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Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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2019 01 23 début

                CONTROVERSE SUR LE SACREMENT D’EUCHARISTIE
                                                LIVRE PREMIER
LA PRÉSENCE RÉELLE DU SEIGNEUR CHRIST DANS LE SACREMENT DE              L’EUCHARISTIE SELON LA PAROLE DE DIEU
    Le plan du livre
 Tout ce dont les catholiques ont coutume de disputer entre eux dans la paix chrétienne et en respectant la foi, nous  le passerons sous silence.  Entre les catholiques et les hérétiques, on recense quatre controverses principales.  C’est de ces quatre que, avec l’aide du Seigneur,  et  le peu de forces que nous possédons, nous entreprenons de disputer.
 La première et la principale controverse porte sur la présence vraie, réelle et substantielle du corps et du sang du Seigneur dans ce sacrement de l’Eucharistie non moins admirable que vénérable.  Mais, comme cette controverse menace de trainer en longueur, pour éviter toute confusion, nous la traiterons en trois parties, comme s’il s’agissait de trois questions différentes.   La première : selon la Sainte Écriture;  la seconde : selon les pères anciens;  la troisième :  selon le jugement de la raison.
 La deuxième dispute :  de la manière et de la raison de l’existence du Christ dans l’eucharistie, de la conversion du pain en son corps, et du vin en son sang que l’Église catholique appelle transsubstantiation.  Ou plutôt : l’assomption du pain et du vin à l’union hypostatique du corps et du sang du Seigneur.  Ou l’omniprésence, ou l’ubiquité, comme disent certains, de l’humanité du Christ, ou quelque chose d’autre.
 La troisième dispute porte sur le sacrement lui-même.  Il faudra d’abord disputer de sa nature : est-ce une chose permanente ou transitoire.  Ce qui revient à dire : le corps du Christ est-il présent seulement quand on s’en sert, ou même quand on ne s’en sert pas.  Ensuite, de la matière, de la forme, de la fin, de l’effet, du ministre,  et de son emploi, c’est-à-dire de la communion sous une seule espèce ou sous deux espèces.  Et, en fin de la vénération du saint sacrement.
         La quatrième et dernière portera sur le saint sacrifice.
                                                       CHAPITRE 1
                                             Les hérésies
 Les premiers qui nièrent la présence réelle du Christ dans l’eucharistie,  semblent être ceux qui ont été les premiers à semer la zizanie dans l’Église : les simoniens, les ménandriens, et d’autres.   C’est d’eux que parle saint Ignace dans son épitre aux Smyrniens : « Ils n’admettent ni eucharistie ni oblation, du fait qu’ils ne confessent pas que l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ. »  Phrase citée par Theodoret (dans le dialogue 3 tiré de l’épitre à l’église de Smyrne.)
 Que les calvinistes ne se glorifient pas de ce que leur sentence soit très antique, car, il ne faut pas oublier que ces très anciens hérétiques  ont combattu plus le mystère de l’incarnation  que le sacrement de l’eucharistie.  Les hérétiques dont parle saint Ignace niaient que l’eucharistie fût la chair du Seigneur, parce qu’ils n’admettaient pas que le Seigneur ait eu une chair.  Voilà pourquoi aucun ancien qui a écrit sur les hérésies n’a fait figurer cette hérésie dans son catalogue. Dans les six premiers siècles, aucun père n’a eu a guerroyer contre cette hérésie.
 Les premiers qui mirent en doute la vérité du corps du Christ dans l’eucharistie furent les iconoclastes, après l’année 700, dans leur conciliabule de Constantinople,  qu’ils appelèrent faussement le septième synode général.  Ils disaient que le pain et le vain n’étaient qu’une image du corps et du sang du Christ, instituée par le Christ.  Voilà pourquoi, à partir de ce moment, les auteurs grecs soulignent que l’eucharistie n’est ni une figure, ni une image du corps du Seigneur, mais son vrai corps.  Comme il appert de ce septième synode, de saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 14), et de Theophylacte (chapitre 26 en Matthieu, et chapitre 2 de la première lettre aux Corinthiens.)
 Le second auteur de cette hérésie fut Jean Scot.   Non le docteur subtil, mais un autre plus ancien qui a écrit au temps de Charlemagne, autour de l’an 800. Son livre est nous est conservé.  Dans l’église latine, il est le premier à commencer à émettre des doutes par écrit sur ce sujet.  Son livre (sur l’eucharistie) a été condamné dans le concile de Vercellencis, au témoignage de Lantfranc dans son livre sur la réalité du corps et du sang du Seigneur dans l’eucharistie.
  Le troisième fut Bertrame au temps de Charles (crasse), en l’an 886, dont le livre nous est parvenu.  Il commença à faire une controverse sur le sujet suivant : le corps du Seigneur, né  de la Vierge, est-il vraiment dans l’Eucharistie ? Cette erreur fut réfutée par le très docte Paschasius, abbé de Corbeiensis, qui vécut à cette époque.
 Le quatrième a été Bérenger, archidiacre de l’église d’Andegavensis, autour de l’année du Seigneur 1050.  On le considère l’auteur de cette erreur, non parce qu’il a été le premier à la professer, mais parce qu’il a été le premier à la promouvoir publiquement, à faire  tous ses efforts pour la propager, et à  la propager effectivement.  Trois célèbres auteurs l’on réfuté : Lantfranc, Guitmond et Alger.  Au début de  son livre sur le sacrifice, Pierre de Cluny fait un éloge de ces trois auteurs. Il dit que ce que Lantfranc a écrit contre Bérenger était bien, complet, et parfait;  que ce que Guitmond avait écrit était mieux, plus complet et plus parfait;  que ce qu’Alger a écrit était le mieux, le plus complet et le plus parfait,
 Bérenger a enseigné quatre erreurs qui le rendent le père de toutes les sectes qui ont surgi dans ce siècle.  Il a enseigné d’abord qu’il ne fallait pas baptiser les enfants.  Ce qui le rend père des anabaptistes.  Il a enseigné ensuite que le corps du Seigneur n’est dans l’eucharistie  que comme la chose signifiée est dans son signe (comme le rapportent Lantfranc, Guitmond,  Alger, et les auteurs de ce temps). Ce qui le rend le père des sacramentaires, et ce qu’admet Calvin dans son ultime admonition à Joachim Wesphalus.  Il a enseigné en troisième lieu, après une autre palinodie (car il a révoqué trois fois ses erreurs) que le corps du Seigneur est vraiment dans l’eucharistie, mais en même temps que le pain et le vin.  Ce qui fait de lui le père des Luthériens.   Que Bérenger ait enseigné cette erreur, on le tire du livre 1 de Guitmond qui écrivait à certains disciples de Bérenger qui enseignaient que le corps du Christ était vraiment dans l’eucharistie, mais avec le pain, et qui avaient coutume de dire que c’était là la doctrine la plus subtile de Bérenger.  On le tire aussi du concile romain sous Grégoire V11, dont parle Thomas Waldensis (tome 2, chapitre 43 sur les sacremens).  Car, dans ce concile, Bérenger a été forcé  de confesser non seulement la présence réelle du Seigneur dans l’eucharistie, comme il avait été antérieurement forcé de le faire dans le concile romain, sous Nicolas 11, mais la transmutation du pain dans le corps du Christ.
 Quatrièmement, le même Béringer a enseigné, au témoignage de Guitmond, que des mariages légitimes pouvaient être dissous, en quoi il fut le père de tous les hérétiques de notre temps.
 Le cinquième promoteur de cette erreur fut un certain  Henri  avec Pierre Bruis, autour de 1140, qui enseignaient que c’est seulement une fois, lors de la dernière cène, que le corps du Crist a été donné sous l’espèce du pain.   Que depuis, ce qu’on croit et dit du ministère des prêtres n’est qu’une tromperie.  Le témoin et le réfutateur de cette hérésie a été Pierre de Cluny (dans son traité sur le sacrifice) qui a vécu à  la même époque.
 Le sixième fut l’auteur de la secte albigeoise, autour de 1208.  Parmi leurs principales erreurs les Albigeois soutenaient que l’eucharistie n’était pas le vrai corps du Christ.  En témoigne saint Antonin (dans sa somme théologique par 4, tit 11, chapitre 7, verset 5).   Le septième fut l’auteur des Flagellants, vers 1350, au témoignage de Bernard de Luxembourg,  dans son catalogue des hérétiques.
 Le huitième a été Wiclef, vers environ 1370.  Il recommença à enseigner que le corps du Seigneur n’était  dans l’eucharistie, que comme dans un signe (livre 4, chapitres 2 è 10 de sa trilogie.)  Après les années 1400, ses livres ont été exportés en Bohémie, et ont infecté tout ce royaume, comme l’écrivent Énée Sylvius (dans son livre sur l’origine des Bohémiens, chapitre 35), et Thomas Waldensis (tome 11, doctrina 10).  Même si Jean Hus eut toujours cette doctrine en horreur, (comme le montre Jean Cochlaeus dans son histoire des hussites),  les Jacobites et beaucoup de Bohémiens puisèrent librement cette erreur dans les livres de Wiclef.  Contre Wiclef, écrivit Thomas Waldensis dans le tome 2 de son livre sur  les sacrements.
 Le neuvième patron de cette hérésie fut André Carolstad, archidiacre de Wirtemberg, et premier disciple de Luther.   Car, Luther n’enseigna jamais ouvertement cette hérésie. Il s’y opposa même parfois âprement.  On ne peut pas douter, cependant, qu’il jeta les semences de cette hérésie, et même de l’anabaptisme.  Même si, par après, il s’est efforcé de réfuter autant les sacramentaires que les anabaptistes, il a, toutefois,  écrit beaucoup de choses qui ont fourni l’occasion aux sacramentaires de renouveler cette hérésie.
 D’abord, dans son épitre aux Argentins, il écrit qu’il était fort tenté par la sentence qui, dans l’eucharistie, ne reconnait rien en dehors du pain, et qu’il s’était grandement efforcé d’affirmer cela, sans pouvoir satisfaire par l’Écriture aux choses qu’on objectait contre.  Quoi de surprenant si les disciples ont osé tenter ce qu’ils pensaient être agréable au maître ?  Ensuite, dans son livre sur la captivité de Babylone (au chapitre du baptême), il a affirmé que les sacrements ne justifiaient pas, mais étaient de purs signes. Dans le même livre, au chapitre de l’eucharistie, il a nié que le discours de Jésus sur le pain de vie (Jean chapitre 6) se rapportait à l’eucharistie.  Et c’est cela la principale raison pour laquelle les sacramentaires nièrent la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie.
 Il a écrit au même endroit que les paroles de l’évangéliste : ceci est mon corps veulent dire : ce pain est mon corps.  Cette sentence on peut l’entende figurativement, au sens où le pain est le corps du Christ symboliquement, ou elle exprime une absurdité et une impossibilité manifestes, à savoir que le pain est le corps du Christ.   Voilà pourquoi les disciples de Luther préférèrent recourir à un trope plutôt que d’admettre une absurdité évidente.  De plus, dans son livre aux Vaudois sur l’Eucharistie,  il nie qu’on doive adorer l’Eucharistie;  et il met en doute que l’âme et la divinité soient avec le corps, dans l’eucharistie.  Car, il doit être adoré partout où il est, et l’âme et la divinité ne peuvent en aucune façon se séparer du corps, comme chacun le sait.   C’est donc après avoir été éduqué  par ces enseignements de Luther que Carolstad, en l’an 1525, (ou en 1524, selon d’autres) édita un livre dans lequel il niait ouvertement la présence du corps du Christ dans l’eucharistie. Au sujet de Carolstad, voir Jean Cochlaeus dans les actes de Luther, l’an 1525.
 Le dixième patron de cette erreur fut Huldric Zwiingli, pasteur de Tigurinus.  Pendant quelques années, il enseigna l’hérésie de Luther en affirmant que le corps du Christ se trouvait réellement dans l’eucharistie, mais avec le pain.  Mais, l’année même où Carolstad édita son livre sur la vraie et fausse religion, il rétracta sa sentence, et entreprit  d’en soutenir une nouvelle,  selon laquelle le corps du Seigneur n’est dans le sacrement que comme dans un signe. Il ne faut pas  passer sous silence la façon cavalière avec laquelle  il excuse son inconstance. Il dit qu’il connaissait depuis longtemps la vraie doctrine, mais qu’il s’était conformé au temps;  et qu’il méritait d’être loué par le Christ comme un serviteur prudent et fidèle qui donne  la nourriture  à sa famille en temps opportun.  Mais cette excuse est un peu frivole.  Car, le Christ ne loue pas ceux qui, pour se conformer au siècle, mentent dans des choses d’une si grande importance.  Par cette défense, Zwingli s’accuse plus qu’il ne se justifie.  Car, pour voiler son ignorance, il exhibe sa malhonnêteté.
 Jean Oecolampadius, compagnon de Zwingli, moine apostat, écrivit sur l’explication connaturelle des paroles : ceci est mon corps.  Même s’il est du même sentiment que Zwingli, il s’est efforcé de mieux expliquer les paroles de la cène, comme nous le montrerons plus bas.  Zwingli et Oecolampadius eurent plusieurs disciples, dont le principal fut Bullingerus, successeur de Zwingli, qui écrivit une apologie en faveur de Zwingli contre les luthériens. Et Bernardin Ochinus, qui écrivit aussi un livre sur la cène du Seigneur contre  Westphalus,  et Pierre le martyr, qui écrivit un énorme volume sur l’eucharistie contre Stephane Gardinerus.  Dans ce livre il réfuta  les réponses de Gardinerus aux 255 arguments des sacramentaires.
 Le onzième patron de cette insigne erreur de Bérenger, fut Jean Calvin.  Il  édita d’abord  ses institutions en 1536, comme on le voit par la lettre de dédicace au roi de France,  François premier.  Il les réédita en 1539 et en 1559,  en quatre livres.  Il s’en prend avec vigueur autant à Luther qu’à Zwingli, en se faisant leur juge;  et il introduit une nouvelle opinion qui, en fait, ne diffère en rien de celle de Zwingli.  Et un peu après, c’est-à-dire en l’an 1549,  il édite un livre avec les Tiguriens sur les sacrements.  Il a ensuite écrit beaucoup sur ce sujet dans son livre sur la réforme de l’Église, ainsi que dans son commentaire de Matthieu 26,  de 1 Corinthiens onze,  et dans sa réponse aux lubies de Joachim Westphalus.
 Après Calvin vint Wilhemus  Klebitius qui écrivit un livre contre Heshusius qui s’intitulait : la victoire de la vérité, et la ruine du pape saxon, quand le calvinisme l’emporta dans le comtat palatin.  De même, Pierre Boquinus, qui écrivit un examen du livre de Heshusius sur le corps du Seigneur, dans lequel livre il défend la position de Calvin.  Enfin, Théodore de Bèze, encore vivant, successeur de Calvin dans la chaire empoisonnée de Genève, écrivit plusieurs livres sur l’erreur calvinienne, comme :  la somme de la doctrine des sacrements, le livre de la cène du Seigneur contre  Westphalus,  son dialogue Kreophagia ou Cyclope contre Tilmman Heshusius.
 Il faut d’abord expliquer brièvement la sentence de Calvin, qui a été, à dessein, formulée obscurément par lui, afin qu’elle semble quelque chose de mystérieux.  Il enseigne d’abord, avec les siens, qu’il n’y a sur la terre que des symboles de la cène;  que le corps du Christ est seulement dans le ciel;  qu’entre le corps du Christ et le pain et le vin de la cène,  il y a la même distance qu’entre le ciel le plus élevé et l’abyme le plus profond. Ce qui veut dire que le corps du Christ n’a jamais été que dans un lieu précis et déterminé.  C’est ce qu’il explique longuement à  la fin du consensus avec les pasteurs de Tigurinus.  Bèze explique lui aussi la même chose dans la somme de sa doctrine sur les sacrements, question 6.
 Il enseigne ensuite que même si les symboles et le Christ sont séparés par une immense distance,  ils se rejoignent quand même, non seulement en raison du signe, parce que l’un est le signe de l’autre, mais aussi parce que, avec le signe, Dieu nous présente le vrai corps et le vrai sang du Christ, dont nos âmes sont nourries véritablement pour la vie éternelle.  C’est ce qu’enseigne Calvin dans tous les textes cités.  En Matth 26, il dit : « Dans la cène, le corps du Christ nous est vraiment donné, pour qu’il soit pour nos âmes une nourriture salutaire.  C’est-à-dire que nos âmes se repaissent de la substance du corps du Christ, pour que nous devenions vraiment une seule chose avec lui. »  Et plus bas : « Ce n’est donc pas un signe vide et vain qui nous est proposé, car ils deviennent vraiment participants du corps et du sang du Seigneur ceux qui reçoivent cette promesse dans la foi. »  Et (dans son livre 4, chapitre 17, verset 5 des institutions) il enseigne que manger la chair du Christ ce n’est pas seulement croire, mais devenir un vrai participant de la chair du Seigneur.
 Et il donne l’exemple suivant.   « Ce n’est pas la seule vue du pain qui suffit pour nourrir le corps, mais son usage.   De la même façon, c’est à l’âme qu’il convient vraiment et entièrement de devenir participant du Christ. »   Et au verset 32 : « Dans sa cène sacrée, il m’ordonne  de recevoir le corps et le sang sous les symboles du pain et du vin.  Je ne doute donc pas  qu’il me les offrira vraiment lui-même, et que je les recevrai. »  Et dans son livre sur la cène du Seigneur, (chapitre 2), il donne comme exemple l’Esprit saint qui est apparu sous la forme d’une colombe.  Car, comme cette colombe était appelée Esprit Saint par saint Jean Baptiste, parce qu’elle était un signe très certain de la présence du Saint-Esprit, de la même façon, le pain, par métonymie, est appelé corps du Christ, parce qu’il est un signe très certain de la présence du corps du Christ qui nous est donné dans la cène.  Voilà pourquoi il enseigne au même endroit que, dans la cène, le Christ nous donne la vraie et propre substance  de son corps et de son sang.
 Bèze (dans sa somme des sacrements, question 6) dit des choses semblables.  Et voilà aussi pourquoi il admet ces propositions des luthériens : le corps du Christ est dans le pain, ou sous le pain, ou à côté du pain, si on les entend dans un sens orthodoxe, c’est-à-dire s’ils veulent dire qu’avec le pain le corps du Christ nous est véritablement donné.  Cette seconde affirmation semble s’opposer à la première, car comment  le corps du Christ qui nous est vraiment donné dans le pain  peut-il être vraiment  présent dans la cène, s’il n’est présent que dans le ciel le plus élevé, alors que le pain n’est présent que sur la terre ?  Il a donc fallu une troisième sentence.
 On a donc dit, en troisième lieu, que si l’intelligence humaine ne peut pas percevoir comment se fait cette conjonction de choses si éloignées, la foi, elle, le peut.  C’est ce qu’il dit (livre 4, chapitre 17, verset 7) : « Il ne me reste plus qu’à éclater en admiration devant ce mystère, que l’esprit ne pourra jamais saisir par la réflexion, ni la langue par l’explication »  Et au verset 10 : « Même s’il semble incroyable qu’à une si grande distance, la chair du Christ puisse pénétrer chez nous pour se donner en nourriture,  rappelons-nous à quel point est élevée au-dessus de nos sens la vertu mystérieuse du Saint-Esprit, et songeons quelle stupidité ce serait de mesurer son immensité par le pied–de-roi  de nos désirs. Car l’esprit conçoit ce que notre esprit ne comprend pas, à savoir, que l’Esprit unit les choses qui sont séparées par des lieux différents et éloignés »
Et, au verset 32 : « Si quelqu’un m’interroge sur la façon dont cela se fait, je n’aurai pas honte d’avouer qu’il s’agit là d’un mystère si sublime qu’il ne peut être ni compris par mon esprit,  ni raconter par mes paroles. »
Bèze a dit des choses semblables (dans sa somme des sacrements, question 9) : « Néanmoins, nous admettons que c’est un mystère incompréhensible de Dieu. C’est en vertu de ce mystère que ce qui est et demeure dans le ciel, et non ailleurs, communique vraiment avec nous qui sommes sur la terre, et non ailleurs. »  Et plus bas : « Et c’est ce qui fait que toute cette action soit appelée proprement mustérion (mystère). »  Mais parce que Calvin comprenait très bien que son mystère était tout à fait incroyable et même répugnant, il a ajouté une quatrième proposition.
Il dit donc, en quatrième lieu, que ce n’est pas le corps lui-même du Christ qui descend vers nous, mais qu’une certaine vertu substantielle  provenant de la chair du Christ dérive vers nous par son Esprit, comme par un canal.  Il semble dire là que ce n’est  pas la substance du corps du Christ qui nous est donnée, mais une certaine qualité.  Car, voici ce qu’il dit (livre, 4, chapitre 17, verset 12) : « Le lien de cette conjonction est l’Esprit du Christ.  Il est aussi le canal par lequel nous est dérivé tout ce que le Christ est et a. Car, si  nous voyons que le soleil qui  darde ses rayons sur la terre  pour engendrer, réchauffer et nourrir ses fœtus, transporte, pour ainsi dire, sa substance jusqu’à elle, pourquoi l’irradiation du Saint-Esprit serait-elle inférieure, et ne pourrait nous transmettre la communion de son corps et de son sang ? »  Et, au verset 32 : « Je confesse ingénument, que la mixture de la chair du Christ avec notre âme, comme elle est enseignée par eux, me répugne, parce qu’il nous suffit de croire que, de la substance de sa chair, le Christ insuffle la vie dans nos âmes.  Bien plus, sa vie propre, même si la chair du Christ n’entre pas en nous. »
Donc,  ce qu’il disait plus haut au verset 10,  que la chair du Christ pénétrait en nous, en dépit des distances, doit s’entendre non de la chair elle-même,  mais de sa vertu.  C’est à lui de voir comment cela s’accorde avec ce qu’il disait plus haut de la présence du Christ dans la cène.  Il ne peut évidemment entendre cette présence  que selon la vertu, non selon la substance. Or, si une qualité quelconque provenant du corps du Christ descendait jusqu’à nous,  il serait à craindre qu’on attribue trop ce choses à ce sacrement.
C’est pourquoi il a ajouté, en cinquième lieu,  que cette communication  du corps du Seigneur ou de sa vertu  ne se faisait que par la foi.  Car c’est la foi qui appréhende le Christ  existant dans le ciel et le fait nôtre,  pour que nous puissions participer à ses biens.  En conséquence, il ne se fait donc aucune conjonction réelle du Christ avec nous, mais seulement en pensée.  En quoi il n’y a, certes, aucun mystère, aucun miracle, aucune difficulté à comprendre. Car, qui est-ce qui ne comprend pas aisément que le Christ, et même toute la trinité, peuvent être appréhendés par la foi ?
Voici donc ce qu’écrit Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 5) : «Finalement, cette manducation  nous admettons qu’elle n’est pas autre chose qu’une manducation par la foi. »  Et au verset 31 : « Il ne semble pas que le Christ leur soit présent à moins qu’il ne descende vers nous.  C’est comme si nous ne pouvions pas jouir également de sa présence s’il nous attirait vers lui. »  Il semble ici corriger son tir,  ou expliquer ce qu’il avait enseigné  au verset 10, quand il disait que la chair du Christ pénétrait en nous par un grand miracle.  Maintenant,  tout miracle éliminé, il dit que c’est nous qui montons vers lui par la foi.  Il dit aussi au verset 32 que c’est la foi qui se repait du corps du Christ.  Or, la foi ne se repait pas autrement qu’en croyant.
Il répète la même chose dans d’autres livres. Et de même Béze (dans son livre sur la somme des sacrements questions 9, 10, 11, et 13.)  Nous ne devons pas nous laisser troubler parce que dans le livre 4,( chapitre 17, versets 5 et 11), il nie qu’on mange le Christ par la seule pensée ou par l’intelligence, et affirme que ce n’est pas du tout la même chose que manger le Christ et croire dans le Christ.   Car, au même endroit il soutient que manger le Christ n’est pas croire dans le Christ, mais que c’est cependant son effet.
Il s’ensuit donc que c’est par l’acte de foi que le Christ est en nous, et nous communique ses biens.  Voilà pourquoi Bèze (dans son livre sur la cène du Seigneur contre Westphalus, chapitre 9) dit que la différence qu’il y a entre la foi et la manducation du Christ c’est celle qu’il y a entre la main et l’appréhension qui se fait par la main.  Parce que le Christ n’est en nous que par la foi, comme le disent continuellement Calvin et Bèze, il en résulte qu’il ne peut être en nous qu’objectivement comme est en nous tout ce que nous pensons en acte.
Il suit donc de tout cela leur sixième proposition : les hommes méchants ne reçoivent pas le corps du Christ, même s’ils en reçoivent les symboles.  Bèse (question 13, livre cité) : « Comme les symboles ne sont reçus que par la bouche du corps,  le corps du Christ n’est reçu que par la bouche de la foi.  Or, comme les impies n’ont pas la bouche de la foi, ils ne perçoivent que les symboles du corps du Seigneur. »   Calvin enseigne la même chose (livre 4, chapitre 17, versets 33 et 34).  Bien plus, dans son opuscule sur le consensus avec les Tigurinis,  il dit que les prédestinés perçoivent les symboles externes avec la chose signifiée par le symbole, puisque seuls les prédestinés ont la vraie foi.
Et voici la septième et dernière de leurs sentences.  Il n’y a pas, dans l’eucharistie, de force capable de donner le corps du Christ ou la foi à celui qui ne l’a pas, mais seulement de signifier et d’attester qu’on l’a déjà.  C’est bien ce que dit Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 2) : « Les âmes pieuses peuvent tirer un grand fruit de confiance et de sérénité du témoignage qu’elles ont que nous formons un seul corps avec le Christ, de façon telle qu’on puisse appeler nôtre tout ce qui est à lui. »
 Et, au verset 5 : « Le sacrement ne fait pas que le Christ du pain de vie commence d’abord à être, mais il rappelle à notre mémoire qu’il a été fait le pain de vie dont nous nous nourrissons assidument. »  Et dans son livre sur la cène du Seigneur, chapitre 3, il enseigne qu’à la préparation pour la réception de ce sacrement est requis que l’on ait auparavant une vraie foi, qu’on ait été, par cette foi, fait membre du Christ, et qu’on ait, en conséquence, le Christ en soi. »
 Si Calvin ne disait pas que l’eucharistie n’est que le témoignage de la grâce acceptée, qui, comme un sceau,  contresigne et  confirme la promesse faite par le Verbe, il détruirait tout ce qu’il a enseigné avant sur les sacrements.
De ces textes nous inférons trois choses.   La première. Calvin a tort de se vanter de ce que sa sentence sur l’eucharistie soit très difficile, incompréhensible  à l’intelligence humaine, et un mystère proprement dit. Car, que les symboles du pain et du vin rappellent à notre mémoire que le Christ a souffert et est mort pour nous,  ce n’est pas un plus grand mystère que si c’était une image du crucifix qui produisait un effet similaire, surtout si sont écrits les mots : voici l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde.  Car, une telle image, avec une pareille inscription, fait exactement ce que fait l’eucharistie de Calvin, et sans aucun miracle. Car, autant l’image que l’inscription nous fait revivre en pensée la passion que le Seigneur a soufferte pour nous.
Toutes ces magnifiques économies de l’eucharistie ne sont donc que de la poudre jetée aux yeux. Car, en de si nombreux endroits, Calvin nous assure que, avec les symboles,  c’est le vrai corps réel du Christ qui nous est donné, et que, avec lui, nos âmes sont nourries.  Car, après toutes ces mystifications, il ne nous laisse qu’un symbole vide de la chose déjà obtenue.
Enfin, de cette sentence de Calvin il s’ensuit cette absurdité que présenter la cène du Seigneur c’est témoigner que celui à qui elle est présentée a déjà reçu la cène, et qu’il a déjà mangé le corps du Christ.  Ce qui est insupportable si, dans l’emploi des mots, nous tenons compte de l’usage. Et même faux.  Car, selon les règles de Calvin, plusieurs, puisqu’ils sont impies,  n’ont jamais mangé le corps du Christ.  Ils bénéficient quand même de ce témoignage, et ce sacrement leur promet aussi à eux le royaume des cieux.
                                          CHAPITRE 2
              On explique la sentence de l’église catholique
La sentence catholique est exprimée en perfection dans le concile de Trente (session 13, chapitre 1) : « Au début,  le saint synode enseigne et professe ouvertement et clairement que, dans le sublime sacrement de la sainte eucharistie, notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, est, après la consécration du pain et du vain,  vraiment, réellement, et substantiellement contenu sous l’espèce des signes sensibles. »  Chacun des mots de ce décret contiennent ce qu’il faut pour condamner la sentence des hérétiques.
Le concile enseigne d’abord que, après la confection du sacrement, le corps du Christ se trouve présent, ce qui est contre l’ubiquité des luthériens, qui veulent que, avant la consécration, soit déjà présent le corps du Christ. C’est aussi contre les calvinistes qui disent que l’eucharistie est un signe de la conjonction avec le Christ  qui a été faite auparavant par la foi.
Le concile dit ensuite que la confection du sacrement  est la consécration du pain et du vin, par la vertu de laquelle nous est rendu présent le corps du Christ.  Ce qui est contre les mêmes ubiquistes qui soutiennent que cela se fait non en vertu de la consécration, mais de l’omniprésence du corps du Christ.  C’est aussi contre les calvinistes qui enseignent que le sacrement se fait non par la consécration, mais par la promesse de l’évangile expliquée dans un sermon.
Troisièmement.  Le concile enseigne que le Christ est en entier dans ce sacrement.  Ce qui est expliqué plus clairement au canon 1 de la même session, où nous lisons que, dans le sacrement, il y a le corps et le sang, avec l’âme et la divinité.   Ces paroles indiquent que c’est seulement par la vertu du sacrement, que le corps est présent sous l’espèce du pain et le sang sous l’espèce du vin.  Car la forme des mots ne peut signifier que cela.  Et par la naturelle concomitance,  le corps entier est présent sous l’une et l’autre espèce.  Car, ces différentes choses sont unies dans le Christ de façon à ne pouvoir jamais être séparées.  Car, après la résurrection, ce tout ne peut plus être séparé.  Et cela est contre Luther, qui révoque en doute cette concomitance  (dans son livre contre les Vaudois, sur l’eucharistie).
Quatrièmement.  Le concile affirme que le Christ est vraiment dans le sacrement.  Ce qui est contre tous les sacramentaires qui veulent que le Christ soit présent comme dans un signe ou une figure.  Car, la figure s’oppose à la vérité, comme nous le montre le premier canon de cette session.  Après avoir dit que le Christ est vraiment dans l’eucharistie, il l’explique en niant l’article :  non seulement en signe, mais en figure. »
Cinquièmement. Il dit réellement, ce qui s’oppose à l’imagination des calvinistes qui, (comme nous l’avons montré plus haut),  veulent qu’il soit présent pour être saisi par la foi.  C’est aussi ce qu’enseigne longuement Zwingli (dans sa confession à Charles,  que cite Bèze dans son livre sur la cène du Seigneur contre Westphalus, chapitre 9).   Il dit qu’il croit que, dans la cène du Seigneur, le corps du Christ est vraiment présent, mais de façon à ce que soit contemplé par la foi ce qui est corporellement présent dans le ciel.  Les sacramentaires  disent souvent que le corps du Christ est  présent dans la cène, mais je n’ai lu nulle part qu’ils disent qu’il soit réellement présent, à moins qu’ils ne parlent de la cène qui se fait dans le ciel, comme je le dirai plus tard.
De là proviennent deux différences entre nous et les sacramentaires.  Ils nient qu’il faille adorer le Christ dans l’eucharistie, ou qu’il puisse être reçu par ceux qui ne croient pas. Nous admettons, nous, l’un et l’autre.
Sixièmement.   Le concile ajoute  substantiellement, contre les calvinistes qui disent que le corps du Christ n’est,  dans substance, présent que dans le ciel; et que ce corps émane une vertu ou une force mystérieuse.  Voilà pourquoi  le même concile (au canon 1) oppose « substantiellement »  à « vertu ». Et c’est aussi pour expliquer le mode d’existence du Christ dans le sacrement.  Car, un peu avant, le même concile avait dit que le corps du Christ avait, dans le ciel, son mode d’existence naturel, et dans le sacrement, son mode d’existence non naturel, mais sacramentel.
Or, ce mode d’exister sacramentel, qui est en même temps vrai et réel ne pouvait être mieux expliqué que par l’adverbe « substantiellement ».  Ce mot signifie que c’est le Christ entier qui est dans le sacrement par sa substance, et non par une qualité.  Et cela parce que la substance du pain se convertit en la substance du corps du Christ. Les autres choses sont concomitantes avec la substance, et doivent donc avoir le mode d’exister de la substance.
 Or, par elle-même, la substance n’a aucun lien avec un lieu ou avec les corps environnants.  C’est pourquoi, au Christ,  est due la grandeur  en plus de la substance.  Mais, par elle, il n’occupe aucun lieu et ne s’étend par en longueur, mais est par mode de substance.  Pour une raison semblable, sa figure et sa couleur sont dans la substance, mais sont cependant invisibles en tant que contenues dans le sacrement.  Parce que la figure et la couleur ne possèdent pas un mode d’existence qualitatif,  mais substantiel, comme elles sont dans le sacrement.  Enfin, en tant qu’il est  dans le sacrement, le Christ peut être touché par certains qualités.  Mais, cependant ne peut pas être touché proprement mais en lui-même, car ces qualités ont un mode d’existence de substance, non de qualité.  Voir saint Thomas (livre 4, chapitre 64, contre les Gentils,  et 3 par quest 76, art 5).
Septièmement, le concile dit que le corps du Seigneur est contenu sous les espèces sensibles.  Ces mots expliquent encore plus clairement le mode d’existence du Christ dans l’eucharistie.  Car le Christ n’est pas dans l’eucharistie comme dans un lieu, ou dans un vase, ou sous un voile;  mais de la même  façon qu’était la substance du pain sous les espèces du pain, à la différence que ces accidents  faisaient partie de la substance du pain.  Voilà pourquoi, de par la nature de la chose, le corps du Christ, après la consécration,  se conserve dans l’eucharistie, aussi longtemps que demeure naturellement la substance du pain sous ces mêmes espèces.  Et voilà ce que veut dire : le corps du Christ est contenu sous les espèces du pain.
Cette sentence nous permet de réfuter la frauduleuse confession de Bèze.  Car, (comme le rapporte  Claudius a Xantes dans sa réponse à l’apologie de Bèze),  en l’année 56, pour amener des luthériens au calvinisme, Théodore de Bèze écrivit une confession dans laquelle il affirmait  que le corps véritable et naturel du Christ était présent dans la cène, et qu’il était administré aux communiants vraiment et réellement. Il ajouta même que l’église des Suisses et des Genevois approuvait cette confession.  Quand les luthériens eurent triomphé des sacramentaires, et que les Tiguriens le pressaient sérieusement, il répondit qu’il avait dit la vérité, mais que les luthériens n’avaient pas compris.  Car il n’avait pas parlé de la cène du Seigneur qui se célèbre sur la terre, mais de celle qui se célèbre dans les cieux, où le Christ est véritablement et réellement présent.
Le concile de Trente a prévenu ce genre de fraudes, car il ne dit pas que le corps du Christ était présent dans la cène, mais est réellement contenu sous les espèces du pain et du vin.  Voilà pour la présentation du décret.  On peut en déduire plusieurs règles sur la façon de parler de ce sujet.
La première règle.  Les noms de substance que l’on dit du Christ ou de son corps, sont dits de lui, en dehors du sacrement, comme il est dans le sacrement.  La raison en est que les noms substantifs signifient la nature de la chose, en faisant abstraction du mode d’existence.  La nature de la chose et l’essence de toutes celles qui sont dans le Christ  est vraiment dans le sacrement.  Nous disons donc avec raison que dans le sacrement sont le corps, la chair, le sang etc ;  et que cette chair est un corps, non un esprit.
La seconde règle. Les noms d’adjectif que l’on emploie pour désigner des circonstances corporelles ne sont pas dits du corps du Christ, comme il est dans l’eucharistie.  Parce, en plus de son mode d’existence particulier dans l’eucharistie, le corps du Christ n’a aucun rapport avec les corps circonstanciés, comme nous l’avons dit.  Nous disons que le corps du Christ, comme il est dans l’eucharistie, est vrai, réel, naturel, animé, quantifié, coloré.  Et cette chair, nous disons qu’elle est corporelle, non spirituelle, à moins qu’on emploie le mot spirituel d’une façon particulière, comme dans 1 Corinthiens XV : « Il est semé corps animal, et il surgit spirituel », c’est-à-dire obéissant en tout à l’Esprit.
Mais nous ne disons pas que le corps du Christ, dans l’eucharistie, est sensible, visible, tangible, étendu, bien qu’il soit ainsi dans le ciel.  Car ces noms se disent de corps circonstanciés, ce que n’est pas le corps du Christ dans l’eucharistie.  Voir saint Augustin (Gratien, sur la consécration dist 2 canon nos autem)  qui parle de la chair invisible du Christ dans le sacrement : « Nous, dans l’espèce du pain et du vin que nous voyons, nous  honorons des choses invisibles : la chair et le sang. »
La troisième règle.  Les adverbes, qui indiquent le mode d’existence corporel, ne sont pas dits du Christ dans l’eucharistie, mais seulement comme il est dans le ciel. L’autre, rien n’empêche de la dire.  Et la raison en est (comme nous l’avons dit souvent) que, dans l’eucharistie, le Christ n’a pas le mode d’existence des corps, mais plutôt des esprits,  puisqu’il est tout entier dans chaque partie.   Nous dirons donc que le Christ est dans l’eucharistie vraiment, réellement et substantiellement, comme le concile le dit correctement.
Mais, nous ne dirons pas  qu’il est corporellement présent, puisqu’on peut dire le contraire (spirituellement), comme saint Bernard  le dit (dans son sermon sur saint Martin).  Il affirme là que dans le sacrement, la vraie substance du Christ nous est donnée, mais spirituellement, non charnellement.   Mais il ne semble pas  qu’on doive employer ce mot (spirituel) trop souvent, car il est à craindre que les adversaires lui fassent signifier la substance plutôt que le mode d’être.  Voilà pourquoi il est préférable de ne pas dire qu’il n’est pas présent corporellement, à moins d’expliquer clairement ce qu’on veut dire par là.
La quatrième règle.  Les mots qui signifient la présence du corps du Seigneur dans l’eucharistie, --en faisant abstraction du mode d’existence  par rapport aux autres- peuvent être affirmés absolument,  les autres, non.  Voilà pourquoi nous nous exprimons correctement quand nous disons : le corps du Seigneur, est, est contenu, demeure, est trouvé, est reçu, est perçu dans l’eucharistie. Mais il ne serait pas correct de dire : le corps du Christ dans l’eucharistie occupe une place, a de l’étendue.
La cinquième règle. Bien que, de soi, le corps du Christ dans l’eucharistie ne soit ni vu, ni touché, ni bougé, cependant, à cause des accidents avec lesquels il est uni, on peut dire qu’il est vu, touché et bougé.  Pourquoi donc ? Parce que les espèces on les voit, on les touche, et on les déplace. Et ce qui leur convient est attribué normalement aussi à ce qui leur est uni.  Car c’est de cette façon qu’on disait des anges qu’ils étaient vus, qu’on touchait les corps qu’ils avaient assumés (Genèse 19).  Et dans tout le livre de Tobie, l’Écriture donne le nom d’anges à ceux qu’on voit, qu’on touche, qu’on entend parler.  Bien plus, dans Jean 1, on nous dit que saint Jean a vu l’Esprit Saint quand il a vu la colombe.
C’est de cette façon que les pères parlent du corps du Seigneur dans le sacrement. Saint Jean Chrysostome (homélie 83 sur Matthieu) dit : « Tu vois le Christ, tu le touches, tu le manges. » Et dans son homélie 24  (sur la première épitre aux Corinthiens), il dit : « On propose de regarder et de toucher les corps des rois. »  Et saint Cyrille d’Alexandrie (livre 12, chapitre 8 sur Jean) : « Il présente sa chair pour que nous la touchions. »  Et saint Augustin (dans son sermon 2 sur les paroles de l’Apôtre)  dit : « Ce qui, dans le sacrement, est reçu visiblement est mangé en réalité  spirituellement. »  Enfin, dans le concile romain sous Nicolas 2,  Bérenger a été contraint de confesser que  «  le corps du Christ est sensiblement touché et rompu par les mains des prêtres ».
Mais il existe un doute sur ce point.  Les choses que l’on dit du Christ à cause des espèces est-ce qu’on les dit de lui véritablement et proprement,  ou par manière de trope ?   Quelques-uns veulent qu’on les dise véritablement et proprement,  de la même manière qu’on les dirait d’un pain, si l’eucharistie n’était qu’un pain : on dirait que, en raison de ses accidents, on voit, on touche, on rompt véritablement et proprement le pain. Et la raison qu’ils donnent est que, selon eux, l’union du Christ avec les accidents du pain est d’ordre hypostatique, ou tout à fait semblable.  Voilà pourquoi, selon eux, il se fait une communication des idiomes entre le Christ et les accidents. Donc, comme on a raison de dire que, dans le Christ, Dieu est vu, touché, a souffert et est mort en raison de la nature humaine assumée, ils veulent que, à cause des accidents du pain, le Christ soit aussi, dans l’eucharistie, vu et touché vraiment et proprement.  Mais la sentence commune des théologiens enseigne le contraire.
Voilà pourquoi on ajoute une sixième règle qui nous vient de Pierre de Soto (lect 6 sur le sacrement de l’eucharistie.)  Les paroles qui signifient un mouvement local on peut, à cause des espèces,  les dire véritablement et proprement du corps du Christ, qui existe dans l’eucharistie,  mais par accident, et non en elles-mêmes.  Les autres paroles qui indiquent d’autres mouvements ou actions, on peut aussi les dire du corps du Christ, mais improprement et figurativement.
La première partie de cette règle est tout à fait certaine, car la présence réelle du Christ requiert nécessairement  que le Christ soit véritablement mu par différents mouvements, bien que ce soit par accident.  Comme notre âme change vraiment de lieu quand notre corps change de lieu.  Nous disons que c’est vraiment et proprement que le corps du Christ, dans l’eucharistie, est enlevé, déposé, transporté, placé sur un autel ou dans une lunule, transféré de la main à la bouche, et de la bouche à l’estomac.
On prouve l’autre partie en disant  que si, à l’exception du mouvement local, les choses qui conviennent aux espèces doivent convenir proprement au corps du Christ, il faut soit que ces mouvements soient immédiatement reçus dans le corps du Christ, -ce que tous nient- soit par la médiation des espèces.  Et cela, ou parce que les espèces sont inhérentes au corps du Christ, --et cela aussi tous le nient---ou en raison de la communication des idiomes provenant de l’union hypostatique, ou de quelque chose semblable. Et cela, non plus, n’a pas lieu.  Car, pour omettre tout ce que, en son lieu, nous dirons plus haut contre cette opinion ou cette erreur sur l’union hypostatique, si c’était cela la cause, quatre absurdités s’ensuivraient.
La  première.  À cause des espèces, on devrait dire du Christ dans l’eucharistie qu’il est blanc ou rond, ce qui serait, selon l’avis de tous, une absurdité.  Car, s’il est vraiment question de communication des idiomes, pourquoi ne pas dire du Christ les actions et les passions plutôt que les qualités ?  Il est certain que, dans le mystère de l’incarnation, on ne dit pas seulement que Dieu a marché, a mangé, mais aussi qu’il a un corps, qu’il est humble, triste etc.  Deuxièmement.   Comme on dit que le Christ eucharistique est vu et touché proprement et véritablement, on pourrait aussi dire qu’il se réchauffe ou qu’il se refroidit,  qu’il est moisi et acide, quand ces choses arrivent aux espèces, avant leur corruption.  Comme on dit de Dieu  qu’il a souffert, qu’il a été blessé et qu’il est mort dans la chair.  Mais cela, personne ne le concéderait.
Troisièmement.  Qu’il faudrait attribuer aussi aux espèces les attributs du Christ, en une communication des idiomes mutuelle.  Mais on n’a jamais entendu dire qu’on puisse attribuer aux espèces quelque chose de ce genre.
Quatrièmement.  Il ne serait pas permis de dire que c’est la chair du Christ qui est vue ou touchée,  mais seulement le Christ lui-même.  Car ce n’est qu’au seul suppôt, que la communication des idiomes  fait partager les attributs d’une autre nature.  Ce ne sont pas les attributs d’une nature qui sont attribués à une autre nature. La chair, en effet, est une nature, et non un suppôt.  Et pourtant, les pères cités parlent  bel et  bien de la chair.  Saint Jean Chrysostome (homélie 47 sur l’épitre 1 aux Corinthiens) dit que « nos dents mordent  dans la chair du Christ. »  Et saint Cyrille (à l’endroit cité) dit : « Il offre sa chair au toucher. »
                                       CHAPITRE 3
On démontre la présence du corps du Christ dans l’eucharistie avec les figures de l’ancien testament.
Accédons à la réponse.  Nous confirmerons la vérité catholique avec quatre genres d’arguments, et nous répondrons, en même temps, aux objections que nous font nos adversaires dans chacun de ces genres.  Le premier genre d’arguments porte sur les témoignages de l’Écriture; le deuxième, sur les témoignages des pères;  le troisième sur le consensus de l’Église; le quatrième, sur diverses raisons.  De l’Écriture, on peut tirer quatre arguments.  Le premier : les  figures;  le second : la promesse;  le troisième :  l’institution; le quatrième :  l’usage.
Des figures de l’ancien testament, on tire donc cet argument.  Les figures doivent nécessairement être inférieures aux choses figurées.  Les figures du sacrement de l’eucharistie sont ou plus excellentes ou non inférieures au pain normal et naturel qui signifie le corps du Christ.  L’eucharistie n’est donc pas un pain ordinaire et naturel signifiant le corps du Christ, mais elle est le corps même du Christ, vrai pain céleste, et super substantiel.   La proposition principale, qui est tirée de l’apôtre Paul, est tout à fait certaine, En effet, saint Paul (Colossiens 2) compare les figures de l’ancien testament à des ombres, et l’accomplissement à un corps. Et (dans Hébreux X) il compare ces mêmes figures à des ombres, et la vérité à l’image.  Car l’ombre n’est pas une vraie image,  mais est soit une vaine ressemblance de l’image, comme cela se passe quand quelqu’un marche au soleil, ou une image ombragée sur une table, non encore délimitée et parfaite.
Saint Jérôme (dans le chapitre 1 à Tite), dit que la différence qu’il y a entre les pains de proposition et le corps du Christ est celle qui existe entre l’ombre et les corps, entre les exemplaires des choses futures, et les choses elles-mêmes qui sont figurées par les exemplaires.  Mais même sans ces témoignages, on ne peut pas douter que la figure est au service de la vérité, et s’accomplit et se parfait par elle.
La proposition mineure on peut la prouver de deux façons.  La première.  Avec les figures qui sont égales au pain.  Ensuite, avec celles qui sont plus importantes.  Les figures égales sont celles qui sont faites de pain. Nous avons d’abord le pain qu’a présenté Melchisédech (Genèse 14).  Que ce pain ait été une figure de l’eucharistie, c’est ce qu’enseigne saint Jean Chrysostome (homélie 35 sur la Genèse) : « Tu vois comment notre sacrement a été insinué. Tu as vu le type, pense à la vérité. »
D’autres pères enseignent la même chose, comme saint Cyprien (livre 2, épitre 3 ), Arnobe (sur psaume 109), saint Ambroise (livre 4, chapitre 3 sur les sacrements), saint Jérôme (Matthieu, chapitre 26), Clément d’Alexandrie, livre 4 stromat), Eusèbe (livre 5, démonstration évangélique, chapitre 3), saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 14).
Il y eut ensuite le pain de proposition, qui ne pouvait être mangé que par les purs et les sanctifiés (Exode 40, et 1 Rois XX1).)  Qu’il ait été une figure de l’eucharistie l’attestent saint Jérôme (au chapitre à Tite), saint Damascène (au livre cité) et saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse mystagogique 4).  De même, le pain des prémices (Lev XX111).  En y faisant allusion,  saint Irénée (livre 4, chapitre 32) appelle eucharistie les prémices des dons divins dans l’ancien testament.  Enfin, ce pain angélique qui a donné assez de force à Élie pour marcher pendant quarante jours jusqu’à la montagne de Dieu, Oreb, où il vit Dieu (3 Rois 19).
Parmi les plus importantes,  il y en a trois principales qui offrent aux catholiques de riches munitions.  La première, l’agneau pascal, que plusieurs anciens voient comme une figure de l’eucharistie.  Comme Tertullien (livre 4, contre Marcion),  Isichius (Lévitique chapitre 13), saint Jérôme (Matthieu, chapitre 26), saint Jean Chrysostome (homélie sur la trahison de Judas), saint Cyprien (livre sur l’unité de l’Église), saint Augustin (livre 2, chapitre 37, contre les lettres de Petilianus) : « Autre la pâque que les Juifs célébraient avec un agneau,  autre celle que nous avons reçu dans le corps et le sang  du Seigneur.   Léon (sermon 7 sur la passion du Seigneur), saint Grégoire (homélie 22 sur les évangiles).
Car ce n’est pas pour une autre raison que le Seigneur a institué le sacrement de l’eucharistie tout de suite après avoir mangé l’agneau pascal, que pour signifier, comme le dit saint Léon au lieu cité, que l’antique observance avait été accomplie et abolie par le nouveau sacrement.  Il appert donc que la cérémonie de l’agneau pascal ne mettait pas tant l’accent sur l’immolation que sur la manducation (Exode 12).  Celui donc qui lui correspond dans le nouveau testament  c’est Agneau qui enlève les péchés du monde, aussi longtemps qu’il est mangé.  Ce qui n’a pas coutume de se faire autrement que dans l’eucharistie.
Que l’agneau pascal des Juifs ait été plus important que notre eucharistie,  on ne peut en aucune façon le démontrer, si le corps du Christ n’est pas vraiment contenu en lui.  Car, si nous considérons l’agneau et le pain comme des choses naturelles, on ne peut douter que l’agneau excelle.  Mais si on les considère  comme des sacrements,  c’est-à-dire comme des symboles externes, là encore, l’agneau excelle.  Car, la chair du Christ est mieux signifiée par la chair de l’agneau que par le pain.  Et la mort du Christ est aussi mieux signifiée par la mort de l’agneau que par la fraction du pain.  L’innocente du Christ, sa douceur et ses autres qualités sont mieux signifiées par cet agneau choisi, d’un an, sans tache que la loi commandait d’immoler et de manger, que par le pains, qui n’a rien de tout cela.  L’effet du sacrement, également, que ce soit la nutrition spirituelle, ou l’excitation de la foi s’obtient mieux par l’agneau que par le pain.  Car, la chair nourrit mieux que le pain;  et excite le  mieux à foi ce qui représente le mieux la passion du Christ.  Voilà pourquoi ces paroles du Seigneur : « Ceci est mon corps » s’appliquent davantage à l’agneau pascal qu’au pain eucharistique.
Une autre figure est le sang du testament (Exode 24, et Hébreux 9). On y décrit l’ancien testament, et nous lisons que c’est au nom de Dieu que Moïse a proposé les commandements de la loi, qu’il a ensuite aspergé  le peuple avec du sang, en disant : « Ceci est le sang du testament que Dieu vous a envoyé. »  Cette figure est accomplie dans l’institution de ce sacrement.  Il est facile de le prouver.  Car quelqu’un pourrait  penser que c’est la figure de la passion du Christ, et non de l’institution de ce sacrement.
On le prouve donc d’abord  par les paroles de Jésus en Luc XX11 : « Ce calice est le nouveau testament dans mon sang. »  C’est donc dans cette cène que le testament a été institué.   Deuxièmement.  Il semble que le Seigneur a employé à dessein les mêmes paroles dont s’est servi Moïse.  Car, Matthieu (chapitre 26) rapporte que le Seigneur a dit : « Ceci est le mien sang du nouveau testament ».  Troisièmement.   C’est alors que le Seigneur proposa aussi une loi, comme l’avait fait autrefois Moïse, quand il dit (Jean 13) : « Je vous donne un nouveau commandement : que vous vous aimiez les uns les autres. »  Et il aspergea de son sang les poitrines de ses disciples.  Dans sa passion, nous ne voyons pas qu’il ait fait aucune de ces choses.
Quatrièmement.  Un testament doit être fait devant témoins par un homme libre, avant qu’il meure, et avec un instrument public, qui demeure perpétuellement.  Toutes ces choses, nous voyons qu’elles sont arrivées durant la dernière cène, non durant sa passion.  Car, à la dernière cène, le Christ était encore un homme libre, tandis que dans sa passion il dépendait d’autrui, puisqu’il était un vaincu entre les mains des Juifs.  De même, à la dernière cène, il y avait des témoins, les apôtres,  et un instrument public a été confectionné et laissé en souvenir perpétuel, le sacrement lui-même de l’eucharistie.  Dans la passion, ce sont des ennemis qui étaient présents, non des témoins, à l’exception de Jean, et aucun instrument n’a alors été fait.  Enfin, à la dernière cène, le Seigneur était plein de vie.  Dans sa passion il était plus mourant que vivant.  Voilà pourquoi l’apôtre dit (Hébreux 9)  qu’un testament est confirmé par la mort.  Car, il ne vaut pas tant que vit celui qui l’a fait.  C’est comme s’il disait : il est fait avant la mort, mais il est confirmé par la mort subséquente.
Cela ayant été établi, à savoir que ce sang de l’ancien testament était une figure du sang qui nous est donné dans l’eucharistie, on peut prouver, par les mêmes arguments avec lesquels nous avons prouvé que l’agneau est meilleur que le pain,  que la figure fut meilleure que la chose figurée, c’est-à-dire là, que le sang est meilleur que le vin.  Car, le sang est une substance plus noble que le vin, et il représente mieux le sang du Christ que le vin.
La troisième figure est la manne, qui, dans le désert, pleuvait pour les Juifs (Exode 16).  Que la manne ait été une figure de l’eucharistie, le montrent les paroles du Seigneur (Jean V1) : « Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et sont morts.  Celui qui mangera ce pain vivra éternellement. » On trouve la même chose dans les paroles de l’apôtre qui, à 1 Corinthiens X, compare la mer rouge avec le baptême, et la manne avec l’eucharistie.    C’est ce qu’enseignent aussi les pères, comme saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, Theophylactus,  saint Augustin (livre 5, chapitre 1 sur les sacrements), et saint Ambroise (livre 5, chapitre 1 sur les sacrements, et dans son livre d’initiation aux mystères, chapitres 8 et 9).
Entre la manne et l’eucharistie, la ressemblance est si grande qu’elle saute aux yeux.  Qui ne voit pas qu’elle en fut un type ?  La manne a été donnée dans le désert pendant que, après avoir traversé la mer rouge, les fils d’Israël se dirigeaient vers la terre promise.  De plus (comme le note saint Augustin dans son traité  11 sur saint Jean) l’eucharistie est donnée dans le désert de cette vie, pendant que, après le baptême, nous tendons vers notre vraie patrie,  qui est la vie éternelle.  Ensuite, la manne avait ceci de singulier que même si les uns en ramassaient beaucoup, et les autres peu, tous finalement avaient la même quantité (Exode XV1).  Ce qui cadre parfaitement avec l’eucharistie, puisque le sacrement est le même, la vertu la même, le fruit le même dans une parcelle d’hostie   ou une grande hostie, dans une ou plusieurs hosties.
De plus, ne manque pas de mystère le fait que et la manne et la pierre du rocher, qui sont des figures des deux espèces du sacrement,  aient rencontré du mépris, des doutes et des contradictions; et qu’ait été cause de perdition ce qui devait être  cause de salut.  Au sujet de la manne, le psaume 77 dit : « Pouvait-il donner du pain, ou préparer une table pour son peuple ? »  Et, au Nombres XX, nous lisons que cette eau est appelée « une eau de contradiction. »  Et, aux Nombres XX1 : « Notre âme était dégoutée  de cette nourriture si légère. » Et on décrit au même endroit le carnage de ceux qui ont été tués pour avoir ainsi murmuré.  Or, les doutes, les murmures, les contradictions que suscite l’eucharistie sont connus de tout temps.   Et il est certain, comme le dit l’apôtre (1 Corinthiens X1) que plusieurs s’endormirent, ou plutôt moururent physiquement autrefois, pour avoir reçu indignement l’eucharistie.  Ce qui nous laisse à penser que beaucoup sont morts aussi dans leur âme,  pour avoir méprisé ou blasphémé un si sublime sacrement.
Que la manne ait été plus excellente qu’une eucharistie qui ne contient pas le vrai corps du Seigneur, on peut facilement le prouver.   Car, si nous considérons la manne et le pain de l’eucharistie comme des dons, en faisant abstraction de la signification, la manne avait été faite par les mains des anges, et c’est pourquoi on l’appelait le pain des anges (psaume 77, et Sagesse 16).  Le pain de l’eucharistie, lui, est fait par les mains des boulangers.   La manne tombait du ciel,  ce pain sort du fourneau.  La manne avait toutes les saveurs.  Bien plus, par un miracle stupéfiant,  elle goutait ce qu’on voulait qu’elle goute. Sagesse 16, le pain, lui, ne goute que le pain. Qu’est-ce que le Christ a donc dit en saint Jean 6 : « Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel.  C’est mon père qui vous donne le vrai pain du ciel. »  Et il ajoute là plusieurs autres choses qui montrent la supériorité de l’eucharistie sur la manne des Juifs.  Si on ne considère que les symboles externes, la manne signifie mieux le Christ que le pain, et parce qu’elle tombait du ciel, et parce qu’elle avait toutes les saveurs, et parce que tous en prenaient la même quantité, même s’ils paraissaient en prendre plus ou moins.
                                       CHAPITRE 4
On réfute la réponse des adversaires à nos arguments
À cet argument, Pierre le martyr répond  (dans sa défense de l’eucharistie, part 3, page 692), en enseignant deux choses.   Il pose ceci comme fondement.   Dans les sacrements anciens, il y avait le symbole externe et la chose elle-même, comme dans les nôtres.  Et bien que nos symboles et les leurs soient différents, la chose, cependant, est la même.  Et il le prouve en citant saint Paul (1 Corinthiens X1) qui dit que les Hébreux ont mangé la même nourriture que nous.  Et pour que nous n’en doutions pas, il dit en plusieurs mots, que ce fut le Christ.
Or, dans cette preuve qu’il nous donne, le martyr pèche doublement.  D’abord, l’apôtre n’a jamais dit que les Hébreux  avaient mangé la même nourriture que nous.  Ce « avec nous » que répète souvent le martyr, et en lequel  il met toute sa confiance, ne se trouve pas dans l’apôtre.  Et plus haut, dans les sacrements en général, nous avons démontré que le sens est le suivant : les hébreux ont mangé entre eux la même nourriture, et nous la même nourriture entre nous.  Deuxièmement.  Saint Paul n’a jamais dit que la nourriture ou le breuvage des Hébreux, ou la chose de leurs sacrements ait été le Chris, même si le martyr affirme avec sa arrogance coutumière que saint Paul l’a dit en plusieurs paroles.
Voici donc les paroles de l’apôtre : « Ils buvaient de la pierre spirituelle qui les suivait.  Or, cette pierre était le Christ. »  L’apôtre ne dit pas là que le Christ a été l’eau  qu’ils buvaient,  mais la pierre d’où surgissait cette eau.  Et non cette pierre matérielle, de laquelle l’eau coulait  physiquement et visiblement, mais une pierre invisible qui accompagnait partout les Hébreux, c’est-à-dire la divine providence et la vertu du Christ  qui était la cause efficiente de cette eau et de tous ces biens.  Mais nous avons déjà suffisamment parlé de cela à l’endroit cité.
