2018 10 05
LA HUITIÈME CONTROVERSE GÉNÉRALE
SUR LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL
expliquée en deux livres
PRÉFACE
lue à des étudiants lors d’un cours magistral
Les hérétiques, comme le dit Isaïe le prophète au chapitre dix-neuf,
sont agités par l’esprit de vertige, et comme les constructeurs de la
tour de Babel, ils sont si divisés entre eux par les langues et les mœurs,
que l’un ne reconnait pas l’autre. Rien ne le prouve mieux que cette
dispute sur les sacrements. Car, dès qu’il s’agit de sacrements,
le nom, le nombre, l’efficacité, tout est objet de controverse.
Ils échangent entre eux des attaques et des ripostes en s’insultant
et en se maudissant réciproquement. Mais d’une façon si inepte
et si absurde, qu’on dirait qu’ils cherchent à obtenir la palme de
la sottise, ou la coupe de l’incompétence. Et parce que la grandeur
de ce nouveau gymnase, les nouveaux présages d’études, un nouveau groupe
d’auditeurs, ce siège et ces murs semblent postuler une préface plus
longue et plus soignée que de coutume, je ne me réjouis pas médiocrement
d’avoir obtenu, en ce jour, l’occasion d’entamer une dispute.
Car nous allons disserter de la vanité et de la légèreté des hérétiques
de ce temps, et cela, dans les sacrements, dans les controverses les plus
graves et les plus importantes de notre foi. Cette dispute ne sera pas
privée d’un certain plaisir, à la vue du spectacle furieux qu’ils
présentent dans leurs luttes fraternelles; ni non plus d’une certaine
utilité quand, par cet exemple, ils montreront abondamment dans quelles
ténèbres d’erreurs ils sont tombés, dans quel fosse d’absurdes sentences
ils se précipitent, depuis qu’ils se sont éloignés de la citadelle
bien armée de la vérité catholique.
Au tout début, quand il fut question du mot sacrement chez nos hérétiques,
et quand, dans sa Babylone, Martin Luther laissa entendre que ce mot ne
lui disait pas grand-chose, incontinent ses disciples qui regardaient Luther
non comme un homme quelconque mais comme un nouveau prophète tombé
du ciel, et qui considéraient comme des oracles non seulement ses
sentences mais un simple signe de tête, commencèrent à réprouver et
à répudier le mot sacrement. André Carolstad (dans son livre sur les
images et les sacrements), l’attaqua ouvertement : « Ce qu’eux appellent
sacrement, nous l’appelons signe. Et si le mot signe déplait, appelle-le
ephraxidas. » Zwingli (dans son livre sur la vraie et fausse religion),
écrit : « Ce mot sacrement, je désirerais grandement qu’il n’ait
jamais été reçu par les Allemands. »
Calvin, pour sembler plus grave et plus savant que les autres,
même s’il approuve peu ce nom (livre 4, chapitre 14 de ses institutions),
n’estime pas qu’il vaille la peine de se déchirer pour un mot.
Peu longtemps après, survint entre Luther et les sacramentaires une grave
rivalité. Quand Luther s’aperçut que le mot sacrement était fortement
réprouvé par les sacramentaires, il commença à le réprouver lui aussi,
à le combattre, comme on peut le voir par le livre qu’il écrivit contre
André Carolstad. Il déplorait que cet André qui avait été son
ami de coeur, se soit misérablement changé en un Absalon et en un Judas.
Luther ayant changé d’opinion, André prit la défense du mot sacrement.
Son Achates, Philippe Mélancthon suivit Luther, et utilisa souvent ce
mot dans ses livres postérieurs. Suivirent Luther ceux qu’on appelle
proprement luthériens, Brentius, Tilmannus, Kemnitius, et qui cherchèrent
ainsi à se distinguer des sacramentaires. Mais écoutez, si le cœur
vous en dit, par quels arguments le mot sacrement est combattu par Karlstad
ou défendu par Luther. « Ce mot ne plait pas, dit le premier. Car, Dieu,
dans les saintes lettres n’a jamais ordonné que nous utilisions ce mot.
Et, il n’est pas permis, dans les choses divines, d’usurper des noms
que Dieu n’a pas ordonné d’usurper. » Luther dit, contre lui
: « Bien au contraire, ce mot plait. Car, Dieu, dans les saintes
lettres n’a jamais interdit l’emploi de ce mot. Et qui es-tu donc,
Carolstad, pour te mettre à la place de Dieu, et pour nous interdire ce
qu’il ne nous a pas interdit ? » Lequel des deux est le
plus inepte, bien chers auditeurs ? Car, s’il n’est pas permis
dans les choses divines, d’user de mots que Dieu n’a pas employés,
que Carolstad nous indique où il a vu dans l’Écriture les mots trinité,
essence, personne, consubstantiel ? Ces mots, et d’autres du même genre,
qui ont été analysés à fond et adoptés par tous, sont-ils plus employés
par les catholiques que par les hérétiques sacramentaires ? Et s’il
n’est pas permis d’appeler sacrements le baptême et l’eucharistie,
parce que Dieu n’a pas ordonné qu’ils soient appelés ainsi, pourquoi
les appeler signes, symboles ou tessères ? Car, ils ne peuvent pas
montrer un texte ni dans les évangiles, ni dans saint Paul, où le baptême
et l’eucharistie sont nommés par ces mots.
Mais le raisonnement de Luther n’a pas, lui non plus, beaucoup plus
de poids et de solidité. Car, s’il n’est pas permis de prohiber
les mots que Dieu n’a pas prohibés dans les saintes lettres, on ne peut
pas interdire aux Ariens le mot semblable à Dieu (au lieu de égal à
Dieu, ou consubstantiel). Les Macédoniens auront le droit d’appeler
Dieu créature; il sera permis à Michel Servet de définir le Verbe éternel,
de représenter le Christ comme une raison idéale. Il sera permis à Valentin
Gentilis d’appeler le Père essenciateur, et Dieu le Fils essencié.
Il sera également permis aux nouveaux Samosates, d’appeler les images
de la trinité des cerbères à trois têtes, et des gérions à trois
corps. En effet, aucun de ces mots n’est prohibé dans l’Écriture.
Avec combien plus de gravité, de maturité et de sagesse l’Église
catholique garde-t-elle le mot sacrement. Elle comprend, en effet,
que ce mot convient admirablement bien au baptême, à l’eucharistie,
et aux autres mystères de ce genre. D’autant plus que ce mot a
été employé par Tertullien, Cyprien, Lactance, Ambroise, Jérôme, Augustin,
et par tous ceux qui, dès le début du nom chrétien, ont écrit sur les
choses de notre foi. Mais, pour le nom, que cela suffise. Venons-en
maintenant à la nature et au pouvoir du sacrement.
Les écrivains catholiques enseignent unanimement, comme ils ont toujours
enseigné, que les sacrements de la loi nouvelle sont les instruments de
notre justification, comme nous pouvons le prouver même avec le témoignage
des adversaires. Car voici comment parle Calvin (livre 4, chapitre 14,
verset 14) : « Avec le consentement de tous, les écoles sophistiques
ont transmis que les sacrements de la nouvelle loi justifient et confèrent
la grâce, pourvu que nous n’y mettions pas l’obstacle d’un péché
mortel. On ne peur pas dire à quel point cette sentence est funeste et
empoisonnée; et cela d’autant plus que pendant plusieurs siècles,
cette grand peste a affecté une bonne partie de la terre ». Voilà ce
qu’il pense.
Même si, à sa façon, il appelle les catholiques des sophistes, et
la foi de l’Église une peste, il ne peut quand même pas nier qu’il
existe un grand consensus parmi les catholiques, et que notre sentence
a été tenue par toute la terre pendant de longs siècles. Nous
avons donc raison de dire contre eux, en toute vérité, qu’il n’y
a, chez eux, rien d’ancien, rien de certain, rien qui ait jamais été
reçu par un consentement commun, mais que tout est nouveau, incertain,
et circonscrit dans des bornes brèves et étroites. Car, même
si, de nos jours, les hérétiques sont nombreux et pour ainsi dire innombrables,
ils sont divisés et séparés entre eux par tant d’infimes sectes,
qu’il n’y a aucun de leur dogme, si solide soit-il, qui ne soit défini
autrement à quelque part. Martin Kemnitius, dans la seconde partie de
son examen du concile de trente sur la nature et le pouvoir des sacrements,
admet ingénument qu’il y a une grande discorde entre les siens,
c’est-à-dire entre les successeurs et les disciples de Luther. Et, en
vérité, il aurait été d’une impudence extrême s’il avait tenté
de camoufler ce qui est plus clair que la lumière du jour.
Car, du consentement même de Kemnitius, sont énumérées parmi les
adversaires six opinions différentes et des plus absurdes, qui se combattent
entre elles, une que Luther a rêvée, une que Carlostad a imaginée, une
autre que les anabaptistes ont délirée, une autre de Zwingli, une
autre de Calvin, etc. Examinons-les donc l’une après l’autre,
et relevons brièvement les inepties de chacune d’entre elles.
Autant dans Babylone que dans l’assertion des articles, le
prince Luther veut que le sacrement ne soit rien d’autre qu’un témoignage
divin institué pour exciter et nourrir la foi, qui confirme à la façon
d’un miracle, et qui, à l’instar d’un sceau, obtient la promesse
de la grâce. Il a coutume de comparer le sacrement avec la toison de Gédéon,
avec le signe qu’Isaïe obtint pour le roi Achaz, avec d’autres miracles
et prodiges de cette sorte que les prophètes et les apôtres utilisaient
pour susciter la foi. Mais cette sentence est si absurde qu’il
est difficile de concevoir rien de plus absurde. Car, les signes
et les prodiges étaient utilisés à bon droit pour confirmer la prédication,
quand ils étaient des choses connues par elles-mêmes et illustres, et
ne dépendant en aucune façon de la prédication.
Au contraire, les sacrements n’ont aucun pouvoir par eux-mêmes,
et ils ne peuvent être considérés comme sacrements que par le témoignage
qu’apporte la parole de Dieu. Ceux qui par un prédicateur de la
parole de Dieu, comme Vincent Ferrier, sont subitement guéris de maladies,
sont délivrés d’une possession diabolique, voient après avoir été
aveugles, ou sont rappelés des enfers après être morts, sont, par la
force d’un tel miracle, comme sous l’action d’un éclair, ébranlés,
se jettent à genoux, et sont comme forcés de croire aux paroles d’un
tel homme.
Or ceux qui voient un homme lavé par des eaux, comme nous le faisons
dans le baptême, ne voient rien là d’étonnant, et ne croient pas facilement
que dans cette eau se cache quelque chose de sublime, à moins d’avoir
auparavant cru dans la parole de Dieu. Or, si nous commençons à
recevoir des sacrements avant d’avoir eu la foi par la parole de Dieu,
comment peut-il se faire, je le demande, que les paroles divines soient
confirmées par des sacrements ? Ne serait-il pas ridicule celui
qui dirait à un païen : pour que tu croies que ce que je te dis est vrai,
je vais répandre cette amphore d’eau sur ta tête. Une preuve
convaincante, à la vérité ! Car, à moins d’apprendre par la
parole de Dieu que cette aspersion et cette onction purgent l’âme,
qui le croirait ? Qui n’en rirait pas ? Car, de par sa nature,
elle n’a rien pour guérir les malades, et effacer les taches du cœur.
Mais tout ce qu’elle peut dans cet ordre, elle le doit à l’institution
divine.
Or, ce sont les paroles divines qui font connaitre les institutions
divines. C’est pourquoi cette comparaison qui veut que les adversaires
acceptent la parole d’un diplomate à cause d’un sceau est si inepte
qu’on ne peut rien inventer de si inepte. Car la parole de Dieu
est plus justement appelée sceau d’un sacrement qu’un sacrement n’est
appelé sceau de la parole de Dieu. Car, en tant que sceau, elle
a de la valeur, est honorée, est reconnue sans diplomate.
Un diplôme sans un sceau n’est pas reconnu comme diplôme, et n’a
non plus aucune valeur. Ainsi en est-il aussi de la parole de Dieu.
Sans le témoignage du sacrement, elle a son autorité propre, et elle
l’a entière. Mais le sacrement, sans le témoignage de la parole,
n’a aucune autorité. Ce n’est donc pas le sacrement, comme ils
le veulent, qui doit être le sceau de la parole, mais la parole,
le sceau du sacrement.
Si donc le sacrement, comme le veulent les luthériens, n’est rien
d’autre qu’un instrument pour exciter et nourrir la foi, comment expliquer
que des enfants, des fous, des hommes endormis soient baptisés dans l’Église.
Car, y a-t-il, dans les sacrements, une vertu capable de persuader de croire
ceux qui n’ont pas l’usage de la raison ? Ou faut-il dire que les anabaptistes
ont raison d’enseigner que les sacrements ne sont utiles que pour les
adultes et les veilleurs ? Pas le moins du monde, répliquent les
luthériens. Ce sont plutôt les anabaptistes qui errent comme des
fanatiques et des fous furieux, quand ils interdisent le baptême aux enfants.
Car, même si les petits sont privés de l’usage de la raison, cependant,
quand ils sont baptisés, Dieu agit dans leurs esprits de façon telle
qu’ils entendent la parole de Dieu, connaissent Dieu et l’aiment.
Comme saint Jean Baptistes, autrefois, sentit, dans le sein de sa mère
la présence du Christ, et exulta de joie.
Les anabaptistes les pressent de très près, et ainsi, de partout,
ils tiennent enfermés les luthériens de façon à ce qu’ils doivent
ou être attrapés, ou tomber spontanément dans la fosse d’une
nouvelle erreur. Mais ils ne peuvent pas se dérober aussi aisément
que cela les luthériens, car ils sont ensevelis dans cette fosse armée
d’un dilemme, qui les accable. Vous avez, je pense, des enfants
que l’on baptise. Ils se débattent, pleurent, crient. Je demande
donc : comprennent-ils ce que l’on fait ? S’ils ne comprennent
pas, ils ne croient pas. S’ils ne croient pas, ils sont baptisés
pour rien, et les anabaptistes triomphent. S’ils comprennent, ils
sont des sacrilèges, eux qui refusent si opiniâtrement les sacrements,
et ils ne sont pas tant purifiés que maculés. Ils ne sont donc
pas baptisés, et les anabaptistes remportent la victoire.
Eh quoi ! Saint Augustin, autrefois, n’a-t-il pas ri
de ces inepties dans sa lettre à Dardanus. Et à l’exemple de saint
Jean-Baptiste qui, par un miracle singulier, a exulté dans l’utérus,
n’a-t-il pas répondu, du tic au tac, que l’âne de Balaam avait aussi
parlé sagement, mais que, à cause de cela, les hommes n’ont pas, dans
leurs délibérations, cherché conseil auprès des ânes.
Mais je ne laisserai pas Luther avant qu’il ne m’explique dans
quel évangile, dans quel apôtre ou dans quel prophète il a lu que les
sacrements de la nouvelle loi sont des témoignages ou des sceaux de la
parole de Dieu. Nous lisons souvent dans Jean 111, Actes XX11, 1
Corinthiens V1, Éphésiens 1, Tite 111, 1 Pierre 111 que les fidèles
sont régénérés, purifiés, purgés, sanctifiés, renouvelés et sauvés.
Que des promesses soient contresignées nous ne le lisons jamais, si ce
n’est peut-être dans l’évangile selon Luther. Luther
ne peut pas non plus mépriser cet argument, puisque, dans son livre contre
Jean Cochlaeus, il a laissé par écrit que, dans les choses sacrées,
c’était une bonne chose de déduire négativement un argument d’une
autorité. Qu’il indique donc le texte où, dans la parole de Dieu,
les sacrements de la nouvelle loi sont appelés témoignages, ou il devra
reconnaitre que sa sentence est réfutée par un argument dirimant.
Je passe maintenant à Zwingli. Dans son livre sur la vraie et
fausse religion, où il combat âprement la sentence de Luther ainsi que
d’autres, il nous découvre sa pensée en enseignant que les sacrements
ne sont rien d’autre qu’un gage, et un serment par lequel les hommes
professent publiquement qu’ils sont des fidèles du Christ et de son
église. Il suit de cela que, dans la célébration des sacrements,
le Christ ne fait rien, ne purge pas les péchés, ne renouvelle pas les
hommes, comme l’enseignent les catholiques, et n’atteste pas non plus
notre justification, comme le veulent les luthériens. Cette opinion
est si loin de pouvoir être confirmée par un texte de la révélation,
qu’elle s’oppose plutôt ouvertement à tous les textes de l’Écriture
qui traitent de ce sujet.
Car, si mon baptême n’est qu’un gage, et non une action
du Christ, que veut dire saint Jean quand il dit : « C’est lui qui baptise.
» Que veut dire l’apôtre quand il dit : « Le Christ a aimé
l’Église, et s’est livré pour elle, la purifiant par le lavement
de l’eau dans la parole de vie ? » Et, si le baptême ne purge
pas les péchés, mais ne fait que rendre témoignage à la future félicité,
pourquoi Ananie dit-il à Paul : « Sois baptisé, et purge tes péchés
! » Pourquoi Paul a-t-il défini le baptême le sacrement de la
régénération ? Et que veut dire ce que nous avons déjà cité : la
purifiant par le lavement de l’eau dans la parole de vie ?
Enfin, j’omets beaucoup d’autres textes, et je dis que la
chose, dans l’Église, a été longuement étudiée, et est tout
à fait certaine. Elle est même connue des femmes et des petits enfants.
Voici. Les sacrements chrétiens, en vertu de la passion du Christ
et de ses mérites, ont une force. Et, dans le signe de cette chose,
le sang et l’eau du Christ ont coulé de son côté percé. Saint
Léon (épitre 4, chapitre 6) écrit : « Il a sanctionné, alors,
le pouvoir de la régénération quand, de son côté percé, ont coulé
le sang de la rédemption et l’eau du baptême ». C’est ce que
disent aussi saint Ambroise (dans Luc), saint Augustin, saint Jean Chrysostome,
saint Cyrille, et Théophylacte dans leurs commentaires sur saint Jean.
Et là, saint Paul a uni les deux choses : « il s’est livré pour
elle, la purifiant dans le lavement de l’eau. » Car, l’eau ne
serait que de l’eau si elle ne tirait pas une force merveilleuse du sang
de celui qui s’est livré lui-même à la mort, pour se présenter à
lui-même une église glorieuse. Voilà pourquoi saint Jean clame
: « Pas dans l’eau seulement, comme ce fut le cas pour saint Jean-Baptiste,
« mais dans l’eau et le sang », c’est-à-dire dans de l’eau mêlée
à du sang, et qui, à cause de ce sang, peut efficacement effacer tous
les péchés.
Or, si la nouvelle théologie de Zwingli est vraie, saint Jean
est dans l’erreur, saint Paul se trompe, tous les pères hallucinent,
vaine est la confession des peuples et des nations, et c’est pour rien
que le Christ a voulu que son côté soit ouvert, et que du sang et de
l’eau en coulent. Quel rôle ont joué la passion et la mort
du Christ dans l’institution des sacrements s’ils n’ont rien de sacré,
rien de divin, s’ils ne peuvent et n’opèrent rien, et ne sont que
des témoignages et des gages humains ?
Quand, par astuce, Calvin semble embrasser l’interprétation de Luther
et de Zwingli, il n’en diverge pas moins d’opinion avec eux, et, après
avoir rejeté l’un et l’autre, il propose son propre dogme. C’est
dans les mots suivants que (dans livre 4, chapitre 14, verset 1) il expose
sa vraie définition des sacrements : « Le sacrement est un symbole
externe par lequel le Seigneur contresigne devant nos consciences
ses promesses de bienveillance envers nous, pour soutenir l’imbécilité
de notre foi, et notre piété envers lui, que nous attestons autant
devant lui et les anges que devant les hommes. »
Qui ne jurerait pas que la sentence de Calvin est de tout point conforme
à celle de Luther ou de Zwingli ? Car ce que dit Calvin quand il
déclare que par le sacrement, la promesse de bienveillance est contresignée
par le Seigneur pour soutenir l’imbécilité de notre foi, il semble
bien l’avoir pris de Luther. Et quand il ajoute que, par le sacrement,
est attestée notre piété envers le Seigneur, il semble bien imiter Zwingli.
Mais il n’y avait pas, en Calvin, une modestie assez grande, ni en Luther
et en Zwingli une autorité assez grande pour qu’il soit ou qu’il paraisse
leur disciple.
Ainsi, bien qu’il concède à Zwingli que les sacrements sont une
certaine profession de notre fidélité envers Dieu, il diffère de lui
en ce qu’il nie que ce soit là le seul ou le principal usage du sacrement.
Et, à cause de cela, après avoir passé sous silence le nom de Zwingli,
il attaque ouvertement sa sentence, et détruit, un par un, tous ses arguments.
La différence qu’il y a entre Luther et Calvin consiste en ceci.
Bien que l’un et l’autre fassent des sacrements des sceaux de la promesse
divine, Luther veut que cette promesse en soit une de justification présente,
et Calvin d’élection éternelle.
Dans son antidote du concile (session 6, chapitre 5), il dit que les
enfants sont baptisés non pour qu’ils reçoivent de Dieu l’adoption
de fils, mais pour que soit contresignée la promesse de vie qui leur appartenait
déjà par la grâce de la prédestination. Et, dans la septième
session, (canon 7, à la fin), il affirme que les sacrements sont référés
à la fin suivante : pour nous rendre certains de l’adoption perpétuelle
et de la grâce à laquelle nous avons été prédestinés avant la constitution
du monde.
Mais cette sentence, pour un bon nombre de raisons, est fausse, absurde,
pernicieuse, et impie. Car, elle est en opposition ouverte avec les
Écritures, et ferme la porte du royaume des cieux à beaucoup.
Elle fait un faux sacrement, des ministres sacrilèges, un Dieu menteur
et, en quelque sorte, parjure. Car, si ce qu’il enseigne
n’est pas faux, les sacrements ne se rapportent qu’au passé, c’est-à-dire
à la grâce de l’élection. Alors, pourquoi Ananie a-t-il dit
à Paul : « Lève-toi, reçois le baptême pour que tes péchés soient
effacés ? » Pourquoi Paul appelle-t-il le baptême le lavement
de la régénération ? Pourquoi saint Pierre dit-il que le baptême
est reçu en rémission des péchés ? Et quelle est cette témérité,
cette fureur, ou plutôt cette démence qui les fait renvoyer les catholiques
aux Écritures, alors qu’ils ne veulent rien écouter de ce que
les Écritures clament, qu’ils soutiennent avec obstination et acharnement
et défendent ce qu’ils ne peuvent jamais montrer écrit dans l’Écriture
?
Elle est absurde la sentence qui veut que, par les sacrements, soient
contresignées aux consciences les promesses, parce que le baptême
des enfants suffit pour le faire comprendre. Car, il est permis et utile
de baptiser les enfants, comme l’enseigne Calvin en plusieurs endroits,
contre les anabaptistes, même si les enfants sont privés de l’usage
de la raison et de la conscience. Ce que Calvin lui-même n’a pas
osé nier (livre 4, chapitre 16 de ses institutions). Or, si la promesse
est un diplôme, le sacrement un sceau, et la conscience une cire ou une
charte, comme l’entend Calvin, les calvinistes font un miracle
éclatant quand ils baptisent des enfants, car ils écrivent un diplôme
sans charte, et impriment un sceau sans cire.
Que cette sentence soit pernicieuse pour un grand nombre et surtout
pour les petits, personne ne peut en douter. Car, comme Calvin a persuadé
à plusieurs, sur tout au fils des hommes fidèles qu’il enseigne être
nés saints et justes, que les sacrements ne sont pas nécessaires
pour recevoir la grâce du Christ, il en est résulté que plusieurs méprisèrent
les sacrements, et les méprisèrent toujours plus de jour en jour.
Et, pendant ce temps, les âmes de beaucoup de petits, que Calvin imaginait
être saintes, n’ont pas expié le péché d’origine dans les eaux
salutaires, et sont mortes dans cet état.
Mais, ce qui est plus grave encore, cette sentence de Calvin sur les
sacrements fait, comme je l’ai déjà dit, d’un ministre un sacrilège,
et de Dieu un menteur. Car, si les sacrements sont un serment
divin, et un sceau par lequel est contresignée la promesse de l’élection
éternelle, à toutes les fois que sont baptisés des réprouvés (ce qui
arrive souvent) il arrive autant de fois que les paroles sacramentelles
sont fausses, et que Dieu ment par la bouche de son ministre.
Imaginez que le diacre Philippe est encore présent dans ce lieu en train
de baptiser Simon le magicien. Il est certain que quand Philippe
l’asperge de l’eau et lui dit « je te baptise », au même moment,
si nous en croyons Calvin, Dieu dit : « Moi, Dieu éternel, j’atteste
et je jure, et je confirme par mon divin sceau, que toi, Simon, tu as déjà
été élu de toute éternité, et prédestiné irrévocablement au royaume
des cieux ». Que cette attestation aurait été fausse, ce serment
faux, ce sceau faux il n’est personne qui ne le sache, puisque Simon
a été un impie, un hérésiarque et un magicien, et qu’il a péri.
Calvin ne prend pas suffisamment de précaution quand il dit
que, en en tant que ça dépend de lui, Dieu offre un vrai sceau et une
vraie attestation. Car, il ne fait pas seulement offrir, mais il
accorde par le sacrement lui-même, quand les hommes sont réellement baptisés,
puisque le sacrement n’est pas seulement une oblation, mais une justification
opérée par la bienveillance divine, comme Calvin lui-même l’enseigne
dans son catéchisme plus court. Donc, il offre tantôt une attestation,
tantôt un sacrement, quand il apporte un sacrement et dit je te baptise.
Il n’offre pas, mais il rend un témoignage qui est faux et trompeur,
quand ce sont des réprouvés qui sont baptisés.
Il reste encore trois opinions. Mais, comme la plus grande partie de
l’heure semble écoulée, j’abrégerai l’exposé en accélérant
le pas. Donc, pour pouvoir être considéré lui aussi comme
le chef d’une nouvelle armée, André Carolstad excogita un nouveau dogme.
Il déclara donc que les sacrements chrétiens n’étaient rien d’autre
que des symboles, des tessères, qui permettaient de distinguer les chrétiens
des Juifs, des Mahométans et des païens. Comme étaient autrefois les
toges pour les Romains, les palliums pour les philosophes, et comme,
pour les chrétiens, les différents vêtements des moines.
Sa sentence se rapproche étrangement de celle des anabaptistes, eux qui
veulent que les sacrements soient des allégories des bonnes œuvres.
Car, pour ces derniers, les hommes ne sont pas baptisés et le corps
du Christ n’est pas consommé pour une autre raison que pour nous avertir,
par ces cérémonies, qu’il faut supporter virilement et avec magnanimité
les croix, et même la mort pour le Christ, si l’occasion se présente.
Mais il n’est pas nécessaire de tant suer pour réfuter ces sentences,
puisque Luther, Philippe, Zwingli, Calvin, Kemnitius et les autres parmi
les adversaires les ont déjà réfutées et fait exploser, de sorte
qu’ils les ont presque toutes éteintes et ensevelies. Et si les
sacrements n’ont pour utilité que de diviser l’église en factions
ennemies, ou d’avertir les fidèles qu’ils doivent pratiquer
les bonnes œuvres, ils ont si peu de valeur qu’on pourrait les dire
superflus. Car, nous avons d’autres symboles plus utiles et plus
efficaces que les sacrements. Quoi donc ? La confession de
la foi n’est-elle pas une meilleure tessère que le baptême, puisque
la confession de la vraie foi est propre aux chrétiens, alors que le baptême
nous l’avons en commun avec les hérétiques. Les exhortations
et les exemples ne poussent-ils pas aux bonnes œuvres plus que les cérémonies
sacramentelles ? Et quel besoin y avait-il que les sacrements émanent
du côté percé du Christ, s’ils ne peuvent produire rien de plus grand
que des allégories, à la façon de la toge des Romains ou le pallium
des philosophes ?
Il en reste encore un, Swenefeldius qui, pour mettre fin en un seul
mot à toutes les disputes, et pouvoir saluer les nouveaux dogmes en vertu
du droit hérésiarque, a répudié d’un seul bloc tous les sacrements
chrétiens. Comme il était un homme spirituel et angélique au-dessus
du commun des mortels, il pensa qu’on devait vivre du seul Esprit.
Il ne faut pas s’étonner qu’ils dédaignent les sacrements ceux qui
méprisent les paroles de la divine Écriture. Ce qui me renverse
le plus c’est pourquoi ne s’est-il pas contenté de penser en silence,
et s’est-il cru obligé d’expliquer ses dogmes par des paroles et des
écrits ? Car, il ne convient pas à un homme si spirituel de confier les
arcanes de sa sagesse à des poumons, à des palais, à des dents, à des
langues. Il aurait du plutôt s’adresser à Satan pour
qu’il tende les pièges de ses diverses hérésies, pour qu’il enlève
aux chrétiens ces fontaines salutaires, ces trésors des charismes
divins, ces médicaments célestes préparés par le sang du Christ.
Mais si ces hommes spirituels n’avaient pas complètement rejeté
ce qu’ils ont d’humain, ils auraient certainement compris que
rien de plus approprié ne pouvait être institué par la divine providence
que de faire parvenir aux choses spirituelles par des signes corporels,
des hommes constitués d’esprit et de corps. « Si toi, dit saint
Jean Chrysostome (dans son homélie 83 sur saint Matthieu), tu étais incorporel,
Dieu t’aurait communiqué des dons dénudés et incorporels. Mais,
comme tu as un esprit joint à ton corps, les choses spirituelles te sont
communiquées dans les choses corporelles. »
Quoi donc ? Les sacrements sont-ils uniquement corporels,
ou en grande partie spirituels ? Corporel est l’élément, corporelle
est la parole, mais mirifique et totalement spirituelle est la vertu et
la puissance qui purifient le cœur quand l’eau touche le corps,
comme le dit saint Augustin. Voilà pourquoi le Seigneur a déclaré
à Nicodème qu’il fallait renaître non seulement de l’eau,
mais de l’eau et de l’Esprit, comme saint Grégoire de Naziance l’a
indiqué dans son sermon sur saint Jean baptiste. De l’eau et de l’Esprit,
car c’est un médicament mi corporel mi spirituel qui convient
parfaitement à ces malades dont la nature est contenue dans un corps et
un esprit.
Chers auditeurs, nous avons parlé du nom, de la nature et de l’efficacité
des sacrements. Si je voulais maintenant énumérer toutes les sentences
des hérétiques sur le nombre des sacrements, je démontrerais aisément
de quelle vanité et de quelle sottise ils font preuve. Car Luther
en énuméra tantôt un seul, tantôt deux, tantôt trois, et tantôt sept.
Si je tentais d’expliquer les rites et les cérémonies de leurs sacrements,
alors, quel que soit le sérieux de la chose, vous ririez. Il existe
chez eux un si grand nombre de formules sacramentaires qu’on peut à
peine les connaitre. Et, pour établir un rite quelconque dans leurs églises,
ce qu’ils nient pouvoir être attribué aux pontifes suprêmes,
ils le confient à un avorton ou à un zigoto. Et si je voulais entreprendre
d’expliquer ce que chaque hérétique pense des sacrements, je n’en
finirais jamais. Choisissons-en donc un dans cette foule, et, après
avoir laissé tomber tous les autres, parlons-en brièvement, pour pouvoir
mettre le point final à notre exposé.
Les luthériens et les calvinistes s’évertuent à enseigner
que c’est la vraie chair du Christ qui nous est communiquée dans le
sacrement. Mais, cependant, ils rejettent avec entêtement la sentence
de l’église catholique sur la conversion du pain dans la chair.
C’est pourquoi Calvin a excogité cette explication compliquée, obscure,
étonnante et incroyable selon laquelle la véritable chair peut nous être
dérivée et distribuée du ciel par je ne sais quels tuyaux ou
canaux. Et, à la vérité, si j’étais un juif ou un païen, je
croirais pouvoir comprendre plus facilement la conversion du pain dans
la chair qu’enseigne l’église, que la fiction rêvée par Calvin sans
l’aide d’aucune autorité ou de raison.
Les luthériens ont enfanté dans leur église, un autre monstre plus
repoussant. Pour qu’il leur soit facile à eux d’avoir la vraie
chair du Christ présente dans le sacrement, ils enseignèrent que, dès
le début de sa conception, cette chair était partout, et qu’elle remplissait
toujours tous les lieux, de la même manière que le fait Dieu. Ce
prodige (car ce n’est ni un miracle, ni un dogme, ni une
sentence, ni une opinion, mais une hérésie) répugne aux Écritures,
s’oppose aux pères, renverse le symbole, en confondant, avec Eutychès,
les natures du Christ. Et il n’y pas non plus à s’étonner qu’il
détruise aussi le sacrement, pour la défense duquel il avait été échafaudé.
Car, si le corps du Christ est toujours partout depuis sa conception, il
ment donc celui qui affirme qu’à tel moment, à tel endroit, il n’était
pas présent. L’ange a donc menti, quand il a dit, selon Marc :
« Il est ressuscité, il n’est pas ici. » Car, celui qui est partout,
comment ne pourrait-il pas être là ? Le Seigneur lui-même a menti
quand il a dit : « Lazare est mort, et je m’en réjouis à cause de
vous, pour que vous croyiez, car je n’étais pas là. » Comment
donc, Seigneur, n’étais-tu pas là, toi qui es partout ?
Saint Augustin, (dans son épitre à Dardanus) pour ne pas parler des
autres, enseigne longuement que, en tant qu’il est Dieu, le Christ est
partout, mais que, en tant qu’il est homme, il n’est pas partout.
Et cette ubiquité monstrueuse corrompt et pervertit le symbole de la foi
à un point tel que la conception du Christ, sa naissance, sa passion,
sa mort, sa sépulture, sa descente dans les enfers, son retour des enfers,
ne soient ni vrais ni réels, mais métaphoriques, imaginaires, comme Marcion
et Manès l’enseignent. Car, sur la conception du Christ, le symbole
de la foi droite atteste que le corps du Christ est demeuré, pendant neuf
mois, exclusivement dans le sein de la sainte Vierge. Or, s’il
a toujours été partout, il a été dans le sein de toutes les femmes
et de tous les hommes.
Au sujet de sa naissance, le symbole enseigne que le corps du
Christ, le neuvième mois révolu, est sorti réellement du corps de sa
mère, et que c’est ainsi qu’il est vraiment et réellement né.
Or, si les songes creux des ubiquistes étaient vrais, il était, avant
le neuvième mois, hors de l’utérus, et il était encore dans l’utérus
après le neuvième mois. Il n’est donc jamais sorti de l’utérus,
et il ne pouvait pas non plus le faire, car, étant partout, il ne vient
pas là où il n’était pas, mais apparait où on ne le voyait pas.
Ainsi, il aurait fallu dire que la naissance du Christ n’avait
été ni vraie ni réelle, mais apparente, imaginaire, métaphorique.
Puisque cette chair ne venait pas là où elle n’était pas, elle n’a
pas quitté le lieu où elle était, mais elle commença seulement à être
vue, là où on ne la voyait pas encore. On doit dire la même chose
de la passion, de la mort, de la sépulture et des autres mystères du
Christ. Celui qui a toujours été partout, c’est métaphoriquement et
non réellement qu’il passe du cénacle au jardin des oliviers, du jardin
au grand conseil des Juifs, du conseil au prétoire, du prétoire
au calvaire, du calvaire à la croix, de la croix au sépulcre, du sépulcre
à la montagne, du mont des oliviers au ciel. Le corps n’a pas
pu, non plus, à la mort, se séparer vraiment et réellement de l’âme.
Et comme l’un et l’autre étaient partout, il s’ensuit qu’il est
absurde de penser que, après la mort du Christ, le corps était avec l’âme
dans les limbes, et l’âme était avec le corps dans le sépulcre.
Et que dire de la nature humaine du Christ, de ce mystère de l’incarnation
adoré par les anges ? Car, si la nature humaine du Christ
est non seulement présente partout mais (comme l’enseignent les adversaires)
a la même immensité divine que Dieu a, elle devra, pour pouvoir remplir
les milliards de galaxies, être immense et infinie. Elle devra
aussi, sans aucun doute, être d’une vertu infinie. Il y a aura donc
deux natures infinies, ce qui est impossible. Ou, la seule chose qui reste,
la nature humaine se métamorphosera en nature divine, et la confusion
des natures entachera tout le mystère.
Que facilement donc une hérésie enfante une autre hérésie
! Et en allant d’erreur en erreur, on en vient à éradiquer les
premiers fondements de notre foi. Eh quoi ! Cette ubiquité
prodigieuse ne détruit-elle pas le sacrement pour la défense duquel elle
a été fabriquée ? Car, si dans n’importe laquelle maison privée,
on mange la chair du Christ dans le pain, dans le vin, dans les pommes,
dans les poissons, dans n’importe laquelle nourriture, dans l’air même
qu’on respire, quelle nécessité y a-t-il de se réunir à l’Église,
de rompre le pain, et de mêler le vin à l’eau, de prononcer les paroles
consécratoires, quand chacun a dans son repas profane la scène sacrée,
dans son pain terrestre le pain de l’eucharistie, sur sa table, l’autel
?
Et pour que vous puissiez admirer davantage la sagesse des luthériens,
en peu d’années, dans la même province, par les mêmes auteurs luthériens,
ce nouveau monstre a été enfanté, a péri et a revécu. Comme Brentius
le prouve par Luther et par d’autres auteurs luthériens, du vivant de
Luther il a été florissant dans la Saxe. Après la mort de Luther,
et sous la direction de Melanchton, il a commencé à languir et à se
flétrir. Et, dans la même Saxe, pendant le concile luthérien de
Dresde, qui a eu lieu il y a treize ans, il a été, par un décret public,
condamné et exterminé. Mais, dans les dernières années, une fois
l’autorité de Mélanchton battue en brèche, et Schmidelin lui
ayant succédé, il a été rappelé des enfers, et l’ubiquité, avec
de grands honneurs, a été replacée sur son siège. Voilà
donc quelle est la constance de la foi luthérienne, qui veut que soient
sacrosaints les dogmes de foi qui étaient quelques années avant des hérésies
pestilentielles.
Mais finissons-en ! Je ne veux pas plus longtemps prolonger
mon discours en pourchassant des nuages. Si tous les hommes les considéraient
tels, que de labeur et d’effort ils nous épargneraient ! Mais
comme l’habileté de Satan est si grande, si grande la fausseté
des hérésies, et si grande aussi la propension des peuples aux nouvelles
choses, qu’elles parviennent à persuader un grand nombre d’hommes,
de peuples, de provinces, de royaumes, au grand détriment de l’Église
catholique, et de l’honneur de Dieu et des mérites du Christ,
il est donc nécessaire, que de toutes nos forces, nous nous appliquions
à révéler les fraudes des hérétiques et à augmenter la gloire du
Christ. Puissions-nous, avec le Christ comme chef et guide, travailler
à la propagation de l’Église, à réparer les dommages, et à confondre
Satan.
CONTROVERSE SUR LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL
PREMIER LIVRE
LA NATURE ET LES CAUSES DU SACREMENT
Cette dispute est bipartite. La première : de tous les sacrements
en général. La deuxième : une explication sur chacun en particulier.
La disputation générale va avoir deux prolégomènes : un sur les erreurs,
un autre sur les mensonges et les calomnies des récents hérétiques.
Il contiendra ensuite six controverses principales : une sur le nom et
la signification du mot sacrement, une deuxième sur sa nature et sa définition,
une troisième, une troisième sur ses causes intrinsèques et extrinsèques,
une quatrième sur ses effets, c’est-à-dire la grâce et le caractère,
une cinquième sur le nombre, une sixième sur les cérémonies.
Plusieurs ont écrit sur ce sujet, mais les principaux parmi les hérétiques
me semblent être Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone,
et dans son assertion des articles), Philippe (dans les lieux et dans son
apologie de la confession d’Augusta), Jean Calvin (livre 4, chapitre
14), Martin Kemnitius (tomme 11 de l’examen du concile de Trente.)
Et, parmi les nôtres, en plus des scolastiques (sentences 1V), Thomas
Waldensis (tome 2 au complet), Gauillaume de Paris (dans son livre sur
les sacrements), Jean Eckius (dans ses homélies sur les sacrements), Jean
Roffensis (dans sa réfutation des articles de Luther), Hosius cardinal
(dans sa confession polonaise), Ruard Tapper (dans son explication des
articles de Louvain), Jodocus Tiletanus (dans sa réfutation de l’examen
de Kemnitius), Guillaume Alanus (dans son livre sur les sacrements en général),
Guillaume Lindanus, (dans la panoplie, livre 4), Pierre Soto (dans l’institution
des sacrements.)
CHAPITRE 1
Les erreurs
On peut réduire à quatre titres les erreurs anciennes sur les sacrements.
D’abord quelques-uns ont tenté d’éliminer tous les sacrements.
Ce sont ceux qu’Épiphane (dans l’hérésie 40), appelle archonticos,
que Theodoret (dans son livre 1 sur les fables des hérétiques) appelle
tantôt des archonticos, tantôt ascodritos, ou des ascodrupitas.
À la suite d’un anachorète syrien du nom de Pierre, ils exécraient
le baptême et l’eucharistie, au témoignage d’Épiphane, et (comme
l’ajoute Theodoret), tous les signes sensibles et corporels, car ils
faisaient constituer la vraie rédemption dans sa seule connaissance.
À cette ancienne hérésie appartient aussi l’erreur des Fraticelles
ou des Béguins, qui méprisaient les sacrements de l’Église, comme
l’atteste le pape Jean XX11 (dans extravaganti, sainte Romaine, maisons
religieuses). À cette hérésie se rattachent aussi les Pauliciens qui,
au témoignage d’Euthymius, (part 11 panoplie, tit 21) rejetaient toute
la matière des sacrements : l’eau, le pain, le vin, l’huile, et n’utilisaient
que les paroles. Par exemple, ils disaient que le baptême consistait
dans ces paroles : « Je suis l’eau vive. »
La seconde hérésie est de ceux qui n’exécraient pas les sacrements
ni ne les rejetaient complètement, mais en polluaient la vertu et l’efficacité,
comme les Messaliens ou les Euchites. Nous ont décrit cette hérésie
Épiphane (hérésie 80), saint Augustin (hérésie 57), et Theodoret (livre
4 sur les fables hérétiques, mais beaucoup plus longuement, et avec moultes
citations, saint Jean Damascène (dans son livre sur les hérésies) où
il atteste que selon les dogmes messaliens, les péchés ne sont pas purgés
par les divins sacrements, mais seulement par les prières qui sont par
eux adressées correctement à Dieu. Selon eux, les hommes peuvent
donc être tout de suite justifiés par des prières, sans le baptême,
sans l’eucharistie, et sans l’absolution des prêtres. Et cela,
même s’ils admettaient les sacrements. Guido (dans sa somme) attribue
presque la même hérésie à Guido, et à quelques cathares récents.
Et il ajoute que certains d’entre eux nient que les sacrements de la
nouvelle loi confèrent la grâce.
La troisième hérésie est de ceux qui rejetaient certains sacrements.
Car, beaucoup ont rejeté le baptême, comme ceux dont l’hérésie se
nommait Gaiane, selon Tertullien ( au début de son livre sur le baptême).
Comme les manichéens, selon saint Augustin (hérésie 46), et les Séleuciens,
selon saint Augustin (hérésie 59). Etc.
D’autres, comme les Novatiens, rejetèrent le sacrement de
confirmation, au témoignage de Theodoret (livre 3, sur les fables des
hérétiques). D’autres dirent que le sacrement de l’eucharistie
n’est rien. Car, comme l’écrit Pierre de Cluny (dans son livre
contre les Petrobrusiens), une de leurs erreurs consistait en ceci que
le pain n’est devenu le corps du Christ qu’une seule fois, la nuit
où il a été trahi. Et qu’après il ne l’est plus devenu, et
ne peut plus le devenir. Euthymius écrit aussi (dans sa panoplie,
par 2, titre 23) que l’une des erreurs des Bogomiles était que l’eucharistie
n’était rien d’autre, pour eux, que le notre Père.
D’autres ont enlevé le sacrement de pénitence, comme les Novatiens,
au témoignage d’Épiphane (hérésie 59) et de saint Augustin (hérésie
38). D’autres dirent que le sacrement de l’ordre n’était absolument
rien, comme les disciples de Taudemus, comme le rapporte celui qui a continué
la chronique de Sigebert, à l’an 1124. D’autres ont détesté
l’extrême onction, comme les Albigeois, au témoignage de saint Antoine
de Padoue (par tit X1, chapitre 7, verset 5 de sa somme théologique).
Et comme ensuite les Flagellants, selon Bernard du Luxembourg (dans son
catalogue des hérétiques.) D’autres rejetèrent le mariage,
comme les Encratites, selon saint Augustin (hérésie 33), et les Manichéens,
selon saint Augustin (hérésie 46) etc.
La quatrième hérésie fut de ceux qui n’enlevaient aucun sacrement,
mais qui ne les comprenaient pas correctement, et ne les administraient
pas correctement. Parmi eux étaient les Marcosiens, disciples d’un
certain Marc, de très anciens hérétiques, qui disaient qu’il fallait
administrer le baptême non au nom de la trinité, mais « au nom du père
ignoré, et dans la vérité mère de tous; dans Jésus qui est descendu
dans l’unité, dans la rédemption et la communication des pouvoirs ».
C’est ce que rapporte Theodoret (dans son livre 1 sur les fables des
hérétiques). De même les Marcionites, qui baptisaient deux et
trois fois les hommes, comme Épiphane le rapporte (hérésie 42).
Plusieurs, également, errèrent au sujet de l’eucharistie.
Ils acceptaient bien qu’elle soit un sacrement, mais ils soutenaient
qu’elle ne contenait pas le vrai corps du Christ, et cela au temps même
des apôtres, comme le rapporte Ignace (dans son épitre aux fidèles de
Smyrne) et Theodoret (dans son troisième dialogue, vers le milieu.)
Ainsi que Bérenger, au témoignage de Lanfranc (dans son livre contre
Bérenger). Ensuite, Jean Wiclef, selon le concile de Constance (session
V111). Quelques-uns errèrent au sujet du sacrement de pénitence,
même s’ils ne le rejetaient pas, comme les Audians, qui entendaient
les confessions et absolvaient des péchés, sans imposer de pénitence,
comme le rapporte Theodoret (dans son livre 4 sur les fables des hérétiques).
Quelques-uns ont erré au sujet des ordres, qu’ils conféraient même
à des femmes, comme les Pepurites, au témoignage d’Épiphane (hérésie
49). Voilà ce qu’on peut dire en général sur les erreurs des
anciens.
Or, nous en voyons de pareilles en notre siècle. Car, tout d’abord,
ne manquèrent pas ceux qui méprisèrent tous les sacrements sensibles
et corporels. On peut certes les appeler de nouveaux archontices.
Rapportent la même chose au sujet de Swenekfeldianus Frédéric Staphile,
(dans son livre sur la concorde des disciples de Luther), et David Chytraeus
(dans la préface de ses commentaires sur l’Apocalypse.)
Même si tous les luthériens et les calvinistes ne rejettent pas tous
les sacrements, ils leur dérobent toutefois leur vertu et leur efficacité,
comme le faisaient les Messaliens. Ces derniers attribuaient
tout à la prière, eux attribuent tout à la foi, et absolument rien aux
sacrements qui ne sont que des signes nus non nécessaires. Car c’est
ce qu’écrit Luther (dans son assertion du premier article) : « C’est
une sentence hérétique, quoique fort usitée, que les sacrements de la
nouvelle loi donnent la grâce à ceux qui n’y mettent pas d’obstacle.
Car, l’Écriture dit que le juste vit de la foi. Elle ne dit pas
qu’il vit des sacrements. » Cette sentence, que je sache, aucun
hérétique de ce temps ne l’a contestée.
Il ne manque pas, non plus, de notre temps, d’hérétiques qui rejettent
certains sacrements, et non tous. Car, à l’exception de
Swenekfeldisnus, tous les autres reçoivent deux sacrements, le baptême
et l’eucharistie. Ils en rejettent deux : la confirmation et l’extrême
onction, reçoivent le mariage, mais non en tant que sacrement. Sur
la pénitence et les ordres, ils diffèrent entre eux, comme nous
l’expliquerons plus tard.
Ne manquent pas non plus ceux qui reçoivent certains sacrements en
les mêlant avec des erreurs. Car, les anabaptistes reçoivent le
sacrement du baptême, mais pour les adultes, non pour les enfants; les
Zwingliens reçoivent le sacrement de l’eucharistie, mais
nient qu’il soit le corps du Christ. Luther ne nie pas le sacrement de
pénitence, ou la confession intégrale, mais il n’exige ou n’admet
aucune satisfaction, ni n’y reconnait un vrai ministre sacramentel, comme
on le voit dans l’assertion de ses articles 5, 6, 7, 8.9 et 10.
Enfin, tous admettent l’ordination des ministres, mais ne reconnaissent
pas le vrai ministre et le vrai rite de ce sacrement.
Nous voyons donc que les quatre classes d’hérétiques qui, à diverses
époques, vexèrent pendant 1500 ans l’Église catholique, ont, en notre
siècle, toutes, ensemble, conspiré contre cette Église.
Mais, avec la grâce de Dieu, elle a triomphé de toutes ces vieilles hérésies.
Avec la même grâce de Dieu, elle triomphera des nouvelles, puisqu’elle
ne peut pas perdre sa vertu.
CHAPITRE 2
Les mensonges et les calomnies
des adversaires
Il est nécessaire de présenter les mensonges des principaux ennemis
de l’Église, ce qui est fort efficace pour leur enlever toute
crédibilité, comme l’atteste Luther lui-même : « Si on me surprenait
une seule fois en train de mentir, de dire des faussetés, ou de prêcher
des erreurs, toute ma doctrine, mon honneur, la confiance en moi s’écrouleraient.
Tous me considéreraient, comme il est juste, comme un vaurien et un fumiste.
» D’autant plus que ce vice, Luther n’a pas rougi de l’attribuer
impudemment aux catholiques. Car, c’est ainsi qu’il écrit dans
son livre contre Cochlaeus : « Mais moi, j’attribue à la divine providence
que les papes et les papistes n’aient d’autres patrons que ceux qui
ont toujours fondé leur autorité ou sur une ignorance insigne ou
sur des mensonges impudents, pour que, désormais, personne ne soit
plus trompé par l’abomination romaine. » Et plus bas : « Il
est certes déplorable le sort du Pape, parce que les siens ne descendent
dans l’arène qu’armés de mensonges. »
Or, ces paroles conviennent parfaitement à Luther. Car, comme
l’atteste Jean Cochlaeus (dans les actes de Luther, année 23),
personne, parmi les catholiques n’a écrit sur Luther sans le convaincre
d’un grand nombre de mensonges. Parmi ceux-là, un dietembergeois
a tiré, de deux opuscules de Luther, quatre-vingt mensonges.
Ensuite, ces mensonges ne nuisent en rien autant à l’Église que
quand ils persuadent aux peuples que nous pensons et enseignons autrement
que ce que nous pensons et enseignons vraiment. C’est donc une
chose extrêmement utile de mettre à nu leurs mensonges. Nous ne
révèlerons que les mensonges les plus crasses sur les sacrements.
Dans son livre sur la captivité babylonienne, Luther (au chapitre
1, qui porte sur l’eucharistie), ment d’abord en disant : « Je ne
m’arrête pas au concile de Constance, car si son autorité valait, pourquoi
ne vaudrait pas aussi celle du concile de Bâle, qui a statué, contre
lui, qu’il est permis aux Bohémiens de communier sous l’une ou l’autre
espèce. C’est ce que cet adulateur ignorant amène en preuve à son
rêve. » Que le concile de Constance et celui de Bâle s’opposent
l’un à l’autre au sujet de la communion sous une seule espèce, c’est
un mensonge éhonté. Car le concile de Constance et le concile de
Bâle ont statué la même chose, le concile de Constance à la session
13, et celui de Bâle à la session 30, à savoir, que les laïcs
ne sont pas tenus, de droit divin, à communier sous l’une et l’autre
espèce; qu’il faut donc conserver la règle et la coutume de l’Église.
Ces décrets ne répugnent pas à la concession que le concile de Bâle
a faite aux bohémiens de communier sous l’une et l’autre espèce,
pourvu qu’ils admettent qu’il s’agit là d’une concession faite
par l’Église et non d’un droit divin.
Le second mensonge. Il répète trois ou quatre fois que saint Thomas
est l’auteur de cette sentence que tous les catholiques acceptent : dans
le sacrement de l’autel, il n’y a pas de substance du pain et du vin,
mais seulement des accidents. Ce qui est un mensonge crasse. Car,
Innocent 111, au concile du Latran, c.1 (pour omettre des témoignages
plus anciens) a défini cela en 1215, avant la naissance de saint Thomas.
Le troisième mensonge. Au chapitre 2, sur le baptême, il dit, en
parlant des scolastiques : « Les hommes impies soutiennent qu’on ne
doit pas être certains de la rémission des péchés ou de la grâce des
sacrements. Par ces paroles, ils font perdre la raison à toute la terre.
»
Au témoignage même de Luther, cela est un mensonge. Car,
un peu plus bas, le même dit, avec plus de franchise : « Tous, cependant,
admettent que les sacrements sont des signes efficaces de la grâce. »
Nous n’ordonnons donc pas aux hommes de douter de la grâce du sacrement
quand nous disons qu’ils sont des signes efficaces de la grâce.
On ordonne, cependant, de douter de sa propre disposition, et, pour cette
raison, de l’obtention de la grâce. Mais, cela n’est pas
douter de la grâce des sacrements. Car, l’efficacité du sacrement
ne dépend pas de ma disposition, mais de la divine institution.
Exemple. Celui qui ferme les yeux ne peut pas voir le soleil,
mais on ne doute pas, à cause de cela, de la capacité d’éclairage
du soleil.
Les luthériens ne peuvent pas nier cela non plus. Car,
dans son livre contre les rebaptisant (année 1528), il parle ainsi : «
Le baptême n’est pas fondé sur la foi du baptisant ou du baptisé,
car l’un et l’autre sont incertains de leur foi, sont entourés
de périls et de tentations. » Et, dans son sermon sur le baptême
(en l’an 35), il a dit : « Pour que le baptême soit certain pour nous,
Dieu ne l’a pas fondé sur notre foi, puisqu’elle peut être incertaine
ou fausse, mais sur sa parole et son institution. » La différence
qu’il y a entre l nous et les luthériens n’est pas que nous
doutions de la grâce du sacrement, alors qu’eux n’en doutent pas,
mais que nous doutons, nous d’obtenir la grâce à cause de nos
dispositions, alors qu’eux, par pure témérité, ne doutent en aucune
façon. N’affirment-ils par, en même temps, que les sacrements
ne sont d’aucun profit sans la foi, et que l’homme peut facilement
se tromper quand il pense croire mais ne croit pas.
Le quatrième mensonge. Il ment quand il dit : « Sois un contempteur
du Maitre des sentences, avec tous ses scribes, qui n’écrivent que sur
la matière et la forme des sacrements, c’est-à-dire que, quand ils
écrivent le mieux sur les sacrements, ils ne transmettent que la
lettre morte qui tue; et ils laissent intacts l’esprit, la vie et l’usage,
c’est-à-dire la vérité de la promesse divine, et notre foi. »
C’est un mensonge criant. Car, de la foi de celui qui reçoit
les sacrements, et de son droit usage, le maître parle abondamment (livre
4, dist 4 et 9), et les scolastiques au même endroit.
Francis Stancarus (dans son livre sur la trinité et sur le
médiateur) a écrit avec plus de vérité sur le maître des sentences
: « Je juge, moi, qu’un seul Pierre Lombard vaut plus que cent
Luther, deux cent Melanchton, trois cent Bulligeros, quatre cent Pierre
martyrs, et cinq cent Calvin. Eux tous, s’ils étaient jetés dans
un broyeur, ils ne produiraient pas une once de vraie théologie sur la
trinité, l’incarnation, le médiateur et les sacrements. »
Le cinquième mensonge. Il dit au même endroit : « Ils sont
poussés à tellement attribuer aux sacrements de la nouvelle loi,
qu’ils statuent qu’ils profitent aussi à ceux qui sont en état de
péché mortel, qu’ils ne requièrent ni la foi ou la grâce, mais qu’ils
sont suffisants pour ceux qui n’y mettent pas d’obstacle, le propos
actuel de pécher de nouveau » Et plus bas : « Ils disent que les
sacrements profitent même aux impies et aux incrédules, pourvu qu’ils
n’y mettent pas d’obstacle, comme si l’incrédulité n’était pas
le plus obstiné et le plus hostile obstacle à la grâce. » Cette
sentence il la répète souvent, lui, ses fils, et ses adeptes.
Non seulement les vrais luthériens, mais même Calvin se sert de ces
paroles dans Antidote (session 7, canons 5 et 6). Il nous attribue là
trois choses. La première : nous enseignons que les sacrements profitent
à ceux qui sont en état de péché mortel. Ce qui est tout à fait
vrai, pourvu que les pécheurs veuillent faire pénitence; et c’est pour
remettre les péchés que l’absolution a été instituée. Et il
y a de quoi se surprendre que des luthériens nous taxent d’erreur à
se sujet, eux qui veulent que les sacrements aient une promesse de réconciliation,
et de rémission des péchés, ce sur quoi nous parlerons plus tard.
Mais, s’il parle des pécheurs non pénitents, c’est un pur mensonge
qu’il met dans la bouche des catholiques, en leur faisant dire que les
sacrements sont profitables aux pécheurs. Car, tous les catholiques
requièrent la pénitence comme disposition à recevoir la grâce.
Ils nous font dire ensuite que nous ne requérons pas la grâce pour que
le sacrement nous soit de profit. Ce qui est un mensonge manifeste.
Car, si par grâce ils entendent la faveur de Dieu, comme ils l’entendent
ordinairement, tous les catholiques disent que la justification des péchés
est donnée, dans les sacrements, par la grâce de Dieu et les mérites
du Christ, et non par les mérites de celui qui les reçoit.
Mais, si par grâce, ils entendent la qualité inhérente par laquelle
nous sommes formellement justifiés, nous reconnaissons que cette grâce-là
n’est pas requise avant la perception des sacrements, comme le baptême
et la pénitence. Ce qu’ils sont forcés eux-mêmes de reconnaître,
puisqu’ils veulent que les sacrements aient une promesse de rémission
des péchés. Nous disons, cependant, que cette grâce est infusée
dans la réception elle-même des sacrements. C’est donc une pure
calomnie et un mensonge que les catholiques ne requièrent pas la grâce
pour que les sacrements leur soient profitables.
Troisièmement. Ils nous font dire aussi que nous ne requérons pas
la foi, et que nous ne considérons pas l’incrédulité comme un obstacle
empêchant le sacrement. Ce qui est un énorme mensonge ! Car, ou
ils parlent de la substance du sacrement ou du fruit du sacrement.
S’ils parlent de la substance, ni eux ni nous ne requérons la foi.
Car, tous les catholiques avec saint Augustin (livre 4, chapitre 12 sur
le baptême) admettent qu’est véritable le baptême que les hérétiques
reçoivent sans la vraie foi. Et Luther enseigne la même chose (dans
ses homélies sur le baptême, et dans son livre contre les rebaptisant),
ainsi que Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 16). Mais s’ils
parlent du fruit du sacrement, il est faux de dire que les catholiques
ne voient pas dans l’incrédulité un obstacle au sacrement. Car,
tous les catholiques requièrent nécessairement dans les adultes la foi
en acte, sans laquelle, disent-ils, personne n’est justifié. Voir
le maitre des sentences, Pierre Lombard (livre 4, dist 4), et saint Thomas
(111 par queLXV111, art 8), ainsi que le droit canonique que Luther a détruit
par le feu (sur la consécration, dist 4, plusieurs canons).
L’occasion de cette fraude serait peut-être que les catholiques
ne requièrent pas, dans les sacrements, cette foi spéciale que les adversaires
sont les seuls à considérer comme la vraie foi justifiante. Mais
(pour omettre que cette foi n’est pas la vraie foi, mais une opinion
téméraire), si on pouvait vraiment nous attribuer, à cause de cela,
que nous ne requérons pas la foi dans les sacrements, parce que nous ne
requérons pas cette foi spéciale, nous pourrions, nous aussi, leur faire
dire qu’ils ne requièrent pas la foi dans les sacrements, parce qu’ils
ne requièrent pas la seule foi que nous jugeons vraie.
Au surplus, pour agir de bonne foi, il faut faire une distinction entre
les questions. Car autre est se demander si, dans les sacrements,
la vraie foi est requise, et autre est se demander quelle est cette
vraie foi. Nous nous entendons sur la première question, mais
non sur la deuxième. Et puis, des enfants il ne peut pas être question,
car ils ne posent pas et ne peuvent pas poser l’obstacle de l’incrédulité.
Car l’incrédulité ce n’est pas ne pas croire, mais ne pas vouloir
croire. Et comme les enfants ont péché par la volonté d’un autre,
et sont habituellement détournés de Dieu, il suffit, s’ils croient
par la volonté d’un autre, et se retournent habituellement
vers Dieu par l’infusion de la foi, de l’espérance et de la charité.
Voilà pourquoi Philippe ((dans les lieux, année 41, sur l’usage des
sacrements) dit que, au sujet des adultes, la seule chose qu’il y a à
comprendre c’est qu’il leur faut croire en acte.
Le sixième mensonge se trouve dans l’assertion du premier article,
qui fait de Scot l’auteur de la sentence voulant que les sacrements confèrent
la grâce à celui qui n’y met pas d’obstacle. Il appelle cette
sentence hérétique. Mais, c’est un autre mensonge, car
Innocent 111 enseignait la même chose (chapitre majores, du baptême et
de son effet), bien longtemps avant que Scot ne naisse. Et même
saint Augustin (dans son épitre 23 à Boniface) où, après avoir dit
que le baptême était de profit pour les enfants, même s’ils ne croyaient
pas en acte, il parle ainsi : « Celui qui ne croit pas cela et qui pense
que c’est une chose impossible, est un infidèle, même s’il a le sacrement
de la foi. Et cet enfant est de loin meilleur qui, même s’il n’a
pas la foi en pensée, n’y oppose pas d’obstacle par une pensée contraire.
Voilà pourquoi il reçoit fidèlement le sacrement. »
Le septième mensonge se trouve au même endroit quand il dit que,
dans l’usage du sacrement, Scot ne requiert ni la foi, ni le ferme propos,
ni un bon mouvement du cœur. Ce mensonge Roffensis le réfute avec
les paroles mêmes de Scot qui (dans 1V, dist 4, question 2 sur diverses
choses) enseigne que la foi, la contrition et l’attrition sont
requises. Voir aussi la question 5 au début, et en réponse au dernier
(dist 17, quest 1.) Le huitième mensonge. Dans sa dernière homélie sur
le baptême, il dit : « Vient de l’impiété le fait d’avoir attribué
au sel et à l’eau, consacrés contrairement à la parole et au commandement
de Dieu, autant de vertu et de force qu’au vénérable sacrement
du baptême. » Il y a là deux mensonges. Le premier, que contre le commandement
et la parole de Dieu, nous consacrons l’eau et le sel.
Eh quoi ? Luther n’enseigne-t-il pas juste le contraire, dans
la captivité de Babylone (chapitre sur l’extrême onction) où il dit
: « Je ne condamne donc pas ce nôtre sacrement d’extrême onction,
mais ce que je nie constamment c’est que ce soit ce que l’apôtre saint
Jacques a prescrit, puisqu’il ne correspond au nôtre ni par la
forme, ni par l’emploi, ni par la vertu ni par la fin. Nous le
compterons, toutefois, parmi les sacrements que nous avons institués,
comme sont la consécrations du sel et de l’eau, et l’aspersion.
Car, nous ne pouvons pas nier qu’une créature quelconque est sanctifiée
par la parole de Dieu et la prière, comme nous l’enseigne l’apôtre
Paul. »
CHAPITRE 3
Les mensonges de Philippe
Le premier. Dans la confession elle-même (article 13), il condamne
les scolastiques pour avoir enseigné que, dans l’usage des sacrements,
la foi n’est pas requise. Et, dans l’apologie de ce même article,
il explique plus au long et plus clairement sa pensée : « Nous condamnons
tout le peuple des docteurs scolastiques parce qu’ils enseignent que,
à celui n’y met pas d’obstacle, les sacrements confèrent la grâce
par le fait même (par l’opération opérée), sans un bon mouvement
de celui qui le reçoit. C’est purement une opinion judaïque que
d’estimer qu’on est justifié par la cérémonie, sans un bon mouvement
venant du cœur, c’est-à-dire sans la foi. Et, cependant, cette
opinion impie et superstitieuse est enseignée avec une grande autorité
dans le royaume pontifical. »
Ce mensonge est encore plus impudent que les mensonges de Luther, car
Luther n’accusait pas tous les chrétiens mais les scotistes seulement.
Philippe, lui, blâme tout le peuple des scolastiques. Bien plus,
tout le royaume pontifical. Ce mensonge est si grotesque qu’il
ne mérite pas de réfutation. Car, tous ceux qui peuvent lire savent que
tous les scolastiques, avec leur maître (livre 4, distinction 4), requièrent
la foi actuelle qui ne peut pas exister sans un mouvement du cœur.
Et Philippe lui-même, dans son apologie sur l’article de la pénitence,
dit que les catholiques requièrent la contrition et l’attrition.
Et qu’est-ce que la contrition ou l’attrition sinon un mouvement du
cœur ?
Le deuxième mensonge. Dans sa même confession d’Augusta, à l’article
de la messe, il écrit : « On accuse faussement nos églises d’avoir
aboli la messe. Car, les nôtre retiennent la messe, et la célèbrent
avec une grande révérence. » Que ce soit là un mensonge, nous
pouvons le prouver par les articles smalchaldiques, qui ne sont pas, auprès
des luthériens d’une moindre autorité que la confession elle-même.
Voilà pourquoi, dans le livre de la concorde, ils sont placés avec
la confession. Dans ces articles, nous lisons : « Du reste, la queue
du dragon (la messe) enfanta de multiples abominations et idolâtries.
» Et, un peu avant : « La messe doit être abrogée de plein droit. »
Si donc, en tant que queue du dragon, la messe doit être abrogée, pourquoi
ne l’ont-ils pas abrogée ? Ou, s’ils l’ont abrogée, pourquoi
se plaignent-ils d’être accusés de l’avoir abrogée ?
Ils répondront peut-être que c’est la messe papiste qu’ils ont
abrogée, mais qu’ils ont gardé la chrétienne, c’est-à-dire la distribution
et la réception du sacrement. Car, c’est cela que Philippe appelle
la messe dans son apologie. Or, nous n’accusons pas les luthériens
d’avoir aboli cette messe, qui consiste dans la communion, mais d’avoir
rejeté la vraie messe, c’est-à-dire l’oblation du sacrifice, et tout
le canon. Si donc, par messe, ils entendent la communion, c’est
un mensonge de dire que nous leur reprochions cela. Si par
messe, ils entendent l’oblation ou le sacrifice, c’est un mensonge
de dire qu’ils sont accusés faussement.
Le troisième mensonge. Il dit, dans le même article : « Avant
saint Grégoire le grand, les anciens ne font pas mention de la messe privée.
» Il répète la même chose dans l’apologie du même article.
Si, par messe privée, il entend une messe qui est dite à un nom privé,
ou qui ne profite qu’à une seule personne, une messe privée de ce genre
n’exista jamais. Car, toute messe est publique quand elle est célébrée
par un prêtre, en tant que ministre public, et pour l’utilité commune
et publique de toute l’église. Mais, si par messe privée, il
entend une messe qui est célébrée par un seul prêtre, sans distribution
de l’eucharistie au peuple, il ment en affirmant que des messes de ce
genre n’ont pas été célébrées avant le temps de saint Grégoire.
Car, saint Augustin (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu), se souvient
d’une messe privée. Il écrit qu’un de ses prêtres a offert
le sacrifice du corps du Seigneur dans la maison de campagne d’un noble
quelconque, qui était vexée par l’infestation d’esprits mauvais,
et que la maison a été sur-le-champ libérée. « Il y parvint.
Quelqu’un offrit là le sacrifice du corps du Christ priant, autant qu’il
le put, pour que cette vexation cesse; et, par la miséricorde de
Dieu, elle cessa immédiatement » Voilà donc le témoignage de saint
Augustin, qui a vécu deux cents ans avant saint Grégoire. Il se souvient
nettement d’une messe dite par un prêtre dans une maison privée, sans
la distribution du sacrement faite au peuple. Qu’elle ait été
agréable à Dieu, le fait lui-même le prouve.
Le quatrième mensonge dans la même confession d’Augusta (à l’article
de la confession) où il parle ainsi : « Ils exaltent sans retenue les
satisfactions, mais ils ne font aucune mention de la foi, du mérite du
Christ, et de la justice par la foi. » Il dit la même chose dans
la Confession, dans l’Apologie (article 11), avec une plus grande exagération
: « Maintenant, de cette foi consécutive à la rémission des péchés
il n’est fait aucune mention, même pas par une syllabe, dans la si grande
masse des constitutions, des glossaires, des sommes. On n’y lit jamais
le nom du Christ. » Et plus bas, dans son apologie (article 15) : « Il
existe d’immenses livres, je dirais plus, des bibliothèques entières,
où ne trouve aucune syllabe sur le Christ, ou la foi dans
le Christ. » Mais ce sont des mensonges éhontés; et il serait
fort étonnant que toute l’Allemagne les croie. Car, il n’existe
aucun livre catholique traitant des sacrements dans lesquels les mots foi
et Christ ne figurent pas fréquemment. Il est certain que saint
Thomas, qui n’est pas le dernier venu, dit et prouve (111 par question
LX11, article 5) « que tous les sacrements tirent leur force des mérites
du Christ, et que c’est par la foi que les mérites du Christ nous sont
appliqués. »
CHAPITRE 4
Les mensonges de Calvin
Venons-en maintenant à Jean Calvin qui (livre 4, chapitre 14, verset
14 de ses institutions) écrit : « Du consentement unanime de l’école
sophistique, ils transmirent que les sacrements de la nouvelle loi justifient
et confèrent la grâce, pourvu que nous n’y mettions pas l’obstacle
d’un péché mortel. On ne peut pas dire à quel point cette sentence
est funeste, pernicieuse et fatale. Surtout parce que, pendant de longs
siècles elle a causé un grand dommage dans une bonne partie de
l’Église. Elle est tout à fait diabolique, car, pendant qu’elle promet
la justice, abstraction faite de la foi, elle précipite les âmes
dans l’abyme. »
Le premier mensonge consiste en ce que, dans les sacrements,
nous promettrions la justice sans la foi. Il a été réfuté plus haut
(par la citation de saint Thomas). Observons, entre temps, que Calvin a
dit vrai quand il a reconnu qu’il y avait un grand consensus parmi les
catholiques, que pendant plusieurs siècles la même doctrine a été prêchée,
crue, et reçue dans une grande partie de l’univers; que leur doctrine
est récente et née en ce siècle, et qu’elle n’a conquis qu’une
province ou l’autre. Car, si les hérétiques sont nombreux, aucune
hérésie particulière n’est parvenue à conquérir les autres.
Le deuxième mensonge est dans le même chapitre 17 : « Entre temps,
est enlevée la fiction selon laquelle la cause de la justification et
la vertu de l’Esprit saint sont inclus dans des éléments, ou des petits
vases ou des charriots ». Voilà donc la fiction que Calvin nous
reproche. Or, les catholiques ne disent pas que la cause de la justification
est dans les sacrements en tant qu’ils sont inclus dans des vases;
ils font de ces sacrements des causes instrumentales de la justification.
Mais la vertu du Saint Esprit, la puissance que Dieu attribue aux sacrements
pour la justification aucun catholique n’enseigne qu’elle est contenue
dans les sacrements comme dans des vases. Car, cette vertu est ce
par quoi le sacrement opère.
Mais peut-être Calvin est-il allé chercher la cause de son
mensonge dans ce que les catholiques enseignent en disant que la grâce
est dans les sacrements, comme une chose qui est contenue dans un
vase. Car, étant l’effet du sacrement, la grâce est contenue
dans le sacrement, comme un effet dans sa cause. Et tout ce qui contient,
au moins métaphoriquement, peut être appelé vase. Ajoutons
qu’on peut même prendre un vase pour un instrument. Et c’est
dans ce sens que, dans le psaume V11, David appelle des flèches des vases
de mort, et Ézéchiel (chapitre 1X) appelle les armes des vases
de trépas, parce que les flèches et les autres armes sont des causes
instrumentales de mort. Calvin ne peut pas même nier cela puisque,
dans son antidote du concile de Trente (session 7, chapitres 4 et
5) il reconnait que les sacrements sont des causes instrumentales de l’obtention
de la grâce.
Le troisième mensonge est dans le même chapitre (verset 26) où il
dit ceci : « Tout ce que les sophistes ont rêvé de l’effet opéré
par l’opération même du sacrement est non seulement faux, mais répugne
à la nature des sacrements, que Dieu a institués. Et ils rendent
les fidèles vides des biens, dépossédés de tout, réduits à la seule
mendicité. Il s’ensuit donc que, en les recevant, ils ne font rien qui
leur mérite des louanges; et que, dans cette action qui est, selon eux,
purement passive, ils ne peuvent voir aucune œuvre. »
Par ce mensonge, Calvin satisfait ou son ignorance ou sa malice.
Car les théologiens n’appellent pas œuvre méritoire l’œuvre
opérée par celui qui reçoit ou qui administre le sacrement, comme Calvin
le prétend. Car, cette œuvre nous l’appelons l’œuvre de l’opérant.
Ce qu’est l’œuvre opérée nous l’expliquerons en son lieu.
Pour l’instant, il suffit de noter que l’œuvre opérée de dépend
pas de la bonté du ministre, mais que le mérite en dépend.
Le quatrième mensonge (chapitre 17, verset 43) où il dit que « le
premier à avoir, dans le sacrement de l’eucharistie, utilisé du pain
azyme a été le pontife romain Alexandre : Il fut le premier à avoir
choisi du pain azyme. Je ne vois pour quelle raison.
Pour provoquer, par ce nouveau spectacle, l’admiration du peuple,
plutôt que pour établir les âmes dans une religion éprouvée ? »
Ce mensonge est en guerre ouverte contre l’évangile. Matthieu, en effet
(XXV1), Luc XX11 et Marc (X1V) écrivent que le Seigneur a fait la cène,
le premier jour des azymes. Ce ne fut donc pas le pape Alexandre,
mais le Christ qui fut le premier à utiliser le pain azyme dans le sacrement
de l’autel.
Le cinquième mensonge est au chapitre 19, verset 12, où il
dit : «Quand les anciens parlaient en employant les mots au sens
propre, ils n’ont jamais recensé plus de deux sacrements. » Ce mensonge
est réfuté par saint Cyprien (pour ne pas parler des autres) qui (au
livre 2, épitre 1) m ne considère pas seulement le baptême et l’eucharistie
comme de vrais sacrements, mais aussi la confirmation. Car, voici ce qu’il
dit de la confirmation : « Ils peuvent être pleinement sanctifiés et
être fils de Dieu ceux qui naissent par l’un et l’autre sacrement.
» Et saint Augustin (livre 2, chapitre 104 contre les lettres de
Petilianus) : « Le sacrement du saint chrême, est, dans le genre des
signes visibles, sacrosaint, comme le baptême lui-même. »
Le sixième est au même endroit. En parlant de la confirmation,
il ajoute : « Les anciens parlaient de l’imposition des mains, mais
lui donnaient-ils le nom de sacrement ? Saint-Augustin dit qu’elle
n’est rien d’autre qu’une prière. » Ce qui est déjà
réfuté par les auteurs cités. Le septième mensonge est
dans le chapitre 19, verset 34, où il dit : « Tous reconnaissent le mariage
tel qu’il a été institué par Dieu. Mais personne ne l’avait vu
comme un sacrement donné par Dieu avant saint Grégoire. » Or, saint
Augustin, qui a vécu deux cents ans avant saint Grégoire, (écrit dans
le livre sur le bonheur conjugal, chapitre 18) : « Dans les mariages des
nôtres, plus vaut la sainteté du sacrement que la fécondité de l’utérus.
» Et (au livre 1, chapitre 10 des noces et de la concupiscence), il énumère
trois fois le mariage parmi les sacrements. Et souvent aussi ailleurs.
Le huitième mensonge est dans l’antidote du concile (session 7,
canon 13) où il dit : « Plusieurs hommes pieux déplorent en gémissant
que dans le baptême, on attache plus d’importance au saint chrême,
à la cire, à la saveur du sel, et au crachat (?) qu’à
l’eau du lavement, dans laquelle consiste toute la perfection du baptême.
» Il répète la même chose dans son livre sur les formules d’administration
des sacrements. Calvin s’efforce là de surpasser Luther dans le
mensonge. Car, comme nous l’avons noté dans son dernier mensonge,
Luther disait seulement que nous donnions à ces cérémonies la
même valeur qu’au baptême. Lui dit que nous leur donnons une plus grande
valeur. Mais l’un et l’autre mentaient allègrement. Car,
les catholiques mettent si peu ces cérémonies sur un pied d’égalité
avec le baptême, ou leur accordent si peu la supériorité sur le baptême,
qu’ils les appellent des préparations au baptême. Enfin, tous
les catholiques reconnaissent qu’un simple baptême sans cierge, sans
sel, sans huile, et sans les autres choses, suffit pour la justification;
et qu’à elles seules, les autres cérémonies ne suffisent pas.
Voir le maître et les autres docteurs (chapitre 4, dist 6).
LE CHAPITRE 5
Les mensonges de Kemnitius
Martin Kemnitius a répété beaucoup de mensonges de Luther et de
Calvin, mais il a en a ajoutés de son cru. Comme il serait trop
long de les rapporter tous, je me contenterai d’en citer quelques-uns
(tirés de son livre sur les sacrements en général, principe 2).
Le premier vient de son Examen (édité en 1566, page 14). Voici son mensonge
: « Le pontife Siricius a défini le mariage : « Vivre selon la chair,
ce qui ne pourrait pas plaire à Dieu. » Comment, selon la description
du sacrement qui figure dans le décret, la justice de Dieu peut-elle,
par le mariage, commencer, augmenter ou réparer ? » Ce mensonge
est tiré de la lettre 1 du pape Siricius (chapitre 7) où, voulant prouver
que les prêtres devaient se contenir aussi de leurs épouses, le saint
pontife prend pour argument les paroles de l’Apôtre aux Romains V111
: « Ceux qui vivent dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. »
Kemnitius déduit de ces paroles que le mariage n’est rien d’autre
que vivre selon la chair, ce qui ne plait pas à Dieu.
Mais Kemnitius aurait du remarquer que le pape ne parle pas du
mariage juste et légitime, mais de celui des prêtres, qui est illégitime,
et qui est, en soi, une impudicité sacrilège. En effet, dans la
même épitre (chapitre 4), il avait dit un peu auparavant que, dans l’église,
les noces légitimes sont bénies par le prêtre. Et il est
certain qu’il n’a pas voulu dire que ce qui était béni par le prêtre
c’était une vie selon la chair qui ne plait pas à Dieu. Les conjoints
légitimes peuvent donc vivre ainsi pour plaire à Dieu; et, on ne dit
pas qu’ils vivent dans la chair, mais dans l’esprit, s’ils
ont des rapports avec leurs épouses légitimes. Mais les prêtres,
auxquels les noces sont interdites, ne peuvent pas se marier ni avoir
de relations sexuelles avec une femme sans déplaire à Dieu, et sans vivre
selon la chair. Voilà ce qu’a vraiment écrit le saint pape Siricius.
Le deuxième mensonge se trouve à la page trente-neuf où, parlant
des sacrements de l’ordre et du mariage, il dit : « Même si Richard
soutient que par ces rites est conférée une grâce faisant un reconnaissant,
les autres, cependant, admettent que cela ne se peut pas. » Ce mensonge
est parmi les plus impudents qui soient, puisque tous les théologiens
qui comptent disent ce que dit Richard. Que suffise le témoignage
de saint Thomas (111 par qu LXV, art 1) . Il enseigne et prouve qu’il
y a sept sacrements de la nouvelle loi. Et, en réponse au dernier il dit
: « Dans chaque sacrement la grâce de la nouvelle loi est versée.
» Le troisième mensonge (pare 40) où, se demandant pourquoi
l’eau bénite, une rose bénite, une épée bénite, et d’autres choses
semblables, ne sont pas des sacrements, il dit : « Quelques scolastiques
répondent une chose, d’autres une autre chose. Ils n’arrivent pas
à s’expliquer clairement, ou à satisfaire les lecteurs, à moins qu’ils
n’approuvent l’ingénuité de Gabriel qui dit que l’eau bénite n’est
pas un sacrement parce que lui manque l’institution divine. »
Il y a ici deux mensonges. Le premier. Que les scolastiques fassent
de gros efforts pour montrer pourquoi les choses bénies ne sont pas des
sacrements. Ils s’y appliquent si peu que beaucoup n’en parlent même
pas, comme étant quelque chose d’évident, et que les autres n’en
disent quelques mots qu’en passant. Car, aucune de ces choses
n’est ce qui compte le plus dans un sacrement; aucune n’est un signe
efficace de la grâce justifiante. Le deuxième mensonge. Gabriel
avoue ingénument que, pour être un sacrement, il manque à l’eau bénite
l’institution divine. C’est un mensonge très vrai, parce que
Gabriel (4 dist 1 quest 1 art 1) dit que l’eau bénite n’a pas été
instituée par Dieu mais par l’Église, et qu’elle n’est donc pas
un sacrement. Mais il ne dit pas qu’il ne lui manque que l’institution
divine. Il dit, au contraire, qu’il lui manque aussi beaucoup d’autres
choses. Car, en cet endroit, il ne dispute pas d’abord et
avant tout de l’eau bénite, mais il explique la définition d’un sacrement.
Et, parce qu’il avait dit qu’à un sacrement est requise l’institution
divine, il déduit donc de la définition du sacrement que l’eau bénite
en est exclue, ainsi que tous les singes naturels. Il ne faut donc
pas en conclure que, pour être un sacrement, il ne manque
à l’eau bénite que l’institution divine.
Le quatrième mensonge (page 94 et 95), où il y a autant de mensonges
que de mots : « Certains, comme Alain, Thomas, Durand, pensèrent que,
au moyen des éléments externes des sacrements, était conférée par
la parole une vertu surnaturelle. » Or, il ne semble pas avoir lu ces
auteurs, car Durand enseigne précisément le contraire, et saint Thomas
combat cette opinion (4 dist 1, qu 4). Le cinquième mensonge se
trouve au même endroit : « Ils ajoutent que ni eux ni les autres ne peuvent
comprendre qu’il existe un être incomplet (la force qui se trouve
dans les sacrements) qui ne soit pas, par lui-même, dans un des dix prédicaments.
» Mais il est facile de croire que Kemnitius ne comprend pas ce
que veulent dire les scolastiques. Qu’il ne comprenne pas
que cette motion ou force présente dans les sacrements soit un être incomplet,
et qu’il ajoute qu’on a tort de dire qu’elle n’est dans aucun prédicament,
cela lui fait commettre un mensonge. Car, il n’est pas nécessaire
d’être expert en physique ou en logique pour savoir que le mouvement
est un être incomplet, et qu’il n’appartient à aucun prédicament.
Le sixième. Il ment quand il prétend que saint Cyprien a estimé
qu’était inutile le baptême conféré par les hérétiques et les mauvais
ministres. Car, partout, saint Cyprien distingue les mauvais ministres
des hérétiques, et il affirme que les mauvais baptisent utilement, et
les hérétiques inutilement. À cause d’une phrase de saint Cyprien,
Kemnitius se croit donc en droit d’unir faussement que saint Cyprien
sépare concsciencieusement. Voir saint Augustin expliquant
la phrase de saint Cyprien (livre 4, chapitre 10 sur le baptême, et livre
6, chapitre 12), et saint Cyprien lui-même (dans ses lettres à Jubajanus,
à Stéphane et à Quirinus.)
Le septième mensonge est à la page 95, où il dit :
« Cette opinion selon laquelle la grâce est contenue essentiellement
dans les éléments eux-mêmes des sacrements, comme un remède dans une
bouteille, de façon à être la vertu des sacrements, ou leur essence
ou une qualité inhérente dans les éléments corporaux des sacrements,
cette opinion, dis-je, ne fut pas approuvée par tous, comme Bonaventure
et Richard. »
En reprochant ce qu’il ne comprend pas, Kemnitius fait étalage
ici de son incompétence et de sa témérité. Car, d’abord,
il confond la grâce avec la vertu des sacrements, la grâce étant l’effet
des sacrements, et la vertu ce par quoi le sacrement opère. Que
la grâce soit contenue dans les sacrements, aucun catholique ne le nie;
mais cette vertu physique tous ne l’admettent pas. Que l’essence
même de la grâce soit inhérente aux sacrements, comme un remède
dans une bouteille, aucun des catholiques ne le dit. Ce que
nous admettons tous c’est que c’est dans l’âme que la grâce inhère
et non dans les sacrements. Ils la placent, comme nous l’avons
déjà dit plus haut, métaphoriquement dans le sacrement, à la façon
d’un vase, comme l’effet dans sa cause.
On trouve son huitième mensonge au même endroit : « Il y en a qui
ont placé la vertu des sacrements dans l’opération par laquelle les
sacrements sont célébrés, de façon à pourvoir dire que les sacrements
confèrent la grâce en raison de la dignité et du mérite de l’opération
(de l’œuvre) ou de celui qui célèbre ou qui reçoit. Ce mensonge
est un témoin de l’ignorance de Kemnitius; il n’est pas de lui,
mais c’est de Calvin qu’il l’a reçu. Voir, plus haut, le troisième
mensonge de Calvin. Il y en a encore d’autres, mais que ceux-là
suffisent.
2018 10 05 fin
2018 10 13 debut
CHAPITRE 6
Les mensonges de Tilmann Heshusius
Tilmann Heshusius qui s’appelle évêque de Sambiensen, a écrit
un livre sur les six cents erreurs des souverains pontifes.
Ce livre n’a pas un seul grain de sel, car il collectionne les erreurs
avec si peu de jugement qu’elles sont ou de purs mensonges, ou que leurs
contraires sont des hérésies communes à tous les luthériens.
Regardons, comme exemple, le lieu 15 qui porte sur les sacrements.
C’est là qu’il note la troisième erreur qu’il a tirée du catéchisme
romain : « La vertu qui émane de la passion du Christ, c’est-à-dire
la grâce qu’il nous a méritée sur l’autel de la croix, doit dériver
jusqu’à nous par les sacrements, comme par une matrice. » Il
a corrompu les paroles du catéchisme romain. Du mot alveus ( canal
) qui est dans le catéchisme romain il a fait alvus (matrice ) pour rendre
ridicule la phrase du catéchisme.
Or, on ne peut condamner la sentence du catéchisme sans condamner
tous les luthériens. Formulons donc le contraire, et nous ne pourrons
qu’avoir : le Christ, sur la croix, ne nous a pas mérité la grâce;
ou s’il l’a méritée, elle ne nous est pas communiquée par les sacrements,
comme par des canaux. Or, il est certain que cette sentence,
tous les luthériens la condamneraient, puisqu’ils veulent que la grâce
du Christ, qui vient de sa passion, nous soit offerte et appliquée
par les paroles et les sacrements. Il importe peu qu’ils n’appellent
pas les sacrements les canaux de la grâce, car ils les appellent des causes
instrumentales, ce qui est plus fort que canaux. Voir Kemnitius (2 par
examinis, page 97) et Calvin (antidote du concile, session 7, canon 4).
Sa cinquième erreur. Les sacrements de la loi ancienne
n’imprimaient pas un caractère qui est un signe spirituel.
Disons maintenant le contraire : les sacrements de l’ancienne loi imprimaient
un caractère spirituel. Et demandons-nous si un ou l’autre des luthériens
approuve cette assertion. Car, les luthériens n’ont jamais mis
les sacrements de l’ancienne loi avant ceux de la nouvelle loi, même
s’ils les ont peut-être mis sur un pied d’égalité. Et, cependant,
ils nient, à l’unanimité, que les sacrements de la nouvelle loi impriment
un caractère. Et c’est ce que dit aussi Heshusius dans sa septième
erreur.
C’est une nouvelle erreur qu’on ne requière pas de bons
mouvements intérieurs dans la réception des sacrements. Cette erreur
Heshusius l’attribue à Gabriel (livre 1V sentences dist 1 quest
3). Mais les paroles de Gabriel qu’il cite révèlent la fraude.
Car, Gabriel ne dit pas qu’un bon mouvement intérieur n’est
pas requis, puisque, comme tous les autres docteurs, il requiert distinctement
la foi et la pénitence. Il dit plutôt, comme Scot, que n’est
pas requis un mouvement intérieur capable de mériter la grâce de congruo
(par convenance ?) ou de condigno (en justice?). Car, Scot et Gabriel,
et beaucoup d’autres, enseignent que les mouvements intérieurs
méritent la justification de congruo (de convenance). Mais, ils
ajoutent que s’il arrivait que ces mouvements ne soient pas assez parfaits
pour la mériter de congruo, ils suffiraient quand même, avec le sacrement,
pour obtenir la justification.
La dixième erreur. Les sacrements de l’ancienne loi
ne conféraient la grâce ni par l’opération de l’œuvre, ni
par l’œuvre de l’opérant, ou par mode de mérite, même s’ils se
faisaient dans la foi et la charité. Mais, énonçons le contraire
en disant : les sacrements de l’ancienne loi conféraient la grâce par
l’opération de l’œuvre, ou par l’œuvre de l’opérant,
ou par mode mérite. Or, pour tous les luthériens, cette proposition
est une hérésie. Car tous exècrent ce que nous disons de
l’opération de l’œuvre, et plus encore de l’œuvre de l’opérant.
Car, conférer la grâce par l’œuvre de l’opérant c’est, pour les
sacrements, conférer la grâce à cause de la dignité et du mérite de
l’œuvre. Or, eux ne reconnaissent aucune œuvre digne ou méritoire,
mais veulent qu’elles soient toutes des péchés mortels. Comme Heshusius,
dans son livre qui porte sur la justification, la foi et les œuvres.
Sa treizième erreur, il la tire du concile de Trente (session 7, canon
13) : « Ils enseignent que sans les rites papistes externes, on ne trouve
ni la vérité, ni la dignité, ni l’efficacité des sacrements. »
Mais, c’est une impudente imposture, car le concile n’enseigne
rien de la sorte. Voici les vraies paroles du concile que Heshusius
a le front de citer telles quelles, afin de se présenter comme un imposteur
: « Si quelqu’un dit que les rites reçus et approuvés dans l’Église
catholique, qu’on a coutume d’utiliser dans l’administration solennelle
des sacrements, peuvent être méprisés, ou omis à volonté sans faute
par des ministres, ou être changés en d’autres rites par n’importe
lequel pasteur, qu’il soit anathème ! »
LA PREMIÈRE CONTROVERSE
LE NOM DU SACREMENT
CHAPITRE 7
Doit-on utiliser le mot sacrement ?
Sur le mot sacrement, il existe deux controverses : l’une des hérétiques
entre eux, l’autre entre nous et les hérétiques. La première
: doit-on usurper ce mot ? La deuxième : que signifie véritablement
ce mot ?
Au sujet de la première. Au début de sa nouvelle prédication,
Martin Luther ne semblait pas peu abhorrer ce nom. Car, dans son
livre sur la captivité de Babylone, en l’an 20, chapitre sur le mariage,
il écrit : « La sainte Écriture ne connait pas le mot sacrement au sens
que nous lui donnons, mais dans un sens contraire. Car, il ne signifie
pas le signe d’une chose sacrée, mais une chose sacrée, secrète, cachée.
» Ensuite, (dans son livre sur l’abrogation de la messe), en l’an
21, il écrit : « La conscience pieuse et fidèle doit se garder d’appeler
cela sacrifice, et de croire être un sacrifice ce que l’Écriture n’appelle
pas sacrifice. Car, y a-t-il une témérité plus furieuse que d’appeler
sacrifice et culte de Dieu ce que Dieu n’appelle ni sacrifice ni
culte ? » Puisque Luther affirme que le mot sacrement
n’est pas dans l’Écriture au sens que lui donne l’Église, et que,
pour les mots qui expriment des choses divines, c’est une témérité
folle de se servir de noms dont l’Écriture ne se sert pas, on en déduit
nécessairement qu’il ne lui plaisait pas que nous utilisions ce mot.
Voilà pourquoi (dans les lieux communs des années 21 et 22, au
chapitre des sacrements, il dit, au milieu du chapitre) : « Ce que les
autres appellent sacrements, nous les appelons signes. » Quelle
est donc, chez ces hommes, cette soif de nouveautés qui leur fait préférer
au mot latin sacrement un mot grec dont on n’a jamais entendu parler
: sphragidas, sceau ?
André Carolstad (dans son livre sur les images et les sacrements),
marche sur les traces de Luther, et se prononce formellement contre
le mot sacrement. Et Zwingli, le père des sacramentaires, (dans
son livre de l’an 25 sur la vraie et fausse religion), dit ne pas
vouloir faire de tapage à cause de nom, et, néanmoins, il le réprouve
ouvertement. Car, voici ce qu’il dit dans son chapitre sur les
sacrements : « Ce mot sacrement, je souhaiterais grandement qu’il n’ait
jamais été reçu par les Allemands. » De même, Calvin (livre
4, chapitre 14, verset 13) dit ne pas vouloir lancer une controverse
sur le mot sacrement, et cependant il ne le réprouve pas obscurément
quand il dit : « Il apparait clairement que les anciens qui ont donné
à des signes le nom de sacrements, n’ont pas bien considéré
dans quel sens les auteurs latins employaient ce mot. Mais, ils lui ont,
à leur gré, assigner une nouvelle signification, par laquelle ils désignaient
des signes sacrés. »
Et pourtant, quand Luther vit que Carolstad et Zwingli, avec lesquels
il était en guerre, abhorraient le mot sacrement, il changea d’idée,
et commença à approuver ce mot. Car, voici ce qu’il écrit dans
son livre contre les prophètes célestes, par 2 : « Carolstad dit que
le Christ et les apôtres n’ont pas donné à la cène le nom de sacrement,
et qu’il veut avoir un nom qui vient de la Bible; que c’est à Dieu
à imposer des noms à ses créatures, et que nous qui ne sommes que des
hommes, nous ne devons pas donner de nom aux choses divines » Et plus
bas : « Conduis-toi comme un homme, homicide des âmes, toi, et l’esprit
du péché ! Nous reconnaissons que Dieu n’a pas employé le mot sacrement,
et n’a pas ordonné non plus qu’un usât de se mot. Mais, où
a-t-il prohibé qu’on l’appelât sacrement ? Qui donc t’a donné
le pouvoir de prohiber ce que Dieu n’a pas prohibé ? N’est-il
pas un vrai homicide d’âmes celui qui se met à la place de Dieu
et nous enlève notre liberté ? » Il affirme ensuite et prouve
qu’il est permis d’employer ce mot, et même qu’on doit l’employer.
Ces paroles ne militent-elles pas plus contre Luther que contre Carolstad
et Zwingli, puisque c’est lui qui, comme nous l’avons montré,
les leur avait enseignées ?
Après que Luther eut viré son capot de bord, les luthériens le virèrent
eux aussi. Car, dans la confession d’Augusta, ils reçoivent le
mot sacrement. Et Philippe (dans les lieux, en l’an 36) insère
un chapitre sur les sacrements, qu’il avait autrefois appelés signes.
Brentius aussi (dans son confession de Wirtemberg, au chapitre des sacrements)
retient ce nom. Et enfin, Kemnitius (2 par de son examen, non loin
du début), dit que ce mot ne figure par dans les saintes lettres, mais
qu’on doit quand même le retenir et le conserver. La controverse
n’a donc comme adversaires que les seuls sacramentaires et la première
opinion de Luther.
Il est facile de prouver que ce nom doit être usurpé et conservé.
D’abord, parce qu’on le repère dans les Écritures. Il y a deux
choses à noter avant d’en faire la démonstration. Les écritures
saintes n’ont pas été, par les prophètes ou les apôtres, écrites
en latin, mais en hébreu ou en grec. On n’a donc pas à démontrer
par l’Écriture le mot latin sacrement, mais le mot grec qui lui correspond
mustèrion (mystère). Car, pour les Latins, le mot sacrement
a exactement le même sens que le mot mustèrion pour les Grecs.
Et là-dessus il n’y a aucune dissension. Les adversaires admettent
en effet, que sacramentum et mysterium (sacrement et mystère) sont une
seule et même chose. Ensuite, les catholiques peuvent
prouver le mot sacrement par l’Écriture autrement que ne le font les
protestants. Que le mariage soit un sacrement proprement dit nous le prouvons
par le mot sacrement qui est dans l’Écriture, non seulement en général,
mais d’une façon spécifique, c’est-à-dire en tant qu’il signifie
les sept choses que nous appelons proprement sacrements.
Car l’apôtre a dit aux Éphésiens : « À cause de cela, l’homme
quittera son père et sa mère, et adhèrera à son épouse, et ils seront
deux dans une seule chair. C’est un grand mystère (sacrement), dis-je,
dans le Christ et dans l’Église. » Au témoignage du concile
de Trente, (session 24), l’apôtre appelle le mariage ou l’union de
l’homme et de la femme, un sacrement proprement dit. Car,
cette union est le signe d’une chose sacrée et mystérieuse, c’est-à-dire
l’union du Christ avec l’Église. Il importe peu que Paul semble
avoir parlé de l’union d’Adam et d’Ève, qui ne fut pas un sacrement
de la nouvelle loi. Car, même s’il a recours aux paroles d’Adam,
il les accommode aux unions de son temps. Car à toute union convenait
ce qu’Adam a dit : « Ils seront deux dans une seule chair. »
Voilà pourquoi saint Paul n’a pas dit : ce sacrement fut grand, mais
ce sacrement est grand, après que le Christ lui ait donné la promesse
de la grâce.
Aux hérétiques qui n’admettent pas que le mariage est un sacrement
proprement dit, nous ne pouvons pas, par l’Écriture prouver le nom du
sacrement, en tant que nom spécifique et propre à nos sacrements.
Car, jamais dans l’Écriture, le baptême, l’eucharistie, la pénitence,
l’ordre, la confirmation ou l’extrême onction ne sont appelés sacrement.
Nous pouvons cependant, à l’aide de l’Écriture, montrer que le mot
sacrement est un nom générique et commun à nos sept sacrements, et à
d’autres choses, c’est-dire en tant qu’il représente le signe d’une
chose sacrée ou mystérieuse. Ce qui suffit pour pouvoir, pour ce
nom, utiliser le témoignage de l’Écriture. Car, un nom générique
convient vraiment à une chose, même s’il ne convient pas seulement
à cette chose. Exemple. L’Homme est un animal, même s’il
n’est pas le seul à l’être.
Que ce mot existe dans l’Écriture, nous le démontrons contre
Luther à l’aide du chapitre 2 de Daniel, où il appelle très souvent
mystère ou sacrement la statue de Nabuchodonosor, parce qu’elle est
le signe d’une chose latente, à savoir la succession des quatre royaumes,
et, après eux, du commencement du royaume du Christ. Nous
en déduisons que le mot hébreu ou chaldéen employé, ne signifie pas
seulement une chose secrète, (comme en Isaïe : « mon secret est à moi,
») mais aussi le signe d’une chose secrète, comme dans ce passage de
Daniel, même si je ne nierai pas qu’il signifie parfois une chose secrète.
Car l’Écriture appelle parfois mystère le songe effacé, et donc
caché et secret. L’Écriture appelle aussi parfois mystère
un songe évanoui, donc quelque chose de caché et de secret, c’est-à-dire
la signification de la statue qui était apparue dans un songe.
Nous prouverons la même chose avec ce passage de l’Apocalypse 17
: « Et sur son front, le mot mystère est écrit. » Et, plus bas
: « Je te dirai le sacrement de la femme. » Car nous lisons là
que cette femme courtisane vue par Jean a été une sorte de sacrement,
ou le signe d’une chose latente, c’est-à-dire de l’empire romain,
ou de l’antichrist, comme nous l’avons exposé ailleurs. Car,
ce n’est pas cette chose latente mais la femme que l’on voyait qui
était appelée un mystère, et donc un sacrement, à cause de la signification
qu’elle contenait, comme on le voit par le nom inscrit sur le front.
On prouve la même chose de 11 Thessaloniciens 11 : « Car le mystère
d’iniquité opère déjà. » L’apôtre appelle mystère d’iniquité
les persécutions de l’église primitive par les empereurs, suscitées
par les hérétiques, parce qu’elles représentaient les persécutions
qui devaient, dans les derniers jours, être entreprises par l’antichrist.
Car, c’est ainsi que commentent ce passage saint Jean Chrysostome, Theophylactus,
saint Ambroise, et presque tous les autres.
On prouve la même chose enfin avec Éphésiens V : « C’est un grand
sacrement. » Car, même si Érasme et Calvin soutiennent
que le mystère dont parle saint Paul n’est pas l’union de l’homme
et de la femme, mais du Christ et de son église, du fait que l’apôtre
ajoute : « Je dis cela dans le Christ et dans l’église », ils se trompent,
cependant, manifestement. Car que ce ne soit pas au Christ et à
l’église, mais à l’union de l’homme et de la femme que saint Paul
applique le mot sacrement, le hoc (cela) l’indique. Parce qu’il
se rapporte à ce qui avait été dit : ils seront deux dans une seule
chair, et aussi parce que tout le raisonnement de l’apôtre s’écroulerait.
En effet, il veut prouver que les hommes doivent aimer leurs femmes.
Et cela, il le prouve en disant que cet ils-sont-deux-dans-une-seule-chair
est un grand sacrement dans le Christ et dans l’Église.
Or, si ce mystère se rapporte à l’union du Christ et de l’église,
et n’a rien à voir avec les époux, qu’est-ce que Paul prouve,
je le demande ? Voir les commentaires de saint Jérôme, de
saint Jean Chrysostome, d’Oecumenius, et des autres pères. L’union
sensible et externe de l’homme et de la femme est donc un sacrement,
c’est-à-dire le signe d’une chose spirituelle et latente : l’union
du Christ et de l’Église. Persuadé par ces témoignages, Kemnitius
reconnait que le mot sacrement, au sens général du terme, est dans
l’Écriture, même s’il ne l’est pas au sens spécifique.
Ce que Luther a dit est donc faux, quand il affirmait que, dans toute
l’écriture, le mot sacrement signifiait une chose sacrée, secrète,
et jamais le signe d’une chose sacrée et secrète. N’est pas
moins faux ce qu’il ajoutait au même endroit, à savoir que, à toutes
les fois que les catholiques ont trouvé, dans l’Écriture, le mot sacrement,
ils en ont fait un signe. Car, nous ne prétendons pas que le mot
sacrement signifie partout un signe, mais seulement en certains endroits.
Et nous admettons qu’ailleurs, il signifie une chose secrète, comme
dans Tobie X11 : « Il est bien de cacher le sacrement du roi. »
Éphésiens 1 : « Pour qu’il nous fasse connaitre le sacrement de sa
volonté. » Et, dans 1 Timothée 111, il appelle l’incarnation
« un grand sacrement de piété. » Les scolastiques n’ignorèrent
pas cela non plus. Bien au contraire, car, avec le maître des sentences,
ils distinguent les différents sens que prend le mot sacrement dans les
Écritures. Voir 1V dist 1, et saint Thomas (2 p. q. LX, art 1).
Si le mot sacrement vient du mot sacré ou initié, ce qui plait à
Zwingli, nous pourrons dire que, dans l’ancien testament, il y
a un mot hébraïque qui correspond à notre mot latin : un rite de consécration.
Voir Exode XXV111, Levit V111, et ailleurs.
La deuxième raison, on la tire des pères. Les anciens
pères, en effet, se sont servis de ce mot pour signifier le baptême,
l’eucharistie, et d’autres symboles sacrés de ce genre.
Tertullien, le plus ancien des auteurs latins, (livre de la prescription,
chapitre 16), dit : « Ces choses des sacrements divins le diable les a
imitées dans les mystères des idoles. Il asperge et il signe ses soldats
sur le front » Voir aussi dans le livre 1 contre Marcion, avant le milieu.
Et, au sujet de la confirmation, il dit : « S’ils naissent de l’un
et l’autre sacrement. » Et (dans le livre 11, épitre 111 à Cécile),
il dit : « C’est par ce sacrement (l’eucharistie), que notre peuple
montre qu’il est uni. » Et (au livre 1V, épitre 7 à Magnus), il écrit
: « Car, dans le sacrement du salut la contagion des fautes n’est pas
purifiée comme le sont les saletés de la peau et du corps dans un bain
charnel et profane. » Utilisent le même mot Lactance (livre 4,
chapitre 17), saint Hilaire (dans le psaume CXX1), saint Jérôme (dans
le chapitre LX1V d’Ézéchiel, et dans le chapitre 1 de Malachie), saint
Augustin (épitre 118, et livre 2, chapitre 3 de la doctrine
du Christ), et tous leurs autres successeurs.
De ces sentences des anciens nous déduisons que ce nom a été très
ancien, et qu’il faut donc le retenir, même si on ne le trouvait pas
dans l’Écriture, comme nous retenons beaucoup d’autres noms qui ne
figurent pas dans l’Écriture, comme trinité, consubstantiel,
personne. Car, très périlleuse est, dans l’église, la liberté
d’inventer de nouveaux mots, puisque, avec de nouveaux mots, de nouvelles
choses apparaissent. Voilà pourquoi saint Paul interdit les nouveautés
profanes de mots, dans 1 Timothée V1, et saint Augustin (livre 10, chapitre
23 de la cité de Dieu) : « Les philosophes emploient les mots en toute
liberté, et, dans les choses très difficiles à comprendre, ils
ne craignent pas d’offenser les oreilles religieuses. À nous, il est
permis de parler avec mesure, pour que, dans les choses que ces mots
signifient, la licence verbale ne fasse pas naitre une opinion impie.
»
Nous déduisons aussi des Écritures et des pères anciens cités,
que, sur ce mot, Kemnitius dit des choses fausses qui lui répugnent.
Car, à la page 28, il dit ceci : « Augustin fut le premier à étendre
le mot sacrement sur cette matière, et à l’employer plus largement
que ne le faisait l’antiquité. Car, dans l’épitre 5 à Marcellin,
il dit en parlant des signes : « On appelle sacrements les choses qui
se rapportent aux choses divines. Selon Augustin, pour qu’une chose
soit un sacrement, il suffit donc qu’elle soit le signe d’une chose
sacrée ou divine. » Réponse. D’abord, il est faux que saint
Augustin ait été le premier à étendre ce mot à d’autres signes sacrés
que le baptême et l’eucharistie, comme le démontrent les textes cités.
Et de plus, Kemnitius le montre aussi, lui qui dit à la page 22
: « L’union de l’homme et de la femme dans le mariage est le sacrement
du Christ et de l’église, dans Éphésiens V ». Et, plus bas
: « Toutes les figures et toutes les allégories qui signifient quelque
chose, les pères les appellent des sacrements. Tertullien (livre
V, contre Marcion) appelle sacrements de figures, et allégories
de sacrements ce qui est dit sur les deux fils d’Abraham. Contre
les Juifs, il parle du sacrement de la houe, quand il dispute sur la hache
d’Élisée, et le bois d’Ada » C’est à lui de montrer quelle
logique il y a à affirmer que saint Augustin a été le premier à faire
ce que l’on trouve chez les pères les plus anciens, et dans saint Paul
lui-même.
Ajoutons, pour finir, que, dans l’église latine, toutes les langues
vulgaires ont retenu ce mot : en italien, en français, en espagnol, en
allemand, et en d’autres.
CHAPITRE 8
L’étymologie et la notion de mystère et de sacrement
Puisqu’il est certain que les mots hébraïques et grecs ont
existé avant les mots latins, et que, par le mot sacrement, les latins
n’ont voulu exprimer que ce qu’exprimaient, dans leurs mots, les hébreux
et les grecs, il faut donc, avant de parler des mots latins, traiter
des mots hébraïques et grecs. Les hébreux se servent habituellement
de trois mots pour signifier leurs sacrements. Ils appellent d’un
nom particulier (….) toutes les cérémonies, dont font partie les sacrements,
comme il appert dans Exode X11, XXV111, et ailleurs. Mais, ce nom
ne signifie pas tant la cérémonie que la loi cérémoniale. Voilà
pourquoi, dans le nouveau testament, les cérémonies des Juifs sont toujours
appelées des lois. Comme dans Matthieu X1 (« La loi et les
prophètes jusqu’à Jean »), c’est-à-dire les figures des cérémonies
et les oracles des prophètes jusqu’à Jean. Et aux Galates : «
Je déclare que tous ceux qui se circoncisent sont tenus à observer la
loi en entier. » C’est-à-dire que ceux qui admettent la circoncision
doivent, pour les mêmes raisons, admettre toutes les cérémonies.
Il y a un autre mot hébraïque (…) qui signifie consécration
ou initiation. Exode XXV111, et Lévit V111, où il est question
de la consécration d’un prêtre. Ce mot vient du verbe accomplir,
parfaire, parce que celui qui reçoit le sacrement est perfectionné, et
devient idoine à remplir une fonction. Le troisième mot (….)
est plus usité chez les Chaldéens que chez les Hébreux. Voilà
pourquoi les Hébreux ne sont pas parvenus à trouver sa vraie racine.
Mais, comme nous l’avons déjà dit, le chapitre 11 de Daniel nous
fait comprendre que ce mot signifie autant une chose secrète que le signe
d’une chose secrète
Dans son discours d’exhortation aux Gentils, Clément d’Alexandrie
explique l’étymologie du mot mystère. Eusèbe s’en souvient
(dans sa préparation évangélique, livre 11, chapitre V), où il dit
que musteron vient de musos, qui signifie forfait et exécration.
Cette étymologie est contestée par Dominique a Soto (livre 4, dist 1,
q, 1, art 1). Il dit que c’est par un i que misos signifie crime
et haine, tandis que musteron s’écrit avec un u. Mais
il n’y avait pas de raisons pour qu’un latin entre en contestation
avec des auteurs très graves, et grecs de surcroit, au sujet de l’étymologie
d’un mot grec. Car, bien que misos signifie proprement haine,
mèsos, cependant, signifie proprement crime. Or, c’est de
mèsos que saint Clément voit venir le mot musteron, et non de misos,
même si, par une erreur des copistes, certains codex latins d’Eusèbe
ont le dernier mot.
De plus, ce n’était pas l’intention de Clément d’expliquer,
en ce lieu, l’étymologie propre et véritable du mot mystère,
car, c’est à dessein qu’il choisit une étymologie moins appropriée,
mais très apte à ridiculiser les choses sacrées des païens de son temps.
C’est donc parce qu’il voulait ridiculiser et faire haïr leurs rites
sacrés qu’il les appela musthèria apo tou musous, des choses criminelles
à exécrer. Ou bien il les appelait des musteria (mystères) qui
ressemblent à des muthèria (mythes), c’est-à-dire fabuleux.
D’autres tirent mustèrion du verbe mueô, qui veut dire je ferme,
et stoma, qui veut dire bouche, comme si les mystères devaient être honorés
en silence. Ou de musein, et tèreien, qui veut dire cacher et conserver,
comme si les choses sacrées devaient être observées en secret.
On peut aussi, sans être accusé d’ignorance, le faire venir du mot
mueô mnèsô, qui veut dire je commence ou je consacre. D’où
vient le mot mustès, c’est-à-dire, l’officiant des choses sacrées
qui initie les autres.
Ce mot (mystère) a trois sens. Le premier et le principal.
Le mystère est dit des cérémonies par lesquelles les hommes sont initiés
aux choses sacrées. C’est pourquoi Cicéron (Marcus Tullius, au
livre 11 des lois) emploie ce mot au sens de débuts, initiations.
Et saint Ambroise écrit un livre sur ceux qui sont initiés aux mystères.
Et ce sens répond à l’étymologie que nous avions trouvée dans le
mot muéô. Et à ce mot répond en hébreu le mot …., c’est-à-dire
consécration. Parce que, en fait, les mystères des Gentils étaient
célébrés de nuit, puisqu’il fallait qu’ils soient secrets.
Et c’est de là que vient le mot.
Le second sens. Est appelé mystère tout ce qui est arcane et
secret. Et c’est dans ce sens que parle l’apôtre (dans 1 Corinthiens
13) : « Si je connaissais tous les mystères » » Et Matthieu X111
: « À vous il est donné de connaitre les mystères du royaume de Dieu.
» Et le mot de l’épitre aux Hébreux répond au premier sens,
ou à l’autre mot hébreu, avec lequel ils sont souvent utilisés, c’est-à-dire
secret. La troisième signification est née de la deuxième, ce
qui fait qu’on appelle mystère tout signe d’une chose arcane et cachée.
C’est dans ce sens que toutes les figures de l’ancien testament sont
appelées des mystères, ainsi que les paraboles et les exemples que nous
avons dans l’évangile et dans l’apocalypse, comme le montrent les
témoignages ci-haut apportés. Et ce mot hébreu…..répond au
dernier sens.
L’étymologie du mot latin sacrement est très connue. Il vient de
je sacre ou je consacre. Mais, il a plusieurs sens. Le
premier. Le sacrement est appelé un gage déposé par des combattants
dans un lieu sacré. Car, comme l’écrit Varron (au livre 4 de
la langue latine, proche de la fin), les Romains avaient la coutume quand
deux se battaient, autant celui qui affirmait que celui qui niait, de déposer
cinquante pièces d’argent dans un lieu sacré près du Pontife.
Le duel fini, le vainqueur retrouvait son dépôt, l’autre le perdait.
Le gage de chacun était déposé dans un tronc, comme punition d’un
injuste combat. Ce sont ces dépôts ou gages qu’on appelait sacrements.
Cette signification plut à Zwingli beaucoup plus que les autres (dans
son livre sur la vraie et fausse religion, chapitre sur les sacrements)
: « Le sacrement n’est rien d’autre qu’une initiation ou un prêt
sur gage. Car, comme les duellistes devaient, avant d’engager le
combat, déposer un certain montant d’argent, de la même façon, ceux
qui s’initient aux sacrements se lient par un serment, et déposent un
gage. »
La deuxième signification. Le sacrement est la même chose
qu’un serment, sans lequel aucune chose sacrée ne peut se faire, puisque
celui qui jure prend Dieu comme témoin. On rencontre ce sens
fréquemment dans le droit civil et dans le droit canon, ainsi que dans
les auteurs tant gentils que chrétiens. C’est ce sens qui a plu
à Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 13). Mais, le sacrement n’est
pas tant un serment par lequel l’homme s’attache à Dieu, mais par
lequel Dieu s’attache à l’homme. Voilà pourquoi Nicolas Selnecerus
( 2 par pédagogie, chapitre sur les sacrements), dit que mustèrion vient
de muô, qui veut dire je ferme, parce que les sacrements font comme fermer
les sceaux de Dieu, et lient les divines promesses.
La troisième signification. Le sacrement est un mystère. Et
il signifie, en conséquence, trois choses, que nous disons être signifiées
par le mot mystère. À savoir, une chose sacrée, le signe
d’une chose sacrée, et une chose qui consacre et initie. Toutes
ces acceptions conviennent à nos sacrements, mais surtout celle que nous
avons nommée en dernier lieu. Et pourtant, la première qui est
celle de Varron et de Zwingli n’est pas étrangère à nos sacrements.
Car, par les sacrements nous nous attachons à Dieu, et nous faisons à
Dieu le gage de notre être. Mais ce sens du mot ne se trouve
pas dans l’Écriture, et n’est pas non plus suffisamment approprié
pour ne convenir qu’à nos seuls sacrements. Car, en dehors des
sacrements, il y a beaucoup de choses par lesquelles nous nous lions à
Dieu, comme les vœux, par exemple.
La seconde acception, qui est celle de Calvin, cadre aussi avec nos
sacrements. Car, comme, dans les sacrements, nous nous
engageons à lui rendre un culte, il s’engage lui aussi à nous protéger.
Mais ce sens n’est pas dans l’Écriture, et n’est pas non plus le
sens propre de nos sacrements, puisque, sans sacrements, par une
simple promesse, nous avons coutume de nous vouer à Dieu. La troisième
et la quatrième acception du terme. On appelle sacrement toute
chose sacrée, mystérieuse, ou le signe d’une chose sacrée ou secrète.
On trouve ces sens dans la sainte Écriture, comme nous l’avons montré
plus haut, et ils conviennent parfaitement à nos sacrements. Car, tous
nos sacrements sont des choses sacrées et divines. Ils sont aussi
des choses mystérieuses qui ne sont connues que des fidèles, qui ne doivent
pas être facilement divulgués, comme l’enseigne Denys l’aréopagite
(dans sa hiérarchie ecclésiastique, chapitre 1) et saint Cyrille
d’Alexandrie (livre 7 contre Julien). Enfin, par le mot sacrement,
certains pères signifient une chose sacrée et occulte, comme la grâce.
Mais ces acceptions ne sont pas propres à nos sacrements, car il y a plusieurs
signes sacrés et mystérieux qui signifient des choses sacrées et mystérieuses,
comme toutes les figures de l’ancien testament.
La cinquième acception du terme. Le mot sacrement signifie une
cérémonie d’initiation et de consécration d’un homme à Dieu, ou,
ce qui est presque la même chose, le signe d’une chose sacrée.
