut un signe de l’humilité  et la charité du Christ.  Il fut aussi un signe de pureté, que doivent posséder ceux qui veulent accéder à l’eucharistie.  Car, c’est juste avant l’institution de l’eucharistie que le Christ l’a fait.   Il fut donc aussi un signe et une figure de la purgation que nous obtiendra la passion du Christ, comme saint Cyrille l’explique.
Que ce ne fut pas un sacrement au sens strict,  nous le constatons facilement du fait que nous n’avons pas de promesse de grâce justifiante.  Car : « si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi », ne promet pas, au sens littéral, une grâce, mais menace d’une peine de désobéissance, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome, saint Cyrille et saint Basile (lire 1, chapitre 2, sur le baptême).  Si Pierre avait récusé ce lavement de pieds, il aurait péri éternellement, non parce qu’il lui manquait un lavement de pieds, mais parce qu’il aurait péché, par désobéissance,  contre le Christ.
A u sens mystique, ce lavement peut peut-être signifier (comme l’explique saint Augustin),  que les justes aussi ont besoin que le Christ leur lave à tous les jours leurs péchés véniels, qui sont comme des saletés qui collent aux pieds.  Mais cela ne suffit pas pour en faire un sacrement,  car, il s’agit là du lavement des péchés véniels, qui ne nécessitent pas une nouvelle grâce qui fait un reconnaissant.  Voilà pourquoi le Seigneur a dit : « celui qui est pur n’a besoin que de se laver les pieds pour être totalement pur. »  C’est-à-dire qu’il est pur, dans toute la force du terme,  quand il juste, mais il a encore besoin de se laver de ses péchés véniels.
 Ce passage ne nous fournit pas la lotion des pieds qui enlèverait réellement les péchés véniels.  Car, autrement, il nous faudrait nous laver les pieds à tous les jours. Il nous enseigne seulement que ce lavage des pieds des fidèles par le Seigneur fut une figure du lavage interne que nous recevons du Christ.  Ce lavage des pieds n’est donc pas  un sacrement proprement dit.
En second lieu, nous n’avons ni mandai ni institution nous demandant de répéter ce signe, comme cela est requis dans tout sacrement.   Et même si, dans quelques églises, cette cérémonie a été utilisée autrefois tout de suite après le baptême, elle ne fut cependant jamais reçue par tous, ni par l’Église romaine, comme l’atteste saint Ambroise au lieu cité.  N’est pas une réfutation le mandat suivant : « Je vous ai donné un exemple. » Et : « Ce que je fais tu ne le comprends pas maintenant, mais tu le comprendras plus tard. »  Car ce mandat prescrit l’humilité et la charité, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome et saint Cyrille, et non le lavement des pieds matériel, comme il appert de la pratique de l’Église.  Car, les chrétiens n’ont jamais pensé qu’ils avaient reçu un mandat spécial de se laver les pieds.
Il est facile de répondre aux citations des pères alléguées.  Car, saint Ambroise l’appelle un mystère et un sacrement, parce que, dans son église, cette  cérémonie sacrée était conservée, et comme quelque chose de sacramental.   Mais, il ne pensait pas que ce lavage de pieds était un sacrement proprement dit, parce qu’il admet que les péchés véniels ne sont pas remis par ce lavement, mais certains restes du péché originel.  Et aussi parce qu’il dit ne pas blâmer l’église de Rome où cette cérémonie n’était pas en usage.  Ce qu’il n’aurait certes pas dit s’il avait pensé que le lavement des pieds était un vrai sacrement.
De plus, Cyprien et Bernard, si on les lit attentivement, ne disent pas que ce lavement matériel de pieds est un sacrement qui sanctifie les hommes, mais ils disent seulement que le lavage des pieds des disciples  fait par le Seigneur, qui n’est arrivé qu’une seule fois, a été un sacrement.   Car, ce lavement signifiait quelque chose de sacré, qui doit se faire tous les jours en nous, l’expiation des péchés véniels, qui se fait à chaque jour en nous par le Christ dans les oraisons, les jeûnes, l’humilité, et les exercices de piété envers le prochain.  Et si nous pensions vraiment que le lavement des pieds est un sacrement comme les sept autres, il nous faudrait tous les jours nous laver les pieds les uns aux autres.   Car, eux-mêmes disent que ce sacrement sert d’expiation pour les fautes quotidiennes.
                                           CHAPITRE 25
On prouve les sept sacrements avec les conciles et les docteurs
La seconde preuve est tirée des témoignages de ceux qui enseignent explicitement sept sacrements. Il y en a de trois sortes. La première.  Les témoignages des théologiens, et de toute l’église depuis au moins 400 ans.  Car, le maître des sentences (livre 4, dist 2) et tous les théologiens après lui ont transmis sept sacrements.  Ce n’est pas que le maître des sentences ait écrit quelque chose de nouveau. Il n’avait présenté   que ce qu’il avait trouvé dans l’église.  Car, si ce que nous disons était faux, l’Église du christ aurait erré pernicieusement pendant un bon nombre de siècles.  En effet, si les sacrements étaient moins nombreux que sept, ça aurait été une grande impiété, une superstition et une déception des âmes de tenir pour sacrements des signes qui n’en sont pas.  S’ils étaient plus nombreux que 7, ça aurait été une grande impiété que de mépriser si longtemps de vrais sacrements, et un grand détriment pour les âmes.
Deuxièmement. Une erreur sur les sacrements est plus dommageable que sur  les autres dogmes.  Car les erreurs sur les autres dogmes sont des erreurs spéculatives, et leur ignorance excuse beaucoup de simplets.  Or, la connaissance des sacrements appartient à la pratique, et à la pratique de chacun des chrétiens.  Troisièmement.  Un usage sincère des sacrements  relève de la connaissance de l’Église, selon la sentence des hérétiques de notre temps.  Voilà pourquoi, si pendant tant de siècles, l’Église avait erré si gravement sur les sacrements, il faudrait dire que l’Église a péri dans le monde.
 Ils ne trouveront pas facilement ceux qui, en notre temps, pensent autrement des sacrements.   Car, même les Hussites et les Waldenses, qui n’étaient qu’hérétiques, recevaient sept sacrements quand Luther est apparu.   Pour les hussites, voir le concile de Constance (session 15, article 8). Et pour les Waldenses, ce qu’en raconte Luther (dans le livre qu’il a écrit sur eux. »
Le second témoignage est celui du concile de Florence, dans l’institution des Arméniens, où ils reconnaissent et expliquent sept sacrements.  Il faut noter là deux mensonges de Kemnitius.  Il dit (2 par examen, page 35), il dit qu’on a essayé que les grecs aient sept sacrements, et que les arméniens ont été forcés d’accepter sept sacrements .  Et, il ajoute que les arméniens, convertis à la foi par l’apôtre Barthélémy, ont, après mille ans et plus, reçu du pontife romain le chiffre 7.  Mais, cela, c’est un mensonge.
Il ment quand il dit que ce concile a essayé chez les Grecs,  comme s’il voulait dire que les pères ont essayé de persuader cela aux Grecs, mais qu’ils n’y sont pas parvenus.  Or, dans tout ce concile, il n’a pas été question  du nombre des sacrements avec les Grecs.  Il est facile  de le vérifier puisqu’il existe encore en grec et en latin.  Bien plus, l’instruction aux Arméniens a été donnée avec l’approbation du concile, juste avant sa dissolution, comme nous le lisons, au même endroit, dans le décret d’Eugène 1V, où se trouve l’institution elle-même.
Ce qui nous fait comprendre que les Grecs, sur la question du nombre des sacrements, ont toujours été du même avis que les latins.  Autrement, les Grecs n’auraient pas approuvé l’instruction si facilement et sans poser de questions.  On peut le confirmer par le témoignage du patriarche Jérémie de Constantinople qui, dans la censure des erreurs luthériennes qu’il a éditée, atteste que les Grecs ont toujours reçu sept sacrements.  Voici ce qu’il dit dans le chapitre 7 : « Dans la divine église catholique, il y a sept sacrements : le baptême, l’onction du saint chrême, la communion sacrée, l’ordre, le mariage, la pénitence, et l’extrême onction. »
Kemnitius ment ensuite quand il dit que ce chiffre a été imposé aux Arméniens, et que ces Arméniens ignorèrent ce chiffre pendant mille ans et plus.  Car, (comme nous le lisons dans le décret d’Eugène), avant l’union des Arméniens avec les latins, des séminaires avaient été tenus entre eux sur la trinité, l’incarnation et les sacrements, et les livres des deux groupes avaient été inspectés; et une instruction fut, à la fin,  prescrite.  Cette foi dans les sept sacrements ne leur a donc pas été imposée, mais elle a été acceptée par eux après  de longues discussions.  Et ils ne l’auraient pas accepté aussi facilement s’ils n’avaient pas constaté qu’elle était conforme aux anciens écrits, et aux rites de leur église.
 Ajoutons que, dans cette même instruction, est présentée aux Arméniens la doctrine des trois personnes divines et des deux natures du Christ.  Si Kemnitius nous accuse de leur avoir imposé les sept sacrements, pourquoi ne nous accuse-t-il pas de leur avoir imposé la doctrine des trois personnes de la trinité et des deux natures du Christ ?
Le troisième témoignage est celui du concile de Trente (session 7, canon 1), où a été ajouté un anathème pour ceux qui nient l’existence de sept vrais sacrements.  Ce témoignage devrait suffire, même si nous n’en avions point d’autre.   Car, si on enlève l’autorité de l’Église présente et du présent concile, on pourra mettre en doute les décrets de tous les autres conciles, et toute la foi chrétienne.   Car telle fut toujours la coutume, chez les chrétiens, que les controverses étaient tranchées par les évêques qui vivaient alors.  Je dirais même que toute la fermeté des anciens conciles et des anciens dogmes dépend de l’église actuelle.
Car le seul témoignage infaillible que nous ayons qu’il y a eu des conciles et qu’ils furent légitimes, et qu’ils définirent ceci ou cela,  est que l’Église qui existe maintenant, et qui ne peut pas errer, pense ainsi et enseigne ainsi.   Ce que rapportent les historiens de ces conciles ne peut engendrer qu’une foi humaine,  sujette à l’erreur.
                                           CHAPITRE 26
On prouve la même chose par des raisons de convenance.
Les docteurs catholiques ont coutume de confirmer le nombre des sept sacrements par divers arguments de convenance.  La première.  La ressemblance qu’il y a entre la vie spirituelle et la vie corporelle.  Dans la vie corporelle, certaines choses sont requises de chaque homme en particulier, et certaines autres de toute la république.  De la part de chaque individu, trois choses sont requises d’elles-mêmes : la génération, la croissance, et la nutrition.  Et deux autres, par accident, les remèdes contre les maladies, et les remèdes pour assurer la convalescence.  De la part de la république, deux choses sont requises.   La première : les parents, qui propagent la vie corporelle des hommes. La seconde : les princes et les magistrats, qui gouvernent et règnent.
Il en est ainsi dans la vie spirituelle.  Est d’abord requise la régénération, qui se fait par le baptême, puis la croissance, qui se fait par la confirmation, et la nutrition par l’eucharistie.  La quatrième, le remède contre les maladies, s’il arrive au régénéré de pécher : la pénitence.  La cinquième, le remède contre les restes des péchés, par l’extrême onction.  Sixièmement, de la part de la république, le mariage, qui propage les hommes pour les députer au culte de Dieu.  Le septième, l’ordre sacré, par lequel les chrétiens sont gouvernés.
La deuxième raison de convenance vient du nombre des péchés et des blessures.  Car, le baptême est principalement contre le péché originel, la pénitence, contre le péché actuel mortel, l’extrême onction, contre les restes des péchés, la confirmation contre l’infirmité, l’eucharistie contre la malice,  le mariage contre la concupiscence, et l’ordre contre l’ignorance.
La troisième raison vient du nombre des vertus.  Le baptême répond à la foi, la confirmation à l’espérance, l’eucharistie à la charité, la pénitence à la justice, l’extrême onction à la force, l’ordre à la prudence, et le mariage à la tempérance.
La quatrième raison vient de la célébrité du chiffre sept dans les expiations.   Voir Exode XX1X,  Lex 1V et V111, X1V. XV, XV1, XX111.   Nombre X1X, Deutéronome XV, Paralip XX1X, Job, dernier chapitre, où il offrait toujours en expiation sept animaux, ou pendant sept jours, ou il aspergeait sept fois avec du sang.  Aussi dans les Rois 1V, V, où on ordonne à Naaman de se laver sept fois pour purger sa lèpre.  Voir saint Thomas (1V, dist 2, question  1, 3, par question LXV art 1, et contre les Gentils, livre 1V, chapitre 58.
Mais Kemnitius (en 2 par examen, pages 16, 17, 18, a trois choses à redire sur ces raisons.  La première.  Il soutient que ce sont les fondements principaux, et les preuves de notre sentence : « Voici quelles sont les preuves et les fondements qui ont fait recevoir par les scolastiques le chiffre sept. »  La deuxième.  Ces preuves ne valent rien, car, autrement, on pourrait prouver de cette façon qu’il y avait aussi sept sacrements dans l’ancienne loi.  Car, il y avait également alors des vertus et des péchés, une vie spirituelle et une vie corporelle.   La troisième.  Si on devait tirer des chiffres de l’ancien testament le nombre des sacrements, on pourrait prouver qu’il y en a trois, ou douze, ou plus encore, car il y a beaucoup de chiffres célèbres et sacrés dans l’Écriture.
Mais ce sont des objections de peu de poids.   Car, d’abord, aucun théologien n’a jamais dit que ces raisons de convenance étaient des preuves, et les fondements de notre foi dans ce nombre, mais seulement des raisons de convenance de vérités que nous considérons de foi.  Car, c’est ce que les théologiens ont coutume de faire : ils montrent que les choses que nous connaissons par la foi ne répugnent pas à la raison,  mais leur sont plutôt conformes.
 Et l’argument de Kemnitius ne conclut, non plus, qu’on pourrait avoir aussi sept sacrements dans l’ancien testament.  Car, les sacrements de l’ancien testament (comme nous l’avons montré plus haut), n’avaient pas été institués pour perfectionner l’homme dans la vie spirituelle, ni non plus, comme un remède contre le péché, à l’exception de la circoncision, mais seulement pour signifier les mystères du Christ, tandis que les nôtres ont été institués pour être des remèdes contre le péché,  pour justifier, et perfectionner l’homme dans sa vie spirituelle, comme on le déduit clairement des Écritures.
Donc, ces arguments de convenance fonctionnent très bien si on les applique à nos sacrements, mais non aux sacrements de la loi ancienne.  Et ce que Kemnitius ajoute sur le grand nombre de chiffres célèbres dans l’Écriture  ne permet de rien conclure.  Car la raison présentée par les catholiques est tirée des nombres qui signifient l’expiation des péchés, non de n’importe lequel nombre.  De plus, dans l’Écriture, le chiffre sept dans les expiations est si fréquent que toute l’Écriture semble crier qu’il viendra un temps où sept remèdes insignes et très efficaces seront donnés par Dieu pour l’expiation des péchés.
                                      CHAPITRE 28
                            On répond aux objections
Il reste à répondre aux objections des adversaires qui sont tirées des Écritures, des pères et de la raison.
De l’Écriture, ils tirent trois arguments.  Un premier négatif, car l’Écriture ne dit nulle part qu’il y a sept sacrements. Un second affirmatif, parce que l’Écriture n’enseigne que deux sacrements.   Car, en Jean X1X, il est dit que du côté percé du Christ, ont coulé du sang et de l’eau, c’est-à-dire, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, et Theophylactus dans leurs commentaires de ce texte, et saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 10 de la foi), et saint Augustin (livre 2, chapitre 6, sur le symbole, et dans son traité 9 sur saint Jean), le baptême et l’eucharistie.  Le troisième.  Non seulement l’Écriture ne parle pas du chiffre sept, mais elle nie qu’il y en ait sept.  Car, dans Apocalypse XV11, un ange donne le nom de sacrement à une bête qui a sept têtes.   Ce qui semble indiquer  que le nombre sept des sacrements appartient à l’antichrist,  qui est désigné par cette bête.  Voilà quels sont donc les arguments de Kemnitius qu’il a tirés de l’Écriture.