Il reste un seul scrupule.  Comme le martyr l’a noté ailleurs, manger et boire quelque chose est la même chose que manger et boire de quelque chose. Car, aux Corinthiens 1, X1, il dit : « boire le calice, et boire du calice » Et semblablement : « manger un pain, et manger du pain. »  Cela est vrai quand il s’git de choses comestibles ou potables, comme dans les exemples qu’on vient de donner.  Mais parce qu’on ne peut pas dire boire une pierre, comme nous disons, boire de la pierre, on ne peut pas en déduire que boire la pierre soit la même chose que boire de l’eau qui émane de la pierre.  Donc, de quelque  côté que le martyr  se tourne, il n’obtiendra pas  que Paul enseigne que les Hébreux aient bu le Christ.
Deuxièmement. Après avoir posé ce fondement pourri, le martyr ajoute  que nos sacrements, en tant que symboles externes,  sont supérieurs aux sacrements anciens, parce qu’ils sont plus fermes, ne pouvant plus changer jusqu’à la fin du monde;  parce qu’ils montrent une chose qui a été faite, non qui se fera plus tard; parce qu’ils sont plus simples et qu’ils appartiennent à un peuple bien plus nombreux.  Et aussi, parce qu’ils sont plus clairs, non à cause de la représentation externe, mais à cause de la clarté des paroles qui y sont proférées.   Voilà pourquoi ils excitent une plus grande foi, et portent des fruits plus abondants.  Et, par ces prérogatives, il pense satisfaire à l’argument des catholiques.
Mais il s’en faut de beaucoup.  Car, en ce qui a trait aux sacrements en tant que signes,  que les nôtres soient plus durables, qu’ils signifient une chose passée, et qu’ils s’appliquent à un plus grand nombre, ce sont là des prérogatives extrinsèques. Car tout cela dépend de la volonté de celui qui les a institués.  Et voilà pourquoi ils n’apportent aucune ou presqu’aucune dignité aux signes en tan que signes.  Exemple.  L’immolation de l’agneau, en elle-même, ne pouvait pas être moins durable, et appartenir à plusieurs et signifier une chose passée que la fraction du pain.  C’est par accident qu’ils ont employé l’immolation de l’agneau pour signifier une chose future, et nous, la fraction du pain pour signifier une chose passée.
Et on peut dire la même chose des autres.   Ajoutons que quand le Seigneur a institué l’eucharistie, sa mort que signifiait le sacrement, était future, et non passée.  Donc, cette eucharistie que le Seigneur célébra n’avait rien de plus que la cène typique de l’agneau pascal. À chaque fois donc que le Seigneur a réitéré la cène, il a donné l’eucharistie ?  Qu’elle soit donc confectionnée dans ce sens propre, si ce que l’on cherche est la dignité propre et intrinsèque des signes.  Car, ceux-là sont meilleurs qui signifient mieux.  Que les signes extérieurs signifient mieux quant à la représentation externe, notre adversaire ne le nie pas,  et c’est ce  que notre argument prouve très clairement.
Il ne reste donc qu’une chose : les nôtres excellent en raison des mots.  Mais cela n’aide en rien nos adversaires, car ils ne veulent pas, eux, que, comme nous le disons, les mots soient de l’essence des signes.  Il y a trois genres de mots dans les sacrements.  Les mots de l’institution, et ceux-là sont communs aux sacrements anciens et nouveaux.  Et ils ne sont pas proprement de l’essence,  mais relèvent de la cause efficiente.  Le deuxième : les mots de promesse.  Eux aussi sont communs aux deux, et ne font pas partie de l’essence.  Car, les adversaires distinguent les mots et les sacrements comme un diplôme et un sceau, ou comme un pacte et signe du pacte.  Voilà pourquoi Calvin (livre 4, chapitre 14, verset 1) dit que le sacrement est un appendice des promesses; et tous les adversaires disent que les sacrements sont des signes qui confirment les promesses.
Même si, dans le nouveau testament, les mots de promesse sont plus clairs que dans le nouveau testament, il ne s’ensuit pas que les sacrements soient aussi plus clairs.  Car, il peut se faire qu’un diplôme soit contresigné  plus clairement par un sceau plus obscur, et qu’un diplôme soit rendu plus obscur par un sceau plus clair et meilleur.  Les adversaires sont forcés d’admettre cela dans la matière des sacrements, puisqu’ils admettent que les signes anciens ont été plus clairs, quand à la représentation externe.  C’est pourquoi si une plus grande foi est excitée dans la perception des nouveaux sacrements, que dans les anciens, comme le dit le martyr, cela ne se fait pas par la force des paroles seulement, qui sont distinctes des signes essentiellement, comme nous l’avons dit.
Troisièmement. Il y a les mots consécrateurs.   Et ceux-là, pour les catholiques, sont de l’essence, et c’est à cause d’eux que nos sacrements sont des signes plus clairs.  Mais ce genre de paroles  nos adversaires le désapprouvent, et y voient de l’incantation et des formules magiques.  Il ne leur reste donc plus rien pour prouver que nos signes sont plus clairs que les anciens.
Mais, même s’ils pouvaient le prouver, demeure non réfuté notre argument qui porte sur la comparaison des choses entre elles, après avoir exclu la signification.  Et voici la comparaison qui est faite dans l’Écriture et chez les pères.   L’Écriture et les pères ne disent pas que nos sacrements sont supérieurs aux anciens parce qu’ils signifient mieux, mais parce que ceux-là étaient des figures, et ceux-ci la chose figurée.  C’est donc les choses elles-mêmes qu’il faut considérer.  Si on considère les choses elles-mêmes, qui doute que l’agneau soit meilleur que le pain, la manne du ciel que le pain du fourneau ?  Et c’est la comparaison que le Christ fait en Jean 6, où il ne parle pas de la signification, mais où il dit que, si elle est comparée à l’eucharistie, la manne n’a pas été un pain qui descend du ciel.  Pour une raison semblable, les pères ne disent pas que l’eucharistie est plus importante que la manne, parce qu’elle signifie mieux, mais parce qu’elle contient le corps du Christ, qui est incomparablement  plus noble que la manne.
Voilà pourquoi ils ne comparent jamais la manne avec le pain, comme ils auraient du le faire s’il avait été question de signification, mais avec le corps du Seigneur.  Gardinerus a, dans son livre,  présenté plusieurs citations des pères à ce sujet, dans le livre auquel répond le martyr, comme, par exemple, Origène (homélie 7 sur les Nombres), saint Cyprien (sermon sur la cène du Seigneur), saint Ambroise (de ceux qui sont initiés aux mystères, chapitre 9), saint Jérôme (1 chapitre à Tite), saint Jean Chrysostome (homélie 83 sur saint Matthieu),  sain Cyrille d’Alexandrie (livre 4 sur Jean, chapitre 16), Hesychius (livre 1 sur le Lévitique, chapitre 22.)
Les explications qu’apporte le Martyr  sur ces passages sont si absurdes qu’elles ne font que confirmer notre argument. Ses réponses sont au nombre de trois.  La première est la citation de saint Cyprien.  Or, voici ce que dit saint Cyprien (dans son sermon sur la cène du Seigneur) : « Allèrent au devant de la cène placée entre des repas sacramentaires,  des institutions antiques et nouvelles. Et après qu’ait été consommé l’agneau que proposait la tradition antique, le Maître  a présenté à ses disciples la nourriture inconsommable. »  Dans ce texte, l’auteur ne compare pas  l’agneau pascal avec le pain, qui n’est pas moins consommé dans la cène,  mais avec le corps du Christ, qui est consommé dans la cène de façon à demeurer toujours intègre.
Le martyr répond qu’on dit que l’agneau est consommable, parce que cette cérémonie devait cesser; et que le pain de l’eucharistie est appelé une nourriture inconsommable, parce que le sacrement de l’eucharistie durera jusqu’à la fin du monde.  Quoi de plus tiré par les cheveux que cette explication ?  Car, saint Cyprien ne parle pas de cette cérémonie en général qui devait être abrogée, mais de cet agneau particulier que les apôtres et  le Seigneur mangeaient  alors.  Ne dit-il pas : « Quand fut consommé l’agneau que proposait l’antique tradition. » ?  Comme cet agneau fut alors proprement consommé par la manducation, c’est le contraire qui s’imposerait si l’antithèse valait quelque chose.  La nourriture inconsommable n’est pas la cérémonie d’un nouveau sacrement en général, mais est une chose particulière qui quand elle est mangée n’est pas consommée.  Ce qui ne se rapporte certes pas au pain, mais au corps du Christ.
De plus, même si le sacrement de l’eucharistie devait durer jusqu’à la fin du monde, il connaîtra  quand même une fin.  Voilà pourquoi on ne peut l’appeler correctement nourriture inconsommable qu’en raison de la chose contenue, qui est absolument inconsommable.  Autrement, on pourrait dire de tout pain et de toute autre nourriture qu’elle est inconsommable parce qu’elle durera jusqu’à la fin du monde.
Il présente ensuite une autre réponse, qui convient aussi au témoignage d’Ambroise, et il dit que le corps du Seigneur peut être appelé une nourriture inconsommable.  Mais parce que, selon nos adversaires, les anciens percevaient dans l’agneau le même corps, et de la même façon (par la foi) que nous, dans le pain.  Voilà pourquoi le martyr dit que saint Cyprien oppose cet agneau irrationnel non au pain (avec lequel il était égal) mais au corps du Seigneur, parce que cet agneau signifiait plus obscurément  le corps du Seigneur que notre pain,  et que ce qui s’est produit était encore à venir.  En raison de cette obscurité, on pourrait dire que les anciens n’avaient pas, en figure, le corps du Christ.
Mais qui n’aurait pas pitié d’un homme si embourbé ?  Car, il est faux, comme nous l’avons déjà démontré, que le Christ soit signifié plus obscurément par l’agneau que par le pain.  Il est plutôt signifié beaucoup plus clairement par l’agneau que par le pain.  Et il est faux également, au moins pour l’eucharistie, --que le Seigneur a distribuée en personne à ses disciples--  que le sacrement signifie une chose passée.  Et de plus, qui peut  supporter ce trope par lequel on dit que les anciens n’avaient pas le Christ et que nous nous l’avons, puisque c’est le même Christ que nous avons, et de la même manière, c’est-à-dire, par la seule foi ?  Or, à cette façon de s’exprimer, il importe peu ou pas du tout, que cela soit déjà venu ou ait à venir dans le futur, comme le souvenir d’un repas passé ne nourrit pas plus  que l’espérance d’un repas futur.  Il importe peu aussi que nous ayons des signes plus clairs ou plus obscurs. Comme nous l’illustrerons dans un exemple.
Si quelqu’un remettait à un débiteur une dette de cent louis d’or, pour faire plaisir à un ami, qui, au bout d’un an, lui donnera mille louis d’or, et lui ferait un reçu de sa donation, et le contresignerait avec un sceau passablement usé; et ensuite, après deux ans, remettrait la dette à l’autre, cent louis d’or, pour remercier cet ami, qui lui avait donné mille louis d’or l’année d’avant, lui donnerait aussi un reçu de la donation, et la contresignait avec un sceau en or, je pose la question.   Est-ce que, à cause de la différence des sceaux et des temps, on peut dire qu’au premier débiteur n’a été donné qu’un  document contresigné, et à l’autre, une vraie rémission des dettes ?   Aucune personne sensée ne serait de cet avis.  Et pourtant, c’est ainsi que divague le martyr.
L’autre passage était de saint Ambroise, qui parle de la manne comme Cyprien de l’agneau pascal.  Car, voici ce qu’il dit à ceux qui sont initiés aux mystères (au chapitre 9) : «  Demande-toi, maintenant, lequel des deux est le plus prestigieux : le pain des anges ou la chair du Christ, laquelle est le corps de la Vie.  La manne vient du ciel; ce pain est au-dessus du ciel. Elle est céleste, l’autre appartient au Seigneur du ciel.  La manne est immunisée contre la corruption, si elle est conservée un joue de plus, l’autre est étranger à toute corruption. »  Le martyr ne répond pas à ce texte, mais il nous renvoie à la réponse déjà donnée au texte de saint Cyprien.  Et nous, nous le renvoyons à la réfutation précédente.
Aux autres témoignages de saint Jérôme, d’Origène, de saint Jean Chrysostome,  de Heshusius (car il admet différer d’avis avec saint Cyrille), il répond qu’ils attribuent aux Hébreux uniquement les symboles, et à nous, la chose elle-même. Parce que plusieurs Hébreux ne comprenaient pas  ce que signifiaient les symboles, et c’est pourquoi ils n’avaient que des symboles externes.   Mais cette réponse ne satisfait pas, parce que saint Jérôme et les autres comparent les choses elles-mêmes entre elles, non ceux qui les ont.  Et aussi parce que même les chrétiens qui ne comprennent pas ce que signifient les symboles n’ont, selon nos adversaires, que des symboles.
                                     CHAPITRE 5
                       Jean V1 porte sur l’eucharistie
Venons-en maintenant au second argument tiré des Écritures, que l’on trouve dans l’évangile de saint Jean, au chapitre 6.  On fera trois développements sur cet argument. Le premier.  On se demande si le Seigneur parle de l’eucharistie.  Le deuxième. Il faut en dédire un argument sur  la vérité du corps du Seigneur. Le troisième. On réfute les arguments des adversaires, qui pensent que ce texte ne parle pas de l’eucharistie.
Le Seigneur parle-t-il de l’eucharistie ?  Il n’y a pas de controverse sur la question suivante :  est-il question de l’eucharistie dans tout le chapitre ? Car, il est évident que tout le chapitre ne porte pas exclusivement de l’eucharistie. Car, dans une grande partie du chapitre,  il est question de la multiplication des pains,  de la foi, et de l’incarnation.   La seule question qui se pose porte sur ces paroles : « Le pain que je vous donnerai est ma chair pour la vie du monde. »  Et de ce qui suit à la fin du chapitre.   Or, presque tous les hérétiques de notre temps nient que ces paroles se rapportent au sacrement de l’eucharistie.
Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, chapitre 1), dit que le  chapitre 6 doit complètement être mis de côté, parce qu’il n’y a rien là qui se rapporte à l’eucharistie.  Zwingli dit la même chose (dans le livre sur la vraie et fausse religion, chapitre sur l’eucharistie).  La même chose aussi Oecolampadius (dans son livre sur les paroles du Seigneur : ceci est mon corps).  Même chose aussi Martin Kemnitius  (2 par examen, page 657, chapitre 1, session 21 du concile de Trente).
Jean Calvin semble à quelques-uns être d’un autre avis. Car (dans le livre 4, chapitre 17, versets 1 et 5) et, ensuite, quand il traite de ce sacrement,  en citant saint Jean 6, il explique clairement sa pensée.  Car, quand après avoir cité ces paroles : « celui qui mangera ma chair et boira  mon sang, demeure en moi et moi en lui,  » il ajoute tout de suite après : « Ils soutiennent qu’il ne s’agit pas là de l’usage du sacrement, ce que j’admets, moi aussi. »  Calvin n’a donc pas voulu que l’on entende le sixième chapitre de saint Jean de la manducation sacramentelle.  Il a quand même cité des paroles de ce chapitre  en parlant du sacrement, parce qu’il estimait que, dans ce chapitre, il était question de la manducation spirituelle du Christ, auquel, par la suite, le Seigneur a ajouté des symboles externes.
C’est ce qu’a clairement énoncé Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, par 1, à la solution de l’objection 32 : « Au sujet du sixième chapitre de saint Jean, à la question :  se rapporte-t-il à l’eucharistie, nous répondons  que ce sermon ne parle pas du sacrement de la cène. »  Et plus bas : «Comme cependant, la réalité du corps et du sang  est ici clairement présentée comme une manducation et un breuvage spirituels, auxquels, par la suite, les évangélistes, à la fin de leur histoire, ont ajouté les symboles externes du pain et du vin,  nous pensons donc que ce chapitre  est étranger au sacrement de l’eucharistie. »  Voilà donc ce que pensent les hérétiques.
Les catholiques, dans leur presque totalité,  veulent entendre les paroles de ce chapitre du sacrement de l’eucharistie,   et de la manducation sacramentelle du corps du Seigneur dans l’eucharistie. Il y en a cependant eu quelques-uns, parmi nous,  qui pour répondre plus facilement aux Hussites et aux Luthériens qui se servent de ce chapitre pour prouver la communion sous les deux espèces, ont enseigné qu’il ne s’agit pas dans ce chapitre de l’assomption sacramentelle du corps et du sang du Seigneur Jésus-Christ.  De ce nombre sont Gabriel (lecture 84 sur le canon de la messe), Nicolas Cusanus (épitre 7 aux Bohémiens), Thomas Cajetanus (3 part question 80, article ultime).  Ruardus Tapper  (explication de l’article 15 des gens de Louvain), Jean Hesselius (livre sur la communion sur une seule espèce), et Corneille Jansenius (chapitre 59, la concorde).
Il y a une grande différence entre les sentences des catholiques et celles des hérétiques, même s’ils semblent être du même avis.  La voici.  Les catholiques ont agi dans une excellente intention, c’est-à-dire pour défendre plus facilement la vérité;  et les hérétiques, pour l’attaquer plus facilement.  De plus, les catholiques se soumettent eux et leurs thèses, à la censure des pontifes  suprêmes et des conciles.  Ce que les hérétiques ne font pas.
Or, les autres écrivains catholiques, dont Nicolas Sanderus cite le grand nombre (dans son livre sur le chapitre 6 de saint Jean), enseignent d’un commun accord que, dans ce chapitre, il s’agit de la manducation sacramentelle.  Ce qui, sans doute possible, est la vérité même.  Et, on peut le prouver par quatre arguments.  Le premier, par ce passage lui-même.   Le deuxième.  Par le témoignage de l’Église.  Le troisième, par le témoignage des pères.   Le quatrième, par les conséquences absurdes qui résulteraient  des théories de nos adversaires.
Le texte lui-même.  Le Seigneur parle du futur quand il dit : « Le pain que je vous donnerai est ma chair. »  Or, si, dans ce passage, le pain signifie le Christ en tant qu’il est perçu par la foi, sans relation aucune avec les espèces sacramentelles, il n’aurait pas parlé du futur.   Car, la manducation par la foi est une chose qui vaut pour toutes les époques.  Car, les pères de l’ancien testament avaient, eux aussi, mangé le Christ de cette façon.
Et on le confirme par le texte grec que les hérétiques ont coutume de faire passer avant le texte latin. Le voici : « Le pain que moi je donnerai est ma chair que je donnerai pour la vie du monde. »  Le second « je donnerai » ne peut s’entendre que de la chose véritablement et proprement future. Il me faut donc entendre aussi le premier « je donnerai » ainsi. »  Il faut donc expliquer ainsi le premier je donnerai.   Le Seigneur a donc promis sa chair de façon absolue, mais celle qui doit être reçue dans le sacrement, laquelle promesse fut remplie à la dernière cène.
On le confirme, en second lieu, par la distinction que fait le Seigneur entre la maison du Père et sa maison. Car, du Père il parle au présent : « C’est mon père qui vous donne le vrai pain du ciel. » Et de lui, il parle au futur : « Le pain que je donnerai, moi », car le don du Père était déjà là, dans l’incarnation du Fils, et le don du Fils, la chair dans le sacrement était futur.   Le second argument on l’obtient en associant ces mots avec ceux de la cène.  La ressemblance est si grande que l’Écriture semble  crier qu’ici est rendu ce qui avait été promis là.  Ici l’on dit : « Le pain que je vous donnerai est ma chair, que je vous donnerai pour le salut du monde. » Et là nous avons : « Recevez et mangez.  Ceci est mon corps qui est donné pour vous en rémission des péchés. »
Le troisième argument est tiré des paroles qui suivent : « Ils protestaient entre eux en disant : comment cet homme pourrait-il nous donner sa chair à manger ? »  Et, plus bas, des paroles des disciples : « Son sermon est dur à entendre.  Qui peut l’écouter ? »  Ces réflexions des Juifs et des disciples nous font comprendre qu’ils avaient entendu quelque chose de mystérieux et d’inouï exposé par le Christ. Or, le Seigneur ne corrigea pas leurs pensées, mais il renchérit : « À moins que vous ne mangiez la chair du Fils de l’Homme ect. »  Qui croirait qu’une chose si facile, celle de croire dans le Christ, le Seigneur ait voulu, au risque d’offenser ses disciples, l’entourer des métaphores les plus obscures,  alors qu’il pouvait l’exprimer en un seul mot ?
Et on le confirme ainsi.  Quand, dans ses paraboles, le Christ présentait des choses difficiles à comprendre, il avait coutume de les expliquer à part  à ses apôtres.  Comme on le voit pour la parabole des semences et de la zizanie (Matthieu X111) .  Et, en Jean 111, quand il dit qu’il fallait naître de nouveau, il expliqua à un Nicomède qui n’avait rien compris, qu’il fallait renaître de l’eau et du Saint-Esprit.   Et, en Jean X, il expliqua la parabole du pasteur, des brebis etc.   Il fit la même chose en Jean 16 pour : « encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me reverrez. »  Il ne leur expliqua pas autrement qu’en disant à ceux qui ne s’éloignaient pas : « Voulez-vous, vous aussi, vous en aller ? » C’est comme s’il disait ; je n’a rien de plus  à faire.  J’ai proposé le mystère, qui ne relève que de la foi. Celui qui ne veut pas y acquiescer, qu’il s’en aille ! »
Le quatrième argument, on le tire de ces paroles : « À moins que nous ne mangiez la chair du fils de l’homme et ne buviez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle etc. »  Et « Ma chair est une vraie nourriture, et mon sang est un vrai breuvage. »  Car cette distinction si fréquente entre le corps et le sang et la nourriture et le breuvage, indique clairement que le Christ parle de la communication (de son corps et de son sang) sous les espèces du pain et du vin.
 Autrement, que viendrait faire cette distinction si souvent répétée ?  Car, la perception spirituelle du Christ par la foi n’a pas besoin de cette distinction, puisqu’elle se fait d’une seule manière.  Car manger et boire sont une seule et même chose dans l’assomption par la seule foi.  Ajoutons que cette expression : ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage, signifie que recevoir le corps du Christ  est une façon différente de recevoir  le sang du Christ.  Cette différence  périt totalement si on enlève les espèces sacramentelles.
La cinquième est dans ces paroles : « Non comme vos pères ont mangé la manne. »  La comparaison ne se fait donc pas entre la manne et le corps du Christ, en tant qu’il est reçu par la seule foi, mais en tant qu’il est reçu dans le sacrement.  C’est ce que nous montre clairement saint Paul dans 1 Corinthiens 10, où il compare la traversée de la mer rouge avec le baptême, et la manne avec l’eucharistie. Et aussi  parce que le corps du Seigneur, en tant qu’il est reçu par la foi, ne fit pas défaut aux anciens. Bien plus, selon l’opinion de nos adversaires, ils le recevaient dans la manne comme nous le recevons dans l’eucharistie.
La sixième vient du miracle des pains.  Le Seigneur prononça cette catéchèse après le miracle de la multiplication des pains, parce que cette multiplication fut une  figure insigne de l’eucharistie.
La septième est tirée des paroles si souvent répétées, et même avec serment, (amen, amen)  indiquant qu’il fallait manger la chair et boire le sang.  Ces paroles ne peuvent pas s’entendre au sens figuré, mais seulement au sens propre.  Car, il faut toujours s’en ternir au sens propre des mots, à moins qu’on nous prouve clairement qu’il faille faire le contraire.  Car, d’abord, on ne peut pas concevoir que le Seigneur n’ait parlé qu’en trope quand,   non pas une fois seulement, mais souventes fois, il a confirmé par un serment qu’il fallait manger son corps et boire son sang.
 Car, pour ne pas donner d’occasion de se parjurer,  il n’est permis de confirmer par un serment que des phrases certaines et évidentes, auxquelles on ne peut pas donner un autre sens.  Car le mot chair signifie chair au sens propre, et manger signifie proprement cette action corporelle par laquelle la nourriture passe de la bouche à l’estomac.  Cela ne se fait pas quand on croit dans le Christ, mais seulement quand on reçoit l’eucharistie.  Le Seigneur parle donc du sacrement de l’eucharistie.
La huitième vient de la réunion de ce chapitre avec le troisième chapitre du même évangile.  Car, au chapitre 3, pour insinuer le baptême, le Seigneur a dit à Nicodème, et a répété plusieurs fois : « Il vous faut naître de nouveau. »  Et « À moins que quelqu’un ne renaisse de l’eau et du Saint-Esprit. »  Ainsi, dans ce passage, pour insinuer l’autre sacrement, l’eucharistie, il dit et répète plusieurs fois : « À moins que nous ne mangiez la chair du Fils de l’Homme »  et « Celui qui mange ma chair etc. »  Et comme, dans le premier texte, Nicodème était dans l’étonnement, et ne pouvait comprendre comment se ferait cette régénération,  de la même manière, les disciples se demandent comment pourra se faire cette manducation.
On le prouve, ensuite, par le témoignage de l’Église.  Car, le concile d’Alexandrie, qui fut approuvé dans le troisième concile général, applique le « si vous ne mangez » à la réception de ce sacrement.  Fait la même chose le synode 7, (acte 6, à la fin du tome 3). Et le concile de Trente (session 13, chapitre 2) applique à ce sacrement les paroles suivantes : « Celui qui me mange vivra pour moi. »  Et bien que ces conciles n’aient pas composé de décrets sur ce sujet, il apparait quand même assez clairement ce qu’en pensaient tous les évêques des trois premiers conciles généraux, et donc, toute l’église qu’ils représentaient.
 Ajoutons qu’au  jour de la fête du saint sacrement de l’autel, la lecture que présente l’Église est celle du chapitre 6 de saint Jean. Ajoutons, enfin, que le catéchisme romain, qui doit être commun à tous les pasteurs, présente, quand il s’agit du sacrement de l’eucharistie,  des témoignages tirés de ce chapitre.  Ces arguments qui proviennent du témoignage de l’église actuelle, même s’ils sont méprisés par les hérétiques, sont d’une très grande importance pour les catholiques.
On le prouve, en troisième lieu, avec les pères.  D’abord, ceux qui ont fait des commentaires sur l’évangile de saint Jean appliquent tous, sans exception,  ce chapitre 6 au sacrement de l’eucharistie.  Comme, par exemple, saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Cyrille d’Alexandrie,  Theophylactus,  Euthymius, Rupert, saint Thomas, Nicolas Lyranus,  et Denys le Chartreux.
En plus de ces célèbres auteurs qui ont expliqué tout l’évangile de saint Jean, il y en a d’autres qui ont parlé du chapitre 6 en passant,  dans des homélies ou autrement.  Comme Origène, (homélie 7 sur les Nombres),  Athanase, homélie  sur « celui qui parlera contre le Fils de l’Homme », saint Basile (dans la synopsis livre 1, chapitre 3 sur le baptême, et dans les règles des moins, chapitre 21), saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse mystagogique 4), Théophyle d’Alexandrie (livre 2, pascal), Épiphane (hérésie 55), Theodoret (livre 4, chapitre 11, de son histoire), saint Jean Damascène, (livre 4, chapitre 14, sur la foi).
Parmi les latins, saint Cyprien (sermon sur la prière dominicale, et livre un contre les Juifs, chapitre 21, et dans son sermon sur la cène du Seigneur), saint Hilaire (livre 8 sur la Trinité), saint Ambroise (livre 7, chapitre 1 sur les sacrements, et sur ceux qui sont initiés aux mystères, chapitre 8, et livre 4, chapitre 5 sur la foi),   Hesychius (livre 6, chapitre 22 sur le Lévitique), Eusèbe, (homélie 5 sur Pâque),   Et même si Hesychius et Eusèbe sont des grecs, ils écrivirent quand même en latin.  Saint Jérôme (dans son épitre Hidibilia, question 2, et dans Éphésiens, chapitre 1, saint Augustin (sermon 2 sur les paroles de l’apôtre, questions 77 sur le Lévitique, sermon sur le psaume 33,  et sur le consensus des évangélistes, livre 3, chapitre 2, et ailleurs.)  Saint Léon le grand (sermon 6 sur le jeûne 7 mois),  Cassiodore (psaume 109),  Haymo, Sedulius et Primasius (chapitres 10 et 11 aux Corinthiens), saint Grégoire  (livre 7, chapitre 4, morale), saint Isidore (livre 1, chapitre 18 sur les offices divins), saint Bernard (sermon 1 sur la vigile de Noël, et sermon 1 sur Pâque.)
Voici ce que répondent à ces témoignages patristiques Ruardus et Jansenius.  Dans leurs sermons au peuple, les pères ont donné un sens accomodatice au chapitre 6 de l’évangile de saint Jean, en l’appliquant au sacrement de l’eucharistie.  Mais, la plupart des auteurs allégués ont écrit des commentaires, ou des disputes dans lesquels il fallait s’en ternir au sens littéral, et où le sens mystique ou accomodatice n’avait pas sa place.  Et qui ne voit que s’il est permis de parler ainsi de ce chapitre,  pourquoi ne sera-t-il pas permis de dire du chapitre  3 que les pères en ont donné un sens accomodatice en l’appliquant au baptême ?  Ajoutons que les adversaires ne peuvent même pas citer un seul père qui ait soutenu que le chapitre 6 de saint Jean devait s’entendre d’une manducation spirituelle, et non du sacrement de l’eucharistie.
En plus de ces pères, il faut signaler d’autres docteurs postérieurs, de peur qu’on croie que les auteurs les plus récents pensent autrement que les anciens.  L’expliquèrent donc de la même façon ceux qui écrivirent autrefois contre Jean Scot, contre Bérenger, comme Paschasius (chapitre 14 de son livre sur les sacrements),  Adelmannus (dans son épitre à Bérenger), Guitmundus (livre 3), Algerus (livre 1, chapitres 10, 12 et 17).  Il en est de même des scolastiques à la suite du maitre des sentences (livre 4, dist 2).  Il en est de même aussi de Thomas Waldensis contre Wiclef (tome 11, chapitres 92 et 94 sur les sacrements), et Jean Gerson (contre les hussites, dans le livre sur la communion des laïcs).
Enfin, à notre époque, un grand nombre d’auteurs ont écrit contre Luther.  Mais, en plus de tous ceux-là,  il y a un certain Nicolas Sanderus qui a écrit un livre entier sur ce sujet.
On prouve cette vérité, en quatrième lieu, par la réduction à l’absurde.  Il s’ensuivrait d’abord que saint Jean n’a jamais rien écrit sur ce sujet, puisqu’il n’en parle que dans le chapitre 6. Or, il est tour à fait absurde  que le premier évangéliste et le plus attentif à expliquer les mystères  ne nous ait rien laissé par écrit sur ce mystère, surtout parce qu’il a tant écrit sur le baptême.  Voilà pourquoi saint Augustin (dans le livre 3, chapitre 1 sur le consensus évangélique) explique que saint Jean n’a rien écrit sur la cène du Seigneur au moment de son institution, comme avaient fait les autres, car il avait écrit amplement sur elle auparavant.  Ensuite, il s’ensuivrait  que le Christ n’a jamais expliqué le fruit ou l’excellence de ce sacrement, comme il l’a fait si souvent pour le baptême.  Car, dans la dernière cène il ne fit qu’instituer l’eucharistie, sans donner aucune explication.
Et on  le confirme avec saint Jean Chrysostome (dans son commentaire du chapitre 26 de saint Matthieu), en faisant remarquer que si les apôtres n’avaient pas été préparés avant, ils  auraient été certainement déconcertés et décontenancés en entendant : «  Prenez et mangez, ceci est mon corps. » Troisièmement, il s’ensuivrait qu’il ne reste aucun précepte divin portant sur la réception de ce sacrement.  Car, chez les autres évangélistes, on ne lit que l’institution de ce sacrement, et, que à chaque fois qu’il est reçu on le fasse en souvenir de la mort du Seigneur.  Les arguments contraires sont réfutés  au chapitre 7
                                         CHAPITRE 6
On prouve la réalité du corps du Seigneur dans l’eucharistie par le chapitre six de saint Jean.
Après avoir posé un fondement très solide, nous pouvons en tirer un argument aussi solide  pour prouver la vraie présence du Corps du Seigneur dans l’eucharistie. Car, parlant du pain qu’il allait leur donner dans la dernière cène, il dit : « Le pain que je vous donnerai est ma chair pour la vie du monde. »
On pourrait réfuter cet argument de deux façons.  La première.   En disant (ce que disent les hérétiques) que, dans ce texte, le mot pain ne signifie que le  Christ en lui-même, et non en tant qu’il est présent sous les espèces du pain et du vin.  Mais cette réponse a déjà été réfutée par tous les arguments que nous avons proposés dans le chapitre précédent.
La seconde.   Si quelqu’un admettait que le pain signifie l’eucharistie, mais ajouterait que ce pain eucharistique est dit la chair du Christ non au sens propre, mais figuré, que le  trope soit dans la parole, ou dans le nom chair, on le réfutera  plus longuement  quand on expliquera les paroles : ceci est mon corps.   Pour l’instant, on peut le réfuter de plusieurs façons par les paroles de ce passage, et de façon très convaincante.
La première. Par la comparaison avec le pain multiplié miraculeusement et la manne qui a plu dans le désert.   Car le Seigneur affirme  que son pain qu’il promettait de donner, serait plus prodigieux que ces deux pains.  Or, il est certain qu’un simple pain qui ne fait que signifier le corps du Christ n’est pas supérieur à ces deux des miracles, est même de beaucoup inférieur à la manne céleste, qui signifiait elle aussi le Christ, comme nous l’avons déjà vu.  De plus, les Juifs demandaient un signe au Christ, en lui objectant la manne  qui, non sans un grand miracle, avait plu du ciel pour leurs pères.  C’est alors que le Christ leur dit qu’il leur donnerait le vrai pain du ciel.
 Or, il n’y a aucun miracle dans un pain ordinaire qui signifie le Christ; ni, non plus, dans l’appréhension et la manducation du Christ  par la foi.  De plus,  le Christ a promis quelque chose que les pères n’avaient pas;  comme eux ont eu la manne que nous n’avons pas. Or, les pères eurent la chair du Christ en figure, ou de façon figurative.
Deuxièmement.  À cause du doute des Capharnéens, qui, sans doute possible, comprirent quelle était la vraie chair promise par le Christ.  Et aussi à cause de l’indignation des disciples qui avaient compris les paroles du Christ de la même façon que les autres.   Or, le Christ ne se rétracta ni  ne rectifia  leur façon de comprendre ses paroles, mais leur reprocha plutôt leur incrédulité.  Et qui peut imaginer que le Seigneur qui avait une si grand soif du salut des hommes, aurait supporté qu’un si grand nombre de ses disciples le quittent, s’il avait pu en un mot les rappeler en leur disant qu’il avait parlé en figure, et qu’il leur avait proposé une choses extrêmement facile à croire ?
Troisièmement, avec ces mots : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang ». Car, dans l’appréhension du Christ par la foi non seulement il n’y a pas de vraie manducation, mais on ne peut concevoir  aucune distinction entre le manger le boire, comme nous l’avons dit plus haut.  Il promet donc une vraie chair et un vrai sang qui pourront être vraiment mangé ou bu.
Quatrièmement.  Avec ces paroles : « Cela vous scandalise ?  Et si vous voyiez le Fils de l’Homme monter où il était déjà auparavant ? »  Ces paroles, on a coutume de les expliquer de deux façons, et l’une et l’autre confirment notre position.  La première.  Le Seigneur voulait confirmer une chose prodigieuse par une chose plus prodigieuse  encore, ou également prodigieuse.   Car, quand  les Juifs se demandèrent si le Christ pouvait effacer les péchés, il le prouva, cela, en guérissant un paralytique. (Matthieu 1X).  Et il fit souvent la même chose ailleurs, comme en Jean 1, avec Nathanaël, et Jean 111, avec Nicomède.  De cette explication ressort la vérité de notre sentence.  Car, si le Christ n’avait pas promis une vraie chair à donner dans le saint sacrement,  il n’aurait pas eu besoin de prouver par  son ascension  qu’il avait le pouvoir de le faire.
L’autre explication est celle que semble me présenter saint Jean Chrysostome dans son commentaire de ce passage,  et qui est très littérale.  À savoir que le Seigneur reproche l’incrédulité des disciples,  et prédit que, en son absence, ils auront une plus grande occasion de douter qu’en sa présence, s’ils doutent déjà de ce qu’il leur enseigne.  Que je veuille donner ma chair à manger, cela vous scandalise ?  Que ferez-vous donc quand je monterai au ciel, et que mon corps s’éloignera si loin de vous ?  Comment pourrez-vous alors croire que c’est le même corps qui est présent pour vous dans l’eucharistie ?
Cette explication confirme admirablement la vérité catholique.  Car, si le Seigneur avait promis seulement que sont corps serait reçu par la foi, ça n’aurait pas été plus difficile ou plus facile pour eux d’y croire que pour ceux qui ont vu son ascension.  Car la vue de l’ascension fortifiera la foi des apôtres.  Le Seigneur n’aurait donc pas dit : « Qu’en serait-il donc si vous voyiez l’ascension du Fils de l’Homme ? »
                                            CHAPITRE 7
                      On réfute les objections des adversaires.
À notre second argument sur le chapitre 6 de saint Jean, ils n’ont rien d’autre à répondre que ce chapitre ne porte pas sur l’eucharistie.  Solutionnons donc leurs arguments.
Le premier argument est de Luther, et il a été utilisé par Kemnitius et par d’autres.  La cène du Seigneur a été instituée la veille de la passion du Christ.  Or, le discours que rapporte saint Jean a eu lieu au moins un an avant la passion du Christ. Il n’est donc pas question de l’eucharistie dans ce discours.  Kemnitius confirme en disant.  Si les papistes veulent réformer la communion parce que Jésus a dit en Jean , au chapitre 6 : « Celui qui mangera ce pain vivra éternellement », ils devraient dire aussi que, dans la cène, il ne faut employer que de l’eau, parce qu’il est dit en Jean, au chapitre 4 : « Celui qui boit de cette eau, n’aura jamais plus soif. »
Nous ne nions pas que l’eucharistie ait été instituée la veille de sa passion, et non un an avant. Nous disons cependant qu’elle avait été promise par le Christ une année avant, et qu’il avait alors expliqué les nombreux fruits de la cène future.  Et c’est ce que le Christ a fait dans beaucoup d’autres choses.   Car, il a promis à Pierre (en Matthieu 16) de lui donner les clefs du royaume, et il lui a expliqué quelle vertu elles auraient. Or, ces clefs il ne les lui a confiées effectivement qu’après la résurrection (Jean  21).
À la confirmation,  je réponds que les catholiques n’ont pas réformé la communion qui a été transmise de génération en génération, comme le veut le mensonge de Kemnitius.   Car la communion (Matthieu 26) n’est pas difforme au point d’avoir besoin d’une reformation.  Ce que nous disons c’est qu’un texte est très bien expliqué par un autre.  Et parce que Jésus a dit en saint Jean 6 : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement, » nous en déduisons qu’il suffit de recevoir ce sacrement sous une seule espèce, et que pour obtenir le fruit de la communion, les deux espèces ne sont pas nécessaires.
Il y a une très grande différence entre l’eau, dont parle le Seigneur en Jean 4, et le pain dont il parle en Jean 6.  Car, le second texte, tous les interprètes  l’appliquent à l’eucharistie, comme nous l’avons montré plus haut.  Le premier, aucun.  De plus, par l’eau, le Seigneur désignait  la grâce du Saint-Esprit.   Jean 7 : « Il a dit cela au sujet du Saint-Esprit  qu’allaient recevoir ceux qui croyaient en lui. »  Au sujet du pain, le Seigneur lui-même a dit qu’il était sa chair : « Le pain que je vous donnerai est ma chair. »
Le second argument est du même Luther.   Dans le sixième chapitre, le Seigneur a parlé de la manducation d’un pain céleste qui donne la vie.  Mais la manducation spirituelle par la foi est la seule à donner la vie.  Ce n’est donc que d’elle qu’il  est question ici.  Je réponds que cette affirmation est fausse, car la manducation sacramentelle donne aussi la vie.  Comme ce n’est pas la seule ablution interne qui, dans le baptême, purifie les âmes, mais aussi l’ablution externe, la première formellement, la seconde instrumentalement.  Et comme il est écrit (Actes 15) : « pacifiant par la foi leurs cœurs »,  il est écrit aussi : (Éphésiens V)  «  la purifiant par le lavement de l’eau dans la parole de vie ».  Il importe peu que la manducation sacramentelle ne porte pas de fruit sans la foi, car cela vient de l’indisposition du récipiendaire, non du sacrement lui-même, qui, de lui-même, est toujours efficace.
Le troisième argument est du même Luther, ainsi que du Martyr (dans sa défense contre Gardinerus par 1 à l’objection 13, page 94).  Le Seigneur, en Jean 6, ne dit pas seulement que la manducation de ce pain donne la vie, mais il dit aussi que sans  cette manducation, personne ne peut vivre : « à moins que vous ne mangiez etc ».  Or, ce précepte strict ne peut s’entendre de la manducation sacramentelle, car, autrement, périraient tous les enfants qui ne peuvent pas manger, mais seulement sucer du lait.  Périraient aussi tous ceux qui, bien que baptisés et justifiés, seraient, pour une juste cause,  empêchés de communier.
Je réponds que, quelle que soit la façon dont on entende ce passage, la difficulté est la même.  Car, si, comme le veulent nos adversaires, il faut l’entendre de la seule manducation spirituelle par la foi, comment les enfants mangeront-ils,  eux qui n’ont ni l’usage de leur raison, ni la foi actuelle ?  Je dirais même plus.  Il serait plus facile de faire avaler aux enfants une parcelle d’hostie ou une goutte de vin,  que de les amener à croire.  Je dis donc que ce passage ne se rapporte qu’aux seuls adultes qui sont tenus de recevoir de temps en temps ce sacrement réellement s’il le peuvent, ou, au moins par le désir.
Qu’il en soit bien ainsi, on le prouve par la considération suivante.   Ce sacrement n’a pas été institué pour donner la vie à ceux qui ne la possèdent pas, comme le baptême.  Mais à ceux qui l’ont déjà, pour qu’ils la conservent.  Et voilà ce que signifie : vous n’aurez pas la vie en vous.  C’est-à-dire, vous ne pourrez pas la retenir, mais vous la perdrez, comme il est dit en Jean 1 : « tout homicide n’a pas la vie qui demeure en lui. »  Le sens n’est donc pas : il n’acquiert pas la vie, mais il ne la retient pas, il la perd, il meurt.  Voilà pourquoi on ne l’appelle pas régénération,  mais manducation.  Or, cette conservation n’est nécessaire que pour ceux dont la vie déjà acquise peut diminuer ou se perdre complètement.  Ce qui n’est évidemment  pas le cas des enfants.
Voilà pourquoi le Seigneur n’a pas dit : si quelqu’un ne mange pas, comme il avait dit du baptême,( si quelqu’un croit pas et n’est pas baptisé,) mais à moins que vous ne mangiez, parlant à ceux qui l’écoutaient, et à  d’autres qui leur ressemblaient, qui étaient capables d’observer ce précepte.  Et, de plus, quand il parle de la manducation du pain,  c’est-à-dire quand il donne le nom de pain à sa chair, il indique assez clairement qu’il ne parle pas des enfants qui ne peuvent pas encore manger du pain.
  Enfin ces paroles (à moins que nous mangiez…) sonnent comme un précepte ou un moyen nécessaire au salut.  Si c’est un précepte, il ne concerne pas les enfants,  puisqu’ils n’en sont pas capables,  ou ils en sont dispensés puisqu’ils ne peuvent pas l’observer.   Ce qui est commun à tous les préceptes.   S’il est un moyen nécessaire au salut, il n’est nécessaire que pour ceux qui peuvent perdre la vie divine, ce que ne peuvent pas faire ceux qui n’ont pas encore l’usage de leur raison.
Le quatrième argument est du même Luther.   Saint Augustin (livre 2, contre Julien) enseigne que les enfants mangent la chair du Christ,  en communiant par la foi.  On doit donc entendre le chapitre 6 comme parlant de la manducation par la foi.  On peut ajouter à ce texte d’autres citations des pères qui sont, d’ailleurs présentées par  le martyr et d’autres.  Car, le même saint Augustin (traité 25 sur saint Jean, chapitre 6) explique spirituellement ce texte au point de dire : « Crois, et tu as mangé ! »  Et, au traité 26 : « Croire en lui, c’est-à-dire manger le pain de vie. »  Dans son livre 3 sur la doctrine chrétienne (chapitre 16), il dit ces paroles : « À moins que vous ne mangiez la chair du Fils de l’Homme, »  ne signifie rien d’autre  qu’il nous faut communier à la passion du Seigneur,  et méditer suavement sur cette chair du Christ qui a été crucifiée pour nous. »
De plus, Clément d’Alexandrie (livre 1, chapitre 6, pédagogue) voit dans la chair et le sang du Christ dont parle le chapitre 6, « la parole de Dieu qui nous alimente et nous enivre spirituellement ».   De même saint Basile (épitre 141) entend par la chair et le sang du Christ la doctrine du Christ et son avènement mystique.  Saint Jérôme aussi (dans le psaume 147) interprète les Écritures comme signifiant  la chair et le sang.  Enfin, saint Bernard (verset 3 du psaume 90) dit que manger la chair du Christ  c’est communier à la passion du Seigneur,  et imiter sa vie.
Je réponds que le texte de saint Augustin présenté par Luther se trouve dans livre 1 contre Lulien, et non dans le livre 2, comme il le dit.  Il faut d’abord se rappeler que saint Augustin  a souvent affirmé que les enfants devaient manger la chair du Christ s’ils voulaient être sauvés.  Du reste, il ne voulait pas dire que cela devait nécessairement se faire réellement.  Car, le même saint Augustin, au même endroit,( et dans son livre 3, chapitre 4 sur le pécheur les mérites et la rémunération, et dans son sermons sur les enfants que cite Bède dans son commentaire de 1 Cor. X)  écrit que les enfants communient au corps du Christ dans le baptême, et, par le baptême, accomplissent le précepte de la réception de l’eucharistie.
Il faut noter, en second lieu, que les enfants  ne sont  tenus ni à la communion  réelle, ni  à celle de désir explicite,  puisqu’ils n’en sont pas capables, mais seulement d’un désir implicite, qu’on les enfants pendant qu’ils sont baptisés.   Car, alors, les enfants reçoivent le droit de recevoir l’eucharistie.  Et comme celui qui nait désire naturellement la nourriture,  les enfants, par le fait même qu’ils sont renés dans le Christ, désirent la nourriture des renés, qui devra être reçue en son  temps et en son lieu.  Voilà pourquoi les enfants ne communient pas spirituellement, ni sacramentellement dans la espèces réelles, mais sacramentalement dans un vœu implicite.  Il s’ensuit donc qu’être baptisés et communier ne sont pas la même chose,  puisque l’un vient après l’autre.
Et bien que dans les passages cités, saint Augustin dise que les enfants mangent la chair du Seigneur dans le baptême, il distingue cependant ailleurs être baptisé et manger la chair du Christ.   Sermon 11 sur les paroles du Seigneur : « Autre chose est naître de l’Esprit, autre chose est être nourri par l’Esprit.  Comme autre chose est naître de la chair, ce qui se fait quand la mère enfante, autre chose être nourri de pain, ce qu’elle fait quand elle allaite un enfant.   Et (au livre 1 sur les le pécheur, les mérites et la rémission, chapitre 20), il démontre clairement que ce précepte (à moins que vous ne mangiez)  est, même chez les enfants, distinct de celui du baptême.
À l’argument, nous répondrons  que saint  Augustin voit dans le chapitre 6, une manducation sacramentelle, mais qu’il attribue aux enfants cette manducation sacramentelle non dans la réalité de la chose, mais dans un vœu implicite qu’ils ont dans le baptême, comme nous l’avons déjà dit.  Aux deux autres passages de saint Augustin, (traités 25 et 26 sur saint Jean)  « Pourquoi prépares-tu le vent et le ventre ? Crois, et tu auras mangé. »  Et cet autre : croire en lui c’est manger sa chair, je réponds que ces choses ont été dites par saint Augustin non du sacrement, mais de la foi dans l’incarnation, car il n’était pas encore arrivé au passage de l’évangile où il est question du sacrement.  Et cet autre : « celui qui mange avec le cœur, non celui qui croque avec les dents », saint Augustin l’a dit quand il parlait du sacrement non pour exclure la pratique du sacrement,   mais pour faire comprendre que la fin de ce sacrement est de nourrir l’âme, non le corps, même s’il est pris avec l’instrument du corps.
Est vraiment revigoré  par ce sacrement celui qui le mange avec son cœur, non celui qui le croque avec ses dents seulement.  Car, il n’exclut pas l’usage corporel quand il dit, au même endroit, que Judas a mangé seulement avec son corps.  Il met seulement la manducation spirituelle avant la manducation corporelle. Car la corporelle sans la spirituelle n’est d’aucun profit, mais peut même être nuisible.  Osée V1 a un texte semblable : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice. »  Car, le Seigneur ne réprouvait pas les sacrifices;  mais  s’ils sont sans miséricorde, il n’en veut pas.
Aux autres textes des pères, je réponds qu’ils n’ont pas donné une explication  littéraire du chapitre 6 de saint Jean, mais mystique.  Mais, ils n’ont jamais nié, à aucun endroit, qu’il fallait entendre ces mots de la manducation sacramentelle.   Et au sujet de saint Basile, de saint Jérôme et de sain Bernard, nous avons cité plus haut de leurs textes qui vont dans notre sens.   En effet, le sens littéral et le sens mystique ne militent pas l’un contre l’autre.  Au dernier texte de saint Augustin (livre 3 de la doctrine chrétienne), nous répondons que la figure contenue dans ces paroles se rapporte à celui qui reçoit la chair du Christ,  non à la substance de la chose elle-même.
Car, il ne veut pas dire que c’est en figure que la chair du Christ allait être mangée, c’est-à-dire un pain qui signifie une chair,  ni qu’une vraie chair sera mangée au figuré, si nous regardons l’essence de la manducation,  qui requiert seulement qu’une vraie nourriture passe de la bouche à l’estomac.  Ce qu’il veut dire c’est qu’on mange figurativement selon le mode, car le mode ordinaire et propre de manger de la chair est de la couper en morceaux  et de l’avaler bouchée par bouchée, après l’avoir fait cuire.
La chair du Christ, elle, est reçue intégralement et invisiblement, et sans avoir été réduite en morceaux, car, ce n’est pas proprement, mais figurativement que la chair du Christ est tuée, et est triturée dans cette manducation. Car, nous représentons la passion du Christ.   Que ce soit vraiment ce que saint Augustin  a voulu dire, on peut le voir par deux choses.  La première.  Parce qu’il dit qu’il faut expliquer cela en figure pour ne pas sembler prescrire un crime ou une chose scandaleuse.  Ce serait, en effet, un crime de tuer la chair du Christ et de la couper en morceaux.  Ce n’en est pas un de recevoir d’une façon spirituelle la véritable chair du Christ dans le sacrement, sans aucune lésion.
Deuxièmement.  Parce que lui-même explique ce qu’est le sens littéral, qui semble comporter un crime, c’est-à-dire  celui que perçurent les gens de Capharnaüm qui pensaient que la chair du Christ devait être coupée en morceaux, comme on le voit dans les abattoirs, et être distribuée ainsi à chacun.  Voir le traité 27 sur saint Jean, et sur le psaume 98.  Quand donc saint Augustin dit que, par ce précepte (si vous ne mangez pas la chair du fils de l’homme) on nous demande de communier à la passion du Sauveur, de nous souvenir de lui et de méditer sur lui, il veut dire la même chose que l’apôtre (dans 1 Corinthiens 11) quand il proclame qu’il faut prendre la chair du Christ dans le sacrement en souvenir de la passion et de la mort du Seigneur.
Le cinquième argument est celui de Zwingli, dans son livre de la vraie et fausse religion. « L’aliment dont nous nous nourrissons dans le chapitre 6 de saint Jean, est la foi, car quand le Seigneur a dit : « Ne travaillez pas pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure », les Juifs ont dit : « Que ferons-nous pour opérer les œuvres de Dieu ? »  Et le Seigneur répondit : « L’œuvre de Dieu est de croire en celui qu’il a envoyé. »  Je réponds que, dans ce chapitre, on traite de beaucoup de choses.  Car, il est fait mention d’un triple pain, et l’on passe de l’un à l’autre selon que le requiert le sujet.  On parle d’abord du pain matériel que le Seigneur a multiplié.  Et pace que les Juifs ne recherchaient que ce pain, le Seigneur leur conseilla de travailler pour un autre pain, c’est-à-dire qu’ils s’appliquent à préparer et avoir.
 Puis, il déclare que c’est lui ce second pain,  qui est descendu du ciel par l’incarnation.  Et c’est de ce pain qu’il dit : « Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. » Et :  «Mon père vous donne le vrai pain du ciel. »  Or, ce pain c’est le Christ incarné que nous devons appréhender par la foi.   Et c’est ce que le Seigneur a dit : « Voici quelle est l’œuvre de Dieu : que vous croyez en celui qu’il a envoyé. »  Là, la nourriture qu’il faut préparer n’est pas la foi, comme Zwingli le dit, mais le Christ lui-même. La foi étant l’opération par laquelle on acquiert le pain. C’est à partir de là que le Seigneur fit la transition au pain eucharistique quand il a dit : « Le pain que je vous donnerai c’est ma chair. »
Le sixième argument est du même Zwingi, et est tiré des paroles du Seigneur : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. »  Or, cela ne peut être vrai que de la manducation spirituelle.  Car, beaucoup, en mangeant sacramentellement, non seulement ne vivent pas, mais meurent en le mangeant : « Ceux qui le mangent indignement mangent et boivent leur propre condamnation. »
Je réponds qu’il faut entendre les paroles du Seigneur conditionnellement, c’est-à-dire s’il est mangé dignement.  En tant qu’il ne dépend que de lui, ce pain vivifie toujours, et c‘est ce que signifient les paroles du Seigneur.  Mais son effet peut être contrecarré par l’indisposition de celui qui le reçoit. Cela est commun à d’autres promesses semblables, et à presqu’à toutes.   Luc X1 : « Quiconque demande reçoit », et pourtant, beaucoup ne reçoivent rien parce que (comme l’explique saint Jacques, au chapitre 4) ils ne demandent pas comme il faut.  Joël 11 : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. »  Et, cependant, il est dit dans les proverbes : « Ils m’invoqueront alors, et je ne les exaucerai pas, parce  qu’ils ont eu des mœurs odieuses.  Marc, ultime : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. »  Et, Actes V111 le magicien Simon a péri, après avoir reçu la foi et le baptême.  1 Corinthiens X : « Nous sommes à plusieurs un seul  pain et un seul corps, nous qui participons d’un même pain. »  Il parle de la façon dont tous voyaient le sacrement.  Et il y en a beaucoup qui participent d’un seul pain et qui ne forment pas un seul pain avec nous, et un seul corps, comme tous les hérétiques et les schismatiques, qui célèbrent intégralement le rite de ce sacrement.
Le septième argument est celui de Pierre le martyr (dans sa défense contre Gardinerus par 1, objection 13 ).    Si ces mots (le pain que je vous donnerai) appartiennent aux symboles de la cène du Seigneur, pourquoi les papistes ravalent-ils le pain ?  Car les accidents seuls ne peuvent pas être appelés pain.  Je réponds que le mot pain dans ce passage (le pain que je vous donnerai) ne signifie pas le pain de froment, ni même le corps du Christ au sens absolu du terme, et sans relation  avec les symboles, comme l’estime le martyr, mais il signifie toute nourriture.  C’est une chose fort commune chez les Hébreux, de donner à toute nourriture le nom de pain.  Et dans ce chapitre de Jean, la manne est appelée pain.  Et dans le psaume 77, on lit : « Il leur a donné le pain du ciel,  l’homme a mangé le pain des anges. »  Le sens est donc :  la nourriture que je vous donnerai, est ma chair elle-même qui doit être crucifiée et tuée pour le salut du genre humain.
Le huitième argument est celui du martyr (objection 32).  Le Seigneur, en Jean 6, ne fait aucune mention d’un pain matériel, d’un calice, d’action de grâces, de fraction du pain, de distribution, de testament, de mémoire et d’annonciation de la mort du Christ.  Il ne parle donc pas du sacrement de la cène qui ne peut pas exister sans ces symboles.
Tout ce que cette objection prouve c’est que le sacrement de l’eucharistie n’a pas été institué alors.  Mais il ne prouve pas qu’il n’ait pas été promis alors.  Car, pour la promesse, il suffisait que le Seigneur exprime l’essentiel, c’est-à-dire son corps et son sang. Ajoutons qu’il a  même insinué les symboles futurs quand il a distingué si souvent la chair de son sang, et qu’il les a appelés nourriture et breuvage, pou nous indiquer que c’était sous les espèces du pain et du vin que nous devions les consommer.
Le neuvième argument vient de certains catholiques.  Le Seigneur a dit en saint Jean : « Je suis le pain de vie.  Celui qui vient à moi n’aura plus faim.  Et celui qui croit en moi n’aura éternellement plus soif. »  Donc, le pain dont il s’agit dans ce chapitre 6 de saint Jean est mangé et bu en croyant. Car le Seigneur affirme que croire c’est boire.  Et, sans aucun doute, venir au Christ et croire dans le Christ c’est la même chose.  Car, c’est de la foi qu’il parle au même endroit : « Personne ne peut venir à moi si mon Père ne l’attire. »  Donc le « celui qui vient à moi n’aura plus faim » signifie celui qui vient à moi par la foi, c’est-à-dire qui me mange par la foi, n’aura plus faim.
Les mots cités n’appartiennent pas en propre au sacrement de l’eucharistie, mais à la foi dans l’incarnation.  C’est ce qui vient après qui se rapporte  à ce sacrement.
Le dixième argument, et presque le seul qui parvient à persuader certains chrétiens que l’Église a beaucoup de difficultés à justifier la communion sous une seule espèce, si on entend les mots suivants à la lettre : « À moins que vous ne mangiez la chair du Fils de l’Homme et ne buviez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. »
Je réponds d’abord que, à cause de la difficulté de la chose, il ne faut pas laisser tomber une vérité connue.  Je dis, ensuite, qu’on peut dénouer ce nœud si nous disons (ce qui est la solution commune)  que la vertu du précepte ne consiste pas dans la façon de recevoir, mais dans la chose elle-même qui est reçue.  Les paroles du précepte me demandent de prendre la chair sous l’espèce du pain, par manière de nourriture,  et le sang sous l’espèce du vin, par manière de breuvage.  Cependant, la pensée du législateur, par laquelle la loi doit être expliquée, n’obligeait qu’à recevoir les choses elles-mêmes, c’est-à-dire, la vraie chair et le vrai sang.  Or, ces choses sont reçues intégralement autant sous une seule espèce que sur deux espèces.
On prouve que telle est la pensée du législateur en disant que les fruits de la réception proviennent des choses perçues,  non de la manière de les recevoir. Exemples.  Un médicament n’est pas efficace parce qu’il est ingéré en tant que nourriture ou breuvage, mais parce qu’il possède la capacité de guérir.  On peut le prouver aussi en rappelant les paroles du Christ au même endroit : « Celui qui me mange vivra pour moi. »  Nous voyons là que manger la chair ou boire le sang c’est la même chose  que manger le Christ intégralement.
                                     CHAPITRE 8
On présente des explications différentes des paroles du Seigneur : ceci est mon corps.
Vient ensuite le troisième argument qui porte sur les paroles mêmes de l’institution que l’on trouve dans Matthieu 26, Marc 14, Luc 22, et 1 Cornéliens 11.  Nous dirons trois choses sur cette institution qui est le fondement principal de toute la controverse, et donc de tout ce sublime mystère. La première. Nous rapporterons  les interprétations principales de ces paroles : ceci est mon corps.    La deuxième.  Nous confirmerons celle qui est la vraie, et nous réfuterons les fausses.  La troisième.  Nous répondrons aux arguments de nos adversaires.
Quant aux interprétations de nos adversaires, elles sont si nombreuses qu’il est pratiquement impossible de les énumérer toutes. Luther (dans son livre intitulé  « les paroles de la cène ont encore toute leur force », dit que, de sont temps, il y avait au moins dix opinions ou sectes des sacramentaires.  Récemment, en 1577, est paru un livre dans lequel on énumère deux cent interprétations ou déformations par les hérétiques de ces quelques mots : ceci est mon corps.  Cependant, les principales sont au nombre de dix, donc quatre se fondent sur le démonstratif  « ceci », deux sur le verbe « est », et trois sur le nom « corps », et un sur l’adjectif « mon ».