Non de n’importe laquelle chose sacrée, mais d’une chose sacrée consacrant
et initiant un homme. Ce qui vaut seulement pour les premiers sacrements,
comme nous le montrerons bientôt plus au long. Cette acception répond
parfaitement à l’étymologie du mystère et du sacrement.
Car, le mystère nous le tirons de muéô, qui veut dire : j’initie;
et on fait venir à juste titre le mot sacrement de ce qui doit être consacré.
C’est pourquoi saint Augustin (livre 15, chapitre 26 de la cité
de Dieu), écrit : « C’est de là qu’émanent les sacrements, par
lesquels les fidèles sont initiés. » Il dit là que les fidèles
sont initiés par les sacrements de la nouvelle loi. Et, dans l’épitre
23, il dit que les sacrements de la nouvelle loi consacrent les hommes
à Dieu.
Et Tertullien (dans le livre des prescriptions), voulant montrer
comment le diable s’efforce d’imiter Dieu, dit : « Il asperge ses
croyants et ses fidèles, et promet l’expiation de leurs délits par
un lavement. Et c’est ainsi aussi que Mithra initie. » Il
appelle, là, le sacrement du baptême une initiation. Et, dans le
livre qui traite des sacrements du baptême et de l’eucharistie, saint
Ambroise parle « de ceux qui sont initiés par les mystères (ou aux mystères).
» De même, le maître des sentences (1V dist 1), et avec lui la
plupart des docteurs, enseigne que le mot sacrement vient de ce qui
doit être consacré. Saint Thomas (1.2. question C11, art 5), écrit
: « On appelle sacrement au sens propre les choses qui sont employées
par ceux qui rendent un culte à Dieu pour la consécration par laquelle
elles sont affectées au culte de Dieu. »
Enfin, les sacrements de l’ancienne loi ne sont jamais, dans l’Écriture,
appelés des choses secrètes, ou des signes d’une chose secrète (mots
hébraïques), mais toujours des consécrations et des initiations (mot
hébreu), ou des cérémonies (mot hébreu).
DEUXIÈME CONTROVERSE
LA DÉFINITION DU SACREMENT
CHAPITRE 9
Qu’est-ce qui est requis pour constituer un sacrement de la nouvelle
loi ?
Nous avons parlé du nom, nous allons maintenant parler de la chose
elle-même. Cette dispute sur la nature du sacrement comporte trois
parties. Il faut d’abord exposer ce qui, du commun accord de tous les
catholiques, est requis pour la constitution d’un sacrement de la nouvelle
loi. Nous en viendrons ensuite à la définition formelle et scientifique
du sacrement. Il faudra examiner et réfuter différentes sentences
des hérétiques, et les déformations de la nature et de la définition
du sacrement.
Les docteurs catholiques ont quelque dissentiment sur des questions
théoriques de peu d’importance, comme « le sacrement est-il une seule
chose par lui-même ? » ou : « est-il un être de raison ».
Mais en ce qui a trait à la théologie proprement dite, ils sont tous
d’accord, tandis que les hérétiques se disputent entre eux, comme nous
le verrons bientôt. Voici donc quelles sont les choses qui sont
nécessairement requises pour constituer un sacrement de la nouvelle loi.
Il faut d’abord qu’il soit un signe. Car, c’est ainsi
que le définit saint Augustin (livre 2, chapitre 1 de la doctrine du Christ)
: « Une chose qui, en plus de ce qu’elle présente aux sens, fait
par elle-même venir à la connaissance d’autre chose. » Voilà
pourquoi le signe doit être une chose connaissable qui doit amener à
la connaissance d’une autre chose. Et parce que la deuxième
chose (amener à la connaissance d’une autre chose) est ce qu’il y
a de plus important dans un signe, comme saint Augustin l’enseigne (livre
1, chapitre 1 de la doctrine du Christ), il faut que le signe, en tant
qu’il est un signe, soit plus imparfait que la chose qu’il signifie,
et qu’il représente plus cette chose que lui-même. Voilà pourquoi
on ne dit pas que l’home est le signe de son image, même si c’est
par la connaissance de l’homme, qu’on connait souvent des images. On
dit plutôt que l’image est le signe de l’homme.
Que le sacrement soit un signe quelconque, nous le découvrons dans
l’Écriture, à Genèse XV11, où la circoncision est appelée « un
signe de l’alliance. » Et, aux Romains V1, le baptême est présenté
comme « un signe de la sépulture et de la résurrection. » À
Corinthiens X1, il est appelé un signe de la passion et de la mort du
Christ. Dans Éphèse V, le mariage est appelé « un signe de l’union
du Christ et de l’église. »
Nous le découvrons ensuite dans les pères. Car, Denys
(dans le chapitre premier de la hiérarchie ecclésiastique), et d’autres
pères grecs, appellent les sacrements des sumbola, (symboles), c’est-à-dire
des signes. Saint Augustin les appelle des petits signes. Et
dans son livre sur l’enseignement aux illettrés, chapitre 26,il appelle
signes des paroles visibles, comme dans le livre X1X, contre Faust,
chapitre 16.
Il faut ensuite qu’il soit un signe sensible, car il y a aussi des
signes invisibles comme le caractère imprimé dans les âmes. Or,
il est absolument certain que les sacrements doivent être des signes visibles
ou sensibles. Guillaume Okam (1V dist 1) est le seul à penser qu’il
n’appartient pas à l’essence du sacrement d’être un signe visible
et sensible, car Dieu pourrait instituer un sacrement sur une chose spirituelle,
comme il pourrait le faire avec l’oraison mentale ou la méditation de
la passion du Christ qui conférerait alors la grâce par l’opération
opérée. Mais Okam se trompe, car cette oraison ou cette méditation aurait
l’effet d’un sacrement sans en être un. Car, le sacrement, intrinsèquement
et essentiellement, est une cérémonie religieuse. Or, la cérémonie
est un acte externe. Voilà pourquoi les saints pères enseignent
souvent que les sacrements sont des vestiges qui nous conduisent comme
par la main aux choses spirituelles et invisibles. Comme il appert
de saint Denys et de saint Augustin, aux lieux cités, et de saint
Jean Chrysostome (homélie 83 sur Matthieu).
La troisième. Que ce signe soit volontaire ou donné, non naturel.
Car, il y a des signes naturels qui ne dépendent pas de notre institution,
mais qui signifient par leur nature, comme la fumée qui est un signe d’incendie,
et l’odeur le signe d’une chose odorante présente, et l’aurore qui
est un signe que le soleil est proche. D’autres choses sont
des signes par la décision de celui qui les a établis tels, comme
les noms, toutes les paroles, et tous les blasons. Les sacrements
sont des signes de ce dernier genre, comme l’enseigne saint Augustin
(livre 2, chapitre 3 de la doctrine chrétienne, et livre 3, chapitre 9),
et que personne n’a jamais contredit. Car, la chose parle par elle-même.
La quatrième. Que ce signe ait, avec la choses qu’il signifie,
une certaine ressemblance ou similitude. Trois, en effet, sont les
genres de signe que l’on trouve. Les uns ont une telle ressemblance
avec la chose signifiée, que, sans aucune institution, ils signifient
naturellement, comme une image du Christ est le signe du Christ, et une
trace imprimée dans la glaise, un signe du pied. Certains autres
signes n’ont aucune ressemblance avec la chose signifiée, et, dans leurs
cas, tout dépend de l’institution, comme les mots sont les signes des
choses. D’autres, ont une valeur intermédiaire. Car, elles
ont, avec la chose qu’elles signifient, une certaine ressemblance, mais
si indéterminée et si imprécise qu’elles sont plus aptes à signifier
qu’à signifier en acte, à mois d’être déterminée par quelqu’un.
Comme l’image d’un homme qui n’a pas été faite pour reproduire
tel homme en particulier, et qui peut signifier n’importe qui
si on y appose un nom, ou un vêtement, ou quelque autre signe propre à
représenter un individu déterminé.
C’est de ce troisième genre que sont tous les sacrements. Car, à
moins d’être déterminés, ils ne peuvent pas, par eux-mêmes, signifier
en acte. Cela apparaitra clairement quand on les verra tous, chacun
en particulier. En effet, une ablution externe ressemble à une ablution
interne, et est donc très apte à la signifier, si on lui assigne ce rôle.
Il en est de même de l’onction, de l’aliment du corps du Seigneur,
et des autres sacrements. Il n’y a que le sacrement de pénitence
qui consiste essentiellement dans les seules paroles, et qui ne semble
pas avoir d’analogie avec une chose signifiée. Mais il en
a, toutefois. Car les mots je t’absous ne sont pas un sacrement
dans ce qu’ils signifient par une institution humaine, c’est-à-dire
en tant que mots, mais en tant qu’ils ont été institués par Dieu pour
signifier et effectuer la justification des péchés. L’absolution extérieure
qui est prononcée par la bouche, a une certaine analogie avec la justification
interne, qui est effectuée par Dieu. En conséquence, l’absolution
signifiée par des mots est un sacrement, non en tant qu’elle est signifiés
par des mots, mais en tant qu’elle signifie l’absolution interne.
Voilà pourquoi saint Augustin (dans son épitre 23 à Boniface) écrit
: « Si les sacrements n’avaient pas une certaine ressemblance
aux choses dont ils sont les sacrements, ils ne seraient pas des sacrements.
» Et les pères grecs appellent souvent les sacrements antitupa (antitypes).
Ce mot signifie une chose si semblable à une autre qu’elle semble militer
avec elle au sujet de la forme. C’est comme quand une image peinte
exprime une chose avec tant de vérité qu’elle ne semble pas être
l’image mais la chose elle-même. C’est dans ce sens que saint
Grégoire de Naziance a employé ce mot dans son sermon 2 sur pâque.
La nuit pascale, qui était illuminée par une multitude de cierges ardents,
il l’appelle un antitype du firmament céleste, où sont vues une infinité
d’étoiles lumineuses. Bien avant saint Grégoire, saint Pierre,
dans sa première épitre, appelle le baptême notre antitype par rapport
à l’arche de Noé, ce que notre traducteur a bien rendu en disant semblable
par la forme. Donc, puisque les pères appellent les sacrements antitupa
(antitypes) de ces choses dont sont les sacrements, ils ne veulent
rien d’autre que les sacrements aient la plus grande ressemblance possible
avec les choses dont ils sont les sacrements.
La cinquième. Ce signe représente une chose sacrée,
non profane. Car, les sacrements sont des cérémonies de la religion.
Voilà, pourquoi, du consentement de tous, les violer est un sacrilège.
Et c’est ce qui découle du nom lui-même, car sacrement vient de chose
sacrée. C’est pourquoi saint Augustin (dans son épitre à Marcellin)
dit qu’on nomme sacrements des signes, quand ils appartiennent aux choses
divines. De plus, cette chose sacrée, que les sacrements de
la nouvelle loi signifient, est triple. La grâce justifiante,
qui est démontrée comme présente, la passion du Christ,
qui est la cause de la grâce, et qui est commémorée comme passée,
et la vie éternelle, qui est l’effet de la grâce, et qui est préfigurée
comme future.
C’est ce qu’enseigne saint Thomas d’Aquin ( 3 par quest LX, art
3), et tous les autres docteurs. Et au sujet du baptême et
de l’eucharistie, la chose est très bien connue. Car, que le baptême
soit un souvenir de la passion, Paul le montre aux Romains V1 : «
Nous tous qui sommes baptisés dans le Christ, c’est dans sa mort que
nous sommes baptisés. » Et plus bas, au sujet de la grâce de la
justification, il dit : « Celui qui est mort, est justifié du péché.
» Et : « Car nous sommes ensevelis avec lui dans le baptême par la mort,
pour que, comme le Christ est ressuscité des morts, nous marchions nous
aussi dans la nouveauté de la vie. » Il dit aussi de la vie éternelle
au même endroit : « Si nous avons été plantés ensemble dans la similitude
de sa mort, nous le serons aussi dans la similitude de sa résurrection.
»
Pour une raison semblable au sujet de l’eucharistie (Luv XX11) :
« Faites cela en commémoration de moi, c’est-à-dire, en mémoire de
la passion. Car, comme l’expose saint Paul (dans 1 Corinthiens 11), «
Toutes les fois que nous mangerons ce pain, nous annoncerons la mort du
Seigneur. » Saint Jean dit la même chose au sujet de la grâce
: « Celui qui me mange vivra lui aussi pour moi. » Et de la gloire
: « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. »
Voilà pourquoi l’Église chante : « O banquet sacré dans lequel le
Christ est pris en nourriture. Or, on rappelle le souvenir de sa
mort, où l’esprit est rempli de grâces, et nous est donné un gage
de la future gloire. »
Pour les autres sacrements, la chose n’est pas aussi connue.
Il est pourtant certain que, implicitement au moins, qu’ils signifient
tous cela, parce que, comme tous signifient la grâce, ils signifient aussi
le principe et la fin de cette grâce. Or, il faut noter ici que ce qui
est principalement et essentiellement signifié par le sacrement de la
nouvelle loi, est la seule grâce justifiante. Car, comme nous
le dirons plus bas, les sacrements de la nouvelle loi effectuent ce qu’ils
signifient. Ils n’effectuent pas la passion du Christ ou
la vie bienheureuse, mais la seule justification. Car la passion,
ils la présupposent, et la vie bienheureuse ils la promettent. C’est
la justification qu’ils procurent directement. De plus, comme nous
le dirons bientôt, les sacrements ont été institués pour la sanctification.
Or, ce par quoi, proprement et formellement nous sommes sanctifiés, c’est
la grâce. La passion du Christ et la vie bienheureuse sont extrinsèques.
Enfin les sacrements effectuent proprement ce qui est exprimé par
les mots. Par les paroles des sacrements, seule la justification
est exprimée la plupart du temps. Car, c’est ce que signifie le
je te lave, je te confirme, je t’absous etc. Il importe peu que
les paroles de l’eucharistie (cela est mon corps) ne semblent pas exprimer
la sanctification, mais le corps lui-même du Seigneur, car elles le signifient
ce corps en tant que nourriture des âmes, et réfection spirituelle de
l’esprit, qui se fait par la grâce interne. Et, pour ce motif,
aucun signe sacré n’est exclu de la nature du sacrement, comme les choses
créées qui sont des signes de la puissance et de la sagesse de Dieu,
car « les cieux racontent la gloire de Dieu » (psaume XV111, 1).
De la même façon, toutes les images sacrées du Christ et des saints,
les saintes Écriture, le signe de croix, et les autres choses de ce genre
qui sont des signes sacrés, et des signes des choses sacrées. Mais,
ils ne signifient pas, par eux-mêmes, la grâce de la sanctification de
l’âme.
La sixième. Ce signe ne doit pas signifier seulement la
sanctification, mais il doit signifier ce qui se produit quand on emploie
le sacrement. Car tous les théologiens, d’un commun accord, conviennent
que les sacrements de la nouvelle loi signifient la sanctification qui
se produit alors; et que c’est ce que montrent les mots : je te lave,
je t’absous; et que, pour cette raison, beaucoup de signes sacrés qui
signifient la sanctification sont exclus de l’appartenance aux sacrements.
Par exemple. La manne qui pleuvait sur les Israélites signifiait
la réfection spirituelle et la douceur que procure l’eucharistie. Elle
n’était donc pas un sacrement, mais la figure d’un sacrement, car
cette réfection elle la signifiait en tant que future, et non actuelle.
Ainsi en est-il de la colombe qui est apparue au-dessus du Christ lors
de son baptême. Elle était le signe de la sainteté et de l’innocence
du Christ, mais non d’une sainteté ou d’une innocence qui naitrait
alors ou qui croitrait. Car, il était plein de grâce depuis son
incarnation.
La septième. Tous conviennent que les sacrements de la nouvelle loi
ne font pas que signifier la sanctification qui se produit alors, mais
celle qui se fait par la vertu elle-même du sacrement, qui tient lieu
de cause instrumentale de la sanctification. Ce qu’il nous faudra
prouver plus loin à cause des hérétiques. Pour cette raison sont
exclus de la nature de sacrement les langues de feu qui apparurent sur
les apôtres à la Pentecôte. Car, la charité brûlante qui était
alors infusée aux apôtres, avec la sagesse et une éloquence purement
divines, elles les signifiaient sans être pour autant un sacrement, car
ce n’était pas par la vertu de ces langues qu’était infusée la charité.
Il ne reste qu’une seule question. Donner la grâce par
la vertu des sacrements est-ce quelque chose qui est propre aux sacrements
de la nouvelle loi, ou qui convient à tous les sacrements en général.
Il suffit pour l’instant d’admettre que les sacrements de la nouvelle
loi ont cette propriété. Il est à noter que quand on dit qu’il
est de la nature du sacrement de signifier la sanctification et de l’effectuer,
on ne doit pas entendre cela de l’acte, mais d’une aptitude naturelle.
Car, il peut arriver que, quand un enfant est baptisé, personne
ne pense à ce que signifie le sacrement. Il ne signifiera donc alors
rien en acte, mais il est et sera toujours apte à signifier. Il
peut arriver que l’effet du sacrement soit empêché. Car, quand
quelqu’un accède au baptême, ou à d’autres sacrements, avec la volonté
de persévérer dans le péché, cette personne n’est certainement pas
sanctifiée en acte. Cependant, le sacrement signifie vraiment, et
on peut même dire qu’il effectue la sanctification, parce que c’est
cela que, par lui-même, il signifie et effectue. C’est donc par
accident, c’est-à-dire à cause de l’indisposition de celui qui le
reçoit, que l’effet ne s’ensuit pas.
La huitième et la dernière. Appartient aussi à la nature
du sacrement qu’il soit une cérémonie religieuse établie et solennelle,
qui consacre l’homme à Dieu. C’est ce qu’enseigne saint Thomas
(1, 2, quest CH, art 5), et c’est ce qu’on peut facilement prouver.
Et saint Augustin (au livre 19, chapitre 11 contre Faust, et au livre
4, chapitre 12 sur le baptême contre les donatistes). Il ne peut pas y
avoir de religion sans sacrements; et, en conséquence, les sacrements
dureront aussi longtemps que durera la religion. C’est pourquoi
dans l’Exode X11 et ailleurs, on disait que les sacrements de ce temps
devaient être conservés en un rite perpétuel, c’est-à-dire ne finir
qu’à l’avènement du Christ, quand l’ancien testament aura pris
fin. Et c’est dans ce sens que parle saint Paul ( 1 Corinth 11)
du sacrement de l’eucharistie : « À toutes les fois que vous mangerez
de ce pain ou que vous boirez à ce calice, vous annoncerez la mort du
Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » Les sacrements ne sont
pas des signes montrés pendant un certain temps, mais des cérémonies
durables, solennelles et stables.
Et c’est ce qui nous fait comprendre pourquoi n’était pas un sacrement
la parole dite à la pécheresse (Luc V11) : « tes péchés te sont remis
», et l’insufflation sur les apôtres (Jean XX). Car, ces choses
le Christ les a faites une seule fois, sans instituer de cérémonie à
être continuellement renouvelée dans son église. Et il est possible
qu’il n’ait pas employé ces paroles et cette insufflation en tant
qu’instrument de sanctification, mais qu’il n’ait qu’exprimé
par des signes nus ce qu’il avait l’intention de faire. Il a
pu aussi s’en servir comme instrument, s’il l’avait voulu ainsi,
lui qui peut se servir de n’importe quoi pour faire n’importe quoi.
Mais, n’en ayant pas fait une cérémonie à perpétuer, il n’en a
donc pas fait un sacrement. Voilà donc les choses qui appartiennent
à la nature du sacrement de la nouvelle loi.
CHAPITRE 10
Peut-on définir vraiment le sacrement ?
Passons maintenant à la définition formelle et technique du sacrement.
Il faut traiter brièvement de trois choses. La première.
Le sacrement est-il définissable ? La seconde. Quelle est
la véritable définition d’un sacrement ? La troisième.
Cette définition convient-elle exclusivement à nos sacrements, ou au
sacrement en général ?
La première question. Peut-on donner une véritable définition du
sacrement, ou une définition boiteuse et vague. La difficulté vient
du fait que le sacrement est ou bien un agrégat accidentel, puisqu’il
est formé de choses et de paroles, ou bien un être de raison si on le
considère formellement comme un signe signifiant par convention.
On ne peut, en effet, définir proprement que des êtres réels,
et qui sont un par eux-mêmes. Il y a là-dessus trois sentences des docteurs.
Certains pensent qu’on ne peut pas définir formellement le sacrement
pour les raisons qu’on vient de donner. Comme Okam, Major, Richard (1V,
dist 1). D’autres admettent que le sacrement est un être
de raison, mais qu’il est un par lui-même; et qu’il peut donc être
défini. Comme Scot (dist 1, quest 2,). Car, même si, dans les sacrements,
il y a beaucoup de choses qui signifient, cependant, de toutes ces
choses variées se dégage une signification unique, comme une maison est
une seule figure, même si plusieurs choses concourent à son existence.
D’autres, enfin, soutiennent qu’on peut véritablement et formellement
définir le sacrement, comme Martin Ledesmius (dans son traité des sacrements
en général, question 1, article 2.
Pour dire brièvement ce que je pense, on peut considérer les sacrements
de deux façons. Une, sur le plan physique, et l’autre, sur le
plan moral, comme on un homme est considéré autrement par un physicien
et autrement par un politique. Selon l’éclairage physique, qui
n’est pas l’éclairage propre aux sacrements, il n’appartient pas
beaucoup au théologien, et je trouve plus probable la première opinion.
D’abord, parce qu’à la nature et à l’essence du sacrement n’appartient
pas seulement la signification, mais aussi la chose sensible, qui est une
substance quelconque, et qui, après l’ajout d’une signification, constitue
un être par accident. Car, si l’essence du sacrement consistait
dans la seule signification, la chose sensible ne serait rien d’autre
que le sujet du sacrement. Mais l’Église nous enseigne bien autre
chose, quand, au concile de Florence, et dans les écrits de tous ses docteurs,
elle affirme que les sacrements consistent dans les choses et dans
les paroles, les choses étant la matière, et les paroles la forme.
Car, comment n’appartiendraient pas à l’essence du sacrement les choses
qu’on appelle et qui sont la matière et la forme de ce même sacrement
?
En deuxième lieu, le sacrement ne fait pas que signifier, mais il
sanctifie aussi, comme, pour les sacrements de la nouvelle loi, tous
les catholiques l’enseignent. Or, signifier et sanctifier sont des choses
qui relèvent de prédicaments différents, c’est-à-dire de la relation
et de l’action. Ils ne peuvent donc pas, par eux-mêmes, constituer
une seule et même chose. Ajoutons que ceux qui placent, dans les
sacrements, une certaine qualité réelle et physique, sont forcés nécessairement
de former un tout avec un être réel et un être de raison. Car,
comme la signification du sacrement dépend d’une institution arbitraire,
elle ne peut pas ne pas être un être de raison. Comment donc pourrait-il
être un par lui-même l’être dont l’essence appartient à une
être réel et à un être de raison ?
Si nous considérons maintenant le sacrement sur le plan moral,
comme un théologien doit véritablement le considérer, il est un être
réel, et un à sa façon; et il peut donc, de cette façon,
être défini. Comme les philosophes moraux définissent un règne,
une cité, une famille, dont ils démontrent les passions, bien qu’ils
soient tous des êtres par agrégation, si on les considère sur le plan
physique. C’est de cette façon aussi que les théologiens définissent
les mots église, concile, sacrement, et d’autres choses de ce genre,
même si, en physique, on ne peut pas les définir.
Or, sur le plan moral, le sacrement est à ce point une seule et même
chose qu’il est un moyen ou un instrument de la justification des hommes.
Car, bien que l’eau et les paroles, l’agir et le signifier sont, en
soi, des choses différentes, cependant, en tant qu’elles forment
un seul instrument, elles sont une seule chose. Et on peut dire que
cet un est composé d’un genre et d’une différence, comme il l’est
de matière et de forme, en raison de la similitude du composé métaphysique
et physique qu’il a. Car, comme dans un composé métaphysique,
il y a deux prédicats, l’un plus universel et plus imparfait, et l’autre
moins commun et plus parfait, de la même façon, le sacrement a deux prédicats,
l’un plus commun et moins parfait, qui est un signe. Car,
tous sacrement est un signe, mais tout signe n’est pas un sacrement.
L’autre est moins commun et plus parfait, sanctifiant instrumentalement,
et par mode de cérémonie. Car, c’est aux seuls sacrements qu’il
convient.
Le signe est donc comme un genre, et le sanctifiant, comme
la différence. Pour une raison semblable, comme il y a deux parties
dans le composé physique, dont aucune n’est prédiquée du tout, dont
l’une est déterminée et l’autre déterminant, on appelle l’une
matière et l’autre forme. C’est ainsi que, dans le sacrement,
les choses sont comme la matière, et les paroles comme la forme.
Car, la chose elle-même, l’eau, par exemple, qui peut indifféremment
signifier et même effectuer plusieurs choses, est déterminée par
les mots à signifier et produire telle chose. Voilà pourquoi saint
Augustin dit (dans traité 80 sur saint Jean) : « Le mot accède
à l’élément, et le sacrement est fait. »
Il ne convient pas de discuter avec trop d’anxiété pour savoir
si l’essence du genre, les propriétés du genre, de la matière, de
la forme conviennent aux parties du sacrement, car, comme nous l’avons
dit, ce n’est pas en physicien mais en moraliste que nous considérons
les sacrements.
CHAPITRE 11
Quelle est la définition du sacrement ?
Voici quelle est la deuxième difficulté : par quelles paroles doit-on
concevoir une définition du sacrement ? Car, il y a, chez les théologiens,
plusieurs définitions qu’il faut présenter et expliquer. L’une est
: « le signe d’une chose sacrée », une autre, un peu plus explicite
: « la forme visible d’une grâce invisible. » Ces définitions
proviennent de saint Augustin (livre X, chapitre V dans la cité de Dieu).
Voici ses propres mots : « le sacrement est le sacrifice visible d’un
sacrifice invisible. » C’est-à-dire qu’il est un signe sacré.
Et il y en a de semblables chez les auteurs catholiques : Hugues, (livre
1, par 9, chapitre 2), Bernard (dans son sermon sur la cène du Seigneur),
saint Thomas ( 3 par quest 60, art 1 et 2), Thomas Waldensis (chapitre
20).
Mais, si on les accepte comme elles sonnent, ces définitions s’avèreront
imparfaites. Car, les signes des choses sacrées et de la grâce
invisible sont plus nombreux que ne sont les sacrements. Cependant,
si on les accepte telles quelles, selon le sens et l’intention
de l’église et des docteurs, elles sont bonnes et légitimes.
C’est-à-dire, si, par signe, ils entendent un signe sensible, institué,
pratique, portant la ressemblance de la chose signifiée, et si par chose
sacrée ils entendent justifiante. Et, comme le note correctement
Hugues, le premier qui a dit que le sacrement est le signe d’une chose
sacrée, ne semble pas tellement avoir voulu définir précisément la
chose elle-même, qu’expliquer une interprétation du nom. C’est
pourquoi ils n’agissent pas comme ils le devraient ceux qui mettent trop
d’acharnement à défendre cette définition. Surtout parce que,
au lieu cité, saint Augustin, pour pouvoir y inclure le sacrifice,
donne, du sacrement, une définition amplement large.
La troisième définition est celle de Hugues de saint Victor, au lieu
cité : « le sacrement est un élément matériel ou corporel, proposé
sensiblement à l’extérieur, représentant par la similitude, et signifiant
par l’institution, et contenant de par la sanctification, une grâce
invisible et spirituelle ». Il y a là deux choses à noter.
La première. On ne doit pas prendre le mot élément au sens de
« les quatre éléments du monde, » mais de toute chose qu’une
parole distingue des autres, selon saint Augustin : « Le mot accède à
l’élément, et le sacrement devient ». Hugo et d’autres
appellent élément la matière des sacrements, parce que, dans le premier
sacrement, le baptême, le vrai élément de l’eau est la matière; et
que c’est de la matière du premier sacrement qu’on a voulu nommer
les matières des autres sacrements. Ou aussi, parce que, étant
un corps imparfait, le mot élément signifie facilement matière;
et parce que, par sa nature, il est destiné à un composé mixte.
Voilà pourquoi Aristote a appelé la matière première un élément.
En second lieu, il faut noter que quand Hugues a dit que, de par la
sanctification, le sacrement a le pouvoir de conférer la grâce,
il n’entend pas, par sanctification, ce qu’entend toujours Kemnitius
(p. 94), une certaine bénédiction, ou une consécration précédente,
comme la chose qui est bénite par l’eau (car, sans cette bénédiction
d’eau, le sacrement est conféré quand même), mais la parole de Dieu
qui est comme la forme qui parfait le sacrement. En conclusion,
cette définition, même si elle pouvait être composée de moins de mots,
comprend intégralement toute la nature du sacrement.
La quatrième définition est celle du maître des sentences, (livre
4, dist 1,) : « Le sacrement est la forme visible d’une grâce invisible,
portant l’image de cette grâce, et existant comme cause. » En
ce qui a trait au sens, cette définition ne diffère en rien de la précédente.
Car, la seule chose qui laisse à désirer dans cette définition c’est
une explication du signe : est-il naturel, ou a-t-il été institué
? C’est ce qu’il faut aller chercher dans les deux derniers mots
: existant comme cause. Car, aucun signe sensible ne peut être
cause de la grâce, ni la signifier infailliblement, si ce n’est
par l’institution de Dieu, comme la chose est bien connue.
La cinquième définition est celle du catéchisme de Trente : « Le
sacrement est une chose sujette des sens, qui, par l’institution
divine, a le pouvoir de signifier et d’effectuer la sainteté et la justice.
» Cette définition est d’autant plus belle qu’elle est plus
brève, mais elle comprend, pourtant, tous les huit chapitres qui se rapportent
à la nature du sacrement, comme nous l’avons dit. D’abord, que
le sacrement est un signe, on le voit par le mot « signifier ».
Qu’il soit un signe sensible, on le voit par « sujette des sens ».
Qu’il soit un signe volontaire, on le voit « par l’institution divine
». Qu’il soit le signe d’une chose sacrée, on le voit par les
mots « sainteté et justice ». Que cette sainteté soit faite par
la vertu du sacrement, on le voit par les mots « a le pouvoir
». Qu’il soit une cérémonie solennelle, on le voit par « chose sensible
instituée pour sanctifier ». Qu’il ait une ressemblance à la
chose signifiée, la définition ne le dit pas expressément, mais on peut
le déduire du mot « signifier », et « par l’institution divine.
» Car, le Dieu qui dispose tout suavement n’aurait jamais institué
une chose qui devait en signifier une autre, si, au point de départ,
elle n’avait pas de ressemblance avec elle.
On trouve une autre définition chez Gratien. (1 quest 1 canon multi
saecularium) : « Le sacrement est ce par quoi, sous le couvert de choses
visibles, la vertu divine opère le salut dans le secret. » Cette
définition est attribuée par Gratien à saint Grégoire; à saint
Augustin par saint Thomas (4 dist 1, question 1). Mais elle n’est
ni de l’un ni de l’autre, mais d’Isidore de Séville. On la
trouve, en effet, telle quelle dans le livre 6, chapitre 18 des étymologies.
Peut-être l’a-t-il pris chez saint Grégoire ou saint Augustin.
Mais, quel qu’en soit l’auteur, il n’y a pas de raison de nous y
attarder, car il est évident pour tous qu’elle a été donnée pour
expliquer la signification du nom, et non pour donner une définition précise
de la chose.
CHAPITRE 12
La définition du sacrement convient-elle à la fois aux sacrements
de l’ancienne loi et de la loi nouvelle ?
Suivent une troisième et une dernière question. Ces définitions
conviennent-elles au sacrement en général, ou seulement aux sacrements
de la nouvelle loi ? Il y a, à ce sujet, deux sentences des théologiens.
La première est celle du maître des sentences (livre 4, dist 1), de saint
Albert, de saint Thomas, de saint Bonaventure, et de ceux qui enseignent
qu’aucune définition ne convient à la fois aux sacrements de la loi
ancienne et à ceux de la loi nouvelle; mais que toutes ces définitions
conviennent parfaitement et exclusivement aux sacrements de la loi nouvelle;
et qu’elles ne conviennent à ceux de la loi ancienne qu’imparfaitement
et analogiquement.
Le fondement de cette sentence est suivant. Les auteurs
cités estiment qu’il appartient en propre au sacrement, même en général,
non seulement de signifier la sanctification mais de l’effectuer.
Ils estiment aussi que les sacrements de l’ancienne loi n’effectuaient
pas une vraie sanctification, mais seulement une sanctification légale
qui est une figure de la vraie sanctification, que seuls les sacrements
de la loi nouvelle effectuent. Ils tirent de cela deux conclusions.
Le mot sacrement est dit analogiquement des sacrements de l’ancienne
et de la nouvelle loi, tout comme la sanctification, pour la signification
et la production de laquelle ils ont été institués, est dite analogiquement
de la vraie sanctification de l’âme et de la sanctification typique
et légale.
L’autre sentence est de saint Thomas (111 par quest 60, art
1 et 2, qui a changé d’opinion assez clairement), de Dominique a Soto,
et de Martin Ledesmius (dist 1, quest 1, art 1 et 2). Ils disent
que la définition « signe d’une chose sacrée » convient autant aux
sacrements de l’ancienne loi qu’à ceux de la nouvelle; qu’elle est
donc une définition du sacrement en général. Voici sur quoi ils
se basent. Ils estiment qu’à la notion de sacrement en général,
il n’est pas requis que le sacrement soit la cause d’une justification,
mais seulement qu’il la signifie. Ils ajoutent, en conséquence,
que les sacrements de l’ancienne loi ont été de vrais signes de la
vraie signification, parce qu’ils signifiaient la grâce justifiante
qui devait nous être donnée par le Christ. Et ils concluent correctement
de cela que les sacrements de la loi ancienne conviennent univoquement
aux nôtres par le genre, même s’ils sont différents par l’espèce,
parce que les nôtres effectuent une sanctification que les leurs n’effectuaient
pas. L’une et l’autre sentence plait en partie, et déplait en
partie. Je formule donc les propositions suivantes.
La première proposition. À la notion de sacrement en général,
il ne suffit pas que le sacrement signifie, mais il est requis qu’il
effectue la sainteté ou la sanctification. Bien plus, il est plus
propre au sacrement de sanctifier que de signifier. On le prouve
en remarquant que, dans l’ancien testament, on dit rarement que les sacrements
signifient, mais on dit très fréquemment qu’ils consacrent, qu’ils
sanctifient, qu’ils initient (Exode XXV111, et Lévitique V111).
Dans le nouveau testament aussi, on dit du baptême qu’il régénère
(Tite 111). Et il est certain que régénérer c’est faire plus
que signifier.
On le prouve aussi par l’étymologie. Tous les noms semblables au
sacrement signifient une action, non un signe. Comme on le voit pas le
mot vêtements, chaussures, entraves, ornements, firmaments, fondements,
et les autres mots de ce genre. Et le sacrement tire son origine
de sacrer non de signifier. Troisièmement. La seule raison pour
laquelle la dernière définition prétend que le sacrement en général
ne soit rien d’autre qu’un signe, est la définition selon laquelle
le sacrement est « le signe d’une chose sacrée ». Cette définition
n’indique pas que le sacrement effectue la sanctification qu’il signifie.
Nous avons déjà démontré que cette définition-la n’était pas parfaite,
d’autant plus que saint Augustin, qui en est l’auteur, la condamne
quand il veut l’appliquer au saint sacrifice de l’autel.
La seconde proposition. Les sacrements de l’ancienne loi n’étaient
pas des sacrements parce qu’ils signifiaient la grâce justifiante, mais
parce qu’ils signifiaient et effectuaient une sainteté légale.
Cette proposition est pour la première sentence, et contre la seconde.
On le prouve d’abord par la précédente conclusion. Si, au sacrement
en général, est plus requise la sanctification que la signification,
si les sacrements de l’ancienne loi étaient des sacrements, ils ne pouvaient
pas seulement signifier, mais ils devaient aussi effectuer. Ensuite,
parce que signifier une grâce qui devra être donnée par d’autres,
n’appartient pas au sacrement en tant qu’il est un sacrement, mais
en tant qu’il est une figure et un type de la chose future. Car,
le sacrement, en tant que sacrement, indique une direction vers celui qui
est initié par le sacrement, non vers les autres. Comme l’enseigne
correctement saint Thomas (1, 2, quest Cl art 4, et question C11, art 5).
On le confirme ainsi. Signifier une grâce qui doit être donnée
par d’autres, n’était pas seulement propre aux anciens sacrements,
mais convenait aussi aux sacrifices et aux autres observances des Hébreux,
comme saint Augustin le démontre (livre 19, chapitre 8,9, 10, et 11 contre
Faust). Non pas seulement eux mais le serpent d’airain signifiait,
lui aussi, la guérison des péchés que le Christ allait apporter, (Jean
111); la manne, la douceur de l’eucharistie, et le passage de la
mer rouge le salut par le baptême (1 Cor 10). Et pourtant, ni le
serpent, ni la manne, ni l’arche n’étaient des sacrements de l’ancien
testament.
La troisième proposition. Le sacrement est un genre qui s’applique
univoquement aux sacrements de la loi ancienne et aux sacrements de la
loi nouvelle. Les sacrements anciens étaient donc simplement et
absolument des sacrements. Cette proposition est pour la seconde
opinion, et contre la première. Le sacrement en général ne requiert
rien d’autres que d’être une cérémonie signifiant et effectuant
une consécration ou une sanctification. Il ne requiert pas que cette sanctification
s’opère par une grâce qui purifie l’âme des péchés, car cette
sanctification spéciale constitue l’espèce d’un sacrement, non absolument
le genre lui-même. Or, les sacrements de l’ancienne loi signifiaient
et effectuaient vraiment une certaine consécration. Car, par la circoncision,
les Juifs étaient initiés et consacrés à Dieu pour être son peuple
particulier. Par l’onction sacerdotale, les fils d’Aaron étaient
consacrés à Dieu, pour qu’ils exercent le sacerdoce. Et,
on peut dire la même chose de leurs autres sacrements. Voir à ce
sujet saint Thomas (1, 2, quest C11, art 5 ). Ils étaient donc, au sens
propre, de vrais sacrements.
Deuxièmement. Il n’y a aucune religion sans sacrements, comme saint
Augustin l’enseigne (livre 19, chapitre 11, contre Faust). Or, dans l’ancien
testament, il y avait une vraie église, une vraie religion, de vrais sacrifices,
pourquoi pas de vrais sacrements ? Il importe peu que toutes choses
arrivent aux Juifs en figure, (1 Cor X), et que, par conséquent, leurs
sacrifices, leurs sacrements, tous leurs rites aient été des types de
notre sacrifice, de nos sacrements et de nos rites. On semblerait
devoir conclure qu’ils n’ont été des sacrifices et des sacrements
que par analogie avec les nôtres. Cela importe peu, dis-je.
Les sacrements judaïques étaient, il est vrai, des figures de nos sacrements,
mais non seulement des figures. Ils étaient des choses qui existaient
par elles-mêmes.
En effet, la circoncision n’était pas seulement la figure du baptême,
mais elle était, par elle-même, une cérémonie instituée pour initier
les hommes de cette époque, et les intégrer au peuple de Dieu.
Voilà pourquoi, même si la circoncision était imparfaite comparée au
baptême, elle était quand même, proprement et absolument, un sacrement.
Exemple. Même si le bœuf est plus imparfait que l’homme, il est, cependant,
proprement et absolument, un animal. De la même façon, l’ordination
d’Aaron n’était pas seulement une figure de notre ordination, mais
elle était, par elle-même, une cérémonie qui consacrait des hommes
pour offrir le sacrifice. Et ces sacrifices, ils n’étaient pas
seulement des figures de notre sacrifice, mais ils étaient, par eux-mêmes,
des sacrifices institués pour rendre un culte à Dieu, en tant que principe
et fin de toutes choses. Enfin, le peuple juif lui-même était une
figure du peuple chrétien (1 Cor X), et cependant, qui peut doute qu’il
était, par lui-même, un vrai peuple ?
On ne doit donc pas comparer les choses juives aves les nôtres comme
on comparerait une image peinte avec un homme vivant, là où l’image
n’est rien d’autre que la chose d’un autre. Mais comme des petits
enfants à des hommes murs, comme l’a fait saint Paul (Galates 1V).
Car, le fils est l’image du père, mais, il est cependant par lui-même,
un homme. Et si on compare les activités et les jeux des enfants
avec les occupations et les travaux des adultes, les activités des enfants
sont, en quelque sorte, des images des activités des adultes, mais elles
ont pourtant l’intérêt et le charme et l’utilité qui conviennent
à cet âge.
La quatrième proposition. Cette définition (le signe d’une
chose sacrée) convient univoquement à tous les sacrements, autant aux
sacrements de l’ancienne loi qu’à ceux de la nouvelle. Cette
proposition est pour la seconde opinion, et contre la première.
Il est à noter qu’on peut expliquer cette définition de trois façons.
La première. En entendant par signe, un signe pratique; par chose
sacrée, la grâce sanctifiante. Et de cette façon, la définition
ne convient proprement qu’aux sacrements de la loi nouvelle, et aux anciens,
seulement analogiquement ou sous un aspect particulier. Parce qu’ils
étaient des signes pratiques d’une pureté légale, qui n’est pas
la grâce sanctifiante, mais seulement le type, comme on dit de l’image
d’un homme qu’elle est un homme. Mais cette explication n’est pas
selon la pensée de saint Augustin, comme nous l’avons dit plus haut.
On peut aussi donner l’explication suivante. Par signe, on entend
un signe pratique, par chose sacrée, une consécration en général,
sans devoir descendre à une justification interne ou légale. Et,
de cette façon, la définition convient univoquement à tous les sacrements.
Mais cette explication n’est pas, non plus, selon la pensée de
saint Augustin, car, il ne parle pas, lui, d’un signe pratique, comme
saint Thomas le fait remarquer.
On peut aussi donner cette autre explication. Nous entendons
par signe un signe nu, par chose sacrée, la grâce justifiante, et, de
cette façon, la définition convient à tous les sacrements. Et
c’est ce que nous disons en conclusion à la suite de saint Thomas.
Du reste, cette définition, comme nous l’avons déjà dit, n’est point
parfaite, même si, au témoignage de saint Augustin, au lieu cité, elle
convient aussi au saint sacrifice.
Enfin, les autres définitions, celles de Hugues, de Pierre Lombard,
du catéchisme romain ne conviennent qu’aux sacrements de la nouvelle
loi. On peut facilement les accommoder au sacrement en général,
si, au lieu de la grâce invisible, ou de la justice, on met consécration.
De cette façon, le sacrement est une chose sujette aux sens qui, de par
l’institution de Dieu, a le pouvoir de signifier et d’effectuer une
consécration.
CHAPITRE 13
On réfute les arguments de Kemnitius
Avec tout ce qu’on vient de dire il est facile de répondre aux calomnies
de Kemnitius. Dans la deuxième partie de son examen du concile de Trente,
au chapitre du nombre des sacrements, il réprouve toutes les définitions
que nous venons d’apporter, à l’exception de celle du catéchisme
de Trente, dont il ne fait aucune mention. Il ajoute, en plus, deux définitions
qu’il réprouve aussi, une de Scot et une d’Okam.
La première définition qu’il répudie est celle d’Isidore (page
38) : « Comment, selon cette définition, le mariage sera-t-il un
sacrement ? » Je réponds que cette définition convient parfaitement
au mariage. Car, « sous le couvert de choses visibles », c’est-à-dire
de l’union des époux, est signifiée la grâce invisible par laquelle
Dieu s’unit avec l’âme, et la justifie, ou infuse sa justice, ou augmente
l’infusion. Ce qui ne répugne pas aux paroles de l’apôtre quand
il dit que le mariage est le signe de l’union du Christ avec l’église.
En effet, le même sacrement peut être le signe de plusieurs choses.
La deuxième définition qu’il réprouve est celle de Hugues de saint
Victor. Il prétend qu’on ne peut pas correctement appeler sacrement
un élément corporel, puisque, selon les catholiques, le sacrement de
l’eucharistie n’est pas une substance, mais seulement les accidents
du pain et du vin. Réponse. La substance du pain et du vin n’est
pas, elle non plus, un élément proprement dit, c’est-à-dire un corps
simple, mais un corps mixte. Mais, comme nous l’avons montré plus
haut, Hugues appelle élément une chose sensible quelconque, qui est employés
pour parfaire le sacrement.
La troisième définition qu’il réprouve est celle du maître des
sentences, qu’il ne cite pas correctement : le sacrement est une forme
visible. Car, dans le mariage, les catholiques veulent
que la matière soit les mots qui expriment le consentement mutuel des
époux. Or, les paroles ne sont pas visibles, et ne peuvent pas être
appelées un élément selon Hugues, et si on distingue un élément de
la parole selon cette phrase de saint Augustin : « La parole accède à
l’élément, et le sacrement devient. » Réponse. Ils ne manquent
pas ceux qui veulent que la matière du sacrement de mariage soit les paroles
contractantes, et la forme, les paroles. C’est ainsi qu’ils
assignent une matière visible qui peut être appelée élément.
Voir Pierre Paludan (4 dist 1, quest 4).
Mais même s’il n’y avait que des paroles dans le sacrement de
mariage, Kemnitius n’y gagnerait rien. Car, on peut dire que des
paroles sont des éléments, en tant qu’elles ont un lieu matériel.
Quand nous traitons des sacrements, nous parlons d’un élément qui est
de soi indéterminé, et qui est déterminé par certains mots, comme par
une forme. Nous n’affirmons pas moins que les mots puissent être dits
visibles, quand le visible est transféré à toutes les choses sensibles,
et quand, par l’habitude de voir, le sens de la vue est transféré à
tous les sens. Comme l’enseigne saint Augustin (livre 10, chapitre
35), nous avons raison de dire : vois comment il éclaire, comment il huile,
comment il savoure, comme c’est dur, comme cela sonne bien ! .
Nous ne disons cependant pas le contraire : Écoute comme il luit, goûte
comment il resplendit, sent comme il sonne bien, touche comme il
brille !
Il réprouve, en quatrième lieu, deux définitions qui ne sont
pas tout à fait justes. Le sacrement est un signe de la grâce invisible,
si, par grâce, on entend la grâce qui fait un reconnaissant. Car, même
si Richard se demande si dans le mariage, dans l’ordre et dans
les autres sacrements une grâce de ce genre est donnée, « les
autres, dit-il, reconnaissent qu’elle ne peut pas exister. » Ce
qui est un mensonge impudent, comme nous l’avons dit plus haut, au chapitre
2. La cinquième définition qu’il attaque est celle de Scot et
d’Okam. Mais sans raison, car elle n’a rien de défectueux. Et
elle ne diffère que par les mots de l’opinion commune, non par la sentence.
Sixièmement, il s’en prend à toutes les définitions ensemble.
« Si, dit-il, un sacrement est un signe signifiant efficacement un effet
gratuit de Dieu, comment ne seraient pas des sacrements la bénédiction
des moines, l’eau bénite, la rose bénite, l’agnus Dei, la bénédiction
des herbes, des cloches, des images, l’onction royale, la consécration
d’un temple, d’un cimetière ou d’un autel. Ces choses se font
par des consécrations précises, et on s’imagine qu’elles ont des
effets spirituels. » Mais, on répond facilement à cela de deux
façons. La première. La bénédiction des moines et de toutes
les autres choses énumérées ne procure pas la grâce sanctifiante, mais
d’autres effets, comme l’effacement des péchés véniels, et la protection
contre les démons. Ces effets, c’est surtout l’eau bénite qui
les possède. La deuxième. Parce que ces effets,
ces choses ne les ont pas infailliblement, car le pouvoir qu’elles possèdent
ne leur vient pas de l’institution divine, mais des prières de l’Église.
CHAPITRE 14
On réfute la définition des luthériens
Venons-en donc à l’exposition et à la réfutation des définitions
des adversaires. Elles sont tout à fait discordantes. Peut-on avoir
un signe plus manifeste qu’ils se sont éloignés de la vérité, qui
est une ? On ne peut nier que Kemnitius qui s’efforce de dissimuler
et de concilier les discordes des siens, énumère (dans la deuxième partie
de son examen, page 96), en plus de la sienne, cinq sentences diverses
des luthériens : six donc en tout.
La première sentence est celle de Luther (livre de la captivité de
Babylone, chapitre ultime, où il dit) : « Le sacrement, au sens propre,
est une promesse annexée à un signe externe. » Elle est
reçue par les luthériens qui l’expliquent un peu plus. Car, ainsi
le définit l’apologie de la confession d’Augusta, article 13 : «
Le sacrement est un rite qui a un mandat de Dieu, et auquel est ajoutée
une promesse de grâce. » Pierre martyr a des choses semblables,
mais calvinistes ailleurs (chapitre 4 aux Romains, et chapitres 10 et 11
aux Corinthiens). Mais Martin Kemnitius s’efforce d’expliquer
avec une grande précision toutes les choses qui se rapportent à la nature
du sacrement. Et parce que tant dans son apologie que
dans les lieux, Philippe annonce d’avance qu’il va donner une
interprétation du nom, et varie souvent les mots de sa définition, il
sera plus utile de présenter et de réfuter ce qui, selon Kemnitius, est
requis à la nature du sacrement.
Il veut d’abord qu’il soit un élément ou un signe externe, matériel,
corporel et visible, qui est traité par un certain rite externe. Il requiert
ensuite, que ce signe ait un mandat exprimé, ou une institution divine.
Ii veut ensuite que ce mandat soit dans le nouveau testament. Ce
qu’enseigne aussi Philippe (dans les lieux, au chapitre des sacrements)
: « Le sacrement est une cérémonie instituée dans l’évangile. »
Quatrièmement, il requiert que le sacrement ne soit pas une cérémonie
temporaire, mais dure jusqu’à la consommation du monde.
Cinquièmement, il dit qu’il requiert une promesse de grâce, par l’effet
ou le fruit du sacrement. Sixièmement, il dit que cette promesse
doit être annexée à un signe, et comme revêtu par un signe, de par
une ordination divine. Septièmement, il ajoute que cette promesse
ne doit pas porter sur n’importe lequel don de Dieu mais sur la réconciliation
du pécheur et la rémission des péchés. Sur cette dernière partie
insistent fortement Luther, dans sa captivité de Babylone, et Philippe
dans les lieux (chapitre sur le nom des sacrements). Huitièmement,
il requiert que la promesse, qui autrement serait générale, soit
appliquée par le sacrement, et contresignée en particulier par chacun
de ceux qui se servent des sacrements avec foi.
Ce point particulier est expliqué plus clairement par Luther et Philippe,
ainsi que par Kemnitius, en bas du chapitre sur l’efficacité du sacrement.
Car, ils veulent que les sacrements soient des témoignages infaillibles
de la grâce de Dieu, institués dans le but de raviver et de nourrir la
foi, de la façon qu’ont les miracles d’agir. Voilà pourquoi
Philippe (dans les lieux, en l’an 22), compare les sacrements aux miracles
avec lesquels Dieu confirmait autrefois la foi. Et, dans l’article
13 de son apologie, il dit que le sacrement est un témoignage infaillible,
comme si Dieu, par un nouveau miracle, promettait qu’il veut le reconnaitre.
Et Luther, dans son livre contre Cochlaeus dit : « Pierre veut, par
le baptême, ou par un signe externe, provoquer et exercer la foi qui sauve.
» Et (dans son livre sur la captivité de Babylone, chapitre du
baptême), il compare le sacrement avec la toison de Gédéon, avec l’arc-en-ciel
que Noé reçut comme un signe, et avec le signe qu’Isaïe (Isaïe V11)
offrit au roi Achaz. Et aussi dans la confession d’Augusta
(article 13) : « Les sacrements sont institués pour être des signes,
et des témoignages de la volonté de Dieu envers nous, pour raviver et
confirmer la foi chez ceux qui s’en servent. »
Et Kemnitius (au lieu cité, page 102), dit que la parole et le sacrement
montrent où la foi doit demander et trouver le Christ médiateur. Et aux
pages 101 et 105, il dit que les sacrements sont « des sceaux de la promesse.
» Voilà quelle est leur sentence. Kemnitius a excogité cette
définition pour montrer que seuls le baptême et l’eucharistie sont
des sacrements proprement dits. Mais il n’a pas obtenu le but recherché.
Car, nous pouvons facilement démontrer que cette définition est mauvaise,
et qu’elle ne convient même pas à ces deux sacrements.
La première chose qu’il requiert est un élément visible et sensible,
comme le disent les catholiques. Et alors, l’absolution sacerdotale sera,
elle aussi, un sacrement proprement dit. Car, l’absolution est
une chose sensible, puisqu’elle est perçue par les oreilles; ou
elle reçoit un élément visible, palpable, pour la chose qui est perçue
par le sens de la vue ou du toucher. Et, sans aucun témoignage de
l’Écriture, il s’imagine alors une définition. Car l’Écriture
ne dit à nulle part qu’un sacrement n’est rien d’autre qu’une
chose visible et palpable. Et pour prouver son point, il ne donne
pour preuve qu’une seule chose : le baptême et l’eucharistie,
qui sont de vrais sacrements, sont des signes visibles et tangibles.
Cette argumentation-là ou bien elle suppose acquis ce que l’on doit
prouver, que le baptême et l’eucharistie sont les seuls vrais sacrements,
ou bien, si elle ne le suppose pas, elle ne prouve rien. Du fait
qu’on dit que les hommes et les oiseaux sont des bipèdes, on ne peut
pas en conclure que tout animal est un bipède. De la même façon, du
fait qu’on dit que le baptême et l’eucharistie sont des signes sensibles,
visibles et tangibles, il ne s’ensuit pas que tous les sacrements doivent
être des signes visibles et tangibles. On ne doit pas, non plus,
exclure le sens de l’ouïe, puisque les choses qui sont perçues par
ce sens sont parmi les signes les plus excellents, comme saint Augustin
l’enseigne (livre 2, chapitre 3 de la doctrine du Christ.)
La deuxième chose qu’il requiert est le mandat exprimé ou l’institution
divine. Ou il demande que ce mandat soit exprimé dans le texte de l’Écriture
divine, ou il se contente qu’il soit évident que le mandat ait été
donné, même s’il n’est pas exprimé explicitement dans l’Écriture.
Si cette deuxième supposition suffit, nous l’admettrons nous aussi,
et alors nous prouverons qu’il y a sept sacrements. Car, même
s’il n’est écrit nulle part que Dieu ait commandé et institué le
sacrement de confirmation, nous lisons quand même dans les Actes (V111)
que, par l’imposition des mains des apôtres, l’Esprit-Saint a été
donné aux baptisés, et cela, d’une façon ordinaire. Nous en concluons
donc qu’il a été institué par Dieu. Car, aucun pouvoir créé
ne peut faire en sorte que, par l’imposition des mains, l’Esprit Saint
soit donné aux hommes. Nous pouvons prouver la même chose au sujet
des autres sacrements, avec l’aide surtout de la tradition antique et
de l’autorité de l’Église.
Si Kemnitius (comme ses mots le laissent entendre) veut requérir un
mandat explicite formulé dans les saintes lettres, fausse sera son exigence.
Car que le mandat ait été écrit ou qu’il ne l’ait pas été, cela
est arrivé par accident, non par un commandement, ou par une institution
divine. Car, autrement, avant que n’aient été écrits les
évangiles, les sacrements de baptême et d’eucharistie qu’ont
donnés Jésus et les apôtres n’auraient pas été de vrais sacrements.
Car, il est certain qu’aucun évangile n’avait été écrit quand Jésus
baptisait, (Jean 111) et quand il donna l’eucharistie à ses apôtres
(Math XXV1), ni non plus quand saint Pierre ordonna de baptiser 3 mille
hommes (Actes 11). Et c’est à cette époque qu’on commença
à fréquenter le sacrement d’eucharistie, comme l’indique saint Luc
au même endroit.
La troisième chose qu’il requiert est absolument vraie, à savoir
que cette institution soit dans le nouveau testament. Mais elle détruit
la sentence des adversaires. Car, d’un commun accord, contre
le sens commun de l’Église catholique, ils enseignent que le baptême
de Jean avait la même force et la même efficacité que celui du Christ,
et que, en conséquence, le Christ n’a pas tant institué le sacrement
de baptême qu’approuvé celui de Jean. C’est ce que Calvin enseigne
(livre 4, chapitre 14, verset 7), Kemnitius (part 2 de l’examen, chapitre
du baptême de Jean), Philippe (dans les lieux, chapitre du baptême des
apôtres et de Jean. » Or, si les choses sont vraiment ainsi, il
est certain que le sacrement du baptême n’a pas été institué dans
le nouveau testament, car l’auteur et le roi du nouveau testament est
le Christ, comme le dit l’apôtre aux Hébreux (1X), et c’est pour
cela qu’il est appelé par Isaïe X1 : « père du siècle futur. »
Si le baptême que nous utilisons a commencé avec Jean le baptiste, qui
est venu avant Jésus, qui est son précurseur et son messager, il s’ensuit
que ce sacrement n’a pas été institué dans le nouveau testament, mais
dans l’ancien.
Sa quatrième exigence. Le sacrement doit être une cérémonie
perpétuelle, qui doit donc durer autant que durera la religion.
Elle ne me déplait pas, car nous aussi, nous enseignons cela. Kemnitius
devra, cependant, trouver quoi répondre à Luther (qui, dans la captivité
de Babylone, chapitre sur le baptême) énumère parmi les sacrements la
rosée tombée sur la toison de Gédéon, et l’ombre qui recule sur le
cadran solaire d’Achaz.
La cinquième chose requise est la promesse de la grâce.
On peut entendre cette phrase de deux façons. Une première
manière au sujet de la promesse de la grâce : qu’elle soit l’effet
du sacrement, de sorte que soient la même chose la promesse de la grâce
dans les sacrements, et l’institution du sacrement, en tant que signe
efficace ou instrument de la justification. L’autre manière de
concevoir la promesse de la grâce : la promesse d’une grâce précédente
qui, dans le sacrement, est contresignée, comme avec un sceau. Car,
comme c’est une chose de promettre qu’un sceau sera efficace pour imprimer,
que c’est autre chose de promettre cents écus d’or, et de contresigner
un testament avec un sceau, de la même façon c’est une chose
différente de promettre une grâce par des paroles, et de confirmer ensuite
la promesse par un signe externe, et une autre chose de promettre que le
sacrement sera un instrument efficace pour justifier.
Or, Kemnitius confond ces deux choses. Car, dans cette
cinquième condition, il requiert la promesse comme fruit d’une grâce,
ou du sacrement, où il semble parler de la promesse de l’efficacité
du sacrement. Cependant, plus bas, là où il dit avec les autres
luthériens que le sacrement est le sceau de la promesse, il parle d’une
promesse précédente, dont parlent, sans aucun doute, tous les luthériens.
La promesse de l’efficacité du sacrement se trouve dans la parole
de Dieu, selon les catholiques, et cela vaut pour tous les sacrements,
mais non selon les adversaires. Car, les catholiques comptent pour
parole de Dieu la tradition; les adversaires qui ne reçoivent que les
Écritures, ne montreront pas facilement la promesse au sujet de la grâce
et le fruit des sacrements dans tous les sacrements. Exemple.
L’eucharistie, qui est même pour nos adversaires, un sacrement proprement
dit. On a de ce sacrement de grandes et insignes promesses.
Jean V1 : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Mais, les adversaires n’admettent pas que, dans ce chapitre,
il s’agisse de l’eucharistie. Car, voici ce que dit Luther (dans
la captivité de Babylone, chapitre sur l’eucharistie) : « En premier
lieu, le chapitre 6 de saint Jean doit être mis de côté, parce qu’il
ne parle pas de ce sacrement, même pas par une syllabe ». C’est
ce qu’enseignent Calvin et les autres hérétiques dans leurs commentaires
respectifs de ce passage. Or, après avoir mis de côté ce chapitre,
ils ne trouveront plus de promesse. Car, dans Matth (XXV1, Marc ((X1V)
on ne trouve pas d’institution du sacrement. Et, en Luc X11 où on la
trouve, il n’y a aucune promesse. Nous n’avons que ces mots :
« cela est mos corps qui est livré pour vous. » Et « ceci est
mon sang qui est répandu pour vous et pour plusieurs en rémission des
péchés. »
La promesse de la livraison du corps et de l’effusion du sang
ne se rapporte pas au sacrement, mais au sacrifice, qui était alors offert
à la cène, et qui devait être offert ensuite sur la croix. »
Car, le Seigneur ne dit pas que son corps est donné par les apôtres
en rémission des péchés, mais qu’il est donné pour eux, par Dieu,
en rémission des péchés. Et, semblablement, il ne dit pas que
son sang est versé par les apôtres, mais pour eux rémission des péchés.
La promesse précédente qui, comme par un sceau, est contresignée
par un sacrement, n’est pas nécessaire, et ne se trouve pas dans tous
les sacrements. Elle est même fausse dans leur définition elle-même.
Car, dans le baptême, qui est un sacrement, comme tous en conviennent,
on ne trouve pas facilement une promesse de ce genre. Luther (dans
sa visite de la Saxe) et Philippe (dans les lieux, sur le baptême), présentent
cette promesse (Marc, dernier chapitre) : « Celui qui croira et qui sera
baptisé sera sauvé. » Mais il ne s’agit pas là d’une promesse
précédente, mais d’une explication de l’efficacité du sacrement.
Et de plus, c’est après sa résurrection que le Seigneur a dit ces paroles.
Le sacrement du baptême avait été institué avant la passion du Christ,
et avait commencé à entrer dans les mœurs (Jean 111 et 1V).
Ils diront peut-être qu’il y a une autre promesse. (Jean 111) :
« À moins que quelqu’un ne renaisse de l’eau et du Saint-Esprit,
il ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu. » Mais, cela n’est
pas tant une promesse qu’une commination, d’où l’on tire la nécessité
et la vertu du baptême. Mais non une promesse précédente qui serait
contresignée par le baptême. Ajoutons que, avant ces paroles, le
baptême de Jean a existé, auquel nos adversaires accordent la même vertu
qu’à notre baptême. On trouve une promesse de l’eucharistie
qui précède un signe. Car, en Luc XX11, et en 1 Corinth X1, nous
lisons que l’eucharistie est le signe du corps du Seigneur livré pour
nous, et du sang pour nous répandu. Mais, nous ne lisons
pas, en cet endroit, que l’eucharistie est un signe attestant et confirmant
la promesse, comme ils le requièrent, mais seulement un signe commémoratif.
Car, voici ce que le dit le Seigneur : « Faites cela en commémoration
de moi. »
La sixième exigence est fausse, celle qui dit qu’à la promesse
doit être annexé un signe. Car la parole qui est annexée par une
directive divine, et qui est comme vêtue d’un signe, n’est jamais
une parole de promesse, mais d’affirmation ou de déprécation.
Car, quand l’eau est aspergée dans le baptême, on ne dit pas : « celui
qui croira et sera baptisé sera sauvé », ce que nos adversaires appellent
une promesse, mais : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
(Matth XXV111) » Ces paroles ne sont en rien une promesse.
Et le Seigneur, quand il fit l’Eucharistie et quand il la donna, ne dit
pas : « Celui qui mange de ce pain vivra éternellement, ou une autre
phrase du genre, mais : « Recevez et mangez, cela est mon corps. »
Dans le sacrement de la confirmation et de l’extrême onction, nous utilisons
des paroles déprécatoires, parce que c’est ainsi que nous enseignent
les Actes (chapitre V111) et Jacques (chapitre V11) dans le sacrement
de l’ordre : Reçois le pouvoir ». Dans les autres sacrements,
des paroles déclaratoires.
Si, avant d’administrer les sacrements, ils prêchent la parole
et annoncent la rémission des péchés, et emploient ensuite le sceau
des sacrements, comme Calvin le prescrit dans son libelle sur la formule
de l’administration des sacrements, ils le font cela, de leur propre
volonté, et non (comme le requiert Kemnitius) en vertu d’une institution
divine. Car, il n’existe aucune directive divine nous enjoignant
de ne donner l’eucharistie et le baptême qu’après un prêche.
Car, ni le Seigneur (Matth XXV1) ni Paul (1 Corinth X1) n’enseignent,
quand ils nous présentent le rite de l’administration de l’eucharistie,
qu’un prêche doit précéder. Et, il est certain que, dans les
baptêmes des enfants, le prêche ne servirait pas à grand chose.
La septième exigence. Cette promesse doit porter sur la rémission
des péchés. Ce qui est faux. On peut penser que Kemnitius
ajoute cette autre condition pour exclure l’ordre du nombre des sacrements
proprement dits. On trouve, dans l’Écriture, le signe externe
par lequel est conférée l’ordination, l’imposition des mains, et
la communication de la grâce, quand l’apôtre dit (1 Timothée 1V) :
« Ne néglige pas la grâce qui est en toi, qui t’a été donnée par
prophétie avec l’imposition des mains du prêtre. » Kemnitius
n’aurait donc pas pensé pouvoir exclure l’ordre des sacrements proprement
dits s’il n’avait pas ajouté que cette grâce devait être la rémission
des péchés.
Et si cette condition était vraie, elle exclurait aussi l’eucharistie
des sacrements proprement dits, car l’eucharistie n’a pas été instituée
d’abord et avant tout pour remettre les péchés, mais pour nourrir et
augmenter la charité. Car il est donné sous l’espèce du pain
et du vin qui nourrissent les vivants mais ne raniment pas les mots.
Et saint Paul (1 Corinthiens 1X) ordonne aux hommes de s’examiner pour
voir s’ils sont sans péché avant de s’avancer à cette table : «
Car celui qui mange indignement mange sa propre condamnation. »
La huitième. Le sacrement doit contresigner la promesse de la grâce,
à la manière d’un sceau, et la confirmer à la manière d’un miracle
pour stimuler et nourrir la foi justifiante. Elle est tout à fait
fausse, et mérite d’être réfutée diligemment, tant parce qu’elle
est la principale condition que parce que Calvin la place aussi dans sa
définition.
D’abord. Si les sacrements confirmaient les promesses de Dieu
à la manière d’un miracle, ou d’un sceau, ils seraient, pour persuader
la foi, plus connus et plus efficaces que la parole de Dieu. Comme cela
est faux, cette condition est fausse aussi. On prouve la proposition
ainsi. C’est vainement qu’on se servirait d’une chose
pour en confirmer une autre si elle n’était pas plus connue et plus
sure, car c’est en cela que réside toute la force du sceau et du miracle.
En effet, le sceau des rois est toujours plus connu que les lettres des
rois; tous sont capables de discerner le sceau des rois, mais tous
ne sont pas capables de discerner les lettres des rois.
De plus, un sceau sans lettres a de l’autorité, tandis que
des lettres sans sceau n’en ont pas. Il en va de même du miracle.
Le miracle est plus connu et plus efficace que la prédication. Car tous
ceux qui voient un aveugle recouvrer la vue ou un mort reprendre vie, comprennent
qu’il s’agit là d’une œuvre surnaturelle et divine. Et ils
sont dont poussés à croire ce qui est confirmé par un tel témoignage.
Mais ceux qui entendent quelqu’un prêcher ne comprennent pas immédiatement
que ces paroles sont les paroles de Dieu.
Il est à noter que, par les miracles qui se font pour confirmer la
foi, ce n’est pas, comme tous le savent, l’autorité divine qui
est confirmée, comme si on devait plus croire à un miracle qu’au Dieu
révélant. Car, Dieu ne peut pas mentir, et il n’est rien de plus
grand que l’autorité divine. L’autorité qui peut être confirmée
c’est l’autorité de celui qui propose la foi. Car, nous sommes
plus enclins à croire qu’ont vraiment été révélées par Dieu les
choses qu’enseigne un prédicateur si nous voyons des miracles que si
nous ne nous appuyons que sur la seule autorité du prédicant.
Voilà pourquoi il est dit en Marc (chapitre ultime) : « Ils partirent
donc, et prêchèrent partout, le Seigneur coopérant et confirmant leurs
paroles par les signes suivants. » Tu vois, là, que ce n’est
pas son autorité que Dieu confirme par des signes, mais le sermon des
prédicateurs.
On prouve l’assertion voulant qu’il soit faux que les
sacrements soient plus connus et plus efficaces que la parole de Dieu.
On ne peut d’abord rien imaginer qui soit plus grand et plus efficace
que la parole de Dieu. L’expérience montre, ensuite, qu’il est
plus facile de comprendre ce qui est dit par des mots que ce qui est signifié
par un signe de tête. Que sont donc les sacrements, si on les compare
aux paroles, si ce n’est un simple signe de tête ? Pour une raison
semblable, l’expérience enseigne qu’on persuade mieux avec des paroles
qu’avec des signes muets, à moins qu’ils ne soient des miracles.
Voilà pourquoi Luther lui-même admet que les paroles de promesse sont
plus efficaces que les sacrements, qui sont des prédications muettes :
« La parole elle-même (livre contre Jean Cochlaeus), qui l’emporte
de loin sur le signe visible, ne justifie, par elle-même, que le croyant.
»
Calvin répond (livre 4, chapitre 14, verset 3) que les sacrements
ne confirment pas les promesses de la part de Dieu, mais de notre part.
Parce que, bien que, en tant qu’elles sont de Dieu, elles soient très
certaines, cependant, pour qu’elles soient reçues par nous, à
cause de l’imbécilité de notre foi, elles ne sont pas acceptées comme
certaines tant qu’elles ne sont pas confirmées par le témoignage des
sacrements. Mais il est très facile de réfuter cela. Car, que les
promesses de Dieu aient, de notre part, besoin d’une confirmation, ou
qu’elle soit faite cette confirmation parce que nous ne savons pas quelles
sont les promesses de Dieu, et que c’est par les sacrements que nous
apprenons cela, ou parce que nous savons et les promesses de Dieu
et l’existence des sacrements, nous croyons davantage aux sacrements
qu’aux promesses. Or, cela a déjà été réfuté. Car nous
ne croyons pas à elle seule, mais nous savons aussi, pour des raisons
évidentes, que Dieu ne peut pas mentir, qu’il n’y a donc rien de plus
certain que les promesses de Dieu. Cela, les adversaires ne peuvent
pas le nier.
On peut réfuter cela d’abord et plus facilement.
Il est faux qu’on apprenne les promesses de Dieu par les sacrements,
puisqu’on apprend plutôt les sacrements par la parole de Dieu.
À la vérité, si le sceau des rois était inconnu et ne pouvait
être connu que par les lettres où il est apposé, il serait tout à fait
superflu. Car, ou les hommes croiraient que les lettres sont du roi, ou
ils n’y croiraient pas. S’Ils y croient, à quoi sert le
sceau ? S’ils n’y croient pas, ils ne croient pas non plus que
c’est le sceau du roi. Il ne sert donc à rien. Par une raison
semblable, quand on ne sait pas que les sacrements sont des sceaux de Dieu,
à moins que l’Écriture ne le dise, si l’on croit à la parole sans
les sacrements, à quoi servent les sacrements ? Ils n’opèrent
donc rien. Calvin répond à cette objection (livre 4, chapitre 11,
verset 5) que pour les diplomates, non plus, le sceau ne vaut rien sans
les lettres, comme il apparait clairement quand on l’appose à une lettre
où il n’y a rien d’écrit. Et, cependant quand il est apposé
à l’écrit du diplomate, il sert grandement à le confirmer, en confirmant
une promesse faite par un autre.
Mais cette réponse ne détruit pas l’objection . Car, pour
commencer par l’exemple précédent, la promesse confirme la promesse
parce que l’une ne dépend pas de l’autre. L’ange (Luc 1) a
confirmé la promesse de la conception virginale par la promesse d’une
conception précédente dans le sein d’une femme âgée et stérile.
Car, ces deux œuvres admirables ne dépendent pas l’une de l’autre.
Or, celle qui avait précédé a eu plus de force à confirmer celle qui
n’était pas encore. Mais, les sacrements, comme nous l’avons
déjà dit, dépendent totalement de la parole.
En ce qui a trait à la ressemblance entre un sceau et un diplomate,
elle n’est absolument pas comme Calvin le raconte. Car, un sceau
apposé à une lettre non écrite ne confirme rien, il est vrai,
mais cependant, il ne dépend pas à cause de cela de la lettre, ni n’est
rien. Voilà qui nous fait le mieux comprendre avec quelle ineptie
les adversaires appellent les sacrements des sceaux, alors qu’ils ont
tout à fait une propriété contraire. Car les sceaux des diplomates
ont leur autorité sans les lettres du diplomate, tandis que les lettres
n’en ont pas sans le sceau. C’est le contraire qui se produit
dans la parole et les sacrements. Car, la parole de Dieu, même
sans sacrements, a une autorité infaillible; les sacrements sans la parole
n’en ont aucune. Voilà pourquoi on devrait plutôt appeler
la parole le sceau du sacrement, que le sacrement, le sceau de la parole.
Ils diront peut-être. Soit ! Les sacrements ne confirment
pas la promesse à la manière d’un miracle ou d’un sceau, mais
ils aident et confirment au moins autant qu’une action externe
aide et confirme le discours d’un enseignant. On ne peut nier en
effet que cette action externe concourt à expliquer et à persuader
quelque chose, comme le mouvement des mains et des yeux, bien que la parole
joue le premier rôle. Les sacrements seront donc comme une action
de Dieu qui, avait la parole, nous amènerait plus à la foi que la seule
parole.
Je réponds qu’on ne peut pas, non plus, concéder cela.
Dans les hommes, l’action aide la parole parce que la parole humaine
est imparfaite, comme le sont toutes les choses créées, mais aussi parce
que l’action ne tient pas sa force de la parole mais d’elle-même.
Voilà pourquoi les païens croyaient plus aux oracles d’Apollon, qu’ils
pensaient ne pas être faux, que s’ils avaient été émis par la parole
et la gesticulation d’un orateur. Comme les paroles de Dieu sont,
par elles-mêmes, d’une suprême autorité, et que les sacrements ne
tirent leur force que de la parole, ils ne peuvent rien ajouter à la parole
elle-même.
Il est vrai cependant, comme le disent les catholiques, que Dieu a
voulu donner sa grâce par des signes sensibles, pour qu’il instruise
les hommes par eux, et les amène à la compréhension des choses spirituelles.
C’est une chose d’enseigner des choses spirituelles par la similitude
des choses corporelles, et c’en est une autre de confirmer une chose
certaine par une chose moins certaine.
Le deuxième argument. L’essence et la nature des sacrements,
on ne peut pas aller les chercher mieux que dans les paroles de celui
qui les a instituées. Or, dans les Écritures saintes, qui sont
les paroles du Dieu auteur des sacrements, on ne nous dit jamais que les
sacrements sont des témoignages des promesses. Ils sont
décrits partout comme des instruments de justification. Car, dans
Jean 111, il est dit que nous naissons de nouveau par le baptême; et semblablement,
aux Éphériens V, l’apôtre Paul dit que l’Église est sanctifiée
ainsi que le monde, par le lavement de l’eau dans la parole de vie.
Et, à Tite 111, il appelle le baptême le bain de la régénération
et de la rénovation.
Ainsi en est-il de l’eucharistie. Jésus dit (en Jean V1) :
« Celui qui mange ce pain vivra éternellement. » Nous pouvons démontrer
la même chose pour les autres sacrements. Ils ne peuvent pas,
sans grande absurdité, entendre des mots comme régénérer, purifier,
donner la vie éternelle, au sens de donner un témoignage de promesses.
Car, qui pourrait supporter quelqu’un qui dirait : le baptême régénère,
c’est-à-dire donne le témoignage d’une volonté divine ? Ou,
je te baptise, c’est-à-dire je témoigne ?
Cet argument contre Luther est d’une grande efficacité.
En effet, Luther, que les autres suivent volontiers dans cette voie, dit
dans le livre contre Cochlaeus : « Dans les choses sacrées, c’est un
procédé puissant et très efficace d’argumenter par l’autorité négativement.
» Qu’ils montrent donc le lieu où on appelle les sacrements des
témoignages de promesses, ou qu’ils reconnaissent que nous avons contre
eux, un argument très puissant et très efficace.
Ils ont coutume de nous présenter trois passages qui semblent avoir
une apparence de vérité. Le premier. La Genèse (XV11), où
la circoncision est dite le signe de l’alliance. Le second.
Romains 1V, où la circoncision est dite le sceau de la justice de Dieu.
Le troisième (11 Pierre 111). Saint Pierre dit que, par le baptême, ce
n’est pas la disposition charnelle des sorts qui sauve, mais l’interrogation
d’une bonne conscience ou (comme ils le traduisent) un pacte avec Dieu.
Mais, dans ces passages ne sont nommés ni la promesse, ni le témoignage;
et ces citations n’ont rien à voir avec ce dont on parle, comme nous
le montrerons plus bas dans la solution des objections.
Le troisième argument. Si les sacrements n’étaient
que des témoignages de promesse et de grâce, ils seraient superflus ou
fort peu nécessaires. Car, nous avons d’autres témoignages beaucoup
plus efficaces. En effet, les bonnes œuvres sont des témoignages de la
justice obtenue, de loin meilleures que l’ablution par l’eau
ou la consommation de l’eucharistie. Car, beaucoup d’impies baptisent
avec une foi feinte, et communient, en devenant plus mauvais et plus
mal vus de Dieu. Comme dit saint Paul (11 Corinthiens 1) : « Notre gloire
est le témoignage de notre conscience. » Et Pierre 1 : « Veillez
à ce que, par vos bonnes œuvres, vous rendiez certaines votre vocation
et votre élection. » Saint Jean 111 : « Celui qui fait la justice
est juste, et celui qui est né de Dieu ne pêche pas. »
Le quatrième argument. Si les sacrements n’étaient que des témoignages
des promesses, institués pour raviver la foi, c’est pour rien que seraient
baptisés les enfants et les fous, qui non seulement ne croient pas
mais ne peuvent pas croire en ce qui se fait. Or, les luthériens
militent tous contre les anabaptistes pour le baptême des enfants.
Ces mêmes luthériens n’enseignent donc pas vraiment ce qu’est le
baptême.
Cet argument a forcé Luther (dans son livre contre Cochlaeus)
ainsi que les luthériens, à soutenir que les enfants croyaient en acte
quand ils étaient baptisés. Ce qui est tellement absurde que saint
Augustin (dans son épitre 57 à Dardanus) a écrit que ceux qui pensent
ainsi font injure aux sens humains. Car, nous voyons les enfants
pleurer au contact de l’eau, chercher où se réfugier, et s’y opposer
autant qu’ils le peuvent. Il est certain que s’ils étaient
en possession de leur raison quand ils agissent ainsi, non seulement ils
ne seraient pas purgés du péché originel, mais ils en ajouteraient un
autre de leur cru.
Le cinquième argument. Si les sacrements étaient des témoignages
d’une grâce qui est conférée en particulier à quelqu’un, ils seraient
souvent faux comme quand, par exemple, un sacrement est administré à
un homme qui fait semblant de croire, alors qu’il ne croit pas.
Il ne serait donc pas permis de le baptiser pour que nous ne forcions pas
Dieu à faire un faux témoignage. Car, nous ne savons pas si un
tel croit pour vrai ou feint de croire. Ils diront, peut-être, que
le sacrement est un témoignage de la grâce non absolument, mais si celui
qui reçoit le sacrement croit à la promesse.
Mais, je prouve, au contraire, que le témoignage est absolu,
et non conditionnel. D’abord, Luther (dans ses assertions,
article 1), dit que celui qui ne croit pas à la parole du ministre qui
dit : je te baptise ou je t’absous, fait de Dieu, de qui sont ces paroles,
un menteur. Je réponds ensuite si ces paroles étaient des paroles
conditionnelles, la foi justifiante des luthériens serait en ruine.
Car, ils veulent que l’homme, pour être juste, doive croire d’une
façon absolue, sans aucune hésitation Car l’homme ne doit
croire que si Dieu atteste. Et de plus, la foi doit être secrète.
Elle ne doit donc pas, pour que l’homme croie, dépendre d’une
condition. Car, selon Luther, personne n’est sur de croire véritablement.
Car, ce qu’il écrit dans son livre contre les rebaptisant (en l’en
1528) : « Le baptême n’est pas fondé sur la foi du baptisant, ni du
baptisé, parce que chacun des deux est incertain de sa foi. » Et
plus bas : « Il advient ce qui a coutume d’arriver au-sujet de la foi,
que celui qui croit est souvent convaincu de ne pas croire du tout, et
que celui qui pense ne pas croire croie plus que tous les autres. »
Troisièmement. Les adversaires parlent de cette chose de façon
à laisser croire que, dans les sacrements, le témoignage de Dieu doit
être le plus absolu de tous. Car, c’est ce qui dit Philippe (dans les
lieux, chapitre sur le baptême) : « Moi, ministre, je te baptise par
mandement divin, et à la place du Christ, c’est-à-dire que, par ce
signe, je témoigne que tes péchés sont effacés, et que tu es
réconcilié avec le vrai Dieu etc. » Où il ne fait mention d’aucune
condition. Et voilà pour la définition des luthériens.
CHAPITRE 15
On rapporte les définitions des Anabaptistes et des Zwingliens.
L’autre sentence sur la nature du sacrement est de ceux que Luther
et Calvin appellent souvent des fanatiques, qui enseignent que les sacrements
ne sont rien d’autre que des signes institués pour distinguer le peuple
chrétien des Juifs et des païens, comme la toge était autrefois un signe
par lequel on pouvait distinguer un Romain d’un Grec, et comme
aujourd’hui les différents costumes des ordres religieux. Luther
rend André Carolstad l’auteur de cette sentence (dans son sermon sur
les paroles de la cène : cela est mon corps). Cet André a été
un des premiers disciples de Luther et un très grand ami. C’est pour
cela que, dans son second écrit contre le roi d’Angleterre, il l’appelle
son Absalon, car, comme Judas envers le Christ, il lui a été infidèle
et rebelle.
Philippe Melanchton n’eut pas, au tout début, cette définition
en horreur, comme on le voit dans les lieux publiés en l’an 22.
Au chapitre des signes, il considère que cette sentence est probable,
et il dit à la fin : « Probable, et probable aussi à la volonté de
ceux qui ont comparé les sacrements à des symboles, des tessères
militaires, parce qu’ils ne sont que des notes par lesquelles nous sont
connues et nous appartiennent les promesses divines. » Même si,
après, il l’a combattue (dans l’apologie de la confession d’Augusta,
art, 13, et dans la dernière édition des lieux).
Il faut noter les deux premières sentences que Kemnitius énumère.
La première. Les sacrements sont des signes par lesquels on distingue
les chrétiens des non chrétiens. L’autre. Ils sont des
symboles associés à la religion chrétienne. Avec plus de
justesse, Philippe fait, de ces deux sentences, une seule sentence.
Car ces deux définitions du sacrement ne reconnaissent que deux sacrements,
le baptême et la cène. Et c’est du baptême qu’ils font un
symbole qui distingue les chrétiens des païens. De la cène, ils font
un symbole interne de la société chrétienne.
Cette sentence est en partie vraie, et en partie fausse. Car
même si les sacrements jouaient ce rôle, celui de distinguer la vraie
religion des fausses, ce n’est cependant pas là le seul ni le principal
usage de nos sacrements. Car, d’abord, dans la sainte Écriture,
nous ne lisons jamais que le baptême, l’eucharistie, ou les autres sacrements
aient été institués pour établir une distinction entre les chrétiens
et les païens. Mais nous lisons fréquemment qu’ils ont été
institués pour justifier les hommes : « Celui qui croira et sera baptisé,
sera sauvé. » Il ne dit pas : Il se sera distingué des autres,
mais il sera sauvé. Actes 11 : « Faites pénitence, et que chacun
de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, en rémission de vos péchés,
et pour que vous receviez le don du Saint-Esprit. » Ajoutons les
textes déjà cités qui enseignent la même chose, c’est-à-dire que
les sacrements ont été institués pour justifier.
Ensuite, il existe d’autres signes beaucoup plus aptes à distinguer
le peuple chrétien des autres, comme la profession de foi, qui ne convient
qu’aux seuls vrais catholiques, alors que le baptême est commun aux
hérétiques. Comme aussi la charité mutuelle, qui n’existe que
chez les seuls catholiques, alors que tous les sacrements sont communs
avec les schismatiques. Voilà pourquoi le Seigneur, en saint
Jean (X111) n’a pas dit : Tous connaitront que vous êtes mes disciples
par le fait que vous avez le baptême, ou l’eucharistie, mais par
votre charité mutuelle.
Troisièmement. Tous les sacrements tirent leur
force de la passion du Christ. En signe de quoi, du côté percé
de Jésus ont coulé de l’eau et du sang, comme l’enseignent les pères.
Saint Ambroise (livre 10, chapitre 105, Luc), saint Jean Chrysostome, saint
Cyrille, Theophyle (chapitre X1X sur Jean), saint Léon (épitre 4, chapitre
6), saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 10), saint Jérôme (épitre
83 à Océanus), et saint Augustin (traité 120 sur saint Jean. Et
au traité 15, il prouve la même chose avec les paroles de saint Paul
aux Éphésiens V : « Le Seigneur a aimé son église, et s’est livrée
pour elle, la purifiant par le lavage de l’eau dans la parole de vie.
» Et (au livre 15, chapitre 26 de la cité de Dieu), il prouve la
même chose par d’autres témoignages.
Pour sur, si les sacrements ne faisaient que distinguer comme le font
les toges romaines, la passion du Christ n’était pas nécessaire, puisque
suffisait le bon plaisir humain. De plus, cette sentence est éloignée
de mille lieux du sens et des paroles de tous les pères. Au nom desquels
un seul parlera, saint Augustin (question 84, dans le lévitique).
Écoutons-le : « Sans la sanctification de la grâce invisible, de quel
profit sont les sacrements visibles ? » Et ( dans le livre 19, chapitre
11 contre Faust), il dit : « La vertu des sacrements vaut considérablement,
d’une façon inénarrable. Et c’est pourquoi le mépris rend
quelqu’un sacrilège. C’est donc d’une façon impie qu’est méprisé
ce sans quoi la piété ne peut pas obtenir son perfectionnement. »
La troisième définition est celle des anabaptistes, qui enseignent
que les sacrements ne sont rien d’autre que des allégories, et comme
des signes de bonnes œuvres, de vie et de mœurs spirituels. Car,
ils veulent que les hommes soient baptisés pour signifier que les chrétiens
doivent supporter des adversités, et même la mort pour le Christ.
Rapportent cette erreur Philippe (dans ses lieux, ans 36 et 41, chapitre
sur les sacrements), Jean Brentius (homélie 23 sur le chapitre 3 de Luc),
et Kemnitius (page 96 de la deuxième partie de l’examen du concile de
trente).
Mais cette sentence peut être réfutée sans de grands efforts.
Car, même si les sacrements possèdent cette utilité de rappeler aux
hommes qu’il faut pratiquer les bonnes œuvres et les vertus, (car il
ne faut certes pas nier que l’aspersion ou l’immersion dans le baptême
nous fait souvenir de la mort au péché et la renaissance à une nouvelle
vie, dont nous parle saint Paul aux Romains V1, et que l’eucharistie
nous prêche la paix et l’amitié (1 Corinth 10) : « Nous qui participons
à un seul pain nous ne recevons qu’un seul corps. » Mais ce n’est
pas là le seul et même le principal usage du sacrement. Et ce n’est
pas non plus en cela que réside l’essence et la nature du sacrement.
Et on le prouve, cela, par les mêmes arguments que nous avons utilités
contre Carlostad. Le premier. L’Écriture dit que les sacrements
sont institués pour justifier, (1 Corinth V1) : « Vous avez été purifiés,
vous avez été sanctifiés. » Ephésiens V : « La purifiant par
le lavage de l’eau, dans la parole de vie. » En deuxième lieu,
si les sacrements ne devaient être que des allégories, il n’y avait
pas de raison qu’ils sortent du côté percé de Jésus. Car un bon plaisir
humain suffisait.
Troisièmement, parce que ne faisaient pas défaut d’autres
avertissements à bien vivre plus utiles et plus efficaces, comme les exhortations,
les exemples du Christ et des saints. Ajoutons, en quatrième lieu,
que si cette sentence était vraie, les sacrements ne seraient des signes
que des choses futures. Or, ils sont aussi des signes de choses
passées ou présentes. Car, l’eucharistie représente la mort
du Christ, (1 Cor 11), et le baptême l’ablution interne qui se
parfait alors, quand ils sont baptisés extérieurement. Selon les
Actes XX11 : « Sois baptisé, et que tes péchés soient effacés. »
La quatrième définition est de ceux qui veulent que les sacrements
soient des signes d’une grâce qui n’est pas accordée actuellement,
mais qui a été accordée avant. Cette opinion est rapportée sans
nom d’auteur, mais elle est réfutée par Zwingli (dans son livre sur
la religion vraie et fausse, au chapitre des sacrements), et par
Kemnitius (page 96 de son examen du concile de Trente). Et il facile
de la réfuter, parce que l’Écriture enseigne clairement que c’est
dans la vie présente que les sacrements ont leur effet. Actes XX11
: « Efface tes péchés ! »
La cinquième définition est de Zwingli et de ses sectateurs, à l’exception
de Pierre martyr, comme nous l’avons déjà dit. Au chapitre des
sacrements, dans son livre de la vraie et de la fausse religion, après
avoir réfuté la sentence des catholiques et celle des luthériens, il
découvre sa pensée, et enseigne que les sacrements ne sont rien d’autre
qu’une initiation quelconque et qu’un garant par lequel les hommes
s’obligent envers le Christ, et qui donnent le nom de sa milice.
Il déduit de cela que les sacrements ne sont pas proprement
des témoignages de justice pour celui qui le reçoit, comme les
luthériens le disaient. Mais ils sont des témoignages publics devant
toute l’église, de l’obligation et de la fidélité qu’il doit au
Christ, auquel il s’est consacré.
Martin Bucer suit la même sentence (dans son commentaire du
chapitre 111 de Matthieu), et dans la préface de la seconde édition de
ces mêmes commentaires, où il ajoute : « Si ceux qui sont baptisés
sont prédestinés, alors le sacrement n’est pas seulement un signe
qu’ils donnent au nom du Christ, et qu’ils reçoivent dans l’église
externe, mais il apporte aussi une certaine consolation. Mais, s’ils
ne sont pas prédestinés, alors le sacrement est un signe nu qu’ils
ne reçoivent que dans l’église externe, mais non de Dieu. »
Il déduit aussi de là qu’aux enfants non prédestinés le baptême
n’est d’aucun profit, car ces enfants périront de toute façon, même
s’ils sont baptisés.
Cette sentence est semblable aux précédentes. Car, elle présente
quelque chose de vrai, car on ne peut nier que nous sommes initiés par
les sacrements, que nous les donnons au nom du Christ, et que nous attestons
publiquement que nous sommes membres de l’Église. Mais, il erre
en ceci qu’il ne reconnait pas une fin plus sublime de l’institution
des sacrements. Et, on le prouve d’abord, par la sentence de Zwingli
selon laquelle le Christ n’opère rien, mais l’homme seul atteste qu’il
sera fidèle. Or, il est dit en Jean 1 : « C’est lui (le Christ)
qui baptise. » Et aux Éphésiens V : « La purifiant. » En second
lieu, parce que Zwingli requiert que, avant qu’ils reçoivent les sacrements,
les hommes soient justifiée et unis intérieurement au Christ, et que,
par les sacrements, ils témoignent et professent seulement extérieurement
qu’ils veulent militer pour le Christ, et être unis à l’église externe.
Or, les Écritures attestent que les sacrements ont été institués
pour sanctifier et purifier l’homme intérieurement. C’est ce
que veut dire l’apôtre quand il écrit aux Éphésiens : « La
purifiant par le lavement de l’eau dans la parole de vie. » Commentant
ce texte, saint Augustin dit : « D’où vient une vertu de l’eau si
grande qu’en touchant le corps elle purifie le cœur ? » Même
chose dans Jean 111, et Timothée 111. On dit là que le baptême
est un bain de régénération et de rénovation. Ces passages nous
enseignent explicitement que le baptême fait renaître l’homme,
qu’il appartient à l’homme interne, et qu’il n’est pas une simple
attestation externe de fidélité. À cette définition se rapportent
aussi les textes de l’Écriture déjà cités contre d’autres erreurs,
comme Actes 11 et XX11, 1 Cor V1.
Troisièmement. L’apôtre (Romains V1) dit clairement
que l’eucharistie a été institué en mémoire de la passion du Seigneur.
Les sacrements ne signifient donc pas seulement que l’homme est
initié par Dieu, ou uni à l’Église.
2018 10 13 fin
2018 10 21 debut
CHAPITRE 16
On réfute la définition de Calvin
La dernière définition ou sentence est celle de Jean Calvin qui (livre
4, chapitre 14, verset 1) dit que, dans les mots suivants, est contenue
une définition simple et idoine du sacrement : « Le sacrement est un
symbole externe par lequel le Seigneur contresigne, devant nos consciences,
les promesses de sa bienveillance envers nous, pour soutenir l’imbécilité
de notre foi; et par lequel nous témoignons en retour, notre piété
envers lui, devant lui, les anges et les hommes.» On doit
observer que Calvin semble avoir composé sa définition à partir de phrases
de Luther et de Zwingli. Car, en disant que le sacrement est un symbole
qui contresigne les promesses, pour soutenir l’imbécilité de la foi,
il a tiré cela de Luther. En ajoutant ensuite que, par ce symbole,
nous attestons auprès des hommes notre piété envers Dieu, il a tiré
cela de Zwingli. Et pourtant, dans la réalité, Calvin diffère
grandement de l’un et l’autre. Car, même si, avec Zwingli, il
admet que, par le sacrement, nous témoignons de notre piété devant les
hommes, il nie que ce soit le seul ou le principal rôle du sacrement.
Et (au chapitre 14, des versets 5 à 14), il se bat avec acharnement
pour soutenir la sentence de Luther, et réfute, sans les nommer,
toutes les objections que Zwingli et Bucer avaient faites contre Luther.
Par une raison semblable, bien que, avec Luther, il affirme que
les sacrements sont des témoignages de la grâce et de la rémission des
péchés, il entend la chose bien autrement que Luther. Car
Luther parle toujours de la grâce qui est donnée à l’homme au
moment où il reçoit le sacrement. Or, Calvin parle de la grâce
de la prédestination, et veut, en conséquence, que les sacrements soient
des témoins de la grâce de prédestination, pour nourrir la foi par laquelle
l’homme croit être prédestiné. Il s’ensuit donc, comme le
notait Bucer, que les sacrements ne sont pas de vrais signes, et qu’ils
ne nous profitent pour rien d’autre que pour la prédestination.
Le fondement de cette chose est que Calvin estime (livre 3, chapitre
2), qu’une fois obtenue, la vraie foi ne peut jamais être perdue.
Il s’ensuit donc que la vraie foi, sans laquelle les sacrements
ne sont d’aucun profit, est la foi propre des prédestinés, que
les non prédestinés ne peuvent jamais avoir. C’est pourquoi,
dans son antidote du concile (session 6, chapitre 5), il dit que le baptême
est donné aux enfants parce qu’ils sont déjà considérés comme des
membres de l’Église, puisque, par la grâce de la prédestination,
ils sont adoptés par Dieu comme fils. Et, plus clairement
encore, dans le livre sur le consensus des Tigurins et des Genevois en
matière sacramentaire, il écrit : « Avec zèle nous prêchons que Dieu
n’a pas promis que sa vertu s’exercerait sur tous ceux qui reçoivent
les sacrements, mais seulement sur les élus. Car, comme il n’illumine
vers la foi que ceux qu’il a prédestinés à la vie éternelle, de même,
il fait en sorte que, par la vertu de son Esprit, les élus seuls
perçoivent les mystères qui sont offerts par les sacrements. »
Après cette brève explication, réfutons cette définition.
Elle est entièrement vicieuse, comme on s’en rendra compte, si
on examine chacun des mots. Le premier mot est « symbole externe.
» Ce qui est vrai, en soi, mais pas au sens que lui donne Calvin.
Car, pour lui, le sacrement est un symbole nu, c’est-à-dire, qui ne
fait que signifier, mais qui n’opère rien. Car, dans toute la
définition, il ne donne pas d’autres effets au symbole en dehors de
contresigner les promesses de Dieu et de témoigner de notre piété.
Il importe peu que, dans l’antidote du concile de Trente (session
7, canon 5), il dise que les sacrements sont des instruments de justification,
car il les voit comme des instruments parce qu’ils ravivent et nourrissent
la foi. Donc, non par une efficience quelconque, mais objectivement seulement.
C’est ce qu’explique clairement Théodore de Bèze (dans
son livre sur la somme des sacrements, question 11) : « D’où vient
l’efficacité des sacrements ? De l’opération du Saint-Esprit, non
des signes, si ce n’est que, par ces objets externes, nos sens internes
sont mus. De par ce raisonnement, les signes qui sont accrochés
aux portes des auberges peuvent être appelés des instruments de repas,
parce qu’ils incitent l’homme à penser que, dans cette maison, est
préparé un repas.
Mais les Écritures enseignent souvent que les sacrements
opèrent certaines choses, qu’ils purifient, qu’ils lavent, qu’ils
sanctifient, qu’ils justifient, qu’ils régénèrent. (Jean 111, 1,
Corinth V1, Ephésiens V, Tit 111, Actes XX11). Bien plus,
les saintes Écritures ne disent jamais que les sacrements sont des témoignages
des promesses de Dieu, et de notre piété. Ou si parfois elles le
laissent entendre, elles ne le disent jamais aussi clairement et
aussi fréquemment que quand elles enseignent que les sacrements sont des
causes de justification.
Autre mot : « de sa bienveillance envers nous ».
Pour deux raisons, ce mot ne cadre pas dans une définition du sacrement.
La première. Car, il suit de ce mot que le sacrement est toujours
le signe d’une chose déjà accomplie, ou plutôt éternelle.
Car, lui-même ne peut pas nier que, par bienveillance, il entende la grâce
de la prédestination. Et, de plus, il le concède cela dans son
antidote au concile de Trente (session 6, chapitre 5) : « Ce n’est pas
du baptême que leur salut reçoit son commencement, mais, par le baptême,
sont contresignées les choses qui étaient déjà fondées dans
la parole. » Il concède donc, lui-même, que le baptême
est le sceau de la bienveillance passée et éternelle de Dieu.
Cela ne contredit pas ce qu’il avait dit dans l’antidote, (session
7, canons 4 et 5), à savoir, les sacrements sont des instruments
de la justification. Car il veut que les sacrements, en tant qu’ils
soutiennent et nourrissent la foi, confirment ou accroissent la justification
(car, pour eux, c’est la foi qui justifie).
Cependant, il ne veut pas que le sacrement soit un sceau de la justification
qui s’opère par la foi, mais de la grâce de la prédestination.
Il ne veut pas, non plus, que le sacrement apporte la première justification,
mais seulement une confirmation et une augmentation, comme il l’enseigne
encore plus clairement dans son petit catéchisme. Car, la première
justification vient de la foi conçue lors d’un prêche précédent.
Or, tout cela répugne totalement aux saintes Écritures, qui
attribuent aux sacrements le pouvoir de conférer la première justification.
Car qu’est-ce d’autre régénérer (ce qui est accordé par le baptême,
selon Jean 111, et Tite 111) si ce n’est faire, d’un homme mort
dans ses péchés, un homme vivant de la vie de la grâce ? Mais,
cela plus loin, en son lieu. Il ne place donc pas correctement,
dans la définition du sacrement, cette promesse de la grâce de la prédestination,
parce qu’il arriverait souvent que Dieu ferait un faux témoignage, puisque
personne ne pourrait baptiser sans faire de péché. Car (comme Calvin
le dit dans l’antidote, session 6, chapitre 5), il profane le baptême
celui qui le confère à celui à qui n’appartient pas la promesse.
Car, il force Dieu à faire un faux témoignage, bien plus, à élire celui
qu’il n’a pas élu. Or, personne ne peut savoir si quelqu’un
est prédestiné ou pas. En conséquence, personne ne devrait
baptiser personne puisque, en baptisant, on s’expose au péril de profaner
le baptême.
À cette objection, Bucer répondrait que les ministres n’ont l’intention
de baptiser que les prédestinés, car c’est ce qu’il dit dans la préface
de ses commentaires sur Matthieu. Mais cette réponse est insuffisante.
Car, tout d’abord, cela excuserait peut-être le ministre mais non Dieu,
à moins que Dieu ne baptise, lui aussi, sans intention de baptiser, ce
qui est ridicule. Ensuite, de par la sentence des luthériens et
des calvinistes, les sacrements ne dépendent pas de l’intention du ministre.
Car, (dans le livre sur la captivité de Babylone, à baptême), Luther
a écrit : « Le baptême est vrai et ratifié même si le ministre entend
ne pas baptiser, mais s’amuser. » Et Calvin n’est pas d’une
autre idée dans son antidote (session 7, canon 2).
Calvin répond autrement (livre 4, chapitre 15, versets 16, et 17.)
Il dit que Dieu, pour sa part, a vraiment présenté la promesse et le
sceau de la promesse à tous ceux qui sont baptisés, qu’ils le reçoivent
ou pas. Dieu est donc toujours véridique. Il ne dirait pas
non plus que les ministres pèchent s’ils confèrent le baptême à ceux
qui professent croire, s’ils sont adultes, ou à ceux qui sont les fils
de parents fidèles, s’ils sont encore enfants. Car, il croit
que les enfants des fidèles naissent saints, à cause de la promesse de
Dieu dans Genèse (XV11) : « Voici ton Dieu, et celui de ta descendance.
» Et la raison pour laquelle ne pèchent pas les ministres, c’est
parce qu’ils ont une raison probable qui leur fait penser que ceux
qu’il baptisent sont prédestinés et saints.
Mais cette réponse ne satisfait pas pleinement. Car, d’abord,
si l’on confère le baptême à quelqu’un tout en sachant qu’il ne
possède pas les promesses divines, on profane le baptême, comme
Calvin lui-même le dit, parce qu’on fait un faux témoignage.
Donc, pourquoi Dieu ne profanerait-il pas le baptême, et ne ferait-il
pas un faux témoignage, quand il le donne à quelqu’un qu’il
ne sait ne pas être un prédestiné ? Car, Dieu et le ministre n’agissent
pas différemment, mais ils ont une action commune. Comme le dit saint
Jean 1 : « C’est lui qui baptise dans l’Esprit saint. »
De plus, le sacrement ne fait pas qu’offrir, mais il présente aussi
un témoignage de bienveillance. Car, c’est ce que Calvin dit dans
le petit catéchisme : « Le sacrement est un témoignage de la bienveillance
divine envers nous. » Dieu présente donc le sceau de sa bienveillance
à celui qui est baptisé, même s’il ne croit pas. Car, sans la
loi on ne reçoit pas le fruit et la chose du sacrement, mais on reçoit
cependant un vrai sacrement, comme Calvin l’enseigne (livre 4, chapitre
16, verset 16). Contre les anabaptistes, il reconnait là qu’un
vrai sacrement est donné et reçu par les catholiques, où il pense qu’aucune
véritable foi ne se trouve. Si donc Dieu présente vraiment un sceau
et un témoignage de bienveillance à celui qu’il n’aime pas,
comment ne ment-il pas et ne profane-t-il pas le sacrement ?
De plus, on peut prouver que le ministère pèche. Car, même
s’il a une raison probable de croire que celui qui professe la
foi est un prédestiné, il n’en a quand même pas la certitude.
Il peut arriver qu’il mente en disant qu’il croit. Il peut aussi
arriver (comme Calvin le reconnait (livre, 3, chapitre 2, verset 10), qu’il
pense croire alors qu’il ne croit pas vraiment. Or, pour attester
quelque chose au nom de Dieu, est requise une vraie certitude, et
ne suffit pas une opinion probable. Comme on peut le voir dans un
cas semblable, celui du serment. Car il n’est pas permis
de jurer, c’est-à-dire de se servir du témoignage de Dieu dans une
chose que nous pensons être vraie, mais seulement dans une chose
dont nous sommes certains qu’elle soit vraie.
C’est une certitude encore plus grande que dans le serment,
qui devrait être requis dans un sacrement, selon nos adversaires,
car le sacrement est comme un serment de Dieu. Le serment de Dieu
diffère du nôtre en ceci que quand c’est un homme qui jure, c’est
lui qui affirme quelque chose, même s’il prend Dieu en témoin. Voilà
pourquoi notre serment peut être faux, sans injustice de la part de Dieu.
Comme si quelqu’un jure qu’il pense savoir quelque chose, et que, en
fait, il se trompe. Alors, Dieu ne donne pas de témoignage, et ne
pèche pas non plus celui qui a cité Dieu comme un témoin de fausseté,
parce qu’il croyait sincèrement que c’était vrai. Comme s’il
voit quelqu’un tué par un autre, qui était tout à fait semblable à
un autre qu’il n’avait jamais vu. Or, selon nos adversaires,
dans les sacrements, Dieu affirme et jure que celui qui reçoit le
sacrement est juste et élu. Or, Dieu ne peut être trompé par aucune
erreur. Il pèche donc gravement celui qui confère un sacrement
à quelqu’un sans savoir avec certitude s’il est juste ou élu, parce
qu’il force Dieu à mentir.
De plus, même si le ministre savait avec certitude que celui qui professe
la foi est le fils d’un homme fidèle, est donc juste et élu, que ferait-il
si on l’obligeait à baptiser un enfant fils d’un Turc
ou d’un Juif, et si ses parents, bien qu’infidèles, se résignaient
à être baptisés et à demeurer avec des chrétiens ? Car, s’il
le baptise il profane le baptême, puisqu’il n‘y a aucun signe qui
lui permette de penser qu’il est prédestiné. Et, s’il ne le
baptise pas, il va contre l’usage de toute l’Église. Mais quelqu’un
peut-être objectera-t-il en faveur de Calvin, que les catholiques
se retrouvent dans les mêmes erreurs, quand ils administrent les sacrements
à ceux dont ils ne sont pas surs s’ils sont vraiment disposés, et affirment
quand même que ce sont des signes de la grâce divinement institués.
Je réponds que les catholiques n’ont pas ce genre d’angoisses à se
faire. Car, ils disent que les sacrements sont des causes efficaces
de la grâce, à moins qu’on y mette un obstacle. Et qu’ils signifient
en même temps une infusion de la grâce, en ce qui a trait au sacrement
lui-même. Ensuite, que ces sacrements sont des signes de l’effet que
fait la grâce partout où elle est absente. Car, comme l’eau du
baptême lave le corps, de la même façon la grâce du Sauveur lave
l’âme. Ce qui est perpétuel et infaillible, et qui ne dépend
pas de la disposition. Car, la disposition aide pour que qu’un
obtienne la grâce, une grâce qui, partout où elle est, nettoie
les saletés de l’âme, si elle en trouve. Elle lui est intrinsèque
et inséparable.
Le troisième mot dans la définition de Calvin est « promesses ».
De la promesse de la rémission des péchés, nous avons déjà disserté
dans la réfutation de la définition des luthériens. Mais Calvin
parle de la promesse de la bienveillance de la prédestination, qui est
de loin plus facile à réfuter, car il n’existe aucune promesse de ce
genre dans toute l’Écriture. Toutes les promesses incluent une
certaine condition, comme la foi, la pénitence, et d’autres semblables,
et dans toutes, la condition de la persévérance. Car « celui qui persévèrera
jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. (Matth XX1V). » Or personne,
sans une révélation particulière spéciale, peut se promettre
qu’il persévèrera.
On peut aussi réfuter les témoignages qu’il apporte. Le premier.
(Je serai ton Dieu, à toi et à ta descendance après toi.) Mais,
cela requiert aussi une condition de foi, et de persévérance.
Car, comme l’explique saint Paul (Romains 1V et 1X) : la semence d’Abraham
ne sont pas les fils de la chair, mais de la foi. C’est-à-dire
que ceux qui imitent Abraham dans sa foi, ce sont ceux-là qui sont sa
semence, avec laquelle a été contracté le pace de Dieu, pour que
celui qui commence à être la semence d’Abraham commence à croire,
et cesse de l’être quand il cesse de croire. Qui pourra
jamais persuader quiconque qu’il ne pourra jamais cesser de croire ?
Surtout que la foi et la persévérance dans la foi sont des dons de Dieu.
Le quatrième mot est « nos consciences ». À ces paroles on
pourrait joindre ces autres paroles « pour soutenir l’imbécilité
de notre foi. » On n’a pas de bonne raison à donner pour
employer ces mots dans la définition d’un sacrement. Témoin le baptême
des enfants qui est un vrai baptême, même pour Calvin. Et pourtant,
dans les enfants, il n’y a pas de conscience, pas de foi actuelle, à
la fortification de laquelle le sacrement est nécessaire. Et si
la promesse est comme un diplôme, et le sacrement comme un sceau,
la conscience sera comme une charte ou une cire. Comment donc
un diplôme pourrait-il être écrit ou contresigné là où il n‘y a
pas de papier ? Que les enfants croient en acte pendant qu’ils
sont baptisés, cela a été déjà réfuté, et Calvin lui-même n’ose
pas le soutenir, même s’il n’a pas voulu le rejeter (livre 4, chapitre
16, verset 19).
Calvin répondra donc que le baptême des enfants opère dans la conscience
des enfants, dès leur premier usage de la raison, même si avant, elle
était incapable de poser un acte. Car, ils se souviennent après
coup d’avoir reçu le baptême, et, par ce signe, ils nourrissent et
sustentent leur foi. (livre 4, chapitre 16, versets 20 et 21. ) Il
dit la même chose de ceux qui ont été baptisés chez les catholiques,
et qui deviennent ensuite calvinistes, (livre 4, chapitre 15, verset
17).
À tout le moins, nous avons de bonnes raisons pour prouver que
les calvinistes n’agissent pas correctement quand ils baptisent les enfants.
Car, il serait de loin plus utile de les baptiser à l’âge adulte, quand
ils sont capables de foi. Car, nous n’avons aucun souvenir du baptême
que nous avons reçu dans l’enfance, sauf par le récit d’autrui.
Nous n’avons donc, en fait de certitude, qu’un témoignage humain,
qui est faillible. Et même si nous en étions absolument certains,
les choses que l’on voit nous impressionnent plus que les choses que
l’on entend. Pour nourrir la foi, il serait donc préférable de
baptiser des adultes plutôt que des enfants. Or nourrir la foi est,
pour lui, la fin première du baptême, comme il appert de
la définition donnée. Ils font donc mal en baptisant les enfants.
Ils ne peuvent pas répondre qu’on baptise les enfants pour qu’ils
ne périssent pas avant de devenir des adolescents, et décèdent ainsi
sans la grâce de Dieu. Car, dans son antidote (session 6, chapitre
5, et ailleurs), il enseigne que les enfants prédestinés sont sauvés
sans baptême, et que les réprouvés périraient même avec le baptême.
La seule chose, donc, qu’il peut dire c’est que les enfants sont baptisés
pour être admis dans l’église externe, ou pour qu’on puisse
dire qu’ils sont des membres de l’Église. Mais cette réponse
ne règle rien. Car, selon Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 15),
la fin principale des sacrements est de contresigner les promesses pour
nourrir la foi. Professer qu’on est membres de l’église est
une fin moins importante. Selon Calvin, les enfants ne doivent donc
pas être baptisés. Si donc, ils font un baptême pour une fin moins importante,
ils portent atteinte à la fin principale.
Le cinquième mot est « contresign », dont nous avons abondamment
parlé dans la réfutation de la sentence de Luther. Et des autres
mots, nous avons parlé dans la réfutation de la sentence de Zwingli.
Il ne reste donc qu’à réfuter leurs arguments.
CHAPITRE 17
Voici quels sont les arguments dont se servent autant les calvinistes
que les luthériens pour prouver que les sacrements sont les sceaux des
promesses. Le premier est présenté par Calvin (livre 4, chapitre
14, verset 5). Il commente les paroles de saint Paul aux Romains (1V),
où il appelle la circoncision sphragida, c’est-à-dire le sceau de ce
pacte, par la foi duquel Abraham avait été auparavant justifié.
Je réponds d’abord que ce qui est dit de la seule circoncision
ne peut pas être correctement appliqué à tous les sacrements. Car, est
valable un argument qui va du genre à l’espèce et non de l’espèce
au genre.
Je réponds en deuxième lieu que, quand il parle du sceau de
la circoncision, l’apôtre ne fait aucune mention d’une promesse
ou d’un pacte. La circoncision est appelée le sceau de la
justice de la foi , non le sceau de la promesse ou d’un pacte.
On l’appelle le sceau de la justice de la foi parce que (comme l’explique
Origène dans son commentaire de ce texte), elle contresignait et fermait
la justice de la foi qui devait atteindre sa perfection en son temps.
C’est-à-dire que, sous la figure et le type de cette circoncision charnelle,
est signifiée et voilée la circoncision du cœur, qui est la vraie justification
que le Christ allait apportée. Ou, (comme le disent saint Jean Chrysostome
et Theophylacte, et d’autres), on appelle la circoncision le sceau de
la justice de la foi. parce qu’elle fut donnée à Abraham en signe et
en témoignage de la justice qu’il avait acquise par la foi.
Je réponds en troisième lieu, que ce privilège appartint au
seul Abraham et n’était pas transmissible à d’autres, comme si la
circoncision (comme le veulent les hérétiques) témoignerait de la justice
de n’importe lequel individu dans lequel elle serait. Car ce fut
le privilège du seul Abraham d’avoir été le père de tous les fidèles,
des incirconcis comme des circoncis. Et aussi parce qu’il était
le père des incirconcis puisqu’il crut quand il était encore incirconcis
(Genèse X11), comme le dit aussi saint Paul en commentant ce passage
de la Genèse : « Il fut le premier de tous à recevoir le signe de la
circoncision pour que, de cette façon, il soit aussi le père de
tous les circoncis. » Ce privilège il l’avait donc reçu
pour prix de la justice qu’il avait acquise par la foi. Voilà
pourquoi le signe de la circoncision fut pour lui le signe de la justice
de la foi. En conséquence, pour les autres Juifs, la circoncision
est aussi un signe, le signe qu’ils sont fils d’Abraham. Mais elle
n’est pas, pour eux, le signe de la justice de la foi, parce que tous
les Juifs ne sont pas des pères de nombreuses nations.
Que cela soit vrai, saint Paul lui-même nous le montre en unissant
ces deux choses, quand il dit : « Il a reçu le signe de la circoncision,
comme un sceau de la justice de la foi, pour qu’il soit le père
de tous les croyants. » Tous les circoncis n’ont donc pas le sceau
de la justice de Dieu, car ils ne sont pas tous les pères de tous les
fidèles. Une autre raison. Saint Paul fait une distinction
entre un signe et un sceau. Le mot grec employé est sèmeion,
qui signifie un signe en général. Le mot grec employé pour sceau
est sphragis, qui signifie proprement un sceau.
Pourquoi fait-il une distinction entre ces deux mots, si ce n’est
pour indiquer que la circoncision est pour tous un certain signe,
mais qu’elle n’est un sceau que pour le seul Abraham, et non pour tous.
Troisièmement. L’Écriture parle souvent de la circoncision,
mais ne l’appelle jamais un sceau, en dehors de ce passage. Il
est certain que quand saint Paul (chapitre 111 aux Romains), demandait
: « Quelle est l’utilité de la circoncision ? », et qu’il
répondait : « Grande de toutes manières », il aurait du, selon nos
adversaires, indiquer son utilité principale, celle d’être le sceau
de la divine promesse. Mais il n’a même pas prononcé ce
mot.
Le second argument de Calvin (au même endroit, verset 6) où il commente
Genèse 1X, où il est dit que l’arc-en-ciel est appelé
le signe de l’alliance entre Dieu et Noé; et le chapitre XV11
où il est dit que la circoncision est un signe de la foi entre Dieu, Abraham
et ses descendants. Car, si l’arc-en-ciel et la circoncision furent
des sceaux confirmant un pacte et une promesse de Dieu, pourquoi ne pourrait-on
pas dire la même chose du baptême et de l’eucharistie ?
Et il confirme en disant que, parmi les hommes, il est aussi d’usage
de sanctionner des pactes par un signe externe, comme l’obligation encourue
de sacrifier une truie, ou comme une poignée de mains. Lesquels
signes ne seraient rien si ne précédaient pas les paroles d’un pacte.
Je réponds que l’arc-en-ciel et la circoncision étaient des signes
d’une alliance ou d’un pacte, mais pour aider la mémoire, non
pour confirmer la foi. Comme nous avons dit plus haut que le
baptême et l’eucharistie sont des signes commémoratifs de la
passion et de la mort du Christ. Il y a une grande différence entre un
signe commémoratif et un signe confirmatif. Car, un signe commémoratif
peut-être ce que voit les yeux, même si toute son efficacité dépend
de la promesse. Il ne peut pas y avoir de signe confirmatif
si toute l’efficacité dépend de la seule promesse. Que
l’arc-en-ciel et la circoncision aient été des signes commémoratifs,
la chose est évidente. Car, ils dépendaient à ce point de la parole
de Dieu que si quelqu’un n’avait pas cru à la parole de Dieu,
il n’aurait pas cru non plus dans ces signes. Et s’il avait cru dans
la parole, il n’aurait pas eu besoin de ces signes.