À la première objection, nous avons déjà répondu que l’Écriture n’a jamais dit expressément qu’il y avait deux ou trois ou sept sacrements. À la deuxième, nous répondons que ce passage de saint Jean n’est pas mal expliqué quand on  voit le baptême dans l’eau et l’eucharistie, dans le sang, comme le disent à peu près tous les grecs.  Mais, il ne faut pas, à cause de cela, exclure les autres sacrements.  Seuls deux sacrements  sont signifiés par l’eau et le sang qui sortent du côté percé du Christ, parce qu’ils sont les principaux, et parce que, à partir d’eux, ont pouvait porter un jugement semblable sur les autres.   C’est comme dans Hébreux V1, où saint Paul ne parle que du baptême et de l’imposition des mains,  c’est-à-dire la confirmation.
 Par imposition des mains, saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophlactus, Oecumenius et d’autres entendent la confirmation, qui était donnée après le baptême.  Et il ne parle pas de l’eucharistie,  qui était donnée en même temps que le baptême et la confirmation.
Je dis ensuite que nous ne sommes pas obligés de suivre l’explication des pères grecs sur  l’eau et le sang qui sortaient du côté percé du Christ.  D’autre commentateurs, aussi excellents, l’expliquent autrement. Comme saint Cyrille (catéchèse 3) et saint Jérôme (dans son épitre 83 à Oceanus) qui entendent par sang et eaux deux baptêmes, l’un de sang, celui des martyrs, et l’autre de l’eau. Saint Ambroise (livre 9, chapitre 103 sur Luc), saint Léon (épitre 1V), saint Augustin et Bède le vénérable (au chapitre 19 de saint Jean) entendent par le sang le prix de la rédemption,  et par l’eau le baptême.
 Et cela semble être plus  une interprétation littérale, car nous comprenons que du côté du Christ a coulé le baptême, qui tire toute sa force du sang du Christ.  Car, saint Jean ne dit pas que sortirent de l’eau et du sang, comme le demanderait l’ordre s’il s’agissait du baptême et de l’eucharistie, car le baptême précède l’eucharistie.  Mais il dit qu’a sorti du sang et de l’eau, c’est-à-dire le prix, et l’application du prix.  C’est ce que confirme un autre texte de saint Jean (1 Jean V) : « Voici celui qui vient par le l’eau et le sang, Jésus-Christ, non dans l’eau seulement, mais dans l’eau et le sang. »
Saint Jean semble donner une explication du mystère qu’il avait présenté (Jean X1X), et, en même temps, montrer la différence entre le baptême de Jean et celui du Christ.  Car, parce que Jean vint dans l’eau seulement, son baptême n’avait pas d’efficacité.  Or, Jésus apporta un baptême très efficace quand il donna de l’eau mêlée à du sang.
À la troisième objection, je réponds que c’est Kemnitius  blasphème quand il donne aux sacrements du Christ le nom de têtes de la bête.  Car, il est contraint, bon gré mal gré, de compter parmi les têtes de la bête les sacrements qui sont, pour lui aussi, de vrais sacrements, le baptême et l’eucharistie.  Car, ils font, eux aussi, partie du chiffre sept.  Ajoutons que saint Jean ne dit pas que ces sept têtes sont sept sacrements, mais un seul sacrement.
 En conséquence, (s’il est permis de divaguer), cela cadrerait mieux avec Luther qui dit qu’il n’y a qu’un seul sacrement, et plusieurs signes sacramentaux.  Enfin, Jean lui-même donne l’interprétation de ces sept têtes, en disant qu’elles signifient sept rois.  Ce qui ruine de fond en comble tout l’édifice de blasphème de Kemnitius.
Les objections tirées des pères. Calvin (livre 4, chapitre 19, verset 3) dit que, quand les anciens parlent des sacrements au sens propre, ils se contentent de deux : le baptême et l’eucharistie. Il prouve cette assertion par un texte de saint Augustin (livre 3, chapitre 9 sur la doctrine chrétienne, et son épitre 118). Et Calvin ajoute la preuve.  Saint Augustin avait l’habitude de chercher souvent des mystères dans les chiffres.   « Bien plus, écrit Calvin, dans l’étude des chiffres, il s’est montré souvent plus curieux qu’il n’aurait du.  Et, cependant, il n’écrivit jamais rien sur ce chiffre sept  des sacrements. »
Kemnitius (2 par examen, page 25 et suivantes) affirme trois choses au sujet des pères.   La première.  Si nous parlons des sacrements proprement dits, les pères les plus anciens n’en ont connu que deux, le baptême et l’eucharistie.   Il prouve cela avec saint Justin (apologie 2), saint Irénée, et Tertullien (livre 1 et 4 contre Marcion, et dans la couronne du soldat), avec saint Cyrille (dans ses catéchèses), saint Ambroise (dans son livre sur les sacrements, et ceux qui initient aux mystères).  Ces deux auteurs ont parlé explicitement des sacrements, et n’en ont pourtant trouvé que deux.
 La deuxième.   Il affirme que les pères plus récents ont enseigné plus de sacrements que deux, mais moins que sept, quand ils parlaient des sacrements au sens propre du terme.  Et il le prouve avec saint Denys, que nous imaginons être l’aréopagite, qui, dans sa hiérarchie catholique, ne présente que quatre sacrements : le baptême, l’eucharistie, la confirmation et l’ordre.  Avec aussi saint Grégoire (canon multi saecularium, 1, 1,  chez Gratien) qui donne trois sacrements, le baptême, le chrême et l’eucharistie.  Avec aussi Raban et Paschasius au sujet de la cène du Seigneur.  Enfin, avec un auteur incertain, qui, sous le nom de Cyprien, écrit sur les œuvres cardinales du Christ.  Dans ses sermons sur la cène du Seigneur, sur le lavement des pieds, et sur le chrême, il reconnait moins de sept sacrements.
La troisième.  Il affirme que, quand les pères parlaient des sacrements au sens large, ils en énuméraient plus que sept.  Et il le prouve par différents passages de saint Augustin.  Il conclut de tout cela ceci :  que les pères aient parlé des sacrements au sens propre ou en un sens plus large, ils n’ont jamais enseigné sept sacrements, mais un nombre  plus petit ou plus grand.
Je réponds d’abord à toutes ces choses qu’aucun père n’a écrit qu’il n’y avait pas sept sacrements, ou qu’il n’y en avait que deux ou trois; mais que, selon le sujet qu’ils traitaient, ils ont fait mention de quelques sacrements, sans sentir le besoin de parler de tous. Ne militent donc pas contre les théologiens qui affirment l’existence de sept sacrements, ceux qui ne nient pas qu’il y en ait sept, et qui n’affirment pas qu’il n’y en ait que deux ou trois.  Ajoutons que, en plusieurs autres endroits, les mêmes pères n’ont fait mention que d’un sacrement, et dans certains autres, d’aucun.  Selon la dialectique kemnitienne, il faudrait en conclure qu’il n’y a qu’un seul sacrement, ou qu’il n’y en a pas du tout.  Il devrait donc suffire que, les pères en différents endroits,  ou différents pères de la même époque se souviennent ailleurs de tous les sept sacrements, comme nous l’avons montré plus haut.  Après ces réflexions préliminaires,  je réponds à chaque citation des pères.
Au sujet des paroles de saint Augustin citées par Calvin, je réponds que, dans les deux textes, saint Augustin ne dit pas qu’il n’y a que deux sacrements, mais en présente deux, à titre d’exemples.  C’est ce que nous fait comprendre leur contexte.   Car, (au livre 3, chapitre 9 de la doctrine chrétienne), saint Augustin dit ceci : « Peu de mots pour en exprimer beaucoup, faciles à comprendre et gratifiants, et d’une chaste observance, c’est ainsi que l’apôtre  a transmis la discipline, comme le sacrement du baptême,  et la célébration du corps et du sang du Seigneur. »  Tu vois que le mot « comme » signifie qu’il s’agit là d’exemples.   Ainsi est est-il dans l’épitre 118,  où saint Augustin dit que nous avons peu de sacrements par le nombre, mais d’une signification éminente, d’une observance facile.
Il ajoute ensuite : « Comme le baptême, et la communion au corps du Seigneur, même s’il y a d’autres choses qui soient recommandées dans les saintes lettres. »  Tu vois, là aussi, qu’il s’agit d’exemples, et il indique qu’il y en a plus que deux.  Et c’est ce qu’il répète avec plus de clarté dans le psaume 103, dans le sermon 1, par ces mots : « celui qui a recouvert les montagnes par les flots. »    Il dit : « Regarde les ministères de l’église, celui du baptême, celui de l’eucharistie, et ceux des autres saints sacrements. »
Et, (dans son épitre 119, chapitre 7 au même Januarius), il écrit : « Pour la célébration des sacrements, nous utilisons des choses sensibles, de l’eau, du froment, du vin et de l’huile. »   Tu vois ici énumérées les matières de tous les sacrements, sauf du mariage et de la pénitence, qui n’ont, ni l’un ni l’autre, une matière consacrée.  Ajoutons que, même si saint Augustin ne parle, en certains endroits, que de deux sacrements, il en accepte, ailleurs, plusieurs.  Et surtout la confirmation et l’ordre.  Il veut (au chapitre 104, et dans le livre 2, chapitre 13  contre l’épitre de Parménien) qu’ils soient des sacrements comme le baptême et l’eucharistie. Calvin ment donc impunément quand il dit que saint Augustin s’est contenté de deux sacrements.
À la confirmation, je retourne l’argument contre son auteur.  Car, si saint Augustin ne croit que dans deux sacrements, et était plus curieux qu’il ne fallait dans les mystères des nombres, pourquoi n’a-t-il pas indiqué  les mystères qui se cachent dans le chiffre deux sacramentel ?  De plus, il n’est pas vrai que saint Augustin fut si curieux que cela  dans les mystères des chiffres, comme le prétend Calvin.
 Il n’ignorait pas qu’il y a douze articles de foi, trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, dix préceptes du décalogue, et beaucoup d’autres choses du même genre, sur les chiffres desquels il n’a pourtant jamais écrit. Il n’a donc pas écrit non plus sur les mystères du chiffre sept sacramentel, de peur que Calvin ne le taxe d’être trop curieux de ces choses.
J’en viens maintenant aux citations de Kemnitius. Au texte allégué de saint Justin, je réponds que, dans son apologie, il n’a fait mention que de deux sacrements, parce que c’est ce que demandait l’argument de son livre. Car  il répondait aux objections que lui faisaient les Gentils.  Ils lui en faisaient deux. La première : que les chrétiens étaient des athées, parce qu’ils n’adoraient pas les dieux.  La deuxième.  Que dans leurs réunions, beaucoup de choses honteuses et criminelles se produisaient, et surtout qu’ils dévoraient des chairs humaines; et que c’est pour cette raison qu’ils n’admettaient aucun étranger à leurs synaxes.  Sur ces calomnies, voir Tertullien (dans son apologétique, Athenagoras (dans son apologie), et Minutius (dans Octave).
 Saint Justin répond donc à ces deux accusations. Et c’est à cause de cela que, dans la plus grande partie de son livre, il parle de  la foi, et enseigne que les chrétiens ne sont pas des athées, puisqu’ils adorent trois personnes divines, et vénèrent, en plus, les anges.
Et, dans l’autre partie, il traite du symbole.  Et ce n’est qu’en passant qu’il parle du baptême pour faire comprendre qu’il n’est permis qu’aux seuls baptisés de participer à une synaxe.  Et il explique brièvement ce que font les chrétiens tous les dimanches dans leur synaxe.  Il ne pouvait le faire sans parler de l’eucharistie, qui est le mystère principal de la synaxe.  Car c’est sur elle surtout que portaient les calomnies des païens, qui pensaient que les chrétiens se nourrissaient de la chair d’un enfant.  Il n’avait pas besoin de parler des autres sacrements soit parce qu’ils étaient ignorés des païens,  soit parce qu’ils n’étaient pas calomniés.
À saint Irénée, je réponds qu’il n’a jamais entrepris de dispute sur les sacrements,  mais que, selon que le voulaient les circonstances, il parlait tantôt de l’un, tantôt de l’autre.  Car (au livre 1, chapitre 9), il traite de l’eucharistie pour réfuter  les délires d’un certain Marc sur l’eucharistie.   Au chapitre 38, il traite du baptême, pour réfuter les délires des hérétiques de ce temps sur le baptême.  Au livre 4 (chapitres 32, 33 et 34), il traite  des sacrifices de la loi ancienne et de la loi nouvelle, et voilà pourquoi il parle encore de l’eucharistie.   Au livre 1, chapitre 2, il traite de la pénitence, et au livre 3, chapitre 4, il fait mention de la confession.  Il importe peu qu’il ne donne pas à la pénitence le nom de sacrement.  Car, il ne donne ce nom ni au baptême, ni  à l’eucharistie.
A Tertullien, on peut répondre la même chose.   Il n’a jamais entrepris de faire une dispute sur les sacrements.  Mais, dans son livre sur la résurrection de la chair, il distingue clairement quatre sacrements différents : le baptême, le chrême, l’eucharistie, l’ordination.  Ne vaut pas grand-chose la glose de Kemnitius selon laquelle Tertullien ne considérerait pas comme des sacrements le chrême et l’imposition des mains, mais n’y verrait que des cérémonies annexées au baptême, car il distingue les quatre, et attribue un effet propre à chacun.  Et, de plus, s’il s’agissait de cérémonies du baptême, il ne placerait pas l’imposition des mains après l’eucharistie.
Mais voyons les passages allégés par Kemnitius. Le premier, il le tire du contre Marcion.  Mais c’est un texte qui joue plutôt en notre faveur.  Il ne dit pas dans ce livre qu’il n’y a jamais eu que deux sacrements, mais il dit que, dans les sacrements, Dieu a voulu utiliser de l’eau, du pain et de l’huile, qui sont des matières consacrées dans cinq sacrements.  Tertullien ne fait pas mention ici des autres sacrements, car il voulait seulement montrer contre Marcion qui le niait,  que notre Dieu est le vrai créateur des éléments, et des autres choses sensibles.  Il l’avait prouvé cela, un peu avant, magistralement.  Car, si c’était un autre Dieu qui avait créé ces choses, notre Dieu ne s’en servirait pas dans ses sacrements.
Deuxièmement. Il nous objecte le livre 4 contre Marcion, où, en marge du numéro 51 se trouve une annotation du bienheureux Rhenan : « Le baptême et l’eucharistie sont les deux sacrements de l’église primitive. »  Cette note induit Kemnitius en erreur, car, en cet endroit, Tertullien ne dit pas qu’il n’existe que ces deux sacrements, mais il blâme Marcion parce qu’il n’admettait à ces sacrements que ceux qui condamnaient le mariage.
Troisièmement. Il nous présente le livre sur la couronne du soldat de Tertullien, où ne sont nommés ni le baptême ni l’eucharistie.   Mais Kemnitius ne se rend pas compte que, dans ce livre, il n’est pas question des sacrements, mais des cérémonies de l’église, qui n’ont pas été reçues de l’Écriture, mais de la tradition.  Voilà pourquoi il énumère là diverses traditions sur les sacrements.  Et pour que nous ne pensions pas que ce sooent d’autres sacrements ou d’autres cérémonies, il ajoute : « Si, au sujet de ces disciplines, et d’autres du même genre, tu exiges une loi tirée de l’Écriture, tu n’en trouveras pas.  On te montre que c’est la tradition qui en est l’auteur, que c’est la coutume qui les confirme, ainsi que la fidèle observance. »
À saint Cyrille et à saint Ambroise, je réponds deux choses.   La première.  Il est faux qu’ils ne reconnaissent que deux sacrements, car l’un et l’autre, dans les livres cités par Kemnitius, mentionnent le chrême comme un sacrement qui vient après le baptême, et qui est distinct de l’eucharistie.  Voir la catéchèse 3 de saint Cyrille de Jérusalem, saint Ambroise ( livre 3, chapitre 2 sur les sacrements, et le chapitre 7 des livres d’initiation aux mystères.