La première est celle d’André Carolstad qui a fait un adverbe d’un pronom, c’est-à-dire qui a fait de « ceci » un « ici » ou « là ».   Et, au lieu de traduire par : ceci est mon corps, il dit : là est mon corps.   Et pour que nous n’ayons aucun doute ,  il dit, dans son livre publié à Bâle en 1524,  avoir appris cette interprétation d’une révélation du père céleste.  Voilà pourquoi Luther a intitulé son livre contre Carostald : contre les prophètess scelestes  (criminels) au lieu de celestes (célestes).
La deuxième est de Bucer, dans ses rétractations.  On l’attribue aussi à Jean a Lasco.  Ils ont dit que  le « ceci » signifie toute l’action du repas.  Et le sens serait : cette action représente le corps du Christ, ou, dans cette action est exhibé le corps du Christ.
La troisième est celle de Jean Lang.  Dans son annotation  à la deuxième apologie de saint Justin, il voit le pain dans ceci », et, c’est pourquoi il explique le mot pain métaphoriquement.  Ceci est mon corps signifierait donc mon corps est cela, du pain, qui nourrit et fortifie  les âmes, comme le pain.
La quatrième est la plus commune chez les hérétiques.  Par ceci, ils entendent ce pain.
La cinquième est celle de Zwingli qui, dans le livre de la vraie et fausse religion, écrit, au chapitre de l’eucharistie, qu’il faut entendre ces mots au sens figuré, mais que le trope n’est pas dans le mot ceci, mais dans le verbe être, qui est pris pour signifier.  Pour inspirer la confiance,  Carolstad avait invoqué une révélation du père céleste. Wingli fait la même chose.  Il dit que ce sens lui a été communiqué par un esprit dans une apparition pacifiante.  Car, dans le livre qu’il a édité en l’an 25,  et qu’il a intitulé : un renfort sur l’eucharistie, il rapporte qu’il a disputé deux fois dans le sénat de Tigurinus contre la messe et l’eucharistie, sans avoir pu persuader personne que « est » était employé au sens de « signifie », car un certain scribe lui faisait une forte opposition. Mais, la nuit, pendant son sommeil, s’est approché de lui un inconnu qui l’invita à lire la bible à  Exode 12 : « Car c’est la pâque, c’est-dire le passage du Seigneur. » Dans cette phrase, le mot « est »  est employé pour signifier. Et le jour suivant, il prêcha sur ce texte au peuple, et il obtint ce qu’il voulait.  Bernardin Ochinus a fait sienne cette interprétation, et beaucoup d’autres.
La sixième est celle de Pierre Boquinus qui, dans l’examen du livre de Heshusius, (non loin du début) soutient  qu’on a raison de dire  que le pain est le corps du Christ, en raison de la communication des idiomes, comme on a raison de dire : cet homme est Dieu.  Dans cette interprétation des mots, « est » doit être pris pour « signifie », de la façon suivante.   Ceci est mon corps, c’est-à-dire on dit que ce pain est mon  corps, à  cause de la communication des idiomes.
Il  ajoute qu’il  y a trois unions desquelles résulte une communication des idiomes.  Une naturelle, qui est celle de l’âme et du corps.  Une hypostatique, qui est celle de Dieu et de l’homme dans le Christ.  Une troisième, qui est sacramentelle, qui est celle du pain et du corps du Christ dans le sacrement.
 Explication semblable à celle de Luther (dans son livre sur la captivité de Babylone, chapitre 1) où il dit qu’il est vrai que ce pain est le corps du Christ, comme il est vrai que cet homme est Dieu. Mais la différence qu’il y a entre Luther et Boquin,  est que Luther enseigne une union vraie et réelle du pain avec le corps du Christ, de laquelle il veut que procède  cette communication des idiomes.  Tandis que Boquinus, qui est un sacramentaire, n’admet qu’une union sacramentelle,  qui unit des choses distances l’une de l’autre, le pain qui est sur la terre, et le corps du Christ, qui est dans le ciel.
La septième est celle de Jean Oecolampadius, qui ne reconnait pas de trope dans le pronom démonstratif ceci, ni non plus dans le verbe être, mais dans le nom corps.   Car il veut que le pain soit dit corps par la figure de  métonymie, par laquelle le nom de la chose signifiée est attribué au sige.  Le sens de ceci est : ce pain est la figure de mon corps.  C’est ce qu’il explique dans son livre sur l’interprétation naturelle de ces paroles.
La huitième est celle de Jean Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 21)  qui admet, comme Oecolampadius, qu’il y a dans le mot corps un trope de métonymie.  Mais, il ajoute que le pain de l’eucharistie n’est pas une figure nue du corps du Christ,  mais qu’il est une figure qui exhibe la chose elle-même.  Et c’est pourquoi le Christ n’a pas dit :   ceci est la figure de mon corps, mais est mon corps.  Dans son livre  sur l’une et l’autre nature du Christ, il répète donc ce qu’avait dit Pierre martyr, là où par corps, il entend le sacrement du corps. Car, lui-même (dans sa défense contre Gardinerus, à la fin de la troisième partie,) écrit que le Christ n’a pas voulu dire : ce pain est la figure, ou le signe, ou le sacrement du corps, pour exprimer que ce signe était efficace, et avec lequel la chose elle-même serait exhibée.
La neuvième est celle de certains calvinistes, que citent Corneille Jansénius,  sans donner de nom (dans son commentaire, chapitre 39, concorde sur ces mots : à moins que vous ne mangiez).  Ils enseignent  que le mot corps est pris au sens de corps mystique, c’est-à-dire de l’Église. Et que le sens est :  Recevez et mangez, ceci est mon corps, c’est-à-dire parce que vous êtes, vous les disciples, le corps du Christ.
La dixième porte sur « mon », que Luther avait cogitée par jeu, en l’an 27, dans son livre « les paroles du Seigneur demeurent solidement. »  Pour se moquer des sacramentaires, il a dit que, pour leur faire plaisir,  pourrait leur donner une explication encore plus belle  de ceci est mon corps.   Ceci est le corps fait et créé par moi.   Ce que Luther avait proféré par jeu, Jean Campanus le prit au sérieux et même le défendit, comme l’atteste Luther dans sa brève confession de l’année 44.
C’est  contre  toutes ces explications que combat  la doctrine de l’Église catholique qui enseigne qu’il faut entendre ces mots le plus simplement et le plus naturellement du monde, et que, dans ces espèces, est contenu vraiment et proprement le corps vrai et naturel  du Christ.
                                      CHHAPITRE 9
Les mots « ceci est mon corps » doivent être entendus au sens propre et non au sens figuré.
Nous allons maintenant prouver la vraie sentence.  Nous allons d’abord démontrer qu’il n’est pas probable que le Seigneur ait voulu parler au figuré.  Nous expliquerons ensuite tous les mots de l’institution, et nous réfuterons, en même temps, les hérésies de nos adversaires.
Qu’il ne soit pas probable que le Seigneur ait voulu parler au figuré, nous le prouvons par des arguments tirés de la matière dont il s’agit. Ensuite, par les personnes auxquelles le Christ parlait, par le lieu et le temps où  il parlait. Troisièmement, par le témoignage unanime des pères.  Quatrièmement, par les règles d’interprétation des Écritures.
Le premier argument on le tire de la matière.  La matière dont il est question ici c’est un pacte, un sacrement, un testament, une loi et un dogme.  Toutes choses qui requièrent des mots pris au sans propre, et non au sens figuré.  C’est avec des mots pris au sens propre que Dieu a coutume d’instituer des sacrements.  S’en rendra facilement compte quiconque prendra la peine de lire l’institution de tous les sacrements de l’ancienne et de la nouvelle loi.  Il est tout à fait certain que dans la Genèse 17 où est instituée la circoncision,  dans Exode 12,  où est institué l’agneau pascal,  et dans tout le Lévitique où tant de sacrifices et d’expiations sont instituées, jamais ne se présente une parole prise au sens figuré.  Ainsi en est-il en Matthieu (dernier chapitre), en Marc (dernier chapitre) et en Jean 111,  où il s’agit de l’institution du baptême, ou plutôt de la promulgation et du précepte,  toutes ces choses sont expliquées par des mots pris au sens propre.
 Il importe peu que le Seigneur (en Jean 3) ait utilisé le mot renaissance,  qui semble bien être métaphorique. Car, ce mot métaphorique est tout de suite après expliqué par « de l’eau et du Saint-Esprit. »  Et de plus ce mot n’appartient pas à l’essence du sacrement, mais à la signification de l’effet.  Qui donc peut croire que, en instituant le sacrement principal de notre religion, le Christ ait voulu parler en figures et avec ambiguïté, de façon à ce que même les docteurs de la loi divine n’arrivent pas à convenir entre eux de ce qu’est ce sacrement : du pain ou le corps du Seigneur ?
Ensuite, le nouveau testament a été institué en même temps, comme le montre ces paroles : « Ceci est mon sang du nouveau testament. » (Matth 26, ou bien, comme l’a Luc 17 :  « Ceci est le calice, nouveau testament dans mon sang. »  Car on n’a rien coutume d’expliquer avec autant de clarté et de précision qu’un testament, pour que la volonté du testateur ne soit pas une occasion de litige.  C’est ce que nous voyons dans Exode 24.   Quand le testament ancien a été institué, tout a été expliqué en des mots clairs, naturels et propres.  Saint Paul se réfère à cette institution (à Hébreux 1X) quand il dit :  « Après avoir lu à tout le peuple toutes les prescriptions de la loi, Moïse  prit du sang de veaux et de boucs, de l’eau et de l’hysope, et  il en aspergea le livre et le peuple en disant : « Voici le sang du testament que vous a envoyé Dieu. »
Et c’est ce que nous voyons qui se passe dans les testaments des humains.  Car, dans la Genèse 49 Jacob, en prophétisant, usa de plusieurs figures. Mais, quand il en vint au testament, il parla en termes clairs : « Je veux être réuni à mon peuple.  Ensevelissez-moi avec mes pères, dans  le champ de l’ Hethaeus Ephron, contre Mambré, dans la terre de Canaan, qu’Abraham a achetée.  Il en est de même du roi David (111 Rois 1) et de Tobie, (chapitre 4), et de Mattathias (livre 1, chapitre 11 Macchabées). Ils ont composé leurs testaments dans les termes les plus simples.  Pourquoi donc le Christ, n’aurait-il pas composé avec des paroles simples, claires et naturelles, un testament d’une telle importance,  qui traitait de la vie éternelle ? Serait-ce parce qu’il admettait que l’ancien testament, qui était une figure et une ombre, devait être  écrit dans des mots clairs et propres, et que le nouveau testament devait être  obscurci par des figures et des types ?
On le confirme par la coutume humaine, dont l’apôtre lui-même a tiré un argument, aux Galates 3, où il dit que le testament d’un homme doit être ratifié, au point où nul n’ose ajouter ou enlever quelque chose.  Et que les testaments humains doivent être interprétés selon le sens naturel des mots,  et non autrement, les lois humaines l’enseignent.  Et si, par un testament, on laisse à quelqu’une une maison, ou un champ, et si quelqu’un veut contester que la maison n’a pas été donnée, mais décrite, et que je donne une maison veut dire, je donne le signe d’une maison,  il n’obtiendrait gain de cause auprès d’aucun juge.  Les adversaires peuvent avoir encore moins gain de cause eux qui, contre la coutume de tous les testaments, osent, avec des métonymies,  fausser le sens obvie d’un texte.
De plus, les testaments, les traités  ou les pactes font partie de ce genre de choses qui sont expliquées en des termes exacts et précis.  Or, le testament du Christ fut, en même temps, un testament et un pacte, car c’est un testament conditionnel.  C’est ce que nous montre l’ancien testament, auquel répond le nouveau, comme la figure à la chose figurée.  Voilà pourquoi Moïse lui donne le nom de pacte (Exode 24),  et saint Paul le nom de testament (Hébreux 1X). En effet, il était  en même temps l’un et l’autre, car il contenait une donation héréditaire, mais à la condition qu’on persévère dans la religion d’un seul et vrai Dieu.
Vient après une loi ou un précepte.  Qu’il y ait dans cette institution un précepte divin, personne ne le nie, comme ces mots nous le montrent : « Recevez, mangez, faites cela. »  Car, même si, comme je l’ai déjà dit, ces mots ne contiennent pas un précepte qui obligent tous les   baptisés à recevoir l’eucharistie, ils contenaient certes pour les apôtres un précepte qui les obligeait à le recevoir, et aussi un précepte sur la façon de le recevoir.  Comme nous l’avons déjà dit, les mots des lois doivent être clairs et précis,  pour ne prêter flanc à la prévarication.  Voilà pourquoi les préceptes, non seulement ceux du décalogue, mais aussi les autres par lesquels certains rites sont institués, sont, dans l’ancienne loi, expliqués clairement.
Quelqu’un dira : les verbes par lesquels la loi est formulée sont pris au sens propre : « prenez, manges, faites. »  Je réponds que cela ne suffit pas.  Il faut que soit exprimé clairement et proprement ce qu’est le sacrement, ce que l’on reçoit, ce que l’on mange, ce que l’on fait.  Car on a reçoit bien autrement un pain normal et le corps du Christ.
Dans les divines lettres, les dogmes principaux ne sont présentés que dans termes pris au sens propre. Les tropes ont leur raison d’être dans les prophéties, pour obscurcir la chose, dans les louanges, pour embellir la chose, dans les exhortations, pour amplifier les choses,  mais non dans les dogmes qui doivent être crus et observés avec précision.  Qu’un des principaux préceptes de la religion chrétienne soit contenu dans : ceci est mon corps, personne ne l’a nié jusqu’ici.
À cet argument, Pierre le martyr répond (à la fin de la troisième partie de sa défense contre Gardinerus)  que, dans l’Écriture,  ne font pas défaut  les sacrements, les dogmes et les préceptes expliqués par des tropes.  Et il donne comme exemple de ces préceptes Matthieu 7 : « Gardez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous en vêtements d’agneaux. »  Et en Matthieu  XXV1 : « Gardez-vous du ferment des pharisiens! »  Et Éphésiens 1V : « Ne contristez pas l’Esprit Saint. »  Et Matthieu V1 : « Ne pensez pas au lendemain.  À chaque jour suffit sa peine. Et demain prendra soin de lui. »  Et il présente comme exemple de dogmes : « Notre Dieu est un feu consumant. »  Et : « Tous tant que nous sommes, nous ne somme qu’un seul pain. »  Et les autres passages où le Christ dit qu’il  est une pierre, un lion, une vigne etc.  Et comme exemple de sacrements, il cite : « Le rocher était le Christ,  l’agneau était la pâque, la circoncision est l’alliance, et enfin, le calice est l’ancien testament.
Je réponds que nos adversaires n’ont pas parlé de notre argument tiré  des mots testament et pacte.  Et, en ce qui a trait aux préceptes,  il faut distinguer les préceptes proprement dits des exhortations, même si, parfois certains préceptes  semblent y être contenus.   C’est des préceptes proprement dits qu’on affirme qu’ils doivent être formulés dans des mots clairs et précis  pris au sens propre,  pour ne pas donner lieu à des tergiversations.  Or, dans les exhortations qui ne contiennent pas de préceptes,  mais qui ne font que persuader de faire ou de ne pas faire des choses très connues par ailleurs, les tropes sont les bienvenues.   Et c’est de cette sorte que sont les exemples allégués.  Car, qu’il faut se garder des faux prophètes,  tous le savent même sans précepte.  Voilà pourquoi le Seigneur n’ordonne pas mais exhorte de faire,   en se servant de l’image du loup et des moutons.  De même, qu’il faille se garder de l’hypocrisie et de la fausse religion, qui ne le sait ?   Voilà pourquoi le Seigneur se sert de l’image du levain, pour exhorter plutôt que pour commander.   Qu’on ne doive rien faire qui déplait à Dieu, personne ne l’ignore.  Voilà pourquoi l’apôtre ne se contente pas de le dire par écrit, mais pour mieux nous convaincre,  il nous dit qu’il ne faut pas contrister l’Esprit Saint.   Tous savent, aussi, qu’il faut éviter les soucis inutiles et les préoccupations angoissantes, et c’est pour cela que le Seigneur se sert de tropes.
En ce qui à trait aux dogmes,  il faut noter qu’on n’appelle pas dogme n’importe laquelle sentence qui porte sur Dieu, mais celles-là seulement qui comportent une difficulté particulière ou pour croire ou pour agir, comme sont les articles de foi et les canons des conciles.  Les autres qui en dérivent directement  on ne les appelle pas des dogmes.  Dieu est un feu consumant,  le Christ est une vigne, une pierre, un lion, ces expressions et d’autres semblables ne sont pas des dogmes, mais des explications de propriétés de Dieu et du Christ qui sont bien connues.
De plus, autant  pour les principes  que pour les  dogmes, il est à noter que quand nous disons que les dogmes  et les préceptes doivent être  formulés dans des mots pris au sens propre, il faut l’entendre de la façon suivante. Ou qu’on n’utilise que les mots propres, ou dans un lieu des mots propres et dans un autre des tropes.  Car, rien n’empêche que ce qui est exprimé clairement et proprement dans un passage ne soit présenté ailleurs plus obscurément.  C’est ce que saint Augustin a noté  (livre 2, chapitres 6 et 9, de la doctrine chrétienne) : « En ce qui a trait à la foi et les mœurs, rien n’est exprimé obscurément dans l’Écriture qui n’ait été clairement expliqué dans d’autres lieux. »
Car, ce que le Seigneur avait dit obscurément du froment il l’a expliqué clairement un peu après.  Car, en Matthieu 16, il ajoute  qu’il parle de la doctrine, et non du levain des pains.  Et, en Luc X11 : « Gardez-vous du ferment des pharisiens, qui est l’hypocrisie »  Et de même le « Christ est la pierre angulaire » se trouve sans trope dans un grand nombre de textes de saint Paul.  Et le  « nous sommes un seul pain », on le rencontre  souvent là ou l’on parle d’un peuple, d’une église, d’une famille de Dieu.
Il en va de même pour « détruisez ce temple », car l’évangéliste explique qu’il est question du corps du Seigneur.  Et pour Jean V11 : « des fleuves d’eau vive couleront de son ventre. » Saint Jean a expliqué qu’il s’agissait du Saint-Esprit.  Et du dernier chapitre de Jean : « Un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras pas »  Saint Jean explique qu’il faut entendre cela de la mort de saint Pierre.  Mais le dogme et le précepte spécial  et le plus important  de l’eucharistie nous ne l’avons jamais en d’autres mots, dans l’Écriture.  Nous ne lisons jamais que le pain de l’eucharistie signifie ou est une figure du corps du Seigneur.  Voilà pourquoi nous sommes tenus de prendre au sens propre  les mots que nous lisons : ceci est mon corps.
En ce qui a trait aux sacrements, nous montrerons un peu après, qu’il n’y a pas de trope dans les exemples allégués. Nous ne noterons qu’une seule chose, en passant. Dans l’exemple cité  : le rocher était le Christ (1 Corinthiens X), Pierre le martyr commet trois bourdes. Il prétend que ce rocher, d’où sortait l’eau dans le désert, était un sacrement.  Or, cela ne peut être vrai en aucune façon,  puisque ce fut une chose temporaire et non une cérémonie de religion  qui devait être réitérée dans le peuple de Dieu.  Il dit ensuite que ce rocher  et même la manne  ont été comparés au baptême (1 Corinthiens X).  Or, c’est la traversée de la mer rouge que l’apôtre compare au baptême; la manne et l’eau du rocher avec l’eucharistie, comme tous l’enseignent. Il ne les compare pas comme comparant sacrements avec sacrements,  mais comme figure de sacrements avec les sacrements figurés.
Troisièmement.  Il dit qu’il y a un exemple de trope dans les sacrements dans les paroles suivantes :  le rocher était le Christ.   Or, pour notre adversaire, le sacrement était le rocher matériel.  Or ce n’est pas de lui que parle saint Paul, mais d’un autre invisible qui était en réalité le Christ, en tant que Dieu.  Car, c’est ainsi qu’il parle : « Ils buvaient de la pierre qui les suivaient. Cette  pierre était le Christ.  Il y a, il est il vrai, un trope dans le nom rocher ou pierre qu’on donne au Christ.  Mais, on dit que le Christ est un rocher (pierre) comme on dit qu’il est un lion, un agneau, une porte, une vigne, le chemin.   Mais, dans les sacrements, on ne se sert pas de ces tropes.
L’autre argument est tiré des personnes avec lesquelles il parlait quand il a dit : ceci est mon corps.  Car, il parlait aux seuls apôtres.   Même si le Seigneur disait des choses obscures aux pharisiens,  parce qu’ils étaient indignes de la connaissance des mystères sublimes, cependant aux apôtres qui étaient des gens simples et frustres, et qu’ils formaient pour qu’ils soient les futurs maîtres de toute l’humanité, il proposait tout clairement, ou il leur expliquait tout de suite ce qui était obscur.  De plus, il parlait au moment et à l’endroit où il ne fallait absolument pas parler obscurément,  quand les apôtres étaient les premiers participants d’un si sublime sacrement  à venir.  Car, pour qu’ils le reçoivent avec la révérence due, il était nécessaire qu’ils comprennent parfaitement ce qui leur était donné.
Que le Seigneur, à la cène, n’ait pas parlé en trope, on le déduit de deux choses.  La première.  Il ne reste aucun vestige d’explication, comme dans d’autres  passages.   Par exemple,  Matthieu X111.   Le Seigneur dit, en parlant métaphoriquement : « Le  royaume des dieux est semblable à »  Et, en Jean X11, où il avait dit : « Je suis la vigne, et vous les sarments », il ajoute en expliquant : « Si quelqu’un ne demeure pas en moi comme le serment. »  Mais, ici, rien de tel.
La deuxième. Tous les narrateurs de cette histoire se servent des mêmes mots.  Les évangélistes ont coutume de se suppléer, ou expliquer de façon à ce que ce qu’un avait dit obscurément, l’autre le dise clairement.  Exemple.   Matthieu X111, le Seigneur dit métaphoriquement.  Mais, dans ce cas, ils utilisent tous les mêmes paroles, même s’ils sont quatre, et s’ils ont écrit en diverses époques et en divers lieux.  Ce qui prouve que le Seigneur n’a rien dit d’autre.
Troisièmement.  On le prouve par le consensus des commentateurs.  Car jamais personne n’a expliqué ce passage en prétendent qu’il fallait entendre les mots au sens métaphorique.  Nombreux sont ceux qui ont écrit sur les évangélistes.  Sur Matthieu, saint Hilaire, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, Theophylactus,  Bède et Anselme.  Sur saint Luc,  Ambroise, Théophylactus, Bède.  Sur saint Paul, on ne peut les compter.
Il y en a beaucoup, au contraire,  qui avertissent de ne pas prendre ces mots au sens figuré, mais propre.  Voir saint Jean Chrysostome, Theophylactus, Cyrille de Jérusalem, (catéchèse 4 mystagogique), saint Ambroise (livre 4 sur les sacrements, chapitre 5), Cyrille d’Alexandrie,  (épitre à Calosirius). Eusèbe Emissenus (homélie 5 sur Pâques), Épiphane (dans Inacorato).  Tous ces pères enseignent que l’œuvre de foi consistait à croire ce qui est absurdissime aux sens.  Or, il est certain que si ce passage était entendu de façon tropicale,  il ne poserait aucune difficulté à la foi.  Car, quelle difficulté y a-t-il à croire que le pain ne fait que signifier le corps du Christ ?
Enfin, on le prouve par la règle commune à tous de l’explication des Écritures, qui consiste en ceci.  On ne doit jamais rejeter le sens propre des mots  à moins d’être forcé de le faire  par un autre texte de l’Écriture, par un autre article de foi, ou par l’explication unanime de tous les auteurs ecclésiastiques.   Car, autrement, c’est mettre la foi en péril, et dans les choses divines, il ne restera que des opinions, et ce sera ouvrir la porte à un nombre incalculable d’erreurs.
On peut le prouver cela par l’exemple que nous donne nos adversaires qui n’ont pas la foi dans ce sacrement, mais seulement une opinion.  Car, leur sentence ne se fonde pas sur une parole précise de Dieu, puisque les mots prononcés par le Christ ne sont pas : ceci signifie, mais ceci est mon corps.  Jamais ils ne trouveront dans l’Écriture que ceci est mon corps doive être entendu figurativement.  Même s’ils sont capables de trouver certains cas où ils pensent rendre le mot est par signifie, ils reconnaissent qu’on ne doit pas rendre être par signifier.  Ils ne peuvent pas, en s’appuyant sur la parole de Dieu, affirmer  que ces paroles doivent être entendues au sens figuré, tant qu’ils n’auront pas exhibé un passage où il est dit expressément que ces mots doivent être compris au sens figuré.  Ce passage, ils ne le trouveront jamais.
Ils n’ont pas non plus d’article de foi qui répugne à l’acception de ces mots au sens propre.  Ils ont coutume d’insister sur l’article de l’ascension. Mais ce mystère ne répugne pas à cet autre mystère,  car nous croyons, nous, l’un et l’autre : que le Christ est vraiment monté au ciel, qu’il est dans le ciel, et qu’il est, en même temps, dans l’eucharistie.  Et parmi tous les catholiques, tous les docteurs, tous les saints, tous les mystiques, il n’est pas possible qu’il n’y en ait pas eu un seul qui ait  aperçu cette répugnance.  Surtout quand on pense que les docteurs scolastiques connaissaient beaucoup  mieux les règles de la contradiction  que tous les luthériens qui méprisent la subtilité des disputes.
La même chose apparait clairement du fait que quand le Seigneur enseigne ce sacrement aux apôtres, il n’était pas dans le ciel, mais sur la terre.  Il n’était donc pas encore monté au ciel.  Nous ne sommes donc pas forcés de prendre ces mots au sens figuré.  De plus, cette vérité ne répugne pas plus à l’ascension que ne répugne à l’unité divine la vérité sur la trinité.  Car, comme ils disent eux : le Christ est aux cieux, il ne peut donc pas être sur la terre, on peut aussi dire :  Dieu est un, il n’est donc pas trine.     Nous ne comprenons ni l’un ni l’autre,  mais nous reconnaissons l’un et l’autre, parce que nous lisons l’un et l’autre dans l’Écriture, et qu’il n’y pas de répugnance évidente.
Ils ne peuvent non plus invoquer une explication ecclésiastique commune,  puisqu’ils ne s’entendent pas entre eux.  Ils ne s’appuient donc que sur l’autorité de l’un ou l’autre docteur, et sur de faibles conjectures , qui ne peuvent pas être à l’origine d’une foi, mais d’une simple opinion.  De plus, si nous comptons le nombre de sectes qui sont nées pendant ce si petit nombre d’années,  et qui naissent de jour en jour pour cette seule raison, qu’ayant rejeté le sens propre des mots de l’Écriture, ils se sont tournés témérairement vers les tropes.
                                      DIXIÈME CHAPITRE
Explication des paroles de l’institution. Réfutation des hérésies.
Venons-en maintenant aux paroles de l’institution.   Les évangélistes racontent d’abord que, après avoir pris le pain, le Seigneur rendit grâces à Dieu et bénit le pain.  Il faut noter ici que les évangélistes ont employé diversement les mots bénir et rendre grâces : eulogein et eukaristein.  Car, quand Marc parle du pain, il se sert du mot eulogèsas;  et quand il parle du calice,  il dit eukaristèsas.  Paul et Luc  se servent du même mot dans les deux cas : eukatistèsas.  Mathieu, en grec, en latin et en syriaque a : il bénit.  Mais dans beaucoup de codex grecs, en rendant grâce.
Quelques catholiques soutiennent que, dans les Écritures, ces deux mots ont la même signification, c’est-à-dire bénir, et rendre grâces.   Les hérétiques,   par contre, veulent que les deux mots signifient rendre grâce, ou bénir Dieu, de sorte, toutefois, que la bénédiction dont il s’agit ne se rapporte pas au pain.  Dans sa concorde, Jansénius semble faire ici une excellente observation : chaque mot conserve sa signification propre, mais comme ils sont prononcés dans une même action,  l’action de grâce et la prière,  l’un peut être pris pour l’autre. Cela est facile à prouver, puisqu’un évangéliste dit : il bénit, et un autre : il rendit grâce. Nous comprenons par là que l’une et l’autre ont été faites, et que par l’une, les évangélistes ont voulu qu’on entende aussi l’autre.
Jansenius donne l’exemple suivant.  L’apôtre (1 Timothée 4) dit : « Il ne faut rien rejeter de ce que l’on prend avec actions de grâces.  Cette chose est sanctifiée par la parole de Dieu et la prière. »  Par action de grâces, il entend la prière qui sanctifie les aliments.  Il faut donc que le mot eukaristein ne signifie pas actions de grâces, mais seulement bénir, ce qui est très dur à accepter, ou signifie actions de grâce, mais aussi, dans cette action, ce qui va toujours avec lui, la prière ou la bénédiction.  Voilà  pourquoi, dans le canon de la messe, l’Église exprime l’un et l’autre : « Il prit le pain, et levant les eux au ciel vers son Père tout-puissant, te rendant grâces, il le bénit, le rompit etc. »
Que le Seigneur ait béni le pain, on le prouve facilement contre les adversaires.   Car, dans 1 Corinthiens X, saint Paul dit : « Le calice que nous bénissons n’est-il pas une communion au sang du Christ ? »  En grec, nous avons bel et bien « que nous bénissons » : o eulogoumen.  Car, on ne peut pas douter que l’apôtre n’ait  utilisé le rite qu’il avait appris du Christ.  De même, en  Luc X, racontant le miracle des pains, il dit : il les bénit : eulogèsen autous.  Ensuite, la façon de parler des évangélistes, et surtout celle de Marc (chapitre 14) indique clairement la même chose.   Car, quand il dit : après avoir pris le pain, il le bénit, le rompit, et le donna à ses disciples, il se réfère à la matière qui était dans les mains. Et c’est à elle que se rapporte le mot bénit.
Ajoutons que, dans sa deuxième apologie, saint Justin réfère le mot eukaristeos au pain qu’il avait appelé nourriture eucharistique, c’est-à-dire un pain sanctifié et béni.  Voilà pourquoi toutes les liturgies, celles de Jacques,  de Basile  de Chrysostome et d’autres  ont, dans la consécration tant du pain que du vin «  et rendant grâces, il le sanctifia ou le bénit »  Et saint Cyprien ((livre 3, épitre 2 à Cécile), il dit que « le pain a été béni par le Seigneur », ce que, cependant, aucun évangéliste n’avait dit expressément.
On se sert de cet argument pour prouver  que le corps du Seigneur  est vraiment dans le sacrement.  Car le Seigneur n’avait  coutume de rendre grâce que quand il était sur le point de faire quelque chose de particulièrement grand et admirable.  Car, on  voit que le Christ a rendu grâce à son Père seulement à la multiplication des pains (Jean V1, Matth XV) , à la résurrection de Lazare (Jean X1), et à l’institution de ce sacrement. Pareillement, il n’avait pas coutume de bénir des choses insensibles, à moins qu’il n’opère en elles quelque chose d’admirable.  On ne voit  qu’il ait fait cela que quand il bénit les pains qui allaient être multipliés (Luc X1, Marc V111), et dans l’eucharistie.  Et quand il maudit le figuier, il sécha immédiatement.  Car, bénir Dieu c’est bien agir. Or, la bénédiction de Dieu n’est pas une demande, mais la production d’un effet.  En Genèse 1, quand Dieu fit les animaux il leur accorda la fécondité par une bénédiction.
Ajoutons qu’on ne lit nulle par que le Christ ait béni l’eau, qu’il voulait qu’elle soit le symbole du baptême,  mais il bénit le pain, dans lequel il instituait l’eucharistie, parce qu’aucun changement ne se faisait dans la substance de l’eau.  Ajoutons enfin, que les pères se servent de ce passage pour prouver ce que nous affirmons maintenant.  Saint Ambroise (pour ne donner qu’un exemple) dans le livre de ceux qui sont initiés aux mystères (chapitre 9)  dit : « Combien d’exemples n’utilisons-nous pas pour prouver que cela n’est pas ce la nature a formé, mais ce que la bénédiction a consacré.  La vertu de la bénédiction n’est-elle pas plus grande que celle de la nature ?   Oui, parce que, par la bénédiction la nature est changée. »  Présentons, maintenant, chacun des mots de l’institution, et réfutons les opinions des hérétiques citées plus haut.
   CECI (cela, en latin)
Le premier est ceci,  que les adversaires interprètent de quatre façons.  Quelques-uns veulent lui faire dire « ici », comme Carolstad,  et c’est la première opinion.  D’autres, « toute cette action », ce qui constitue la deuxième opinion. D’autres veulent qu’il soit un démonstratif du pain, de façon à ce que le pain soit le prédicat : mon corps est ceci : c’est-à-dire, le pain.  Ce que nous avons appelé la troisième opinion. D’autres veulent que ceci démontre le pain, mais de façon à ce qu’il soit le sujet : cela est ce pain.  C’est la sentence la plus commune des adversaires, et la moins absurde.
La première explication est ridicule, et les hérétiques eux-mêmes la trouvent risible.   Car c’est en vain que le Seigneur aurait dit à ses disciples « ici est assis mon corps », parce que cela les apôtres le voyaient de leurs dieux, et ne demandait aucune explication.  Ensuite, ces mots s’agencent mal avec ceux qui viennent après.   En effet, le « car ceci est » donne la raison pour laquelle ils doivent prendre et manger.  Et cette raison est : mangez, parce que je réside là.
La deuxième explication est réfutée aussi facilement. Car (pour omettre que c’est un trope inouï), les paroles qui sont dites par saint Luc et saint Paul pour la consécration du calice,  nous convainquent aisément, car ils disent : ce calice.  Or, il est certain que ce calice ne peut pas signifier toute l’action,  car c’est un mot qui désigne une seule chose, bien définie.
On peut réfuter aussi facilement la quatrième. Car,  le mot hoc (ceci) est pris comme un adjectif ou comme un substantif.  Si c’est un adjectif, il doit concorder avec le substantif : il ne peut donc  pas désigner le pain mais le corps. Car, le pain est du genre masculin tant en latin qu’en grec, mais   c’est au neutre qu’est le ceci, tant en grec qu’en latin. (Voilà pourquoi on dit cela et non ceci, en latin.) De la même manière, dans l’autre espèce, le vin, en grec, est du genre masculin, et le sang du neutre.  Or, le Seigneur n’a pas dit outos, mais touto.  En latin, c’est le contraire, le vin est neutre, et le sang est masculin.  Et pourtant tous lisent : ceci est le sang, non cela, c’est-à-dire le vin est le sang.
Si c’est un nom, alors le sens sera : cette chose est mon corps.  Si le cela signifie cette chose, c’est-à-dire ce pain, ce sera une proposition absurde.  Car, on ne peut pas dire cette chose  de ce que l’on voit et qu’on connait très bien, à moins que cette chose soit du genre neutre. Car, personne ne dira, en démontrant son frère, cela (cette chose) est mon frère. Ou, en montrant un portrait de César, qui dirait : cette chose est César ?  Ce n’est donc pas du pain que les disciples voyaient qu’il a pu être dit : cela est mon corps.  Parce que, comme le sujet doit toujours être plus connu que le prédicat,  quand le sujet est connu familièrement des auditeurs, on ne doit pas s’y référer par un nom général, mais il ne peut être référé par un nom général que quand il n’est connu que vaguement.
  Exemple.  Certaines personnes voient quelque chose de loin sans reconnaître ce que c’est,  si c’est une pierre, un arbre ou un homme.  Pourquoi dirais-je aux autres : cette chose est un homme, et non c’est un homme.  Mais s’il s voient un homme, sans distinguer si c’est  Pierre ou Paul, ou un autre, je ne dirai pas : celui-là est Pierre, car ils savent que c’est un homme, mais je dirai : c’est Pierre.   Donc, quand les disciples virent le pain, et qu’ils n’ignoraient pas que c’était du pain, il aurait parlé absurdement s’il avait dit au sujet de ce pain : cela est mon corps, alors qu’il aurait du dire : ce pain est mon corps.  Il ne se peut donc pas que ce mot « cela » démontre le pain en tant que sujet de la phrase.
J’ajoute un argument très solide, tiré de l’Écriture.  Car, si cela démontre le pain, il en sera de même dans la consécration du vin.  Le ceci, ou le cela en grec, démontrerait le vin.  C’est  ce qu’ils concèdent, même si c’est tout à fait répugnant. Luc (au chapitre XX11) :  « Ce calice du nouveau testament dans mon sang, qui est répandu pour vous ».  Le « qui est répandu » ne se joint pas à « dans mon sang », mais avec « ce calice », comme il appert des mots grecs.   Saint Luc dit donc que le calice est répandu pour nous.  Car, ce n’est pas du vin qui est répandu pour nous, mais un vrai sang.  Le calice ne signifie donc pas le calice du vin, mais le calice du sang.
Bèze ne put pas répondre à cet argument sans nier que le texte ait été  complet.  Car, quand il écrivit sur ce passage, il reconnut que c’était ainsi qu’on le lisait dans tous les livres, même les plus anciens.  Mais parce qu’il détruisait sa sentence,  il osa affirmer que le texte avait été corrompu dans tous les manuscrits, ou que des notes marginales étaient entrées dans le texte.  Si on peut, sans raison valable, rejeter  un texte de l’Écriture, pourquoi ne serait-il pas permis de nier toute l’Écriture ?
La troisième explication, qui a aussi ses auteurs, comme nous l’avons expliqué plus haut, est réfutée de la façon suivante.   D’après la sentence de nos adversaires, le Christ  ne donna pas son corps, mais du pain, quand il dit : prenez et mangez.  Il aurait donc du expliquer l’efficacité de ce pain, non de son corps. Il n’aurait donc pas du dire : ceci est mon corps, parce qu’il sustente comme le pain, mais le pain est cela, c’est-à-dire mon corps, car il sustente en signifiant et représentant mon corps. Exemple. Si quelqu’un donnait du pain à manger, il dirait de façon inepte : prends, mange ce pain, car des châtaignes sont du pain, c’est-à-dire nourrissent comme du pain.  Mais, il parlerait correctement, si en donnant des châtaignes, il disait : mangez ces châtaignes, car, elles sont, elles aussi, du pain.
Ils diront que le Seigneur a donné à ses apôtres son corps spirituellement à manger par la foi, et qu’on a pu dire de lui : mon corps est cela, c’est-à-dire, du pain .  On peut opposer à cela que notre dispute porte sur les paroles du Seigneur.  Quand le Seigneur a dit : prenez et mangez,  il n‘offrit pas, par ces paroles, son corps à la foi, mais son pain aux mains et  à la bouche corporelle, comme ces paroles le montrent : « il prit du pain, le bénit, le rompt et le leur donna en disant, etc. »  Il offrit donc du pain à manger, (comme le veulent les adversaires), du pain vrai et naturel, ou comme le veulent les catholiques,  un pain converti dans sa chair, les accidents demeurant,  et sous la forme extérieure d’un pain.  Donc, si c’est du pain qu’il a offert, la raison qu’il donne est des plus ineptes : parce que mon corps nourrit comme du pain.
De plus, cette sentence s’appuie une canne de roseau. Langus la prouve parce que c’est ainsi que le lui a enseigné son professeur de grec, Valentinus Craboaldus.  Et, parce que, pour les Grecs, l’article est, dans la proposition,  le signe du sujet, dans cette phrase touto esti  to sôma mou, ceci est mon corps, l’article se joint au corps, non au pronom.  Et dans une chose d’une si grande importance, c’est une grande folie de laisser tomber tous les saints pères et les conciles de l’Église, et d’écouter ce que marmonne dans son petit coin un professeur de gymnastique.  Et dans la grammaire grecque, cette loi sur l’article n’est pas universelle.  Car, très souvent l’article est placé dans le prédicat pour démontrer, définir une chose, ou pour cause d’énergie.  Comme Matthieu V : « Vous êtes le sel de la terre : umeis este to alas.  Et au même endroit : vous  êtes la lumière du monde : to phôs.  Et au chapitre 21 : Voici l’héritier, etc. Et que penser de ce que l’apôtre (1 Cor XX1) n’ait pas dit : touto esti to sôma mou, (ceci est mon corps) mais ait préféré dire, pour confondre l’hérétique : « touto mou esti to sôma (cela de moi est le corps).
Il reste donc que la sentence des catholiques soit la vraie, qui dit que le ceci ne démontrer pas le pain mais la chose contenue sous les espèces du pain.  Qui même si, elle était avant du pain, est maintenant le corps du Christ.  Il s’ensuit donc que même  ce petit démonstratif prouve la réalité du corps du Seigneur dans l’eucharistie.
                                                 EST
Nous allons maintenant réfléchir sur le verbe être, au sujet duquel deux hérésies auront à être réfutées, la cinquième et la sixième.
Zwingli prétend donc qu’il faut donner au verbe être le sens de signifier.  Ce que disent aussi parfois Calvin, Pierre le martyr et Bèze dans les livres cités, même s’ils pensent qu’il est plus judicieux de placer le trope dans le mot corps que dans le verbe être.  Mais les catholiques prennent ce mot au sens propre, le mot être ne signifiant pas autre chose, pour eux,  que être.  Calvin écrit (livre 4, chapitre 17, verset 20) que les catholiques prennent le mot « est » pour « est transsubstantié », ce qui est un trope inouï dans toutes les nations.  Mais c’est une calomnie pure et simple.  Les catholiques, en effet, reconnaissent déduire de ce mot la transsubstantiation,  mais ils ne disent pas que « est » signifie « est transsubstantié ». Non seulement ils ne le disent pas, mais il serait inconcevable qu’ils le disent, puisqu’ils soutiennent que le pronom « ceci » ne démontre pas le pain qui seul (selon leur sentence) est changé dans le corps du Christ.
Que le verbe « est » signifie « est », on le prouve d’abord,  par la raison suivante.  Ce mot ne peut pas être pris dans un autre sens que dans le sens propre. Car, il a une signification très simple et commune.  De sorte que tous les autres verbes se réduisent à celui-ci, avec quelque chose d’autre.  Ainsi en est-il du verbe marcher : un homme marche, c’est-à-dire il est marchant; il rit : il est riant etc.  Ce verbe ne peut donc pas être réduit à la signification d’un autre verbe.  Car, il pourrait alors être réduit   à lui-même et à quelque chose d’autre, ce qui ne peut absolument pas se faire, puisqu’il est le plus simple de tous.
De plus, ce verbe est le lien  de toutes les propositions, unissant le prédicat avec le sujet.  Il est donc nécessaire dans toutes les propositions.  Il ne peut donc pas perdre sa signification pour en revêtir une autre. Ensuite, on ne met les tropes dans les verbes qu’à cause  d’une chose ou d’une nature particulière  qui est impliquée dans un verbe et non dans un autre.  Exemple.  Rire est employé au sens figuré à cause du rire qu’il signifie.  Or, le mot être ne signifie que l’union de l’un avec l’autre, ou l’être qui est commun à toutes choses.  Voilà pourquoi on l’emploie comme substantif, et les autres comme adjectifs.  Il ne se peut donc pas qu’il y ait en lui un trope.
De plus, aucun rhéteur n’a écrit qu’on pouvait imaginer un trope dans le verbe être.  L’opinion de Zwingli et de ses sectateurs est donc née d’une ignorance crasse.  Les sacramentaires ont certes manifesté plus de prudence en mettant le trope dans le mot corps plutôt que dans le verbe être.
Tu diras que, dans l’explication des mots,  « est » est souvent pris pour « il signifie », comme aimer est chérir, c’est-à-dire, signifie chérir.  Je réponds que cela est vrai, mais que ce n’est pas un trope.  Car, dans des phrases de ce genre, le signe est prédiqué du signe, et c’est pour cela que le mot être a le sens de signifier.  Car, l’essence du signe est la signification.  Donc, même dans ces phrases, est signifie être.  Parce que le mot être lui-même est signifier en paroles,  voilà pourquoi « est »  est expliqué par  « signifie » .  Dans les autres phrase où ce qui est prédiqué n’est pas un signe formellement,  le « est » ne peut pas être expliqué par « il signifie. »
Vient après l’explication de Boquinus, qui est la sixième opinion.   Comme nous l’avons déjà dit, il veut que « est » signifie la communication des idiomes naissant de l’union sacramentelle du pain et du corps du Christ.  Mais il erre dans tout le cosmos, même s’il est enchanté  de sa nouvelle lubie.  Car, la communication des idiomes ne nait pas d’une union quelconque, mais seulement de l’union hypostatique,  là où il y a un suppôt en deux natures.  Cela ressort clairement de l’union naturelle existant, dans l’homme, entre l’âme et le corps, car le même homme est dit corporel et mortel en raison du corps,  et spirituel et immortel en raison de l’âme.  Cependant, cet exemple nous induit clairement en erreur.  Car, en toute rigueur, c’est-à-dire, vraiment et proprement,  on ne peut pas dire que l’homme est spirituel et immortel, mais seulement son âme.  La communication des idiomes nait donc  moins de l’union sacramentelle que de l’union naturelle,  puisqu’elle lui est inférieure.
Deuxièmement, la communication des idiomes ne se fait pas entre des natures unies, mais dans le seul suppôt commun.  Car, nous ne disons pas : la déité est l’humanité, mais le Verbe est dit homme et Dieu.  Or, dans l’exemple de l’homme, l’homme, selon Boquinus, est corporel et spirituel,  mais non : le corps est un esprit, et l’esprit est un corps.   Donc, on ne peut pas dire en vertu de cette communication : ce pain est un corps,  mais seulement : ce sacrement est un pain et un corps.  Car, comme Boquinus l’explique lui-même,  le sacrement est ce dans lequel se fait une union sacramentelle, comme le Christ est ce dans lequel se fait une union naturelle.
Troisièmement.  La communication des idiomes est mutuelle.  Or, de l’union sacramentelle  ne nait pas un échange mutuel.  Car, même si le signe reçoit, entre temps, le nom du signifié,  le contraire n’a pas lieu.  L’image de César est dite César, mais on ne dit  pas que César  est une image.  Un lierre  est un  signe du vin, mais ne peut être appelé vin que par représentation. Or, le vin ne peut en aucune façon être appelé lierre.  De la même manière, même si le pain peut être dit sacramentalement corps,  parce qu’il le signifie,  cependant, le Christ ne peut pas être dit sacramentalement pain.  On ne peut donc pas expliquer les paroles sacramentelles du Seigneur par la communication des idiomes.
Quatrièmement.  La communication des idiomes ne communique pas seulement les noms des natures,  mais aussi les propriétés des natures.  Car, du Christ, nous disons : cet homme est éternel, tout-puissant, et Dieu a eu faim, a eu soif et est mort.  Mais, il n’est pas permis d’attribuer au pain les propriétés du corps du Seigneur,  ni non plus d’attribuer au corps les propriétés du pain.  Car, tous se boucheraient les oreilles si l’on disait :  le pain est animé, il est uni à la divinité etc.  Et encore plus si l’on disait : le corps du Seigneur est rond, fait de froment,  privé de vie et de sensation.   Voilà pourquoi les rêveries de Boquinus sont d’une grande ineptie.
                                           CORPS
Ce mot les adversaires l’expliquent de trois façons.  Quelques-uns veulent que, par ce mot, soit signifié le corps mystique du Christ;  d’autres, un signe du corps du Christ;  d’autres un signe, mais efficace.   Voilà donc les trois opinions que nous avions énumérées plus haut, la septième, la huitième et la neuvième.
La première est sans aucune valeur, elle n’est fondée sur aucun texte scripturaire,  et elle répugne clairement aux mots qui suivent :  « qui a été donné pour vous. »  Car ce n’est pas un corps mystique qui a été donné pour nous, mais un corps véritable.  Répugnent encore davantage les mots qui sont dits dans la consécration du calice,  car ce n’est pas l’Église ou le Christ mystique qui peut être appelée calice du sang ou du testament;  et il n’est pas non plus répandu en rémission des péchés.
La seconde explication est réfutée par les arguments suivants.  Le premier.   Jamais, dans l’Écriture, le corps du Christ n’est  pris autrement que comme un corps vrai et naturel ou comme un corps mystique.   Comme un signe ou une figure du corps, jamais.  Cette explication est donc tout à fait téméraire, puisqu’elle a été introduite sans citer aucun exemple de l’Écriture.  On le confirme ainsi.   Quand elle emploie improprement le mot corps du Christ, c’est-à-dire pour l’Église, l’Écriture  l’explique immédiatement.   Colossiens 1 : «  J’accomplis ce qui manque à la passion du Christ  pour son corps qui est l’Église. »  Or,  dans ce passage, aucun évangéliste, ni même Paul n’a expliqué que le corps était pris improprement.  Il reste donc qu’il doive être pris au sens propre du terme.
Deuxièmement.  On le prouve aussi avec ce qui a été dit sur le pronom ceci,  Car, si le pronom ceci ne démontre pas le pain , comme nous l’avons montré clairement avant,  le fondement de l’opinion  des adversaires s’écroule certainement.  Car, ils n’ont pas de quoi prédiquer le signe du corps, à moins qu’ils ne veuillent que le corps vrai et naturel lui-même soit le signe de lui-même.
Troisièmement.  On le prouve pas les paroles suivantes : « qui est donné pour vous. »  Il faut noter qu’on lit un peut différemment dans les codex grecs et latins Matthieu 26, Marc 14,  et Luc 22.    On peut expliquer ces mots de deux façons. Une première.   Toutes ces choses sont dites du corps et du sang comme elles  sont dans l’eucharistie,  et non comme elles l’ont été,  après, sur la croix.  Ce qui donne le sens suivant : ceci est mon corps qui est donné pour vous, c’est-à-dire qui est offert,  et donné par Dieu le père en sacrifice.  Le mot « rompre » ne fait pas obstacle,  car,  selon la manière de parler coutumière de l’Écriture, rompre signifie manger.   Ils veulent que les paroles du calice aient ce sens.  Ceci est mon sang qui est répandu pour vous, c’est-à-dire qui est versé et offert à Dieu comme un sacrifice pour vous péchés.
Or, cette explication, si elle est reçue, réfute totalement la sentence des hérétiques sur le corps du Seigneur pris figurativement.  Car un pain figuré n’est pas donné pour nous, mais à nous.  Ce n’est pas non plus un vin qui signifie du sang qui a été versé dans l’institution de la cène.  Ni pour nous, mais à nous.  Ni non plus pour la rémission des péchés, comme tous l’admettent.
L’autre explication rapporte toutes ces choses à la passion et à la croix du Seigneur. C’est celle de  Pierre le martyr (dans son commentaire du chapitre X1 de la première épitre aux Corinthiens) et de Calvin et des autres (chapitre 27 de saint Matthieu).   Elle est vraie aussi, et elle ne milite pas avec la précédente (comme nous l’avons montré dans le livre 1, chapitre 10 sur le sacrifice.)  Que cette explication que les adversaires acceptent  montre que le corps du Christ ne doit pas être pris figurativement, mais au sens propre, on le prouve de la façon suivante.   Ces paroles ajoutées : « qui est donné pour vous », ne semblent pas avoir été mises là pour une autre raison que pour faire la distinction entre le corps du Christ qui était donné aux disciples,  et entre l’autre corps qui ne leur était pas donné.  Car, comme il avait ajouté « mon » pour distinguer son corps des autres qui n’étaient pas le sien, il ajoute « qui vous sera livré » pour distinguer son corps vrai et naturel de son autre corps, non naturel, le corps mystique de l’Église.
C’est ce qu’indique assez clairement l’article placé devant le nom : touto esti to sôma.  Car, comme saint Cyrille l’enseigne (livre 1, chapitre 4, de saint Jean), l’article fait en sorte que le nom reçoive une signification certaine, déterminée et propre.  C’est comme quand nous disons : celui-ci est le Pierre qui a reçu les clefs du royaume,  nous distinguons ce Pierre des autres du même nom, de la même manière, quand le Seigneur a dit « ceci est le corps qui sera livré pour vous », nous comprenons que le Seigneur distingue son vrai corps de tout autre,  et parle précisément de ce corps seulement.
 Donc, si c’est son corps véritable et propre que le Seigneur que le Seigneur a livré aux apôtres, cette addition a toute sa raison d’être.  Car, le corps qu’il leur a donné à consommer c’est son corps naturel, non son corps mystique.  Mais si (comme le prétendent les adversaires)  il leur a donné un pain qui était le signe d’un corps, cette addition est faite à contretemps.  Car, le pain eucharistique ne peut pas signifier à la fois le corps naturel et le corps mystique.  On ne peut pas avoir de doute là-dessus.
Voilà pourquoi dans 1 Corinthiens X, il est dit : « Nous sommes tous un seul pain et un seul corps, nous qui participons d’un seul pain. »  Et saint Augustin (traité 26 sur saint Jean) dit : C’est dans les espèces du pain et du vin que l’eucharistie est consacrée,  pour signifier l’unité du corps mystique.  Car comme le pain est fait de plusieurs grains, et le vin de plusieurs raisins, de la même façon le corps de l’Église est formé de plusieurs fidèles.   De plus, le corps livré à la croix et le sang répandu au calvaire sont le corps et le sang du Christ proprement dits, et non au figuré.
Ils répliqueront.  Le pain est un signe ou une figure du vrai corps et du sang livré et répandu pour nous.  Mais c’est le contraire qui est vrai. Car les mots placés en ligne droite doivent être réunis avec le substantif placé en ligne droit, non de côté.  Ils se joignent donc à ce qui est dit corps et sang, non à ces paroles placées de travers, le corps et le sang.
Donc, dans l’eucharistie, où il y a un vrai corps et un vrai sang ou un corps et un sang significativement, c’est-à-dire  que c’est le pain et le vin qui sont livrés pour nous à la croix,  et à la mort, on ne peut pas imaginer de plus absurde fiction.
Vient ensuite la troisième explication qui, comme nous l’avons dit, est de Calvin.  Il estime que le pain de l’eucharistie n’est pas appelé le signe du corps, mais le corps lui-même, parce qu’il est un signe très efficace.   Et c’est ce qu’admet aussi Pierre le martyr  (dans son livre contre Gardinerus, à la fin de la troisième partie.)  Il déclare, là, que le Christ n’a pas dit  ceci signifie ou est mon cœur lui-même, afin de distinguer ce signe de tous les autres vains et stériles, car, quand nous mangeons ce pain de l’eucharistie, nous mangeons en même temps le corps spirituel du Christ.
Il faut se rappeler ce que nous avons dit plus haut au chapitre 1.  Calvin n’estime pas que le corps du Christ nous soit réellement donné avec le pain, de façon à ce qu’on puisse dire  que le corps du Christ est à ce moment et dans le ciel et avec nous, mais qu’il n’est donné que par une certaine communication de lui-même et de tous ses  dons, qui ne requiert pas de présence locale, comme sont donnés parfois des royaumes et des cités à des absents.  Il estime que cela se fait par l’instrumentation de la foi.  Car, quand nous croyons dans le Christ   il devient nôtre avec tous ses biens. Voir ce que nous avons écrit là-dessus au lieu cité.
Cette opinion, ou plutôt cette imagination,  peut être réfutée par deux arguments.   Le premier, d’après un principe de Calvin, à savoir, croire dans le Christ n’est pas manger vraiment le Christ.  On ne dirait pas non plus que le pain de l’eucharistie est le corps du Christ si « croire »  était « manger ».  Or, de la sentence de Calvin, il s’ensuit clairement que manger le Christ n’est rien d’autre que croire dans le Christ.   Il s’ensuit donc de la sentence de Calvin que le corps du Christ n’est pas vraiment mangé dans l’eucharistie,  et que ce pain ne peut pas être appelé corps du Christ.
 La majeure est de Calvin lui-même (livre 4, chapitre 17, verset 10) : « Il y en a qui définissent en une seule parole que manger la chair du Christ et boire son sang n’est rien d’autre que croire dans le Christ.  Mais il me semble que le Seigneur a voulu quelque chose de plus sublime  dans cet  illustre sermon ou il nous recommande la manducation de son corps. »  Et plus bas : « Comme ce n’est pas la vue mais l’usage du pain qui sert d’aliment pour le corps,  de la même manière il convient pour devenir pleinement participant de l’âme du Christ, d’être nourri par sa vertu, en vue de la vie spirituelle. »  Dans ce texte, il compare l’acte de foi à l’acte de vision du corps,  pour faire comprendre que croire ainsi n’est pas manger, comme voir de la nourriture n’est pas manger.
 Il prouve ensuite la mineure.  Car, manger est une action, et l’action de celui qui mange, non de la nourriture mangée. Ce qui est évident.   Or, dans la manducation du corps du Seigneur, selon Calvin,  l’action de celui qui mange n’est rien d’autre que l’acte de foi.  Donc manger c’est croire, selon Calvin lui-même. Il prouve la mineure.  Car cette union du corps du Seigneur avec nous, qui vient après l’acte de foi,  n’est pas une action, mais une relation consécutive à l’appréhension de la foi.  Ou, s’il y a une action, ce n’est pas la nôtre, mais celle du Christ.  Car, c’est ainsi qu’ils enseignent.  Du seul fait que quelqu’un croit il s’ensuit que le Christ se donne et se communique totalement à lui.  Ou, selon leur explication, après l’acte de foi, une certaine action que l’homme exerce  en devant faire la jonction avec le Christ.
 Et il confirme par l’exemple de la manducation corporelle.  Dans cette manducation, manger c’est prendre de la nourriture, la porter de la bouche à l’estomac,  non une union de la nourriture et de l’homme.  C’est donc de la même façon que les choses se passent dans la manducation spirituelle : manger c’est appréhender le Christ, ce qui est un acte de foi, et non l’union du Christ avec nous, qui n’est pas une action, mais l’effet d’une action.
 Il confirme cela par un passage de saint Paul que Calvin présente pour illustrer sa sentence.  Quand saint Paul dit aux Éphésiens 111 que le Christ habite en nous par la foi, nous ne pensons pas que soient une même chose la foi et l’habitation du Christ en nous, mais que l’un vient après l’autre.  C’est la même façon, quand nous disons que le Christ est mangé par la foi.  Or, l’habitation du Christ dans l’homme par la foi  n’est pas une action de l’homme distincte de l’action de la foi.  Donc, manger n’est rien d’autre que croire.
 En second lieu, fermant les yeux sur la métaphysique inepte de Calvin, je prouve que ce n’est pas parce que le pain serait dit un signe efficace,  qu’il peut être appelé corps.  Car tous les sacrements de l’ancienne loi et de la nouvelle ont cette efficacité, le  baptême, ainsi que la parole de Dieu, une image peinte ou sculptée du crucifix.  Ne serait-il pas un peu idiot celui qui  dirait : l’image du crucifix n’est pas une simple image,  mais est le vrai Christ qui a souffert pour nous.  Également sot celui qui ajouterait : les anciens  sacrifices et les anciens sacrements, comme notre baptême ou la parole de Dieu,  sont le Christ lui-même, non pas seulement son symbole.  Ne serait-il donc pas un peu idiot celui qui dirait que le pain de l’eucharistie est le corps du Seigneur, non son pur symbole, à supposé que soit vraie la sentence de Calvin.
 On prouve la majeure.  Car Calvin n’attribue à l’eucharistie que d’être un symbole rappelant à la mémoire la passion du Sauveur, et, par le fait même, excitant la foi, comme on le voit dans ses institutions (livre 4, chapitre 17, versets 2 et 5,  et ailleurs).  Font la même chose les anciens sacrements, le baptême, la parole de Dieu et l’image du crucifié.  Toutes ces choses, en effet, représentent la mort du Christ, et excitent donc la foi.  Je dirais même, je dirais plus, une image peinte ou sculptée du crucifié représente beaucoup mieux la mort du Christ que la fraction du pain.  Et on peut dire la même  chose des sacrifices des veaux et des agneaux dans l’ancien testament. Et encore bien plus,  de la parole de Dieu qui décrit avec émotions dans tous  les détails  la mort du Christ.