Ajoutons que quand saint Jean Chrysostome a commenté ces textes, il
a parlé ainsi de la circoncision (dans son homélie 30 sur la Genèse)
: « Accordons que le signe de la circoncision était en eux comme un mémorial
perpétuel. » Et plus bas que la signe de la circoncision n’a pas été
donné par Dieu pour que les hommes croient en lui, mais qu’il a été
demandé à Dieu par les hommes, parce que Dieu ne croyait pas aux hommes
: « Quand nous n’avons pas confiance en quelqu’un, nous prenons
soin de recevoir d’eux un signe qui tient lieu de gage. De la même
façon, connaissant l’inconstance des esprits, le Dieu de tous a voulu
leur demander un signe. »
Au sujet du signe de l’arc-en-ciel, il dit, dans son homélie
28 sur la Genèse : « Que dis-tu, ô bienheureux prophète, je me
souviendrai, dit-il, de mon testament, c’est-à-dire de mon pacte,
de ma promesse, de mon engagement. Non parce qu’il avait besoin
de rappel, mais pour que, regardant ce signe, nous ne soupçonnions
rien de pénible, mais pour que nous nous souvenions tout-de-suite
de la divine promesse, que nous en soyons fortifiés et confirmés.
En ce qui a trait à une confirmation par une coutume humaine, je réponds
qu’il y a une grande différence entre un pacte de Dieu et un pacte
des hommes. Car, parce que nous ne voyons pas l’âme d’un homme,
que nous crayons qu’il nous trompe ou qu’il oublie le pacte, nous requérons
un signe externe, pour pouvoir, par lui, le convaincre s’il nie
ou oublie son engagement. Or, nous sommes certains que Dieu ne peut
ni oublier ni se tromper.
Le troisième argument, Luther l’exprime dans sa captivité de Babylone
en parlant des signes admirables par lesquels Dieu a coutume de confirmer
ses promesses, comme la manne, la toison de Gédéon (Juges V1), et l’hombre
du cadran solaire qui reculait.(Ézéchiel, 3, Rois XX). Mais ces
choses et d’autres semblables ne portent pas vraiment sur le point
en litige. Car, puisque les miracles ne dépendant pas de la
parole, mais, étant des œuvres surnaturelles, ont leur
force par eux-mêmes, on a raison de s’en servir pour prouver que c’est
Dieu qui promet ou qui a vraiment promis quelque chose.
Mais, sans la parole, les sacrements n’ont aucune force, comme
nous l’avons déjà dit. Et c’est ce qui nous fait comprendre pourquoi
saint Jean Chrysostome a pensé que l’arc-en-ciel n’était
pas tant un signe commémoratif qu’un signe confirmatif. Il estimait,
en effet, que cet arc-en-ciel avait été institué par un nouveau
miracle, car voici ce qu’il dit : « Même si un déluge s’annonçait,
il ne faudrait pas avoir peur, mais avoir confiance en regardant
ce miracle. » Mais, comme il est plus probable que l’arc-en-ciel
ait été une chose naturelle, il nous faut dire qu’il ne fut qu’un
signe commémoratif.
Le quatrième argument, les luthériens le tirent des paroles de la
première épitre de saint Pierre (chapitre 111). Car, dans son commentaire
de ce passage, Luther veut que signifie pacte le mot grec éperotèma
qui a été traduit par interrogation. Il l’explique ainsi : «
Le baptême nous sauve, non en tant qu’il lave le corps, mais en
tant qu’il contresigne le pacte que l’âme a avec Dieu, quand elle
reçoit sa promesse dans la foi. » Il suit de là que le baptême
est le sceau de la promesse. C’est à peu près de la même manière
que l’explique Calvin, même s’il ne voit pas dans le mot grec un pacte,
mais une réponse et un témoignage.
Je réponds que ce passage comporte quelque obscurité, mais qu’il
n’aide en rien la cause des adversaires. Dans son commentaire
de ce texte, Oecumenius semble voir dans le mot interrogation un
gage ou des arrhes. Car, il dit que le baptême est comme un gage
de bonne conscience, c’est-à-dire que ceux qui, sous l’inspiration
de Dieu, ont conçu un bon désir, suivent une voie immaculée, la recherchent
partout et s’enquièrent d’elle. Voilà pourquoi, quand ils ont
entendu dire que, par le baptême, l’âme était purifiée, ils
accoururent vite au baptême pour être purgés de leurs saletés.
Et c’est pour cette raison que le baptême est appelé le gage d’une
bonne conscience.
Cette explication n’est pas favorable aux hérétiques, mais elle
ne semble pas être conforme à la pensée du saint. Car, saint Pierre
attribue beaucoup plus de choses au baptême que le seul fait d’être
le gage d’une bonne conscience, puisque qu’il dit que nous sommes sauvés
par le baptême. Il y a une autre explication, celle de Lyre, Gagné,
et Jean de Louvain, qui, par interrogation d’une bonne conscience,
entendent les interrogations et les réponses qui se font avant le
baptême. Car, le prêtre interroge ainsi le catéchumène :
« Crois-tu en Dieu ? Et il répond : J’y crois. Renonces-tu
à Satan et à ses pompes ? --J’y renonce ». Le baptême
est profitable à ceux qui répondent à ces questions avec une bonne conscience.
Aux autres, il n’est d’aucun profit.
Cette explication ne favorise pas non plus les hérétiques, mais ne
semble pas être littérale. Elle ne vient pas de saint Ambroise,
de saint Basile, de saint Augustin, comme le pensait Jean de Louvain.
Car, Pierre fait une antithèse quand il dit : « non la déposition des
saletés de la chair, mais l’interrogation d’une bonne conscience.
» Et, sans doute, l’antithèse formelle sera la suivante
: non la purification des saletés de la chair, mais la purification
des saletés de l’esprit. Par laquelle antithèse, il distingue
notre baptême du baptême des Juifs, qui n’était qu’extérieur.
Or, la partie de cette antithèse (la purification des saletés de
l’esprit) n’est pas formulée par saint Paul en mots propres, mais
figurés, comme tous l’admettent. Il faut donc qu’elle soit
décrite par la cause ou par l’effet. Si c’est par l’effet,
leur explication n’a pas de raison d’être. Car, l’interrogation
et la réponse dont ils parlent , ou même la foi et la charité,
qu’on détecte par ces interrogations, précèdent le baptême.
Ils ne sont donc pas des effets de cette purification.
Il est donc nécessaire qu’ils disent que cette purification est
décrite par la cause, et que, par conséquent, l’interrogation
qui précède le baptême est la cause de cette purification. Or
cela, on ne peut pas le dire. Car, alors le sacrement aurait
une efficacité qui vient de l’opération de l’opérant, et non
de l’œuvre opérée. Car, on attribuerait la justification
à la foi précédente, et à l’amour de celui qui reçoit le baptême,
et non à la l’ablution du sacrement. Et il n’y aurait aucune
différence entre notre baptême et celui des Juifs. Car même si
le baptême juif ne justifiait pas par l’œuvre opérée, il pouvait
justifier par la foi et l’amour de celui qui le recevait, comme n’importe
laquelle œuvre méritoire.
Ils diront peut-être que l’interrogation ou la foi précédente
n’est pas une cause efficiente de la purification interne, mais qu’elle
en est une disposition. On a raison de le dire, mais cela ne
cadre pas avec les paroles de l’apôtre. Car, il attribue,
lui, une plus grande efficacité à l’interrogation de la bonne
conscience, qu’à l’ablution externe, qui est cependant un instrument
de la justification.
Il existe donc une autre explication que je pense être de saint Augustin
(traité 80 sur saint Jean, et dans son sermon 30 sur des paroles du Seigneur),
de saint Basile le grand (livre sur le Saint-Esprit, chapitre 15).
Selon eux, est exprimée la purification de l’esprit, qui,
par antithèse, s’oppose à l’ablution de la chair, non par la cause,
comme le voulait la précédente opinion, mais par l’effet.
Il existe en effet, une figure de style très connue qui a pour nom métonymie,
selon laquelle par effet on entend la cause. Pierre appelle donc
l’ablution interne interrogation, ou réponse d’une bonne conscience
envers Dieu, car c’est de cette purification que nait la paix,
et le repos de la conscience. Et aussi l’interrogation devant
Dieu, parce qu’il ose accéder à Dieu avec confiance, et interroger,
c’est-à-dire parler avec lui, et le prier pour lui et pour les autres.
Ajoutons , en second lieu, que ce texte ne favorise pas nos adversaires,
mais plutôt nous, même si, par éperotèma on entend témoignage ou pacte.
Car, tout d’abord, saint Pierre ne parle pas d’un témoignage
ou d’un pacte de Dieu, mais de notre conscience. Ils devraient
prouver, eux, que le sacrement est le sceau d’un témoignage ou
d’un pacte de Dieu. Or, il y a une grande différence entre le
témoignage et le pacte qu’ils veulent être contresignés par le sacrement,
et le témoignage ou le pacte de notre conscience. Car cela c’est
le verbe de Dieu écrit qui précède l’usage et le fruit du sacrement,
c’est-à-dire la justification. Le témoignage de la conscience suit
la justification, et donc l’usage et le fruit du sacrement.
En second lieu, saint Pierre ne dit pas que par le baptême est contresigné
le pacte ou le témoignage, mais il dit que les âmes sont sauvées, et
que s’accomplit la justification, d’où nait le témoignage de la conscience.
Il le prouve cela par les mots : semblable par la forme. Car, l’apôtre
veut que nous soyons sauvés par les eaux du baptême de la même façon
qu’ont été sauvés des eaux du déluge ceux qui étaient dans l’arche
de Noé. Or, les eaux du déluge n’ont pas sauvé l’arche de
Noé en témoignant ou en contresignant promesses, mais en maintenant
l’arche sur les flots pour qu’elle ne périsse pas avec les autres
édifices de ce monde. De la même façon, le baptême nous sauve
non en contresignant et en témoignant, mais en justifiant réellement
l’âme. Vient donc ensuite, comme nous l’avons dit, un
témoignage, et une interrogation de la conscience bonne en Dieu.
Le cinquième argument, les adversaires pourraient le tirer chez les
saints pères qui appellent souvent le sacrement un cachet ou un sceau.
Réponse. Le sens que les pères donnent au mot sceau ou cachet est
très éloigné du sens que lui prêtent les hérétiques. Ils en
parlent, en effet, de trois façons. Ils appellent les sacrements
des sceaux parce qu’ils contresignent les fidèles, et sont comme des
notes qui les séparent de ceux qui ne sont pas du troupeau ou de l’armée
du Seigneur. C’est dans ce sens qu’entend ce mot saint Basile
(dans son exhortation au baptême), et saint Jérôme (Éphésiens, chapitre
1V), et saint Augustin (livre 19, chapitre 11, contre Faust, et ailleurs,
souvent). C’est ainsi qu’a employé le mot saint Grégoire
de Naziance (dans son sermon sur le baptême, pas loin du début).
Il dit, là, qu’on peut appeler le baptême un sceau, parce qu’il conserve
l’homme baptisé, comme les notes d’un roi conservent les choses
contresignées. Car, personne n’ose toucher aux choses qui portent
le sceau d’un grand roi.
Ils appellent, ensuite, les sacrements des sceaux parce qu’ils renferment
en elle une chose sacrée, c’est-à-dire la grâce invisible.
Car, ce qui est renfermé a coutume d’être contresigné, selon l’Apocalypse
V : « Un livre scellé de sept sceaux. » C’est aussi dans ce
sens que saint Augustin appelle les sacrements des cachets sacrés
(dans le livre sur l’évangélisation des illettrés, chapitre 26,),
et les scolastiques le sceau de la confession. C’est à peu près
dans ce sens aussi que saint Grégoire de Naziance (vers la fin de son
sermon sur le baptême) appelle le baptême un sceau, du fait qu’il contresigne
et clôt beaucoup de mystères qui ne sont expliqués qu’aux fidèles
: « Tu apprendras en outre, à l’intérieur, les choses
qui, pour toi aussi seront occultes et fermées, qui ont été contresignées
et retenues par le baptême. »
Troisièmement, ils appellent le baptême un sceau, ou un contresigne
de la foi, parce que le baptême est une approbation publique et une attestation
de la foi de celui qui est baptisé. Car, c’est ainsi que se sert
de ce mot Tertullien dans son livre sur la pénitence, où il dit qu’on
éprouve longtemps les catéchumènes pour savoir s’ils croient vraiment.
Et que quand on s’est rendu compte qu’ils croient vraiment et fermement,
le baptême leur est donné comme un contresigne et une approbation
de leur foi. C’est de la même façon que parle saint Basile
dans livre 3 contre Eunome, où il dit qu’il faut d’abord croire,
et recevoir ensuite le sceau de la foi : le baptême. Dans son livre
sur le Saint-Esprit (chapitre 12), il appelle le baptême le sceau
de la foi, parce que c’est par ce signe que celui qui est baptisé atteste
qu’il croit.
On peut aussi appeler le baptême sceau de la foi parce qu’il parfait
et absout d’une certaine manière l’homme fidèle. Comme
les anciens appelaient la mort ou l’assassinat pour le Christ le sceau
du martyre, comme Eusèbe le rapporte (livre 5, chapitre 3). Car
la confession des martyrs et les supplices endurés pour le Christ ne méritent
pas une louange parfaite tant que dure le péril de l’inconstance ou
du changement. Mais c’est quand ils sont consommés par une mort
précieuse qu’ils sont parfaits, et qu’on peut les considérer
comme munis d’un signe et contresignés par un signe.
Voilà qui devrait suffire pour la définition.
TROISIÈME CONTROVERSE
Les causes des sacrements
Nous disserterons d’abord sur les causes intrinsèques; ensuite,
sur les causes extrinsèques. Pour les causes intrinsèques,
il y a aura trois questions. La première : les sacrements consistent
dans des choses comme matière, et dans des paroles comme forme.
La deuxième : quelles sont ces choses et ces paroles ? La troisième.
Ces choses et ces paroles sont-elles déterminées au point qu’on
ne puisse rien y changer ?
Première question. Cette question est-elle disputée entre catholiques
pour fomenter la discorde, ou pour en arriver à une meilleure explication
ou compréhension des sacrements ? Cette question, qui
parait futile, est au contraire très utile et même nécessaire,
en raison des calomnies des adversaires, qui du fait que nous requérons,
en en faisant un dogme, des choses et des paroles dans les sacrements,
s’efforcent de montrer que, parmi ceux que nous considérons comme sacrements,
plusieurs ne le sont pas. Les sentences des docteurs sont variées.
La première vient d’auteurs récents qui veulent que, dans les sacrements,
la matière et la forme ne soient pas, au sens strict, des choses,
et des paroles, mais qu’une chose sensible soit la matière, que ce soit
une chose, une parole, ou l’une et l’autre, et que la signification
soit la forme. L’enseignement communément reçu selon lequel la
chose dans le sacrement est appelée matière, et la parole forme, ils
disent qu’il vaut pour le sacrement pris matériellement. C’est
ce qu’enseigne Dominique a Soto (1V, dist 1 quest 1, art 1 et 2).
Cajetan semble dire la même chose (3 par question LX, art 6), mais il
précise que la signification du sacrement est une et simple, et qu’elle
résulte du composé sensible des choses et des paroles. Ce que Sotus
ne dit pas.
L’autre sentence est de ceux qui enseignent que le sacrement lui-même,
et non seulement sa partie matérielle, consiste de choses, en tant
que matière, et de paroles, en tant que forme. Comme saint
Thomas (111 par quest LX, art, au second), et tous les anciens théologiens
unanimement. D’autres précisent que ce ne sont pas tous les sacrements
qui consistent dans des choses et des paroles, mais seulement quelques-uns.
Comme Durand (1V, dist 1m quest 3), et les théologiens (dist
1, 3).
D’autres veulent que tous les sacrements soient constitués de choses
et de paroles, si les choses et les paroles sont prises au sens large
pour des signes qui sont de vraies choses, ou qui en tiennent lieu.
Si on prend ces mots au sens strict, tous les sacrements ne sont pas constitués
de choses et de paroles. C’est ce qu’enseigne Dominique a Soto
(1V, dst 1, quest 1, art 6), et aussi quelques auteurs plus récents.
Mais on peut, en partie, concilier ces opinions divergentes.
Prenons d’abord la première opinion. Il est probable que les
sacrements de l’ancienne loi n’aient pas eu de chose et de paroles,
mais seulement des choses. C’est ce que pense saint Thomas ( 3
par quest LX, article 6, vers la fin). La raison en est que, dans
l’Écriture de l’ancien, où sont prescrits les principaux rites des
sacrements : Exode X11, est prescrit le rite de l’agneau
pascal , Lévitique V111, et est prescrit le rite de l’ordination.
De plus, la raison semble postuler que les nouveaux sacrements institués
par le Christ lui-même, soient des signes plus clairs (ou illustres)
que les anciens que Moïse a institués.
On peut objecter que dans le Lévitique 1V, où sont prescrits
des sacrifices pour le péché, (qui étaient aussi des sacrements de l’ancien
testament, et qui correspondaient à notre sacrement de pénitence,
comme l’enseigne saint Thomas, 1, 2, question C11, art 1.), où
il est prescrit aussi que le prêtre prie pour ceux dont c’est le sacrifice.
Mais, on répond que cette prière du prêtre ne faisait pas partie
de l’essence du sacrifice pour le péché, mais que, dans l’administration
du sacrement, on devait l’ajouter pour obtenir plus facilement ce que
nous demandons. Nous apprenons de tout cela que dans le sacrifice
pour le péché du prêtre, on n’utilise aucune prière, mais seulement
dans le sacrifice pour les péchés des autres, ceux du peuple.
Ce que l’on lit dans Nombres V au sujet des paroles prescrites dans les
cérémonies de type zélotes ne se rapporte pas à notre sujet,
car cette cérémonie n’était pas un sacrement, puisqu’elle n’avait
pas été instituée pour sanctifier, mais pour investiguer et punir un
adultère.
La deuxième proposition. Dans tous les sacrements de la nouvelle
loi, on trouve des choses comme matière, et des paroles comme forme.
Cette proposition-là on ne doit pas la nier, comme elle sonne. Car,
on la trouve telle quelle dans le concile de Florence, dans l’instruction
des Arméniens, et elle a été faite avec l’approbation de tout
le concile. De plus, pour quatre sacrements, nous avons dans la sainte
Écriture, clairement exprimées, des choses et des paroles.
Le baptême (Matth 28) : « Baptisez-les au nom du Père, du Fils,
et du Saint-Esprit. L’eucharistie (Matth XXV1) : « Cela (hoc)
est mon corps. » La confirmation (Actes V111) : où l’on lit une
imposition des mains et une prière. L’extrême onction : (Jacques
V), où l’on voit une onction et une prière. Il est donc crédible
que les autres sacrements soient eux aussi constitués de choses et de
prières, même si nous ne le voyons pas dans les Écritures. Telle
est la sentence commune des théologiens, à l’exception de Durand et
de quelques autres, dont seule la façon de parler est à corriger, puisque,
sur le fond, ils ne diffèrent pas tellement des autres.
La troisième proposition. On peut dire que ce n’est pas seulement
ce qui est matériel dans le sacrement qui est constitué de choses,
comme matière, et de paroles, comme forme, mais le sacrement
tout entier. Cette proposition est en quelque sorte contraire
à Cajetan et à Soto. Même si ce qu’ils disent est vrai en partie.
Il est à noter d’abord, que le sacrement n’est pas un composé naturel
ou artificiel, mais qu’il a, avec l’un et l’autre, une certaine ressemblance.
Si on le compare avec un produit artificiel, sa forme est en partie
sa signification, et en partie sa vertu opérative. Les choses elles-mêmes
sont la matière, ainsi que les paroles dans lesquelles résident
la signification et la vertu opérative. Comme dans un composé artificiel,
toute la substance est appelée matière, et la forme accident,
de la même façon, le sacrement, en tant que signe, dit formellement
une signification, et, en tant que cause, il dit une vertu opérative,
tout le reste appartenant à la matière ou au sujet. Et si on conçoit
le sacrement de cette façon, on donnera raison à Cajetan et à
Soto.
On peut aussi considérer le sacrement comme étant semblable à un
composé physique. Car, comme dans un composé physique, la matière
précède et la forme accède à , de la même façon, dans le sacrement
la forme accède à la matière. De plus, dans un composé
physique, la matière est indéterminée, mais elle est déterminée par
la forme. Il en va de même dans le sacrement. La parole détermine
l’indifférence de l’élément. Donc, comme dans un composé
physique, la matière est imparfaite, la forme est parfaite,
et donne l’être à la chose. De même, dans le sacrement, les
paroles sont plus parfaites que les choses, puisqu’elles sont des signes
plus clairs et plus importants. Et c’est de cette façon seulement
que la parole, avec sa signification est une forme, et que tout l’élément,
avec sa signification est une matière.
On le prouve d’abord, parce que c’est ainsi que parlent le
concile de Florence, et les anciens théologiens. Car, ils disent
que le sacrement est constitué d’une chose et d’une parole,
comme d’une matière et d’une forme. Et selon une signification éloignée,
il n’y a pas de composition à partir de la chose et de la parole.
Car, il n’y a pas une autre union des choses et des paroles, à
moins que la signification indéterminée soit déterminée
par la signification de la parole. Le concile et les théologiens
ne veulent donc pas que seul le sujet de la signification soit constitué
de choses et de paroles, mais que tout le sacrement soit aussi formellement
un signe.
De plus, la composition d’une chose sensible et d’une
signification n’est pas une composition de matière et forme, en
tant que parties essentielles, mais c’est une composition du sujet
et de l’accident. Or, le concile et les théologiens disent
que les sacrements sont constitués de matière et de forme, non d’un
sujet et d’un accident. Ils ajoutent aussi souvent qu’on ne peut
pas changer la matière ou la forme des sacrements, parce qu’elles
font partie de son essence ou substance.
En second lieu, on le prouve par la raison. Car, la signification
du sacrement n’est pas une signification simple, comme Cajetan
l’enseigne, mais il y en a deux partielles, avec lesquelles
on compose une totale, comme avec des parties essentielles.
On prouve l’antécédent de deux façons. La première. Avant
que s’opère l’union de l’élément avec la parole, chacun avait
sa signification propre. Mais l’union ne fait perdre aucune
signification. Car, la parole ne peut pas enlever la signification
de l’élément, qui est donnée par la nature, mais seulement la déterminer,
comme par exemple l’eau qui, par elle-même peut signifier n’importe
laquelle purgation, est déterminée par les paroles pour signifier
la purification des péchés. Les deux définitions de meurent donc
toutes deux, mais s’associent pour que de deux significations partielles,
se fasse une signification intègre et totale. Deuxièmement. L’élément
autant que la parole d’un sacrement signifie quelque chose, comme tous
l’enseignent, ainsi que saint Thomas (111 par quest 60, art 6,
à un et deux). Mais le mot ne communique pas à l’élément
sa propre signification, ni l’élément à la parole. Ils sont
donc deux, non une seule et même chose.
On prouve l’affirmation. Parce que la signification de l’élément
est naturelle, comme saint Thomas le dit ailleurs; mais la dignification
de la parole est volontaire. Donc, la signification de l’élément
n’est pas communiquée à la parole, parce que la signification
de la parole deviendrait naturelle, et ne serait plus volontaire.
Et, la signification de la parole n’est pas communiquée à l’élément
parce que la signification de l’élément deviendrait volontaire, et
ne serait plus naturelle.
La quatrième proposition. Pour qu’on puisse dire que
les sacrements sont constitués de choses et de paroles, il n’est pas
nécessaire que les choses ne soient pas des paroles, et que les
paroles ne soient pas des choses, mais il suffit que quelque chose
soit employé qui tienne lieu de chose ou de parole. Cette proposition
concilie les trois dernières sentences. Car, comme nous le fait remarquer
correctement Ledesmius, (question 1, article 6), entre nous et Durand,
il n’est question de rien d’autre que de nom.
On prouve la proposition. Car, dans le sacrement
de pénitence, il peut arriver qu’il n’y ait d’autres signes que
des paroles. Selon le consentement unanime des théologiens, dans
le sacrement de pénitence la forme est l’absolution, la matière éloignée
les péchés, et la matière prochaine les actes du pénitent, c’est-à-dire
la contrition, la confession et la satisfaction, qui sont effectuées
par un signe externe. Il peut se faire que les seuls péchés qu’on
a à confesser aient été commis en paroles seulement. La
matière éloignée ne sera alors que des paroles. Il peut
aussi se faire qu’on ne montre qu’en paroles des signes de contrition,
de confession et d’expiation. Car, il n’est pas de l’essence
du sacrement que le pénitent pleure, gémisse, soupire ou se mette à
genoux. S’il ne dit qu’en paroles ses péchés, et s’il affirme
qu’il est contrit et qu’il veut faire la satisfaction, on peut l’absoudre.
La matière première elle aussi ne sera alors que des paroles. Il
dit que sont quand même présentes dans le sacrement les choses et les
paroles, parce qu’un péché commis en paroles est matière de confession,
non en tant que parole, mais en tant que péché. Le péché, formellement,
n’est pas une parole, mais une chose très distincte de ce qu’est
une parole.
Ainsi, la confession n’est pas proprement la matière du sacrement,
en tant que prière quelconque, mais en tant qu’action d’un pénitent.
Car, comme l’enseigne saint Thomas, (1V dist 14, quest 1, art 1),
c’est une chose singulière dans ce sacrement que l’action de celui
qui le reçoit soit une partie essentielle du sacrement. Car,
entre les médicaments corporels, quelques-uns sont extrinsèques, comme
des emplâtres qu’on applique aux malades, et qui ne requièrent
pas l’action du malade comme faisant partie du médicament; et
d’autres qui sont en partie extrinsèques et en partie intrinsèques,
comme des potions qui requièrent la marche, comme faisant partie
du médicament. De la même façon, certains sacrements sont appliqués
et conférés par le ministre, en totalité, comme le baptême et l’eucharistie;
mais le sacrement de pénitence est appliqué en partie par l’absolution
du ministre, et requiert en partie l’action du malade (la contrition,
la confession, la satisfaction).
Nous pouvons montrer la même chose au sujet de la forme. Car,
du consentement de tous, dans le sacrement du mariage, à la place des
paroles, un signe de tête ou des lettres suffisent, pourvu qu’ils expriment
suffisamment le consentement des deux parties. Comme l’ont dit
les papes Nicolas (27, question 2, canon sufficiat,) et le pape Alexandre
(chapitre cum locum, sur les fiançailles et les mariages) : « Le consentement
seul suffit pour opérer le mariage. » Il ne faut pas entendre cette
phrase au sens où le consentement intérieur suffise sans signes externe.
Car, le même Alexandre (au chapitre licet, sur l’épouse de deux) enseigne
qu’il est nécessaire que le consentement soit exprimé par les paroles
accoutumées. Donc, cette phrase : « le consentement seul suffit
pour effectuer le mariage » n’exclut donc pas le signe par lequel
est exprimé le consentement.
La quatrième proposition. Il n’est pas nécessaire que, dans
tout sacrement, les choses et les paroles soient unies comme les
parties essentielles d’une chose. On doit noter, à ce moment,
que le sacrement a une ressemblance avec les choses naturelles qui
sont composées d’une matière et d’une forme. Mais il
n’est pas un vrai composé naturel, et voilà pourquoi ne sont pas requises
toutes les propriétés de l’union de la matière et de la forme;
mais il suffit que quelques-unes soient repérées.
On prouve cette proposition avec le sacrement de l’eucharistie.
En effet, dans l’eucharistie, du consentement de tous, on
trouve la chose qui tient lieu de matière, à savoir le pain, et
les paroles qui tiennent lieu de forme : cela (hoc) est mon corps, ceci
(hic) est mon sang. Et pourtant, ces choses et ces paroles ne sont
jamais unies comme la matière et la forme dans les choses naturelles.
Car, ou bien le sacrement de l’eucharistie est seulement une chose consacrée,
c’est-à-dire l’espèce du pain et du vin, en tant qu’elles contiennent
le corps et le sang du Christ; ou bien la consécration ou
la consommation des espèces, comme quelques-uns le veulent, peuvent être
appelées sacrement. Si on donne le nom de sacrement à la
consécration, nous aurons des paroles, mais pas de choses,
à partir desquelles le sacrement est composé, car toute la consécration
consiste dans des paroles. En effet, le pain et le vin ne jouent
pas un rôle en tant que parties de la consécration, mais en tant que
sujet sur lequel agit le prêtre, et dans lequel est reçue l’action
du consacrant.
Si nous appelons le sacrement une chose consacrée, ou une consommation,
nous aurons alors une chose, mais nous n’aurons pas de paroles, à partir
des quelles est composé le sacrement. Car, par rapport à la chose
consacrée, les paroles ne sont pas une partie essentielle, mais
un principe productif. Car, la partie essentielle demeure dans la
chose elle-même. Or, les paroles ne demeurent pas dans la chose consacrée,
car, dès qu’elle commence à être une chose consacrée, les paroles
cessent d’y être. Voilà pourquoi le concile de Florence (dans
son instruction aux Arméniens) n’enseigne pas que les paroles de l’eucharistie
soient une forme par laquelle est constitué le sacrement, mais par
laquelle est opérée la consécration. Car, voici ce
qu’il dit : « La forme des sacrements ce sont les paroles du Sauveur
par lesquelles est opéré le sacrement. » Quand le concile
enseigne que dans tout sacrement, il existe une chose comme matière
et des paroles, comme forme, nous ne devons pas entendre
ces mots au sens d’un composé naturel.
On peut montrer la même chose pour le sacrement de la confession.
Car, non seulement, comme nous l’avons déjà dit, la matière se trouve
dans les paroles qui prennent la place des choses, mais il peut aussi arriver
qu’on fasse un jour la confession, et qu’à un autre jour soit
donnée l’absolution, de façon à ce que la matière et la forme ne
soient pas ensemble, ce qu’on ne trouve dans aucun composé physique
ou naturel. Voilà pourquoi autant le concile de Florence (dans
son instruction aux Arméniens) que le concile de Trente (session 14, chapitre
4) disent que, dans le sacrement de confession, les actes du
pénitent sont comme une matière, sans oser pourtant affirmer qu’ils
soient une matière au sens strict. Toutes ces réflexions nous font
comprendre que, dans les sacrements, la matière et la forme sont
prises au sens large. Et c’est ainsi qu’on réfute toutes
les objections qu’on a coutume de nous faire.
CHAPITRE 19
La parole qui, avec l’élément, fait le sacrement n’est
pas une parole de prédication mais de consécration.
Nous avons déjà dit que, dans les sacrements, les choses et les paroles
sont requises, ce que nos adversaires admettent aussi. Il ne reste
plus de doute au sujet de la chose employée dans les sacrements, comme
signe sensible et visible. Car, tous admettent avec nous que,
dans le baptême, on doit employer de l’eau, et dans l’eucharistie,
du pain et du vin. Nous n’avons pas l’intention de discuter ici de
la matière et de la forme des autres sacrements, car nos adversaires ne
les considèrent pas comme des sacrements.
J’ai le goût d’ajouter une chose. Brentius
frôle le ridicule quand (dans sa confession de Wirtemberg,
au chapitre sur le baptême), il exclut l’extrême onction des sacrements
en disant qu’il appartient aux éléments du monde, et qu’il fut en
usage, chez les Juifs, dans les cérémonies de l’ancien testament.
Car, si cette raison valait quelque chose, il faudrait exclure aussi l’eau,
car l’eau appartient plus aux éléments du monde que l’huile, puisqu’elle
est un des quatre éléments du monde, et que l’huile n’est pas
énumérée parmi les éléments, mais parmi les mixtures. Et dans
les cérémonies des Juifs, les ablutions d’eau étaient beaucoup plus
fréquentes que les ablutions d’huile. Mais, omettons ces choses sur
lesquelles nous reviendrons plus tard.
Ici ce pose une question extrêmement grave sur la parole qui,
unie avec la chose, fait le sacrement. Car, tous les catholiques
enseignent que les paroles du sacrement sont quelques mots prescrits par
Dieu qui doivent être prononcés sur la matière, par le ministre.
Comme dans le baptême, ces paroles : « Je te baptise, au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit », ou dans l’eucharistie : « car cela
est mon corps. » Etc. Or, Jean Calvin (livre 4, chapitre 14,
verset 4) soutient que la parole sacramentelle ne fait rien d’autre
que prêcher. Car, c’est ainsi qu’il parle : « On dit communément
que le sacrement est constitué d’une parole et d’un signe externe.
Nous ne devons pas entendre la parole comme si, --ce qu’on ne peut affirmer
que sans raison et sans foi,-- sur-le-champ, et comme par une opération
magique, elle avait le pouvoir de consacrer un élément; mais pour que
ce qui est prêché nous fasse comprendre ce que le signe visible
lui veut. Ce qui s’est passé sous la tyrannie du pape, ne manque
pas d’une énorme profanation des mystères. Car, ils pensent
qu’il suffit que, devant un peuple sans intelligence frappé de stupéfaction,
un prêtre murmure une formule de consécration. » Et plus bas :
« Quand nous entendons faire mention de la parole d’un sacrement, nous
entendons une promesse qui, prêchée à haute voix par un ministre,
amène le peuple de Dieu, comme par la main, et nous dirige là où
tend le signe. » Mais, avant de prouver ou de réfuter quoi que
ce soit, il faut expliquer avec soin la sentence de Calvin.
Il faut d’abord noter que Calvin et nos autres adversaires pensent
et parlent autrement du baptême et de l’eucharistie, qui sont les seuls,
pour eux, à être des sacrements proprement dits. Car, dans le baptême,
deux genres de mots sont requis, et dans l’eucharistie, un seul.
En effet, dans le baptême, ils requièrent une parole de prédication
qui est prononcée par le ministre, et qui explique la promesse divine.
Ils requièrent, ensuite, que, au moment où on fait l’aspersion
avec de l’eau, on dise en même temps ces paroles : je te baptise au
nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » C’est ce qui ressort
du libelle de Calvin (sur la formule pour l’administration du sacrement)
et des lieux de Mélanchton (au chapitre du baptême), et de leur pratique
quotidienne, et du fait que les catholiques ne rebaptisent pas ceux qui
ont été baptisés par les luthériens ou les calvinistes. Or, c’est
ce qu’il faudrait faire si, en baptisant, ils n’employaient pas la
véritable formule.
Mais dans le sacrement de l’eucharistie, les calvinistes (comme il
appert de la formule de Calvin) ne requièrent pas d’autre parole qu’une
parole d’instruction. Car, ils prescrivent , en premier lieu, que
soit récitée l’institution du sacrement, (chapitre X1 de la première
des Corinthiens), à peu près de la même manière que, nous à
la messe, nous lisons la même épitre pour l’instruction des fidèles.
Ensuite, un prédicateur en donne l’explication. Et, tout
de suite après, sans aucun signe de croix, sans aucune parole ou rite
sacré, ils distribuent le pain et le vin. Existe encore une autre
formule des Anglais qui relèvent de Genève, dans laquelle, après la
lecture de l’épitre aux Corinthiens, et d’un prêche, suit une action
de grâces que le ministre prononce à voix haute. Et après, sans
paroles de consécration, le pain et le vin sont distribués.
Les luthériens n’agissent pas tous de la même façon. Quelques-uns
racontent les paroles de l’institution comme un récit purement historique,
d’autres le récitent avec l’intention de consacrer, et d’autres
ne récitent rien. Voir à ce sujet Kemnitius ( 2 par de l’examen,
page 346.). Il suit de tout cela que les adversaires ont un
vrai baptême, mais non une vraie eucharistie, à part le petit nombre
de ceux qui ont ordonnés dans l’église catholique, et qui en
emploient encore les mots.
Il faut noter ensuite, qu’on peut entendre de deux façons
l’enseignement de Calvin selon lequel la parole sacramentelle est
une parole de prédication. Une première. Il veut que la prédication
soit une partie essentielle du sacrement. La deuxième.
La prédication n’est pas une partie du sacrement, mais n’est requise
que pour que le sacrement porte ses fruits. Et il est fort probable
que les luthériens qui, en plus de la prédication, emploient les paroles
de consécration dans tous les sacrements, ne requièrent pas la
prédication comme essence du sacrement, mais comme le fruit qu’il doit
produire. En conséquence, il n’y aura pas, entre nous et
eux, d’altercation à ce sujet. Mais avec ceux
qui ne profèrent pas les paroles de consécration pour consacrer,
mais pour instruire, et les appellent ouvertement prédication de
l’évangile, comme le fait Jean Brentius (dans son confession de
Wirtenberg, chapitre sur l’eucharistie).
Calvin semble parfois parler de la parole de prédication comme d’une
chose distincte du sacrement, comme quand il dit (livre 4, chapitre 14,
verset 3), que le sacrement est comme un appendice de la parole.
Et, la plupart du temps, il en parle comme d’une partie essentielle du
sacrement. Car, dans les paroles déjà citées, il dit que le sacrement
consiste en deux choses, en signe et paroles, et il ajoute
que, par parole, il entend prédication. De même, il applique à
la parole de la prédication ce que dit saint Augustin : « La parole accède
à l’élément, et le sacrement est produit. » On ne peut douter
que la parole est placée là dans l’essence du sacrement.
Car, au même endroit, saint Augustin et Calvin citant Augustin,
dit : « Sans la parole, qu’est l’eau sinon de l’eau ?»
Ce qui veut dire que l’eau, sans la parole, n’est pas un sacrement,
mais un élément profane. »
De plus, si la parole de prédication ne faisait pas partie de
l’essence du sacrement, il n’y aurait, chez les calvinistes, aucune
parole qui fasse partie de l’essence. Car, dans ce sacrement, ils
n’ont que la parole de prédication. Ensuite, (dans son commentaire
sur le chapitre V aux Éphésiens : « la purifiant par le lavement de
l’eau dans la parole de vie »), Calvin dit : « Il appert que, dans
la papauté, il n’y a aucune observation légitime des signes.
Car, ils se vantent d’en faire une sorte d’incantation, comme
s’il était destiné plus à un élément sans vie qu’aux êtres humains.
Aucune explication du mystère au peuple, laquelle seule peut faire
qu’un élément sans vie commence à être un sacrement. »
Prenez note des dernières paroles.
Ensuite, Théodore de Bèze enlève tout doute quand il écrit ainsi
dans son livre qu’il a intitulé : la somme de la doctrine de la chose
sacramentaire : « Quelle est la cause formelle des sacrements ?
L’intention de Dieu comprise dans la parole divine, et expliquée
par le ministre, selon le mandat qu’il a reçu. Non la prononciation
des paroles, ni aucune autre vertu cachée dans les mots. » Ce qui
nous fait comprendre que les paroles du baptême (je te baptise…) sont
récitées aussi par les calvinistes quand ils versent l’eau, mais qu’elles
ne sont pas la forme du sacrement; que c’est le prêche qui précède
qui est la forme, et que les autres paroles appartiennent au rite,
comme Théodore l’a indiqué. Et que ces paroles ne sont pas proférées
pour consacrer l’eau, mais pour instruire le peuple.
Il faut noter, en troisième lieu, que nous différons des calvinistes
en trois choses. La première. Nous enseignons, nous, que,
dans tout sacrement, il est nécessaire que soient prononcées des paroles
instituées par Dieu dans l’action elle-même du sacrement. Ils
enseignent, eux, que cela n’est nécessaire que pour le baptême.
La deuxième. Nous enseignons, nous, que, pour l’essence du sacrement,
n’est pas requise une parole de prédication. Ils affirment, eux,
qu’elle est requise. La troisième. Nous enseignons,
nous, que, pour l’essence du sacrement, sont requises certaines
paroles conçues, qui sont consécratoires. Et, ce sont ces paroles
que nous appelons proprement paroles sacramentelles.
Mais eux, nient tout cela, et lui donnent le nom d’incantation magique.
Car, même les paroles du baptême, comme je l’ai dit, ils ne les récitent
pas quand ils font une aspersion avec de l’eau, mais quand
ils instruisent le peuple, de façon à ce qu’elles fassent partie de
la prédication. C’est ce qu’enseignent, comme je l’ai déjà dit,
Brentius, les calvinistes et certains luthériens. Voilà pourquoi
ils utilisent, eux, la langue vulgaire dans les sacrements, et nous le
latin. Car, eux veulent enseigner ceux qui ne comprennent pas le latin,
et, c’est Dieu que nous invoquons, nous, pour sanctifier l’élément,
le Dieu qui comprend toutes les langues.
Voici donc la première proposition. Non seulement pour le baptême,
mais aussi pour les autres sacrements, des paroles sont requises
dans la célébration elle-même du mystère. On le prouve.
Car, quand, dans l’eucharistie, le Seigneur bénit le pain, il
prononça certaines paroles : « Cela est mon corps qui est donné pour
vous. » (Luc XX11) Et il ordonna, ensuite, que nous fassions
la même chose : « Faites cela en souvenir de moi. » Nous devons
donc, nous aussi, nous servir de certaines paroles, si nous voulons faire
ce qu’il a fait, comme il nous l’a commandé.
Ils diront peut-être que le Christ a commandé que nous fassions ce
qu’il a fait, mais non de dire les paroles qu’il a dites. Nous
répondons que le « faites cela » se rapporte à la totalité de
l’action du Christ, qu’il comprend donc aussi les paroles.
Et, pour omettre maintenant d’autres arguments, j’ajoute que
c’est ce que nous avons appris de la tradition et de l’usage de l’Église.
Cette tradition, si on ne la reçoit pas, peut rendre douteuse la forme
même du baptême. Car, où avons-nous pris que, pendant l’aspersion,
il faut dire les paroles : je te baptise au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit ? Pas ailleurs que dans le dernier chapitre de Matthieu.
Ce qu’on ne peut accepter que si on reçoit la tradition de l’Église.
Car, le Seigneur n’a pas dit : Dites je te baptise au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit, et, pendant l’aspersion, il suffira de
dire : au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
De plus, le Seigneur n’a pas dit non plus : Dites au nom du Père,
du Fils, et du Saint-Esprit, mais : baptisez-les au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit. Ces paroles ne nous obligent pas à dire : au
nom du Père etc, mais seulement à baptiser par l’autorité de Dieu,
en tant que son ministre. Ce qui peut se faire, mais si nous ne disons
rien. Et on peut le démontrer par d’autres extraits. Dans Marc
(dernier chapitre), le Seigneur dit : « En mon nom, ils chasseront les
démons, ils imposeront les mains sur les malades, et ils s’en
porteront bien. »
Et cependant, quand les apôtres voulaient guérir quelqu’un,
il n’était pas nécessaire qu’ils disent au nom du Seigneur, mais
il suffisait qu’ils le pensent. Car, dans les Actes 1X, Pierre
ressuscita Tahitha, et, dans les Actes X1V, Paul guérit un boiteux
sans aucune mention du nom du Christ. Et, de même, en Matthieu XV111,
le Seigneur a dit : « Quand deux ou trois seront réunis en mon nom, je
suis au milieu d’eux. » Et pourtant, il n’est pas nécessaire
que disent des paroles ceux qui veulent se réunir au nom du Christ.
Il suffit qu’ils se réunissent par l’autorité du Christ.
De même, en Jean V, le Seigneur a dit : « Je suis venu au nom de mon
Père, et vous ne m’avez pas reçu. Si un autre vient en son nom, vous
le recevrez. » Le mot nom ne signifie rien d’autre ici qu’autorité.
Que nous devions dire, dans le baptême « je te baptise au nom
du Père, du Fils, et du Saint-Esprit », ce n’est pas seulement de l’Écriture
que nous devons le ternir, mais de l’Écriture à laquelle s’adjoint
l’explication et la pratique de l’Église. Or, si dans le baptême
on reçoit l’autorité de l’Église, pourquoi pas dans les autres
sacrements aussi ?
On peut prouver la même chose pour les autres sacrements, bien
que ce ne soit pas tellement nécessaire puisque les adversaires ne les
reçoivent pas. Dans la confirmation, il est clair qu’il
faut employer des paroles, car (Actes, chapitre V111), les apôtres priaient
en imposant les mains. Voilà pourquoi saint Cyprien écrit
dans son épitre à Jubaianus : « C’est dans l’imposition des
mains, que l’Esprit-Saint est invoqué et répandu sur les baptisés.
» Saint Ambroise dit la même chose (livre 3, chapitre 2 sur les
sacrements) : « Après la fontaine, il reste encore une chose, il faut
qu’arrive la perfection quand, par l’invocation sacerdotale,
l’Esprit Saint est répandu sur les fidèles. » Saint Jérôme
dit la même chose dans son livre contre les Lucifériens, et saint
Augustin (livre 3, chapitre 16, sur le baptême).
Dans le sacrement de pénitence, sont requises aussi des paroles, comme
nous le montrent les paroles de Jésus en saint Jean XX : « Les
péchés seront remis à ceux à qui vous les aurez remis. » Ce
qui ne peut se faire sans paroles. Voilà pourquoi saint
Jean Chrysostome (commentant ce texte) dit que, pour absoudre, « Dieu
se sert et de la main et de la parole du prêtre ». Et saint Léon
(dans son épitre 91 à Théodore) dit qu’après le baptême,
Dieu a préparé un remède de pénitence tel, qu’on ne peut obtenir
le pardon sans les supplications des prêtres.
Dans le sacrement de l’ordre, sont requises aussi des paroles,
comme l’enseigne saint Ambroise (au chapitre quatre de la première
à Timothée) : « Les impositions des mains sont des paroles mystiques,
par lesquelles est confirmé celui qui est choisi pour une œuvre,
y recevant l’autorité, au témoignage de sa conscience, pour qu’il
ose, à la place du Christ, offrir un sacrifice à Dieu. »
De même saint Jérôme (chapitre 18 d’isaïe), dit que l’ordination
des clercs se fait par une prière vocale et l’imposition des mains.
Dans le sacrement de l’onction des malades, l’épitre de saint
Jacques (chapitre V) nous montre clairement que des paroles sont
requises : « Ils feront venir les presbytes de l’Église, et ils prieront
sur lui, en l’oignant de l’huile au nom du Seigneur. » Enfin,
dans le mariage il est absolument évident qu’il ne peut pas y avoir
de consentement mutuel sans qu’il soit exprimé par des paroles, ou des
signes équivalents. Voilà pourquoi Calvin, dans son livre
sur la façon d’administrer les sacrements, veut que le mariage soit
célébré dans l’église, même s’il ne le reconnait pas comme un
sacrement; et il prescrit certaines paroles à prononcer.
La seconde proposition. Une parole de prédication n’est pas
requise à l’essence du sacrement. On le prouve d’abord
négativement, par un argument tiré de l’Écriture, qui a coutume de
faire un bon effet sur les adversaires, puisque dans les choses divines,
on ne peut rien faire sans paroles de Dieu, et qu’ils ne reconnaissant
comme paroles de Dieu que celles qui sont écrites. Dans l’Écriture,
on fait mention du baptême dans Jean 111 : « A moins que quelqu’un
ne renaisse etc ». Ensuite en Jean 1V, où nous lisons que le Seigneur
baptisait par les apôtres. De même, au dernier chapitre de
Marc : « Celui qui croit et sera baptisé, sera sauvé. » Et l’épitre
à Tite, chapitre 3 : « Il nous a sauvés par le lavement. »
Et dans 1 Pierre 3 : « Le baptême vous a sauvés. »
Mais, dans ces passages, il n’est pas fait mention de paroles
ou de prédication. Il y a deux endroits où il est fait mention
de paroles. Un premier, dans l’Épitre aux Éphésiens V : « La
purifiant par le lavage de l’eau dans la parole de vie. » Un deuxième,
le dernier paragraphe de Matthieu : « Enseignez toutes les nations, baptisez-les
au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »
Le premier texte doit être expliqué par le dernier. Car, il
s’agit là d’une règle générale, louangée même par les adversaires,
que, quand la chose est possible, un texte soit expliqué par un autre.
Et aussi parce que saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus,
Anselme et d’autres l’enseignent, en disant : « Dans la parole de
vie, signifiez au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Comme,
saint Jérôme qui, dans le commentaire de ce passage, entend doctrine
par parole de vie. Mais il faut noter que saint Jérôme a
omis l’explication littérale, et ne l’a expliquée qu’au sens mystique,
c’est-à-dire, comme il le dit lui-même, tropologique. Car, par
lavage, il n’entend pas le baptême, mais toute purgation qui peut
se faire par la doctrine. Tous les autres interprètes qui
expliquent ce texte au sens littéral, entendent le baptême par lavement,
et par parole, l’invocation de la très sainte Trinité.
Il ne reste donc plus que le dernier passage de Mathieu : « Enseignez
toutes les nations, baptisez-les. Pour ce passage, nous ne nions
pas que nous ayons l’obligation de donner une instruction qui précède
le baptême. C’est ce que nous enseignons et ce que nous faisons.
Car nous ne baptisons aucun adulte sans l’avoir longtemps et sérieusement
instruit. Mais, nous nions qu’en ce lieu, est prescrite une prédication
comme faisant essentiellement partie du sacrement.
Nous allons même plus loin, car nous disons qu’en ce lieu,
la doctrine est ouvertement séparée du sacrement. Car, c’est
ainsi que les distingue saint Jérôme dans ce commentaire de ce
passage : « L’ordre principal qu’il a donné à ses apôtres est d’enseigner
à toutes les nations, de les imprégner ensuite des mystères de la foi,
et, après la foi et le baptême, il leur prescrivit ce qu’ils devaient
observer »
Ce que nous avons dit du baptême peut se dire aussi de l’eucharistie.
Car, ni le Seigneur (Matth XXV1) ni Paul (1 Corinthiens 11) ne déclarent
qu’il doit y avoir une prédication, quand on célèbre la cène du Seigneur.
Le Seigneur n’eut non plus aucune prédication ni explication de
l’eucharistie (que Calvin juge nécessaire) dans la célébration
elle-même de la cène. Il fit, après cela, un grand sermon
que saint Jean a décrit (chapitres 14, 15, 16), mais qui ne se rapportait
en rien à la dernière cène, et parce qu’il eut lieu après la
cène, et parce qu’il parla de toute autre chose que de la cène.
Que Calvin nous dise donc de quel évangile il a appris que la prédication
est la forme du sacrement.
Une autre preuve que la prédication ne fait pas partie de l’essence
du sacrement. Car, s’il en était ainsi, on ne pourrait pas faire
la distinction entre la fonction du prédicateur et celle du baptiseur.
Car, quiconque prêcherait baptiserait par le fait même, quand il
administre la forme du baptême. Et, inversement, celui qui baptise prêcherait,
puisque le baptême n’est formellement rien d’autre qu’une prédication.
Or, cette sentence est contredite par saint Paul, quand il dit aux Corinthiens
1 : « Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser mais prêcher. »
Un commentaire attribué à saint Ambroise, a bien écrit sur ce
passage. Car, il montre que baptiser est beaucoup moins important
que prêcher, du fait que celui qui baptise ne fait que prononcer
des paroles solennelles et verser de l’eau, ce qui est très facile.
Voilà pourquoi saint Pierre (actes X) après avoir prêché à Corneille,
ne le baptisa pas lui-même, mais ordonna qu’il soit baptisé par
les ministres inférieurs. Or, selon Calvin, on doit dire que
celui qui baptise est celui qui a apporté la forme (la prédication) du
baptême.
Troisièmement. Si la forme du baptême était le sermon, les
hérétiques auraient un faux baptême, et ils devraient donc être rebaptisés,
car la prédication des hérétiques ne peut pas être vraie. Or,
l’Église approuve le baptême de certains hérétiques, pourvu qu’il
soit donné avec les mots prescrits, c’est-à-dire « au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit », même s’ils y ajoutent un sermon pervers,
comme l’enseigne saint Augustin (livre 3, chapitre 15 sur le baptême)
: « Si c’est avec les paroles évangéliques (au nom du Père et du
Fils et du Saint-Esprit) que Marcion administrait le baptême, le
baptême est intègre, même si sa foi, dans ses mêmes paroles, portait
sur d’autres choses que celles que l’Église enseigne, des choses entachées
de fausseté. Car, sur ces mots (au nom du Père , du Fils et du
Saint-Esprit), non seulement Marcion ou Valentin, ou Arius ou Eunomius,
mais les petits charnels eux-mêmes de l’Église auraient peut-être
autant d’opinions qu’il y a d’hommes. Car, l’homme animal
ne perçoit pas ce qui est du Saint-Esprit. Ne reçoivent-il pas quand
même intégralement le sacrement ? »
Le baptême des catholiques est donné sans prédication. Bien
que précèdent le catéchisme, les sermons et un grand nombre de prédications,
cependant, le jour même où a lieu le baptême, on ne fait habituellement
pas de prédication. Et cependant, Calvin ne prescrit pas qu’on
doive rebaptiser les catholiques; il reconnait même que c’est un vrai
baptême au livre 4, chapitre 14, verset 16 de ses institutions : « Tels
sont aujourd’hui nos rebaptiseurs qui nient que nous ayons été
validement baptisés, nous qui avons été baptisés par des impies et
des idolâtres, dans le royaume papal. »
Comment faire coïncider ces deux choses contradictoires : que
la prédication soit la forme du baptême, et qu’il puisse
y avoir un vrai baptême sans prédication ? Comment concordent
aussi ces paroles du livre des institutions avec les paroles de Calvin
ci-haut citées (de son commentaire sur le chapitre V de l’épitre aux
Éphésiens), où il dit que, chez les papistes, il n’y a aucune observance
légitime des signes, que leur manque l’explication au peuple, qui est
la seule à faire qu’un élément mort commence à être un sacrement
?
Sixièmement. Si la forme du baptême était la prédication,
il ne faudrait certes pas baptiser les enfants, car il ne devrait pas y
avoir de prédication là où il n’y a personne qui écoute ou
comprenne. Car le sage avertit (Eccles XXX11) : « Là où il n’y
a pas d’écouteur tu ne feras pas de sermon. » Or, les petits
ne comprennent rien, ne font attention à rien et ne peuvent rien
comprendre. On ne doit donc pas leur faire un sermon; ils ne
peuvent donc et ne doivent donc pas être baptisés.
On a coutume de répondre de deux façons à cette objection, car quelques-uns,
comme les luthériens, prétendent que les petits entendent les sermons.
Mais, nous avons déjà réfuté cela par le dilemme de saint Augustin
dans l’épitre à Dardanus. Le voici. Ils ont l’âge de
raison, ou ils ne l’ont pas. S’ils ne l’ont pas, ils
ne comprennent donc pas. S’ils l’ont, ce sont des sacrilèges
puisque, de toutes sortes de façons, ils récusent le sacrement,
comme l’expérience le démontre.
D’autres, comme Calvin, (livre 4, chapitre 16, verset 20),
enseignent que les enfants ne reçoivent pas utilement les sacrements au
moment de leur baptême, mais qu’ils reçoivent vraiment un sacrement
qui leur sera utile plus tard. Mais cette réponse-là n’est pas
suffisante. Car, si la prédication de la parole est, non moins que
l’eau, de l’essence du baptême, elle doit l’atteindre
autant que l’eau, autrement elle serait inutile, et il n’y aurait pas
de sacrement. En effet, si le ministre aspergeait un enfant
avec de l’eau et que l’eau n’atteignait pas l’enfant, personne
ne dirait que l’enfant a été baptisé. De la même façon, si
l’on fait un sermon qui ne rejoint pas l’enfant, aucun calviniste ne
devrait dire que l’enfant a été baptisé. Car le sermon
n’est vraiment perçu que quand il est compris. Car on ne peut
dire qu’il est catéchisé celui qui ne perçoit pas un sermon, même
s’il l’entend de ses oreilles. Les enfants ne perçoivent donc
pas la forme du sacrement , et le sacrement non plus. Que les calvinistes
se fassent des anabaptistes, ou qu’ils cessent de faire entrer le sermon
dans l’essence du sacrement.
La troisième proposition. Est requise à l’essence
du sacrement une certaine formule qui consacre et sanctifie l’élément,
plus qu’elle n’instruit les participants. Cette proposition
est contre non seulement Calvin, mais aussi contre Brentius, et les
autres luthériens, tous ceux qui veulent que les paroles de la consécration
soient prononcées pour instruire le peuple, et non pour consacrer la matière.
Voilà pourquoi ils estiment qu’il est néfaste que ces paroles
soient prononcées en latin, devant un peuple qui ignore cette langue.
On prouve cette proposition. Les paroles prescrites par le Seigneur
pour le baptême n’ont pas l’aspect d’une instruction, mais d’une
invocation et d’une bénédiction. Il suffit, pour s’en convaincre,
d’examiner les paroles du Christ. Car, il n’a pas dit :
Enseignez à toutes les nations le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Les paroles « au nom du Père… » se rapportent à l’acte du baptême,
on à un acte d’enseignement. Voilà pourquoi elles raisonnent
comme une invocation de la Trinité sur l’aspersion de l’eau, et non
comme une instruction. C’est le sens que prend cette façon de
parler dans d’autres passages : Matthieu, dernier chapitre : «
En mon nom, ils chasseront les démons. » Matthieu V11 : « N’avons-nous
pas chassé les démons en ton nom ? » etc. De plus,
si ces paroles appartenaient à l’instruction, elles seraient très imparfaites.
Car, on ne doit pas enseigner aux catéchumènes seulement la trinité,
mais aussi l’incarnation, la passion du Seigneur, et surtout la promesse
de la grâce pour l’obtention du mérite. Or, en ces mots, aucune mention
n’est faite de ces mystères.
En second lieu, les paroles du mystère eucharistique qui ont été
rapportées par l’apôtre Paul ne sonnent pas comme des paroles d’instruction,
mais de bénédiction et de consécration. ! Corinthiens X : « Le
calice de bénédiction n’est-il pas une communication du sang du Christ
? » On pourrait employer le même exemple pour les autres sacrements,
si nos adversaires les recevaient. Voir, quand même, ce que nous
avons dit pour la confirmation de la première proposition.
Troisièmement, on le prouve par les paroles de l’apôtre :
1 Corinthiens 1 : « Est-ce que c’est Paul qui a été crucifié pour
vous, ou est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisé? » Saint
Paul veut démontrer là que les acteurs des sacrements ne sont pas les
hommes qui les administrent, mais Dieu. Et il le prouve en ajoutant
qu’ils ne sont pas donnés au nom des ministres, mais au nom de Dieu,
c’est-à-dire du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Dans les paroles
sacramentelles, le nom signifie donc l’invocation, qui nous fait connaitre
l’autorité. Voilà pourquoi saint Jean Chrysostome écrit : «
Ne me dis pas qui a baptisé, mais au nom de qui; ne cherche pas
à savoir qui baptise, mais qui invoquons- nous dans le baptême ?
Voir à ce sujet et sur cet argument Optatus de Milet (livre V contre Parmenianus).
Quatrièmement. On prouve la même chose avec la tradition des conciles.
Car, le concile de Nicée (canon 19), ordonne que soient rebaptisés les
Paulianistes. La même chose a été statuée par le concile de Laodicée
(canon 8). À l’inverse, le concile d’Arles 1 de la même époque
(canon 8) et le pape Siricius (épitre 1, chapitre 1), ordonnent
que les Ariens ne soient pas rebaptisés. On ne peut trouver
d’autre cause de cette différence de décisions que celle que donne
le pape Innocent 1 (épitre 22, chapitre 5) : les paulinistes et les
cataphyges non seulement ne croyaient pas à la trinité, mais ils
ne baptisaient pas avec l’invocation de la trinité. Les
Ariens, par contre, baptisaient au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
même s’ils ne croyaient pas à la trinité d’une seule essence.
Et, il est certain, en ce qui a trait à l’instruction et l’explication,
que les ariens erraient autant sur la Trinité que les paulianistes
ou les cataphryges. Ce n’est donc pas l’instruction mais l’invocation
qui parfait le baptême.
Cinquièmement, on le prouve par les pères qui, lorsqu’ils parlent
des paroles des sacrements, ne font jamais mention d’une instruction,
mais d’une invocation et d’une consécration. Exemples.
Denys l’aréopagite (dans son livre sur la hiérarchie ecclésiastique,
dernier livre) donne aux paroles sacramentelles le nom d’invocations
consécratoires. Justin (dans son apologie à Antonin
le Pieux) déclare : « Sur celui qui a décidé qu’il devait renaître,
est invoqué le nom du créateur de toutes choses, le Seigneur Dieu.
Et c’est lui seul que nous invoquons quand on conduit quelqu’un aux
fonts baptismaux. » Et, plus bas : « C’est au nom aussi
de Jésus crucifié, ainsi qu’au nom de l’Esprit Saint qu’est
purifié dans l’eau celui qui est illuminé. »
Saint Basile (au livre du Saint-Esprit, chapitre 15) : « C’est par
trois immersions, et autant d’invocations de la trinité, qu’atteint
sa perfection le grand mystère du baptême. » Saint Cyrille de
Jérusalem (catéchèse 3) : « Par l’invocation du Père, du Christ
et du Saint-Esprit, l’eau a pour effet la sainteté. » Saint Athanase
(sermon contre les Ariens, vers le milieu) : «Quand nous sommes initiés
par le baptême, pourquoi faisons-nous mention du nom du Fils avec celui
du Père ? Car, dire que le père ne suffit pas à lui seul, ce serait
un blasphème. » Il enseigne là que, dans le baptême, trois personnes
sont nommées, non parce qu’une seule ne suffit pas à sanctifier un
homme, mais parce que, dans l’unité de nature, elles sont
inséparables. On peut en déduire qu’il veut que les paroles
du baptême ne soient pas prononcées pour l’instruction du peuple,
comme le soutiennent les hérétiques, mais pour invoquer Dieu qui
nous sanctifie par les paroles.
Saint Grégoire de Nysse (dans son livre sur le baptême), écrit :
« Cesse de te battre avec moi, et oppose à toi-même , si tu le peux,
les paroles du Christ qui ont institué, pour les hommes, l’invocation
du baptême. Quelles sont donc les paroles du précepte du Seigneur
? « Baptisant les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »
Et, plus bas : « Soumettons-nous au Père pour que nous soyons sanctifiés.
» Saint Cyprien, ou quiconque a été l’auteur du sermon sur le
baptême du Christ, dit, près du début : « Célèbrent visiblement le
sacrement la solennité des paroles, l’invocation du saint nom, et les
signes attribués aux ministres sacerdotaux par les institutions
apostoliques. La chose elle-même c’est l’Esprit-Saint
qui la forme et l’effectue; et c’est l’Auteur de toute bonté qui,
par des consécrations visibles, appose sa main. »
Saint Ambroise (livre 2, chapitre 3 des sacrements), dit
: « Le prêtre est venu, il a dit la prière sur les fonts baptismaux,
invoqué le nom du Père, la présence du Fils, et du Saint-Esprit, en
se servant de paroles célestes. C’est dans les paroles célestes
qui sont celles du Christ, que nous baptisons au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit. Si donc à la parole d’un
homme, à l’invocation du Saint sera présente la Trinité, combien
plus présente sera-t-elle là où opèrera une parole éternelle ? »
Il dit la même chose au sujet des paroles de l’Eucharistie (livre
4, chapitre 1, sur les sacrements).
Saint Augustin (livre 3, chapitre 10 sur le baptême, contre
les donatistes), dit : « Ce n’est pas une eau profane et adultère,
sur laquelle le nom de Dieu est invoqué, même s’il est invoqué
par des profanes et des adultères, car ni la créature ni le nom ne sont
adultères. Car, le baptême consacré avec les paroles évangéliques
du Christ par des adultères et pour des adultères est saint, même
s’ils sont impudiques et immondes, parce que sa sainteté ne peut pas
être polluée, et que le sacrement a l’assistance d’une vertu divine.
» Et (dans le livre V, chapitre 20) : « Si donc ce qui est dit
dans l’évangile, à savoir que Dieu n’écoute pas un pécheur,
signifie que, par un pécheur, les sacrements ne sont pas célébrés,
comment exauce-t-il un homicide qui le prie ou sur l’eau du baptême,
ou sur l’huile, ou sur l’eucharistie, ou sur la tête de
ceux sur lesquels ils impose les mains? Toutes choses qui se font
et qui valent, même quand elles sont faites par un homicide. »
CHAPITRE 20
On répond aux objections
La première, celle de Jean Calvin. Il la tire d’une œuvre de saint
Augustin (le traité 80 sur saint Jean). Après avoir dit : « D’où
vient cette vertu à l’eau qui lui fait purifier le cœur
en touchant le corps ? », il ajoute : « À moins que la parole
fasse cela non parce qu’elle est dite, mais parce qu’elle est
crue. Car, dans la parole elle-même, autre est le sens transitoire,
autre la vertu permanente. Voilà la parole de Dieu que nous prêchons.
C’est pourquoi, dans les Actes des apôtres, on lit : « Purifiant
leurs cœurs par la foi. » Et l’apôtre Pierre : « C’est
ainsi que le baptême nous sauve. Non la déposition des saletés
de la chair, mais l’interrogation d’une bonne conscience. Voilà quelle
est la parole de Dieu que nous prêchons.» Je réponds que ce passage
a coutume de donner des maux de tête à certains. Il ne peut
quand même pas être si obscur, puisqu’il fait partie d’un sermon
adressé au peuple, à moins de penser que le saint docteur avait coutume
de prêcher par des énigmes que seul un Œdipe peut solutionner.
Je rapporterai donc ce que pensent les autres, et ce qui ne semble
pas avoir été exprimé correctement. Calvin estime que tout ce
passage doit s’entendre d’un sermon. Mais il se trompe visiblement.
D’abord, parce que saint Augustin a dit : « Enlevez la parole,
qu’est l’eau sinon de l’eau ? » Or, si on enlève la parole
du prêche, l’eau n’est plus de l’eau pure, mais de l’eau
sacrée et sacramentelle. Car, chez nous, il n’y a aucun sermon
avant le baptême, et ce baptême est un vrai sacrement, comme le
reconnait Calvin lui-même (livre 4, chapitre 15, verset 16).
Ensuite, saint Augustin dit : « La parole accède à l’élément
, et le sacrement prend forme. » Or, le prêche n’accède pas
au sacrement, mais le précède, comme l’enseigne le même Calvin (livre
4, chapitre 14, verset 3). Il aurait donc fallu qu’il dise : «
L’élément accède au verbe, et le sacrement existe. »
Troisièmement. Saint Augustin a dit : « D’où vient à l’eau
une telle vertu que, en touchant le corps, elle purifie le cœur,
à moins que ce soit la parole qui agisse ? » Et plus bas : « On
n’attribuerait pas la purification à un élément fluide
et salissant, s’il n’était pas ajouté à la parole. »
Saint Augustin reconnait là que l’eau possède le pouvoir de purifier,
mais que ce pouvoir elle ne le tient pas d’elle-même mais de la parole.
Or, le prêche n’attribue rien à l’eau, car tout est référé à
l’instruction des auditeurs, non à la sanctification de l’eau.
Bien mieux, Calvin nous fait cette obiection plutôt absurde (dans
son commentaire du chapitre 5 aux Éphésiens) à savoir que, dans
les sacrements, nous référons les paroles à la consécration des éléments
plutôt qu’à l’instruction du peuple.
Quatrièmement. Saint augustin dit : « Pour qu’elle puisse
purifier, elle est consacrée par la parole, et c’est le baptême. »
Et le même Augustin enseigne que la parole par laquelle le baptême est
consacré est l’invocation : au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
C’est ainsi qu’il parle dans son livre sur le baptême (livre 3, chapitre
15 contre les Donatistes) : « Si Marcion consacrait avec ces paroles
: au nom du Père etc, son sacrement serait valide ». Ce qu’il répète
un peu partout.
Cinquièmement. Augustin a dit : « Cette parole de foi
ne vaut que dans l’Église de Dieu. Elle purifie l’enfant
qui, par elle, croit et offre, même s’il ne peut pas encore croire d’une
façon qui le justifie, ni confesser de bouche son salut. » Or,
comme chacun le sait, la parole de la prédication n’est profitable
que si on croit en acte. Saint Augustin ne parle donc pas de la parole
de prédication.
Après avoir rejeté la sentence de Calvin, quelques catholiques
enseignent que, loin de parler des paroles de la prédication, il parle
de celles de la consécration et de l’institution des sacrements.
Car, c’est ce qui, à sa manière, effectue le sacrement, consacre
les eaux, purifie l’enfant etc. Mais on ne peut pas, non plus,
admettre cette explication, car elle n’enlève pas l’objection
que nous font les adversaires par ces paroles : « Non parce que la parole
est dite, mais parce qu’elle est crue. » Et ensuite : « Voilà
la parole de foi que nous prêchons. » .
Ces paroles, saint Augustin les répète trois fois dans
ce texte. Il n’y a rien, en effet, dans ces paroles, qui
cadre avec les paroles de l’institution des sacrements. Car, les
paroles de l’institution ne tirent pas leur force du fait qu’elles
sont crues, mais de ce qu’elles sont dites par le Seigneur, qui
seul peut, avec des éléments, faire des sacrements. Les paroles
institutionnelles ne sont pas, non plus, proprement, le verbe
de foi que nous prêchons. Car, au même endroit, saint Augustin explique
ce qu’est la parole de foi, quand il dit : « Si tu confesses avec
ta bouche que Jésus est le Seigneur, et si tu crois de tout ton cœur
que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. »
En second lieu, en plus de la parole dont il parle ici, il ne reconnait
pas, dans le sacrement, une autre parole, mais un élément seul et nu,
comme il appert de ces paroles : « Enlevez la parole, qu’est l’eau,
sinon de l’eau ! » Et aussi : « La parole accède à l’élément,
et le sacrement est produit. » Et aussi : « D’o ù vient que
l’eau possède une vertu telle qu’en touchant le corps, elle purifie
le cœur, si ce n’est par l’action de la parole? » Cette
parole n’est donc pas la parole de l’institution, puisqu’il
est certain que, en plus de la parole de l’institution, les
sacrements sont formés de mots et d’éléments, et ne sont pas des éléments
nus.
D’autres catholiques pensent que saint Augustin ne parle que
des paroles cérémoniales ou consécratoires. Cette sentence est
certainement meilleure que les deux précédentes, mais elle a le petit
inconvénient de ne pas pourvoir expliquer pourquoi saint Augustin
allègue ces paroles de l’épitre aux Romains (chapitre X) : «
Voilà la parole de foi que nous prêchons. Si tu les confesses de tout
ton cœur… » Ni pourquoi, un peu avant, il a allégué ces
paroles des Actes (chapitre 15) : « Purifiant par la foi leur cœur. »
Et ces paroles de saint Pierre (1, 111) : « Non la déposition des saletés
de la chair, mais l’interrogation d’une bonne conscience. »
Et, enfin, ces paroles de Jésus en saint Jean (chapitre 15) : « Vous
êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite. » Car,
on ne peut pas, sans forcer la note, voir en elle les paroles de
consécration, et à moins de faire de la prédication populaire
une énigme.
Je dis donc que, dans cette citation, saint Augustin ne parle
pas toujours de la même parole. Il parle tantôt de la parole
de consécration, tantôt de la parole de prédication, comme il
est facile de s’en rendre compte par les arguments. Tu diras donc
que saint Augustin se meut dans une équivoque perpétuelle, puisque,
dans les mêmes sentences, il entend différemment le mot parole.
Par exemple, après avoir dit : « D’où vient une telle
vertu à l’eau, qui lui permette de purifier le cœur quand elle
touche le corps, à moins que ce soit la parole qui le fasse ? »
Il ajoute : « Non parce qu’elle est dite, mais parce qu’elle est crue.
» Où il parle clairement de la parole de prédication.
Donc, ou bien il parlait aussi, avant, de la parole de la prédication,
ou il commet une vicieuse équivoque. De plus, pour prouver que l’eau
tire sa force de la parole, il cite ce témoignage de saint Paul aux Romains
(chapitre X) : « Voilà la parole de foi que nous prêchons. Or,
si tu la confesses… » Et cette autre citation des Actes : « Purifiant
leur cœur par la foi. » Et cette autre de Pierre (1, 111)
: « Non la déposition des saletés du corps, mais l’interrogation d’une
bonne conscience. » Et, il ajoute : « Voilà la parole de foi que
nous prêchons. » Qu’est-ce que prouve saint Augustin, je le demande,
s’il parle d’une façon équivoque ?
Enfin, après avoir dit, dans le dernier sermon, que l’eau
purifie l’enfant par la parole, il ajoute tout de suite après : « Tout
se fait par la parole de laquelle le Seigneur a dit : « Vous êtes déjà
purs à cause de la parole que je vous ai dite. » Paroles qu’on
ne peut entendre que des prédications du Seigneur. Alors, pourquoi
les paroles précédentes ne devraient-elles pas être considérées comme
des paroles de prédication, et non de consécration, comme nous
le disions un peu avant ? Autrement, il y aurait, dans ces paroles, une
équivoque intolérable.
Je réponds qu’il n’y a aucune équivoque dans les paroles de saint
Augustin. Il avait entrepris l’explication de ces paroles
du Seigneur en Jean XV : « Vous êtes déjà purs à cause de la parole
que je vous ai dite. » En expliquant ces paroles, il s’est posé
la question suivante : pourquoi le Christ n’a-t-il pas dit : vous êtes
purs à cause du baptême qui vous a lavés. Car, même si la parole
de Dieu qui est prêchée purifie, dans la mesure où elle engendre la
foi, qui est le début de la justification, le baptême, lui aussi,
purifie, puisqu’il efface immédiatement toutes les saletés des
péchés. À cette question, il répond que le Christ a dit
: vous êtes purs à cause de la parole, et non à cause du baptême, parce
que, dans toute purification, qu’elle se fasse dans le sacrement ou en
dehors du sacrement, la vertu de purification vient toujours de la
parole. Car, si la purification a lieu en dehors du sacrement,
il faut nécessairement que ce soit par la foi actuelle, car, (Romains
X), la foi vient de l’audition, et l’audition vient de
la parole du Christ.
Si la purification se fait dans le sacrement, c’est l’élément
qui purifie, mais, pour qu’il purifie ou puisse purifier, on lui ajoute
la parole de consécration. Car, la purification vient toujours de
la parole. Voilà pourquoi ces paroles de Jésus (vous êtes
déjà purs…), il ne les restreint pas à la parole de prédication,
mais les prend au sens général du mot. Et, dans tout le reste du
sermon, il ne cherche à prouver qu’une chose : toute purification se
fait par la parole. Voilà pourquoi il présente pêle-mêle
des arguments et des témoignages tantôt au sujet de la parole sacramentelle,
tantôt au sujet de la parole de prédication, pourvu qu’ils démontrent
que c’est la parole qui purifie.
Cette réponse nous permettra d’expliquer facilement trois
textes, qui semblent comporter une équivoque vicieuse. Le premier
: « D’où l’eau tire-t-elle une telle vertu qu’en touchant
le corps elle purifie le cœur, si ce n’est parce que c’est la parole
qui le fait, non parce qu’elle est dite, mais parce qu’elle est crue
? » Certains entendent ces paroles de cette façon : à moins
que ne soit présente une foi en acte dans les adultes, et étrangère
dans les enfants, le sacrement n’a aucun effet. Mais
cela n’est pas tout à fait vrai. Parce que bien que, dans
les adultes, la foi soit requise comme une disposition qui nous permette
de recevoir fructueusement le sacrement, ce n’est quand même pas cette
foi qui donne à l’élément le pouvoir de purifier. Car la foi
n’a pas le pouvoir de purifier parce que je crois, mais parce que le
sacrement a été institué par Dieu.
Car, ce que demande Augustin c’est d’où vient la vertu de
l’eau, non à qui profite-t-elle. Donc ce : « non parce
qu’elle est dite, mais parce qu’elle est crue », signifie que la parole
sacramentelle ne donne pas un pouvoir à l’eau en tant qu’elle
est une chose naturelle, c’est-à-dire , de l’air frappé, car, ainsi,
la parole n’est pas meilleure que l’eau, mais en tant qu’elle est
une chose spirituelle connaissable par la seule foi, en tant donc qu’elle
contient l’invocation de la trinité, (comme le signe de la croix et
le nom de Jésus sont honorable et ont le pouvoir de faire des miracles,
et de chasser les démons, non en tant que choses naturelles, et perceptibles
par les sens corporels, mais en tant que représentant des choses
divines), de telle sorte que le sens est : non parce que la parole est
dite, mais parce qu’elle est crue, c’est-à-dire non en tant qu’elle
est perçue par les oreilles, mais en tant qu’elle est perçue par la
foi.
Que ce soit là le sens véritable de ce passage, on le voit par ce
qui suit : « Car, dans cette parole, autre est le son transitoire, autre
est la vertu permanente. » Il appelle, là, son transitoire
ce qu’il avait appelé parole dite. Et il appelle vertu permanente
ce qu’il avait appelé parole crue. De plus, ce « parce qu’elle
est crue », signifie ou bien parce qu’elle est crue en acte, ou
parce qu’elle est l’objet de la foi, et donc, une chose perceptible
par la foi. Il ne peut pas signifier ce qui est cru en acte,
car, aucune foi en acte, n’est rigoureusement nécessaire au baptême.
Car, n’est pas requise la foi actuelle de celui qui reçoit le baptême,
comme il appert des jeunes, dont saint Augustin dit qu’ils sont
vraiment purifiés par la parole dans le sacrement, même s’ils
ne peuvent pas croire consciemment, et professer leur foi de vive voix.
N’est pas requise non plus, ni la foi du ministre, ni celle des parents,
ni de quiconque, comme saint Augustin le prouve (dans l’épitre
23 à Boniface), où il dit que les enfants sont vraiment purifiés,
même s’ils sont baptisés ou présentés par des infidèles.
La foi actuelle de qui, donc, est requise si n’est requise ni celle
du baptisé, ni du baptiseur, ni du parrain ?
Tu diras qu’est requise la foi de l’église. Mais qu’arriverait-il
si, pendant qu’un enfant est baptisé par un infidèle, personne,
dans l’église, ne faisait un acte de foi ? Que se passerait-il, si,
par impossible, toute l’église périssait, et un Turc quelconque qui
a une certaine connaissance de nos cérémonies, baptisait un enfant avec
l’intention de faire ce que le Christ a institué et ce que fait l’Église
? Il est certain que cet enfant serait baptisé. Il est vrai,
cependant, ce qu’enseignent Augustin et d’autres, que les
enfants sont baptisés dans la foi des parents et de l’Église,
parce que, en fait, si personne n’était croyant, personne ne se mettrait
en frais de faire baptiser un enfant. Ce qui ne prouve pas que la
foi actuelle est requis , de sorte que, sans elle, le baptême serait infructueux.
On doit noter ici avec soin que saint Augustin ne nie pas que la parole,
en tant qu’elle est dite, et en tant qu’elle est une chose sensible,
ait une vertu. Car si l’eau, par elle-même, a le pouvoir de purifier,
à combien plus forte raison la parole, même en tant que sensible.
Ce qu’il nie c’est que cette vertu vient de la parole en tant
que chose sensible. C’est donc le sacrement en totalité qui a
une vertu, mais il l’a par la parole, en tant que la parole est
une chose spirituelle, connaissable par la seule foi.
Un autre endroit difficile est celui où saint Augustin allègue les
Écritures suivantes : Romains X, Actes XV, et 1 Pierre 111.
Je réponds que ces passages ne sont pas allégués pour prouver que le
pouvoir de purifier est dans l’eau par la parole, mais pour prouver,
en général, que la parole possède le pouvoir de purifier.
Car, c’est cela le but qu’il se propose, comme nous l’avons déjà
dit. Et comme il avait déjà prouvé cela par le fait que la parole
sacramentelle donne à l’élément le pouvoir de purifier, il prouve
la même chose par les témoignages de ces textes bibliques.
Car, ces passages démontrent que les cœurs des hommes sont
purifiés par la foi, et que la foi nait de la parole de la prédication.
D’où il conclut que la parole a le pouvoir de purifier.
Le troisième lieu difficile était à la fin du sermon. Après
avoir dit que, par la parole du sacrement, les enfants sont purifiés,
il ajoute : « Tout cela se fait par la parole, de laquelle le Seigneur
a dit : « Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai
dite. » Mais on a déjà répondu que ces paroles du Seigneur
ne sont pas restreintes par saint Augustin au sermon que le Seigneur a
prononcé après la dernière cène, mais sont prises dans un sens général,
de façon à ce que le sens soit : vous êtes purs à cause de ma parole,
soit que vous ayez cru après m’avoir entendu prêcher, soit que
vous ayez été sanctifiés dans le baptême. Voilà donc pour ce
passage, et pour l’argument principal de Jean Calvin.
L’autre objection est de Calvin, de Brentius, de Kemnitius
et d’autres. Ils disent que murmurer certains mots sur l’eau,
le pain ou un autre élément muet, c’est une sorte d’incantation
magique. Mais, cela n’est pas tant une objection qu’un horrible
blasphème. Tout d’abord, il y a deux choses qu’il faut condamner
dans les incantations magiques. La première. Quelques-uns
pensent que, dans certaines figures ou paroles, se trouve un pouvoir
naturel d’opérer quelque chose. Et cela, c’est de la superstition
pure et simple. Car, il n’est que trop évident que les figures ou les
paroles ne possèdent aucun pouvoir naturel de produire quelque chose.
La deuxième. Certains estiment que les figures ou les paroles n’ont
en elles-mêmes aucun pouvoir, mais qu’elles en ont acquis un par
un pacte contracté avec le diable dans le but de faire certaines choses.
Or, l’incantation relève de la magie noire ou de la sorcellerie,
et est un grand péché.
Or, les paroles sacramentelles, nous reconnaissons tous qu’elles
n’ont aucune force naturelle. Voilà pourquoi nous disons qu’une
intervention divine est requise, pour que, grâce à l’institution
divine, elles opèrent ce qu’elles n’ont pas le pouvoir d’opérer.
C’est une pure calomnie de Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 4 ) celle
qui lui fait soutenir que, pour consacrer l’élément, nous n’ayons
recours qu’à la foi et au vacarme des mots. Et Kemnitius
(dans son examen, part 2, page 101), dit que nous plaçons un pouvoir dans
les syllabes et dans les caractères, en négligeant le sens des
mos. Mais ce sont-là de purs mensonges. Car, c’est
dans l’institution du Christ que noud plaçons notre confiance, non dans
les caractères, non dans le son, ni dans le nombre de syllabes, mais dans
le sens et la signification.
En effet, tous les catholiques affirment, quelle que soit la langue
que nous utilisions, que, pourvu que le sens demeure le même, le
sacrement atteint sa perfection. Il est évident que, dans
différentes langues, les mêmes mots ont des lettres, des
sons et des syllabes différents. Il s’ensuit donc que nous
avons raison de penser qu’ils tirent leur force du pacte et de la promesse
du Christ. Car, si c’est de la magie, que devrons-nous conclure
d’autre que le Christ est le diable ? Car comme toute magie dépend
d’un pacte avec le diable, la vertu des paroles sacramentelles dépend
d’un pacte avec le Christ. Il s’ensuit donc manifestement
que ou il n’y a aucune magie dans nos sacrements, ou le Christ est le
diable. Nos adversaires sont donc parvenus à cette horrible
impiété de faire du Christ le diable.
Ils diront qu’ils ne font pas du Christ le diable, parce que le Christ
n’a pas institué ces formules prononcées sur des éléments muets.
Mais nous avons déjà suffisamment prouvé que le Christ les a instituées.
Du reste, je leur demanderai s’ils croient que le Christ a pu instituer
des signes de ce genre, qui auraient, en vertu de son pacte, le pouvoir
d’opérer quelque chose. Je ne peux pas penser qu’ils le nient,
à moins de nier que le Christ soit Dieu. Car, aux Nombres
V, Dieu a institué des paroles à être dites sur les eaux, et il
a voulu que ces paroles aient le pouvoir de communiquer une vertu
aux eaux, qui feraient mourir immédiatement les femmes adultères, si
elles en buvaient. De même, aux Nombres XX1, il statua que quiconque
regarderait le serpent d’airai serait guéri immédiatement des morsures
des serpents. Et, le Christ lui-même, ne repoussait-il pas
les maladies par des paroles, l’imposition des mains, la boue et même
par sa salive ? Le Christ a donc pu instituer que, par
son pacte, des paroles sacramentelles aient une vertu.
Je demande, une fois de plus, si le Christ avait institué ce que,
de votre propre aveu, il avait le pouvoir de faire, serait-ce de la magie,
oui ou non ? S’ils répondent que ça aurait été de la magie, ils déclarent
que le Christ est le démon. S’ils disent que ça n’aurait pas été
de la magie, ils perdent toute raison de nous appeler des magiciens.
Car, nous ne faisons que ce que nous croyons que le Christ a institué.
Si le Christ n’avait pas institué cela, nous serions dans l’erreur,
mais en aucune façon le crime de magie ne pourrait nous être imputé.
De plus, les signes et les paroles magiques n’ont aucune force, et le
diable ne peut pas, non plus, donner des pouvoirs aux choses, car c’est
lui seul qui opère en leur présence. Mais les paroles et les signes
sacramentels ont reçu de Dieu le pouvoir d’opérer ce qu’ils
signifient. Voilà pourquoi ils opèrent plus admirablement et plus
sublimement que ne le pourrait aucune incantation.
La troisième objection de Calvin (livre 4, chapitre 1, verset 4),
il la tire de l’autorité du Christ, des apôtres et de la primitive
église, ainsi que de Dieu lui-même : « Il n’est pas nécessaire de
nous casser la tête pour démontrer, puisqu’il n’il y là aucune obscurité,
ce que le Christ a fait, ce qu’il nous demandé de faire, ce que les
apôtres ont pratiqué, ce que l’église primitive a observé.
Bien plus, tous savent que à toutes les fois que , depuis
le début du monde, Dieu a présenté un signe aux saints pères,
une doctrine y a toujours été inséparablement annexée, sans laquelle
nos sens auraient été frappés de stupeur par la nudité du signe.
C’est pourquoi, quand nous entendons parler d’une parole sacramentelle,
nous y voyons une promesse, qui, prononcée à haute voix par un ministre,
amène comme par la main la foule, là où le signe tend et nous
dirige. »
Nous non plus, nous n’avons pas à nous casser la tête pour répondre
à ce genre d’objection. Car il n’y a rien d’obscur dans
l’institution du sacrement d’eucharistie. En effet, il n’a
pas fait précéder la consécration du pain et du vin par une prédication;
et il nous a commandé de faire ce qu’il avait fait. Voir Matthieu
XXV1, Luc XX11, 1 Corinth X1. Et tous connaissent ce
que les apôtres et les anciens pères ont fait, par les témoignages
que nous avons donnés plus tôt. Calvin, pour sa part, ne présente
aucun témoignage, sauf le texte de saint Augustin que nous avons longuement
expliqué. Enfin, nous ne nions pas que quand Dieu a donné
des signes aux pères, il leur en a fait comprendre le sens, et c’est
ce que nous faisons quand nous instruisons les catéchumènes.
Mais rien ne permet à Calvin d’en conclure que la parole sacramentelle
n’est rien d’autre que la prédication. Car, autre est prêcher,
et autre célébrer des sacrements. On doit faire l’un et l’autre,
sans penser que, pour autant, on ne doit pas faire de distinction de temps
ou d’office.
2018 10 21 fin
2018 11 01 début
CHAPITRE 21
Les éléments et les paroles des sacrements sont déterminés de façon
telle qu’il n’est permis de rien ajouter, enlever ou changer.
Nous voici rendus à la troisième question des causes intrinsèques
: les éléments et les paroles de sacrements sont-ils à ce point assurés
et déterminés qu’on ne puisse rien changer en eux. Et, parce
que, parmi les catholiques, il n’y a pas ou peu de dissension à
ce sujet, la chose demande plus une simple explication qu’une dispute
en règle.
Par contre, il ne manqua pas d’hérétiques qui changèrent l’ordre
des éléments et des paroles. Voir, à ce sujet, Épiphane, (livre
1, chapitre 9 et 18) et Épiphane (hérésie 26). Cependant,
tous ceux qui usaient des sacrements voulaient avoir des paroles et des
éléments déterminés; et, la plupart du temps, ils ne s’éloignaient
pas des paroles prescrites dans l’évangile. C’est ce que dit
saint Augustin (livre 7, chapitre 25, sur le baptême, contre les donatistes,)
: « On trouve plus facilement des hérétiques qui ne baptisent pas du
tout que des hérétiques qui ne baptisent pas avec les mots usuels. »
Or, à notre époque, Martin Luther, le plus audacieux de tous les
hérétiques, inventa une nouvelle hérésie, selon laquelle n’étaient
pas requis, dans les sacrements, des mots certains et déterminés.
C’est bien ce qu’il raconte (dans son livre sur la captivité babylonienne,
au chapitre du baptême) : « Quelle que soit la façon dont est effectué
le baptême, pourvu qu’il ne se fasse pas au nom de l’homme, mais du
Seigneur, il opère vraiment le salut. J’Irai plus loin.
Si quelqu’un reçoit le baptême au nom du Seigneur, même si un ministre
impie ne le donne pas au nom du Seigneur, le baptême aura vraiment été
donné au nom du Seigneur. »
Luther a rétracté, par la suite, cette erreur, car dans son homélie
sur le baptême, en l’an 1535, il parle ainsi : « Le Christ a
clairement exprimé la sorte de cérémonies qu’il voulait, et
il en a prescrit lui-même la forme, afin qu’on emploie ces signes, et
non d’autres, ces paroles, et non d’autres. » Et plus bas :
« Si tu aspergeais d’eau l’enfant sans ajouter les paroles du baptême;
si, par exemple, tu récitais l’oraison dominicale, ou d’autres paroles
tirées des saintes lettres, ce ne serait pas un vrai baptême. »
Et plus bas : « Si sur le pain et le vin, quelqu’un ne prononçait pas
les paroles du sacrement, mais le décalogue ou le symbole des apôtres,
ou une phrase quelconque de l’Écriture, ou un psaume, ce ne serait pas
le vrai corps et le vrai sang du Christ. » Il dit la même chose
dans sa troisième homélie sur le baptême, de l’an 1540.
Même si Luther avait rétracté son erreur, Jean Brentius préféra
la première opinion de Luther. Dans son catéchisme (au chapitre
du baptême), il ne fait pas grand cas de la forme du baptême prescrite
par le Christ. Tout comme Zwingli (dans son livre sur la vraie et
fausse religion, chapitre sur le baptême, dont nous parlerons au livre
11 des sacrements, chapitre 3). Il est évident pourtant que, autant
la première sentence de Luther répugne à la vérité, autant elle convient
mieux que la postérieure aux principes de la théologie luthérienne.
Car, si les sacrements ont été institués d’abord et avant tout pour
stimuler et nourrir la foi, il importe peu qu’on utilise tels mots
plutôt que tels autres, pourvu que la foi soit excitée et soutenue par
eux. Pour détruire cette erreur, et pour proclamer la vérité,
j’énoncerai donc quelques propositions.
Il faut, dans les sacrements, que des choses aient été certifiées
et déterminées par Dieu lui-même. Cette proposition est acceptée
par tous les catholiques, et n’est pas niée par les hérétiques.
Mais ils la prouvent autrement que nous. Ils la prouvent par le principe
général que ne plait à Dieu que le culte qu’il a institué lui-même.
Tout le reste n’est que tradition humaine. Cet argument est
faible, comme nous l’avons souvent montré ailleurs. C’est avec
un autre principe que les catholiques la prouvent : les sacrements
de la loi nouvelle sont des causes de la grâce et de la justification.
1 Cor V1 : « Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés. »
Éphésiens V : « En la purifiant par le lavement de l’eau dans la parole
de la vérité. » Or, personne ne peut donner la grâce en dehors
de Dieu. Donc, Dieu seul a pu déterminer ce qui appartenait à l’essence
du sacrement.
Au sujet des sacrements de la loi mosaïque et de la loi naturelle,
quelques-uns semblent avoir des doutes. Cependant, s’ils étaient
de vrais sacrements, comme ils l’étaient en effet, il nous faut absolument
soutenir que les éléments et les paroles de ces sacrements ont été
déterminés par Dieu. Tout d’abord, c’est un fait qui saute aux yeux
qu’à peu près tous les sacrements qui sont venus à notre connaissance
ont été déterminés par Dieu. Car, la circoncision a été le
sacrement de la loi naturelle, et il est évident que c’est Dieu qui
a déterminé ce qu’elle est, comment la faire, et à quel moment (Genèse
XV11). L’agneau pascal était un sacrement de la loi
écrite, et nous savons très bien que c’est Dieu qui en a déterminé
le rite (Exode, chapitre X11).
De beaucoup d’autres, nous pouvons prouver la même chose.
Les sacrements anciens étaient des figures et des types de nos sacrements.
Or, instituer certains rites qui infailliblement signifient quelque chose
du futur, ne peut convenir qu’à Dieu, qui est le seul à connaitre le
futur. Enfin, même si les sacrements de l’ancienne loi n’effectuaient
pas la grâce justifiante, ils causaient une purification légale, et faisaient
entrer dans le peuple de Dieu. Personne ne peut instituer quelque
chose qui soit capable de produire une purification légale, ou de faire
entrer dans une république donnée, sans être l’auteur de cette loi
ou de cette république.
Il est à noter ici avec saint Thomas (3 par quest LX, art 5, a 3),
que dans toute loi, il y a eu une matière du sacrement déterminée
par Dieu, mais pas toujours de la même manière. Car, dans la loi
de nature, les lois n’étaient pas écrite sur des tables, ni promulguées
par les hommes ou les anges, mais dictées à l’intérieur de l’homme,
et insufflées dans les cœurs des hommes. C’est de cette façon
que les sacrements ont été inspirés aux principaux pères, comme Adam,
Noé et Abraham, qui enseignaient les autres. Et comme la loi mosaïque
a été promulguée par Moïse et écrite publiquement sur des tables,
de la même façon les sacrements de cette époque ont été livrés par
Dieu par l’intermédiaire de Moïse, et mis par écrit sur l’ordre
de Dieu. Et puis, parce que l’auteur de la nouvelle loi est le
Verbe incarné, c’est par lui que nos sacrements ont été déterminés.
La deuxième proposition. Non seulement les éléments, mais
les paroles aussi ont, dans les sacrements de la nouvelle loi, été déterminées
par Dieu, de sorte qu’on ne peut rien changer. Il faut expliquer
cette proposition pour qu’on la comprenne correctement. Notons d’abord
qu’une variation de la forme peut se faire de six manières. Par
l’addition d’une parole, par l’enlèvement d’une parole, par le
changement d’une parole pour une autre, par la corruption d’un mot
en changeant ou en enlevant une syllabe, par la transposition, en changeant
la prononciation du mot, et enfin, par interruption, en interrompant ou
espaçant la lecture. Il faut noter ensuite que l’intégrité de
la forme sacramentelle est double : l’une, substantielle, et l’autre,
accidentelle. La substantielle consiste dans le seul sens, ou la
seule signification des mots, non dans le son ou le nombre des syllabes.
Et c’est ainsi que à toutes les fois qu’il y a variation (selon les
huit façons) l’intégrité substantielle demeure toujours tant que demeure
le même sens. Et, à l’opposé, la plus infime variation détruit
l’intégrité substantielle si le sens périt. Exemple. Si quelqu’un,
en changeant une seule lettre, disait : je te baptise au nom de la Mère,
du Fils et du Saint-Esprit, il n’aurait pas la substance formelle.
L’intégrité accidentelle consiste dans toutes les autres choses, c’est-à-dire
dans l’intégrité du son, de l’ordre et du nombre de syllabes.
Troisième note. Le jugement sur ces variations, qu’elles soient
substantielles ou accidentelles, ne doit pas être mathématique, mais
moral. C’est-à-dire qu’on jugera que le sens des paroles
est conservé quand les auditeurs comprendront, et estimeront que
les mots employés signifient ce que l’intégralité des mots a coutume
de signifier, même si la prononciation des mots était très défectueuse.
Exemple. Ce que rapporte le pape Zacharie (dans sa lettre à Boniface),
et qui se trouve aussi dans Gratien, au canon retulerunt, sur la consécration,
distinction 1V.).
En raison d’une faible connaissance de la langue latine, quelques-uns
baptisaient avec ces mots : je te baptise au nom de la patrie, de la fille
et de l’esprit sainte. Le souverain pontife jugea, dans sa prudence,
que la substance de la forme n’avait pas été changée, car on pouvait
facilement comprendre ce qu’ils voulaient dire tant par l’action de
celui qui devait être baptisé que par l’union de ces mots avec « au
nom de. » Car, s’ils avaient voulu volontairement changer la forme,
ils auraient dit au nom de la père et de la fille, (comme l’exige la
grammaire), et non au nom de la patrie et de la fille, qui ne signifie
rien. Le fait que les paroles qu’ils employaient ne signifiaient
rien c’était le signe qu’ils voulaient dire ce que disent les autres
quand ils emploient la vraie formule : je te baptise au nom du Père, et
du Fils et du Saint-Esprit.
On doit porter un jugement semblable dans le cas d’une interruption.
Exemple. Si quelqu’un dit, en consacrant l’eucharistie, cela
est « cor » (la première partie du mot latin corpus), et dirait, après
cela un psaume, ou se reposerait assez longtemps, et ajouterait ensuite
: « pus meum » (l’autre partie du mot corps avec mon), au jugement
des hommes prudents, on ne pourrait pas penser qu’il a dit : cela est
mon corps. Mais, s’il ne faisait qu’une brève pause entre les deux
syllabes du mot latin corpus, cor, et pus, on ne considérerait pas que
la forme sacramentelle a péri.
Il faut noter, quatrièmement, qu’il n’est pas licite de
dire en conclusion que la forme n’est changée en aucune façon soit
que, par cette mutation, soit enlevée l’intégrité de la forme substantielle,
ou seulement accidentelle. Voici quelle est la différence.
Quand la forme est changée substantiellement, le sacrement n’est pas
opéré. C’est pourquoi cette intégrité est dite nécessaire,
de nécessité de sacrement. Quand la forme n’est changée
qu’accidentellement, le sacrement est effectué, mais pèche celui qui
a fait le changement. Et voilà pourquoi on dit que cette intégrité
est nécessaire seulement de nécessité de précepte.
Il faut noter, cinquièmement, que le sacrement n’est jamais rendu
invalide par la forme des mots, à moins que ne manque vraiment l’intégrité
de la substance. Cependant, il pourrait arriver, par ailleurs,
que, à cause d’une simple corruption accidentelle, le sacrement ne soit
pas effectué, si celui qui a accidentellement changé la forme veut introduire
un nouveau rite, comme l’enseigne Zacharie (canon retulerunt, sur la
consécration, dist 4,) et, après lui, saint Thomas (3 par question LX,
art 7, au 3, et article 8, dans le corps de l’article). Les paroles
de ces auteurs ne sont pas expliquées correctement par tous.
Il faut donc chercher à savoir si celui qui se propose d’introduire
un nouveau rite a l’intention d’introduire un nouveau rite essentiel
pour toute l’église du Christ dans tout l’univers, c’est-à-dire
qui n’a jamais existé dans l’église vraie et universelle. Ou
bien s’il a l’intention d’introduire un nouveau rite pour une église
qu’il juge fausse. S’il a l’intention d’introduire quelque
chose de complètement nouveau, alors le sacrement n’a pas lieu,
non parce que manque la forme, mais parce que manque l’intention.
Parce quand il veut introduire un nouveau rite qui n’a jamais existé
dans l’église universelle, il est facilement convaincu de ne pas vouloir
faire ce que fait l’Église. Et c’est ce qu’enseigne saint
Thomas, dans les lieux cités. Car, il donne toujours la raison pour
laquelle celui qui veut introduire un nouveau rite ne confère pas le sacrement.
C’est parce qu’il n’a pas l’intention de faire ce que fait l’Église.
S’il veut introduire un nouveau rite non pour l’église universelle,
mais seulement pour telle église qu’il croit fausse, en ayant
l’intention de faire ce que fait l’Église, alors le sacrement est
valide, même s’il se trompe dans le jugement qu’il porte sur la vraie
église. Par exemple. Si, pendant qu’il baptise par
ces paroles : que le serviteur du Christ soit baptisé au nom du Père,
du Fils, et du Saint-Esprit, un grec a l’intention d’introduire un
rite substantiel et nécessaire contre le rite de l’église romaine,
de façon à vouloir persuader que n’est pas valide le sacrement de baptême
quand on dit : je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
tout en ayant l’intention de faire ce que fait la véritable église,
quelle qu’elle soit, ce prêtre baptisera vraiment, malgré son erreur.
Car, dans ce baptême, se trouve la forme substantielle et l’intention
de la vraie église en général, qui, au consentement de tous, suffit.
Son erreur sur le sacrement ou l’église n’irrite pas le sacrement,
comme l’enseignent tous les catholiques qui enseignent que les sacrements
conférés par les hérétiques sont valides. Le ministre du sacrement
n’est pas tenu non plus de vouloir faire ce que fait l’église romaine,
car, autrement, aucun hérétique ne baptiserait validement. Mais
seulement ce que fait la vraie église du Christ. Dans cette intention
est virtuellement inclus de vouloir faire ce que fait l’église romaine,
car c’est elle la seule la vraie église.
Voilà pourquoi est vrai ce que dit Paludanus (4 distinct 3, quest
1 art 3) quand il affirme qu’un sacrement n’est pas toujours invalidé
quand quelqu’un a l’intention d’introduire un nouveau rite;
et il n’est pas contre saint Thomas, comme il l’a peut-être pensé.
Car saint Thomas n’a pas dit : quand quelqu’un veut introduire
un nouveau rite, le sacrement n’est pas effectué, mais il ne semble
pas qu’il ait été effectué. Car le sacrement pourrait avoir été
valide, mais on suppose qu’il ne l’est pas, car on présume qu’il
n’y a pas eu l’intention voulue. Dominique a Soto soutient (question
1, article 8) que les Grecs baptisent vraiment par les mots suivants :
que le serviteur du Christ soit baptisé, parce que l’Église romaine
tolère ce rite. Et que si l’église romaine détestait ce rite, ils
ne baptiseraient pas véritablement.
Mais cela n’est pas tout à fait vrai. Car, si l’église
romaine détestait ce rite en y voyant une corruption accidentelle, ils
pècheraient certainement, mais ils baptiseraient vraiment. Si l’église
romaine détestait ce rite parce qu’elle y détectait une corruption
substantielle, ils ne baptiseraient pas véritablement. Mais ce ne
serait pas, comme le dit Sotus, parce que l’intention fait défaut, mais
parce que fait défaut la forme substantielle.
Après avoir donné ces explications, il nous sera possible de prouver
notre proposition contre la témérité de Luther et de Brentius.
D’abord, les sacrements ont été institués par Dieu, comme le reconnaissent
nos adversaires. Donc, la partie principale du sacrement, la forme
verbale, a été instituée par Dieu. Celui qui la change pèche
donc contre Dieu, et il lui arrive souvent de ne pas célébrer validement
quand il fait un changement substantiel. En effet, si un sacrement
dépend de l’institution de Dieu, il n’y aura certainement pas de sacrement
quand nous ne faisons pas ce qu’il a institué.
En second lieu, changer la matière des sacrements serait un grave sacrilège,
et il n’y aurait pas de sacrement, comme les adverses le concèdent.
Pourquoi donc n’en va-t-il pas de même pour la forme, qui consiste dans
des mots ?
Troisièmement. Il n’est permis, pour aucune considération,
d’ajouter ou de changer des mots. On ne doit donc pas et on ne
peut donc pas changer les paroles des sacrements en aucune façon.
Surtout parce que les paroles de l’Écriture ont été instituées seulement
pour signifier, et que les paroles des sacrements ont été instituées
pour signifier et sanctifier.
Quatrièmement. On prouve la même chose par le témoignage des
pères. Saint Irénée (livre 1, chapitre 18) reproche à certains
hérétiques d’avoir changé la forme des verbes prescrite dans le sacrement
du baptême. Tertullien (dans son livre sur le baptême) écrit :
« L’obligation de baigner est imposée. Allez, a-t-il dit, baignez-les
au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Saint Cyprien enseigne
la même chose, dans son épitre à Jubaianus. La même chose aussi
saint Athanase (sermon 3 contre les Ariens), et saint Basile (dans son
homélie sur le saint baptême). Et ceux qui ont écrit contre les
Ariens, prouvent la divinité des trois personnes par l’ordre que nous
avons reçu de baptiser au nom des trois personnes divines.
De même, saint Basile (dans son livre sur le Saint-Esprit, au chapitre
12), dit qu’il perd la grâce celui qui, dans le sacrement du baptême,
enlève ou ajoute quelque chose aux paroles prescrites, Didyme (au
livre 2 sur le Saint-Esprit) : « Celui qui omet un seul des noms prescrits,
n’atteint pas la perfection du sacrement, ni ne libère l’homme de
ses péchés. » Saint Augustin (livre 6, chapitre 25 contre les
donatistes) écrit : « Les paroles évangéliques sont certaines.
Sans elle, le baptême ne peut pas être consacré. » Saint Jean
Damascène (livre 4, chapitre 16, sur la foi) : «Que cette forme de paroles
doive être employée, le Seigneur le déclare en disant : « Les baptisant
au nom de…). Et il ordonne d’examiner la forme des paroles du
baptême arien.
CHAPITRE 22
De la fin et de la nécessité des sacrements
Il y a trois choses à expliquer au sujet de la cause finale des sacrements.
Il faudra d’abord parler de la fin elle-même. Ensuite, de la nécessité
que l’ont connait par la fin. Et enfin, il faudra défendre la
sentence de l’Église contre les mensonges et les calomnies des hérétiques.
Quand on se demande quelle est la fin des sacrements, il faut s’enquérir
de deux choses. La première. Pour l’obtention de quelle fin Dieu
a-t-il institué les sacrements ? La deuxième. Pourquoi Dieu a-t-il
institué tels moyens pour atteindre cette fin, puisqu’il pouvait atteindre
le même résultat avec d’autres moyens, ou sans aucun moyen.
La première question a déjà été expliquée dans la dispute sur
la définition du sacrement. Nous avons montré, là, que les sacrements
ont été institués pour justifier les hommes, et pour qu’ils soient
des signes et des causes instrumentales de la grâce de Dieu. L’autre
question ne cause pas de souci, et il n’y a, à son sujet, aucune controverse.
Et beaucoup d’auteurs donnent des raisons, du point de vue de Dieu, de
l’homme ou du sacrement, pour lesquelles il fut utile d’instituer des
sacrements, c’est-à-dire des signes sensibles pour justifier les hommes.
Voici donc les principales raisons. La première. Cela convenait
à la nature humaine, qui est formée d’un corps et d’un esprit.
C’est ce qu’enseigne saint Jean Chrysostome (homélie 60 au peuple,
et 83 sur Matthieu) : « Si tu avais été incorporel, il t’aurait donné
des dons invisibles et incorporels. Mais, parce que l’âme est
insérée dans un corps, il te présente les choses spirituelles dans les
choses sensibles. » Enseignent la même chose saint Grégoire de
Naziance et saint Grégoire de Nysse dans leurs sermons respectifs sur
le baptême.
La deuxième. Pour qu’il apparaisse plus clairement que la grâce
donnée par le sacrement est donnée par Dieu seul. Car, si elle
était donnée par des actions spirituelles, les hommes pourraient s’imaginer
qu’ils sont justifiés par la vertu de leur propre action. Mais, parce
que, maintenant, un don si excellent est octroyé par des choses corporelles
et abjectes, toute tentation de cet ordre a été dissipée. Voilà
pourquoi le Seigneur Jésus (en Jean 1X), a rendu la vue à un aveugle
avec de la salive et de la boue, et non par le moyen d’un onguent précieux
et coûteux. Et c’est par le moyen d’hommes pauvres et obscurs
qu’il a voulu se soumettre le monde.
La troisième. Pour qu’ils soient en même temps des signes et des
instruments de justification par lesquels on distingue les fidèles des
infidèles, on rassemble le peuple de Dieu, et on rend un culte à Dieu
par des cérémonies sacrées. Car, ces signes n’auraient pas pu
distinguer les chrétiens des autres, ni être des cérémonies religieuses
à moins qu’ils n’aient été sensibles et externes. Voir ces
raisons exposées par Hugues (livre 1 sur les sacrements, par 9, chap 3;
ainsi que Maître et docteurs, (livre 1V sent dist 1) et saint Thomas (livre
4, chapitre 56, contre les Gentils), et parmi les plus récents, Guillaume
Alanus, (chapitre 24 du livre sur les sacrements en général.)
Quant à la seconde, au sujet de la nécessité, la nécessité est
double. Une est dite nécessité de précepte; l’autre, nécessité
de moyen. Ces deux nécessités sont inter reliées, parce
que, par le fait même que quelque chose est un moyen nécessaire au salut,
il est en même temps un précepte naturel, s’il est en notre pouvoir.
Cependant, la différence en est que quand quelqu’un, par ignorance invincible
ou pour une juste cause, n’accomplit pas un précepte, il ne souffre
aucun dommage. Mais si quelqu’un ne prend pas un moyen nécessaire,
il subit un grand tort, parce qu’il n’atteint pas la fin, à moins
qu’il agisse par ignorance invincible.
Par exemple, le sacrement de confirmation est un précepte,
mais non un moyen absolument nécessaire au salut. C’est pourquoi, celui
qui néglige de recevoir ce sacrement pèche. Mais, si c’est pour une
cause légitime qu’il ne le reçoit pas, il ne pèche pas, et cette omission
ne l’empêchera pas de se sauver. Le baptême, lui, réel ou de
désir, est un précepte et un moyen. Voilà pourquoi celui qui ne se fait
pas baptiser ou qui n’en a pas le désir, n’est pas sauvé, à moins
que ce soit par ignorance ou incapacité.
Il y a ensuite la nécessité de moyen. La nécessité est ou
absolue, comme des ailes sont nécessaires pour voler, ou elle est nécessaire
au bien être, comme un cheval est nécessaire pour voyager. Ensuite,
l’une et l’autre nécessité sont ou absolues et naturelles, comme
dans les exemples donnés, ou institutionnelles et arbitraires. Comme,
dans une course à pieds atteindre la borne est le moyen nécessaire de
remporter la récompense. Ou elle est en partie institutionnelle
et en partie naturellement congruente, comme quand un général d’armée
permet à ses soldats de piller une ville s’ils s’en emparent.
Ces distinctions nous feront facilement comprendre quelle est la nécessité
des sacrements.
Voici donc la première proposition. Aucun sacrement n’a une nécessité
absolue, parce que toute leur nécessité dépend d’un précepte,
et d’une institution divine, naturellement congruente. Car, il
est certain que Dieu aurait pu sauver les hommes sans sacrements.
Et là-dessus, il n’y a pas de controverse.
La deuxième proposition. Tous les sacrements sont nécessaires de
nécessité de salut, même si non pour chacun. Sur cette proposition,
il n‘y pas, non plus de controverse avec les hérétiques.
La troisième proposition. Le baptême et la pénitence sont
nécessaires, une fois qu’ils ont été institués, d’une nécessité
absolue de moyen. Le baptême, pour tous; la pénitence, pour ceux
qui ont péché mortellement après le baptême. Là-dessus, nous
ne sommes pas d’accord. Car, les adversaires soutiennent que les sacrements
sont nécessaires parce qu’ils sont des préceptes, et sont aussi nécessaires
en tant que moyens utiles. Ils ne reconnaissent donc pas que ce sacrement
soit absolument nécessaire comme moyen.
Et la raison en est que, comme, pour eux, la foi seule justifie,
les sacrements ne sont employés que pour aviver ou nourrir la foi. Et,
sans les sacrements, la foi peut, par la seule parole, être engendrée,
nourrie, augmentée. Les sacrements ne sont pas, pour eux, absolument
nécessaires. Mais, cette controverse on la fera dans la dispute
sur le baptême et la pénitence. Maintenant, suffisent deux textes
très clairs de l’Écriture (Jean 111) : « À moins que quelqu’un
ne renaisse de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut pas entrer dans le
royaume de Dieu. » Et Luc X111 : « À moins que vous ne fassiez pénitence,
vous périrez tous ensemble. »
La quatrième proposition : L’eucharistie, la confirmation et l’extrême
onction sont, après leur institution, nécessaires, de nécessité
de moyen, pour le bien être. Nous ne sommes pas d’accord là-dessus
avec les hérétiques, parce que nous faisons entrer la confirmation
et l’extrême onction dans les sacrements. Mais, on parlera de
cela plus tard. Quant à l’eucharistie, nous sommes tous
d’accord qu’elle est de précepte. Qu’elle soit nécessaire
pour le bien-être ou comme moyen, nous semblons être tous d’accord,
mais, en réalité, nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde.
Car, Calvin dit dans son antidote, et Kemnitius (dans son examen du
concile de Trente) que les sacrements sont nécessaires, en tant que moyens
institués par le Christ. Mais, ils exténuent tellement cette nécessité,
en l’expliquant, qu’ils l’enlèvent presque totalement.
Car, ils veulent que les sacrements ne soient utiles qu’à nourrir la
foi, parce qu’ils présentent aux yeux ce que la parole offre aux oreilles.
Voilà pourquoi l’apologie de la confession (article 13), compare les
sacrements à une image peinte. Comme les tableaux religieux de grands
maitres ne sont pas nécessaires au salut, sauf peut-être pour les
illettrés, de la même façon, les sacrements ne sont pas non plus,
nécessaires au salut.
Kemnitius s’efforce de repousser cette comparaison des sacrements
avec les peintures, et de démontrer je ne sais trop quelle nécessité
plus grande. Mais, il ne peut pas nier que cette comparaison est
dans l’apologie de Calvin, qu’il professe suivre en tout. Mais
il dit la même chose en d’autres mots. Car, il veut que les sacrements
ne soient rien d’autre que des rites dans lesquels est représentée
visiblement une promesse, comme elle est représentée vocalement dans
la parole. En conséquence, ils ne reconnaissent pas vraiment
la nécessité des sacrements, mais seulement une infime utilité.
La cinquième proposition. L’ordre, après l’institution divine,
est nécessaire non pour tous les hommes, mais pour l’Église universelle,
de nécessité absolue de moyen.
La sixième proposition. Le mariage est nécessaire pour le bien être,
pas pour tous les hommes, mais pour l’Église universelle. Là-dessus,
il n’y a pas de dissension. Voir saint Thomas (3 par, quest. LXV,
art 4.)
En ce qui a trait à la troisième, il faut réfuter les mensonges
et les calomnies de Calvin et de Kemnitius contre le canon 4, session V11
du concile de Trente, où il s’agit de la nécessité des sacrements.
Voici les mots du concile : « Si quelqu’un dit que les sacrements de
la loi nouvelle ne sont pas nécessaires au salut, mais superflus, et que,
sans eux, les hommes peuvent, par la seule foi, obtenir de Dieu la grâce
de la justification, bien que tous ne soient pas nécessaires pour tous,
qu’il soit anathème ! »
Dans ce canon, le concile définit trois choses. La première.
Les sacrements sont nécessaires au salut, non superflus. Ce qui
est défini contre les Anabaptistes et les Zwingliens, qui voulaient que
les sacrements soient utiles pour séparer les croyants des incroyants,
et non pour obtenir le salut. Cette partie de la définition, Calvin
et Kemtnitius l’admettent et la soutiennent. La deuxième. Les sacrements
sont à ce point, nécessaires que sans eux, ou leur désir, on ne
peut obtenir le salut. Ce qui est défini contre les Luthériens et les
Calvinistes, qui n’attribuent qu’à la foi cette nécessité. La troisième.
Les sept sacrements ne sont pas nécessaires pour tous. Comme l’ordre
et le mariage. La seule chose qu’ils reprochent à cette
partie de la définition, c’est que nous rangions le mariage et l’ordre
parmi les sacrements. Mais nous parlerons de cela plus loin.
Venons-en aux mensonges. Voici comment, dans son antidote, Calvin
calomnie ce canon : « Ces bons pères, en raison de leur grossièreté,
ne se sont pas rendus compte que tout ce qui en fait de grâce nous est
conféré par les sacrements, doit être quand même imputé à la foi.
Car, celui qui sépare la foi des sacrements fait comme s’il enlevait
l’âme au corps. En conséquence, comme nous n’excluons pas la
doctrine de l’évangile quand nous disons que nous obtenons la grâce
du Christ par la seule foi, ainsi en va-t-il des sacrements, qui sont des
sceaux de l’évangile. »
Par ces paroles, il conteste cette partie du canon où le concile condamne
ceux qui disent que les hommes sont justifiés par la seule foi sans
les sacrements. En somme, il reproche au concile d’avoir condamné
une sentence de Luther sans l’avoir bien comprise. Car, même si
les luthériens admettent la justification par la seule foi, et que les
sacrements ne justifient pas comme la foi justifie, ils reconnaissent cependant
que les sacrements justifient d’une certaine manière. Comme ils ne nient
pas non plus que Dieu justifie, que la passion du Christ justifie, que
la prédication justifie d’une certaine manière.
Car, ils disent que Dieu justifie en remettant d’autorité les péchés,
et en nous recevant en grâce. Ils disent que le Christ justifie
par ses mérites, parce qu’il a mérité pour nous la grâce et la rémission
des péchés. La parole et le sacrement justifient, pour eux, instrumentalement,
dans la mesure où ils suscitent et nourrissent la foi qui appréhende
la justification. La foi justifie parce que, comme une main spirituelle,
elle saisit immédiatement la justification, car la foi de celui qui doit
être justifié n’a pas de compagnon. C’est donc, sans raison, que,
selon la sentence de Calvin, le concile accuse les luthériens d’exclure
les sacrements de la justification, parce qu’ils enseignent que la foi
seule justifie.
Kemnitius a une calomnie semblable, à la page 80. Voici ce qu’il
dit : « Ce qu’il faut observer principalement c’est qu’ils opposent
la nécessité des sacrements à la justification par la seule foi.