 La deuxième.  Je dis qu’il n’est pas surprenant que, dans ces livres, ces deux auteurs ne parlent que de trois sacrements.  Car, ils écrivent pour des catéchumènes,  et ils les instruisent des choses qui ont lieu au temps du baptême.  Or, quand les adultes sont baptisés, trois sacrements sont administrés le même jour : le baptême, la confirmation et l’eucharistie.  On le sait avec certitude  et par la pratique actuelle de l’Église, et par les livres cités d’Ambroise, où il décrit tout l’ordre du baptême, et des choses qui le suivent.    Voilà pourquoi Amphilochius  (dans la vie de saint Basile) parle en ces termes du baptême : « L’évêque Maximius a baptisé Basile et Eubulus, et, après les avoir oints du saint Chrême, il leur administra la communion vivifiante. »
À Denys l’aréopagite je dis que, dans le livre, il n’a parlé que de la hiérarchie ecclésiastique, comme son nom l’indique, et des actions solennelles de la hiérarchie, c’est-à-dire de l’évêque.   C’est pour cette raison qu’il parle du baptême et de l’eucharistie, que l’évêque a coutume d’administrer avec un rite solennel.   On peut dire la même chose de la consécration de l’huile, de l’ordination des clercs, qui ne peuvent se faire que par les évêques.  Il a omis les trois autres, car l’extrême onction est administrée par le prêtre, le mariage, de par son essence, n’exige pas un prêtre comme ministre, même si, par un décret du concile de Trente est absolument requise la présence du curé.  Et la bénédiction que l’Église a coutume de donner aux nouveaux mariés est célébrée privément par  le prêtre.
 Autrefois, la pénitence publique incombait à l’évêque, et c’est pendant la semaine  sainte qu’il absolvait les pénitents.  Mais cela semble avoir commencé après la mort des apôtres, quand les péchés ont commencé à foisonner.  Cette objection porte donc sur l’antiquité des vieux livres.  Mais saint Denys n’ignorait pas le sacrement de pénitence, puisqu’il en parle dans son épitre à Demophilus.
À Grégoire, je dis que les paroles de ce canon ne semblent pas être celles de saint Grégoire, et qu’on ne les trouve pas dans ses œuvres.   On les trouve chez Isidore (livre 6, chapitre 19 des étymologies),  qui ne donne pas le nom de l’auteur, mais seulement quelques exemples.  Dans l’institution des clercs, Raban traite de tous les sacrements.  Livre 1 et 6 : de l’ordre;  au même endroit, chapitre 24 : du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie;  au livre 2, chapitre 23 : de la pénitence.  Au même endroit, chapitre 11, de l’extrême onction.  Il n’omet que le mariage qui ne se rapporte pas aux clercs.
Pourquoi s’étonner que, dans son livre sur la cène du Seigneur, Paschasius ne parle que de l’eucharistie, puisqu’il  s’était  proposé de ne parler que de cela.  De plus, Cyprien (ou quiconque est l’auteur des sermons sur les œuvres cardinales du Christ) ne fait pas mention de tous les sacrements, parce qu’il n’explique que  les mystères dont l’église fait mémoire ou célèbre  au jour de la cène du Seigneur, qui sont l’eucharistie, le lavement des pieds, la réconciliation des pécheurs,  et la confection du saint chrême.
 Il n’est pas nécessaire de répondre aux autres textes cités par  Kemnitius , car nous admettons que, pris  au sens large, il y a plus que sept sacrements.  Le dernier argument de Kemtnius est tiré de la raison.  Il donne pour preuve qu’il n’y a que deux sacrements,  la constatation que la définition du sacrement ne convient qu’à deux sacrements.  Mais pour parvenir à démontrer cela, il s’invente une nouvelle définition, qui est très longue. Chacun des mots qu’il y a mis suffirait pour exclure les cinq autres sacrements.  Mais cette définition nous l’avons déjà réfutée dans la dispute de la définition du sacrement.
                                    CHAPITRE 28
L’ordre et la comparaison des sacrements de la nouvelle loi entre eux.
Il reste encore une chose pour mettre un point final à la question du nombre des sacrements, et c’est que nous démontrions leur ordre.  Car, c’est une des nombreuses erreurs de Luther  qu’il n’y ait pas un sacrement plus important qu’un autre.   C’est ainsi, en effet, qu’il parle dans son livre contre les docteurs de Prague, sur l’institution des ministres : « Un sacrement ne peut pas être plus digne qu’un autre, car ils consistent tous de la même parole de Dieu. »  Les calvinistes ont une raison plus grande qui les force à  professer la même chose :  dans l’eucharistie, ils n’admettent qu’une présence symbolique du corps de Jésus.  Pourquoi  donc placeraient-ils l’eucharistie avant le baptême ?
 Mais les luthériens eux-mêmes n’ont pas de raison de placer l’eucharistie avant le baptême. Car, même s’ils avouent que, dans le pain, est vraiment le corps du Christ, ils sont forcés de mettre ce même corps dans l’eau du baptême, puisqu’ils le placent partout,  le corps de Jésus bénéficiant du privilège d’ubiquité.  Et comme il n’y a pas de raison qui les empêche d’attribuer le même effet à chacun des sacrements, à savoir,  contresigner les promesses pour nourrir la foi.
C’est contre cette erreur que s’est prononcé le concile de Trente (session 7, chapitre 3), où il anathématise  ceux qui enseignent que sont égaux tous les sacrements de la loi nouvelle.  Au sujet de ce canon, et de toute cette affaire, il y a certaines choses à noter.   La première.   Calvin (dans son antidote) et Kemnitius  (examen 3 par page 173), ont feint d’ignorer l’importance de la présente question, et en ont fait une matière à plaisanteries  et à calomnies.
 Car, ils disent tous les deux que ce canon ils l’observent scrupuleusement que les catholiques puisque, entre le baptême, l’eucharistie et les cinq autres sacrements, ils  mettent une différence si grande qu’ils enseignent que les premiers ont été institués par Dieu, et les autres inventés par les hommes.   Mais, cela c’est faire semblant d’ignorer l’état de la question.  Car, quand le concile anathématise ceux qui rendent égaux tous les sacrements, il n’insiste pas sur le chiffre sept, mais sur la raison du sacrement.   Voici donc quel est le sens du canon : si quelqu’un rend égaux les sacrements  de la nouvelle loi, que, dans le canon 1, nous avons  dit être sept, de façon à ce que l’un ne soit pas plus digne qu’un autre, qu’il soit anathème.
Il est clair que c’est cela le sens,  parce que, dans ses canons, le concile condamne les erreurs des luthériens.   Or, l’erreur des luthériens n’est pas qu’ils rendent égaux le baptême et la confirmation, ou un des sept qu’ils ne reconnaissent pas comme sacrements,  mais qu’ils ne fassent aucune différence entre le baptême et l’eucharistie.  Et cela, le concile lui-même le montre.  Car, (au bas de la session X111, chapitre 3),  il affirme que l’eucharistie est plus excellent que  tous les autres sacrements.
Il est à noter, en second lieu, que, après avoir feint d’ignorer la vraie raison de ce canon, Kemnitius  en a mis d’autres, à savoir que le concile voulait renouveler l’ancienne contumélie   que le chrême l’emportait sur le baptême;   et  aussi, que le sacrement de l’ordre l’emportait sur tous les autres parce qu’il procure de grasses prébendes .  Enfin, que le sacrement de l’ordre soit si supérieur à celui du mariage qu’ils ne peuvent pas cohabiter.   Mais toutes ces choses ne sont que de pures calomnies, de pures chimères dignes de leur auteur.
Car, comme je l’ai dit, le concile entend surtout condamner l’erreur des luthériens sur l’égalité en dignité  existant  entre le baptême et l’eucharistie.  Et c’est à cela qu’auraient du répondre ces prétendus censeurs.   Nous ne disons pas non plus que le sacrement de l’ordre milite contre le sacrement de mariage, mais que l’acte du mariage est quelque chose d’indécent dans un prêtre.   Car, si, selon saint Paul (1 Corinth 7), les laïcs doivent s’abstenir de leur épouse pour un temps pour cause de prière, il est certain que l’acte du mariage est un obstacle à la prière, et encore plus au sacrifice.  Il nous arrive même d’ordonner prêtre de vrais époux, mais continents.
La troisième note.  Les sept sacrements sont tous de vrais sacrements proprement dits, même s’ils sont tous du même genre.  Ils diffèrent, cependant, par l’espèce, et  pour des raisons différentes, il n’y en a pas un qui ne soit pas supérieur à un autre.  Car, le baptême l’emporte sur tous quant à son effet qui est de remettre les péchés.  Car, il remet le péché originel, ce qu’aucun autre sacrement ne peut faire.  Il remet aussi tous les péchés actuels, et toutes les peines dues au péché, ce que ne font pas les autres sacrements.
 La confirmation l’emporte aussi sur tous les autres, et même sur le baptême, (même si les luthériens ne le veulent pas) quant à l’effet de la grâce reçue  pour bien opérer.  Car, dans ce sacrement, est  conférée la plénitude du Saint-Esprit; et la confirmation est une sorte de perfection et de consommation du baptême.  Car, elle présuppose tout l’effet du baptême, et ajoute une grâce plus abondante.  Voilà pourquoi il est dit aux apôtres en Luc : « Demeurez dans la cité, jusqu’à  ce que vous soyez remplis de la vertu d’en haut. »
 Et avant l’effet de la confirmation, qu’ils reçurent le jour de la pentecôte,  ils étaient, même s’ils avaient été baptisés, timides et craintifs, de façon telle qu’ils avaient tous fui, au moment de la passion du Christ.   Mais, après cela, après avoir reçu l’Esprit-Saint,  ils devinrent très courageux.  Voilà pourquoi saint Cyprien (livre 2, épitre 1) et Corneille (dans son épitre à Fabius, d’après Eusèbe de Césarée, livre 6, chapitre 33 de son histoire ) ne craignirent pas de dire que ne sont pas des chrétiens totalement sanctifiés et parfaits ceux qui sont privés du sacrement du chrême.  Calvin et Kemnitius appellent même cela une vieille contumélie.
L’eucharistie est le sacrement le plus excellent de tous, quant à la substance même du sacrement.    Car, les autres consistent dans une chose sensible et une certaine vertu d’agir communiquée par Dieu au moyen d’un mouvement.  Mais l’eucharistie ne contient pas seulement une vertu opérationnelle, mais le Christ lui-même, l’auteur de cette vertu.
La pénitence l’emporte sur les autres par la nécessité, à l’exception du seul baptême, avec lequel il possède cette excellence en commun.  L’extrême onction, d’une certaine façon, surpasse la pénitence, quant à l’effet de la grâce, comme la confirmation le baptême. Car, elle présuppose l’effet entier de la pénitence, et surajoute une grâce plus abondante, qui non seulement peut effacer les péchés qui resteraient encore, mais enlève aussi les restes des péchés.
L’ordre l’emporte sur tous les sacrements, à l’exception de la confirmation.  Car, il ne peut être conféré que par un évêque.  Il semble même, pour cette raison, surpasser même la confirmation, car la confirmation peut, par une dispense, être conférée exceptionnellement  par un simple prêtre.  Or, les ordres sacrés, et surtout le sacerdoce, ne peuvent être conférés que par un évêque.  De plus, l’ordre l’emporte sur les autres à cause de quelque chose qui lui est propre, parce qu’il établit les hommes dans un grade plus sublime que celui des simples chrétiens.  Et non, (comme l’imagine Kemnitius) parce qu’il fournit de grasses prébendes.
Enfin, le mariage l’emporte par la signification.  Il signifie, en effet, l’union qui existe entre le Christ et son église.  Et c’est pour cette raison qu’il a été par saint Paul  (Éphésiens V),  appelé un grand sacrement.
La quatrième note.   L’eucharistie, à tous points de vue, est plus excellente que tous les autres sacrements.   Car, son excellence est dans la substance même du sacrement.  Et de plus, ce sacrement est la consumation de tous les autres sacrements. Voilà pourquoi on a coutume de le conférer après tous les autres, quand il s’agit des adultes.   On reparlera de cela plus tard.
La cinquième note. L’ordre que le  concile conserve en énumérant les sacrements n’est pas un ordre de dignité.  Il énumère d’abord les cinq qui appartiennent à tous, ensuite les deux autres qui n’appartiennent pas à tous.   Et dans les cinq premiers sacrements, on observe l’ordre du temps où, de par leur nature, ils doivent être reçus.  Car, on donne d’abord le baptême, ensuite la confirmation, puis l’eucharistie.  C’est cet ordre qui est conservé dans le cas de baptisés adultes.  C’est donc l’ordre naturel.  On énumère en quatrième lieu la pénitence, au cas où il arriverait de pécher après le baptême.  Ensuite l’extrême onction, en fin de vie.  Après ces cinq sacrements qui sont communs à tous, on en met deux qui ne conviennent pas à tous, l’ordre et le mariage.  L’ordre d’abord, parce qu’il est plus excellent.   On ne devait pas là tenir compte du temps, car ces deux sacrements ne se trouvent pas dans le même homme, sauf par accident.
                                        CONTROVERSE 6
                Les cérémonies des sacrements en général
Nous parlerons, en leur lieu, des rites de chacun des sacrements. On ne dispute ici que des rites en général.   Nous entreprenons de disputer cette dernière controverse, d’abord parce que c’est une chose qui est  très digne d’être connue, et ensuite pour qu’il  n’y ait pas un seul canon du concile de Trente sur les sacrements que nous n’ayons pas défendu.  Jusqu’à présent, nous les avons tous défendus, à part ce dernier qui dit anathème à ceux qui pensent pouvoir omettre sans péché les cérémonies de l’Église.  Cette question comportera quatre parties.  La première.  Le nom, la définition, et la division des cérémonies.   La deuxième.  De l’état de la question : les erreurs et les mensonges des hérétiques. La troisième.  On explique et on prouve la vérité.  La quatrième. Les objections des adversaires.
2018 11 27 fin

                                      2018 12 02 debut
CHAPITRE 29
        Nom, définition et division des cérémonies
Pour comprendre l’état de la question, il y a certaines choses qu’il faut d’abord noter.  La première.  Qu’est-ce qu’une cérémonie ? La cérémonie est un acte externe de religion qui n’est honorable que parce qu’il est fait en l’honneur de Dieu.  Car, la religion, qui est la plus noble de toutes les vertus morales, a trois actes ayant chacun une vertu propre.  Le premier, l’acte interne qui consiste à vouloir l’honneur qui est du à Dieu, et à lui rendre un culte.   Le second, l’acte externe qui correspond à l’acte interne, et qui consiste dans n’importe laquelle action externe qui n’est bonne et louable que parce qu’elle est faite pour rendre un culte à Dieu, comme la génuflexion, le sacrifice etc.  Le troisième.  Un acte commandé, c’est-à-dire un acte qui est ordonné par la religion en l’honneur de Dieu, comme les jeûnes, les aumônes.  On peut les appeler des actes de religion quand ils sont faits pour rendre un culte à Dieu, même s’ils sont aussi des actes d’autres vertus.