 Dans son livre contre Gardinerus,  ( part 1, objection  94), Pierre  le martyr a essayé de répondre à cet argument.  Il dit que les sacrements anciens n’ont pas été appelés corps du Christ , comme on appelle le pain de l’eucharistie, même s’ils furent des signes efficaces de cette chose, parce que la passion du Christ n’avait pas encore eue lieu.  Maintenant, elle a déjà eue lieu.
 Mais cette solution ne solutionne rien.  Car, quand le Christ a dit : ceci est mon corps, la passion n’avait pas encore eue lieu.   Et de plus, que les signes représentent une chose passée ou future, afin de pouvoir par là recevoir le nom de la chose signifiée, c’est quelque chose d’accidentel et de non pertinent.  Car, si, quand Dieu révéla que quelqu’un naitrait, comme il l’a révélé de Cyrus, de Jean-Baptiste et d’autres, une image d’eux avait été peinte,  cette image n’aurait pas moins pu être dite Cyrus ou Jean que celle qui  a été peinte après.
Concédons que cette réponse vaut en partie pour les sacrements de l’ancienne loi.  Elle ne veut certes pas pour le baptême dans lequel nous représentons la mort du Christ déjà arrivée, selon saint Paul aux Romains 6.  Elle ne vaut pas non plus pour l’image du Christ crucifié et pour la parole de Dieu.  Et pourtant, il ferait rire de lui celui qui dirait que la parole ou le baptême est le corps du Christ, et qu’une image peinte n’est pas un  simple signe, mais le Christ lui-même qui est mort pour nous.
                                                MON
 Il reste encore le dernier mot : mon, auquel se rattache la dernière opinion des hérétiques, et la plus ridicule.   C’est celle qui dit que le pain est appelé corps du Christ parce qu’il a été créé par Lui.  On peut facilement la réfuter par les mots suivants : « qui est donné pour vous. » et encore plus clairement : «qui est répandu en rémission des péchés. »  Car le pain et le vin, même s’ils ont été créés par le Christ, ne nous sont pas donnés en rémission des péchés.

2019 01 23 fin
2019 02 02 début
                                                          CHAPITRE 11
On réfute les arguments des adversaires avec lesquels ils prouvent qu’il faut entendre  les mots de l’institution au figuré.
Le premier argument est celui dont se servait autrefois Bérenger, au témoignage de Guitmund (livre 2).    Ceci est pronom un démonstratif.  Or, quand le Seigneur a dit : ceci est mon corps, il n’avait que du pain dans les mains, et c’est ce pain seul qu’il pouvait démontrer.  Or, selon l’enseignement des catholiques, le corps du Seigneur n’aurait  pas été dans le sacrement quand il a di ceci, mais seulement quand la consécration a été complétée.
 Deuxièmement.  La difficulté, selon lui, ne fait que s’accroitre par les mots suivants du Seigneur (Matth XXV1) : « Buvez-en tous. » Car, ce « en » ne peut se référer qu’au vin.  Comme c’est du vin que le Seigneur leur a ordonné de boire, c’est donc du vin qu’ils burent, et non du sang, sauf en figure.  Ou, s’il avait changé soudainement le vin en sang, cela ressemblerait fort à un comportement de  magiciens. Il leur aurait d’abord présenté du vin, et quand ils étaient sur le point de le boire, il le leur aurait enlevé.
Troisièmement.  Luc et Paul ont dit touto tè  poterion : ce calice.  Le pronom démontre donc le calice, non le sang. Or, comme ce qui vaut pour le vin vaut aussi pour le pain, il faut donc conclure que ceci est mon corps signifie ce pain est un corps.
Quatrièmement.  C’est l’argument de Luther  (chapitre 1 de la captivité de Babylone).  La langue hébraïque n’a pas de genre neutre.  Le Seigneur n’a  pas dit : cela est mon corps, mais ceci est mon corps.  Il démontrait donc le pain et non le corps.
Cinquièmement.  C’est l’argument de Calvin.  Ce que le Seigneur a pris, béni, et rompu c’est cela qu’il a donné à ses disciples. Car tous ces verbes sont des verbes transitifs qui régissent le même accusatif.  Or, c’est le pain qu’il a pris, béni et rompu.  C’est donc le pain qu’il a donné. Le cela (en latin) démontre le pain.
Pour répondre aux objections, et pour clarifier toute la question, il faut noter que, d’après les codex grecs, le pronom touto peut être pris substantivement ou adjectivement.  Même si dans  Luc XX11 et 1 Cornéliens 6, on lit : touto to potèrion : ce calice (ceci), dans les codex latins, il ne peut  être employé substantivement que dans cela est un corps.  Car, dans la consécration du calice, tous les codex ont : ceci est du sang ou ce calice, choses qui ne peuvent pas être entendues substantivement.  Dans certains codex de Cyprien (livre 1, épitre 3) nous lisons : cela est du sang.  Mais les manuscrits les plus corrects ont : ceci est du sang, comme nous avons dans toutes les liturgies latines.  Voilà pourquoi, pour accommoder le tout, il est préférable d’employer ce pronom adjectivement, de façon à ce que le sens soit : cela est mon corps. C’est-à-dire cette nourriture est mon corps.  Ceci est le sang, c’est-à-dire ce breuvage est mon sang.  Ceci est le calice de mon sang, c’est-à-dire ce calice est le calice de mon sang.
Il faut noter ensuite que même si tous les catholiques s’entendent sur le mystère lui-même, ils ne s’entendent pas tous sur la façon d’expliquer ce que démontrent proprement les pronoms démonstratifs ceci ou cela.  Une première façon de l’expliquer. Cela démontre le corps, et ceci le sang. Et, à l’argument des adversaires ils répondent par des propositions du même genre, qui signifient ce qui se fait alors.  On dit, en effet, que les pronoms démonstratifs ne démontrent pas ce qui est, mais ce qui sera.  Et ils donnent les exemples suivant.   Quand quelqu’un  peint une ligne ou un cercle, il dit : ceci est une ligne, ceci est un cercle. C’est ainsi qu’on doit entendre le pronom démonstratif dans ces paroles du Seigneur en Jean XV : cela est mon commandement.  Et : Voici ce que je vous demande.  Et en Luc XX11 : « Voilà qu’elles sont les paroles que je vous ai dites, parce qu’il est nécessaire de tout accomplir. »  Et c’est ainsi qu’on entend les paroles des prophètes :  Voici ce que dit le Seigneur.
Cette explication ne semble pas pleinement satisfaisante pour deux raisons.  La première.  Parce que même si un pronom démonstratif démontre une chose future quand il ne peut montrer aucune chose présente, comme dans les exemples allégués,   cependant, si quelqu’un montre quelque chose avec son index,  en prononçant le pronom, ce serait une chose absurde de prétendre que ce pronom n’indique pas une chose présente.  Et quand le Seigneur a pris du pain, et en le présentant, a dit :  recevez, mangez, cela est mon corps.  Il semble donc bien avoir montré le pain. Il importe peu que la phrase  n’obtienne  son sens plénier que quand elle est complétée.  Car, c’est ainsi qu’il en va pour toute phrase.   Cependant les pronoms démonstratifs indiquent quelque chose de certain,  avant même que ne suivent les autres paroles.  Et, dans ces paroles : buvez-en tous, il est bien difficile de penser que n’ait pas été montré ce qui était, mais cela seulement qui sera.
Deuxièmement,  pour les catholiques, les paroles sacramentelles ne sont pas des paroles spéculatives, mais pratiques. Car, elles effectuent ce qu’elles signifient.  Voilà pourquoi les pères les appelaient des paroles opératoires, comme nous verrons plus loin.  Or, si le pronom ne démontre que le corps, les paroles employées seront spéculatives et non pratiques.  Car, il est toujours vrai de dire en montrant le corps du Christ : cela est le corps du Christ, que ce soit dit avant ou après la consécration, par un laïc ou par un prêtre. Or, les paroles sacramentelles, parce qu’elles sont opératoires, ne sont vraies que si elles dont prononcées par celui qui est le ministre légitime.  Et elles ne sont pas vraies avant que le sacrement ne soit conféré.
Il existe donc une autre sentence, celle de saint Thomas ( 3 par quest LXXV111, articles 2 et 5, et dans le chapitre 11 de la première épitre aux Corinthiens) et de beaucoup d’autres qui  pensent comme lui.  Le pronom cela  ne montre précisément ni le pain ni le corps, mais une substance qui est sous les espèces.   De façon, cependant, à ce que ce soient les espèces qui soient montrées.  Non pas, cependant, pour que le sens soit : cela, c’est-à-dire ces espèces sont mon corps, mais plutôt : sous ces espèces est mon corps.  Comme l’avait  expliqué autrefois Guitmundus (livre 11), ceci est mon corps, c’est-à-dire ce qui n’était jusque  là que du pain est maintenant mon corps. Tout se comprend, tout s’éclaire.  Les sacrements signifient ce qu’ils effectuent. Oui.  Mais ce sacrement n’effectue pas que le corps du Christ soit le corps du Christ –car il l’a toujours été- mais que le pain soit le corps du Christ.  Cela ne peut jamais devenir. Mais ile sacrement effectue  que le corps du Christ soit sous les espèces, sous lesquelles étaient avant la substance du pain.  Voilà pourquoi ce « cela » ne démontre ni le pain ni le corps mais ce qui est contenu sous les espèces.
Nous pouvons maintenant réfuter facilement l’argument.  Car,  ils disent que cela montre le pain, donc le pain est le corps du Christ; et que, comme il ne peut pas l’être réellement, il l’est donc figurativement.  Je réponds.  Ce cela ne montre pas précisément le pain, mais ce qui est contenu sous les espèces du pain.  Et ce qui, avant la consécration, n’était que du pain,  commence, par la vertu de ces paroles, à être  le corps du Christ.
Je dis la même chose de buvez-en tous.  Car, ce  « en » ne signifie pas de ce vin, mais ce qui est contenu dans le calice sous les espèces du vin.  Ce qui n’était que du vin avant la consécration, ne l’est plus après les paroles consécratoires, mais est le sang du Christ, comme le Seigneur l’atteste, en ajoutant : car ceci est mon sang.  Voilà pourquoi, comme les adversaires l’insinuent mensongèrement, le Seigneur, à la cène sacrée, n’a pas ordonné aux apôtres de boire du vin, et ne fit aucun tour de magie.  Car, ce qu’ils burent fut vraiment ce que le Seigneur avait dit : son sang.  Les prestidigitateurs promettent une chose, et en présentent une autre.  C’est plutôt  selon eux, que le Seigneur serait  comporté comme un magicien.   Car, ils disent eux, que le Seigneur avait promis de donner quelque chose, mais ne l’avait pas donné réellement, mais figurativement. Or, le Seigneur a donné vraiment ce qu’il avait promis de donner, même s’il semble ne pas l’avoir fait.
Or, ce qu’on nous objecte au sujet des paroles de saint Luc et de saint Paul, (ce calice)  nous est plutôt favorable. Car, par le nom de calice, on entend, comme le veut l’usage, non le calice lui-même, mais ce  qui est dans le calice.  Excellente est donc l’explication qui, par calice, entend le contenu du calice. Il n’en va pas de même pour le pain et pour le calice, car le pain ne peut signifier que le pain, tandis que le calice signifie généralement ce qui est contenu dans le calice, que ce soit du vin, du sang,  ou autre chose.
À l’argument de Luther, je réponds d’abord que comme les Hébreux n’ont pas de genre neutre pour les pronoms, ils n’en ont pas, non plus, pour les noms.  Car, le mot corps lui-même, est masculin, en hébreux, et peut donc être montré par un pronom masculin.   Deuxièmement.  Je dis que les paroles hébraïques du Seigneur ont été  présentées par Marc et Luc, et par celui qui a traduit Matthieu en grec qui, hors de tout doute, fut l’auteur  le plus ancien,  beaucoup mieux que par aucun autre.  Quand donc ces auteurs appelèrent le  pain arton, mot de genre masculin, ils lui adjoignirent le démonstratif touto, qui est du genre neutre.  Je réponds, enfin,  que le Seigneur a pris et béni un pain, mais que le pain qu’il leur a donné n’était pas   un pain ordinaire, mais un pain béni, et changé par la bénédiction.
Car, entre il prit et il donna, il a placé  il bénit, ce qu’il fit pour que tous ces verbes ne régissent pas le même accusatif qui se comporte de la même manière. Ce qui n’est pas quelque chose d’inusité.   Car, si quelqu’un dit : il a frappé Pierre, l’a tué,  et l’a enseveli. Il n’entend pas que Pierre ait été enterré vivant, même s’il était vivant quand il a été frappé.  Ajoutons qu ils seront contraints, eux aussi,  de solutionner ce problème de la même façon.  Car, ils veulent que le Seigneur ait reçu un pain ordinaire, et ait donné un pain sacramentel.
Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 20) et Pierre le martyr répliquent : « Il n’y a rien de plus absurde que de transférer aux espèces ce qui est dit du pain.  Il s’en prenait aux paroles de saint Thomas (3 par question LXXV111, art 2) où il dit que le démonstratif « cela » montre les espèces sensibles du pain, qui seules demeurent dans cette mutation du pain dans le corps du Christ.  Or, saint Thomas  s’était expliqué (article 5, à 2) en disant que le pronom cela ne montre pas les accidents comme si le sens était :  cela, c’est-à-dire ces accidents sont le corps du Christ,  (car cela serait absurde, comme Calvin le déplore, en attribuant ce sens aux paroles de saint Thomas), mais démontre la substance contenue sous les accidents. Cette substance qui était avant du pain, et qui est maintenant le corps du Christ.  De sorte que le sens est :  cela, c’est-à-dire la substance contenue sous ces accidents est le corps du Christ,
Ce sens non seulement n’est pas absurde, mais est nécessaire.   D’autant plus (comme nous l’avons montré plus haut) que ce cela ne peut montrer ni le pain ni le corps du Christ.   Exemple. Si quand  il changea l’eau en vin, le Seigneur avait montré les jarres d’eau en disant : ceci est du vin, il aurait, par ces paroles, changé l’eau en vin.  Car, nous ne pourrions pas expliquer cette phrase en disant : cette eau est du vin, puisque ce serait faux.    Nin, non plus : ce vin, ou cette chose, en montrant le vin, est du vin.  Car la monstration aurait été fausse, puisque le vin n’était pas présent quand il a dit : cela.  Voici quel en serait le sens : ceci est un vin, c’est-à-dire, dans ce vase est du vin.
Dans son livre contre Gadrinerus (partie 1, objections 13 et 14), il rit de cette réponse.  Et parce que nous disons que ce qui est montré et contenu sous les espèces est une substance qui ressemble à quelque chose de vague et  de non individué, il dit qu’une entité vague et indéterminée peut être conçue par la pensée,  mais non montrée du doigt. Car, ce que le Seigneur a montré c’est ce qu’il avait dans les mains, c’est-à-dire une chose tangible et perceptible par les sens.  Et pour montrer qu’il avait une grande connaissance des scolastiques,  il ajoute que, dans l’explication de ces mots, c’est Scot qui a été  le père  de cette entité vague et indéterminée.
Mais il se trompe dans les deux cas.  D’abord, Scot (4 dist 8 quest 2)  ne nomme aucune entité vague et indéterminée, là où il traite expressément de ce sujet.  Et il n’explique pas cette phrase en soutenant que le pronom cela montre quelque chose d’incertain et de vague.  Il dit plutôt que « cela » signifie cet être qui réfère au corps du Christ, ce qui est une proposition précise et déterminée,  que nous avons réfuté plus haut.
C’est plutôt Dominique a Soto qui parle d’une vague entité (dans son explication de la sentence de saint Thomas (en 1V, dist 11, quest 1, art 5).   Bien que la substance contenue sous les espèces ait quelque ressemblance avec celle qui se trouve dans une vague entité, et ne puisse pas, par elle-même être prédiquée du pain ou du corps, ou pour quelque autre chose, qui demeurerait sous des espèces semblables, cependant, dans cette proposition (ceci est mon corps), cette substance est déterminée par la vertu du verbe est, en lui donnant le sens de corps du Christ. La proposition est donc singulière et déterminée.  Et quant à ce qu’il a affirmé qu’une entité vague ne peut pas être montrée, je réponds que, dans cette phrase,  des espèces sont montrées qui sont réelles et déterminées, bien que, comme je l’ai dit, non directement mais indirectement.   Voilà pourquoi nous ne disons pas cela, c’est-à-dire cette substance ou cette entité, comme Scot, mais voici la substance sous les espèces, le pronom démonstratif se rapportant aux accidents, plutôt qu’à la substance.
 Il y a une grande différence entre ces deux ceci ou cela, c’est-à-dire entre cette substance, et cette substance sous les espèces.  Quand tu dis : cela, c’est-à-dire cette substance, il est nécessaire que cette substance soit alors présente.  Quand on dit cela, sans que soit présent le Christ corporellement, la monstration est rendue fausse.  Mais si tu disais  cela, c’est-à-dire la substance sous les espèces,  il n’est pas nécessaire que cette substance soit  présente,  mais il suffit que soient présentes les espèces qui sont montrées par le pronom démonstratif  cela.  Ce qui apparaitra plus clairement si, sans parler de la substance, tu dis : ceci est mon corps, c’est-à-dire sous ces espèces est contenu mon corps.  Mais assez de tout cela.
Le second argument est tiré du mot est.  Pierre le martyr enseigne (dans son livre contre Gardinerus parag 3,  p 658) que les papistes sont forcés de donner au verbe « est » le sens de devient ou est transfiguré.  Car, autrement la proposition suivante serait fausse : cela est mon corps.  Car, une chose doit exister d’abord avant qu’on dise qu’elle existe.  Car, une proposition est vraie s’il en est ainsi, mais, autrement,   elle n’est pas vraie. Et cela vaut surtout pour les catholiques  qui veulent que ces paroles soient la cause de la conversion du pain dans le corps du Christ, car la cause est toujours antérieure à son effet.   Mais, le corps du Seigneur n’est pas dans l’eucharistie avant qu’on dise « est » .  On emploie donc faussement le verbe être, à moins de lui donner le sens de devient.  De plus, selon les papistes, ces mots sont opératoires, comme le fiat lux.  On doit donc donner au mot « est » le sens de « devient. »
Je réponds avec saint Thomas (3 par quest LXXV111 art 2 et 5 d’où Pierre le martyr a puisé ces arguments) que ces paroles consécratoires n’ont une signification parfaite qu’au dernier instant où est prononcé le dernier mot.  Car l’esprit est en suspend  jusqu’à ce qu’arrive la fin. Or, c’est au dernier instant que se produit l’effet des paroles dans l’être, c’est-à-dire la conversion du pain dans le corps du Christ.   Il importe peu que les paroles de dernier instant ne soient  pas les dernières,  quand elles finissent par un mouvement.  Car, même si n’est pas donnée la dernière partie du mouvement, et donc des paroles, le point final est quand même donné.   Voilà pourquoi c’est au même moment que sont complétées ensemble la signification entière des paroles, et la conversion du pain dans le corps du Christ.  Dans l’ordre de nature, cependant, ces deux  se précèdent et se suivent mutuellement.  Car, dans la mesure où elles sont la cause de cette conversion, ces paroles précèdent la conversion; et dans la mesure où la vérité de la phrase dépend de l’essence de la chose, la conversion précède la signification.
À cette confirmation je réponds que les paroles sont opératoires même si on ne met pas « est » à la place de « devient », parce que, quand le Dieu qui ne peut mentir dit que quelque chose est, il est nécessaire qu’elle soit.  Et si elle n’existait pas avant, il est nécessaire qu’elle soit alors.   Dieu dit autrefois : que la lumière devienne, mais le Christ ne dit pas : qu’il devienne mon corps,  mais est mon corps.  Saint Thomas en donne la raison  suivante.  Au début de la création, les paroles de Dieu opéraient seulement efficacement, non sacramentalement. Or, les paroles du Christ opèrent de l’une et l’autre manière.  Elles doivent donc signifier leur effet dans un être fait.  Ce qui se fait par un verbe substantif au mode indicatif, et au temps présent.  Mais même si cette cause n’existait pas, qui a imposé une loi au Christ pour qu’il parlât toujours de la même manière quand il faisait quelque chose ?  Ne lisons-nous pas dans Luc X111 que le Seigneur a dit : « Femme tu es libérée de ton infirmité ». Et en Jean 1V : « Va ton fils vit ! »  Et il est certain qu’il n’a pas moins bien guéri ces malades que cet autre par ces paroles (Jean V): « Prends ton grabat, et marche ! »
Les Zwingliens nous objectent quelques exemples de l’Écriture  où « être » semble vouloir dire signifier.  Comme : «  La semence est la parole de Dieu, le rocher était le Christ. »  Mais nous parlerons de cela dans la prochaine dispute, car ces objections sont communes à Calvin, Oecolampadius et d’autres.  C’est comme si tu disais : la semence est, c’est-à-dire elle signifie la parole; et la semence est la parole de Dieu, c’est-à-dire est le signe de la parole de Dieu.  On peut aussi expliquer ainsi d’autres phrases semblables.
Le troisième argument est tiré du mot corps. Argument que répètent souvent Calvin, le martyr et les autres.  Cette phrase (ceci est mon corps) est sacramentelle.  Il faut donc l’expliquer sacramentalement.  Elle signifie donc que c’est sacramentalement que le pain est le corps du Christ, ou significativement.  Cet argument Calvin en faisait un si grand cas que, dans la dernière admonition à Westphalus, il s’écrit, au sujet de cet argument qu’il est un mur d’airain.
Je réponds qu’une proposition sacramentelle peut être considérée de deux façons.  La première.  Elle est dite sacramentelle parce qu’elle explique un sacrement, ou sa signification, comme dans l’Apocalypse (17) : « les sept têtes sont sept collines. »  Car, Dieu avait montré, dans une vision,  à Jean une femme assise sur une bête à sept têtes, qui signifiait Rome, qui est sise sur des collines.  L’ange dit donc : « Je te dirai donc le sacrement de la femme.  Les sept têtes sont sept montagnes sur lesquelles la femme est assise. »  On trouve des choses semblables dans Matthieu X111 : « La semence est la parole de Dieu. » Et en Genèse 41 : « Les sept bœufs sont des années »  Dans ce genre de phrases, les prédicats sont toujours pris figurativement, non proprement.
La seconde. On peut dire aussi d’une phrase qu’elle est sacramentelle parce que, par elle, un sacrement est institué, déclaré ou confectionné.  Comme ce que l’on dit de la matière du baptême en saint Jean 111 : « À moins que quelqu’un ne renaisse de l’eau et de l’Esprit Saint », ou, comme nous disons en baptisant : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »  Et de cette façon, c’est au sens propre qu’on reçoit les paroles qui désignent la matière et la forme du sacrement.  Car il n’est pas permis de dire que, dans le baptême, on ne peut pas prendre le mot « eau » au sens propre, mais que quelque chose d’autre est signifié par elle; ou qu’il ne faut pas invoquer la trinité en termes propres, mais en termes figurés.  Autrement, dans les sacrements, il n’y aurait plus rien de certain.
Toute la question est donc : est-ce que ces mots (ceci est mon corps) sont dits pour expliquer le sacrement, ou pour l’instituer, et  le confectionner ?  Mais, en toute vérité, il n’y a pas là de question à se poser, car il est certain que ces mots ont été dits pour instituer et confectionner le sacrement.  Car, chez les catholiques, ces mots sont de l’essence du sacrement, et sont opératoires, comme saint Ambroise l’atteste (livre 4, chap  4.)  Même si les hérétiques disent que ces mots ne sont pas à proprement parler la forme du sacrement, et ne les considèrent pas comme  étant opératoires,  ils soutiennent cependant qu’ils sont nécessaires pour confectionner le sacrement, parce qu’ils contiennent une promesse, sans laquelle, selon eux,  aucun sacrement ne peut exister. Et comme le sacrement selon Calvin est postérieur à la parole de promesse, en tant que son sceau, comme il le dit lui-même (livre 4, chapitre 14, verset 2), il s’ensuit que le pain ne sera un sacrement qu’après la récitation de ces prières.
Ce ne fut donc pas une explication du sacrement –puisque le sacrement n’existait pas encore- mais une institution, une confection.  De plus, pourquoi tous les hérétiques prononcent-ils tous ces mots avant la célébration de leur cène, se ce n’est parce qu’ils pensent que, sans ces mots, le sacrement est nul ? Or, dans l’Écriture, partout où on lit une explication d’un mystère,  cette explication précède le mystère lui-même;  et l’Écriture indique, par les mots subséquents, ce qui doit être déclaré.  Cela se produit dans toutes les paraboles, les songes et les visions qui sont déclarés dans l’Écriture. Or, dans ce passage, aucun mystère n’est raconté, ni n’est indiquée  aucune déclaration consécutive. Il appert donc que ces mots se rapportent à l’institution et à la confection du sacrement, mais non à la déclaration de sa signification.  Son mur en airain s’est donc avéré n’être qu’un mur de paille.
Le quatrième argument du même Calvin (livre 4, chapitre 17,  verset 23) se présente ainsi.  Si les apôtres n’avaient pas compris qu’il fallait entendre le mot corps au sens figuré, ils auraient été troublés par une chose aussi prodigieuse. Or, on lit que c’est en toute tranquillité et sérénité qu’ils ont mangé cette chair sacrée.
 Je réponds qu’il y a deux raisons qui expliquent pourquoi les apôtres n’ont pas été troublés et décontenancés.  La première.  Parce qu’ils avaient été avertis et instruits à l’avance, comme l’enseigne saint Jean Chrysostome (dans son homélie 83 sur saint Matthieu).  L’autre, parce que,  en communiquant ses mystères,  le Christ illuminait leurs esprits pour qu’ils puissent croire.  Ils avaient d’ailleurs entendu plusieurs choses étonnantes sans aucun trouble.  Comme, par exemple, qu’il était le vrai Dieu cet homme qu’ils voyaient manger, boire, dormir, se fatiguer; et qu’il était dans le ciel au moment où il parlait sur la terre.  N’avaient-ils pas, sans broncher, écouté Jésus dire : « Personne ne monte au ciel sauf celui qui en est descendu, le Fils de l’Homme qui est au ciel ? » Et aujourd’hui pourquoi tant de milliers de catholiques simples ne se troublent-ils pas quand ils entendent dire que, dans l’eucharistie, le Christ est là réellement, corporellement, avec son âme et sa divinité ?  Parce que la foi les a persuadés que c’est le Christ qui a dit cela, le Dieu qui ne peut  pas mentir.

Le cinquième argument est  de Klebitius (dans son livre sur la victoire de la vérité, par 1, argument 8 et des autres).  Le Christ a dit de son corps : prenez et mangez !  Or, on ne peut pas vraiment manger le corps du Christ, puisqu’on ne peut pas le mastiquer  avec nos dents.  Donc, on doit entendre au sens figuré ou corps du Christ,  ou la manducation elle-même. Ou bien on l’entend dans le sens suivant : mangez ce pain qui est le signe de mon corps;   ou mangez mon vrai corps avec votre cœur, non avec cotre corps, c’est-à-dire, avec la foi, non avec la bouche.
Je réponds que, dans l’eucharistie,  le corps du Christ est vraiment et réellement mangé par le corps.  Car, pour qu’il y ait vraiment manducation, la mastication n’est pas nécessaire.  Seules suffisent l’assomption et la transmission de la bouche à l’estomac par les instruments humains et naturels, comme la langue,  la salive,  et le palais.  Autrement les vieux édentés et les tout  petits enfants ne mangeraient jamais rien.  Et nous, quand nous déglutissons certains aliments d’une traite, ou des hosties non consacrées, on ne dirait pas, alors,  que nous mangeons.  Ajoutons, de plus, que même si la manducation ne pouvait pas se faire sans la mastication avec les dents, ce serait  quand même réellement et non figurativement que le corps du Christ est mangé dans l’eucharistie.
 Car nous ne disons pas que le corps du Christ est mangé absolument parlant,  mais sous l’espèce du pain.  Ce qui veut  donc dire que les espèces sont mangées visiblement et aussi, mâchouillées par les dents; et que, sous elles, le corps du Christ est invisiblement pris, et transmis à l’estomac.  Car, le pain lui-même, n’est trituré par les dents qu’en raison de ses accidents. En effet, la substance d’une chose n’est pas divisible par elle-même.   Mais la différence qu’il y a entre la substance du pain et le corps du Christ sous les espèces du pain, est  que celle du pain s’étend selon l’extension de la quantité, qui est vraiment informée, et est toute entière sous chaque particule. Voilà pourquoi le pain est mangé absolument parlant, et le corps du Christ sous l’espèce du pain seulement.
Le sixième argument ils le tirent de tous les textes de l’Écriture où le mot « est » est employé au sens de « signifie », ou dans les passages où le prédicat est certainement pris au sens figuré.  Calvin (livre 4, chapitre 17, versets 21 et 22), tire des exemples de la Genèse 17 : « La circoncision est une alliance ».   Exode 12 :  L’ange est dit Dieu, l’agneau est la pâque, c’est-à-dire le passage.  Levit 16 : « Les sacrifices sont des expiations. ».  Psaume 84 : « L’arche est Dieu. »  Matthieu 3 : « La colombe est dite Esprit Saint ».  Jean V11 : « L’Esprit n’était pas encore. »  On ne peut pas ici, entendre le mot être substantivement, car, autrement, le Saint-Esprit ne serait pas éternel.   1 Corinthiens X : « Le rocher était le Christ. »  Et, au même endroit : « Le pain est la communion au corps du Christ. »  1 Corinthiens 12 : « L’Église est le Christ. »  Tit 111 : « Le baptême est le lavement de la régénération. »  Si on entendait ce « est » substantivement, tous ceux qui sont baptisés seraient régénérés, alors que nous savons très bien que pour beaucoup le baptême est inutile.
D’autres présentent d’autres textes, comme : « Les sept bœufs sont les sept années. »  Genèse X11 : « La semence est la parole de Dieu. », Luc V11 : « je suis la porte, »  et d’autres de ce genre.  Et  ils confirment l’argument en disant que des hérésies sont nées parce qu’on avait entendu certains mots de l’Écriture au sens propre, comme celle des anthropomorphites.  Calvin (livre 4m chapitre 17, verset 23) et Klebitius (dans la victoire de la vérité, par 1, arg 16),
Je réponds que cet argument est défectueux de plusieurs façons.  On ne peut pas, à partir de quelques exemples, conclure que le mot être ou le prédicat est employé partout  au sens figuré.  Car, nous pourrions présenter un plus grand nombre de cas où le  verbe être signifie être.  Cette réponse Klebitius la réfute (dans son livre sur la victoire de la vérité, par 1, argument 16).  Il dit que ses adversaires argumentent de la même façon.  Ils prouvent que ceci est mon corps doit être compris au sens propre et non figuré, parce que dans l’Écriture, beaucoup de verbes être ne peuvent pas s’entendre au sens figuré.  Mais il ment, car ce que nous disons, en règle générale, et ce que nous répétons partout,  c’est qu’il faut conserver le sens propre des mots à moins qu’il soit évident que dans, tel cas, tel mot est pris au sens figuré.  C’est avec cette règle universelle que nous prouvons que le mot « est » dans ceci est mon corps, doit être entendu au sens propre.
Je dis la même chose pour la confirmation.   On ne prouve pas correctement qu’il faut se garder en tout et toujours du sens littéral,  parce que quelques-uns y ont trouvé une occasion d’errer. Car, en raisonnant ainsi, on prouverait aussi qu’il faut toujours et partout se garder du sens mystique parce que quelques-uns y ont tiré une occasion d’errer, comme les origénistes et les donatistes.  Il faudrait même continuellement se mettre en garde contre toute l’Écriture,  parce que beaucoup d’erreurs ou presque proviennent d’une fausse interprétation de l’Écriture.
Les arguments de nos adversaires pèchent aussi en ce qu’ils n’ont présenté aucun exemple semblable. Car, dans les exemples allégués, c’est toujours quelque chose de  disparate qui est prédiqué d’une chose  disparate, comme le montrent certains exemples : les bœufs et les années, la semence et la parole, le Christ et la vigne.  Comme, dans ces cas, il ne peut absolument pas se faire que les mots soient pris au sens propre, on a forcément recours au trope.  Or, dans cette phrase : ceci est mon corps, un disparate n’est pas prédiqué d’un disparate.  À quoi se réfère ce « ceci », voilà quelle est la question qui se pose.   Et on ne doit pas assumer qu’il se réfère au pain, puisque le texte ne le dit pas explicitement.  Il faudrait donc apporter un exemple où, du pronom ceci, quelque chose serait prédiqué figurativement.
Klebitius présente deux exemples.  Un dans son argument 16 : Exode 24 : « Cela est le testament » , là où le pronom démonstratif désigne le sang. L’autre ( à la fin de son livre tiré de la confession du duc de Wertemberg)  : Ézéchiel V : « Celle-ci est Jérusalem. » Là où est montrée une image de Jérusalem, mais de la vraie Jérusalem, d’après le texte lui-même, et comme le commentaire de saint Jérôme le montre.  Car, même si (au chapitre 4), il avait été commandé à Ézéchiel de peindre cette ville, au chapitre 5, toutefois, on ne parle plus de cette peinture.  J’ajoute que, en montrant Jérusalem, Ézéchiel n’a pas dit : ceci est Jérusalem, mais voilà Jérusalem.  Jésus, en effet, a dit : ceci est mon corps, et non, cette chose est mon corps. Ce qu’il aurait du dire s’il avait voulu montrer le pain.  Ces  cas ne sont donc pas semblables.
L’argument pèche une troisième fois en ce qu’il mêle plusieurs faussetés.  Car quelques textes sont faussement cités, comme, par exemple : les sacrifices sont des expiations. Or, cette phrase on ne la retrouve pas à l’endroit indiqué, ni ailleurs.  De même, Calvin cite le verset du psaume 84 pour prouver que l’arche est dite Dieu. Mais on ne trouve pas cela à cet endroit. La phrase que cite Calvin : « Le Dieu des dieux sera vu dans Sion. » a été commentée par saint Augustin, saint Jérôme, Theodoret, et d’autres.  Or, ce ne sera pas l’arche, mais Dieu lui-même qui sera vu dans Sion.  Et dans la Sion terrestre, il sera vu quand il revêtira une chair.   Ajoutons que même si on voyait une arche dans ce passage, on ne pourrait quand même pas dire : cette arche est Dieu, mais par cette arche, Dieu est vu, ou par le lieu sacré par Dieu, où des réponses étaient données.  Il agit de la même façon quand il fait dire à saint Paul : « L’église est le Christ. » Ce que Paul a dit c’est : « Il en va ainsi du Christ. » À cet endroit, il appelle le Christ le Seigneur lui-même avec le corps mystique. Mais cela ne nous permet cependant  pas de dire : « L’Église est le Christ. »  Nous ne disons pas non plus : le corps est la tête, ou le royaume est le roi, à moins que, parfois, par le nom du roi, nous entendions le roi lui-même avec tout son royaume.
Et cette autre citation (Jean V111) : « L’Esprit Saint n’était pas encore, » se lit différemment dans des textes plus corrects : « Le Saint-Esprit n’avait pas encore été donné. »  C’est ce que lit Didyme l’aveugle (dans son livre 2 sur le Saint-Esprit), et saint Augustin (dans son traité 52 sur saint Jean),  saint Léon (sermon 2 sur la pentecôte), et d’autres.  Et même si on lisait : l’Esprit Saint n’était pas encore, il n’y aurait pas là de trope, car tous comprendraient que le Saint-Esprit n’était pas encore dans les apôtres, comme le lit saint Jérôme (question 9 à Hedibia).
Certains textes sont bien cités, mais mal interprétés, comme  par exemple, « l’agneau est la pâque, c’est-à-dire, le passage. »   Car, on ne disait pas que l’agneau pascal était la pâque au sens figuré,  parce qu’il aurait signifié le passage, car  il n’y avait aucune similitude entre l’égorgement  de l’agneau et le passage du Seigneur.  Mais on l’appelait pâque au sens propre, comme la fête elle-même s’appelait pâque, nom dérivé du passage du Seigneur, parce que l’agneau était immolé. et que ce jour de fête avait lieu en souvenir et en honneur de ce passage.  Voilà pourquoi dans l’évangile, l’agneau pascal est appelé pâque, au sens propre : « Où veux-tu que nous préparions ce qu’il faut pour manger la pâque ? » Et : « Il était nécessaire que la pâque soit tuée. » (Marc 14), (Luc XX11).
Et cette autre citation (1 Corinthiens X) : « Le rocher (la pierre) était le Christ. »  Selon l’interprétation plus vraie et littérale de saint Jean Chrysostome, de Theophylactus, de Theorodret et d’Ambroise, ce n’est pas le rocher matériel qui signifie le Christ. Ce rocher, en effet, ne suivait pas les Juifs.   Mais le rocher invisible et spirituel qui procurait aux Juifs tout ce qui était nécessaire. C’est ce rocher, ou cette pierre, qui était vraiment et proprement le Christ, comme Dieu.  Car, même si on fait un trope quand on appelle le Christ rocher ou pierre, cependant, par l’addition de spirituelle, le trope est expliqué, et cette parole est dérivée vers la signification du mot Christ.  Et donc, cette phrase : « la pierre spirituelle est le Christ » est entendue au sens propre, et au non au sens figuré.
Même si dans son institution, au lieu cité, Calvin par pierre, entend roche, cependant, dans sa dernière admonition à Westphalus, il entend, par métonymie, « eau » au lieu de « pierre ».  Car, par de petits filets d’eau, l’eu pouvait facilement suivre les Hébreux  dans le désert.  Ce commentaire, Theodoret l’avait autrefois réfuté, et même Pierre le  martyr ne l’épargna pas dans son commentaire de ce passage.   Car cette explication répugne à l’Écriture, car, un peu après, ils manquèrent d’eau de nouveau (Nombres 20 et 21).  Or, ils n’en auraient certainement pas manqué, si l’eau du rocher  les avait suivis.
Le martyr présente deux explications. La première.  Ce « la pierre les suivant », signifie les aidant, les servant.  Les pères grecs qui comprenaient parfaitement le sens du mot grec  akolouthousès, lui font dire accompagnant,  non servant.  Comme d’ailleurs Érasme, à qui nos adversaires attribuent beaucoup de choses.  Il dit que ce mot accompagnant  réfère au Christ, non au rocher, comme nous l’avons dit. Mais,  il ne se rend pas compte que, par cette explication qu’il fait sienne, qu’il trouve préférable aux autres, il détruit lui-même ce qu’il avait dit plus haut.  Car, de cette façon, il ne peut pas y avoir de trope dans les sacrements.  En effet, si le rocher qui accompagne n’est pas le rocher matériel, mais le Christ, rocher invisible, ils ne peuvent certainement pas dire que dans « La pierre était le Christ », ou la pierre (ou le rocher) signifie le Christ.   Ce que pourtant il soutient avec force.
Il faut, toutefois, observer ici que nous ne  nions pas que ce rocher matériel ait été une figure du Christ, et que l’eau qui en coulait ait été une figure du sang du Christ qui coulait de son côté percé.  Ce que nous nions c’est que, par ces paroles (le rocher était le Christ) cette figure était expliquée, comme nous nions que par ces paroles (ceci est mon corps), soit expliquée la signification des espèces du pain.
Au sujet de cette autre citation : le pain est la communion, ils n’en donnent pas une explication exacte quand ils disent : le pain signifie la communion.  Car, le sens est : dans la cène du Seigneur,  la communion au pain consacré n’est-elle pas une communion au corps du Seigneur ?  Il  n’y a là aucun trope enlevant la vérité de la chose, ou obscurcissant la phase.  Car, on entend par pain, l’usage du pain, et la manducation du pain.  Il n’y a pas de trope dans le mot pain, parce qu’on parle du pain consacré qui est vraiment le corps du Seigneur, comme nous le montrerons dans le chapitre suivant.
Ensuite la phrase suivante : le baptême est le lavement de la régénération  est mal expliquée en disant :  le baptême signifie le lavement, car, il ne signifie pas seulement, mais lave vraiment les âmes des péchés, en tant que cela dépend de lui, à moins que son effet soit entravé par notre indisposition.  Pèche aussi le quatrième argument qui veut  que dans tous les textes cités où il y a un trope ou une obscurité quelconque, une explication soit toujours ajoutée, comme dans Genèse 17, où la circoncision est appelée alliance.  Au même endroit, elle est appelée aussi signe de l’alliance. Exode 11, là où on dit que l’agneau est la pâque, on dit au même endroit que la victime est appelée passage du Seigneur.   Dans 1 Corinthiens X, le rocher était le Christ, est expliquée au même endroit comme étant le rocher spirituel qui les suivait.  Ensuite, dans toutes les paraboles et visions, ou songes, on indique toujours que c’est une parabole ou une vision mystique.
Du reste, il est à noter que, dans les textes où l’on trouve des paraboles, des comparaisons, des visions, le moto « est » peut être pris pour « signifie » sans le recours à aucune trope, cat l’essence de telles choses réside totalement dans la signification, comme nous l’avons dit plus haut, lors de l’explication des mots de la consécration.   Comme, par exemple, dans la Genèse, quant on dit que sept bœufs étaient sept années, le sens n’est pas que les bœufs signifient des années, mais que, dans la vision, les bœufs ont été montrés comme signifiant des années.  Or, cette phrase (ceci est mon corps), comme nous l’avons dit souvent, n’est pas l’explication d’un signe ou d’une parabole, mais l’assertion d’une chose.  Voilà pourquoi Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 21), étant sur le point de montrer un exemple de tropes, a préféré ne pas tirer d’exemple des paraboles, car il se rendait compte qu’elles n’auraient rien prouvé.
Le septième argument est de Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 23).  Dans cette phrase (ceci est mon corps) le mot corps,  pris au sens propre,  signifie seulement le corps, ou tout le Christ.  S’il signifie seulement le corps, le corps du Christ sera là sans son âme, son sang et sa déité. S’il signifie tout le Christ, ce sera alors une confuse battologie.  Car, cela est mon corps et ceci est mon sang signifieront la même chose, et on pourra dire du Pain : ceci est du sang;  et du calice, ceci est un corps.    On le confirme ainsi. Si le Christ entier signifie le mot corps, ce sera un trope, qu’on appelle intellection.  Nous ne pouvons pas fuir les tropes dans cette sentence, à moins qu’avec impiété nous séparions le corps du Seigneur de son sang.
Je réponds que les mots signifient au sens propre;  que par le mot corps, on n’entend que le corps, et par le mot sang, que le sang, parce que, en vertu de la nécessaire concomitance, ils sont unis l’un à l’autre.  Même si cette union n’est pas signifiée par ces mots; comme elle n’est pas, non plus, niée.  Exemple. Si quelqu’un disait en montrant le corps de Pierre : Cela est le corps de Pierre, le pronom ne signifie que le corps de Pierre. Il ne s’ensuit pas, cependant, que ce corps soit privé de son âme.  Il n’a pas dit, en effet : ceci est un corps sans âme, mais simplement : ceci est un corps.  Ce qui reste vrai,  qu’il soit uni ou pas à une âme. Voilà pourquoi il n’y a ici aucune battologie, ou trope.
 Et même si nous étions forcés d’y voir une intellection, cela ne compliquerait pas les choses, parce qu’il y a une grande différence entre l’intellection et une métaphore ou métonymie. L’intellection n’enlève pas la réalité ou vérité de la chose, mais les autres l’enlèvent.  Voilà pourquoi dans ces mots : le Verbe s’est fait chair, tous les catholiques admettent une intellection, qui nous fait comprendre un tout par une partie.  Mais personne n’y voit une métonymie ou une métaphore, sauf les hérétiques qui nient une véritable chair dans le Christ.
Le huitième argument de Calvin (verset 20) et de Pierre le martyr est tiré du (chapitre 11, 1 Corinthiens) : « Ce calice est le nouveau testament dans mon sang. »  Il faut nécessairement admettre là deux tropes.  Le premier, dans le mot calice.  Car, selon le commun usage, le contenant est pris pour le contenu.  Ce trope s’appelle une métonymie.  Le deuxième, dans le mot testament.  Car ni le pain ni le vin ne sont proprement une alliance, mais des signes de l’alliance.  Ce qu’ils prouvent en disant d’abord que, autrement, à chaque jour on devrait renouveler l’alliance, puisque la précédente aurait été supprimée.  De plus, il serait nécessaire que le Christ meure continuellement, car un testament ne vaut qu’après la mort du testateur (Hébreux 1X).  Troisièmement. Dans Matthieu, le Seigneur a dit : « Ceci est mon sang, le sang du nouveau testament. » Le sang n’était donc pas le testament; et, selon Luc, ce qui était dans le calice était le testament. Il n’y avait donc pas de sang dans le calice. Quatrièmement.  Luc et Paul disent que le calice est  le testament dans le sang.  Donc, ce qui était dans le calice n’était pas le sang.  Car alors le sens serait : ce sang est le testament dans le sang, ce qui est absurde et impossible.  Car, quand l’un est dans l’autre,  ils ne peuvent pas être une seule et même chose. Il déduit de là qu’on doit interpréter les paroles de Matthieu et Marc, par les paroles de Luc et de Paul, pace que celles de Luc et de Paul sont plus brèves, et celles de Matthieu et de Marc sont plus longues.
Donc, le « ceci est mon sang » de Matthieu et de Marc doit recevoir le sens de : ceci est le testament dans mon sang, c’est-à-dire le signe du testament confirmé par mon sang.  Et, de la même façon, le ceci est mon corps, doit avoir le sens de : ceci est le testament dans mon corps.  Mais, non seulement le sang, mais le corps du Christ a rendu stable le nouveau testament.  On ne peut donc pas entendre le mot corps au sens propre, à moins qu’on ne veuille que le corps et le testament dans le corps ne soient une seule et même chose.  C’est ce qui semble être, sur ce sujet, le talon d’Achille de Calvin.
Je réponds que nous ne nions pas qu’il y ait un trope dans le mot calice. Mais, ce trope est, là, clairement exprimé.  Mais, on ne peut pas mettre un trope dans le mot corps, comme le font les adversaires, car le Seigneur a dit : prenez et buvez, ceci est le calice, et, pourtant, il est certain qu’on ne boit pas le vase, mais le liquide qu’il contient.  Et de même, Luc ajoute au sujet du calice : qui a été répandu pour vous. Or, ce n’est pas le vase qui est répandu ou versé, mais le liquide qui s’y trouve.  Luc et Paul : ceci est le calice;  Matthieu et Marc, ceci est le sang.  Or, il faut expliquer les mots obscurs par des mots plus clairs,  et des mots figurés par des mots au sens propre.  Il est certain que si le même homme disait du même vase : buvez de cette coupe,  personne ne douterait que, dans cette coupe, du vin soit contenu.  Que les adversaires montrent que, dans l’Écriture, le trope est expliqué aussi clairement qu’ils l’imaginent dans le mot corps, et ils auront remporté la victoire.  J’omets de dire qu’employer  le mot calice pour signifier ce qui est contenu dans le calice est un trope si usité et vulgarisé que le sens de ce trope  n’est pas moins clair que celui des mots pris au sens propre.
Quant à l’autre trope qu’ils placent dans le mot alliance ou testament, je réponds qu’il n’y a là aucun trope.  Il faut noter ici qu’on a coutume de donner le nom de testament ou alliance à deux choses.  La première : la volonté elle-même du testateur,  qui dispose de l’héritage, qu’elle soit absolue  ou conditionnelle, et qui peut être appelée aussi pacte.  C’est dans ce sens que prend ce mot l’Exode 24 : « Ceci est le sang de l’alliance. »  Ou, comme le cite saint Paul (Hébreux 9) : « Ceci est le sang du testament. »  Car, le sens est le même.  Ceci est le sang par lequel est sanctionnée et confirmée la volonté, le pacte, la promesse de Dieu.  C’est ainsi que l’emploie la Genèse 17, où la circoncision est dite signe de l’alliance, ainsi que les épitres aux Galates (4), aux Hébreux 8), et Jérémie (31)  où l’on distingue deux testaments.
Deuxièmement, le testament est appelé un instrument authentique, qui contient la volonté du testateur, et par lequel l’héritier acquiert le droit à l’héritage.  Et, de cette façon, ce n’est pas improprement que, dans la bible sacrée,  sont appelés ancien et nouveau les testaments dans lesquels est contenue la volonté de Dieu sur les biens temporels à donner aux Hébreux, et sur les biens éternels à donner au peuple chrétien.   Ainsi que les sacrements qui sont des instruments  authentiques qui nous appliquent le droit à l’héritage.  Et l’héritage lui-même, du moins en partie.  Car, l’héritage est une grâce et une gloire.  Dans la présente ère de grâce,  il nous est donné par les sacrements,  ainsi que le droit à la gloire.   Voilà pourquoi la circoncision, qui était un sacrement de l’ancienne loi, et par laquelle était donné aux Hébreux le droit à la terre promise, est appelée testament dans l’Eccl 1V : « C’est dans sa chair, qu’il a établi le testament. »
La même est aussi appelée le signe de l’alliance, et l’alliance elle-même  (Genèse 17), et l’un et l’autre au sens propre.   Car, elle était le signe de l’alliance comme l’alliance est prise pour la divine promesse.  Elle était en même temps l’alliance, en tant que l’alliance est prise pour un instrument qui explique cette promesse.  Parmi tous les sacrements, c’est l’eucharistie qui est principalement appelée alliance, car non seulement elle est un instrument qui procure l’héritage, mais elle contient aussi une représentation très claire de l’effusion du sang du Seigneur, duquel le nouveau testament tire sa vertu.
À l’aide de ces explications, nous répondrons à toutes les objections.  À la première.    Je nie qu’il faille faire à chaque jour un nouveau testament, et que celui qui précède ait été révoqué.  Car, la célébration de l’eucharistie n’est pas une nouvelle institution du testament, mais sa répétition.  C’est comme quand on décrit souvent le même testament, et que cette répétition sert à appliquer un héritage à différents héritiers. Ou comme quand la circoncision était répétée constamment, sans que soit jamais rendue caduque la précédente.
À la deuxième.  Je nie que le Christ doive mourir à chaque jour, car sa mort ne fut pas le testament, mais la confirmation du testament.   Son unique mort suffit donc pour confirmer son testament, même si elle est répétée des milliers de fois.  Au troisième, je dis  que, dans ces paroles de Matthieu : ceci est le sang du testament, le mot testament est employé,  au sens de la divine promesse : ce calice est le testament.  Mais dans les paroles de saint Luc : ce calice est le testament, il est employé au sens d’un instrument de cette promesse.  L’un et l’autre sont vrais et sont dits au sens propre.  À la quatrième, je réponds  que  « ce calice est le testament dans mon sang »   n’est pas une expression absurde, même si « ce calice » était pris pour le sang qu’il contenait.  Car, le mot sang est employé de différente façon dans deux passages.   Car, quand on dit « ce calice », on le prend pour le sang qu’il contient, comme il est sous les espèces du vin, et il est un sacrement, et donc un testament.
Quand on dit  « dans mon sang », on le prend pour le sang visiblement versé dans le calice, de sorte que le sens soit : ce calice, c’est-à-dire, la chose qui est contenue dans ce calice sous les espèces du vin, est le nouveau testament dédié et sanctionné dans mon sang.  Et à l’objection qu’ils font qu’il faille nécessairement distinguer les choses dont l’une est dans l’autre, je réponds que, dans ce texte, le « dans » ne signifie pas le fait de contenir, mais la cause instrumentale. Car, le mot « dans » est placé à la place de « par » pour que le sens soit le suivant : le nouveau testament est sanctionné dans le sang du Christ, c’est-à-dire par le sang du  Christ.  Comme on dit en Romains 111 que le Christ est propitiateur dans son sang.  Et en Romains 5, on dit que nous sommes justifiés dans le sang du Christ.  Et, aux Éphésiens 2, : « Nous qui étions éloignés, nous sommes devenus proches dans son sang. »
Et au sujet des conséquences de Calvin, je dis qu’on n’a  pas à expliquer Matthieu par Luc, ni Luc par Matthieu, parce que l’un et l’autre parlent au sens propre, et assez clairement.  Et même s’il y avait un trope dans ces paroles : ce calice est un testament, il faudrait les expliquer par les paroles de Matthieu qui sont plus claires :  ceci est le sang du nouveau testament.   On peut quand même concéder à Calvin qu’il est permis de dire : ceci est le sang du testament, c’est-à-dire ce calice est le testament dans mon sang.  Et aussi : Ceci est mon corps, c’est-à-dire le testament dans mon corps.  Il ne s’ensuit pas que le corps soit  pris au sens figuré, car, comme nous avons dit, le vrai corps et le sang du Seigneur sous les espèces du pain et du vin, sont vraiment et proprement le testament.
Le neuvième argument est tiré des paroles suivantes : « Faites cela en mémoire de moi. »  Car la mémoire porte sur des choses absentes.  Donc, le pain et le vin ne sont pas le corps et le sang, et ne sont pas changés en eux, mais sont de simples symboles d’une chose absente.  Le corps et le sang sont pris figurativement pour le signe du corps et du sang du Christ.  On le confirme parce que la commémoration de la mort du Seigneur est la fin propre de ces symboles de l’eucharistie, et est une autre fin plus sublime de ce vrai corps. Or, dans l’institution du sacrement, le Seigneur ne parle que de la commémoration. Le corps est donc pris figurativement pour le symbole du corps.
Je réponds que la signification de « en mémoire de moi » a été expliquée par saint Paul (1 Cor 11) en ces mots : « Vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. »  Voilà pourquoi on nous demande de prendre l’eucharistie en souvenir de la passion et de la mort  du Seigneur qui n’est pas présente, mais qui est absente, bien plus, qui n’est pas, mais qui a été.   À la confirmation je réponds que le Seigneur a parlé des deux fins.  Car, quand il a dit : ceci est mon corps qui est livré pour vous, et, ceci est le sang qui est répandu pour vous en rémission des péchés, il a indiqué clairement que la fin de ce sacrement est la rémission des péchés.  Ajoutons que, au sujet du fruit de ce sacrement, le Seigneur avait dit en Jean 6, qu’il n’était pas nécessaire d’y ajouter beaucoup de choses.
Le dixième argument est tiré des mots : je ne boirai plus de ce fruit de la vigne jusqu’à ce que je le boive de nouveau dans le calice.  Ce ne fut donc pas du sang, sinon figurativement.  Je réponds qu’on peut trouver chez Luc  les mots qui appartiennent au calice du vin que le Seigneur a donné aux apôtres après avoir mangé l’agneau pascal, avant la consécration des mystères, et que les autres évangélistes n’ont pas raconté.  Car, tout d’abord, Luc parle de deux calices, de l’un avant la consécration du pain.  Et ce n’est pas du premier qu’il a dit : ceci est le sang, l’alliance dans le sang, comme il l’a dit de l’autre.  Du même premier il a dit : « Je ne boirai plus du produit de la vigne ».  Luc joint ensuite ces mots : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne avec eux. »  Je n’en mangerai plus, c’est-à-dire de la pâque, jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu.  Il est certain que la pâque est appelée ici agneau pascal, «  mot » que les trois évangélistes ont employé dans ce sens.  Donc, les mots : je ne boirai plus du produit de la vigne, appartiennent à la vigne qu’ils burent quand ils mangèrent l’agneau pascal.
Tu diras que, au chapitre 26, il ne fait mention que d’un seul calice,  de l’eucharistie.  Donc, quand il dit : je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, ces mots se rapportent au sacrifice de l’eucharistie, non à autre chose.  Car il semble tout à fait absurde qu’il ait montré un autre calice dont il n’avait jamais parlé.  Je réponds que saint Mathieu n’a montré aucun de ces deux calices, mais seulement celui qui était sur la table, ou qu’ils avaient bu dans la cène.  Cependant, de Luc nous déduisons que le Seigneur n’avait pas en vue seulement le vin qu’ils avaient bu, mais aussi une certains amphore que le Seigneur vida à la fin de la cène judaïque, quand il mettait fin aux lois.
Si tu nous objectes encore un texte de saint Augustin (livre 3, chapitre 1, sur le consensus des évangélistes) qui explique que saint Luc n’a pas raconté l’histoire selon l’ordre chronologique, mais qu’il a rapporté par anticipation ce que Matthias et Marc avaient narré au moment où les choses se produisaient, je réponds que saint Augustin n’a pas pris le temps voulu pour traiter cette question avec soin. Il n’a cherché qu’à se sortir rapidement d’une impasse.  Saint Jérôme (chapitre 26 de Matthieu),  Bède et Theophylactus (chapitre 22 de Luc) parlent distinctement de deux amphores dans la cène du Seigneur.  Et c’est de la première coupe qui était celle des Juifs qu’ils entendent ces mots : « Je ne boirai pas du fruit de la vigne. »  Ajoutons qu’il est beaucoup plus vraisemblable que ce soient Matthieu et Marc, plutôt que Luc,  qui n’aient pas raconté, dans l’ordre,  une chose de si peu d’importance.  Saint Luc ne racontait-il pas le  mystère le plus grand et le plus sublime ?
À supposé même qu’on nous aurait convaincus que les paroles du Seigneur (je ne boirai plus du fruit de la vigne) avaient été dites après la consécration du calice, nos adversaires n’en tireraient au gain. Car, ces mots pourraient et devraient être référés non au calice consacré, mais à celui qui avait été bu avant, comme le fait saint Anselme dans son commentaire de ce texte de saint Matthieu.  Car le Seigneur n’a pas voulu dire qu’il ne célébrerait plus l’eucharistie,  mais qu’il ne  boirait plus à la manière humaine, pour refaire ses forces.
                                                           CHAPITRE 12
On prouve la réalité du corps du Seigneur dans l’eucharistie avec des textes de l’Écriture qui contiennent l’usage de ce mystère, et d’abord, le chapitre 10 de la première épitre aux Corinthiens.
Le quatrième argument est tiré des textes de l’Écriture qui décrivent l’emploi de l’eucharistie au temps des apôtres.   Il y a deux passages principaux à consulter.  Le premier (1 Corinthiens 10) : « Le calice de bénédiction, par lequel nous bénissons, n’est-il pas une communion au sang du Christ ? »
On peut puiser dans ce passage, plusieurs arguments qui nous permettent de prouver la vérité catholique.  Le premier. Avec les mots : calice de bénédiction par lequel nous bénissons. Car, ces paroles signifient que la consécration est nécessaire à la confection de ce sacrement. Elle ne serait certes pas nécessaire si ce sacrement ne contenait qu’une figure ou une représentation du sang du Seigneur.  Car, la manne, l’eau sortie du rocher et l’agneau pascal étaient aussi des signes et des figures du corps du Christ, et, selon nos adversaires, des sacrements du même genre que notre eucharistie.   Et pourtant, pour être des figures ou des sacrements, la manne et l’agneau pascal n’ont eu besoin d’aucune consécration.
Est réfutée en même temps l’explication de Calvin et celle du martyr selon laquelle la bénédiction du calice est une consécration qui fait en sorte que le vin soit un sacrement commun.  Car, s’il en était ainsi, ou le sacrement est un signe selon notre bon plaisir, ou il a, de par la nature de la chose,  une analogie quelconque à la chose signifiée.  Ce n’est pas le premier cas, parce que, pour cela, la première institution a suffi.  Ce n’est pas non plus l’autre, parce que, bien qu’elle soit naturelle, cette analogie est dans la chose avant toute consécration.  Car, ce n’est pas de la bénédiction, mais de la nature,   que le pain et le vin ont le pouvoir de nourrir le corps, et que le corps et le sang du Christ ont celui de  nourrir l’âme.  Du reste, pourquoi, dans le baptême, aucune bénédiction de l’eau n’est-elle nécessaire pour que le baptême soit un sacrement ?  Et pourquoi aussi n’a-t-il pas été nécessaire de bénir  la manne, l’eau sortie du rocher et l’agneau pascal ?
Ils ne peuvent pas dire non plus que cette bénédiction du calice soit semblable à celle que nous employons aux repas, pour bénir les mets.   Car, cette bénédiction est faite pour ne pas nous montrer ingrats envers les dons du Créateur.  Elle est donc utile, mais pas nécessaire, car, sans bénédiction, les mets ont de la saveur et nourrissent.  Or, les adversaires eux-mêmes admettent que la consécration est nécessaire pour que le vin soit un sacrement.