Et les choses qui sont nécessaires au salut il faut les distinguer comme
le Christ méritant, le Père donnant, les organes, ou les instruments
de la parole et des sacrements, par lesquels l’Esprit-Saint apporte les
bienfaits du nouveau testament, applique, contresigne, augmente, et confirme
dans les croyants, et la foi qui saisit ces bienfaits et les reçoit.
Toutes ces choses, chacune à sa façon, sont ordonnées à notre salut.
Et, comme il ne s’ensuit pas que les sacrements soient nécessaires au
salut, c’est donc par la seule foi que nous recevons la grâce de la
justification. »
Cela est une calomnie et un mensonge manifeste. Car, le concile
avait très bien compris le sens de leur sentence, et avait vraiment condamné
ce qu’ils enseignent. Le concile, en effet, ne condamne pas ceux
qui excluent d’une certaine manière les sacrements de la justification,
mais ceux qui les excluent de la réception et de l’application immédiate
de la justification qu’ils attribuent à la seule foi. Car, la foi catholique
n’admet pas que, par la seule foi, la grâce de la justification soit
immédiatement appréhendée et appliquée aux hommes. Mais elle
veut que, pour cela, soient nécessairement requis les sacrements. Et à
un point tel que quelle soit la grandeur de la foi qui existe en
quelqu’un, elle ne justifie pas sans la réception du sacrement en réalité
ou en désir. Bien plus, le sacrement est plus requis que la foi.
Car, sans le sacrement reçu en réalité ou en désir, personne n’est
justifié, ni les adultes ni les enfants. Mais, sans la foi quelqu’un
peut être justifié, comme les enfants qui n’ont pas de foi à eux,
par laquelle ils reçoivent la justification, et qui sont cependant justifiés
par le sacrement de la foi.
Ce qui réfute aussi la sentence de Calvin à l’effet que tout ce
qui, en fait de grâce, nous est conféré par le sacrement,
doit être imputé à la foi. Car, cela est faux. La grâce, en effet,
qui est conférée par les sacrements doit être imputée à la vertu des
sacrements eux-mêmes, et à l’institution du Christ, non à la foi.
Car, la foi ne donne pas leur vertu aux sacrements, mais ne fait que disposer
le sujet à les recevoir fructueusement, comme nous l’avons déjà dit.
Martin Kemnitius (2 par de l’examen, pages 79 et suivantes),
dit que dans chaque mot de ce canon se cachent des embûches. Il
en a trouvé cinq qui, à la vérité, ne sont pas des pièges
tendus par le concile, mais de pures calomnies. Il dit d’abord
: « Il faut considérer l’artificialité de la composition de ce canon.
Et plus bas : « Les autres rites comme la confirmation, l’extrême onction,
la confession auriculaire, la satisfaction, ils veulent qu’ils soient
des sacrements absolument nécessaires au salut. »
Ce qui est un mensonge éhonté, autant parce que le concile n’ajoute
pas le mot absolument, que parce que la sentence commune des théologiens,
dont le concile ne s’est jamais distancé, soutient que seuls trois sacrements
sont absolument nécessaires : le baptême, pour tous, la pénitence, pour
tous ceux qui pèchent après le baptême, et l’ordre, pour l’église
universelle. Sans les autres sacrements, les hommes peuvent se sauver,
pourvu qu’il n‘y ait ni négligence ni mépris. Voir saint Thomas 3
part quest LXV, art 4.
Deuxièmement, ainsi parle Kemnitius : « Personne de ceux qui sont
sains d’esprit n’a jamais enseigné que la justification vient de la
foi seule, au point d’exclure de la justification la grâce de Dieu,
les mérites du Christ, le ministère de la parole et des sacrements. ».
Ce qui est un autre mensonge. Car, même si Kemnitius et Calvin
enseignent qu’on ne doit pas opposer la seule foi aux sacrements, dans
la question de la justification, comme on ne l’oppose pas à la grâce
de Dieu et aux mérites du Christ, cependant Luther que Kemnitius n’a
jamais accusé de n’être pas sain d’esprit, oppose en plusieurs lieux
la foi seule aux sacrements, et enseigne explicitement que les hommes sont
justifiés par la foi à un pont tel qu’aucune partie de la justification
n’appartient aux sacrements. Voici ce qu’il dit sur le baptême
dans son livre sur la captivité de Babylone : « Le baptême ne justifie
personne et n’est profitable à personne, ce n’est que la foi
seule qui justifie. » Et dans son livre contre Jean Cochlaeus :
« Aucune partie de la justification ne peut être attribuée au baptême.
»
Il n’aurait certainement pas dit que la grâce de Dieu ou les mérites
du Christ ne justifient pas, ou ne sont d’aucune utilité. Et qu’aucune
partie de la justification ne peut être attribuée à la grâce du Christ
ou aux mérites du Christ. Luther oppose donc aux sacrements
la justification par la foi seule, qu’il n’aurait pas opposée à la
grâce de Dieu ou aux mérites du Christ. Ainsi Philippe Melanchton
que Kemtnitius ne traite certes pas d’insensé, n’aurait jamais dit
dans les lieux, de 1522 : « Les signes ne justifient pas. Comme le dit
l’apôtre : la circoncision n’est rien. De même, le baptême n’est
rien, la participation au repas du Seigneur n’est rien. »
Mais je demande : aurait-il dit que la grâce de Dieu ne justifie
pas, et que la grâce de Dieu n’est rien ? Les anciens luthériens
opposaient donc les sacrements à la seule foi, qu’ils n’auraient pas
opposée à la grâce et aux mérites du Christ. Le concile a donc
condamné ces paroles profanes des anciens luthériens, et la sentence
que suivent Calvin et Kemnitius, même s’ils diffèrent dans les mots.
Troisièmement, Kemnitius a dit au même endroit : « Ils ne
rejettent pas tant la nécessité des sacrements parce qu’ils sont des
causes instrumentales par lesquelles nous est présentée par Dieu et offert
la grâce de la justification, mais ce dont ils parlent c’est de
l’obtention et de la réception de la grâce de la justification.
Mais, cela, ils ne veulent pas l’attribuer à la foi seule, mais ils
y adjoignent la nécessité des sacrements.. C’est-à-dire qu’ils
considèrent la réception des sacrements comme une œuvre à nous.
De telle sorte que la foi reçoive la grâce de la justification non par
elle seule, mais grâce à la dignité et le mérite de notre œuvre.
C’est un mensonge impudent de Kemnitius. Car, aucun catholique
n’attribue à la dignité ou au mérite de notre œuvre la justification
que nous recevons des sacrements. Mais, à l’institution divine
et aux mérites du Christ. Car, le baptême et les autres sacrements
ne sont pas nos œuvres, et ils ne dépendent pas de notre dignité ou
de nos mérites. Autrement, les sacrements administrés par des impies
ne seraient pas utiles. Cette utilité les catholiques
autant que les Luthériens l’enseignent contre les donatistes.
Quatrièmement, Kemnitiius ajoute : « Et ils les appellent sacrements
de la nouvelle loi pour qu’il y ait une relation mutuelle entre la loi
et nos œuvres dans l’usage même des sacrements. » On peut appeler
cela une légère calomnie. Car, par loi, le concile n’entend pas un
précepte par lequel l’œuvre est commandée, mais le nouveau testament.
Car, dire sacrements de la nouvelle loi et sacrements institués par le
Christ c’est dire la même chose, car le Christ est l’auteur du nouveau
testament ou de la loi.
Cinquièmement, il ajoute sans trop de réflexion : « Voilà pourquoi
ils appellent vœu la promesse d’une certaine œuvre pour recevoir la
grâce de la justification. Qui ne déplorerait pas l’ignorance
ou l’impudence de ce censeur ? Car, ou il ignorait que, dans ce
concile, le mot vœu ne signifie pas une promesse, mais un désir,
ou il a caricaturé à dessein. Il est certain que quand le concile
dit que les sacrements sont nécessaires, ou leur désir, il entend
par vœu une volonté. Car, comme saint Augustin (livre 4, chapitre
23 contre les donatistes) enseigne : sans le baptême, le larron a été
sauvé, parce que sa volonté de le recevoir ne lui fit pas défaut,
et ne fut pas présente la nécessité de le recevoir. Mais
que cela suffise pour les balivernes de Kemnitius, et la cause finale des
sacrements.
CHAPITRE 23
Le Christ est le seul auteur des sacrements
Au sujet de la cause efficiente des sacrements, il y a quatre controverses,
et autant de canons du concile de Trente. Pour rendre la chose plus facile
à comprendre, il faut observer qu’il y a une triple cause à considérer
par les théologiens. Une principale, et tout-à-fait indépendante,
dans laquelle on dit que se trouve le pouvoir d’autorité. Une
instrumentale, celle d’un instrument conjoint, dans laquelle on dit que
se trouve le pouvoir d’excellence. Une troisième, instrumentale,
celle d’un instrument séparé, dans laquelle on dit que se trouve le
pouvoir ministériel.
Au consentement de tous, la première cause est Dieu. Car, lui
seul peut, d’autorité, donner la grâce, et donc instituer des
sacrements qui procurent la grâce, ou qui, aussi, signifient
infailliblement. La deuxième cause est le Christ en tant qu’homme.
Car, l’humanité du Christ est un instrument uni, dans la personne, (hypostatiquement)
à la divinité. Et c’est pour cette raison qu’on attribue au
Christ, en tant qu’homme, une puissance ministérielle, parce qu’elle
est dérivée de la divinité. Mais, on l’appelle un pouvoir
d’excellence, parce qu’elle ne convient qu’au Christ. La troisième
cause est tout ministre des sacrements. Sur la première cause, il
n’y a pas de débat. La controverse porte sur la deuxième et la
troisième cause.
La première question est donc : le Christ est-il le seul auteur des
sacrements de la nouvelle loi ? Les adversaires enseignent deux choses.
La première. Seuls les vrais sacrements ont été institués par
le Christ, c’est-à-dire le baptême et l’eucharistie. Les autres,
n’ont pas été institués par Jésus-Christ. C’est ce qu’enseignent
Calvin (dans son antidote du concile, session V11, chapitre 1.),
et Kemnitius (2 part examen, page 13), qui cite saint Cyprien (dans son
sermon sur le lavement des pieds), Hugues de saint Victor (livre 2 sur
les sacrements, part 15, chapitre 2), et Pierre Lombard (livre 4, dist
23) qui nient que tous les sacrements aient été institués par le Christ.
Il aurait pu ajouter Alexandre Alensis, qui (1V, partie question 21, membre
1) dit que la sacrement de confirmation après la mort a été institué
par l’église dans le concile de Meldens. Saint Bonaventure semblerait
être du même avis. (4 dist 7, art 1, quest 1). De plus, le même
Alexandre (quest 59, memb 3,) et Bonaventure (1V, question 14), disent
que le sacrement de pénitence n’a pas été institué par Jésus-Christ,
mais par les apôtres.
Contre cette erreur, le concile de Trente a décrété au canon 1 :
« Si quelqu’un dit que les sacrements de la loi nouvelle n’ont pas
tous été institués par notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème.
» Il ne faut pas faire dire à ce canon que le concile a voulu définir
que tous les sacrements ont été institués par le Christ, immédiatement
ou médiatement. Non, mais seulement immédiatement.
Car, autrement, le concile aurait promulgué ce canon pour rien, puisque
personne n’a jamais douté que les sacrements aient été institués
par le Christ, au moins médiatement. De plus, le même concile (session
14, canon 1), s’explique quand il traite du sacrement de l’extrême
onction. Il dit, en effet, que ce sacrement a été institué par
le Christ, et promulgué par saint Jacques.
Ensuite, si le Christ n’avait institué les sacrements que
médiatement, on pourrait dire la même chose des sacrements et de toutes
les autres cérémonies liturgiques. Car, toutes les cérémonies ont été
instituées médiatement par le Christ, parce qu’il a donné à l’Église
le pouvoir d’instituer et d’inspirer, et il lui a donné son assistance
pour qu’elle n’erre pas en instituant. Et cependant, ce concile
ne parle pas de la même manière des sacrements et des cérémonies.
Car, à la session XX1, chapitre 2, il dit que l’église a le pouvoir
de changer, et d’instituer des choses qui se rapportent aux sacrements,
mais en maintenant intacte leur substance.
On peut confirmer par des raisons cette sentence très raisonnable
du concile. D’abord, dans les Écritures, les apôtres ne sont
appelés que des dispensateurs et des ministres des mystères (sacrements)
de Dieu. Comme dans 1 Corinthiens 4 : « Que l’homme nous estime
comme des ministres du Christ, des dispensateurs des mystères (sacrements)
de Dieu. » Ils ne les ont donc pas institués eux-mêmes,
mais ils n’ont fait que promulguer et administrer les sacrements
institués par Jésus-Christ.
Deuxièmement. Les sacrements de l’ancienne loi ont été institués
directement par Dieu, et seulement promulgués par Moïse, comme on le
voit dans les livres de l’Exode, et du Lévitique, où on lit toujours
quand quelque chose de nouveau a été institué : « Le Seigneur a parlé
à Moïse. » Puisque les sacrements de la nouvelle loi sont de loin
supérieurs à ceux de l’ancienne loi, il convenait d’autant plus qu’ils
soient institués par Dieu.
Troisièmement. C’est ce que les pères affirment. Saint Cyprien,
ou celui qui est l’auteur du lavement des pieds dit (dans le sermon sur
le lavement des pieds) : « Le prêtre suprême est l’instituteur et
l’auteur de son sacrement. Dans les autres choses, les hommes ont,
comme docteur, le Saint-Esprit. » Tu vois, là, que, selon
Cyprien, ce ne sont pas les sacrements (comme le cite faussement
Kemnitius), mais les autres rites qui ont été institués par les
hommes. Saint Ambroise (livre 1V sur les sacrements, chapitre 4)
dit : « Quel est l’auteur des sacrements si ce n’est le seigneur Jésus
? » Saint Augustin (livre 3, chapitre 9 de la doctrine du Christ)
dit que c’est d’abord le Christ, ensuite la discipline des apôtres
qui ont transmis les sacrements à l’Église. Dans son épitre
118, chapitre 1, il fait de Dieu l’auteur des sacrements.
Au sujet des témoignages qu’allègue Kemnitius, nous répondons
que Cyprien a enseigné le contraire, comme nous venons de le montrer.
Que par institution, Hugues et Pierre Lombard entendaient promulgation,
comme on dit que l’ancienne loi est la loi de Moïse, bien que Moïse
ne l’ait pas instituée mais promulguée. On peut répondre la
même chose aux témoignages de ceux qui disent que le sacrement de pénitence
a été institué par les apôtres. Car, ces mêmes auteurs disent
que le Christ a institué l’absolution et insinué la confession, laissant
donc aux apôtres la promulgation plutôt que l’institution, même s’ils
lui donnent ce nom. Et ce qu’ils attribuent à Alexandre et à
saint Bonaventure ne peut absolument pas se défendre. Car, il appert
des témoignages du pape Fabien, de Denys l’aréopagite, de Cyprien
et de Tertullien et des autres anciens que le sacrement de confirmation
a existé bien avant l’époque du concile de Mendensis.
Voir la hiérarchie ecclésiastique de saint Denys (au chapitre du
baptême), Tertullien (au livre sur la résurrection de la chair),
Fabien (épitre aux Orientaux), saint Cyprien (livre 2, épitre 1, et son
sermon sur le saint-chrême), Et la seule chose qu’a statuée
le concile qu’ils citent, c’est qu’on doit être à jeun pour recevoir
le sacrement de confirmation. Mais on reviendra sur ce sujet quand
on traitera des sacrements en particulier.
CHAPITRE 24
Le ministre ordinaire des sacrements n’est pas un baptisé quelconque.
L’autre question porte sur la cause ministérielle de la confection
et de l’administration des sacrements : qui, dans l’Église, est le
ministre des sacrements proprement dits ? Les adversaires sont en
dissension entre eux et avec nous sur cette question. Martin Luther
enseigne deux choses fausses et contradictoires. La première.
Tous sont des ministres, non seulement les hommes, mais aussi les démons.
Car, c’est bien ce qu’il écrit (dans son livre sur la messe privée,
et sur l’onction des prêtres, en l’an 1534) : « Je ne dirai pas,
moi, ce que disent les papistes, qu’aucun ange ne peut consacrer, ni
même la sainte Vierge elle-même. Je dis, au contraire, que si le
diable venait, et que j’apprenais par la suite qu’il s’est attribué
l’office de pasteur d’église, que revêtu du costume de la prédication,
il a enseigné publiquement dans l’Église, a baptisé, célébré la
messe, absout des pécheurs, qu’il a rempli ce devoir pastoral
selon l’institution du Christ, je serais forcé de reconnaître que les
sacrements qu’il a conférés ne sont pas inefficaces, que nous avons
reçu un vrai baptême, un vrai évangile, une vraie absolution, le vrai
sacrement du corps et du sang du Christ. »
Il le prouve d’abord, parce que notre foi, la dignité et l’efficacité
des sacrements ne sont pas fondées sur la qualité de la personne, mais
sur la parole et l’ordination du Christ. Donc, que la personne soit bonne
ou mauvaise, ointe ou non ointe, appelée légitimement, ou non appelée,
ce que ce soit satan ou un ange, elle effectue le sacrement, pourvu que
soit conservée l’ordination du Christ. Il le prouve ensuite en disant
que Judas, qui était membre du diable, ne prêchait pas moins et ne baptisait
pas moins que les autres apôtres. Pourquoi donc le diable
ne pourrait pas faire ce que font ses membres ?
La deuxième chose qu’il enseigne c’est que tous les hommes baptisés
et seulement les hommes baptisés ont le pouvoir d’administrer les sacrements.
Bien que, pour éviter toute confusion, il ne convienne pas que tous usent
de ce pouvoir, mais seulement ceux qui sont légitimement appelés, sauf
dans trois cas. Le premier, quand quelqu’un agit comme homme privé dans
sa propre maison. Le deuxième, quand il n’y a personne d’autre,
et que la nécessité urge. Le troisième, quand il y a quelqu’un
mais qui ne fait pas aussi bien que je ferais moi-même. Comme dans
saint Paul (1 Corinthiens X1V) : « Si quelque chose a été révélé
à un autre, que le premier se taise. »
Que ce soit bien sa sentence, on le voit par ce qui suit (dans la captivité
de Babylone, sur l’ordre) : « Sois-en certain, et quiconque professe
être un chrétien admettra que nous sommes tous également prêtres, c’est-à-dire
que nous avons tous le même pouvoir sur la parole et le sacrement, mais
qu’Il ne convient pas à tous de s’en servir, sans le consentement
de la communauté, ou l’appel d’un plus grand. » Et, un peu
avant : « Comme si nous étions forcés d’admettre que nous ne sommes
pas tous également prêtres, --comme nous le sommes vraiment--,
nous tous qui avons été baptisés. » De même, dans les articles
condamnés par le pape Léon X, article 13 : « Là où il n’y a pas
de prêtre, n’importe quel chrétien peut agir en prêtre, même une
femme ou un enfant. »
Et, dans cet article, il présente comme raison : « Car, celui qui
a été baptisé a l’esprit du Christ; et là où est l’Esprit
du Christ, là est le pouvoir de tous et la liberté. » Et il dit
la même chose dans le livre qu’il a édité contre la bulle du pape
Léon X, en l’an 20 : « Je réaffirme et je promulgue de nouveau,
avec toute la confiance de mon esprit. les articles condamnés par
la bulle, et je déclare qu’ils doivent être crus par tous les chrétiens,
sous peine de damnation éternelle. » Et, un peu plus bas, à la fin de
son livre : « La dernière chose que j’ai, mon âme, mon sang, je l’exposerai.
Car, il est préférable que je sois tué mille fois plutôt que je change
une seule syllabe aux articles condamnés. »
Il faut noter en passant que Luther a révoqué par la suite quelques-uns
de ces articles, notamment sur le libre arbitre, que dans sa première
assertion, il appelle le fondement de toute sa doctrine. Car, dans
cet article 36, il dit que le libre arbitre est une chose qui n’en a
que le nom. Et, il explique, dans son assertion, qu’il fallait
entendre cela selon la doctrine de Wicliff selon laquelle tout arrive de
nécessité. Ce qu’il a clairement révoqué dans sa visite de
la Saxe, où il enseigna que l’homme jouit de son libre arbitre
dans les œuvres civiles, et que tout n’arrive pas nécessairement.
À ce sujet, (dans son livre sur l’abrogation de la messe privée,
de l’an 21), il enseigne que tous les chrétiens ont le même pouvoir
pour la prédication et l’administration des sacrements : « Les Écritures
demeurant invaincues, nous affirmerons que le ministère légitime et unique
de la parole est commun à tous les chrétiens, comme le sacerdoce et le
sacrifice. » Et plus bas, il prouve par quelques exemples de l’Écriture
qu’il est permis même aux femmes de prêcher. De même dans son
livre aux habitants de Prague, et dans celui sur l’institution des ministres
de l’Église qu’il a édité en 1523, il écrit : « Dans le nouveau
testament surtout, le prêtre ne devient pas, mais nait prêtre; il n’est
pas ordonné, mais créé. Car, il nait dans le baptême, et tous les chrétiens
sont donc prêtres. »
Et, au même endroit, il prouve éloquemment que tous les chrétiens
ont, de par leur baptême, le pouvoir de prêcher, de baptiser, de consacrer,
de délier et de lier. Et, au sujet des clefs, il a ces mots : «
Que cessent les mensonges des hommes ! Les clefs sont celles de toute
l’Église, et de tous ses membres, tant de droit qu’en pratique, et
de toutes les manières. » Mais, plus bas, il précise que toutes
ces choses ne sont pas permises à tous de droit, mais en cas de nécessité,
et qu’il faut attendre la vocation et l’appel de la multitude.
De ces données, il déduit deux corollaires. Le premier. Les ministres
publics ne diffèrent pas des autres par un pouvoir ou une dignité quelconque,
mais seulement par l’usage du pouvoir. Le deuxième.
Il s’ensuit qu’un ministre peut devenir laïc et un laïc ministre.
Nous présenterons plus bas ses arguments quand le temps sera venu de les
réfuter. Voilà donc quelle est la sentence de Luther.
Jean Calvin pêche par l’autre extrême. Car, non seulement il concède
que le diable, une femme ou un chrétien quelconque peut prêcher, et administrer
les sacrements, mais il insiste sévèrement que seuls ceux qui sont
légitimement appelés ont ce pouvoir. Et il ne permet pas
aux laïcs, ou surtout aux femmes, de baptiser. Et c’est ce qu’il
écrit dans son antidote (canon 19, sessions 7) :
« Nul homme sain d’esprit ne mettra sur un pied d’égalité
tous les chrétiens pour la prédication ou l’administration des sacrements.
Non seulement parce que toute église doit être régie de façon convenable
et ordonnée, mais aussi parce que c’est par un mandat singulier du Christ
que les ministres sont ordonnés pour cette fonction. » Et plus
bas : « La charge de baptiser, là où on découvre qu’elle a été
confiée à une femmelette, comment ont-ils pu le lui permettre ? »
Il enseigne longuement la même chose (livre 4, chapitre 3, verset 10,
et chapitre 15, à la fin). Nous ne voulons pas ici engager une dispute
avec Calvin à ce sujet, Car, qu’il dénie aux femmes et aux laïcs
le pouvoir de baptiser en cas de nécessité, nous le réfuterons dans
notre dispute sur le baptême.
Martin Kemnitius, expliquant toute chose à sa manière, ne découvre
pas assez clairement sa pensée. Car, en parlant du canon 10, session
7 du concile de Trente, il dit trois choses : « On se demande si ce canon
a été placé là pour condamner la sentence de Luther, mais mutilée
et corrompue : « Car Luther, dit Kemniuts, page 138, n’a jamais pensé
que n’importe lequel chrétien puisse, sans un appel légitime,
s’autoproclamer prêtre, et qu’on puisse ou qu’on doive s’arroger
ou usurper le ministère de la parole et l’administration des sacrements
dans l’église. »
Il aurait du distinguer le pouvoir de l’exécution. Car, s’il
parle de la seule exécution, il est vrai que Luther n’a jamais pensé
que quiconque puisse, sans appel de la communauté, s’arroger le
ministère sacerdotal. Mais, ce n’est pas ce que le concile a condamné
dans Luther. Car, tous tant que nous sommes, nous confessons que c’est
vrai. Mais, s’il parle du pouvoir, il est faux que Luther n’a
jamais pensé ainsi, comme le démontrent les textes que nous venons tout
juste de citer. Or, c’est ce que le concile a damné.
On ne peut donc pas dire que la sentence de Luther a été mutilée ou
déformée par le concile. Car le concile n’était pas obligé
de décrire tout le livre de Luther, ou de rapporter ce qui avait été
bien écrit par lui. Il lui suffisait de citer les paroles de Luther qui
étaient condamnables.
Ensuite Kemnitius ajoute que le concile a parlé « frauduleusement
». Il dit que, à la page 140, de façon détournée, et comme s’ils
cherchaient autre choses, les pères du concile ont présenté l’axiome
suivant : « À moins d’avoir été oint et rasé par un évêque,
personne n’a le pouvoir de prêcher et d’administrer les sacrements,
même s’il a été légitimement élu et appelé par l’église,
selon le précepte de la parole de Dieu. Et les sacrements par lui
administrés ne sont ni vrais ni efficaces. Que le lecteur intelligent
détecte les embuches cachées dans ce canon. »
Mais ce canon est tout ce qu’il y a de plus clair. Et c’est plutôt
Kemnitius qui tend des pièges aux simples d’esprit. Car, le concile
ne dit pas que ceux qui ne sont pas oints et rasés n’ont aucun pouvoir
dans l’administration des sacrements. Comment le concile aurait-il pu
ignorer que pour les sacrements du baptême et du mariage l’ordination
n’est pas nécessairement requise ? Mais, il dit qu’ils n’ont
pas le pouvoir dans tous les sacrements. Et cela pour condamner la sentence
de Luther qui accorde un pouvoir aux laïcs pour tous les sacrements, même
l’eucharistie et la pénitence. De plus, le concile ne parle de
pas des oints et des rasés, car l’onction et la tonsure sont des cérémonies
secondaires dans lesquelles ne consistent pas l’essentiel de l’ordination.
C’est donc Kemnitius qui cache des pièges dans ses paroles.
Troisièmement. Il dit que la sentence du canon, selon le sens
normal des mots, est vraie, mais, cependant, il ne l’expose pas correctement
: « Au sujet de la sentence du dixième canon, de la façon dont il est
formulé, je réponds : s’il y en a qui pensent que, sans vocation particulière
et légitime, il est permis à chaque chrétien d’usurper, dans l’église,
le ministère de la parole et des sacrements, ils sont condamnés de droit
et avec raison. » Mais Kemnitius ne présente pas correctement la
sentence du concile. Car, le concile ne blâme pas ceux qui disent
qu’il est permis à chacun d’usurper le ministère sans vocation, car
cela personne ne le dit, et aucun canon n’était requis pour le
condamner. Il condamne ceux qui disent, que tous les chrétiens
ont le pouvoir de prêcher et d’administrer les sacrements, comme le
dit Luther, et ce que semble penser Kemnitius, même s’il n’ose par
l’avouer ouvertement. Il faut donc présenter la doctrine de l’Église
qui tient en deux propositions.
La première proposition. Le ministre des sacrements doit être un
homme, bon ou mauvais, et non un ange. Cette proposition est contraire
à Luther, et commune à tous les théologiens. Il est cependant
à noter qu’au cas où un bon ange remplissait un certain ministère,
il faudrait le considérer ce ministère comme ratifié, parce qu’il
est certain que cela se ferait par une dispense divine extraordinaire.
Nicéphore rapporte, en effet, (livre 9, chapitre 20), qu’Amphilochius
a été ordonné prêtre par les anges, et que cette ordination a été
ratifiée par les évêques de sa province. Mais si c’est le démon
qui le faisait, il faudrait réitérer le sacrement, car le diable ne possède
pas ce pouvoir de lui-même, et il ne peut pas le recevoir de Dieu par
une dispensation toute particulière. Il ne peut que l’usurper et feindre
de le posséder.
On prouve la première proposition. D’abord, comme pour l’essence
des sacrements est requis un élément vrai et naturel, est requise de
la même façon une parole vraie et naturelle. Mais ne parle que
celui qui est vraiment et naturellement un homme. Car la parole est
une action d’un corps vivant, par l’instrument de la langue et
du palais. Un ange bon ou mauvais ne peut donc pas conférer un sacrement.
Car, comme l’enseigne correctement saint Thomas (1 par quest L1, art
3, à 4.) : « Les anges ne peuvent pas parler pour vrai, même avec un
corps assumé. »
Deuxièmement. Même si les anges pouvaient employer les
vrais éléments et les vraies paroles, ils ne pourraient pas, pour autant,
effectuer un vrai sacrement. Car, le sacrement est un signe et une
cause infaillible de grâce. Or, les éléments et les paroles n’ont
pas cela naturellement, mais seulement s’ils sont assumés par Dieu comme
instruments de justification. Ils ne sont donc pas de vrais sacrements,
quand ils sont utilisés par n’importe qui, mais seulement par celui
à qui Dieu l’a confié.
Exemple. Les paroles avec lesquelles le Christ et les apôtres
faisaient des miracles n’auraient pas eu la même vertu dans n’importe
laquelle bouche. Car, si quelqu’un dit à un boiteux : lève-toi
et marche, il n’obtiendra aucun résultat à moins qu’il soit assumé
par Dieu comme un instrument pour faire des miracles. Ne peut
donc faire un vrai sacrement que celui qui a en a reçu de Dieu le pouvoir.
Mais, ce pouvoir Dieu ne l’a donné qu’aux hommes, non aux anges, bons
ou mauvais.
Le Seigneur a dit à des hommes en Matthieu (XXV111) : « Allez
enseigner toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, du Fils et
du Saint-Esprit. » De même, en Luc XX11 il a dit seulement
à des hommes : « Faites cela en souvenir de moi. » Et en Jean
XX, ce n’est qu’à des hommes qu’il a dit : « Ceux à qui vous remettrez
les péchés etc. » Et aux Éphésiens 1V : « Le Christ montant
en haut a rendu captive la captivité, et a donné ses dons aux hommes.
» Si, par dons, il n’entendait pas les ministères variés qui
sont dans l’église, il n’aurait pas dit avant : « À chacun de nous
une grâce est donnée selon la mesure du don du Christ, comme il est écrit
: « En montant en hauteur etc… » Et, un peu plus bas : « Et
c’est celui qui a donné des prophètes, des apôtres, des évangélistes,
des pasteurs et des docteurs. » C’est pourquoi saint Jean Chrysostome
(livre 3 sur le sacerdoce), atteste ouvertement qu’il a été concédé
aux hommes, mais pas aux anges, d’administrer les sacrements.
Et il dit la même chose dans son homélie 85 sur Jean, vers la fin.
Les arguments en faveur du diable qui ont été présentés ne permettent
de rien conclure. Nous concédons d’abord, que l’efficacité
des sacrements ne dépend pas de la qualité quelconque d’un ministre.
Car, elle ne dépend pas d’une qualité accidentelle comme la bonté.
Elle dépend, cependant, d’une qualité essentielle sans laquelle il
ne serait pas un vrai ministre : il doit être un homme.
Au deuxième argument, je réponds que nous admettons que Judas
et un membre du diable a pu administrer de vrais sacrements. Mais
nous nions que cela convienne au diable. Car, ce n’est pas en tant
que membre du Christ que Judas a administré un sacrement, mais en tant
que ministre du Christ. En effet, Judas a été un vrai ministre
du Christ parce qu’il était un vrai homme, et qu’il avait reçu du
Christ le pouvoir du baptiser, ce qui ne convient à aucun démon.
La seconde proposition. Un vrai ministre des sacrements (à l’exception
du baptême et du mariage), n’est pas n’importe lequel baptisé mais
seulement celui qui a été rituellement ordonné par l’Église.
On dit à l’exception du baptême, parce que, à cause de la nécessité
suprême de ce sacrement, l’Église a toujours compris qu’il peut être
conféré par n’importe qui. C’est de quoi nous parlerons dans
la matière du baptême. On dit aussi à l’exception du mariage,
parce que, comme le mariage consiste dans l’engagement mutuel de deux
personnes, il faut de toute nécessité que les parties contractantes soient
des ministres.
On prouve cette proposition contre Luther. Par l’Écriture d’abord.
Elle enseigne que, dans l’église, il y a différents offices qui ne
conviennent pas à tous. Voir Romains X11 1, Corinthiens X11, Éphésiens
1V : « Il a fait de quelques-uns des apôtres, d’autres, des prophètes…
Tous sont-ils apôtres, tous sont-ils prophètes ?» On peut donc
dire la même chose des pasteurs et des docteurs, qui sont nommés au même
endroit.
On ne peut pas répondre qu’il s’agisse là de l’usage,
et non du pouvoir, comme le prétendent les Luthériens. Car, il
est certain que les apôtres n’avaient pas le pouvoir apostolique avant
de l’avoir reçu de Dieu. Ils n’ont pas reçu l’usage seulement,
mais le pouvoir. Deuxièmement. Nous lisons dans Hébreux V : «
Personne ne s’attribue à lui-même cet honneur, mais seulement celui
qui est appelé par Dieu, comme Aaron. » Ne sont donc pas prêtres
tous ceux qui font partie du peuple de Dieu.
On ne peut pas non plus entendre ce texte au sens de l’exercice d’un
pouvoir, car avant qu’il ait été appelé par Dieu au sacerdoce, Aaron
n’en avait ni le pouvoir ni l’usage. De plus, assumer un honneur
ce n’est pas exercer un pouvoir, mais le recevoir. Ce qui est confirmé
par ce qui suit : « Le Christ non plus, ne s’est pas glorifié
lui-même, pour devenir pontife. » Or, assumer un honneur c’est
devenir pontife, non exercer le pontificat.
Les apôtres ont été baptisés, et ils baptisaient avant la passion
du Christ. Qu’ils aient baptisé, on le trouve dans saint Jean
1V. Qu’ils aient été baptisés, saint Augustin l’enseigne dans
son épitre 108 à Séleucianus). Et il n’est pas crédible que, avant
d’avoir reçu l’ordre de baptiser, ils n’aient pas été baptisés
par le Christ. Et le pouvoir de consacrer l’eucharistie ils l’on
reçu plus tard, (Luc XX11) quand ils entendirent : faites cela en
souvenir de moi. C’est plus tard aussi qu’ils reçurent le pouvoir
d’absoudre les péchés (Jean XX) : « Ceux à qui vous les remettrez.
» Ils n’ont pas reçu tout cela dans le baptême.
Quatrièmement. Si tous les chrétiens avaient reçu ce
pouvoir dans le baptême, ils l’auraient reçu parce que, alors, comme
dit Luther, ils sont oints par la grâce de l’Esprit-Saint, et deviennent
donc des prêtres spirituels. Mais, cela est faux. Car, il
s’ensuivrait que ceux, qui, dans le baptême, ne reçoivent pas cette
grâce, et ceux qui la perdent après, ne confèrent pas vraiment les sacrements,
ce que Luther nie pourtant correctement contre les anabaptistes.
On ne peut répondre que le caractère suffit, car les luthériens ne reconnaissent
pas ce caractère.
Cinquièmement. Si tous les chrétiens avaient ce
pouvoir, personne ne pourrait être privé de son usage, si ce n’est
pour peine d’un grand crime. Or, chez les luthériens, nombreux sont
ceux qui sont privés, sans faute de leur part, de l’usage de ce pouvoir.
La raison qu’ils apportent c’est la confusion qui règnerait dans l’Église
si tous usaient de ce pouvoir. Car ils peuvent user de ce pouvoir par des
représentants. Mais, on ne devrait certainement pas pouvoir rejeter
quelqu’un qui veut exercer le ministère quand il y a peu de ministres,
même s’ils ne sont pas appelés par la magistrature. Mais eux,
rejettent tous ceux qui ne sont pas appelés. Ou dont ils commettent envers
eux une injustice, ou ils doivent reconnaitre qu’ils ne possèdent pas
ce pouvoir.
Sixièmement. Dans l’ancienne loi où les sacrements
étaient moins parfaits, tous ne pouvaient pas les administrer, mais
seulement les prêtres. Ne vaut pas ta réponse quand tu dis que les chrétiens
sont faits, dans le baptême, des prêtres spirituels. Car,
les Juifs aussi devenaient, par la circoncision, des prêtres spirituels,
et pouvaient offrir des hosties spirituelles. Bien plus, ce que saint
Pierre a dit au sujet de tous les chrétiens (1 Pierre 111) : « Vous êtes
un peuple élu, un sacerdoce royal », Moïse l’avait dit de tous les
Israélites (Exode X1X), et pourtant, le roi Ozias fut puni de la lèpre
quand il a voulu exercer une fonction sacerdotale (11 Paralipomen, XXV1.)
CHAPITRE 25
On réfute les arguments de Luther
Après tout ce que nous avons expliqué, il sera facile de répondre
aux arguments de Luther. Le premier. Dans son livre sur
l’abrogation de la messe, il propose six textes de l’Écriture par
lesquels il prouve que tous les chrétiens sont tous également prêtres.
Le premier est celui de saint Pierre (1 Pierre 11) : « Comme des pierres
vivantes, vous êtes surédifiés dans le saint sacerdoce. » Le
second : « Vous êtes une nation élue, un sacerdoce royal. » Le troisième
: « Pour que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des
ténèbres à son admirable lumière. » On dit là que les chrétiens
sont appelés à annoncer, c’est-à-dire à prêcher la vertu du Christ.
Donc, tous les chrétiens peuvent et doivent prêcher, ce qui est la fonction
principale du sacerdoce. La quatrième. Apocalypse V : « Tu nous
as faits pour notre Dieu un royaume et un sacerdoce. » Le cinquième.
Apocalypse XX : « Ils seront des prêtres de Dieu et de son Christ. »
Le sixième (2 Cor 3) : « Qui a fait de nous des ministres idoines du
nouveau testament. »
Il ajoute en plus quelques passages pour prouver que les femmes
peuvent prêcher. Joël 11 : « Vos fils et vos filles prophétiseront.
» Actes XX1 : « Les quatre filles de Philippe étaient des vierges
qui prophétisaient. » Exode XV : « Marie prophétisait. » Juges
1V : « Débora enseigna à Barach. » 1V, Rois XX11, Olda donna un conseil
au roi Josias. Luc 1 : la Vierge Marie a prophétisé. 1 Corinthiens
11 : « Une femme, la tête voilée, prie et prophétise. »
C’est par ce passage qu’il pense pouvoir expliquer ce que l’apôtre
dit ailleurs : « Que les femmes se taisent dans l’église. »
Car, dans le premier passage il parle d’une façon absolue, et dans le
second il interdit aux femmes de parler en présence d’hommes qui veulent
et qui peuvent parler.
De plus, dans son livre aux habitants de Prague sur l’institution
des ministres, il prouve cela doublement. D’abord, par la
raison suivante : le Christ est prêtre. Psaume C1X : « Tu es prêtre
pour l’éternité. » Or, tous les chrétiens sont frères du Christ.
Psaume 21 : « Je raconterai ton nom à mes frères. » Et dans le
psaume XL1V : « Il t’a oint d’une huile d’allégresse avant tes
compagnons. » Tous les chrétiens sont donc prêtres.
Secondement, il le prouve par les fonctions que remplissent les
prêtres : prêcher, baptiser, consacrer, absoudre, sacrifier, prier pour
les autres, et juger les doctrines. Que tous peuvent prêcher, il
le prouve par trois citations de l’Écriture. La première
de Saint Pierre (1 Pierre 2) : « Pour que vous annonciez les vertus. »
La deuxième, de saint Paul (1 Cor 11) : « Toutes les fois que vous mangerez
ce pain, vous annoncerez la mort du Seigneur. » Car, annoncer
la mort du Seigneur c’est prêcher. La troisième, de saint Paul
(1 Cor X1V) : « Chacun de vous a un psaume, a une doctrine, a une apocalypse.
Vous pouvez tous prophétiser pour chacun. »
Luther croit que ces textes lui donnent le droit de triompher.
C’est pourquoi il dit : « Par ces textes, est confirmée avec force
et clarté la doctrine selon laquelle le ministère de la parole, qui est
le plus important dans l’Église, est unique et commun à tous les fidèles,
non seulement de droit, mais de précepte. Le sacerdoce sera donc,
lui aussi, unique et commun à tous. Contre cette doctrine ne valent
absolument rien les menaces divines, les pères infinis, les conciles innombrables,
la coutume éternelle, la multitude universelle du monde. Et c’est
avec ces chalumeaux que des larves rasées s’efforcent de stabiliser
leur sacerdoce. »
Que tous puissent baptiser, il le prouve par l’usage de notre
église, qui concède aussi aux femmelettes de baptiser. Et donc, d’exercer
le ministère de la parole. Car, il n’y a pas de baptême sans
paroles. Que tous puissent consacrer l’eucharistie, il le prouve,
d’abord, par saint Luc (XX11) : « Faites cela en mémoire de moi. »
Ensuite, par saint Paul (1 Cor X1) qui dit à toute l’église : « Car,
j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis. » Enfin,
il le prouve en disant que baptiser et prêcher sont des choses plus grandes
que consacrer. Car, par la prédication et le baptême est donnée
la rémission des péchés, et par la consécration rien n’est donné,
si ce n’est la stupéfaction du prêtre à la pensée de son pouvoir
et de sa dignité.
Que tous puissent absoudre, il le prouve par saint Matthieu XV111
: « Tout ce que vous délierez sur la terre… » Que tous puissent
sacrifier, il le prouve en disant qu’il n’y a aucun sacrifice dans
l’église en dehors de celui dont parle saint Paul aux Romains X11 :
« Sacrifions nos corps par la mortification des vices. » Ce qui
est commun à tous. Que tous puissent prier pour les autres, il le
prouve en disant que l’oraison dominicale est commune à tous, et qu’en
elle, on prie aussi pour les autres.
Que tous puissent juger et discerner les dogmes, il le prouve de deux
façons. La première. Par les Écritures qui ordonnent
que nous fuyions les faux prophètes. Jean X : « Mes brebis
écoutent ma voix, mais n’écoutent pas la voix des étrangers. »
Matthieu V11 : « Gardez vous des faux prophètes. » Il le prouve
ensuite par ces paroles de saint Paul (1 Cor X1V) : « Si quelque chose
a été révélé à celui qui est assis, que le premier se taise. »
C’est ici surtout que Luther jubile. Il veut, en effet, que soit
permis à quiconque de juger l’église romaine, même si elle siège
comme mère et maîtresse de toutes les églises. Voilà donc ses
arguments, que nous avons tirés de son livre sur l’institution des ministères.
Il ajoute un dernier argument (à l’article 13 de ses assertions) : «
Celui qui est baptisé a l’esprit du Christ. Or, là où est l’esprit
du Christ, là aussi est le pouvoir de tous et la liberté. »
Réponses. Au premier, deuxième, quatrième et cinquième texte cité,
je réponds que ces passages doivent s’entendre du sacerdoce spirituel,
par lequel nous offrons des hosties spirituelles, c’est-à-dire, des
bonnes œuvres, et surtout des louanges et des prières. Ce sacerdoce,
en effet, est commun à tous les hommes pieux. Mais, le sacerdoce
proprement dit est quelque chose d’autre C’est celui par lequel
est offert le sacrifice proprement dit, et à qui il appartient de prêcher
au peuple, et d’administrer les sacrements. Il est clair
qu’il en ainsi, car, après avoir parlé de sacrifices, il a ajouté
le mot spirituels, pour faire la distinction entre les hosties qui ne sont
pas offertes en sacrifice spirituellement et mystiquement, mais réellement,
et au sens propre. Et dans l’apocalypse V et XX, il est question
du sacerdoce des bienheureux dans le ciel, qui ne sert, certes, à rien
d’autre qu’à offrir des louanges.
On prouve la même chose de la façon suivante. Les paroles de
saint Pierre sont extraites du livre de l’Exode, où on dit des Hébreux
la même chose que saint Pierre attribue aux chrétiens. Or,
dans l’ancien testament, tous n’étaient pas des prêtres proprement
dits, mais seulement les fils et la descendance d’Aaron. Mais,
cependant, tous étaient des prêtres spirituels. Troisièmement.
Car autant Pierre, dans son épitre, que Jean, dans son Apocalypse,
associent le sacerdoce au règne. Si donc, en vertu de ce texte,
tous les chrétiens sont des prêtres, comment peuvent-ils être des rois
?
Quatrièmement. Ces textes ne s’entendent que des chrétiens
saints et pieux, non des pécheurs, qui ne sont pas une nation sainte,
comme saint Pierre les appelle. Or, le sacerdoce ou le ministère
externe convient aussi aux pécheurs, de l’aveu tant des catholiques
que des luthériens. Au sujet de : « Pour que vous annonciez les
vertus », je réponds que saint Pierre n’ordonne pas que tous les chrétiens
prêchent publiquement la parole de Dieu, mais qu’ils rendent grâce
à Dieu, et qu’ils le louent pour ses bienfaits. Car, comme l’explique
correctement Bède, Pierre fait une allusion au
cantique des Hébreux : « Chantons pour le Seigneur glorieusement
(Exode XV). » C’est ce qu’ils chantèrent après avoir
été libérés de l’Égypte et avoir traversé la mer rouge. Car,
il veut que les chrétiens qui ont été libérés de la servitude diabolique
par les eaux du baptême, chantent un cantique d’action de grâces, et
louent constamment le pouvoir du Rédempteur.
Oecumenius ne se trompe pas quand il ajoute que Pierre veut aussi
que tous les chrétiens annoncent la vertu de Dieu non pas tant par la
parole que par les bonnes œuvres, de façon à ce que leur vie soit, pour
les Gentils, une sorte de prédication, selon ces paroles de Jésus
en Matthieu V : « Pour qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils
glorifient le Père… » C’est de cette façon, d’ailleurs,
qu’on comprend beaucoup de textes de l’Écriture. Comme le psaume XV111
: « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament annonce l’œuvre
de ses mains. » 1 Timothée 11 : « Comme il convient à des femmes
exemplaires. » Nous avons en grec, le mot annoncer : « annonçant
la piété par leurs bonnes œuvres. » Tu vois que, là, on commande
aux femmes d’annoncer la piété. Et pour que, trompées par une
interprétation luthérienne, elles ne pensent pas qu’il leur soit permis
à elles aussi, de prêcher, il ajoute : « par vos bonnes œuvres. »
Et : « Je ne permets pas à la femme d’enseigner. »
À « il nous a fait des ministres idoines », je réponds qu’il
ne parle pas de tous les chrétiens, mais de lui, seulement, et de ses
autres collègues apôtres. Car, il se compare avec Moïse,
qui a été ministre de l’ancien testament, et il dit que lui a été
le ministre de lettres gravées sur des pierres, et que lui
et ses collègues sont des ministres de l’Esprit. Or, il appert
que, dans l’ancien testament, tous n’ont pas été ministres et promulgateurs
de loi, mais seulement Moïse. De plus, dans tout le chapitre précédent,
il parle de lui-même, ainsi qu’au début du troisième chapitre, où
il dit : « Nous recommençons donc à nous recommander nous-mêmes ? Ou
avons-nous besoin, comme certains, de lettres de recommandation pour vous
et de vous ? »
Aux testes allégués en faveur des femmes, je réponds.
Autre chose est prophétiser, c’est-à-dire annoncer une chose future,
et autre chose est prêcher et interpréter les Écritures. La prophétie
n’est pas une fonction propre aux prêtres ou aux ecclésiastiques.
C’est une grâce gratuitement donnée qui convient très bien aux laïcs,
hommes et femmes. Il est certain que David, Élie, Élisée, Isaïe
et plusieurs autres ont prophétisé sans avoir été prêtres. C’est
de ce genre de prophétie que parlent les textes allégués.
L’autre genre est propre aux prêtres, et ne convient pas aux
femmes. Et c’est ce que dit saint Paul (1 Corinthiens X1V) : « Que les
femmes se taisent dans l’église, car il ne leur est pas permis de parler
etc. » Mais, cependant, à cause de cela, il n’est pas défendu
à Dieu de concéder, exceptionnellement, aux femmes d’enseigner aux
hommes, comme cela est arrivé à Débora, et il y a deux cents,
à saint Catherine de Sienne. Mais les exceptions à une règle ne
font pas une règle; et les privilèges ne font pas une loi. À l’argument
qui veut que tous soient frères du Christ prêtre, je réponds que cet
argument ne prouve rien. Premièrement, parce que le Christ n’est
pas prêtre selon l’ordre d’Aaron, mais de Melchisédech. Dans
le sacerdoce d’Aaron, tous les frères étaient prêtres. Mais,
dans le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech, seul le premier-né
était prêtre.
De plus, dans le sacerdoce d’Aaron, seuls les frères naturels
étaient prêtres, les frères adoptifs ne l’étaient pas. Or,
les chrétiens sont des frères adoptifs du Christ, non des frères naturels.
De plus, si tout ce qui convient au Christ nous convient aussi à nous,
pourquoi ne faisons-nous pas tous des miracles, pourquoi ne prédisons-nous
pas tous le futur ? Pourquoi ne sommes-nous pas tous rédempteurs comme
lui ?
À l’argument tiré du premier devoir du prêtre, je réponds
que ces trois citations ne prouvent rien. Car le « pour que vous
annonciez les vertus » de saint Pierre (1 Pierre 11) doit s’entendre
de la louange privée, non de la prédication, comme nous l’avons déjà
dit. Le « vous annoncerez la mort du Seigneur » dans
saint Paul (1 Corinth 11) doit s’entendre de la commémoration de la
passion du Seigneur, que nous faisons non en prêchant, mais en consumant
l’eucharistie. Autrement, tous ceux qui reçoivent le saint sacrement
de l’autel devraient le faire en prêchant, ce qui est impossible.
Le « vous pouvez tous prophétiser etc » ne doit pas s’entendre de
tous les chrétiens, mais de tous ceux qui avaient reçu ces dons.
Car, il dit : « Chacun de vous a un psaume, une langue. »
Or, il est certain qu’ils n’avaient pas tous le don des langues, comme
le reconnait saint Paul lui-même quand il dit (1 Cor X11) : « Tous parlent-ils
en langue »? Et, à notre époque, il n’y a personne qui possède
ce genre de dons.
Saint Paul veut donc dire : Que chacun parmi vous qui se
glorifie de ces dons s’en serve dans l’ordre, c’est-à-dire pour
l’édification. Ajoutons, en second lieu, qu’il ne parle pas
d’une prédication publique, qui est propre aux prêtres, mais des échanges
pieux et des exhortations qu’ils faisaient quand ils se réunissaient.
C’est donc sans aucune raison valable qu’à cause de ces trois textes
mal compris, Luther méprise les pères infinis, les conciles innombrables,
la coutume éternelle, et la multitude universelle du monde.
Je réponds ensuite que, dans l’église catholique, les
femmes baptisent en cas de nécessité, et avec permission, non d’office.
Comme il est permis aussi aux Juifs et aux Turcs, en cas de très grande
nécessité. Parce que le Turc peut baptiser, on ne peut pas en conclure
qu’il peut administrer tous les sacrements. De la même manière,
parce qu’une femme peut baptiser, on ne peut pas en conclure qu’elle
peut administrer tous les sacrements, et qu’elle est une prêtresse.
Il n’est pas vrai non plus que personne ne peut baptiser sans qu’il
y ait une prédication. Car, les paroles qui font partie
du rite du baptême ne sont pas des paroles de prédication mais de consécration.
Au « faites cela », je réponds que cela n’a pas été dit
à tous. Autrement, les femmes et les enfants seraient tenus de consacrer
les sacrements. Pour une raison semblable, le « j’ai reçu du
Seigneur… » ne signifie pas qu’à tous a été donné le pouvoir de
consacrer, mais qu’à tous à été transmis, expliqué et déclaré
ce que le Christ avait institué. IL faut observer aussi que
le pouvoir de consacrer est plus grand que celui de baptiser, car la rémission
des péchés est autant donnée par l’eucharistie que par le baptême.
Jean V1 : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Au sujet de : « tout ce que vous délierez sur la terre… », je dis
que c’est l’Église qui lie et délie, mais par ses ministres,
non par quiconque, comme le corps parle par la langue, non par la main.
Et l’église universelle détermine les propositions de foi mais par
ses docteurs, non par les simples chrétiens. C’est ce que démontre
clairement la pratique de l’Église de tous âges.
Au sujet du sacrifice, nous nions qu’il n’existe pas d’autre
sacrifice dans l’église que celui de la mortification des vices.
Car, pour ce sacrifice, on n’a pas besoin d’autel. Mais, dans
les églises, il y a un autel, comme saint Paul le dit aux Hébreux X111
: « Nous avons un autel dont n’ont pas le pouvoir de manger ceux qui
servent dans le tabernacle. » Mais, de cela, plus tard.
Je réponds ensuite à l’argument qui porte sur la prière, que la prière
qui est propre au prêtre ce n’est pas n’importe laquelle prière,
mais la prière publique, car, c’est à lui qu’il revient d’intercéder
publiquement pour tout le peuple. Comme saint Jean Chrysostome l’enseigne
dans le livre 6 sur le sacerdoce.
Au sujet de ces paroles : « Mes brebis écoutent ma voix…
», et « gardez-vous des faux prophètes », je réponds qu’elles
enseignent elles doivent porter un jugement sur les dogmes, non en
les examinant selon la règle des Écritures, comme le veulent les hérétiques,
car, si elles étaient capables de faire cela, il n’y aurait aucun besoin
de pasteurs et de docteurs dans l’église. Ce qui leur était demandé
c’était de comparer la doctrine qu’ils avaient reçue avec les nouvelles
doctrines que leur prêchaient les nouveaux pasteurs, au nom de l’Écriture.
Car, tous étaient capables de juger que tel enseignement était une nouveauté,
et qu’il était donc suspect. De plus le Seigneur n’appelle pas
pasteurs ordinaires les prophètes étrangers et faux, mais extraordinaires,
qui viennent d’eux-mêmes, comme sont venus tous les hérétiques.
Si quelque chose est révélé à quelqu’un qui est assis,
que le premier se taise, dit saint Paul. C’est bien pour
rien que Luther croit, à cause de ce texte, pouvoir crier victoire, car
cela se passait dans les réunions dont parle saint Paul, non lors
de la prédication publique du pasteur, et encore moins lors du jugement
public du conseil, ou du souverain pontife. Ce qui est
démontré par l’usage de l’église. Car, on n’a jamais entendu
dire que quand un prêtre prêchait publiquement dans une église,
il ait été permis à quiconque de parler, et encore moins, à des hommes
privés de rejeter le jugement de toute l’Église. Deuxièmement,
car on n’est pas obligé de croire quiconque nous dit qu’il a eu une
révélation, sauf dans des situations graves, et surtout si cette révélation
est contraire à la doctrine des pasteurs ordinaires. Autrement,
ce serait ouvrir la porte toute grande à toutes les hérésies. Car il
n’y a jamais eu d’hérésiarque qui ne se soit pas vanté que
ses dogmes aient été la très vraie révélation de Dieu.
On le voit par les paroles du prophète : « Que deux ou
trois parlent, et que les autres jugent ! » Car, il ne conviendrait
pas que deux ou trois prêchent, mais il convenait tout à fait que dans
une réunion fraternelle, deux ou trois parlent. Ajoutons que Justin
(dans sa seconde apologie, près de la fin) distingue la prédication qui
n’appartient qu’au prêtre, d’une réunion spirituelle qu’au même
endroit, après la prédication et les sacrements, ils tenaient entre eux.
À l’argument voulant que quiconque est baptisé a l’Esprit
du Christ, et là où est l’Esprit du Christ, là se trouve tout pouvoir
et la liberté, je réponds d’abord que la majeure n’est pas vraie
universellement, car beaucoup sont baptisés, qui ne reçoivent pas l’Esprit
du Christ, parce qu’ils sont baptisés sans foi et sans pénitence.
Plusieurs le reçoivent et le perdent après, sans pourtant perdre le baptême.
Ensuite, il faut dire que la mineure est fausse. Car, plusieurs ont
l’Esprit du Christ sans avoir un pouvoir sur toutes choses. En
effet, ils ne peuvent ni parler dans des langues étrangères, ni prédire
le futur, ni guérir les malades, ni ressusciter les morts.
CHAPITRE 26
La foi ou l’innocence d’un ministre n’est pas requise pour
que les sacrements soient efficaces.
Suit la troisième question, qui porte sur les qualités du ministre
des sacrements. La foi est-elle nécessairement requise, ou la charité,
de façon à ce que les hérétiques, les infidèles, les schismatiques,
les mauvais catholiques ne pourraient pas conférer les sacrements. Nous
ne nous demandons pas s’ils pèchent ou pas en conférant les sacrements,
mais seulement s’ils les confèrent validement quand ils n’omettent
rien de ce qui appartient à la substance des sacrements. Mais, de
nos jours, il ne semble pas y avoir de controverse sur ce sujet.
Car, même si Luther dit souvent que l’Esprit du Christ,
reçu au baptême, est le fondement du pouvoir d’administrer les sacrements,
et que, en conséquence, seuls les bons qui ont l’Esprit du Christ confèrent
efficacement les sacrements, cependant, lui-même a enseigné, par la suite,
que la foi et la probité étaient si peu requises que le diable peut conférer
les sacrements efficacement, comme nous l’avons montré plus haut.
La confession d’Augusta (article 8) reconnait que les sacrements
sont efficaces, même s’ils sont administrés par des hypocrites et des
indignes. Calvin enseigne la même chose (livre 4, chapitre 15, verset
16). Et dans son antidote du concile de Trente (canon X11, session 7),
il dit anathème à ceux qui nient que les sacrements sont efficaces quand
ils sont administrés par des méchants. Et il n’ajoute rien d’autre
que le mot amen : qu’il en soit ainsi. Enfin, Kemnitius (dans son
examen du concile de trente, 2 part, page 155, affirme que le canon 12
ne lui déplait pas. Il a coutume d’attribuer aux Anabaptistes
et aux Hussites la sentence voulant que les sacrements ne soient efficaces
que si le ministre est fidèle et pieux. Mais, je me demande si les
Hussites enseignent vraiment cela, car ils ont coutume de demander au pontife
romain les ordinations de leurs prêtres, même s’ils ont tenu et tiennent
encore pour hérétiques le pontife romain et tous les évêques
catholiques. Et, il est certain que si les Hussites considèrent
comme valides les ordinations de ceux qu’ils appellent hérétiques,
ils accepteront beaucoup plus facilement le baptême conféré par eux.
C’est ce que nous montre le livre du Luther sur le sénat de
Prague, où il enjoint les Bohémiens Hussites de ne pas demander d’ordinations
à Rome, puisque pour les Romains ils sont hérétiques, et que pour eux
les Romains sont hérétiques. Donc, ce que Jean Huss dit, dans ses
articles condamnés au concile de Constance, (session 14) à l’effet
qu’un mauvais prélat ou un réprouvé est équivoquement un pasteur,
et que personne n’est évêque quand il est en état de péché mortel,
ou ben il l’entend seulement de la juridiction, ou bien les Hussites
ne suivent pas leur maître sur ce point. Kemnitius, au lieu cité,
attribue cette erreur aux Anabaptistes. Mais parce que leur doctrine
est pour beaucoup difficile à comprendre, et non divulguée publiquement,
on ne sait pas sur quels fondements elle s’appuie.
Voilà pourquoi il suffira, à ce moment-ci, de donner le nom
de ceux qui, autrefois, ont erré de cette façon. Ensuite, par quels
pères et par quelles raisons leurs objections ont été réfutées.
Avant l’an 300, commença à naître, en Asie et en Afrique,
cette opinion erronée que n’étaient pas valides les sacrements
administrés par des hérétiques et des schismatiques après leur séparation
de l’unité catholique. C’est ce qu’Eusèbe rapporte (livre
7, chapitre 6, d’après l’épitre de Denys d’Alexandrie, sur
les Africains; livre 7, chapitre 2), saint Augustin (livre 2, chapitre
7 sur le baptême) dans lequel il indique que le premier auteur de cette
hérésie a été l’évêque de Carthage Agrippine, le prédécesseur
de saint Cyprien. C’est aussi ce qu’atteste Vincent de
Lérins qui dit qu’Agrippine a été le premier des mortels à penser
qu’il fallait rebaptiser.
Saint Cyprien, avec beaucoup d’évêques africains, a suivi
son prédécesseur, sans pour autant, se séparer de l’Église à cause
de cela, comme on le voit pas les lettres qu’il a écrites à Quintus,
Pompeius, et Jubaianus. Voilà pourquoi, il n’a jamais été considéré
comme un hérétique. Ne manquent pas ceux qui soutiennent qu’il
a, à la fin de sa vie, révoqué sa sentence, comme saint Augustin le
dit dans la lettre 48 à Vicentius. De la même façon, saint Jérôme
(dans son dialogue contre les Lucifériens) rapporte que, par respect
pour l’autorité du pape Étienne, les autres évêques auraient fini
par renoncer à leur erreur.
Ont marché sur leurs traces, peu à près, les hérétiques
donatistes, qui ont tenu avec acharnement cette erreur, et l’ont même
renforcée. Car, au début, Agrippine et saint Cyprien ne voyaient
pas des hérétiques dans ceux qui pensaient le contraire. Voilà
pourquoi ils ne rebaptisaient pas ceux qui avaient été baptisés par
des catholiques d’opinion contraire, tandis que les donatistes rebaptisaient
même les catholiques, qu’ils tenaient pour hérétiques. C’est
ce que dit saint Augustin (dans son livre sur l’unique baptême,
chapitre 13) quand il compare les donatistes avec Aggripine et Cyprien
: « Rebaptiser des hérétiques fut une erreur humaine. Rebaptiser
des catholiques est toujours le fait de la présomption diabolique.
»
Deuxièmement, les donatistes défendirent leur erreur après
la définition de l’Église dans un concile général, ce qui est propre
aux hérétiques. Aggrippine et Cyrien ne connurent aucune définition
de l’Église faite en termes absolus, comme Augustin l’atteste (livre
2, sur le baptême, chapitres 7 et 9.) Troisièmement, saint
Cyprien ne réprouvait que les sacrements administrés par des hérétiques
et des schismatiques, c’est-à-dire par ceux qui étaient en dehors de
l’Église. Il ne réprouvait pas les sacrements administrés, dans l’Église,
par de mauvais prêtres, comme saint Augustin le démontre (livre 4, chapitre
9 sur le baptême, et le livre de l’épitre contre Parmenianus, chapitre
2). Mais les autres donatistes excluaient manifestement tous
les pécheurs de l’administration des sacrements, comme saint Augustin
l’atteste (livre 2 du livre contre les Parméniens, chapitre 10.)
Ils excluaient tous les hommes mauvais, même occultes, comme le dit encore
saint Augustin (livre 2 contre Cresconius, chapitre 28.)
Après les donatistes, les Lucifériens enseignèrent cette erreur,
au moins en partie. Car, au témoignage de saint Jérôme (dans son
dialogue contre les Lucifériens), ils admettaient un baptême conféré
par des hérétiques, mais non l’ordination. Or, un certain diacre
Hilaire rapporte, selon saint Jérôme, qu’ils n’admettaient même
pas le baptême. Il y en a eu d’autres, ensuite, au temps de saint
Bernard, qui niaient que des hommes mauvais pouvaient administrer efficacement
les sacrements, comme il l’atteste lui-même dans son sermon 66 sur les
cantiques des cantiques. Les Albigeois, ensuite, enseignèrent la
même chose, comme le rapporte saint Antoine dans sa somme théologique
(par 1V, tit 2, chapitre 7, verset 5.)
Entre les deux existèrent les Waldenses qui concédaient l’administration
des sacrements aux bons laïcs, et l’enlevaient aux mauvais prêtres,
au témoignage de saint Antoine (par 4, tit 11, chapitre 7, verset 2. »
Saint Thomas jeta un coup d’œil à cette erreur (dans les livre
4 contre les Gentils, chapitre 77) quand il enseigna qu’il existait une
certaine erreur selon laquelle tous les bons et aucun mauvais pouvaient
être des ministres idoines des sacrements. Ce qui ressemble
étrangement à ce qu’enseignait Luther, au début, quand il soutenait
que sont prêtres tous ceux qui ont l’esprit du Christ, et ceux-là seuls.
Ensuite, est apparu Jean Wiclif, qui n’a pas peu enrichi cette
hérésie. Car, il nie que puissent conférer les sacrements non
seulement les pécheurs, occultes ou manifestes, mais aussi ceux qui sont
bons aujourd’hui et qui seront mauvais demain, c’est-à-dire, les réprouvés.
Voir, sur cette erreur, le concile de Constance, (session V111), et Thomas
Waldens (tome 11, chapitre 14).
Cette hérésie a été réfutée par plusieurs anciens souverains
pontifes. Dès sa naissance, par le pape et martyr saint Étienne,
comme le rapporte Eusèbe (livre 7, chapitre 2 et suivants de son histoire).
Ensuite, Siricius (dans son épitre 1 à Himérius), Innocent 1 (dans son
épitre 22 aux évêques de Macédoine), Léon (dans son épitre 77 à
Nicet), Anastase 11 (dans son épitre à l’empereur Anastase), etc.
Plusieurs conciles condamnèrent cette hérésie. D’abord,
le concile de Nicée. Car, c’est ce qu’atteste saint Augustin
très souvent (dans son livre 2, sur le baptême, chapitres 3, 4, 5, 7,
9, et ailleurs). Mais, comme il ne nomme jamais le concile de Nicée,
plusieurs se demandent de quel concile il parle. Mais, il n’y a
aucune raison de douter, car il l’appelle le concile plénier de toute
la terre. Or, le seul concile général et plénier que saint Augustin
ait connu c’est celui de Nicée. Car, quatre conciles généraux
seulement ont eu lieu au temps de saint Augustin : celui de Nicée, celui
de Sardes, de Constantinople 1, et celui d’Éphèse. Or, le concile d’Éphèse
a été convoqué peu de temps avant la mort de saint Augustin, et célébré
après sa mort. Cela nous n’apprenons par la lettre des
Africains à l’empereur Théodose junior.
Et le concile de Constantinople ne traita pas de ce sujet. Il
n’était pas non plus un concile plénier de toute la terre, et il ne
fut reconnu par le pape que bien après. Ajoutons que dans son livre
2 sur le baptême (au chapitre 9), il déclare que le concile plénier
dans lequel cette vérité a été définie, a été célébré avant sa
naissance. Il est avéré que seul le concile de Nicée a été
célébré avant la naissance de saint Augustin. Car saint Augustin
est né en 357, et le concile de Nicée a eu lieu 327. Et le concile de
Constantinople en 383, Voir la chronique d’Eusèbe, avec l’addition
de Prosper. Quant au concile de Sardes, il ne traita pas de cette
question, et il n’a pas été connu de saint Augustin, comme nous l’avons
montré dans la dispute sur le droit d’appel, et avec le concile 6 de
Carthage.
De plus, dans le concile de Nicée, au canon 19, on ordonne que
les paulianistes soient rebaptisés. On peut en déduire que le baptême
des autres hérétiques avait été approuvé par le concile. Ensuite
(qu’un seul devrait suffire), saint Jérôme dans son dialogue contre
les lucifériens dit, à la fin : « Le concile de Nicée a reçu
le baptême de tous les hérétiques. Il n’a rejeté que celui des disciples
de Paul de Samosate. Il donc là clairement affirmé que le
synode de Nicée a approuvé le baptême de tous les hérétiques (car,
c’est de cela que l’on parlait) à l’exception de ceux qui n’utilisaient
pas la forme légitime. Peu longtemps après, le concile de Carthage
1 (canon 1) présidé par l’évêque Gratus, a, au temps de l’empereur
Constantin 1, blâmé la même erreur. Saint Augustin se souvient
aussi de ce concile (livre 2, chapitre 2, sur le blasphème contre les
Donatistes.) De même, le concile d’Arles (1, canon 8), à la même
époque. Et longtemps après, celui de Constance (session V111),
de Trente (session 7, canon 12.)
De plus, de nombreux docteurs réfutèrent cette erreur, et surtout
saint Augustin, dans tous ses livres contre les Donatistes. Optatus, également,
dans ses livres contre Parmenianus, saint Jérôme (dans son dialogue contre
les lucifériens), saint Grégoire de Naziance, (dans son sermon sur le
baptême), saint Thomas (livre 4, chapitre 24, du contre les Gentils),
et Thomas Waldensis (tome, 2 au début, et dans plusieurs chapitres) où
il présente, lui aussi, beaucoup de témoignages.
Les arguments principaux dont on se sert sont au nombre de trois.
Le premier. La tradition, la coutume très antique qui remonte
au temps des apôtres. C’est surtout de cet argument dont s’est servi
le pape Étienne, comme le témoigne saint Cyprien dans son épitre à
Pompée. Saint Augustin utilise souvent cet argument (livre 1, chapitre
9 sur le baptême) : « La terre entière était tenue par la force de
la tradition, par cette pratique très antique qui remonte au temps
des apôtres ». Vincent de Lérins dans son communitorium, observa
que l’argument tiré de la tradition et la pratique de l’Église suffit
pour renverser la cause de saint Cyprien, qui militait contre la vérité
avec beaucoup d’éloquence, de nombreuses citations bibliques et dans
un concile de nombreux évêques africains.
Ce qui nous fait comprendre que Luther et les siens ont un esprit
contraire à celui qu’eut l’ancienne vraie église du Christ.
Car, à cause d’un seul texte de l’Écriture mal compris, il foule
aux pieds, dans son livre sur l’abrogation de la messe, la coutume
éternelle de l’église universelle. Ainsi que dans son livre sur
l’institution des ministères, destiné aux gens de Prague. La
vieille église, par la pratique de deux ou de trois cents ans, réfutait
tous les témoignages que Cyprien et les siens présentait. Et, avec
raison. Car, il est tout à fait certain qu’une coutume universelle perpétuelle
de l’Église ne peut pas militer contre la parole de Dieu, et que la
coutume est plus claire que la parole. Car, ils jugent à bon
droit que c’est par la coutume que la parole de Dieu doit être interprétée;
et qu’on ne doit pas abolir une coutume à cause d’une parole de Dieu
obscure ou ambigüe, comme, à notre époque, les luthériens soutiennent
qu’on doive faire.
En second lieu, ils présentaient une raison fondée sur la parole
de Dieu, sous la forme du syllogisme suivant. Le ministre des
sacrements opère par la vertu et l’autorité divine. Or,
Dieu n’enlève pas au ministre, à cause de son péché ou
de son infidélité, le pouvoir qu’il lui a donné. Donc…
On prouve ainsi la majeure. L’Écriture enseigne cela souvent (Jean
1) : « C’est celui qui baptise dans l’Esprit-Saint. » Ce n’est
donc pas le ministre qui est l’auteur principal du baptême, mais le
Christ. Comme l’explique très bien saint Augustin (traité 5,
Jean 1, Corienthiens 111) : « Ce n’est pas non plus celui qui plante
ou qui arrose qui est quelque chose, mais celui qui donne la croissance.
»
De plus, si les ministres baptisaient par leur vertu, il y aurait
des baptêmes différents. Quelques-uns seraient meilleurs que d’autres
à cause de la diversité des mérites et d’excellence des baptiseurs.
Mais, comme di saint Paul (Éphésiens 1V), il n’y a qu’un seul baptême.
Les apôtres n’ont jamais, non plus, dit « mon baptême », comme
ils ont parfois dit « mon évangile », en parlant de l’évangile qu’ils
prêchaient (Rom XV1, et 11 Timothée 11 : « selon mon évangile. »
Dans le baptême, ils ne reconnaissaient donc rien qui leur appartenait
en propre. Ils n’y voyaient qu’un ministère pur et simple.
Enfin, ce fut une très bonne chose que les sacrements ne dépendent pas
de la vertu humaine, pour que les hommes ne prennent pas l’habitude de
mettre leur confiance dans les hommes, comme il est écrit : « Malheur
à l’homme qui met sa confiance dans l’homme. »
J’ai déjà prouvé la mineure. Car, l’autorité de conférer
les sacrements n’est pas une grâce qui fait un débiteur, mai une grâce
donnée gratuitement. Elle n’entre donc pas en opposition avec
une mauvaise vie, et peut cohabiter avec elle. Jean X1, 51
nous montre que cette grâce peut exister dans des pécheurs, puisque
le très méchant Caïphe a pu prophétiser. Ne voyons-nous pas la
même chose dans Matt V11, 22 : « N’avons-nous pas chassé des démons
en ton nom ? »
Deuxièmement. L’autorité de conférer des sacrements n’est pas
donnée pour l’utilité de celui qui l’a, mais pour les autres.
Il ne convenait donc pas qu’elle soit enlevée à cause du péché de
son détenteur. Car ainsi, l’un serait puni à cause de la faute
d’un autre. Troisièmement. Dieu, à cause des
péchés, n’enlève pas le pouvoir de juridiction, comme nous l’enseigne
saint Pierre (1 Pierre 11). L’apôtre commande là aux chrétiens
d’obéir à leurs maitres, même à ceux qui sont acariâtres.
Il leur ordonne aussi, au même endroit, d’obéir aux rois, et aux autres
magistrats, qui étaient, alors, des infidèles et des païens.
Il enlève donc encore moins le pouvoir d’ordre. Car, s’il fallait
enlever le pouvoir de punir à celui qui le possède, il faudrait
enlever le pouvoir de juridiction plutôt ce que celui de l’ordre. Car,
on aime davantage le pouvoir de juridiction; et celui qui en est
privé se sent plus puni que s’il perdait le pouvoir d’ordre.
Et de plus, le pouvoir de juridiction dépend plus de la probité de la
vie que ne dépend le pouvoir d’ordre. Car, il est plus difficile
de dominer les passions en exerçant l’autorité qu’en administrant
les sacrements, comme l’expérience le montre.
Quatrièmement. Dieu n’enlève pas, à cause des péchés,
des pouvoirs naturels d’œuvres naturelles. Il ne doit donc pas,
non plus, enlever le pouvoir surnaturel des œuvres surnaturelles qui ne
dépendent pas du mérite de l’opérant. Car, Dieu ne pourvoit
pas moins au bien de toute l’Église qu’il ne pourvoit au bien de ce
monde. Cinquièmement. Judas était un pécheur et un réprouvé,
et cependant il baptisait, comme l’enseigne saint Augustin (traité 5
sur saint Jean, saint Jean 1V) : « Jésus ne baptisait pas, mais ses disciples.
» Et que Judas ait baptisé efficacement, saint Augustin nous le
fait comprendre en disant qu’on ne lit pas qu’aient été rebaptisés
ceux que Judas avait baptisés.
On tire un troisième argument de choses semblables. Car,
d’abord, chez les Juifs, ceux qui avaient été circoncis par les Samaritains,
qui étaient des hérétiques, n’étaient pas circoncis de nouveau, mais
on les admettait comme ayant été vraiment circoncis, comme le fait remarquer
saint Augustin (dans son livre 1 contre Cresconiius, chapitre 31).
De plus, la parole de Dieu est efficacement prêchée par les indignes,
comme l’explique saint Augustin (livre 4 sur le baptême, chapitre
11, commentant Matthieu XX111) : « Faites ce qu’ils disent, ne faites
pas ce qu’ils font. »
Et, aux Philippiens 1 : « Quelques-uns annoncent le Christ
dans un esprit de compétition, non sincèrement, ne désirant qu’ajouter
de la pression à mes chaînes. Mais qu’importe, pourvu que, toute
façon, le Christ soit annoncé, par intérêt, ou dans la vérité.
De cela je me réjouis, et je m’en réjouirai toujours. » De plus,
comme le notait saint Augustin, la bonté d’âme d’un semeur n’a
rien à voir avec l’efficacité de la semence, et de la plantation, comme
l’observe le même saint Augustin (livre 3, chapitre 8 contre Cresconius
: « Est-ce que cela dépend de la propreté ou de la saleté des
mains ? Il suffit que la semence soit bonne et la terre fertile,
et que ne manque ni la chaleur du soleil, ni la pluie du ciel.
Et comme saint Grégoire de Naziance l’enseigne (dans son sermon
sur le baptême), l’image d’un roi n’est pas moins bien imprimée
sur un sceau de fer que sur un sceau d’or. Et comme dit aussi saint
Augustin (livre 3, chapitre 10 sur le baptême) : « La lumière du soleil
et même celle des lampes n’est pas salie par la vase, ni par les excréments
qu’elle rencontre sur sa route ». Enfin, comme l’enseigne le même
saint Augustin, (traité 5 sur Jean) : « Il importe peu que, pour irriguer
les terres, l’eau passe par des conduits en pierre ou en argent. »
Quant au troisième, les arguments des hérétiques sont réfutés
soigneusement par saint Augustin dans ses livres contre les donatistes.
Voici les principaux. Le premier argument des donatistes. Personne
ne donne ce qu’il ne possède pas. Les hérétiques et les impies
n’ont pas la rémission des péchés. Ils ne la donnent donc pas,
et ils n’administrent pas efficacement les sacrements.
Je réponds à la mineure que les hérétiques n’ont pas la rémission
des péchés formellement, mais qu’ils l’ont matériellement, comme
un domestique, qui n’a souvent pas la sixième partie de la drachme,
mais qui transporte beaucoup de pièces d’or de la maison de son maître
à une autre. Et, dans les choses naturelles et artificielles, l’effet
n’a pas à être semblable à l’instrument, mais à la cause principale.
En effet, la chaleur n’a pas la forme substantielle du feu; et la hache
à deux faces n’a pas la forme de la chaise à dossier. Et cependant,
elles opèrent instrumentalement.
Ajoutons ensuite qu’il faut distinguer le sacrement de son effet.
Et, parmi les effets, il faut distinguer le caractère de la grâce.
Car, ces deux choses peuvent être séparées. Il pourra donc arriver
qu’un hérétique baptise, et confère et le caractère et la grâce,
comme quand il baptise un enfant. Ou bien, qu’il ne confère pas
la grâce, parce que, en croyant à un hérétique, celui qui est baptisé
met l’obstacle d’infidélité. Mais, le baptême n’est pas
nul pour autant, car il a tracé le caractère. Il pourra arriver
aussi que ni le caractère ni la grâce ne soient conférés, comme quand
on donne l’extrême onction à un hérétique malade. Cependant,
il administre quand même un vrai sacrement, et un sacrement efficace,
même s’il n’opère rien à cause des mauvaises dispositions de celui
qui le reçoit. Il faut ici noter comme saint Augustin, (livre 6,
chapitre 1 sur le baptême), que c’est là la principale erreur
de saint Cyprien et des autres : ils ne faisaient pas de distinction entre
les sacrements, leur usage, et leur effet.
Le second argument des hérétiques. Celui qui n’a pas l’Esprit
Saint ne peut pas remettre les péchés, car le Christ a dit en saint Jean
(XX) ; « Recevez l’Esprit saint. Les péchés seront remis à ceux à
qui vous les remettrez. » Je réponds en niant la mineure.
Par Esprit Saint, dans ce passage, nous entendons le pouvoir de remettre
les péchés, comme interprètent ce texte saint Jean Chrysostome et saint
Cyrille. Or, ce pouvoir peut exister sans la grâce qui fait que
quelqu’un est agréé. Que par le mot Saint Esprit on puisse comprendre
n’importe lequel de ses dons, même s’ils ne font pas d’un homme
un saint, saint Paul nous le fait comprendre (1 Cor X11) : « À chacun
est donnée la manifestation de l’Esprit pour l’utilité. À
l’un est donné, par l’Esprit, un sermon de sagesse. » Et 1
Corinthiens X1V : « Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes.
» Ce qu’il appelle ici esprit c’est le don de prophétie donné
par l’Esprit Saint.
On peut dire aussi que, par ces paroles (recevez l’Esprit-Saint etc.),
le Seigneur a voulu signifier que l’effet des sacrements dépend principalement
de la vertu du Saint-Esprit. Il est donc nécessaire que, au moins,
le Saint Esprit assiste, pour qu’il soit reçu au moins en tant qu’assistant
et opérant dans les sacrements, même si le sacrement n’est pas opéré
par le ministre lui-même. Le Saint-Esprit assiste toujours dans
ses sacrements, (comme l’enseigne saint Augustin livre 3, chapitre 10
du baptême), même si le ministre est un adultère ou un homicide. Car,
le sacrement n’est jamais adultère.
De même, parce qu’ils ne manquent pas ceux qui, dans ce passage,
entendent par Esprit Saint entendent l’Esprit en tant qu’il donne la
grâce et la charité, et se diffuse dans nos cœurs, comme saint Ambroise
(sermon 10 sur le psaume CXV111), et saint Augustin (dans son commentaire
au chapitre XX de Jean.) Voilà pourquoi nous pouvons ajouter la
grâce du Saint-Esprit donnée par l’ordination sacrée au pouvoir
de remettre les péchés. Mais, on ne peut pas en déduire que celui
qui n’est pas en état de grâce ne peut pas remettre les péchés.
Car cette grâce et le pouvoir de remettre les péchés ne sont pas une
seule et même chose; et quand la grâce est unie au pouvoir, on ne peut
pas affirmer qu’elle ne peut pas en être séparée. Car, n’est
pas donné à celui qu’il l’a le pouvoir de remettre les péchés,
mais de ne pas offenser Dieu dans l’exercice d’un si saint ministère,
si, tout en demeurant ennemi de Dieu, il présume réconcilier les autres
avec Dieu.
Le troisième argument des hérétiques. Les sacrements n’appartiennent
qu’à la seule église catholique, celle que le Christ a fondée.
Or, les hérétiques sont à l’extérieur de l’Église, dans la synagogue
de Satan. Je réponds que les sacrements sont toujours dans l’Église,
même si, parfois, on les trouve en dehors de l’Église. Voilà
pourquoi, quand ils viennent à l’Église, après avoir été baptisés
par des hérétiques, on doit reconnaitre ce qui appartient à l’Église,
c’est-à-dire, le baptême, et on doit s’efforcer de corriger leur
erreur. Autrement, il faudrait répudier aussi l’évangile et beaucoup
d’autres bonnes choses qui demeurent chez les hérétiques après leur
séparation d’avec l’Église.
Les hérétiques pourraient enfin revendiquer certains textes des pères,
comme celui de saint Ambroise (sermon 3 contre les Ariens), où il dit
que tous les hérétiques ont une eau inutile. Le même saint Ambroise
a dit aussi au sujet de ceux qui s’initient aux mystères divins (chapitre
4) : « Le baptême des perfides n’assainit pas. » Et saint Léon
(épitre 77 à Nicétas, chapitre ultime) où il dit que « Nul hérétique
ne peut donner la sanctification par les sacrements. » Je réponds
que saint Athanase dit deux choses. La première. « Les Ariens viennent
à l’Église catholique, dans la crainte de perdre l’intégralité
du mystère, c’est-à-dire du baptême. » La seconde. Il
nie absolument que le baptême des Ariens, ou des autres hérétiques,
puisse purifier : « Car, ce n’est pas celui qui dit seulement « Seigneur,
Seigneur », qui donne un baptême légitime, mais celui exprime le nom
et qui a la vraie foi. »
Dans le premier texte, il est question de la substance du sacrement,
et voilà pourquoi il ne dit pas catégoriquement que le baptême des Ariens
n’est pas intègre, mais qu’il y avait un danger qu’il ne le soit
pas toujours, parce qu’il leur était facile de corrompre la formule
du baptême, et de dire au nom du créateur et de la créature, au lieu
de au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Dans l’autre texte,
il n’est pas question de la substance, mais de l’utilité du sacrement.
Et voilà pourquoi il dit que, parce qu’il leur manque la vraie foi,
les hérétiques ne sanctifient pas ceux de leur secte qu’ils baptisent.
Et c’est de cette façon que parlent Ambroise, Léon et les autres.
Voilà pourquoi ces pères ne disent jamais que le baptême des hérétiques
doit être réitéré. Ce qu’ils diraient certainement s’ils
parlaient de la substance.
CHAPITRE 27
Est requise l’intention de faire ce que fait l’Église
Il reste une dernière question sur la cause ministérielle.
L’intention du ministre est-elle nécessaire à la confection d’un
sacrement ? Cette question va avoir quatre parties. La
première. Explication de la sentence des hérétiques. La seconde.
Explication de la sentence des catholiques, et réfutation des mensonges
des adversaires. La troisième. La confirmation de la vérité.
La quatrième. La réfutation des objections.
Une nouvelle hérésie est née à notre époque, selon laquelle, n’est
pas requise l’intention du ministre. Le sacrement, pour eux,
est parfaitement valide, si sont présents les éléments et les paroles,
même si le ministre fait cette action par jeu, par dérision, en faisant
semblant de croire, et en mentant aux fidèles.
Le premier auteur de cette hérésie semble bien être Luther.
Car, voici ce qu’il a écrit dans son livre sur la captivité de Babylone
(chapitre sur le baptême) : « Je ne doute pas que celui qui reçoit le
baptême au nom du Seigneur soit vraiment baptisé au nom du Seigneur,
et même si un impie ministre ne le donne même pas au nom du Seigneur.
Car, la vertu du baptême ne réside pas tant dans la foi de celui qui
confère le baptême que dans la foi de celui qui le reçoit, comme nous
le montre l’exemple d’un mime baptisé par jeu. » Et, dans l’article
12, qui porte sur ceux que le pape Léon a condamnés : « Si un prêtre
n’absout pas sérieusement, mais par jeu, et si le pénitent se
croit absout, il est vraiment absout. » Et dans ses assertions,
il confirme cela, ainsi que dans son livre sur la messe privée, de l’an
34, où il utilise trois arguments qu’on réfutera plus tard,
Jean Calvin a suivi Luther (dans son antidote du concile de Trente,
session 7, canon 11. Il écrit : « Les choses qu’ils marmottent
sur l’intention de consacrer, ils sont allés les chercher chez les sophistes,
sans aucune raison qui tienne. » Et plus bas : « Moi, je porte
un si grand respect à la sainte institution du Christ, que si un épicurien
quelconque administrait, même pour s’en moquer, la cène du Seigneur,
selon le mandat du Christ, et selon la règle par lui donnée, je ne douterais
pas que le pain et le vin présentés par sa main ne soient les gages du
corps et du sang du Christ. » Tilmannus Heshusius enseigne
la même chose, dans son livre sur les six cents erreurs des souverains
pontifes (lieu 15).
Martin Kemnitius enseigne aussi la même chose (2 par examen, pages
141 et suivantes), où il traite abondamment de cette question.
Et même si, à la page 146, il enseigne que l’action sacramentelle ne
doit pas être une moquerie, une bouffonnerie, ou un simple jeu, --en quoi
il semble penser comme nous,-- cependant, il n’entend cela que de l’action
externe, non de l’action interne. Car, après cela, à la page 154, il
enseigne que le sacrement est un véritable sacrement même si le ministre
l’administre en s’amusant. Et, dans toute sa dispute, il soutient
que l’efficacité d’un sacrement ne dépend en aucune façon de l’intention
du ministre. Et, à la page 1045, il écrit, en parlant de l’absolution
: «Il ne doit pas se faire de souci de conscience au sujet de l’intention
du ministre. Si la parole de l’évangile est annoncée, et s’il la
reçoit avec foi, qu’il statue qu’il est absout devant Dieu,
quelle que soit l’intention du ministre. »
Ambroise Catharinus semble se rapprocher de cette sentence hérétique.
Car, (dans son opuscule sur l’intention des ministres sacramentaires),
il distingue une double intention. Une première. Celle de
faire l’acte externe que fait l’Église. Une deuxième. Celle
de faire un acte externe en tant que sacramental, ou avec l’intention
de célébrer le mystère que le Christ a institué, et que l’Église
célèbre. Il dit que la première intention est requise, mais
non la deuxième. De sorte que, si, pendant qu’il baptise
un enfant, le ministre a l’intention de verser l’eau sur l’enfant,
et de dire « je te baptise », il conférera un vrai sacrement, même
s’il dit ces paroles et verse l’eau uniquement pour laver le corps
de l’enfant de ses saletés, ou pour s’amuser. Cette opinion
je ne vois pas en quoi elle diffère de celle de Kemnitius, et des autres
hérétiques, si ce n’est que, à la fin de son opuscule, Catharinus
professe se soumettre aux décisions du souverain pontife et du concile.
Mais les hérétiques rient de l’un et de l’autre.
Pour les catholiques, est requise l’intention de faire ce que fait
l’Église. Ce que dit expressément le concile de Trente (session
7, canon 11), ainsi que le concile de Florence, dans son instruction aux
Arméniens. Mais il y a quelques précisions à faire. La première.
Il n’est pas requis que le ministre ait une intention générale
de faire ce que fait l’Église, de façon à ne pas pouvoir en
avoir de particulière. Bien plus, il est préférable d’avoir
l’intention particulière de conférer le sacrement de baptême, d’absolution,
de confirmation, et de consécration du pain et du vin. Mais pour
quelqu’un qui ne connaitrait pas nos mystères, il suffirait qu’il
ait l’intention générale de faire ce que fait l’Église. Et
c’est cela qu’enseignent les conciles.
De plus, il n’est pas nécessaire d’avoir l’intention de faire
ce que fait l’église romaine, mais ce que fait la véritable église,
quelle qu’elle soit, ou celle que le Christ a instituée, ou ce que font
les chrétiens. Car toutes ces expressions signifient la même chose.
Mais tu demandes : qu’arrivera-t-il si quelqu’un entend faire ce que
fait une église particulière (comme celle de Genève) qui est fausse,
mais qu’il croit vraie, et a l’intention de ne pas faire ce que
fait l’église romaine ? Je réponds que ça suffirait.
Car, dans ce cas particulier, celui qui entend faire ce que fait l’église
de Genève entend faire ce que fait l’église universelle. Car
la raison pour laquelle il désire faire ce que fait cette église particulière
c’est parce qu’il pense qu’elle est membre de l’église universelle.
Même s’il se trompe dans la connaissance de la vraie église.
Car, ce qui enlève l’efficacité d’un sacrement ce n’est pas l’erreur
d’un ministre sur une église, mais le défaut d’intention. Et
voilà pourquoi, dans l’église catholique, on ne rebaptise pas ceux
qui ont été baptisés à Genève, même si en administrant le sacrement,
ils entendent faire ce que fait l’église de Genève et non celle de
Rome.
Ajoutons que la vraie église romaine et la fausse église de Genève
n’ont pas de dissension par rapport à l’essence du baptême, mais
seulement par rapport au rite cérémonial. De telle sorte
que si un catholique entendait baptiser comme baptisent les ministres de
Genève, et non comme le font les prêtres catholiques, il aurait l’intention
de conférer un vrai baptême quant à la substance, mais non quant au
rituel. Il confectionnerait donc un vrai sacrement, bien qu’il
pècherait, et que, en tant que suspect d’hérésie, il pourrait être
puni de droit.
Troisièmement. L’intention actuelle n’est pas requise nécessairement,
et l’habituelle ne suffit pas. L’intention virtuelle est requise, et
elle suffit, bien qu’on doive s’efforcer de la rendre actuelle.
On dit que l’intention est actuelle quand le ministre a cette intention
en acte. Cette intention actuelle n’est pas requise, comme des
scrupuleux voudraient le faire croire. C’est-à-dire qu’il n’est
pas requis que nous disions de cœur et de bouche les paroles suivantes
: j’entends faire ce que fait l’église. Cette intention, exprimée
explicitement dans l’acte même, n’est pas exigée nécessairement,
car on pourrait difficilement l’exprimer oralement sans détourner notre
pensée des choses saintes que nous faisons.
On dit que l’intention habituelle est une sorte d’inclination,
de promptitude qui vient d’un habitus infus ou acquis, qui peut se trouver
même dans une personne qui dort. Mais cette intention-là, sans
aucun doute, ne suffit pas. Car l’acte qui en procède n’est
ni humain ni délibéré. Autrement, il faudrait dire qu’est véritablement
baptisé celui qui l’a été par une personne ivre ou endormie.
On parle d’intention virtuelle quand l’intention actuelle n’est pas
présente actuellement, mais qu’elle l’a été auparavant, et que c’est
en vertu de cette intention que se fait l’opération. Cette intention-là,
au consentement de tous, est requise si l’actuelle n’est par présente,
et elle suffit.
Cette doctrine ne répugne pas à celle de saint Thomas bien qu’il
dise (3 par quest LX1V, art 8), que l’intention habituelle suffise.
Car, comme il l’explique lui-même, par habituelle il entend virtuelle,
car il ne connait que l’intention actuelle et habituelle.
Scot, Babriel et d’autres théologiens postérieurs firent, pour une
plus grande clarté, une distinction tripartite, et en ajoutèrent une
troisième qu’ils appelèrent virtuelle. Il faut noter enfin que
tous les docteurs catholiques sont tous du même avis dans cette doctrine,
à la seule exception de Catharinus. Nous en dirons quelques mots
dans la réfutation des mensonges de Tilmann et de Kemnitius que
nous entreprenons maintenant.
Le premier mensonge. L’un et l’autre auteur dit, dans les lieux
notés, que le concile de Trente a défini que le sacrement n’était
ratifié que si l’intention du ministre porte non seulement sur l’acte
mais aussi sur la fin du sacrement, c’est-à-dire ce pour quoi il a été
institué. Ce qui est fort différent de ce que nous enseignons.
C’est donc un mensonge, car, dans tout le canon 11, le concile ne nomme
jamais la fin du sacrement. Et le concile n’a pas dit, comme eux
semblent l’avoir compris, qu’il faut que le ministre entende faire
ce que l’église entend, mais ce que l’église fait. Or l’expressions
ce que l’église fait ne décrit pas une fin mais une action.
On peut ensuite le prouver par la pratique de l’Église. L’église
ancienne elle-même ne rebaptisait pas les enfants baptisés par les pélagiens,
comme nous ne rebaptisons pas, nous non plus, ceux qui ont été baptisés
par les Zwingliens et les calvinistes. Et nous savons pourtant
très bien que tous ces baptisés l’ont été sans l’intention de la
vraie fin, qui est d’enlever le péché originel. Nous ne concédons
pas, pour autant, que comme le veulent Kemnitius et Catharinus, le concile
ait défini que la seule intention que doit avoir le ministre soit de faire
l’acte externe que fait l’Église.
Car, il n’y avait pas de raison de définir cela, puisque cela
n’a jamais été nié par personne. Car celui qui a l’intention
de faire un acte externe non sérieusement, mais par manière de jeu,
n’entend pas faire ce que fait l’Église, mais simuler ce que fait
l’Église. Comme ces soldats qui, en faisant des génuflexions,
disait au Christ « salut, roi des Juifs », non sérieusement, mais par
moquerie et dérision. Personne ne prétendra qu’ils avaient l’intention
de faire ce que font ceux qui vénèrent leurs rois. Ils ne
cherchaient qu’à simuler une adoration.
Le deuxième mensonge. Kemnitius prétend que les scolastiques
avaient des opinions divergentes sur ce sujet. Le maître des sentences
et le pape Innocent 1V auraient voulu que suffise l’intention de faire
ce que le Christ a été institué, mais qu’Alexandre et Gabriel auraient
voulu que soit requise l’intention de la fin du sacrement. Mais
leurs opinions ne sont pas divergentes, si on les comprend bien.
Car, tous enseignent ce que le Maître des sentences a enseigné (sentence
1V, dist V). Alexandre et Gabriel ne font pas exception. Car,
dans sa somme (4 par, 13, membr 1, art 2), il dit, il est vrai, qu’est
requise, dans le ministre, l’intention de la fin du sacrement.
Mais, par intention de la fin, il entend l’intention de l’action
intégrale et complète. Il dit donc là ce que disent les autres,
mais en d’autres mots. Qu’il en soit bien ainsi, on le voit pas
un autre passage où il distingue une fin double : une intrinsèque à
l’œuvre, qui n’est rien d’autre que l’action terminée et complète.
Une autre extrinsèque, qui est le fruit et l’utilité de l’oeuvre.
Par exemple, dans le sacrement, la fin intrinsèque est la cérémonie
complétée par les éléments et les paroles unies selon le rituel. Et
la fin extrinsèque est la rémission des péchés. Or, Alexandre
enseigne que l’intention de la première fin est nécessairement requise,
mais pas de la deuxième.
Gabriel (4 dist V1 quest 1 conclusion 3) dit que l’intention du ministre
est requise non seulement par rapport à l’acte de celui qui doit être
baptisé, en tant qu’objet, mais même par rapport à l’effet, en tant
que fin. Gabriel a reçu tout cela de Scott (1V dist V1, question
5.). L’un et l’autre, comme ils l’expliquent eux-mêmes,
entendent pas acte en tant qu’objet, l’acte externe lui-même, comme
pourrait l’entendre celui qui voudrait baptiser par jeu. Cette
intention, même nous, nous disons qu’elle ne suffit pas. Par l’effet
en tant que fin, ils entendent la fin générale et éloignée, non particulière
et prochaine. Car ils ne veulent pas que soit requis que le ministre
veuille l’effet de la grâce ou du salut, mais seulement qu’il désire
faire dans le baptisé ce que font les chrétiens dans ceux qu’ils
baptisent. Car, c’est ainsi que Scot l’explique. Or, cela n’est
rien d’autre que dire qu’est requise l’intention par rapport à l’œuvre,
non en tant qu’œuvre naturelle quelconque, et qui peut se faire par
jeu, mais en tant qu’œuvre sacrée, ou cérémonie que le Christ a instituée,
ou dont les chrétiens se servent. Cette sentence se réduit donc
à tout ce que les catholiques enseignent.
Au sujet du troisième, il faut prouver la sentence de l’Église.
La première raison. Comme la forme certaine des paroles requiert
nécessairement que soit déterminée l’indifférence de la matière,
est requis, également, quelque chose qui est déterminé par l’indifférence
de la forme. Car, ces mots : je te baptise, et d’autres semblables,
peuvent avoir différents sens. Car, baptiser c’est asperger avec
de l’eau. Asperge avec de l’eau celui qui lave les corps sales,
qui rafraichit, qui soigne en lavant etc. Or, on ne peut rien imaginer
d’autre, capable de déterminer l’indifférence de la forme,
que l’intention du ministre, qui dit ces paroles, et dont c’est l’action
au complet.
Ils diront peut-être qu’elle est déterminée par l’intention
de celui qui le reçoit. Mais, cela est faux, car, ici, il
est question de l’action du ministre, non du receveur. Car, l’action
de l’un ne peut pas être déterminée par l’action d’un autre.
De plus, qu’arriverait-il quand sont baptisés ceux qui, comme les enfants,
ne peuvent avoir aucune intention. Diront-ils qu’elle est déterminée
par l’institution du Christ ? Au contraire. Car, si l’institution
du Christ faisait ce que les mots signifient, pourvu qu’ils soient proférés
à l’extérieur, sans relation avec l’intention de celui qui les dit,
pourquoi n’aurait-on pas un vrai sacrement si les mots étaient proférés
par un perroquet ?
La seconde raison est tirée du genre de ministère. Car, les
ministres des sacrements sont des instruments de Dieu, mais des instruments
animés, et qui se servent de leur raison. On doit noter ici qu’un
homme peut être l’instrument d’un agent de plusieurs façons.
La première. Selon les membres corporels seuls, comme quand quelqu’un
se sert de la main d’un autre pour saisir quelque chose, ou force quelqu’un
à porter des fardeaux, ce qui peut se faire sans le vouloir.
La seconde. Par membres du corps, et puissances sensorielles,
comme si quelqu’un ordonnait à un de ses serviteurs de lui lire quelque
chose, ou de signifier à quelqu’un de passer la nuit dehors pour voir
quelque chose, et rapporter ce qu’il a vu. À cela n’est pas
requise la volonté du serviteur, sauf celle qui lui fait faire un
acte externe. Car, même s’il n’avait pas l’intention de lire pour
signifier quelque chose, il s’acquitte de son travail en voulant
proférer des paroles. Car le Seigneur ne se sert pour instrument que de
sa langue et de ses yeux.
Troisièmement. Par membres corporels, puissances sensorielles
ou aussi la raison, c’est comme quand un roi établit des présidents
et des juges dans les villes, qui portent des jugements en son nom, et
qui gouvernent le peuple. Dans ces cas, non seulement le corps et
les sens sont des instruments, mais aussi la prudence et la volonté.
Car le roi ne détermine pas les actions particulières, mais les laisse
au jugement de son instrument. Voilà pourquoi, en pareils cas, sont
requis non seulement le pouvoir, mais aussi la volonté, et donc l’intention
d’accomplir des actions. Car, il n’est pas vraiment absout celui
que le juge absout sans avoir l’intention de l’absoudre, même
s’il semble l’être extérieurement.
Que les ministres des sacrements soient du troisième genre, on le
voit pas les Écritures. Matthieu XX1V : « Quel est le serviteur
fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur sa famille ? »
La fidélité et la prudence indiquent là que le Seigneur parle d’un
serviteur qui, selon qu’il le désire, peut faire ou ne pas faire. Car
c’est pour cela que sont requises la fidélité et la prudence.
C’est pour cela qu’ils sont appelés aussi des préposés (Rome X11)
: « Celui qui pourvoit aux besoins ». Et Hébreux X111 : « Obéissez
aux préposés. » Le Christ n’a donc pas déterminé des
actions particulières, mais il a dit (Jean XX) : « Les péchés seront
remis à ceux à qui vous remettrez les péchés. » Il a manifestement
laissé à leur jugement de lier et de délier. Et cette raison est
tout à fait convaincante. Car, comme ces instruments sont des instruments
qui fonctionnent par la volonté et l’intention, si on les leur enlève,
ils cessent d’être des instruments.
La troisième raison on la tire de la différence qu’il y a entre
les paroles spéculatives et pratiques. Car, puisque toute
leur efficacité réside dans leur signification, les paroles spéculatives
ont toujours la même force, quelle que soit la personne qui les prononce.
Les mots, en effet, signifient toujours la même chose, qu’ils soient
dits par un ivrogne, un perroquet, un fou, ou par l’âne de Balaam, pourvu
que le sens ne soit pas ambigu, car alors il faudrait recourir à l’intention
du parleur.
Mais, les mots pratiques, qui ont une efficacité plus grande que celle
qui leur vient de la signification, ne sont efficaces que s’ils
sont dits par celui qui a le pouvoir et la volonté de faire ce que les
mots signifient. Exemples. Les ordres des rois et des
juges sont efficaces, non ceux des personnes privées. Semblablement, ceux
qui ont le don des miracles commandent efficacement aux maladies et aux
démons, non les autres qui utilisent les mêmes paroles. Et la raison
en est que, comme les mots, par eux-mêmes et de leur nature, ne sont pas
opérants, il est nécessaire qu’ils ne soient efficaces que quand ils
sont prononcés par celui qui possède le pouvoir.
On peut prouver la même chose au sujet de la volonté. Car le
pouvoir ne passe jamais à l’acte à moins que ne le veuille celui qui
le possède. Voilà pourquoi saint Paul dit ceci du pouvoir de prophétiser
(1 Corinthiens, 14) : « Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes.
» Et c’est aussi ce qu’enseigne l’expérience. Car, si un
roi, en dormant ou après avoir trop bu, ordonne qu’un tel soit tué,
cet ordre n’est habituellement pas mis à exécution, car on ne sait
pas ce qu’il veut vraiment. Les paroles sacramentelles sont
aussi des paroles pratiques, puisqu’elles sont des instruments de justification.
Elles requièrent donc le pouvoir et la volonté, et donc l’intention.
Si quelqu’un objecte que les paroles des sacrements ont, par elles-mêmes,
une vertu opérative qui leur vient de l’institution du Christ, et que
leur efficacité ne dépend donc pas de l’intention ou du pouvoir du
ministre, On doit répondre qu’il y a, là-dessus, deux sentences
des théologiens. Car, quelques-uns, comme Cajetan, (3 par quest
LX1V, art 1), et Sotus (4 dist 1, q. 5, art 1), et Ledesmius
veulent qu’il y ait, dans le ministre lui-même, une vertu opérative
efficace et instrumentale, comme elle existe dans le sacrement; et,
selon cette sentence, la réponse est facile à donner. Car, dans
les paroles des sacrements, il y a une vertu opérative, mais dépendamment
du ministre. Car, les mots, alors, n’ont de vertu que quand
ils sont unis à la vertu qui est dans le ministre.
D’autres, cependant, estiment que le ministre n’a, en lui-même,
aucun pouvoir efficient sur la justification : il ne fait que concourir,
en appliquant le sacrement, comme celui qui plante et qui arrose (1 Cor
111), ne produit pas efficacement et physiquement les fruits des arbres,
mais leur appliquent des agents. C’est ce que semble penser
saint Thomas (3, par, question LX1V, article 1, à 1). On ne doit
pas en conclure que, selon cette sentence, ils ne consacrent pas vraiment
et proprement, qu’ils n’absolvent pas, ne baptisent pas, ne réconcilient
pas.
Car, la différence qu’il y a entre les agents volontaires
et les autres choses est que les autres choses ne sont pas considérées
comme agissant proprement, quand elles ne font qu’appliquer les agents.
Car, on ne dit pas qu’un chat a incendié la maison s’il y a appliqué
le feu, mais on dit que la maison a brulé par hasard. Mais quand
ce sont des agents volontaires qui agissent librement, on dit que ce sont
eux qui sont responsables d’une action. En effet, un médecin soigne
un malade quand il lui applique le remède approprié. Et
il le tue véritablement quand il met volontairement du poison dans
la médecine.
Et, selon cette deuxième sentence, on doit répondre à l’objection
posée, que les paroles sacramentelles n’ont pas de vertu propre,
et ne sont donc sacramentelles que quand Dieu s’en sert comme d’instruments.
Or, Dieu ne s’en sert comme d’instruments que quand elles sont prononcées
par celui qui a reçu le pouvoir de les dire. Voilà donc pourquoi
les paroles sacramentelles dépendent du pouvoir et de la volonté du ministre.
Même si la première sentence semble être plus probable, cependant l’une
et l’autre sont en mesure de réfuter l’objection.
La quatrième raison vient des choses absurdes qui en résulteraient.
Comme le note Hugues de saint Victor (livre 11, sur les sacrements, par
6, chapitre 13.) Car, d’abord, si un père amenait son fils
dans une piscine, s’il l’immergeait en le signant et en disant, à
la façon d’un chrétien, je te lave au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
sans avoir l’intention de le baptiser, on devrait dire que cet enfant
est baptisé si l’intention n’était pas requise, et si la matière
et la forme suffisaient. Mais, ce serait ridicule.
Ensuite, si le prêtre lisait l’évangile pendant le repas, comme
cela se fait aux repas des prélats et des religieux, et, au milieu de
sa lecture, prononçait les mots : ceci est mon corps, ceci est mon sang,
tout le vin qui se trouve sur la table serait consacré si l’intention
n’était pas requise. Enfin, si quand quelqu’un engage une servante,
il lui disait : je t’accepte comme mienne ( pensant au mot servante,
mais sans le dire), et si l’autre répondait : je t’accepte comme mien
(en pensant au mot maitre, mais sans le dire), ils seraient mariés.
CHAPITRE 28
On réfute des arguments
Il reste à réfuter les arguments. Ceux de Luther, de Calvin,
de Kemnitiius, de Catharinus.
Le premier argument de Luther vient de l’assertion de l’article
12. La parole de Dieu, indépendamment de l’intention de celui
qui la dit, excite la foi dans l’auditeur. Mais, c’est
la foi qui justifie. Donc, la parole sacramentelle, quelle que soit
l’intention de celui qui la profère, est efficace et confirme.
Voilà pourquoi l’apôtre se réjouit (Phillip 1) que la parole
soit prêchée avec toutes sortes de motifs différents, même si quelqu’un
prêchait par envie, orgueil, ambition, car elle était toujours fructueuse.
Il en va donc de même de la parole, dans les sacrements. Elle
sera utile même si elle est prononcée par jeu. Deuxièmement.
Le même Luther confirme (dans le livre sur la messe privée), en évoquant
le fait suivant : l’évêque d’Alexandrie Alexandre a jugé valide
un baptême que l’enfant Athanase avait conféré à des enfants en jouant
avec eux. On lit aussi, au sujet de certains Gentils, qu’un d’eux
avait été baptisé pour se moquer des chrétiens, et qu’il s’était
converti immédiatement dès que l’eau lui toucha la tête. On
en déduit que ce fut un vrai baptême.
Je réponds que le premier argument apporte une vraie preuve pour ceux
qui, comme Luther, pensent que les sacrements n’ont été institués
que pour exciter la foi, et que la foi seule justifie. Mais, pour
nous, il ne prouve rien. Car, même si nous concédions que, quelle soit
l’intention avec laquelle elle est prononcée, une parole peut exciter
la foi, nous ne concéderions pas, pour autant, que, quelle que soit l’intention
avec laquelle elle est prononcée, une parole peut avoir un effet sacramentel.
Et la raison de la différence entre les deux est que, pour exciter la
foi, aucune efficience n’est requise, puisque la signification suffit.
À sa confirmation je réponds qu’autre est avoir l’intention
de prêcher tout court, et autre est avoir l’intention de prêche
de mauvaise foi. Et c’est de cette dernière intention dont parle
saint Paul. Et c’est aussi de la même façon que nous concédons que
le baptême est vrai et efficac, quand le ministre a vraiment l’intention
de baptiser, même de mauvaise foi
Tu diras aussi que celui qui a l’intention de ne pas prêcher sérieusement
porte quand même des fruits en prêchant, et qu’il en va de même pour
les sacrements. Je réponds que les paroles de prédication
et les paroles sacramentelles ne sont pas de même espèce. Car,
les paroles de prédication sont, pour ainsi dire, des paroles spéculatives,
qui ne dépendent pas de l’intention, tandis que les paroles des sacrements
sont des paroles pratiques, qui, comme je l’ai déjà prouvé, dépendent
de l’intention.
Même si ces arguments semblent apporter de l’eau au moulin
de Luther, ils ne tracent pas la vraie voie à suivre, comme le montrent
ces mêmes arguments. Car, ils concluent que les paroles suffisent
sans l’eau ou l’élément, et que les sacrements peuvent être conférés
par un homme ivre, ou par une pie.
À la seconde confirmation je réponds que les sacrements peuvent être
conférés par jeu de deux façons, comme l’explique Hugues (dans son
livre 2, chapitre 6, chapitre 13.) Une première. Ils entendent,
en jouant, conférer vraiment les sacrements, mais dans un but récréatif.
Ils peuvent conférer vraiment les sacrements, comme le peuvent aussi ceux
qui les confèrent pour des motifs pécuniaires. Ce jeu n’empêche
donc pas la vérité du sacrement, car ce jeu est extrinsèque à l’action
sacramentelle elle-même.
Une deuxième. Ceux qui jouent sans avoir l’intention
de conférer un sacrement, mais de tromper et d’induire en erreur, comme
ceux qui ont habillé Jésus avec un manteau rouge et qui lui disaient
: salut, Roi des Juifs. Ils n’entendaient pas le couronner roi,
mais s’en moquer. Or, ce jeu empêche que le sacrement soit véritable,
parce que le jeu est intrinsèque à l’action. Je dis donc que
le jeu d’Athanase fut de la première catégorie, car il voulait vraiment
baptiser, mais il a fait de cette action un jeu qu’il accomplissait par
plaisir.
On doit interpréter de la même manière ce que rapportent les historiens
Ruffin (livre 10, chapitre 14 de son histoire), Sozomène (livre 11, chapitre
16), et Nicéphore (livre 8, chapitre 40). Ils écrivent qu’on
n’a fait que compléter, par les paroles du rituel, le baptême qu’avait
donné Athanase enfant à des catéchumènes, parce que les enfants ont
coutume de faire leurs jeux sérieusement.
Car, par exemple, quand ils feignent que l’en d’entre eux
est roi, et les autres ses serviteurs, ou qu’ils font semblant d’assiéger
une ville, le roi prend au sérieux son rôle, il donne des ordres
et les autres obéissent. Et c’est sérieusement qu’ils attaquent
une ville ou qu’ils la défendent de l’intérieur. On dit que
ce sont des activités ludiques, parce qu’elles sont puériles et qu’elles
ont pour but l’amusement. Nicéphore ajoute que la même
histoire est arrivée de son temps (livre 3, dernier chapitre.
Et, au sujet du mime je réponds que rien, dans cette histoire, ne
nous est contraire. Car, le premier historien à rapporter cette histoire
est (que je sache) Adon de Trévires, kalendes 8 de septembre du martyrologe.
Et c’est de lui que l’ont reçu ceux qui sont venus après, comme Vincent
(livre 12, chapitre 102, mémoires) et saint Antonin (1 par tit 8, cap
1, verset 9 de sa somme historique).
Adon raconta donc l’histoire d’un mime du nom de Genest qui,
devant l’empereur Dioclétien, fit semblant d’être malade, dans le
but de ridiculiser les mystères chrétiens, et demanda de recevoir
le baptême. Alors, sur l’ordre de l’empereur, on a fait venir
un prêtre et un exorciste qui le baptisèrent. Et quand le prêtre
lui demanda ce qu’il voulait, subitement converti, il ne répondit pas
mensongèrement mais sérieusement qu’il demandait la grâce du Christ,
et qu’il désirait recevoir le baptême, même si l’empereur croyait
qu’il feignait encore. Voir Surius, tome 1V, dans la vie de saint
Genest.
Le second argument est de Calvin (dans antidote) et de Kemnin (dans
2 par de l’examen, au lieu cité), qui argumentent ainsi. Si l’efficacité
du sacrement dépendait de l’intention du ministre, périraient la certitude
que l’homme doit avoir sur l’effet d’un sacrement, ainsi que la consolation
spirituelle. Car, personne ne peut être certain de l’intention d’un
autre. Je réponds que, dans ce monde, l’homme ne doit pas
chercher de certitude infaillible de son salut, ou de la justification,
qui soit semblable à celle de la foi divine. Car, ces choses ne
conviennent pas à l’état dont l’apôtre dit (1 Corinth X) : « Que
celui est debout veille à ne pas tomber ! » Et Philippiens 11 :
« Opérez votre salut avec crainte et tremblement. » À ce sujet,
voir saint Augustin (livre 2, chapitre 13, du bien de la persévérance,
et de la réprimande et de la grâce, chapitre 13. )
Nous avons une certitude humaine et morale d’avoir les sacrements,
suffisante pour apaiser l’homme, même s’ils dépendent de l’intention
d’un autre. Car, puisque rien n’est plus facile que d’avoir
une intention, il n’y a pas de raison de douter que le ministre l’ait
vraiment, sans qu’il en donne un signe extérieur certain. Et cela
suffit pour que l’homme ne demande pas d’être baptisé de nouveau,
et qu’il ait confiance d’avoir vraiment reçu le baptême.
Et il est à remarquer que les luthériens sont contraints de confesser
la même chose, qu’ils le veuillent ou non. Car, ils baptisent
les enfants comme les catholiques. Et quand ils deviennent des adolescents,
ils ne peuvent ni se souvenir ni savoir s’ils ont vraiment reçu le baptême,
à moins de vouloir croire ce que disent leurs parents. Ils
croient donc à leurs parents, qui peuvent se tromper, et trouvent ainsi
la paix. Combien plus .pourra-t-il s’assurer d’avoir reçu le
baptême celui qui se voit être baptisé, comprend les mots, et n’a
aucun indice d’une intention contraire du ministre.
Le troisième argument est celui de Kemnitius, qu’il tire d’un
texte de saint Augustin (lkivre 7, chapitre 53 sur le baptême).
Il n’ose pas soutenir qu’a de la valeur le baptême administré
par jeu, mais il dit qu’il faut attendre une révélation de Dieu.
D’autres ajoutent un autre texte de saint Augustin (traité 5 sur saint
Jean), où il semble dire que le baptême administré par un homme ivre
est valide. Et pourtant, il n’est que trop certain que les homes
ivres n’ont pas l’intention de conférer un sacrement.
Kemnitius ajoute que le pape Innocent 1V, au témoignage
d’un ange dans sa somme, estima que, pour qu’un sacrement soit véritable,
il n’était pas requis que le ministre ait en tête de faire ce que fait
l’Église. Il alla plus loin, car il ajouta que s’il avait une
intention contraire, c’est-à-dire ne pas faire ce que fait l’Église,
il suffit qu’il apparaisse vouloir le faire.
Je réponds d’abord à l’objection tirée de saint Augustin. C’est
une objection qui se retourne contre eux. Car, tout d’abord, saint
Augustin, au même endroit, dit qu’il doute de cela, parce que la chose
n’a été définie dans aucun concile. Voici ses propres paroles : «
Mais, dans cette chose, il nous parait plus sûr de ne pas avancer
témérairement une sentence qui n’a été présentée dans aucun concile
régional catholique, qui n’a été définie dans aucun concile plénier.
Qu’on veille à ne soutenir avec autorité que ce qui a été corroboré
par la gouvernance de notre Seigneur Jésus-Christ, et le consentement
de l’Église universelle. »
La chose maintenant a été définie dans deux conciles généraux,
celui de Florence et celui de Trente. Il importe peu qu’ils ne soient
pas reçus par les luthériens, car le concile de Nicée lui-même n’a
pas été reçu des donatistes dans la cause de l’anabaptisme. Ce qui
n’a pas empêché saint Augustin de proclamer que la cause est
certaine, et définie par l’autorité de ce concile.