C’est de ce troisième que parle saint Jacques (chapitre 1) quand il dit que la religion consiste à visiter les vieux et les malades, et à se garder pur de ce siècle.  Et saint Augustin (dans enchiridion, chapitre 3) : « qu’on rend un culte à Dieu par la foi, l’espérance et la charité ».  De ces trois actes, le premier n’est une cérémonie en aucune façon.  Le troisième n’est pas non plus une cérémonie, à moins qu’il ne soit commandé par la religion.  Le second est une cérémonie au sens propre, et c’est de lui que nous parlons.
Le mot cérémonie en hébreu ne signifie pas tant  l’action externe que la loi ou le décret qui prescrit cette loi.  Voilà pourquoi dans le nouveau testament les cérémonies judaïques ont coutume de porter le nom de lois.  Matthieu X1 : « Les lois et les prophètes jusqu’à Jean » Galates V : « J’atteste que chaque homme qui se circoncit doit accomplir la totalité de la loi. »  Les Grecs traduisent ce mot par dikaiômata, c’est-à-dire justifications, parce que les cérémonies  étaient des rites institués pour justifier et purger l’homme.
 Les traducteurs latins préfèrent presque toujours rendre le mot hébreu par cérémonies.  Ce nom latin  provient de la ville Caere, comme le veulent Tite Live (livre V),  et Valère Maxime (livre 1, chapitre 1), parce que c’est dans cette ville que les choses sacrées de Rome avaient été conservées quand les Gaulois vandalisèrent la ville de Rome. On aurait peut-être plus de raisons de dire qu’il vient de carendo,  comme le veulent saint Augustin, rétractations, chapitre 37),  et Macrobius (livre 2, chapitre 3, saturnales), du fait que les cérémonies  ont été instituées dans l’abstinence et dans la privation, comme chez les Juifs l’abstention de la chair du porc, et presque tous les autres vœux des nazaréens et des autres qui se privaient, par vœu, de vin et d’autres choses.
Mais venons-en à la division.  Il y a cinq sortes de cérémonies.  La première tire son nom de la fin ou de l’effet.   Certaines, en effet, comme les sacrements, ont été instituées pour justifier, et ce n’est pas d’elles que nous parlons.  D’autres ont été instituées pour produire certains effets spirituels, comme pour chasser les démons, comme les exorcismes et l’eau bénite.  D’autres, pour orner et signifier, comme les robes blanches des néophytes, les lumières des cierges, l’encens.
La deuxième division provient de la cause efficiente, c’est-à-dire de celui qui les  a instituées.  Certaines sont comme instituées par la nature, et on peut les appeler naturelles, comme regarder le ciel, lever les mains, fléchir les genoux, se frapper la poitrine, quand nous prions Dieu. Elles sont communes aux chrétiens et aux païens, et aux membres de n’importe laquelle secte.  Certaines ont été instituées par Dieu, comme beaucoup de choses dans l’ancien testament, et  les sacrements dans le nouveau. On les appelle des cérémonies divines.  D’autres ont été instituées par les apôtres, ou par leurs successeurs, et on les appelle des cérémonies ecclésiastiques.
La division des mots est semblable.  Certains mots visibles sont des cérémonies.  Nous voyons, en effet, que certains mots sont naturels, par lesquels nous exprimons différents effets.  Car, tous pleurent, soupirent, ou rient de la même façon.  Et d’autres ont été institués par Dieu, comme (dans la Genèse 1) les noms du ciel, de la terre, des mers.  Et, ailleurs, les noms de certains grands hommes.  Et ailleurs, des noms institués par les hommes, (Genèse 11.)  On dit qu’Adam a donné des noms aux animaux.
La troisième division est tirée de la cause formelle.  Car, certaines cérémonies sont immédiatement un culte de Dieu, comme le sacrifice, la prière, l’adoration.  D’autres disposent à rendre un culte à Dieu, comme le jeûne, le célibat, l’ascèse.  D’autres sont des instruments du culte divin, comme les temples, les autels et les calices.
La quatrième division provient de la cause matérielle, ou d’après l’objet matériel.   Certaines cérémonies se rapportent aux personnes, comme les exorcismes, les insufflations, l’aspersion de cendre.  D’autres se rapportent aux lieux, comme la consécration d’un temple.   D’autres, au temps, comme les jours de fête, les vigiles, le carême.  Et il y a aussi des temps déterminés pour la célébration des sacrements.  D’autres se rapportent à la manière, comme la langue latine qui doit être employée dans les sacrements.  Enfin, d’autres qui se rapportent aux choses elles-mêmes, comme la bénédiction de l’eau, des vêtements et des palmes.
La quatrième division vient des accidents, qui sont soit universels, soit particuliers,  comme le jeûne du sabbat qui, au temps de sainte Monique, était observé à Rome et non à Milan.  Inversement, le lavement des pieds après le baptême était observé à Milan, et non à Rome.  Voir saint Augustin (épitre 118) et saint Ambroise (livre sur les sacrements 111, chapitre 1).  De même d’autres cérémonies temporaires comme l’abstention du sang et de la suffocation (Actes XV); et d’autres qui sont perpétuelles, comme les rites des sacrements.  Enfin, quelques unes ont été commandées, d’autres laissées au libre choix  de chacun.   Voir saint Augustin (épitre 118).
                                   CHAPITRE 30
                             L’état de la question
Pour bien saisir l’état de la question, il faut faire trois remarques préliminaires.   La première. Elles ne sont pas peu nombreuses les choses que les adversaires admettent avec nous.  Ils admettent d’abord que, en plus des cérémonies qui contiennent l’essence des sacrements,  certaines cérémonies sont nécessaires à l’administration des sacrements.  Ils disent ensuite qu’il faut employer les cérémonies qui ont, dans l’Écriture, un mandat ou un exemple, comme les  prières, les actions de grâce, les exhortations, la psalmodie.  Car, toutes ces choses furent en usage au temps des apôtres (1 Corinthiens X1V, 1 Timothée 11).  Troisièmement, ils admettent que l’Église peut statuer sur les cérémonies qui se trouvent dans l’Écriture, et déterminer un ordre, une manière de les utiliser, pour éviter toute confusion.
C’est ce que disent Luther (dans son livre sur les cérémonies pieuses, et dans son livre sur la formule de messe),  Calvin (livre 4, chapitre 10, verset 14), Kemnitius (examen 2 par. Page 171).  Enfin, les mêmes approuvent forcément les cérémonies qu’ils ont éditées pour leurs églises respectives.
Il faut observer, en deuxième lieu, que les adversaires font plusieurs reproches aux catholiques au sujet de  la doctrine des cérémonies, mais ce ne sont que des mensonges qu’ils réprouvent, non nos dogmes.  Il faut donc tout noter et séparer pour mettre en lumière l’état de la question.
Kemnitius (2 par examen, page 157 et suivantes), nous attribue toutes les choses qui suivent.  D’abord, que le concile de Trente aurait approuvé tous les rites excogités par les hommes, même les plus absurdes.  Calvin dit la même chose  dans son antidote de ce canon.  Mais, rien n’est plus faux.   Le concile en effet, n’a approuvé que les rites reçus par l’église universelle, ceux qu’approuvait aussi saint Augustin dans son épitre 118,  quand il disait que disputer contre eux était faire preuve d’une insolente folie.  Il prétend ensuite que nous affirmons qu’il faut conserver les rites qui militent contre la parole de Dieu; que le pape peut changer ce qui a été institué par le Christ; que c’est un péché mortel et digne d’anathème de faire le moindre petit changement dans ces cérémonies.
 Calvin dit la même chose dans son antidote (livre 4, chapitre 10.)   Il nous reproche ensuite de faire passer les institutions humaines avant les institutions divines, (dans son apologie d’Augusta, article 15, et le dernier).  Ils disent ensuite que nous pensons que, sans ces rites humains, les sacrements ne sont ni vrais ni efficaces.  Ce qui est, certes, un mensonge d’une extrême impudence.
On trouve le même mensonge auprès de Tilmman Heshusius (dans son livre sur les 600 erreurs des pontifes romains, tit, 10, erreur 13. )
Septièmement. Ils prétendent que nous attribuons la même force spirituelle à toutes les cérémonies.   Que, à certaines cérémonies, comme le cierge pascal, nous attribuons l’efficacité sacramentelle.  Luther dit quelque chose de semblable dans sa dernière homélie sur le baptême.  Il affirme que pour  les catholique, sont des sacrements   l’eau bénite, et les autres choses qui sont consacrées.  Même si le même Luther dit le contraire dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre de l’ordre.   Enfin que nous préférons ces cérémonies aux sacrements du Christ.
 Calvin dit la même chose dans son antidote, où il a le front de nous reprocher de faire passer le sel, l’eau et le crachat avant l’eau du baptême. Il ajoute que Tertullien et Cyprien, entachés de l’erreur des montanistes, enseignèrent que les exorcismes et les onctions ont un effet spirituel.  Or, nous n’avons jamais lu que les montanistes aient enseigné quelque chose de semblable.  Mais, chez les pères, nous le lisons souvent.
  Ils disent aussi que Cyprien et Corneille ont attribué à l’onction l’effet du baptême et que, ce n’est que plus tard, au témoignage du maître des sentences, que furent amendées ces opinions;  et qu’elles ont été renouvelées par le concile de Trente.  Mais toutes ces insinuations sont des mensonges flagrants.  Car, Corneille et Cyprien ne parlent pas des cérémonies ecclésiastiques, mais du sacrement de confirmation.  Et ces pères n’attribuent pas  au sacrement de confirmation l’effet du sacrement du baptême, mais un effet qui lui est propre.  Et dans tous les écrits du maitre des sentences, on ne lit aucun mot portant sur la correction de cette sentence.  La seule erreur qui est corrigée ou amendée c’est celle de saint Cyprien sur l’anabaptisme, (livre 4, sentence, dist 6).
Ils ajoutent à ces calomnies, que nous pensons que le culte principal  de Dieu consiste dans ces cérémonies.  Ainsi Calvin (livre 4, chapitre 10, versets 9 et 12, et la confession d’Augusta, article 96, qui porte sur la différence des nourritures.)  Mais toutes ce choses sont des mensonges crasse, et n’ont rien à voir avec l’état de la question.
Nous admettons, nous, tous les catholiques, que les cérémonies ecclésiastiques ne forment pas le culte principal, et que ce n’est pas d’elles que dépendent l’essence et l’efficacité des sacrements.  Qu’elles n’ont pas non plus le pouvoir de justifier comme l’ont les sacrements.  Qu’elles sont donc inférieures aux sacrements, et qu’on ne doit approuver aucun rite qui milite contre la parole de Dieu.  Qu’il ne faut pas les multiplier au point que, par leur nombre excédentaire, elles offusquent la religion qu’elles doivent servir.
 Dans les vignes, en plus des raisins,  les agriculteurs convoitent aussi les pampres, avec lesquelles ils ornent et protègent les raisins. Mais si les pampres croissent trop, elles sont un obstacle plutôt qu’un une aide. On les coupe donc. C’est ainsi qu’on doit se comporter envers les rites, au dire de saint Augustin (épitre 119, chapitre 13.)   Nous sommes d’accord avec les adversaires là-dessus.
Notons, ensuite, que toute la controverse consiste en six chapitres.  Le premier.  Y a-t-il des cérémonies instituées par Jésus-Christ ou les apôtres, qui ne sont pas dans l’Écriture, mais que nous connaissons par la seule tradition ?  Le deuxième. Est-ce que les cérémonies qui ne sont pas des sacrements possèdent une vertu spirituelle qui leur permet de repousser les démons ? Le troisième.  L’Église peut-elle instituer de nouvelles cérémonies ? Le quatrième.  Peut-elle les instituer de façon telle que les fidèles soient tenus, en conscience, de les observer ?  Le cinquième.   Ces cérémonies sont-elles des choses bonnes et méritoires, et une certaine partie du culte divin ?  Le sixième.  Les sacrements doivent-ils être célébrés et administrés en latin ?
À toutes ces questions, les catholiques répondent affirmativement; et les luthériens et les calvinistes, à l’exception du troisième, répondent négativement.   Sur le troisième, ils ne sont même pas d’accord entre eux.  Car, Luther (dans son livre sur la formule de la messe, dans son livre des cérémonies pieuses, et dans la confession d’Augusta, articles 15, et 26), Philippe (dans ses lieux, au titre des cérémonies), et Illyricus (dans son apologie de la confession d’Autuerpiensis, chapitre 10, ) et l’ensemble des luthériens reconnaissent que l’Église peut instituer certaines cérémonies pour l’érudition, la splendeur et l’ordre de l’Église, pourvu que soit absente l’obligation ou l’idée d’un culte.
Calvin (livre 4, chapitre, 10, verset 11), soutient que cela n’est permis en aucune façon, et Brentius (dans la confession de Wirtemgerg, au chapitre des cérémonies) semble penser de la même manière.  Il dit, en effet, que l’Église peut instituer la façon de faire les sermons, les lectures, les fêtes, et d’autres choses qui selon célébrées d’après des mandats ou des exemples de l’Écriture.  Mais qu’il n’est pas permis de commencer de nouveaux rites pour ombrager la vérité qui a déjà été mise en lumière dans l’évangile.   Exemples : allumer des cierges, se servir d’étendards ou de croix, pour signifier la victoire du Christ.
Kemnitius enseigne assez ouvertement la même chose à la page 166. Car, après avoir dit que c’était une question ardue, celle qui veut qu’on se demande s’il est permis aux hommes d’ajouter, pour un motif quelconque, d’autres rites à ceux que le Christ a institués, il répond qu’il ne faut rien ajouter ni enlever à l’institution divine; et que ceux qui le font semblent agir ainsi parce qu’ils pensent que les cérémonies instituées par le Christ  ne sont ni appropriées ni suffisantes.
                                      CHAPITRE 31
                   On explique et on défend la vérité
Pour expliquer et prouver la vérité, nous aurons recours à certaines propositions.  La première.  Le Christ et les apôtres ont institué certaines cérémonies que nous ne tenons  d’aucune Écriture, mais de la seule tradition.  On le prouvera plus au long quand il sera question de chaque cérémonie en particulier.  Nous le prouverons brièvement maintenant en rappelant que le sacrement du chrême est sacrosaint, comme l’affirme saint Augustin (livre 2, chapitre 104, contre les lettres de Petilianus.)  Or, les sacrements seul Dieu peut les instituer. C’est donc le Christ qui a institué le sacrement du chrême.
Et pourtant, nous n’avons jamais dans l’Écriture de mention du chrême.  De même, en 1 Corinthiens X1, l’apôtre dit : « Les autres choses, je  les disposerai quand je reviendrai. »  Et, cependant, il n’a rien écrit, après cela, sur le rite du sacrement de l’eucharistie, dont il était question à cet endroit.  Et il n’est pas crédible qu’il n’ait pas tenu sa promesse, ou que ses autres lettres aient été perdues.  Voilà pourquoi saint Augustin affirme dans l’épitre 118, que parmi les autres lois des apôtres, il y en avait une qui prescrivait que nous devons recevoir  l’eucharistie à jeun.  Que c’est cela, avec d’autres rites que l’Église observe, que l’apôtre avait promis quand il a dit : les autres choses, j’en disposerai à mon retour.
Saint Basile (livre sur le Saint-Esprit, chapitre 27) énumère plusieurs choses, comme le signe de la croix, instituées par les apôtres, et qui ne nous sont parvenues que par la tradition.  Saint Cyprien (livre 2, épitre 3),  enseigne que le mélange de l’eau et du vin dans l’Eucharistie, a été institué par le Christ.  Saint Augustin enseigne la même chose (livre 3, chapitre 21 sur la doctrine chrétienne). Or, nous ne trouvons pas cette chose  écrite dans l’Écriture.  Mais, de cela, en un autre temps.
La seconde proposition. Certaines cérémonies ont une force spirituelle.  De cela aussi, c’est ailleurs qu’il nous faudra  parler.   Pour l’instant, limitons-nous au signe de croix.  Les pères affirment souvent qu’il nous faut armer notre front, et le munir contre toutes les astuces des démons; et que sa vertu est admirable.