Le deuxième argument, ils le tirent  de :  le pain que nous rompons.  Car, dans le mystère de l’eucharistie, la fraction a le même sens que l’oblation ou l’immolation, comme nous le montrent ces paroles de saint Paul  (1 Corinthiens 11) : « Ceci est mon corps qui est rompu pour vous. »  Car, même un Calvin et même un Pierre martyr réfèrent ces mots à la passion. Calvin dit même : « Être rompu, dans ce texte, est la même chose qu’être immolé. »  Donc,  dans ce texte aussi,  la fraction sera l’immolation. Car, c’est la parole du même auteur, dans la même épitre, et traitant de la même chose.
Et, on le confirme en disant que saint Paul a décrit le calice par les paroles de la consécration, et non pas les paroles de la distribution.  Car, il n’a pas dit « le calice que nous offrons à boire par lequel nous bénissons ». Il devait donc aussi décrire le pain par les paroles de la consécration, non de la distribution.  Et si rompre est immoler, il s’ensuit nécessairement que le mot pain ne signifie pas le pain pétri, mais le corps lui-même du Christ, qui est le pain super substantiel et céleste.  Car ce n’est pas le pain pétri que nous immolons, comme quand on dit on peu plus bas : nous sommes à plusieurs un pain un corps. Non, le pain ne reçoit pas ce nom du pain rompu, mais du pain mystique. C’est-à-dire, comme le dit l’apôtre, un seul corps du Christ.
Là est la preuve que le Christ, que le corps du Christ est vraiment présent dans la cène.  Car, nous n’immolons pas le pain rompu, mais le corps du Christ comme il est dans le ciel.  Donc, comme et dans cette table sous l’espèce du pain.  Ils ne peuvent répondre à cet argument qu’en admettant une double équivoque, une dans le mot rompre, et une autre dans le mot pain.   Nous obtiendrons, à tout le moins,  que notre explication soit estimée supérieure,  puisqu’elle explique Paul par Paul, sans avoir recours à aucune équivoque.
Le troisième argument est tiré des mots suivants : « la communion au sang du Seigneur », et « la communion au corps du Seigneur. »  Il faut noter ici que le mot grec koinônia a  dans l’Écriture, trois sens différents.  Il signifie parfois une distribution, comme dans Romains X11 : « Pourvoyant aux nécessités des saints. »  Qu’il faille entendre ce mot dans ce sens, certains sacramentaires le nient, comme Klebitius (dans la réponse au premier argument) pour qu’ils ne soient pas obligés d’admettre que le corps du Christ lui-même est distribué sous les espèces du pain. Mais même s’ils sont des sacramentaires, le martyr et d’autres ne rejettent pas cette explication.  Car, ils pensent que, avec leur trope, ils sont suffisamment armés contre tous les arguments.  Car, ils disent que le corps du Christ est distribué avec l’espèce du pain, mais significativement et spirituellement seulement.
Le mot koinônia est parfois aussi la société, ou la confédération, comme dans Galates 11 : « Ils on donné à moi et à Barnabée, les droit de société. »  Et cette signification, Calvin et le martyr, semblent la mettre avant les autres, obtenant ainsi le sens : le breuvage de ce calice est un signe de la société qui est formée par tous les fidèles, qui sont rachetés et nourris  par le même sang, qui est versé spirituellement.
Ils signifient aussi parfois la participation à une chose, comme dans Philippe 1V : « Participant à mes tribulations. »  Chez les adversaires, adoptent cette signification Klebitius  (au lieu cité), et selon ce même Klebitius, Mélanchton.  Il est certain que les trois paraissent probables, et qu’elles tranchent la même chose. Car que koinônia soit une distribution, une confédération ou une participation, saint Paul enseigne que le corps du Seigneur est reçu dans le sacrement.  Mais  toute la difficulté réside en ceci : le sang et la chair sont-ils  reçus corporellement et réellement, ou significativement et spirituellement ?  Que ce soit corporellement et réellement, on peut le prouver par tous les arguments avec lesquels nous avons prouvé plus haut qu’il fallait entendre au sens propre les paroles de l’institution : ceci est mon corps.  Contentons-nous pour le moment des trois suivants.   Le premier. On doit toujours choisir le sens propre et littéral, à mois qu’il soit prouvé qu’il faille faire le contraire. Les adversaires n’ont pas à nous demander pourquoi nous prenons en premier le sens  propre des mots.  Car cela ressemblerait à quelqu’un qui demanderait à ceux qui sont en chemin  pourquoi ils suivent la route publique pavée. Nul homme sain d’esprit ne poserait cette question, ou ne demanderait pourquoi on entre par une porte et non pas une fenêtre.
Deuxièmement, parce que c’est ainsi que l’ont expliqué les anciens saints, et surtout saint Jean Chrysostome, que les autres suivent.   Car, dans le commentaire de ce passage, (homélie 24 sur la première épitre aux Corinthiens), il dit, en expliquant ces paroles : « le calice de bénédiction etc » : « Les paroles de cette phrase signifient ceci : « ce qui est dans le calice, c’est-à-dire ce qui a coulé du côté transpercé, nous en sommes nous aussi participants. »  Et il ajoute : « Paul n’a pas voulu dire metoxèn, c’est-à-dire participation, mais koinônia, c’est-à-dire communication, pour indiquer que, par ce sacrement, on participe au corps et au sang du Seigneur, pour que le participant et la chose participée deviennent une seule et même chose, en une union intime et véritable, comme sont unis par l’incarnation le Verbe de Dieu et la chair.
Il est certain que la parole de Dieu et la chair ne sont pas unies figurativement, ou seulement par la foi, mas véritablement et réellement.  Saint Cyrille ( au livre 10, chapitre 13, sur saint Jean) prouve, avec ce texte, que, par l’eucharistie, le Christ est uni à nous non seulement par la charité, mais véritablement et réellement.   Il le prouve, troisièmement, avec l’intention et le but de l’apôtre qui était de détourner  les Corinthiens des sacrifices des Gentils, et de l’usage de toutes les viandes immolées aux idoles, comme le contexte le montre.   Il les met en garde en montrant la table et le sacrifice de loin plus honorable dont ils peuvent faire usage.
 Et saint Jean Chrysostome illustre toute la chose avec une comparaison insigne.   Car, si celui qui aime se rend compte que la personne qu’il aime désire des vêtements, ou d’autre chose semblable, il lui offre ses vêtements les meilleurs et les plus chers.  De la même façon, quand l’apôtre s’aperçut que les Corinthiens désiraient le sang des sacrifices, et les viandes immolées aux idoles, il leur montra la table du Seigneur où ils ont un sang et une chair sans comparaison plus sublimes et plus excellents.  Or, si la sentence des adversaires était vraie, l’apôtre n’y aurait rien gagné.  Car, si le vrai corps et le vrai sang du Christ ne sont pas sur l’autel, mais seulement une figure et un signe,  le discours de l’apôtre n’aura pas plus d’effet que n’en aurait quelqu’un qui offrirait à la personne aimée l’image d’un vêtement, pour la détourner de convoiter un vêtement véritable  et en soie.
                                                           CHAPITRE 13
On prouve la même chose avec le chapitre 6 de la première épitre aux Corinthiens
L’autre texte qui porte sur l’emploi ou l’usage de ce sacrement,  est le chapitre 6 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens, dont on a parlé plus haut, et qui donne à lire ces mots : «Celui qui mange et boit indignement, en ne discernant pas le corps du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation. » Voici quel argument on tire de ce texte.  On reproche à certains de recevoir indignement le corps  du Seigneur, et on déclare que ce n’est pas la vie qu’ils en tirent mais la condamnation.  Or, ceux-là ne recevaient certes pas le corps du Christ en esprit et par la foi, car ils l’auraient reçu utilement s’ils l’avaient ainsi reçu.  Ils l’ont donc reçu avec leurs seuls corps. Donc, le corps du Christ est vraiment présent dans l’eucharistie; et ce n’est pas non plus par une bouche corporelle qu’on peut recevoir  le Christ tel qu’il est dans le ciel.
Les adversaires tentent de deux façons d’éluder la difficulté que leur apporte ce passage.  Ils disent que c’est pour une double raison que ceux qui  se présentent indignement à la communion, deviennent coupables du corps du Christ et mangent leur propre condamnation.  La première, parce qu’ils ne reçoivent pas vraiment le corps du Seigneur que Dieu leur offre dans ces symboles,  ce qui est comme s’ils rejetaient par terre les symboles du corps du Seigneur.  Car, les injures faites au symbole ou à l’image s’adressent à celui qui est représenté par un symbole ou une image. Calvin en parle brièvement (livre 4, chapitre 17, verset 33), et plus longuement Pierre le martyr (dans son commentaire de ce passage).  Il donne comme exemple la statue d’un prince. Et Pierre Boquinus (paage 164 du livre conre Heshusius), où il donne l’exemple de Théodose qui punit très sévèrement ceux qui avaient traité vilement l’image de son épouse.
Mais aucune de ses raisons n’est solide.  Et, pour commencer par une raison a posteriori,  l’inconstance des calvinistes suscite notre étonnement.  Car, ils ne pensent pas pécher contre le Christ et les saints quand ils démolissent des images.   Et ils rient des catholiques qui leur objectent que l’honneur et le mépris apportés à une image retombent sur l’exemplaire. Maintenant, ils veulent que ce soit le plus grand des sacrilèges de prendre indignement la figure du corps du Christ, et que cette injure retombe sur le Christ lui-même.  Et Klebitius est si écervelé que, dans la même page, à la solution 7, il s’en prend à ceux qui ne démolissent pas les images du Christ et des saints, là où il avait dit que pèchent ceux qui reçoivent indignement le corps du Seigneur.  Parce qu’il pèche contre le roi  celui qui l’Injurie dans son sceau, parce que dans le sceau se trouve l’image du roi.
De plus, On ne considère qu’une injure ait été faite à une image que quand quelqu’un viole une image avec l’intention de lui faire injure.  Si c’est pour une autre raison que l’image est déchirée, foulée aux pieds ou salie, comme cela arrive souvent dans le cas des images, personne  ne dit qu’a été violé celui dont c’est l’image.  Or, ceux qui reçoivent le sacrement de l’eucharistie avec la conscience d’un péché mortel, deviennent coupables du corps du Christ, et mangent leur propre condamnation, même s’ils ne se présentent pas à la sainte table avec l’intention de l’injurier.   La cause de ce péché n’est donc pas que l’eucharistie serait la figure du corps du Christ.
Si ceux qui reçoivent indignement l’eucharistie péchaient parce qu’elle représente le Christ, il ne serait pas permis à un homme pécheur de regarder ou de conserver une image du Christ peinte ou sculptée, ni d’écouter la parole de Dieu.  Car, ces choses représentent et offrent le Christ, elles aussi.  On peut même aller plus loin,  car, selon l’opinion de  nos adversaires, la prédication de la parole de Dieu offre et signifie mieux, pour nous, que le sacrement.  Et pourquoi, je le demande, la manne et l’eau sortie du rocher étaient-elles reçues par les bons et les mauvais, les dignes et les indignes, alors qu’on ne disait de personne qu’il était coupable du corps du Seigneur, et qu’il mangeait sa propre condamnation, même si ces choses représentaient le Christ, et étaient offertes de la manière qu’est offerte l’eucharistie, selon nos adversaires.
Si tu nous objectes que, dans l’ancien testament, il n’ était pas permis à un homme souillé de manger des viandes du sacrifice (Lévitique 7), ni des pains de proposition (1 Rois XX1), je réponds que cela fait notre affaire.   Parce que, étant des types et des figures du sacrement de l’eucharistie, ces aliments exigeaient une pureté corporelle, pour que nous concevions la pureté spirituelle qu’exige la chose figurée.  Si tu objectes que dans le baptême, il y a une eau vraie et naturelle, et non un Esprit Saint sous les espèces de l’eau  et que, pourtant, celui qui, dans la baptême, reçoit cette eau sans les dispositions requises, pèche contre  le sacrement de Dieu, et donc, contre Dieu lui-même, je réponds qu’il est vrai que pèche celui qui reçoit le sacrement indignement et sans les dispositions requises,  parce qu’il met un obstacle à la grâce de Dieu, mais non parce que cette matière signifie ou représente quelque chose de sacré.  En ce qui a trait à la réception des sacrements, en plus de la bonne disposition, sont requises, pour que le sacrement ne soit pas reçu en vain, une vénération spéciale et tout à fait singulière, ainsi que la pureté, comme l’indiquent ces paroles de saint Paul : « Il sera coupable du corps du Seigneur; il mange sa propre condamnation. »
On ne lit jamais rien tel d’un autre sacrement.  Et personne ne dirait que celui qui traite indignement l’eau du baptême est coupable envers le Saint-Esprit, et mérite la peine que subissaient autrefois ceux qui recevaient indignement le sacrement de l’eucharistie : ils tombaient malades, ou ils mouraient,  comme l’apôtre l’atteste : « Parmi vous, plusieurs sont infirmes, ou se sont endormis. »  Saint Cyprien rapporte d’autres exemples (dans son sermon sur les apostats) qu’on ne trouve jamais  dans le cas du baptême.  Dans le cas de l’eucharistie, on avait toujours pris garde qu’aucune parcelle d’hostie ne tombe par terre.
 Voici ce que dit Tertullien (dans le couronnement du militaire) : « Nous redoutons anxieusement que quelque chose du calice ou de notre pain ne tombe par terre. » Or, l’eau du baptême, nous la projetons  quand nous baptisons.  Il ne faut donc pas honorer l’eucharistie uniquement parce qu’elle est un sacrement, ou une figure, ou un signe du corps du Seigneur, mais pour une autre raison beaucoup plus grande : on ne peut pas en imaginer d’autre que parce qu’elle contient vraiment le Seigneur lui-même.  Car, les autres sont communes aux autres sacrifices et aux autres figures.
Et l’autre raison qu’objectent nos adversaires pour laquelle saint Paul réprouvent ceux qui reçoivent l’eucharistie indignement, c’est qu’ils ne reçoivent pas vraiment le corps du Seigneur que les symboles sacrés leur offrent.  Or,  cette raison  n’a aucune probabilité.  Car l’apôtre ne dit pas qu’ils pèchent parce qu’ils ne reçoivent pas, mais parce qu’ils reçoivent indignement.  Il met le crime dans la réception, non dans l’omission de la réception.
De plus ces mots : il mange et boit sa propre condamnation, indiquent clairement que ce qui est reçu par des indignes leur apporte la mort, comme il apporte le salut aux autres.  Car, manger sa condamnation c’est prendre quelque chose dont la manducation nous nuit.  Ensuite, ces autres paroles : ne discernant pas le corps du Seigneur.  Que  peut bien signifier ne pas discerner le corps du Seigneur, si ce  n’est le prendre  comme s’il  n’était pas le corps du Seigneur ?  De plus, si les impies ne voulaient pas recevoir le corps du Seigneur, ils ne se présenteraient pas à la sainte table.  Donc, quand ils se présentent, ils ne pèchent pas parce qu’ils ne veulent pas recevoir le corps du Seigneur, mais parce qu’ils le veulent quand ils en sont indignes.
Tous les anciens commentateurs et tous les anciens pères ont toujours interprété ainsi ce texte.  Saint Basile (livre 2, chapitre 3 sur le baptême), saint Jean Chrysostome (homélie 24 sur la première épitre aux Corinthiens, prés de la fin; homélie 83 sur saint Matthieu, et homélie 45 sur saint Jean), Origène (homélie 2 sur le psaume 37), saint Jérôme (Macchabées, chapitre 1), Theophylactus, Oecumemius, saint Ambroise et Theodoret (chapitre 2 de la première épitre aux Corinthiens), tous ces vénérables  auteurs et commentateurs placent le péché, dont parle l’apôtre, en ce que des immondes et des criminels aient osé recevoir le corps très pur du Seigneur.
Et saint Jean Chrysostome ajoute l’exemple de celui qui jette le tente du roi dans la boue. Il  n’est pas censé pécher moins que s’il l’avait coupée en morceaux.  Theophylacte donne l’exemple de la lumière du soleil, qui nuit aux yeux malades non parce qu’il n’est pas vu, mais parce qu’une trop grande lumière offense des yeux débiles et infirmes.   Oecumenius compare ceux qui communient indignement avec ceux qui ont crucifié le Christ, qui n’ont, certes, pas péché uniquement parce qu’ils ne reçurent pas le Christ comme Dieu, mais parce qu’ils lui ont infligé les plus graves injures. Saint Cyprien (dans son sermon sur la cène du Seigneur) dit : « Là où un esprit perfide toucha l’aliment sacré, et où le pain sanctifié entra dans une bouche scélérate »
Saint Augustin (livre 5, chapitre 8, sur le baptême) écrit : « Comme Judas à qui le Seigneur a offert une bouchée,  a accordé une place au démon en lui-même, non en recevant quelque chose de mauvais, mais en recevant mal, de la même façon, celui qui reçoit indignement le sacrement, du Seigneur ne fait pas en sorte ce que soit une chose mauvaise parce qu’il est mauvais, ou qu’il n’ait rien reçu parce qu’il ne l’a pas reçu pour son salut.  Car, le corps du Seigneur et le sang du Seigneur n’en étaient pas moins présents dans ceux dont l’apôtre dit : celui qui mange indignement mange sa propre condamnation. »  Et ( au livre 1, chapitre 25, contre Crescon), que nuit le mauvais usage de choses bonnes, il dit : « Qu’en est-il du corps et du sang du Seigneur, de l’unique sacrifice pour notre salut ?  Bien que le Seigneur ait dit : « à moins que quelqu’un ne mange ma chair et ne boive mon sang, il n’aura pas la vie en lui », l’apôtre n’enseigne-t-il pas que c’est dangereux pour ceux qui s’en servent mal, quand il dit : celui qui mangera le corps ou boira le sang du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang de notre Seigneur.
Dans ce passage, saint Augustin dit clairement que les indignes pèchent parce qu’ils reçoivent le corps du Seigneur, l’unique sacrifice de notre salut.  Or, il est certain que l’unique sacrifice de notre salut n’est  pas le symbole du pain, mais le vrai corps du Seigneur.  Le même saint Augustin (épitre 120, chapitre 27 à Honorat), parlant des superbes qui communient indignement, dit : « Et ceux-là sont amenés à la table du Christ, et reçoivent son corps et son sang.  Or, ils adorent seulement, et ne sont pas rassasiés, parce qu’ils n’imitent pas. »  Il dit, là, que même s’ils communient sans fruit, les superbes reçoivent le corps du Seigneur. »  Et, dans l’épitre 162 (dépassé le milieu), il écrit : « Le Seigneur tolère Judas le démon, le voleur et son traître. Il permet qu’il reçoive, parmi les innocents disciples, ce que les fidèles ont connu, notre prix. »  Or, il est certain que ce n’est pas un pain ordinaire qui est notre prix, mais la vraie chair du Christ.
Mais Calvin objecte (livre 4, chapitre 17, 34) certains textes de saint Augustin  où ce saint docteur semble nier que les impies reçoivent vraiment le corps du Seigneur.  Dans le traité 26 sur saint Jean, saint Augustin distingue le sacrement visible de la vertu, ou de la chose du sacrement.  Il dit que le sacrement est proposé à tous, soit pour la vie, soit par la mort; et que la chose elle-même l’est, à tous, pour la vie, et à  personne,  pour la mort.  Que par la vertu et la chose du sacrement il n’entende non seulement la grâce justifiante, mais aussi le corps du Christ, Calvin le prouve par l’antithèse entre le visible et l’invisible.  Car, le corps du Christ n’étant pas visible dans l’eucharistie, il n’est donc pas compris par le nom du sacrement visible qui est reçu par les bons et les mauvais;  mais par le nom de la chose invisible, qui n’est reçue que par les bons.
Je réponds que, par vertu ou chose du sacrement, saint Augustin n’entend pas le corps du Christ absolument parlant, mais la grâce justifiante, c’est-à-dire l’effet de la chair du Christ qui sustente spirituellement. Ce qui apparait avec évidence du fait qu’il dise au même endroit que les pères de l’ancien testament ont, dans la manne tombée du ciel, reçu la  vertu et la chose du sacrement, que nous recevons, nous, dans l’eucharistie.  Les pères ne recevaient pas réellement la chair du Christ, qui n’existait pas encore, mais ils recevaient son effet, c’est-à-dire la grâce qui était donnée par les mérites de la passion future du Christ.
Et, au même endroit, après avoir dit que les impies ne reçoivent pas la grâce du Christ, il ajoute le mot « spirituellement » : « Et, à cause de cela, celui qui ne demeure pas dans le Christ et dans lequel le Christ ne demeure pas, ne mange certainement pas spirituellement la chair du Christ, ni ne boit son sang spirituellement, même s’il croque avec ses dents visiblement et charnellement  le signe du corps et du sang. »  Le corps du Christ sans son effet, c’est-à-dire sans la nutrition spirituelle de l’âme, saint Augustin ne le distingue pas du sacrement visible, mais il les comprend les deux ensemble, même si le corps n’est visible que dans l’espèce du pain.
La raison pour laquelle il ne distingue pas le corps de son signe visible est que ne reçoivent pas un plus grand fruit de la communion ceux qui reçoivent ainsi le corps du Christ  que s’ils ne recevaient que le seul signe.  Et pour que Calvin ne s’étonne pas que nous disions que le Christ est pris pour le nom du signe visible, qu’il pense que tous les scolastiques ont coutume de dire que le corps du Christ est reçu par les impies sacramentalement seulement. Il est pourtant certain que les scolastiques ne nient pas que les impies reçoivent véritablement le corps du Christ.  Donc, sacramentellement seulement, ou, comme saint Augustin le dit, dans le signe visible seulement, ces expressions n’excluent pas le corps du Christ, mais l’effet du Corps du Christ.
Mais il nous objecte un autre passage  tiré du traité 59 sur saint Jean, où saint Augustin dit que les autres apôtres ont mangé le Seigneur dans le pain, tandis que Judas n’a mangé que le pain du Seigneur. » Et son sermon 2 sur les paroles des apôtres : « Alors sera à chacun le corps et le sang du Christ,  si ce qui est reçu dans le sacrement est mangé et bu spirituellement et dans la vérité. »  Il nous objecte aussi d’autres passages, mais qui contiennent la même phrase.
Je réponds que, chez saint Augustin, très souvent n’est dit tel et vraiment tel que ce qui a son effet conjoint. Car, la chose est estimée par le fruit.  Voilà pourquoi il dit que mangent véritablement le corps du Christ ceux qui le reçoivent utilement.  Ne disons-nous pas, nous aussi, que quelqu’un n’a rien mangé parce qu’il a mangé si peu que cela ne suffira pas pour le soutenir; ou bien, parce que ce qu’il mange, il ne le retient pas, mais le rejette aussitôt.  Le même saint Augustin (livre 4, chapitre 3 contre Julien) montre que, dans les Écritures, les mots sont souvent pris au sens non du substantif, mais de la qualité ou de l’effet d’une chose.  Comme dans 1 Cornélien 15, où il est dit que, après la résurrection les corps futurs seront spirituels, parce qu’ils seront ainsi par rapport à l’effet, non à la substance.  Et au même endroit, il est dit : « Le corps et le sang ne posséderont pas le royaume des cieux. »  Le mot chair étant pris pour corruption de la chair.  Et à 2 Corinthiens 5 : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi. »  La chair ne signifie pas là la substance, mais la mortalité.
C’est ainsi qu’on dit que les impies ne mangent pas le corps du Christ, même s’ils reçoivent le sacrement de l’eucharistie, parce qu’il ne leur est d’aucun profit, et qu’ils n’en sont ni nourris ni fortifiés.  Et dans le sermon 2 sur les paroles de l’apôtre, saint Augustin dit : « Manger cela c’est être restauré;  boire cela qu’est-ce sinon vivre ? »   Donc, comme pour lui le mot manger signifie  être restauré, qu’il y a-t-il d’étonnant qu’il dise que ne mangent pas vraiment ceux qui ne sont pas restaurés ?
Mais Calvin insiste, en cirant un autre passage tiré du livre 12, chapitre 25 de la cité de Dieu.  Saint Augustin rapporte là l’opinion de ceux qui pensaient que les impies, quels qu’ils soient, devaient être sauvés pourvu qu’ils mangent le corps du Christ non dans le sacrement seulement, mais réellement.  Il réfute cette opinion, et il soutient qu’on ne peut pas dire que les impies mangent réellement le corps du Christ mais seulement sacramentellement.
Je réponds que, dans ce passage, saint Augustin entend, par le corps du Christ, le corps mystique du Christ, dont le sacrement est aussi l’eucharistie, comme il le dit lui-même au même endroit.  Car, l’opinion qu’il réfutait, entendait ainsi le corps du Christ.   Car ils disaient que ne pouvaient  pas périr là ceux qui recevaient le sacrement et qui faisaient partie de  la vraie église.  Parce que, de cette façon, ils ne recevaient pas seulement le sacrement de l’unité des fidèles, mais ils mangeaient aussi le corps du Christ, c’est-à-dire qu’ils étaient incorporés à cette unité.  Saint Augustin les a réfutés en disant que les impies ne pouvaient pas, de cette façon, manger le corps du Christ parce qu’ils ne peuvent pas être membres du Christ, puisqu’ils sont les membres d’une prostituée.  Il ne nie pas là que les impies ne fassent pas partie du corps du Christ, qui est l’église, mais il nie qu’ils soient des membres vivants de ce corps.  L’argument de Calvin s’avère n’être qu’une équivoque.
                                                          CHAPITRE 14
          On réfute les arguments des adversaires tirés de la parole de Dieu
Il faut enfin réfuter les arguments que les adversaires tirent de la parole de Dieu pour prouver que le corps du Christ n’est pas réellement dans l’eucharistie.
Le premier est tiré du psaume CX111 : « Notre Dieu est dans le ciel »  Et Isaïe : LXV1 : «Le ciel pour moi est un siège. »  C’est avec ces textes que Pierre le martyr a concocté son argument dans son livre contre Gardinerus, par 1, de la huitième objection : « Après la résurrection, le Christ en tant qu’homme est dans le même siège que son père, parce qu’il siège à droite.  Donc, comme Dieu le Père a un siège dans le ciel, et que c’est là qu’il faut aller le chercher, non dans un tabernacle ou une lunule, il en est de même pour le Christ, à moins que nous voulions que le siège de Dieu et le ciel ne soient contenus dans un tabernacle, dans un ostensoir ou dans une lunule. »
Je réponds que cet argument ne prouve absolument rien, ou prouve plutôt le contraire de  ce que son auteur s’était proposé.   Car, bien que le ciel s’appelle le siège de Dieu, parce que, en ce lieu, Dieu manifeste la gloire de son règne, on trouve cependant Dieu en dehors de ce lieu, puisqu’il est partout.  Et il est faux qu’on ne doive chercher Dieu que dans le ciel, puisque, dans les Actes XV11, saint Paul dit qu’on peut chercher et trouver Dieu partout, parce qu’il n’est pas loin de chacun de nous.  Car, « c’est en lui  que  nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous existons. »   Il en va de même pour le Christ Jésus.   Bien qu’il soit dans le ciel, et qu’il siège sur le trône royal, manifestant sa gloire aux anges et aux bienheureux, il peut quand même être, en dehors du ciel, là où il le veut.  Nous ne disons donc pas que le ciel est dans un tabernacle ou une lunule, mais que le Christ, qui est dans le ciel, peut aussi être ailleurs.
Mais, dans la réponse à l’objection 48, le martyr nous harcèle avec l’argument suivant : « Le corps du Christ est dans le ciel;  le corps du Christ est dans le sacrement.  Donc, le sacrement est dans le ciel.   Et parce que Gardinerus avait répondu que l’argument était vicieux parce qu’il contenait quatre termes, le martyr réplique en disant qu’il n’a que trois termes, à savoir le corps du Christ qui est dans le ciel, et qui est dans le sacrement.  Et il soutient qu’il s’ensuive nécessairement de ces deux arguments que le sacrement soit dans le ciel, si le corps du Christ est dans le ciel, comme l’Écriture le dit , et aussi dans le sacrement, comme nous le disons, nous.
Le second argument est le suivant. « Que le même corps, soit, pendant le même temps, dans le sacrement et non dans le sacrement, cela est une contradiction manifeste.   Donc, le corps du Christ sera dans le ciel avec le sacrement; et le sacrement sera, donc, dans le ciel. Car, s’il est dans le ciel sans sacrement, il sera, dans le même temps, avec et sans sacrement. »   Le troisième est dans la première figure : « Le corps du Christ entier, ou tout ce qui est le corps du Christ, est au ciel. Or, le sacrement de l’eucharistie est le corps du Christ.   Donc, le sacrement de l’eucharistie est au ciel. »
Je réponds que dans le premier argument, il y a vraiment quatre termes, comme Gardinerus l’avait dit.    Car, dans la conclusion : « Donc le sacrement est dans le ciel » le sacrement n’est pas pris au sens de existant dans le sacrement, ce qui fut le troisième terme dans les prémices, mais du sacrement lui-même, qui est le quatrième terme. Car, autre est « être dans le sacrement » et autre est « être un sacrement. »  Donc, ou l’argument est totalement vicieux, ou on devrait en conclure  que le  corps du Christ est dans le ciel, et dans le sacrement; et que ce qui est dans le sacrement est dans le ciel.  Ou bien, donc, la chose qui  existe dans le sacrement est la chose qui existe dans le ciel.  Et cela est vrai.  Mais, il ne s’ensuit pas de là que le sacrement soit dans le ciel, puisque autre est un sacrement, et autre une chose existant dans un sacrement.
Le second argument ne permet pas de conclure quoi que ce soit. Car, du fait que le corps du Christ est dans le ciel où il n’est pas un sacrement, il ne s’ensuit pas que le corps du Christ soit avec le sacrement, et ne soit pas avec le sacrement.  Il s’ensuit seulement que le corps du Christ est dans le sacrement et hors du sacrement.  Ou qu’il ne soit pas avec le sacrement, et qu’il soit avec le sacrement, ou sans sacrement, ou qu’il ne soit pas avec le sacrement.  Toutes ces choses sont vraies, et aucunement contradictoires, puisqu’elles sont toutes affirmatives.  Car, quant aux contradictoires, il faut en affirmer une et nier l’autre.
Nous voyons la même chose dans les semblables.  Car, du fait que le même Dieu soit, au même moment, au ciel et sur la terre; que dans le ciel, Dieu ne soit pas avec la terre; et ne soit pas sur la terre dans le ciel, nous n’en déduisons pas : donc Dieu est dans le ciel, et non dans le ciel, ou il est avec le ciel et n’est pas avec la terre. Nous disons seulement : donc Dieu est dans le ciel et en dehors du ciel; il est avec le ciel et sans le ciel.  La même chose apparait dans l’âme qui est en même temps dans la tête et les pieds, sans pourtant qu’on puisse dire que les pieds sont dans la tête et la tête dans les pieds.
Le troisième argument est dans la première figure, si on prend le corps du Christ pour un corps naturel  et mystique.  Mais, alors, la proposition est fausse :   le corps du Christ entier est dans le ciel. Car, l’église militante est le corps du Christ, et elle n’est pas dans le ciel.  Si on entend par corps du Christ son seul corps naturel, la proposition alors, est vraie, mais elle n’est pas universelle, et l’argument ne peut pas être dans la première figure.  Car, la proposition n’est pas universelle si on ajoute « tout » au mot singulier.  Car, Pierre et tout Pierre c’est la même chose,  si tu ne parles que d’un seul.   De plus, cette supposition est fausse, car le sacrement de l’eucharistie est le corps du Christ, tout en contenant le corps du Christ.  Le  sacrement, en effet,  est un signe sensible.
Le second texte allégué est de Matthieu XV : « Tout ce qui entre par la bouche va dans le ventre, et est rejeté dans un endroit retiré.  Mais ce n’est pas  le corps du Christ qui est  rejeté dans un endroit retiré, seulement le pain.  Donc, le Christ n’entre pas par la bouche, mais seulement le pain.  L’argument est de Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, partie 1, objection 88). Je réponds avec Alger, au début du second livre, que, face à ce genre d’objections il est préférable de se boucher les oreilles et de ne rien répondre.  Cependant, à cause de l’importunité des hérétiques, et pour que les petits ne se scandalisent pas,  je consens à jouer le jeu brièvement. Je dis donc que, pour les catholiques,  c’est une question physique qu’on pose quand on demande ce qui arrive aux espèces corrompues dans l’estomac.  Et de cela, nous ne  discutons pas.  Mais, au sujet du corps du Christ, qui nous intéresse seul ici, il n’y a pas de question à se poser, car il est certain que le corps du Christ entre par la bouche des communiants, qu’il n’est pas rejeté dans un endroit secret, et que, après que les espèces aient été corrompues, il cesse d’exister, sans aucune lésion.  Comme, avant la consécration du pain, il n’était pas là, sans pourtant ne subir aucun dommage.
Il ne reste qu’une question au sujet des paroles de notre Seigneur.  Comment les deux phrases suivantes peuvent-elles s’accorder : il entre par la bouche, mais n’est pas rejeté dans un endroit secret ?  Or,  la réponse saute aux yeux.  Le Seigneur parle des aliments que l’on prend pour nourrir le corps.  Ces aliments parcourent normalement le trajet décrit par le Seigneur. Voilà pourquoi, après la résurrection, le Seigneur a vraiment bu et mangé, comme l’attestent les disciples, au deuxième chapitre de l’évangile, et saint Pierre à Actes X.  Et pourtant, il n’a pas rejeté ces aliments dans un lieu secret, parce qu’il n’avait pas mangé pour nourrir son corps, mais pour prouver, par cet acte naturel de manducation qu’il avait un corps véritable et vivant.  De la même façon, le corps du Christ n’est pas  mangé par les fidèles pour nourrir le corps, mais pour sustenter l’âme, comme saint Ambroise le dit (livre 1, chapitre 4 sur les sacrements.)  Il n’est donc pas nécessaire qu’il soit digéré, ni rejeté.
Il appert donc que l’exemple présenté par Pierre le martyr, portant sur le fait que le Christ a mangé après sa résurrection, n’est pas approprié.  Car, en Matthieu XV, le Seigneur parlait des hommes mortels qui mangeaient, non des immortels.   Et comme il restreint les paroles du Seigneur aux mangeurs mortels, nous pouvons nous aussi les restreindre à la nourriture corruptible, qui ne sera jamais le corps du Christ que nous recevons dans le sacrement.  Par contre,  notre exemple à nous  est tout à fait approprié.  Car, si le Seigneur n’avait parlé que de la manducation des mortels, c’est donc d’eux seuls qu’il parlerait parce qu’ils sont les seuls à manger pour se nourrir.  Il parlait donc  de tous ceux qui mangent pour se mourir, et indirectement. Mais c’est par accident qu’il parle  des mortels.  Car, si les immortels avaient besoin d’une nourriture,  il est certain qu’eux aussi la digèreraient et rejetteraient des excréments.  Et vice-versa, quand un mortel mange sans se nourrir, et vomit ce qu’il a avalé, ce qui est entré par  la bouche ne va certes   pas dans les lieux secrets.
Et, au contraire, quand un mortel mange sans se nourrir, et vomit ce qu’il a avalé, ce qui est entré par la bouche n’est pas rejeté dans un lieu secret.  Donc, l’exemple du Christ qui mange après la résurrection est un bon exemple pour démontrer que seul celui qui mange pour se nourrir rejette dans un lieu secret la nourriture qui était entrée par la bouche.
Le troisième texte est celui de Matthieu 24 : « SI on vous dit : le Christ est ici ou là, ne le croyez pas. »  Il ne faut donc pas croire quand les papistes disent : « le Christ est sur l’autel, le Christ est dans l’ostensoir ou dans une lunule. »  Cet argument est de Pierre le martyr ( livre contre Gardinerus, par 1, objection 9).  Je réponds que le Christ nous met en garde contre les imposteurs qui viendront en son nom, car, il ajoute tout de suite après :  viendront des pseudo Christ.  Mais il décrit ces imposteurs par deux traits qui répugnent complètement à l’eucharistie, et qui rendent tout à fait impossible de voir l’eucharistie dans ce texte.  Le premier.  Il dit que ces imposteurs viendront en secret, non à découvert, comme on le voit dans ces mots : « Le voici dans le désert, le voici dans un lieu inaccessible. »  Voilà pourquoi il oppose à ces pseudo Christ sournois son avènement visible sur toute la terre, qu’il compare aux rayons du soleil.  Car, personne ne dit : ceci est le soleil, car, dès qu’il apparait à l’horizon, il remplit tout l’hémisphère de sa splendeur, de façon à ce qu’on n’ait pas besoin d’indiquer où il est.
Il dit, ensuite, qu’ils viendront visiblement, et qu’ils parleront à la manière humaine, et qu’ils traiteront  avec les hommes, même dans les endroits retirés et impénétrables.  Il dit que ce seront des hommes qui tromperont par des paroles enchanteresses et de faux prodiges.  Or, l’un et l’autre trait font défaut dans le cas de l’eucharistie. Car, ce n’est pas dans le désert, ni dans des lieux inaccessibles qu’elle est consacrée et conservée, mais dans des temples achalandés, dans des églises et des monastères que tous connaissent.   Et, de plus, bien que l’eucharistie soit conservée et honorée ainsi publiquement, cependant, le Christ n’est pas là visiblement et comme un homme ordinaire.  Il ne prêche pas non plus, ni ne fait des miracles, mais, au jugement des sens externes,  il est là comme n’y  étant pas.
Mais Pierre le martyr insiste. « Même si, dans ce passage, le Christ ne parle pas de l’eucharistie, c’est à bon droit qu’on l’objecte aux papistes qui errent au sujet de l’eucharistie.   Car l’intention du Christ, dans ce passage, était d’avertir les fidèles pour qu’on ne les trompe pas en les amenant à croire avec témérité, et pour qu’ils ne reçoivent pas les imposteurs comme s’ils étaient le Christ lui-même.  Car le péril n’est pas moins grand s’ils croient que le Christ est dans le pain, et adorent la créature à la place du Créateur.
Or, il aurait du ajouter que le péril est le même si on n’y croit pas.  C’est un grand péril qui nous menace si croyons que le Christ est n’importe quel homme qui prêche dans le désert,  puisque le Seigneur nous avertit clairement qu’il ne viendrait pas sous la forme d’un prédicateur ou d’un prophète clandestin, mais seulement à la façon d’un juge, et sur les nuées, à la vue de tous.  Le Christ n’a jamais averti qu’il ne serait pas dans le sacrement invisiblement. Il a plutôt dit le contraire alors, quand il a dit lui-même : ceci est mon corps, et quand il le dit par l’Église, à laquelle il a commandé que nous obéissions.
Le quatrième texte est de Matthieu 26 : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous. Moi, vous ne m’aurez pas toujours. »  Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 26) et le Martyr ( livre contre Gardinerus, objection 2) font grand cas  de ce passage : « Car, dit le martyr, si le Christ est vraiment dans l’eucharistie, c’est le contraire qui sera vrai : les pauvres, vous ne les aurez pas toujours, mais moi, vous m’aurez toujours. »  Nous aurons toujours le Christ avec nous, ici-bas, dans les temples, et pendant  l’autre vie, dans le ciel.  Et parce que les catholiques pourraient répondre que, dans ce passage, il s’agit du Christ pauvre et qui a besoin du secours des hommes, et que c’est ce Christ que nous n’avons pas toujours, ils prouvent que, au contraire,  le Christ s’est distingué des pauvres, quand il a dit : les pauvres vous les aurez toujours, moi, vous ne m’aurez pas toujours. Il ne parle pas là d’un service utile, mais d’un culte et d’un honneur. Car, les apôtres ont murmuré parce qu’ils voyaient qu’un parfum précieux était soustrait  aux nécessités des pauvres, et répandu pour un culte et un honneur dont le Christ n’avais pas besoin, et qu’il ne demandait pas.  Or, ce culte, nous pourrions encore le présenter au Christ s’il était dans l’eucharistie.   Il est donc nécessaire de conclure  ou que le Christ  n’est pas dans l’eucharistie, ou que ces paroles sont fausses : vous ne m’aurez pas toujours présent comme maintenant,  pour que vous puissiez honorer mon corps avec des choses d’un grand prix.
 Le martyr ajoute que, par ces paroles, il a indiqué clairement l’idolâtrie des papistes qui honorent l’eucharistie avec de l’or, de l’argent, de l’encens et des parfums et d’autres choses précieuses. Ensuite, et Calvin et le Martyr confirment leur explication par les paroles de saint Augustin du traité 50 sur saint Jean.  Comparant le premier texte (vous ne m’aurez pas toujours) avec cet autre : Je suis avec vous tous jours,  il dit que le premier doit s’entendre de la présence de sa chair, et le second, de la présence de sa majesté.
Je réponds que le Seigneur parle de sa présence corporelle et visible, et selon l’état dans lequel il pouvait recevoir des hommes les choses dont il avait besoin.  Sainte Marie Madeleine a oint une partie du corps qu’elle voyait.  Le Seigneur se comportait donc avec elle comme un être humain.  De plus, le Seigneur indique que  les pauvres seront toujours avec nous.  Car, c’est ce que requiert l’antithèse : les pauvres, vous les aurez toujours, moi, pas.  C’est-à-dire de la façon dont vous avez les pauvres, c’est-à-dire visiblement et humainement. Le devoir qu’elle rendit au Christ ne fut pas quelque chose d’uniquement honorifique, mais aussi d’utile et de pratique, si nous tenons compte de l’intention de Marie et de celle du Saint-Esprit qui la poussait à agir.  Car, elle fit cela, sans aucun doute, pour revigorer les membres fatigués para les longues marches apostoliques. Or, le Saint-Esprit avait l’intention de signifier, par le ministère de Marie,  l’imminence de  la mort et de la sépulture du Christ. C’est bien ce que dit le Seigneur : « Elle a oint à l’avance mon corps pour la sépulture. »  L’onction du corps n’avait pas seulement pour but d’honorer quelqu’un, mais elle servait aussi à  la conservation et à l’embaumement.  Donc, selon cette présence de Dieu visible et nécessiteuse, nous n’avons plus maintenant le Christ avec nous.  Néanmoins, la privation de cette présence ne répugne pas à la présence de Jésus-Christ dans l’eucharistie, qui est invisible, et n’a besoin d’aucun secours corporel.
Car, si le Seigneur a dit en Luc (dernier chapitre) : « Je vous ai dit cela quand j’étais encore avec vous, » il veut dire qu’il n’était déjà plus avec eux parce qu’il ne demeurait plus avec eux à la façon humaine, même s’il était encore présent réellement et visiblement, à combien plus forte raison pouvons-nous dire que le Christ n’est plus avec nous d’après le « vous ne m’aurez pas toujours avec vous »,  puisque non seulement il ne demeura pas avec nous comme un homme ordinaire, mais qu’il n’est même pas visible.
Ces réflexions ruinent de fond en comble toutes les objections de nos adversaires. D’abord, les deux phrases suivantes ne sont pas des phrases contradictoires, comme le prétend le martyr : les pauvres vous les aurez toujours, moi, pas;  et les pauvres vous ne les aurez pas toujours, moi, toujours. Car, si on y voit un mode différent de présence, les deux sont vraies.   Est faux, ensuite, ce qu’ils affirment qu’on peut offrir au Christ, dans l’eucharistie, le même service que Marie lui a offert. Car, (comme je l’ai montré un peu avant), son geste ne fut pas seulement un geste honorifique, mais utile.  Le Christ ne peut plus maintenant recevoir se genre de service.  Et de plus, c’est à un Christ visiblement présent que sainte Marguerite Marie rendit cet hommage, et oignit certains membres.  Ce qu’aujourd’hui, on ne peut plus faire.
Bien plus, si l’objection de nos adversaires avait quelque valeur, il s’ensuivrait que, même actuellement, le Christ ne serait pas dans le ciel.  Car, dans le ciel aussi, où il est maintenant, nous pouvons l’honorer  avec de l’or, de l’argent, des parfums, et d’autres choses précieuses, comme nous l’honorons dans l’eucharistie. Nous ne répandons pas de parfums pour embaumer les narines du Christ, ou de l’or, pour charmer les yeux corporels du Christ, mais nous les employons ces choses  pour les espèces du pain et du vin, afin de témoigner notre pieuse affection en leur endroit.  Comme nous faisons aussi quand nous ornons les temples, les croix, les images, et d’autres lieux ou instruments, même quand l’eucharistie est absente.
Ce que disait le martyr que le Christ avait désigné l’idolâtrie des papistes qui honorent l’eucharistie avec de l’or.  Nous répliquons avec encore beaucoup plus de raison que quand le Christ a loué le geste de Marie, il a montré assez clairement que le culte de son corps devait être placé avant les aumônes aux pauvres.   Et Theophylacte (dans le chapitre 14 de Marc) écrit que sont les associés de Judas, et qu’ils sont réprouvés par le Christ, ceux qui disent que le ciboire en or, dans lequel a coutume d’être placé le corps du Christ sur la sainte table, doit être donné aux pauvres, et qu’on doit se servir d’un vase moins dispendieux.  Ce qui vaut quand il n’y a pas de disette ou de famine, et quand c’est la seule façon de venir en aide aux nécessiteux.
Et au passage de saint Augustin, je réponds que, par présence de la chair, saint Augustin entend la présence visible du Christ qui demeurait parmi les hommes comme tous les hommes.  C’est ainsi qu’il s’explique lui-même : « Vous ne m’aurez pas toujours avec vous, pourquoi ? Parce qu’il avait vécu familièrement avec ses disciples, présent dans son corps, pendant quarante jours, et pendant qu’ils l’accompagnaient, en le voyant, non en le suivant, il monta au ciel »  Et plus bas : « L’Église l’eut, selon sa présence charnelle, pendant peu de jours seulement. Depuis qu’elle le tient par la foi, elle ne le voit plus avec les yeux.  Il précise, là, qu’on parle de la présence de la chair quand le Christ est vu des yeux, ce que nous n’avons certes pas maintenant. Car, le Dieu que, dans l’eucharistie, nous tenons par la foi, nous ne le voyons pas.
Ajoutons que, au même endroit, saint Augustin n’a pas passé sous silence la présence du Christ dans l’eucharistie. Car, il dit qu’il nous est présent de trois façons différentes : par la majesté, la providence, et la grâce ineffable et invisible.  Dans la dernière partie de la phrase, au témoignage même de Calvin, est incluse la présence du Seigneur par l’eucharistie. Mais il la comprend cette présence réelle  à sa manière habituelle :  par signe, ou appréhension de la foi.  En toute vérité, cela répugne à saint Augustin qui écrit plus haut, dans le même traité, que maintenant, le Christ nous est présent par la foi, par le signe du Christ, c’est-à-dire, par le signe de la croix, par le baptême et par l’eucharistie.  Il distingue, là, l’eucharistie du signe et de l’appréhension de la foi.
Il faut aussi noter que la foi, le signe de croix, le baptême ne requièrent pas une présence du Christ réelle, comme le requiert l’eucharistie.  Car, par la foi, nous appréhendons aussi ce qui est absent.  Le signe de croix peut  représenter, lui aussi, les choses absentes.  Dans le baptême, le Christ est présent en tant que régénérant, car il peut régénérer même s’il est absent de corps.  Comme le soleil qui, tout en demeurant dans le ciel, fait pousser les herbes sur la terre.  Or, dans l’eucharistie, le Christ est présent, pendant qu’il est mangé,  comme aliment nourrissant.   Or, un aliment ne peut être mangé et sustenter que s’il est réellement  présent.
Le cinquième texte est de Marc  (dernier chapitre) : « Il est monté aux cieux, et est assis à la droite de Dieu. »  De même, dans les Actes 111 : « Il faut que le ciel le retienne jusqu’au temps de la restitution de tous. »  Philippiens 111 : « Notre conversation est dans le ciel, d’où nous attendons le  Sauveur. »  Voici comment Calvin argumente à l’aide de ces textes (livre, 4, chapitre 17, verset 27.) : « L’Écriture atteste que le Christ est, dans sa nature humaine, monté au ciel, et qu’il y demeurera jusqu’au jour du jugement; et qu’alors, et non avant, il retournera à ces lieux inférieurs.  Ce n’est donc pas vrai que, comme le disent les papistes, il descende si souvent dans l’eucharistie.
Je réponds à cet argument que les adversaires considèrent insoluble, et à cause duquel ils nous accusent sans cesse de détruire un article de foi.  Mais cet argument n’est pas si redoutable que cela ! Nous reconnaissons, nous aussi,  que le Christ est monté au ciel avec sa nature humaine, qu’il est présentement au ciel,  qu’il y sera jusqu’au jour du jugement, et qu’il ne descendra pas avant.  Mais nous nions la conséquence suivante : donc il n’est pas vraiment dans l’eucharistie.  Car, pour être dans l’eucharistie, il n’a pas besoin d’abandonner le ciel, ou de descendre d’un mouvement local.  Car, quand  il est apparu  à Paul et à Pierre et  dit à Pierre : « Je vais à Rome pour être crucifié de nouveau », et à d’autres saints, il n’a pas quitté le ciel, mais il s’est simplement  rendu présent où et comment il l’a voulu.  Il n’est donc pas question ici de l’article de l’ascension, mais plutôt de l’article de la toute puissance, à savoir, est-ce que le Christ peutl se rendre présent en plusieurs lieux et en même temps.  Et s’il est tout puissant, pourquoi ne le pourrait-il pas ?  De quoi nous discuterons en son lieu et place.
Mais, rétorque Calvin, « celui dont nous avons reçu l’ordre d’attendre la venue du ciel, il ne faut pas le chercher sur la terre. »  Je réponds qu’on nous ordonné d’attendre qu’il vienne réformer nos corps avec sa gloire, et juger le monde.  Or, cette attente ne s’oppose pas à sa présence invisible qui nous sustente entre temps.
Le sixième passage est celui de Luc 24 : « Touchez et voyez, parce qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai. »  Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 27) argumente ainsi : « La réalité de la chair, au témoignage du Christ lui-même, se prouve par la vue et le toucher. »  Or, dans l’eucharistie, on ne voit et on ne touche que du pain.  Il n’y a donc pas là de chair, mais du pain. »  Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, à l’objection 123) tire la conséquence suivante : « S’il  pouvait se faire que les sens faillent, et que quelque chose du pain soit vraiment de la chair, l’argument du Christ aurait été faible quand il a prouvé qu’il avait une chair parce qu’on pouvait le voir et le toucher.  Car, il aurait pu répondre que, pour les sens, il semble être de la chair, mais qu’il est autre chose. »
Je réponds à Calvin qu’on doit tirer une conséquence différente d’une affirmation et d’une négation. En effet, autre la conséquence qu’on tire de : ceci est vu et touché, donc c’est un corps,  et autre la conséquence qu’on tire de : ceci n’est ni touché ni vu, donc ce  n’est pas un corps.  La première conséquence, que le Seigneur lui-même a déduite, est excellente.  Car, il ne peut absolument pas se faire qu’une chose invisible soit vue et touchée par les sens corporels, et que les sens se trompent par rapport à leur objet propre.  Il est nécessaire, en effet, que ce qui se touche et se voit soit corporel.
L’autre conséquence, qui ne vient pas du Seigneur mais de Calvin, est mauvaise.   Car, il peut se faire qu’un vrai corps soit présent sans être ni vu ni touché, parce qu’ il est caché par un autre corps, ou parce que Dieu empêche que les espèces sensibles soient transmises au sens.  Comme (en Luc 1V), il s’en alla en passant au milieu d’eux,  celui qu’ils voulaient précipiter du haut d’une montagne.  Et  saint Grégoire de Nysse écrivit dans la vie de saint Grégoire le thaumaturge, et Paulin dans la vie de saint Félix que l’un et l’autre parvinrent à sa cacher de leurs persécuteurs.  Bin qu’ils aient été  en leur présence et que rien ne les séparait, ils n’ont été ni vus ni détectés.  J’ajoute qu’il peut se faire aussi par la vertu divine, qu’un corps devienne invisible comme les esprits, de façon à ne pouvoir être ni vu ni touché.  Mais il ne peut pas se faire qu’un esprit existe de façon à être divisé, à la façon des corps.  De cela, nous parlerons plus loin.  Pour l’instant il suffit d’avoir démontré que la conséquence suivante  n’est pas bonne : on ne le voit pas, on ne le touche pas, donc ce n’est pas un corps. Et que l’autre conséquence est excellence : on le voit, on le touche, donc c’est un corps.
Au sujet de Pierre le martyr, je réponds que les sens corporels ne peuvent errer par rapport à leur objet propre.  Mais ils peuvent se tromper par rapport à ce qui se cache sous l’objet des sens.  Ce qui cependant convient mieux au sens internes qu’externes.  Car, il arrive souvent que les peintres induisent en erreur les yeux ou l’imagination des observateurs, quand ils représentent quelque chose à la perfection. Comme ce qu’on raconte de ce peintre qui avait reproduit des raisins avec une telle vérité que les oiseaux accouraient pour les manger, comme s’ils étaient de vrais raisins.  Et, dans les Écritures, ceux qui voyaient et touchaient des corps assumés par des anges.  Ils ne se trompaient pas moins, quand ils pensaient toucher et voir des corps humains.  De la même façon, dans l’eucharistie, nos sens ne sont pas induits en erreur, quand nous pensons que quelque chose est blanc, ou rond ou solide.  Ils sont induits en erreur quand ils nous déclarent que la substance du pain est latente sous les espèces du pain.  Ce qui n’affaiblit pas, pour autant, l’argument du Seigneur, mais le rend encore plus efficace.
Car la seule chose que le Seigneur a voulu prouver c’est qu’il n’était pas un fantôme ou une ombre, ou un phantasme, comme le redoutaient les apôtres, mais un vrai corps.   Et cela, il le prouva excellemment par le témoignage des sens.   Que ce corps était humain, vivant, semblable à ce qu’il était autrefois, le Seigneur ne le prouva pas seulement par l’argument tiré du sens du toucher, qui n’était surement pas suffisant, mais par d’autres façons : par la parole, la manducation, le témoignage des anges, le miracle des poissons, les textes scripturaires etc.
Le septième vient de saint Jean V1 : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert  à rien. »  Voilà le très puissant fondement de Zwingli (dans son livre sur la vraie et fausse religion, chapitre sur l’eucharistie).  Ce passage, il l’appelle un mur d’airain, ou d’acier, inexpugnable.  Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, objection 34) se sert également de ce texte, et formule ainsi son argumentation : « Les gens de Capharnaüm pensaient que la chair du Christ devait être mangée corporellement, comme le pensent aujourd’hui les papistes.  Mais le Christ réprouva leur erreur quand il dit : la chair ne sert à rien.   Le Seigneur veut donc dire que sa chair n’est pas donnée à manger corporellement, mais spirituellement, par la seule foi.
Je réponds que ce mur n’est ni en airain ni en acier, mais tout juste en paille.  Car, d’abord, même si le Christ parlait de sa chair, et disait qu’elle ne sert à rien, cela ne nous donnerait pas le droit d’en déduire que sa chair n’est pas vraiment dans le sacrement, et cela, pour deux raisons. La première.  Parce que, de la même manière, on pourrait conclure qu’il n’y a pas de pain dans le sacrement.  Car, si la chair du Christ n’est d’aucun profit, le pain  l’est encore beaucoup moins. La deuxième.  Si le Seigneur avait dit cela de sa chair, il n’aurait pas déclaré cela d’une façon absolue, mais seulement si elle est sans l’Esprit vivifiant, comme l’expliquent saint Augustin et saint Cyrille.  Car, si la chair du Christ n’était d’aucun profit pour ceux qui la mangent, comment, dans le même chapitre, le Seigneur aurait-il pu dire : « Celui qui mange ma chair a la vie éternelle », et : « Si vous ne mangez pas, vous n’aurez pas la vie en vous » ?  Et de plus, c’est une impiété suprême de nier que soit profitable  la chair du Christ unie à la divinité  à laquelle saint Paul attribue tout notre salut (Colossiens 1), quand il dit que nous sommes « réconciliés à Dieu par la chair du Christ. »  Donc, comme nous croyons que, dans le sacrement, ce n’est pas la chair nue du Christ qui existe, mais unie à la divinité, qui est vivifiée et vivifiante par l’Esprit du Christ,   le passage cité ne nous contredit en rien.
Mais il y a aussi une autre réponse.  Car, le sens véritable et littéraire de ces paroles n’est pas que la chair du Christ, ou la substance du sa chair, ne serve à rien, mais qu’une interprétation charnelle de ses paroles ne sert à rien, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome, Theophylacte et Euthymius dans leurs commentaires respectifs de ce texte.  Ainsi qu’Origène  (dans son livre 3, sur l’épitre aux Romains) expliquant les paroles du chapitre 3 : « Aucune chair ne sera justifiée par les œuvres de la loi. »  Et saint Cyprien (dans son sermon sur la cène du Seigneur) et d’autres.   Car, dans ce texte, par le mot chair on entend une pensée humaine ou charnelle, pour la distinguer de la spirituelle ou de celle qui est inspirée par la foi ou par Dieu.
On le prouve d’abord cela en disant que, dans l’Écriture, la chair est presque partout employée en opposition à l’esprit, ou quelque chose de plus sublime.  Le mot chair ne signifie pas la substance de la chair mais l’infirmité, la corruption, ou une pensée humaine et charnelle.  Tous ces sens signifient finalement la même chose.  Cela vient de la corruption que l’homme juge des choses divines d’une façon humaine. Genèse 6 : « Mon esprit ne demeurera pas dans l’homme, car ils sont chair,  » c’est-à-dire charnels, infirmes.  Matthieu (16) : « Ce n’est ni la chair ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est aux cieux. »  Romains V111 : « Ceux qui marchent selon la chair,  et non selon l’esprit », et : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu » et « La prudence de la chair est la mort; la prudence de l’Esprit est vie et paix. »  Galates 1 : « Ne cédez pas à la chair et au sang. »
La chair entendue de cette façon n’est d’aucun profit, c’est-à-dire penser et comprendre la manducation de la chair du Christ d’une manière humaine et charnelle,  comme si elle devait être  hachée en morceaux, cuite et mastiquée, et convertie dans sa propre substance par l’action de la chaleur naturelle.
On prouve la même chose par le contexte.  La raison pour laquelle il prononça ces paroles fut l’erreur des gens de Capharnaüm qui non seulement pensaient ce que le martyr dit,  que c’était la vraie chair du Christ qui nous  était promise, --ce qui est tout à fait vrai-  mais, ils pensaient aussi qu’il faudrait la manger de la manière que leur suggérait leur jugement propre, et l’expérience humaine, comme l’expliquent saint Augustin et d’autres, c’est-à-dire comme on mange les autres chairs.  C’est à cette erreur que s’applique la réponse du Seigneur, qui ne signifie rien d’autre que : l’homme animal ne perçoit pas les divins mystères.
On prouve la même chose ensuite par les paroles suivantes que le Seigneur a prononcées peu après : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. »  C’est-à-dire : ce sont des mots qui expliquent et qui livrent des choses divines, spirituelles, qui apportent la vie éternelle.   Elles ne doivent donc pas être reçues par le sens humain, mais par la foi et par une intelligence inspirée par Dieu.  C’est comme si le Seigneur disait : Il n’est pas surprenant que vous ne compreniez pas, parce que, quand je vous parle de choses divines, vous pensez  à des choses humaines.  Et en Jean 111, quand le Seigneur parlait du mystère de la régénération, et que Nicodème pensait à une naissance de sein de la mère, le Seigneur l’a repris en disant : « Celui qui est de la terre parle de la terre, celui qui vient du ciel est au-dessus de tous. »  C’est-à-dire, tu es un homme terrestre, tu penses et tu parles en homme terrestre.  Moi, qui suis venu du ciel, je parle de choses qui surpassent la compréhension des hommes.  C’est donc de foi divine qu’on a besoin, non de jugement humain.