De plus, quand le même saint Augustin dit, au même endroit, qu’il
faut demander une révélation de Dieu pour savoir si le baptême conféré
par jeu, sans intention véritable de conférer un sacrement, est valide
ou pas, il témoigne ouvertement qu’il n’est pas certain, comme le
prétendent les adversaires, que l’Écriture enseigne que l’intention
du ministre n’est pas requise.
Ainsi, sans aucun doute possible, selon la sentence de saint
Augustin, nous faisons mieux que les adversaires qui ne baptisent pas ceux
qui ont été baptisés sans intention du ministre, alors que nous, nous
les baptisons. Car, en cas de doute, il est préférable de réitérer
le baptême, au moins sous condition, plutôt que d’exposer quelqu’un
au péril de mourir sans baptême. Il est facile de répondre à
l’autre citation de saint Augustin. Car, il n’a pas parlé de
ceux qui sont ivres, mais de ceux qui ne sont qu’éméchés.
Au sujet de l’autorité d’Innocent 1V, je réponds que Kemnitius,
à son accoutumée, n’a pas rapporté fidèlement sa sentence.
Car, (au chapitre si quis puerum extra de baptismo etc), après avoir dit
que le baptême était valide même si le ministre avait l’intention
de ne pas faire ce que fait l’Église, le pape Innocent ajoute : « Pourvu
qu’il ait l’intention de baptiser ». Paroles que Kenmnitus n’a pas
citées. Car, pas seulement une seule fois, mais trois fois, le pape
Innocent répète que le baptême n’est pas ratifié si le ministre n’entend
pas baptiser, mais seulement laver un corps.
On peut entendre de deux façons ces paroles du pape Innocent : «
Même s’il a l’intention de ne pas faire ce que fait l’Église. »
La première. Ce que fait l’Église quant à la substance de l’action.
La deuxième. Quant à l’effet de cette action. C’est dans
le dernier sens que le pape prend ces mots. Et voici ce qu’il veut
dire : même si le ministre ne pense pas à faire ce que fait l’église,
c’est-à-dire justifier l’homme en effaçant ses péchés, parce qu’il
pense que cette cérémonie n’a pas ce pouvoir, il suffit qu’il fasse
ce que fait l’Église.
Kemnitius prend ces mots au premier sens, mais inutilement, car
Innocent le contredit trois fois. Et Innocent n’a pas dit ce que
Kemnitius lui fait dire : le sacrement est ratifié si le ministre donne
l’impression de vouloir baptiser pour vrai.
Le quatrième argument est celui de Catharinus qui cite des textes
de saint Thomas, de saint Jean Chrysostome, et du pape Nicolas.
Saint Thomas (3 par quest LX1V, art 8, a 2), dit que pour que le sacrement
soit parfait, l’intention de l’église suffit, laquelle est exprimée
dans la forme même des mots; et que rien d’autre n’est requis
de la part du ministre. Il s’exprime plus clairement (1V, dist
6, quest 1, art 2), là où il dit que n’est pas requise l’intention
mentale du ministre, mais que suffit la formule dans laquelle est contenue
l’intention de l’Église. Saint Jean Chrysostome
(homélie 85 sur Jean) : « Le prêtre prête sa langue et sa main.
Car, il n’est pas juste que, à cause de la malice d’un autre, soient
lésés ceux qui font une démarche pour recevoir le salut. »
Quand les Bulgares ont demandé au pape Nicolas si ceux qui sont
baptisés par des Juifs doivent être rebaptisés, il a répondu qu’ils
ne devaient pas l’être, s’ils ont été baptisés au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit. Sans faire aucune mention de l’intention.
Catharinus ajoute ensuite la raison suivante : il semblerait trop dur d’accepter
que Dieu ait placé le salut des hommes dans le jugement d’un ministre
impie, rendant ainsi incertaine notre justification.
Cet argument a déjà été réfuté. Mais on pourrait ajouter une
autre réponse. Parce que, parmi les hommes, quand un maître fait
un contrat avec quelqu’un par l’entremise de son serviteur, ou confie
la charge à un autre, l’intention du ministre n’est pas requise.
Au sujet de saint Thomas, je réponds qu’il enseigne qu’est requise
l’intention interne du ministre. Car (3 par quest LX1V, art
8, dans le corps de l’article), il dit qu’il faut déterminer les choses
qui se font dans les sacrements, car elles peuvent être employées à
des usages divers par le ministre.
De même, à la réponse 1, il dit que, parce qu’il est un instrument
animé, le ministre doit remplir son devoir avec l’intention de faire
ce que fait le Christ et l’Église. De même (article 9, 1), il
dit que le sacrement est un vrai sacrement, même si le ministre pense
qu’il vaut pour autre chose que ce qu’il vaut vraiment, pourvu qu’il
ait l’intention de faire ce que fait l’Église.
Ensuite, à l’article 10, il dit encore plus clairement qu’est
requise, dans le ministre, l’intention de conférer les sacrements, non
de jouer ou de ridiculiser; et que, sans cette intention, le sacrement
n’a pas lieu. Il importe peu que saint Thomas ait ajouté : «
Surtout quand il manifeste son intention à l’extérieur. » Car,
il veut dire c’est ceci. Quand un ministre a l’intention
de ne pas conférer un sacrement, mais de s’amuser, et ne manifeste pas
extérieurement cette intention, le sacrement est nul. Mais,
il serait encore plus nul s’il manifestait son intention. Car,
dans le premier cas, il est nul devant Dieu, et dans le dernier, il est
nul devant Dieu et les hommes.
Au passage que Catharinus nous objecte, (2, art 8), je réponds que
quand Cajetan et Soto disent que saint Thomas enseigne que n’est pas
requise l’intention mentale pour que le sacrement soit parfait, mais
que suffit la prononciation des mots, il ne parlait pas de la perfection
du sacrement proprement dite, mais de la perfection devant les hommes,
qui suffit à la certitude humaine et à l’apaisement de l’âme, sans
que soit requis autre chose.
On peut le prouver, cela, de deux façons. La première. Parce
que dans l’argument 2, saint Thomas s’était objecté à lui-même
que si l’intention mentale du ministre était requise, personne ne pourrait
être sûr d’avoir reçu le sacrement. La réponse doit donc être
entendue de la perfection du sacrement par rapport à la certitude, non
en soi. Ensuite, dans cette réponse, saint Thomas ajoute que suffit
l’expression externe de la formule sacramentelle, si n’est pas exprimée
une intention contraire du ministre, ou du catéchumène.
Cette addition est la bienvenue, s’il s’agit de la certitude; mais
elle est fausse, s’il s’agit de la perfection absolue du sacrement,
comme le veut Catharinus. Car, si n’était pas requise l’intention
interne du ministre, le sacrement serait certainement un vrai sacrement
si le ministre exprimait une intention contraire, de la façon suivante
: « Je n’ai pas l’intention de baptiser, mais de me moquer du sacrement,
et voilà pourquoi je dis ces paroles : je te baptise au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit ». Et même s’il exprimait sa
dérision par un geste externe, et disait ces paroles avec ironie, il y
aurait un sacrement ? Saint Thomas enseigne le contraire.
Au texte de saint Jean Chrysostome, je réponds qu’il ne parle pas
de la probité des ministres, mais qu’il veut dire que l’efficacité
des sacrements ne dépend pas de la bonté des ministres, mais de la bonté
de Dieu seul. Voilà pourquoi, quand il dit que le prêtre
prête sa main et sa langue, il exclut les vertus, mais non l’intention
du ministre. Car il veut dire que le ministre est l’instrument
de Dieu, non l’agent principal.
Et du fait que le ministre est un instrument, il s’ensuit qu’il
n’agit pas par sa vertu propre, et que, en conséquence, ne sont requises
ni la foi, ni l’espérance, ni la charité, ni une autre vertu.
Mais, on ne peut pas en déduire que n’est pas requise l’intention,
mais plutôt le contraire, puisque l’homme est un instrument animé et
rationnel. Il doit donc être mu par Dieu selon sa nature, c’est-à-dire
avec réflexion et intention.
Tu diras que la raison que présente saint Jean Chrysostome, à savoir
qu’il n’est pas juste que quelqu’un soit lésé par la malice d’un
autre, nous amène à conclure que les sacrements ne dépendent pas de
l’intention du ministre. Parce que la malice du ministre pourrait nuire
à ceux qui reçoivent les sacrements, s’il retirait en secret son intention.
Je réponds que cette conclusion porte sur la probité et non sur l’intention,
pour deux raisons.
La première. Car, si les sacrements dépendaient de la probité,
la malice de l’un nuirait très souvent à un autre, car nombreux sont
les mauvais, et ne peuvent pas être ratifiés les sacrements qui, sans
une nécessité urgente, sont administrés par des infidèles, des hérétiques,
ou des pécheurs publics. Mais s’ils dépendent de l’intention
du ministre, c’est très rarement que nuira aux fidèles l’intention
du ministre. Car l’intention tous peuvent l’avoir, et il n’y
a aucune raison qui les empêcherait de vouloir l’avoir.
Deuxièmement, parce qu’il est juste que les sacrements ne dépendent
pas d’une qualité du ministre qui n’est pas absolument nécessaire
au ministère, comme la probité. Mais il n’était pas également
juste qu’ils ne dépendent pas d’une qualité, comme l’intention,
sans laquelle le ministre ne peut pas être ministre. J’ajoute
que si cette raison prouvait que les sacrements ne dépendent pas de l’intention
de conférer sérieusement les sacrements, elle prouverait aussi qu’ils
ne dépendent pas non plus de l’intention de faire un acte externe, qui
est la seule chose qu’admettent Catharinus et les hérétiques.
Car, même de cette façon, il pourrait se faire que la malice du ministre
nuise à celui qui reçoit le sacrement, si, par exemple, quelqu’un
ne voulait pas dire les paroles ou verser de l’eau quand on ne peut pas
en trouver d’autre qui pourrait ou voudrait le faire.
Et cela nous permet aussi de répondre à l’objection de Catharinus,
selon laquelle il serait trop dur de laisser le salut des hommes entre
les mains d’un ministre impie. Car, il est forcé de reconnaitre
cela dans l’autre cas. Et il ne devrait pas sembler dur que Dieu
ne permette pas qu’elle détruise la nature de l’homme.
Autrement, il semblerait dur également qu’il abandonne au libre arbitre
d’un tyran les vies de plusieurs innocents.
Au sujet de l’autorité du pape Nicolas, je dis qu’il ne s’est
pas soucié de l’intention, parce qu’elle est ordinairement présente,
et parce que l’Église ne porte pas de jugement sur le for intérieur.
La troisième raison que nous avons donnée apporte une réponse au dernier
argument tiré de la coutume humaine.
2018 11 01 fin
2018 11 11 debut
LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL
DEUXIÈME LIVRE
L’effet, le nombre et les cérémonies des sacrements
QUATRIÈME CONTROVERSE
SUR L’EFFET DES SACREMENTS
Cette controverse comprend trois parties. La première.
Les sacrements de la loi nouvelle sont-ils de vraies causes de la justification
par l’œuvre opérée ? La deuxième. Est-ce quelque chose qui
est propre aux sacrements de la loi nouvelle, ou qui leur est commun avec
ceux de la loi ancienne ? La troisième. Les sacrements de
la loi nouvelle impriment-ils un caractère ?
La première question se divise en quatre chapitres. Le
premier. On explique l’état de la question. Le deuxième. On présente
les sentences des hérétiques. La troisième. On confirme la vérité.
La quatrième. On réfute les objections.
CHAPITRE 1
Quel est l’état de la question au sujet de l’efficacité
des sacrements ?
Quand on dispute de l’efficacité des sacrements de par l’œuvre
opérée, il faut d’abord expliquer ce que l’on cherche. Car,
pour rendre odieuse la sentence des catholiques, les adversaires l’exposent
de travers.
Il y a d’abord quatre choses à noter. La première. L’état de
la question n’est pas celui que présente Calvin (livre 4, chapitre 14,
verset 17) en ces termes : « La seule qu’on cherche ici est la suivante
: Dieu opère-t-il par une vertu propre et intrinsèque, ou se sert-il
de symboles externes comme de vicaires, ou de tenants lieu. » Or,
jamais personne n’a posé la question en ces termes. Car, ce serait demander
si les sacrements sont la cause première, ce qui n’est jamais venu à
l’esprit de personne, à moins d’être complètement maboule.
La seule chose que nous cherchons, c’est donc : sont-ils des instruments
de Dieu, c’est-à-dire, est-ce que Dieu nous justifie par les sacrements,
et non est-ce que les sacrements nous justifient sans Dieu ? Comme
personne ne se demande : est-ce que c’est le charpentier qui opère,
ou ses serviteurs en tant que ses vicaires ? Car, sans le contremaitre,
les ouvriers ne peuvent rien faire.
Il s’ensuit donc que les hérétiques profèrent un énorme
mensonge et une très vaine calomnie quand ils disent que nous séparons
les hommes du Christ et de sa passion, et que nous les enchaînons à des
signes, parce que nous enseignerions que les sacrements sont les causes
de la justification. Mais, au contraire, en parlant ainsi, nous attirons
les hommes vers le Christ et sa passion, car nous disons que les sacrements
sont des instruments du Christ, par lesquels il nous applique les
mérites de sa passion. Séparerait-il les hommes du feu celui
qui dirait que la chaleur est l’instrument par lequel le feu réchauffe
?
Et pourtant, c’est ainsi que parle Calvin (livre 4, chapitre
14, verset 14 : « Celui qui met la cause de la justice dans les sacrements
enchaîne à la terre, par cette superstition, les âmes misérables des
hommes, qui y sont suffisamment enclines de par leur nature, afin qu’elles
trouvent leur apaisement dans le spectacle d’une chose corporelle plutôt
qu’en Dieu. » Luther dit des âneries semblables.
Il faut, noter, en second lieu, que la controverse ne porte pas sur
la façon dont les sacrements sont des causes, c’est-à-dire, en
produisant un effet, physiquement ou moralement seulement, ou par une qualité
inhérente et la seule motion de Dieu ? Car, ces choses n’ont rien à
avoir à une question de foi. Mais, seulement, en termes
généraux : les sacrements sont-il de vraies et propres causes instrumentales
de la justification, de façon à ce que du fait que quelqu’un est baptisé,
il s’ensuive vraiment qu’il soit justifié ?
Car, c’est ce qu’enseignent tous les catholiques, comme Luther
lui-même le reconnait (dans son livre sur la captivité de Babylone, chapitre
sur le baptême) : « Ils sont très nombreux ceux qui pensent que, dans
la parole et dans l’eau, il y a une vertu occulte spirituelle qui
opère dans l’âme de celui qui reçoit la grâce de Dieu. D’autres
les contredisent en disant qu’il n’y a aucune vertu dans les sacrements,
mais que la grâce est donnée par Dieu seul, qui prête son assistance
en vertu du pacte sacramental qu’il a contracté. Cependant, tous admettent
que les sacrements sont des signes efficaces de la grâce. »
Et cela suffit pour la foi et pour l’usage légitime des sacrements.
Comme dans les miracles du Christ, il n’était pas requis que les
hommes qui avaient à être guéris, sachent par quel genre de cause la
fibre du vêtement du Christ apportait la santé et la guérison. Il n’était
pas nécessaire, non plus, que les apôtres qui guérissaient en imposant
les mains, comprennent comment cela se faisait. De la même
manière, il n’est pas nécessaire que ceux qui administrent ou qui reçoivent
les sacrements sachent comment ces sacrements sont des causes de
justification.
Ajoutons que c’est quelque chose qui est commun à beaucoup de mystères
de foi. Nous savons par l’Écriture qu’il existe des choses dont nous
ignorons la manière d’être, comme le Dieu un et trine en même temps,
un Christ homme et Dieu en même temps, la résurrection des mêmes corps,
la présence divine et corporelle entière du Christ dans l’eucharistie.
De sorte que, dans cette question, il suffit de prouver, par le témoignage
des Écritures, que les sacrements sont causes de la grâce.
Comment cela se fait, c’est une chose difficile à comprendre,
et encore plus à expliquer. Il n’y a là rien d’étonnant.
Car, si l’homme ne peut pas donner d’explication valable des
choses naturelles créées par Dieu qui tombent sous nos sens, comme le
dit Salomon (Eccl V111), à combien plus forte raison sera-t-il incapable
de rendre raison des choses surnaturelles ? Cependant, ce n’est
pas sans utilité que les scolastiques en disputent. Ils peuvent
ainsi montrer qu’il y a plusieurs façons de défendre ce que la foi
défend; et ils formulent plusieurs explications qui ne manquent pas de
probabilité, mais qui ne sont pas de foi.
Elle n’est donc pas honnête l’objection que nous font nos adversaires,
et surtout Kemnitius (dans la seconde partie de son examen, chapitre sur
l’efficacité du sacrement, et le chapitre sur l’œuvre opérée.)
et Heshusius (dans son livre sur les cinq cents erreurs des papes,
tit 1 , qui porte sur les sacrements). Ils réprouvent les opinions
des scolastiques sur la manière d’opérer des sacrements, en nous reprochant
de croire que ces opinions font partie de la foi de l’église catholique.
Il faut prendre note, en troisième lieu, de ce que c’est que conférer
la grâce par l’action opérée. Car les adversaires voient dans
cette expression une nouveauté, et ils exposent la sentence de travers.
Calvin (dans son antidote du concile de Trente, session 8, canon 8,) dit
que « conférer la grâce par l’œuvre opérée, ce sont
des mots monstrueux ». Kemnitius (dans 2 par examen, page 115),
dit que, quand il a employé ces mots, le concile n’a pas conservé la
forme des saines paroles que Paul nous ordonne de garder (11 Tim 1).
Mais il ne vaut pas la peine de faire une grande dispute pour un mot.
Car, il n’y a pas là de nouveauté, à part le fait que, contre la règle
grammaticale, le mot opéré est pris au sens passif. Mais, cela,
non plus, n’est pas nouveau, Car, dans l’épitre aux Hébreux
(chapitre X111), le mot promeretur est employé au passif : « Car,
c’est de telles hosties que Dieu mérite. » Et, saint Augustin
(dans le psaume CXXXV111 a préféré dire ossum ossi plutôt que
os ossis, pour qu’om comprenne plus facilement. « Il est préférable
d’être blâmés par les grammairiens plutôt que de ne pas être compris
par le peuple. »
Ils disent donc que par, œuvre opérée nous entendons deux choses
qui sont contradictoires et qui sont mutuellement exclusives. La première.
Ils disent que œuvre opérée signifie œuvre méritoire, ou la dignité
de l’œuvre, de la part du ministre ou de celui qui reçoit le sacrement.
Luther a été le premier à présenter la chose ainsi dans la captivité
de Babylone (chapitre sur le baptême), où il dit que les papistes «
ont fait du sacrement un précepte, et de la foi une œuvre. »
C’est comme s’il disait que les papistes pensent que les sacrements
donnent la grâce, parce que celui qui le reçoit fait une bonne œuvre
prescrite par Dieu.
Ensuite Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 26), écrit : « Tout
ce que les sophistes ont rêvé sur l’œuvre opérée n’est pas seulement
faux mais milite contre la nature du sacrement que Dieu a institué.
Et les fidèles vides de bonnes œuvres et les pauvres n’en retirent
rien d’autre que leur mendicité et leur pauvreté. Il s’ensuit
donc qu’en les recevant, ils ne font rien qui leur mériterait des honneurs;
et que cette action, qui n’est que passive, ils ne peuvent en rien en
faire une bonne œuvre. » Il dit la même chose (dans son antidote
(session 7, chapitre 8). Il réfute que les sacrements opèrent
la grâce par l’action opérée en disant seulement qu’il serait
absurde que l’efficacité des sacrements dépende des mérites des hommes.
Et enfin, Kemnitius (2 par examen, page 95) : « Il y en a qui ont placé
la vertu des sacrements dans l’action par laquelle le sacrement est administré
ou reçu. Tout comme s’ils disaient que les sacrements confèrent
la grâce à cause de la dignité et du mérite de l’œuvre qu’opère
ou celui qui les administre ou qui les reçoit. »
Cette explication est d’une grande fausseté, et elle ne fait que
témoigner ou de leur ignorance ou de leur mauvaise foi. La preuve
en est que tous les catholiques opposent l’œuvre opérée à l’œuvre
de l’opérant. Et par œuvre de l’opérant, ils entendent une
œuvre bonne ou méritoire de l’opérant. De plus, comme tant les
catholiques que les luthériens enseignent, contre les donatistes, que
l’efficacité des sacrements ne dépend pas de la bonté du ministre,
comment quelqu’un a-t-il pu jamais imaginer que les catholiques croyaient
que les sacrements conféraient la grâce par la dignité ou le mérite
du ministre ? Car, on ne peut douter que la bonne œuvre et le mérite
dépendent de l’opérant, puisque (Matth V11) : « Un arbre mauvais ne
peut produire de bons fruits. »
De même, les catholiques enseignent que les sacrements confèrent
la grâce et souvent la première grâce, de telles sorte que les impies
deviennent justes. Comment pourrait-il se faire, alors, qu’ils
croient que c’est à cause de la dignité ou des mérites du récipiendaire
que les sacrements confèrent la grâce ? Car, si celui qui reçoit
le sacrement du baptême pouvait, avant sa réception, faire des œuvres
bonnes et méritoires, il n’était pas un impie, mais un juste.
La deuxième explication est fausse. Celle qui veut que conférer
la grâce par l’œuvre opérée signifie conférer la grâce à un pécheur
sans foi, et sans un bon mouvement du cœur du pécheur, de sorte que la
vertu de l’œuvre opérée ait été excogitée pour exclure la foi et
la pénitence interne, dans l’affaire de la justification. Luther
(dans sa Babylone, au chapitre du baptême), écrit : « La seule chose
qu’ils ont imposée c’est d’attribuer aux sacrements de la nouvelle
loi d’être profitables même à ceux qui sont en état de péché mortel;
et de ne requérir ni foi ni grâce. » Calvin (dans son antidote,
Et, au canon V111 : « Si on leur concède ce qu’ils demandent, à
savoir que c’est par l’œuvre opérée qu’est procurée la grâce
dans les sacrements, on sépare de la foi la part du mérite, et
on fait en sorte que l’usage du sacrement vaille, par lui-même, pour
le salut. » Kemnitius (2, par examen, page 125) écrit : «
Les pontifes promeuvent l’opinion de l’œuvre opérée, voulant
que, par les sacrements, la grâce soit conférée aux usagers, de façon
telle qu’on ne requiert d’eux aucun bon motif intérieur. »
Philippe dit des choses semblables (dans sa confession d’Augusta, article
13, et dans son apologie), et Heshusius (dans son livre sur les 600 erreurs
des papes, tit 15).
Mais cette présentation contredit la précédente. Car si l’œuvre
opérée est l’œuvre méritoire du récipiendaire, comme peut-il se
faire que l’œuvre opérée exclue la foi, puisque sans foi aucun mérite
n’a de sens. « Car, sans la foi, il n’est pas possible de plaire à
Dieu. (2, Hébreux, 11). Et, de plus, sa présentation de notre sentence
est fausse, calomnieuse et mensongère. Car, le concile de
Trente lui-même (session 6, chapitre 6, ) enseigne en toutes lettres que
le commencement de la justification se fait par la foi et la pénitence.
Ce que tous les théologiens enseignent également, comme nous l’avons
montré plus haut, au chapitre 7, dans la réfutation des mensonges.
Donc, pour comprendre ce que c’est que l’œuvre opérée, il faut
noter qu’à la justification que reçoit quelqu’un, quand lui est administré
le sacrement, plusieurs choses concourent; De la part de Dieu,
la volonté de se servir de cette chose sensible. De la part du Christ,
sa passion. De la part du ministre, le pouvoir, la volonté, la probité.
De la part du récipiendaire, la volonté, la foi et la pénitence. Et
de la part du sacrement, l’action externe qui résulte de l’application
idoine de la matière et de la forme. De plus, de toutes ces causes,
ce qui activement, prochainement, et instrumentalement effectue la grâce
de la justification c’est la seule action externe qui est appelée sacrement.
Et on parle d’œuvre opérée, quand on reçoit passivement (opérée)
de façon à ce que pour, le sacrement, conférer la grâce par l’œuvre
opérée soit la même chose que conférer la grâce par la vertu de l’action
sacramentelle elle-même, instituée par Dieu, et par les mérites de l’agent
ou du récipiendaire.
C’est ce que dit saint Augustin (dans son livre 4, chapitre 24 sur
le baptême) : « Le sacrement lui-même, par lui-même, vaut beaucoup.
» Car, la volonté de Dieu qui se sert d’un sacrement, concourt
activement, et est la cause principale. La passion du Christ concourt
aussi, et est la cause méritoire, mais non effective, car elle n’existe
pas en acte, et a eu lieu dans le passé, même si elle demeure objectivement
dans la pensée de Dieu. Le pouvoir et le ministre concourent nécessairement,
mais sont des causes éloignées. Ils sont requis, en effet, pour
accomplir l’action sacramentelle, qui ensuite est opérée immédiatement.
La probité du ministre est requise, pour que le ministre ne pèche pas
en administrant le sacrement. Cependant, elle n’est pas la cause de la
grâce dans le récipiendaire, et ne l’aide pas par mode sacramentel,
mais par mode impétratoire et exemplaire. La volonté, la foi et
la pénitence sont nécessairement requises dans le récipiendaire adulte,
comme dispositions de la part du sujet, mais non en tant que causes actives.
Car, la foi et la pénitence n’effectuent pas la grâce sacramentelle,
mais ne font qu’enlever les obstacles qui empêchent l’efficacité
des sacrements. Voilà pourquoi, dans les enfants, où n’est pas
requise cette disposition, le sacrement a lieu sans la foi et la pénitence.
Exemple tiré des choses naturelles. Pour faire bruler du bois,
il faut d’abord scier du bois, tirer du feu d’une pierre, appliquer
le feu au bois, et obtenir ainsi la combustion et la sécheresse, ou la
production du feu à partir d’une pierre, ou l’application du feu au
bois, mais le feu seul en tant que cause première, et la chaleur
ou la caléfaction, en tant que cause instrumentale.
Quatrièmement, il faut noter la fraude ou l’incompétence de Kemnitius.
Car (2 par examen, chapitre de l’œuvre opérée), il admet que certains
catholiques, comme Gropperus et Alphonse ont bien expliqué ce que c’est
que l’œuvre opérée. Mais, il ajoute que les autres catholiques
ne pensent pas comme eux, ni même le concile de Trente, et que la controverse
demeure toujours entière. Or, le pauvre Kemnitius n’a pu comprendre
ni les premiers ni les autres. Ou, s’il l’a pu, il ne l’a pas voulu.
Voici ce qu’il dit : « Gropperus et Alphonse imaginent faire injure
aux scolastiques comme si, par œuvre opérée, ils avaient enseigné que
les sacrements confèrent la grâce à celui qui la reçoit sans la grâce.
Mais, ils disent que, dans la dispute sur l’œuvre opérée, ils n’ont
voulu rien d’autre que la vérité des sacrements n’est pas dans
la dignité du ministre opérant, ni ne doit être estimée par le mérite,
mais vient de l’institution, de la puissance et de l’opération du
Dieu auteur. »
Et plus bas : « Si c’est ce que veulent les pontifes quand
ils disputent sur l’œuvre opérée, il n’y aurait pas de controverse,
parce que cette sentence est vraie. Mais, les scolastiques n’ont
pas tous affirmé cela autrefois; et même aujourd’hui, ce n’est pas
ce que veulent les papes quand ils se battent pour l’opinion de l’œuvre
opérée. Car, par des paroles exotiques, ils nourrissent l’église
avec un monstre, et le lui font avaler de force. »
Dans ces paroles, il y a trois faussetés. La première. Gropperus
et Alphonse ont fait semblant d’injurier les scolastiques. Ils n’ont
pas fait semblant, mais ils ont l’ont vraiment dit, comme nous l’avons
souvent prouvé, et que nous le prouverons bientôt après. La deuxième.
Qu’il n’y aurait pas de controverse si tous les catholiques disaient
la même chose que Gropperus et Alphonse. Car, ces deux auteurs ne
disent pas seulement que les sacrements ne tirent par leur efficacité
de la dignité du ministre, et n’excluent pas la foi, ce qui plait à
Kemnitius et à nous, mais ils soutiennent aussi que les sacrements ont
une vraie efficacité, c’est-à-dire une efficacité apte à produire
grâce, de par l’institution divine.
Alors que Kemnitius n’attribue aux sacrements que l’efficacité
de nourrir la foi par le moyen d’un objet qui représente la divine promesse.
La troisième. Il dit que ni les anciens scolastiques ni les
souverains pontifes ne comprennent l’œuvre opérée comme l’exposent
Gropperus et Alphonse, eux, qui n’excluent pas la foi. Que ce soit
un mensonge, on le voit clairement par la réfutation de ses arguments.
D’abord, il le prouve ainsi. Tous les scolastiques disent que
les sacrements de la loi nouvelle donnent la grâce par l’œuvre opérée,
et que les sacrements de la loi ancienne la donnaient par l’œuvre de
l’opérant. Or, si l’œuvre opérée excluait la dignité du ministre,
la circoncision, elle aussi, aurait donné la grâce par l’œuvre opérée,
car la malice d’un ministre ne nuisait en rien à la circoncision.
De par la sentence des scolastiques, l’œuvre opérée n’exclut donc
pas seulement la dignité du ministre, mais même la foi, et le mouvement
interne du récipiendaire, toutes choses qui appartiennent à l’œuvre
de l’opérant, et qui étaient nécessaires dans l’ancienne loi.
Je réponds d’abord que quand certains scolastiques, comme Gabriel
(que citera un peu après Kemnitius) enseignaient que les anciens sacrements
ne procuraient pas la grâce par l’œuvre opérée, ils exceptaient la
circoncision. L’argument de Kemnitius ne vaut donc rien, dans leur
cas. Je dis ensuite que l’œuvre opérée n’exclut pas seulement
la dignité du ministre pour l’efficacité de la grâce sacramentelle,
mais aussi la foi et le mouvement interne. Car, comme nous l’avons
dit, même s’ils sont requis dans les adultes, ce ne sont pas ces choses
qui effectuent la grâce, mais le sacrement en tant qu’instrument de
Dieu. Dans les sacrements de l’ancienne loi, ce n’est pas le
sacrement lui-même qui opérait la grâce, mais la foi et la dévotion
du récipiendaire et de toute la synagogue, ou quelque chose d’autre,
comme nous le dirons plus tard.
L’argument de Kemnitius prouve que, selon la sentence des scolastiques
l’oeuvre opérée exclut de l’efficacité de la grâce sacramentelle,
la foi et le mouvement interne. Mais il ne prouve pas ce qu’il
fallait prouver, que l’œuvre opérée exclut absolument la foi et le
mouvement intérieur, de façon à ce que, comme ils le disent, les sacrements
confèrent la grâce à ceux qui les reçoivent, sans la foi et sans la
conversion interne du cœur.
Il le prouve ensuite avec l’aide de Gabriel (1V, dits 1, q,
3) qui dit que se trouve une œuvre opérée quand n’est requis aucun
mouvement interne. Je réponds qu’il ne cite pas Gabriel
honnêtement. Car, Gabriel ajoute bientôt après : un mouvement qui mérite
la grâce par la convenance ou le droit. Gabriel n’exclut
donc pas le mouvement intérieur qui dispose à la grâce, mais celui qui
mérite la grâce. Car, même si cette disposition peut être méritoire
de grâce par convenance, ou d’une augmentation de la grâce, de droit,
si elle est un acte qui procède de la charité, cette grâce en est quand
même une qui est donnée à cause de la disposition. L’autre
grâce est celle qui est donnée par la vertu du sacrement, comme le même
auteur l’explique (1V dist, 4, quest 2, conclusion 4, au premier).
Il le prouve ensuite en citant Paludanus qui (1V dist 1 quest 1, conclusion
2, preuve 4) dit qu’il n’est pas requis, dans les sacrements, que l’homme
se dispose, mais que la disposition est effectuée par le sacrement lui-même,
et que c’était cela causer la grâce par l’œuvre opérée.
Je réponds que Kemnitius n’a pas compris Paludanus. Car, Paludanus
ne parle pas de la disposition qui est un mouvement interne du récipiendaire,
comme la foi et la pénitence, lesquels sont expressément requis, comme
il le dit lui-même à dist 4, question 5. Mais, il parle de cette
disposition dernière qui, comme il le pense, suit immédiatement
la grâce. Et il dit que cette disposition est un caractère dans
trois sacrements, et, dans les autres, un ornement de l’âme. Car,
comme il ne pouvait pas comprendre comment le sacrement produit la grâce,
il a excogité cette sentence selon laquelle le sacrement produirait une
disposition que suivrait immédiatement la grâce. C’est une de
ces choses qui font écrire et suer les scolastiques.
Quatrièmement, il le prouve en citant Marsilius (1V, sentences, question
2, article 2,) et Mesingerus (6 chap Jean) qui distinguent l’œuvre opérée
de la dévotion interne de l’opérant. Je réponds qu’ils la
distinguent, mais qu’ils ne l’excluent pas de l’efficacité, comme
je l’ai dit. Cinquièmement, il le prouve avec saint Thomas et
Gabriel, qui disent que la messe profite par l’œuvre opérée, même
à ceux qui n’ont pas la pénitence dans le cœur. Je réponds
qu’ils parlent du sacrifice et non du sacrement. En effet, le sacrifice
profite aux impénitents par mode impétratoire, parce qu’ils leur inspirent
la conversion et la pénitence. Comme le font nos prières, mais
pas avec la même efficacité.
Sixièmement, il le prouve en disant que beaucoup de catholiques
soutiennent que les sacrements produisent la grâce par l’œuvre opérée,
parce que le baptême profite aux petits qui n’ont ni foi, ni bon mouvement
interne. Donc, de la même manière, ils excluent, dans les adultes,
la foi et le bon mouvement intérieur, car, même dans les adultes, ils
veulent que le sacrement ait une vertu par l’œuvre opérée.
Je réponds que les catholiques prouvent efficacement, par l’exemple
des enfants, que l’efficacité des sacrements ne dépend pas de la dignité
ou de la qualité du récipiendaire. Mais, il ne s’ensuit pas,
toutefois, qu’ils excluent dans les adultes la foi et la pénitence.
Ils les requièrent, au contraire, comme des dispositions dont n’ont
pas besoin les petits, comme on le démontrera en temps et lieu.
Kemnitius prouve ensuite que, par œuvre opérée, le concile
de Trente voulait exclure la foi et le mouvement interne. Il
soutient d’abord, que les scolastiques ont expliqué différemment l’œuvre
opérée, que certains ont voulu exclure le mouvement interne et d’autres
non. Voilà pourquoi, le concile de Trente, en admettant en principe
l’œuvre opérée, ne l’a pas restreint à une position plutôt qu’à
l’autre, et a semblé ainsi les approuvé toutes.
Je réponds qu’il est faux qu’il y ait eu des scolastiques qui,
par œuvre opérée, aient exclu le mouvement interne. Et, s’il
en avait été ainsi, le concile n’en aurait approuvé aucune, mais aurait
seulement défini en général que les sacrements confèrent la grâce
par l’œuvre opérée. En second lieu, parce que le concile
(au chapitre 14) n’entend pas dire que les sacrements ne dépendent
pas de la dignité du ministre, comme Gropoperus présente l’œuvre
opérée, mais quelque chose d’autre, c’est-à-dire, que n’est pas
requise la foi du récipiendaire.
Je réponds que, pour les sacrements, conférer la grâce par
l’œuvre opérée, ne signifie pas proprement une négation (ne pas dépendre
de la dignité du ministre), mais une affirmation : les sacrements opèrent
la grâce par leur propre vertu. De quoi s’ensuit la négation, c’est-à-dire
qu’ils ne dépendent pas de la dignité du ministre ou du récipiendaire.
C’est pourquoi le concile (au canon 8) a défini cette affirmation contre
les luthériens; et, au canon 12, la négation contre les donatistes et
les anabaptistes.
En troisième lieu, il prouve que le concile dans ce chapitre
(8) oppose l’œuvre opérée à la foi. Il en conclut donc que
la foi est exclue par l’œuvre opérée. Je réponds que si l’antécédent
était vrai, on pourrait nier la conséquence. Car, si le concile
opposait l’œuvre opérée à la foi, il aurait l’intention d’exclure
la foi de l’efficacité de la grâce sacramentelle, mais non de l’exclure
en tout et partout. Mais, cependant, l’antécédent est faux,
parce que le concile n’oppose pas l’œuvre opérée à la foi, mais
à la seule foi. Ce que même un Kemnitius avait noté un peu plus
loin.
En plus des arguments, Kemnitius ajoute deux mensonges formels, par
lesquels il clôt sa dispute sur l’œuvre opérée. Car, non seulement
il a attribué aux théologiens une exposition absurde de l’œuvre opérée,
mais il imagine même que, convaincus par ses mensonges, les théologiens
n’osent plus défendre leur opinion : « Les écrivains du pontife commencent
à tergiverser, et n’osent pas entreprendre publiquement la défense
de leur axiome, qui veut que, sans la foi, la seule réception des sacrements
procure le salut. » Or, comme je l’ai déjà démontré, ce ne
fut là jamais un axiome des souverains pontifes, mais un mensonge des
luthériens.
Ensuite, comme un homme habile, il investigue les causes pour
lesquelles les scolastiques sont tombés dans une erreur si absurde.
Il en trouva deux. La première. Quand ils lurent, chez Augustin,
(livre 3, chapitre 14), qu’il importait peu à l’efficacité des sacrements
de quelle foi était rempli celui qui reçoit les sacrements, sans
se rendre compte qu’il parlait de la substance des sacrements, non de
son utilité ou de son fruit, ils pensèrent que, pour que soient profitables
les sacrements, la foi n’était pas requise. Et quand ils lurent,
dans le même Augustin (épitre 23) que les petits, sans la foi actuelle,
recevaient salutairement le sacrement, parce qu’ils ne mettaient pas
l’obstacle d’une pensée contraire, ils pensèrent que ce qui valait
pour les enfants valait aussi pour les adultes.
Mais ces soi-disant causes sont d’une grande frivolité et d’une
grande fausseté. Car, tous les théologiens (1V dist 4) distinguent le
sacrement de la chose du sacrement. Et, ils enseignent que le sacrement,
même sans la foi et la pénitence, peut être reçu, mais non la chose
du sacrement, c’est-à-dire la grâce. De plus, le concile
de Trente (session 7, canon 13, sur le baptême) enseigne que le baptême
profite aux enfants, sans qu’ils aient la foi actuelle. Et (à
la session 6, chapitres 5 et 8; et sessions X1V, chapitre 4, et ailleurs),
il enseigne que, dans les adultes, la foi et la pénitence sont nécessairement
requises à la justification; et que c’est ce que l’Église a toujours
enseigné.
CHAPITRE 2
La sentence des hérétiques sur l’efficacité des sacrements
L’hérésie des Messaliens est très ancienne. Ils enseignaient que
les hommes n’étaient pas justifiés par les sacrements, mais par les
prières. C’est ce que rapporte saint Jean Damascène (dans son
livre sur les hérésies) : « Le baptême ne perfectionne pas l’homme,
et les divins sacrements n’expient pas les souillures de l’âme, mais
seulement les prières qui sont pieusement dites par d’autres. »
Et, si on l’on en croit Guidon, les Arméniens et les nouveaux Cathares
niaient que les sacrements confèrent la grâce.
Mais venons-en à notre époque. Les luthériens parlent tantôt
des sacrements comme s’ils ne différaient en rien des catholiques, et
écrivent tantôt des choses nettement contraires. Mais, toutefois,
ils demeurent toujours dans la même sentence qui veut que les sacrements
n’aient immédiatement aucune efficacité sur la grâce, mais ne soient
que des signes dénudés. Ils leur reconnaissent quand même, médiatement,
un certain effet, qui est de stimuler et de nourrir la foi qui justifie
les hommes. Mais cet effet les sacrements ne l’opèrent que par
la représentation ou la signification. Car, ils veulent que les
sacrements concourent à la justification de la même manière que la prédication
de la parole. La prédication se sert des oreilles, et excite la
foi par l’audition, tandis que les sacrements se servent des yeux,
et stimulent la foi par la vision.
C’est cette sentence que Luther et Philippe prêchaient au début;
et ils déclaraient ouvertement ce qu’ils pensaient, à savoir que les
sacrements n’opéraient rien. On peut citer plusieurs textes qui
contredisent ce qu’avance impudemment Kemnitius (2 par examen, page 111).
Il prétend effrontément que Luther a toujours réprouvé la sentence
profane suivante : « Les sacrements ne sont pas des organes ou des causes
instrumentales de la grâce, mais ne font, à l’instar d’une
image, qu’exciter la foi. »
Écoutons donc Luther parler lui-même. En l’an 1520 (dans
le livre de la captivité de Babylone, au chapitre sur le baptême), il
écrit : « Le baptême ne justifie personne, et n’est utile à personne,
mais la foi dans la parole de la promesse, à laquelle est ajouté le baptême.
Car, ce sont ces choses qui justifient. » Et, au même endroit :
« Le même Dieu qui nous sauve maintenant par le baptême et par le pain,
a sauvé Abel par le sacrifice, Noé par l’arche, Abraham par la circoncision,
et tous les autres par leurs signes. »
Et un peu plus bas, il énumère parmi les sacrements de l’ancienne
loi, --qui ne sont pas, pour lui, inférieurs aux sacrements de la nouvelle
loi quant à l’efficacité- le signe donné à Gédéon dans la rosée
et la toison, le signe donné à Manus dans le sacrifice, et le signe offert
à Achaz par Isaïe, au chapitre V11 : « Nos signes et ceux des pères,
ou les sacrements, ont une parole annexe de promesse qui exige la foi,
et qui ne peut être remplie par aucune autre œuvre. Ce sont
donc des signes ou des sacrements de justification parce qu’ils
sont des sacrements de la foi justifiante, et non de l’œuvre. Voilà
pourquoi toute leur efficacité est dans la foi elle-même, non dans l’opération.
Car, celui qui croit dans ces choses c’est celui-là qui les accomplit,
même s’il n’opère rien. »
Et, plus bas : « Il ne peut pas être vrai que, dans les sacrements,
soit présente une vertu efficace de justification, ou qu’ils soient
des signes efficaces de la grâce. Car, ces chose sont dites au détriment
de la foi.» En l’année 1521 (dans ses assertions, article 1),
il dit : « Nous disons, nous, que ce ne sont ni les sacrements de l’ancienne
loi ni les sacrements de la nouvelle loi qui justifient, mais seulement
la foi. » En 1523 (dans son livre contre Cochlaeus), il écrit :
« On ne peut attribuer au baptême aucune partie de la justification.
Car, autrement, s’il justifiait en partie, il ne serait pas permis de
nier que le baptême justifie sans la foi. Quand on le dénie au
baptême, on le laisse correctement à la seule foi. »
Philippe Melanchton (dans ses lieux édités en 1522, au chapitre des
signes) dit que c’est une erreur horrible des scolastiques d’enseigner
que les sacrements justifient. Et il ajoute : « Les signes ne justifient
pas, comme le dit l’apôtre : la circoncision n’est rien. De même,
le baptême n’est rien, la participation à la table du Seigneur n’est
rien. Ce ne sont que des témoins, des seaux de la divine volonté
à ton égard. » De même, dans l’apologie éditée en 1530 (à
l’article 13), il dit que le sacrement est un signe de promesse, et est
comme une représentation peinte de la parole.
Et, dans son livre contre les anabaptistes, il écrit : « Comme
la volonté de Dieu se montre dans la parole ou dans la promesse, elle
se montre aussi de la même façon dans le signe, comme dans une peinture.
» Et, plus bas : « C’est ce qui fait comprendre que les sacrements
ne justifient pas. » On voit donc apparaitre cette comparaison de
la peinture qu’exécrait tellement Kemnitius. Et, pourtant, au
début de son examen (principe 2), il professe être un sectateur
de cette apologie.
Les sacramentaires ont suivi Luther et Philippe. Et c’est d’eux
que Calvin a tiré cette comparaison d’une peinture, (livre 4, chapitre
14, verset 6). Et au chapitre 17, il utilise cette même comparaison
d’une peinture : « Qu’Il demeure établi une fois pour toutes qu’il
n’y a d’autres parties des sacrements que celles de la parole
de Dieu, qui consiste à offrir pour nous et proposer le Christ, et en
lui les trésors de la grâce céleste. »
Et, plus bas : « Qu’on prenne garde, ensuite, de ne pas se
laisser entrainer dans l’erreur par les choses qui, pour amplifier la
dignité des sacrements, ont été magnifiquement écrites par les
anciens. De façon à penser qu’une vertu latente est annexée et fixée
aux sacrements qui, par elle-même, nous confèrerait la grâce du Saint-Esprit;
alors que la seule fonction qui leur a été assignée par Dieu est d’attester
et de sanctionner la bienveillance de Dieu à notre endroit. »
Et, plus bas : « Les sacrements sont pour nous, de la part de
Dieu, ce que sont pour les hommes, des messagers de bonne nouvelle, ou
des arrhes dans les pactes qui ont à être sanctionnés. Ils n’accordent
donc, par eux-mêmes, aucune grâce, mais ils annoncent et montrent et,
comme des gages et des tessères, font en sorte que soient ratifiées
pour nous les choses qui, par la largesse divine, nous sont données. »
Et, au verset 18, il se sert de l’exemple de la rosée et de la toison
de Gédéon, et des autres signes dont s’était servi Luther.
Mais, dans ses livres postérieurs, ébranlé, semble-t-il, par
les arguments des catholiques, Luther écrivit bien autrement. Car,
dans son homélie 1 sur le baptême, éditée en 1535, dit : « Le baptême
a été institué pour qu’il nous serve, pour qu’il nous soit profitable,
pour qu’il nous donne non quelque chose de corporel ou de charnel, mais
une grâce éternelle, une pureté éternelle, une sainteté et une vie
éternelle. » Et, dans son homélie 2 sur le baptême, en 1540,
il a dit : « Le baptême ne peut pas ne pas opérer ce pourquoi il a été
institué : la régénération, et la rénovation faite par le Saint-Esprit.
»
Et, plus bas : « Le baptême a une telle vertu et une telle
énergie que l’homme qui a été conçu et est né dans le péché, est
régénéré devant Dieu; et que celui qui, avant, avait été condamné
à mort, est déjà le fils de Dieu. Qui peut percevoir et saisir
avec ses sens, sa pensée ou son intelligence la gloire et la vertu du
sacrosaint baptême ? » Et, plus bas : « Saint Jean a voulu, par
ces paroles, que le baptême soit tellement efficace, et possède une telle
vertu, qu’il efface les péchés, noie et suffoque la mort, purifie et
nous guérisse des nos saletés et de nos vices. »
C’est cette dernière façon de parler qu’ont imitée les luthériens
les plus récents, comme Kemnitius. Car, dans la deuxième partie
de son examen (à la page 98), où il citait certains textes de l’Écriture
en faveur de l’efficacité des sacrements contre les anabaptistes, il
écrit : « Ces témoignages si manifestes qui attribuent aux sacrements
une efficacité, ne doivent pas, par des tropes, être détournés de leur
véritable signification simple et naturelle, c’est-à-dire, de leur
sens propre et premier. Nous devons donc faire comme les anciens qui ont
entendu ces paroles comme elles sonnent. »
Et, à la page 101, il écrit en toutes lettres : « Les sacrements
sont des causes instrumentales, de façon telle que c’est par ces
moyens ou organes, que le Père veut montrer, donner, appliquer sa grâce;
que le Fils communique ses mérites aux croyants, que l’Esprit-Saint
exerce son efficience pour le salut de tout croyant. » Il semble
bien, ici, parler comme un catholique. Et Calvin parle souvent comme
parlent les catholiques. Car, (dans son antidote du concile, session 7,
chapitre 5), il dit : « Il faut constamment rappeler à la mémoire que
les sacrements sont des cause de l’obtention de la grâce. » Et,
au canon 6 : « S’il y en a qui nient que les sacrements contiennent
la grâce qu’ils figurent, nous les réprouvons. »
Et pourtant, ni Luther, ni Calvin, ni Kemnitius n’ont vraiment pris
leur distance avec la première sentence qui n’attribuait aucune efficacité
aux sacrements. Car, quand ils disent que les sacrements sont des
causes instrumentales, qu’ils confèrent la grâce, qu’ils sont efficaces,
ils veulent toujours dire par le moyen de la foi, de telle sorte qu’ils
ne font rien d’autres que d’exciter et nourrir la foi qui seule
justifie. Car, le même Calvin (au chapitre 5), explique comment
les sacrements sont des causes instrumentales de la grâce, et dit que
les sacrements ont leur effet s’ils servent à la foi.
Et, au canon 8, il dit que les sacrements produisent en nous
la grâce de la même façon que la parole de Dieu le fait dans la prédication.
Or, il est certain que la parole prêchée n’a pas d’autre effet que
d’exciter ou de nourrir la foi. Ensuite, Théodore de Bèze (dans
son live sur la somme de la chose sacramentaire, question 2), explique
ainsi la sentence de Calvin, son précepteur : « D’où vient l’efficacité
des sacrements ? De l’opération du Saint-Esprit, non des signes, si
ce n’est que par ces objets externes, les sens intérieurs sont touchés.
»
Kemnitius (pate 101) expliquant avec précision de quelle façon les
sacrements sont efficaces, finit par conclure qu’ils le sont de la même
manière que la promesse, ou la parole de la promesse. Et, (à la
page 102), il dit : « La parole et les sacrements nous montrent où on
doit chercher la foi, et où on peut trouver le Christ médiateur, le Père
et le Saint-Esprit. » Et, à la page 105, expliquant comment la
foi justifie dans les sacrements, il dit : « Cela ne signifie pas que
la foi reçoive la grâce sans le moyen ou l’organe de la parole ou des
sacrements. Car, l’objet de la foi est la parole et les sacrements.
De plus, dans la parole et les sacrements, le véritable objet
de la foi est le mérite du Christ, la grâce de Dieu, et l’efficience
du Saint-Esprit. La foi justifie donc parce que, dans la parole et
les sacrements, elle appréhende et reçoit ces choses. Et, en ce
sens, on dit que la foi du sacrement justifie comme la foi de la parole.
Enfin, quels que soient les mots catholiques que les luthériens utilisent,
ils ne peuvent, en aucune façon penser, comme nous le pensons, que les
sacrements sont des causes vraies et immédiates de la justification.
Ils ne le pourront que s’ils remettent en question leur premier principe
qui veut que c’est la foi seule qui justifie. Ce qu’ils
n’ont pas fait jusqu’à présent.
CHAPITRE 3
On prouve par l’Écriture que les sacrements confèrent la grâce
par l’œuvre opérée.
Il reste à prouver que les sacrements sont de vraies causes instrumentales
de la grâce. Et, pour ne pas travailler pour rien, il faudra démontrer,
en même temps, que les sacrements causent autrement que ne le fait
la prédication. Car, à tous nos témoignages, ils ont coutume de
répondre que les sacrements sont de vraies causes de la grâce, mais en
excitant la foi, comme le fait la parole de Dieu, au témoignage de saint
Paul (Romains 1) : « La vertu de Dieu en vue du salut pour tout croyant.
»
Nous présenterons six classes d’arguments. La première classe.
Des témoignages du nouveau testament, où cela est dit expressément.
La deuxième classe. Les prophéties de prophètes, et les figures de l’ancien
testament. La troisième. Les conciles. La quatrième,
les pères grecs. La cinquième, les pères latins. La sixième,
la raison.
La première classe : des témoignages tirés du nouveau testament.
Le premier témoignage est de Matthieu 111, Marc 1, Luc 111, Jean 1,
où Jean-Baptiste dit : « Je vous baptise dans l’eau, lui, il
les baptisera dans l’Esprit-Saint. » On ne peut douter que ces
paroles établissent, entre l’efficacité du baptême de Jean et celle
du baptême du Christ, une différence aussi grande que celle qui
existe entre l’eau et l’Esprit. Car, dans le baptême de Jean,
il y avait une ablution externe, et une parole de promesse. En effet,
il prêchait un baptême de pénitence, en rémission des péchés (Luc
111), et il prêchait, en même temps, la foi du Médiateur, en disant
aux Juifs de croire en celui qui était sur le point de venir (Actes X1X).
À cet argument, Calvin répond (au chapitre de Matthieu), que l’efficacité
du baptême de saint Jean et de celui du Christ était la même; mais qu’ils
ne faisaient que recevoir visiblement le Saint-Esprit, et que c’est ce
que veulent dire ces paroles : « Après avoir entendu ces choses,
ils ont été baptisés au nom du Seigneur Jésus ». Car, en plus d’être
une vicieuse équivoque, puisque dans tout ce récit, le mot baptême est
pris au sens de baptême d’eau, il sera permis de pervertir toutes les
Écritures, s’il est permis de détourner de leur sens des mots si clairs,
il ajoute tout de suite : « Et quand Paul leur imposa les mains, l’Esprit
Saint vint sur eux, et ils parlaient en langues, et prophétisaient. »
Ce « ils ont été baptisés » signifie donc qu’ils ont reçu visiblement
le don de l’Esprit Saint.
Calvin répond que les derniers mots doivent être expliqués par les
premiers. Car, Luc n’aurait pas dit : ils ont été baptisés,
et quand il leur imposa les mains, mais ils ont été baptisés, car, quand
il leur imposa les mains. Car c’est ainsi qu’ont coutume de se
faire les explications. Cette phrase : « (après avoir écouté ces choses,
ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus, et quand Paul leur imposa
les mains, vint le Saint-Esprit »), montre évidement qu’il y a eu deux
actions, faites à des moments différents : le baptême et l’imposition
des mains. Ensuite, il compare ce passage avec un autre du
même auteur (Actes V111), où on a également un baptême au nom du Seigneur
Jésus et l’imposition des mains. Et, il sera plus clair que le
jour que, par baptême, on entend dans l’un et l’autre texte un vrai
baptême.
Le second témoignage est tiré de Marc, à la fin : « Celui qui croira
et sera baptisé, sera sauvé. » Dans ce passage, est attribuée
au baptême la vertu de sauver. Or, il ne sauve pas sans justifier
et effacer les taches des péchés. On ne peut pas répondre qu’il
sauve en excitant la foi, car, tout d’abord, dans ce passage, la foi
a précédé. Ce serait une grande ineptie de dire que l’effet
a précédé la cause. Comme il serait absurde de dire : celui qui
sera guéri recevra le remède. Il serait aussi absurde de dire : celui
qui croira et sera baptisé, si le baptême est la cause de la foi.
C’est donc parce que l’audition de la parole de Dieu est la vraie cause
de la foi que, dans l’Écriture, elle précède toujours, comme en Jean
V : « Celui qui entend et croit a la vie éternelle. » Et en Jean V1
: « Tous ceux qui ont entendu et appris, viennent à moi. » La
foi n’est donc pas un effet du baptême, puisqu’elle le précède,
mais bien plutôt une disposition au baptême.
Et voici un argument ad hominem. Le Christ, en ce passage, n’unit
pas le sacrement à la prédication, comme le prétendent les adversaires.
Car, il ne dit pas : celui qui entendra la parole et sera baptisé, mais
il l’unit à la foi, qui est un effet de la parole. Pour les adversaires,
la foi justifie immédiatement en appliquant les mérites du Christ, non
en suscitant une autre cause. Pourquoi donc n’admettent-ils pas, pour
les mêmes raisons, que le baptême justifie immédiatement, en appliquant
les mérites du Christ, puisque le Christ parle de la même manière de
la foi et des sacrements ?
Le troisième témoignage, ce saint Jean 111 : « Si quelqu’un ne
renait pas de l’eau et du Saint-Esprit, il ne pourra pas entrer dans
le royaume des cieux. » Ce texte fait clairement du baptême d’eau une
cause de la nouvelle nativité. Car, c’est bien ce que signifie
cette phrase. On ne peut pas dire que renaître de l’eau
c’est renaître de la foi, que l’eau suscite. Car, d’abord,
le Christ aurait du dire : À moins que quelqu’un ne renaisse de la parole
et du Saint-Esprit, puisque la cause qui suscite principalement la foi
est la parole plutôt que l’eau. Ensuite, l’enseignement
du Christ serait complètement inintelligible. Car, comme il
n’avait rien dit, avant, de la foi, qui aurait pu deviner qu’il ne
faisait que formuler une raison de susciter la foi.
Troisièmement. Car « si quelqu’un ne renaît » serait une
fausseté, car si c’est la foi seule qui justifie, il importe peu au
salut que la foi soit excitée par l’eau, le vin, ou une autre chose.
Et, il appert que la foi peut être suscitée de plusieurs façons sans
le baptême d’eau. Une bonne prédication, en effet, suffit amplement
pour susciter la foi.
Calvin n’a pas pu répondre autrement qu’en niant qu’il s’agisse
ici du baptême, comme l’avaient nié avant lui Bucer et Zwingli.
C’est pourquoi, Calvin, (dans son commentaire de ce texte, et (dans le
livre 4, chapitre 16, verset 25), nie qu’il faille l’entendre du sacrement
du baptême, mais de la seule rénovation intérieure; et par l’eau,
il entend le Saint-Esprit. Ce qui donnerait le sens suivant : «
À moins que quelqu’un ne soit rené de l’eau, c’est-à-dire du Saint-Esprit,
qui purifie comme l’eau. »
Or, tous les auteurs et commentateurs, jusqu’ici, ont vu dans ce
texte le baptême. Saint Justin (apologie 2), Tertullien (livre
sur le baptême), Saint Cyprien (livre 3 à Quirinus, chapitre 25), saint
Ambroise (livre 3 sur le Saint-Esprit, chapitre 11), saint Jérôme (chapitre
16 sur Ézéchiel), saint Basile, saint Grégoire de Naziance, saint Grégoire
de Nysse (dans son sermon sur le baptême), Ensuite, tous les commentateurs
de ce passage. Origène, saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint
Cyrille, Bède le vénérable, Théophylactus, Euthymius, et d’autres.
Deuxièmement. S’il était permis de jouer ainsi avec les mots
de l’Écriture, on pourrait nier le baptême de l’eau. Car, sous le
nom de l’eau, entendons partout le Saint-Esprit, et il sera ainsi permis
de pervertir tous les mystères.
Troisièmement. On ne peut nier que ce soit une locution forcée,
absurde, et inusitée dans l’Écriture. Et l’exemple que propose
Calvin ne vaut pas : « Il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et dans
le feu. » Il veut, là, par feu, entendre le Saint-Esprit, qui a
une ressemblance avec le feu. Car, par le mot feu, on peut facilement
entendre un feu externe qui est descendu visiblement sur les apôtres à
la pentecôte, ou le feu de la tribulation, ou le feu du purgatoire.
Ce qu’explique Bède dans son commentaire de Luc 111.
De plus, dans ce passage, le feu est mis après le Saint-Esprit.
Et ce n’est pas aussi absurde de placer un mot après un autre, par lequel
il déclarerait cela. Mais en Jean 111, le Seigneur a placé l’eau
avant le Saint-Esprit. Ce serait la chose la plus absurde du monde de placer
d’abord la déclaration, et ensuite, ce qui doit être déclaré.
On ne peut pas, non plus nier, que si l’eau signifie le Saint-Esprit,
ce mot étant employé pour exprimer l’effet du Saint-Esprit, qui est
de purifier.
Quatrièmement. Si, dans ce passage, le mot eau n’était employé
que pour signifier l’effet du Saint-Esprit, il n’irait pas bien avec
l’obligation de renaître. Car, si on ne regarde que ce qu’elle signifie,
l’eau n’engendre pas, mais lave et rafraichit. Le Seigneur aurait
donc du dire : À moins que quelqu’un ne soit purifié par l’eau et
par le Saint-Esprit. L’eau, dans ce passage, ne déclare donc pas
seulement l’effet de l’Esprit-Saint, qui est de concourir sacramentalement
à la régénération spirituelle.
Le quatrième témoignage : Actes 11 : « Faites pénitence ! Et que
chacun de vous soit baptisé pour la rémission des péchés ! »
Et cet autre qui lui est semblable (Actes XX11) : « Maintenant, pourquoi
diffèrerais-tu d’être baptisé et d’effacer tes péchés, en invoquant
son nom ? » Dans ces passages, la rémission des péchés est attribuée
au baptême. Et on ne peut pas dire que cela survient parce que le
baptême excite la foi. Car, ceux à qui Pierre parlait, dans les
Actes 2, croyaient déjà, comme saint Luc l’indique au même endroit.
Après avoir entendu prêcher saint Pierre, ils se sont repentis du
mal qu’ils avaient fait, et ils ont dit : « Que ferons-nous, frères
? » Pierre ne leur répondit pas : « Il vous faut croire, ou croire
davantage, mais faites pénitence ! » Pour une raison semblable,
saint Paul, à qui Ananie avait dit (Actes XX11) : « Reçois le baptême,
et sois purifié de tes péchés », croyait déjà et avait fait pénitence
en jeûnant pendant trois jours.
Calvin répond, et dans son commentaire des Actes, et dans ses Institutions
(livre 4, chapitre 15, verset 18) que être baptisé pour la rémission
des péchés, ou être purifié de ses péchés par le baptême ne signifie
rien d’autre que d’accepter le témoignage ou le sceau de la justification
acquise, et cela, pour corroborer et confirmer la foi.
Mais, sans parler de ce que nous avons déjà démontré, les
sacrements ne peuvent pas être des sceaux, ou ils seraient certainement
de faux sceaux, puisque le ministre ne sait pas si celui à qui il applique
le sceau divin est vraiment justifié. Et comment ne pas admirer le tour
de force que représente ce nouveau trope, selon lequel purifier des péchés
signifierait recevoir le sceau de la justification acquise ? C’est
une chose inouïe qu’une action signifiée soit employée pour
signifier un signe.
Des exemples pourront nous le faire mieux comprendre.
Ce serait une absurdité pour quelqu’un de dire « bois du vin » s’il
voulait signifier « regarde le lierre qui pend dans l’hospice
». Pour une raison semblable, si on disait à un empereur victorieux
de retour de combat : « Triomphe des ennemis ! » en voulant dire :
Reçois le triomphe en signe de la victoire remportée ! Ce serait
un voeu stupide ! Car, on ne dit pas : vainc les ennemis à quelqu’un
qui les a déjà combattus, et les a déjà vaincus.
Cinquième témoignage dans actes 111 : « Quand Simon vit que,
par l’imposition des mains des apôtres, le Saint-Esprit était donné.
» Et cet autre semblable de l’épitre à Timothée (11 Timothée
11) « Je te conseille de renouveler la grâce qui est en toi par l’imposition
de nos mains. » Ces passages s’entendent des sacrements de confirmation
et d’ordre qui, pour beaucoup de nos adversaires, ne sont pas des sacrements
au sens propre.
Or, si ces sacrements improprement dits sont de véritables causes
de la grâce, à bien plus forte raison les sacrements proprement dits.
Il est évident que, dans ces textes, l’imposition des mains est
présentée comme une cause de la grâce, comme la préposition « par
» le montre. On ne peut pas dire que l’imposition des mains cause
la grâce en suscitant la foi, car tous ceux qui, par l’imposition des
mains, ont reçu la grâce du Saint-Esprit, croyaient déjà, et étaient
baptisés.
Le sixième témoignage est tiré de 1 Corinth X : « Nous sommes à
plusieurs un seul corps, nous tous qui participons d’un seul pain. »
La participation à un seul pain est présentée là comme étant la cause
d’un seul corps. Ce qui est plus clair en grec : oi gar pantes
ex tou enos artou metexomen. Car, tous nous participons à un seul
pain. Comment sommes-nous un seul corps parce que nous participons
tous à un seul pain ? N’est-ce pas parce que pain nourrit et accroit
la vitalité de ce corps ? Car, dans les choses corporelles, la même
nourriture nourrit tous les membres du même corps.
On peut donc en conclure que des membres sont membres de ce corps
s’ils sont nourris par la même nourriture. Si donc tu enlèves
au sacrement de l’autel la vraie causalité de la grâce, il ne sera
plus possible de prouver que nous sommes un seul corps, du fait que nous
participons à la même eucharistie.
On lit la même chose dans 1 Corinth X11 : « Car, nous tous,
nous avons été baptisés en un seul Esprit, et en un seul corps. »
En cet endroit, saint Paul prouve que nous sommes un seul corps parce que,
par le baptême, nous avons reçu le même Esprit. Cet argument serait
dépourvu de sens si le baptême ne conférait pas l’Esprit.
Le septième témoignage : Éphésiens V : « Le Christ a aimé l’Église,
et s’est livré pour elle, la purifiant par le lavage de l’eau, dans
la parole de vie. » Un autre texte de saint Paul lui est semblable
(Tite 111) : « Il nous a sauvés par le baptême de la régénération.
» Il dit ouvertement ici que nous sommes purifiés et sauvés par
le lavement de l’eau et le baptême. L’un et l’autre mot signifient
une cause instrumentale.
Calvin répond (dans son commentaire de ces textes) que le baptême
est un lavage de l’âme au sens propre, et qu’il est un symbole efficace.
Parce que quand Dieu montre ce symbole, est opéré aussi en même temps
ce qui est signifié par le symbole. Et, c’est par accident, que,
de cette manière, est jointe la justification que Dieu seul opère dans
le baptême. Nous n’avons donc pas de raison de dire que
nous sommes plus purifiés et sauvés par le baptême que par n’importe
laquelle action qui se fait alors en même temps.
On ne peut pas non plus appeler le baptême un bain de régénération,
si, par lui, Dieu ne nous lave pas, même si au même temps, il nous lave.
SI Calvin dit que Dieu ne nous purifie pas par le baptême parce que, en
montrant ce symbole, il provoque la foi, il pourrait dire aussi que les
hommes sont enivrés par le lierre qui pend dans l’hospice, parce que
ce lierre provoque les hommes à acheter du vin qui les enivre après.
Le huitième témoignage : 1 Pierre 111 : « Ce qui fait que le baptême
nous sauve, nous qui sommes de la même forme, ce n’est pas la déposition
des saletés de la chair, mais l’interrogation d’une bonne conscience
devant Dieu. » Nous avons ici, d’abord, le baptême qui nous sauve.
Ensuite, nous sommes sauvés d’une façon semblable à celle qui, au
temps de Noé, en a sauvés quelques-uns par l’eau. Et cette eau
a sauvé vraiment et efficacement ceux qui étaient dans l’arche, en
maintenant l’arche à la surface.
Enfin, nous avons à parler de la différence qu’il y a entre
notre baptême et celui des juifs. Celui des Juifs enlevait les saletés
de la chair, le nôtre purifie les consciences. Donc, comme
le baptême des Juifs enlevait les cœurs de chair, non seulement en le
signifiant, mais aussi en l’effectuant, notre baptême lave vraiment
la conscience, non seulement en le signifiant, mais en l’opérant.
CHAPITRE 4
La deuxième classe des témoins, les témoignages des prophètes.
Le premier. Isaïe (chapitre 1) : « Qu’est pour moi la multitude
de vos victimes, dit le Seigneur. J’ai tout ce qu’il me faut. Les holocaustes
des béliers, et la graisse des animaux gras, et le sang des veaux, des
agneaux et des boucs, je n’e veux pas. » Et il ajoute : « Lavez-vous,
et vous serez purs. » Ces paroles les pères de l’église (saint
Jérôme et saint Cyrille, Theodoret et saint Basile) les appliquent, à
la lettre, au baptême, qui a succédé à ces anciennes expiations.
Que le baptême ait le pouvoir de purifier, ces mots le montrent : « Lavez-vous,
et vous serez purs ! »
Voilà pourquoi saint Jérôme s’exprime ainsi : « À la place des
victimes et des holocaustes anciens, me plait la religion de l’évangile
qui vous baptisera dans mon sang par le baptême de la régénération,
qui seul peut enlever les péchés. » Le mot « seul » ici n’exclut
évidemment pas Dieu, ni les mérites du Christ, ni la foi, ni les autres
vertus, mais les sacrifices et les cérémonies judaïques.
Le deuxième. Ezéchiel, chapitre 36 : « Je répandrai sur eux
une eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos iniquités. Et,
je vous donnerai un cœur nouveau. C’est du baptême qu’entendent
ce passage saint Jérôme, et Theodoret dans leurs commentaires, ainsi
que saint Cyprien (livre 1, dernière épitre, et livre 4, chapitre 7).
Saint Jérôme note que par l’aspersion de l’eau du baptême, n’a
pas lieu seulement la purification des péchés, mais sont donnés aussi
un cœur nouveau et un esprit nouveau.
En troisième lieu, Michée (chapitre 7). Saint Jérôme explique
(dans l’épitre 83 à Oceanus), que c’est de la grâce du baptême
qu’il est dit : « Il projettera au fond de la mer tous nos péchés.
» C’est de cette façon, également que Rupert l’explique, ainsi
que saint Augustin (dans son commentaire sur le psaume CX111. «
Par immersion dans la mer, on n’entend pas seulement une représentation
figurée de l’extinction des péchés, mais une extinction réelle par
les eaux de la mer »
. Quatrièmement, Zacharie (chapitre X111) : « En ce jour,
il y aura une fontaine ouverte pour la maison de David, et les habitants
de Jérusalem pour l’ablution du pécheur et de la menstruée. »
Saint Jérôme et Rupert expliquent tous les deux ce texte en l’appliquant
au baptême, qui a la vertu de purger les péchés. Cinquièmement,
David (psaume 1) : « Asperge-moi, Seigneur, avec de l’hysope. »
Mais nous reparlerons de ce texte un peu plus bas.
Les figures des sacrements
La première est dans la Genèse 1 : « L’Esprit du Seigneur planait
sur les eaux. » Les mots hébreux employés signifient qu’il planait
sur les eaux pour les rendre fécondes. Car, c’est à partir de
là qu’ont été créés les poissons et les oiseaux. Et, en hébreu
on a « il incubait » ou « couvait » à la manière d’une poule qui
tient au chaud son nid, et donne de la vie aux œufs par la chaleur,
dit saint Jérôme (dans sa question sur la Genèse). Que ce fut cela aussi
une image du baptême, qui est fait de l’eau et du Saint-Esprit,
l’enseignent Tertullien (dans son livre sur le baptême), saint Jérôme
(dans son épitre 83 à Océanus).
Donc, comme au tout début du monde, l’eau reçut du Saint-Esprit
une vertu vivifiante, de la même façon, le baptême reçoit du Saint-Esprit
le pouvoir de procréer de nouveaux hommes. « Il ne faut pas se
surprendre, dit Tertullien, si, dans le baptême, les eaux ont le pouvoir
de donner la vie. » Et, au même endroit, il donne aux chrétiens
le nom de petits poissons, parce qu’ils surgissent de l’eau.
Et, c’est pour cette raison que les lettres majuscules des vers sybilliens
forment un poisson, et signifient Jésus-Christ, fils du Dieu Sauveur.
C’est ce qu’a rapporté saint Augustin, dans sa cité de Dieu, chapitre
23, et Prosper (livre sur les prédictions, chapitre 29), et, avant l’un
et l’autre, Octave de Milet (1, 111 contre Parmenianus). « C’est
de là qu’est le poisson qui, dans le baptême est inséré dans
les ondes des fontaines, pour que, quelle qu’elle ait été auparavant,
cette eau et la piscine sont appelées poisson. Car le mot
grec ikthus est comme un sigle qui signifie Jésus Christ, Fils de Dieu
Sauveur. C’est en faisant allusion à cela que saint Jérôme dit,
dans son épitre 43 : « Bonosus, comme le Fils Poisson demande des choses
aqueuses. »
La deuxième figure est dans la Genèse (V11) : le déluge qui sauve
Noé, et ceux qui étaient dans l’arche. C’est ce qu’explique
saint Pierre (épitre 1, chapitre 3), comme nous l’avons déjà dit.
La troisième figure est dans Genèse XV11 : la circoncision, au sujet
de la quelle saint Paul dit (épitre 1, chapitre 3) : « Vous avez été
circoncis par une circoncision non manuelle, non par une incision
du corps charnel, mais par la circoncision du Christ, ayant été ensevelis
avec lui dans le baptême. » La circoncision coupait et efficacement
la chair. Elle n’était pas seulement un témoignage d’incision.
La quatrième figure est celle de l’Exode X1V : la submersion des
Égyptiens dans la mer rouge, et la traversée des fils d’Israël.
Saint Paul en parle ainsi : « Tous ont été baptisés en Moïse, dans
la nuée et la mer. » Et, il dit, plus bas : « Ces choses-là leur
sont arrivées en figure. » La mer rouge fut donc une figure du
baptême; la nuée une figure du Saint-Esprit. Et, comme la
mer rouge a vraiment submergé les Égyptiens, et libéré les Israélites,
le baptême a vraiment effacé les péchés, et sauvé les âmes.
Voir saint Cyprien (livre 4, épitre 7), saint Augustin (traités 11 et
13 sur saint Jean), et saint Jérôme (dans son épitre 83 à Oceanus)
La quatrième figure est celle de l’Exode XV1 et XV11 : la
manne qui a plu du ciel, et l’eau sortie du rocher, qui étanchait la
soif. C’étaient des figures de l’eucharistie : du corps et du
sang du Seigneur, comme l’explique saint Paul au même endroit
(1 Corinth 10). Or la manne et l’eau sustentèrent vraiment les
corps des Israélites; et ils n’étaient pas des témoignages, mais des
figures. Donc, l’eucharistie sustente vraiment l’âme, car, autrement,
la figure serait meilleure que la chose figurée.
La sixième est celle des Nombres X1X : l’eau de lustration, mêlée
à la cendre d’une vache rousse, qui fut la figure du baptême, comme
l’écrit saint Augustin (dans les questions sur les Nombres, au chapitre
XXX111.) Il est à noter que, selon ce même saint Augustin, trois
choses étaient nécessaires à l’expiation : la cendre d’une vache
rousse, l’eau et l’hysope, par laquelle l’eau était aspergée.
Le cendre de la vache signifiait la mort et les mérites du Christ;
l’eau, le baptême qui applique les mérites du Christ; l’hysope, l’herbe
humble, qui a ses racines dans la pierre, signifie la foi, sans laquelle
le baptême n’est pas donné aux adultes, ou qui ne leur est pas
profitable, s’il leur est donné. Dans ce rite expiatoire,
ce n’est pas l’hysope qui purifiait, mais l’eau qui tirait son pouvoir
de la cendre de vache et de l’aspersion de l’hysope.
De la même manière, ce n’est pas la foi qui, en toute rigueur
de termes, purge les péchés dans le baptême, mais l’eau qui
tire sa vertu de la passion du christ et de l’accueil de la foi.
Ce sont ces expiations que regardait David, tant dans la figure que
dans le figuré, quand il dit dans le psaume L : « Asperge-moi avec l’hysope,
et je serai purifié. Lave-moi, et je serai plus blanc que la neige ! »
Il demandait cette purification qu’il connaissait dans sa figure, comme
l’explique Theodoret, dans son commentaire de ce passage.
La septième figure est celle de Josué 1V : la traversée du
Jourdain par les fils d’Israël, sous la conduite de Jésus, et leur
entrée dans la terre promise. Cela aussi est une figure du baptême,
selon saint Ambroise (dans son commentaire de Luc 1 : « Il le précédera
dans l’esprit et la vertu d’Élie. » Et saint Augustin (psaume
CX111) : « Et toi aussi, tu es un ancien converti du Jourdain ! »
Or, personne n’a jamais dit que les fils d’Israël ne se soient pas
rendus à la terre de la promesse sans traverser vraiment et réellement
le Jourdain, mais qu’il n’était question que d’une promesse contresignée
de traversée.
La huitième figure est dans les Rois V : Le Syrien Naaman est
guéri de la lèpre par un bain dans le Jourdain. Voir, à ce sujet,
sains Ambroise ( dans 4 chap Luc, et livre 2, chapitre 4, sur les sacrements).
Et, il est certain que l’eau du Jourdain qui guérit Naaman ne fut pas
le sceau d’une promesse.
La neuvième est dans Jean V : la piscine probatique, qui est une figure
très claire du baptême, et qui a été célébrée par plusieurs pères,
comme Tertullien (dans son livre sur le baptême), saint Ambroise (livre
1, chapitre sur le Saint-Esprit), saint Jean Chrysostome, saint Cyrille,
et Theophylacte, dans leurs commentaires respectifs de ce passage de saint
Jean. Saint Jean-Chrysostome, entre autres, explique magnifiquement
cette figure. Et, il ajoute que Dieu a voulu démontrer, par des
figures variées, l’efficacité du baptême, pour que la chose ne semble
pas incroyable : « Le baptême, dans le futur, aura la grâce et le plein
pouvoir de purger les péchés, et de rendre la vie aux morts. »
Et s’il n’en était pas comme le dit saint Jean Chrysostome,
la figure aurait plus d’importance que la chose figurée. La dixième
est dans Jean 1X : l’aveugle né, à qui Dieu rendit la vue par l’eau
de la piscine de Siloe. Voir, à ce sujet, saint Ambroise (épitre
75 à Bellicius), et saint Augustin (traité 44 sur Jean).
Il y a deux choses à noter sur ces passages scripturaires. La
première. L’Écriture parle très souvent des sacrements
par des prophéties, des figures, des paroles au sens limpide et clair.
Mais, elle ne dit pas une seule fois que la vertu des sacrements consiste
à exciter et nourrir la foi. Elle répète sans se lasser
qu’ils purgent les péchés, et purifient l’âme. Et si on prenait
cette chose au sérieux, comme il se doit, il faudrait en conclure que
la sentence des hérétiques est archi fausse. Car, comment
croire que la fin immédiate et principale des sacrements ne soit jamais
inculquée par l’Écriture, alors qu’il est si souvent question de
la fin médiate ?
Il faut noter ensuite que s’il est permis de nier que les sacrements
sanctifient vraiment et immédiatement, alors qu’un si grand nombre de
textes de l’Écriture l’enseignent clairement, on pourra, pour
la même raison, nier que la foi justifie, comme nos adversaires l’enseignent
souvent. Car, les Écritures n’attribuent rien à la foi
qu’elles n’attribuent aussi aux sacrements.
Exemples. Luc, chapitre 7, dernier verset : « Ta foi t’a sauvé.
» et dans l’épitre de saint Pierre (1 Pierre, chapitre 3), il est dit
: « Le baptême vous sauve. » De même, au sujet de la foi, Jésus
en saint Jean V : « Celui qui croit en celui qui m’a envoyé a la vie
éternelle. » Au sujet des sacrements (Éphésiens V) : « La purifiant
par le baptême de l’eau, dans la parole de vie. » Au sujet de
la foi : Romains 3 : « Nous jugeons que l’homme est justifié par la
foi. » Au sujet des sacrements (Tit 111) : «Il nous a sauvés par
le baptême de la régénération. » Au sujet de la foi (Romains
V) : « Justifiés donc par la foi. » Au sujet des sacrements (Jean
111) : « À moins que quelqu’un ne renaisse de l’eau et de l’Esprit-Saint.
»
CHAPITRE 5
La troisième
classe des arguments : les conciles
Le concile de Nicée qui, tout de suite après avoir été traduit
en latin, a été édité par Alphonse de Pise, enseigne, dans le chapitre
intitulé diatupôsis, doctrine du baptême, avant le canon 8 : « Notre
baptême ne doit pas être considéré par les yeux du corps. Tu
vois l’eau, mais considère la vertu de Dieu cachée dans les eaux. »
Et, plus bas : « Celui qui allait être baptisé est descendu, entaché
de péchés, détenu par la corruption de la servitude. Il est remonté
affranchi de la servitude et des péchés, fils de Dieu, héritier
et cohéritier du Christ. »
Le concile de Constantinople 1 dans le symbole : « Nous croyons
en un seul baptême pour la rémission des péchés. » Le concile
de Milet (chapitre 2) : « Les enfants qui n’ont pu commettre aucun péché,
sont vraiment baptisés pour la rémission des péchés, pour qu’en eux
soit purifié par la régénération, ce qu’ils avaient contracté
par la génération. » Et il n’est que trop certain que, dans
les enfants, le baptême ne peut pas être une cause de rémission des
péchés en excitant la foi.
Le concile d’Oranges 11, canon 25 : « Nous croyons aussi, selon
la foi catholique, que, après avoir reçu la grâce de Dieu par le baptême,
tous les baptisés, avec l’aide et la coopération du Christ, peuvent
et doivent, s’ils veulent faire l’effort voulu, accomplir tout
ce qui se rapporte au salut. » Il est à noter qu’on ne peut pas
entendre cela au sens d’une excitation de la foi, car, un peu plus bas,
le même concile dit que la foi est d’abord infusée par Dieu, pour que
nous demandions en toute fidélité le sacrement du baptême. De
plus, même si la foi, selon les adversaires, justifie des péchés, cependant,
elle ne donne pas la grâce de bien agir. Or, selon ce concile,
c’est le baptême qui donne la grâce de bien agir.
À ces conciles, ajoutons les conciles plus récents, ceux de Florence
et de Trente.
CHAPITRE 6
La quatrième classe : les pères grecs
Saint Justin (dans son apologie à Antonin) : « La rémission des
péchés qui ont été commis auparavant, c’est dans l’eau que nous
l’obtenons. » Et, il avait dit, avant, que » personne n’était
amené au baptême avant d’avoir cru. » Il dit des choses semblables
dans son dialogue avec Triphon. Clément d’Alexandrie (livre 1,
chapitre 6) écrit : « On appelle cette action de plusieurs façons :
grâce, illumination, perfection et lavage (bain). Lavage (baptême)
par lequel les péchés sont purifiés; grâce, par la quelle sont remises
les peines dues aux péchés; illumination, par laquelle nous voyons
une lumière sainte et salutaire; perfection, parce qu’il ne lui manque
rien. Car, qu’est-ce qui manque à celui qui a connu Dieu ?»
Origène (homélie 14, chap 11 de Luc) : « Les enfants sont baptisés
en rémission des péchés. » Et, plus bas : « Et parce que par
le sacrement du baptême, les souillures de la naissance sont déposées,
c’est pour cela que les enfants sont baptisés eux aussi. » Saint
Cyrille de Jérusalem (catéchèse 3) : « Tu étais mort dans le péché
quand tu es descendu, et quand tu es remonté, tu étais vivifié dans
la justice. » Lire toute sa catéchèse. Et dans sa préface : «
Le baptême accomplit de grandes choses : la libération de la captivité,
la rémission des péchés, la régénération de l’âme, un char de
triomphe pour monter au ciel. »
Saint Basile (dans son livre sur le Saint-Esprit, chapitre 15)
rapporte l’objection des hérétiques : Si l’Esprit-Saint est égal
au Père et au Saint-Esprit, parce que nous baptisons en lui, l’eau sera
elle aussi égale au Père et au Fils, parce que nous baptisons dans l’eau.
Et il répond : « S’il y a une grâce dans l’eau, elle ne vient pas
de la nature de l’eau, mais de la présence du Saint-Esprit. »
Selon les adversaires, il aurait du répondre que l’eau ne fait rien,
et que c’est ainsi qu’ aurait été réfutée l’objection.
Mais saint Basile reconnait qu’il y a une vertu dans l’eau, mais
il explique qu’elle ne s’y trouve pas de par la nature de l’eau,
mais de par la vertu de Saint-Esprit. Voir aussi l’homélie 13,
qui est une exhortation au baptême, où il dit de façon encore plus claire
la même chose. Voir aussi saint Grégoire de Naziance (dans
son sermon sur les saintes lumières, et dans son oraison sur le saint
lavement. Saint Grégoire de Nysse (dans son livre sur le baptême)
: « Le baptême, dit-il, est l’expiation des péchés, la rémission
des fautes, la cause du renouvellement et de la régénération. »
Et, expliquant à la fin, comment cela se fait, il amène plusieurs exemples
de ces choses par lesquelles Dieu a fait des miracles, comme la verge d’Aaron
etc.
Et il ajoute : « Et bien que toutes ces choses aient été des
choses matérielles, inanimées, et perceptibles par les sens,
elles devinrent des moyens, après avoir reçu de Dieu le pouvoir d’opérer
de grands miracles. Et, par un raisonnement semblable, l’eau aussi,
qui n’est rien d’autre que de l’eau, après avoir été bénie par
une grâce céleste, opère la régénération dans l’homme. »
Si quelqu’un, en doutant et en hésitant, me demande par quelle
raison l’eau régénère, je lui répondrai du tic au tac : montre-moi
le mode de la nativité qui se fait selon la chair. Tu diras peut-être
: la semence est la cause efficace de l’homme. Entends donc contrairement
à nous, si tu le peux, que l’eau qui est bénie, purge et illumine
l’homme.
Il est à noter là qu’on ne peut pas faire dire à la sentence de
Grégoire ce qu’enseignent les hérétiques, à savoir que les sacrements
opèrent parce qu’ils meuvent objectivement vers la foi.
Car, d’abord, il compare l’eau du baptême à la verge d’Aaron, qui
avait fait réellement un miracle visible. Ensuite, il le compare
à la femme qui est la cause efficiente de l’homme, comme il le dit lui-même.
En troisième lieu, il nie que l’eau puisse faire quoi que ce soit sans
recevoir une force surnaturelle. Enfin, la question qu’il pose
(comment l’eau peut-elle régénérer), n’aurait pas de sens si elle
ne faisait que signifier ?
Saint Jean Chrysostome (homélie 39 sur la Genèse) dit : « Car, ce
que la circoncision opère dans la déposition de la chair, le baptême
le fait dans la déposition des péchés. » De même, dans son homélie
21 sur Jean, il enseigne longuement qu’il faut croire aux paroles du
Christ affirmant que l’eau a le pouvoir de régénérer, même si la
manière transcende la raison.
Et dans son homélie 25, il dit : « Ce qu’est la matrice pour
l’embryon, l’eau l’est pour le fidèle. Car, c’est dans l’eau
qu’il a été façonné et formé. Car, il a été dit d’abord
: que les eaux produisent des reptiles d’âme vivante. À partir
du moment où le Christ est entré dans le baquet du Jourdain, l’eau
ne produisit plus des reptiles mais des âmes rationnelles et spirituelles.
» Voir la même chose dans l’homélie 35 sur Jean, homélie 1
sur les Actes, et homélie aux néophytes, où il énumère dix effets
du baptême qui sont opérés même dans les enfants.
Et parmi tous ces effets, il ne lui est jamais venu à la pensée de
dire qu’il excite la foi, la seule chose que reconnaissent nos adversaires.
Saint Cyrille d’Alexandrie (dans son livre 2 sur saint Jean, au chapitre
42), dit : « Quand par l’ardeur du feu l’eau est chauffée intensément,
elle ne réchauffe pas moins que le feu lui-même. De la même façon,
par l’opération du Saint-Esprit, l’eau qui asperge le corps du baptisé
est réformée par la vertu et la puissance divines. » Tu vois ici
que, dans le baptême, l’eau est un instrument de Dieu comme la chaleur
dans l’eau chauffée est un instrument du feu pour réchauffer.
Theodoret (dans le chapitre aux Hébreux) dit ceci en commentant
: « Asperge les cœurs de la mauvaise conscience ! » Dans
la loi, dit-il, on se servait d’aspersions, et on lavait fréquemment
les corps. Or, ceux qui conforment leur vie au nouveau testament, purifient
leur âme par le très saint baptême, et libèrent leur conscience des
premières taches. Voir le même Theodoret (dans l’épitome
des décrets divins, au chapitre du baptême), saint Jean Damascène, (livre
4, chapitre 10, sur la foi), Theophylactus (3 et 5 chapitres de saint
Jean), et Oecumenius, chapitre X aux Hébreux.
CHAPITRE 7
On prouve la même chose avec les pères latins
Tertullien (dans son livre sur le baptême) : « Il a donné d’abord
le liquide d’où l’on vivrait, c’es-à-dire que l’eau produisit
des êtres animés. Il n’y a donc pas à s’étonner que les eaux
sachent animer. » De même, dans le livre de la résurrection de
la chair, il prouve que le corps ressuscitera parce que les sacrements
s’appliquent au corps pour y transférer leur effet à l’âme.
Voici ce qu’il dit : « La chair est lavée pour que l’âme
soit purifiée. La chair est ointe pour que l’âme soit munie,
la chair est ombragée par l’imposition des mains pour que l’âme soit
illuminée par le Saint-Esprit. La chair est nourrie par le corps
et le sang du Christ, pour que l’âme soit engraissée par Dieu. »
Il énumère, là, différents effets des sacrements, sans penser
une seconde à l’excitation de la foi.
Saint Cyprien (livre 11, épitre 2 à Donat) écrit qu’avant qu’il
soit baptisé, on avait eu toutes les peines du monde à l’amener à
croire ce que les chrétiens prêchaient sur la vertu du baptême, à savoir
qu’il change l’homme subitement, qu’il efface les péchés, qu’il
infuse les vertus; mais qu’il avait appris plus tard, par l’expérience,
que c’était vrai : « Je pensais qu’il était difficile de croire,
à cause des mœurs dissolues de l’époque, ce que promettait pour mon
salut la divine indulgence, à savoir que quelqu’un puisse naître de
nouveau; et que, après avoir reçu une nouvelle vie par le lavement
de l’eau salutaire, ce qui était avant disparaissait, et que,
le corps conservant sa nature, l’eau change l’homme dans son âme et
dans son esprit. Je me disais : comment une telle conversion est-elle
possible ? »
Et plus bas : « Mais après que, par l’aide de l’onde génitrice,
la tache atavique ait été effacée dans ma poitrine purifiée, et ait
été infusée une pure lumière; et après que, par une gorgée de l’Esprit
céleste, la seconde nativité ait, d’une façon admirable, réparé
l’homme pour en faire un nouvel homme, etc… »
Il y a deux choses à noter dans ces paroles. La première.
Si les sacrements ne faisaient que mouvoir l’esprit pour qu’il puisse
croire, comme les adversaires le prétendent, comment expliquer que saint
Cyprien ait eu tant de misère à croire dans l’effet du baptême ?
Car, que la parole d’un ardent prédicateur parvienne à susciter la
foi dans un incroyant, ce n’est pas une chose si difficile à comprendre
!
La seconde. Saint Cyprien dit que le baptême agit
immédiatement et pour toujours, et qu’il renouvelle l’homme.
Cela, il ne le dirait pas s’il croyait que le baptême ne fait qu’exciter
la foi. Car alors, il n’aurait pas son effet sur-le-champ et dans
la majorité des cas. Car, l’expérience enseigne que, par le même
miracle ou par les mêmes paroles enflammées, quelques-uns sont
émus plus rapidement que d’autres, d’autres plus tardivement, et d’autres
jamais.
De même, dans le livre 3 de l’épitre 8 à Fidus, il enseigne
que les enfants doivent être baptisés, même avant le huitième jour,
(surtout en danger de mort), pour qu’ils reçoivent la rémission du
péché. C’est ce qu’ordonne aussi, le pape Siricius (épitre
1, chapitre 2). Or, si le baptême ne fait qu’exciter la foi, et
qu’il est de profit pour les enfants seulement parce que, quand ils deviendront
des adolescents, ils s’en souviendront etc pourquoi
saint Cyprien ordonne-t-il que soient baptisés les enfants moribonds ?
De même, dans son épitre 7, livre 4 à Magnus, il dit que comme
le venin du scorpion et du serpent s’éteint dans l’eau, de la même
façon, le diable qui résiste à l’exorciste avant le baptême,
perd toute sa force dans le baptême. Ce serait parler pour ne rien
dire si le baptême ne faisait qu’exciter la foi. Voir aussi, son
sermon sur le baptême du Christ, sur la cène du Seigneur, et sur
l’onction du saint-chrême. Gaudentius dit des choses semblables
(dans son traité 1 sur l’Exode.)
Lactance (livre 8, chapitre 5 sur la récompense divine) : « Purifié
par le lavage céleste, l’homme rejette l’enfance avec toute les taches
de la vie passée; et après avoir reçu un accroissement de force
divine, il devient un homme parfait et complet. » Le pape Sylvestre,
comme le rapporte Nicéphore (livre 7, chapitre 3) parla ainsi quand il
baptisa Constantin : « Par la vertu divine qu’elle a conçue par l’invocation
de la trinité, cette eau, comme elle purifie le corps de l’homme,
purifie l’âme de toute tache et de toute souillure, et la rend plus
brillante que les rayons les plus resplendissants. »
Saint Ambroise (livre 2, chapitre 2, sur la pénitence), dit : « Il
semblait impossible que l’eau puisse purifier le péché. Naaman le syrien
ne crut pas, non plus, que l’eau pouvait le purifier de sa lèpre. Mais
ce qui était impossible, Dieu l’a rendu possible, en nous donnant une
si grande grâce. » Voir aussi son livre 1 sur les sacrements
(chapitres 4 et 5, livre 2, chapitres 1 et 5). Ainsi que son livre
d’initiation aux mystères (chapitres 3 et 9), et son livre X sur
saint Luc (chapitre 3), et son livre 3 sur le Saint-Esprit (chapitre
11).
Saint Jérôme (dans son épitre 83 à Océanus) écrit : « Quelle
puissance a le baptême, et quelle grâce a l’eau sanctifiée par le
Christ, je l’enseignerai un peu après. » Et plus, bas, là où
il présente plusieurs témoignages et figures, il dit : « Les jours me
feront défaut si je veux classer tous les textes de la Sainte Écriture
qui se rapportent au pouvoir que possède le baptême. » Voir le
même dans son dialogue contre les lucifériens, et dans son livre 3 contre
les pélagiens.
Optatus (livre 5 contre les Parméniens, au début) : « Le baptême
des chrétiens institué par la Trinité, confère la grâce. S’il est
répété, il cause du tort à la vie. » Tu vois d’abord, qu’il
affirme clairement que le sacrement confère la grâce. Et, en disant
ensuite que la répétition du baptême cause du dommage, il montre de
toute évidence, qu’il n’opère par seulement en suscitant la foi.
Car, alors, il serait plutôt fort utile de le répéter.
Saint Augustin (livre 4, chapitre 22 sur le baptême) dit : « Ce n’est
pas seulement une passion endurée au nom du Christ qui peut suppléer
à l’absence du baptême, mais aussi la foi, et la contrition du cœur,
si, par hasard, les persécutions actuelles nous privent du secours de
la célébration du mystère du baptême. »
S’il arrive donc parfois que la foi et la conversion du cœur
suppléent à l’absence du baptême, il s’ensuit manifestement que
le sacrement ne justifie pas en excitant la foi, mais immédiatement en
appliquant les mérites du Christ, et en justifiant immédiatement.
Et, au même endroit (au chapitre 24), il prouve que le sacrement
du baptême est très profitable aux enfants, même s’ils sont privés
de la foi. Il le prouve aussi par la circoncision, qui était donnée au
huitième jour : « Pourquoi lui a-t-il été prescrit de circonscrire,
le huitième jour, tout enfant mâle, qui ne pouvait pas croire avec son
intelligente et sa volonté, afin que cela lui soit imputé à justice,
si ce n’est que le sacrement, par lui-même, valait énormément
? » Saint Augustin enseigne là que le sacrement n’opère pas
en excitant la foi, mais en produisant un effet par sa propre vertu.
Le même saint Augustin (au livre 19, chapitre 11 contre Faust) écrit
: « On ne peut décrire ce que vaut la vertu des sacrements.
Elle vaut tellement que si elle est méprisée, elle fait des sacrilèges.
Car, il n’y a que l’impiété qui méprise ce sans quoi la piété
ne peut pas atteindre sa perfection. » Or, si les sacrements ne
faisaient qu’exciter la foi ils ne vaudraient pas d’une façon inénarrable,
puisque très souvent, peu de personnes sont touchées par les sermons.
Et, cependant, Luther reconnait (dans son livre contre Jean Cochlaeus)
que « la prédication est beaucoup plus efficace que le baptême. »
Ce qui est très vrai s’il n’est question que de susciter la
foi. Saint Augustin dit aussi (dans son traité 80 sur saint Jean)
: « D’où vient une telle vertu à l’eau, qu’en touchant le corps,
elle purifie le cœur ? » Et plus bas : « La purification
on le n’attribuerait pas à un élément périssable et corruptible,
s’il ne purifiait pas dans la parole. »
Le pape saint Léon (dans son sermon 4 sur la naissance du Seigneur)
écrit : « Tout homme qui renait de l’eau du baptême est semblable
à l’utérus de la vierge. La fontaine est remplie par le même
Esprit qui remplit aussi la Vierge. De sorte que le péché
que la sainte conception avait évacué, l’ablution mystique l’enlève.
»
Et, dans le sermon 5 : « L’origine qu’il a reçue dans l’utérus
de la Vierge, il l’a placée dans la fontaine du baptême, en donnant
à l’eau ce qu’il avait donné à Marie. Car la vertu du Très-haut
et l’ombrage du Saint-Esprit qui firent que Marie enfantât le Sauveur,
font également que l’eau régénère le croyant. »
L’auteur de l’homélie sur le sacrement du corps du Seigneur (que
l’on trouve parmi les homélies d’Eusèbe Emissenus, et dans le tome
9 de saint Jérôme), dit : « Au moindre signe d’un commandement du
Seigneur, sortirent subitement du néant les créatures célestes, les
poissons des océans, et l es continents. Possède une puissance semblable
la vertu qui se trouve dans les sacrements spirituels. »
Et, au même endroit, à partir de la vertu du sacrement de baptême,
qui change subitement un homme, et le renouvelle dans son âme, il prouve
qu’on ne devrait pas considérer comme incroyable que les paroles du
sacrement changent le pain en la chair du Christ. On ne voit pas
très bien comment pouvoir interpréter tout cela comme une incitation
à croire. Car, dans la consécration non plus, les paroles ne changent
pas le pain pour exciter par là la foi. Cet auteur accorde la même
vertu à la consécration, par rapport au pan, qu’au baptême, par rapport
à l’âme.
Saint Grégoire (livre 9, épitre 39 à Theodista Praticia enseigne
que, dans le baptême, tous les péchés sont vraiment remis, comme, dans
la mer rouge, tous les Égyptiens sont vraiment morts : « Donc, celui
qui soutiendra que, dans le baptême, les péchés ne sont pas complètement
remis, devra dire que dans la mer rouge, les Égyptiens ne sont pas vraiment
morts. »
Enfin, saint Bernard (pour omettre les plus récents) dans son
sermon sur la cène du Seigneur, écrit : « Le sacrement du corps du Seigneur
opère en nous deux choses : pour les péchés véniels, il affaiblit
les sens, et, pour les péchés les plus graves, il enlève totalement
le consentement. Si quelqu’un, parmi vous, ne ressent plus si souvent
les mouvements ardents de la colère, de l’envie, de la luxure, ou d’autres
vices, qu’il rende grâce au corps et au sang du Seigneur. Car,
c’est la vertu des sacrements qui opère en lui. »
Ces paroles on ne peut pas les ramener à l’effet de nourriture de
la foi. Car, saint Bernard ne dit pas seulement que les péchés
sont remis par les sacrements, ce qu’admettent les luthériens
(par la foi qui appréhende la justice du Christ, et la bienveillance de
Dieu.), mais il dit aussi que la vertu du sacrement opère en nous pour
que nous ne consentions pas aux péchés, ce qui ne pourrait pas se faire
par la foi seule, et ce que n’enseignent pas non plus nos adversaires.
À cet argument tiré des pères, les hérétiques répondent
différemment. Philippe (dans son apologie, art 13) dit effrontément
: « On ne peut citer aucun écrit des anciens auteurs qui approuverait
les scolastiques sur ce sujet. »
Luther, dans son livre contre Cochlaeus, admet les passages de
saint Augustin et des autres pères qu’avait cités Cochlaeus, mais,
à son accoutumée, ce n’était que pour cracher son venin : « S’il
y en a, parmi les pères, qui ont pensé que les sacrements justifiaient
par leur vertu, comme saint Augustin, ainsi que le soutient Cochlaeus,
je ne m’en étonne pas. Ce sont des paroles d’hommes, qui militent
souvent les unes contre les autres, des docteurs qui enseignent à la lumière
de leur seule raison, sans tenir compte de l’Écriture. »
Or, il est certainement plus croyable de penser qu’un si grand
nombre de saints pères aient mieux compris l’Écriture que Luther.
C’est ce qu’il concéderait lui-même, s’il n’était pas aveuglé
par l’esprit de l’orgueil.
Calvin répond (dans le livre 4, chapitre 14, verset ultime) que les
pères ont parlé en parabole : « Ces malheureux sophistes ont, avec leur
économie immodérée des sacrements, distordu les choses que nous lisons
dans les anciens auteurs. Comme sain Augustin, par exemple, qui enseignait
que les sacrements de l’ancienne loi ne faisaient que promettre le salut,
et que les nôtres le donnaient. Comme ils ne se rendirent pas compte
que ces figures et d’autres façons de parler étaient des hyperboles,
ils promulguèrent leurs dogmes hyperboliques. »
Mais cela peut se retourner contre lui-même. Car les pères que nous
venons de citer réfèrent ces admirables effets à la toute-puissance
de Dieu. Et la toute-puissance ne produit pas d’œuvres là où
les paroles ne sont pas vraies et réelles, mais hyperboliques.
De plus, les pères nous avertissent de temps en temps qu’ils ne
parlent pas hyperboliquement, comme saint Jean Chrysostome dans son homélie
4 aux catéchumènes, où il dit que, par le baptême, les âmes sont lavées
et purifiées. Il précise qu’il ne dit pas cela par ambition,
c’est-à-dire, par amplification verbale, pour faire montre de
son éloquence oratoire.
Et saint Augustin (au chapitre 23 vers la fin) dit que « ce
sont des infidèles ceux qui ne croient pas que les petits enfants puissent,
sans la foi actuelle, être sauvés par le sacrement ». Ce qui nous
fait comprendre qu’il ne parlait pas par hyperboles, mais qu’il transmettait
les dogmes de foi. Et il n’est pas croyable que tous les
pères grecs et latins, non seulement dans leurs sermons, mais aussi dans
leurs lettres et leurs écrits dogmatiques et leurs commentaires de l’Écriture,
aient toujours parlé par hyperboles.
Kemnitius (2 par examen, page 98), dit que l’Écriture accorde ouvertement
un pouvoir aux sacrements, et qu’il ne faut, par des tropes, les détourner
de leur sens pour leur faire dire autre chose que ce que les pères enseignaient
vraiment. Cependant, par la suite, il réduit tout cela à une efficacité
par l’excitation de la foi, ce que nous avons déjà réfuté.
CHAPITRE 8
La sixième classe vient de la raison
Pour saisir plus facilement l’efficacité de ces raisons, il faut
observer qu’il y a deux sortes de signes et de mots. Certains n’ont
pas été institués pour une autre fin que signifier, ceux qu’on peut
appeler des signes théoriques. D’autres sont institués pour signifier
et pour effectuer quelque chose, et on les appelle des signes pratiques.
Ils diffèrent en ceci que les premiers n’opèrent rien immédiatement
par leur propre force, mais ne font que représenter un objet. Et,
si par hasard, un effet s’ensuivait, il ne proviendrait pas de la force
du signe, mais d’ailleurs. Les derniers opèrent immédiatement,
et de par leur vertu propre. Exemple. Quand quelqu’un avertit
une autre personne que l’ennemi est présent, cette personne s’enfuit
immédiatement. Or, la cause immédiate de cette fuite n’est pas l’avertissement,
mais l’appréhension de malheurs. L’admonition fut donc un signe de
la première catégorie. Pour une raison semblable, celui qui, à
la vue d’un signe hostile, court à un refuge, n’est pas mu immédiatement
par le signe mais par l’appréhension des choses dont il a besoin, et
que ce signe représente. Ce signe n’est donc, pas non plus, un
signe pratique, au sens où nous le prenons ici. Car, nous avons
parfois coutume d’appeler signes pratiques tous ceux qui se rapportent
à une œuvre, médiatement ou immédiatement, comme nous le faisions dans
la dispute sur l’intention du ministre. Car, nous appelions pratiques
tous les mots impératifs. Et ceux-là nous les appelons théoriques.
Nous disons que sont pratiques ceux qui, en plus de la signification,
ont une efficacité, comme le sceau qui est un vrai signe pratique, parce
qu’il ne représente pas seulement une image, mais l’imprime
dans la cire.
On distingue encore ces signes pour une autre raison. Car les
paroles et les signes théoriques ne sont utilisés que par ceux qui sont
intelligents. Car, comme ils n’opèrent qu’en représentant quelque
chose à l’esprit, il serait stupide de se servir de ces signes là où
on ne fait pas usage de l’esprit. Or, les mots et les signes pratiques
peuvent être employés même pour les choses inanimées, non seulement
pour celles qui sont dépourvues d’intelligence, mais de sentiment et
de sensation.
Comme dans l’Écriture Josué a commandé au soleil et à la lune,
(Josué X). En Matthieu V111, le Seigneur a commandé à la
mer et aux vents. En Matthieu 1X, Luc V11, et Jean X1, il a
commandé aux morts. Et, Actes 1X, Pierre a dit à Tahita : Léve-toi.
En Matthieu XV11 : « Si vous aviez la foi grosse comme un grain de sénevé,
vous diriez à cette montagne : déplace-toi. » Moïse a frappé
la pierre pour donner des eaux (Exode XV11), et le Seigneur mit ses doits
dans l’oreille d’un sourd et muet; et il toucha aussi sa langue pour
le guérir.
La controverse entre nous et les hérétiques consiste donc en ceci.
Ils font, eux, des sacrements, des signes du premier genre, quand ils affirment
qu’ils ne justifient pas, si ce n’est qu’en excitant la foi.
Nous en faisons, nous, des signes du deuxième genre. Si donc
nous pouvons démontrer que les sacrements sont des signes de la deuxième
catégorie, nous aurons gain de cause.
Voici donc la première raison que nous apportons. Les sacrements sont
validement administrés à ceux qui ne peuvent pas se servir de leur
intelligence. Ils sont donc des signes du second genre, et justifient
vraiment, non en excitant la foi à la façon d’un sermon, mais en produisant
immédiatement la sainteté. La conséquence résulte clairement
de ce qui a été dit. On prouve ainsi l’antécédent : on baptise validement
les enfants, les sourds, les fous, les comateux.
On tire un exemple insigne de saint Augustin (livre 4, chapitre,
livre des confessions.) Quand un moribond commençait à délirer,
et avait perdu conscience de qui se passait autour de lui, « le sacrement
qu’il reçut lui fut très utile ». Ajoutons que le concile de
Carthage 1V (canon 76), et celui d’Oranges 1 (sur les époux adultères,
chapitres 26 et 28), et la lettre 91 de saint Léon à Théodore
enseignent tous que les sacrements du baptême et de l’absolution peuvent
être conférés aussi à ceux qui sont en danger de mort, même si la
peur de la mort leur a enlevé l’usage de la raison ou de la parole,
pourvu qu’il soit avéré qu’ils aient déjà désiré le sacrement.
Or, à ces gens, c’est fort inutilement qu’on ferait un sermon,
ou qu’on leur exhiberait des signes pour exciter leur foi.
La deuxième raison. Les paroles et les signes des sacrements
dépendent de l’institution divine; et ils ne purent pas avoir
été institués par les hommes, de leur propre autorité. Ils ne
sont donc pas de purs signes, comme les paroles d’un sermon, mais
des signes pratiques, ayant le pouvoir d’opérer surnaturellement quelque
chose.
L’antécédent est concédé par les adversaires, comme il
a été démontré plus haut. Il reste donc à prouver la conséquence.
Si les paroles et les signes sacramentaux étaient de purs signes
institués pour agir sur l’esprit, ils auraient facilement pu avoir été
institués par les hommes, et ils auraient eu le même pouvoir.
Il importe peu, en effet, à la signification pure quel est
celui qui a institué les signes, pourvu qu’ils représentent le même
objet.
Est-ce qu’on se demande quel est celui qui a affiché
ces signes dans l’auberge ? Les mots hébraïques écrits par Dieu
sur la pierre signifient-ils autre chose que les mots grecs ou latins écrits
par des hommes ? Les trompettes que Dieu avait ordonné d’employer
pour appeler au combat, agissaient-elles mieux sur les soldats que
les trompettes profanes employées par les païens ? En conséquence,
si Pierre ou Paul avaient institué les sacrements de baptême et d’eucharistie,
ils auraient la même vertu qu’ils ont présentement.
Ce qu’on ne peut certes pas dire selon l’enseignement de
l’église catholique, qui veut que les sacrements ne font pas que
signifier, mais qu’ils effectuent aussi ce que, par eux-mêmes, ils ne
peuvent pas faire.
La troisième raison. Les sacrements ne dépendent pas seulement de
Dieu pour l’institution, mais aussi pour leur usage. Car, c’est
Dieu qui, par ses ministres, baptise, consacre, absout etc. Ils ne sont
donc pas de simples signes institués pour exciter la foi, à la manière
des prêches. Mais, ils effectuent quelque chose. L’antécédent,
les adversaires le concèdent, et il a été prouvé plus haut dans la
question de la cause efficiente des sacrements, à partir de textes comme
celui de saint Jean 1 : « C’est lui qui baptise. », d’une homélie
de saint Chrysostome ( sur Matthieu, 83), du traité 5 de saint Augustin
sur saint Jean, et d’autres.
On prouve la conséquence. Car, comme les paroles et les autres signes
ne font que signifier, et exciter l’âme par la représentation d’un
objet, il importe peu d’où ils procèdent. Car, que ce soit
le maitre qui parle ou l’esclave, les mots ont toujours la même signification.
Et la trompette n’incite pas plus au combat les soldats, si c’est
l’empereur qui en joue ou le trompettiste. Donc, si les sacrements
dépendent nécessairement de Dieu comme de leur cause principale qui opère
par les ministres, on est forcé de reconnaitre qu’ils ne font pas que
signifier, mais qu’ils produisent un effet.
La quatrième raison. Les sacrements ne dépendent pas seulement de
Dieu en tant qu’instituteur, mais en tant qu’agent principal,
et aussi, de la passion et de la mort de Jésus, comme nous l’avons prouvé
plus haut au début de la question sur la cause efficiente des sacrements.
Voilà pourquoi, les pères, à l’unanimité, ont enseigné que les sacrements
ont coulé du côté percé d Christ.
Voilà pourquoi aussi beaucoup d’anciens ont enseigné que
le Christ a voulu être baptisé, pour que, par le contact de sa chair
très pure, il donne aux eaux la force de purifier, comme saint Ambroise
(livre 2, chapitre 12 sur saint Luc), saint Grégoire de Naziance (dans
son sermon sur les saintes lumières), saint Jean Chrysostome (homélie
25 sur saint Jean), Bède (Luc, chapitre 3), et d’autres. Luther
lui-même enseigne la même chose dans ses homélies sur le baptême.
Les sacrements n’opèrent donc pas seulement en représentant un
objet, à la façon d’un sermon, mais en produisant vraiment quelque
chose. Car, autrement, ils n’auraient pas eu besoin des mérites
du Christ; et le Christ ne leur aurait donné aucune vertu.
Et comme il ne convient absolument pas de dire qu’un sermon émane
du côté percé du Christ, car les paroles possèdent cela d’elles-mêmes,
nous n’aurions pas de raison de dire que les sacrements proviennent
du côté percé du Christ, ou que le Christ leur a donné une vertu.
La cinquième raison. Les sacrements ont été institués pour
faire en sorte que nous soyons certains d’avoir reçu la rémission des
péchés et la grâce de Dieu. Ils n’opèrent donc pas seulement
en représentant un objet comme la prédication, mais en produisant réellement
ce qu’ils signifient. L’antécédent est admis par tous, et surtout
par les adversaires. Car, les catholiques enseignent que, par
les sacrements, est engendrée en nous une certitude morale de la rémission
des péchés, mais non, toutefois, infaillible.
Car, même si les sacrements sont efficaces infailliblement
par eux-mêmes, il peut se faire que, à cause de notre indisposition,
ne nous soient pas efficaces. Or, les adversaires veulent que les
sacrements engendrent une certitude absolue. Et ils nous reprochent d’ordonner
aux hommes de douter de l’efficacité des sacrements. Comme le
pense Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, dans son chapitre
sur le baptême), Kemnitius (livre 2 par examen, chapitre sur l’intention
des ministres.) et d’autres.
On prouve la conséquence. Car, si les sacrements n’opéraient
qu’en signifiant et en excitant la foi, ils n’apporteraient aucune
certitude. Car, alors, le sacrement dépendrait de notre foi, non
de l’institution du Christ, ce qui est enlever la vraie certitude de
l’efficacité des sacrements, comme Luther le reconnait contre les Anabaptistes,
en l’en 1528, où il prouve longuement que les sacrements ne doivent
pas dépendre de la foi du donateur ou du récipiendaire, mais de la seule
institution de Dieu, pour ne pas rendre incertaine son efficacité.
On ne peut non plus répondre que les sacrements apportent une certitude
infaillible, parce qu’ils excitent la foi qui justifie infailliblement.
Car, l’expérience nous a enseigné le contraire. Car, combien
y en-a-t-il qui sont baptisés sans croire vraiment ? Et si la prédication,
qui est plus efficace que les sacrements, selon Luther dans son livre contre
Cochlaeus, n’excite pas la foi infailliblement, comme nous l’expérimentons,
les sacrements pourraient encore moins exciter infailliblement la foi.
Si donc les sacrements présentent une certitude quelconque, ce ne peut
être que pace que, par l’œuvre opérée, ils produisent
ce qu’ils signifient.
La sixième raison. Les sacrements se comportent différemment
envers la foi et envers la parole; ils n’opèrent donc pas de la même
manière. On prouve l’antécédent. Car, la parole
de Dieu précède la foi, et les sacrements la suivent. Romains
X : « La foi vient de l’audition. » On prêche dont la parole
de Dieu aux infidèles et aux hérétiques pour qu’ils commencent à
croire. Or, les sacrements requièrent la foi, surtout pour
les adultes. Et ils ne peuvent être correctement conférés qu’à
ceux qui ont cru d’abord. Voilà pourquoi (dans les Actes
111) quand l’eunuque a dit : « Voici de l’eau. Qui m’empêche
d’être baptisé ? », Philippe a répondu : « Si tu crois de tout ton
coeur, c’est permis. »
Et, dans l’Église, il y a toujours eu la coutume, pour ceux qui
voulaient être chrétiens, de devenir d’abord catéchumènes,
et d’être instruits assez longtemps, et de ne pas les baptiser avant
qu’ils aient été instruits et affermis dans la foi. Saint Justin,
dans son apologie à Antonin, dit, expliquant les mœurs de l’Église
: « Ceux qui ont été persuadés, et qui croient que sont vraies les
choses que nous leur prêchons, et qui déclarent pouvoir vivre ainsi,
reçoivent l’ordre de prier en jeunant, et de demander à Dieu la rémission
de leurs péchés passés, pendant que nous jeunons et prions avec
eux. Ensuite, nous les amenons là où il y a de l’eau, et ils
sont régénérés par le même mode de régénération qui nous
a nous-mêmes régénérés. »
De quoi il s’ensuit que la sentence des hérétiques n’est
pas seulement fausse, mais des plus ineptes.
La septième raison. Les sacrements ne sont pas moins efficaces
s’ils sont administrés dans une langue qu’on ne comprend pas, (le
grec ou le latin) que s’ils le sont dans une langue vulgaire que
tous comprennent. Ils n’opèrent donc pas à la façon d’une
prédication, mais ont leur effet propre en plus d’exciter la foi.
La conséquence est évidente, car, si les sacrements opéraient à la
manière d’une prédication, ils n’auraient d’effet que quand ils
sont donnés en langue vulgaire. On prouve ainsi l’antécédent.
Les luthériens et les baptistes admettent notre baptême qui est toujours
administré en latin, car ils ne rebaptisent pas ceux qui ont été baptisés
par nous.
La huitième raison. Si les sacrements opéraient en excitant
la foi, il n’y aurait aucune raison de les administrer aux hommes
doctes qui peuvent lire les Écritures, ni même aux illettrés qui écoutent
les sermons. Car, la sainte Écriture et la prédication évangélique
excitent la foi bien mieux que le baptême et l’eucharistie. Il
serait donc préférable, au lieu de se faire baptiser, de lire un chapitre
de la Bible.
Ajoutons que même une peinture du baptême pourrait avoir le même
effet que le baptême, car elle rend une promesse visible, et excite la
foi. Et elle a ceci de plus que le baptême qu’elle demeure toujours,
tandis que le baptême arrive une fois pour toutes.
La neuvième raison. Même si plusieurs sont présents, les sacrements
ne sont profitables qu’à ceux qui les reçoivent, entendent et voient
ce qui se passe. Autrement, il ne serait pas nécessaire
que chacun soit baptisé et communie au corps de Notre Seigneur Jésus-Christ;
mais, il suffirait qu’un seul soit baptisé et communie en présence
de toute la multitude.
Les sacrements n’opèrent donc pas à la manière d’une prédication,
en excitant la foi. La conséquence est évidente. Car, s’ils
opéraient à la façon d’un sermon, ils seraient de profit à tous ceux
qui écoutent. Car, tous ceux qui sont présents peuvent être
excités à croire quand est prononcée la promesse de Dieu, et quand elle
est placée devant les yeux par un signe visible. Et il importe peu
que le sacrement semble être le seul à être dirigé vers un seul, car
la prédication aussi peut s’adresser à un seul et, exciter quand même
tous les auditeurs.
De plus, quand le ministre baptise et dit : je te baptise, il ne veut
pas dire : je te purifie de tous tes péchés (selon les luthériens),
mais, je témoigne que tes péchés te son remis, comme Melanchton l’explique
(dans se lieux, chapitre sur le baptême), et Calvin (livre 1V, chapitre
13, verset 15).