Voir Tertullien (au début du Scorpion), Origène  (homélie 6, au chapitre XV de l’Exode),  Cyprien (livre 4, épitre 6), Lactance (livre 4, chapitres 26, et 27), saint Grégoire de Naziance (dans son discours 1 contre Julien), saint Grégoire de Nysse  (dans la vie de Grégoire le thaumaturge), Épiphane (hérésie 30), saint Jean Chrysostome (homélie sur la divinité du Christ), Ephrem (dans son livre sur l’armature spirituelle), Palladius (dans son histoire lausiaque, chapitres 2 et 54), saint Jérôme (dans sa vie de Hilarion), Sulpice dans sa vie de saint Martin, saint Augustin (livre XX11, chapitre V111 sur la cité de Dieu), Prudence (dans son hymne avant le sommeil), Paulin (Noël 8).
Et, au nom des autres, écoutons Athanase (dans son livre sur l’incarnation et  le salutaire avènement de Jésus-Christ) : « Par le signe de la croix, tous les enchantements, les charmes et les incantations sont repoussés, et les poisons rendus inefficaces. »  Et plus bas : « Qu’il vienne celui qui veut faire l’expérience de ces choses, et qu’il se serve du signe de la croix contre les impostures des sorciers, et les prodiges de la magie, comme en se moquant d’eux.  Qu’il invoque le nom du Christ, et il verra comment, par la crainte de ce signe, les démons s’enfuient, les oracles des idoles se taisent, les formules magiques et les poisons perdent leur pouvoir. »
Il faut noter ici que le signe de la croix opère de trois façons pour terrasser les démons.  La première. Par la crainte qu’en ont les démons. La deuxième. Par la dévotion de l’homme.  La  troisième.  Surtout, par l’institution de Dieu, et donc, comme œuvre opérée.  De la première façon, on ne peut pas avoir de doute,  car, quand le démon voit quelqu’un faire le signe de la croix, il se souvient qu’il a été vaincu par la croix du Christ.  Il a donc en horreur ce signe de sa calamité, et il fuit, comme des chiens fuient quand ils voient des pierres ou des bâtons.  Ce signe possède aussi un pouvoir qui lui vient de la dévotion de l’homme qui se signe, de la même façon que possède une vertu la prière orale.  Car, le signe de la croix est un rappel des mérites du Christ crucifié représenté dans le crucifix.  Car, nous prions avec la bouche, le cœur et les genoux.
Donc, opposer au démon ou à n’importe lequel mal la passion du Christ, c’est invoquer Dieu par les mérites du Christ.  L’effet procède alors plus de la dévotion et de la foi internes que de la figure elle-même de la croix.  Comme quand nous prions à voix haute et que nous obtenons ce que nous demandons, cela n’a rien à avoir avec le son de la voix, mais à foi et à la dévotion.
Il y a une troisième façon qui provient de l’institution  de Dieu, et qui a son effet  par l’œuvre opérée.  Car, souvent les Juifs ou les païens ont fait le signe de croix sans la vraie foi et sans dévotion, comme cela est arrivé à Julien l’apostat, selon saint Grégoire de Naziance le raconte (sermon 1 sur Julien l’apostat;  et à l’hébreux Joseph, d’après Épiphane (hérésie 30), et à un autre juif, d’après saint Grégoire (livre 3, chapitre 3,  des dialogues).
Voilà pourquoi saint Augustin (livre 83, question 79) écrit : « Il n’y a pas à s’étonner que ces signes aient de la valeur quand ils sont utilisés par de bons croyants, puisque même quand ils sont usurpés par des étrangers, qui ne se sont  pas inscrits dans cette milice, ils valent quand même à cause de l’honneur d’un si excellent empereur.  Quand les puissances (infernales) ne cèdent pas à ces signes, c’est Dieu lui-même qui l’empêche pour des raisons qui nous échappent, quand il juge cela juste et utile. Car ces esprits n’osent, en aucune façon, mépriser ces signes, et  ils tremblent partout où ils les voient.»
La troisième proposition. L’Église peut instituer de nouvelles cérémonies, non pour justifier l’impie, mais pour d’autres effets spirituels. »  Il faut d’abord noter que les cérémonies instituées par l’Église peuvent être utiles de trois façons.  La première.  Pour orner et représenter un mystère religieux, et aider, de cette façon, les illettrés.  Et là-dessus, chez les catholiques, il ne peut y avoir aucun doute.  La deuxième.  Pour guérir les malades, chasser les démons, et purger les péchés véniels, et cela, par mode impétratoire;  et quand l’Église bénit les chandelles, les palmes ou les malades etc.  Ces choses  procurent les effets pour lesquels elles ont été instituée, et sans doute possible, c’est  par la vertu des prières de l’Église que sont exaucés ceux qui s’en servent..  Et cela, non plus, ne peut pas être mis en doute par les catholiques.
La troisième.   Il est probable que l’Église puisse instituer des cérémonies de ce genre pour obtenir les mêmes effets par l’application des mérites du Christ;  de façon à ce qu’elles produisent ces effets par l’œuvre opérée, comme les sacrements justifient par l’œuvre opérée.  Car, sans doute possible, le Christ a mérité pour son Église   non seulement la grâce et la gloire, mais aussi tous les autres bienfaits qui peuvent lui être utiles.
Pour obtenir la grâce et la justification de l’impie, le Christ a institué des sacrements qui nous appliquent les mérites du Christ; et il n’est pas permis d’en instituer d’autres pour procurer cet effet principal.  Mais pour les autres bienfaits mineurs, il a laissé à son Église le pouvoir d’instituer des signes par les quels nous sont appliqués les mérites du Christ.
 On discute encore là-dessus, car ce n’est pas une chose absolument certaine, surtout du fait qu’on voit que ces signes n’ont pas un effet infaillible.  On pourrait quand même dire qu’ils ont un effet infaillible dans la mesure où cela est utile aux hommes, mais non pas d’une façon absolue.  Car, il nous est   souvent avantageux de ne pas obtenir ce que nous demandons.  Et, en parlant de l’extrême onction,  c’est ce que nous avons coutume de dire au sujet de la guérison corporelle.
Quoi qu’il en soit, notre proposition affirme seulement, contre les hérétiques, qu’il est permis à l’Église d’instituer de nouvelles cérémonies, non pour justifier ceux qui ont commis des péchés mortels, mais pour d’autres fins.  On le prouve, d’abord, par les exemples de la Synagogue,  ou des hommes privés de l’ancien testament.   Car il n’y a aucune raison qui empêcherait l’Église du Christ de faire ce que, sans mandat exprès de Dieu, nais sous  l’inspiration de Dieu, des hommes privés ou la synagogue ont pu faire dans le passé.   Dans Genèse 28, quand il n’était pas encore patriarche, mais un simple homme privé, Jacob conçut une nouvelle cérémonie, sous l’inspiration de Dieu, mais non d’après un ordre formel.  Il érigea une pierre en forme de stèle, y versa de l’huile, et donna à ce lieu le nom de Bethel, en souvenir de la vision qu’il y eut.
De même, la synagogue des Juifs, sous l’instigation de Mardochée, ajouta une nouvelle fête solennelle qui devait être célébrée par tous.  Cette fête, dans la loi que nous avons, Dieu ne l’avait pas instituée telle qu’on la trouve  dans Esther 1X.  De même, au temps de Judith, une autre fête a été ajoutée. C’est bien ce qu’on lit au dernier chapitre : « Le jour de fête de  cette victoire est compté parmi  les jours saints par tous les hébreux, et il a été célébré depuis cette époque jusqu’à nos jours. »
Il importe peu que les hérétiques ne reçoivent pas ce livre.  Il nous suffit qu’ils y prêtent foi  comme ils prêtent foi aux livres de Cicéron ou de Platon.  Car, il ne s’agit pas là d’un dogme abscond, mais de l’histoire d’un exploit militaire.  Nous avons également, dans les Maccabées, au livre premier, chapitre quatre, l’institution d’une nouvelle fête, celle de la dédicace de l’autel, à la célébration de laquelle le Seigneur lui-même est monté à Jérusalem.
En second lieu, on le prouve par l’exemple des apôtres.  Réunis en un concile, (Actes XV), les apôtres ont institué une nouvelle cérémonie, à savoir que les Gentils s’abstiennent de sang et de ce qui est suffoqué.  Or, il est certain que Dieu n’avait prescrit cela que pour les Juifs. Et ce qui plus est, cette loi mosaïque avait été évacuée et abrogée par la mort du Christ.   Ce fut donc une nouvelle cérémonie que les apôtres instituèrent, pour une fin différente de celle de l’ancienne loi mosaïque.  Voilà pourquoi cette cérémonie est appelée un dogme des apôtres (actes XV1).
Et de plus, comme on l’a déjà prouvé, les apôtres en ont institué plusieurs autres, dont l’Écriture ne parle pas.  Or, il n’y aucune raison qui empêcherait  l’Église de faire aujourd’hui ce qu’elle pouvait faire autrefois.  Car, les apôtres ne firent pas cela par une nouvelle révélation à eux accordée, mais de par le pouvoir ordinaire de gouverner l’Église.  La preuve :  ils convoquèrent un concile, statuèrent après délibération, ce qu’ils ont jugé être utile.
Troisièmement. Si l’Église ne pouvait pas le faire, c’est que cela répugnerait à l’Église, ou aux cérémonies, ou à la nouveauté.  C’est-à-dire qu’elle ne le pourrait pas parce qu’elle n’a pas le pouvoir de statuer quoi que ce soit, ou (comme le dit Brentius) parce que les cérémonies appartiennent en propre à l’ancien testament, et non au nouveau testament, ou parce qu’on ne peut rien ajouter aux cérémonies instituées par le Christ.
 Mais on ne peut dire rien de tout cela.   Car, que l’église puisse statuer, rien n’est plus évident, car depuis les tous premiers siècles de foi, des conciles ont été célébrés, qui promulguèrent toujours des canons. Or, condamner tous les conciles ce serait faire preuve d’une grande insanité.  Que cela ne répugne pas non plus aux cérémonies de la loi nouvelle, on le voit par les sacrements institués par le Christ, qui sont d’authentiques cérémonies, comme les adversaires eux-mêmes le reconnaissent.  Cela ne répugne pas non plus à la nouveauté, car le Seigneur n’a jamais prohibé l’addition de cérémonies pour que nous puissions administrer les sacrements plus commodément et plus utilement.  Bien plus, le Seigneur a institué très peu de cérémonies, et n’en a pas non plus fourni le mode d’emploi.  Il a donc laissé le reste à la  providence des pasteurs de son Église, comme l’enseigne saint Augustin (épitre 118.)
La quatrième proposition.  On ne peut omettre sans péché les cérémonies instituées par l’Église.  Cela dépend de cette autre question : est-ce que les lois ecclésiastiques obligent en conscience ?  C’est ce que nous avons déjà disputé (livre 4, chapitre 5 du pontife, et aux chapitres suivants.)  La raison principale est exprimée par saint Paul  (Romains X111) : « Il n’y a de pouvoir que de Dieu.  Les choses qui sont de Dieu sont ordonnées. Celui donc qui résiste au pouvoir, résiste à l’ordre que Dieu a établi dans son univers.  Ceux qui résistent ainsi, ils s’acquièrent pour eux-mêmes la damnation. »  Et plus bas : « Soyons donc soumis à ce qui est nécessaire, non poussés par la colère, mais en conscience. »
Cette sentence l’apôtre l’applique, d’une façon toute particulière, aux princes temporels, quand il ajoute : « Si tu agis mal, crains. Car il ne porte par le glaive pour rien. »  Mais elle vaut, en général, pour tous ceux qui détiennent l’autorité, comme Calvin le concède (livre 4, chapitre 10, verset 5).  D’ailleurs, les mots eux-mêmes le disent : « Il n’est de pouvoir que de Dieu. »  Car, cette proposition équivaut à cette autre : tout pouvoir vient de Dieu.
On ne peut nier que, dans l’Église,  les préposés possèdent un pouvoir sur les autres, comme l’Écriture l’enseigne souvent.  Romains X11 : « Que celui qui préside le fasse avec sollicitude. »  11 Corinthiens X111 : « J’écris ces choses en mon absence, pour que, en ma présence, je n’agisse pas plus durement que le pouvoir que le Seigneur m’a donné. »  Il en résulte donc que pèchent en conscience ceux qui n’observent pas les lois de l’Église.  Car c’est ce que signifient toutes ces choses : ils résistent à l’ordre de Dieu, ils s’acquièrent la condamnation, soyez soumis à la nécessité, non seulement à cause de la colère, mais à cause de la conscience.
Que ces cérémonies ne soient pas laissées à libre choix de chacun, on le prouve ainsi : les cérémonies sont nées dans l’Église lors de graves dissensions, et c’est sous des peines sévères qu’ont été imposées les lois sur les cérémonies;  et sont considérés hérétiques ceux qui ne leur obéissent pas.  Ce sont là de grandes preuves qu’il ne s’agit pas d’une chose facultative.  Car, de toute évidence, les dissensions ne naissent pas des choses qui sont laissées  au libre choix de chacun.
La première dissension dans l’Église porta sur des cérémonies légales, laquelle fut assoupie par les apôtres (Actes XV), quand ils dirent : « Il a paru bon à nous et au Saint-Esprit, de ne vous imposer aucun nouveau fardeau en dehors de ce qui est nécessaire, c’est-à-dire que vous vous absteniez de sang etc. »  Ils n’auraient pas appelé fardeau une cérémonie légale, ni chose nécessaire, si elle n’obligeait pas  en conscience.
La deuxième dissension fut au sujet du jour de Pâque, c’est-à-dire, d’une autre cérémonie.  Et l’église attacha une telle importance à cette cérémonie que le pape Victor menaça de séparer toute l’Asie de l’unité de l’Église, parce que les asiatiques ne voulaient pas obéir au pape.  Témoin Eusèbe (livre 5, chapitre 25 de l’histoire de l’Église.)   Ensuite, le concile de Nicée fut convoqué aussi pour cette question, comme l’écrivent Épiphane (hérésie 70) et Constantin dans son épitre, d’après Eusèbe (livre 3 de la vie de Constantin). Et saint Athanase (dans l’épitre sur les synodes d’Ariminie et de Séleucie.  Il ajoute aussi que le concile de Nicée a commandé fortement que tous obéissent.
 Et le concile d’Antioche, qui fut célébré peu après, excommunia, dans le canon 1, ceux qui n’observaient pas la  loi du concile de Nicée  sur pâque.  Nous apprenons, en outre, des pères, qu’il y a eu des hérétiques qui cherchèrent à observer cette fête de différentes façons.  Comme nous le rapportent Épiphane (hérésie 50), saint Augustin (hérésie 20), Théodoret ( livre 3 sur les fables des hérétiques.)
La troisième dissension porta sur le rite du baptême.  Est-ce que les hérétiques baptisent vraiment ?  Cette dissension causa beaucoup de soucis à l’Église, et plusieurs conciles ont été tenus.  Or, les donatistes ont été considérés comme des hérétiques parce qu’ils n’obtempèrent pas à la décision d’un concile général.  Voir Eusèbe (livre 6, chapitre 3 de son histoire) et saint Augustin (dans la plus grande partie de son septième tome. »
 Il y  eut ensuite d’autres dissensions sur le choix des aliments, sur les jours de jeûne,  les pèlerinages,  les vigiles, les cierges, et sur d’autres cérémonies, à cause desquelles les Eucratites ont été rangés parmi les hérétiques, d’après Épiphane (hérésie 46), et Augustin (hérésie 23.)