On peut déduire la même chose des paroles qui suivent : « Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. »  Or, ces paroles ne concordent pas du tout avec l’explication suivante que la chair ne sert à rien : il n’y a aucun profit à manger de la chair dans le sacrement.  Quel rapport  y a-t-il entre ces phrases : manger la chair dans le sacrement ne sert à rien et il y en a qui ne croient pas.  Mais ces deux phrases concordent parfaitement selon notre explication.   Car, c’est comme s’il avait dit : la chair ne sert pas pour procurer la foi, mais l’esprit de foi.  Donc, quelques-uns parmi vous ne croient pas parce qu’ils n’ont pas l’esprit, mais qu’ils sont tout entiers chair, et qu’ils mesurent les choses divines avec leur compas charnel  C’est donc en tirant une conséquence qu’il continue : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si mon Père ne l’attire. »  On voit bien là que le Seigneur parle toujours de la compréhension spirituelle qui est donnée par Dieu à ceux qui croient en ses paroles; et  qu’il s’oppose à la pensée et à la sagesse humaine.
Il faut noter aussi que cette phrase : la chair ne profite à rien,  est présentée par les hérétiques comme un mur d’airain, parce que, eux aussi, sont chair, et parce que la chair non seulement n’est d’aucun profit, mais qu’elle peut aussi nuire grandement.  N’est-elle pas la racine et la mère de toutes les hérésies ? Car, les hérétiques, et surtout les sacramentaires,  sont tels parce qu’ils ne veulent pas soumettre leur jugement à la parole de Dieu, mais ils veulent la mesurer avec leur raison humaine.  Ils donnent comme prétexte les Écritures, mais toute la question porte sur le sens à donner aux paroles de l’Écriture.  Et pour trouver ce sens  ils ne veulent pas acquiescer à l’interprétation de l’Église, qui ne s’appuie que sur l’ Écriture, écrite ou transmise.  Et ils ne se basent, eux, que sur leur jugement personnel.  Voilà pourquoi l’apôtre énumère l’hérésie parmi les œuvres de la chair.
Le huitième est celui de Jean 12 : « Là ou je suis, moi, là seront aussi mes serviteurs. »  Or, les saints ne sont pas dans l’eucharistie.  Le Christ n’y est donc pas. »  Cet argument exprime vivement la pénurie des arguments solides, qui afflige nos adversaires.   Car, s’ils étaient capables de présenter quelque chose d’irréfutable, ils ne s’abaisseraient pas jusqu’à présenter ces inepties.   Je répondrai quand même.   Le Christ n’a pas dit : partout où je suis, mais où je suis, là aussi sera mon serviteur.  Il suffit que les saints soient de partout avec le Christ, même s’ils ne sont pas partout où il est.  Autrement, tous auraient du être avec lui à la croix.  Deuxièmement, il est certain que, par ces paroles, le Christ a promis la participation à son royaume et à sa gloire.  Car, c’est ce que le Christ a dit en saint Jean : « Père, je veux que là où je suis eux aussi soient avec moi, pour qu’ils voient ma gloire. »
Mais Pierre le martyr proteste contre cette réponse (dans son livre contre Gardinerus, objection 370 : «  Dans l’eucharistie, le Christ est dans la gloire ou du Père ou il  ne l’est pas.   S’il ne l’est pas, ils agissent en impies ceux qui le font venir avec la gloire du Père dans ces lieux inférieurs. »  Je réponds que c’est en sophiste qu’argumente le martyr. Que le Christ, dans l’eucharistie, est dans la gloire du Père,  on peut le prouver de deux façons.  La première.   Pendant qu’il est dans l’eucharistie, sa sainte âme voit Dieu, et est donc dans la gloire de Dieu. Et c’est de cette façon que le Christ dans l’eucharistie est dans la gloire.  Car, il n’est jamais ou n’a jamais été privé de gloire.  La deuxième façon.  Être dans l’eucharistie est pour lui une gloire et une béatitude.  Or, de cette façon, il n’est pas dans la gloire, et ces espèces ne sont pas non plus la gloire de Dieu.  Car, il n’est pas nécessaire qu’elles soient dans l’eucharistie pour qu’elles soient avec le Christ dans la gloire.  J’ajoute ensuite que, selon la doctrine des saints pères, les chœurs des anges sont toujours présents au Christ présent dans l’eucharistie, comme l’attestent clairement saint Jean Chrysostome (livre 4, sur le sacerdoce, et homélie 65 au peuple d’Antioche), saint Ambroise (Saint Luc, chapitre 1, sur ces paroles : un ange lui est apparu), et saint Grégoire (livre 4, chapitre 58 des dialogues).
Le neuvième texte est celui de saint Jean 14 : « Je quitte le monde et je vais au Père. »  Et pour que nous ne répondions pas que le Seigneur a laissé le monde visiblement, mais est resté cependant dans le monde invisiblement, accourt le martyr avec son livre contre Gardinerus, objection 3, ainsi que Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 26) qui prouvent qu’on ne peut pas vraiment répondre cela parce que le Seigneur, en un autre endroit, a promis un autre paraclet, c’est-à-dire le Saint-Esprit qui suppléera au défaut de son absence.  Or, le Saint-Esprit ne suppléerait pas vraiment au défaut de l’absence du Christ total en tant que Dieu et en tant qu’homme, s’il avait besoin d’un vicaire.  Calvin en conclut donc que l’ascension du Christ et la descente du Saint-Esprit seraient antithétiques; et qu’il serait donc nécessaire que le Christ sorte vraiment de ce monde pour que le Saint-Esprit dût lui succéder.
Je répons que le Christ a quitté le monde en tant qu’il a quitté la vie du monde.  Car, après sa mort, il n’a pas habité dans le monde à la manière des autres hommes.  Cependant, cette absence ne répugne pas avec la présence d’un autre genre, comme nous l’avons dit plus haut, et prouvé avec le texte 24 de Luc : « Je vous ai dit cela quand j’étais encore avec vous. »  Ensuite, l’argument qui porte sur la venue du Saint-Esprit, ou je n’y comprends rien, ou il aide notre cause.  Car l’Esprit Saint n’a pas été promis  pour qu’il supplée à toute présence du Christ.  Car, lui-même a dit au même endroit : «  Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous. »  Et en Matthieu (dernier chapitre) : « Je suis avec vous jusqu’à la consommation du monde. » Et en Jean 1 : « Il était dans le monde. »  Le Saint-Esprit ne devait donc suppléer qu’à la présence du Christ vivant de la vie des hommes.  Car, les apôtres allaient être  privés de la vue du Christ, de ses enseignements, et de ses exemples.  Ils avaient donc besoin d’une plus grande grâce interne, qui suppléerait à la consolation externe, et à l’aide de toute sorte.   Et c’est ce que le Christ leur a promis quand il leur a annoncé le Saint-Esprit.  Ce qui certainement ne se fait en aucune façon contre la présence du Christ dans l’eucharistie. Car le Christ est présent là de façon à ce que nous ne le voyions pas, ne l’entendions pas, et qu’il  ne puisse pas converser familièrement avec nous.
De plus, l’antithèse constituée par l’ascension du Christ et la descente du Saint-Esprit  semble se retourner contre Calvin.  Car, comme l’Esprit Saint est vraiment descendu, tout en demeurant dans le ciel, le Christ, aussi, est vraiment monté tout en demeurant avec nous, non seulement  en tant que Dieu (qui est partout) mais aussi en tant qu’homme, dans l’eucharistie, mais d’une façon spirituelle et invisible.
Le dixième texte est de Jean XX : « Ne me touche pas, je ne suis pas encore monté vers mon Père. »  Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 20)  met de l’avant ce texte, en disant : « Quand il interdit d’être touché par les femmes jusqu’à ce qu’il monte vers son Père, ce ne sont pas seulement nos yeux qu’il a voulu arracher à la terre, mais tous nos sens.   Puisqu’il n’a vu qu’un geste de pieuse vénération dans les baisers de Marie sur ses pieds, pourquoi lui interdit-il de la toucher maintenant jusqu’à ce qu’il soit reçu dans le ciel ?  Il n’y a qu’une seule raison : parce qu’il ne voulait pas qu’on le cherche jamais ailleurs.
Je réponds qu’il s’en faut de beaucoup qu’il n’y ait que cette seule raison. Ce ne fut même pas la vraie raison, et on pourrait en donner beaucoup d’autres.   Que ce ne soit pas la vraie cause, on le déduit de ce que, un peu après, le Seigneur a permis d’être touché non seulement par sainte Marie Madeleine, mais aussi par les autres femmes (Matth chapitre 28). Comme le note saint Augustin (dans son traité 121 sur saint Jean).  Donc, comme Calvin prouve par l’interdiction de le toucher qu’il ne veut être touché et cherché que dans le ciel, nous aussi nous prouvons, par sa permission d’être touché et cherché, qu’il veut être cherché et touché même sur cette terre.   D’autant plus qu’il est souvent apparu sur la terre, et avant son ascension, et après.
Qu’on puisse donner plusieurs raisons à sa défense de le toucher,  nul lecteur des pères de l’église ne pourra en douter.  Saint Jean Chrysostome (homélie 85 sur saint Jean), et Theophylactus disent, dans leur commentaire de ce passage, que Marie a voulu se comporter  familièrement avec le Seigneur, comme elle avait l’habitude de le faire. Le Seigneur le lui a interdit pour lui faire comprendre que son corps, glorieux déjà et immortel, exigeait une plus  grande révérence qu’auparavant.  Et c’est ce que signifient ces mots : « Ne me touche pas etc. »  C’est-à-dire : je ne suis pas encore monté, mais je vais monter bientôt. » Car, il a déjà un corps glorieux digne d’une demeure céleste.  Mais, un peu après, quand les femmes l’adorèrent et lui baisèrent respectueusement les pieds, on ne lit pas qu’il les ait empêchées de le faire.
Saint Augustin (traité 121 sur saint Jean), et saint Léon (sermon 2 sur l’ascension) disent  que Marie était le type de l’Église des Gentils, parce que, à cette église, il ne s’était pas montré pour être vu et touché, mais seulement par la foi, au moyen de la prédication des apôtres après l’ascension.  Voilà pourquoi il a dit : « Ne me touche pas, je ne suis pas encore monté vers mon père. »  Le même saint Augustin, ailleurs, et saint Grégoire (livre 26, chapitre 29 des Morales) disent que ce toucher fut un toucher de la foi.  Parce que Marie ne croyait pas encore que le Christ était égal au Père, c’est pour cela qu’il n’a pas voulu qu’elle le touche. Ce qui voulait dire : dans ton cœur, je ne suis pas encore monté vers mon père.  C’est-à-dire, selon ton opinion, je ne suis pas avec le Père.
Saint Cyrille (livre 12, chapitre 50 sur Jean) écrit que le Christ a voulu signifier, par ces paroles, que, dans l’eucharistie, sa chair ne doit pas être touchée, si ce n’est par des hommes purs, et qui ont déjà reçu le Saint-Esprit.  Et parce que Marie était le type des pécheurs, le Christ n’a pas voulu être touché par elle tant que, par la venue du Saint-Esprit, elle n’aurait pas été totalement purifiée.  Voilà pourquoi il lui dit : ne me touche pas.  Saint Bernard (sermon 26 sur les cantiques des cantiques) dit que le sens est le suivant : ne me touche pas, c’est-à-dire n’essaie pas de prouver ma résurrection par le jugement des sens, mais attends l’ascension, et la venue du Saint-Esprit.  Car, alors, fortifiée dans ta foi, tu connaitras mieux et plus surement que je suis ressuscité, que tu ne le pourrais maintenant, en me touchant.
On peut ajouter une autre explication, qui me parait très simple, et des plus littérales.  Ce n’est pas le contact qui est prohibé, mais la précipitation dans le geste.  De sorte que le sens serait : ne me touche pas, parce que je ne suis pas encore monté vers mon père, mais va à mes frères, et dis-leur.  Ce qui veut dire :  Ne te presse pas tant pour me toucher, tu auras assez de temps pour cela, car je ne vous ai pas encore définitivement quitté.  Va d’abord voir les apôtres, et annonce-leur que je suis ressuscité. Et, après, tu pourras plus commodément me voir et me toucher avec les autres.
Cette explication semble excellente, parce qu’elle cadre parfaitement avec la raison indiquée : je ne suis pas encore monté, et par le fait que le Seigneur s’est laissé toucher par les autres femmes et les disciples.  Bien plus, en entrant, il leur dit : tâtez et voyez. (Luc 25), et à Jean XX, il dit à saint Thomas : « Touche mon côté. »  De plus, cette explication détruit de fond en comble l’explication de Calvin.
Le onzième texte est celui de Actes 7 et 17 : « Dieu n’habite pas dans des temples faits par les hommes.»   Puisque le Christ est Dieu, il n’habite donc pas, enfermé, dans tous les temples. »  C’est Pierre le martyr qui se sert de cet argument (dans son livre contre Gardinerus, à l’objection 8.)  Mais, comme il a vu qu’on pouvait facilement le réfuter, il a dit que telle était la force de cet argument et que c’est de la façon suivante qu’il avait coutume d’être présenté par les siens : en raison de son immensité, Dieu ne peut être contenu dans aucun temple, parce qu’il est plus grand que tous les temples.  Donc, le corps du Christ, parce qu’il a la véritable stature d’un homme, ne peur pas, lui non plus, être inclus dans une lunule ou un tabernacle, parce qu’il est plus grand qu’eux.
Je réponds que ces passages doivent s’entendre de la divinité qui, bien qu’elle soit partout, et d’une façon particulière dans les temples, n’habite pas vraiment dans des temples faits par les hommes.  Car, habiter signifie avoir besoin d’un lieu.  Habitent proprement dans un lieu ceux qui seraient mal à l’aise s’ils n’y étaient pas.  Cela signifie aussi être contenu et enfermé dans un lieu. L’une et l’autre chose répugnent au vrai Dieu, mais convenaient très bien aux idoles des Gentils.  Car bien que ces lieux conviennent, au sens propre, à la divinité, ils conviennent aussi au corps du Christ présent dans l’eucharistie.  Car, même si le Christ est véritablement là, on ne peut pas dire qu’il y habite au sens propre, car il n’a besoin d’aucun toit, d’aucune maison, puisqu’il est aussi en dehors de ce lieu.
 À l’argument du martyr, je réponds que si on observe attentivement cet argument, il travaille pour nous, plutôt que contre nous.  Car, comme Dieu, à cause de son immensité, n’est pas contenu dans une lunule, ou dans les  espèces du pain, il est quand même là en entier.  Comment un corps humain ne peut  pas occuper un lieu et être contenu sous l’espèce d’un pain modique, cela sera expliqué dans l’autre question.  Il ne s’agit ici que du Verbe de Dieu.  Le Verbe de Dieu ne connait pas l’impossibilité d’un grand corps d’être dans un petit lieu, mais le contraire plutôt.  Ne lisons-nous pas en Matthieu que Dieu peut faire en sorte qu’un chameau passe par le chas d’une aiguille ?
Le douzième texte est de saint Paul : 1 Corinthiens 10 : « Nos pères ont mangé la même nourriture spirituelle, et ont bu  le même breuvage spirituel ».  Or, ils ne mangèrent pas la chair du Christ, et ne burent pas avec leur bouche corporelle, comme chacun le sait, mais par la foi seule.  Donc, nous aussi, nous ne mangeons et ne buvons que par la foi. »  Cet argument est de Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus par 1, objection 82).  Mais, il est facile de lui répondre.  Car, en premier lieu, nous avons déjà démontré dans la dispute sur les sacrements en général, que saint Paul ne veut pas dire que les Hébreux ont mangé la même nourriture que nous, mais que ceux qui vivaient alors ont mangé la même nourriture, les mauvais comme les bons.  Il cite saint Augustin qui (psaume 76, traité 26) qui, en expliquant ce passage,  dit que les Hébreux et nous avons mangé la même nourriture.
J’ai deux choses à répondre à ce texte de saint Augustin.  La première. Saint Augustin n’a pas expliqué ce texte en en faisant un commentaire approfondi, comme l’ont fait saint Jean Chrysostome et Theoplylactus, et d’autres.  Il n’a fait que se servir en passant  d’une parole de saint Paul pour le sujet qu’il traitait alors.  Il ne faut donc pas se surprendre si, pour l’explication de ce texte, nous faisons passer avant lui  saint Jean Chrysostome et d’autres qui en ont fait un commentaire  exhaustif.  Il est certain que, littéralement, saint Paul parle d’une même nourriture entre eux, non avec nous.  Il dit, en effet, que les bons et les mauvais ont mangé la même nourriture.  Et il ajoute : mais Dieu ne s’est pas plu dans un grand nombre d’entre eux.  Donc,  tous  mangèrent,  et pourtant, plusieurs d’entre eux ne plurent pas à Dieu.  Et comme il dit : tous ont mangé la même nourriture spirituelle, il dit aussi : tous ont traversé la mer rouge. C’est-à-dire les bons et les mauvais.
Je dis, ensuite que la sentence de saint Augustin est vraie, même si, à lettre,  elle ne se rapporte pas à ce texte.  Et elle ne nous contredit en rien.   Car, il dit que les Hébreux ont mangé la même nourriture que nous, mais il explique cette similitude par la signification : parce que leurs sacrements et les nôtres signifiaient la même chose.  Lisons donc ce qu’il dit dans le traité 62 sur saint Jean : « Ces choses furent des sacrements, qui sont différents dans les signes, et semblables par la chose qu’ils signifient. »   Ils sont donc semblables par la signification, parce qu’ils contiennent les nôtres, parce qu’ils signifient les nôtres, comme le dit clairement saint Augustin (dans le psaume 73) : « Leur nourriture, leur breuvage et les nôtres sont semblables dans le mystère. Ils sont semblables par la signification, non par l’espèce.  Car, le même Christ qui s’est manifesté pour nous dans la chair était figuré dans le rocher.  Tu vois donc là que c’est dans le rocher qu’a été présenté aux Juifs le Christ qui s’est manifesté à nous dans la chair. »
Enfin, (dans son livre contre les lettres de Petilien, chapitre 37), il dit : « Autre est la pâque que les Juifs célèbrent avec l’agneau,  et autre est celle que nous recevons dans le corps et le sang du Christ. »   Tu vois là, que, à la place de l’agneau qu’avaient les Juifs, ce n’est pas un pain qui nous est donné, mais le corps et le sang du Seigneur que l’agneau pascal signifiait.   Pour saint Augustin, la nourriture des Juifs et celle des chrétiens n’était pas une seule et même chose, quant à la chose elle-même, mais quant à la signification.  Comme on dit que sont la même chose la figure et le figuré, car l’une est vraiment ce que l’autre est comme  type.
Le treizième texte est de saint Paul : 1 Corinthiens 10 et 11 : « L’eucharistie, est, là, appelée quelquefois pain, même après la consécration. L’eucharistie n’est donc rien d’autre qu’un vrai pain, et le corps du Christ, par la signification. »  Pierre le martyr se sert de cet argument qui est commun aux autres hérétiques (dans contre Gardinerus, objection 19.
Quelques-uns répondent que, par trope, l’eucharistie est vraiment appelée pain, parce qu’elle vient du pain, et qu’elle était,  avant, du pain.  Et ils présentent plusieurs exemples de l’Écriture où l’eucharistie est appelée pain par trope, comme  dans Genèse 111, Ève est appelée l’os d’Adam, dans Exode 7, les bâtons  convertis en serpents sont encore appelés bâtons.   En Matthieu 11, il est dit que les publicains et les prostituées nous précéderont dans le royaume.  Mais, cette réponse ne semble pas être à toute épreuve.  Car, les adversaires pourraient dire : ce n’est pas parce qu’une chose  est nommée de telle façon par celui qui l’a faite, qu’elle doit avoir ce sens partout et toujours.  Deuxièmement.   On peut dire que l’Écriture a coutume d’appeler les choses comme elles apparaissent extérieurement.  C’est ainsi que le serpent d’airain, elle l’appelle serpent,  et hommes les anges qui apparaissaient sous forme humaine, bœufs, des années, et autres choses semblables.  Elle appelle bœufs les ornements du temple, o grenadiers.  Et comme l’eucharistie, par la forme, ne diffère en rien d’un pain ordinaire, pourquoi s’étonner si elle est appelée pain ?
Troisièmement.  Je dis que, selon mon jugement, les hébreux ont une excellent raison d’employer le mot pain, parce que, par le mot pain, on entend habituellement le mot nourriture.  Quatrièmement, l’eucharistie est appelée pain  parce qu’elle est non seulement une nourriture, mais parce que elle est la nourriture principale, solide, substantielle, comme est le pain parmi les aliments corporels.  Tu vois donc que l’argument des adversaires selon lequel au chapitre 6 de Jean, le corps du Seigneur est souvent appelé pain, ne prouve rien.   Et cependant, les adversaires prétendent que, dans ce chapitre, il  n’est pas question de l’eucharistie.  Ils sont donc forcés, par pain, d’entendre un pain matériel ou une nourriture céleste.
Le quatorzième texte est celui de Philippiens 11, où saint Paul écrit : « Nous attendons un Sauveur qui réformera le corps de notre humilité, en le configurant à son corps glorieux. »  Avec ce texte, Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 29)  fait l’argument suivant : « Après la résurrection nos corps seront dotés des mêmes dons que possède maintenant le corps du Christ.  Or, il serait fou d’espérer que nos corps soient dans plusieurs lieux à la fois, ou sous  l’espèce du pain. »
Je réponds.  Que le corps du Christ puisse être en plusieurs lieux ou sous les espèces du pain, cela ne vient pas d’un don de son corps glorieux, mais de la puissance infinie de Dieu.  Car, nous croyons que, même avant sa résurrection, le corps du Christ était présent dans l’eucharistie.   La gloire que nous attendons n’a donc rien à voir avec cela.
Le quinzième est de saint Paul aux Colossiens 111 : « Recherchez les choses d’en haut, là où est le Christ, siégeant à la droite du Père. »  Calvin déduit de ce texte (livre 4, chapitre 17, verset 36) qu’on ne doit pas chercher le Christ dans l’eucharistie.  Et il ajoute que ce n’est pas sans raison, que, dans l’église antique, il avait été institué qu’avant la célébration des mystères, on dise : haut les cœurs !
Je réponds. Si nous redoutions cet argument, nous aurions depuis longtemps dit bonsoir  à cette acclamation : haut les cœurs !  Or, c’est pourtant nous qui nous nous en servons constamment, et nos adversaires qui la négligent.  Même si, dans  son livre sur la façon d’administrer les sacrements, Calvin ordonne que le prédicateur dise, au  milieu de son sermon : haut les cœurs, il ne veut pas, cependant,  que soit récitée cette préface avec les questions  les réponses prescrites,  comme les anciens le faisaient, au témoignage de saint Cyprien (sermon sur l’oraison dominicale) et saint Augustin (livre sur le bien de la persévérance, chapitre 13) et de toutes les liturgies grecques, celle de Jacques, de Basile, de Chrysostome, et toutes les latines.  Ce que nous faisons encore, nous, à notre époque.
Je réponds aussi que haut les cœurs, ne signifie par l’élévation des yeux vers un lieu corporel.  Autrement, les astrologues seraient les hommes les plus pieux de tous, eux qui contemplent toujours les étoiles. Cette invitation signifie plutôt l’élévation de notre esprit au dessus des choses et des soucis terrestres de cette vie, vers Dieu, les choses éternelles et divines.  Et il est certain que ceux qui cherchaient le Christ dans ce monde, soit dans une crèche, comme les mages, soit dans un temple comme la Vierge Marie, soit dans le sépulcre, comme Marie Madeleine, avaient leur cœur élevé aux cieux.  Car ils cherchaient celui qui est béni par-dessus tout, pendant des siècles et des siècles.  Et il peut se faire que, en pensant à la terre et en la regardant, le cœur soit en haut.  Si, sur la terre, quelqu’un pense à la toute puissance de Dieu,  qui resplendit ici, et cet autre dans le ciel ne pense qu’à la nature et aux qualités du ciel.  Il en est  donc ainsi de ceux qui, dans l’eucharistie, cherchent le Christ, et le vénèrent.  Leur cœur est en haut s’ils pensent au Christ et non aux affaires du monde.
2019 02 02 fin
 

2019 02 10 début
                                                                      DEUXIÈME LIVRE
                                                      DES CONTROVERSES SUR L’EUCHARISTIE
                    Témoignages des pères sur la réalité de la présence du Christ dans l’eucharistie
Jusqu’à présent, c’est avec la parole de Dieu que nous avons disputé de la présence du corps du Christ dans l’eucharistie.  Maintenant, c’est avec les témoignages des pères qui vécurent avant la naissance de cette hérésie, que nous entreprenons de mener le combat. Car même si les adversaires ont coutume de mépriser les pères quand ils se rendent compte qu’ils leur sont contraires, il  semble que, dans cette question, ils leur attribuent une certaine autorité.  Il est du moins tout à fait certain qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour les ranger de leur côté.  Dans sa dernière admonition à Westphalus,  Jean Calvin a le front de dire : « Il est avéré que tous les anciens écrivains qui ont vécu pendant les cinq premiers siècles, nous approuvent d’une seule voix. »  Pierre le martyr, (dans la préface de sa défense contre Gardinerus à la reine d’Angleterre) se targue de défendre, sur l’eucharistie, la sentence des pères grecs et latins. Pierre Boquin (au début du livre sur la cène du Seigneur contre Heshusius) dit que, pour trouver la vérité dans cette question capitale, « il n’y pas de moyen plus aisé et plus assuré que de suivre les traces des anciens pères ».
Donc, pour que, dans la mesure où la grandeur de la chose le permettra, nous comprenions clairement et rapidement ce que les pères ont pensé sur cette question, nous les examinerons l’un après l’autre, selon l’ordre chronologique.  Et pour chacun d’entre eux nous nous demanderons : que répondent à cela les adversaires; quels sont les textes des pères qu’ils présentent contre nous; et que doit-on répondre à cela.
Il est à  noter d’abord, que les témoignages des pères ne sont pas à mettre sur le même plan que les témoignages de la sainte Écriture.  Cependant, ils nous permettent de connaitre  ce qu’a été la doctrine et la foi de cette Église que nous reconnaissons tous avoir été la vraie église du Christ; et ce qu’ a été la vraie doctrine et la vraie foi de cette église sur les sacrements.  Nous tirons donc de leurs témoignages un argument puissant et infaillible en faveur de la vérité.  Voilà pourquoi saint Augustin (livre 3, chapitre 7 sur les mérites ….) dit, après avoir, sur le péché originel, présenté les témoignages de saint Cyprien et de saint Jérôme : «  Je ne les ai pas cités pour que, dans des disputes, nous nous appuyons sur eux comme s’ils jouissaient d’une autorité canonique,  mais pour qu’apparaisse, depuis le tout début jusqu’au moment où cette nouveauté est apparue, la foi conservée par l’Église avec une si grande constance. »
                                                            CHAPITRE 1
                       Le premier âge de l’Église : de l’an un jusqu’à l’an 100.
                        Le témoignage des disciples de l’apôtre saint André.
Il faut d’abord écouter les témoignages de ceux qui ont vu et écouté les apôtres, lors donc du premier âge de l’Église.  Se présente d’abord le livre de la passion de l’apôtre saint André écrit par ses disciples qui furent présents à sa passion.  Il est assez certain que ce livre est légitime.  Car, jusqu’à présent, personne, que je sache, n’a mis en doute son authenticité.   D’abord, parce qu’il ne contient rien qui sente la nouveauté. Et  parce que le genre de passion de saint André et ces mots : salut, sainte croix, très célèbres dans toute l’Église, viennent surement de ce livre.  Et aussi parce que saint Pierre Damien, dans son sermon 2 sur saint André, parle ainsi de cette histoire :   « Ce n’est pas sans raison qu’ait été reçu avec grande vénération et confiance ce qu’ont raconté à toute la terre ceux qui ont vu et entendu saint André. »  Il faut aussi ajouter que Jean de Louvain, dans sa censure des passions des saints, qui se trouve dans le martyrologe de Monalus, n’a que des éloges à faire à ce livre, dont il encourage la lecture.
Or, dans ce livre, on trouve ces paroles de saint André : « Moi, je sacrifie à tous les jours au Dieu tout pissant un agneau immaculé. » Et plus bas : « Après avoir été vraiment immolé et vraiment mangé par le peuple, il demeure intact, indemne  et vivant. »  Ces paroles excluent la manducation dans le seul signe, ou par la seule foi.  Et, un peu après, quand Égée s’étonnait et demandait qu’on lui explique comment un agneau qui était immolé et vraiment mangé pouvait demeurer intact, indemne et vivant, saint André refusa d’expliquer ce mystère à un païen.  Égée insista et le menaça de le forcer par des tourments à lui révéler ce secret. Mais l’apôtre lui répondit qu’il ne pouvait se faire en aucune façon que, sans la foi dans le Christ, il parvienne à la connaissance de ce mystère.
Or, il est certain que si, dans l’eucharistie, il n’y a que du pain qui signifie le Christ, il n’était pas difficile de comprendre, même sans la foi, comment le Christ mangé figurativement demeurait intact.  Car, si dans un pain, l’image d’un prince est imprimée, il est clair que, sans aucune lésion de sa part, le prince pourra être mangé dans son image. Et il n’y a aucune difficulté à comprendre cela, même pour un païen.  Je n’ai vu jusqu’ici aucune réponse des adversaires à ce texte.
                                                               CHAPITRE 2
                                              Le témoignage de saint Ignace.
Le deuxième auteur du temps des apôtres est saint Ignace.  Nul ne peut douter de l’authenticité des épitres de saint Ignace, puisqu’elles sont citées par Eusèbe de Césarée, saint Athanase, saint Jérôme, et très souvent par d’autres écrivains.  Or, dans son épitre aux Smyrniens, (comme la cite Theodoret, dans son dialogue 3), il dit : « Ils n’admettent pas les eucharisties et les oblations ceux qui ne confessent pas que l’eucharistie est la chair du Sauveur, qui a souffert pour nos péchés, et que, dans sa bénignité, le Père a ressuscitée. »
À ce passage, Bèze répond (dans le dialogue Cyclope) qu’il admet que la vraie chair du Christ nous est donnée à manger par la foi.  Mais saint Ignace ne dit pas que la chair du Christ nous est donnée d’une manière quelconque, mais il dit que l’eucharistie est la chair du Christ.  Pierre Boquin (dans son livre sur la cène du Seigneur) répond qu’Ignace dissertait contre ceux qui niaient que le Christ ait eu une vraie chair, et tirait, de l’eucharistie, l’argument suivant : si le Christ n’a pas eu une vraie chair, l’eucharistie ne peut pas être une vraie chair, c’est-à-dire un signe ou un symbole de la vraie chair.  Je réponds.  Saint Ignace dit que les hérétiques contre lesquels il plaidait, répudiaient complètement l’eucharistie, pour ne pas être forcés d’avouer que, s’ils admettaient que l’eucharistie est la vraie chair du Christ,  le Christ possède une vraie chair.
Il est à noter que ces hérétiques (comme le montre la lettre aux Smyrniens) enseignaient que le Christ  n’était né, n’avait souffert,  n’était ressuscité qu’en pensée.  Ils ne niaient pas pour autant que le Christ ait eu une chair visible et apparente, mais ils n’admettaient pas que cette chair ait été une vraie chair humaine.  Il s’ensuit donc qu’ils n’auraient pas du répudier les images ou les figures de la chair du Christ, mais seulement la vraie chair.  Car on peut peindre les corps humains apparents, et les exprimer en figures, à moins qu’elles ne soient vraiment pas humaines, comme ceux des anges.  Ces hérétiques ne niaient donc pas que l’eucharistie puisse signifier la chair du Christ, mais ils niaient qu’elle était la chair du Christ, pour ne pas être forcés d’admettre que le Christ avait une vraie chair.  Ils sont  réprouvés par saint Ignace, qui pensait donc le contraire, c’est-à-dire, que l’eucharistie était véritablement et proprement la chair du Christ.  Il y a d’autres extraits dans l’épitre aux Romains et aux Éphésiens, mais qui peuvent facilement être éludés.
Pierre le martyr nous objecte (dans son livre contre Gardinerus,  1 par objection 149) les paroles suivantes de saint Ignace dans son épitre aux Philadelphiens : « Je vous prie de demeurer fidèles dans une seule foi, une seule prédication, usant ensemble de l’eucharistie.  Une est la chair du Seigneur Jésus, un, son sang qui est été répandu pour nous, un, le pain qui est rompu pour tous, et un le calice de toute l’Église. »  Pierre le martyr note que saint Ignace distingue le pain et le calice de la chair et du sang du Christ, quand il dit : une chair, un sang, et aussi, un pain et un calice. » De quoi il semble s’ensuivre que dans le sacrement il n’y ait que du pain et du vin, qui signifient la chair et le sang, lesquels sont la chose du sacrement.  Il ajoute un autre argument tiré des mots pain et fraction, qui ne conviennent proprement qu’à un vrai pain.
Je réponds.  En ce qui a trait au pain et  à la fraction, on ne peut pas en faire une nouvelle question, puisque ce sont les mots mêmes de saint Paul (1 Corinthiens 11) : « Le pain que nous rompons » dont nous avons parlé plus haut. En ce qui a trait à la distinction entre le pain,  le vin et le corps, le sang, je dis que saint Ignace a distingué du sacrement de l’eucharistie la chair en tant qu’elle a souffert sur la croix, et le sang, en tant qu’il a été répandu sur la croix.  Et avec raison.   Car, le sacrement de l’eucharistie, qu’il contienne vraiment (comme nous le croyons) la chair du Christ, ou qu’il ne la contienne pas, (comme ils le pensent)  est un signe représentant la chair du Christ mourant sur la croix, et le sang du Christ répandu sur la croix.  Et c’est pour cela qu’il fait cette distinction.
Saint Ignace, veut, dans ce passage, nous exhorter  à conserver l’unité et la charité, et à fuir les schismes et les hérésies.  Il avertit donc de demeurer dans une seule foi, de ne faire qu’une seule prédication, et de recevoir ensemble l’eucharistie, c’est-à-dire de communier  ensemble, de ne pas faire de schisme, et de ne pas dresser  d’autel contraire. Il prouve qu’ils doivent communier ensemble parce qu’il y a un seul sacrement.  Il prouve qu’il y a un seul sacrement parce qu’il  y a une seule chair du Christ, et un seul sang.  Cette preuve serait efficace, même si ce sacrement ne faisait que signifier la chair du Christ, comme le veulent les adversaires.   Mais, elle serait encore plus efficace si le sacrement ne faisait pas que signifier, mais contenait vraiment la chair du Christ.
                                                             CHAPITRE 3
                               Le témoignage de saint Denys L’Aréopagite
Que saint Denys l’aréopagite ait vécu au temps des apôtres, nul ne le doute.   Les  livres qui lui sont attribués, les hérétiques nient qu’ils soient de Denys l’aréopagite.  Or, nous, ailleurs, nous avons prouvé qu’ils étaient bien de lui.  Mais, nous allons ici, surseoir à ce pénible travail, car Pierre le martyr admet que ces livres sont l’œuvre d’un ancien père, mais il ose en tirer un argument pour confirmer son erreur.  Et, de plus, comme cet auteur est cité par saint Grégoire le grand comme étant ancien (dans son homélie 31 sur les évangiles) il est nécessaire qu’il ait, au moins, vécu dans les cinq premiers siècles, qui sont reçus par Calvin.  Car si Denys l’aréopagite fut, pour saint Grégoire, un père ancien et vénérable, que ne  sera-t-il pas  pour nous ?
Dans son livre sur  la hiérarchie ecclésiastique (chapitre 3, par 3), cet auteur en plus de beaucoup de choses qu’il écrit sur ce sacrement, s’exprime ainsi : « O sacrement très divin, et très saint, daigne ouvrir le sens des choses cachées sous ces signes.  Fais-le apparaitre clairement à nos yeux; et remplis nos yeux spirituels de l’éclat de ta lumière ! »  Ce genre d’invocation se réfèrerait stupidement à ce sacrement, s’il n’était que  du pain de froment, et non le pain céleste, vivant et divin.
Pierre le martyr répond (dans son livre contre Gardinerus, par 1, obection 150) que saint Denys a apostrophé la chose signifiée, c’est-dire, le Christ lui-même, qui est représenté par les symboles du pain et du vin : « Comme dans les temples des papistes, tu vois des hommes s’agenouiller devant des signes et des statues, et leur parler comme si la Vierge, ou Pierre ou Paul étaient présents. »  Mais cette réponse est défectueuse, parce qu’il se condamne lui-même avec les autres sacramentaires qui ont coutume de blâmer et d’accuser d’idolâtrie les catholiques qui prient devant des images, ou le vénérable sacrement de l’autel.   Car, il en approuve maintenant l’usage, quand il l’attribue à ce saint père.  Il pèche ensuite en ne se rendant pas compte que c’est une chose d’invoquer le Christ ou les saints devant leurs images, --ce que les catholiques font à bon droit- et que c’est autre chose d’invoquer les images elles-mêmes, -ce que les catholiques ne font pas-, et qui ne peut être fait que par des idiots ou des impies.  Saint Denys invoque le sacrement et lui demande ce qu’on ne peut demander qu’à Dieu. Il estimait donc que, dans le sacrement, se trouvait vraiment le Christ, Dieu et homme;  que le sacrement est le Christ lui-même avec les symboles externes.
Le même dit Denys au même endroit, un peu plus bas : « Parce qu’il sacrifie l’hostie salvatrice qui est au-dessus de lui, le prêtre s’excuse en s’exclamant : « C’est toi qui as dit : faites cela. »  Or, il est certain qu’un pain ordinaire n’est pas au-dessus de nous.  Et aucune excuse ne s’imposerait si nous n’avions à faire qu’à un pain, même si ce pain signifiait le Christ. Autrement, les prêtres selon Aaron auraient du s’excuser et se sentir indignes de toucher des agneaux et des bœufs.  Ce qui est le comble du ridicule.
Écoutons maintenant ce qu’il dire de l’œuvre de saint Denys,  en sa faveur.  Il cite ces mots du chapitre 3, paragraphe 3 : « Le pontife prend le pain individué  et le coupe en vain en morceaux. »  Il ne s’agit là que de l’importunité coutumière des hérétiques.  Quand ils voient un père ancien donner le nom de pain à l’eucharistie, ils s’écrient que pour ce père, l’eucharistie n’est rien d’autre que du pain.  Et quand, chez tous les pères, dans un nombre incalculable d’endroits, ils lisent que l’eucharistie est le corps du Christ, ils ne veulent pas reconnaitre que le mot corps est pris là au sens propre.   Je dis donc que l’eucharistie est appelée pain, mais pain céleste et divin, non pain de froment.  Car, un peu avant, comme nous l’avons dit,  le même Denys  a écrit que ce pain est une hostie de loin plus digne que le pontife, de sorte qu’il doit s’excuser d’oser offrir à Dieu une chose si sublime.
                                                          CHAPITRE 4
                                            Le témoignage de saint Justin
Après les disciples des apôtres, dans le second âge de l’église, nous avons trois témoins insignes et indubitables : saint Justin, Pie 1, et saint Irénée.  Saint Justin.  Dans son apologie 2 à l’empereur Antonin, il parle ainsi de l’eucharistie (le texte est cité en grec au complet).  « Nous ne le recevons pas comme un pain ordinaire ou comme une boisson ordinaire, mais comme Jésus Christ notre Sauveur, incarné par le Verbe de Dieu, et qui prit notre chair et notre sang pour notre salut.   C’est ainsi que  nous avons appris de lui que, par les prières du Verbe de Dieu,  l’eucharistie,  c’est-à-dire la chair et le sang de Jésus,  est faite une nourriture par laquelle notre sang et nos chairs sont nourries par mutation. »  Ceci est une traduction littérale du texte, car les hérétiques ont coutume de souvent se plaindre des traductions des catholiques.  La seule ambiguïté qui puisse encore demeurer est : «l’eucharistie est faite ».  Mais la chose a peu d’importance.
De ce texte on peut déduire de deux façons que saint Justin a pensé que la vraie chair du Christ est contenue dans l’eucharistie.  La première.   Du seul fait qu’il déclare que le pain de l’eucharistie n’est pas un pain ordinaire, mais la chair du Christ.  Et il ne fait là aucune mention de trope ou de figure.  Car, si l’eucharistie était figurativement la chair du Christ, et non réellement, saint Justin aurait senti le besoin de le dire, puisqu’ill écrivait une apologie pour les chrétiens, auxquels on reprochait, entre autres crimes, la manducation de chair humaine dans leurs sacrifices, comme l’écrit Tertullien (dans son apologie, chapitre 7),  Minitius Felix dans Octavius, et surtout Athenagoras, qui dans son apologie au même Antonin, réfute trois crimes faussement imputés aux chrétiens : qu’ils croyaient qu’il n’y avait pas de dieux, qu’ils se nourrissaient de chairs humaines, qu’ils avaient des relations incestueuses.
 Il est certain que pour détruire à tout jamais cette accusation, il avait le devoir d’expliquer qu’ils ne mangeaient pas la chair du Christ réellement, mais significativement.  Et même si un pareil crime ne leur avait pas été reproché, Justin aurait été bien fou  si, écrivant à un empereur païen, il avait, sans aucune nécessité,  fait des mystères de la religion les plus faciles à comprendre, des choses incroyables.
Deuxièmement. De la comparaison de l’eucharistie que fait Justin avec le mystère de l’incarnation, nous déduisons la même chose.  Car, pour enseigneur que ce n’était pas avec témérité que les chrétiens croyaient que le pain devient de la chair, il donne comme exemple un autre mystère aussi difficile. La puissance qui a fait que le Verbe devienne chair est la même qui fait que le pain devienne chair. Si son intention était de faire comprendre que le pain ne devient chair que figurativement, à quoi bon apporter l’exemple de l’incarnation ?  Car, nul miracle n’est requis pour que le pain signifie le corps du Christ.
Pierre le martyr cherche à réfuter l’un et l’autre argument.  Et, du texte cité de saint Justin, il tire même un argument contraire (dans son livre contre Gardinerus, objections 13 et 151 (ou 154). À notre premier argument, il répond que saint Justin n’a pas dit que le  pain était une figure du corps du Christ, mais  qu’il était le corps lui-même, car c’est ainsi qu’avaient coutume de parler  entre eux les chrétiens de cette époque. Il n’y avait aucun danger que les païens pensent que nous mangions vraiment et proprement la chair du Christ, d’abord parce que Justin avait dit que c’était du pain et du vin qui étaient placés sur la sainte table, et ensuite parce que ces mêmes païens pouvaient facilement comprendre par eux-mêmes  que les paroles du Christ (ceci est mon corps) ne pouvaient s’entendre que sacramentellement.  Enfin, parce que Justin avait dit que la chair qui était mangée n’était pas celle de n’importe lequel homme, mais de quelqu’un, le Christ,  qui était ressuscité et assis dans le ciel.
En disant beaucoup de mots, Pierre le martyr ne dit rien.   Car, même si les chrétiens parlaient ainsi entre eux, le défenseur des chrétiens se devait d’expliquer à un empereur païen le trope contenu dans ces paroles (ceci est mon corps).  Autrement, il n’enlevait pas mais augmentait les soupçons de crimes imputés aux chrétiens.  De plus, même si Justin avait dit que c’étaient du pain et du vin qui était placés sur la sainte table, il a ajouté que, après des prières mystiques, ce n’était plus un pain ordinaire ou un vin commun qui se trouvaient là, mais  le corps et le sang du Christ. Et il est tout à fait ridicule de prétendre qu’un empereur païen ne pouvait entendre les paroles du Christ que sacramentellement.  Comment un païen qui n’a jamais entendu parler de sacrements, pouvait-il penser ainsi ?  Pour pouvoir ainsi tout ramener instantanément à des tropes, Pierre le martyr pense peut-être que cet empereur était versé dans l’école des calvinistes !
Et quant à ce qu’il ajoute au sujet de la résurrection du Christ, il n’atténue par la difficulté, mais l’amplifie.  Et, sans aucune raison valable, il révèle notre foi à un Gentil, quelque chose, d’ailleurs, d’incompréhensible.  Le dilemme reste donc insoluble.  Ou Justin pouvait dire que les chrétiens ne mangeaient la chair du Christ qu’en figure, ou il ne le pouvait pas.  S’il le pouvait, il a été un prévaricateur de la cause chrétienne.  Car, il rend la foi très odieuse, et augmente le soupçon de crime, alors qu’il pouvait, en une parole, rendre la foi vraisemblable, et éliminer le crime.  S’il ne le pouvait pas, ce ne peut être que parce que c’est réellement et vraiment que, dans l’eucharistie,  nous est donnée à manger la chair du Christ.
À notre second argument le martyr répond que Justin a expliqué l’eucharistie par l’exemple de l’incarnation, pour montrer, contre les hérétiques Marcionistes, que c’est par la foi que nous recevons la chair du Christ.   Car, si, par l’incarnation, le Christ n’avait pas assumé une chair véritable, mais simulée et fictive, comme le disaient les marcionites et les valentiniens, les hérétiques n’auraient pas dit que l’eucharistie n’était que le signe de la vraie chair, et que nous ne participons pas à la vraie chair.
Or, dans ce passage, Justin ne prouve pas l’incarnation par l’eucharistie, mais l’eucharistie par l’incarnation.  De plus, saint Justin n’écrit pas contre des hérétiques, ni ne fait mention d’eux, mais il veut persuader l’empereur que le mystère de l’eucharistie n’est pas quelque chose d’impossible pour ceux qui croient en l’incarnation.  Ajoutons que les empereurs et les autres païens  étaient si éloignés de l’opinion de Marcion que jamais ils n’auraient  mis en doute que le Christ ait eu une véritable chair.  Ne reprochaient-ils pas constamment aux chrétiens d’adorer un homme qui avait été crucifié et tué par Pilate ?  Il n’y avait donc aucune raison qui explique que Justin ait utilité l’exemple de l’incarnation pour prouver que le Christ avait une véritable chair.  De plus, si l’eucharistie n’était rien d’autre qu’un pain qui signifie la chair du Christ, il ne pourrait rien en conclure contre Marcion.  Car, il dirait celui-là que le Christ a eu une chair fantomatique et apparente, et que c’est elle qui est signifiée par l’eucharistie.
Les anciens ne prouvent donc pas, par ce signe de l’eucharistie, que le Christ a eu une vraie chair, mais ils prouvent, par la sentence commune et par la foi de l’Église qui existait alors, que l’eucharistie est vraiment la chair du Sauveur.   Car, comme le dit saint Ignace, les hérétiques répudiaient totalement l’eucharistie.  Ensuite, saint Justin compare l’eucharistie à l’incarnation quant à la manière dont l’une et l’autre ont été faites.  Car,  il dit que c’est par les prières de la parole de Dieu qu’est faite l’eucharistie, et que c’est alors qu’existe la chair du Christ.   Et c’est aussi par la parole de Dieu, c’est-à-dire par la vertu et la puissance de Dieu que l’incarnation a été faite.  Or, si l’eucharistie n’était le corps du Christ que significativement, on n’aurait besoin d’aucune prière  consécratoire,  mais la première institution du Christ suffirait.  Voilà pourquoi les calvinistes ne font  aucune consécration.  Or le Justin qui a écrit que, par les prières de la parole de Dieu, le pain de l’eucharistie devenait le corps du Christ, croyait évidemment que l’eucharistie n’était pas seulement une figure, mais le corps du Christ.
Même si Pierre le martyr tourne en dérision le fait que la consécration ne se fasse pas, pour nous, par des prières, mais par ces paroles : ceci est mon corps, la chose est sans importance, car, (comme nous l’avons montré plusieurs fois plus haut), les saints pères donnent le nom de prières mystiques aux formes de tous les sacrements, même si elles ne ressemblent pas à des prières.  Car, toutes ces formes, quelle que soit la façon dont elles sont prononcées, contiennent l’invocation de Dieu, par la vertu duquel sont produits les sacrements et leurs effets.
Voyons maintenant ce qu’il va puiser dans l’apologie de saint Justin pour prouver son erreur. Il en tire deux arguments.  Le premier. Du texte ci-haut cité où saint Justin dit que nos corps sont nourris par le pain de l’eucharistie, il conclut que c’est un vrai pain qui se trouve dans l’eucharistie, non le corps du Christ,  sauf figurativement.  Car, ce ne sont pas nos corps qui sont nourris par le corps du Christ, mais nos âmes. Boquin fait la même objection (dans son livre sur la cène du Seigneur).  Mais Pierre le martyr en présente une autre tirée du dialogue de Justin avec Tryphon, où saint Justin appelle l’eucharistie un vrai pain, et un vrai breuvage.
Mais cela a déjà été réfuté plus haut. À la première objection je réponds doublement.  D’abord, ces paroles (duquel nos chairs sont nourries par mutation), sont une périphrase du pain duquel est confectionnée l’eucharistie, le sens étant le suivant : cette nourriture, à laquelle nos chairs ont coutume de s’alimenter, devient le corps du Christ quand elle est consacrée par une prière mystique.  Il importe peu que saint Justin parle  de la consécration avant de dire que nos chairs sont nourries par cet aliment.  Car, il ne dit pas que nos chairs sont nourries du pain consacré, mais il dit que, après la consécration, cet aliment  qui nourrit nos chairs, devient le corps du Christ.
Je réponds ensuite que ce n’est pas quelque chose de nouveau que l’eucharistie nourrisse nos corps. Des pères comme saint Irénée, saint Hilaire, saint Cyrille et d’autres l’ont enseigné.  Mais, quand ils disent cela, les pères n’entendent pas que, dans l’eucharistie, soit nourrie la substance mortelle de notre corps.  Car, ils auraient fait ainsi de l’eucharistie une nourriture pour le ventre, et non pour l’esprit.  Rien de plus absurde que cela.  Mais, ils entendent, comme nous le verrons plus haut, que, par l’eucharistie, nos corps sont nourris pour l’immortalité, c’est-à-dire, pour recevoir, du contact avec la chair glorifiée du Christ, une certaine vertu, ou une disposition à la résurrection glorieuse, et à la vie immortelle.  Ce qu’ils déduisent des paroles de saint Jean : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. »
                                                           CHAPITRE 5
                                         Le témoignage du pape saint Pie
Le pape Pie 1, qui vécut en même temps que saint Justin,  décréta une peine assez grave contre ceux qui, à cause de leur négligence, laisseraient tomber quelques gouttes du Seigneur par terre ou sur l’autel.  Il ordonna que ce lieu ou cet autel soit purifié et lustré, comme il appert de Gratien (la consécration, dist 2, canon si par négligence), et du livre 1 du décret d’Yvon, et du livre de Barchardus.  Même si nous n’avons plus l’épitre originale du souverain pontife, les auteurs précités rendent ce témoignage plus que vraisemblable. Nous lisons ensuite la même chose dans Tertullien, Origène, Cyrille et d’autres qui furent proches de cette époque. Ils attestent qu’alors, l’église avait coutume de prendre le plus grand soin pour qu’aucune parcelle ou goutte du sacrement ne tombe par terre.  Ces témoignages, nous les citerons plus bas, en leur lieu et place.
Ce soin méticuleux et soucieux est un argument diriment en faveur de la foi des anciens.  Car, si le pain de l’eucharistie n’avait le corps du Christ qu’en figure, on n’aurait pas pris tant de précautions pour qu’il ne tombe pas par terre.   Du moins pas plus que pour empêcher que tombe par terre une bible, une image du Christ, l’eau du baptême, ou, comme les Juifs, la manne ou l’agneau pascal.  Qui a jamais entendu dire qu’il fallait laver et cirer un plancher où était tombé le livre des évangiles, une image, la manne, ou l’eau du baptême ?  Sur ces témoignages, je n’ai pas lu de réponses des adversaires.
                                                              CHAPITRE 6
                                          Le témoignage de saint Irénée
Vient ensuite le témoignage de saint Irénée, qui vécut au même siècle que saint Justin,  mais un peu après.  Disputant,  (dans son livre 4, chapitre 34, contre les hérésies),  contre les hérétiques qui niaient que le Christ était le Fils du Créateur, et le Créateur du monde, saint Irénée parla ainsi : « Comment pourront-ils croire que le pain, sur lequel on a rendu grâce, est le corps du Seigneur, et le calice, le sang du Seigneur,  s’ils ne disent pas qu’il est le Fils du Fabricateur du monde, c’est-à-dire son Verbe, par qui les arbres fructifient, les sources coulent, qui donne  d’abord la graine, puis l’épi, et la farine et le pain. » Voici l’argument que nous tirons de ce texte. Saint Irénée prouve que le Christ est le Créateur par le fait que, par la consécration, le pain devient le corps du Christ.   Il croyait donc que c’était réellement que le pain était changé dans le corps du Christ, et non seulement symboliquement.  Car, la mutation réelle requiert la toute puissance du Créateur, et non l’imposition d’une nouvelle signification.
Pierre le martyr répond à cette argumentation (dans son livre contre Gardinerus, objections 62 et 157).   Il dit que saint Irénée ne prouve pas, que, par la transmutation du pain dans son corps,  le Christ soit  le fils du Créateur, ou  le Créateur, mais  par le fait que du pain soit utilisé pour signifier son corps; et parce qu’il rend grâce à Dieu quand il se sert de ce pain.  Car, il ne convenait pas que le Fils de ce Dieu qui est contraire au Créateur se serve des choses de son adversaire, et rende grâce au Père avec eux.
Je réponds. Car, d’abord, saint Irénée avait fait un argument avec l’usage des choses du Créateur, dans des paroles précédentes.  Il avait dit, en effet, que seule l’Église offre correctement à Dieu  l’oblation avec l’action de grâces provenant des biens de sa créature; que les hérétiques ne pouvaient pas le lui offrir, puisqu’ils ne le reconnaissaient pas comme le Créateur.   Quel besoin y avait-il qu’il répète deux fois le même argument ?  Ajoutons que ces paroles (comment pourront-ils) indiquent l’amorce d’un nouvel argument.  Autrement, il aurait dit : « Car comment, si cette raison appartient à l’argument précédent ?  Ensuite, saint Irénée, dans ce texte, prouve par l’eucharistie que le Christ est non seulement le Fils du Créateur, mais le Créateur lui-même, quand il dit qu’on ne peut certifier que le pain de l’eucharistie est le corps du Christ à moins d’admettre qu’il est ce Verbe par lequel les arbres fructifient, les fontaines jaillissent.  Or, cet argument ne conclut rien à moins que nous mettions une mutation réelle et vraie dans le pain.  Le Christ, il est vrai, aurait pu se servir du pain pour signifier son corps, même s’il n’avait pas été le créateur de ce pain, comme, pour désigner la vigne, nous nous servons, nous,  d’un lierre, que nous n’avons pas créé.
Bien plus, cet argument ne prouve pas que le Christ soit le Fils du Créateur. Car, même celui qui n’est pas Fils du Créateur peut se servir des biens du Créateur.  La seule chose qu’il prouve, s’il prouve quelque chose, c’est que le Christ n’est pas l’adversaire du Créateur, car il n’utiliserait certainement pas les biens de son adversaire.  Or, saint Irénée affirme que le Fils du Créateur et le Créateur sont le Christ, par cette mutation du pain dans son corps.
Le second témoignage est dans le même chapitre : « Comment peuvent-ils dire que la chair deviendra corruption, et ne recevra pas la vie, cette chair qui est nourrie par la mutation du pain dans son corps ? »  Et un peu plus bas : « Car comme le pain qui vient de la terre, après avoir perçu l’appel de Dieu, n’est plus un pain ordinaire, mais l’eucharistie, formé de deux choses, une terrestre et une autre céleste, de la même façon quand ils  reçoivent l’eucharistie,  nos corps ne sont plus corruptibles, car ils portent caché en eux l’espoir de la résurrection.
De ces paroles, nous tirons trois arguments.  Le premier.   Nos corps sont incorruptibles parce qu’ils sont nourris du corps du Christ.   Donc le corps du Christ n’est pas seulement perçu par les âmes, mais aussi par le corps, d’après l’enseignement de saint Étienne.  Or, le corps ne peut pas monter au ciel pour aller y goûter la chair du Christ.   La chair du Christ est donc vraiment présente dans l’eucharistie.  Le second. Après l’invocation de Dieu ou les prières mystiques, le pain de la terre n’est plus un pain ordinaire, mais une nourriture qui consiste en deux choses : une terrestre, et une autre céleste.  Cette chose céleste ne peut être que le corps du Christ.  Le troisième. Par l’invocation de Dieu, le pain change en passant du terrestre au céleste.  De la même façon, par l’eucharistie, nos corps sont changés : de mortels ils deviennent immortels. Or, c’est non seulement par signe, mais  réellement que nos corps deviennent immortels.  Donc, le pain terrestre devient réellement le corps du Christ, non par la seule signification.
À toutes ces choses les hérétiques s’efforcent de répondre.   Bèze, d’abord, (dans son cyclope).  Il dit que, par l’eucharistie, les corps deviennent immortels parce que, par la foi, nous sommes unis au corps lui-même du Christ, qui vivifie autant le corps que l’âme.  Pierre le martyr explique le texte ainsi (au livre de contre Gardinerus, à l’objection 151), où il dit  que, par l’eucharistie, nos corps deviennent immortels parce que, par elle, nous appréhendons le Christ dans la foi; que c’est par cette foi que l’âme est rénovée; que cette rénovation se répercute dans le corps, lequel devient peu à peu un  instrument de Dieu,  apte, et capable de vie éternelle.
Je réponds.  Comme les adversaires le reconnaissent, saint Irénée s’efforce de prouver aux hérétiques de son temps la future vraie résurrection de notre chair.  Il le prouve cela en disant que, par l’eucharistie, notre chair est unie à la chair immortelle et vivifiante du Christ.  Or, si ce que prétendent nos adversaires était vrai, l’argument de saint Irénée ne conclurait rien, et serait purement oiseux.  Car, ceux qui nient la résurrection de la chair n’admettent pas que la grâce rebondisse de l’âme au corps, ce en quoi Pierre place toute la force de son argumentation. Ils  n’admettent pas, non plus, comme le dit Bèze, que le corps du Christ appréhendé par l’âme vivifie le corps et l’âme.  Ils disent même qu’il s’ensuit qu’il ne vivifie par le corps, mais seulement l’âme, puisqu’elle est la seule à l’appréhender.
 À quoi pouvait bien servir de tant insister sur l’eucharistie pour prouver la résurrection, comme saint Irénée le fait, dans ce passage, comme au livre 5, et ailleurs ?  Car, il suffisait de dire que le Christ appréhendé par la foi vivifie nos âmes et nos corps. Il était inutile  de préciser que la foi était excitée par la réception de l’eucharistie, du baptême, par la parole de Dieu ou par un miracle.  Car, pour nos adversaires, ces choses ne sont rien d’autre que des instruments qui suscitent la foi.
Au deuxième, le martyr répond dans son livre contre Gardinerus, (objections 152 et 153). On dit que l’eucharistie n’est pas un pain ordinaire parce qu’elle est un sacrement. Voilà pourquoi on ne peut pas dire qu’un pain sacré est un pain  ordinaire.  Il est constitué, en effet, d’une chose terrestre, et d’une chose céleste, c’est-à-dire par un symbole et la chose signifiée, bien que la chose signifiée soit loin et du pain et de la sanctification.  Car le pain est une chose terrestre, et la sanctification, par laquelle le pain devient un sacrement, est une chose céleste.
Je réponds que l’une et l’autre explication frôlent l’absurdité.  D’abord, qu’une chose terrestre soit un symbole, et  que la chose céleste soit la chose signifiée, ou absente, cela ne peut se faire en aucune manière.  Car, on ne peut rien affirmer de ce qui, en soi, n’existe pas.  Saint Irénée dit que l’eucharistie est formée de deux choses : une terrestre et une autre céleste. Il veut donc que chacune de ces deux choses soit dans l’eucharistie.