Mais cette attestation n’est pas profitable à celui qu’il
baptise, à moins qu’il ait, entre temps, réfléchi et cru que Dieu
lui est propice par le Christ, comme ils l’avouent eux-mêmes.
Tous ceux qui sont présents peuvent penser et croire la même chose, car
la promesse est commune à tous, et ce qui est dit à un convient
à tous. Car Dieu n’est pas propice au baptisé parce qu’il est
baptisé, (selon la sentence des Luthériens).
Voici donc la véritable attestation du baptême : Dieu lui est propice
pourvu que par la foi il appréhende cette bienveillance divine.
La dixième raison. Si les sacrements avaient un effet seulement en
signifiant, il n’y aurait pas de différence entre les nouveaux sacrements
et les anciens sacrements, car les anciens signifiaient aussi la grâce
du Christ et la rémission des péchés, et pouvaient exciter la foi.
Que cela soit faux, nous le démontrerons dans la question suivante.
CHAPITRE 9
On réfute des objections tirées des Écritures
Il faut réfuter les arguments de Luther, de Philippe, de Calvin et
de Kemnitius, qu’ils tirent tantôt des Écritures, tantôt des pères,
tantôt de la raison.
Commençons donc par la première classe d’arguments. Le premier
vient de Habacuc 11 et de Romains 1, et de Hébreux X : « Le juste vit
de la foi, dit l’Écriture ». Saint Paul n’enseigne pas que
le juste vit des sacrements. Les sacrements donc ne justifient pas
à moins qu’ils n’excitent la foi. On le confirme par des passages
semblables, comme Romains 1V : « Abraham a cru en Dieu, et celui
lui a été imputé à justice. » Et Paul n’a pas ajouté : et
par le corps est reçu le sacrement pour la justice. De même, Luther
dans Babylone (chapitre sur le baptême) et dans son assertion (premier
article.)
Je réponds que l’Écriture ne dit pas que le juste vit de la seule
foi. Il reste donc une place pour les sacrements. Autrement,
non seulement les sacrements, mais Dieu aussi, et les mérites du Christ,
et d’autres choses semblables seraient exclues, que même les Luthériens
ne veulent pas exclure. Car, l’Écriture n’a pas dit : le juste
vit de Dieu ou des mérites du Christ.
Ensuite, même si l’Écriture ne dit pas, avec ces mots, que
le juste vit des sacrements, elle dit la même chose en d’autres termes.
Car, quand elle dit que l’homme est régénéré par le baptême, (Jean
111, et Tit 111), que dit-elle d’autre que le baptême donne la vie ?
Troisièmement. Ces paroles prophétiques : le juste vit de la
foi, ne signifient pas à la lettre que l’homme devient ou est réputé
juste par la foi, mais, que, par la foi qu’il a, le juste attend constamment
ce que Dieu a promis, et qu’il ne se laisse pas déprimer ou décourager
même si les promesses semblent tarder. Que ce soit là le véritable sens
ne pourra pas en douter celui qui examine avec soin les paroles d’Habacuc,
et de saint Paul aux Hébreux. Car l’un et l’autre parlent de
patience et de longanimité. ‘S’il tarde, dit le prophète, (et l’apôtre
qui le cite), attends le, car il viendra quand il viendra, et ne tardera
pas. Celui qui est incrédule, son âme ne sera pas vraiment en lui-même.
Car, le juste vit de la foi. »
À la confirmation, je réponds de la même façon. Car, saint Paul
a attribué la perfection à la foi, mon non à elle seule. Et de
plus, l’Écriture attribue la même chose aux sacrements, en d’autres
endroits, comme dans Actes 11 : « Que chacun de vous soit baptisé en
rémission des péchés. » et en Actes XX11 : « Sois baptisé
et efface tes péchés par l’invocation de son nom. »
Le second argument est tiré de Marc, à la fin : « Celui qui croira
et sera baptisé, sera sauvé. Celui qui ne croira pas, sera condamné.
» Dans les lieux cités, Luther argumente de deux façons avec cet
argument. Le premier. « Celui qui croit et est baptisé est
sauvé; celui qui ne croit pas est condamné, même s’il est baptisé.
Ce n’est donc pas le baptême, mais la foi qui sauve. » Le deuxième.
Le Seigneur a dit : « Celui qui ne croit pas sera condamné ».
Il n’a pas dit : celui qui ne sera pas baptisé sera condamné.
C’est donc la foi seule qui sauve, et non le baptême. Deuxièmement,
le Seigneur a dit également : « Celui qui ne croira pas sera condamné
». Il n’a pas dit : « celui qui ne sera pas baptisé sera condamné.
» C’est donc la foi seule qui sauve, et non le baptême.
Je réponds au premier argument que la conséquence est mauvaise. Car
la seule chose que nous pouvons déduire de cet antécédent, c’est :
ce n’est donc pas le baptême seul qui sauve; et non : donc le baptême
ne sauve pas. Autrement, des paroles que saint Paul a dites aux Corinthiens
(1 X111) : « la foi n’est d’aucun profit sans la charité »,
nous pourrions conclure : la foi n’est donc d’aucun profit.
Au second, je réponds que le Seigneur n’a pas dit : celui qui n’aura
pas été baptisé sera condamné, non parce que ce n’est pas tout à
fait vrai, puisque le même Seigneur a dit en Jean 111 : « si quelqu’un
ne renait pas de l’eau et du Saint-Esprit, il ne pourra pas entrer dans
le royaume des cieux, » car il n’était pas nécessaire de le préciser,
puisqu’on pouvait le comprendre de ce qu’il avait dit : « celui qui
ne croira pas sera condamné. » Car, celui qui ne croit pas ne voudra
pas être baptisé; et même s’il le voulait, son baptême serait
sans valeur.
Et dans l’affirmation, il aurait fallu ajouter « un baptême
de foi », car ce ne sont pas tous ceux qui croient qui sont baptisés.
Les arguments du genre à l’espèce sont semblables. Cela vaut négativement
: il n’est pas un animal, il n’est donc pas un homme. Affirmativement,
cela ne vaut pas : c’est un animal, ce n’est donc pas un homme.
Le troisième argument est tiré de saint Paul aux Romains 1V.
Voici comment parle Philippe dans son apologie (article 13). « Paul proteste
contre les scolastiques qui enseignent que les sacrements opèrent par
l’œuvre opérée; et il nie qu’Abraham ait été justifié par la
circoncision. Mais il dit que la circoncision a été un signe proposé
à l’exercice de notre foi. Donc, de la même façon, les
sacrements ne justifient pas autrement qu’en excitant la foi. »
Je réponds d’abord que saint Paul n’a pas dit que la circoncision
a été un signe proposé à l’exercice de notre foi, mais qu’elle
a été donnée à Abraham comme un sceau de la justice de sa foi, c’est-à-dire
ce privilège a été fait pour Abraham, pour qu’il soit le premier à
avoir le sacrement de la circoncision. Car, c’est ce qu’avaient mérité
son obéissance et sa foi. Car, ce fut un témoignage de la justice de
sa foi, comme nous l’avons rappelé au chapitre 17. Voilà pourquoi
ce texte n’a rien à voir avec le débat présent. Car, la circoncision
ne fut qu’au seul Abraham, un signe pour exciter sa foi, mais le
témoignage d’une foi qu’il avait déjà eue.
Deuxièmement. La circoncision et le baptême n’ont pas grand-chose
en commun. Car, de la circoncision, Paul dit : « La circoncision n’est
rien. » (1 Corinth V11), et du baptême, il dit à Tite 111 : « Il nous
a sauvés par le baptême de la génération. » Le quatrième argument
est celui de Zwingli (dans son livre sur la vraie et fausse religion).
Il dit, en commentant Luc V : « Qui, sauf Dieu, peut remettre les péchés
? » : « Les pharisiens comprenaient que seul Dieu, non les sacrements,
peut justifier. » Selon ce passage d’Isaïe : « C’est moi seul qui
efface les iniquités. »
Je réponds qu’elle est grande la cécité des hérétiques, qui
préfèrent croire aux pharisiens plutôt qu’au Christ. Car le
Christ avait guéri un paralytique pour montrer qu’il pouvait, en tant
qu’homme, remettre les péchés : « Pour que vous sachiez que le Fils
de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés, etc » Et, de
plus, le Christ n’avait-il pas dit à des hommes, en Jean XX :
« Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. »
Mais les paroles d’Isaïe n’étaient pas fausses à cause de cela,
car il parle de celui qui remet les péchés, de sa propre autorité, et
celui-là ne peut être que Dieu.
Le cinquième argument est de Kemnitius, et il est tiré du chapitre
5 aux Éphésiens, où l’apôtre dit : « La purifiant par le lavement
de l’eau dans la parole de vie. » « Dans ce texte, saint Paul attribue
toute la vertu du baptême à la parole. La parole, en effet, opère
en excitant la foi, car, (Romains X) « la foi vient de l’audition, et
l’audition de la parole du Christ ». Kemnitius ajoute le passage
suivant de saint Pierre (1 Pierre 111) : « Le baptême vous
a sauvés, non une déposition des saletés de la chair, mais l’interrogation
d’une bonne conscience en Dieu, par la résurrection de Jésus-Christ.
» Il dit là que le sacrement sauve par la résurrection, c’est-à-dire
par la foi dans la résurrection.
Je réponds que, aux Éphésiens V, par la parole de vie, on n’entend
pas le prêche, dont l’effet est la foi, mais la forme du sacrement,
c’est-à-dire une parole pratique de consécration, et non une
parole de prédication. Car c’est ainsi que l’expliquent tous
les commentateurs, comme nous l’avons montré plus haut dans la question
de la forme du sacrement.
D’ailleurs, saint Pierre n’a pas dit que le baptême sauve
par la foi dans la résurrection, mais par la résurrection, c’est-à-dire,
comme Bède l’explique, parce que quand nous sommes baptisés, nous représentons
la résurrection du Christ en émergeant de l’eau. Et comme, en
nous justifiant, le baptême fait en sorte que nous marchions dans une
nouveauté de vie, comme le Christ, par la résurrection, a commencé à
vivre une nouvelle vie, comme le dit aussi saint Paul (Romains V1) : «
Le Christ a été livré pour nos fautes, et il est ressuscité pour notre
justification. »
C’est exactement comme s’il disait : par la passion du Christ,
nous sommes morts au péché, et par sa résurrection, nous commençons
à vivre une vie de justice. La préposition par ne signifiant
pas une cause méritoire, mais une cause exemplaire. Car, le
Christ n’a pas mérité en ressuscitant, puisqu’il était alors en
dehors de la voie et de l’état du mérite.
CHAPITRE 10
On répond aux objections tirées des pères
Ils nous opposent d’abord saint Augustin parce qu’il a dit que
« ce n’est pas le sacrement qui justifie, mais la foi du sacrement.
» Dans la captivité de Babylone, (au chapitre sur le baptême),
Luther cite cette sentence, sans nommer saint Augustin, comme étant un
proverbe bien connu. Et (dans ses assertions, à l’article 1, contre
Corhlaeus), il la cite en l’attribuant à Augustin. C’est ce que fait
aussi Philippe dans son apologie, (article 13), où, après avoir dit qu’on
ne pouvait pas présenter une seule lettre des anciens en faveur de la
sentences des scolastiques, il ajoute : « Saint Augustin a même dit le
contraire, quand il a déclaré que c’était la foi du sacrement qui
justifiait, et non le sacrement. »
Je réponds que saint Augustin n’a jamais rien dit dans ce sens et
dans ces mots. Il a plutôt enseigné le contraire. Car, dans
l’épitre 23 à Boniface, il dit que les enfants sont des fidèles et
qu’ils sont sauvés s’ils meurent après le baptême, car « même
s’ils n’ont pas la foi, ils ont le sacrement de la foi. » C’est
comme s’il disait : ce n’est pas la foi qui sauve les petits, mais
le sacrement de la foi. Luther a peut-être tiré cette phrase du
traité 80 sur Job où Augustin dit que « le coeur est purifié par l’eau
du baptême, les paroles accomplissant cela, non parce qu’elles sont
dites, mais parce qu’elles sont crues.
Mais, dans la question de la forme du sacrement, nous avons déjà
démontré que ce « parce qu’elles sont crues » ne signifie pas un
acte de foi, mais un objet. Et si, on trouvait ailleurs cette sentence
en termes propres, il faudrait l’entendre pour le seul temps où quelqu’un
ne peut pas recevoir le sacrement. Car, dans cette nécessité, suffit
la foi du sacrement avec son désir, comme. dit saint Augustin (au livre
1V, chapitre 22 sur le baptême) dans les enfants qui ne peuvent pas avoir
de foi actuelle, suffit le sacrement de foi, comme avec l’épitre 23,
nous l’avons déjà prouvé.
Ils citent ensuite des paroles de saint Augustin tirées des livres
sur les questions du nouveau et de l’ancien testament (à la question
59) : « Celui qui pense que le baptême consiste dans une raison charnelle,
n’est pas un spirituel. Et il ne pourra pas, non plus, recevoir
les dons célestes celui qui croit que c’est par l’eau et non par la
foi qu’il est transformé »
. Je réponds d’abord que le livre cité n’est pas de saint
Augustin, mais d’un hérétique quelconque, qui enseigne beaucoup
de choses contre la foi et contre saint Augustin, comme, par exemple, que
la femme n’a pas été créée à l’image de Dieu (question 21), que
Melchisédech était le Saint-Esprit (question 109), et qu’Adam n’avait
pas l’Esprit-Saint (question 123).
Je réponds ensuite que le témoignage allégué ne nous est pas contraire,
mais plaide plutôt en notre faveur. Car, cet auteur parle
de la cause formelle de la justification, non de la cause efficiente;
et il dit que l’homme est transformé et rénové non par une eau externe,
comme si notre baptême n’était rien d’autre qu’une purification
de la chair, comme autrefois celui des Juifs. Mais, par la foi qui,
étant parfaite et vivante, purifie et justifie formellement, selon la
parole de saint Pierre (Actes XV) : « Purifiant par la foi leurs cœurs.
» Cette foi, c’est-à-dire la justification formelle cet auteur
dit qu’elle est donnée dans le baptême. : « L’eau, on la voit, mais
ce qu’on ne voit pas, l’Esprit Saint opère pour que la foi soit en
nous. »
Ici, on ne peut pas parler de la foi imparfaite et inchoative
qui, selon nous, dispose à la justification, et qui, selon les Luthériens
appréhende la justification. Car cette foi-là doit précéder le
baptême. On parle donc ici que de la foi parfaite, qui est
infusée dans le baptême, et qui justifie formellement. Comme le définit
le concile de Trente (session 6, chapitre 7).
Troisièmement, Calvin (livre 4, chapitre 14, ) présente un autre
texte de saint Augustin ( tiré du livre 3 des questions sur le Lévitique,
question 84), dans lequel il dit deux choses. La première. Seul
un ministre humain confère un sacrement visible, tandis que Dieu confère
la grâce invisible. Deuxièmement, ces deux choses sont séparées
de telle façon que dans certains, se trouve le sacrement visible sans
grâce invisible, comme dans Simon le magicien baptisé par Philippe.
Et dans d’autres une grâce invisible sans sacrement visible, comme pour
le bon larron.
Je réponds au premier texte que l’homme administre les sacrements
de deux façons. Une première. En faisant ce qu’il peut faire
par sa vertu naturelle. La deuxième. En appliquant des sacrements
comme des instruments mus par Dieu, et élevés pour faire une action
surnaturelle. Selon la première façon, nous disons en toute vérité,
que l’homme ne justifie pas, mais fait seulement laver le corps, et c’est
dans ce sens que parle saint Augustin. Selon l’autre façon, on dit,
en toute vérité, que l’homme justifie, mais pas par une autre
action que celle dont se sert Dieu pour justifier. Et c’est
dans ce sens qu’il faut comprendre ce que dit saint Jérôme (chapitre
1V d’Isaïe) : « L’homme fournit l’eau, Dieu le Saint-Esprit. »
Au second texte, je dis que ces choses peuvent être séparées.
Non pas parce que le sacrement sensible soit une cause de la grâce invisible,
mais parce que son effet peut être empêché par un obstacle ou une indisposition
du sujet; et aussi parce que Dieu peut, sans sacrement, donner quand
même sa grâce. Quatrièmement. Il a coutume de citer
un autre texte de saint Augustin (livre 15, chapitre 26 sir la trinité),
où il dit que Dieu seul peut donner l’Esprit Saint; et que, pour cette
raison, les apôtres n’ont pas donné l’Esprit-Saint quand ils imposaient
les mains, mais qu’ils n’ont que prié pour qu’il descende.
Je réponds qu’autres sont les dons du Saint-Esprit, et autre le
Saint-Esprit. Les dons du Saint-Esprit les sacrements les donnent.
Mais le Saint-Esprit ne peut être formellement donné que par celui de
qui il procède, Mais, instrumentalement, il est donné par les hommes.
Car, aux Actes V111, nous lisons que, par les mains des apôtres le Saint-Esprit
était donné. C’est exactement ce qu’admet saint Augustin.
Cinquièmement. Ils citent d’autres paroles de saint Augustin contre
Faust (livre 19, chapitre 16) : « Que sont les sacrements corporels, si
ce n’est quelques paroles visibles. » On peut déduire de cette
phrase que les sacrements ne justifient pas, si ce n’est à la façon
d’une prédication ou d’une peinture qui n’agit qu’en représentant.
Je réponds que, dans ce texte, saint Augustin indique un effet du
sacrement, c’est-à-dire la signification. Mais, il ne faut pas,
pour cela, nier les autres effets qu’il a décrits souvent ailleurs.
Pourquoi, dans ce passage, n’est-il question que de la signification
? La raison en est qu’il disputait des sacrements en général,
c’est-à-dire, des sacrements de l’un et l’autre testament..
Il a donc du mettre l’accent sur l’effet qui est commun à tous les
sacrements.
Et pourquoi a-t-il appelé les sacrements des paroles visibles ? C’est
parce qu’il disputait contre les Manichéens, qui réprouvaient le changement
des anciens sacrements dans les nouveaux. Il disait qu’il avait été
nécessaire de changer les paroles après l’avènement du Christ. Car,
comme les anciens disaient : le Christ viendra, mourra, ressuscitera, nous
devons, nous dire : il est venu, il est mort, il est ressuscité.
C’est pour cela qu’il dit que les sacrements doivent être changés
pour ne pas signifier quelque chose de faux. Et pour montrer la similitude
entre les deux testaments, il dit : « Que sont les sacrements (quelle
est leur signification) si ce n’est des paroles visibles ? »
Sixièmement. Kemnitiius présente un autre texte de saint Augustin,
tiré de la cité de Dieu (livre 21, chapitre 25), où saint Augustin blâme
ceux qui croyaient que ne pouvaient pas être damnés ceux qui ont reçu
le sacrement du baptême et de la cène du Seigneur, sans avoir la foi,
et sans mener une bonne vie. Je réponds que saint Augustin a raison
de blâmer ceux qui non seulement croyaient que les sacrements opèrent
par l’œuvre opérée, mais qui pensaient qu’on ne peut pas, par des
péchés ultérieurs, perdre la grâce, et le salut une fois reçu
dans le sacrement.
Mais cette sentence n’est pas la nôtre, mais celle de Martin
Luther qui, (dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre
sur le baptême), dit : « Tu vois à quel point est riche le chrétien,
ou le baptisé, lui qui, même s’il le voulait, ne peut pas perdre
son salut, quelle que soit la quantité de ses péchés, à moins
qu’il ne veuille plus croire ? »
Septièmement. Il a coutume de citer saint Bernard, qui dans
son sermon sur la cène du Seigneur, a dit : « Comme un chanoine est investi
par un livre, l’abbé par un bâton, l’évêque par un anneau, ainsi
diverses grâces sont données par différents sacrements ».
Je réponds que saint Bernard ne compare pas les sacrements avec un livre,
un bâton ou un anneau, par rapport à l’efficacité des sacrements,
mais par rapport à leur diversité. Car, il enseigne, au même endroit,
que les sacrements confèrent la grâce, comme nous l’avons cité plus
haut. Finalement, il cite Tertullien qui, dans son livre sur la pénitence,
appelle le baptême le gage de la foi. Comme le dit aussi saint Basile
(livre 111, contre Eunomius, et livre sur le Saint-Esprit, chapitre 12.)
Mais nous avons déjà répondu à tout cela au chapitre 17, quand
nous avons montré que le baptême est appelé sceau de la foi, non parce
qu’il excite la foi, mais parce que, par le baptême, est testé celui
qui est baptisé, pour savoir s’il croit; et aussi parce que l’Église
qui baptise lui donne une attestation publique de sa foi.
Mais, bien que les pères aient vraiment attribué cela au baptême, ils
ne niaient pas, pour autant, d’autres effets plus importants, mais ils
en parlaient souvent, comme je l’ai déjà montré.
2018 11 11 fin
2018 11 17 debut
CHAPITRE 11
On répond aux objections tirées de la raison
La première vient de Luther (Babylone, chapitre sur le baptême),
et de Philippe (dans son apologie, art 13). La voici. Dans
tout sacrement, est requise une parole de promesse. Et là où il y a promesse,
là est exigée nécessairement la foi qui accepte la promesse.
C’est donc la foi qui opère immédiatement et qui justifie. Luther
confirme cela en disant que beaucoup sont sauvés sans le sacrement, comme
ceux qui n’ont personne pour les baptiser; et que, à l’inverse, beaucoup
sont condamnés parce qu’ils reçoivent les sacrements sans
avoir la foi.
Je réponds que, comme nous le voyons souvent chez les adversaires,
cet argument pèche de trois façons. La première. La parole
de la promesse est requise dans l’institution du sacrement, mais elle
n’est pas requise dans l’opération lui-même du sacrement. Rien
n’est plus évident. Car, ceux qui baptisent ne disent pas
: celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, ce qui est la promesse.
Mais, ils disent ; je te baptise etc… Et ceux qui consacrent l’eucharistie
ne disent pas : « Celui qui mangera ce pain vivra éternellement », mais
: « Ceci est mon corps. » Et ceux qui absolvent les péchés ne
disent pas : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez
», mais : je t’absous de tous tes péchés.
Or, ici nous parlons de l’emploi du sacrement, non de l’institution.
Car, nous parlons de l’effet du sacrement. En effet, le sacrement
opère quand nous l’utilisons. Voilà pourquoi cet argument est
hors de propos, et est en porte à faux.
La deuxième. Même si quand nous utilisons le sacrement, la promesse
est toujours requise, et donc la foi, on ne peut pas en conclure que c’est
la foi qui justifie immédiatement. Nous dirons donc que la foi est
requise comme condition, et comme ce qui applique le sacrement à
l’homme. Exemple. Le médecin offre un remède et promet
la santé. Mais, dans le malade est requise la foi qui prend au sérieux
la promesse, et donne son assentiment au médecin. Ce n’est
cependant pas la foi qui guérit le malade, mais le médicament,
même s’il est reçu sans faire confiance au médecin. De la même
manière donc…
La troisième. Même si la promesse était requise, et même si c’était
la foi qui justifiait dans le sacrement, on ne pourrait quand même pas
conclure, comme ils le font, que la foi seule agit, et que le sacrement
ne produit rien. On conclurait tout au plus que l’un et l’autre
sont nécessaires, et que l’un ne suffit pas sans l’autre.
À la confirmation, je réponds que la foi et le sacrement peuvent
paraître égaux dans cette chose. Car, en cas de nécessité, quelqu’un
peut se sauver sans le sacrement réellement reçu, pourvu qu’il en ait
le désir, ainsi que la foi et la pénitence; et au contraire, les
petits sont sauvés par le seul sacrement, sans la foi actuelle. Et un
adulte qui a le sacrement sans la foi est condamné; et est condamné également
un adulte qui a la foi et qui ne veut pas recevoir le sacrement.
Ces différents cas nous font comprendre que l’un et l’autre sont requis,
quand on peut les avoir, et que l’un et l’autre justifient, mais différemment.
Car, le sacrement justifie activement en tant qu’instrument de
Dieu; et la foi et le pouvoir justifient en tant que dispositions,
et selon certains, en tant que causes méritoires de convenance.
Car, comme nous l’avons dit plus haut, ce n’est pas la même grâce
qui est donnée par la vertu du sacrement, et qui est donnée sans le sacrement.
en vertu de la disposition ou du mérite de convenance de la foi et de
la pénitence.
Le deuxième argument vient de Zwingli (dans son livre sur la vraie
et la fausse religion, au chapitre des sacrements). Seul Dieu connait
les cœurs des hommes. Lui seul peut donc les purifier. Ce ne sont donc
pas les sacrements qui purifient. Et il confirme ainsi son
syllogisme. Si les sacrements justifiaient par l’œuvre opérée,
les sacrements imposeraient une obligation à Dieu : il ne pourrait pas,
en effet, ne pas justifier celui que le sacrement justifie.
Je réponds que l’argument prouve seulement que le sacrement
n’est pas la cause principale. Il ne prouve pas qu’il ne soit
pas une cause instrumentale. Car, il n’est pas nécessaire que
le sacrement connaisse les cœurs ou les consciences, mais il suffit que
Dieu les connaisse, lui qui agit par le sacrement. Je réponds
à la confirmation que Dieu n’est pas lié par les sacrements mais que,
au contraire, ce sont les sacrements qui sont liés par Dieu.
Car, Dieu peut justifier sans les sacrements; et les sacrements ne peuvent
pas justifier sans Dieu. Dieu, il est vrai, ne peut pas ne
pas justifier celui qui reçoit les sacrements avec piété et foi.
Mais cela ne signifie pas qu’il est lié par les sacrements, mais (s’il
est permis de parler ainsi) qu’il est lié par sa vérité, puisqu’il
ne peut pas ne pas être fidèle à ses promesses.
Ajoutons que si ces arguments prouvaient
quelque chose, ils prouveraient que les hommes ne peuvent pas être sauvés
non plus par le sang du Christ ou par la foi dans le Christ.
Car, le sang du Christ ne scrute pas les cœurs, ne pénètre pas plus
dans l’âme que les sacrements. Et s’il parait absurde à nos
adversaires que Dieu soit lié, d’une certaine manière, aux sacrements,
Ils devraient aussi trouver absurde qu’il soit lié par le sang du Christ,
ou par notre foi. Et pourtant nos adversaires ne disent rien plus
souvent que nous sommes justifiés par le sang du Christ et par la foi
en lui.
La troisième vient de Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 14).
Ceux qui disent que les sacrements justifient soustraient les hommes à
Dieu, et leur font trouver la paix de l’âme dans le spectacle d’une
chose corporelle. Non en Dieu.
Je réponds d’abord que si cet argument valait quelque chose, il
prouverait que, dans l’ancien testament, Dieu n’aurait pas du présenter
un serpent d’airain, qu’on n’avait qu’à regarder pour être guéri.
Je dirais même que Dieu n’aurait pas du s’incarner, de peur que les
hommes ne trouvent la paix et le repos dans la contemplation d’une chose
corporelle. Je réponds, ensuite, que, d’après notre doctrine,
c’est le contraire qui s’ensuit. Car, nous disons que les sacrements
n’ont pas de vertu par eux-mêmes, mais que c’est Dieu qui opère par
eux. Et, en parlant ainsi, nous tournons les âmes vers Dieu.
Comme ceux qui étaient guéris par le Christ en touchant la frange de
son vêtement, par un crachat ou par de la boue, n’étaient pas
pacifiés par le vêtement, par le crachat, ou par la boue, mais par la
vertu du Christ qu’ils reconnaissaient et louaient.
La quatrième est de Kemnitius (par 2 de l’examen, dans le chapitre
sur l’efficacité du sacrement.) La parole de Dieu et les sacrements
justifient de la même manière. Or, la parole justifie seulement
en excitant la foi. Les sacrements non plus ne justifient qu’en
excitant la foi. Il prouve la majeure en déclarant que l’Écriture
qui enseigne que les sacrements justifient enseigne aussi que la parole
justifie. Romains 1 : « L’évangile est une vertu de Dieu pour
le salut de tout croyant. » Il le prouve aussi en déclarant
que dans la justification par les sacrements, il y a deux choses
qui concourent, comme la main droite et la main gauche. L’une est Dieu
qui offre la grâce, l’autre est l’homme qui l’accepte. La main de
Dieu est la parole et le sacrement, et la main de l’homme est la foi.
Donc, ni la parole ni la foi ne sont de profit à moins d’être acceptées
par la foi. Et s’il y a un profit, c’est uniquement parce que
le sacrement est accepté par la foi. Hébreux 1V : « Sans la foi,
la seule audition d’un sermon ne leur est d’aucune utilité. »
Je réponds qu’il est faux que la parole et le sacrement justifient
de la même façon. Comme je l’ai expliqué plus haut, leur justification
est si différente que la parole précède la foi, et le sacrement suit
la foi. À la première preuve je réponds que, dans ce passage,
on entend par le mot évangile non un sermon mais les mystères de l’évangile,
comme l’incarnation, la passion, les sacrements etc. Je réponds
ensuite que si, par évangile, on endentait la prédication, je dis
que, au même endroit, il explique comment l’évangile sauve.
Car, l’apôtre ajoute : « Car la justice de Dieu est révélée en lui
par la foi dans la foi. » Or, l’Écriture n’a jamais expliqué
comment les sacrements sauvaient.
Je dis, troisièmement, que l’Écriture attribue un pouvoir de justification
et à la parole et au sacrement. Mais elle n’a jamais dit qu’ils
justifient de la même manière. Et du fait que nous
lisons que la parole et le sacrement justifient, il n’est pas permis
de conclure immédiatement qu’ils justifient de la même manière.
Autrement, il faudrait aussi conclure que justifient tous de la même
manière : et la parole par laquelle Dieu justifie, et la foi
ou la passion du Christ. Car l’Écriture enseigne que toutes
ces choses justifient. Et, cependant, Kemnitius n’admettrait pas qu’elles
justifient toutes de la même façon
Je réponds à la deuxième, qu’on peut dire que la parole et le
sacrement sont la main de Dieu par laquelle nous viennent la grâce et
la justice. Mais pas de la même façon. Car, la main peut
avoir plusieurs emplois. On peut dire que la parole est une main,
parce qu’elle offre le salut, non parce qu’elle l’opère réellement
ou parce qu’elle l’applique. Le sacrement, à l’inverse, est
dit une main parce qu’il applique réellement le mérite du Christ, et
produit la grâce. Il y a un signe évident de cette différence
: la parole n’est prêchée qu’à ceux qui ont l’intelligence; et
elle n’a de profit que si elle est comprise et crue. Or, le sacrement
(le baptême) est présenté et il produit son effet même chez ceux qui
ne comprennent pas, chez les enfants et les fous.
Pour une raison semblable, on peut dire que la foi est notre main,
non (comme le voudrait Kemnitius,) parce qu’elle reçoit la promesse,
et est la seule à justifier de cette façon, mais parce qu’elle
enlève les obstacles, et dispose l’âme, là où cette disposition est
nécessaire. Autrement, non seulement le baptême ne serait d’aucun
profit pour les enfants et les fous, mais il ne serait de profit
même pas pour les adultes et les sains d’esprit, si au moment même
du baptême, ils pensaient à toute autre chose. Car, alors la foi
ne saisirait pas les promesses.
Le dernier argument de Zwingli est le suivant. Il ne peut pas
arriver que les sacrements, qui sont des choses matérielles, pénètrent
jusqu’à l’âme. Ils ne purgent donc pas les saletés du
péché qui résident dans l’âme. On peut confirmer ainsi cet
argument. Si les sacrements pouvaient, en quelque façon,
agir dans l’âme, cela devrait se faire par une action qu’ils font
dans les corps, comme le dit saint Augustin au sujet de l’eau qui touche
le corps et purifie le cœur. Or, bien souvent, les sacrements n’atteignent
même pas le corps. Car, quand quelqu’un est absous de ses péchés,
il n’est pas nécessaire que le son des paroles ou que les mains du prêtre
parviennent jusqu’au pénitent.
Pour une raison semblable, le mariage peut se faire seulement par des
signes de tête, ou entre des absents. Il n’est donc pas nécessaire
que les paroles de la consécration se rendent jusqu’au pain afin
de le consacrer. Car, ces paroles peuvent être dites à voix basse,
et à une distance telle que l’écho des paroles ne parvienne pas
au pain. Et pour finir, on peut dire la même chose du baptême,
car la vertu doit être dans les paroles.
Deuxièmement. La justification est une œuvre plus noble et plus difficile
que la création du monde, comme l’enseigne saint Augustin ( au traité
72 sur saint Jean. Cela est facile à comprendre, car dans
la justification on détecte la création de la grâce, qui est une chose
divine, et surnaturelle. Or, aucune créature ne peut être un instrument
de création, comme l’enseigne saint Thomas (1 par quest XLV, art
5).
Troisièmement. La justification est instantanée. Les
sacrements ne peuvent pas agir dans l’instant. Ils ne peuvent donc
pas justifier. On prouve la mineure. Une cause ne peut opérer que
quand elle existe. Or, comme l’action sacramentelle est successive,
elle ne peut pas être instantanée. J’explique. Les
choses successives n’ont d’être que dans le devenir, elles consistent
dans un flux. Voilà pourquoi à une chose successive, on ne peut
assigner aucun instant, ou même une partie d’un instant, si ce
n’est qu’en tant qu’elle est une chose continue indivisible.
Cette chose qui continue toujours ce n’est pas la chose successive, ni
une partie d’elle, car les choses successives requièrent essentiellement
une certaine extension. On ne peut donc pas penser qu’une
chose successive agisse, si ce n’est successivement, et donc dans le
temps. Et comme elle n’est jamais dans aucun instant, elle ne peut
pas être ce qu’elle n’est pas, ni agir quand elle n’est pas.
Quatrièmement. Dans le sacrement, il y a ou il n’y a pas une
vertu surajoutée divinement. S’il n’y en a pas, ils ne peuvent
pas produire un effet surnaturel. Car il est incompréhensible
que, demeurant ce qu’elle était auparavant sans rien recevoir, elle
puisse faire quand même ce qu’elle ne pouvait pas faire avant.
S’il y a une vertu surajoutée, cette vertu est corporelle ou spirituelle.
Si elle est corporelle, elle ne peut ni produire un effet spirituel, ni
agir sur une chose spirituelle. Elle n’est donc d’aucun profit.
Car la raison pour laquelle est requise une vertu spirituelle c’est
parce qu’un sacrement ne peut pas agir sur l’âme, qui est un esprit,
et ne peut pas, non plus, produire une grâce spirituelle.
Or, si la vertu est spirituelle, elle ne pourra pas demeurer dans un sacrement
corporel. Car, un accident spirituel et indivisible ne peut
pas être reçu dans un sujet corporel et constitué de plusieurs parties.
Car, tout ce qui est reçu est reçu selon le mode de celui qui le reçoit.
Cinquièmement. Cette vertu serait soit dans chaque partie
du sacrement, soit une de ses parties dans une partie du sacrement,
et une partie dans une autre. Pas la première hypothèse, car
il s’ensuivrait alors qu’elle ne dépend pas d’un sujet dans l’être,
et qu’on ne comprendrait pas très bien pourquoi elle serait une substance
et non un accident. De même, dès qu’un mot est prononcé, l’effet
serait immédiatement produit, ce que personne ne concède. Ce n’est
pas parce que, étant corporelle, après l’émission d’un mot périrait
une partie, et qu’ainsi cette vertu ou en entier ou en grande partie
périrait avant que l’effet ne commence à se produire. Car, cette
vertu serait superflue ou inutile dans les parties du sacrement qui produisent
un effet.
Sixièmement. Cette vertu est seulement dans les mots,
ou dans l’élément seulement, ou dans les deux. Si elle est seulement
dans les mots, comment la réception de l’eucharistie justifie-t-elle
? Si elle est seulement dans les éléments, comment les paroles
de consécration de l’eucharistie opèrent-elles ? Si elle est
dans les deux, ou il y aura une seule vertu, et cela est impossible puisqu’un
accident ne peut pas être dans deux sujets; ou il y aura deux vertus,
et il y aura alors deux vertus dans un sacrement, ce qui semble absurde.
Si tu dis : ce sera deux parties partielles, on te répondra que ça ne
se peut pas, parce qu’elles devraient concourir en même temps
à l’œuvre. Or, il arrive qu’une partie du sacrement prenne
plus de temps qu’une autre, comme quand quelqu’un se confesse
un jour et est absout un autre jour. On ne peut donc pas comprendre
(comme le dit Kemnitius) ce qu’est cette vertu, quand elle advient, et
quand elle cesse.
À ces arguments, on peut répondre de trois façons. La première.
Avouer son ignorance tout en satisfaisant les hérétiques, et en même
temps, en leur fermant la bouche. Car, nous sommes tenus de
rendre raison de l’objet de notre espérance (1 Pierre 111), mais
nous sommes tenus à le faire cela avec des principes de foi, non de métaphysique.
Car, saint Augustin (livre 3) dit au sujet des mérites des pécheurs…chapitre
4 : il dit en parlant des arguments contre le mode de transmission du péché
originel : « Même si je n’étais pas capable de réfuter ces arguments,
je comprends quand même que je dois m’en tenir aux divines lettres.
»
Et, (dans l’épitre 29 à saint Jérôme), il dit que
quand on lui demandait comment le péché d’Adam se propageait dans ses
descendants, il avait coutume de répondre : « J’avoue que j’ignore
cela, comme j’ignore beaucoup d’autres choses. » Et cependant,
il n’a pas, à cause de cela, fait défaut à la défense de la foi.
Au contraire, il la défendait âprement, montrant qu’il fallait croire
que le péché original se propageait dans les enfants, même si nous en
ignorons le mode, parce que c’est ce que l’Écriture enseigne, ainsi
que la tradition et l’usage de l’Église.
Quelqu’un pourrait répondre aussi que les sacrements sont de vraies
causes de la justification, mais morales, non physiques. Comme est
la vraie cause d’un homicide celui qui ordonne qu’il soit fait, même
s’il ne touche même pas du doigt à l’homme assassiné.
Cette réponse peut être défendue en conservant la foi, (comme le font
Ledesmius et Cano, et comme semblent le penser des anciens scolastiques
comme saint Bonaventure, Scot, Durand, Richard, Okam, Marsile, et Gabriel.)
Tous ces docteurs, en effet, enseignent que les sacrements justifient
vraiment, et cependant ils veulent que ce soit Dieu seul qui produise
la grâce en présence des sacrements, de façon à ce que les sacrements
ne soient pas des causes physiques.
Mais je pense qu’est de loin plus probable et plus sure la sentence
qui donne aux sacrements une vraie efficacité. Parce que les pères
enseignent souvent que les sacrements n’agissent pas avant d’avoir
reçu de Dieu la vertu, la bénédiction ou la sanctification.
Et ils réfèrent l’effet du sacrement à la toute-puissance divine.
Et ils le comparent avec de vraies causes efficientes, comme nous avons
vu plus haut. Deuxièmement. Parce qu’il n’y aurait
pas de différente entre le mode d’agir des sacrements et des signes
magiques. Troisièmement. Car, l’homme ne serait pas, dans
l’action même du sacrement, un ministre de Dieu. Mais, par une
action, l’homme présenterait un signe, et, à la vue de ce signe,
Dieu, par une autre action, infuserait sa grâce, comme quand l’un
montre la facture à un marchand, et un autre la paye. Or, les Écritures
enseignent que c’est Dieu qui baptise par l’homme, comme nous l’avons
déjà dit.
Troisièmement. On peut répondre, avec saint Thomas, (3 quest
LX11, art 4) que les sacrements sont des causes efficientes, même physiques,
mais instrumentales; et que la vertu qui leur est divinement répartie
n’est pas une qualité neuve spirituelle inhérente, ou corporelle, mais
seulement un mouvement ou un sage de Dieu. Car, par le fait que Dieu
se sert de cette action sacramentelle pour produire une grâce, il l’élève
et la fait atteindre un effet surnaturel qu’elle ne pourrait pas atteindre
si elle était mue par quiconque d’autre.
Pour bien comprendre cela, il faut noter quatre choses. La première.
Il y a une grande différence entre les instruments dont se sert Dieu,
et dans ceux dont se servent les hommes. Il y a, pour tout dire, cinq différences.
La première. L’homme a besoin d’une double application, une qu’il
s’applique par un instrument, comme quand il tient une hache dans sa
main. Le premier mouvement est dans l’homme, le dernier dans
l’instrument. Or, Dieu n’a pas besoin de la première application,
et il est très présent à toutes choses. Voilà pourquoi
le mouvement par lequel Dieu meut les sacrements est seulement une application
du sacrement à l’œuvre. Il est dans le sacrement, et non en Dieu.
La deuxième. L’homme a besoin d’un instrument qui soit naturellement
apte à telle œuvre. Il ne pourrait pas fendre du bois avec une
égoïne, à moins qu’elle soit en fer et bien effilée. Mais Dieu
n’a pas besoin de la capacité d’un instrument, puisqu’il serait
capable de tout faire seul. Il se sert d’un instrument parce qu’il
lui plait d’honorer ainsi la créature, et de montrer en lui sa
puissance. Comme si quelqu’un voulait, à dessein, voulait se servir
d’une plume peu idoine. Il s’ensuit donc qu’il n’est pas
nécessaire de mettre dans le sacrement une qualité inhérente qui le
perfectionne formellement. Il suffit que Dieu veuille se servir de
ce sacrement, car il n’a pas besoin d’un instrument possédant toutes
les qualités requises.
La troisième. Quand l’homme se sert d’un instrument,
il est nécessaire que, en plus du mouvement de cet homme qui meut l’instrument,
l’instrument lui-même concoure par sa vertu naturelle, et opère ce
qui lui est propre. Exemple. Quand un ébéniste se sert
d’une hache pour faire une chaise, il ne suffit pas qu’il sache
comment frapper, mais il faut aussi que la hache soit bien aiguisée.
Or, quand Dieu se sert d’un instrument, il n’est pas nécessaire que
cet instrument opère quelque chose dans le sujet par sa vertu naturelle.
Et s’il opère quelque chose, cette opération n’est pas la cause de
l’effet divin, en tant qu’opération, mais seulement en tant
que chose dont Dieu a voulu se servir pour produire tel effet.
Ce qui nous permet de comprendre que dans l’utilisation de plusieurs
sacrements, n’est requise aucune action qui leur soit propre et naturelle,
comme on le voit dans l’absolution, le mariage et la consécration de
l’eucharistie. Dans certains sacrements, est requise une action
appropriée, comme le lavement ou l’onction, comme nous l’avons déjà
dit, cette action naturelle n’étant pas une cause, mais, une certaine
chose.
Il s’ensuit que la motion ou l’utilisation que Dieu fait du sacrement
n’est pas seulement la vertu de l’agent empreinte dans l’instrument,
mais la totalité de la vertu par laquelle il agit. Car, ce qui est
dans le tranchant d’une hache et la vertu de l’agent imprimée en elle,
tout cela, dans les sacrements, n’est que la motion de Dieu.
La cinquième différence découle de ce que nous venons de dire.
L’homme ne peut pas se sertir d’un instrument sans toucher la chose
dans laquelle l’effet est produit. Car l’instrument doit produire sur
le sujet son action propre et corporelle, puisque l’action corporelle
ne se fait pas sans contact. Or, Dieu peut, par ce qui est dans un
lieu, agir sur une chose qui est dans un autre lieu très éloigné.
Il faut noter, en second lieu, que tous concèdent que Dieu peut se
servir de n’importe lequel instrument, même les plus ineptes, pourvu
qu’il les rende lui-même aptes à ce qu’il veut leur faire faire.
Mais même cela n’est pas nécessaire. Car, Dieu peut avec
un instrument inepte et qui demeure tel, effectuer ce qu’il veut.
Comme peut un excellent copiste se servir si dextrement d’une mauvaise
plume qu’il parvienne, avec elle, à former de magnifiques
lettres. Nous en avons un exemple dans saint Jean V, où quand l’ange
descendait, et quand l’eau bougeait, toutes les maladies, par cette
eau, étaient guéries. Ce qui fut une figure du baptême,
conne nous l’avons dit plus haut.
Voilà pourquoi, en imitant cette façon de parler, les pères ont
souvent dit que les sacrements n’opéraient que quand descendait
en eux l’Esprit saint. Voir Tertullien (dans son livre sur le baptême),
saint Ambroise (livre 1, chapitre 7 sur l’Esprit Saint), saint
Jean Chrysostome (Jean chapitre 5), et, au même endroit, Theophylactus
et Theophile d’Alexandrie (livre 1 sur Pâques). Pour une raison
semblable, quand Dieu voulut conserver le monde par la prédication de
l’évangile, il pouvait choisir des hommes éloquents, ou rendre éloquents
des hommes frustres. Mais il n’a pas voulu choisir cette façon
de faire. Il préféra choisir des hommes frustres qui parlaient
simplement et sans art, et c’est par eux qu’il a converti le
monde.
Troisièmement, il faut noter que la vertu des sacrements est parfois
dans l’élément, parfois dans la parole, et parfois dans l’un
et l’autre. Car, l’action sacramentelle est proprement
une action du ministre qui donne le sacrement, et non l’action de celui
qui le reçoit, la réception du sacrement étant notre œuvre propre.
Or, le sacrement n’est pas notre œuvre propre, mais celle de Dieu.
L’action du ministre est celle dont Dieu se sert comme d’un instrument
en vue de la justification. Quand donc un ministre se sert d’éléments
et de paroles, comme dans le baptême, la confirmation et l’extrême
onction, c’est alors que Dieu se sert aussi des éléments et des
choses; et la vertu de Dieu est dans les éléments et dans les paroles.
Et il faut que ces deux choses concourent en même temps, autrement,
rien ne se ferait. Quand un ministre ne sert que de paroles,
la matière du sacrement se trouve dans le récipiendaire. Alors
la vertu n’est que dans les paroles C’est ce qui se passe dans
les sacrements d’absolution, de mariage, et de consécration de l’eucharistie.
Car le ministre n’emploie pas les péchés du pénitent pour les effacer,
ni du pain pour consacrer quelque chose, mais des paroles pour consacrer
le pain.
Et voilà pourquoi il ne répugne pas au sacrement de pénitence qu’on
dise les péchés un jour et que le pénitent soit absous un autre
jour. Car, la vertu opérative n’est pas dans les péchés, mais
dans l’absolution. Dans la consécration de l’eucharistie est
requis, cependant, le pain, non parce que la vertu opératoire serait dans
le pain, mais parce que si le pain n’était pas présent
il n’y aurait pas de matière sur laquelle le sacrement agirait.
Or, dans l’absolution, même s’il n’y a pas de confession, il y a
cependant un homme sur lequel tombe l’absolution. Il arrive aussi
que, parfois, le ministre n’utilise qu’un seul élément, comme
quand il offre l’eucharistie, et, alors, la vertu n’est que dans un
seul élément.
Quatrièmement. Il faut noter que la grâce justifiante n’est
pas proprement créée, ni tirée du pouvoir naturel de l’âme, mais
est induite de la puissance obédientielle. Voilà pourquoi
saint Thomas ne se contredit pas quand il dit qu’une créature ne peut
pas concourir instrumentalement à la création, et que les sacrements
concourent, quand même, à la production de la grâce dans l’âme.
Je m’explique. Ce qu’on appelle être créé au sens propre,
c’est ce qui se fait indépendamment du sujet. On dit qu’est
tiré de, ce qui dépend du sujet dans le devenir, dans l’être,
et dans l’agir. On peut donc dire que l’âme rationnelle est
vraiment créée, même si cela se fait dans le corps, car cela ne dépend
en aucune façon du corps. En effet, , il est évident que l’âme
peut être séparée du corps, et opérer quand même; et qu’elle
a d’abord été une nature qui subsiste par elle-même, avant d’avoir
été infusée dans le corps.
Et la grâce est une qualité spirituelle, qui dépend de toutes
les façons du sujet, et c’est pour cela qu’elle en est tirée.
Mais elle n’en émane pas comme d’une puissance naturelle, parce que,
dans l’homme, un tel pouvoir n’existe pas. Autrement, la grâce
serait une chose naturelle. Il importe assez peu, ici, que
la grâce ne puisse provenir que de Dieu, car même l’âme ne peut être
créée que par Dieu, et est, quand même, une chose naturelle.
La grâce ne donne donc pas à l’homme un être naturel,
mais surnaturel.
Il y a, toutefois, dans l’homme, une capacité naturelle à la grâce,
car il convient naturellement à l’homme de recevoir la grâce, comme
l’enseigne saint Augustin (au chapitre 5 de la prédestination des saints),
et on peut appeler cette capacité une capacité obédientielle, car même
si elle ne peut pas naturellement concourir activement ou passivement à
la production de la grâce, elle est d’une nature telle qu’elle peut
devenir tout ce que Dieu voudra qu’elle devienne, et c’est ce qu’on
appelle la puissance obédientielle.
Cette éduction de la grâce de la puissance obédientielle ne répugne
ni à ce que disent les théologiens, ni à ce qu’enseigne le concile
de Trente qui (à la session 6, chapitre 7) décrète que la grâce
est infusée. Car, l’infusion s’oppose à l’acquisition, non
à l’éduction. Car, c’est ainsi qu’on distingue la science
infuse de la science acquise. Cela ne veut pas dire qu’aucune n’a
été tirée de la puissance de l’intelligence, mais qu’une est acquise
par un travail approprié, et que l’autre est donnée par Dieu
seul sans labeur.
Et si on raison d’appeler infuse la science des choses naturelles
que Dieu avait donnée à Adam et à Salamon, sans effort de leur part,
même si elle a été tirée d’une puissance naturelle, à combien
plus forte raison dit-on que doit être infusée la grâce qui est
donnée par Dieu seul, et à laquelle la puissance naturelle ne correspond
pas.
À partir de ces réflexions préliminaires, je réponds à l’argument
de Zwingli en niant la conséquence. Car, une chose corporelle
peut agir dans l’âme non de par sa nature, mais par la vertu de Dieu.
Voilà pourquoi saint Augustin (dans son traité 88 sur saint Jean)
n’a pas craint de dire : « L’eau touche le corps et purifie
le cœur. » Et le feu véritable et corporel peut tourmenter et
torturer les âmes et les démons. Bien plus, nous expérimentons
que nos âmes, qui sont pourtant des esprits, sont affectées, d’une
façon étonnante, par les affections du corps. Nous expérimentons
aussi comment nos corps retiennent nos âmes comme dans une prison.
Car l’âme ne peut pas, même s’il elle le voulait, se séparer du
corps, bien que le corps ne soit qu’un corps, et que l’âme soit un
esprit.
À la première confirmation, on a déjà répondu que n’a pas besoin
de contact ce qui agit par son action propre et naturelle.
À la deuxième, je dis d’abord que la citation de saint Augustin est
inopportune. Car, quand saint Augustin dit que c’est une plus grande
chose de justifier un impie que de créer le ciel et la terre, il ne veut
pas dire que c’est plus difficile d’infuser l’habitus de la grâce
dans l’âme que de créer le ciel. Il veut plutôt dire (comme
il l’explique lui-même au même endroit), que c’est une plus grande
œuvre de miséricorde de justifier un impie que de créer la terre.
C’est aussi une œuvre plus noble, car le ciel et la terre passeront,
mais le salut des élus ne passera pas.
Voilà pourquoi il dit, au même endroit, que les fidèles coopèrent
avec Dieu dans leur justification, qu’ainsi, les fidèles concourent
à une œuvre plus grande que la création du ciel et de la terre.
Deuxièmement. Il n’est pas impossible à une créature de concourir,
comme un pur instrument de Dieu, à la vraie création.
Saint Thomas, au lieu cité, nie cela de la créature qui concourt en disposant
le sujet par sa propre action. Troisièmement. J’ai déjà
prouvé que la grâce, au sens propre du terme, ne peut pas être créée.
À la troisième confirmation, on peut dire, que dans les choses successives,
un dernier intrinsèque n’est pas donné; et que donc la justification
est donnée dans la dernière partie sensible, non dans la dernière, qui
n’est rien. Ou on doit dire que la justification se produit dans
l’instant où finit l’action sacramentelle. Car, même si l’action
cesse négativement selon ses parties, c’est-à-dire, n’existe plus
dans la première, elle cesse, cependant, affirmativement, c’est-à-dire
par la dernière de son être, quant à son terme. Car,
comme dans une ligne on ne peut pas distinguer une dernière partie, mais
on peut détecter le dernier point où se termine la ligne, il en est de
même dans le temps et le mouvement.
Mais, disent-ils, alors, ce n’est pas une action sacramentelle.
Je réponds qu’elle l’est au plus haut point, de la façon dont une
chose successive peut l’être. Car, une chose qui existe dans la
succession n’est jamais par toutes ses parties existantes
dans la chose, mais elle a toujours quelque chose d’indivisible, qui
est soit le commencement, soit la fin, soit ou la continuité d’une chose
successive. Et c’est par cela qu’on dit qu’elle existe.
Et on dit qu’elle existe parfaitement quand cet indivisible termine l’action.
Cela se manifeste dans le temps. On ne dit qu’il est une heure
que quand elle est révolue. Et également dans la parole. Elle signifie
parfaitement quelque chose quand elle est arrivée à son terme.
Au sujet de la quatrième, j’ai déjà dit que cette vertu est corporelle,
parce qu’elle est le mouvement d’une chose corporelle, même si on
peut dire qu’elle est spirituelle en raison de sa cause et de son effet.
À la cinquième, je dis que cette vertu est en partie dans une partie
du sacrement, et en partie dans une autre partie. Elles ne sont pas
pour autant superflues ou inutiles, car cette particule opère dans la
vertu de toutes les précédentes. Comme un discours signifie
parfaitement quand la dernière parole a été prononcée, qui ne donnerait
pourtant aucun sens si elle n’était pas précédée des autres.
Et la finition d’un mouvement est acquise par la dernière mutation,
qui, cependant, ne pourrait rien faire, si les autres ne l’étaient pas
venues avant.
À la sixième j’ai déjà répondu que la vertu est tantôt dans
les paroles, tantôt dans l’élément, et tantôt dans les deux.
Au dernier je dis que cela leur semble une chose difficile parce
qu’ils s’imaginent qu’il faille insérer une qualité spirituelle
dans une chose corporelle. Mais ceux qui comprennent que ce genre
de qualité n’est pas nécessaire n’éprouvent pas ce genre d’angoisses.
CHAPITRE 12
On explique la controverse qui porte sur la différence entre
les sacrements de la loi ancienne et de la loi nouvelle.
Suit l’autre question sur l’effet des sacrements : est-ce que justifier
par l’œuvre opérée (ou l’opération de l’œuvre) est quelque
chose qui est propre aux sacrements de la nouvelle loi, ou est commun aux
sacrements des deux lois ? Cette question comportera quatre parties.
La première. La présentation de la sentence des hérétiques. La
deuxième. Celle des catholiques. La troisième. Nous
prouverons la vérité. La quatrième. Nous résoudrons les objections.
La première. Les catholiques et les hérétiques s’entendent
pour enseigner qu’il y a au moins six différences entre les sacrements
de la loi ancienne et de la nouvelle. La première. Que nous
avons maintenant de nouveaux rites externes, qui sont différents de ceux
qu’ils avaient. La deuxième. Que nos sacrements sont moins
nombreux que les leurs. La troisième. Que les nôtres sont plus
faciles, comme il appert de la circoncision et du baptême.
La quatrième. Que les nôtres sont plus nobles en raison de leur
auteur, parce qu’ils ont été institués et promulgués par le Christ,
tandis que les anciens ont été promulgués par Moïse, s’ils n’ont
pas été institués par lui. La cinquième. Parce qu’ils ont été
des figures des nôtres. La sixième. Les sacrements de l’ancienne
loi ont été donnés pour un temps, c’est-à-dire jusqu’à l’avènement
du Messie, tandis que les nôtres dureront jusqu’à la fin du monde.
On tire toutes ces données de saint Augustin (épitre 118 à Januarius,
livre 3 sur la doctrine chrétienne, chapitre 9, et livre X1X contre
Faust, chapitre 13, sur le psaume LXXX111.
On se demande donc si, en plus de ces différences, la distinction
la plus importante ne portait pas sur l’effet principal des sacrements,
qui est la justification du pécheur. Les hérétiques de notre temps
ne voient, à ce sujet, entre les deux testaments, aucune différence,
même s’ils ne sont pas tous d’accord entre eux.
D’abord, les anabaptistes, les carolstadiens, et les zwingliens
qui, (comme nous l’avons montré plus haut) n’attribuent aux
sacrements que de pouvoir discerner les fidèles des infidèles, ou d’être
une sorte de profession de fidélité, ou une admonition de bonnes choses,
sont forcés d’accorder plus de choses aux sacrements de l’ancienne
loi qu’à ceux de la nouvelle . Car la circoncision, qui demeure
toujours et qu’on peut voir distinguait mieux les Juifs des Goïm que
le baptême, qui n’est donné qu’une fois, ne distingue les chrétiens
des non chrétiens. Et, pour la même raison, la circoncision est
un meilleur rappel que le baptême d’être fidèle et de faire des bonnes
œuvres.
Luther, qui veut que les sacrements servent à exciter la foi, attribue
la même chose aux sacrements de la loi ancienne. Voilà pourquoi
il dit (dans la captivité de Babylone, au chapitre sur le baptême) :
« C’est une erreur d’enseigner que les sacrements de la loi nouvelle
diffèrent de ceux de la loi ancienne par rapport à l’efficacité
de la signification, c’est-à-dire que les nôtres signifient efficacement
en opérant ce qu’ils figurent, mais pas les leurs. » Et
il répète la même chose dans l’assertion de l’article 1.
Il est à noter que Luther distingue deux genres de signes anciens
(dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre du baptême).
Il dit qu’il il y en avait quelques-uns qui avaient, annexée,
une parole de promesse, et qui exigeaient donc la foi, comme le signe de
l’arc-en-ciel donné à Noé, le signe de la rosée sur la toison de
Gédéon, le signe du recul du soleil donné par Isaïe au roi Ézéchias,
et d’autres semblables. Il déclare que ces signes ont été de
vrais sacrements, et qu’ils sont égaux aux nôtres quant à l’efficacité.
Il y en a eu d’autres qui n’avaient pas une promesse annexée,
comme toutes ces cérémonies légales par lesquelles les hommes expiaient
leurs péchés. Il dit que ces cérémonies ne furent pas de vrais
sacrements, et qu’elles sont de loin inférieures à nos sacrements.
Voilà pourquoi (dans l’homélie 1 sur le baptême, au début de la deuxième
partie), il s’en prend aux anabaptistes qui n’attribuaient pas plus
à notre baptême qu’aux lavements judaïques. Comme s’il attribuait
beaucoup de choses au baptême lui qui n’a pas craint de le mettre sur
un pied d’égalité avec l’arc-en-ciel.
De plus, cette distinction de Luther révèle une autre erreur, qu’on
peut considérer comme un paradoxe, à savoir qu’il ne veut pas que soient
des sacrements ceux qui, par tous les anciens, ont été vus comme des
sacrements, comme les lavements judaïques, l’agneau pascal,
les sacrifices et autres choses semblables; tandis qu’il veut que soient
des sacrements ceux qui n’ont jamais été considérés comme tels, même
pas en dormant, par qui que ce soit, comme l’arc-en-ciel, la toison
de Gédéon, l’ombre de l’horloge du roi, etc.
Calvin est du même avis que Luther. Il enseigne que les sacrements
de l’ancienne loi justifient de la même manière que les nôtres, c’est-à-dire
en nourrissant la foi. Car (au livre 4, chapitre 14, verset
23). Il écrit : « Ce dogme des scolastiques, qui établit une si
grande différence entre les sacrements de l’ancienne loi et ceux de
la nouvelle, comme si ceux de l’ancienne loi ne faisaient que recouvrir
de leur ombre la grâce de Dieu que les sacrements de la loi
nouvelle seraient les seuls à donner, ce dogme, dis-je, doit être
désapprouvé. » Il dit des choses semblables (dans son antidote
du concile de Trente, session 7, canon 2).
Il diffère, cependant, de Luther sur deux choses.
La première. Il estime que les sacrements de la loi nouvelle donnent une
grâce plus abondante que les sacrements de l’ancienne loi, car ils excitent
la foi plus clairement. Et donc, une plus grande foi justifie davantage
: « Nous ne nions pas, pour autant, que, dans le royaume du Christ, on
reçoive plus abondamment la grâce. »
Luther, lui, mettait sur un pied d’égalité les anciens et les nouveaux
sacrements. Deuxièmement, comme nous l’avons déjà montré,
il ne veut pas que soient des sacrements égaux aux nôtres toutes
les cérémonies judaïques, mais seulement celles qui ont des promesses
annexées. Mais Calvin considère toutes les cérémonies comme
des sacrements qui confèrent la grâce, même si non aussi abondante que
la nôtre. Car, (dans son livre 4, chapitre 14, verset 21), il
fait entrer les purifications des Juifs parmi les sacrements. Et, au chapitre
26, il enseigne la même chose plus longuement. Et bien que l’un
et l’autre erre, Calvin enseigne de façon moins absurde que Luther.
CHAPITRE 13
On explique les sentences des catholiques
Quant au second, tous les catholiques conviennent que les sacrements
de l’ancienne loi ne conféraient pas la grâce par l’opération
de l’œuvre (l’œuvre opérée). Car, c’est ce qu’enseignent tous
les théologiens (1V, dist 1), et c’est ce qu’a défini le concile
de Florence (dans son instruction aux Arméniens), ainsi que le concile
de Trente, même si plus brièvement et plus obscurément, car (session
7, chapitre 2) il n’était pas nécessaire qu’il définisse cette
vérité.
On doit noter ici, que ces conciles n’ont pas défini (comme nous
le reproche de façon mensongère et calomnieuse Kemnitius, dans 2 par
examen, pages 58 et 59) que les anciens pères n’avaient pas la grâce
de Dieu méritée par le Christ, ou qu’il l’ait eue sans aucun organe
ou moyen capable d’appliquer les mérites du Christ. Car, les conciles
ne parlent pas de ces choses. Ils affirment seulement que la différence
qui existe entre nos sacrements et les leurs est que les nôtres confèrent
la grâce que les leurs ne faisaient que signifier.
Il ne s’ensuit pas pour autant que les anciens pères n’aient
pas eu la grâce, ou qu’ils l’aient eue par un instrument capable
d’appliquer les mérites du Christ. Car, même s’ils ne l’ont
pas eue par les sacrements, cette grâce, ils l’ont eue tout de même
par la foi, comme encore maintenant les adultes sont justifiés par la
foi et la contrition, avant même qu’ils aient accès aux sacrements.
Or, même si les catholiques s’entendent entre eux sur ce principe,
et différent avec les hérétiques de notre temps, il y a quand
même, chez eux, deux questions, dont je dirai quelques mots,
qui sont des opinions. Cela, en effet, s’avère nécessaire pour
donner une meilleure explication de la controverse en cours, et pour pouvoir
mieux réfuter les calomnies des hérétiques.
La première question porte sur les sacrements de l’ancienne
loi, à l’exception de la circoncision : est-ce qu’ils justifiaient,
au moins, par l’œuvre de l’opérant ? Le maître des sentences
(4, dist, 1) le nie. Il dit, en effet, que ces sacrements
ne justifiaient pas, même s’ils étaient reçus dans la foi et la charité,
car ils étaient donnés comme des fardeaux à porter, non pour justifier.
La deuxième sentence est commune aux théologiens. Ils enseignent
que ces sacrements justifiaient par l’œuvre de l’opérant, c’est-à-dire
par la foi et la dévotion de celui qui les recevaient. Et cette
sentence est très vraie. Car, véritable est la sentence de l’apôtre
aux Romains 11 : « Ceux qui font la loi sont justifiés. » Même
si cette justification n’est pas proprement sacramentelle, mais est commune
à toutes les bonnes œuvres qui se font dans la charité. Elle n’est
pas non plus la justification première, mais seconde.
Kemnitius (2 par examen, page 58) vocifère que cette sentence
milite directement, et de front, avec saint Paul qui, aux Romains 1V, enseigne
expressément qu’Abraham n’a pas été justifié par les œuvres.
Cette objection provient d’une incompétence crasse. Car, saint
Paul parle des œuvres qui se font par les seules forces du libre arbitre,
par lesquelles forces nous nions, nous aussi, que quelqu’un soit
justifié. Quand les théologiens disent que les sacrements de l’ancienne
loi justifiaient par l’œuvre de l’opérant, ils parlent d’une œuvre
qui provient de la grâce de Dieu. Car l’œuvre de l’opérant
il l’appelle foi, charité, obéissance, qui sont toutes des dons de
Dieu, puisqu’on ne peut pas les avoir sans une aide spéciale de Dieu.
C’est de ces œuvres dont parle saint Paul aux Romains 11 : « Ceux qui
font la loi sont justifiés. » Et saint Jacques (au chapitre 11)
: « Abraham n’a-t-il pas été justifié par ses œuvres ? »
L’autre question porte sur la circoncision, qui n’est par proprement
un sacrement de la loi de Moïse, mais de la loi naturelle.
Comme saint Jean dit, au chapitre V1 : « La circoncision ne vient pas
de Moïse, mais des pères. » Or, sur la circoncision, il
y a deux opinions.
La première est celle d’Alexandre (par 4, question V11,
membre 7. Art 4), de saint Bonaventure, de Scot, et de Gabriel (4,
dist, 1) qui admettent que la circoncision justifiait par l’œuvre
opérée. Mais plusieurs arguments militent contre cette sentence.
D’abord, quand l’Écriture dit que les sacrements étaient de purs
éléments, loin d’exclure la circoncision, c’est plutôt d’elle
qu’elle parle, comme nous le verrons plus loin. Deuxièmement,
les conciles de Florence et de Trente n’attribuent qu’à nos sacrements
le pouvoir de justifier.
Ne vaut pas non plus ce que disent certains à savoir que quand
ces conciles nient que les sacrements de l’ancienne loi justifient, ils
ne parlent que des sacrements mosaïques, c’est-à-dire qui ont été
promulgués par Moïse, et non de la circoncision, qui est un sacrement
de la loi naturelle donnée à Abraham et non à Moïse. Cette restriction
ne vaut rien, car ces conciles se proposaient d’expliquer l’excellence
des sacrements de la nouvelle loi, laquelle n’est pas moins obscurcie
si les sacrements de la naturelle sont égaux aux nôtres, que si on attribuait
la chose aux sacrements de la loi écrite.
De plus, comme Dieu procédait pas à pas dans la loi, il avait
donné à l’état de nature une loi plus imparfaite que dans celui
de la loi écrite, et à l’état de la loi écrite une loi plus imparfaite
que dans celui de l’Évangile. Sans doute possible, il a procédé
ainsi dans les sacrements. En conséquence, si les sacrements de
la loi mosaïque ne justifient pas, les sacrements de la loi naturelle
justifient encore moins.
Mais il faut noter que cette première sentence ne favorise pas les
hérétiques de notre siècle, même si un sacrement ancien quelconque
était égal aux nôtres. Car, quand les hérétiques mettent sur
un pied d’égalité les sacrements anciens et les nouveaux, ils
n’exaltent pas les anciens, mais abaissent et ravalent les nôtres.
Or, cette première sentence ne rabaisse pas nos sacrements, mais relèvent
les anciens.
La deuxième sentence est celle de saint Thomas ( 3 par quest LXX,
art 4) et des disciples de Saint Thomas, Capreolus, Sotus, Lesdemius, et
d’autres (dans 1V dist 1 ou 2) qui enseignent que la circoncision ne
justifiait pas, de par sa propre vertu, mais justifiait quand même en
tant qu’elle était une profession de foi, et qu’elle mettait la foi
en application. Ces auteurs veulent donc que les anciens aient été justifiés
par le mérite de la passion du Christ, comme nous sommes justifiés, nous;
mais que ce mérite nous est appliqué par les sacrements, et aux Hébreux
par la seule foi. Laquelle foi requérait, comme condition sans laquelle
elle ne pouvait rien opérer, le sacrement de circoncision. Cette
sentence, sans aucun doute, est plus probable, mais parce que nous ne nous
sommes proposé que de défendre la foi contre les hérétiques, laissons
cela, et passons au troisième chapitre.
CHAPITRE 14
Il nous faut maintenant prouver la vérité. Nous prouverons
qu’aucun sacrement de la loi naturelle ou écrite ne justifiait par l’œuvre
opérée (l’opération de l’œuvre), ou selon la façon dont
justifie le sacrement de la nouvelle loi. Et cela, contre tous les
hérétiques de ce temps, et aussi contre ceux qui attribuent à la circoncision
la justification par l’œuvre opérée.
Le premier argument est tiré des divines lettres. Car, les prophètes
et les apôtres enseignent à l’unanimité que les anciens sacrements
ne justifiaient pas, tandis qu’ils enseignent le contraire des
nôtres. Psaume XXX1X : « Je n’ai pas voulu de sacrifice et d’oblation…et
je n’ai pas demandé d’holocauste pour les péchés. » L’Écriture
ne nie pas que Dieu ait voulu des sacrifices, puisque c’est lui-même
qui les a commandés, mais il nie les avoir voulus pour l’expiation des
péchés. » Saint Paul L : « Si tu avais voulu un sacrifice (pour
l’expiation du péché), je te l’aurais donné volontiers, mais tu
ne désires pas d’holocauste. Le sacrifice pour Dieu est un esprit contrit.
» Dans ce texte, l’Écriture oppose le sacrifice à la contrition;
et elle nie de l’un ce qu’elle affirme de l’autre. Ce qu’elle
ne ferait pas si l’un et l’autre concourraient à la justification.
Car, il ne serait pas permis de dire que Dieu ne veut pas le baptême,
mais la contrition.
Le troisième texte. Isaïe 1 : « Qu’est pour moi la multitude de
vos victimes ? Qui a demandé cela de vos mains ? » Le quatrième.
Jérémie X1 : « Est-ce que les chairs saintes enlèveront de toi les
méchancetés dans lesquelles tu te glorifies ? » On parle là du
sacrifice pour les péchés. Et il est certain qu’on ne dirait
pas du baptême : Est-ce que le baptême enlèvera de toi tes malices
? Le cinquième texte est d’Amos V : «
Si vous m’offrez vos holocaustes et vos dons, je ne les accepterai pas,
et je ne regarderai pas vos offrandes de graisse. » Or, si
les sacrifices ne justifiaient pas, les autres cérémonies justifiaient
encore moins, car aucune cérémonie n’a une promesse de rémission des
péchés plus grande que ne l’ont les sacrifices.
On prouve la même chose avec les paroles de l’apôtre. Romains
111 : « Qu’est-ce que le Juif a de plus, ou quelle est l’utilité
de la circoncision ? Grande de toute façon. D’abord, parce
que c’est à eux qu’ont été confiées les paroles de Dieu. » Ce
d’abord, (comme en témoignent aussi Calvin et Pierre le martyr dans
leurs commentaires), n’est pas le premier mot d’une énumération,
comme si saint Paul voulait présenter un grand nombre d’utilités.
Mis il signifie surtout, principalement, car il ne décrit pas d’autres
utilités.
Selon l’auteur Paul, les Juifs circoncis surpassaient les païens
seulement parce qu’ils avaient la loi de Dieu et les oracles des prophètes.
Ce n’était donc pas la circoncision qui justifiait. Car,
autrement ils surpasseraient les païens aussi par la justice, ce que surtout
saint Paul entend réfuter. Voilà pourquoi il ajoute un peu
après : « Eh bien ! Leur sommes-nous supérieurs ? Non pas.
Nous avons été blessés nous aussi. Les Juifs et les Grecs, nous sommes
tous sous le péché. »
Dans ce texte, après avoir dit que les Juifs l’emportaient sur les
Gentils par la circoncision, parce que les paroles de Dieu leur avaient
été adressées, Il nie quand même que les Juifs soient supérieurs
aux Gentils. Car ils ne l’emportent pas par ce qui a trait à la
justification, de quoi il était question. Car, les circoncis comme
les incirconcis sont tous pécheurs. Par ces paroles, il enseigne
clairement que la circoncision ne justifie pas. Car, il ne
veut pas dire que personne n’a été juste avant l’avènement du Christ,
puisqu’il appert que les patriarches, les prophètes et beaucoup de Gentils
ont été justes, comme Melchisédech, Job et d’autres.
Mais il veut dire qu’ils n’ont pas été justes du fait
qu’ils aient été circoncis ou incirconcis, mais parce qu’ils
croyaient dans le Messie futur. L’apôtre ajoute au même endroit
: « Par les œuvres de la loi, aucune chair ne sera justifiée devant
Dieu. » Qui donc pourrait nier que la circoncision ait été
une œuvre de la loi ? Au même endroit : « Dieu est-il seulement
le Dieu des Juifs ? Ne l’est-il pas aussi des Gentils ? Oui,
des Gentils aussi. Car, il n’y a qu’un seul Dieu qui justifie,
la circoncision par la foi, et le prépuce par la foi. »
C’est comme s’il disait : Dieu est le Dieu de tous. Comment donc
est-il croyable que Dieu n’ait donné qu’aux Juifs un remède contre
le péché ? Nous pouvons, nous, à partir de là, argumenter
autrement. Dieu est-il seulement le Dieu des hommes ? Ne l’est-il
pas aussi des femmes ? Qui donc croira que Dieu n’ait donné
un remède qu’aux seuls hommes ?
Le second texte vient de Romains 1V, où l’apôtre prouve péremptoirement
qu’Abraham n’a pas été justifié quand il était circoncis, mais
quand il était encore incirconcis. Et il en déduisait que la circoncision
n’avait pas été donnée pour qu’elle justifie. Si donc le premier
à qui elle a été donnée ne fut pas justifié par elle, combien moins
les autres devaient-ils être justifiés par elle. Le troisième
texte, 1 Corinthiens V11 : « La circoncision n’est rien, l’incirconcision
n’est rien. » S’agissant de la justification, l’apôtre
fait aussi peu de cas de la circoncision que de l’incirconcision.
Le quatrième texte : Galates 1V : « Comment pouvez-vous retourner
à des éléments faibles et impuissants, que vous voulez de nouveau servir.
» Par le mot éléments, il entend la circoncision, dont il parle
surtout dans cette épitre, et en même temps des autres cérémonies légales.
Et il ne dirait certes pas qu’elles sont faibles et impuissantes si elles
pouvaient justifier. Au même endroit il dit que les Juifs ont, comme
des enfants, servi les éléments de ce monde, tandis que nous sommes,
nous, parfaits. Cette distinction ne serait certes pas vraie, si
nos sacrements n’avaient pas une autre vertu que ceux des Juifs.
Le cinquième texte est de Galates V1 : « Ce n’est ni la circoncision
ni le prépuce qui vaut quelque chose, mais une nouvelle créature. »
On voit qu’il oppose ici la nouvelle créature aussi bien à la circoncision
qu’au prépuce. Ce qui serait tout à fait inepte si la circoncision
avait le pouvoir de produire une nouvelle créature. Le sixième
texte est aux Philippiens 111 où Paul dit qu’il considère comme un
détriment la justice qui vient de la loi, et cela, il le répète plusieurs
fois. Ce qu’il ne dirait certes pas s’il avait été justifié
par une cérémonie légale quelconque.
Voilà pourquoi, au même endroit, il parle de la circoncision
comme par moquerie. Il dit, en effet : « Voyez la concision.
» Or, comme l’explique saint Jean Chrysostome, est dit circoncis
ce qui a été coupé dextrement en rejetant le superflu. On dit
qu’a été concis ce qui est coupé à la hâte, en une opération bâclée.
Au même endroit, l’apôtre dit ne pas avoir confiance dans la chair,
et par confiance dans la chair il entend, comme il l’explique lui-même,
confiance dans la circoncision, et autres choses du même genre.
Le septième passage : Colossiens 11, où tous les anciens sacrements
sont appelés des ombres des sacrements futurs, le corps du Christ.
Or, si nos sacrements avaient la même vertu, nous serions encore dans
l’ombre. Il dit, au même endroit : « Vous avez été circoncis
d’une circoncision non faite avec la main, …mais de la circoncision
du Christ, ensevelis avec lui dans le baptême. » Saint Paul
dit ici que la circoncision est faite avec la main, et donc que le baptême
n’est pas fait avec la main, car le baptisant principal est le Christ.
Il n’accorde rien d’autre à la circoncision que d’expulser
de la chair, et il l’oppose au baptême.
Il est à noter que dans le texte grec on a : dans l’expulsion
du corps des péchés de la chair. Il faut donc unir dans l’expulsion
avec vous avez été circoncis, et non avec circoncision faite de main
d’homme, pour que le sens soit : vous avez été circoncis dans l’expulsion
des péchés de la chair, non dans la circoncision faite de main
d’homme, mais dans la circoncision spirituelle du Christ, avec qui vous
avez été ensevelis dans le baptême. De ce texte on tire un argument
semblable, mais d’une autre façon. Car, comme l’expliquent les
Grecs (saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus) Paul enseigne
que la circoncision des Juifs a été la dénudation d’une petite
peau, tandis que la nôtre a été l’expulsion de tout le corps des péchés.
La huitième : Hébreux V11 : « Ce fut une réprobation du mandat
précédent à cause de son impuissance et de son inutilité. »
Il parle là des mandats cérémoniaux, dont le principal était la circoncision.
Le neuvième : Hébreux 1X, où il dit que les cérémonies
anciennes ont été des justices de la chair, qu’elles sanctifiaient
certes la chair, mais seulement pour la purification de la chair.
Le dixième, Hébreux X, où il dit que la loi a eu une ombre des choses,
non l’image elle-même des choses, et qu’elle n’a pas pu rendre parfaits
ceux qui l’observaient; qu’elle n’a pas pu, non plus, enlever
les péchés et purifier la conscience.
Dieu, est-il dit, n’a pas voulu d’hosties et d’oblations,
qui ne lui plaisaient pas. On doit entendre cela par rapport à la
justification par l’œuvre opérée. Car, on ne peut nier que ces
choses lui plaisaient à cause de l’obéissance et de la dévotion de
l’offrant, puisqu’on les appelle une odeur qui, pour Dieu, est
très suave. (Lévit 1).
Mais voyons ce que les adversaires ont à dire sur ces citations.
Luther et les luthériens répliquent que quand les Écritures nient
que les sacrements anciens justifient, on doit entendre cela de ceux qui
n’ont pas une promesse annexée. Or, les passages cités par nous
parlent expressément de la circoncision, qui, comme tous le concèdent,
avait une promesse annexée. De plus, aucune cérémonie judaïque
n’a eu une promesse mieux exprimée que le sacrifice et l’oblation.
Car, au Lévitique 1V, V, e V1, la rémission des péchés est promise
à celui qui offre un sacrifice. Et, de nouveau au Lévitique
XX, XX1, XX11, la sanctification est promise à ceux qui se purifient avec
de l’eau, comme la loi le prescrit. Et cependant, l’apôtre (Hébreux
X), explique longuement qu’il est impossible aux sacrifices et
aux ablutions judaïques de remettre les péchés.
Kemnitius (dans son examen 2 par, page 63, après sa réponse à Luther0,
fait une autre proposition qui est aussi celle de Calvin (livre 4, chapitre
14, versets 23, et 25), et du Martyr (dans chapitre V11, 1 aux Corinthiens).
La voici. Quand l’Écriture réprouve les sacrements anciens
comme étant inutiles, elle ne parle pas des sacrements en eux-mêmes,
mais comme les Juifs les interprétaient de travers, c’est-à-dire des
cérémonies toutes nues, privées de la promesse éloignée et de la foi
dans le Christ. Car, il est tout à fait vrai que les sacrements
n’ont eu aucune valeur pour ceux qui les ont reçus sans la foi.
Je réponds. Il n’y pas, entre nous et les hérétiques, de
débat pour savoir si ces sacrements reçus avec foi étaient profitables.
Car, cela nous l’admettons tous, et c’est ce que disent les scolastiques.
Et les hérétiques leur reprochent à tort d’enseigner que les sacrements
furent utiles aux Juifs par l’opération de l’opérant. Mais
la question à débattre est : furent-ils utiles en tant que sacrements
? Car cette utilité par l’œuvre de l’opérant n’est pas propre
aux sacrements, mais est commune à toute bonne œuvre.
Je réponds ensuite que les sacrements sans promesse et sans foi
ne sont d’aucun profit, et que cela ne convient pas seulement aux sacrements
de la loi ancienne, mais même aux nouveaux, comme les adversaires eux-mêmes
l’enseignent. Et cependant, saint Paul distingue les nouveaux des
anciens d’une façon telle qu’il déclare que les nôtres sauvent,
régénèrent, purifient et justifient. Ephes V, Tit 111, Corinth
1; et que les anciens étaient des éléments pauvres, dénudés,
qui ne valaient rien et qui n’étaient rien. 1 Corinth V11,
Gal V, Hébreux X, et, d’autres. Troisièmement.
Dans ces textes, l’apôtre enseigne que les cérémonies n’ont été
d’aucune utilité pour la justification, là où il dit qu’elles étaient
des ombres et des figures des nôtres. (Colossiens 11, 1, Corinth
X, Hébreux X.)
Saint Paul veut donc que ces sacrements-là aient été inutiles pour
justifier, non seulement parce qu’ils étaient faussement expliqués
par les Juifs, mais aussi par eux-mêmes, en tant que sacrements institués
par Dieu. Non seulement en tant qu’ils étaient expliqués de travers
par les Juifs, mais aussi en eux-mêmes, en tant qu’ils étaient des
sacrements institués par Dieu. Car ils étaient des figures
pour eux qui ne pensaient en rien au Christ, mais qui n’acquiesçaient
qu’au rite lui-même.
En somme, si Paul voulait seulement dire que les sacrements anciens
sans la foi n’avaient aucune utilité, il ne comparerait pas la
circoncision avec le prépuce, et ne dirait pas que la circoncision n’est
rien, et que le prépuce n’est rien. (1 Corinth V11, et Gal V1)
: « Ni la circoncision ni le prépuce ne valent quelque chose. »
Car, le prépuce non seulement n’est rien et ne vaut rien sans la foi,
mais il n’est absolument rien, et ne vaut absolument rien en lui-même.
En plus de cette solution, Calvin en apporte trois autres.
Une (livre 4, chapitre 14, verset22) qui veut que saint Paul ait parlé
des sacrements anciens non absolument, mais comparativement. Et surtout
en Colossiens 11, où il appelle ces sacrements des ombres. Car,
Calvin dit que saint Paul n’a pas voulu nier l’efficacité de
ces sacrements, mais magnifier l’efficacité des nôtres, qui donnent
une plus grande grâce que les leurs.
Je réponds. C’est le contraire qui est vrai, car si nos sacrements
ne différaient des anciens que parce qu’ils donnent une plus grande
grâce, Paul n’aurait pas eu le droit de dire qu’ils n’étaient
rien, qu’ils ne valaient rien; il n’aurait pas comparé la circoncision
avec le prépuce; et n’aurait pas dit que les deux sortes de sacrements
différaient entre elles comme l’ombre et le corps. Car, l’ombre
n’est pas un moindre corps, elle n’est un corps en aucune façon.
Elle n’a rien d’autre qu’une certaine ressemblance avec le corps,
une ressemblance privative, qui n’est rien du tout.
L’autre solution de Calvin se trouve au même endroit, verset 24.
Il soutient que saint Paul parlait des sacrements de l’ancienne
loi au temps où ils avaient été abrogés par le Christ.
Je réponds qu’aux Romains 11, saint Paul dit : « La circoncision est
profitable si tu observes la loi. » Il indique là qu’il parlait
de ce qui convenait à la circoncision quand elle continuait encore.
Car, après l’abrogation, elle n’est pas utile, elle est même dommageable,
comme le même saint Paul le dit à Galates 111.
Saint Paul veut donc dire que quand elle était en vigueur, la circoncision
était utile, non parce qu’elle justifiait, mais parce que les circoncis
avaient la loi de Dieu, et pouvaient plus facilement que les autres trouver
quelle est la volonté de Dieu, comme le même saint Paul l’explique
au chapitre 111 : « Quelle est l’utilité de la circoncision ? Grande
de toute manière. » De même 1 cor V11, quand il disait que la
circoncision n’est rien, il parle du temps où elle était encore en
vigueur.
Car, il avait dit un peu avant : « Il est appelé quand
il est circoncis, qu’il n’ajoute pas un prépuce. Il est appelé dans
le prépuce, qu’Il ne se fasse pas circoncire. » Et le sens est
: est-ce que quelqu’un qui vient à la foi chrétienne du judaïsme ou
du paganisme etc. Il parle donc de ceux qui avaient été circoncis quand
la loi était encore en vigueur, et qui vinrent ensuite à la foi dans
le Christ. Et il les met en garde de ne pas se penser supérieurs
aux autres du fait qu’ils ont été circoncis, car
la circoncision n’est rien.
De plus, aux Galates 1V, il dit que les pères anciens ont servi
sous les éléments de ce monde. De même, à Philipp 111, il dit
qu’il ne met pas sa confiance dans la chair, c’est-à-dire
(comme il l’explique lui-même) qu’il ne se glorifie pas d’avoir
été circoncis le huitième jour. La circoncision qu’il méprise
c’est donc celle qu’il avait reçue quand elle était encore en vigueur.
Dans Colossiens 11 et dans Hébreux X, il les appelle des ombres et
des figures. Or, elles n’étaient des ombres et des figures
qu’avant d’avoir été abrogées. De même, dans Hébreux V11,
il dit que la loi a été abrogée à cause de sa faiblesse et de son inutilité.
Enfin, dans Hébreux X, il enseigne expressément qu’il était impossible
que les péchés soient expiés par les sacrifices et les holocaustes;
et que la raison pour laquelle le Christ était venu, c’était d’accomplir
ce que ces rites étaient impuissant à faire..
La troisième solution est du même, au même endroit, au verset 25.
Calvin dit là que les cérémonies de la loi ancienne étaient appelées
des ombrages n’ont parce qu’elles n’avaient rien de solide, mais
parce que le complément que devait leur apporter le Christ était comme
suspendu. Il ajoute aussi qu’on les appelait des ombres non à
cause de l’efficacité, mais du mode de signification, car elles
signifiaient des choses futures, tandis que les nôtres signifient des
choses passées.
Je réponds d’abord que cette explication démolit le texte.
Car, ce ne sont pas seulement les cérémonies que saint Paul appelle des
ombrages, mais il donne aussi à la circoncision le nom d’ombre.
Deuxièmement. Si la seule raison pour laquelle on les appelait des
ombrages était que leur complémentation était suspendue jusqu’à l’avènement
du Christ, c’est-à-dire parce qu’elles représentaient quelque chose
qui n’existait pas encore, on pourrait appeler les nôtres aussi des
ombrages ou des ombres, car elles représentent la résurrection et la
gloire futures.
Troisièmement. C’est avec une grande impudence qu’il
affirme que saint Paul ne parle pas de l’efficacité, mais seulement
du mode de signification, car les mots n’est rien, ne vaut rien, éléments
pauvres, infirme, inutiles, ne peuvent expier le péché, ces mots-là
ne peuvent s’entendre que de l’efficacité. Enfin, saint
Paul disputait avec les Juifs de l’efficacité et de la justification,
non du mode de signification. Et les Juifs n’étaient pas assez
sots pour ne pas comprendre que, quand ils croyaient dans le Messie, leurs
sacrements signifiaient des choses futures. Et voilà pour le premier
argument.
CHAPITRE 15
On prouve
la même chose avec les pères et les anciens
Le premier est Philo (livre de la circoncision), où il expose toutes
les causes de la circoncision, qu’il affirme avoir reçues des anciens.
Il ne dit pas clairement, et il n’insinue pas obscurément qu’elle
ait été instituée pour apporter un remède au péché. Joseph
(livre 1, chapitre 12, des antiquités) ne donne pas d’autre cause de
la circoncision que de distinguer les Juifs des non Juifs. Et pourtant,
s’il fut jamais quelqu’un capable de savoir pour quelles raisons a
été instituée la circoncision, c’étaient bien ceux-là, car
ils étaient des hébreux, des hommes très instruits, et ils vécurent
au temps où la loi était encore en vigueur.
Justin (dans son dialogue avec Tryphon (avant le milieu) dit : « Du
fait qu’on ne pouvait pas circoncire les femmes, on en déduit que la
circoncision a été donnée comme un signe, non comme une œuvre
de justice. » Et dans presque tout le dialogue, il prouve que la
circoncision ne justifie pas, mais n’a été donnée que pour distinguer
un Juif d’un Goïm. Denys l’aréopagite
(dans son livre sur la hiérarchie ecclésiastique, chapitre 5, partie
1), enseigne que l’église est à mi-chemin entre la synagogue et la
patrie céleste, que la synagogue a eu des sacrements charnels, qui
n’étaient que des ombres et des figures; et que la Jérusalem céleste
avait la vérité à l’état pur, sans aucun signe corporel; et
que, ayant des signes corporels et des dons célestes, notre église communique
avec l’une et l’autre.
Saint Irénée (livre 4, chapitre 30) : « Dieu n’a pas donné la
circoncision comme une pourvoyeuse de la justice, mais comme un signe,
pour qu’on puisse connaitre la descendance d’Abraham. » Et plus
bas : « Mais parce que, par ces choses, l’homme n’était pas justifié,
car elles étaient données comme un signe au peuple, il montre que,
sans la circoncision, Abraham a cru en Dieu, et que cette foi lui a été
imputée à justice. » Voir la même chose au livre suivant, chapitres
28, 29, 32, 34. Origène (dans son livre 11 contre Celse),
dit que les chrétiens ont eu raison de rejeter la circoncision, les sabbats,
et autres choses semblables, parce qu’elles étaient charnelles et corporelles,
et d’être passés à la loi spirituelle de Dieu. De même dans
son homélie 3 sur le Genèse, où, expliquant le précepte de la
circoncision, il oppose la circoncision charnelle des Juifs à la
circoncision spirituelle des chrétiens. Et il veut que, entre nos
sacrements et les leurs, il y ait une différence aussi grande qu’entre
l’esprit et la chair.
Eusèbe de Césarée ( livre 1, chapitre 10, sur la démonstration
évangélique, et dans le livre 1, chapitre 1 de l’histoire de
l’église) enseigne pour quelles raisons des sacrements charnels ont
été donnés aux premiers parents, comme des éléments et des ombres
de choses spirituelles. Eusèbe d’Eumèse, ou quiconque
est l’auteur de ces homélies, dit dans l’homélie sur le sabbat après
le premier dimanche du carême : « Faisons ici trois tentes. »
La première tente est celle de la synagogue, la seconde, celle de l’Église,
la troisième, le ciel. La première a été dans l’ombre et dans
la figure, la deuxième dans la vérité et la figure, et la troisième,
dans la seule vérité. Dans la première, la voie est montrée,
dans la seconde, elle est trouvée, dans la troisième, elle est possédée.
Car les sacrements de l’église n’enseignent et ne montrent pas
seulement un remède, comme ceux de la synagogue, mais ils sont plutôt
eux-mêmes des remèdes, et la rémission des péchés. »
Saint Athanase (sermon sur : « tout m’a été livré par mon père
» vers la fin), enseigne clairement que la circoncision ne fut rien d’autre
qu’une ombre et une figure du baptême, lequel est la circoncision véritable
et spirituelle. Épiphane (hérésie 8, qui est celle
des épicuriens) écrit : « La circoncision fut quelque chose de charnel,
qui a servi pour un temps, jusqu’à la grande circoncision, le baptême,
qui nous circoncit de nos péchés. »
Saint Basile (livre sur le Saint-Esprit, chapitre 14) enseigne : «
Celui qui compare la vérité à une ombre, et à des figures ce
qui était représenté par des figures, s’efforce d’exalter la dispensation
universelle de l’évangile. » Et, plus bas : « Pourquoi compares-tu
des lavements avec des lavements, quand ces différents lavements
n’ont en commun que le nom, et que les choses sont autant différentes
qu’entre le songe et la vérité, les ombres ou les images et les choses
qui existent réellement ? »
Saint Jean Chrysostome (homélie 27 sur la Genèse) : « Notez que
Dieu a voulu que la circoncision soit statuée par une loi, non parce
qu’elle pouvait quelque chose pour le salut de l’âme, mais pour que,
en signe de gratitude, elle soit appliquée à tous les enfants d’Israël
comme un signe et un sceau, et pour qu’il ne leur soit pas permis de
se mêler aux autres nations. Voilà pourquoi saint Pau l’appelle
un signe : « Et il donna le signe de la circoncision comme un sceau,
car cette circoncision ne conduit pas au salut. » Voir les homélies
39 et 49 sur la Genèse, l’homélie sur la trahison de Judas, l’homélie
7 sur l’épitre aux Romains, et l’homélie 14, sur l’épitre aux
Hébreux.
Enseignent la même chose saint Cyrille (livre X contre Julien, passé
le milieu), Theodoret (question 67 sur le Genèse, et livre
V11 sur les Grecs, saint Jean Damascène (livre 4, sur la foi, chapitre
10, 14 et 26), Theophylactus (chapitre 2 aux Romains),
et Oecuménius (chapitre 1V aux Romains).
Chez les latins. Tertullien (dans son livre contre les Juifs,
chapitre 1), écrit : « Puisque Dieu a fait Adam incirconcis, pourquoi,
si la circoncision purge l’homme, ne l’a-t-il pas circoncis après
sa faute, s’il est vraiment vrai que la circoncision
purge ? » Et plus bas : « Dieu prévoyant que cette circoncision
ne serait pas donnée pour le salut… » En les appelant charnels,
et les nôtres spirituels, Il prouve également, avec les prophètes,
que les sacrifices et les sacrements des Juifs ne justifiaient pas.
Saint Cyprien (livre 1, chapitre 8 contre les Juifs),
oppose la circoncision charnelle à la circoncision spirituelle des chrétiens.
Et il ajoute que Adam, Énoch, Noé, Job et Melchisédech furent
des justes sans circoncision, « pace que, dit-il, le sceau de la
semence n’est d’aucun profit. » Il dit la même chose
(au livre 3, épitre 8 à Fidus.) « La circoncision
charnelle, enseigne-t-il, une fois advenue la spirituelle, s’évanouit
comme l’ombre devant la lumière ».
Saint Ambroise (épitre 72 à Irénée) : « La circoncision corporelle
est un signe, la circoncision spirituelle est la vérité. L’une
ampute un membre, l’autre les péchés » Il ajoute : « Il dit
la même chose au chapitre 1V aux Romains : « La circoncision n’a donc
aucune dignité, elle n’est qu’un signe ». « Ce signe, les
fils d’Abraham l’acceptaient pour qu’on sache qu’ils sont les descendants
de celui qui avait reçu ce signe à cause de sa foi en Dieu.
Pour qu’ils soient croyants comme lui. » Voir le même livre 1 sur Abraham,
chapitre 4, où il traite expressément de la circoncision, et le livre
sur les sacrements (chapitre 4 et 6), et les livres d’initiation
aux mystères (chapitres 8 et 9).
Saint Jérôme (chapitre 111 aux Galates) explique pourquoi la circoncision
a été instituée, et, par aucun mot, il n’indique qu’elle l’a
été comme un remède aux péchés : « Parce que c’est de la semence
d’Abraham que le Christ devait venir, et que d’Abraham au Christ, beaucoup
de siècles devaient s’écouler, Dieu pourvut à ce que les descendants
bien-aimés d’Abraham ne se mêlent pas aux autres nations, et ne devienne
plus reconnaissable sa famille. Il a donc marqué la nation israélite
avec le cautère de la circoncision.
Pendant les quarante années de séjour dans le désert nul n’a
été circoncis, parce qu’ils vivaient alors sans possibilité
de métissage avec d’autres peuples. Mais, dès que
le peuple eut franchi le Jourdain, la circoncision devint de
nouveau nécessaire pour prévenir l’erreur du mélange avec les autres
races. Que ce soit par Jésus (Josué) le second chef, que le peuple
ait été circoncis, comme il est écrit, cela signifie qu’ avait cessée,
dans le désert, la circoncision qui avait été imposée en Égypte;
et que les croyants devaient être purifiés par la circoncision spirituelle
dans un Messie qui porterait le nom de Jésus. De même, dans le chapitre
1 d’Isaïe, il dit que Dieu a rejeté les cérémonies judaïques, et
s’est complu dans le lavage du baptême : « Qui seul, dit-il, peut purger
les péchés. »
Enfin, saint Augustin dans le psaume 73, dit : « Les sacrements ne
sont pas les mêmes, parce que autres sont les sacrements qui procurent
le salut, et autres sont les sacrements qui promettent un Sauveur.
Les sacrements du nouveau testament donnent le salut, et ceux de l’ancien
testament promettaient un Sauveur »
Kemnitius et Calvin ne répondent qu’à ce texte. Kemnitius
(dans l’examen, pages 59 et 60,) répond que saint Augustin parle
des sacrements anciens qui n’avaient pas une promesse annexée, mais
qui étaient de purs signes, selon la distinction faite par Luther.
Mais cette réponse n’en est pas une, car saint Augustin parle en général
des sacrements anciens, et surtout des sacrifices, et il dit
qu’ils ont tous été changés, parce qu’ils ne donnaient pas la grâce.
De plus, quand saint Augustin affirme que ces sacrements ont
été des signes qui promettaient le Sauveur, il semble parler surtout
de ceux qui avaient une promesse annexée. Car comment n’auraient-ils
pas eu une promesse annexée s’ils promettaient le Sauveur ? Il
répond, en deuxième lieu, avec Calvin, (livre 4, chapitre 14, verset
26) que saint Augustin ne parle pas de l’efficacité des sacrements,
et que la seule différence qu’il voyait entre les nouveaux et les anciens
est que les uns signifiaient le Christ futur, et les autres le Christ déjà
arrivé et donné.
Je prouverai le contraire, car saint Augustin ne dit pas que nos sacrements
signifient le Sauveur, mais qu’ils donnent le salut. Il ajoute,
de plus, au même endroit : « Les sacrements ont été changés, ils sont
devenus plus faciles, moins nombreux, plus salubres et meilleurs. »
Ces choses appartiennent à l’efficacité, non à la signification.
Le même saint Augustin, en d’autres endroits, établit une
différence manifeste d’après l’efficacité (épitre 19 à saint Jérôme)
: « Pourquoi ne dirais-je pas que ces sacrements de l’ancienne
loi n’étaient pas bons, puisqu’ils ne justifiaient pas les hommes
? Car ils n’étaient que des ombres qui annonçaient à l’avance
la grâce qui nous justifierait. Quoi de plus clair. » Saint Augustin
ne dit-il pas, contre Faust (livre 9, chapitre 13) ce que, après
lui, le concile de Florence a défini : « Les autres sacrements
ont été institués avec une plus grande vertu, et une meilleure utilité.
»
Nos sacrements l’emportent sur les anciens par l’utilité et la
vertu, non par la seule signification (traité 41 sur Jean) : « Dans les
sacrifices, dit-il, il n’y avait pas d’expiation des péchés, mais
une ombre des choses futures. » Et (dans la question 25 dans le
livre des nombres), il écrit : « Si on considère les anciens sacrements
en eux-mêmes, ils ne peuvent en aucune façon guérir par eux-mêmes.
Mais si on cherche les choses pour lesquelles ces sacrements ont été
institués, on peut trouver en elles la rémission des péchés. »
Cela devrait suffire pour les témoignages des pères.
2018 11 17 fin
2018 11 22 debut
CHAPITRE 16
On prouve la même chose avec des raisons basées sur l’Écriture
La première raison. Pour qu’il puisse justifier,
le sacrement doit avoir, annexée, une promesse abondante de grâce.
Il n’y avait rien de tel dans la loi ancienne. Donc, aucun d’eux
ne justifiait. La majeure est, pour les adversaires, tout ce qu’il
y a de plus certain. Car, c’est ce qu’affirme Luther (assertions,
article 1), Philippe (dans les lieux, en l’an 58, sur les sacrements),
ainsi que Kemnitius (2 par examen, page 42). Il fait entrer, dans
la définition des sacrements, qu’ils avaient une promesse de la
grâce, et pas de n’importe laquelle, mais de la rémission des péchés.
Ils sont donc forcés d’admettre cela, quand ils veulent que les sacrements
justifient en excitant la foi. Car, pour eux, la foi ne justifie
qu’en appréhendant une promesse de pardon.
On prouve la mineure avec saint Paul, Hébreux 111 : « Son ministère
est d’autant meilleur qu’il est le médiateur d’un meilleur testament,
qui a été sanctionné par de meilleures promesses. » Et
plus bas, expliquant ce que sont ces promesses meilleures du nouveau testament,
il cite ce passage de Jérémie XXX1 : « Je serai propice à leurs iniquités,
et je ne me souviendrai plus de leurs péchés. » Ensuite, avec
le traité de saint Augustin sur le psaume 72, où il dit que les promesses
de l’ancien testament et du nouveau testament sont différentes, comme
les sacrements eux-mêmes sont différents. Car, on promettait alors
des choses terrestres, et maintenant, des célestes.
Troisièmement, on le prouve avec Luther lui-même. Car,
dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre sur l’eucharistie,
il parle ainsi : « L’ancien testament, donné par Moïse, était la
promesse non de la rémission des péchés, ou de choses éternelles, mais
de choses temporelles, comme de la terre de Canaan, par laquelle
personne n’est renouvelé en esprit. Voilà pourquoi il fallait tuer
un animal sans raison, en figure du Christ, dans le sang duquel le même
testament était confirmé. De sorte qu’on puisse dire : tel sang,
tel testament, telle hostie, telle promesse. » Il nous présente,
là, contre lui, un argument irréfutable.
On ne peut pas répondre qu’il parle des sacrements qui n’ont
pas une promesse annexée, car il se souvient expressément de la promesse.
Et de plus, un peu après, il va chercher des exemples dans l’arc-en-ciel,
dans la toison de Gédéon, et dans le cadran solaire d’Achaz.
Et il dit que ces signes n’ont eu que des promesses terrestres.
Et pourtant, dans le chapitre suivant qui est celui du baptême, il veut
que ces signes soient des sacrements au sens propre, et égaux aux nôtres.
Mais Calvin nie cette mineure. Car (dans son livre 4, chapitre
16, verset 4), il dit que la promesse des sacrements du nouveau et de l’ancien
testament est une seule et même promesse pour les deux.
On prouve donc cette mineure par toutes les choses qu’ils appellent sacrements.
Car, Luther appelle sacrement le sacrifice d’Abel, l’arc-en-ciel, la
toison de Gédéon, l’horloge d’Achaz. Or, aucun d’eux n’a
la promesse d’une rémission des péchés. Car, au sujet du sacrifice
d’Abel, nous ne lisons rien d’autre qu’il avait plu à Dieu après
qu’il eut été fait. L’arc-en-ciel n’eut la promesse
que du seul salut temporel.
Voilà pourquoi il est dit, dans la Genèse (1X), qu’il a été
donné comme alliance non seulement aux hommes, mais aussi aux bêtes de
la terre, et à tous les reptiles. Semblablement, dans la toison
de Gédéon et dans l’horloge d’Achaz, des signes ont été faits pour
confirmer la promesse d’une victoire contre les ennemis. Au sujet
des autres sacrements, de la circoncision, des sacrifices pour le péché,
de la manne, de la traversée de la mer rouge, nous montrerons la même
chose. quand nous répondrons aux arguments.
La deuxième raison. La loi ancienne se différencie de
la loi nouvelle en ceci qu’elle ne justifie pas, alors que l’autre
justifie. Il ne peut donc pas se faire que les anciens sacrements,
qui étaient une certaine partie de la loi, justifient. On prouve
l’antécédent en disant d’abord comme saint Jean 1 : « La loi a été
donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont arrivées par le Christ.
» Comment cela pourrait-il être vrai si les sacrements mosaïques
conféraient la grâce ? Deuxièmement, (11 Corn 111) la loi ancienne
est appelée une lettre qui tue, la nouvelle un esprit vivifiant.
Pourquoi l’ancienne n’aurait-elle pas été, elle aussi, un esprit
vivifiant si ses sacrements avaient vivifié ? Troisièmement.
En Galates 1V, il est dit qu’elle engendre dans la servitude, et que
la nôtre apporte la liberté. Et pourquoi cela, si elle aussi conférait
la grâce qui libère de la servitude du péché ?
Quatrièmement, on l’appelle l’ancien testament, parce qu’il
appartient au vieil homme, et ne sait pas rénover. On dit que le
nôtre est nouveau parce qu’il renouvelle, comme l’enseigne saint Augustin
(livre 3, chapitre 1, contre les deux épitres pélagiennes, chapitre 1.
Et l’apôtre, à Tite 111, appelle le baptême le lavement de la
rénovation.
Il ne s’ensuit pas, pour autant, qu’il n’y ait pas eu de
justification des péchés dans les saints hommes de l’ancien testament.
Il y en a eu, mais non par l’ancien testament, non par ses sacrements,
mais seulement par le nouveau testament, auquel ils appartenaient par la
foi et le désir.
La troisième raison. La promesse, dans les sacrements, qui ont
été institués pour justifier, ne peut s’accomplir que si elle est
accueillie par la foi, comme le disent nos adversaires. Or, les promesses
annexées aux anciens sacrements, s’accomplissaient même
si les hommes n’y croyaient pas. Ces sacrements n’avaient donc
pas été institués pour justifier. On prouve la mineure.
Car, la promesse de Dieu annexée à l’arc-en-ciel (qui est pour
Luther un vrai sacrement) fut de ne plus jamais engloutir la terre avec
des eaux diluviennes. Cette promesse s’accomplit et s’accomplira
même si les hommes n’y croient pas.
De même, la promesse annexée à la circoncision fut qu’Abraham
deviendrait le père d’un grand nombre de nations, et donnerait à sa
postérité la terre promise, (Genèse XV11, Romains 1V). Cette promesse
devait s’accomplir même si les Hébreux n’y croyaient pas. Tous
les sacrements avaient, eux aussi, une promesse annexée sur la mort future
du Christ pour la rémission des péchés. C’est ce que signifiaient
tous ces sacrifices sanglants. Cette promesse devait être tenue,
que les hommes y croient ou qu’ils n’y croient pas. Voilà pourquoi
l’apôtre dit en Romains 111 : « Est-ce que leur infidélité évacuera
la fidélité de Dieu ? Non, jamais. Car, Dieu est véridique, et
tout homme menteur. »
La quatrième raison. Les saintes Écritures disent que nos sacrements
sauvent, régénèrent, justifient, comme nous l’avons prouvé plus haut.
On ne lit jamais rien de semblable des anciens sacrements, comme le montrera
la réponse aux objections. C’est donc avec une grande témérité
qu’ils soutiennent que les sacrements anciens et nouveaux sont semblables,
égaux même, quant à l’efficacité.
CHAPITRE 17
On répond aux objections
Les adversaires nous opposent cinq arguments. Le premier,
tiré de la Genèse (au chapitre XV11), où Dieu parle ainsi de la circoncision
: « Le mâle, dont la chair du prépuce n’aura pas été circoncise,
son âme sera enlevée du peuple parce qu’il aura nullifié mon pacte.
» C’est de ce texte que tant les catholiques que les hérétiques
tirent un argument. Les catholiques qui pensent que la circoncision
justifiait par l’œuvre opérée (par l’opération de l’œuvre);
et les hérétiques qui ne voient pas de différence entre les sacrements
de l’ancienne loi et de la nouvelle.
D’abord, les catholiques, qui ont suivi saint Augustin
(livre 16, chapitre 17 de la cité de Dieu). Voici comment ils raisonnent.
Dieu a menacé de mort éternelle tout mâle des Hébreux, même les enfants,
s’il n’était pas circoncis. Par la circoncision, les mâles étaient
donc libérés de la mort éternelle.
Calvin (livre 4, chapitre 16, verset 3) raisonne ainsi.
Dans la circoncision, la promesse est la même que dans le baptême, à
savoir, la rémission des péchés et la vie éternelle.
Ces deux sacrements ne différent donc que par un rite externe, ou un signe.
Il prouve ainsi l’antécédent. Quand Dieu institua la circoncision
(Genèse XV11), il dit à Abraham : « Je serai ton Dieu et celui de ta
semence après toi. » « Dans ces paroles, dit Calvin, la promesse de
la vie éternelle est contenue, comme l’a interprété le Christ, quand
il prouva la résurrection en disant (Matthieu XX11) que Dieu est appelé
le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. « Car il n’est pas le Dieu
des morts, mais des vivants. » C’est donc la même chose, poursuit
Calvin, le « Je serai ton Dieu » et le « Je
te donnerai la vie éternelle ». Or, comme le premier accès à
Dieu est par la rémission des péchés, Dieu promit donc aussi la rémission
des péchés quand il dit : je serai ton Dieu et celui de ta semence après
toi. »
Il confirme son argument par un texte de saint Paul (Éphésiens
11), qui dit que les Gentils qui étaient incirconcis étaient sans
Dieu, sans le Christ, sans espérance, et étrangers aux promesses.
Les Juifs avaient donc tout cela par la circoncision.
Je réponds à l’argument des catholiques que toute la force
de cet argument dépend de deux mots qui se trouvent dans l’édition
grecque que saint Augustin a fait sienne. Voici, en effet, comment les
Grecs lisent le texte cité : « Et l’incirconcis mâle, dont la chair
du prépuce n’aura pas été circoncise le huitième jour, son
âme périra de son peuple. » Les mots huitième jour sont des mots
ajoutés par les Grecs, car on ne les lit pas dans les codex hébraïques,
ni, dans la paraphrase chaldaïque, ni non plus dans l’édition
de la vulgate latine. Et, à cause de ces mots « huitième jour
», saint Augustin se sent contraint d’appliquer ce texte aux enfants,
et de dire que Dieu menace d’une peine les enfants non circoncis.
Et, en conséquence, il est forcé de voir dans les mots qui
suivent (parce qu’ils ont nullifié mon pacte) le péché originel, et
le pacte fait avec Adam de ne pas manger de l’arbre de la science du
bien et du mal. Car les enfants ne pouvaient avoir prévariqué que
de ce péché. Et, il est enfin contraint d’expliquer ces mots
(cette âme périra) dans le sens de la mort éternelle, qui est due au
péché originel.
Voir Augustin (livre 16, chapitre 27, de la cité de Dieu;
livre 2 sur le péché originel, chapitres 30 et 31; et livre 2 sur
les mariages et sur la concupiscence, chapitre 11. »
Si nous enlevons du texte, comme il se doit, les mots «
au huitième jour », l’argument s’effondre. Car nous ne sommes
pas obligés d’appliquer ce texte aux enfants. Je dirais plus,
nous sommes forcés de ne l’entendre que des seuls adultes. Et
voici quel en est le sens : le mâle hébreux qui ne voudra pas être circoncis,
ou qui ne voudra pas circoncire son fils, périra de son peuple, parce
qu’il a désobéi au précepte sur la circoncision donné par moi.
Il ne s’ensuit donc pas de cette phrase que la circoncision justifie
plus que n’importe lequel précepte de la loi. Car, Dieu
a, des milliers de fois, menacé de mort ceux qui n’observaient pas les
préceptes.
Que ce soit vraiment là le sens de ce texte, on le montre de
trois façons. La première, par les mots eux-mêmes : il a nullifié
mon pacte. Car, même si saint Augustin voyait dans ce pacte celui
qui avait été contracté avec Adam, il est cependant plus clair que la
lumière du jour qu’il faut l’entendre du pacte fait avec Abraham
sur la circoncision des mâles. Et qu’y a-t-il de plus claire que
l’explication donnée par Dieu lui-même dans le même chapitre : «
Voici quel est mon pacte que vous observerez. Chaque mâle des vôtres
sera circoncis. » Donc, la cause de la menace que l’on trouve
en cet endroit n’est donc pas le péché originel, mais un péché actuel,
c’est-à-dire la transgression du précepte de la circoncision.
Ce péché, seuls les adultes peuvent le commettre.
Deuxièmement. On le prouve par la peine (son âme périra
de son peuple). Car, ces mots ne signifient pas la mort éternelle
ou la géhenne, mais une certaine peine temporelle. Car, c’est
ce que signifie « de ton peuple ». Il ne dit donc pas qu’il
périra dans l’absolu, mais qu’il périra de son peuple, c’est-à-dire
qu’il sera séparé de son peuple ou par la mort corporelle ou par une
excommunication. Car le mot hébraïque employé signifie au sens
propre « séparer ». Et cette peine est souvent imposée dans l’Écriture
à tous ceux qui omettent une cérémonie quelconque, comme on le voit
dans l’Exode 12 et 31, dans le Lévitique 7, 17, 18, 19, 20 et 23, et
dans Nombres 15, et 19. Dans ce dernier texte, il est dit que
son âme périra de son peuple, celui qui, après avoir touché un cadavre
ne se purifiera pas avec de l’eau. Cette simple omission ne semble
certes pas être un crime digne de la mort éternelle.
Troisièmement. On le prouve par le chapitre 1V de
l’Exode où le Seigneur a voulu tuer Moïse parce qu’il n’avait pas
circoncis son fils. Nous voyons clairement par là que la peine était
la mort corporelle, et qu’elle était infligée non aux enfants, mais
aux adultes, c’est-à-dire à ceux qui étaient capables de commettre
un péché actuel. Et bien que saint Augustin (dans la question
11 sur l’Exode, et dans le livre 4 sur le baptême, au chapitre 24) s’efforce
de montrer que c’était le fils de Moïse, non Moïse, qui était en
péril à cause de la non circoncision, la chose demeure, quand même,
très claire.
Car, si Dieu avait menacé de mort un enfant qui ne serait
pas circoncis un huitième jour, de quel profit aurait été au fils de
Moïse une circoncision faite après le huitième jour ? De
plus, le texte est très clair : « Quand Moïse était en chemin vers
une hôtellerie, le Seigneur accourut vers lui, et voulut le tuer
» Qui donc, si ce n’est Moïse, dont on parlait dans les mots
précédents. Et le texte continue ainsi : « Sephora prit donc une
pierre très coupante, et circoncit le prépuce de son fils. »
Si le (il voulut le tuer) se rapportait au fils de Moïse, l’écriture
aurait dit : il circoncit son prépuce, non celui de son fils. De
plus, l’Écriture ajoute que Séphora a dit : « Tu es pour moi
un époux sanguinaire. » Ce qui veut dire : « Je t’aurais perdu,
si je ne t’avais pas racheté par le sang de mon fils. » Voilà
pourquoi saint Jérôme (dans son commentaire du chapitre 5 aux Galates),
ne doute pas que, en cet endroit, que c’est Moïse qui a été en péril,
et non son fils.
Au sujet de l’argument de Calvin, je nie que, à la circoncision,
il y eut une promesse annexée portant sur la rémission des péchés
et la vie éternelle. Car cela répugne, d’abord, à saint Paul
et à saint Augustin qui, comme nous l’avons déjà vu, enseignent que
les promesses du nouveau testament sont meilleures que les anciennes.
Deuxièmement. Cela répugne à la première institution de la circoncision.
Car, elle a été commandée d’abord à Abraham lui-même, et c’est
à lui qu’a été faite la promesse, avant la circoncision, comme
nous le montrent la Genèse (chapitres 12 et suivants) et saint Paul (Romains
1V). La promesse ne portait donc pas sur la rémission des péchés.
Troisièmement, cela répugne au chapitre 17 de la Genèse, où
nous lisons seulement la propagation de la postérité et la terre de Palestine
: « Je place mon alliance entre moi et toi, et je te multiplierai excessivement
». Et, un peu après : « C’est moi, et je ferai un pacte avec
toi. Tu seras le père de plusieurs nations. » Et plus bas
: « Je donnerai à toi et à ta semence une terre pour ta pérégrination,
toute la terre de Chanaan. »
L’apôtre enseigne la même chose (Romains 1V). Il est
vrai que cette promesse terrestre fut une figure de la promesse spirituelle
et céleste qui allait être donnée à ceux qui avaient circoncis leur
cœur, et non leur corps. Et cela, les patriarches et les prophètes
le comprenaient, et les autres hommes parfaits de ce temps. ( Hébreux
X1, Tobie senior 11, Jean 13). Mais, au sens littéral, la promesse
terrestre était annexée à la circoncision charnelle, qui seule appartenait
à l’ancien testament. Et affirmer le contraire, comme le fait
Calvin, ce n’est rien d’autre que de faire de la loi un évangile,
et de tout confondre.
À la preuve donnée par Calvin, tirée de « Je serai ton Dieu »,
je réponds que ces paroles ne signifient pas la promesse de la vie éternelle,
mais seulement, comme l’explique saint Jean Chrysostome (dans son commentaire
de ce passage) la promesse d’une protection particulière.
La protection particulière qui était due à un peuple particulier, comme
l’était le peuple Juif, comme on le répète souvent dans le Deutéronome.
De cette façon, Dieu n’était pas seulement, pour son peuple,
le Dieu des biens, mais aussi des maux.
Ajoutons que ces mots n’expriment pas tant une promesse de
Dieu que l’obligation du peuple. Car dire « je serai ton
Dieu et celui de ta semence », c’est comme s’il disait : vous n’aurez
pas d’autre de Dieu que moi. Voir Jérémie 24 : « Je serai leur
Dieu et ils seront mon peuple. » Et Genèse 28 : « Si le Seigneur est
avec moi, et me donne du pain pour manger, il sera mon Dieu. »
Mais Calvin rétorque : « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais
des vivants, comme le Christ l’a dit. Ton Dieu signifie donc la
promesse de la vie éternelle. » Je réponds que les paroles du
Christ ne signifient rien d’autre que Dieu n’est pas le Dieu
de ceux qui n’existent pas, mais de ceux qui existent, qu’ils soient
bons ou mauvais, bienheureux ou condamnés. Car, il présentait un argument
pour réfuter l’erreur des Sadducéens selon laquelle les âmes des morts
n’étaient pas immortelles.