Il y eut ensuite les manichéens qui rejetèrent plusieurs cérémonies de l’Église, d’après saint  Augustin (livre 20, chapitres 2 et 4 contre Faust).  Ensuite les Eustatiens, d’après Socrate (livre 2, chapitre 23). Et les Acriens, d’après Épiphane (hérésie 75) et saint Augustin (hérésie 53).  Ensuite, Vigilance, d’après saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance.)  Et puis, Claude de Tours, d’après Jonas (dans ses trois livres sur les images sacrées).  Et aussi les petrobrusiens, selon saint Bernard, (dans son épitre 240).  Ainsi que les Waldenses, d’après Guidon (dans sa somme des hérétiques), et les Thaborites, d’après Énée Sylvius (livre 2, chapitre 35, sur l’origine des Bohémiens.)  Enfin, Jean Wiclif, d’après Thomas Waldenses (tome 3 sur les sacramentaux.)
On prouve ainsi cette proposition.  Si l’observance des cérémonies était facultative, il ne pourrait en aucune façon se faire que, dans l’église, soient conservés un ordre et une uniformité.  Si, maintenant, ou peut à peine conserver l’uniformité dans les choses les plus importantes, qu’arriverait-il donc si elles étaient laissées au libre choix de tout un chacun.  Et pourtant, à 1 Corinthiens X1V, l’apôtre ordonne que tout  soit fait avec honnêteté et ordre.
Ce texte impressionna Calvin au point de vouloir sanctionner par une loi ses cérémonies.   Car, (au livre 4, chapitre 10, verset 27),il  dit que l’Église serait énervée, déformée et dissoute s’il était permis à tout un chacun de changer les cérémonies.   Et, au verset 31, il dit que c’est « avec une grande liberté de conscience qu’on doit observer les cérémonies, mais de façon cependant à ce qu’on n’en vienne pas à les mépriser, ou à les laisser de côté par négligence ».  Or, l’Église n’enseigne rien d’autre au sujet de ses cérémonies.
La cinquième proposition.   Les cérémonies ne sont pas des choses indifférentes, mais utiles et méritoires.  Et elles sont  une certaine partie du culte divin.  Nous en donnerons une preuve en trois parties.  La première.   Que les cérémonies soient utiles, on le prouve par les raisons suivantes.  La première. Puisqu’elles sont nées d’une affection pieuse interne et de la dévotion, les cérémonies conservent ces choses, les nourrissent et les font croitre, comme saint Augustin l’enseigne ( au chapitre 5 du soin à apporter aux morts, dans son épitre 119, chapitre 11, dans son livre 9, chapitres 6 et 7 des confessions.)
 Et nous expérimentons cela, nous aussi, quand nous entrons dans des basiliques richement décorées, ornées de croix, d’images saintes, d’autels magnifiques, brillantes de cierges et de lampes.  C’est le contraire que nous ressentons quand nous entrons dans le temple des hérétiques, où il n’y a absolument à rien, sauf un pupitre pour le prédicateur, une table en bois pour faire la cène.  On a l’impression d’entrer dans une salle profane, un tombeau, non dans la maison de Dieu.
La deuxième utilité est que les cérémonies n’ont pas seulement l’effet dont nous venons de parler, mais qu’elles stimulent l’intelligence, comme saint Augustin l’enseigne dans la même épitre 119, chapitre 7, car, pour les illettrés les peintures tiennent lieu de livres.   Il faut ajouter aussi qu’avec des anciennes cérémonies, on réussit mieux à convaincre certaines  personnes qu’avec  beaucoup d’autres témoignages.
Il est certain que (dans le premier livre des mérites et de la rémission des péchés, chapitre 34, et dans le chapitre 2 du livre 4 contre Julien), saint Augustin a pensé pouvoir donner comme preuve  que le péché originel était dans les enfants avant le baptême, le fait  que l’Église avait coutume de les exorciser, de souffler sur eux, et de leur demander, par  la bouche de leurs parrains, de renoncer au démon et à ses œuvres.
La troisième utilité est qu’elles aident la mémoire.   Car, si, à chaque année, on ne représentait pas, par diverses cérémonies, la naissance du Seigneur, ses miracles, sa prédication, sa passion rédemptrice et sa résurrection,  de si sublimes mystères tomberaient facilement en oubli.
La quatrième utilité est l’exercice de la foi.   Nous exerçons grandement notre foi quand nous nous armons, contre le diable, du signe de la croix, d’eau bénite, ou d’autres choses de ce genre, comme les saints scapulaires ou les médailles.  Par ces cérémonies, nous protestons que nous croyons fermement que le crucifix a une si grande puissance que les démons fuient à sa vue.
 La cinquième est la conservation de la religion.  On accorde beaucoup d’importance aux cérémonies pour que la religion ne soit pas avilie et méprisée, et pour que finalement, elle ne périsse pas.   Car, comme elle est spirituelle,  la plus grande excellence de notre religion n’est pas facilement perçue par nous, qui sommes corporels.  Voilà pourquoi on ne propose pas des mystères nus, mais revêtus et ornés, pour que nos sens perçoivent quelque chose de sa majesté, et que, à cause de cela, notre esprit la perçoive encore mieux.
Les cérémonies sont donc pour la religion comme le sel pour les aliments.  Saint Augustin a donc raison (livre 9, chapitre 2 contre Faust) d’affirmer qu’aucune religion, vraie ou fausse,  ne peut subsister sans cérémonies.  Voilà pourquoi, chez  les anciens, être théologien n’était rien d’autre que savoir quels dieux il faut honorer, et par quelles cérémonies, comme on le peut le voir chez Platon, dans son dialogue sur le règne.  Et chez les Juifs, savoir les cérémonies était avoir atteint la cime du savoir.  C’est ce que nous montre l’Exode au chapitre 18, où Jethro conseille à Moïse de nommer d’autres juges  pour les procès civils, et de se réserver d’enseigner les cérémonies au peuple, et les rites qu’il faut utiliser  pour  rendre à Dieu un culte.
Les chrétiens aussi eurent en grande estime la connaissance des cérémonies, comme la question de la date de pâque le démontre amplement. On peut voir la même chose chez saint Basile (épitre 63), saint Léon (épitre 4), saint Innocent 1 (épitre 1 à Décentius), qui blâment les évêques qui négligent les cérémonies.
La sixième utilité est de faire la distinction entre catholiques et hérétiques.   Car, les sacrements sont des symboles qui nous distinguent des infidèles. Or, n’est pas tellement par  les sacrements que les catholiques se distinguent des hérétiques;  c’est surtout par les cérémonies. Car, à notre époque, le signe de la croix, l’abstinence de la viande le vendredi, et d’autres choses semblables sont d’excellents signes qui distinguent un catholique d’un hérétique.
 C’est pour cette raison qu’au tout début, les apôtres changèrent le sabbat en dimanche, pour ne pas sembler judaïser.  Et Épiphane (à la fin de ses livres contre toutes les hérésies), fit la recension des cérémonies de l’Église, en les présentant comme des notes qui distinguaient l’Église de toutes les sectes.  Voilà pourquoi de saints hommes préférèrent mourir plutôt que d’être forcés à omettre certaines cérémonies, comprenant très bien que seuls les déserteurs font peu de cas des insignes militaires.
Témoin saint Éléazar (livre 11 des Macchabées, chapitre V1) qui, ne voulant pas trahir sa religion,  préféra être mis à mort plutôt que de faire semblant de manger une viande impure. Il a été suivi par sept de ses frères, comme on le voit au septième chapitre du deuxième livre des Macchabées.  Tertullien (dans son livre sur la couronne du soldat) nous présente un soldat qui préféra mourir plutôt que de recevoir, avec les autres soldats,  la couronne de laurier. Car, les chrétiens d’alors pensaient  qu’un baptisé  ne pouvait pas faire cette cérémonie.
Quelles soient méritoire, et qu’elles plaisent à Dieu, on le prouve ainsi.  Toutes les œuvres de vertus plaisent à Dieu, et méritent une récompense auprès de Dieu, si elles sont faites comme il se doit, c’est-à-dire, avec foi et charité.  Car, les cérémonies sont les œuvres des vertus.  Elles sont donc au moins des actes de religion, et sont souvent en même temps des œuvres de religion et d’une autre vertu.  Et, comme elles sont commandées, elles sont aussi des actes d’obéissance.
 Deuxièmement.  La profession extérieure de foi plait à Dieu, comme il appert en Matthieu X : « Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux. » Et en Romains X : « La confession à haute voix est faite pour obtenir le salut. »  Or, par les cérémonies, nous professons la foi, comme il va de soi, car un Turc ne sait pas moins que je suis un chrétien s’il me voit vénérer la croix que si je  lui dis que je suis chrétien.  Voilà pourquoi même les adversaires admettent que, par les sacrements, nous professons notre foi.
Troisièmement. À Dieu plaisent la foi, l’espérance, la charité, la dévotion, et tout bon acte intérieur.   Lui plairont donc aussi les actes extérieurs, qui sont les effets des actes intérieurs, et qui les augmentent et les conservent (comme nous l’avons déjà dit.)  Voilà pourquoi (Exode XV11),  le peuple gagnait quand Moïse priait les bras étendus en forme de croix, et perdait quand, de fatigue,  il laissait tomber ses mains.
Qu’on puisse les appeler des parties du culte divin, on le prouve ainsi.  La raison naturelle enseigne que l’homme, qui a un corps et une âme,  doit honorer et adorer Dieu avec son âme, par des actes intérieurs, et avec son corps,  par des actes extérieurs.  Voilà pourquoi saint Cyprien (dans son sermon sur l’oraison dominicale), dit : « Pensons que nous nous tenons  toujours  sous le regard de Dieu.  On doit plaire aux yeux divins et par les mouvements du corps, et par le son de la voix. »
 Deuxièmement. Bien qu’elles subsistent surtout dans l’âme, toutes les autres vertus s’accomplissent par des actes extérieurs, comme la tempérance, la force, etc.  Pourquoi ne pourrions-nous pas dire la même chose de la religion ?  Et si, au consentement de tous,  la prière vocale est un culte de Dieu, pourquoi pas aussi l’adoration corporelle ?  Car, comme la prière vocale est un culte parce qu’elle est un signe mental, l’adoration est aussi un culte parce qu’elle est un signe d’une adoration interne.
Troisièmement.  La nature enseigne qu’il faut adorer Dieu de la meilleure façon possible, puisqu’il est l’être suprême.  Or  celui qui l’adore avec son corps et son âme l’adore mieux que celui qui ne l’adore qu’avec son âme.   On peut donc rendre un culte à Dieu avec des cérémonies corporelles.  Quatrièmement.  Dieu est vraiment offensé et il est traité ignominieusement non seulement par un acte interne, mais aussi par un acte externe.  On ne doit donc pas l’honorer seulement par un acte interne, mais aussi par un acte externe.
Les adversaires répondraient à tout cela qu’ils ne nient pas que Dieu puisse et doive être honoré par certaines cérémonies, mais non par celles qui ont été inventées par les hommes.  Car, selon eux, ne plait pas à Dieu le culte qu’il n’a pas institué lui-même, ou en faveur du quel il n’a pas témoigné par sa parole.    Nous répondons que c’est le contraire qui est vrai.   Car, ou bien il est requis que Dieu ait approuvé expressément tel culte en particulier, ou il suffit qu’il l’ait approuvé en général et virtuellement.   On ne peut pas dire que ne plait pas à Dieu un culte qu’il n’a pas expressément approuvé en particulier, car il est certain que le culte d’Abel plut à Dieu, qui lui offrit les animaux gras de son troupeau (Genèse 1V et Hébreux X1).  Et pourtant, ce sacrifice Dieu ne l’avait pas prescrit.
 A plus aussi à Dieu le culte de Jacob qui prit une pierre et la dressa comme une stèle (Genèse XXV111), et le culte de la vierge Marie qui avait voué une virginité perpétuelle, que Dieu n’avait jamais commandée.  Il suffit donc que Dieu commande quelque chose en général.
Calvin admet cela, car (au livre 4, chapitre 40 verset 60), voulant que la génuflexion dans la prière soit une chose bonne, et même une chose divine, il présente ce témoignage de l’apôtre (1 Corinthiens X1V) : «Faites toutes choses dans l’honnêteté et l’ordre. »  Et il conclut que la génuflexion est une chose bonne et divine, parce qu’elle est indiquée en général dans ses prescriptions sur la prière.  Et, de cette façon, toutes nos cérémonies sont bonnes et divines, car elles sont indiquées par Dieu en général, et sont approuvées de plusieurs façons.  D’abord, dans ce témoignage de saint Paul on n’inclut pas moins la génuflexion que l’allumage des cierges, les vêtements sacrés etc.
Deuxièmement.  Quand Dieu ordonne d’obéir aux préposés, il ordonne d’une façon générale d’observer toutes les lois ecclésiastiques, dont un bon nombre sont des cérémonies.  Enfin, Dieu est l’auteur de toutes les vertus.  Or, en Sagesse V111,  il est dit au sujet de la sagesse divine : « Elle enseigne la sobriété et la prudence, la justice et la vertu, car, dans la vie, rien n’est plus utile aux hommes. »  On énumère là les quatre vertus cardinales, auxquelles toutes les autres se réduisent.  Dieu  enseigne et recommande donc la religion, qui est une partie de la justice, et aussi un culte externe, qui est une partie de la religion.
La sixième proposition. Il a été institué très sagement que, dans l’église latine, les sacrements soient administrés dans la langue latine.  Il faut d’abord noter que quand on parle de la langue dans laquelle les sacrements doivent être administrés, il faut mettre le mariage à part.  Car, puisque le mariage consiste dans le consentement mutuel, il est requis que soient employés des mots, ou des signes de tête, qui sont compris de part et d’autre.
Et, semblablement, la confession des péchés doit être faite dans une langue connue par le pénitent et le confesseur, même si la confession est plutôt une partie du sacrement que le sacrement lui-même.
Il faut noter ensuite que  n’est pas de droit divin le choix de la langue dans laquelle un sacrement est administré; et que c’est une chose qui  n’appartient pas à l’essence du baptême.  Car, le baptême aura la même valeur s’il est administré en latin, en français ou en anglais.  Cependant, pour des raisons nombreuses et sérieuses, il a semblé bon  à l’Église et au Saint-Esprit qui la régit, que les sacrements ne soient pas, sauf en cas de nécessité,  administrés dans la langue vernaculaire.
La troisième note.  Nous parlons, il va sans dire, de l’église latine, car les grecs font bien de se servir de la langue grecque, les syriens du syrien, et les chaldéens de la chaldéenne.  Car, le ministère sacerdotal requiert une langue qui n’est pas celle de tous les jours, qui soit connue au moins par les doctes, car, autrement, on ne pourrait pas trouver des ministres et des pasteurs idoines.  C’est ce que sont pour les chrétiens les langues latine et grecque.  Aucune d’elle n’est vulgaire, mais chacune est commune à tous, et est connue par les experts d’une région.  On pourrait peut-être dire la même chose de l’arabique, qui est maintenant commune à toutes les provinces orientales, et dans laquelle sont célébrés les offices divins.  Mais, autre est l’arabique vulgaire, et autre l’arabique utilisé dans les mystères.
On prouve ainsi cette proposition.   D’abord, par la coutume antique de l’Église. L’église latine a toujours administré les sacrements en latin, même si le latin a cessé depuis longtemps d’être parlé par le peuple. On peut le voir par Isidore, Alcuin, Amalaric, Raban, Strabon, Micrologue, Rupert, Thomas Waldensis qui écrivirent sur les offices divins en Espagne, dans les Gaules, en Germanie, en Italie et en Angleterre, au temps où la langue latine n’était  plus comprise par le peuple.  Or, ils disent en toutes lettres que les sacrements avaient toujours coutume d’être administrés en latin.  Car, c’est en latin qu’ils décrivent tout le rite, et les paroles officielles qu’on doit utiliser.