Le martyr répond qu’on peut affirmer quelque chose de ce qui, en soi et par soi, n’existe pas : « Car une phrase consiste dans la parole et la chose signifiée.  Et pourtant, la chose signifiée est souvent loin de la parole.  De plus, saint Paul dit que les sacrements de l’ancienne loi étaient constitués de symboles et du corps du Christ. Car (1 Corinthiens X)  « ils mangeaient la même nourriture que nous. »  Or, le corps du Christ était éloigné au point de n’être pas encore né. »
Le martyr trahit ici son ignorance.  Car, qui a jamais dit qu’une phrase consistait dans une parole et la chose signifiée ?  Le signe et la chose signifiée ne s’opposent-ils pas relativement ? Comment une chose peut-elle provenir  de choses opposées ?  Ce qui peut être l’a induit en erreur c’est qu’on a coutume de dire qu’un discours provient d’une parole et d’une signification.  Mais, la signification est dans la parole, comme la relation l’est dans son sujet. Pierre le martyr ne peut pas, à partir de là, prouver que quelque chose est affirmé de ce qui, en soi, n’existe pas.  Ce qu’il ajoute ensuite, au sujet des sacrements, d’après saint Paul est un impudent mensonge.  Car, saint Paul n’a jamais dit que les anciens sacrements étaient constitués de symboles et du corps du Christ.  Il n’a pas dit, non plus, que les pères de l’ancien testament avaient mangé la même nourriture que nous, comme nous l’avons démontré plusieurs fois plus haut.
Et cette autre explication qui veut que par chose céleste on entende la consécration ou la sanctification, est aussi facilement réfutable.  Car, ils ne reconnaissent aucune vraie consécration du pain.  Et cela est si vrai, que celle que nous utilisons ils l’appellent une incantation.  La seule chose que signifie pour eux le mot consécration c’est la députation par Dieu du pain à être employé comme sacrement, c’est-à-dire pour qu’il représente le corps du Christ.  Cette consécration ne met rien de réel dans le pain, mais un pur rapport de relation. Or, c’est de choses réelles qu’il parle, non d’êtres de raison quand il dit que l’eucharistie est constituée de deux choses, d’une terrestre et d’une céleste.
On confirme l’argument par le témoignage lui-même des adversaires.  Car, quand on demande ce qu’est cette chose terrestre, et que nous répondons que ce sont les accidents sensibles du pain, ils s’exclament que la chose terrestre doit être une substance et non seulement des accidents.  Si donc, pour être vraiment appelée terrestre,  une chose terrestre devait être une substance, la chose céleste, pour être vraiment appelée céleste, ne devrait-elle pas aussi être une substance ?  Comment donc entendent-ils par chose céleste, la consécration qui n’est par une chose ?  De plus, personne ne parle ainsi des autres sacrements.  Qui donc dit que l’eau du baptême est constituée de deux choses, une terrestre, une céleste ? Et pourtant, l’eau du baptême est le symbole d’un sacrement comme le pain de l’eucharistie.  Il veut que ce soit parce qu’elle est formée par une chose céleste, que l’eucharistie rende immortels nos corps mortels.  Or, ce n’est pas la consécration seule qui possède cette vertu, et surtout selon nos adversaires,  qui n’attribuent aux sacrements que la vertu d’exciter la foi par la représentation ou la signification.
La vraie explication est donc la suivante.  C’est la chose terrestre qui est perçue par les sans dans  l’eucharistie (qui, même si elle n’est pas une vraie substance, elle est quand même une véritable chose, et vraiment terrestre. Car, elle ne pourrait pas autrement être appréhendée par les sens corporels), et la chose céleste est ce que l’on croit être le corps glorieux et immortel du Christ.
À notre troisième argument il répond (livre contre Gardinerus, objection 152) qu’il peut déduire des paroles de saint Irénée le contraire de ce que nous y lisons.   Il dit que, par la consécration,  un pain ordinaire devient sacré et céleste, comme par l’eucharistie nos corps mortels sont rendus immortels.  Or, nos corps ne sont pas changés substantiellement, mais accidentellement.  Donc, ce pain n’est changé, lui aussi, qu’accidentellement.  Parce qu’ est devenu un sacrement de religion, ce qui n’était qu’une nourriture normale.
Je réponds doublement.  Les choses qu’on présente comme semblables doivent être semblables dans la chose sur laquelle porte la dispute, non dans toutes les autres.   Saint Irénée voulait montrer que nos corps ressuscitent vraiment, et que, de mortels qu’ils étaient, ils sont devenus immortels.  Il le montre cela par une comparaison.  Comme le pain ordinaire et corruptible devient, par la consécration, un pain céleste et incorruptible, de la même manière nos corps corruptibles deviennent incorruptibles par la réception de l’eucharistie.  Ce qui est requis et est suffisant dans cette comparaison c’est que comme nos corps corruptibles deviennent incorruptibles, de la même façon, le pain commun est changé et devient incorruptible.  Est-ce que cela se fait par une mutation de la substance ou de l’accident, la question ne se pose même pas.
Je réponds, deuxièmement,  avec Jean de Louvain, (dans son livre sur l’eucharistie)  que saint Irénée parle d’une mutation substantielle tant du pain que de nos corps.  Car, il parle de la mutation qui se fera à la résurrection quand les poussières ou les cendres de nos corps se changeront en corps humains glorieux et immortels.  C’est cela que saint Irénée démontre clairement dans le livre 5, chapitre 2.  Car, après avoir dit là qu’il ne pouvait pas se faire que notre chair ne ressuscite pas immortelle, puisqu’elle a été nourrie par le corps immortel et le sang immortel  du Christ, il ajoute ensuite : « Comme une vigne plantée en terre fructifie en son temps, et le grain de blé tombant en terre et décomposé, surgit par l’Esprit de Dieu qui contient toutes les choses que la  Sagesse met à l’usage des hommes, de la même façon  les pains sur lesquels tombent la parole de Dieu  deviennent l’eucharistie, c’est-à-dire le corps et le sang du Christ.   Ainsi en va-t-il de nos corps qui s’en sont nourris, qui ont été enterrés et réduits en poussière.  Ils ressusciteront en leur temps, le Verbe de Dieu leur donnant la résurrection à la gloire de Dieu le Père.
Quelle est belle la comparaison que saint Irénée fait entre nos corps et le froment qui se dissout et se corrompt dans la terre;  et entre la vertu de l’eucharistie et  l’esprit ou la vertu génitale qui fait ressusciter le grain corrompu.  Car, comme le grain de froment, même réduit en poussière, resurgit en épi, à cause de la vertu génitale qu’il possède, de la même façon nos corps, même réduits en poussière, ressusciteront glorieux et immortels à cause de la vertu reçue par la communion de la chair et du sang du Seigneur.  Et c’est ce que saint Irénée veut dire que nos corps sont constitués et formés par le corps et le sang du Christ.   Parce que l’eucharistie fait en sorte non seulement que nos corps ne périssent pas, mais aussi qu’ils ressuscitent avec plus de dons qu’ils possédaient autrefois.  Comme le grain qui ne resurgit pas comme un grain, mais comme un épi, c’est-à-dire un pain multiplié et augmenté.
Pierre le martyr fait sien un des arguments apportés par saint Irénée (dans le livre 3 contre Gardinerus, objections 154, 156, 157).  Car, saint Irénée écrit que le pain lui-même est le corps du Christ, ce qui ne peut être vrai que si on prend le mot corps au sens figuré.  En effet, (au livre 4, chapitre 32) saint Irénée dit : « Il prit le pain qui vient de la création, et il rendit grâce en disant : ceci est mon corps. Il prit aussi le calice, qui vient de la création, et déclara que c’était son sang. »  Et, dans le même livre (au chapitre 34), il ajoute : « Comment sera-t-il prouvé que le pain, sur lequel on a rendu grâce, est le corps du Seigneur ? »  Et, dans le même livre, chapitre 57) : « Prenant le pain, il déclara que c’était son corps. »
Je réponds que saint Irénée ne veut pas dire que c’est  le pain tout court  qui est le corps du Christ,  mais le pain sanctifié et devenu eucharistie, comme le disait saint Justin trophèn eukaristétheisan.  Il est tout à fait croyable que saint Irénée se soit servi de ce même mot grec qu’un traducteur ne pouvait pas rendre par un seul mot, mais par une circonlocution.  Or, le pain devenu eucharistie est vraiment et proprement le corps du Christ.  S’exprimerait de la même façon quelqu’un qui dirait : la verge de Moïse changée en dragon marchait et mangeait; et l’eau changée en vin par le Christ avait la couleur et la saveur du vin.
Il présente un autre argument en citant saint Irénée qui dit que nos corps sont nourris et fortifiés par le corps du Christ.  Mais cela a déjà été réfuté.
                                                           CHAPITRE 7
                         Le troisième âge de l’Église, qui va  de 200 à 300.
Dans cet âge, nous avons trois témoins importants : Tertullien, Origène et Cyprien.
Tertullien est né au début de l’an 200, et même s’il a été un hérétique montaniste à la fin de sa vie, cependant, aucun père ne lui a reproché, à cause de cela, d’avoir erré dans sa doctrine  du sacrement du corps dominical.  Son témoignage peut donc être considéré comme celui d’un auteur très ancien et d’un grand écrivain, comme l’admettent, d’ailleurs, les hérétiques de notre époque.
Dans le livre qu’il  a dédié à son épouse, il exhorte les femmes chrétiennes à ne pas prendre pour maris des Gentils.  Parmi les différents arguments dont il se sert pour les  persuader, il en prend un qui vient de la communion eucharistique.  Faudra-t-il recevoir l’eucharistie à l’insu du mari, ce qui sera difficile à faire;  ou au su et au vu du mari, et exposer alors le sacrement au mépris ? « Le mari ne saura pas ce qu’en secret tu goûtes avant toute nourriture.  Et s’il le sait, il  ne croira  pas que le pain est ce qu’on dit qu’il est. »  Tertullien indique assez clairement ici que l’eucharistie n’est pas un pain ordinaire, même si c’est ainsi que le perçoivent les païens, mais le Christ lui-même.
Pierre le martyr répond (dans son livre contre Gardinerus, à l’objection 160) ceci.  Tertullien veut dire que les Gentils ne savent pas que le pain est un sacrement, et qu’ils croient que c’est un pain ordinaire.  Mais cette explication répugne à la grammaire.   Car, Tertullien a dit : même s’ils le savaient, ils ne croiraient pas que le pain est ce qu’on dit de lui.  Or, il est certain que le mot sacrement est du genre neutre, et non masculin.  Il n’y avait donc aucune difficulté à faire comprendre à une femme chrétienne que ce pain était sacré, et qu’il représentait le Christ;  ni à le faire croire à un païen.  Tertullien parle donc d’une chose qu’un mari païen ne pouvait pas facilement accepter avec foi, et qui, par prudence, ne devait pas lui être expliquée.
Le même Tertullien (dans son livre sur la couronne du soldat)  indique les  précautions que doivent prendre les chrétiens  pour qu’aucune parcelle de l’eucharistie ne tombe par terre. Voici ce qu’il dit : « Nous supportons difficilement que quelques parcelles du pain ne tombent par terre. »  Voir ce que nous avons dit sur cet argument en parlant de saint Pie 1.
Dans son livre sur la résurrection des corps, le même Tertullien prouve que la chair va vraiment ressusciter, et que ce n’est pas la seule âme qui sera sauvée, par le fait que tous les sacrements se rendent à l’âme en passant par le corps. «  La chair, dit-il, est lavée pour que l’âme soit purifiée; la chair est ointe pour que l’âme soit consacrée; la chair est nourrie du corps et du sang du Christ pour que l’âme s’engraisse de Dieu. »
Pierre le martyr (livre ciité), Bèze (dans le cyclope), et Boquin (dans son livre sur la cène du Seigneur) répondent à cela que Tertullien appelle corps du Christ le sacrement du corps, parce qu’il représente, par manière de signe, le vrai corps du Christ. S’il en est vraiment ainsi, l’argument de Tertullien s’effondre.  Car, ils diront les hérétiques  qui niaient la vraie résurrection que, comme l’âme seule perçoit  le vrai corps du Christ, la chair ne reçoit pas vraiment le corps, mais seulement sa figure.  De même, seule l’âme ressuscitera vraiment et proprement, la chair, métaphoriquement seulement, non vraiment et proprement.  De même, dans le livre sur l’idolâtrie, il réprouve ceux qui avaient promu au sacerdoce ou au diaconat les fabricants d’idoles : « O crime abominable ! Les Juifs mirent la main sur le Christ, mais eux, à chaque jour, lacèrent son corps etc »
S’il avait cru que dans le sacrement, il n’y avait qu’une figure du corps du Christ, Tertullien n’aurait pas  considéré que ceux qui traitent indignement le sacrement sont des criminels coupables du même crime que ceux qui ont crucifié le Seigneur, et  il n’aurait pas dit non plus qu’il faudrait leur couper les mains.  Car, même si l’injure faite à l’image s’adresse à l’exemplaire,  il n’y a pas de crime s’il n’y a pas eu d’intention de léser l’exemplaire.  Tertullien ne parle donc pas de ceux qui violaient le sacrement pour injurier le Christ, mais de ceux qui, tout pécheurs qu’ils étaient, osaient manipuler et présenter le corps du Seigneur aux communiants.
Mais voyons les témoignages qu’ils tirent de Tertullien. Ils nous en objectent trois.   Le premier. Livre 1, contre Marcion (un peu avant le milieu) : « Mais jusqu’à maintenant, il n’a pas réprouvé l’eau du Créateur avec laquelle il lave les siens, ni l’huile avec laquelle il les oint, ni le miel et le lait avec lesquels il nourrit ses enfants, ni le pain, avec lequel il représente son propre corps.  Je réponds que le mot représenter est ambigu.  Il signifie rendre présente une chose, ou par elle-même, ou par un signe, ou par une image.  Pour ne par parler des témoignages de Cicéron et des autres pères,  qui se sont souvent servis de ce mot pour signifier qu’une chose est vraiment et réellement rendue présente,  Tertullien lui-même peut nous fournir des exemples de l’une et l’autre signification.  Dans le livre 4, contre Marcion (près du milieu), il dit : « Et en le représentant, il dit : « Voici mon fils ».  Il dit ici que le Père qui avait autrefois promis le Fils le « représente » quand il dit sur le mont Thabor : « Celui-ci est mon Fils » Ce qu’il appelle ici représenter signifie  exhiber, rendre présent.
Et dans son livre contre Praxeas il appelle  Fils celui qui représente le Père, parce que, réellement, le Père est dans le Fils.  Le même Tertullien,  dans le livre sur la  pénitence, distingue l’adultère commis réellement, de l’adultère désiré, « représenté » dans l’esprit. Où le mot représenter signifie exhiber non en réalité, mais en image.
Comme ce mot est ambigu, on ne peut donc pas s’en servir pour conclure que Tertullien parle d’une représentation en signe, et non en réalité.  C’est plutôt le contraire qui a des chances d’être vrai, car on dit plus proprement être représenté qu’être exhibé en réalité.  Voilà pourquoi Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, objection 160), commentant ce passage de Tertullien, reconnait que, à partir de ce seul passage, on ne peut tirer aucune conclusion certaine, et qu’il faut chercher ailleurs la véritable pensée de Tertullien. Et il nous renvoie à un autre passage que nous expliquerons plus tard.
Le deuxième témoignage ils le tirent du livre 3 contre Marcion, et du livre contre les Juifs. Car, il emploie exactement les mêmes mots dans les deux livres.   Voici ce que Tertullien dit dans son livre contre les Juifs : « Dieu, par Jérémie, insinue ce que vous alliez dire  de ce bois : Venez, jetons un bois dans son pain ! Oui, un bois a vraiment été mis sur son corps.  Car, c’est ainsi que le Christ a expliqué, appelant pain son corps, ce que le prophète avait autrefois annoncé dans le pain. »   Et, dans Marcion 111 : « Ce bois, Jérémie annonce d’avance que Les Juifs diront de lui : Venez, mettons du bois dans son pain, c’est-à-dire dans son corps. Car, c’est ce que Dieu, dans votre évangile, a révélé, en appelant le pain son corps, pour que tu puisses comprendre que le pain a été donné comme une figure de son corps. »
Je réponds que, si on examine de près  ce que dit Tertullien,  cette citation nous est plus favorable à nous qu’aux hérétiques.  Car, il écrit que, selon Jérémie, il faut entendre par pain le corps du Christ qui a été cloué au bois de la croix.  Et il ajoute que le Christ lui-même a expliqué cette prophétie de Jérémie quand il a dit du pain eucharistique : ceci est mon corps, qui est livré pour vous.  Il nous fait donc comprendre que, chez Jérémie, on ne peut pas, par pain, entendre un pain matériel qui signifierait le corps du Christ (comme les hérétiques le disent du pain eucharistique).  Car, si nous entendions ainsi le pain,  il s’ensuivrait que c’est le  pain qui a été crucifié, non le Christ lui-même.  Nous sommes donc forcés d’entendre par pain le vrai corps du Christ, qui est le pain de vie.
Jérémie parle donc figurativement, quand le corps  est appelé pain, ce n’est pas un trope   parce qu’il est un signe du corps, mais parce qu’il nourrit nos âmes à la manière du pain.  Comme l’exprime correctement Lactance (livre 4, chapitre 18, institutions divines), où il dit que le corps du Seigneur est appelé pain par Jérémie, parce qu’il est la nourriture et la vie des hommes qui croient en lui.  Mais, selon Tertullien, le Christ a expliqué la prophétie de Jérémie quand il a dit du pain : ceci est mon corps.  Ce n’est donc pas du pain matériel qu’il a dit : ceci est mon corps, mais du pain céleste qui est vraiment son corps.
Car, si c’était du pain matériel que le Seigneur avait dit : ceci est mon corps, il s’ensuivrait que c’est le pain matériel qui a été crucifié pour nous. Car, c’est de ce pain que,  selon Tertullien, il dit : ceci est mon corps, ce pain duquel Jérémie avait dit : mettons du bois dans son pain. Voilà pourquoi, dans la phrase de Tertullien, le pronom démonstratif ceci démontre un pain, mais le pain céleste.  Ou il démontre le pain terrestre, non celui qui est demeuré tel, mais celui qui a été changé dans le corps du Christ.  De sorte que le sens paroles serait, selon Tertullien : ce pain que je vous présente, n’est pas un pain ordinaire, mais est mon propre corps. Ou : ce qui a été jusqu’ici  un pain ordinaire, est maintenant mon corps.
Les paroles obscures de Tertullien dans son livre 3 contre Marcion : tu comprendras qu’il a donné le pain comme figure de son corps,  ne signifient pas que le Christ a donné à ses apôtres la figure de son corps, et non son propre corps.  Autrement, il n’aurait pas dit que la figure du corps est le pain, mais qu’il a donné le pain comme figure du corps.  Cela signifie donc que le Christ a donné, ou expliqué ou accompli la figure de son corps que Jérémie avait mise dans le pain.    Il faut donc placer ses mots dans l’ordre suivant.  Tu comprendras par là la figure de son corps, la figure, dis-je, du pain, c’est-à-dire que, caché dans le mot pain, le Christ est apparu.  Voilà pourquoi il ajoute : le corps que le prophète avait présenté en figure par le mot pain.
Dans ces paroles, il y a une antithèse à noter.  Car, comme Jérémie a dit pain quand il voulait signifier le corps du Seigneur, le Seigneur a parlé de son corps quand il donnait aux disciples le pain de vie.
On nous oppose un autre texte de Tertullien.  Le livre 4 contre Marcion, où nous lisons :  Le pain qu’il a pris et distribué aux disciples, il le fit son corps, en disant ceci est mon corps, c’est-à-dire la figure de mon corps. Il n’aurait pas été une figure s’il n’avait pas été le corps de la vérité. »  Je réponds que les premières paroles de ce texte, dont les sacramentaires font une arme inexpugnable, nous sont grandement favorables.  Ces paroles : il fit son corps du pain reçu en disant : ceci est mon corps, indiquent la réelle mutation du pain dans le corps du Christ.  Les autres : cela est la figure de mon corps, ne signifient pas, comme le croient  les sacramentaires, que le pain de l’eucharistie est une figure du corps du Seigneur, mais que ce qui fut autrefois une figure dans l’ancien testament est maintenant changé dans la réalité du corps du Christ.   Car, il ajoute ceci : la figure de mon corps.  Non, avec le mot corps, comme précédemment, mais avec le pronom ceci, le sens étant :  le pain reçu il en a fait son corps, en disant ceci, c’est-à-dire le pain qui fut autrefois une figure de mon corps est maintenant mon corps.  Où le pronom ceci montre le pain, non qui demeure inchangé,  mais qui est changé, comme nous l’avons dit plus haut.
Qu’il en soit bien ainsi nous le prouverons par les paroles qui suivent. «  Il ne serait pas une figure s’il n’était pas le corps de vérité. »  Car, si par figure, il entendait  l’eucharistie, il n’aurait pas dit : n’aurait pas été, mais ne serait pas, car il parle de la figure de l’ancien testament, qui n’aurait surement pas été une vraie figure si elle ne correspondait pas à un vrai corps.  Deuxièmement.  On peut prouver la même chose avec les paroles qui suivent plus bas : « Pourquoi, dit-il, appelle-t-il pain son corps et non  melon d’eau, que Marcion avait à la place du cœur,   pain dont la figure ancienne était une figure du corps du Christ, celle dont parle Jérémie : venez, mettons du bois dans son pain, c’est-à-dire la croix sur son corps ?  Donc l’éclaireur des choses anciennes a assez indiqué que par pain il entendait son corps. »   Tertullien nous dit là que le Christ a appelé son corps pain et non melon d’eau, ou une autre nourriture, pour accomplir la figure de Jérémie qui, par pain, signifiait le corps du Christ.  Le Christ n’a donc pas, dans l’eucharistie, institué une figure de son corps, comme les adversaires le veulent, mais, en confectionnant son corps à partir du pain, il a accompli l’antique figure.
On le prouve aussi avec les paroles qui suivent où il dit, en expliquant la prophétie de Jacob (Genèse 49) : il lavera sa robe dans du vin, et dans le sang du raisin son manteau : « Par la robe, il indique sa chair, et par le vin le sang. Et c’est ainsi que maintenait  il a consacré son sang dans le vin,  celui qui avait alors figuré le vin dans le sang. »  Il est à noter, là, que, comme pour Jérémie le pain signifie le corps, parce que le corps du Seigneur est la nourriture des fidèles, comme nous l’avons déjà dit;  et le vin, pour le patriarche Jacob, signifie que le  vin est le sang du Seigneur, parce qu’il  est le breuvage de ses fidèles.  C’est pour expliquer ces figures ou prophéties que le Christ nous a livré son corps sous l’espèce du pain, et son sang sous l’espèce du vin.
S’il ne nous avait pas donné son vrai corps et son vrai sang, il n’aurait ni bien expliqué ni bien accompli les prophéties.  Car, autant,  par le pain, Jérémie a prédit son vrai corps, autant  par le vin, Jacob a prédit son  vrai sang,  comme le dit Tertullien.  Ces paroles de Tertullien «  qui dans le sang avait figuré le vin » se rapportent à ces autres paroles de Jacob « dans le sang du raisin, son manteau ».  Par le sang du raisin il veut dire le vin, et par le vin il entend le sang du Seigneur, comme il l’explique lui-même, quand il dit que par la robe, il montre la chair, et par le vin le sang.
On le prouve quatrièmement, par le propos de tout le livre.   Car, son but était de montrer que le Christ, dans l’évangile, n’avait pas détruit l’ancien testament, mais l’avait accompli.  Voilà pourquoi Tertullien parcourt plusieurs œuvres du Christ, et démontre que, dans toutes ces choses, il s’est appliqué à accomplir les figures de la loi.  Donc, même dans ce passage, il ne présente pas une figure instituée dans le nouveau testament, mais seulement l’accomplissement des anciennes figures.
                                                               CHAPITRE 8
                                                 Le témoignage d’Origène
Origène qui n’est pas beaucoup plus ancien que Tertullien, parle en plusieurs endroits du sacrement de l’eucharistie. D’abord, dans son homélie 13 sur l’Exode, commentant le chapitre 25 de ce livre.  Voulant exhorter le peuple à ne pas mépriser la parole de Dieu, il apporte l’exemple de la diligence de tous les chrétiens à conserver le corps du Christ : « Je veux vous admonester par des exemples de votre religion.  Vous qui participez régulièrement aux saints mystères, vous savez que  quand vous recevez le corps du Seigneur, vous le conservez avec précaution et vénération, pour qu’aucune parcelle ne s’en échappe, pour que rien de qui a été consacré ne soit foulé aux pieds.  Vous vous croyez coupables, et vous avez raison de le croire, si quelque chose est perdu par accident. »
Or, les adversaires ne conservent pas le corps du Seigneur, puisqu’ils ne reconnaissent pas le sacrement, si ce n’est dans l’usage qu’ils en font.  Ils ne se croient pas non plus coupables s’ils font tomber par terre une parcelle de l’hostie ou une goutte de sang.  Et c’est tout à fait logique qu’ils pensent ainsi, car ils n’ont rien d’autre que du pain. Or, s’ils avaient ou croyaient avoir  le vrai corps et le vrai sang du Seigneur, ils le conserveraient certainement avec le plus grand soin, comme l’Église l’a toujours fait, ou ils seraient traités d’impies et de sacrilèges.  À ce témoignage et à l’autre, je n’ai pas vu de contre réponses des adversaires.
L’autre témoignage d’Origène est tiré de son homélie 5 sur les divers lieux de l’évangile, où il traite de l’enfant malade du centurion : « Quand tu reçois cette sainte nourriture, ce repas sacré non corrompu, quand tu te nourris du pain et du breuvage de vie,  manges et bois le corps et le sang du Seigneur, le Seigneur, alors, entre sous ton toit.  Et en t’humiliant toi-même, imite et centurion et dis : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. »  Car, là où on le fait entrer indignement, c’est pour la condamnation de celui qui le reçoit ainsi qu’il entre. »  Il est évident que ces paroles ne peuvent s’entendre que du vrai corps du Christ, qui est vraiment reçu par la bouche du corps.  Car, si c’est par métonymie qu’Origène avait parlé du corps du Seigneur, c’est-à-dire d’un pain qui signifie le corps du Seigneur,  il n’aurait pas appelé ce pain un repas sacré non corrompu, et il n’aurait pas voulu qu’on lui dise : Seigneur, je ne suis pas digne.  S’il avait vraiment parlé du Christ signifié par le pain, qui est reçu par la foi,  il n’aurait pas dit : « Là où on le fait entrer indignement, il entre pour la condamnation de celui qui le reçoit ainsi. »
Car, selon les adversaires, le Christ ne peut être reçu  dans la foi que par  les pieux, et pour la vie. Car, selon nos adversaires, ce qui est indignement reçu n’est que le symbole externe.  Or Origène veut que les pieux autant que les impies disent, avant de recevoir l’eucharistie : seigneur, je ne suis pas digne. Il veut donc que ce soit le corps  qui reçoive l’adoration et l’invocation, ce qui est absurde.  Ou il veut que, sous les espèces, le Christ soit vraiment contenu.
Le troisième texte est tiré de son homélie 7 sur le livre des Nombres : « Alors, c’est en énigme que la manne était une nourriture.  Maintenant,  la chair du Verbe de Dieu est dans l’espèce du pain, et est une vraie nourriture, comme il  l’a dit lui-même : parce que ma chair est vraiment une nourriture. Or, il est certain qu’il oppose l’espèce à l’énigme, c’est-à-dire la vérité à la figure.  Si l’eucharistie n’était le corps du Christ que par trope, c’est par énigme que le pain serait appelé chair du Seigneur.  Car la manne était elle aussi le corps du Seigneur, significativement.
Et on confirme l’argument par les paroles précédentes, où Origène dit que les Hébreux ont eu le baptême en énigme, quand ils ont traversé la mer rouge, et que nous, c’est en espèce que, par le baptême, la régénération nous est donnée que le passage de la mer rouge ne donnait pas mais signifiait ou ombrageait seulement.  C’est donc de la même façon que  dans l’eucharistie nous est donnée la chair, que la manne des Juifs ne donnait pas, mais signifiait seulement.
À ce passage, les adversaires répondent, et surtout Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, part 1V) qu’Origène parle d’une façon de parler, non de l’existence des choses, c’est-à-dire qu’il affirme que les Hébreux avaient le corps du Christ en énigme, puisqu’on ne leur avait pas expliqué ce que signifiait la manne.  Il nous est donné à nous en réalité parce qu’on nous explique clairement ce que signifie le pain de l’eucharistie.
Mais Pierre se trompe ou a été induit en erreur.  Car Origène dit l’un et l’autre : Dieu a parlé autrefois en énigme de ce qu’il nous donne maintenant en réalité.  Car, voici ce qu’il dit : « Avant que Moïse reçoive l’Éthiopienne, il n’est pas écrit qu’il ait vu Dieu en réalité, mais plutôt en énigme.  Mais là où il reçut l’Éthiopienne, c’est alors que Dieu dit qu’il lui parlait de bouche à bouche, et non par énigme.  Et quand Moïse vint à nous, et se joignit à notre Éthiopienne, la loi de Dieu a été connue non dans des figures et des images, mais dans la réalité de la vérité.  Et les choses qui étaient d’abord désignées en énigme sont maintenant réalisées en vérité et en réalité. »  Tu vois ici que Dieu a non seulement parlé plus clairement mais a présenté en réalité ce qu’il désignait par énigme. L’Eucharistie contient donc la vraie chair que la manne désignait en énigme.
Voyons maintenant quels sont les textes d’Origène qu’ils présentent contre nous. C’est dans son livre contre Gardinerus (objection 162) que Pierre le martyr nous objecte six citations d’Origène qui, cependant ou ne concluent rien, ou plaident en notre faveur.  La première tirée de l’homélie 16 sur les Nombres : « On nous dit que le sang du Christ doit être bu non seulement par le rite des sacrements, mais aussi quand nous recevons ses sermons. » À l’aide de ce texte les adversaires s’efforcent de démontrer que, dans le sacrement, le sang n’est bu que spirituellement, puisque ce n’est que spirituellement qu’il est bu dans une prédication.  Mais c’est plutôt le contraire qu’on doit en déduire.  Car Origène ne dit pas que le sang du Christ est bu dans le sacrement comme il est bu dans un prêche.  Bien plus, il distingue ces deux modes, et il indique qu’ils sont différents : que dans un sermon on le boit spirituellement, et dans le sacrement, on le boit réellement.
Le deuxième passage vient du commentaire d’Origène sur le chapitre 26 de Matthieu, où nous lisons : « Ce pain que Dieu le Verbe déclare être son corps, est une parole qui nourrit l’âme. »  Le martyr note que le pain lui-même est appelé le corps du Christ, et qu’il y a donc un pain  matériel dans l’eucharistie.  Il ajoute ensuite que ce pain est appelé parole, parce que les sacrements sont des paroles visibles.  Il ajoute enfin que le pain ne peut pas être appelé une parole nutritive,  s’il s’évanouit par la transsubstantiation. Car, ce qui n’existe pas ne peut pas nourrir.
Je réponds que, après avoir laissé tomber le sens littéral, Origène explique tout ce passage d’une façon mystique.  Et que, par pain,  il n’entend pas un pain matériel qui serait une parole visible. Mais il entend les sermons du Christ, ou les paroles de Dieu non visibles, mais audibles.  Car il dit que cette parole est un verbe qui procède du Verbe de Dieu, et un pain qui procède du pain céleste, c’est-à-dire est un sermon prononcé par le Christ qui est le Dieu Verbe, et le pain céleste.  Lisez son commentaire au complet de Matthieu 35, et vous n’aurez aucun doute qu’il s’agit bien d’un commentaire mystique et non littéral.
Le troisième texte est tiré de son homélie 7 sur le Lévitique. Après avoir dit que la chair du Christ est la parole  de Dieu, il ajoute ceci : « Si on entend ce texte au sens littéral (si vous ne mangez mon corps et ne buvez mon sang etc) cette lettre tue. » Il semble bien là n’admettre aucun autre sens que le sens mystique.
Je réponds que si ce texte prouve quelque chose, il prouve seulement qu’il n’est pas question de l’eucharistie dans le chapitre 6 de saint Jean.  Mais, il ne prouve pas que, dans l’eucharistie, ne se trouve pas le vrai corps du Christ.   Car, les adversaires eux-mêmes enseignent que le chapitre 6 de saint Jean ne parle pas de l’eucharistie.  Et pourtant, ils ne concèderaient pas que la chair du Christ n’est mangée qu’en écoutant un sermon.  Car, cela serait rejeter totalement le sacrement de l’eucharistie.   Je dis ensuite que ces paroles (à moins que vous ne mangiez etc) peuvent s’entendre de trois façons.  Une première, au sens mystique et figuré. Et c’est de cette façon qu’Origène l’explique en disant que les sermons divins sont la chair du Seigneur. Une deuxième, au sens littéral, c’est-à-dire sans aucun ajout de mystère.  Et c’est de cette façon que les Capharnaïtes l’ont entendu, qui pensèrent que la chair  du Christ devait être mangée comme on mange les autres chairs.  Et c’est dans ce sens qu’Origène dit avec raison que la lettre tue.  Saint Augustin (livre 3, chapitre 16 de la doctrine chrétienne)  confirme en disant que les paroles du Christ prises à la lettre semblent être quelque chose de criminel.
 La troisième manière de l’entendre est ni complètement littérale, ni complètement mystique.  Elle est littérale quant à la substance et la manducation de la chose, et figurée quant  au mode de manducation.  Le sens serait donc qu’on mange vraiment la chair du Christ, mais sans qu’elle ne subisse aucune lésion, comme nous l’avons dit plus haut dans l’explication de la sentence de saint Augustin sur ces paroles. Dans ce passage, Origène ne présente pas ce sens, mais  il ne le rejette pas non plus.  Et dans son homélie 7 sur les Nombres, il présente clairement ce mode d’interprétation  quand il expose à la lettre ces paroles : « Ma chair est une vraie nourriture. »
Le quatrième passage est tiré de l’homélie 9 sur le Lévitique, près de la fin : « Ne reste pas dans l’incertitude au sujet du sang du Verbe. Écoute-le lui-même te dire que c’est mon sang qui a été répandu pour vous en rémission des péchés. »  Pierre le martyr soutient qu’on nous enseigne ici qu’on ne doit pas estimer que soit, dans le sacrement,  le vrai sang de la chair du Seigneur.  Car, si le sang du Christ était vraiment dans l’eucharistie, il faudrait y adhérer comme notre rançon, et l’adorer en esprit de soumission.
Je réponds que Pierre le martyr et les autres calvinistes interprètent erronément ce texte, quand  il estime, lui et les autres, que le sang du Christ est la prédication ou la signification des paroles de Dieu. Car, Origène appelle le sang du Verbe le sang véritable et corporel du Verbe de Dieu.  Et il nous avertit de ne pas biaiser sur le sang du mot sang, sur le sang d’une chair, comme si ce n’était rien d’autre qu’un sang humain.  Mais, rendons-nous compte que c’est le sang de Dieu lui-même, par lequel nous avons été rachetés.  Ou (ce qui semble plus probable), il nous conseille de ne pas nous tromper sur le sens de ce sang qui provient d’une chair.  Le sang des veaux et des boucs dont parlait Moïse ?  Laissons ce sang-là de côté, et accédons au sang du Verbe de Dieu, qui était signifié par le sang des veaux et des boucs.
Que par le sang du Verbe, Origène entende  le sang véritable et corporel du Christ, on le comprend quand on l’entend dire que c’est  par ce sang du Verbe que nous avons été rachetés.  Or, nous n’avons pas été rachetés par la signification des mots, mais par l’effusion d’un vrai sang.  De même, il dit que de ce sang  a été écrit : ceci est mon sang qui a été répandu pour vous.  Or, on ne peut pas entendre ces paroles d’un sermon, mais du vrai sens.  Et, au même endroit, Origène ajoute ces mots : « Celui qui est initié aux mystères connait la chair et le sang du Verbe de Dieu.  Ne nous attardons donc pas sur ces mystères,  parce qu’ils sont connus aux savants, et parce qu’on ne peut pas les faire comprendre aux ignorants. »  Il dit là que les fidèles savent suffisamment ce que sont la chair et le sang du Verbe de Dieu; que les infidèles ne le savant pas, et ne peuvent pas l’apprendre avant de venir à la foi.  Or, ce qu’est un sermon, ce qu’est la prédication de la passion du Christ, les infidèles le savaient, eux aussi.   Car, on prêche l’évangile à tous sans discrimination. Il ne parle donc pas d’un sermon mais du sublime mystère de l’eucharistie, que les adversaires ne connaissaient pas et ne pouvaient pas apprendre.  Ne vois-tu pas que le témoignage d’Origène qu’on nous avait objecté plaide en notre faveur ?
Le cinquième texte ils le tirent du commentaire du chapitre 15 de Matthieu.  Commentant les paroles du Seigneur (ce qui entre par la bouche ne pollue pas l’homme), il dit certaines choses sur le sacrement de l’eucharistie où Pierre le martyr  et les autres calvinistes voient une confirmation de leur hérésie.   Il dit d’abord que la manducation corporelle de l’eucharistie est une chose indifférente, c’est-à-dire ni bonne ni mauvaise : « En ce qui a trait à la manducation, nous ne sommes privés d’aucun bien si nous ne mangeons pas le pain sanctifié par la parole de Dieu et par l’invocation; et nous ne nous enrichissons d’aucun bien en en mangeant.  La cause de la privation  est la malice et les péchés; et la cause de l’enrichissement est la justice et les actions correctes. »   Or, si dans l’eucharistie, le corps du Seigneur était vraiment là, il apporterait un profit par sa propre vertu, et non seulement à cause de la bonté du récipiendaire.  Il dit ensuite que la matière du pain est dans l’eucharistie parce qu’elle est rejetée dans un lieu secret. « Et cette nourriture, dit-il, par la parole de Dieu et la prière, sort du ventre selon ce qu’elle a de matériel,  et est rejetée dans les latrines. »   Et plus bas : « Ce n’est donc pas la matière du pain, mais la parole qui a été dite sur lui qui est profitable à celui qui ne mange pas indignement. »
Troisièmement, il appelle l’eucharistie un corps typique et symbolique et la distingue du véritable corps du Christ : « Et ces choses se rapportent à un corps typique et symbolique. On peut dire beaucoup de choses au sujet du Verbe lui-même qui s’est fait chair, et une véritable nourriture. »  Quatrièmement, il dit que le corps du Christ ne peut pas être mangé par les pécheurs : « S’il pouvait se faire que quelqu’un qui persévère dans la méchanceté mange le Verbe fait chair, alors qu’il est le Verbe et la pain vivant,  il n’aurait jamais été écrit : celui qui mange ma chair a la vie éternelle ».  Ces textes permettent à Pierre le martyr de crier victoire.  Voici ce qu’il dit le contre Gardinerus 1, objection 169 : « Ce texte ne nous laissera jamais sans défense.  Ces paroles sont si claires qu’aucune distinction ne parviendra à en fausser ou en détourner le sens. »
À ces passages quelques-uns répondent que ces commentaires ne sont pas tout à fait orthodoxes. Que rien ne prouve qu’ils soient vraiment d’Origène.  Que sa manière de parler diffère de ses expressions habituelles.  D’autres répondent que, dans ce texte, il ne parle pas de l’eucharistie, mais d’un pain béni, qui était donné aux catéchumènes à la place de l’eucharistie.  C’est de lui que parle saint Augustin (dans son livre sur les mérites et la rémission etc. chapitre 26.)  Il dit que ce pain pouvait être appelé symboliquement le corps du Seigneur parce qu’il représentait l’eucharistie, à la place de laquelle il était donné.
Ce qu’on peut objecter à cette explication c’est qu’Origène applique au pain mangé indignement les paroles que saint Paul a prononcées dans 1 Corinthiens 11 : « C’est pour cela que parmi vous il y a des imbéciles, et que plusieurs sont morts. » À  moins qu’Origène n’ait voulu  entendre du pain des catéchumènes  ces paroles de saint Paul qui portaient proprement sur l’eucharistie.  Car, à sa manière, toute proportion gardée, il péchait celui qui méprisait ce pain béni, même si beaucoup moins que celui qui méprise l’eucharistie.
Mais, omettant tout cela, je réponds que tout ce qu’Origène dit peut s’entendre correctement du sacrement de l’eucharistie. Je dis d’abord qu’Origène parle précisément de la manducation corporelle de l’eucharistie, sans tenir compte de la bonté ou de la malice de celui qui la reçoit. Et il est vrai, que dans ce sens, la réception de l’eucharistie n’est d’aucun profit, et que son abstention ne cause aucun mal.  Car, il n’y a aucun profit à manger corporellement l’eucharistie s’il n’y a pas de manducation spirituelle, parce que cette nourriture en est une de l’esprit, non du ventre.  Et on ne perd rien à ne pas la manger purement corporellement, sauf par mépris, et si, pour une juste cause, on omet la manducation spirituelle.  On ne doit pas déduire de cela que l’eucharistie est une chose indifférente, et qu’elle ne possède aucun pouvoir propre de sanctifier en dehors de la foi du récipiendaire.  Car, Origène ne dit pas qu’elle ne possède pas une vertu propre, mais que cette vertu ne s’exerce pas chez ceux qui la reçoivent injustement.  Ce qui est tout à fait vrai.
Au deuxième, je réponds que la matière qui est rejetée dans les latrines est appelée par Origène accidents visibles.  Il importe peu, comme le dit Pierre martyr, que ces accidents appartiennent plutôt à la forme qu’à la matière, puisqu’ils sont des qualités, c’est-à-dire des formes accidentelles.  Car, dans cet extrait, on n’appelle par quelque chose matériel par rapport à la forme naturelle, mais par rapport à la sanctification et à la signification. Et de plus, parmi les accidents de l’eucharistie, le principal est la grandeur, sur laquelle sont fondés tous les autres.   Or, la grandeur appartient à la matière plutôt qu’à la forme.
Au troisième je réponds que le symbole du pain et du vin sont appelés à bon droit corps typique et symbolique, pourvu qu’on entende ces mots comme les entendent les catholiques.  Car, tous les catholiques disent que l’eucharistie est un sacrement, un signe ou un symbole de la chose sacrée, c’est-à-dire du corps du Christ.  Mais la question qui se pose pour nous et les sacramentaires est la suivante : sont-ce des symboles d’une chose présente ou absente ?  Nous disons, nous, que, sous ces symboles, le corps du Christ est contenu;  eux le nient.   Et, de plus, ce vrai corps est, comme il est dans l’eucharistie, le type et le symbole de lui-même, comme il fut dans la croix, et comme il est maintenant dans le ciel.  Car, par l’eucharistie, nous ne commémorons pas seulement la passion du Seigneur, mais nous recevons aussi le gage de la gloire éternelle. Et c’est de ce corps symbolique, et en même temps vrai, qu’Origène distingue le Verbe incarné, comme il est reçu par la foi en dehors du sacrement.
Au quatrième, je réponds qu’Origène parle de la manducation du corps du Christ en dehors du sacrement, quand il dit qu’il ne peut pas être mangé par les impies.  Et cela est très vrai, car, en dehors du sacrement, on ne le mange que spirituellement.  Qu’Origène parle de la manducation du corps du Christ en dehors du sacrement, on le voit  parce qu’il distingue cette manducation de la manducation du pain sanctifié par la parole de Dieu, qui est le sacrement de l’eucharistie.  Et aussi, parce qu’il allègue ces paroles de saint Jean V1 : celui qui mange ce pain vivra éternellement, paroles qui ne se rapportent pas à l’eucharistie, mais à l’incarnation.
Dans ce passage, deux sortes de pain sont distinguées par le Sauveur.  Un pain qui était déjà présent et qui était mangé par la foi, c’est-à-dire le Verbe incarné.  Et c’est de lui qu’il dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel.  Celui qui mange ce pain vivra éternellement. » L’autre est un pain futur, et qui existera dans le sacrement.  Et c’est de ce pain  qu’il ajoute : « Et le pain que je donnerai est ma chair pour la vie du monde. »  Il est surprenant le tapage que font les adversaires à propos de ces textes, eux qui pensent que le chapitre 6 de saint Jean n’a rien à voir avec l’eucharistie.
Le dernier témoignage d’Origène ils le tirent du livre 8 contre Celse, où il dit : « Nous qui cherchons à plaire au Créateur de toutes choses avec des prières et des actions de grâce pour les bienfaits reçus, nous mangeons les pains offerts. »  Il appelle ici l’eucharistie pain.  Je réponds que ce texte nous est plus favorable qu’à lui.  Car, Origène ne dit pas qu’on mange des pains tout court, mais des pains changés dans le corps du Christ.  Car, c’est ainsi qu’il parle : « Nous mangeons les pains offerts, qui ont été faits corps saints par des prières, et qui sanctifient ceux qui s’en servent pour un bon motif. »  Par ces paroles, Origène ne dit pas seulement que les pains sont changés dans le corps, mais sont aussi offerts à Dieu, et sanctifient les hommes.  Ce que nient les adversaires.
Mais Pierre le martyr insiste dans son livre contre Gardinerus, objection 168.  Il soutient qu’Origène n’a pas dit que les pains étaient changés dans le corps saint du Christ, mais dans un corps saint quelconque.  Ce quiconque est un diminutif, comme quand nous disons : celui-ci est un Isidore quelconque, les larmes sont d’un sang quelconque.
Je réponds que si Origène avait dit que les pains étaient changés dans n’importe lequel corps du Christ, l’objection de l’adversaire pourrait avoir quelque sens.  Mais, ce n’est pas ce qu’il a dit.  Ce qu’il a vraiment dit c’est : étaient changés en un saint corps, ou le « un »  n’est pas un diminutif, mais un article qui déclare confusément le vrai corps du Seigneur.  Origène n’a pas voulu dire à un païen que le pain était changé dans le corps du Christ, pour ne pas lui donner une occasion de se moquer davantage des mystères chrétiens qu’il ne comprenait pas.   Mais il a dit non sans quelque obscurité que le pain était changé dans un corps saint.  Ce pain-là les fidèles savaient de quoi il s’agissait.
                                                                 CHAPITRE 9
Le troisième témoin de cet âge est saint Cyprien, qui a souffert environ en l’an du Seigneur 259.  Dans son sermon 5 sur ceux qui avaient renié le Christ pendant la persécution, il reproche à ces renégats de se présenter à la sainte communion sans avoir été purgés par une pénitence publique.  Il dit : « C’est une violence qui est faite à son corps et à son sang.  Et ils pèchent plus contre le Seigneur avec leurs mains et leur bouche que quand ils ont renié le Seigneur, »  Il semble incroyable de penser que saint Cyprien ait estimé que le péché de ceux qui auraient touché  avec des mains indignes un signe ou une figure représentant le Christ, est plus grand que celui commis par ceux qui ont renié  le Christ lui-même.   Qui, en effet, délirerait au point de penser  que pèche plus gravement celui qui touche  un livre d’évangile en état de péché mortel, ou une image du Christ que celui qui le renie devant un persécuteur.  Saint Cyprien veut donc dire  que ceux qui reçoivent indignement l’eucharistie infligent une injure immédiatement et directement à la personne elle-même du Christ. Et que c’est à cause de cela que leur péché est plus grand que ne l’a été le péché des apostats  contre la foi.
Au même endroit, saint Cyprien raconte quatre miracles qui ont été faits sur ceux qui avaient voulu traiter indignement le corps du Seigneur.  Ces miracles témoignent assez hautement que l’eucharistie n’est pas seulement un signe du corps du Seigneur, car on dit  ne nulle part que des punitions ont été données à ceux qui avaient traité indignement des signes.  Et d’autant plus que ceux dont parle saint Cyprien ne se sont pas présentés au sacrement par mépris ou par haine du Christ.  Dans le sermon sur la cène du Seigneur, qui s’il n’est pas de saint Cyprien est d’un auteur très ancien, saint et savant, comme les adversaires eux-mêmes le reconnaissent, nous recevons sous le nom de Cyprien, deux ou trois témoignages d’une grande clarté.
Le premier se trouve au début du sermon : « Placée entre des repas sacramentaux, la cène célébra des institutions anciennes et nouvelles.  Et après la consommation de l’agneau que proposait l’antienne tradition, le Maître présenta à ses disciples la nourriture inconsommable. »  Nous avons parlé plus haut de ce passage quand nous avons traité des figures de ce sacrement.  Et nous avons montré, contre Pierre le martyr, que par nourriture inconsommable,  on ne pouvait pas entendre un pain ordinaire, qui n’est pas moins consommable qu’un agneau.  Ni, non plus, un corps du Christ qui n’est mangé que par la foi, car, de cette façon, dans l’agneau pascal, les Juifs auraient eu la même nourriture que nous dans l’eucharistie. Et c’est sans raison aucune que saint Cyprien aurait opposé la nourriture consommable donnée aux Juifs à la nourriture inconsommable donnée aux chrétiens.
Le second témoignage, nous l’avons un peu plus bas. : « Ce pain, dit-il, que le Seigneur a présenté aux disciples,  changé non en figure, mais en nature, a été fait la chair toute-puissante du Verbe. Et comme dans la personne du Christ l’humanité apparaissait et la divinité était cachée, de la même façon,  l’essence divine se dissimule ineffablement  dans le sacrement visible. »  Ce témoignage n’admet aucune réplique, même si les adversaires ont souvent essayé d’en présenter.
Pierre le martyr (11 par du livre contre Gardinerus, près de la fin, et dans la première partie du même livre)  prétend que le pain a été changé parce que, de profane, il est devenu sacré, et de non sacrement, il est devenu  un sacrement. Il dit, en effet, qu’il a été changé figurativement non naturellement, car la nouvelle signification sacramentelle n’est pas donnée aux accidents, mais à la nature et à la substance du pain.  Car, entre le pain et le corps du Christ, il y a une analogie : comme le pain nourrit le corps, la chair du Christ nourrit l’âme.  Or, nourrir appartient à la substance, non aux accidents.  Il ajoute ensuite (pour que nous ne comprenions pas de travers) que la substance ou la nature du pain est changée non pour cesser d’être ce qu’elle était, mais pour acquérir quelque chose qu’elle n’avait pas.  Comme on dit d’un homme qu’il  a changé quand d’un non grammairien il devient grammairien, et d’un homme privé un roi.
Mais il est facile de réfuter cette interprétation avec les paroles mêmes de saint Cyprien.  Premièrement.  Non en image.  Or, si la mutation n’est rien d’autre qu’un ajout de signification, ce n’est pas seulement la nature du pain qui est changée, mais aussi son image.  Si ce qui signifie proprement est un signe sensible, comme sont les accidents du pain, pourquoi donc saint Cyprien a-t-il dit : changé non en figure mais en nature ?
Le martyr répond que la substance du pain sensible existe par ses accidents, et que c’est à eux que se rapporte proprement l’analogie de la nutrition.  Je dis donc que bien que la substance sensible existe par ses accidents, être un signe convient mieux aux accidents qu’à la substance.  Car un signe est ce qui, par lui-même et immédiatement, est perçu par les sens.  Et il n’est pas vrai que l’analogie de la nutrition soit dans la substance et non dans les accidents, parce que la substance ne nourrit pas sans les accidents, et ensuite parce que, pour qu’il soit un signe de nourriture spirituelle, il n’est pas requis qu’il puisse vraiment nourrir corporellement, mais il est requis que, par l’espèce externe, il représente cette chose qu’il a coutume de nourrir.  Car, le serpent d’airain fut une vraie figure  du Christ crucifié,  en vertu d’une analogie entre le Christ et le serpent. Et pourtant, ce serpent n’eut pas une vraie substance, mais seulement une figure de serpent.
Et les langues de feu qui apparurent au-dessus des apôtres, signifiaient adéquatement le don de l’éloquence divinement donné aux apôtres, en vertu d’une analogie entre langue et don. Et pourtant, ces langues n’eurent aucune substance, mais seulement la figure d’une langue.  Enfin, dans toutes les visions des prophètes et dans les songes divinement envoyés, du Pharaon, de Nabuchodonosor, des autres, et dans toute l’apocalypse, plusieurs signes d’autres choses sont écrits, en raison de l’analogie qui existe entre les choses naturelles et divines,  et pourtant, aucun de ces signes n’avait la substance  des choses naturelles, mais seulement leur figure externe.  Les accidents du pain sont donc proprement des signes du corps du Seigneur, en vertu de l’analogie qui existe entre le pain et le Christ.   Il est là par accident, que la substance du pain soit sous ces accidents ou qu’elle n’y soit pas.  Si être changé signifie acquérir une nouvelle signification, on ne peut en aucune façon expliquer pourquoi Cyprien a dit que le pain était changé « non en figure mais en nature. »
On le réfute ensuite par la parole : mais en nature.  Car, saint Cyprien ne dit pas que c’est la nature du pain qui est changée, comme semble le comprendre le martyr, mais que le pain est changé dans sa nature.  Être changé en nature, c’est pour le pain, être changé naturellement, c’est-à-dire substantiellement.   Notre adversaire reconnait que le mot nature est employé ici au sens de substance.  Or, acquérir une signification nouvelle ce n’est pas être changé substantiellement, mais accidentellement seulement, selon la raison, puisque cette signification est une relation de raison.  Comme le dit le martyr, «  le pain ne change pas seulement parce qu’il acquiert une nouvelle signification, mais  parce qu’il est fait un instrument de Dieu pour faire mouvoir nos âmes ».  Et si on demande : pourquoi les sacrements sont-ils des instruments de Dieu pour faire mouvoir nos âmes, on ne pourra répondre rien d’autre  que « en signifiant et en représentant ».  Car, nos adversaires n’attribuent aux sacrements aucune vraie efficacité, comme nous l’avons démontré plus haut.
On le réfute ensuite par ces mots : la toute puissance du Verbe.  Car quelle toute puissance est-elle requise pour ne rien produire du tout ?   Mais, dit Pierre le martyr, la toute puissance de Dieu est requise parce que seul Dieu peut instituer des sacrements.  Je réponds que la toute puissance est requise en Celui qui a institué les sacrements pour qu’il réalise parfaitement ce que les sacrements signifient, la justification de l’homme.  Mais aucune toute puissance n’est requise pour faire en sorte que quelque chose signifie.  Cela, les hommes peuvent aussi le faire.  Saint Cyprien ne recourt pas à la toute puissance de Dieu pour faire en sorte que les sacrements signifient, mais pour la mutation du pain dans la chair du Christ.   Car il dit que c’est par la toute puissance du Verbe que le pain est fait chair.
Quatrièmement, par une comparaison. « Comme dans la personne du Christ l’humanité apparaissait, et la divinité se cachait, l’essence divine se diffuse ineffablement dans le sacrement visible. » Saint Cyprien ne dit pas ce que comprennent nos adversaires, que, dans le sacrement, il y a deux natures comme il y en a dans le Christ; et, que, par conséquent, la nature du pain demeure.  Mais il dit que  le Dieu vrai est caché sous l’espèce visible du pain comme il était caché sous l’espèce visible de la chair du Christ, quand il vivait sur la terre.   Et pour qu’on ne dise pas que, dans le sacrement, Dieu est caché seulement par la représentation, il ajoute l’adverbe « ineffablement », qui exprime que ce mystère est un des plus grands et des plus difficiles à comprendre.  Or, ou est la difficulté si le pain ne fait que signifier le Christ ?
Le troisième témoignage est dans le même sermon : « La doctrine de ce sacrement est nouvelle, et c’est ce que le magistère de l’école apostolique enseigna d’abord.  Et c’est par le docteur Christ que cette discipline a été connue dans le monde, celle de boire le sang du Christ, dont l’autorité de la loi antique interdit strictement l’usage.  La loi ancienne interdit en effet de boire du sang, mais l’évangile prescrit d’en boire. »  S’il ne parlait pas de boire vraiment du sang, il parlait pour ne rien dire.  La loi ancienne, en effet, ne prohibait pas de boire du sang en figure.  Bien plus, dans l’eau miraculeuse jaillie du rocher, c’est en figure seulement  que les Hébreux ont bu le sang du Christ.
Mais c’est le temps de présenter les témoignages de saint Cyprien que nous objecte Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, objection 170, et les neuf suivantes).  Car il a recueilli  tous les textes que les autres ont coutume de citer.   Il cite d’abord ces paroles du sermon sur la cène du Seigneur : « Jusqu’à ce jour, il crée son corps très vrai et très saint, le sanctifie et le bénit, et le rompt pour ceux qui le reçoivent pieusement. »   Faisant flèche de tous bois,  les adversaires tirent de ce texte  les mots suivants : créer, sanctifier, bénir, sanctifier et diviser.  Or, toutes ces choses, disent-ils,  ne conviennent qu’au pain, non au corps du Christ.
Je réponds que saint Cyprien a voulu faire allusion  au canon de la messe, où, après la consécration du pain, nous disons : « Par qui tu crées toujours pour nous tous les biens, tu les sanctifies, les bénis et nous les présentes. »  Or, autant dans le canon que dans le texte de saint Cyprien,  les mots créer, sanctifier et bénir se rapportent  à la matière  d’où est confectionné le corps du Christ.  Car, nous rendons grâce à Dieu que, par le Christ, il crée d’abord le pain,  le sanctifie et le bénisse par le même Christ, en le convertissant en son corps, et qu’il nous le présente.  Donc la phrase suivante : le Christ crée, sanctifie, divise ressemble à quelqu’un qui dirait que ce pain est d’abord semé, ensuite récolté, moulu et cuit, et enfin, mangé.  Le sens ne serait pas que c’est sous la forme du pain qui a été semé, récolté, battu;  mais que la matière de laquelle il est fait, est semée et récoltée.  C’est du vrai corps, non du signe du corps,  que Cyprien dit qu’il est divisé pour nous et distribué, après que le pain a été créé et sanctifié, comme le « très vrai’ qu’ail a ajouté.   Car one ne pourrait pas dire d’un corps qui n’existe qu’en figure qu’il est un très vrai pain.
Le deuxième témoignage  il le tire du même sermon : « Ce pain ordinaire changé en chair et en sang procure la vie et l’accroissement aux corps.  Voilà pourquoi, selon l’effet normal des choses, notre infirmité est instruite par une augmentation sensible de notre foi : par les sacrements visibles, se produit un effet de vie interne. »  Pierre le martyr en déduit que, après la mutation sacramentelle, le pain de l’eucharistie nourrit encore nos corps, qu’il est un vrai pain, et qu’il est appelé corps du Christ par l’analogie de la nutrition.
Je réponds qu’il se trompe du tout au tout.   Saint Cyprien ne parle pas de l’eucharistie quand il dit :  il est changé en chair, et il nourrit nos corps, mais il donne la raison pour laquelle c’est avec du  pain ordinaire que se fait l’eucharistie;  et pourquoi le corps du Christ est parfois appelé  pain.  Il dit que la raison en est que comme le pain ordinaire, matériel et de froment, quand il est changé en notre chair et notre sang par l’action naturelle de la chaleur naturelle, nous nourrit et nous fait croitre, de la même façon le corps du Christ nous nourrit et nous fait croitre spirituellement. Il ne parle pas de la nutrition sacramentelle quand il dit qu’un « pain ordinaire est changé en chair et sang,  » mais de la mutation naturelle qui se fait en nous quand nous sommes nourris par ce pain.
Le troisième témoignage est tiré de la fin de ce même sermon : « À chaque fois que nous faisons ces choses, nous n’aiguisons pas nos dents pour mieux mordre, mais nous rompons le pain avec une foi sincère. »  Je réponds que, par ces paroles, saint Cyprien déclare que le fruit de ce sacrement ne consiste pas  dans la délectation ou l’engraissement du corps, mais dans la nutrition et la réfection de l’âme. On ne dit pas qu’il faut aiguiser les dents pour n’importe quoi qu’on veut prendre par l’instrument de la bouche. On le dit quand on prend avidement quelque chose pour le délecter dans le palais.  Il est certain que, de ce ceux qui doivent avaler des médicaments amers, on ne dit pas qu’ils aiguisent leurs dents, car ils ne prennent pas cette nourriture pour la savourer, pour en tirer de l’agrément, mais  à contre cœur, pour être guéris.
Le quatrième vient du même sermon : « Seul le Fils est consubstantiel au Père.  Il  n’est pas divisible, et n’est pas une substance partielle de la Trinité.  L’union que nous formons avec lui  ne mélange pas les personnes, n’unit pas les substances, mais associe les effets, et confédère les volontés. »   Pierre le martyr en déduit qu’entre nous et le Christ il n’y a aucune union corporelle, mais seulement spirituelle.  Ce n’est donc pas par le corps, mais seulement par l’esprit que le corps du Christ est mangé par nous.