Il voulait donc leur prouver que les âmes ne s’éteignaient
pas avec le corps, mais demeuraient véritablement, et continuaient à
vivre. Et c’est ce qu’il a magistralement prouvé par les paroles
de Dieu à Moïse (Exode 1V) : « Je suis le Dieu d’Abraham, le
Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » Car, s’ils étaient déjà
morts selon leur corps, s’ils ne continuaient pas à vivre par leur âme,
Dieu n’aurait pas dit d’eux ce qu’il a dit. Car, Dieu n’est
pas le Dieu de ceux qui ne sont rien.
À l’objection tirée de l’épitre aux Éphésiens, je réponds
que les Gentils ont été sans Dieu, sans le Christ, sans l’espérance
et sans les promesses, non parce qu’ils étaient privés de la
circoncision, mais parce qu’ils étaient privés de la vraie foi, de
la connaissance du vrai Dieu, et qu’ils adoraient des idoles à la place
de Dieu. Car, les Gentils qui ont connu le vrai Dieu, comme Job,
le centurion Corneille, et d’autres, n’étaient pas, même incirconcis,
sans Dieu, sans le Christ, et sans espérance.
Le deuxième argument est tiré du Lévitique (chapitres 4, 5, 6),
où nous lisons ceci : « L’âme qui pèchera, et qui, au mépris du
Seigneur, déniera à son prochain le dépôt qui avait été remis à
sa foi, ou lui extorquera quelque chose, ou fera une calomnie, etc,
et qui, pour son péché, offrira, de son troupeau, un bélier immaculé,
et le donnera au prêtre conformément à l’estimation et la mesure du
délit, le prêtre priera pour lui devant le Seigneur, et lui seront
remises toutes les fautes qu’il a commises en péchant. » Nous
voyons clairement ici qu’est promise à celui qui offre un sacrifice
la rémission de n’importe lequel péché, même le parjure, qui compte
parmi les péchés les plus grands.
Et, on confirme l’argument. Si cette promesse qui
a été instituée par Dieu avec une si grande promesse de rémission des
péchés, ne justifie pas, c’est sans aucun gain que les catholiques
concluent de l’épitre de saint Jacques que l’extrême onction
justifie. « Quelqu’un est-il malade parmi vous, qu’il appelle un prêtre…
»
Je réponds que, en ce qui a trait à l’expiation des péchés,
les anciens sacrifices valaient pour la peine temporelle, pour l’impureté
légale, non pour la faute et la peine de la géhenne, si ce n’est que,
en tant que signes, ils étaient une attestation de la foi dans le Christ,
comme l’enseignent communément les théologiens (1V sent dist 1) et
saint Thomas (dans 1, 1, quest 103, art 2), et Alphonse Tostat (chapitre
1, Lévitique, question 19.)
On peut prouver cela de plusieurs façons. D’abord, parce
que l’Écriture n’a pas institué des sacrifices pour tous les péchés,
mais seulement pour les péchés d’ignorance, surtout contre les cérémonies
de la loi, comme il appert du Lévitique (1V et V), et aussi pour
les péchés contre le tort fait au prochain dans les choses externes,
dans le parjure, et le désir de posséder les biens d’autrui (Lévitique
V1). Et pour d’autres péchés plus graves, tels que le blasphème,
l’homicide, l’adultère, l’idolâtrie, on ne trouve aucun sacrifice.
Il importe peu que dans le Lévitique V1, il soit dit que, par le sacrifice
d’un bélier, est expié tout péché qu’a coutume de commettre un
homme. Car il parle de tout péché qui se rapporte au vol du bien d’autrui,
non de tout péché absolument parlant. Autrement, c’est bien pour
rien que, dans les chapitres suivants, on établirait différents sacrifices
pour différents péchés. Donc, si les sacrifices n’expiaient
pas tous les péchés, mais seulement quelques-uns, on ne peut douter qu’ils
n’expiaient pas la faute, mais seulement la peine temporelle, ou l’impureté
légale. Car, Dieu ne remet jamais un péché selon la faute
et la peine éternelle, sans les remettre tous. Et c’est de là
qu’apparait la différence entre les promesses de l’ancien testament,
et la promesse du sacrement de l’extrême onction. Car, Jacques
dit expressément : « S’il est dans les péchés, ils lui seront remis.
»
On prouve cela ainsi. Les sacrifices anciens, comme le note saint
Thomas, (au lieu cité) ne plaisaient pas à Dieu par eux-mêmes, mais
par la dévotion et l’obéissance des offrants. Comme on le voit
dans Proverbes XV, où les victimes des impies sont appelées des abominations
pour le Seigneur. Et dans Eccles 34 : « Dieu n’approuve
pas les dons des iniques, et il ne regarde pas leurs offrandes. »
Isaïe 1 : « Où le Seigneur avait dit qu’il ne voulait pas les sacrifices
des Israélites, il ajoute : « Je maudirai vos bénédictions. »
Et, dans 1 Rois XV, il dit : « Dieu veut-il un sacrifice, ou bien plutôt
que vous obéissiez à la voix du Seigneur ? »
Ensuite, dans la Genèse (1V) : « Dieu regarda Abel et ses dons; il
ne regarda ni Caïn, ni ses dons. » Ce qui fait dire à saint Grégoire
(livre 22, chapitre 12 de ses mémoires) : « Une oblation ne sait pas
comment plaire à la colère du juge, à moins que ne lui plaise la pureté
de l’offrant ». Et plus bas : « Ce n’est donc pas Abel qui
plut à cause des dons, mais les dons qui plurent à cause d’Abel. »
Nous concluons de tout cela que les sacrifices ne valurent pas pour
l’expiation du péché. Car celui à qui on avait commandé
de faire des offrandes était juste ou injuste. S’il était
juste, il n’avait pas besoin d’une rémission des péchés. S’il
était injuste, son sacrifice ne valait rien, comme nous l’avons déjà
démontré. Tu répliqueras peut-être qu’il peut valoir
pour l’injuste, à cause du mérite du sacerdoce offrant. Or, les
mérites de l’un ne peuvent pas, certainement et infailliblement,
apporter à un autre la première grâce. Or, ici, il est question
d’une promesse absolue de rémission des péchés. Il faut donc
l’entendre exclusivement de la rémission de la peine temporelle.
Troisièmement. Quand il est question, en Ézéchiel (chapitre 18),
de rémission des péchés, il n’est jamais fait mention de sacrifices.
Bien plus, les autres prophètes et Saint Paul enseignent longuement que
les fautes des âmes ne peuvent pas être expiées par un sacrifice.
Pour que les Écritures ne se contredisent pas, nous sommes forcés
de reconnaitre que, dans le Lévitique, il ne s’agit que d’une expiation
légale de l’impureté, ou de la rémission d’une peine temporelle.
Le troisième argument est tiré de 1 Corinthiens X, ou, parlant de
la manne des Hébreux, et de l’eau qui jaillit du rocher, saint Paul
parle ainsi : « Ils mangèrent la même nourriture spirituelle et burent
le même breuvage spirituel. » Calvin fait grand cas de cet argument
(livre 4, chapitre 14, verset 23) : « De toutes les choses dont parle
l’apôtre, il n’a jamais rien dit de plus splendide que de celles-là.
Car il enseigne que les pères ont mangé la même nourriture spirituelle
que nous, c’est-à-dire le Christ. Qui osera déclarer inutile
et nu un signe qui présentait aux Juifs la vraie communion au Christ.
? » Et plus bas : « Donc, le premier des sacrements fait
de nous (anciens et nouveaux) des égaux, et il ne nous laisse aucune prérogative
particulière. » Pierre le martyr proclame le même argument (commentaire
de 1 Corinthiens X), ainsi que Kemnitius (2 part examen, page 67).
Mais cet argument présente quatre difficultés. La première.
Ils insistent sur la même. Si, dans la manne, les Juifs avaient
mangé la même nourriture que nous mangeons, nous, dans l’eucharistie,
la manne et l’eucharistie auraient, de toute évidence, la même vertu.
La deuxième. Ils insistent aussi sur le mot spirituel. Car
si cette nourriture et ce breuvage étaient spirituels, ils auraient certes
eu un effet spirituel. Ils n’étaient donc pas des signes corporels
nus. La troisième. Ils insistent sur la cause. Car,
(comme ils le disent), l’apôtre voulait avertir les chrétiens de ne
pas placer une trop grande confiance dans la réception des sacrements,
et de ne pas penser que, parce qu’ils avaient reçu le baptême et l’eucharistie,
ils étaient sauvés, sans avoir à persévérer dans les bonnes œuvres.
Cela, l’apôtre le fait avec des exemples d’anciens, pour
qui avaient été de peu de profit de semblables sacrements, parce qu’ils
ne s’abstinrent pas de pécher. Ils font donc que leurs sacrements et
les nôtres aient la même dignité et efficacité, si l’argument de
saint Paul vaut quelque chose. La quatrième. Ils confirment
leur interprétation avec saint Augustin qui, disputant sur ce texte de
saint Paul (au traité 26 de saint Jean), dit que les sacrements des Juifs
et les nôtres furent différents par les signes, mais semblables
par la chose qu’ils signifiaient. Différents par l’espèce visible,
semblables par la vertu spirituelle.
Je réponds que Calvin et Kemnitius militent ouvertement contre eux-mêmes.
Car, tout d’bord, Calvin et Kemnitius veulent que, dans ce passage,
la manne et l’eau jaillie du rocher, et même le passage de la mer rouge,
aient été, pour les Juifs, des sacrements; et des sacrements qui
justifient comme, pour nous, le baptême et l’eucharistie.
Or, plus haut, ils avaient nié qu’ils étaient des sacrements.
Car Calvin ( livre 4, chapitre 14, verset 19), dit que les sacrements dont
nous parlons présentement sont des cérémonies ordinaires, non quelque
chose qui a été fait une fois, ou qui a été réitéré. Et Kemnitius
(examen 2 par, page 41) a mis, dans la définition du sacrement, qu’il
doit être une cérémonie qui dure autant que dure la religion.
Il est évident que le passage de la mer rouge, l’eau jaillie du rocher
ou la manne ne sont pas tels, car ces signes ne furent jamais des cérémonies,
et ne durèrent que peu de temps.
Calvin dit ici que les sacrements anciens sont si semblables aux nôtres
qu’aucune prérogative particulière n’est laissée aux nôtres.
Et pourtant, plus haut (chapitre 11, verset 22), il avait dit que les nôtres
étaient plus excellents, du fait qu’ils conféraient une grâce plus
abondante.
Kemnitius milite contre lui dans une chose beaucoup plus importante.
Car, dans ce passage, il admet, avec Calvin, que l’eucharistie n’est
en rien plus prestigieuse que ne le fut la manne des Juifs.
Et cela, sans se rendre compte que Calvin présentait cet argument pour
prouver que l’eucharistie n’était le corps du Seigneur qu’en figure,
ou trope, tandis que Luther et lui (Kemnitius, 2 partie de l’examen,
p. 332) enseignaient le contraire.
Mais, survolons tout cela, et répondons à la première partie de
l’argument. Quand l’Écriture dit : « vous avez mangé la même
nourriture », elle ne veut pas dire que leur nourriture était la même
que la nôtre, mais la même pour tous. Car le sens en est :
tous les Juifs ont mangé la même nourriture, et cependant, tous ne plurent
pas à Dieu. On le prouve ainsi. Ces signes n’étaient pas
des sacrements, les nôtre le sont, comme nous l’avons déjà montré.
Ensuite. Leurs signes étaient communs aux bêtes, car les bêtes
burent aussi de l’eau jaillie miraculeusement du rocher, et traversèrent
aussi la mer rouge. Et les chiens, les poules et d’autres
animaux domestiques mangèrent aussi la manne comme nourriture.
Que les signes de l’eucharistie aient été dévorés par des
bêtes, ce ne fut pas par hasard, ou par la malice de quelqu’un,
comme cela aurait pu être, mais de par l’institution et la volonté
de Dieu. Car, Dieu tira l’eau du rocher pour abreuver les hommes
et les bêtes. Troisièmement. Car, on ne lit nulle part qu’une
promesse avait été faite de manger de la manne, de boire de l’eau du
rocher ou de traverser la mer rouge. Nos sacrements, eux, ont de
grandes promesses. Ils aboutissent donc à une impasse.
Pierre le martyr (dans son commentaire de 1 Corinthiens X), s’efforce
de s’en extirper. Et après avoir demandé : où sont donc les
promesses annexées à la mer rouge et à la manne, il répond ainsi :
« J’estime que c’est ce que nous lisons dans l’Exode et dans
les Nombres. Dans l’Exode, on les avertissait qu’ils devaient s’attendre
à voir les merveilles de Dieu. Tu trouveras la même chose
écrite au sujet de la manne, si tu cherches attentivement. » Mais
ces témoignages sont des inepties et des pitreries. Car, s’ils
avaient déniché quelque chose, ils en auraient indiqué le livre,
le chapitre et la page. Ils ne nous inciteraient pas à chercher.
Quant à moi, j’ai cherché aussi attentivement que j’ai pu, et
je n’ai trouvé que les promesses suivantes (Exode X1V) faites
aux fils d’Israël qui s’apprêtaient à traverser la mer rouge.
Moïse leur dit : « Tenez-vous droits, et voyez les merveilles de Dieu.
Des égyptiens que vous voyez maintenant, vous n’en verrez jamais plus
un seul ! Le Seigneur combattra pour vous, et vous, vous vous tairez. »
Cette promesse est une promesse temporelle, et elle a été accomplie incontinent
quand les Égyptiens ont été tués dans la mer rouge, comme nous le lisons
au même endroit.
De même, quand dans Exode XV1, la manne et les cailles ont été
données au peuple juif, aucune promesse n’a été ajoutée que celle-ci,
si on peut l’appeler promesse : « Ce soir, vous mangerez de la viande,
et, au matin, vous vous rassasierez de pain. » Ensuite, (Exode XV11 et
Nombre XX), de l’eau a été tirée de la pierre. Or, il
n’y a de promesse, là, que celle-ci : « quand tu feras jaillir de l’eau
de la pierre, toute la multitude boira, ainsi que les chevaux. »
Pierre le martyr avait bien vu qu’il ne s’agissait là que de promesses
terrestres. Et pour ne pas reconnaitre qu’il s’est fourvoyé,
il s’évertue à tirer de ces promesses terrestres la promesse de la
rémission des péchés. Voici le raisonnement dont il se sert.
Le mal suprême et la racine de tous les autres maux, c’est le péché.
Quand nous demandons d’être délivrés d’un certain mal, quel
qu’il soit, nous demandons donc, implicitement, d’être libérés du
péché. Donc, de la même façon, les biens, quels qu’ils soient,
que Dieu promet ou accorde, sont fondés sur la réconciliation avec lui,
sur sa grâce, et sur sa faveur.
Or, il est certain qu’il serait plus facile de tirer de l’eau d’un
rocher que de tirer, de ces passages, une promesse de réconciliation.
Car, même si le péché d’Adam fut l’occasion de tous les maux, les
souffrances de cette vie ne sont pas si étroitement liées avec les péchés
pour qu’on ne puisse les en séparer. Car, les hommes pèchent
souvent sans être punis dans cette vie. Et il arrive souvent qu’ils
soient affligés sans avoir péché, comme Job et Tobie, et d’autres,
qui ont été tourmentés non à cause de leurs péchés, mais pour qu’ils
s’exercent à la vertu.
Et il arrive souvent, à l’inverse, que Dieu donne de grands
biens temporels à ceux auxquels il ne donnera ni sa grâce, ni la vie
éternelle, pour les récompenser de certaines bonnes actions qu’ils
ont faites, ou pour d’autres raisons. Il arrive aussi souvent que
Dieu ne donne pas de biens matériels à ceux à qui il donnera
la vie éternelle (Luc XV1). Et, dans l’Écriture, on entend
souvent parler de rois comme Nabuchodonosor, de Cyrus, et d’autres à
qui il a soumis la terre, alors qu’ils n’étaient pas ses amis.
Voir saint Augustin (livre 5, chapitres 12 et 15).
Le martyr erre donc manifestement quand il dit que tous les biens
que Dieu donne sont fondés sur la réconciliation avec Dieu et sur sa
grâce. Car, il ne peut pas tirer la conclusion suivante :
Dieu a promis à son peuple juif la victoire sur ses ennemis et l’abondance
de nourriture et de breuvage, il leur a donc promis la rémission des péchés
et la vie éternelle.
Voir saint Basile (sans son livre sur le Saint-Esprit, chapitre 11),
où il prouve que, dans la traversée de la mer rouge, et le don de la
manne, il n’y a eu aucune promesse spirituelle. Et il ajoute que
ceux qui égalent leurs signes aux nôtres anéantissent la dispensation
universelle de l’évangile. Voici ce qu’il dit : « Quelle rémission
des péchés dans la mer, quel renouvellement de vie. Quel don de
l’Esprit a été donné par Moïse ? Quelle mort au péché ? »
À la deuxième partie de l’argument, je dis que la manne et l’eau
jaillie du rocher ont été appelées nourriture spirituelle et breuvage
spirituel, non à cause de l’effet, mais de la cause, et par rapport
à la signification. À cause de la cause parce que l’une et l’autre
avaient été produites miraculeusement par les anges, comme l’indiquent,
en ce lieu, saint Jean Chrysostome Théophylacte. Voilà pourquoi
le psaume 77 appelle la manne le pain des anges : « L’homme a mangé
le pain des anges. »
Et il est certain qu’on ne l’appelle pas pain des anges parce
que c’est de ce pain que se nourrissent les anges, mais parce que ce
sont les anges qui l’on fait. Et l’apôtre explique lui-même
pourquoi l’eau est appelée breuvage spirituel : « Ils ont bu d’un
breuvage spirituel qui sortait de la pierre, la pierre étant le Christ.
» Ce n’est donc pas l’eau qu’ils buvaient qui est appelée
spirituelle, mais la pierre qui était la cause de cette eau. Et
saint Paul avertit que la vraie cause de cette eau n’a pas été la pierre
corporelle visible, qui était rivée à la terre, mais une pierre
invisible, c’est-à-dire la providence de Dieu, le Christ, qui ne les
abandonne jamais.
Voilà pourquoi quand l’apôtre disait : « ils buvaient de la pierre
spirituelle », le sens n’est pas (comme le voulait Calvin) qu’il buvait
déjà de la pierre spirituelle, c’est-à-dire le Christ, comme
d’une cause efficiente. En effet, l’apôtre ne compare
pas l’eau avec le Christ, mais la pierre, qui est la cause de l’eau.
On le confirme par le texte de saint Jean (V1) : « Vos pères ont mangé
la manne dans le désert, et sont morts. Celui qui mangera
de ce pain, vivra éternellement. » Le Seigneur enseigne manifestement
là que la manne ne fut pas, pour les Juifs, une nourriture spirituelle,
en tant qu’effet, comme l’est l’eucharistie. Car, ceux qui
mangèrent la manne sont morts.
Calvin répond (livre 4, chapitre 14, verset 25), ainsi que Pierre
le martyr (au lieu cité), que le Christ s’est accommodé à l’opinion
crasse des Juifs qui ne voyaient dans la manne qu’une nourriture pour
le ventre. Le Christ n’aurait donc pas dit qu’il donnerait une
nourriture meilleure que la manne, mais meilleure que ce qu’était
la manne, selon l’opinion crasse des Juifs.
Mais je prouverai le contraire, car ou les Juifs avaient raison de
penser que la manne était seulement une nourriture corporelle, ou ils
n’avaient pas raison. S’ils avaient raison, notre eucharistie
est donc de loin meilleure que la manne, puisqu’elle est une nourriture
spirituelle. S’ils n’avaient pas raison, le Seigneur a donc approuvé
leur erreur, et sans aucune sincérité. Bien plus, il n’a pas dit vrai.
Il déclare, en effet, que cette nourriture ne fut que corporelle, quand
il leur dit que sont morts leurs pères qui en avaient mangé. Et
il l’avait dit plus clairement un peu avant. Car, quand ils se
glorifiaient de ce que leurs pères aient mangé de la manne dans le désert,
qu’ils considéraient presque comme céleste, le Christ leur dit : «
Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, mais mon Père
qui vous donne le vrai pain du ciel. »
C’est-à-dire, comme l’expliquent très bien saint Cyrille
(livre 3, chapitre 34 sur saint Jean), et saint Jean Chrysostome (homélie
44 sur Jean), la manne n’était pas vraiment un pain céleste, mais un
pain terrestre, même s’il descendait du ciel. Il est clair
que le vrai pain céleste est celui que le Père vous donne aujourd’hui.
Ajoutons que saint Jean Chrysostome (homélie 45 sur saint Jean)
est de notre avis : « Vois à faire une différence entre ce pain
et la manne, par la fin respective de l’un et l’autre.
Et pour montrer que la manne n’apportait pas grand chose, le Seigneur
ajoute : « nos pères ont mangé la manne dans le désert, et sont morts.
» De même, saint Cyrille (livre 4, chapitre 11, sur saint Jean,
chapitre sur la manne des Juifs), qui cite les paroles du Christ : « Je
suis le pain vivant. L’autre ne fut qu’une figure, une image, une ombre.
»
À la troisième partie de l’argument, je réponds que l’apôtre
n’avait pas pour but de montrer qu’il ne fallait pas trop se fier aux
sacrements, mais plutôt qu’il ne fallait pas en abuser. C’est
le contexte qui nous le fait comprendre. Car, (au chapitre
V111), Il exhortait les chrétiens à ne pas manger d’idolothytes, pour
ne pas scandaliser les faibles. Ensuite (au chapitre 1X), il montre,
par son exemple, qu’il ne faut pas scandaliser les faibles. Puis
(au chapitre X), il revient à la question des idolothytes, et prouve qu’il
ne faut pas les manger, parce qu’il est trop honteux de passer de la
table du Seigneur à la table des démons. Car, c’est un signe
d’une grande ingratitude envers le Christ, et d’une grande irrévérence
envers le sacrement lui-même. Et, pour montrer cela, il donne les
exemples des Juifs.
Il n’est donc pas requis (comme le veut Calvin) que nous attribuions
à la mer rouge une vertu semblable à celle du baptême, et à la
manne une vertu semblable à celle de l’eucharistie. Car,
plus ils sont inférieurs, plus l’argument de saint Paul est fort.
Car, si les Juifs ont été punis parce qu’ils ont méprisé la figure
de nos sacrements, et furent ingrats envers Dieu, de qui ils avaient
reçu ces bienfaits, combien plus justement devront être punis ceux qui
méprisent les sacrements eux-mêmes, et combien plus ingrats seront-ils
envers Dieu, de qui ils ont reçu des bienfaits beaucoup plus grands !
À la quatrième partie de l’argument, je réponds que saint Augustin
n’a jamais dit que leurs sacrements et les nôtres étaient égaux par
rapport à l’efficacité, mais seulement par rapport à la signification,
ou à la chose signifiée, parce qu’ils signifient tous le même Christ.
Voir saint Augustin (non seulement dans les traités 26 et 45 sur saint
Jean, qui donnent des citations des adversaires, mais aussi dans les psaumes
72 et 77, ainsi que dans le livre 50 sur les homélies.) Il répète
partout que les signes ont été différents, mais que c’est la même
chose qui était signifiée, le Christ.
Ses paroles (tirées du traité 26 sur saint Jean) que Calvin cite
(« ils sont différents par l’espèce visible, mais semblables par la
vertu spirituelle »), ne sont pas rapportées intégralement, et de bonne
foi. Car, voici comment parle saint Augustin : « Autre chose eux,
autre chose nous, mais par l’espèce visible; tout en signifiant la même
chose par la vertu spirituelle. » C’est-à-dire, les signes étaient
différents. Cependant, en ce qui a trait à la vertu spirituelle
signifiante, ils étaient semblables, pace qu’ils signifiaient la même
chose.
Il avait dit plus clairement la même chose un peu avant : « Ils sont
différents dans les signes, mais dans la chose qu’ils signifient, ils
sont égaux. » Saint Augustin ne pouvait, en aucune façon,
enseigner ce que lui attribue Calvin, à savoir que les sacrements anciens
et nouveaux étaient égaux quant à l’efficacité, puisque, dans le
psaume 72, il avait dit que les nôtres étaient plus salubres et plus
heureux; et (dans le livre 19 contre Faust, chapitre 13) il avait soutenu
qu’ils avaient une plus grande vertu, et une plus grande utilité.
Il y a une chose, ici, à noter. L’explication de saint Augustin
qui, par la même nourriture spirituelle (1 Corinth X) entend que les sacrements
des deux lois sont les mêmes par rapport à la signification, et que c’est
pour cette raison que cette nourriture est dite spirituelle, cette
explication, dis-je, ne nous est pas contraire, comme nous l’avons déjà
démontré. Cependant, il n’y a aucune nécessité de la suivre.
Car, si par nourriture spirituelle, nous entendons la nourriture
spirituelle comprise (avec l’intelligence), comme le veut saint Augustin,
alors seuls les justes en mangeraient. C’est ce que déclare saint
Augustin, et c’est pour cela qu’il note que saint Paul a dit : «
Nos pères ont mangé de la même nourriture spirituelle. » Non
« vos » pères, parce qu’il ne parlait que des justes qui nous sont
semblables. Le Christ (dans Jean V1) a dit : « Vos pères
ont mangé la manne », non nos pères, parce qu’il parlait des Juifs
mauvais qui n’avaient pas mangé spirituellement cette nourriture.
Mais cela répugne aux paroles de l’apôtre qui dit : « Tous nos
pères ont mangé la même nourriture spirituelle. » Par « tous
», il entend non seulement les justes, mais tous sans distinction,
les mauvais autant que les bons. Tous ceux qui étaient dans le désert.
Car, il ajoute : « Mais plusieurs n’ont pas plu à Dieu. » Et,
un peu avant, il avait dit : « Nos pères ont tous été sous la nuée,
et tous ont traversé la mer rouge. » Or, il est certain que ce ne sont
pas seulement les bons qui ont été sous la nuée et qui ont traversé
la mer rouge, mais aussi les mauvais.
L’explication de saint Jean Chrysostome est donc plus vraie, ainsi
que celle des autres exégètes que nous avons cités plus haut.
Il ne faut pas s’étonner que nous donnions la préférence à l’explication
de saint Jean Chrysostome sur celle de saint Augustin, car saint Jean a
écrit un commentaire détaillé de cette épitre de saint Paul,
tandis que ce n’est qu’en passant que saint Augustin a donné
cette explication.
Son quatrième argument Kemnitius le prend chez saint Paul (Colossiens
11) : « Vous avez été circoncis d’une circoncision non manuelle. »
Kemnitius commente : « Paul (page 66), confondant les mots circoncision
et baptême, veut dire que nous qui, dans le nouveau testament, avons par
le baptême expulsé le corps des péchés de la chair, nous avons reçu
et nous possédons la même chose que celle qu’on reçue les circoncis,
dans l’ancien testament, par la circoncision. »
Je réponds que ces arguments ne prouvent rien du tout. Car,
même si saint Paul appelle le baptême une circoncision, parce que la
circoncision a été une figure du baptême, il ne s’ensuit pas, cependant,
que l’effet de l’un et l’autre ait été le même, puisque la figure
ne peut pas avoir la même vertu que la chose figurée. Voilà pourquoi
le même apôtre appelle « faite de main d’homme », la circoncision
judaïque, tout en niant que la nôtre soit faite de main d’homme.
Celui, en effet, qui baptise principalement c’est Dieu, et non l’homme.
Saint Paul n’a pas, non plus, attribué au baptême l’effet
propre à la circoncision, car, expulser les péchés du corps, c’est-à-dire
le purifier de tous les péchés, et spiritualiser l’homme, il n’attribue
ces chose qu’à la circoncision chrétienne, c’est-à-dire, au baptême.
Car, la circoncision des Juifs ne circoncisait qu’une petite partie du
corps, non le corps entier.
Le cinquième argument de Kemnitius (page 67) est tiré de Hébreux
X111 : « Le Christ Jésus, le même hier et aujourd’hui, et dans
les siècles. » Je réponds que cet argument, s’il prouve
quelque chose, ne permettrait de conclure que ceci : les anciens sacrements
signifient la même chose que les nôtres, c’est-à-dire, le Christ,
qui, pendant l’ancien testament, était latent dans les figures et les
prophéties.
Mais il ne prouve même pas cela, car l’apôtre parle de la
foi et de la doctrine, et non des sacrements. Il veut qu’on
croit que le Christ est éternel, non temporel, comme le rêvent les hérétiques.
CHAPITRE 18
Le caractère
Est-ce que les sacrements impriment dans l’âme un caractère indélébile
? Sur ce sujet, nous ferons trois développements. Le premier.
Qu’est-ce que les adversaires pensent du caractère ? Le second.
Quelle est la sentence ou la doctrine des catholiques sur le caractère
? Le troisième. Nous démontrerons cette vérité à l’aide de
l’Écriture, des pères et de la raison. À la vue de quoi,
les arguments de nos adversaires s’évaporeront.
Jean Wiclef (livre 4, chapitre 15 de sa trilogie), au témoignage de
Thomas Waldensis (tomme 2 sur les sacrements, chapitre 109), affirme que
le caractère sacramentel ne peut être prouvé ni par l’Écriture, ni
par la raison. Et les hérétiques de notre époque enseignent tous
la même chose. Le premier, Jean Calvin (dans la deuxième
partie de son examen, pages 120 et suivantes), et Tilmann Heshusius (dans
son livre sur les erreurs des pontifes, tit V.)
Les arguments de Kemnitius sont au nombre de trois. Le premier.
Les Écritures et les pères font le silence sur ce caractère. Ce
fut aussi l’argument de Calvin. Par ce que nous dirons, il se détruira
de lui-même. Le deuxième. Même parmi les scolastiques, ce
n’est pas une chose certaine. Cet argument, aussi, sera bientôt
évanoui. Le troisième. Le premier auteur de ce caractère
fut Innocent 111, qui décréta plusieurs mauvaises choses, parmi lesquelles,
il vit à ce qu’Othon soit créé empereur, qu’il excommunia et déposa,
par la suite.
Dans cet argument, il y a deux mensonges. Le premier. Que
c’est Innocent 111 qui ait été le premier à excogiter un caractère.
Ce qui est un grand mensonge, car le même pape Innocent 111, (au chapitre
majores, sur le baptême) rapporte l’opinion de certains qui enseignaient
que ceux qui étaient baptisés malgré eux ne recevaient que le caractère,
comme ceux qui étaient baptisés fictivement. Il n’est donc pas
le premier à avoir excogité le caractère.
Il dit ensuite que ce pontife fut un mauvais pape. Or, il fut
l’un des pontifes les plus célèbres. Car, pour ne pas parler
de ses livres sur le mépris du monde, de ses sermons et de ses épitres,
tous les historiens le louent comme un pape excellent et très savant.
Et sans parler de Italicus, Blondus, Platina et d’autres, écoutons seulement
le témoignage de deux allemands. Albert Grantius, un allemand qui
a écrit avant la contestation luthérienne, (livre 4, metropolis,
chapitre 1) sans être poussé ni par la haine ni par l’amour : «Accéda
au sacerdoce suprême le pape Innocent 111, qu’aucun siècle n’eut
de pareil en doctrine, et en grandeur d’âme. »
Le même historien écrivit (7 choses de la Saxe, chapitre 37) qu’Othon
fut un empereur rebelle à l’église, et que c’est pour cela qu’il
ne réussit dans aucune de ses entreprises. Et qu’au moment de sa mort,
il ressentit une telle douleur et une telle contrition de ce péché que,
en signe de pénitence, il commanda à ses plus vils serviteurs de
fouler son cou avec leurs pieds. Pénitence imposée non par le pape,
mais par l’empereur lui-même.
L’abbé Uspergensis, allemand lui aussi, et qui vécut au temps d’Innocent
111, et qui n’était pas favorablement disposé à son égard, partisan
qu’il était de l’empereur Philippe qui était opposé au pape, et
le seul que Kemnitius cite contre Innocent 111, cet auteur parla du pape
en toute vérité et justice. Car, en parlant de l’empereur
Philippe, il dit qu’il n’est pas croyable que le pape ait préféré
sa volonté propre à celle de Dieu, même si cet empereur était son adversaire.
Ce qui veut dire que ce n’est pas par mauvaise volonté que le pape n’a
pas favorisé Philippe, mais à cause de fausses rumeurs.
Et plus bas, en parlant de l’excommunication d’Othon, il
dit qu’Othon, contre sa foi jurée, avait envahi le patrimoine de saint
Pierre, et cherchait à l’usurper. Il ajoute ensuite que, pour
le bien de la paix, le pape a voulu tolérer toutes les injustices, sans,
malgré tout cela, parvenir à fléchir l’obstination d’Othon.
Il dit, au même endroit, que le pape, comme un homme fort qui met sa confiance
en Dieu, accomplit trois choses : la déposition d’Othon, une expédition
pour venir en aide à la terre sainte, et un concile général œcuménique.
CHAPITRE 19
La sentence des catholiques sur le caractère
Nous allons présenter la sentence des catholiques par des propositions,
qui nous fourniront une réponse aux questions qu’a touchées Kemnitius,
et desquelles il dit qu’il n’y a rien de certain.
La première proposition. Par quelques sacrements, un signe spirituel
est imprimé dans l’âme, que l’on appelle caractère. C’est
la sentence de tous les catholiques (4 dist 6), et elle se trouve en toutes
lettres dans les conciles généraux de Florence (instruction des arméniens),
et de Trente (session 7, canon 9).
Il faut aussi noter que certains théologiens, comme Durand (4,
dit, 4, quest 1) et Scot (dist 6, quest 9), ainsi que Gabriel (au même
endroit, question 2) admettent un caractère, mais semblent dire certaines
choses qui favorisent Kemnitius. Durand dit d’abord que le caractère
n’est pas une chose distincte de l’âme dans la réalité, mais
seulement selon la raison. Il dit cependant, au même endroit, qu’on
ne doit pas nier l’existence d’un caractère, et que c’est ce que
tous les théologiens enseignent. Le doute de Durand ne porte donc
pas sur l’existence du caractère, mais sur sa nature.
Tous les autres théologiens soutiennent que le caractère est réellement
distinct de l’âme. Scot doute des raisons utilisées pour
prouver le caractère, et il soutient qu’on ne peut le prouver par aucun
texte de l’Écriture ou des Pères. Mais, confiant dans l’autorité
de l’Église, il ne doute pas qu’il est tout à fait certain qu’un
caractère soit donné. Gabriel doute que l’Église ait défini
une pareille chose, mais il ajoute, quand même, qu’il serait présomptueux
de nier le caractère. Il dit deux fois cette dernière phrase à
la fin de son premier doute.
Tous les autres enseignent, non seulement par l’autorité de l’église,
mais aussi par celle de l’Écriture et des pères, qu’on peut démontrer
l’existence du caractère sacramentel. Le seul débat qu’il y
eux entre les scolastiques ne portait donc que sur la façon de prouver
le caractère.
Le mot caractère les scolastiques le reçurent de saint Augustin,
qui se sert souvent de ce mot. Les écrivains qui vinrent avant saint
Augustin employaient le mot signe ou sceau, non caractère. Mais
ils désignaient tous la même chose. Car, en grec, le mot caractère
signifie une forme ou une figure. On trouve ce mot dans Hébreux 1,
et dans le codex latin de l’apocalypse X111, même s’il ne se rapporte
pas là aux sacrements, mais à d’autres choses.
La seconde proposition. Le caractère n’est pas une relation,
mais une vraie qualité. Cette proposition est commune à tous, à
l’exception de Scot et de Durand. Durand, en effet, au lieu cité,
enseigne que le caractère est un être de raison. Cette sentence
se distingue à peine de l’hérésie de notre temps, et semble avoir
été expressément condamnée dans les conciles. On ne peut douter
que s’il avait connu ces conciles, il aurait enseigné autrement.
Car, les hérétiques ne nient pas, et ne peuvent pas nier que, dans
les ministres, il y ait une relation de raison qui n’existe pas dans
ceux qui ne sont pas députés à ce ministère. On doit donc conclure
que quand le concile de Trente anathématise ceux qui nient le caractère,
il entend condamner une erreur, et condamne donc, sans l’ombre d’un
doute, ceux qui nient le caractère réel.
Scot veut qu’il soit une relation réelle, mais il est certain
que cela peut à peine se défendre, car, de l’avis de tous, le
caractère est produit par l’action sacramentelle. Or, les relations
ne sont pas produites, mais surgissent ensemble pour la production d’un
fondement prochain. De plus, que serait donc le fondement de cette
relation ? Serait-ce l’âme ? Le caractère, serait, alors,
dans toutes les âmes. Serait-ce la foi ou la grâce ? Mais
le caractère peut exister sans elles. Je sais que Scot a établi
un certain genre de relation, qui rend possible l’action.
Je n’ai pas l’intention de disputer là-dessus plus longtemps,
car il ne manque pas de théologiens qui ont très bien réfuté cette
sentence de Scot. Le mot caractère ne signifie-t-il pas une autre
chose qu’une relation ? En disant qu’un caractère est imprimé,
que nous sommes consacrés par lui, marqués d’un signe, scellés, les
pères nomment quelque chose de réellement existant. Le caractère
est donc une qualité réelle, de laquelle provient la relation de similitude
avec le Christ, auquel nous sommes configurés par le caractère.
La troisième proposition. Le caractère a trois fonctions.
Il rend apte au culte divin, il configure au Christ, et distingue
les chrétiens des autres. J’explique. La première fonction est
de rendre apte au culte divin. Car, le caractère est une puissance
spirituelle et surnaturelle, en partie active, et en partie passive.
Trois sacrements seulement impriment un caractère : le baptême, la confirmation
et l’ordre. Le caractère du baptême est une puissance passive,
car il rend l’homme apte à recevoir tous les autres sacrements, et,
sans lui, la réception d’aucun autre sacrement n’est ratifiée.
Le caractère de l’ordre est une puissance active pour administrer les
sacrements aux autres. Le caractère de la confirmation est passif
et actif, car il rend, lui aussi, apte à recevoir les autres sacrements,
et rend apte à professer la foi. Mais il semble être plus actif
que passif le caractère de la confirmation, car, sans ce caractère, sont
maintenus d’autres sacrements, ce qui ne serait pas si ce caractère
était principalement passif comme celui du baptême.
Il faut quand même noter ici que cette puissance n’est pas
physique, mais morale. Car, le caractère ne produit pas d’effet,
mais on dit seulement qu’il opère car, partout où est ce caractère,
Dieu est présent de par son pacte, et concourt à produire un effet surnaturel.
Chose qu’il ne fait pas là où il n’y a pas de caractère.
La deuxième fonction provient de la première. Car, cette puissance
dérive du Christ et est une sorte de participation au pouvoir du Christ,
qui, en tant que grand prêtre, a tout pouvoir sur les sacrements.
Voilà pourquoi le caractère nous configure au Christ, et nous rend plus
semblables à lui que ceux qui n’ont pas ce caractère.
La troisième fonction procède de la deuxième. Le caractère,
avons-nous dit, nous configure au Christ d’une manière toute spéciale.
C’est de là que vient la distinction entre prêtres et laïcs, laïcs
confirmés et laïcs non confirmés, baptisés et non baptisés.
Et c’est ce qui nous fait comprendre pourquoi les théologiens disent
que le caractère est le sacrement et la chose du sacrement, alors qu’un
signe externe n’est qu’un sacrement, et la grâce, la seule
chose signifiée. Car, le caractère est un effet du sacrement sensible,
et c’est pour cela qu’on dit qu’il est la chose du sacrement.
Et, il est en même temps le signe que l’homme est consacré à Dieu,
et est un soldat du Christ; un signe aussi de la grâce qui, à moins
qu’on y mette un obstacle, est présente ou sera présente.
La quatrième proposition. Le caractère sacramentel est seulement
dans l’âme comme dans un sujet. Il est à noter que tous admettent
que le caractère est dans l’âme par inhérence. L’accident
n’est pas inhérent à un accident mais à une substance.
Cependant, un accident peut être dans un autre de deux façons.
La première. Parce que, grâce à lui, il est dans une substance.
La seconde. Parce qu’il parfait l’opération d’un autre
accident, comme on dit que la foi est dans l’intelligence, l’espérance
et la charité dans la volonté.
C’est de cette façon que certains placent le caractère dans l’intelligence,
comme s’il était nécessaire à la production des actes de l’intelligence.
D’autres le placent dans la volonté, car ils pensent qu’il dispose
à la charité, qui est dans la volonté. D’autre le placent dans
la substance de l’âme, ce qui semble plus vrai, car le caractère n’est
pas un habitus ou une puissance opérative. Voilà pourquoi les conciles
de Florence et de Trente ont dit qu’il était « imprimé dans l’âme.
»
La cinquième proposition. Le caractère est indélébile.
C’est ce qui a été décrété par les conciles déjà cités, et qui
est concédé par tous. La raison a posteriori est la suivante.
Il est avéré que les sacrements qui impriment un caractère ne peuvent
pas être répétés. A priori, on avance plusieurs raisons, mais
la plus importante est que le caractère n’a rien qui lui soit contraire,
et qu’il est dans un sujet incorruptible. Car, de par sa nature,
il n’est pas comme l’habitus de foi ou des autres vertus, qui sont
enlevés par des actes contraires, mais il est, selon certains, comme la
puissance, ou, selon d’autres, comme une forme, ou comme une figure.
Le caractère est aussi une certaine consécration de l’âme. Or,
la consécration dure tant que dure la chose consacrée.
La sixième proposition. Trois sacrements seulement impriment
un caractère : le baptême, la confirmation et l’ordre.
Nous trouvons cela dans les conciles ci-haut cités, et tous le concèdent.
La raison a posteriori a déjà été donnée. Il est difficile
et peu nécessaire de donner une raison a priori. On a coutume
de présenter la suivante. Dans ces trois sacrements l’homme
reçoit un nouveau pouvoir et, par une nouvelle consécration, il est député
à un nouveau ministère, et, en quelque sorte, change d’état.
Et voilà pourquoi il reçoit un nouveau sceau.
Car, dans le baptême, l’homme passe du diable au Christ,
est inscrit dans sa famille, et reçoit le pouvoir de participer aux sacrements,
et aux autre bienfaits de l’église du Christ. Dans la confirmation,
il est inscrit dans la milice du Christ, pour qu’il porte son étendard
sur le front, reçoive la force et la puissance, pour lutter d’office
contre les démons. Dans le sacrement de l’ordre, il est
inscrit dans le nombre des chefs, et des préposés de sa milice, et il
reçoit le pouvoir de distribuer tous les biens du Seigneur.
Dans les autres sacrements, ne se fait pas un changement de statut
ou d’état; et le chrétien n’est pas député à un nouveau
ministère. Il ne reçoit pas non plus une nouvelle puissance, mais
est alimenté spirituellement, comme dans l’eucharistie, ou reçoit un
médicament contre les maladies, et les blessures des péchés, comme dans
le sacrement de pénitence, on il reçoit un antidote contre les restes
des péchés, comme dans l’extrême onction, ou il reçoit un remède
contre la concupiscence, comme dans le mariage.
La septième proposition. Ni la circoncision ni aucun autre sacrement
de l’ancienne loi n’impriment un caractère dans l’âme.
C’est ce qu’enseigne saint Thomas (3 part quest LX111, article 1.)
Scot a pensé le contraire au sujet de la circoncision (4, dist 6, question
9, 1). Mais la sentence de saint Thomas est plus vraie.
Car, c’est dans le corps que la circoncision imprimait un caractère,
et c’est ainsi qu’elle était une figure du baptême qui imprime dans
l’âme un caractère. De plus, un caractère est imprimé en nous
pour recevoir ou administrer des œuvres surnaturelles.
Or, aucune œuvre des sacrements de l’ancienne loi n’étaient
surnaturelle. C’est parce qu’il avait enseigné que la circoncision
conférait la grâce par l’opération de l’œuvre (par l’œuvre opérée),
que Scot attribua aussi à la circoncision l’impression d’un caractère.
Or nous, qui enseignons que la circoncision n’a, de par elle-même, aucun
pouvoir, nous devons, si nous voulons être conséquents avec nous-mêmes,
lui nier le pouvoir d’imprimer un caractère spirituel.
La huitième proposition. Dans le Christ, aucun caractère ne
fut créé. C’est ce qu’enseigne saint Thomas (3 par quest LX111,
art 5). Et la raison qu’il en donne est que le caractère est une
participation au sacerdoce du Christ; et qu’il n’est donc qu’en
ceux qui ont le sacerdoce par participation. De même, marquer d’un
caractère est le fait de brebis, d’esclaves, de soldats, de sujets,
de tous ceux qui reçoivent une fonction d’un plus grand qu’eux.
Or, le Christ, est le Pasteur, le Chef, le Seigneur.
De même le Christ ne reçoit aucun sacrement de la nouvelle
loi, à part l’eucharistie. Il ne reçoit donc pas non plus leurs
caractères. Enfin, nous avons besoin, nous, d’un caractère pour
que Dieu, en vertu de son pacte, concoure avec nous dans nos actions sacramentelles.
Mais le Christ n’a pas besoin que quelqu’un concoure avec lui en vertu
d’un pacte, puisque, en tant que Dieu, il est la cause principale, et
en tant qu’homme, la cause instrumentale conjointe. Car, il ne
contracte aucun pacte avec lui-même.
CHAPITRE 20
On prouve le caractère par l’Écriture.
Il ne faut pas se surprendre que nous ne trouvions pas, dans
l’Écriture, autant de témoignages sur le caractère que sur la
grâce. Car la grâce est l’effet principal, et le caractère est
un effet secondaire. De plus, la grâce est l’effet de tous les
sacrements, le caractère de quelques-uns seulement. Ensuite, la
vraie raison d’un sacrement peut exister sans le caractère. Et
la connaissance de la grâce est plus importante que la connaissance du
caractère. Ne manquent pas, quand même, les passages de l’Écriture
où il est question du caractère, et surtout quand on y ajoute les commentaires
des pères, et de l’Église, sans laquelle aucun dogme ecclésial ne
peut être décrété.
Le premier témoignage est celui de Corinthiens 1 : « Le Dieu
qui nous a oints, qui nous a signés, et nous a donné le gage de
l’Esprit dans nos cœurs. » Ici, sont présentés trois
effets du sacrement de confirmation, dans lequel nous sommes oints,
signés tant intérieurement qu’extérieurement. Le premier : l’onction,
qui sans aucun doute, est donnée par la grâce qui fait un reconnaissant.
Car, comme l’huile guérit les maladies, rend robustes les membres, éclaire
et console, c’est ce que la grâce fait en justifiant.
Le deuxième. Elle est un signe, une contresignature
ou un cachet, par laquelle nous nous consacrons à Dieu, et nous nous députons
à son culte. Par quoi nous entendons le caractère que les
pères appellent souvent signe ou sceau. Le troisième : le gage
de l’Esprit, c’est-à-dire le témoignage d’une bonne conscience,
qui suit la justification, et qui est comme les arrhes de la future gloire.
Car rien sur la terre n’est plus agréable que le témoignage d’une
bonne conscience. C’est la paix qui surpasse tout sentiment.
On ne peut pas répondre que par signe, on entend le sacrement externe
lui-même, par lequel sont contresignées les promesses, comme le veulent
les adversaires. Parce que saint Paul parle de la contresignature du cœur,
non du corps, comme d’une action interne et d’un témoignage interne.
Et aussi parce que saint Paul dit que c’est nous qui sommes contresignés,
non les promesses. Car, saint Paul parle de la même façon du signe
et de l’onction. Voir saint Ambroise (livre 1, chapitre 6 sur le
Saint-Esprit) Haymon et Theodoret sur ce passage.)
Le second texte est des Éphésiens 1 : « Dans lequel croyant vous
aussi, vous avez été signés par l’Esprit saint de la promesse, c’est-à-dire
les arrhes de l’hérédité. » Il est à noter que, en grec, le
mot « croyant » est au passé défini, c’est-à-dire, après qu’ils
eurent cru. Ce qui nous fait comprendre qu’il parle du baptême
qui est donné après la foi. Et, il dit que, dans le baptême, est
donnée une contresignature par la vertu de l’Esprit Saint. Et
c’est du sceau reçu dans le baptême que l’entendent les pères latins
et grecs, comme saint Jean Chrysostome, Theophylactus, saint Jérôme,
Haymo, Bède, Anselme, et les autres. On ne peut pas, non plus,
dire qu’il s’agit ici de la contresignature des promesses pour exciter
la foi, puisque que c’est, après la foi, qu’est donnée cette
marque ou ce signe.
Le troisième texte est des Éphésiens 1V : « Ne contristez pas le
Saint-Esprit de Dieu, dans lequel vous avez été signés au jour de la
rédemption. » Par jour de la rédemption, il entend manifestement
le jour de la régénération par le baptême, comme Aymo et Oecumenius
l’interprètent. Il ne faut pas se laisser troubler par l’emploi des
cas faits par saint Paul : un accusatif (in diem) au lieu d’un
datif (ei). Nous en avons un autre exemple : il me sauvera dans son
royaume céleste : in regnum (accusatif) au lieu de in regno (ablatif).
Dans son commentaire de ce texte, Calvin voit dans tout cela une contresignature
des promesses que Dieu fait dans les cœurs, pour confirmer davantage
la foi. Mais cela répugne à la façon de parler de l’apôtre
qui dit toujours ne pas être contresigné. Car, ce serait s’exprimer
de façon impropre et inusitée de dire qu’un homme est contresigné
du fait que les promesses faites à cet homme ont été contresignées.
À ces choses s’ajoutent les figures et les prophéties de l’ancien
testament. Car, au consentement de tous, la circoncision a été
une figure du baptême. Or, la circoncision ne faisait pas que couper
la chair, par quoi était signifiée la justification du péché, mais
elle laissait aussi dans le corps la marque du cautère par laquelle les
Juifs étaient distingués des autres peuples. Cette marque laissée
par l’opération, si elle signifiait quelque chose, signifiait certainement
le caractère, que les chrétiens ont, gravé dans leur âme, et
qui les distinguent des non chrétiens.
La prophétie. Isaïe LXV1 dit, en parlant de la vocation des
Gentils : « Toutes les nations et toutes les langues viendront, et verront
ma gloire, et je placerai en eux un signe. » Bien que par
ce signe on puisse entendre le signe de la croix, ou un autre signe,
rien ne nous empêche d’y voir le caractère. Surtout quand nous
entendons Paul parler d’un signe spirituel interne, et parce qu’on
doit expliquer l’Écriture par l’Écriture, quand la chose est possible.
Quelques-uns ajoutent une autre figure (Exode X11), où sont signés
les ambages et les linteaux avec le sang de l’agneau. Et la prophétie
d’Ézéchiel 1X « Le signe du tau sur le front de ceux qui se lamentent
et gémissent. » Mais ces textes sont hors de propos, car les pères
y ont vu le signe de la croix, qui est marqué sur le front. Ézéchiel,
en effet, parle du front, et le linteau, qui est dans la porte de quelqu’un,
signifie la même chose que le front de l’homme.
Voilà pourquoi, même dans l’Apocalypse, où se trouve une contresignature
semblable, le front est aussi nommé : « jusqu’à ce que nous signions
les serviteurs de notre Dieu, sur leurs fronts ». Et, de plus, dans
les deux textes, ont dit que tous ceux qui ont été signés ont été
sauvés. Ce qui ne convient certes pas au caractère, car seront
damnés beaucoup de ceux qui ont reçu le caractère; et seront sauvés
beaucoup de ceux qui ne l’ont pas reçu.
Mais seront tous sauvés ceux qui sont signés du sang de la croix
du Christ, c’est-à-dire, tous ceux auxquels seront appliqués les mérites
du crucifié, dont la figure est le signe de la croix. Et personne
ne se sauvera sans que ne lui soit appliqué ces mérites. Voir saint
Cyprien, (traité contre Démétrianus), saint Jérôme (Ezéchiel, chapitre
1X), et Gaudentium (traité 5 sur l’Exode. »
2018 11 22 fin
2018 11 27 debut
CHAPITRE 21
On prouve la même chose avec les pères.
Denys l’aréopagite (livre sur la hiérarchie ecclésiale, chapitre
2, partie 1,) dit que « le baptême donne une forme à l’homme,
qui le rend capable de recevoir les autres sacrements ». Cette forme
nous l’appelons, nous, caractère. Au paragraphe 3, il dit la même
chose en parlant de celui qui est baptisé : « Celui-là la divine majesté
l’admet en communauté de biens avec elle, et lui donne sa lumière comme
un signe. »
Cyrille de Jérusalem (dans la préface de sa catéchèse), décrivant
le baptême par son effet, l’appelle régénération, rémission des
péchés, sceau saint et indélébile. » De même, dans la catéchèse
4 : « L’Esprit-Saint, dit-il, au temps du baptême, a contresigné ton
âme. » Et, dans la catéchèse 16, il dit : « Celui-ci, jusqu’à
aujourd’hui, contresigne les âmes dans le baptême. » Voir aussi la
catéchèse 17.
Saint Basile (dans le sermon 13, qui est une exhortation sur
le baptême), dit : « Dieu donne des tessères à ceux qui militent sous
lui. » Et plus bas : « Un trésor non contresigné est facilement
pillé par les voleurs : une brebis non signée contre le péril succombe
aux embuches. » Et, définissant, plus bas, le baptême par ses
effets, il l’appelle « le sceau inviolable. »
Saint Grégoire de Naziance (dans son serment sur le saint lavement)
dit, lui aussi, que le baptême est un sceau qui conserve les fidèles,
et qui fait connaitre que nous la sommes la possession de Dieu.
Saint Jean Chrysostome (homélie 2 sur l’épitre aux Éphésiens) : «
Il nous a marqués du caractère du Saint-Esprit. » Et, plus bas
: « Sont signés aussi les Israélites, mais par la marque de la circoncision,
comme des bêtes. Nous, nous sommes signés comme des fils, par le
Saint-Esprit. » Et, dans l’homélie 14, il dit que « nous
sommes signés comme le troupeau du Seigneur ».
Épiphane (hérésie 8, qui est celle des Épicuriens), après
avoir dit que la circoncision était un retranchement charnel, et un sceau
charnel, il ajoute, en parlant du baptême : « Il nous circoncit
des péchés, et il contresigne au nom de Dieu. » Et, à l’hérésie
30, il appelle le baptême « le sceau du Christ. » Saint
Ambroise (livre 1 sur le Saint-Esprit, chapitre 6) : « Nous sommes
signés par l’Esprit, pour que nous puissions tenir sa splendeur, son
image et sa grâce. » Il dit aussi à ceux qui sont initiés
aux mystères (chapitre 7) : « Répète que tu as reçu un sceau spirituel.
»
Saint Augustin (livre 6, chapitre 1 sur le baptême) dit
que cela a été approuvé dans un concile général : « C’est une chose
assez connue par les pasteurs de l’Église catholique répandue dans
tout l’univers, grâce auxquels la coutume originelle a été confirmée
par l’autorité d’un concile plénier, qui avait accueilli la brebis
qui errait à l’extérieur, laquelle avait reçu le caractère dominical
par ses faux ravisseurs. Elle a été corrigée de l’erreur
en venant au salut chrétien de l’unité, a été libérée de la captivité
a guéri de ses blessures, mais a vu son caractère dominical
approuvé plutôt que réprouvé. »
Voir aussi les épitres 23, 50 et 240, les traits 5 et 6 sur
saint Jean, le livre deux, chapitre 13 contre l’épitre de Parminius,
le livre 2, chapitre ultime contre les lettres de Petilianus, livre
1, chapitre 30 contre Cresconius, le traité 5 sur l’épitre de
saint Jean. Voir aussi Theodoret (chapitres 1 et 2 aux Corinthiens),
Haymon, Primasius, Anselme, Theophylactus, Oecumenius (dans
1 et 4 aux Éphésiens), et saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 10,
sur la foi).
Tout ce qu’ils peuvent répondre à ces textes c’est que les pères
n’ont appelé ce dont nous parlons ni caractère, ni sceau, mais un symbole
externe. Car saint Augustin (dans son sermon de ce qui s’était
passé avec Émérite), dit trois choses qui semblent favoriser cette opinion.
Il dit d’abord que le caractère est connu de l’extérieur, et que
c’est après avoir été reconnu, qu’il est approuvé. Il dit
ensuite que si Donat avait baptisé au nom de Donat, il aurait imprimé
le caractère de Donat. Or, il est certain que le caractère de Donat ne
peut se graver dans l’âme. Il dit, en troisième lieu, que le
caractère est l’invocation de la Trinité qui se fait dans le baptême
: « Je prêtre attention à la foi dans le nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit. C’est le caractère de mon empereur. Il avait prescrit
à ses soldats, ou plutôt à ses compagnons qu’il avait réunis dans
ses camps, d’imprimer en eux ce caractère, en disant : allez,
baptisez les nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »
Je réponds que, chez saint Augustin et les autres pères, le caractère
ne peut pas être un symbole ou un sacrement externe. Car, d’abord,
les pères, comme saint Cyrille, disent que ce sceau est dans l’âme,
non dans le corps. Ou qu’il est spirituel, comme saint Ambroise,
ou qu’ils opposent au cautère de la circoncision, qui était dans le
corps, comme Épiphane et saint Jean Chrysostome. Ils disent, enfin,
qu’il est une sorte de consécration, comme saint Augustin (livre 2,
chapitre 13, contre l’épitre de Parmenius). Et il est certain
que, au sens propre, c’est l’âme qui est consacrée, non le corps,
selon Tertullien (livre de la résurrection de la chair) : « La chair
est ointe pour que l’âme soit consacrée. »
Ils disent ensuite « inhérer et demeurer », ce qui ne convient pas
à un symbole externe qui ne demeure que quand il advient. Saint
Augustin (livre 2, chapitre 13, contre l’épitre de Parmenius) : « Les
sacrements chrétiens ne sont pas moins inhérents que les notes corporelles,
car on voit que les apostats eux-mêmes n’en sont point privés.
Et ils ne sont pas restitués à ceux qui viennent à résipiscence,
car ils ne peuvent pas être perdus. » Les autres pères enseignent
la même chose quand ils disent qu’il est un sceau indélébile, (saint
Cyrille, saint Grégoire de Naziance).
En ce qui a trait aux citations de saint Augustin, où il dit que le
caractère est enfoncé, imprimé, gravé, tous ces mots ne cadrent pas
avec une action transitoire. Troisièmement, si les mots caractère
ou sceau signifiaient des symboles externes, tous les sacrements
imprimeraient un caractère. Car, tous, selon eux, sont des
symboles externes contresignant une promesse. Pourquoi donc
aucun père n’a jamais dit que par l’eucharistie était imprimé un
caractère ?
Et aux autres passages de saint Augustin allégués, je réponds que
le caractère peut être vu à l’extérieur et connu, non en lui-même,
mais dans sa cause. Car, quand nous savons qu’un tel a été validement
baptisé, nous savons en même temps que lui a été imprimé un caractère,
parce que c’est un effet qui suit toujours et nécessairement la cause.
Et cela est assez évident, car un acte externe, nous ne le voyons
plus après qu’il ait passé. Voilà pourquoi saint Augustin n’aurait
pas pu dire qu’un symbole externe a été vu et reconnu, quand
viennent à l’église ceux qui ont été baptisés par des hérétiques.
Et au sujet du caractère de Donat, je dis que saint Augustin parle
par hypothèse. Car, il veut dire que si Donat pouvait conférer
le sacrement en son nom, il imprimerait son propre caractère. Or,
saint Augustin n’était pas sans savoir qu’un baptême au nom
de Donat ne pouvait en aucune façon être conféré, et ne pouvait en
aucune façon imprimer un caractère dans l’âme; qu’il n’était
pas non plus un sacrement externe.
Au dernier, je dis que l’invocation de la trinité et tout
le symbole externe peuvent être appelés caractère, non imprimé, mais
imprimant. Car, comme la même image est dans le sceau et dans la
cire, l’image du sceau étant un caractère imprimant, et
dans la cire un caractère imprimé, de la même façon, le sacrement externe
et surtout la forme du sacrement est un caractère imprimant. Et,
après sa réception, par la vertu et l’impression du sacrement, suit
bientôt un caractère dans l’âme.
CHAPITRE 22
On montre la même chose par la raison
On tire la première raison de la libéralité divine et de la coutume.
Car Dieu diffère en ceci des hommes que quand les hommes confient
à des hommes une tâche, ils ne leur communiquent aucune vertu interne
qui les rende apte à s’en acquitter. Et, quand ils aiment
quelqu’un, ils ne le rendent ni bon ni beau, mais l’aiment comme il
est. Et quand ils veulent être aimés par les autres, ou gagner
leur confiance, ils ne leur communiquent pas une vertu interne qui les
fasse aimer et estimer et approuver. Mais, quand il aime, Dieu
rend bon et beau en aimant, en infusant sa grâce. Et quand il veut
qu’on croie en lui, qu’on espère en lui et qu’on l’aime,
il infuse les habitus de foi, d’espérance et de charité.
Il est donc crédible que quand Dieu députe ou consacre quelqu’un
pour donner ou recevoir les sacrements, ou pour exercer un ministère,
il ne le fait pas par une simple députation, comme le font les êtres
humains, mais en infusant certaines qualités qui les rendent aptes,
idoines à tel office ou ministère. Or, ces qualités nous les appelons
caractères.
La deuxième raison. De l’avis de tous, sauf des anabaptistes,
le baptême confère quelque chose de sacramental, même s’il est donné
ou reçu sans la foi, tandis que, sans la foi, l’eucharistie et l’absolution
ne confèrent absolument rien. Le baptême a donc un autre effet
sacramental en plus de la grâce. On peut utiliser le même argument
pour la confirmation et l’ordre.
On prouve l’antécédent. Celui qui est baptisé par les infidèles,
tout en communiant dans leur infidélité, on dit qu’il est baptisé,
et vraiment baptisé, si on a employé les rites et les mots avec
l’intention (de faire ce que fait l’église.) Les luthériens
et les calvinistes ne nient pas cela. Mais celui qui est absous
sans la foi n’est pas vraiment absous; et celui qui communie sans la
foi, ne communie pas vraiment au corps du Seigneur, selon Calvin.
Et, selon les catholiques, il reçoit vraiment, dans la bouche, le vrai
corps du Seigneur, mais, dans l’âme, il ne reçoit rien d’autre
qu’un péché.
Demeure donc, dans le baptême, un effet sacramentel qui n’est
pas la grâce, puisque, sans la foi, la grâce n’est pas donnée; qui
n’est pas non plus l’action extérieure, car, cette action on la trouve
aussi dans l’eucharistie et dans l’absolution. C’est donc quelque
chose de permanent dans l’âme, et c’est cette chose-là que nous appelons
caractère. S’il n’en est pas ainsi, que les adversaires expliquent
donc pourquoi, sans la foi, un homme est baptisé; mais n’est pas
absous, sans la foi, ou ne communie pas pieusement et efficacement
au corps du Seigneur, sans la foi. Et c’est ce que fut l’ancienne
question des donatistes qui pensaient pas que le baptême n’avait
pas d’autre effet que de donner la grâce; et qui le croyaient
invalide quand il était reçu sans la foi.
La troisième raison. Le baptême, la confirmation et l’ordre
ne peuvent pas être répétés s’ils ont été correctement conférés.
Mais, comme tous le savent, on peut répéter les sacrements d’eucharistie
et de pénitence. On ne peut pas trouver d’autre raison pour expliquer
cette dichotomie que le caractère. Il est donc nécessaire d’affirmer
que certains sacrements impriment un caractère.
La majeure est reçue par tous, même par les hérétiques de notre
temps, sauf par les anabaptistes. On prouve la mineure ainsi.
Si on admet un caractère, la raison de cette différence est évidente.
En effet, certains sacrements ne peuvent pas être répétés, parce que,
après avoir été donnés une fois, ils demeurent dans leur effet.
Les autres sont répétés parce qu’ils ne demeurent ni en eux-mêmes,
ni en leur effet. Car, la grâce, qui est le seul effet des autres
sacrements, peut facilement être perdue, et est souvent perdue.
De plus, même si elle n’est pas perdue, elle peut être augmentée,
et le sacrement est donc répété pour augmenter la grâce.
Mais le caractère ne peut pas être augmenté par la répétition du même
sacrement.
Ajoutons que la grâce n’est pas le sacrement, mais son effet
seulement. Mais le caractère est le sacrement et l’effet du sacrement.
Cette raison montre donc clairement pourquoi certains sacrements sont répétés
et d’autres non, comme les conciles de Florence et de Trente l’enseignent.
Si on n’accepte pas cette raison, on ne pourra pas en trouver d’autre
de valable. Ce que je vais montrer en réfutant les objections de
Calvin et de Kemnitius.
Calvin (livre 4, chapitre 18, verset 19), dit que le baptême
ne peut pas être répété parce qu’il est l’entrée dans l’église,
et une initiation à la foi. Comme il n’y a qu’un seul
Dieu en lequel nous croyons, et une seule église, dans laquelle nous entrons,
il n’y a aussi qu’un seul baptême. Mais cette raison n’est
pas solide. D’abord, parce que ceux qui sont baptisés par les
hérétiques tout en croyant comme eux, n’entrent pas dans l’église,
et ne sont pas, non plus, initiés à la foi, puisque, chez les hérétiques,
il n’y a ni église, ni foi. Deuxièmement. Ceux qui sont
baptisés dans l’église catholique et qui, par la suite, s’en séparent
dans l’hérésie ou l’apostasie, doivent, s’ils veulent être sauvés,
entrer de nouveau dans l’église, et être initiés à la foi.
Pourquoi donc ne peuvent-ils pas être de nouveau baptisés ?
Voilà pourquoi la raison donnée par Calvin prouverait quelque chose
si un baptisé ne pouvait ni sortir de l’Église, ni perdre la
foi. Ce qui est faux, comme on le constate. Troisièmement.
On n’entre pas moins dans l’église et on n’est pas moins initié
à la foi par la parole que par le baptême. Or, la parole peut être
répétée pour fortifier davantage notre foi et pour nous faire adhérer
plus fortement à l’Église. Pourquoi, alors, ne pourrait-on pas
répéter le baptême ? Quatrièmement. L’ordination
n’est ni une initiation à la foi ni une entrée dans l’église, mais
elle ne peut quand même pas être réitérée, comme saint Augustin l’enseigne
(livre, 1, chapitre 1 sur le baptême.)
Kemnitius (2 par examen pag 133) fournit une raison non en son
nom, mais au nom de Gabriel. Pourquoi certains sacrements peuvent
être réitérés et d’autres pas, la cause en est l’institution divine.
Mais cette raison ne vaut pas grand-chose. Car, sans une raison
majeure, Dieu n’interdirait pas qu’un sacrement si utile soit répété.
Et ceux qui ne peuvent pas donner de raison pour laquelle Dieu a fait cette
interdiction, c’est avec une grande témérité qu’ils disent que Dieu
l’a prohibé. Car, d’où savent-ils que Dieu a fait cette prohibition
? Cela, l’écriture ne le dit certes pas. Mais si tu te réfugies
auprès des pères et de la tradition des conciles, tu constateras qu’ils
enseignent que Dieu n’a pas voulu que certains sacrements soient réitérés,
parce qu’ils impriment un caractère.
Le même Kemnitius (page 136), nous renvoie à un autre endroit où
il s’engage à donner de solides raisons tirées des saintes lettres
(pages 238, 239, 240 de l’examen du canon 11 sur le baptême).
Il donne quatre raisons qu’il ne considère pas très solides, et quatre
autres, qu’il dit être très solides. La première
des causes non solides : parce que le baptême signifie la mort du Christ.
Or, le Christ n’est mort qu’une seule fois. Cette raison ne vaut
rien, parce que l’eucharistie signifie aussi la mort du Christ (1 Corinth
11), et peut quand même est répétée. Tous les sacrifices
des Juifs signifiaient aussi la mort du Christ, mais ils étaient fréquemment
répétés. On dira que ce ne sont pas des choses semblables, car,
par le baptême, nous mourons avec le Christ : nous mourons en effet au
péché, comme il est mort corporellement.
Je réponds. La force de l’argument de Kemnitius vient de ce
que la mort du Christ, qui n’arriva qu’une seule fois, est représentée
par le baptême, ou par le fait que nous mourons au péché. Si c’est
la première explication, elle ne prouve rien, car ce qui a été une fois
peut être souvent représenté, comme on le voit dans les pièces de théâtre
où on représente des choses qui sont arrivées une seule fois.
Et d’ailleurs, c’est par accident que nous mourons dans le baptême.
Si c’est la seconde explication, elle ne conclut rien, elle non plus,
parce que le même peut, plusieurs fois, mourir avec le Christ, quand il
pèche plusieurs fois, et se repent plusieurs fois de ses péchés.
De plus, l’ordination n’est pas une représentation de la mort du Christ,
mais elle ne peut quand même pas être répétée. La représentation
de la mort du Christ n’est donc pas la vraie raison prohibant la réitération
de certains sacrements.
La deuxième raison non solide se trouve dans Jean X111 : «
Celui qui est pur n’a besoin que d’un lavement de pieds, car
il est entièrement pur ». Ce texte est hors de propos, car il parle
de celui qui est vraiment pur. Donc, celui qui, après le baptême,
est redevenu impur, ce n’est pas ce texte qui lui interdit d’être
baptisé de nouveau. La troisième raison non solide.
Il est dit dans Hébreux 1V : « Il est impossible à ceux qui ont été
illuminés une fois d’être rappelés de nouveau à la pénitence. »
Où, par illumination, il entend le baptême. Cette raison
ne vaut pas non plus, car saint Paul parle de ceux qui, après avoir
été une fois illuminés et rénovés, c’est-à-dire justifiés, (comme
le démontrent les mots : rappelés de nouveau). Pourquoi
n’auraient-ils pas pu être au moins baptisés une seconde fois
ceux qui dans le premier baptême n’ont pas été justifiés ?
La quatrième raison non solide. Il est dit dans Éphésiens
1V : « Un seul baptême. » Cette raison n’est, en effet,
pas solide. On dit un seul baptême parce que seul le baptême du
Christ est salutaire, et qu’il est célébré par un rite certain.
On dit aussi un seul pain pour l’eucharistie (1 Cor X11), et pourtant
on répète la réception de l’eucharistie, et la profession de foi.
Et, si quelqu’un perd la foi, il doit la retrouver de nouveau, mais il
ne peut pas recevoir le baptême de nouveau.
La première raison très solide. Parce que, dans le baptême,
Dieu a contracté un pacte perpétuel avec nous. Car,
Dieu ne suit pas la règle vulgaire selon laquelle quand la foi jurée
de l’un est trahie, la foi jurée de l’autre l’est aussi.
Dieu, en effet, conserve toujours son pacte, même si nous sommes infidèles.
Romains 111 : « Leur infidélité évacuera-t-elle la fidélité de Dieu
? » Voilà pourquoi, quand nous péchons après le baptême,
il n’est nul besoin d’un nouveau pacte. Il suffit de recourir
à celui qui a été contracté une fois pour toutes dans le baptême.
Cette raison est moins solide que les précédentes. Car, d’abord,
en Hébreux V1, saint Paul nie que l’homme qui pêche puisse revenir
au pacte du baptême. Car il ne dit pas qu’il est impossible d’être
baptisé de nouveau, mais : « il est impossible d’être rappelé de
nouveau ». C’est-à-dire, que l’homme ne peut plus avec la même
facilité que dans le baptême revenir à l’amitié de Dieu, et
à la rémission de la faute et de la peine. Il a besoin d’une
pénitence laborieuse, faite de jeûnes et de larmes. Il a donc besoin
d’un autre pacte plus sévère que ne l’était le premier.
Deuxièmement. Quand quelqu’un est baptisé sans la foi, Dieu
ne fait aucun pacte avec lui, car un pacte se fait entre deux personnes
consentantes. Voilà pourquoi Kemtnitius lui-même dit que, par le
baptême, la grâce est non seulement offerte, mais procurée, appliquée,
et donnée. Or, il est certain qu’elle n’est ni appliquée ni
donnée à qui ne croit pas. Pour cette raison, pourraient
être rebaptisés au moins ceux qui ont reçu le baptême sans la
foi, ce qui est faux, comme ils le concèdent eux-mêmes.
Troisièmement. Comme le baptême est un pacte, la parole de Dieu
en est un aussi, et surtout pour nos adversaires, qui disent que,
dans la justification, la parole et le sacrement se comportent de
la même façon. Or, la parole est répétée à chaque jour.
Quatrièmement. Il est faut que le pacte de Dieu soit perpétuel
pour celui qui perd la foi en Dieu, de façon à ce que la promesse doive
être conservée quelle que soit la façon dont se comporte celui à qui
elle a été faite. Car, les promesses de Dieu sont conditionnelles.
Dans le baptême, en effet, il promet qu’il sera pour nous
un père et un époux, si nous persévérons à être des fils et
des épouses. Jérémie XV111 : « Je parle subitement contre une
nation et contre un royaume, pour l’éradiquer, le détruire, le disperser.
Si cette nation fait pénitence de son mal, je ferai moi aussi pénitence
de ce que j’avais pensé lui faire. Et je parlerai subitement de
cette nation et de ce royaume pour l’édifier et le planter. S’il
fait mal sous mes yeux, je ferai pénitence du bien que j’ai dit que
je leur ferais. »
Et ce que Kemnitius tire des Romains (est-ce que leur infidélité
évacuera la fidélité de Dieu ?) doit s’entendre des promesses absolues,
comme était l’envoi d’un Messie rédempteur. Mais, dans le baptême,
ce genre de promesse n’existe pas. Car, elle dépend de la foi
du récipiendaire, comme eux-mêmes l’enseignent. Elle n’est donc pas
absolue, mais conditionnelle.
La seconde raison très solide. Du baptême, il n’a jamais
été dit qu’il pouvait être répété. D’autres sacrements
il a été dit, comme l’eucharistie : « toutes les fois que… »
Et du sacrement de pénitence : « Je ne te dis pas sept fois, mais soixante
fois sept fois. » Mais cette raison ne vaut pas, non plus, grand-chose.
Omettons d’abord que ce passage de saint Matthieu ne s’entend
pas du sacrement de pénitence, mais du pardon des injures, et répondons-lui
ce qu’a répondu Luther à Carolstad, (dans le livre contre les prophètes
célestes) : il n’est pas écrit qu’il fallait répéter le baptême,
mais il n’est pas écrit non plus qu’il ne faut pas le répéter.
Et saint Augustin (livre 7, chapitre 4 sur la trinité), dit sur le
nom trois personnes : « Nous disons qu’il y a en Dieu trois personnes,
non parce que l’Écriture le dit, mais parce qu’elle ne le contredit
pas. » De la même façon, nous pourrions rebaptiser, nous,
non parce que l’Écriture le dit, mais parce qu’elle ne dit pas le
contraire, d’autant plus que le baptême est une chose bonne et très
utile, s’il n’y avait pas un danger de sacrilège, à cause du caractère
déjà imprimé.
La troisième raison est des plus faibles Nous n’avons pas
d’exemple de re baptême dans l’Écriture , et la circoncision qui
était une figure du baptême, n’était reçue qu’une fois. Cette
raison ressemble à la précédente. Car, dans toute l’Écriture,
nous n’avons aucun exemple d’une interdiction de réitérer le baptême.
Nous avons même, selon les adversaires, un exemple d’anabaptisme.
Car, dans les actes X1X, Paul a ordonné de baptiser ceux qui avaient été
baptisés par saint Jean-Baptiste. Or, selon tous les luthériens,
et selon Kemnitius lui-même, le baptême de saint Jean avait la même
efficacité que celui de Jésus. Si donc un exemple est la seule
chose qu’il nous faut, il faudrait donc rebaptiser.
Les adversaires devraient donc ouvrir les yeux, et comprendre qu’on
a pu rebaptiser après le baptême de saint Jean le Baptiste parce qu’il
n’avait pas, dans l’âme, un effet indélébile, comme l’a le baptême
du Christ. Si nous regardions les exemples des pères, les luthériens
devraient absolument rebaptiser. Car, saint Cyprien, et quelques
autres évêques carthaginois, et quelques autres en Asie, rebaptisaient.
Il a résisté aux décisions de l’église romaine qui interdisait de
rebaptiser.(Eusèbe, livre V11, histoire) Pourquoi donc les adversaires,
dans cette question, ne suivent-ils pas ces pères africains et asiatiques,
plutôt que l’église romaine, comme ils ont coutume de faire dans toutes
les autres choses ? Et ce que Kemnitius raconte de la circoncision
est en notre faveur. Car, la circoncision n’était pas répétée
parce qu’elle imprimait dans la chair un caractère indélébile.
La quatrième raison ne vaut rien du tout. Par le baptême,
nous naissons spirituellement. Il n’y a qu’une nativité spirituelle,
et une seule nativité corporelle. Voilà pourquoi Nicodème
disait à Jésus (Jean 111): « Comment un homme peut-il naître quand
il est vieux ? » Il portait un jugement vrai sur la nativité
corporelle. Cette raison, Kemnitius l’a volée chez les catholiques.
Car saint Thomas l’a semble parler ainsi (3 par q LXV1, art 9).
Mais la différence entre les catholiques et Kemnitiius consiste en ceci
: les catholiques s’en servent comme de quelque chose qui convient.
Et, ils notent en même temps la véritable cause qui est l’impression
d’un caractère, comme l’ont bien enseigné les conciles de Florence
et de Trente. Mais, après avoir éliminé la vraie cause, Kemnitius
saute sur cette congruité, comme s’il s’agissait d’une raison très
solide.
Je montrerai donc que cette raison n’est pas solide.
Car, d’abord, l’homme, comme le concèdent les adversaires, est engendré
spirituellement non seulement par le baptême, mais par la foi et
la parole de Dieu. Comme on le voit dans Paul (1 Corinthiens
1V) : « Je vous ai engendrés par l’évangile. » Et pourtant,
on répète souvent les actes de foi et les sermons. De plus, même
la génération corporelle est naturellement une seulement, cependant,
surnaturellement parlant, elle peut être répétée; et, dans la
résurrection, c’est la même chose qui est répétée, que le Seigneur
appelle régénération (Matth 19). Or, puisque le baptême
est une régénération spirituelle, qu’est-ce qui peut bien empêcher
qu’il soit réitéré.
Troisièmement. Même si la régénération corporelle ne peut
en aucune façon être répétée, la génération spirituelle ne lui est
pas en tout point semblable. Car, comme la mort corporelle est unique,
de même aussi la nativité corporelle. Or, la mort spirituelle est
multiple. Pourquoi donc la génération spirituelle ne pourrait-elle
pas être multiple ? Quatrièmement. L’ordination n’est
pas une génération, mais ne peut quand même pas être répétée.
Enfin, ceux qui, sans la foi, sont baptisés ne sont pas vraiment régénérés,
mais ne peuvent pourtant pas être rebaptisés. À l’inverse, ceux
qui, sans le baptême, sont régénérés par la foi, pas la contrition
et par le désir du baptême, peuvent néanmoins être baptisés après,
(Corneille, acte X). Ce n’est donc pas la raison.
CONTROVERSE 5
DU NOMBRE ET DE L’ORDRE DES SACREMENTS
La cinquième controverse qui porte sur le nombre des sacrements comprend
cinq parties. La première. Les sentences des hérétiques.
La deuxième. Nous prouverons la vérité de la doctrine de l’église
catholique sur les sacrements. La troisième. Nous réfuterons
les arguments des adversaires. La quatrième. Nous ajoutons
quelque chose, par mode d’appendice, sur l’ordre des sacrements.
CHAPITRE 23
Ce que les hérétiques pensent sur le nombre des sacrements
Les hérétiques diffèrent entre eux sur le nombre des sacrements.
C’est Luther qui leur a tracé la voie à tous dans son livre sur la
captivité de Babylone. Car, dans ce livre, paru en 1520, il
enseigne beaucoup de choses. Au début du livre, il affirme qu’il
n’y a qu’un seul sacrement, s’il nous faut parler selon la façon
dont s’exprime l’Écriture. Au même endroit, cependant,
il soutient qu’on doit nier qu’il y ait sept sacrements, et que, pour
le moment, on ne doit en admettre que trois : le baptême, le pain et la
pénitence. Au milieu du livre, au chapitre de la confirmation, il
déclare qu’il ne condamne pas les sept sacrements, mais qu’il
nie seulement qu’on puisse prouver leur existence à partir des
seules Écritures.
Or, cela ne concorde pas très bien avec l’enseignement donné au
début du livre, quand il soutenait qu’il fallait nier qu’il y ait
sept sacrements, et qu’on devait n’en retenir que trois. Car
condamner les sept sacrements n’est pas bien différent de nier les sept
sacrements. De cette inconstance de Luther, sont nées différentes
sentences des luthériens et des autres hérétiques.
La première sentence. Il n’y a qu’un seul sacrement, bien
qu’il y ait plusieurs signes sacramentels. C’est ce qu’a d’abord
enseigné Luther au lieu cité. Il n’eut pas d’adeptes de cette
opinion. Car, tous admettent plusieurs sacrements, et cela, selon
l’Écriture. La deuxième opinion est de ceux qui n’admettent
que deux sacrements au sens propre, le baptême et l’eucharistie.
Cette opinion, c’est Luther lui-même qui l’émit dans son livre sur
la captivité de Babylone, au chapitre des signes, où il ne reconnait
que ces deux là. De même, Illyricus (dans la confession d’Antuerpiensi,
au chapitre 11 sur les sacrements, et au chapitre 18 sur l’absolution.)
Nicolas Selneccorus (dans la deuxième partie de son apologie, chapitre
sur les sacrements), et Kemnitius (2 par examen, chapitre sur le nombre
des sacrements, page 12 et suivantes.)
La troisième est de ceux qui admettent trois sacrements : le baptême,
l’eucharistie et la pénitence. C’est l’opinion la plus
générale, celle qui est la plus acceptée par les luthériens.
Car, tout d’abord, même si dans sa captivité de Babylone, Luther a
réduit drastiquement le nombre des sacrements à deux, il a, dans le même
livre, enseigné qu’il y en avait trois. Et cela, il l’a toujours
répété, comme en l’année 523, (dans son livre contre les docteurs
de Prague sur l’institution des ministres; et, en l’année 534,
dans son livre sur la messe privée, et, enfin, en 545, l’avant dernière
année de sa vie, dans ses assertions contre les docteurs de Louvain.
Voici son assertion 35 : « Nous confessons volontiers qu’est un
sacrement la pénitence, avec le pouvoir des clefs de ceux qui absolvent.
Car, elle a la promesse et la foi dans la rémission des péchés à cause
du Christ. » C’est ce qu’enseignent à peu près tous les catéchismes
des luthériens, comme celui de Philippe, de Brentius, et d’autres.
Ainsi que leurs rituels, et l’apologie de la confession d’Augusta,
article 13.
Il est à noter ici que Illyricus et Kemnitius n’ont pas de défense
contre une accusation de parjure et de défection de la foi d’Augusta.
Car, comme le rapporte Tilmannus Helshesius (dans son livre sur la présence
du corps du Christ à la cène), tous les luthériens jurent dans les mots
de la confession et de l’apologie, qui promeuvent quelqu’un à
un degré ou à un pastorat. Mais Illyricus (dans son
apologie de la confession d’Autuerpiensis, chapitre 18) et
Kemnitius (2 part, examen pages 44, et 903, apologie de la confession)
répondent que la pénitence est appelée sacrement au sens large, non
parce qu’elle est vraiment et proprement un sacrement.
Mais cette sentence ne tient pas debout, car l’apologie dit
ceci : « Si nous appelons sacrements des rites qui ont un mandat de Dieu,
et à qui est ajoutée une promesse de grâce, il est facile de juger quels
sont ceux qui sont des sacrements au sens propre. » Et un peu après,
appliquant la définition : « Sont de vrais sacrements le baptême, l’eucharistie,
et l’absolution, qui est le sacrement de pénitence. Car, tous
ces rites ont un mandat de Dieu et une promesse de grâce. »
Kemnitius est donc le seul à ne pas vouloir que l’absolution soit
un sacrement au sens propre, parce qu’elle n’a pas de rite prescrit
par Dieu. Or, l’apologie professe que l’absolution a un
rite prescrit par Dieu. Donc, selon la sentence de l’apologie,
l’absolution est un véritable sacrement.
La quatrième opinion est celle de Zwingli (dans son livre sur la vraie
et fausse religion). Car, dans le chapitre sur les sacrements, il
enseigne qu’il y a deux sacrements, le baptême et la cène. Cependant,
au chapitre sur le mariage, il ajoute le mariage. Il est vrai
que ce n’est pas de gaité de cœur que Zwingli a appelé le mariage
sacrement. La raison n’en est pas qu’il pensait que la définition
du sacrement ne convenait pas au mariage. Il craignait que le mot
sacrement n’obscurcisse et n’entache la dignité du mariage.
Car il prétendait que le mot mariage ou épousailles était plus digne
et vénérable que le mot sacrement.
La cinquième opinion est celle de Calvin. Il reconnait trois
sacrements, mais non les mêmes que ceux de Luther ou de Zwingli.
Car, il veut que soient des sacrements le baptême, l’eucharistie, et
l’ordination. Car, même si au livre 4, (chapitre 18, versets
19 et 20 de ses institutions), il ne reconnait que deux sacrements, le
baptême et la cène, cependant, un peu après, (chapitre 19, verset 31,
comme au chapitre 14, verset 20), il énumère l’ordination parmi les
vrais sacrements, et fait remarquer que quand il dit qu’il n’y a que
deux sacrements, il parle des sacrements ordinaires et communs à tous
les chrétiens. Voilà pourquoi (dans son antidote du concile
de Trente, session V11, canon 1), il ne rejette que quatre sacrements :
la confirmation, la pénitence, le mariage et l’extrême onction.
C’est l’opinion de Philippe qui même, si, avec Luther, il ne reconnut
au début que deux sacrements, il dit ensuite, (dans les lieux
qui ont parus en l’ana 536, 552, et 558, (dernière édition),
ceci au chapitre du nombre des sacrements : « Il me plait grandement d’ajouter
l’ordination, c’est-à-dire l’appel au ministère de l’évangile.
Car, cela aussi est prescrit par un mandat évangélique, et une promesse
lui est annexée. » Et, dans tout le chapitre, il prouve longuement
que l’ordination est un sacrement, et qu’il y a donc quatre sacrements.
Lucas Lossius (dans son catéchisme de l’année 57) enseigne
la même chose. Mais, dans le catéchisme qu’il avait édité en 51,
il ne reconnaissait que trois sacrements.
La septième opinion, composée du luthéranisme, du calvinisme et
du et du zwinglinisme, fut, non ouvertement, mais obscurément, celle
de Philippe. Car, dans les lieux édités en 58, même s’il n’admettait
que quatre sacrements, il avait, comme Zwingli, une forte tendance
à en ajouter un cinquième, le mariage. Il reconnait que le mariage
est le signe d’une chose sacrée, qu’il a un manda divin, et qu’il
a une promesse annexée. La seule chose qui lui manque pour
être un sacrement chrétien c’est d’avoir existé avant le Christ.
Or, s’il veut que le baptême soit un sacrement parce qu’il a été
reçu et confirmé par le Christ, pourquoi, pour la même raison, le mariage
ne serait-il pas un sacrement ?
La huitième opinion est de ceux qui admettent six sacrements.
Dans ses tables analytiques, Lyndanus attribue cette opinion à Guilllaume
Postello, dans sa panthenosia. Il mourut ensuite catholique.
La neuvième opinion est de ceux qui admettent sept sacrements.
C’est de foi que les catholiques tiennent qu’il y a sept sacrements.
Mais pour eux ce n’est qu’une opinion qui ne peut pas être de foi.
Car, celui qui, dans un seul article est hérétique, est tout simplement
privé de la foi. Cette opinion est celle de certains luthériens
qui ont aimé ce que Luther avait dit quand il déclarait qu’il ne condamnait
pas les sept sacrements. Jean Steidanus écrivit (20 livres sur l’histoire)
deux ans après la mort de Luther, c’est-à-dire en l’an 548.
Il raconta que dans un certain conciliabule de Lipsis, il avait
été déterminé que la confirmation et l’extrême onction étaient
des rites qui conféraient la grâce, et qu’il fallait donc recevoir
sept sacrements. Furent présents à ce conciliabule plusieurs théologiens
de Wittemberg et de Lipsis, et avec eux, Philippe Melanchton.
C’est alors qu’on a commencé à les appeler des luthériens mous,
comme le raconte Surius dans son histoire, en l’an 48.
Voilà pourquoi Matthias Illyricus (dans le livre intitulé : exhortation
d’Illyricus à la constance dans la religion du Christ reçue,
et dans la confession d’Augusta) se demande pourquoi, dans l’interim
de Lipsis, les sept sacrements papistes ont été restitués. Et,
dans la préface de la septième centurie, il n’hésite pas à appeler
hérésiarques les princes des luthériens mous ou politiques.
On peut déduire de tout cela que ce fut une pure inconstance de Luther
et de Philippe, et des principaux pères luthériens, et cela dans une
chose si grave. Deuxièmement que la vraie église ne peut pas exister
chez nos adversaires. Car, pour eux, la note principale de la vraie
église, est le consensus dans la doctrine sacramentelle. Car, c’est
ce que dit Luther (dans son livre sur les notes de l’Église), et dans
la confession d’Augusta, et dans l’apologie, article 7.
Ils admettent que, jusqu’à présent, ils n’ont pas pu s’entendre
sur le nombre des sacrements. C’est comme si chacun attirait
l’église vers lui seul, sans se troubler du petit nombre des croyants.
On peut, en troisième lieu, en déduire que ces hérésies ne peuvent
pas durer longtemps, car tout royaume divisé contre lui-même périra.
Et c’est ce que Luther lui-même a noté au psaume V : « Les hérétiques
ne sont pas vaincus par la violence, ou par l’astuce, mais par a dissension
mutuelle. Le Christ n’a pas lutté contre eux autrement qu’en
leur envoyant un esprit de vertige et de dissension, comme entre
les Sichimites (Juges 1X) et entre les ouvriers de la tour de Babylone
(Genèse X1), et, dans la loi nouvelle, entre les ariens, les donatistes
et les pélagiens. » Saint Hilaire a développé ce thème dans
son livre V11 sur la Trinité.
CHAPITRE 24
On prouve, avec l’Écriture et les pères, la vérité catholique
sur le nombre des sacrements.
La sentence des catholiques est et a toujours été qu’il y a sept
sacrements proprement dits. On peut le prouver de trois façons.
La première. Par le témoignage de l’Écriture et des pères qui,
sans les énumérer, attestent qu’il y a sept véritables sacrements.
La seconde. Par les témoignages des conciles et des docteurs, qui
précisent qu’ils sont au nombre de sept. La troisième, par des
raisons ou des convenances.
Sur les premiers témoignages, il y a trois choses à noter.
La première. Les adversaires ne doivent pas demander que nous montrions,
dans l’Écriture ou dans les pères, le chiffre sept. Car, même
eux, ils ne peuvent pas expliquer les noms binaires, ternaires ou quaternaires.
Car, l’Écriture ou les pères n’ont pas écrit de catéchisme, comme
nous faisons depuis à cause de la multitude des hérésies, mais ils ont
traité de ces choses dans différentes circonstances ou livres. Et cela
n’est pas propre aux sacrements, mais à un grand nombre de vérités.
Par exemple, l’écriture raconte certains miracles du Christ,
mais ne nous donne jamais de chiffres. Elle nous livre
les articles de foi, mais ne nous indique jamais leur nombre. Les
apôtres ont, ensuite, édité un symbole de foi en douze articles.
On ne peut pas, non plus, par l’Écriture, savoir quel est le nombre
des livres canoniques. Mais, plus tard, les conciles ont promulgué
des canons, et ont fixé un certain chiffre qu’ils avaient appris de
la tradition.
La seconde. Les adversaires ne doivent pas non plus demander que nous
montrions, dans l’Écriture, qu’ont été nommément appelés sacrements
la confession, l’ordre, le mariage ou la confirmation. Car, nous
ne disputons pas du nom, mais de la chose. Eux non plus ne
pourront pas montrer que le mot sacrement ait été donné au baptême
ou à l’eucharistie. Car, il n’a été donné qu’au mariage,
que presque tous les hérétiques nient être un vrai sacrement.
Nous voyons, au contraire, que le mot sacrement a été donné, dans
l’Écriture, à beaucoup de choses qui, du consentement de tous, ne sont
pas des sacrements. Comme dans Éphésiens 1, le dessein de Dieu
d’appeler les Gentils à la foi est appelé sacrement (mystère) de la
volonté de Dieu. Et, en 1 Timothée 111, l’incarnation du Verbe
est appelée un sacrement (mystère) de piété. Et, dans l’apocalypse
XV11, on appelle sacrement (mystère) de la femme le signe imprimé sur
le front de la femme qui représente Babylone.
La troisième. Il suffit que nous montrions par les Écritures
et les pères que la définition du sacrement s’applique à des
rites qui ne sont pas plus nombreux que sept. Car, même si nous
ne nous entendons pas dans l’explication de la définition du sacrement,
(comme nous l’avons montré plus haut au livre 1 de la deuxième controverse),
nous nous entendons cependant tous sur la définition générale, à savoir
que les sacrements sont des rites, ou des signes externes et sensibles,
qui, de par leur institution divine, ont, annexée, une promesse de la
grâce justifiante. Cela ayant été dit, passons maintenant à la
preuve.
Le baptême est un sacrement
D’abord, il n’y a pas de dispute sur le baptême. Car le
rite est bien décrit (Éphésiens V) : lavement avec de l’eau dans la
parole de vie. L’institution aussi et le mandat (Jean 111) : «
Si quelqu’un ne renait de l’eau etc. » Et Matthieu (dernier
chapitre ) : « Baptisez-les au nom du Père… » Ainsi que la promesse
de grâce, (Marc, dernier chapitre) : « Celui qui croira et sera baptisé
sera sauvé. » Et Tite 111 : « Il nous a sauvés par le lavement.
» C’est ce qu’enseignent tous les pères ci-haut cités
dans la question de l’effet des sacrements.
L’eucharistie est un sacrement
Il n’y a pas de dispute non plus sur l’existence de ce sacrement.
Car, nous avons le rite en Matthieu (XXV1) et 1 Cor X1 : « Il reçut
le pain en rendant grâce, le rompit … » Et l’institution et
le mandat au même endroit : « Faites ceci… », et Jean V1 : « À moins
que vous ne mangiez… » Et la promesse de grâce : « Celui qui
mangera de ce pain aura la vie éternelle. » Les pères enseignent
la même chose, comme saint Augustin (épitre 118, chapitre 1). Après
avoir dit que le Christ avait institué des sacrements en petit nombre,
très importants par la signification, faciles à observer, il donne comme
exemples le baptême et l’eucharistie.
La confirmation est un sacrement.
De la confirmation nous avons le rite externe : imposition des mains
(Actes 8 et 19). Nous avons l’effet de la grâce au même endroit,
car, par l’imposition des mains des apôtres l’Esprit-Saint était
donné, dans la même phrase où il a été dit, au sujet du baptême (Tite
111) : il nous a sauvés par le bain de la génération. » L’institution
et le mandat nous ne les avons pas explicitement dans l’Écriture,
mais on les déduit facilement des lieux cités. Car les apôtres
n’auraient jamais, d’une façon habituelle et avec tant de confiance,
imposé les mains pour communiquer la grâce du Saint-Esprit, si
le Seigneur ne le leur avait pas prescrit. Car, ils n’ignoraient
pas qu’aucun homme ne peut instituer une cérémonie capable de donner
la grâce du Saint-Esprit.
Car même Kemnitius (2 part examen, page 13, et dans son apologie de
la confession d’Augusta, article 13) et Calvin (livre 4, chapitre
19, verset 2) affirment qu’aucun homme ne peut faire en sorte qu’un
symbole externe contienne une promesse certaine de grâce. Il faut
donc ou que les apôtres aient été téméraires, ce que personne n’osera
dire, ou qu’ils en aient reçu le mandat du Christ. Cette
cérémonie, en effet, fut nécessaire et ordinaire, car il ne suffisait
pas de prier pour que vienne le Saint-Esprit.
Et du fait que ce furent les premiers des apôtres, saint Pierre
et saint Jean, qui entreprirent le voyage pour ce ministère, c’est-à-dire
qui allèrent de Jérusalem en Samarie, pour imposer les mains à ceux
que le diacre Philippe avait baptisés. Car, ils pouvaient prier
pour eux tout en demeurant à Jérusalem.
Il faut noter que l’imposition des mains était jointe à l’onction
et au signe de croix. Car, ces choses se font en même temps, pendant
que le signe de la croix est marqué sur le front des confirmés, et cela
par le ministère de la main épiscopale. Voilà pourquoi saint Denys l’aréopagite,
(chapitre 2, par 3, et chapitre 4, par 3) parle clairement du saint chrême
dans ce sacrement. Et Tertullien (dans le livre sur la résurrection
de la chair) place la confirmation sur le même plan que le baptême et
l’eucharistie : « La chair est lavée pour que l’âme soit purifiée;
la chair est ointe pour que l’âme soit consacrée. »
Et dans la prescription des hérétiques, il enseigne que le diable
imite les sacrements chrétiens. Et il présente deux exemples :
il baigne, lui aussi ses croyants, et il signe sur le front ses soldats.
» Et dans le livre sur le baptême, il dit : « Ensuite, la main est imposée
en bénissant, provoquant et invitant l’Esprit-Saint. »
Tu vois donc là que Tertullien, un auteur du deuxième siècle, et
l’auteur romain le plus ancien, signale trois choses : l’onction, le
signe de croix sur le front, et l’imposition des mains.
De même, saint Cyprien (livre 1, épitre 12, et livre 2, épitre
1), l’appelle tantôt une onction, tantôt une imposition des mains,
et lui donne ouvertement le nom de sacrement. C’est bien ce qu’il
dit (livre 2, épitre 1,) en parlant du baptême et de la confirmation
: « Ils peuvent alors être pleinement sanctifiés et devenir enfants
de Dieu, s’ils naissent de l’un et l’autre sacrement. » Saint
Augustin (livre 2 contre les lettres de Pétilianus, chapitre 104 : «
Le sacrement du chrême est dans le genre des signes sacrosaints visibles,
comme le baptême lui-même. »
La pénitence.
Jean XX : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez.
» Nous avons ici le rite externe, et l’absolution judiciaire qui
est le signe d’une chose interne que Dieu fait par la parole externe,
comme par un instrument. Nous avons ensuite la promesse de la grâce
: les péchés leur seront remis. Nous avons aussi le mandat,
au même endroit : « Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous
envoie. » Voilà pourquoi l’apôtre (11 Corinthiens 5) dit : «
Dieu nous a donné le ministère de réconciliation. » Et, plus
bas : « Nous remplissons une mission pour le Christ. »
Saint Ambroise (livre 1, chapitre 7 sur la pénitence), écrit : «
Qu’importe que ce soit pour la pénitence ou pour le lavement que
les prêtres revendiquent un droit qui leur a été donné ? C’est le
même ministère dans l’un et l’autre. Mais, du diras que dans le baptême
opère la grâce des mystères (sacrements). Et dans la pénitence
? Le nom de Dieu n’opère-t-il pas ? »
Saint Cyrille (livre 12, chapitre 56) compare la réconciliation des
pénitents avec le baptême. Saint Augustin (au livre 5 sur
le baptême, chapitre 20), énumère avec le baptême, l’eucharistie,
la confirmation, et même la réconciliation par l’imposition des mains.
Et dans le psaume 146, il dit : « Celui qui lie leurs contritions.
» Il appelle plusieurs fois sacrement la réconciliation des pénitents
: « Que sont, dit-il, ces chaînes ? Des sacrements temporels. Les
chaînes médicinales sont nos contritions; des sacrements temporels
qui nous apportent la consolation. » Et plus bas, il dit que sont
des sacrements qui n’existeront pas dans le ciel, et l’eucharistie
et l’imposition des mains du préposé dans la pénitence.
L’extrême onction
Nous avons le rite dans Jacques V : « Qu’ils prient sur lui, l’oignant
avec de l’huile au nom du Seigneur. » Nous avons aussi la promesse.
« Et Dieu les allègera, et s’ils ont des péchés, ils leur seront
remis. » Le mandat nous le déduisons de ce que l’apôtre n’aurait
pas osé promettre un tel effet s’il n’avait pas reçu cela du Seigneur,
comme nous l’avons montré plus haut par les témoignages de l’apologie,
de Calvin et de Kemnitius.
Les pères. Innocent 1 (dans son épitre 1, chapitre 8, à Decentius),
dit, en parlant de l’huile sainte des infirmes : « À des pénitents,
cela ne peut pas être conféré, parce que cela fait partie du genre sacrement.
Car, à ceux auxquels les autre sacrements sont interdits, comment
peut-on penser que ce qui est un sacrement puisse être permis ?
» Saint Bernard, (dans la vie de saint Malachie), écrit qu’il
avait été appelé pour oindre une femme mourante, et que, comme l’onction
était retardée, elle mourut. Malachie s’était grandement
désolé qu’elle soit morte sans la grâce de ce sacrement. Il
a tellement prié et pleuré qu’il l’a rappelé la morte à la
vie. Et, après qu’il l’eut ointe, elle a recouvré sa santé.
» Saint Bernard ajoute : « Il l’a ointe, en sachant que dans
ce sacrement étaient remis les péchés. »
Le sacrement de l’ordre
Nous avons un rite externe, l’imposition des mains (1 Timothée 1V).
Et aussi, au même endroit, la promesse de la grâce : « Ne néglige
pas la grâce qui est en toi, qui t’a été donnée par la prophétie,
avec l’imposition des mains du presbyte. » Et à 11 Timothée
1 : « Je te conseille de ressusciter la grâce de Dieu qui est en toi
par l’imposition des mains. » Nous avons aussi l’institution
et le mandat. Éphésiens 1V : « C’est lui qui a donné des apôtres,
des évangélistes, des pasteurs et des docteurs. » Et, de plus, comment
l’apôtre pouvait-il savoir qu’une grâce avait été donnée à Timothée
par l’imposition des mains ? N’est-ce pas parce qu’il avait
appris de Dieu qu’une grâce était conférée par ce signe ?
Saint Augustin (livre 11 contre l’épitre de Parmenianus, chapitre
13), écrit, en parlant du baptême et de l’ordination : « L’un
et l’autre sont des sacrements, et c’est par une consécration que
l’un et l’autre sont donnés à l’homme, c’est-à-dire quand l’un
est baptisé, quant l’autre est ordonné. Voilà pourquoi, dans
l’église romaine, il n’est permis de réitérer aucun de ces deux
là. » Il dit des choses semblables dans le livre 1, chapitre 1
sur le baptême.
Le mariage
Nous avons même le nom de sacrement dans Éphésiens V : « C’est
un grand sacrement (mystère). » Ainsi que le rite externe, c’est-à-dire
le contrat visible entre un homme et une femme. Car, c’est de cela
que l’apôtre dit que c’est un grand sacrement, comme l’expliquent
saint Jean Chrysostome et saint Jérôme au lieu cité, lequel cite saint
Grégoire de Naziance, et tous les autres. Nous avons aussi l’institution
divine dans Matthieu X1X : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare
pas. » Nous déduisons la grâce annexée de ce texte de saint Paul.
Car l’union de l’homme et de la femme signifie l’union de Jésus-Christ
avec l’Église.
Or, cette union est double. Une par conformité de nature,
qui se fait dans l’incarnation, laquelle unit le Christ non seulement
avec l’Église, mais avec tout le genre humain. L’autre par la
grâce et la charité, et, avec la seule Église. Et c’est
à cause d’elle que le Christ est appelé époux, et l’église épouse,
selon 11 Cor X1 : « Je vous ai mariés à un seul homme pour que vous
vous présentiez au Christ comme une vierge chaste. » Donc, pour
que le mariage de l’homme et de la femme puisse signifier l’union du
Christ avec son église, il ne faut pas qu’il y ait entre les époux
une union naturelle et charnelle, comme elle existe aussi chez les
Gentils, mais une union spirituelle qui provient de la grâce et de la
charité. Ce sacrement confère donc cette grâce pour que la signification
soit parfaite.
Voilà pourquoi Paul (Éphésiens V), avertit souvent les hommes d’aimer
leurs femmes comme le Christ aime son église. Et il demande aux
femmes d’être soumises à leurs maris, comme l’Église est soumise
au Christ. Et la raison qu’il en donne est que leur union est un
sacrement du Christ et de l’église. Saint Augustin enseigne
souvent cela (dans son livre sur le bien conjugal, chapitre 18) : « Dans
nos noces, la sainteté du sacrement vaut plus que la fécondité de l’utérus.
» Et, au chapitre 24 : « Pour tous les peuples, et pour tous les
hommes, le bien du mariage est dans la cause de la génération,
et dans la promesse tenue de la chasteté. En ce qui a trait au peuple
de Dieu, il consiste aussi dans la sainteté du sacrement, qui interdit
d’épouser une autre personne, même après une répudiation. »
Que cela suffise pour l’instant. Dans la dispute sur les sacrements
en particulier, nous apporterons d’autres précisions.
Le lavement des pieds n’est pas un sacrement
Il reste à démontrer qu’il n’existe pas d’autres sacrements
que ces sept là. Car, les anciens ont donné le nom de sacrements
à beaucoup d’autres choses, en plus des seuls vrais. Par exemple,
le pape Alexandre 1, dans son épitre 1, appelle sacrement l’eau bénite;
et, saint Augustin (livre 19, chapitre 14 contre Faust, et dans le psaume
141, appelle sacrement le signe de la croix. Et, dans le psaume 65,
(livre 4, chapitre 1, sur le symbole) il appelle sacrements les cérémonies
qui se font avant le baptême, comme les exorcismes etc. Et, (au
livre 11, chapitre 26, sur les péchés et leur rémission), il appelle
sacrement le pain béni qu’on donnait aux catéchumènes.
Enfin, saint Ambroise (livre 3, chapitre 1 sur les sacrements), et
saint Cyprien (dans son sermon sur le lavement des pieds), et saint Bernard
(dans son sermon sur la cène du Seigneur), soutiennent que le lavement
des pieds que le Seigneur a institué (en Jean X111) est un sacrement.
Mais aucune de ces choses ne pose de difficulté, sauf la dernière.
Car on ne trouve que procèdent de l’Écriture ni l’eau bénite,
ni le signe de croix, ni le pain béni, ni l’exorcisme, ni non plus les
autres cérémonies du baptême. Les adversaires ne peuvent donc
pas les considérer comme des sacrements. De plus, toutes ces choses
sont données avant le baptême, comme le montre bien saint Augustin.
Or, du consentement de tous, le baptême est le premier sacrement, et il
est comme la porte des sacrements. Enfin, aucune de ces choses
n’a de promesse de la grâce qui rend quelqu’un reconnaissant.
Et il n’est pas évident qu’ils aient été institués par le Christ
ou les apôtres. Or, seul le Christ pouvait instituer de vrais sacrements.
Pour le lavement des pieds, la difficulté est plus grande.
Car, nous avons en Jean X111, un rite externe, le lavement des pieds lui-même;
une promesse de grâce : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part
avec moi. » Nous avons aussi un mandat de Dieu : « Je vous ai donné
un exemple. » Et : « Et vous devez, vous aussi, vous laver les
pieds les uns des autres. » Les mots eux-mêmes indiquent que c’est
un mystère : « Ce que je fais maintenant tu ne le comprends pas, mais
tu le comprendras plus tard. » Nous avons ensuite des témoignages comme
ceux des pères Ambroise, Cyprien et Bernard, que rapportent Kemnitius
(page 32) pour prouver que les sacrements sont plus nombreux que le chiffre
sept.
Je réponds que le lavement des pieds n’a rien en commun avec les
autres sacrements proprement dits. On ne peut l’appeler un sacrement
qu’au sens large, comme on dit que sont des sacrements toutes les choses
qui ont un sens mystique, et qui sont des types et des figures d’autre
chose. Car, ce lavement des pieds fut un signe de l’humilité
et la charité du Christ. Il fut aussi un signe de pureté, que doivent
posséder ceux qui veulent accéder à l’eucharistie. Car, c’est
juste avant l’institution de l’eucharistie que le Christ l’a fait.
Il fut donc aussi un signe et une figure de la purgation que nous obtiendra
la passion du Christ, comme saint Cyrille l’explique.
Que ce ne fut pas un sacrement au sens strict, nous le constatons
facilement du fait que nous n’avons pas de promesse de grâce justifiante.
Car : « si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi », ne
promet pas, au sens littéral, une grâce, mais menace d’une peine de
désobéissance, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome, saint Cyrille
et saint Basile (lire 1, chapitre 2, sur le baptême). Si Pierre
avait récusé ce lavement de pieds, il aurait péri éternellement, non
parce qu’il lui manquait un lavement de pieds, mais parce qu’il aurait
péché, par désobéissance, contre le Christ.
A u sens mystique, ce lavement peut peut-être signifier (comme l’explique
saint Augustin), que les justes aussi ont besoin que le Christ leur
lave à tous les jours leurs péchés véniels, qui sont comme des saletés
qui collent aux pieds. Mais cela ne suffit pas pour en faire un sacrement,
car, il s’agit là du lavement des péchés véniels, qui ne nécessitent
pas une nouvelle grâce qui fait un reconnaissant. Voilà pourquoi
le Seigneur a dit : « celui qui est pur n’a besoin que de se laver les
pieds pour être totalement pur. » C’est-à-dire qu’il est pur,
dans toute la force du terme, quand il juste, mais il a encore besoin
de se laver de ses péchés véniels.
Ce passage ne nous fournit pas la lotion des pieds qui enlèverait
réellement les péchés véniels. Car, autrement, il nous faudrait
nous laver les pieds à tous les jours. Il nous enseigne seulement que
ce lavage des pieds des fidèles par le Seigneur fut une figure du lavage
interne que nous recevons du Christ. Ce lavage des pieds n’est
donc pas un sacrement proprement dit.
En second lieu, nous n’avons ni mandai ni institution nous demandant
de répéter ce signe, comme cela est requis dans tout sacrement.
Et même si, dans quelques églises, cette cérémonie a été utilisée
autrefois tout de suite après le baptême, elle ne fut cependant jamais
reçue par tous, ni par l’Église romaine, comme l’atteste saint Ambroise
au lieu cité. N’est pas une réfutation le mandat suivant : «
Je vous ai donné un exemple. » Et : « Ce que je fais tu ne le comprends
pas maintenant, mais tu le comprendras plus tard. » Car ce mandat
prescrit l’humilité et la charité, comme l’expliquent saint Jean
Chrysostome et saint Cyrille, et non le lavement des pieds matériel, comme
il appert de la pratique de l’Église. Car, les chrétiens n’ont
jamais pensé qu’ils avaient reçu un mandat spécial de se laver les
pieds.
Il est facile de répondre aux citations des pères alléguées.
Car, saint Ambroise l’appelle un mystère et un sacrement, parce que,
dans son église, cette cérémonie sacrée était conservée, et
comme quelque chose de sacramental. Mais, il ne pensait pas
que ce lavage de pieds était un sacrement proprement dit, parce qu’il
admet que les péchés véniels ne sont pas remis par ce lavement, mais
certains restes du péché originel. Et aussi parce qu’il dit ne
pas blâmer l’église de Rome où cette cérémonie n’était pas en
usage. Ce qu’il n’aurait certes pas dit s’il avait pensé que
le lavement des pieds était un vrai sacrement.
De plus, Cyprien et Bernard, si on les lit attentivement, ne disent
pas que ce lavement matériel de pieds est un sacrement qui sanctifie les
hommes, mais ils disent seulement que le lavage des pieds des disciples
fait par le Seigneur, qui n’est arrivé qu’une seule fois, a été
un sacrement. Car, ce lavement signifiait quelque chose de
sacré, qui doit se faire tous les jours en nous, l’expiation des péchés
véniels, qui se fait à chaque jour en nous par le Christ dans les oraisons,
les jeûnes, l’humilité, et les exercices de piété envers le prochain.
Et si nous pensions vraiment que le lavement des pieds est un sacrement
comme les sept autres, il nous faudrait tous les jours nous laver les pieds
les uns aux autres. Car, eux-mêmes disent que ce sacrement
sert d’expiation pour les fautes quotidiennes.
CHAPITRE 25
On prouve les sept sacrements avec les conciles et les docteurs
La seconde preuve est tirée des témoignages de ceux qui enseignent
explicitement sept sacrements. Il y en a de trois sortes. La première.
Les témoignages des théologiens, et de toute l’église depuis au moins
400 ans. Car, le maître des sentences (livre 4, dist 2) et tous
les théologiens après lui ont transmis sept sacrements. Ce n’est
pas que le maître des sentences ait écrit quelque chose de nouveau. Il
n’avait présenté que ce qu’il avait trouvé dans l’église.
Car, si ce que nous disons était faux, l’Église du christ aurait erré
pernicieusement pendant un bon nombre de siècles. En effet, si les
sacrements étaient moins nombreux que sept, ça aurait été une grande
impiété, une superstition et une déception des âmes de tenir pour sacrements
des signes qui n’en sont pas. S’ils étaient plus nombreux que
7, ça aurait été une grande impiété que de mépriser si longtemps
de vrais sacrements, et un grand détriment pour les âmes.
Deuxièmement. Une erreur sur les sacrements est plus dommageable que
sur les autres dogmes. Car les erreurs sur les autres dogmes
sont des erreurs spéculatives, et leur ignorance excuse beaucoup de simplets.
Or, la connaissance des sacrements appartient à la pratique, et à la
pratique de chacun des chrétiens. Troisièmement. Un usage
sincère des sacrements relève de la connaissance de l’Église,
selon la sentence des hérétiques de notre temps. Voilà pourquoi,
si pendant tant de siècles, l’Église avait erré si gravement sur les
sacrements, il faudrait dire que l’Église a péri dans le monde.
Ils ne trouveront pas facilement ceux qui, en notre temps, pensent
autrement des sacrements. Car, même les Hussites et les Waldenses,
qui n’étaient qu’hérétiques, recevaient sept sacrements quand Luther
est apparu. Pour les hussites, voir le concile de Constance
(session 15, article 8). Et pour les Waldenses, ce qu’en raconte Luther
(dans le livre qu’il a écrit sur eux. »
Le second témoignage est celui du concile de Florence, dans l’institution
des Arméniens, où ils reconnaissent et expliquent sept sacrements.
Il faut noter là deux mensonges de Kemnitius. Il dit (2 par examen,
page 35), il dit qu’on a essayé que les grecs aient sept sacrements,
et que les arméniens ont été forcés d’accepter sept sacrements .
Et, il ajoute que les arméniens, convertis à la foi par l’apôtre Barthélémy,
ont, après mille ans et plus, reçu du pontife romain le chiffre 7.
Mais, cela, c’est un mensonge.
Il ment quand il dit que ce concile a essayé chez les Grecs,
comme s’il voulait dire que les pères ont essayé de persuader cela
aux Grecs, mais qu’ils n’y sont pas parvenus. Or, dans tout ce
concile, il n’a pas été question du nombre des sacrements avec
les Grecs. Il est facile de le vérifier puisqu’il existe
encore en grec et en latin. Bien plus, l’instruction aux Arméniens
a été donnée avec l’approbation du concile, juste avant sa dissolution,
comme nous le lisons, au même endroit, dans le décret d’Eugène 1V,
où se trouve l’institution elle-même.
Ce qui nous fait comprendre que les Grecs, sur la question du nombre
des sacrements, ont toujours été du même avis que les latins.
Autrement, les Grecs n’auraient pas approuvé l’instruction si facilement
et sans poser de questions. On peut le confirmer par le témoignage
du patriarche Jérémie de Constantinople qui, dans la censure des erreurs
luthériennes qu’il a éditée, atteste que les Grecs ont toujours reçu
sept sacrements. Voici ce qu’il dit dans le chapitre 7 : « Dans
la divine église catholique, il y a sept sacrements : le baptême, l’onction
du saint chrême, la communion sacrée, l’ordre, le mariage, la pénitence,
et l’extrême onction. »
Kemnitius ment ensuite quand il dit que ce chiffre a été imposé
aux Arméniens, et que ces Arméniens ignorèrent ce chiffre pendant mille
ans et plus. Car, (comme nous le lisons dans le décret d’Eugène),
avant l’union des Arméniens avec les latins, des séminaires avaient
été tenus entre eux sur la trinité, l’incarnation et les sacrements,
et les livres des deux groupes avaient été inspectés; et une instruction
fut, à la fin, prescrite. Cette foi dans les sept sacrements
ne leur a donc pas été imposée, mais elle a été acceptée par eux
après de longues discussions. Et ils ne l’auraient pas accepté
aussi facilement s’ils n’avaient pas constaté qu’elle était conforme
aux anciens écrits, et aux rites de leur église.
Ajoutons que, dans cette même instruction, est présentée aux
Arméniens la doctrine des trois personnes divines et des deux natures
du Christ. Si Kemnitius nous accuse de leur avoir imposé les sept
sacrements, pourquoi ne nous accuse-t-il pas de leur avoir imposé la doctrine
des trois personnes de la trinité et des deux natures du Christ ?