 De plus, dans l’administration des sacrements, on lit toujours certains textes de la bible, et surtout chez les adversaires.   Car, les seuls livres qui existaient alors étaient en hébreu, en grec ou en latin, comme nous le fait comprendre Bède e vénérable (dans le premier livre de l’histoire de son peuple, chapitre premier ), où il dit que, en Angleterre, il y  avait, à son époque quatre langues vernaculaires, mais que le latin était la langue commune à tous à cause des écritures.  Raban aussi (dans son livre 3 sur l’institution des clercs), dit que, à son époque, les saintes lettres n’existaient que dans ces trois langues.  De plus, les adversaires ne peuvent nous présenter, en fait de traductions en français, en espagnol ou en italien que des traductions faites tout récemment.
Ils peuvent nous objecter l’édition gothique, dont l’évêque des Goths, Uphilas atteste l’existence (dans la troisième partie de son huitième livre, au treizième chapitre).  Mais l’évêque ne l’a pas faite cette traduction avant d’être devenu arien avec tout son peuple.  Ajoutons enfin deux exemples qui montrent clairement qu’on n’utilisait pas, autrefois, la langue vernaculaire dans l’administration des sacrements. Le premier est des Moraves,  que présente Énée Sylvius en parlant de l’origine des Bohémiens (chapitre 13).   Il rapporte qu’ils demandèrent au pontife romain de pouvoir célébrer les offices divins en langue slavon.  En plus des Moraves, les Bohémiens demandèrent la même chose au pape Grégoire V11,  qui refusa, (livre 7, de ses épitres.)  Si tous usaient alors de la langue vulgaire, ils n’auraient pas eu à demander de dispense au pape.
On le prouve ensuite par la raison.  Il n’y a pas de nécessité qui nous contraigne à célébrer les sacrements en langue vernaculaire.  Mais, nombreux seraient les inconvénients si on le faisait.  On prouve ainsi qu’il n’y a pas de nécessité.  S’il y avait une nécessité ce serait pour que ceux qui reçoivent les sacrements comprennent ce qui est dit et fait.  Mais cela n’est pas une véritable nécessité.  Car les paroles des sacrements ou on les distingue par les éléments, comme la consécration de l’eucharistie, la bénédiction de l’eau et de l’huile, (les éléments n’entendent aucune langue) ou elles sont dirigées vers Dieu en tant que formes déprécatoires des paroles, comme dans l’extrême onction.  Car, Dieu comprend toutes les langues.
 Ou elles sont dirigées vers les personnes mais  pour consacrer ou absoudre, mais non pour instruire ou enseigner, comme dans le baptême et l’absolution, et ce n’est donc que par accident que la personne comprend.  La preuve en est qu’est efficacement et validement baptisé et réconcilié celui qui n’a pas l’usage de sa raison, ou de ses sens.  Qu’on puisse être réconcilié et même baptisé sans le baptême, saint Augustin l’enseigne (livre 1, chapitres 26 et 28,) et le concile 4 de Carthage (canon 76), et saint Léon (épitre 91 à Théodore).
Ajoutons qu’il n’y en a peu qui soit si peu intelligents qu’ils soient incapables de se faire une certaine idée des mots des sacrements, soit pas les mots eux-mêmes, soit pas la façon dont les sacrements sont administrés.
Voici quels seraient les inconvénients qui naitraient de l’emploi  d’une langue vernaculaire.  On empêcherait la communication d’une église à l’autre. Les Italiens, les gaulois les espagnols ne pourraient pas aller dans les églises des anglais, des allemands ou des polonais, et vice-versa.  Ce qui nuirait beaucoup  à l’unité et à l’universalité, car nous devons tous être les membres d’un même corps.  Et de plus, les chrétiens qui se trouveraient loin de leurs églises seraient privés des sacrements.
 Deuxièmement.  Les sacrements requièrent la majesté, et une certaine révérence, choses qui sont plus facilement conservées si on n’emploie pas de langue vulgaire.  Il convient et il est équitable que dans l’administration des sacrements  on utilise d’autres maisons, d’autres vêtements, d’autres instruments  que ceux de la vie de tous les jours.  Cela semble être la même chose pour la langue.  Mais nous n’imaginons pas, comme le pense Kemnitius, que la langue latine est plus sacrée que les autres.  Nous disons seulement qu’elle est plus vénérable que les autres, et que le sens des mots est fixé une fois pour toutes.
Troisièmement. Il convient que les mots des sacrements soient proférés de la même façon avec des mots reçus et éprouvés, pour se prémunir contre la mutation ou la corruption de sens.  On aura plus de facilité à atteindre ce but si on n’utilise qu’une seule langue que si on en emploie un grand nombre.  Quatrièmement, si on administre les sacrements dans les langues vernaculaires, ou ouvrira large la porte de l’ignorance.   Car les ministres se contenteront de savoir lire.  On oubliera donc peu à peu  la langue latine, et on finira par ne plus comprendre les Écritures.
                                          CHAPITRE 32
         On solutionne les objections contre les cérémonies
 Contre les cérémonies, Jean Calvin (livre 4, chapitre 10) fait plusieurs objections qui doivent être réfutées dans l’ordre.   Le premier argument au verset 2 : « L’apôtre (1 Corinthiens V11) n’a osé, en aucune chose, tendre des pièges. Et ce n’est pas pour rien, car il prévoyait la grandeur de la blessure qui serait infligée aux consciences, si une nécessité était imposée aux choses que le Seigneur a laissées libres. »
Je réponds que l’apôtre parle, dans ce passage, de la continence virginale, que le Seigneur n’avait pas commandée, mais conseillée.  Et il était juste que l’apôtre ne fasse pas, non plus, un précepte de ce que le Seigneur avait présenté comme un conseil.  Mais il n’en va pas de même des autres choses que le Seigneur a prescrites en particulier.  Ces choses peuvent être commandées ou simplement conseillées par l’Église selon qu’elles le requièrent elles-mêmes.
 Voilà pourquoi l’apôtre qui ne voulait pas imposer la continence, a prescrit beaucoup d’autres choses. 2 Thessal, dernier chapitre : « Si quelqu’un n’obéit pas à notre parole exprimée dans la lettre, prenez-en note, et ne vous mêlez pas avec lui, pour qu’il soit confondu. »  Et (aux Actes XV, les apôtres imposèrent aux Gentils l’abstention du sang et de la suffocation, en disant que la chose était nécessaire.  Et pourtant, le Seigneur avait laissé cela libre.
Le second argument, au verset 8 : « Dans son épitre aux Colossiens, l’apôtre enseigne que, au sujet du vrai culte de Dieu, il ne faut pas chercher de doctrine auprès des hommes, parce que le Seigneur nous a fidèlement et complètement enseigné comment on devait rendre un culte à Dieu ».  Pour démontrer cela, il dit, dans le premier chapitre, que dans l’évangile est contenue toute la sagesse qui rend parfait un homme de Dieu dans le Christ. Au début du second chapitre, il dit que tous les trésors de science et de sagesse sont cachés dans le Christ.  Et il conclut un peu après en disant : que les fidèles prennent soin de ne pas se laisser détourner, par la vaine philosophie, du troupeau du Christ, selon les constitutions des hommes.  À la fin de ce chapitre, avec une ardeur encore plus grande, il condamne tous les cultes fictifs qui proviennent d’un mélange de cultes divers,  ou qu’ils ont reçus d’autres personnes, et qui osent transmettre aux autres des cultes de Dieu de leur invention.
Je réponds d’abord que cette épitre aux Colossiens n’a rien contre les lois ecclésiastiques sur les cérémonies.  Car, comme il appert de saint Jean Chrysostome,  saint Ambroise, Theodoret, Theophylacte,  et Oecumenius, elle a été écrite contre Simon le magicien, et contre d’autres hérétiques et imposteurs de son temps, qui persuadaient les hommes qu’il fallait accéder au Dieu suprême par certains anges, et que le Christ ne suffisait pas.  Et ils imposaient en plus aux chrétiens, des cérémonies moitié juives, moitié païennes.   Voilà donc pourquoi, dans le premier chapitre, il traite longuement de l’excellence du Christ, qu’il dit qu’il est la tête de tous, et au dessus de tous, que les anges l’ont pour auteur, et qu’ils dépendent de lui.
  Ensuite, dans le second chapitre, il avertit de ne pas se laisser tromper par la philosophie, la platonicienne ou les autres, dont se servaient les Simoniens et les Gnostiques. Il attaque en même temps ceux qui conservent les sabbats et les néoménies, qui sont des rites juifs évacués par le Christ, et qui s’abstiennent de viandes impures; ceux qui marchent dans la religion des anges, pensant qu’on ne peut accéder à Dieu que par eux.  Toutes ces choses étaient des faussetés et des impostures. Je réponds, maintenant,  à chacune des assertions de Calvin.
 La première. « Le Christ nous a pleinement  instruits  du vrai culte de Dieu ».  Je réponds que cela est  vrai si on parle d’une instruction en termes généraux, mais non de chaque solennité en particulier, comme Calvin lui-même le reconnait (verset 30 du texte déjà cité, qui portait sur la génuflexion.)
 La deuxième : «  l’apôtre nous enseigne de ne pas demander aux hommes une doctrine sur le vrai culte ».  Je réponds que l’apôtre parle des hommes qui enseignent des choses contraires à l’enseignement du Christ, comme les philosophes, les simoniens, les gnostiques. C’était une bonne chose de demander à des hommes qui édifient sur le Christ, qui enseignent selon la règle et sa doctrine les rites particuliers dont le maître n’avait parlé qu’en général.  Car, c’est le Seigneur qui a dit en Luc X :  « Qui vous écoute m’écoute ! »
La troisième. « L’apôtre condamne tout culte humain et volontaire ».  Je réponds que ce que saint Paul appelle un culte humain et volontaire, c’est un culte purement humain, et donc inventé par l’intelligence humaine, en d’autres termes, un culte qui n’est pas conforme à la foi et aux principes de la doctrine du Christ.   Or, les choses que l’Église institue ne sont pas purement humaines, puisqu’elles sont instituées sous l’inspiration du Saint-Esprit.
Voilà pourquoi (1 Cor X1V), après avoir institué des rites divers de prophétie et de prise de parole dans l’église, et avoir demandé aux femmes de se taire, choses que le Seigneur n’avait pas commandées, l’apôtre Paul ajoute : « Si quelqu’un est un prophète ou un spirituel qu’il comprenne que les choses que je dis sont mandatées par le Seigneur. »  Il appelle mandats du Seigneur ce qui lui a été donné par inspiration.  Voilà pourquoi il voulait que les spirituels le reconnaissent. Car, si ces préceptes avaient été formellement prescrits par le Seigneur, nul n’aurait eu besoin de l’Esprit Saint pour les reconnaitre.
Troisième argument, verset 9 : « Aux Galates V, l’apôtre ne supporte en aucune façon que les consciences des fidèles soient ramenées à la servitude.  Il n’est donc pas permis d’instituer des cérémonies qui obligent en conscience. »  Je réponds que saint Paul parle de la servitude judaïque, non de l’obéissance à n’importe laquelle loi.  Car, autrement, comment le même apôtre pourrait-il enseigner l’obéissance aux autorités : «  non seulement …..mais en conscience. »
Il est à noter ici que loi ancienne était appelée un joug de servitude, non parce qu’elle obligeait en conscience, (ce qui est commun à toute loi) mais parce qu’elle était très difficile et fort laborieuse, et qu’elle n’avait pas avec elle une grâce annexée, qui l’aurait fait observer par amour de la justice.   En conséquence, ou elle n’était pas observée, ou elle était observée par peur de la peine---qu’il y en ait eu  qui l’accomplissaient par amour de la justice, comme les patriarches et les prophètes, et beaucoup d’autres, on ne peut le nier;  mais non de  par la loi, mais de par la grâce du nouveau testament qu’ils avaient---et de cette façon, elle pesait et opprimait comme un joug très lourd.
 C’est de ce joug que l’apôtre libérait les Galates.  Car, comme ils voulaient se circoncire, ils sortaient de la grâce du Christ, et s’obligeaient à l’observance de la loi entière, ce qui était comme retourner à la condition de l’ancien testament.  C’est donc de mauvaise foi que Calvin commente l’Écriture, quand, pour prouver son hérésie,  il la détourne de son véritable sens.
Le quatrième argument, aux versets 10 et 15 : « Le Seigneur (en Matthieu XV) réprouve les traditions des hommes, Isaïe fait de même : « C’est en vain qu’ils me rendent un culte avec des commandements humains. »  Je réponds que, dans ce dixième paragraphe, il y a tant de mensonges que, avec tous leurs savons, les genevois ne pourront jamais les blanchir.   En voici quelques-uns.  Que les catholiques interdisent le mariage, et admettent la prostitution.  Qu’ils pensent que celui qui ne fait que goûter à la viande le vendredi pèche plus gravement que s’il avait, à chaque jour, souillé son corps avec une courtisane, etc.
Et à ce passage de l’Écriture que citent souvent Brentius, Philippe, Kemnitius et les autres, je réponds que le Seigneur avait coutume de réprouver trois choses dans les cérémonies judaïques.  La première, que certaines étaient en opposition avec des commandements de Dieu.  Comme ce que l’on voit dans Matthieu XV,  et Marc V11 : les fils donnaient aux prêtres ce qui était nécessaire à leurs parents.  La deuxième. Que plusieurs traditions des pharisiens étaient vaines  et inutiles, comme se laver les mains.  Ce sont ces genres de cérémonies que le Seigneur appelle des commandements humains, parce qu’il n’y avait, en eux, que de l’humain.  La troisième.   Qu’ils en conservaient certaines qui étaient bonnes et utiles, mais qu’ils péchaient dans la façon de les observer, c’est-à-dire en plaçant en elles le sommet de la perfection; et en en faisant plus que les commandements divins.
Ce sont de ces cérémonies-là que parle le Seigneur en Matthieu X111.  Il ne les appelle pas des traditions humaines, mais il dit : « Il fallait faire celles-là sans omettre les autres. »  Or, les cérémonies approuvées par l’Église ne sont pas du premier ou du second genre.  Et, pour prouver le contraire, les adversaires n’ont pas apporté des arguments, mais seulement des mensonges.   S’il se trouve des illettrés qui font plus de cas des cérémonies que des plus importants commandements divins, nous estimons qu’il faut les détromper.  Car, nous n’approuvons pas tout ce que font les hommes, puisque, de toute évidence, nous n’approuvons pas leurs péchés.  Mais nous ne cessons pas de leur enseigner d’agir selon la doctrine de l’Église.
Le cinquième argument, au verset 12 : « Les romanistes,  ont pris exemple sur les délires des païens, et, à la façon des singes, ils ont imité les anciens rites juifs, qui ne nous concernent pas plus que les bêtes offertes en sacrifice. »  Je réponds, d’abord, que les manichéens ont présenté, autrefois, le même argument, d’après saint Augustin (livre 20, chapitre 4, contre Faust).  Ainsi que Vigilance, d’après saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance), en ce qui a trait à l’imitation des Gentils.  Calvin doit donc déclarer de quels ancêtres il descend.
Je dis, en second lieu, que si cet argument avait quelque valeur, il faudrait aussi enlever le baptême et la cène du Seigneur, car les Gentils aussi se servaient d’un baptême quand ils initiaient les leurs aux mystères sacrés de Mithra.  Ils célébraient aussi le sacrement du pain, comme Tertullien le rapporte (dans son livre sur les prescriptions.)  Les Juifs aussi, se servaient très souvent d’eau pour leurs expiations, et les pains de propitiation ne leur faisaient pas défaut.