Le troisième témoignage est celui du concile de Trente (session 7,
canon 1), où a été ajouté un anathème pour ceux qui nient l’existence
de sept vrais sacrements. Ce témoignage devrait suffire, même si
nous n’en avions point d’autre. Car, si on enlève l’autorité
de l’Église présente et du présent concile, on pourra mettre en doute
les décrets de tous les autres conciles, et toute la foi chrétienne.
Car telle fut toujours la coutume, chez les chrétiens, que les controverses
étaient tranchées par les évêques qui vivaient alors. Je dirais
même que toute la fermeté des anciens conciles et des anciens dogmes
dépend de l’église actuelle.
Car le seul témoignage infaillible que nous ayons qu’il y a eu des
conciles et qu’ils furent légitimes, et qu’ils définirent ceci ou
cela, est que l’Église qui existe maintenant, et qui ne peut pas
errer, pense ainsi et enseigne ainsi. Ce que rapportent les
historiens de ces conciles ne peut engendrer qu’une foi humaine,
sujette à l’erreur.
CHAPITRE 26
On prouve la même chose par des raisons de convenance.
Les docteurs catholiques ont coutume de confirmer le nombre des sept
sacrements par divers arguments de convenance. La première.
La ressemblance qu’il y a entre la vie spirituelle et la vie corporelle.
Dans la vie corporelle, certaines choses sont requises de chaque homme
en particulier, et certaines autres de toute la république. De la
part de chaque individu, trois choses sont requises d’elles-mêmes :
la génération, la croissance, et la nutrition. Et deux autres,
par accident, les remèdes contre les maladies, et les remèdes pour assurer
la convalescence. De la part de la république, deux choses sont
requises. La première : les parents, qui propagent la vie
corporelle des hommes. La seconde : les princes et les magistrats, qui
gouvernent et règnent.
Il en est ainsi dans la vie spirituelle. Est d’abord requise
la régénération, qui se fait par le baptême, puis la croissance, qui
se fait par la confirmation, et la nutrition par l’eucharistie.
La quatrième, le remède contre les maladies, s’il arrive au régénéré
de pécher : la pénitence. La cinquième, le remède contre les
restes des péchés, par l’extrême onction. Sixièmement, de la
part de la république, le mariage, qui propage les hommes pour les députer
au culte de Dieu. Le septième, l’ordre sacré, par lequel les
chrétiens sont gouvernés.
La deuxième raison de convenance vient du nombre des péchés et des
blessures. Car, le baptême est principalement contre le péché
originel, la pénitence, contre le péché actuel mortel, l’extrême
onction, contre les restes des péchés, la confirmation contre l’infirmité,
l’eucharistie contre la malice, le mariage contre la concupiscence,
et l’ordre contre l’ignorance.
La troisième raison vient du nombre des vertus. Le baptême
répond à la foi, la confirmation à l’espérance, l’eucharistie à
la charité, la pénitence à la justice, l’extrême onction à la force,
l’ordre à la prudence, et le mariage à la tempérance.
La quatrième raison vient de la célébrité du chiffre sept dans
les expiations. Voir Exode XX1X, Lex 1V et V111, X1V.
XV, XV1, XX111. Nombre X1X, Deutéronome XV, Paralip XX1X,
Job, dernier chapitre, où il offrait toujours en expiation sept animaux,
ou pendant sept jours, ou il aspergeait sept fois avec du sang. Aussi
dans les Rois 1V, V, où on ordonne à Naaman de se laver sept fois pour
purger sa lèpre. Voir saint Thomas (1V, dist 2, question 1,
3, par question LXV art 1, et contre les Gentils, livre 1V, chapitre 58.
Mais Kemnitius (en 2 par examen, pages 16, 17, 18, a trois choses à
redire sur ces raisons. La première. Il soutient que ce sont
les fondements principaux, et les preuves de notre sentence : « Voici
quelles sont les preuves et les fondements qui ont fait recevoir par les
scolastiques le chiffre sept. » La deuxième. Ces preuves
ne valent rien, car, autrement, on pourrait prouver de cette façon qu’il
y avait aussi sept sacrements dans l’ancienne loi. Car, il y avait
également alors des vertus et des péchés, une vie spirituelle et une
vie corporelle. La troisième. Si on devait tirer des
chiffres de l’ancien testament le nombre des sacrements, on pourrait
prouver qu’il y en a trois, ou douze, ou plus encore, car il y a beaucoup
de chiffres célèbres et sacrés dans l’Écriture.
Mais ce sont des objections de peu de poids. Car, d’abord,
aucun théologien n’a jamais dit que ces raisons de convenance étaient
des preuves, et les fondements de notre foi dans ce nombre, mais seulement
des raisons de convenance de vérités que nous considérons de foi.
Car, c’est ce que les théologiens ont coutume de faire : ils montrent
que les choses que nous connaissons par la foi ne répugnent pas à la
raison, mais leur sont plutôt conformes.
Et l’argument de Kemnitius ne conclut, non plus, qu’on pourrait
avoir aussi sept sacrements dans l’ancien testament. Car, les sacrements
de l’ancien testament (comme nous l’avons montré plus haut), n’avaient
pas été institués pour perfectionner l’homme dans la vie spirituelle,
ni non plus, comme un remède contre le péché, à l’exception de la
circoncision, mais seulement pour signifier les mystères du Christ, tandis
que les nôtres ont été institués pour être des remèdes contre le
péché, pour justifier, et perfectionner l’homme dans sa vie spirituelle,
comme on le déduit clairement des Écritures.
Donc, ces arguments de convenance fonctionnent très bien si on les
applique à nos sacrements, mais non aux sacrements de la loi ancienne.
Et ce que Kemnitius ajoute sur le grand nombre de chiffres célèbres dans
l’Écriture ne permet de rien conclure. Car la raison présentée
par les catholiques est tirée des nombres qui signifient l’expiation
des péchés, non de n’importe lequel nombre. De plus, dans l’Écriture,
le chiffre sept dans les expiations est si fréquent que toute l’Écriture
semble crier qu’il viendra un temps où sept remèdes insignes et très
efficaces seront donnés par Dieu pour l’expiation des péchés.
CHAPITRE 28
On répond aux objections
Il reste à répondre aux objections des adversaires qui sont tirées
des Écritures, des pères et de la raison.
De l’Écriture, ils tirent trois arguments. Un premier négatif,
car l’Écriture ne dit nulle part qu’il y a sept sacrements. Un second
affirmatif, parce que l’Écriture n’enseigne que deux sacrements.
Car, en Jean X1X, il est dit que du côté percé du Christ, ont coulé
du sang et de l’eau, c’est-à-dire, comme l’expliquent saint Jean
Chrysostome, saint Cyrille, et Theophylactus dans leurs commentaires de
ce texte, et saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 10 de la foi), et
saint Augustin (livre 2, chapitre 6, sur le symbole, et dans son traité
9 sur saint Jean), le baptême et l’eucharistie. Le troisième.
Non seulement l’Écriture ne parle pas du chiffre sept, mais elle nie
qu’il y en ait sept. Car, dans Apocalypse XV11, un ange donne le
nom de sacrement à une bête qui a sept têtes. Ce qui semble
indiquer que le nombre sept des sacrements appartient à l’antichrist,
qui est désigné par cette bête. Voilà quels sont donc les arguments
de Kemnitius qu’il a tirés de l’Écriture.
À la première objection, nous avons déjà répondu que l’Écriture
n’a jamais dit expressément qu’il y avait deux ou trois ou sept sacrements.
À la deuxième, nous répondons que ce passage de saint Jean n’est pas
mal expliqué quand on voit le baptême dans l’eau et l’eucharistie,
dans le sang, comme le disent à peu près tous les grecs. Mais,
il ne faut pas, à cause de cela, exclure les autres sacrements.
Seuls deux sacrements sont signifiés par l’eau et le sang qui
sortent du côté percé du Christ, parce qu’ils sont les principaux,
et parce que, à partir d’eux, ont pouvait porter un jugement semblable
sur les autres. C’est comme dans Hébreux V1, où saint Paul
ne parle que du baptême et de l’imposition des mains, c’est-à-dire
la confirmation.
Par imposition des mains, saint Jean Chrysostome, Theodoret,
Theophlactus, Oecumenius et d’autres entendent la confirmation, qui était
donnée après le baptême. Et il ne parle pas de l’eucharistie,
qui était donnée en même temps que le baptême et la confirmation.
Je dis ensuite que nous ne sommes pas obligés de suivre l’explication
des pères grecs sur l’eau et le sang qui sortaient du côté percé
du Christ. D’autre commentateurs, aussi excellents, l’expliquent
autrement. Comme saint Cyrille (catéchèse 3) et saint Jérôme (dans
son épitre 83 à Oceanus) qui entendent par sang et eaux deux baptêmes,
l’un de sang, celui des martyrs, et l’autre de l’eau. Saint Ambroise
(livre 9, chapitre 103 sur Luc), saint Léon (épitre 1V), saint Augustin
et Bède le vénérable (au chapitre 19 de saint Jean) entendent par le
sang le prix de la rédemption, et par l’eau le baptême.
Et cela semble être plus une interprétation littérale,
car nous comprenons que du côté du Christ a coulé le baptême, qui tire
toute sa force du sang du Christ. Car, saint Jean ne dit pas que
sortirent de l’eau et du sang, comme le demanderait l’ordre s’il
s’agissait du baptême et de l’eucharistie, car le baptême précède
l’eucharistie. Mais il dit qu’a sorti du sang et de l’eau,
c’est-à-dire le prix, et l’application du prix. C’est ce que
confirme un autre texte de saint Jean (1 Jean V) : « Voici celui qui vient
par le l’eau et le sang, Jésus-Christ, non dans l’eau seulement, mais
dans l’eau et le sang. »
Saint Jean semble donner une explication du mystère qu’il avait
présenté (Jean X1X), et, en même temps, montrer la différence entre
le baptême de Jean et celui du Christ. Car, parce que Jean vint
dans l’eau seulement, son baptême n’avait pas d’efficacité.
Or, Jésus apporta un baptême très efficace quand il donna de l’eau
mêlée à du sang.
À la troisième objection, je réponds que c’est Kemnitius
blasphème quand il donne aux sacrements du Christ le nom de têtes de
la bête. Car, il est contraint, bon gré mal gré, de compter parmi
les têtes de la bête les sacrements qui sont, pour lui aussi, de vrais
sacrements, le baptême et l’eucharistie. Car, ils font, eux aussi,
partie du chiffre sept. Ajoutons que saint Jean ne dit pas que ces
sept têtes sont sept sacrements, mais un seul sacrement.
En conséquence, (s’il est permis de divaguer), cela cadrerait
mieux avec Luther qui dit qu’il n’y a qu’un seul sacrement, et plusieurs
signes sacramentaux. Enfin, Jean lui-même donne l’interprétation
de ces sept têtes, en disant qu’elles signifient sept rois. Ce
qui ruine de fond en comble tout l’édifice de blasphème de Kemnitius.
Les objections tirées des pères. Calvin (livre 4, chapitre 19, verset
3) dit que, quand les anciens parlent des sacrements au sens propre, ils
se contentent de deux : le baptême et l’eucharistie. Il prouve cette
assertion par un texte de saint Augustin (livre 3, chapitre 9 sur la doctrine
chrétienne, et son épitre 118). Et Calvin ajoute la preuve. Saint
Augustin avait l’habitude de chercher souvent des mystères dans les
chiffres. « Bien plus, écrit Calvin, dans l’étude des
chiffres, il s’est montré souvent plus curieux qu’il n’aurait du.
Et, cependant, il n’écrivit jamais rien sur ce chiffre sept des
sacrements. »
Kemnitius (2 par examen, page 25 et suivantes) affirme trois choses
au sujet des pères. La première. Si nous parlons des
sacrements proprement dits, les pères les plus anciens n’en ont connu
que deux, le baptême et l’eucharistie. Il prouve cela avec
saint Justin (apologie 2), saint Irénée, et Tertullien (livre 1 et 4
contre Marcion, et dans la couronne du soldat), avec saint Cyrille (dans
ses catéchèses), saint Ambroise (dans son livre sur les sacrements, et
ceux qui initient aux mystères). Ces deux auteurs ont parlé explicitement
des sacrements, et n’en ont pourtant trouvé que deux.
La deuxième. Il affirme que les pères plus récents
ont enseigné plus de sacrements que deux, mais moins que sept, quand ils
parlaient des sacrements au sens propre du terme. Et il le prouve
avec saint Denys, que nous imaginons être l’aréopagite, qui, dans sa
hiérarchie catholique, ne présente que quatre sacrements : le baptême,
l’eucharistie, la confirmation et l’ordre. Avec aussi saint Grégoire
(canon multi saecularium, 1, 1, chez Gratien) qui donne trois sacrements,
le baptême, le chrême et l’eucharistie. Avec aussi Raban et Paschasius
au sujet de la cène du Seigneur. Enfin, avec un auteur incertain,
qui, sous le nom de Cyprien, écrit sur les œuvres cardinales du Christ.
Dans ses sermons sur la cène du Seigneur, sur le lavement des pieds, et
sur le chrême, il reconnait moins de sept sacrements.
La troisième. Il affirme que, quand les pères parlaient des
sacrements au sens large, ils en énuméraient plus que sept. Et
il le prouve par différents passages de saint Augustin. Il conclut
de tout cela ceci : que les pères aient parlé des sacrements au
sens propre ou en un sens plus large, ils n’ont jamais enseigné sept
sacrements, mais un nombre plus petit ou plus grand.
Je réponds d’abord à toutes ces choses qu’aucun père n’a écrit
qu’il n’y avait pas sept sacrements, ou qu’il n’y en avait que
deux ou trois; mais que, selon le sujet qu’ils traitaient, ils ont fait
mention de quelques sacrements, sans sentir le besoin de parler de tous.
Ne militent donc pas contre les théologiens qui affirment l’existence
de sept sacrements, ceux qui ne nient pas qu’il y en ait sept, et qui
n’affirment pas qu’il n’y en ait que deux ou trois. Ajoutons
que, en plusieurs autres endroits, les mêmes pères n’ont fait mention
que d’un sacrement, et dans certains autres, d’aucun. Selon la
dialectique kemnitienne, il faudrait en conclure qu’il n’y a qu’un
seul sacrement, ou qu’il n’y en a pas du tout. Il devrait donc
suffire que, les pères en différents endroits, ou différents pères
de la même époque se souviennent ailleurs de tous les sept sacrements,
comme nous l’avons montré plus haut. Après ces réflexions préliminaires,
je réponds à chaque citation des pères.
Au sujet des paroles de saint Augustin citées par Calvin, je réponds
que, dans les deux textes, saint Augustin ne dit pas qu’il n’y a que
deux sacrements, mais en présente deux, à titre d’exemples. C’est
ce que nous fait comprendre leur contexte. Car, (au livre 3,
chapitre 9 de la doctrine chrétienne), saint Augustin dit ceci : « Peu
de mots pour en exprimer beaucoup, faciles à comprendre et gratifiants,
et d’une chaste observance, c’est ainsi que l’apôtre a transmis
la discipline, comme le sacrement du baptême, et la célébration
du corps et du sang du Seigneur. » Tu vois que le mot « comme »
signifie qu’il s’agit là d’exemples. Ainsi est est-il
dans l’épitre 118, où saint Augustin dit que nous avons peu de
sacrements par le nombre, mais d’une signification éminente, d’une
observance facile.
Il ajoute ensuite : « Comme le baptême, et la communion au corps
du Seigneur, même s’il y a d’autres choses qui soient recommandées
dans les saintes lettres. » Tu vois, là aussi, qu’il s’agit
d’exemples, et il indique qu’il y en a plus que deux. Et c’est
ce qu’il répète avec plus de clarté dans le psaume 103, dans le sermon
1, par ces mots : « celui qui a recouvert les montagnes par les flots.
» Il dit : « Regarde les ministères de l’église,
celui du baptême, celui de l’eucharistie, et ceux des autres saints
sacrements. »
Et, (dans son épitre 119, chapitre 7 au même Januarius), il écrit
: « Pour la célébration des sacrements, nous utilisons des choses sensibles,
de l’eau, du froment, du vin et de l’huile. » Tu vois
ici énumérées les matières de tous les sacrements, sauf du mariage
et de la pénitence, qui n’ont, ni l’un ni l’autre, une matière
consacrée. Ajoutons que, même si saint Augustin ne parle, en certains
endroits, que de deux sacrements, il en accepte, ailleurs, plusieurs.
Et surtout la confirmation et l’ordre. Il veut (au chapitre 104,
et dans le livre 2, chapitre 13 contre l’épitre de Parménien)
qu’ils soient des sacrements comme le baptême et l’eucharistie. Calvin
ment donc impunément quand il dit que saint Augustin s’est contenté
de deux sacrements.
À la confirmation, je retourne l’argument contre son auteur.
Car, si saint Augustin ne croit que dans deux sacrements, et était plus
curieux qu’il ne fallait dans les mystères des nombres, pourquoi n’a-t-il
pas indiqué les mystères qui se cachent dans le chiffre deux sacramentel
? De plus, il n’est pas vrai que saint Augustin fut si curieux
que cela dans les mystères des chiffres, comme le prétend Calvin.
Il n’ignorait pas qu’il y a douze articles de foi, trois
vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, dix préceptes
du décalogue, et beaucoup d’autres choses du même genre, sur les chiffres
desquels il n’a pourtant jamais écrit. Il n’a donc pas écrit non
plus sur les mystères du chiffre sept sacramentel, de peur que Calvin
ne le taxe d’être trop curieux de ces choses.
J’en viens maintenant aux citations de Kemnitius. Au texte allégué
de saint Justin, je réponds que, dans son apologie, il n’a fait mention
que de deux sacrements, parce que c’est ce que demandait l’argument
de son livre. Car il répondait aux objections que lui faisaient
les Gentils. Ils lui en faisaient deux. La première : que les chrétiens
étaient des athées, parce qu’ils n’adoraient pas les dieux.
La deuxième. Que dans leurs réunions, beaucoup de choses honteuses
et criminelles se produisaient, et surtout qu’ils dévoraient des chairs
humaines; et que c’est pour cette raison qu’ils n’admettaient aucun
étranger à leurs synaxes. Sur ces calomnies, voir Tertullien (dans
son apologétique, Athenagoras (dans son apologie), et Minutius (dans Octave).
Saint Justin répond donc à ces deux accusations. Et c’est
à cause de cela que, dans la plus grande partie de son livre, il parle
de la foi, et enseigne que les chrétiens ne sont pas des athées,
puisqu’ils adorent trois personnes divines, et vénèrent, en plus, les
anges.
Et, dans l’autre partie, il traite du symbole. Et ce n’est
qu’en passant qu’il parle du baptême pour faire comprendre qu’il
n’est permis qu’aux seuls baptisés de participer à une synaxe.
Et il explique brièvement ce que font les chrétiens tous les dimanches
dans leur synaxe. Il ne pouvait le faire sans parler de l’eucharistie,
qui est le mystère principal de la synaxe. Car c’est sur elle
surtout que portaient les calomnies des païens, qui pensaient que les
chrétiens se nourrissaient de la chair d’un enfant. Il n’avait
pas besoin de parler des autres sacrements soit parce qu’ils étaient
ignorés des païens, soit parce qu’ils n’étaient pas calomniés.
À saint Irénée, je réponds qu’il n’a jamais entrepris de dispute
sur les sacrements, mais que, selon que le voulaient les circonstances,
il parlait tantôt de l’un, tantôt de l’autre. Car (au livre
1, chapitre 9), il traite de l’eucharistie pour réfuter les délires
d’un certain Marc sur l’eucharistie. Au chapitre 38, il
traite du baptême, pour réfuter les délires des hérétiques de ce temps
sur le baptême. Au livre 4 (chapitres 32, 33 et 34), il traite
des sacrifices de la loi ancienne et de la loi nouvelle, et voilà pourquoi
il parle encore de l’eucharistie. Au livre 1, chapitre 2,
il traite de la pénitence, et au livre 3, chapitre 4, il fait mention
de la confession. Il importe peu qu’il ne donne pas à la pénitence
le nom de sacrement. Car, il ne donne ce nom ni au baptême, ni
à l’eucharistie.
A Tertullien, on peut répondre la même chose. Il n’a
jamais entrepris de faire une dispute sur les sacrements. Mais, dans
son livre sur la résurrection de la chair, il distingue clairement quatre
sacrements différents : le baptême, le chrême, l’eucharistie, l’ordination.
Ne vaut pas grand-chose la glose de Kemnitius selon laquelle Tertullien
ne considérerait pas comme des sacrements le chrême et l’imposition
des mains, mais n’y verrait que des cérémonies annexées au baptême,
car il distingue les quatre, et attribue un effet propre à chacun.
Et, de plus, s’il s’agissait de cérémonies du baptême, il ne placerait
pas l’imposition des mains après l’eucharistie.
Mais voyons les passages allégés par Kemnitius. Le premier, il le
tire du contre Marcion. Mais c’est un texte qui joue plutôt en
notre faveur. Il ne dit pas dans ce livre qu’il n’y a jamais
eu que deux sacrements, mais il dit que, dans les sacrements, Dieu a voulu
utiliser de l’eau, du pain et de l’huile, qui sont des matières consacrées
dans cinq sacrements. Tertullien ne fait pas mention ici des autres
sacrements, car il voulait seulement montrer contre Marcion qui le niait,
que notre Dieu est le vrai créateur des éléments, et des autres choses
sensibles. Il l’avait prouvé cela, un peu avant, magistralement.
Car, si c’était un autre Dieu qui avait créé ces choses, notre Dieu
ne s’en servirait pas dans ses sacrements.
Deuxièmement. Il nous objecte le livre 4 contre Marcion, où, en marge
du numéro 51 se trouve une annotation du bienheureux Rhenan : « Le baptême
et l’eucharistie sont les deux sacrements de l’église primitive. »
Cette note induit Kemnitius en erreur, car, en cet endroit, Tertullien
ne dit pas qu’il n’existe que ces deux sacrements, mais il blâme Marcion
parce qu’il n’admettait à ces sacrements que ceux qui condamnaient
le mariage.
Troisièmement. Il nous présente le livre sur la couronne du soldat
de Tertullien, où ne sont nommés ni le baptême ni l’eucharistie.
Mais Kemnitius ne se rend pas compte que, dans ce livre, il n’est pas
question des sacrements, mais des cérémonies de l’église, qui n’ont
pas été reçues de l’Écriture, mais de la tradition. Voilà
pourquoi il énumère là diverses traditions sur les sacrements.
Et pour que nous ne pensions pas que ce sooent d’autres sacrements ou
d’autres cérémonies, il ajoute : « Si, au sujet de ces disciplines,
et d’autres du même genre, tu exiges une loi tirée de l’Écriture,
tu n’en trouveras pas. On te montre que c’est la tradition qui
en est l’auteur, que c’est la coutume qui les confirme, ainsi que la
fidèle observance. »
À saint Cyrille et à saint Ambroise, je réponds deux choses.
La première. Il est faux qu’ils ne reconnaissent que deux sacrements,
car l’un et l’autre, dans les livres cités par Kemnitius, mentionnent
le chrême comme un sacrement qui vient après le baptême, et qui est
distinct de l’eucharistie. Voir la catéchèse 3 de saint Cyrille
de Jérusalem, saint Ambroise ( livre 3, chapitre 2 sur les sacrements,
et le chapitre 7 des livres d’initiation aux mystères.
La deuxième. Je dis qu’il n’est pas surprenant que,
dans ces livres, ces deux auteurs ne parlent que de trois sacrements.
Car, ils écrivent pour des catéchumènes, et ils les instruisent
des choses qui ont lieu au temps du baptême. Or, quand les adultes
sont baptisés, trois sacrements sont administrés le même jour : le baptême,
la confirmation et l’eucharistie. On le sait avec certitude
et par la pratique actuelle de l’Église, et par les livres cités d’Ambroise,
où il décrit tout l’ordre du baptême, et des choses qui le suivent.
Voilà pourquoi Amphilochius (dans la vie de saint Basile) parle
en ces termes du baptême : « L’évêque Maximius a baptisé Basile
et Eubulus, et, après les avoir oints du saint Chrême, il leur administra
la communion vivifiante. »
À Denys l’aréopagite je dis que, dans le livre, il n’a parlé
que de la hiérarchie ecclésiastique, comme son nom l’indique, et des
actions solennelles de la hiérarchie, c’est-à-dire de l’évêque.
C’est pour cette raison qu’il parle du baptême et de l’eucharistie,
que l’évêque a coutume d’administrer avec un rite solennel.
On peut dire la même chose de la consécration de l’huile, de l’ordination
des clercs, qui ne peuvent se faire que par les évêques. Il a omis
les trois autres, car l’extrême onction est administrée par le prêtre,
le mariage, de par son essence, n’exige pas un prêtre comme ministre,
même si, par un décret du concile de Trente est absolument requise la
présence du curé. Et la bénédiction que l’Église a coutume
de donner aux nouveaux mariés est célébrée privément par le
prêtre.
Autrefois, la pénitence publique incombait à l’évêque,
et c’est pendant la semaine sainte qu’il absolvait les pénitents.
Mais cela semble avoir commencé après la mort des apôtres, quand les
péchés ont commencé à foisonner. Cette objection porte donc sur
l’antiquité des vieux livres. Mais saint Denys n’ignorait pas
le sacrement de pénitence, puisqu’il en parle dans son épitre à Demophilus.
À Grégoire, je dis que les paroles de ce canon ne semblent pas être
celles de saint Grégoire, et qu’on ne les trouve pas dans ses œuvres.
On les trouve chez Isidore (livre 6, chapitre 19 des étymologies),
qui ne donne pas le nom de l’auteur, mais seulement quelques exemples.
Dans l’institution des clercs, Raban traite de tous les sacrements.
Livre 1 et 6 : de l’ordre; au même endroit, chapitre 24 : du baptême,
de la confirmation et de l’eucharistie; au livre 2, chapitre 23
: de la pénitence. Au même endroit, chapitre 11, de l’extrême
onction. Il n’omet que le mariage qui ne se rapporte pas aux clercs.
Pourquoi s’étonner que, dans son livre sur la cène du Seigneur,
Paschasius ne parle que de l’eucharistie, puisqu’il s’était
proposé de ne parler que de cela. De plus, Cyprien (ou quiconque
est l’auteur des sermons sur les œuvres cardinales du Christ) ne fait
pas mention de tous les sacrements, parce qu’il n’explique que
les mystères dont l’église fait mémoire ou célèbre au jour
de la cène du Seigneur, qui sont l’eucharistie, le lavement des pieds,
la réconciliation des pécheurs, et la confection du saint chrême.
Il n’est pas nécessaire de répondre aux autres textes cités
par Kemnitius , car nous admettons que, pris au sens large,
il y a plus que sept sacrements. Le dernier argument de Kemtnius
est tiré de la raison. Il donne pour preuve qu’il n’y a que
deux sacrements, la constatation que la définition du sacrement
ne convient qu’à deux sacrements. Mais pour parvenir à démontrer
cela, il s’invente une nouvelle définition, qui est très longue. Chacun
des mots qu’il y a mis suffirait pour exclure les cinq autres sacrements.
Mais cette définition nous l’avons déjà réfutée dans la dispute
de la définition du sacrement.
CHAPITRE 28
L’ordre et la comparaison des sacrements de la nouvelle loi entre
eux.
Il reste encore une chose pour mettre un point final à la question
du nombre des sacrements, et c’est que nous démontrions leur ordre.
Car, c’est une des nombreuses erreurs de Luther qu’il n’y ait
pas un sacrement plus important qu’un autre. C’est ainsi,
en effet, qu’il parle dans son livre contre les docteurs de Prague, sur
l’institution des ministres : « Un sacrement ne peut pas être plus
digne qu’un autre, car ils consistent tous de la même parole de Dieu.
» Les calvinistes ont une raison plus grande qui les force à
professer la même chose : dans l’eucharistie, ils n’admettent
qu’une présence symbolique du corps de Jésus. Pourquoi
donc placeraient-ils l’eucharistie avant le baptême ?
Mais les luthériens eux-mêmes n’ont pas de raison de placer
l’eucharistie avant le baptême. Car, même s’ils avouent que, dans
le pain, est vraiment le corps du Christ, ils sont forcés de mettre ce
même corps dans l’eau du baptême, puisqu’ils le placent partout,
le corps de Jésus bénéficiant du privilège d’ubiquité. Et
comme il n’y a pas de raison qui les empêche d’attribuer le même
effet à chacun des sacrements, à savoir, contresigner les promesses
pour nourrir la foi.
C’est contre cette erreur que s’est prononcé le concile de Trente
(session 7, chapitre 3), où il anathématise ceux qui enseignent
que sont égaux tous les sacrements de la loi nouvelle. Au sujet
de ce canon, et de toute cette affaire, il y a certaines choses à noter.
La première. Calvin (dans son antidote) et Kemnitius
(examen 3 par page 173), ont feint d’ignorer l’importance de la présente
question, et en ont fait une matière à plaisanteries et à calomnies.
Car, ils disent tous les deux que ce canon ils l’observent
scrupuleusement que les catholiques puisque, entre le baptême, l’eucharistie
et les cinq autres sacrements, ils mettent une différence si grande
qu’ils enseignent que les premiers ont été institués par Dieu, et
les autres inventés par les hommes. Mais, cela c’est faire
semblant d’ignorer l’état de la question. Car, quand le concile
anathématise ceux qui rendent égaux tous les sacrements, il n’insiste
pas sur le chiffre sept, mais sur la raison du sacrement. Voici
donc quel est le sens du canon : si quelqu’un rend égaux les sacrements
de la nouvelle loi, que, dans le canon 1, nous avons dit être sept,
de façon à ce que l’un ne soit pas plus digne qu’un autre, qu’il
soit anathème.
Il est clair que c’est cela le sens, parce que, dans ses canons,
le concile condamne les erreurs des luthériens. Or, l’erreur
des luthériens n’est pas qu’ils rendent égaux le baptême et la confirmation,
ou un des sept qu’ils ne reconnaissent pas comme sacrements, mais
qu’ils ne fassent aucune différence entre le baptême et l’eucharistie.
Et cela, le concile lui-même le montre. Car, (au bas de la session
X111, chapitre 3), il affirme que l’eucharistie est plus excellent
que tous les autres sacrements.
Il est à noter, en second lieu, que, après avoir feint d’ignorer
la vraie raison de ce canon, Kemnitius en a mis d’autres, à savoir
que le concile voulait renouveler l’ancienne contumélie
que le chrême l’emportait sur le baptême; et aussi,
que le sacrement de l’ordre l’emportait sur tous les autres parce qu’il
procure de grasses prébendes . Enfin, que le sacrement de l’ordre
soit si supérieur à celui du mariage qu’ils ne peuvent pas cohabiter.
Mais toutes ces choses ne sont que de pures calomnies, de pures chimères
dignes de leur auteur.
Car, comme je l’ai dit, le concile entend surtout condamner l’erreur
des luthériens sur l’égalité en dignité existant entre
le baptême et l’eucharistie. Et c’est à cela qu’auraient
du répondre ces prétendus censeurs. Nous ne disons pas non
plus que le sacrement de l’ordre milite contre le sacrement de mariage,
mais que l’acte du mariage est quelque chose d’indécent dans un prêtre.
Car, si, selon saint Paul (1 Corinth 7), les laïcs doivent s’abstenir
de leur épouse pour un temps pour cause de prière, il est certain que
l’acte du mariage est un obstacle à la prière, et encore plus au sacrifice.
Il nous arrive même d’ordonner prêtre de vrais époux, mais continents.
La troisième note. Les sept sacrements sont tous de vrais sacrements
proprement dits, même s’ils sont tous du même genre. Ils diffèrent,
cependant, par l’espèce, et pour des raisons différentes, il
n’y en a pas un qui ne soit pas supérieur à un autre. Car, le
baptême l’emporte sur tous quant à son effet qui est de remettre les
péchés. Car, il remet le péché originel, ce qu’aucun autre
sacrement ne peut faire. Il remet aussi tous les péchés actuels,
et toutes les peines dues au péché, ce que ne font pas les autres sacrements.
La confirmation l’emporte aussi sur tous les autres, et même
sur le baptême, (même si les luthériens ne le veulent pas) quant à
l’effet de la grâce reçue pour bien opérer. Car, dans
ce sacrement, est conférée la plénitude du Saint-Esprit; et la
confirmation est une sorte de perfection et de consommation du baptême.
Car, elle présuppose tout l’effet du baptême, et ajoute une grâce
plus abondante. Voilà pourquoi il est dit aux apôtres en Luc :
« Demeurez dans la cité, jusqu’à ce que vous soyez remplis de
la vertu d’en haut. »
Et avant l’effet de la confirmation, qu’ils reçurent le
jour de la pentecôte, ils étaient, même s’ils avaient été
baptisés, timides et craintifs, de façon telle qu’ils avaient tous
fui, au moment de la passion du Christ. Mais, après cela,
après avoir reçu l’Esprit-Saint, ils devinrent très courageux.
Voilà pourquoi saint Cyprien (livre 2, épitre 1) et Corneille (dans son
épitre à Fabius, d’après Eusèbe de Césarée, livre 6, chapitre 33
de son histoire ) ne craignirent pas de dire que ne sont pas des chrétiens
totalement sanctifiés et parfaits ceux qui sont privés du sacrement du
chrême. Calvin et Kemnitius appellent même cela une vieille contumélie.
L’eucharistie est le sacrement le plus excellent de tous, quant à
la substance même du sacrement. Car, les autres consistent
dans une chose sensible et une certaine vertu d’agir communiquée par
Dieu au moyen d’un mouvement. Mais l’eucharistie ne contient
pas seulement une vertu opérationnelle, mais le Christ lui-même, l’auteur
de cette vertu.
La pénitence l’emporte sur les autres par la nécessité, à l’exception
du seul baptême, avec lequel il possède cette excellence en commun.
L’extrême onction, d’une certaine façon, surpasse la pénitence,
quant à l’effet de la grâce, comme la confirmation le baptême. Car,
elle présuppose l’effet entier de la pénitence, et surajoute une grâce
plus abondante, qui non seulement peut effacer les péchés qui resteraient
encore, mais enlève aussi les restes des péchés.
L’ordre l’emporte sur tous les sacrements, à l’exception de
la confirmation. Car, il ne peut être conféré que par un évêque.
Il semble même, pour cette raison, surpasser même la confirmation, car
la confirmation peut, par une dispense, être conférée exceptionnellement
par un simple prêtre. Or, les ordres sacrés, et surtout le sacerdoce,
ne peuvent être conférés que par un évêque. De plus, l’ordre
l’emporte sur les autres à cause de quelque chose qui lui est propre,
parce qu’il établit les hommes dans un grade plus sublime que celui
des simples chrétiens. Et non, (comme l’imagine Kemnitius) parce
qu’il fournit de grasses prébendes.
Enfin, le mariage l’emporte par la signification. Il signifie,
en effet, l’union qui existe entre le Christ et son église. Et
c’est pour cette raison qu’il a été par saint Paul (Éphésiens
V), appelé un grand sacrement.
La quatrième note. L’eucharistie, à tous points de
vue, est plus excellente que tous les autres sacrements. Car,
son excellence est dans la substance même du sacrement. Et de plus,
ce sacrement est la consumation de tous les autres sacrements. Voilà pourquoi
on a coutume de le conférer après tous les autres, quand il s’agit
des adultes. On reparlera de cela plus tard.
La cinquième note. L’ordre que le concile conserve en énumérant
les sacrements n’est pas un ordre de dignité. Il énumère d’abord
les cinq qui appartiennent à tous, ensuite les deux autres qui n’appartiennent
pas à tous. Et dans les cinq premiers sacrements, on observe
l’ordre du temps où, de par leur nature, ils doivent être reçus.
Car, on donne d’abord le baptême, ensuite la confirmation, puis l’eucharistie.
C’est cet ordre qui est conservé dans le cas de baptisés adultes.
C’est donc l’ordre naturel. On énumère en quatrième lieu la
pénitence, au cas où il arriverait de pécher après le baptême.
Ensuite l’extrême onction, en fin de vie. Après ces cinq sacrements
qui sont communs à tous, on en met deux qui ne conviennent pas à tous,
l’ordre et le mariage. L’ordre d’abord, parce qu’il est plus
excellent. On ne devait pas là tenir compte du temps, car
ces deux sacrements ne se trouvent pas dans le même homme, sauf par accident.
CONTROVERSE 6
Les cérémonies des sacrements en général
Nous parlerons, en leur lieu, des rites de chacun des sacrements. On
ne dispute ici que des rites en général. Nous entreprenons
de disputer cette dernière controverse, d’abord parce que c’est une
chose qui est très digne d’être connue, et ensuite pour qu’il
n’y ait pas un seul canon du concile de Trente sur les sacrements que
nous n’ayons pas défendu. Jusqu’à présent, nous les avons
tous défendus, à part ce dernier qui dit anathème à ceux qui pensent
pouvoir omettre sans péché les cérémonies de l’Église. Cette
question comportera quatre parties. La première. Le nom, la
définition, et la division des cérémonies. La deuxième.
De l’état de la question : les erreurs et les mensonges des hérétiques.
La troisième. On explique et on prouve la vérité. La quatrième.
Les objections des adversaires.
2018 11 27 fin
2018 12 02 debut
CHAPITRE 29
Nom, définition et division
des cérémonies
Pour comprendre l’état de la question, il y a certaines choses qu’il
faut d’abord noter. La première. Qu’est-ce qu’une cérémonie
? La cérémonie est un acte externe de religion qui n’est honorable
que parce qu’il est fait en l’honneur de Dieu. Car, la religion,
qui est la plus noble de toutes les vertus morales, a trois actes ayant
chacun une vertu propre. Le premier, l’acte interne qui consiste
à vouloir l’honneur qui est du à Dieu, et à lui rendre un culte.
Le second, l’acte externe qui correspond à l’acte interne, et qui
consiste dans n’importe laquelle action externe qui n’est bonne et
louable que parce qu’elle est faite pour rendre un culte à Dieu, comme
la génuflexion, le sacrifice etc. Le troisième. Un acte commandé,
c’est-à-dire un acte qui est ordonné par la religion en l’honneur
de Dieu, comme les jeûnes, les aumônes. On peut les appeler des
actes de religion quand ils sont faits pour rendre un culte à Dieu, même
s’ils sont aussi des actes d’autres vertus.
C’est de ce troisième que parle saint Jacques (chapitre 1) quand
il dit que la religion consiste à visiter les vieux et les malades, et
à se garder pur de ce siècle. Et saint Augustin (dans enchiridion,
chapitre 3) : « qu’on rend un culte à Dieu par la foi, l’espérance
et la charité ». De ces trois actes, le premier n’est une cérémonie
en aucune façon. Le troisième n’est pas non plus une cérémonie,
à moins qu’il ne soit commandé par la religion. Le second est
une cérémonie au sens propre, et c’est de lui que nous parlons.
Le mot cérémonie en hébreu ne signifie pas tant l’action
externe que la loi ou le décret qui prescrit cette loi. Voilà pourquoi
dans le nouveau testament les cérémonies judaïques ont coutume de porter
le nom de lois. Matthieu X1 : « Les lois et les prophètes jusqu’à
Jean » Galates V : « J’atteste que chaque homme qui se circoncit doit
accomplir la totalité de la loi. » Les Grecs traduisent ce mot
par dikaiômata, c’est-à-dire justifications, parce que les cérémonies
étaient des rites institués pour justifier et purger l’homme.
Les traducteurs latins préfèrent presque toujours rendre le
mot hébreu par cérémonies. Ce nom latin provient de la ville
Caere, comme le veulent Tite Live (livre V), et Valère Maxime (livre
1, chapitre 1), parce que c’est dans cette ville que les choses sacrées
de Rome avaient été conservées quand les Gaulois vandalisèrent la ville
de Rome. On aurait peut-être plus de raisons de dire qu’il vient de
carendo, comme le veulent saint Augustin, rétractations, chapitre
37), et Macrobius (livre 2, chapitre 3, saturnales), du fait que
les cérémonies ont été instituées dans l’abstinence et dans
la privation, comme chez les Juifs l’abstention de la chair du porc,
et presque tous les autres vœux des nazaréens et des autres qui se privaient,
par vœu, de vin et d’autres choses.
Mais venons-en à la division. Il y a cinq sortes de cérémonies.
La première tire son nom de la fin ou de l’effet. Certaines,
en effet, comme les sacrements, ont été instituées pour justifier, et
ce n’est pas d’elles que nous parlons. D’autres ont été instituées
pour produire certains effets spirituels, comme pour chasser les démons,
comme les exorcismes et l’eau bénite. D’autres, pour orner et
signifier, comme les robes blanches des néophytes, les lumières des cierges,
l’encens.
La deuxième division provient de la cause efficiente, c’est-à-dire
de celui qui les a instituées. Certaines sont comme instituées
par la nature, et on peut les appeler naturelles, comme regarder le ciel,
lever les mains, fléchir les genoux, se frapper la poitrine, quand nous
prions Dieu. Elles sont communes aux chrétiens et aux païens, et aux
membres de n’importe laquelle secte. Certaines ont été instituées
par Dieu, comme beaucoup de choses dans l’ancien testament, et
les sacrements dans le nouveau. On les appelle des cérémonies divines.
D’autres ont été instituées par les apôtres, ou par leurs successeurs,
et on les appelle des cérémonies ecclésiastiques.
La division des mots est semblable. Certains mots visibles sont
des cérémonies. Nous voyons, en effet, que certains mots sont naturels,
par lesquels nous exprimons différents effets. Car, tous pleurent,
soupirent, ou rient de la même façon. Et d’autres ont été institués
par Dieu, comme (dans la Genèse 1) les noms du ciel, de la terre, des
mers. Et, ailleurs, les noms de certains grands hommes. Et
ailleurs, des noms institués par les hommes, (Genèse 11.) On dit
qu’Adam a donné des noms aux animaux.
La troisième division est tirée de la cause formelle. Car,
certaines cérémonies sont immédiatement un culte de Dieu, comme le sacrifice,
la prière, l’adoration. D’autres disposent à rendre un culte
à Dieu, comme le jeûne, le célibat, l’ascèse. D’autres sont
des instruments du culte divin, comme les temples, les autels et les calices.
La quatrième division provient de la cause matérielle, ou d’après
l’objet matériel. Certaines cérémonies se rapportent aux
personnes, comme les exorcismes, les insufflations, l’aspersion de cendre.
D’autres se rapportent aux lieux, comme la consécration d’un temple.
D’autres, au temps, comme les jours de fête, les vigiles, le carême.
Et il y a aussi des temps déterminés pour la célébration des sacrements.
D’autres se rapportent à la manière, comme la langue latine qui doit
être employée dans les sacrements. Enfin, d’autres qui se rapportent
aux choses elles-mêmes, comme la bénédiction de l’eau, des vêtements
et des palmes.
La quatrième division vient des accidents, qui sont soit universels,
soit particuliers, comme le jeûne du sabbat qui, au temps de sainte
Monique, était observé à Rome et non à Milan. Inversement, le
lavement des pieds après le baptême était observé à Milan, et non
à Rome. Voir saint Augustin (épitre 118) et saint Ambroise (livre
sur les sacrements 111, chapitre 1). De même d’autres cérémonies
temporaires comme l’abstention du sang et de la suffocation (Actes XV);
et d’autres qui sont perpétuelles, comme les rites des sacrements.
Enfin, quelques unes ont été commandées, d’autres laissées au libre
choix de chacun. Voir saint Augustin (épitre 118).
CHAPITRE 30
L’état de la question
Pour bien saisir l’état de la question, il faut faire trois remarques
préliminaires. La première. Elles ne sont pas peu nombreuses
les choses que les adversaires admettent avec nous. Ils admettent
d’abord que, en plus des cérémonies qui contiennent l’essence des
sacrements, certaines cérémonies sont nécessaires à l’administration
des sacrements. Ils disent ensuite qu’il faut employer les cérémonies
qui ont, dans l’Écriture, un mandat ou un exemple, comme les prières,
les actions de grâce, les exhortations, la psalmodie. Car, toutes
ces choses furent en usage au temps des apôtres (1 Corinthiens X1V, 1
Timothée 11). Troisièmement, ils admettent que l’Église peut
statuer sur les cérémonies qui se trouvent dans l’Écriture, et déterminer
un ordre, une manière de les utiliser, pour éviter toute confusion.
C’est ce que disent Luther (dans son livre sur les cérémonies pieuses,
et dans son livre sur la formule de messe), Calvin (livre 4, chapitre
10, verset 14), Kemnitius (examen 2 par. Page 171). Enfin, les mêmes
approuvent forcément les cérémonies qu’ils ont éditées pour leurs
églises respectives.
Il faut observer, en deuxième lieu, que les adversaires font plusieurs
reproches aux catholiques au sujet de la doctrine des cérémonies,
mais ce ne sont que des mensonges qu’ils réprouvent, non nos dogmes.
Il faut donc tout noter et séparer pour mettre en lumière l’état de
la question.
Kemnitius (2 par examen, page 157 et suivantes), nous attribue toutes
les choses qui suivent. D’abord, que le concile de Trente aurait
approuvé tous les rites excogités par les hommes, même les plus absurdes.
Calvin dit la même chose dans son antidote de ce canon. Mais,
rien n’est plus faux. Le concile en effet, n’a approuvé
que les rites reçus par l’église universelle, ceux qu’approuvait
aussi saint Augustin dans son épitre 118, quand il disait que disputer
contre eux était faire preuve d’une insolente folie. Il prétend
ensuite que nous affirmons qu’il faut conserver les rites qui militent
contre la parole de Dieu; que le pape peut changer ce qui a été institué
par le Christ; que c’est un péché mortel et digne d’anathème de
faire le moindre petit changement dans ces cérémonies.
Calvin dit la même chose dans son antidote (livre 4, chapitre
10.) Il nous reproche ensuite de faire passer les institutions
humaines avant les institutions divines, (dans son apologie d’Augusta,
article 15, et le dernier). Ils disent ensuite que nous pensons que,
sans ces rites humains, les sacrements ne sont ni vrais ni efficaces.
Ce qui est, certes, un mensonge d’une extrême impudence.
On trouve le même mensonge auprès de Tilmman Heshusius (dans son
livre sur les 600 erreurs des pontifes romains, tit, 10, erreur 13. )
Septièmement. Ils prétendent que nous attribuons la même force spirituelle
à toutes les cérémonies. Que, à certaines cérémonies,
comme le cierge pascal, nous attribuons l’efficacité sacramentelle.
Luther dit quelque chose de semblable dans sa dernière homélie sur le
baptême. Il affirme que pour les catholique, sont des sacrements
l’eau bénite, et les autres choses qui sont consacrées. Même
si le même Luther dit le contraire dans son livre sur la captivité de
Babylone, au chapitre de l’ordre. Enfin que nous préférons
ces cérémonies aux sacrements du Christ.
Calvin dit la même chose dans son antidote, où il a le front
de nous reprocher de faire passer le sel, l’eau et le crachat avant l’eau
du baptême. Il ajoute que Tertullien et Cyprien, entachés de l’erreur
des montanistes, enseignèrent que les exorcismes et les onctions ont un
effet spirituel. Or, nous n’avons jamais lu que les montanistes
aient enseigné quelque chose de semblable. Mais, chez les pères,
nous le lisons souvent.
Ils disent aussi que Cyprien et Corneille ont attribué à l’onction
l’effet du baptême et que, ce n’est que plus tard, au témoignage
du maître des sentences, que furent amendées ces opinions; et qu’elles
ont été renouvelées par le concile de Trente. Mais toutes ces
insinuations sont des mensonges flagrants. Car, Corneille et Cyprien
ne parlent pas des cérémonies ecclésiastiques, mais du sacrement de
confirmation. Et ces pères n’attribuent pas au sacrement
de confirmation l’effet du sacrement du baptême, mais un effet qui lui
est propre. Et dans tous les écrits du maitre des sentences, on
ne lit aucun mot portant sur la correction de cette sentence. La
seule erreur qui est corrigée ou amendée c’est celle de saint Cyprien
sur l’anabaptisme, (livre 4, sentence, dist 6).
Ils ajoutent à ces calomnies, que nous pensons que le culte principal
de Dieu consiste dans ces cérémonies. Ainsi Calvin (livre 4, chapitre
10, versets 9 et 12, et la confession d’Augusta, article 96, qui porte
sur la différence des nourritures.) Mais toutes ce choses sont des
mensonges crasse, et n’ont rien à voir avec l’état de la question.
Nous admettons, nous, tous les catholiques, que les cérémonies ecclésiastiques
ne forment pas le culte principal, et que ce n’est pas d’elles que
dépendent l’essence et l’efficacité des sacrements. Qu’elles
n’ont pas non plus le pouvoir de justifier comme l’ont les sacrements.
Qu’elles sont donc inférieures aux sacrements, et qu’on ne doit approuver
aucun rite qui milite contre la parole de Dieu. Qu’il ne faut pas
les multiplier au point que, par leur nombre excédentaire, elles offusquent
la religion qu’elles doivent servir.
Dans les vignes, en plus des raisins, les agriculteurs
convoitent aussi les pampres, avec lesquelles ils ornent et protègent
les raisins. Mais si les pampres croissent trop, elles sont un obstacle
plutôt qu’un une aide. On les coupe donc. C’est ainsi qu’on doit
se comporter envers les rites, au dire de saint Augustin (épitre 119,
chapitre 13.) Nous sommes d’accord avec les adversaires là-dessus.
Notons, ensuite, que toute la controverse consiste en six chapitres.
Le premier. Y a-t-il des cérémonies instituées par Jésus-Christ
ou les apôtres, qui ne sont pas dans l’Écriture, mais que nous connaissons
par la seule tradition ? Le deuxième. Est-ce que les cérémonies
qui ne sont pas des sacrements possèdent une vertu spirituelle qui leur
permet de repousser les démons ? Le troisième. L’Église peut-elle
instituer de nouvelles cérémonies ? Le quatrième. Peut-elle les
instituer de façon telle que les fidèles soient tenus, en conscience,
de les observer ? Le cinquième. Ces cérémonies sont-elles
des choses bonnes et méritoires, et une certaine partie du culte divin
? Le sixième. Les sacrements doivent-ils être célébrés
et administrés en latin ?
À toutes ces questions, les catholiques répondent affirmativement;
et les luthériens et les calvinistes, à l’exception du troisième,
répondent négativement. Sur le troisième, ils ne sont même
pas d’accord entre eux. Car, Luther (dans son livre sur la formule
de la messe, dans son livre des cérémonies pieuses, et dans la confession
d’Augusta, articles 15, et 26), Philippe (dans ses lieux, au titre des
cérémonies), et Illyricus (dans son apologie de la confession d’Autuerpiensis,
chapitre 10, ) et l’ensemble des luthériens reconnaissent que l’Église
peut instituer certaines cérémonies pour l’érudition, la splendeur
et l’ordre de l’Église, pourvu que soit absente l’obligation ou
l’idée d’un culte.
Calvin (livre 4, chapitre, 10, verset 11), soutient que cela n’est
permis en aucune façon, et Brentius (dans la confession de Wirtemgerg,
au chapitre des cérémonies) semble penser de la même manière.
Il dit, en effet, que l’Église peut instituer la façon de faire les
sermons, les lectures, les fêtes, et d’autres choses qui selon célébrées
d’après des mandats ou des exemples de l’Écriture. Mais qu’il
n’est pas permis de commencer de nouveaux rites pour ombrager la vérité
qui a déjà été mise en lumière dans l’évangile. Exemples
: allumer des cierges, se servir d’étendards ou de croix, pour signifier
la victoire du Christ.
Kemnitius enseigne assez ouvertement la même chose à la page 166.
Car, après avoir dit que c’était une question ardue, celle qui veut
qu’on se demande s’il est permis aux hommes d’ajouter, pour un motif
quelconque, d’autres rites à ceux que le Christ a institués, il répond
qu’il ne faut rien ajouter ni enlever à l’institution divine; et que
ceux qui le font semblent agir ainsi parce qu’ils pensent que les cérémonies
instituées par le Christ ne sont ni appropriées ni suffisantes.
CHAPITRE 31
On explique et on défend la vérité
Pour expliquer et prouver la vérité, nous aurons recours à certaines
propositions. La première. Le Christ et les apôtres ont institué
certaines cérémonies que nous ne tenons d’aucune Écriture, mais
de la seule tradition. On le prouvera plus au long quand il sera
question de chaque cérémonie en particulier. Nous le prouverons
brièvement maintenant en rappelant que le sacrement du chrême est sacrosaint,
comme l’affirme saint Augustin (livre 2, chapitre 104, contre les lettres
de Petilianus.) Or, les sacrements seul Dieu peut les instituer.
C’est donc le Christ qui a institué le sacrement du chrême.
Et pourtant, nous n’avons jamais dans l’Écriture de mention du
chrême. De même, en 1 Corinthiens X1, l’apôtre dit : « Les
autres choses, je les disposerai quand je reviendrai. » Et,
cependant, il n’a rien écrit, après cela, sur le rite du sacrement
de l’eucharistie, dont il était question à cet endroit. Et il
n’est pas crédible qu’il n’ait pas tenu sa promesse, ou que ses
autres lettres aient été perdues. Voilà pourquoi saint Augustin
affirme dans l’épitre 118, que parmi les autres lois des apôtres, il
y en avait une qui prescrivait que nous devons recevoir l’eucharistie
à jeun. Que c’est cela, avec d’autres rites que l’Église
observe, que l’apôtre avait promis quand il a dit : les autres choses,
j’en disposerai à mon retour.
Saint Basile (livre sur le Saint-Esprit, chapitre 27) énumère plusieurs
choses, comme le signe de la croix, instituées par les apôtres, et qui
ne nous sont parvenues que par la tradition. Saint Cyprien (livre
2, épitre 3), enseigne que le mélange de l’eau et du vin dans
l’Eucharistie, a été institué par le Christ. Saint Augustin
enseigne la même chose (livre 3, chapitre 21 sur la doctrine chrétienne).
Or, nous ne trouvons pas cette chose écrite dans l’Écriture.
Mais, de cela, en un autre temps.
La seconde proposition. Certaines cérémonies ont une force spirituelle.
De cela aussi, c’est ailleurs qu’il nous faudra parler.
Pour l’instant, limitons-nous au signe de croix. Les pères affirment
souvent qu’il nous faut armer notre front, et le munir contre toutes
les astuces des démons; et que sa vertu est admirable.
Voir Tertullien (au début du Scorpion), Origène (homélie 6,
au chapitre XV de l’Exode), Cyprien (livre 4, épitre 6), Lactance
(livre 4, chapitres 26, et 27), saint Grégoire de Naziance (dans son discours
1 contre Julien), saint Grégoire de Nysse (dans la vie de Grégoire
le thaumaturge), Épiphane (hérésie 30), saint Jean Chrysostome (homélie
sur la divinité du Christ), Ephrem (dans son livre sur l’armature spirituelle),
Palladius (dans son histoire lausiaque, chapitres 2 et 54), saint Jérôme
(dans sa vie de Hilarion), Sulpice dans sa vie de saint Martin, saint Augustin
(livre XX11, chapitre V111 sur la cité de Dieu), Prudence (dans son hymne
avant le sommeil), Paulin (Noël 8).
Et, au nom des autres, écoutons Athanase (dans son livre sur l’incarnation
et le salutaire avènement de Jésus-Christ) : « Par le signe de
la croix, tous les enchantements, les charmes et les incantations sont
repoussés, et les poisons rendus inefficaces. » Et plus bas : «
Qu’il vienne celui qui veut faire l’expérience de ces choses, et qu’il
se serve du signe de la croix contre les impostures des sorciers, et les
prodiges de la magie, comme en se moquant d’eux. Qu’il invoque
le nom du Christ, et il verra comment, par la crainte de ce signe, les
démons s’enfuient, les oracles des idoles se taisent, les formules magiques
et les poisons perdent leur pouvoir. »
Il faut noter ici que le signe de la croix opère de trois façons
pour terrasser les démons. La première. Par la crainte qu’en
ont les démons. La deuxième. Par la dévotion de l’homme. La
troisième. Surtout, par l’institution de Dieu, et donc, comme
œuvre opérée. De la première façon, on ne peut pas avoir de
doute, car, quand le démon voit quelqu’un faire le signe de la
croix, il se souvient qu’il a été vaincu par la croix du Christ.
Il a donc en horreur ce signe de sa calamité, et il fuit, comme des chiens
fuient quand ils voient des pierres ou des bâtons. Ce signe possède
aussi un pouvoir qui lui vient de la dévotion de l’homme qui se signe,
de la même façon que possède une vertu la prière orale. Car,
le signe de la croix est un rappel des mérites du Christ crucifié représenté
dans le crucifix. Car, nous prions avec la bouche, le cœur et les
genoux.
Donc, opposer au démon ou à n’importe lequel mal la passion du
Christ, c’est invoquer Dieu par les mérites du Christ. L’effet
procède alors plus de la dévotion et de la foi internes que de la figure
elle-même de la croix. Comme quand nous prions à voix haute et
que nous obtenons ce que nous demandons, cela n’a rien à avoir avec
le son de la voix, mais à foi et à la dévotion.
Il y a une troisième façon qui provient de l’institution
de Dieu, et qui a son effet par l’œuvre opérée. Car, souvent
les Juifs ou les païens ont fait le signe de croix sans la vraie foi et
sans dévotion, comme cela est arrivé à Julien l’apostat, selon saint
Grégoire de Naziance le raconte (sermon 1 sur Julien l’apostat;
et à l’hébreux Joseph, d’après Épiphane (hérésie 30), et à un
autre juif, d’après saint Grégoire (livre 3, chapitre 3, des
dialogues).
Voilà pourquoi saint Augustin (livre 83, question 79) écrit : «
Il n’y a pas à s’étonner que ces signes aient de la valeur quand
ils sont utilisés par de bons croyants, puisque même quand ils sont usurpés
par des étrangers, qui ne se sont pas inscrits dans cette milice,
ils valent quand même à cause de l’honneur d’un si excellent empereur.
Quand les puissances (infernales) ne cèdent pas à ces signes, c’est
Dieu lui-même qui l’empêche pour des raisons qui nous échappent, quand
il juge cela juste et utile. Car ces esprits n’osent, en aucune façon,
mépriser ces signes, et ils tremblent partout où ils les voient.»
La troisième proposition. L’Église peut instituer de nouvelles
cérémonies, non pour justifier l’impie, mais pour d’autres effets
spirituels. » Il faut d’abord noter que les cérémonies instituées
par l’Église peuvent être utiles de trois façons. La première.
Pour orner et représenter un mystère religieux, et aider, de cette façon,
les illettrés. Et là-dessus, chez les catholiques, il ne peut y
avoir aucun doute. La deuxième. Pour guérir les malades,
chasser les démons, et purger les péchés véniels, et cela, par mode
impétratoire; et quand l’Église bénit les chandelles, les palmes
ou les malades etc. Ces choses procurent les effets pour lesquels
elles ont été instituée, et sans doute possible, c’est par la
vertu des prières de l’Église que sont exaucés ceux qui s’en servent..
Et cela, non plus, ne peut pas être mis en doute par les catholiques.
La troisième. Il est probable que l’Église puisse instituer
des cérémonies de ce genre pour obtenir les mêmes effets par l’application
des mérites du Christ; de façon à ce qu’elles produisent ces
effets par l’œuvre opérée, comme les sacrements justifient par l’œuvre
opérée. Car, sans doute possible, le Christ a mérité pour son
Église non seulement la grâce et la gloire, mais aussi tous
les autres bienfaits qui peuvent lui être utiles.
Pour obtenir la grâce et la justification de l’impie, le Christ
a institué des sacrements qui nous appliquent les mérites du Christ;
et il n’est pas permis d’en instituer d’autres pour procurer cet
effet principal. Mais pour les autres bienfaits mineurs, il a laissé
à son Église le pouvoir d’instituer des signes par les quels nous sont
appliqués les mérites du Christ.
On discute encore là-dessus, car ce n’est pas une chose absolument
certaine, surtout du fait qu’on voit que ces signes n’ont pas un effet
infaillible. On pourrait quand même dire qu’ils ont un effet infaillible
dans la mesure où cela est utile aux hommes, mais non pas d’une façon
absolue. Car, il nous est souvent avantageux de ne pas
obtenir ce que nous demandons. Et, en parlant de l’extrême onction,
c’est ce que nous avons coutume de dire au sujet de la guérison corporelle.
Quoi qu’il en soit, notre proposition affirme seulement, contre les
hérétiques, qu’il est permis à l’Église d’instituer de nouvelles
cérémonies, non pour justifier ceux qui ont commis des péchés mortels,
mais pour d’autres fins. On le prouve, d’abord, par les exemples
de la Synagogue, ou des hommes privés de l’ancien testament.
Car il n’y a aucune raison qui empêcherait l’Église du Christ de
faire ce que, sans mandat exprès de Dieu, nais sous l’inspiration
de Dieu, des hommes privés ou la synagogue ont pu faire dans le passé.
Dans Genèse 28, quand il n’était pas encore patriarche, mais un simple
homme privé, Jacob conçut une nouvelle cérémonie, sous l’inspiration
de Dieu, mais non d’après un ordre formel. Il érigea une pierre
en forme de stèle, y versa de l’huile, et donna à ce lieu le nom de
Bethel, en souvenir de la vision qu’il y eut.
De même, la synagogue des Juifs, sous l’instigation de Mardochée,
ajouta une nouvelle fête solennelle qui devait être célébrée par tous.
Cette fête, dans la loi que nous avons, Dieu ne l’avait pas instituée
telle qu’on la trouve dans Esther 1X. De même, au temps
de Judith, une autre fête a été ajoutée. C’est bien ce qu’on lit
au dernier chapitre : « Le jour de fête de cette victoire est compté
parmi les jours saints par tous les hébreux, et il a été célébré
depuis cette époque jusqu’à nos jours. »
Il importe peu que les hérétiques ne reçoivent pas ce livre.
Il nous suffit qu’ils y prêtent foi comme ils prêtent foi aux
livres de Cicéron ou de Platon. Car, il ne s’agit pas là d’un
dogme abscond, mais de l’histoire d’un exploit militaire. Nous
avons également, dans les Maccabées, au livre premier, chapitre quatre,
l’institution d’une nouvelle fête, celle de la dédicace de l’autel,
à la célébration de laquelle le Seigneur lui-même est monté à Jérusalem.
En second lieu, on le prouve par l’exemple des apôtres. Réunis
en un concile, (Actes XV), les apôtres ont institué une nouvelle cérémonie,
à savoir que les Gentils s’abstiennent de sang et de ce qui est suffoqué.
Or, il est certain que Dieu n’avait prescrit cela que pour les Juifs.
Et ce qui plus est, cette loi mosaïque avait été évacuée et abrogée
par la mort du Christ. Ce fut donc une nouvelle cérémonie
que les apôtres instituèrent, pour une fin différente de celle de l’ancienne
loi mosaïque. Voilà pourquoi cette cérémonie est appelée un
dogme des apôtres (actes XV1).
Et de plus, comme on l’a déjà prouvé, les apôtres en ont institué
plusieurs autres, dont l’Écriture ne parle pas. Or, il n’y aucune
raison qui empêcherait l’Église de faire aujourd’hui ce qu’elle
pouvait faire autrefois. Car, les apôtres ne firent pas cela par
une nouvelle révélation à eux accordée, mais de par le pouvoir ordinaire
de gouverner l’Église. La preuve : ils convoquèrent un
concile, statuèrent après délibération, ce qu’ils ont jugé être
utile.
Troisièmement. Si l’Église ne pouvait pas le faire, c’est que
cela répugnerait à l’Église, ou aux cérémonies, ou à la nouveauté.
C’est-à-dire qu’elle ne le pourrait pas parce qu’elle n’a pas
le pouvoir de statuer quoi que ce soit, ou (comme le dit Brentius) parce
que les cérémonies appartiennent en propre à l’ancien testament, et
non au nouveau testament, ou parce qu’on ne peut rien ajouter aux cérémonies
instituées par le Christ.
Mais on ne peut dire rien de tout cela. Car, que
l’église puisse statuer, rien n’est plus évident, car depuis les
tous premiers siècles de foi, des conciles ont été célébrés, qui
promulguèrent toujours des canons. Or, condamner tous les conciles ce
serait faire preuve d’une grande insanité. Que cela ne répugne
pas non plus aux cérémonies de la loi nouvelle, on le voit par les sacrements
institués par le Christ, qui sont d’authentiques cérémonies, comme
les adversaires eux-mêmes le reconnaissent. Cela ne répugne pas
non plus à la nouveauté, car le Seigneur n’a jamais prohibé l’addition
de cérémonies pour que nous puissions administrer les sacrements plus
commodément et plus utilement. Bien plus, le Seigneur a institué
très peu de cérémonies, et n’en a pas non plus fourni le mode d’emploi.
Il a donc laissé le reste à la providence des pasteurs de son Église,
comme l’enseigne saint Augustin (épitre 118.)
La quatrième proposition. On ne peut omettre sans péché les
cérémonies instituées par l’Église. Cela dépend de cette autre
question : est-ce que les lois ecclésiastiques obligent en conscience
? C’est ce que nous avons déjà disputé (livre 4, chapitre 5
du pontife, et aux chapitres suivants.) La raison principale est
exprimée par saint Paul (Romains X111) : « Il n’y a de pouvoir
que de Dieu. Les choses qui sont de Dieu sont ordonnées. Celui donc
qui résiste au pouvoir, résiste à l’ordre que Dieu a établi dans
son univers. Ceux qui résistent ainsi, ils s’acquièrent pour
eux-mêmes la damnation. » Et plus bas : « Soyons donc soumis à
ce qui est nécessaire, non poussés par la colère, mais en conscience.
»
Cette sentence l’apôtre l’applique, d’une façon toute particulière,
aux princes temporels, quand il ajoute : « Si tu agis mal, crains. Car
il ne porte par le glaive pour rien. » Mais elle vaut, en général,
pour tous ceux qui détiennent l’autorité, comme Calvin le concède
(livre 4, chapitre 10, verset 5). D’ailleurs, les mots eux-mêmes
le disent : « Il n’est de pouvoir que de Dieu. » Car, cette proposition
équivaut à cette autre : tout pouvoir vient de Dieu.
On ne peut nier que, dans l’Église, les préposés possèdent
un pouvoir sur les autres, comme l’Écriture l’enseigne souvent.
Romains X11 : « Que celui qui préside le fasse avec sollicitude. »
11 Corinthiens X111 : « J’écris ces choses en mon absence, pour que,
en ma présence, je n’agisse pas plus durement que le pouvoir que le
Seigneur m’a donné. » Il en résulte donc que pèchent en conscience
ceux qui n’observent pas les lois de l’Église. Car c’est ce
que signifient toutes ces choses : ils résistent à l’ordre de Dieu,
ils s’acquièrent la condamnation, soyez soumis à la nécessité, non
seulement à cause de la colère, mais à cause de la conscience.
Que ces cérémonies ne soient pas laissées à libre choix de chacun,
on le prouve ainsi : les cérémonies sont nées dans l’Église lors
de graves dissensions, et c’est sous des peines sévères qu’ont été
imposées les lois sur les cérémonies; et sont considérés hérétiques
ceux qui ne leur obéissent pas. Ce sont là de grandes preuves qu’il
ne s’agit pas d’une chose facultative. Car, de toute évidence,
les dissensions ne naissent pas des choses qui sont laissées au
libre choix de chacun.
La première dissension dans l’Église porta sur des cérémonies
légales, laquelle fut assoupie par les apôtres (Actes XV), quand ils
dirent : « Il a paru bon à nous et au Saint-Esprit, de ne vous imposer
aucun nouveau fardeau en dehors de ce qui est nécessaire, c’est-à-dire
que vous vous absteniez de sang etc. » Ils n’auraient pas appelé
fardeau une cérémonie légale, ni chose nécessaire, si elle n’obligeait
pas en conscience.
La deuxième dissension fut au sujet du jour de Pâque, c’est-à-dire,
d’une autre cérémonie. Et l’église attacha une telle importance
à cette cérémonie que le pape Victor menaça de séparer toute l’Asie
de l’unité de l’Église, parce que les asiatiques ne voulaient pas
obéir au pape. Témoin Eusèbe (livre 5, chapitre 25 de l’histoire
de l’Église.) Ensuite, le concile de Nicée fut convoqué
aussi pour cette question, comme l’écrivent Épiphane (hérésie 70)
et Constantin dans son épitre, d’après Eusèbe (livre 3 de la vie de
Constantin). Et saint Athanase (dans l’épitre sur les synodes d’Ariminie
et de Séleucie. Il ajoute aussi que le concile de Nicée a commandé
fortement que tous obéissent.
Et le concile d’Antioche, qui fut célébré peu après, excommunia,
dans le canon 1, ceux qui n’observaient pas la loi du concile de
Nicée sur pâque. Nous apprenons, en outre, des pères, qu’il
y a eu des hérétiques qui cherchèrent à observer cette fête de différentes
façons. Comme nous le rapportent Épiphane (hérésie 50), saint
Augustin (hérésie 20), Théodoret ( livre 3 sur les fables des hérétiques.)
La troisième dissension porta sur le rite du baptême. Est-ce
que les hérétiques baptisent vraiment ? Cette dissension causa
beaucoup de soucis à l’Église, et plusieurs conciles ont été tenus.
Or, les donatistes ont été considérés comme des hérétiques parce
qu’ils n’obtempèrent pas à la décision d’un concile général.
Voir Eusèbe (livre 6, chapitre 3 de son histoire) et saint Augustin (dans
la plus grande partie de son septième tome. »
Il y eut ensuite d’autres dissensions sur le choix des
aliments, sur les jours de jeûne, les pèlerinages, les vigiles,
les cierges, et sur d’autres cérémonies, à cause desquelles les Eucratites
ont été rangés parmi les hérétiques, d’après Épiphane (hérésie
46), et Augustin (hérésie 23.)
Il y eut ensuite les manichéens qui rejetèrent plusieurs cérémonies
de l’Église, d’après saint Augustin (livre 20, chapitres 2
et 4 contre Faust). Ensuite les Eustatiens, d’après Socrate (livre
2, chapitre 23). Et les Acriens, d’après Épiphane (hérésie 75) et
saint Augustin (hérésie 53). Ensuite, Vigilance, d’après saint
Jérôme (dans son livre contre Vigilance.) Et puis, Claude de Tours,
d’après Jonas (dans ses trois livres sur les images sacrées).
Et aussi les petrobrusiens, selon saint Bernard, (dans son épitre 240).
Ainsi que les Waldenses, d’après Guidon (dans sa somme des hérétiques),
et les Thaborites, d’après Énée Sylvius (livre 2, chapitre 35, sur
l’origine des Bohémiens.) Enfin, Jean Wiclif, d’après Thomas
Waldenses (tome 3 sur les sacramentaux.)
On prouve ainsi cette proposition. Si l’observance des cérémonies
était facultative, il ne pourrait en aucune façon se faire que, dans
l’église, soient conservés un ordre et une uniformité. Si, maintenant,
ou peut à peine conserver l’uniformité dans les choses les plus importantes,
qu’arriverait-il donc si elles étaient laissées au libre choix de tout
un chacun. Et pourtant, à 1 Corinthiens X1V, l’apôtre ordonne
que tout soit fait avec honnêteté et ordre.
Ce texte impressionna Calvin au point de vouloir sanctionner par une
loi ses cérémonies. Car, (au livre 4, chapitre 10, verset
27),il dit que l’Église serait énervée, déformée et dissoute
s’il était permis à tout un chacun de changer les cérémonies.
Et, au verset 31, il dit que c’est « avec une grande liberté de conscience
qu’on doit observer les cérémonies, mais de façon cependant à ce
qu’on n’en vienne pas à les mépriser, ou à les laisser de côté
par négligence ». Or, l’Église n’enseigne rien d’autre au
sujet de ses cérémonies.
La cinquième proposition. Les cérémonies ne sont pas
des choses indifférentes, mais utiles et méritoires. Et elles sont
une certaine partie du culte divin. Nous en donnerons une preuve
en trois parties. La première. Que les cérémonies
soient utiles, on le prouve par les raisons suivantes. La première.
Puisqu’elles sont nées d’une affection pieuse interne et de la dévotion,
les cérémonies conservent ces choses, les nourrissent et les font croitre,
comme saint Augustin l’enseigne ( au chapitre 5 du soin à apporter aux
morts, dans son épitre 119, chapitre 11, dans son livre 9, chapitres 6
et 7 des confessions.)
Et nous expérimentons cela, nous aussi, quand nous entrons dans
des basiliques richement décorées, ornées de croix, d’images saintes,
d’autels magnifiques, brillantes de cierges et de lampes. C’est
le contraire que nous ressentons quand nous entrons dans le temple des
hérétiques, où il n’y a absolument à rien, sauf un pupitre pour le
prédicateur, une table en bois pour faire la cène. On a l’impression
d’entrer dans une salle profane, un tombeau, non dans la maison de Dieu.
La deuxième utilité est que les cérémonies n’ont pas seulement
l’effet dont nous venons de parler, mais qu’elles stimulent l’intelligence,
comme saint Augustin l’enseigne dans la même épitre 119, chapitre 7,
car, pour les illettrés les peintures tiennent lieu de livres.
Il faut ajouter aussi qu’avec des anciennes cérémonies, on réussit
mieux à convaincre certaines personnes qu’avec beaucoup
d’autres témoignages.
Il est certain que (dans le premier livre des mérites et de la rémission
des péchés, chapitre 34, et dans le chapitre 2 du livre 4 contre Julien),
saint Augustin a pensé pouvoir donner comme preuve que le péché
originel était dans les enfants avant le baptême, le fait que l’Église
avait coutume de les exorciser, de souffler sur eux, et de leur demander,
par la bouche de leurs parrains, de renoncer au démon et à ses
œuvres.
La troisième utilité est qu’elles aident la mémoire.
Car, si, à chaque année, on ne représentait pas, par diverses cérémonies,
la naissance du Seigneur, ses miracles, sa prédication, sa passion rédemptrice
et sa résurrection, de si sublimes mystères tomberaient facilement
en oubli.
La quatrième utilité est l’exercice de la foi. Nous
exerçons grandement notre foi quand nous nous armons, contre le diable,
du signe de la croix, d’eau bénite, ou d’autres choses de ce genre,
comme les saints scapulaires ou les médailles. Par ces cérémonies,
nous protestons que nous croyons fermement que le crucifix a une si grande
puissance que les démons fuient à sa vue.
La cinquième est la conservation de la religion. On accorde
beaucoup d’importance aux cérémonies pour que la religion ne soit pas
avilie et méprisée, et pour que finalement, elle ne périsse pas.
Car, comme elle est spirituelle, la plus grande excellence de notre
religion n’est pas facilement perçue par nous, qui sommes corporels.
Voilà pourquoi on ne propose pas des mystères nus, mais revêtus et ornés,
pour que nos sens perçoivent quelque chose de sa majesté, et que, à
cause de cela, notre esprit la perçoive encore mieux.
Les cérémonies sont donc pour la religion comme le sel pour les aliments.
Saint Augustin a donc raison (livre 9, chapitre 2 contre Faust) d’affirmer
qu’aucune religion, vraie ou fausse, ne peut subsister sans cérémonies.
Voilà pourquoi, chez les anciens, être théologien n’était rien
d’autre que savoir quels dieux il faut honorer, et par quelles cérémonies,
comme on le peut le voir chez Platon, dans son dialogue sur le règne.
Et chez les Juifs, savoir les cérémonies était avoir atteint la cime
du savoir. C’est ce que nous montre l’Exode au chapitre 18, où
Jethro conseille à Moïse de nommer d’autres juges pour les procès
civils, et de se réserver d’enseigner les cérémonies au peuple, et
les rites qu’il faut utiliser pour rendre à Dieu un culte.
Les chrétiens aussi eurent en grande estime la connaissance des cérémonies,
comme la question de la date de pâque le démontre amplement. On peut
voir la même chose chez saint Basile (épitre 63), saint Léon (épitre
4), saint Innocent 1 (épitre 1 à Décentius), qui blâment les évêques
qui négligent les cérémonies.
La sixième utilité est de faire la distinction entre catholiques
et hérétiques. Car, les sacrements sont des symboles qui
nous distinguent des infidèles. Or, n’est pas tellement par les
sacrements que les catholiques se distinguent des hérétiques; c’est
surtout par les cérémonies. Car, à notre époque, le signe de la croix,
l’abstinence de la viande le vendredi, et d’autres choses semblables
sont d’excellents signes qui distinguent un catholique d’un hérétique.
C’est pour cette raison qu’au tout début, les apôtres changèrent
le sabbat en dimanche, pour ne pas sembler judaïser. Et Épiphane
(à la fin de ses livres contre toutes les hérésies), fit la recension
des cérémonies de l’Église, en les présentant comme des notes qui
distinguaient l’Église de toutes les sectes. Voilà pourquoi de
saints hommes préférèrent mourir plutôt que d’être forcés à omettre
certaines cérémonies, comprenant très bien que seuls les déserteurs
font peu de cas des insignes militaires.
Témoin saint Éléazar (livre 11 des Macchabées, chapitre V1) qui,
ne voulant pas trahir sa religion, préféra être mis à mort plutôt
que de faire semblant de manger une viande impure. Il a été suivi par
sept de ses frères, comme on le voit au septième chapitre du deuxième
livre des Macchabées. Tertullien (dans son livre sur la couronne
du soldat) nous présente un soldat qui préféra mourir plutôt que de
recevoir, avec les autres soldats, la couronne de laurier. Car, les
chrétiens d’alors pensaient qu’un baptisé ne pouvait
pas faire cette cérémonie.
Quelles soient méritoire, et qu’elles plaisent à Dieu, on le prouve
ainsi. Toutes les œuvres de vertus plaisent à Dieu, et méritent
une récompense auprès de Dieu, si elles sont faites comme il se doit,
c’est-à-dire, avec foi et charité. Car, les cérémonies sont
les œuvres des vertus. Elles sont donc au moins des actes de religion,
et sont souvent en même temps des œuvres de religion et d’une autre
vertu. Et, comme elles sont commandées, elles sont aussi des actes
d’obéissance.
Deuxièmement. La profession extérieure de foi plait à
Dieu, comme il appert en Matthieu X : « Celui qui me confessera devant
les hommes, je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux.
» Et en Romains X : « La confession à haute voix est faite pour obtenir
le salut. » Or, par les cérémonies, nous professons la foi, comme
il va de soi, car un Turc ne sait pas moins que je suis un chrétien s’il
me voit vénérer la croix que si je lui dis que je suis chrétien.
Voilà pourquoi même les adversaires admettent que, par les sacrements,
nous professons notre foi.
Troisièmement. À Dieu plaisent la foi, l’espérance, la charité,
la dévotion, et tout bon acte intérieur. Lui plairont donc
aussi les actes extérieurs, qui sont les effets des actes intérieurs,
et qui les augmentent et les conservent (comme nous l’avons déjà dit.)
Voilà pourquoi (Exode XV11), le peuple gagnait quand Moïse priait
les bras étendus en forme de croix, et perdait quand, de fatigue,
il laissait tomber ses mains.
Qu’on puisse les appeler des parties du culte divin, on le prouve
ainsi. La raison naturelle enseigne que l’homme, qui a un corps
et une âme, doit honorer et adorer Dieu avec son âme, par des actes
intérieurs, et avec son corps, par des actes extérieurs.
Voilà pourquoi saint Cyprien (dans son sermon sur l’oraison dominicale),
dit : « Pensons que nous nous tenons toujours sous le regard
de Dieu. On doit plaire aux yeux divins et par les mouvements du
corps, et par le son de la voix. »
Deuxièmement. Bien qu’elles subsistent surtout dans l’âme,
toutes les autres vertus s’accomplissent par des actes extérieurs, comme
la tempérance, la force, etc. Pourquoi ne pourrions-nous pas dire
la même chose de la religion ? Et si, au consentement de tous,
la prière vocale est un culte de Dieu, pourquoi pas aussi l’adoration
corporelle ? Car, comme la prière vocale est un culte parce qu’elle
est un signe mental, l’adoration est aussi un culte parce qu’elle est
un signe d’une adoration interne.
Troisièmement. La nature enseigne qu’il faut adorer Dieu de
la meilleure façon possible, puisqu’il est l’être suprême.
Or celui qui l’adore avec son corps et son âme l’adore mieux
que celui qui ne l’adore qu’avec son âme. On peut donc
rendre un culte à Dieu avec des cérémonies corporelles. Quatrièmement.
Dieu est vraiment offensé et il est traité ignominieusement non seulement
par un acte interne, mais aussi par un acte externe. On ne doit donc
pas l’honorer seulement par un acte interne, mais aussi par un acte externe.
Les adversaires répondraient à tout cela qu’ils ne nient pas que
Dieu puisse et doive être honoré par certaines cérémonies, mais non
par celles qui ont été inventées par les hommes. Car, selon eux,
ne plait pas à Dieu le culte qu’il n’a pas institué lui-même, ou
en faveur du quel il n’a pas témoigné par sa parole.
Nous répondons que c’est le contraire qui est vrai. Car,
ou bien il est requis que Dieu ait approuvé expressément tel culte en
particulier, ou il suffit qu’il l’ait approuvé en général et virtuellement.
On ne peut pas dire que ne plait pas à Dieu un culte qu’il n’a pas
expressément approuvé en particulier, car il est certain que le culte
d’Abel plut à Dieu, qui lui offrit les animaux gras de son troupeau
(Genèse 1V et Hébreux X1). Et pourtant, ce sacrifice Dieu ne l’avait
pas prescrit.
A plus aussi à Dieu le culte de Jacob qui prit une pierre et
la dressa comme une stèle (Genèse XXV111), et le culte de la vierge Marie
qui avait voué une virginité perpétuelle, que Dieu n’avait jamais
commandée. Il suffit donc que Dieu commande quelque chose en général.
Calvin admet cela, car (au livre 4, chapitre 40 verset 60), voulant
que la génuflexion dans la prière soit une chose bonne, et même une
chose divine, il présente ce témoignage de l’apôtre (1 Corinthiens
X1V) : «Faites toutes choses dans l’honnêteté et l’ordre. »
Et il conclut que la génuflexion est une chose bonne et divine, parce
qu’elle est indiquée en général dans ses prescriptions sur la prière.
Et, de cette façon, toutes nos cérémonies sont bonnes et divines, car
elles sont indiquées par Dieu en général, et sont approuvées de plusieurs
façons. D’abord, dans ce témoignage de saint Paul on n’inclut
pas moins la génuflexion que l’allumage des cierges, les vêtements
sacrés etc.
Deuxièmement. Quand Dieu ordonne d’obéir aux préposés,
il ordonne d’une façon générale d’observer toutes les lois ecclésiastiques,
dont un bon nombre sont des cérémonies. Enfin, Dieu est l’auteur
de toutes les vertus. Or, en Sagesse V111, il est dit au sujet
de la sagesse divine : « Elle enseigne la sobriété et la prudence, la
justice et la vertu, car, dans la vie, rien n’est plus utile aux hommes.
» On énumère là les quatre vertus cardinales, auxquelles toutes
les autres se réduisent. Dieu enseigne et recommande donc
la religion, qui est une partie de la justice, et aussi un culte externe,
qui est une partie de la religion.
La sixième proposition. Il a été institué très sagement que, dans
l’église latine, les sacrements soient administrés dans la langue latine.
Il faut d’abord noter que quand on parle de la langue dans laquelle les
sacrements doivent être administrés, il faut mettre le mariage à part.
Car, puisque le mariage consiste dans le consentement mutuel, il est requis
que soient employés des mots, ou des signes de tête, qui sont compris
de part et d’autre.
Et, semblablement, la confession des péchés doit être faite dans
une langue connue par le pénitent et le confesseur, même si la confession
est plutôt une partie du sacrement que le sacrement lui-même.
Il faut noter ensuite que n’est pas de droit divin le choix
de la langue dans laquelle un sacrement est administré; et que c’est
une chose qui n’appartient pas à l’essence du baptême.
Car, le baptême aura la même valeur s’il est administré en latin,
en français ou en anglais. Cependant, pour des raisons nombreuses
et sérieuses, il a semblé bon à l’Église et au Saint-Esprit
qui la régit, que les sacrements ne soient pas, sauf en cas de nécessité,
administrés dans la langue vernaculaire.
La troisième note. Nous parlons, il va sans dire, de l’église
latine, car les grecs font bien de se servir de la langue grecque, les
syriens du syrien, et les chaldéens de la chaldéenne. Car, le ministère
sacerdotal requiert une langue qui n’est pas celle de tous les jours,
qui soit connue au moins par les doctes, car, autrement, on ne pourrait
pas trouver des ministres et des pasteurs idoines. C’est ce que
sont pour les chrétiens les langues latine et grecque. Aucune d’elle
n’est vulgaire, mais chacune est commune à tous, et est connue par les
experts d’une région. On pourrait peut-être dire la même chose
de l’arabique, qui est maintenant commune à toutes les provinces orientales,
et dans laquelle sont célébrés les offices divins. Mais, autre
est l’arabique vulgaire, et autre l’arabique utilisé dans les mystères.
On prouve ainsi cette proposition. D’abord, par la coutume
antique de l’Église. L’église latine a toujours administré les sacrements
en latin, même si le latin a cessé depuis longtemps d’être parlé
par le peuple. On peut le voir par Isidore, Alcuin, Amalaric, Raban, Strabon,
Micrologue, Rupert, Thomas Waldensis qui écrivirent sur les offices divins
en Espagne, dans les Gaules, en Germanie, en Italie et en Angleterre, au
temps où la langue latine n’était plus comprise par le peuple.
Or, ils disent en toutes lettres que les sacrements avaient toujours coutume
d’être administrés en latin. Car, c’est en latin qu’ils décrivent
tout le rite, et les paroles officielles qu’on doit utiliser.
De plus, dans l’administration des sacrements, on lit toujours
certains textes de la bible, et surtout chez les adversaires.
Car, les seuls livres qui existaient alors étaient en hébreu, en grec
ou en latin, comme nous le fait comprendre Bède e vénérable (dans le
premier livre de l’histoire de son peuple, chapitre premier ), où il
dit que, en Angleterre, il y avait, à son époque quatre langues
vernaculaires, mais que le latin était la langue commune à tous à cause
des écritures. Raban aussi (dans son livre 3 sur l’institution
des clercs), dit que, à son époque, les saintes lettres n’existaient
que dans ces trois langues. De plus, les adversaires ne peuvent nous
présenter, en fait de traductions en français, en espagnol ou en italien
que des traductions faites tout récemment.
Ils peuvent nous objecter l’édition gothique, dont l’évêque
des Goths, Uphilas atteste l’existence (dans la troisième partie de
son huitième livre, au treizième chapitre). Mais l’évêque ne
l’a pas faite cette traduction avant d’être devenu arien avec tout
son peuple. Ajoutons enfin deux exemples qui montrent clairement
qu’on n’utilisait pas, autrefois, la langue vernaculaire dans l’administration
des sacrements. Le premier est des Moraves, que présente Énée
Sylvius en parlant de l’origine des Bohémiens (chapitre 13).
Il rapporte qu’ils demandèrent au pontife romain de pouvoir célébrer
les offices divins en langue slavon. En plus des Moraves, les Bohémiens
demandèrent la même chose au pape Grégoire V11, qui refusa, (livre
7, de ses épitres.) Si tous usaient alors de la langue vulgaire,
ils n’auraient pas eu à demander de dispense au pape.
On le prouve ensuite par la raison. Il n’y a pas de nécessité
qui nous contraigne à célébrer les sacrements en langue vernaculaire.
Mais, nombreux seraient les inconvénients si on le faisait. On prouve
ainsi qu’il n’y a pas de nécessité. S’il y avait une nécessité
ce serait pour que ceux qui reçoivent les sacrements comprennent ce qui
est dit et fait. Mais cela n’est pas une véritable nécessité.
Car les paroles des sacrements ou on les distingue par les éléments,
comme la consécration de l’eucharistie, la bénédiction de l’eau
et de l’huile, (les éléments n’entendent aucune langue) ou elles
sont dirigées vers Dieu en tant que formes déprécatoires des paroles,
comme dans l’extrême onction. Car, Dieu comprend toutes les langues.
Ou elles sont dirigées vers les personnes mais pour consacrer
ou absoudre, mais non pour instruire ou enseigner, comme dans le baptême
et l’absolution, et ce n’est donc que par accident que la personne
comprend. La preuve en est qu’est efficacement et validement baptisé
et réconcilié celui qui n’a pas l’usage de sa raison, ou de ses sens.
Qu’on puisse être réconcilié et même baptisé sans le baptême, saint
Augustin l’enseigne (livre 1, chapitres 26 et 28,) et le concile 4 de
Carthage (canon 76), et saint Léon (épitre 91 à Théodore).
Ajoutons qu’il n’y en a peu qui soit si peu intelligents qu’ils
soient incapables de se faire une certaine idée des mots des sacrements,
soit pas les mots eux-mêmes, soit pas la façon dont les sacrements sont
administrés.
Voici quels seraient les inconvénients qui naitraient de l’emploi
d’une langue vernaculaire. On empêcherait la communication d’une
église à l’autre. Les Italiens, les gaulois les espagnols ne pourraient
pas aller dans les églises des anglais, des allemands ou des polonais,
et vice-versa. Ce qui nuirait beaucoup à l’unité et à
l’universalité, car nous devons tous être les membres d’un même
corps. Et de plus, les chrétiens qui se trouveraient loin de leurs
églises seraient privés des sacrements.
Deuxièmement. Les sacrements requièrent la majesté,
et une certaine révérence, choses qui sont plus facilement conservées
si on n’emploie pas de langue vulgaire. Il convient et il est équitable
que dans l’administration des sacrements on utilise d’autres
maisons, d’autres vêtements, d’autres instruments que ceux de
la vie de tous les jours. Cela semble être la même chose pour la
langue. Mais nous n’imaginons pas, comme le pense Kemnitius, que
la langue latine est plus sacrée que les autres. Nous disons seulement
qu’elle est plus vénérable que les autres, et que le sens des mots
est fixé une fois pour toutes.
Troisièmement. Il convient que les mots des sacrements soient proférés
de la même façon avec des mots reçus et éprouvés, pour se prémunir
contre la mutation ou la corruption de sens. On aura plus de facilité
à atteindre ce but si on n’utilise qu’une seule langue que si on en
emploie un grand nombre. Quatrièmement, si on administre les sacrements
dans les langues vernaculaires, ou ouvrira large la porte de l’ignorance.
Car les ministres se contenteront de savoir lire. On oubliera donc
peu à peu la langue latine, et on finira par ne plus comprendre
les Écritures.
CHAPITRE 32
On solutionne les
objections contre les cérémonies
Contre les cérémonies, Jean Calvin (livre 4, chapitre 10) fait
plusieurs objections qui doivent être réfutées dans l’ordre.
Le premier argument au verset 2 : « L’apôtre (1 Corinthiens V11) n’a
osé, en aucune chose, tendre des pièges. Et ce n’est pas pour rien,
car il prévoyait la grandeur de la blessure qui serait infligée aux consciences,
si une nécessité était imposée aux choses que le Seigneur a laissées
libres. »
Je réponds que l’apôtre parle, dans ce passage, de la continence
virginale, que le Seigneur n’avait pas commandée, mais conseillée.
Et il était juste que l’apôtre ne fasse pas, non plus, un précepte
de ce que le Seigneur avait présenté comme un conseil. Mais il
n’en va pas de même des autres choses que le Seigneur a prescrites en
particulier. Ces choses peuvent être commandées ou simplement conseillées
par l’Église selon qu’elles le requièrent elles-mêmes.
Voilà pourquoi l’apôtre qui ne voulait pas imposer la continence,
a prescrit beaucoup d’autres choses. 2 Thessal, dernier chapitre : «
Si quelqu’un n’obéit pas à notre parole exprimée dans la lettre,
prenez-en note, et ne vous mêlez pas avec lui, pour qu’il soit confondu.
» Et (aux Actes XV, les apôtres imposèrent aux Gentils l’abstention
du sang et de la suffocation, en disant que la chose était nécessaire.
Et pourtant, le Seigneur avait laissé cela libre.
Le second argument, au verset 8 : « Dans son épitre aux Colossiens,
l’apôtre enseigne que, au sujet du vrai culte de Dieu, il ne faut pas
chercher de doctrine auprès des hommes, parce que le Seigneur nous a fidèlement
et complètement enseigné comment on devait rendre un culte à Dieu ».
Pour démontrer cela, il dit, dans le premier chapitre, que dans l’évangile
est contenue toute la sagesse qui rend parfait un homme de Dieu dans le
Christ. Au début du second chapitre, il dit que tous les trésors de science
et de sagesse sont cachés dans le Christ. Et il conclut un peu après
en disant : que les fidèles prennent soin de ne pas se laisser détourner,
par la vaine philosophie, du troupeau du Christ, selon les constitutions
des hommes. À la fin de ce chapitre, avec une ardeur encore plus
grande, il condamne tous les cultes fictifs qui proviennent d’un mélange
de cultes divers, ou qu’ils ont reçus d’autres personnes, et
qui osent transmettre aux autres des cultes de Dieu de leur invention.
Je réponds d’abord que cette épitre aux Colossiens n’a rien contre
les lois ecclésiastiques sur les cérémonies. Car, comme il appert
de saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, Theodoret, Theophylacte,
et Oecumenius, elle a été écrite contre Simon le magicien, et contre
d’autres hérétiques et imposteurs de son temps, qui persuadaient les
hommes qu’il fallait accéder au Dieu suprême par certains anges, et
que le Christ ne suffisait pas. Et ils imposaient en plus aux chrétiens,
des cérémonies moitié juives, moitié païennes. Voilà
donc pourquoi, dans le premier chapitre, il traite longuement de l’excellence
du Christ, qu’il dit qu’il est la tête de tous, et au dessus de tous,
que les anges l’ont pour auteur, et qu’ils dépendent de lui.
Ensuite, dans le second chapitre, il avertit de ne pas se laisser
tromper par la philosophie, la platonicienne ou les autres, dont se servaient
les Simoniens et les Gnostiques. Il attaque en même temps ceux qui conservent
les sabbats et les néoménies, qui sont des rites juifs évacués par
le Christ, et qui s’abstiennent de viandes impures; ceux qui marchent
dans la religion des anges, pensant qu’on ne peut accéder à Dieu que
par eux. Toutes ces choses étaient des faussetés et des impostures.
Je réponds, maintenant, à chacune des assertions de Calvin.
La première. « Le Christ nous a pleinement instruits
du vrai culte de Dieu ». Je réponds que cela est vrai si
on parle d’une instruction en termes généraux, mais non de chaque solennité
en particulier, comme Calvin lui-même le reconnait (verset 30 du texte
déjà cité, qui portait sur la génuflexion.)
La deuxième : « l’apôtre nous enseigne de ne pas demander
aux hommes une doctrine sur le vrai culte ». Je réponds que l’apôtre
parle des hommes qui enseignent des choses contraires à l’enseignement
du Christ, comme les philosophes, les simoniens, les gnostiques. C’était
une bonne chose de demander à des hommes qui édifient sur le Christ,
qui enseignent selon la règle et sa doctrine les rites particuliers dont
le maître n’avait parlé qu’en général. Car, c’est le Seigneur
qui a dit en Luc X : « Qui vous écoute m’écoute ! »
La troisième. « L’apôtre condamne tout culte humain et volontaire
». Je réponds que ce que saint Paul appelle un culte humain et
volontaire, c’est un culte purement humain, et donc inventé par l’intelligence
humaine, en d’autres termes, un culte qui n’est pas conforme à la
foi et aux principes de la doctrine du Christ. Or, les choses
que l’Église institue ne sont pas purement humaines, puisqu’elles
sont instituées sous l’inspiration du Saint-Esprit.
Voilà pourquoi (1 Cor X1V), après avoir institué des rites divers
de prophétie et de prise de parole dans l’église, et avoir demandé
aux femmes de se taire, choses que le Seigneur n’avait pas commandées,
l’apôtre Paul ajoute : « Si quelqu’un est un prophète ou un spirituel
qu’il comprenne que les choses que je dis sont mandatées par le Seigneur.
» Il appelle mandats du Seigneur ce qui lui a été donné par inspiration.
Voilà pourquoi il voulait que les spirituels le reconnaissent. Car, si
ces préceptes avaient été formellement prescrits par le Seigneur, nul
n’aurait eu besoin de l’Esprit Saint pour les reconnaitre.
Troisième argument, verset 9 : « Aux Galates V, l’apôtre ne supporte
en aucune façon que les consciences des fidèles soient ramenées à la
servitude. Il n’est donc pas permis d’instituer des cérémonies
qui obligent en conscience. » Je réponds que saint Paul parle de
la servitude judaïque, non de l’obéissance à n’importe laquelle
loi. Car, autrement, comment le même apôtre pourrait-il enseigner
l’obéissance aux autorités : « non seulement …..mais en conscience.
»
Il est à noter ici que loi ancienne était appelée un joug de servitude,
non parce qu’elle obligeait en conscience, (ce qui est commun à toute
loi) mais parce qu’elle était très difficile et fort laborieuse, et
qu’elle n’avait pas avec elle une grâce annexée, qui l’aurait fait
observer par amour de la justice. En conséquence, ou elle
n’était pas observée, ou elle était observée par peur de la peine---qu’il
y en ait eu qui l’accomplissaient par amour de la justice, comme
les patriarches et les prophètes, et beaucoup d’autres, on ne peut le
nier; mais non de par la loi, mais de par la grâce du nouveau
testament qu’ils avaient---et de cette façon, elle pesait et opprimait
comme un joug très lourd.
C’est de ce joug que l’apôtre libérait les Galates.
Car, comme ils voulaient se circoncire, ils sortaient de la grâce du Christ,
et s’obligeaient à l’observance de la loi entière, ce qui était
comme retourner à la condition de l’ancien testament. C’est
donc de mauvaise foi que Calvin commente l’Écriture, quand, pour prouver
son hérésie, il la détourne de son véritable sens.
Le quatrième argument, aux versets 10 et 15 : « Le Seigneur (en Matthieu
XV) réprouve les traditions des hommes, Isaïe fait de même : « C’est
en vain qu’ils me rendent un culte avec des commandements humains. »
Je réponds que, dans ce dixième paragraphe, il y a tant de mensonges
que, avec tous leurs savons, les genevois ne pourront jamais les blanchir.
En voici quelques-uns. Que les catholiques interdisent le mariage,
et admettent la prostitution. Qu’ils pensent que celui qui ne fait
que goûter à la viande le vendredi pèche plus gravement que s’il avait,
à chaque jour, souillé son corps avec une courtisane, etc.
Et à ce passage de l’Écriture que citent souvent Brentius, Philippe,
Kemnitius et les autres, je réponds que le Seigneur avait coutume de réprouver
trois choses dans les cérémonies judaïques. La première, que
certaines étaient en opposition avec des commandements de Dieu.
Comme ce que l’on voit dans Matthieu XV, et Marc V11 : les fils
donnaient aux prêtres ce qui était nécessaire à leurs parents.
La deuxième. Que plusieurs traditions des pharisiens étaient vaines
et inutiles, comme se laver les mains. Ce sont ces genres de cérémonies
que le Seigneur appelle des commandements humains, parce qu’il n’y
avait, en eux, que de l’humain. La troisième. Qu’ils
en conservaient certaines qui étaient bonnes et utiles, mais qu’ils
péchaient dans la façon de les observer, c’est-à-dire en plaçant
en elles le sommet de la perfection; et en en faisant plus que les commandements
divins.
Ce sont de ces cérémonies-là que parle le Seigneur en Matthieu X111.
Il ne les appelle pas des traditions humaines, mais il dit : « Il fallait
faire celles-là sans omettre les autres. » Or, les cérémonies
approuvées par l’Église ne sont pas du premier ou du second genre.
Et, pour prouver le contraire, les adversaires n’ont pas apporté des
arguments, mais seulement des mensonges. S’il se trouve des
illettrés qui font plus de cas des cérémonies que des plus importants
commandements divins, nous estimons qu’il faut les détromper.
Car, nous n’approuvons pas tout ce que font les hommes, puisque, de toute
évidence, nous n’approuvons pas leurs péchés. Mais nous ne cessons
pas de leur enseigner d’agir selon la doctrine de l’Église.
Le cinquième argument, au verset 12 : « Les romanistes, ont
pris exemple sur les délires des païens, et, à la façon des singes,
ils ont imité les anciens rites juifs, qui ne nous concernent pas plus
que les bêtes offertes en sacrifice. » Je réponds, d’abord,
que les manichéens ont présenté, autrefois, le même argument, d’après
saint Augustin (livre 20, chapitre 4, contre Faust). Ainsi que Vigilance,
d’après saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance), en ce qui
a trait à l’imitation des Gentils. Calvin doit donc déclarer
de quels ancêtres il descend.
Je dis, en second lieu, que si cet argument avait quelque valeur, il
faudrait aussi enlever le baptême et la cène du Seigneur, car les Gentils
aussi se servaient d’un baptême quand ils initiaient les leurs aux mystères
sacrés de Mithra. Ils célébraient aussi le sacrement du pain,
comme Tertullien le rapporte (dans son livre sur les prescriptions.)
Les Juifs aussi, se servaient très souvent d’eau pour leurs expiations,
et les pains de propitiation ne leur faisaient pas défaut.
Je dis, troisièmement, qu’il n’y a pas à s’étonner que nos
cérémonies aient quelque ressemblance avec les cérémonies juives.
Car elles étaient des figures des nôtres, comme nous lisons dans 1 Corinthiens
X. Pour la même raison, il n’y a pas à s’étonner que nos rites
ressemblent à ceux des païens. Car, le diable qui est toujours
le singe de Dieu, s’est efforcé d’imiter les rites judaïques institués
par Dieu, comme le note Tertullien, au lieu cité. Je dis, quatrièmement,
même si dans un symbole externe, il y a une certaine ressemblance entre
nos rites et ceux des païens, la différence n’en est pas moins totale.
Car, c’est de la fin et de l’intention que les actions externes tirent
leur espèce. Les rites des païens étaient faits pour le culte
des démons; les nôtres, pour le culte du vrai Dieu.
La différence entre leurs rites et les nôtres est donc aussi
grande que celle qu’il y en entre le sacré et le sacrilège, entre la
piété et l’impiété, et entre Dieu et le diable. Car, les sacrifices
des juifs et ceux des païens étaient semblables, mais les sacrifices
des païens étaient de l’idolâtrie, et ceux des Juifs, de la piété
et de la religion. Et c’est de cette façon qu’a répondu Saint
Jérôme à Vigilance et saint Augustin aux manichéens. Les
rites des Juifs étaient bons, mais préfiguraient le Christ à venir.
Les nôtres sont bons, mais sont différents de ceux des Juifs parce qu’ils
rappellent les choses passées, et signifient la gloire future.
Le sixième argument, au verset 13. Il le tire de l’épitre
119 de saint Augustin (chapitre 19), qui se plaint de la multitude des
cérémonies qui ornent l’église, au point de rendre plus tolérable
la condition des Juifs. Je réponds que saint Augustin parle des
cérémonies que des hommes privés, et surtout des femmelettes. se sont
imposées à eux-mêmes. Car, le même saint Augustin, parlant des
cérémonies superflues parle ainsi : « Toutes les choses de ce genre
qui ne sont pas contenues dans les saintes lettres, et que nous ne trouvons
pas statuées par les conciles d’évêques, ni corroborées par une coutume
de l’église universelle, mais qui se présentent diversement selon les
différentes mœurs et les différents lieux, toutes ces choses, j’estime
qu’il faut les supprimer. »
Le septième argument, verset 11 : « Dieu a voulu qu’il y ait la
différence suivante entre les Juifs et nous : il leur a enseigné
avec des signes sensibles, comme à des enfants, et à nous, sans signes
sensibles, comme à des hommes. Comme on le voit dans le chapitre 1V de
saint Jean où le Seigneur dit : « L’heure viendra où les vrais adorateurs
adoreront le Père en esprit et en vérité. » Et, aux Calates 1V,
l’apôtre compare les Juifs à des enfants soumis à leurs pédagogues.
»
Kemnitius présente le même argument (à la page 166) et dit
que les ombres et les figures appartenaient en propre à l’ancien testament,
mais que nous, dans la nouvelle loi, nous sommes instruits par la lumière
de la parole de Dieu. Brentius dit des choses semblables (dans sa
confession de Wirtemberg, dernier chapitre, qui porte sur les cérémonies.)
Je réponds que, en ce qui a trait aux cérémonies, la différence
entre les Juifs et les chrétiens peut s’entendre de deux façons.
La première. Ils n’avaient que des cérémonies externes; nous
n’avons, nous, que la lumière du Verbe, c’est-à-dire la vérité
simple et spirituelle. C’est ce que semble signifier les paroles
des adversaires, et surtout de Kemnitius.
Mais cela est manifestement faux. Car, en plus des cérémonies,
les Juifs avaient aussi la lumière du Verbe. Comme le confirme le psaume
118 : « La lumière à mes pieds est ta parole. » Et Dieu ne requérait
pas d’eux seulement un culte extérieur, mais aussi un culte intérieur.
Car, en Isaïe 29, Dieu fait un reproche aux Juifs en leur disant
: «Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. »
Et les chrétiens, en plus de la lumière du Verbe, ont eux aussi des sacrements
sensibles, qui sont des ombres et des figures des choses passées et futures.
Et comme ne répugnent pas au nouveau testament les choses externes
et sensibles, ne lui répugnent pas non plus les autres cérémonies.
Car, si, par rapport à la synagogue, l’église vit dans une grande lumière,
nous marchons encore dans l’ombre par rapport à la Jérusalem céleste.
C’est dans la foi, en effet, que nous marchons, qui est obscure,
et non dans la possession de l’objet de notre foi.
On pourrait comprendre la différence d’une autre façon.
Le culte judaïque, en tant que culte de l’ancien testament, était principalement
externe et corporel. Le culte chrétien, en tant que culte du nouveau testament,
est principalement interne et spirituel. Ce qui est très vrai.
Car, le culte interne et spirituel procède de l’esprit de foi
et de charité, qui est la grâce du nouveau testament, ce que l’ancienne
loi n’a pu, en aucune façon, avoir. Voilà pourquoi saint
Paul (2 Corinthiens 3) appelle l’ancien testament la lettre, et le nouveau
testament l’esprit. Et Jean 1 appelle l’un la loi, l’autre
la grâce. Enfin, le ‘en esprit et en vérité’ de Jean
1V, signifie que le culte chrétien est ‘dans l’esprit’, pour l’opposer
au culte judaïque qui était corporel. Et qu’il est ‘dans la
vérité’ pour l’opposer encore au culte judaïque qui était fait
d’ombres et de figures.
Theophylacte et saint Thomas ont quand même raison, dans leur commentaires
de ‘en esprit et en esprit’, d’opposer le ‘en esprit’ au culte
juif qui était corporel, et ‘en vérité’ au culte des samaritains,
qui était mêlé de faussetés et d’erreurs. Voilà pourquoi le
Seigneur avait dit un peu avant : « Ce n’est ni sur la montagne du Garizim
ni sur celle de Jérusalem que vous adorerez le Père. » C’est
comme s’il avait dit : Vous ne rendrez pas un culte à Dieu avec le culte
des samaritains, qui est faux, ni non plus avec le culte juif, qui est
corporel, mais avec le culte chrétien qui est spirituel et pur de toute
erreur.
Il faut cependant observer que même si le culte de l’ancien testament
a été corporel, il n’a pas plus à Dieu sans qu’il ait été aussi
spirituel. Et c’est pour cela que Dieu a demandé aussi aux Juifs
un culte spirituel, comme Isaïe 29 nous l’a montré. Mais
ceux qui rendaient ce culte spirituel à Dieu ce n’est pas en vertu de
l’ancien testament qu’ils le faisaient, mais en vertu du nouveau, auquel
ils commençaient déjà à participer. Car, il est bien
connu que la crainte était le propre de l’ancien testament, et l’amour
celui du nouveau. Dieu demandait quand même aux Juifs de l’aimer
de tout leur cœur, et cela, les saints de l’ancien testament le faisaient
par la grâce du nouveau testament. Pour une raison semblable, bien
que le culte chrétien soit principalement spirituel, il ne peut pas exister,
dans ce pèlerinage terrestre, sans être aussi corporel. Et
voilà pourquoi il admet des sacrements et des cérémonies qui sont
au service du culte spirituel.
Le huitième argument, au verset 15 : « Tout ce que les œuvres ont
en fait de recommandation, elles l’ont toutes à cause de l’obéissance
que Dieu seule regarde, comme l’attestent les prophètes : Je n’ai
pas prescrit des sacrifices et des victimes, mais seulement que vous entendiez
ma voix quand vous l’écoutez (Jérémie V11, Rois X1). Dieu
veut-il un sacrifice, ou plutôt qu’on obéisse à la voix du Seigneur
? Ce ne sont donc pas les cérémonies que Dieu n’a pas instituées
qui lui plaisent, ou qui peuvent être méritoires. » Il confirme
au même endroit son argument en disant que nos cérémonies ne sont pas
seulement non méritoires, mais inutiles, car elles sont comprises
par peu de personnes.
Je réponds que son antécédent est faux, et manifestement contraire
à toutes les Écritures. Car le sacrifice d’Abel a plu à Dieu, (Hébreux
X1), même s’il ne l’avait pas commandé. Et (aux Corinthiens
V11) : « Celui qui ne se marie pas fait mieux. » Et, au même endroit,
au sujet de la veuve : « Elle sera plus heureuse si elle demeure vierge.
» Et, cependant, au même endroit, il déclare que ce n’est pas
un précepte de ne pas se marier. Et (aux Corinthiens 1X), il soutient
qu’il lui aurait été permis de vivre du bien de ceux à qui il prêchait,
mais qu’il a préféré vivre de son travail, pour avoir une plus grande
récompense. C’est bien ce que signifient ces paroles : « Il est
préférable pour moi de mourir plutôt que quelqu’un évacue ma gloire.
»
Ensuite, ces textes de l’écriture mettent l’obédience avant les
sacrifices. Mais cela ne nous permet pas de conclure : donc les sacrifices
non commandés n’ont aucune valeur, pourvu qu’ils soient offerts avec
foi et dévotion, puisque c’est le contraire que l’Écriture nous montre,
comme nous l’avons déjà démontré. Je réponds à la confirmation
que les cérémonies de l’Église sont faciles à comprendre en gros.
Si certaines cérémonies ne sont pas comprises par tous comme le grand
nombre des vêtements et des signes dans la messe, elles ne manquent pour
autant d’utilité, même pour les ignorants, puisqu’elles enseignent
la vénération et le respect envers les choses sacrées. Il est certain
que les Juifs comprenaient peu. Ce qui ne veut pas dire qu’ils
les recevaient pour rien.
Le neuvième argument, au verset 17 : « L’Église n’a-t-elle pas
dit que la loi prescrite une seule fois demeure ? Ce que je te prescris,
tu l’observeras et le mettra en pratique. Et au proverbe 30 : tu
n’ajouteras ni n’enlèveras rien à la parole de Dieu, de peur
qu’on t’accuse et que tu sois reconnu menteur. » Je réponds
que Dieu n’interdit pas n’importe laquelle addition. Car, que par verbe
on entende les livres sacrés, ou les préceptes moraux, ou judiciaires
ou cérémoniaires, nous trouvons toujours qu’une addition a été faite.
Car, après le deutéronome, où nous avons cette prohibition, tous les
autres livres sacrés ont été écrits, autant historiques que prophétiques,
et tout le nouveau testament.
De même, dans les prophètes, et dans les livres de Salomon, il y
a beaucoup de préceptes moraux qui semblent bien avoir été ajoutés
au pentateuque. Et David a ajouté le précepte judiciaire suivant,
à savoir que soit réparti équitablement le butin de guerre
entre ceux qui ont combattu et ceux qui ont gardé les bagages (1 Rois
30).
Ils ajoutèrent aussi les lois cérémoniales postérieures pour les
nouvelles fêtes (Esther 1X, Judith dernier chapitre, et 1 Macchabées
4. ) Ce que Dieu prohibe c’est donc une addition qui est une corruption.
Et tu n’ajouteras ni n’enlèveras rien, c’est comme s’il disait
: observe intégralement et parfaitement ce que je te prescris. On
le comprend, cela, par la raison qui est donnée (proverbes 30) : « De
peur qu’on ne t’accuse et que tu sois reconnu menteur. »
Or, on ne peut pas appeler faussaire ou menteur celui qui
a institué une nouvelle cérémonie, pourvu qu’il n’y ait, en elle,
rien qui soit contraire aux cérémonies divines. Est dit menteur
et faussaire celui qui corrompt les paroles ou les préceptes de Dieu.
Or, cette corruption peut se faire de deux façons. Une première.
Si quelqu’un ajoute aux paroles ou aux préceptes de Dieu quelque chose
qui les corrompe. Comme si, dans les sacrifices du Christ, on offrait
le pain sans le vin, ou du miel ajouté au vin et à l’eau.
Une deuxième. Si quelqu’un revendiquait pour la
parole de Dieu un livre canonique, composé par lui, ou pour sacrement
une cérémonie inventée par lui. Ou s’il enlevait du nombre
des vrais livres ou des vrais sacrements, un livre canonique ou un des
sept sacrements. C’est ce péché que commettent les hérétiques
quand ils nient que beaucoup de livres sont canoniques, et quand ils enlèvent
cinq sacrements du nombre des sacrements.
La corruption nous la voyons dans la monnaie. On appelle faussaires
ou faux monnayeurs ceux qui corrompent les monnaies, en ajoutant de l’argent
ou en en enlevant; ou qui présentent comme de vraies pièces d’argent
des pièces fabriquées par eux. Rien de tout cela ne se trouve dans
les cérémonies de l’Église. Le dixième argument, verset 23.
Il le tire de trois exemples de l’Écriture (4, Rois 17). Ceux
qui habitaient la Samarie ont été déchiquetés par des bêtes parce
qu’ils adoraient Dieu avec des cérémonies nouvelles que Dieu n’avait
pas instituées. (4, Rois 16).
Achaz a été blâmé pour avoir posé un nouvel autel dans le
temple, dans le but d’orner le temple. Et pourtant nous voyons,
dit Calvin, que cet esprit audacieux a été détesté pour aucune autre
cause que, dans le culte de Dieu, les inventions humaines sont d’impures
corruptions. Au 4 Rois 21, le crime de Manassé a aggravé encore
l’offense, puisqu’il construisit un nouvel autel à Jérusalem.
Je réponds à tous ces exemples, que, à son accoutumée, Calvin est
de mauvaise foi. Car, aux Rois 1V, 17, on ne blâme pas les Samaritains
parce qu’ils adoraient Dieu avec de nouvelles cérémonies, mais parce
que, étant des Gentils, ils ne craignaient, au début, ni
n’adoraient Dieu, ni ne connaissaient la loi de Dieu. Quand ensuite
ils ont connu la loi de Dieu, ils commencèrent à adorer en même
temps Dieu et leurs idoles.
Et Achaz a été blâmé (1V Rois XV1) non parce qu’il
avait érigé un nouvel autel, mais parce qu’il avait ordonné que soit
construit dans le temple de Dieu un autel semblable à celui des idoles.
Il déplaça l’autel du Seigneur, pour mettre en sa place l’autel
des idolâtres, afin que ce dernier occupe la meilleure place. Ensuite
(1V, Rois, XX1), Manassé ne fit pas seulement mettre un nouvel autel dans
le temple, mais un autel dédié aux aux idoles. C’est
ce que dit l’Écriture : « Il érigea, dans le temple, des autels
pour toute la milice du ciel dans deux parvis entourés de portiques ».
Et, plus bas : « Il plaça aussi une idole du bois sacré, qu’il avait
faite dans le temple du Seigneur. » Car, faire un nouvel autel dans
le temple du Seigneur n’aurait pas été un crime.
Nous voyons, en effet, (111 Rois V111), que Salomon a ordonné que
la partie médiane du parvis fût sanctifiée pour y offrir des holocaustes.
Car, l’autel d’airain, sur lequel il aurait du les offrir, ne suffisait
pas pour une si grande quantité de victimes. Salomon, en effet,
avait offert en holocauste vingt-deux mille bœufs et cent vingt mille
brebis. Et voilà pour Calvin.
Mélanchton traite les écritures avec la même mauvaise foi.
Car, (dans l’apologie de la confession d’Augusta, article 15,), il
présente ces arguments en plus des autres. Le premier. Ezéchiel
XX : « N’entrez pas dans les préceptes de vos pères. » Il n’est
donc pas permis d’instituer de nouveaux cultes sans un mandat de Dieu.
» Mais Ézéchiel parle de leurs pères idolâtres, car il est dit
ailleurs Proverbes XX11 : « Ne transgresse pas les termes qu’ont établis
tes pères. »
Philippe argumente ainsi : « S’il est permis aux hommes d’instituer
des cultes, on devra approuver les cultes de tous les peuples, et même
ceux qu’à institués Jéroboam. » Brillant, en effet !
C’est comme s’il était permis d’émettre une loi injuste du fait
qu’il est permis d’en instituer une neuve. Il ajoute ensuite
Daniel, au chapitre X1 : « Il signifie que les nouveaux cultes humains
seront formés par l’antichrist. C’est ainsi que Moïse adora Dieu
dans son lieu, et un Dieu que ses pères n’avaient pas connu. »
Cela est un argument génial ! C’est comme si c’était la même
chose d’adorer le vrai Dieu avec un nouveau culte, et adorer un nouveau
Dieu, un Dieu faux et fictif.
2018 12 02 fin
Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.