Je dis, troisièmement, qu’il n’y a pas à s’étonner que nos cérémonies aient quelque ressemblance avec les cérémonies juives.  Car elles étaient des figures des nôtres, comme nous lisons dans 1 Corinthiens X.  Pour la même raison, il n’y a pas à s’étonner que nos rites ressemblent à ceux des païens.  Car, le diable qui est toujours le singe de Dieu, s’est efforcé d’imiter les rites judaïques institués par Dieu, comme le note Tertullien, au lieu cité.  Je dis, quatrièmement, même si dans un symbole externe, il y a une certaine ressemblance entre nos rites et ceux des païens, la différence n’en est pas moins totale.  Car, c’est de la fin et de l’intention que les actions externes tirent leur espèce.  Les rites des païens étaient faits pour le culte des démons; les nôtres, pour le culte du vrai Dieu.
 La différence entre leurs rites et les nôtres est donc aussi grande que celle qu’il y en entre le sacré et le sacrilège, entre la piété et l’impiété, et entre Dieu et le diable.  Car, les sacrifices des juifs et ceux des païens étaient semblables, mais les sacrifices des païens étaient de l’idolâtrie, et ceux des Juifs, de la piété et de la religion.  Et c’est de cette façon qu’a répondu Saint Jérôme à Vigilance  et saint Augustin aux manichéens.  Les rites des Juifs étaient bons, mais préfiguraient le Christ à venir.  Les nôtres sont bons, mais sont différents de ceux des Juifs parce qu’ils rappellent les choses passées, et signifient la gloire future.
Le sixième argument, au verset 13.   Il le tire de l’épitre 119 de saint Augustin (chapitre 19), qui se plaint de la multitude des cérémonies qui ornent l’église, au point de rendre plus tolérable la condition des Juifs.  Je réponds que saint Augustin parle des cérémonies que des hommes privés, et surtout des femmelettes. se sont imposées à eux-mêmes.  Car, le même saint Augustin, parlant des cérémonies superflues parle ainsi : « Toutes les choses de ce genre qui ne sont pas contenues dans les saintes lettres, et que nous ne trouvons pas statuées par les conciles d’évêques, ni corroborées par une coutume de l’église universelle, mais qui se présentent diversement selon les différentes mœurs et les différents lieux, toutes ces choses, j’estime qu’il faut les supprimer. »
Le septième argument, verset 11 : « Dieu a voulu qu’il y ait la différence suivante entre les Juifs et nous :  il leur a enseigné avec des signes sensibles, comme à des enfants, et à nous, sans signes sensibles, comme à des hommes. Comme on le voit dans le chapitre 1V de saint Jean où le Seigneur dit : « L’heure viendra où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. »  Et, aux Calates 1V, l’apôtre compare les Juifs à des enfants soumis à leurs pédagogues. »
 Kemnitius présente le même argument (à la page 166) et dit  que les ombres et les figures appartenaient en propre à l’ancien testament, mais que nous, dans la nouvelle loi, nous sommes instruits par la lumière de la parole de Dieu.  Brentius dit des choses semblables (dans sa confession de Wirtemberg, dernier chapitre, qui porte sur les cérémonies.)
Je réponds que, en ce qui a trait aux cérémonies,  la différence  entre les Juifs et les chrétiens peut s’entendre de deux façons.  La première. Ils n’avaient que des cérémonies externes;  nous n’avons, nous, que  la lumière du Verbe, c’est-à-dire la vérité simple et spirituelle.  C’est ce que semble signifier les paroles des adversaires, et surtout de Kemnitius.
 Mais cela est manifestement faux.  Car, en plus des cérémonies, les Juifs avaient aussi la lumière du Verbe. Comme le confirme le psaume 118 : « La lumière à mes pieds est ta parole. »  Et Dieu ne requérait pas d’eux seulement un culte extérieur, mais aussi un culte intérieur. Car, en Isaïe 29,  Dieu fait un reproche aux Juifs en leur disant : «Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. »  Et les chrétiens, en plus de la lumière du Verbe, ont eux aussi des sacrements sensibles, qui sont des ombres et des figures des choses passées et futures.
 Et comme ne répugnent pas au nouveau testament les choses externes et sensibles, ne lui répugnent pas non plus les autres cérémonies.  Car, si, par rapport à la synagogue, l’église vit dans une grande lumière, nous marchons encore dans l’ombre par rapport à la Jérusalem céleste.    C’est  dans la foi, en effet, que nous marchons, qui est obscure, et non dans la possession de l’objet de notre foi.
On pourrait comprendre la différence d’une autre façon.   Le culte judaïque, en tant que culte de l’ancien testament, était principalement externe et corporel. Le culte chrétien, en tant que culte du nouveau testament, est principalement interne et spirituel.  Ce qui est très vrai.   Car, le culte interne et spirituel procède de l’esprit  de foi et de  charité, qui est la grâce du nouveau testament, ce que l’ancienne loi n’a pu, en aucune façon, avoir.   Voilà pourquoi saint Paul (2 Corinthiens 3) appelle l’ancien testament la lettre, et le nouveau testament l’esprit.  Et Jean 1 appelle l’un la loi, l’autre la grâce.   Enfin, le ‘en esprit et en vérité’ de Jean 1V, signifie que le culte chrétien est ‘dans l’esprit’, pour l’opposer au culte judaïque qui était corporel.  Et qu’il est ‘dans la vérité’ pour l’opposer encore au culte judaïque qui était fait d’ombres et de figures.
Theophylacte et saint Thomas ont quand même raison, dans leur commentaires de ‘en esprit et en esprit’, d’opposer le ‘en esprit’ au culte juif qui était corporel, et ‘en vérité’ au culte des samaritains, qui était mêlé de faussetés et d’erreurs.  Voilà pourquoi le Seigneur avait dit un peu avant : « Ce n’est ni sur la montagne du Garizim ni sur celle de Jérusalem que vous adorerez le Père. »  C’est comme s’il avait dit : Vous ne rendrez pas un culte à Dieu avec le culte des samaritains, qui est faux, ni non plus avec le culte juif, qui est corporel, mais avec le culte chrétien qui est spirituel et pur de toute erreur.
Il faut cependant observer que même si le culte de l’ancien testament a été corporel, il n’a pas plus à Dieu sans qu’il ait été aussi spirituel.  Et c’est pour cela que Dieu a demandé aussi aux Juifs un culte spirituel, comme Isaïe 29 nous l’a montré.   Mais ceux qui rendaient ce culte spirituel à Dieu ce n’est pas en vertu de l’ancien testament qu’ils le faisaient, mais en vertu du nouveau, auquel ils commençaient déjà à participer.   Car,  il est bien connu que la crainte était le propre de l’ancien testament, et l’amour celui du nouveau.  Dieu demandait quand même aux Juifs de l’aimer de tout leur cœur, et cela, les saints de l’ancien testament le faisaient par la grâce du nouveau testament.  Pour une raison semblable, bien que le culte chrétien soit principalement spirituel, il ne peut pas exister, dans ce pèlerinage terrestre,  sans être aussi corporel.  Et voilà pourquoi il admet des sacrements et des cérémonies qui sont  au service du culte spirituel.
Le huitième argument, au verset 15 : « Tout ce que les œuvres ont en fait de recommandation, elles l’ont toutes à cause de l’obéissance que Dieu seule regarde, comme l’attestent les prophètes : Je n’ai pas prescrit des sacrifices et des victimes, mais seulement que vous entendiez ma voix quand vous l’écoutez (Jérémie V11, Rois X1).   Dieu veut-il un sacrifice, ou plutôt qu’on obéisse à la voix du Seigneur ?  Ce ne sont donc pas les cérémonies que Dieu n’a pas instituées qui lui plaisent, ou qui peuvent être méritoires. »  Il confirme au même endroit son argument en disant que nos cérémonies ne sont pas seulement non méritoires, mais inutiles, car elles  sont comprises par peu de personnes.
Je réponds que son antécédent est faux, et manifestement contraire à toutes les Écritures. Car le sacrifice d’Abel a plu à Dieu, (Hébreux X1), même s’il ne l’avait pas commandé.  Et (aux Corinthiens V11) : « Celui qui ne se marie pas fait mieux. »  Et, au même endroit, au sujet de la veuve : « Elle sera plus heureuse si elle demeure vierge. »  Et, cependant, au même endroit, il déclare que ce n’est pas un précepte de ne pas se marier.  Et (aux Corinthiens 1X), il soutient qu’il lui aurait été permis de vivre du bien de ceux à qui il prêchait, mais qu’il a préféré vivre de son travail, pour avoir une plus grande récompense.  C’est bien ce que signifient ces paroles : « Il est préférable pour moi de mourir plutôt que quelqu’un évacue ma gloire. »
Ensuite, ces textes de l’écriture mettent l’obédience avant les sacrifices.  Mais cela ne nous permet pas de conclure : donc les sacrifices non commandés n’ont aucune valeur, pourvu qu’ils soient offerts avec foi et dévotion, puisque c’est le contraire que l’Écriture nous montre, comme nous l’avons déjà démontré.  Je réponds à la confirmation que les cérémonies de l’Église sont faciles à comprendre en gros.  Si certaines cérémonies ne sont pas comprises par tous comme le grand nombre des vêtements et des signes dans la messe, elles ne manquent pour autant  d’utilité, même pour les ignorants, puisqu’elles enseignent la vénération et le respect envers les choses sacrées. Il est certain que les Juifs comprenaient peu.  Ce qui ne veut pas dire qu’ils les recevaient pour rien.
Le neuvième argument, au verset 17 : « L’Église n’a-t-elle pas dit que la loi prescrite une seule fois demeure ?  Ce que je te prescris, tu l’observeras et le mettra en pratique.  Et au proverbe 30 : tu n’ajouteras  ni n’enlèveras rien à la parole de Dieu, de peur qu’on t’accuse et que tu sois reconnu menteur. »  Je réponds que Dieu n’interdit pas n’importe laquelle addition. Car, que par verbe on entende les livres sacrés, ou les préceptes moraux, ou judiciaires ou cérémoniaires, nous trouvons toujours qu’une addition a été faite. Car, après le deutéronome, où nous avons cette prohibition, tous les autres livres sacrés ont été écrits, autant historiques que prophétiques, et tout le nouveau testament.
De même, dans les prophètes, et dans les livres de Salomon, il y a beaucoup de préceptes moraux qui semblent bien avoir été ajoutés au pentateuque.  Et David a ajouté le précepte judiciaire suivant, à savoir  que soit réparti  équitablement le butin de guerre entre ceux qui ont combattu et ceux qui ont gardé les bagages (1 Rois 30).
Ils ajoutèrent aussi les lois cérémoniales postérieures pour les nouvelles fêtes (Esther 1X, Judith dernier chapitre, et 1 Macchabées 4. )  Ce que Dieu prohibe c’est donc une addition qui est une corruption.  Et tu n’ajouteras ni n’enlèveras rien, c’est comme s’il disait : observe intégralement et parfaitement ce que je te prescris.  On le comprend, cela, par la raison qui est donnée (proverbes 30) : « De peur  qu’on ne t’accuse et que tu sois reconnu menteur. »
 Or, on ne  peut pas appeler faussaire ou menteur celui qui a institué une nouvelle cérémonie, pourvu qu’il n’y ait, en elle, rien qui soit contraire aux cérémonies divines.  Est dit menteur et faussaire celui qui corrompt les paroles ou les préceptes de Dieu.  Or, cette corruption peut se faire de deux façons. Une première.   Si quelqu’un ajoute aux paroles ou aux préceptes de Dieu quelque chose qui les corrompe.  Comme si, dans les sacrifices du Christ, on offrait le pain sans le vin, ou du miel ajouté au vin et à l’eau.
 Une deuxième.   Si quelqu’un revendiquait pour la parole de Dieu un livre canonique, composé par lui,  ou pour sacrement une cérémonie inventée par lui.  Ou s’il  enlevait du nombre des vrais livres ou des vrais sacrements, un livre canonique ou un des sept sacrements.  C’est ce péché que commettent les hérétiques quand ils nient que beaucoup de livres sont canoniques, et quand ils enlèvent cinq sacrements du nombre des sacrements.
La corruption nous la voyons dans la monnaie.  On appelle faussaires ou faux monnayeurs ceux qui corrompent les monnaies, en ajoutant de l’argent ou en en enlevant; ou qui présentent comme de vraies pièces d’argent des pièces fabriquées par eux.  Rien de tout cela ne se trouve dans les cérémonies de l’Église. Le dixième argument, verset 23.  Il le tire de trois exemples de l’Écriture (4, Rois 17).  Ceux qui habitaient la Samarie ont été déchiquetés par des bêtes parce qu’ils adoraient Dieu avec des cérémonies nouvelles que Dieu n’avait pas instituées. (4, Rois 16).
 Achaz a été blâmé pour avoir posé un nouvel autel dans le temple, dans le but d’orner le temple.  Et pourtant nous voyons, dit Calvin, que cet esprit audacieux a été détesté pour aucune autre cause que, dans le culte de Dieu, les inventions humaines sont d’impures corruptions.  Au 4 Rois 21, le crime de Manassé a aggravé encore l’offense, puisqu’il construisit un nouvel autel à Jérusalem.
Je réponds à tous ces exemples, que, à son accoutumée, Calvin est de mauvaise foi.  Car, aux Rois 1V, 17, on ne blâme pas les Samaritains parce qu’ils adoraient Dieu avec de nouvelles cérémonies, mais parce que, étant des Gentils, ils  ne craignaient, au début,  ni n’adoraient Dieu, ni ne connaissaient la loi de Dieu.  Quand ensuite ils ont connu la loi de Dieu, ils commencèrent à adorer en  même temps Dieu et leurs idoles.
 Et Achaz a été blâmé (1V Rois XV1)  non parce qu’il avait érigé un nouvel autel, mais parce qu’il avait ordonné que soit construit dans le temple de Dieu un autel semblable à celui des idoles.  Il déplaça l’autel du Seigneur, pour mettre en sa place  l’autel des idolâtres, afin que ce dernier occupe la meilleure place.  Ensuite (1V, Rois, XX1), Manassé ne fit pas seulement mettre un nouvel autel dans le temple, mais un autel dédié aux   aux idoles.  C’est ce que dit l’Écriture : « Il érigea, dans le temple,  des autels pour toute la milice du ciel dans deux parvis entourés de portiques ».  Et, plus bas : « Il plaça aussi une idole du bois sacré, qu’il avait faite dans le temple du Seigneur. »  Car, faire un nouvel autel dans le temple du Seigneur n’aurait pas été un crime.
Nous voyons, en effet, (111 Rois V111), que Salomon a ordonné que la partie médiane du parvis fût sanctifiée pour y offrir des holocaustes.  Car, l’autel d’airain, sur lequel il aurait du les offrir, ne suffisait pas pour une si grande quantité de victimes.  Salomon, en effet, avait offert en holocauste vingt-deux mille bœufs et cent vingt mille brebis.  Et voilà pour Calvin.
Mélanchton traite les écritures  avec la même mauvaise foi. Car, (dans l’apologie de la confession d’Augusta, article 15,), il présente ces arguments en plus des autres.   Le premier. Ezéchiel XX : « N’entrez pas dans les préceptes de vos pères. »  Il n’est donc pas permis d’instituer de nouveaux cultes sans un mandat de Dieu. »  Mais Ézéchiel parle de leurs pères idolâtres, car il est dit ailleurs Proverbes XX11 : « Ne transgresse pas les termes qu’ont établis tes pères. »
 Philippe argumente ainsi : « S’il est permis aux hommes d’instituer des cultes, on devra approuver les cultes de tous les peuples, et même ceux qu’à institués Jéroboam. »  Brillant, en effet !  C’est comme s’il était permis d’émettre une loi injuste du fait qu’il est permis d’en instituer une neuve.  Il ajoute ensuite Daniel, au chapitre X1 : « Il signifie que les nouveaux cultes humains seront formés par l’antichrist. C’est ainsi que Moïse adora Dieu dans son lieu, et un Dieu que ses pères n’avaient pas connu. »  Cela est un argument génial !  C’est comme si c’était la même chose d’adorer le vrai Dieu avec un nouveau culte, et adorer un nouveau Dieu, un Dieu faux et fictif.
2018 12 02 fin
 

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.