Je réponds que saint Cyprien parle de l’union qui est la fin propre et principale de l’eucharistie.   Et  il nie que, par l’eucharistie, le Christ nous soit uni de façon à ce que nous ne formions avec lui qu’une seule personne, comme cela se fait dans le mystère de l’incarnation;  ou une seule nature, comme le Père et le Fils sont un dans le mystère de la sainte Trinité.  Il affirme seulement que nous sommes unis avec le Christ par la confédération de  l’affection, et de  la volonté.  Or, l’union corporelle qui, par l’eucharistie,  existe entre nous et le corps du Christ,  il ne la nie ni ne l’affirme, parce que cette union n’est pas la fin de l’eucharistie, mais plutôt un moyen.  Car, même dans les impies, cette union peut exister.  Elle nuit au lieu de profiter, parce qu’elle ne conduit pas à l’union spirituelle, qui est la vraie fin de ce sacrement.
Le cinquième témoignage vient du même sermon : « Afin que nous sachions que notre demeure en lui est la manducation. »  Et plus bas : « La manducation de cette chair est une certaine avidité, et un désir de demeurer en lui. »  Et plus bas : « Ce qui est une nourriture pour la chair cela est la foi de l’âme. »  Je réponds que, par ces paroles, il parle de l’effet du sacrement.  Car  manger la chair du Christ c’est, quand à l’effet et le fruit, demeurer en lui par la foi et la charité.  Ce n’est pas Pierre le martyr qui nous oppose ce témoignage, mais d’autres.
Le sixième témoignage Pierre le martyr l’a tiré du sermon sur l’onction du crème : « Dans le repas qu’il a partagé pour la dernière fois avec ses disciples, le Seigneur nous a livré dans  le pain et le vin, son corps qui devait être blessé sur la croix par les mains des soldats, pour que cette sincère vérité imprimée secrètement dans les apôtres expose aux Gentils comment le pain et le vin sont la chair et le sang, et les moyens de parvenir aux effets.  Pour que les divers noms ou espèces soient réduites à une seule essence; et pour que les signifiants et les signifiés soient désignés par les mêmes mots. »  De ce texte, notre adversaire déduit  que seuls le pain et le vin, en tant qu’ils s’opposent au vrai corps mort sur la croix, sont présents dans l’eucharistie; et que le pain est appelé corps et le vin sang,  parce que les uns signifient et les autres sont signifiés.
Je réponds que les paroles de Cyprien ne manquent pas d’obscurité.   Cependant, si on en fait un commentaire correct, ce sont les catholiques qu’elles favorisent, non les hérétiques.   Saint Cyprien dit d’abord qu’à la dernière cène, le Christ a donné à ses apôtres du pain à manger, qu’il a laissé les soldats blesser sont corps sur la croix.  Il n’oppose pas le pain au corps, mais le corps sous l’espèce du pain à  son corps naturel. Il oppose le corps comme nourriture au corps comme victime.  Qu’il en soit bien ainsi, on s’en rend compte en constatant  que le  même auteur, dans le sermon précédent, avait enseigné avec des paroles très claires, que le pain était changé en nature, et devenait chair par la toute puissance de Dieu.  Dans tout ce sermon, en comparant les sacrements, l’auteur   traite de la supériorité de la religion chrétienne sur la religion juive.  Et il est certain que le fait de n’avoir que du pain dans l’eucharistie ne contribuerait en rien à l’établissement de  la supériorité du christianisme sur le judaïsme.
Saint Cyprien explique ensuite pourquoi le Seigneur a donné du pain et du vin dans la cène.  La raison qu’il donne aurait peu de valeur si par pain et vin on n’entendait pas le corps et le sang sous les espèces du pain et du vin. La raison qu’il ajoute a quatre membres.  Car, il dit que le Seigneur a donné du pain et du vin pour que, instruits secrètement de la vérité sincère, les apôtres puissent expliquer aux autres ces quatre choses.  La première.  Comment le pain et le vin sont corps et sang.  La deuxième.  Comment les causes conviennent aux effets.  La troisième. Comment divers noms ou espèces se réduisent à une seule essence. La quatrième.  Comment les signifiants et les signifiés sont indiqués par les mêmes mots.
Le premier membre est clairement expliqué par nous. Car, nous disons que les apôtres ont facilement compris, et ont pu l’expliquer aux autres, comment le pain était de la chair. Parce que ce pain vraiment sanctifié, qui semblait n’être qu’un pain ordinaire, était la chair du Seigneur, dès que le Seigneur a dit : « Ceci est mon corps. »
Le second membre, nous l’avons déjà correctement exposé. Nous disons que, du fait que les apôtres avaient reçu le corps sous l’espèce du pain, ils avaient compris comment les causes conviennent aux effets, c’est-à-dire, comment la chair du Seigneur nourrit et sustente les âmes de ceux qui la mange fidèlement.  Car, ils le comprirent cela par l’analogie du pain, sous l’espèce duquel ils voyaient que la chair du Seigneur leur était donnée.
Le troisième membre nous l’exposons clairement aussi. Car, nous disons que les apôtres ont compris comment des noms et des espèces diverses se réduisent à une seule essence.  Parce que, par la consécration de l’eucharistie, le pain devient la chair du Seigneur, et une seule substance demeure, celle de la chair.  Elle reçoit cependant plusieurs noms, car elle est dite chair, parce que telle elle est par l’effet.
Enfin le quatrième est correctement exposé par nous, à savoir comment les signifiants et les signifiés sont désignés par les mêmes mots.  C’est-à-dire pourquoi le pain de l’eucharistie est appelé chair, et la chair du Seigneur,  pain.  Ce n’est pas la chair du Seigneur,  chose signifiée,  qui peut être dite pain, parce qu’elle est donnée sous l’espèce du pain; et ce pain, qui par son apparence extérieure désigne le corps du Seigneur, ne peut pas être dit chair, parce qu’il est vraiment chair par sa substance.  Tout donc concorde dans notre interprétation.  Nos adversaires ne peuvent pas s’en tirer aussi facilement, surtout au sujet du troisième membre de la raison. Comment, je le demande, diverses espèces (le pain et la chair) peuvent-elles être réduites à une seule essence, s’il n’y a aucune mutation réelle ?
Pierre le martyr répond qu’elles sont réduites à  une seule essence parce qu’elles deviennent un seul  sacrement. Car le sacrement de l’eucharistie intégral consiste en un signe et une  chose signifiée.  Je réponds que ce qu’il dit est d’une grande absurdité.   Car, comme le signe et la chose signifiée sont relativement opposés, comment,  d’un signe et de la chose signifiée,  pourrait se former une seule chose ? Car il ne veut pas dire, lui, comme les catholiques disent, que le sacrement consiste matériellement en signe et  en une chose signifiée réellement présente, et jointe au signe. Mais qu’il consiste formellement en une chose signifiée, dont l’une est aussi éloignée de l’autre que le ciel et la terre.  Car, pour lui, le signe est seulement sur la terre, et la chose signifiée seulement dans le ciel.
Le septième témoignage on le tire de l’épitre 6 (livre 1, à Magnus) où saint Cyprien écrit que le corps du Seigneur est appelé pain, lequel est  composé de l’addition de plusieurs grains, et le sang vin, lequel est  formé de plusieurs grappes de raisin.  Je réponds qu’il n’y a là aucune nouvelle difficulté.   Car saint Cyprien explique pourquoi le Seigneur a voulu confectionner ce sacrement à partir du pain et du vin. La raison en est, dit-il, l’analogie qui existe entre le  pain,  le vin et l’Église de Dieu qui est signifiée par ce sacrement.
Mais l’adversaire insiste et nous objecte ces mots « il a appelé le corps pain. »  Et il en déduit que le corps du Christ n’est pas réellement présent, mais seulement en figure.  Je réponds que saint Cyprien appelle le corps pain comme il a été dit à la dernière cène : ceci est mon corps.  Voilà comment le pain est appelé corps. Mais par cette appellation elle-même, il devient vraiment un corps.  Il ne s’ensuit donc pas que, tant qu’il est pain, le pain soit le corps du Christ; mais que ce qui était pain soit maintenant corps du Christ. Exemple.  Quand une armée donne le nom d’empereur à un homme privé,  par cette appellation même, cet homme privé devient empereur. On ne pourrait pas dire : cet homme privé est un empereur, mais celui qui était autrefois un homme privé est maintenant un empereur.
Le huitième témoignage ils le tirent du livre 2 (épitre 3 à Cécilius) : « On ne peut  pas voir, non plus, que  son sang, par lequel nous avons été achetés, est encore dans le calice, quand  cesse d’être présent dans le calice, le vin par lequel le sang du Christ est montré. »  Et plus bas : «  Par l’eau (ajoutée au vin) nous entendons le peuple, et le vin nous montre vraiment le sang du Christ. »  Et plus bas : « Le calice du Seigneur n’est donc pas l’eau seule, ni le vin seul, mais le vin mêlé à de l’eau.  Comme le corps du Seigneur ne peut  pas être seulement de la farine, ou seulement de l’eau. C’est le mélange des deux  qui donne du pain. »  De ces textes, les adversaires déduisent d’abord qu’il doit y avoir nécessairement du vin dans le calice, même après la consécration. Car, après la consécration, le vin montre le sang du Seigneur, puisque ce qui n’est pas ne peut rien montrer.  Il en déduit ensuite que, par ce vin, le sang du Seigneur est montré, c’est-à-dire signifié; qu’il n’est donc, dans le calice du Seigneur, que figurativement.  Il en déduit aussi que, par ce vin, ce n’est pas un sang présent et existant réellement dans le calice qui est montré,  mais un sang absent.  Car le sang est montré par le vin,  de la même façon que le peuple l’est par l’eau. Les peuples, en effet, ne sont dans le calice que figurativement.  Pierre le martyr, Pierre Boquin, Bèze et les autres placent de grands espoirs sur cet argument.
Il faut d’abord noter qu’il y a une grande différence entre ces deux phrases : le vin est le sang du Seigneur, et le sang du Seigneur est le vin. Car la première  phrase enseigne que le vin est dit sang au sens figuré. L’autre,  par contre, enseigne que  le sang est du vin figurativement, qu’il est réellement et proprement du sang, et non du vin.   Car, il ne peut pas  se faire que, au sens propre,  le vin soit du sang et le sang du vin, puisque ce sont des substances différentes, et, comme on dit, des termes disparates.  Il résulte donc de tout cela que  la première proposition, quand elle  est enseignée par les pères, n’est ni pour nous, ni contre nous;  que la deuxième proposition est  pour nous et contre les adversaires.  Car la proposition suivante : « le vin est le sang du Christ »  requiert seulement que, dans l’eucharistie, il y ait du vin, quant à ce qui signifie quelque chose, c’est-à-dire quant aux accidents externes.   Car, comme nous l’avons montré plus haut, le vin signifie seulement par ses accidents.  Dans l’eucharistie demeure vraiment le vin en tant qu’accidents signifiant le sang du Christ.     Est-ce que c’est  la substance du vin avec ses accidents qui est dans l’eucharistie,  ou le sang du Christ ?  Cette interrogation n’affirme rien.  Elle n’est donc ni pour ni contre nous.
L’autre phrase : le sang du Christ est du vin figurativement, est tout à fait pour nous, car, elle requiert nécessairement que dans le calice soit le sang du Christ au sens propre, un sang qui ressemble au vin.  On ne peut pas dire, non plus, que le sang du Christ est ailleurs, selon les accidents, non selon la substance, comme nous le disons nous, du vin.  Car, ce n’est pas une impiété de séparer les accidents de sa substance.  Ce serait, par contre, une impiété de séparer les accidents réels du Christ de sa substance, car ce serait vraiment détruire le Christ.
Dans le texte de Cyprien, les adversaires n’ont donc pu voir que la première proposition, qui, comme je l’ai montré, n’est pas contre nous. Et nous leur montrons l’autre proposition qui leur est tout à fait contraire.  Voici, en effet, comment il parle dans cette épitre, non loin du début : « Car, quand le Christ a dit « je suis la vraie vigne », le sang du Christ n’est certes pas de l’eau mais du vin.  On ne peut pas, non plus,  voir le sang du Christ dans le calice,  quand le vin, qui montre le sang du Christ,  fait défaut dans le calice.  Comme il dit que le Christ est la vigne, et non que la vigne est le Christ,  il dit, de la même manière, que le sang est la vigne, et non la vigne le sang.  Il dit que le sang par lequel nous avons été rachetés,  est dans le calice, et doit être montré par le vin, parce que le sang ressemble au vin.
 Et, plus bas, il cite ce passage de la Genèse 49 : « Il lavera dans le vin sa robe, et dans le sang du raisin sa tunique. »  Et d’Isaïe (63) : « Pourquoi tes vêtements sont-ils rubiconds, et tes habits comme  celui qui foule le raisin au pressoir ? »  Où il prouve que le sang du Seigneur est appelé vin, et que le vin n’est pas appelé sang. Car le Seigneur n’a pas lavé sa robe (sa chair dans la passion) dans un vin qui signifiait le sang, mais dans un vrai sang qui a une ressemblance avec le vin.  Dans cette deuxième phrase de Cyprien, nous avons donc ce que nous voulons démontrer.
Aux trois choses que les adversaires ont déduites du texte de saint Cyprien, on peut répondre  sans recherche et sans effort.  À la première.  Je dis que le vin doit être dans le calice, au moins selon ses accidents, comme nous l’avons déjà dit, parce que par ces accidents, il montre le sang.  À la deuxième.   Je dis que le sang du Seigneur est signifié par le vin, mais en tant que présent dans le calice, non  absent.  Car, comme nous l’avons entendu dire de saint Cyprien, ce qui est dans le calice est dit vin par similitude, et est dit sang au sens propre du terme,  et ce sang par lequel nous avons été rachetés.  À la troisième je dis que les choses comparées  ne sont pas semblables en tout et pour tout.  Voilà pourquoi, bien que Cyprien dise que par le vin est signifié le sang, par l’eau les peuples, on ne doit pas en conclure que soient égaux en toute choses les peuples et le sang du Seigneur, de sorte que, parce que le sang est dans le calice,  les peuples y soient aussi. D’ailleurs, le sang du Seigneur est signifié comme rançon et breuvage, ce qu’on ne peut pas dire des peuples.  Et enfin, dans l’eucharistie c’est le corps et le sang du Seigneur qui sont d’abord et avant tout représentés, les peuples, en second lieu.
                                                              CHAPITRE 10
                                Le quatrième âge de l’Église : de 300 à 400
                                        Le témoignage du concile de Nicée
Nous voici maintenant arrivés au quatrième âge de l’Église, dans lequel nous trouverons des témoignages remarquables, comme ceux du concile de Nicée, de saint Athanase, de saint Hilaire, de saint Cyrille de Jérusalem, de saint Ambroise, de saint Basile, d’Optatus, de saint Grégoire de Nysse, de saint Grégoire de Naziance, de saint Ephrem, et de saint Épipihane.
Commençons donc par le concile de Nicée.  Dans les actes de ce concile de la bibliothèque  du Vatican, on trouve ces mots : « De même aussi, à la divine table, ne soyons ni distraits ni inattentifs devant le pain et le vin qui nous sont présentés, mais élevant notre esprit en haut, comprenons par la foi que celui qui est sis sur la sainte table c’est l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, immolé de façon non sanglante par les prêtres.  Et,  en prenant vraiment son corps et son sang précieux, croyons qu’ils sont les symboles de notre résurrection.  Nous n’en recevons pas une grande quantité, mais un tout petit peu, pour que nous comprenions que nous ne les prenons pas  en vue de la satiété, mais de la sanctification de l’âme. »
Ce témoignage les adversaires le reconnaissent, eux aussi, comme Jean Oecolampadius (dans le dialogue avec Nathanaël),  Jean Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 36), Pierre Boquinus (livre 4 de la cène du Seigneur contre Heshusius), Wihelmus Klebitius (livre sur la victoire de la vérité, à la solution du troisième argument).  Mais ils s’efforcent de détourner  ce puissant argument  pour stabiliser leur hérésie, comme si le concile nous avertissait de ne pas, sur la sainte table,  chercher le corps du Christ sous les espèces du pain, mais de monter  au ciel en esprit, et de manger là le corps du Christ par la foi.  Mais ils errent royalement.  Car le concile ordonne  de ne pas nous laisser induire en erreur par les espèces du pain et du vin comme s’il n’y avait là rien d’autre que ce que nos yeux découvrent, mais de comprendre par la foi que c’est vraiment le corps du Christ, même si on ne le voit pas avec nos yeux corporels.
Que ce soit là la pensée du concile, on peut le prouver ainsi. D’abord, après avoir conseillé   de ne pas avoir des idées terre à terre en regardant le pain et le vin, mais d’élever notre esprit vers le ciel, il ajoute que la foi doit nous faire voir l’agneau de Dieu placé sur la table sacrée.  Selon nos adversaires, il aurait du dire que la foi doit nous faire voir le Christ dans le ciel, à la droite du Père.  Le concile veut donc que nous accédions à cette table, et que nous y considérions non pas tant les symboles externes que ce qui est caché sous eux.
Par table sacrée, Klebitius entend le ciel.  Il dit que le concile veut que nous cherchions l’Agneau de Dieu non sur un autel de pierre, mais sur la table céleste.  Il se trompe radicalement.  Car, c’est sur la même  table divine et sacrée, que le concile place les symboles du pain et du vin et l’Agneau de Dieu, comme il appert de ces premières paroles : « Ici, dans la table divine,  ne regardons pas ce pain avec des yeux terrestres. Or, les symboles du pain ne sont pas dans le ciel, mais sur un autel de pierre.   La divine table n’est donc pas  le ciel, mais  l’autel de la terre.   Et pour qu’on ne dise pas que, sur l’autel, le Christ est là significativement, et que le concile a voulu que nous ne regardions pas les symboles en tant que choses matérielles,  mais en tant que représentant le Christ, le concile ajoute ce mot « sis ».  Car, comme il dit que est sis sur la table sacrée, et qu’il oppose l’Agneau aux symboles, il déclare manifestement que l’Agneau de Dieu est vraiment et réellement sur la table, et non en tant qu’il est représenté par des symboles.
Deuxièmement. On prouve la même chose avec les paroles du concile.  Il a dit que l’Agneau de Dieu était immolé par les prêtres sur la table sacrée.  Or, par agneau tous entendent le Christ, en tant qu’il est distinct de ses symboles, qui, selon les adversaires, ne se trouvent qu’au ciel.   Or, s’il est au ciel, comment pourrait-il être immolé par les mains des prêtres ?  Les mains des prêtres sont-elles assez longues pour qu’elles s’étendent jusqu'au ciel ?
Troisièmement.  On le prouve par les paroles suivantes : « prenant vraiment son corps ».  À quoi donc sert ce « vraiment » si ce n’est à s’opposer à « figurativement » ?   Mais, diront-ils, nous recevons vraiment le corps du Seigneur, mais avec notre cœur, non notre corps. Mais les paroles employées répugnent à cette explication,  puisque les symboles de notre résurrection sont appelée corps et sang du Seigneur.  Car,  la vraie union de nos corps mortels avec le corps immortel du Seigneur  signifie parfaitement la résurrection future de nos corps.  Si seule notre âme s’unissait avec le corps du Seigneur, ce serait le signe que seule notre âme ressuscitera.

2019 02 10 fin
2019 02 23  début
CHAPITRE 11 : SAINT ATHANASE
 Il a vécu au temps du concile de Nicée, dont il fut l’un des principaux participants.  Theodoret (livre 2, des dialogues)  a conservé ses paroles suivantes : « C’est le corps à qui il a été dit : « assieds-toi à ma droite », dont le diable, avec toutes les puissances mauvaises, fut ennemi, ainsi que les Juifs et les Grecs.  Par lequel corps il fut Pontife et Apôtre, et duquel il a été dit quand il nous a livré le mystère : « ceci est mon corps qui est rompu pour vous, et le sang du nouveau testament, non de l’ancien, qui est répandu pour vous. Or, la divinité n’a ni corps ni sang. » Ces paroles proviennent d’un sermon sur la foi.  Même s’il n’existe plus aujourd’hui, le témoignage de l’historien Theodoret suffit pour nous empêcher de douter que ces mots soient vraiment de saint Athanase.
 En ce passage, saint Athanase veut prouver que le Christ avait un vrai corps, et qu’il n’y a avait pas en lui seulement la divinité, mais aussi la chair.   Il le prouve, cela, par les paroles que le Père adresse au Christ : « assis-toi à ma droite ! » Or, s’asseoir en un lieu, c’est une chose qui convient à un corps, non à la divinité.  Il prouve la même chose du fait que le Christ, en tant que pontife et prêtre, a offert son corps, et l’a livré pour nous, quand il a dit : « ceci est mon corps. »  Si, en cet endroit, saint Athanase n’avait pas entendu par corps un corps véritable et réel, il aurait favorisé  les hérétiques qu’il combattait.  Car, ils soutenaient que le Christ avait un corps apparent, et donc une figure de corps;  et ils niaient qu’il ait eu un vrai corps humain.
 Mais les adversaires nous objectent un autre passage de saint Athanase.  Car, dans son traité sur ces paroles : « Celui qui parlera contre le Fils de l’Homme, cela lui sera remis, » il dit : « À combien d’hommes le corps du Christ suffirait-il en tant qu’aliment, pour qu’il devienne la nourriture du monde entier ? »   C’est pour  les détourner d’une compréhension corporelle, qu’il fait mention de son ascension dans le ciel,   et pour qu’ils comprennent que sa chair (dont il avait parlé) est une nourriture céleste et spirituelle qui doit être donnée par lui.  Les choses que je vous ai dites, dit-il, sont esprit et vie.  Or, c’est comme s’il avait dit : mon corps qui est montré et donné pour le monde, sera donné comme nourriture, pour qu’il soit distribué à chacun, et devienne pour tous un soutien, une préservation en vue de la résurrection à la vie éternelle. »
 Ces paroles de saint Athanase déclenchent un cri de triomphe de la part de Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, objection  180) : « Je pense qu’aucun texte des pères n’est plus solide ni plus  invincible que ce passage de saint Athanase. »
 Je réponds que la force de l’argument des adversaires consiste en trois choses.  La première.  En ce que saint Athanase affirme que la manducation du corps du Seigneur ne doit pas être comprise charnellement, car, si elle devait être mangée charnellement,  elle ne suffirait pas pour le si grand nombre de ceux qui ont à la manger.   Or, cela ne s’oppose pas à notre sentence, mais à celle des Capharnaïtes  qui pensaient manger la chair du Christ en la coupant en morceaux, et en la servant  ainsi à chacun.  La phrase du Christ ainsi  entendue est donc que, pour une si grande multitude,   la chair du Christ ne suffirait  pas.  Nous disons, nous, que la chair du Christ est reçue de façon à être mangée dans son  entièreté par tous,  et sans divisions.  Saint Athanase dit ensuite que la chair du Christ est un aliment spirituel, et qu’elle est distribuée spirituellement.  Mais, cela ne nous contredit en rien.   C’est avec raison, en effet,  que la chair du Christ est appelée un aliment spirituel, car c’est à l’esprit, non au corps, qu’elle est donnée en nourriture; et c’est spirituellement, non corporellement qu’elle est distribuée, parce qu’elle n’est pas divisée en parties, mais est donnée entière, sans division, comme nous l’avons déjà dit.
 Voilà pourquoi saint Bernard (dans son sermon sur saint Martin) dit : « La chair du Christ est donnée et mangée spirituellement. »  Et cependant, il dit, au même endroit  que, « dans le sacrement, se trouve la vraie substance de la chair. »  Saint Athanase dit, enfin, que, quand le Christ a parlé de la manducation de sa chair, il s’est souvenu de son ascension au ciel, pour détourner les auditeurs d’une compréhension terrestre de ses paroles mystérieuses.   Cela, non plus, ne combat pas contre nous.  Le Seigneur fait mention de son ascension, pour montrer que sa chair ne devait pas être mangée à la façon des autres chairs, ce qui était la compréhension qu’en avaient les gens de Capharnaüm.  Mais, d’une façon spirituelle.  Car, si le Seigneur avait donné  sa chair à manger en la coupant par tranches, ou en la hachant, comme les Capharnaïtes  l’imaginaient, il n’aurait, certes,  pas pu monter dans le ciel avec cette chair-là.
 Quand nous apprenons que le Christ est monté au ciel avec sa chair immortelle et glorieuse, nous apprenons, en même temps, que sa chair n’est pas mangée charnellement, comme devant être débitée et cuite avant d’être consommée.
 Dans le texte de saint Athanase, nous ne trouvons donc rien de contraire à la foi catholique. Mais nous voyons, par contre, des choses qui réfutent nos adversaires. Car, il dit, par exemple, que le corps qui est montré au monde et est livré à la mort pour la vie du monde, nous est donné en nourriture.  Il indique assez clairement, par là, que le corps qui nous est donné est un vrai corps, non un corps symbolique.  Car, ce n’est pas un corps symbolique qui a été livré à la mort  pour la vie du monde.  Ce vrai corps nous est donné non seulement par l’appréhension de la foi, mais aussi par l’appréhension de la bouche corporelle.  C’est ce qu’indiquent ces paroles de saint Athanase : « Pour qu’elle soit pour une protection et une préservation,  en vue de la résurrection. »  Car, comme nous l’avons déjà dit, les anciens pères avaient coutume de prouver la résurrection des corps par l’union de notre corps mortel avec le corps immortel du Christ,  dans le sacrement de l’Eucharistie.
                                                      CHAPITRE 12
                                                      Le témoignage de saint Hilaire
 Saint Hilaire fut l’égal de saint Athanase.   Le Seigneur suscita ces deux éminents docteurs pour qu’ils défendent respectivement  la foi attaquée par les ariens, dans l’Orient et dans l’Occident.  Voici ce que saint Hilaire dit (dans le livre 3 sur la Trinité) : « Si le Verbe s’est vraiment fait chair,  et si, dans la nourriture dominicale, nous recevons vraiment le Verbe fait chair, comment estime-t-on qu’il ne demeure pas en nous naturellement ? » Et plus bas :  « De la vérité de la chair et du sang, il ne reste plus de raison de douter.  Car, maintenant, par la déclaration du Seigneur lui-même, et notre foi, c’est vraiment une chair, et vraiment du sang. »
 À cela, les adversaires répondent de deux façons.  Ils en profitent, car ils n’ont pas pu trouver un autre texte de saint Hilaire à nous reprocher.   Dans sa dernière admonition à Westphalus, Calvin soutient qu’Hilaire parle par hyperbole.  Mais, il est facile de le réfuter, par les paroles mêmes de saint Hilaire de Poitiers, qui, comme s’il avait prévu l’enseignement de Calvin, affirme parler proprement et formellement.  Car, voici ce qu’il dit : « On ne doit pas parler des choses de Dieu en donnant un sens humain aux paroles divines; et on ne doit pas, par la violence ou une prédication impie, faire passer la perversité d’une intelligence impie, avant la salubrité des paroles célestes.  Lisons ce qui est écrit, et comprenons ce qui est lu, et nous remplirons alors, parfaitement, le devoir de la foi. Si nous n’apprenons pas de lui ce que nous disons de la vérité du Christ naturelle en nous,  c’est comme si nous étions des sots et des impies que nous  disons : « ma chair est une vraie nourriture. »
 Vois comment saint Hilaire dit qu’il ne peut rien affirmer dans un sens humain et profane, mais seulement ce qu’enseigne l’Écriture correctement comprise.  De plus, quand saint Hilaire dispute avec les Ariens sur l’union naturelle du Christ avec nous dans le sacrement de l’eucharistie , il conclut à l’union naturelle entre le Père et le Fils.  S’il a parlé hyperboliquement d’une union naturelle du Christ avec nous, il faudra qu’il parle aussi hyperboliquement de l’union du Père et du Fils. D’’où il s’ensuivrait  qu’il est arien, ou qu’il défend gauchement les choses de la foi, car les ariens ne niaient pas qu’il existe, hyperboliquement, une union naturelle entre le Père et le Fils.
 Pierre le martyr, (dans son livre contre Gardinerus, part 4), Theodore de Bèze (dans son dialogue sur le cyclope contre Heshusius, et Pierre Boquin (dans son livre sur la cène du Seigneur, contre le même),  répondent que quand saint Hilaire  a dit que nous recevons vraiment la chair du Seigneur  dans l’eucharistie, il veut parler de la manducation spirituelle, qui se fait par la foi.  Et quand il enseigne que le Christ nous est naturellement uni, il parle de l’union qui se fait dans l’incarnation, le Christ nous étant naturellement uni, parce qu’il a assumé la nature de notre chair.
 Pierre le martyr ajoute que, pour Hilaire, l’union naturelle n’est pas un véritable mélange de natures, mais une union plus grande qui est celle des volontés.  Car, il oppose l’union naturelle à l’union par le seul consentement de la volonté, que les Ariens mettaient entre le Verbe et le Père.  Cette union naturelle, est, selon la sentence de Pierre le martyr,  plus grande que l’union des seules volontés que nous avons avec le Christ,  autant parce que le Christ a assumé notre nature, comme nous l’avons dit, que parce que, par la foi, nous recevons vraiment sa chair dans le sacrement.  Le même Pierre martyr prouve que saint Hilaire ne parle  pas d’une union naturelle réelle quand il dit que le Christ nous est uni naturellement dans l’eucharistie, parce que saint Hilaire distingue cinq unions naturelles.
 La première. Tous les disciples sont un naturellement, parce qu’ils sont un par la foi. La deuxième. Nous sommes tous unis naturellement parce que nous sommes unis par la régénération. La troisième.   Nous sommes un naturellement, parce que nous sommes réunis par le sacrement du baptême.  La quatrième.  Nous sommes un avec le Père et le Fils par un honneur qui nous est communiqué par le Christ.   La cinquième.  Nous sommes un naturellement avec le Christ par l’eucharistie.  Comme sont dites naturelles ces unions par la foi, par la régénération, par le baptême, par l’honneur,  parce qu’elles incluent quelque chose en plus du consentement de la volonté, même si elles n’incluent pas un mélange de natures, de la même façon, l’union par laquelle nous sommes unis au Christ, quand nous appréhendons sa chair par la foi, peut être dite naturelle, même si elle n’inclut pas une union réelle de sa chair avec la nôtre.
 Ces soi disant objections tirées du livre de saint Hilaire peuvent être réfutées de plusieurs façons.  La première.  Par les paroles :  « nous recevons vraiment, par la nourriture du Seigneur, le Verbe fait chair. »  Ce qu’il appelle nourriture du Seigneur nous force à penser à une manducation corporelle, et non à une seule manducation spirituelle, comme ils le veulent.  Car, la nourriture du Seigneur, de l’aveu de tous, est l’eucharistie.  Saint Hilaire veut donc dire  que, quand nous  recevons l’eucharistie, en elle et par elle, nous recevons vraiment la chair du Seigneur.   Deuxièmement, saint Hilaire a dit : « Ce que nous disons de la vérité naturelle en nous du Christ, nous en parlerons comme un sot et un impie, si nous ne l’apprenons pas de lui. » Or, si le Christ est mangé par la seule foi, et est en nous seulement de la même façon que sont les choses  qui sont appréhendées par l’âme, rien ne pourrait être appelé paradoxe ou sottise, même si cela n’avait pas été dit par Dieu.  Nous pourrions même être vraiment considérés comme fous si, sans la parole de Dieu, nous croyions que la vraie chair du Christ est mangée par une bouche corporelle.  Car les infidèles ont toujours considéré cela comme un paradoxe stupide, comme on le voit par Averroès et les autres.
 Troisièmement.  Par ces mots : « De la vérité (réalité) de la chair et du sang du Christ il n’y a pas matière à doute.  Car, maintenant, par la profession elle-même du Seigneur et par notre foi, c’est une vraie chair et un vrai sang. »  Et plus loin : « Cela n’est donc pas une vérité ?  Pour ceux qui nient que le Christ Jésus est vraiment Dieu, il convient parfaitement que ce ne soit pas vrai. »  Ces paroles ne peuvent avoir que trois sens.   Ou Hilaire veut dire que le Christ a assumé une véritable chair, ou qu’on mange une vraie chair dans le sacrement, ou que c’est une véritable chair que l’on mange réellement par la bouche quand on reçoit l’eucharistie.  Le premier sens qu’embrassent Bèze, et Boquin et peut-être le martyr Pierre, n’est pas selon l’esprit de saint Hilaire.   Car, dans ce texte, il ne discute pas de l’incarnation, mais de l’eucharistie.  Il ne dispute pas, non plus, contre  les manichéens qui niaient que le Christ avait une vraie chair, mais contre les ariens qui niaient la divinité du Christ, non sa chair.
 Un peu avant, il avait dit de la vérité (réalité) du Christ en nous : « si nous ne l’apprenons pas de lui, » et il avait présenté ce texte de l’Écriture : « Ma chair est vraiment une nourriture, » pour prouver que la chair du Christ nous état unie naturellement.  Et, après ces mots, il a ajouté immédiatement : « De la vérité (réalité) du corps et du sang du Christ, il n’y a pas lieu de douter, » et ce qui suit.  Il parle donc de la vérité de la chair qui nous a été communiquée, non de celle qu’il a assumée.  Enfin, cette preuve par laquelle Hilaire prouve qu’on ne peut pas avoir de doute sur la vérité (réalité) de la chair du Seigneur, parce que le Christ a dit : « Ma chair est vraiment une nourriture. »  Or, c’est à bon droit qu’on prouve que, dans l’eucharistie, se trouve la vraie chair du Seigneur :  parce que c’est Dieu le Christ qui a dit que sa chair est une vraie nourriture.  Car, comme il est Dieu, il peut procurer ce qu’il a dit.
 La seconde explication coïncide avec la première. Car, manger la chair par la foi n’est rien d’autre que croire que le Christ a une vraie chair, et qu’il est vraiment mort pour nous dans cette chair.  Or, pour croire cela, il n’était pas nécessaire d’apporter un argument tiré de la divinité du Christ qui déclarait cela.  Car il n’est pas difficile (une fois posé le mystère de l’incarnation) de croire que la vraie chair est mangée par la foi.  Il reste donc une troisième explication qui, sans doute possible, est selon l’esprit de saint Hilaire.
 Quatrièmement on le prouve de ce que saint Hilaire a souvent répété que, par la réception de l’eucharistie, le Christ était naturellement en nous.  Car, quand Hilaire dit que l’un est naturellement dans un autre,  il veut dire que la nature de l’un est vraiment dans un autre, comme le montrent plusieurs de ses mots, et surtout ceux qui sont dans la même page : « Pourquoi a-t-il présenté un degré ou un ordre de la consommation de l’eucharistie,  si ce n’est parce que, comme il est dans le Père par la nature de la divinité, nous soyons en lui par sa nativité corporelle;  et que l’on croit qu’il est en nous par le mystère des sacrements ? »  Il enseigne, là, que le Père est dans le Fils naturellement, parce que la nature du Fils est vraiment dans le Père, parce qu’elle est la nature de l’un et de l’autre;  et que nous sommes naturellement dans le Christ, parce que, par le mystère de l’incarnation,  Dieu s’est vraiment uni à notre nature.  Il enseigne que le Christ est naturellement en nous quand nous recevons l’eucharistie, parce qu’il unit à nous la nature de sa chair.  Donc, comme la nature  du Fils est vraiment et proprement dans le Père, et notre nature dans le Christ, il est de même nécessaire que, quand nous recevons l’eucharistie, la nature   de la chair du Christ soit vraiment et proprement en nous.
 Cinquièmement, on le prouve par d’autres de ses paroles.  En expliquant : « Comme le père vivant m’a envoyé, et que je vis moi, par le père, celui qui mange ma chair vivra aussi par moi, » il dit : « Voici quelle est vraiment la cause de notre vie.  Nous avons le Christ demeurant par sa chair en nous, hommes charnels, qui vaincront par lui de la façon dont lui vit par le père.  Si donc nous vivons naturellement selon la chair par lui, c’est-à-dire possédant la nature de sa chair, comment n’-a-t-il pas naturellement le Père en lui selon l’Esprit, celui qui vit par le Père? »  Et plus bas, il dit : « Le Fils de Dieu demeure charnellement en nous pas l’eucharistie. »  Que pouvait-il dire de plus clair, je le demande,  que en nous, hommes charnels, le Christ demeure charnellement par sa chair ?
 Si nous mangeons la chair du Christ par la foi seule, et non par l’instrument du corps, il ne serait pas en nous, hommes charnels, c’est-à-dire en en nous en tant que nous sommes formés de chair, mais il serait seulement dans notre esprit et dans notre âme.  Il ne serait pas  non plus, par la chair, mais par la foi, et l’esprit.  Il ne serait pas là, non plus,  corporellement, mais spirituellement.  De plus, la comparaison que saint Hilaire apporte, convainc facilement.  Il dit d’abord que, selon l’esprit, le Fils vit par le Père, parce que  la vie du Père, qui est un esprit, est vraiment attribuée au Fils. Et il ajoute que c’est de cette façon que nous vivons par le Christ selon la chair, parce que, dans le sacrement, sa chair nous est vraiment communiquée.
 L’objection que Pierre le martyr  a tirée de saint Hilaire ne permet de rien conclure.  « Nous sommes naturellement un avec le Christ par l’eucharistie, comme nous sommes un entre nous par la foi, par la régénération et par le baptême;  et comme nous sommes un avec le Christ par l’honneur ».  Pour répondre à cette objection, il faut noter trois choses.  La première.  Il faut se rappeler le but et l’occasion de cette dispute.  Il avait opposé aux Ariens ce texte (Jean X) : « Moi et le Père nous sommes un. »  Mais les ariens avaient répondu qu’il fallait entendre cette union d’une union des volontés et des pensées, et non d’une unité de nature.  Et ils donnèrent comme exemple les textes suivants (Actes 4) : « La multitude des chrétiens était un seul cœur et une seule âme. » Et (1 Corinthiens 3) : « Celui qui plante et celui qui arrose sont une seule et même chose. » Et (Jean 17) : « Et eux sont une seule chose en nous. »
 Pour ne rien céder aux Ariens à cause des textes allégués, saint Hilaire prouve que le Père et le Fils sont un naturellement, et non par la seule concorde des volontés. Il dit : « Il faut les réfuter avec les textes dont ils se servent eux-mêmes. »  Il enseigne donc, d’abord, que les fidèles sont, entre eux, un seul corps et une seule âme, non seulement par l’union des volontés, mais naturellement.  Car, ils sont une seule chose par la foi, par la régénération et par le baptême.  Ils le sont donc par la même nature de la foi, et par la même nature de la nouvelle régénération et du baptême.   Car, tous sont fidèles, tous sont  fils de Dieu, tous sont baptisés, même s’ils ne se connaissent pas entre eux, et même si l’un ne sait pas ce que l’autre veut. « Comment, dit-il, ne vois-tu pas une unité naturelle en ceux qui sont un par la nature d’une seule foi ? »  Et il dit  de la régénération et du baptême, la même chose qu’il avait dite de la foi.
 Et puis, il enseigne que le texte de saint Paul (celui qui plante et celui qui arrose sont une seule et même chose) indique une unité naturelle.  Car, ils sont une seule et même chose parce qu’ils sont les ministres  du même Christ, et ils sont donc un par la nature de ce même ministère. « Ceux, dit-il, qui sont les mêmes par la même chose sont un aussi  par  la nature, et non seulement par la volonté.  Parce qu’ils ont été faits une même chose, et qu’ils sont les ministres de la même chose et de la même efficience. »
Il en vient ensuite au troisième passage de saint Jean XV11 : « Pour qu’eux aussi soient une seule chose en nous. »  Et il enseigne que nous sommes une seule chose avec le Christ naturellement, parce que par la participation de l’eucharistie, la nature de la chair du Christ s’unit à nous.   C’est là qu’il dit tout ce que nous avons expliqué plus haut.
Il faut noter ensuite que, pour saint Hilaire, autre est : des choses sont une naturellement, et autre : un est dans un autre naturellement.  Car, pour que des choses soient une naturellement,  il suffit qu’elles participent véritablement à la nature  de la chose dans laquelle elles sont une.  Et c’est de cette façon qu’il dit que tous les fidèles sont un naturellement par la foi, la régénération et le baptême : parce qu’ils participent tous à la nature de la foi, de la régénération et du baptême. Et semblablement, il dit que tous les ministres sont un par le ministère, parce qu’ils participent tous à la nature du ministère.  Mais, pour que un soit dans un autre naturellement, il ne suffit pas qu’ils participent d’une certaine façon à la même nature. Non.  Il faut que la même nature de l’un  soit vraiment dans l’autre. Et c’est de cette façon qu’il dit que le Fils est dans le Père naturellement par la divinité.  La nature du Fils, en effet, est vraiment dans le Père.  Et il dit semblablement que le Christ est en nous naturellement par sa chair, parce que la nature de sa chair est vraiment en nous par l’eucharistie.
Ces réflexions préalables permettent de répondre facilement à l’objection du martyr, de Bèze et des autres.   Car, comme ils le présument faussement, saint Hilaire ne parle pas de la même façon de l’union par la foi, ou la régénération ou le baptême, et de l’union par l’eucharistie.   Car, il ne dit pas que le Christ est en nous par la foi, ou par le baptême, comme il dit qu’il l’est par l’eucharistie.  Il ne dit pas non plus, en parlant des fidèles, que l’un est dans l’autre par la foi, mais que tous sont un par la foi.
Il reste une troisième note.  Pour saint Hilaire, l’unité par l’honneur est la même que l’unité par l’eucharistie.   Car, quand il explique le chapitre 17 de saint Jean (« la gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée »), il dit que l’honneur que le Fils a reçu du Père,  le même Fils nous l’a donné, parce qu’il a fait en sorte que nous soyons un avec Lui,  comme lui est un avec le Père.  Et il dit que pour que nous soyons un avec lui, il a fait le mystère de l’eucharistie, par lequel il demeure vraiment en nous par sa chair.  Et c’est ainsi qu’est solutionnée toute l’objection des adversaires.   Car, ils n’ont pas compris ce que voulait dire,  pour saint Hilaire, devenir un par l’honneur.  Mais cela devrait suffire.
                                                       CHAPITRE 13
                             Le témoignage de saint Cyrille de Jérusalem
Saint Cyrille de Jérusalem (que le deuxième synode général a loué), a vécu au même temps que saint Hilaire, comme on le voit par sa lettre à l’empereur Constance.  Et, au sujet du sacrement de l’eucharistie, il parle avec une telle exactitude et une telle précision qu’il n’aurait pas pu s’exprimer mieux s’il avait vécu à notre époque.  Voilà pourquoi les hérétiques ne peuvent tirer de lui aucune objection à nous faire.  Mais, nous, par contre, nous pouvons en puiser de nombreux et éloquents témoignages.
Le premier se trouve au début de sa catéchèse mystagogique 4, et, à vrai dire, c’est dans toute sa catéchèse qu’il nous exhorte à ne pas douter de la  vérité (réalité) du corps du Seigneur dans l’eucharistie.  Ce qui aurait certes été un effort inutile et vain, si l’eucharistie était seulement le signe du corps du Seigneur.  Car, personne n’a coutume de douter des choses qui ne représentent aucune difficulté.
Voici ce qu’il dit : « Cette doctrine de saint Paul peut vous rendre tout à fait certains des divins mystères etc. »  Et plus bas : « Comme le Christ lui-même affirme et dit du pain : ceci est mon corps,  qui oserait douter ?  Et, quand le même confirme, en disant : ceci est mon sang,  qui peut douter et prétendre que ce ne soit  pas son sang ?  Ce qu’il dit au sujet du pain que le Christ a affirmé qu’il est son corps, ne signifie pas que c’est le pain matériel  qui est le corps du Christ, mais  le pain consacré, qui est une figure externe du pain matériel, mais qui, par la substance, est un pain céleste.  C’est ce pain-là, dis-je, qu’il confirme être le corps du Christ.
Deuxièmement, dans la même catéchèse, saint Cyrille parle ouvertement de la transmutation du pain dans le corps du Seigneur, et que seules les espèces du pain demeurent après la transmutation : « Il avait, à un certain moment, aux noces de Cana,  changé, par sa seule volonté,   l’eau en vin, lequel est proche du sang.  Et il ne sera pas digne que nous croyions qu’il ait transmuté le vin dans le sang ?  Car, c’est en toute certitude que nous recevons le corps et le sang du Christ.   En effet,  sous l’espèce du pain, le corps t’est donné, et, sous l’espèce du vin, c’est le sang qui t’est donné. »  Ces paroles sont si claires et si précises que je ne sais pas ce que pourrait inventer leur perversion.
Troisièmement, au même endroit, il dit  que, par l’eucharistie, le corps du Christ n’est pas uni seulement à nos âmes, mais aussi à nos corps : « Nous serons ainsi, dit-il, des christophores, c’est-à-dire des porteurs de Dieu, quand nous recevrons dans nos membres son corps et son sang, et quand, comme le dit saint Pierre, nous aurons été faits participants de la divine nature. »  On ne peut pas entendre ce passage d’un corps symbolique, comme si on ne recevait dans nos membres que du pain seulement.  Car, il parle du corps dont il venait juste de dire que c’est le corps du Seigneur sous l’espèce du pain que nous recevons.  Distinguant ainsi clairement  le pain du corps du Seigneur.
Quatrièmement.  Au même endroit, il nous avertit que nos sens sont induits en erreur par l’eucharistie,  et qu’il ne faut pas les écouter.  « Ne le considère donc pas comme un pain ordinaire, et un vin ordinaire.  Car, c’est le corps et le sang du Christ, selon les paroles du même Christ.  Même si le sens te suggère que ce n’est que du pain et du vin, que la foi te confirme, pour que tu ne juges pas de la chose par le goût. »  Et plus bas : « Sachant cela, soyons certains que ce pain, qui ne nous semble au goût n’être que tu pain, est le corps du Christ, et que  ce vin que nos yeux aperçoivent, et que le goût nous dit n’être que du vin, n’est pas du vin, mais le sang du Christ. »  Que peut-on dire de plus clair ?
Car, on ne peut pas répondre qu’il ne l’appelle pas un pain ordinaire parce qu’il a une signification ajoutée, et que les sens nous trompent parce que nous jugeons qu’il n’est qu’un pain ordinaire.  Car les sens ne jugent pas si le pain signifie ou ne signifie pas, mais ils jugent que c’est cette chose qui a coutume d’être naturellement sous les accidents qui tombent sous les sens.  Et, de plus, saint Cyrille ne dit pas que les sens sont trompés parce qu’ils ne jugent pas que le corps du Christ est sous les espèces du pain, mais parce qu’ils jugent que la chose qu’ils voient, touchent et goûtent  est du pain, alors qu’elle ne l’est pas.  Or, elle serait un pain si on ne lui avait ajouté qu’une signification.  Les sens ne nous tromperaient donc pas, comme le dit saint Cyrille.  Ensuite, dans la catéchèse suivante, près de la fin, il avertit les communiants de se comporter avec une grande diligence pour qu’aucune miette ne tombe ou ne soit perdue.  Ce qui, comme nous l’avons déjà dit, est une grande preuve de la présence réelle.  Et, au même endroit, il ordonne de se mettre à genoux à la sainte table, dans une position d’adoration.
Mais quelqu’un objecte que, dans la troisième catéchèse mystagogique sur le saint chrême, il dise : ce n’est plus un onguent ordinaire après la consécration, exactement comme il a dit du pain après la consécration.  Mais cela ne fait que confirmer notre sentence.  Car, saint Cyrille ne parle pas de la même façon du saint chrême et de l’eucharistie.  Car, de l’eucharistie, il dit que, après la consécration, ce n’est plus un pain ordinaire, mais le corps du Christ.   Du chrême il dit bien que ce n’est plus un chrême ordinaire, mais il ne dit pas que c’est le Saint-Esprit, ou le corps du Christ, mais le chrême du Christ,  ou l’huile sanctifiée.
Et voilà pour saint Cyrille, dont le témoignage devrait suffire à lui seul.   Car, c’est le témoignage d’un homme saint et très ancien.  Il est clair, net,  sans aucune ambiguïté, et ne peut être perverti en aucune façon. Il provient d’une catéchèse où tout était expliqué clairement et parfaitement.  Voilà pourquoi personne n’a jamais reproché à saint Cyrille de Jérusalem une seule erreur sur l’eucharistie.
                                                           CHAPITRE 14
                                            Le témoignage de saint Ambroise
On a raison de joindre saint Ambroise à saint Cyrille de Jérusalem, parce qu’ils ont vécu pendant le même siècle, ont écrit des catéchèses semblables, des livres sur les sacrements, et   sur ceux qui s’initient aux sacrements.  Et il ne parle moins clairement que saint Cyrille.
Dans son livre sur l’initiation aux mystères, chapitre 9, et dans son livre 6 sur les sacrements (chapitres 3, 4, 5) il enseigne longuement que la nourriture qui nous est donnée dans l’eucharistie est de loin plus excellente que la manne que les Juifs eurent autrefois, le corps du Christ leur étant donné en figure, et nous, en réalité.  Nous avons parlé de cet argument plus haut quand nous traitions des figures de ce sacrement.  Deuxièmement.   Le même Ambroise dans les mêmes livres, dit que le pain est changé dans le corps du Christ, et le vin dans le sang du Christ; qu’ils ne sont plus désormais du pain ou du vin, mais le corps et le sang du Christ.
À cet argument, les adversaires répondent de deux façons.  La première. Ils révoquent en doute que soient vraiment de saint Ambroise les livres intitulés : les sacrements.  Ils disent, ensuite, que la mutation dont parle saint Ambroise,  n’est pas réelle, mais sacramentelle, de sorte qu’après avoir reçu une signification nouvelle des choses ordinaires et profanes deviennent des sacrements de la religion.  Voir Pierre le martyr (livre contre Gardinerus, par 1, objection 190, et la partie 4 sur l’explication des paroles de saint Ambroise.)
La première réponse c’est timidement qu’ils la présentent, et non sans raison.  Car les livres de saint Ambroise sont énumérés par Lanfranc et par Guitmund et par d’autres qui vécurent avant l’an  500. Il appert que le livre qui porte sur l’initiation aux mystères est de saint Ambroise, car, dans la préface il dit  avoir traité des mœurs vicieuses de certains patriarches et de Salomon. Or, nul n’a jamais nié que cette œuvre fût vraiment de saint Ambroise.  Que les livres sur les sacrements soient du même auteur que les livres sur les mystères, c’est une chose qui  saute aux yeux, tant est grande la similitude du style  et des sentences.  Et même si ces livres n’étaient pas de saint Ambroise, ils seraient quand même d’un auteur très ancien.  Mais c’est une chose stupide de douter de l’auteur de ces livres quand les adversaires n’apportent aucun argument qui nous obligerait à douter.
La dernière solution est réfutée par les paroles mêmes de saint Ambroise.  Car, (dans le livre 4 sur les sacrements, au chapitre 4), il dit : « Tu diras peut-être que mon pain est un pain ordinaire.  Mais, ce pain existe avant les paroles des sacrements.  Là où la consécration se présente, c’est du pain que devient le corps du Christ.  Or, si le pain n’est mué que sacramentellement, il ne cesserait pas d’être un pain après la consécration.   Il prouve, au même endroit, par les exemples du plusieurs miracles, que les paroles du Christ sont opératoires, et qu’elles peuvent vraiment changer les natures.   Or tout cela aurait été présenté pour rien si aucune mutation n’avait lieu dans le pain.
Mais apportons un témoignage pour prouver la même chose, tiré de l’initiation aux mystères (chapitre 9) : « Tu diras peut-être : Je vois autre chose.  Comment peux-tu m’affirmer que je reçois le corps du Christ ?  Il nous reste encore à prouver cela.  Combien donc d’exemples allons-nous utiliser pour prouver que cela n’est pas ce que la nature a formé, mais ce que la bénédiction a consacré ?  La vertu de la bénédiction n’est-elle pas plus grande que celle de la nature, puisque, par la bénédiction, la nature elle-même est changée ?  Moïse tenait le bâton, il l’a projeté et il devint un serpent. »  Après avoir rappelé plusieurs miracles, ceux de Moïse, d’Élie et d’Élisée, il conclut : « Si la bénédiction a un pouvoir tel qu’elle peut changer la nature d’une chose, que dirons-nous de la consécration divine elle-même, où opèrent les paroles elles-mêmes du Seigneur Sauveur ?  Car, ce sacrement que tu reçois, est confectionné par la parole du Christ.  Si la parole d’Élie eut un pouvoir capable de faire venir le feu du ciel, la parole du Christ ne serait pas capable de changer la nature des éléments ?  Au sujet de toutes les créatures de l’univers, tu as lu : il a parlé et elles ont été faites.  Il a commandé et elles ont été créées.  La parole du Christ qui, à partir du néant, pouvait faire ce qui n’existait pas, ne peut pas changer ce qui est dans ce qu’il n’était pas ?  Créer de nouvelles natures  n’est pas plus difficile que  changer les natures. »
Il parle là avec tant de clarté d’une mutation réelle, qu’il serait trop impudent de le nier.  Un peu après, au même endroit, il prouve la même chose au sujet du mystère de l’incarnation : « Il est évident que c’est en dehors de l’ordre de la nature que la très sainte Vierge a enfanté.  Pourquoi, dans le corps du Christ,  cherches-tu un ordre de la nature, quand c’est en dehors des lois de la nature que Jésus a été enfanté par la très sainte Vierge ? »  Toutes ces choses-là auraient été dites pour rien s’il n’y avait aucune mutation réelle.  Si le pain ne devient pas réellement le corps du Christ, mais seulement significativement, quel besoin y avait-il de prouver que le corps du Christ ne peut pas se faire naturellement à partir du pain, comme il ne se peut  pas qu’une vierge enfante ?
Le troisième témoignage est tiré du même livre, celui des sacrements (chapitre 5), où i l prouve qu’on ne doit pas douter de la vérité (réalité) du corps du Seigneur.  Cette preuve serait superfétatoire si ce que pensent les adversaires était vrai.  Car personne n’a coutume de douter qu’un pain puisse être le corps du Christ significativement : « Le Seigneur  Jésus lui-même, dit-il , nous a certifié que c’est son corps et son sang que nous recevons. Devons-nous donc douter de sa véracité et de son témoignage ? »  Et, au même endroit, il dit, un peu plus bas : « Le prêtre te dit : le corps du Christ, et tu réponds : amen, c’est-à-dire, c’est vrai.  Ce que la langue confesse, que le cœur le garde ! »  Il est certain qu’il parle ici de ce qui est offert par les mains du prêtre. Or, si cela  n’est pas le corps du Christ,  saint Ambroise nous trompe, lui qui veut que nous confessions cela par la bouche et le cœur.  Et (au livre 6, chapitre 1), il dit : « Comme notre Seigneur Jésus-Christ est le vrai Fils de Dieu, non comme les hommes le sont par la grâce, mais comme un fils l’est de la substance de son père, c’est ainsi qu’est vraie, comme il l’a dit, la chair que nous recevons. »
Le quatrième témoignage, tiré du livre 1 sur saint Luc,  où commentant ces paroles du chapitre 1 («l’ange est apparu »), il dit : « Ne doute pas que l’ange ne soit présent quand est présent le Christ pour être  immolé. »  Si le Christ n’était pas réellement présent sur l’autel, mais seulement en figure, l’ange ne lui tiendrait pas compagnie.
Le cinquième témoignage est tiré du livre 3 sur le Saint-Esprit (chapitre 12).  Commentant le psaume 97 (« Adorez l’escabeau de ses pieds »), il dit : « Par escabeau, on entend la terre, et par terre, la chair du Christ, que nous adorons aujourd’hui, dans les mystères, et que, comme nous l’avons dit plus haut, les apôtres ont adorée en Jésus.  Ce passage n’admet aucune réplique.  Car, le livre est indubitable, et le sermon porte sur l’adoration de latrie.   Or, saint Ambroise dit ouvertement que c’est la chair unie au Verbe que nous adorons dans les mystères, c’est-à-dire dans l’eucharistie.
Réfutons brièvement les objections que tire de saint Ambroise Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, à l’objection 188 et aux suivantes.  La première objection  vient du chapitre 1 de la première épitre aux Corinthiens (commentaire 2). Saint Ambroise enseigne, selon lui, que la chair et le sang signifient les choses qui sont offertes pour nous; et que le calice mystique est le type du sang du Christ.
Je réponds que ces commentaires ne sont pas de saint Ambroise, et que, de toute façon, ils n’ont rien  qui nous soit contraire.  Nous avouons et même nous enseignons que l’eucharistie est un signe et un type de la mort du Christ, ou de la chair et du sang, comme ils ont été présents visiblement sur la croix, la chair clouée, le sang répandu.
Il nous objecte ensuite ces paroles  du chapitre 4 du livre 4 des sacrements : « Nous posons donc la question : comment ce qui est pain peut-il être le corps du Christ après la consécration ? »  Voici comment argumente Pierre le martyr à partir de ce texte : « Ce qui est pain est également le corps du Christ après la consécration.  Or, un pain ne peut pas être réellement un corps humain.  Il ne l’est donc que figurativement ».  Et il le confirme, cela, par les autres paroles qui se trouvent au même endroit : « S’il y a une telle vertu dans la parole du Seigneur pour que commence à être ce qui n’était pas, quelle plus grande force n’-a-t- elle pas pour que des choses soient ce qu’elles étaient et soient changées en une autre chose ?  C’est ainsi que nous voyons que le pain est changé dans le corps du Christ, tout en demeurant pain. »
Au premier texte, je réponds que saint Ambroise ne dit pas que le pain demeure après la consécration, mais plutôt qu’il ne demeure pas. Car, voici ses propres mots : « Comment ce qui est pain peut-il être le corps du Christ ? »  En voici le sens : « Comment ce qui est maintenant un pain peut-il être le corps du Christ ?  Et il répond : « Par la consécration. »  Car la consécration fait en sorte que ce qui était un pain avant la consécration soit un corps après la consécration.  Que ce soit bien le sens,  nous le montre clairement un passage des Mystères  (début du chapitre 9) : « Nous prouverons que cela n’est pas ce que la nature a formé, mais ce que la bénédiction a consacré. »  Tu vois bien, là, qu’il n’y a plus de pain après la consécration.  Bien plus, dans le même livre 4, chapitre 4 sur les sacrements, saint Ambroise dit : « Ce pain est du pain avant les paroles de la consécration.  Quand survient la consécration,  c’est du pain que devient la chair du Christ. »
À l’autre passage, a déjà répondu doublement autrefois Lantfranc, dans le livre contre Béranger.  La première façon.  On ne trouve pas, dans les manuscrits de saint Ambroise, les mots suivants : « Pour que soient les choses qui étaient. »  Mais voici ce qu’on lit : « Combien plus de vertu ne lui faut-il pas pour que les choses qui sont soient changées en une autre ? »  Cette version semble plus vraie parce que plus conforme au livre sur les mystères, chapitre 9, où nous lisons : « La parole du Christ qui a pu, à partir du néant,  faire exister ce qui n’existait pas, ne peut donc  pas changer les choses qui sont en ce qu’elles n’étaient pas ? »  Il répond ensuite que ces paroles : « pour qu’elles soient ce qu’elles étaient », ont le sens suivant : pour qu’elles soient ce qu’elles étaient selon l’apparence extérieure, mais soient vraiment changées selon la substance interne.
On peut répondre aussi que saint Ambroise a voulu dire ceci : si le Christ a pu faire quelque chose à partir de rien, pourquoi ne pourrait-il pas faire quelque chose à partir de quelque chose, en n’anéantissant pas ce qui était, mais en le changeant en mieux ?  Il n’a donc pas dit : car il faut que le pain demeure, mais ne soit pas annihilé, et demeure tout en étant changé.
La troisième objection vient du livre 4,  chapitre 5, sur les sacrements, du chapitre 8 sur l’initiation aux mystères, et au chapitre 9 sur la bénédiction des patriarches. Il dit là que ceux qui reçoivent le corps du Seigneur obtiennent la rémission des péchés.  Il en déduit  que le corps du Seigneur n’est pas reçu par les impies, et que, par conséquent, le corps n’est pas reçu par un instrument corporel, que possède aussi les impies, mais seulement par la bouche spirituelle, que ne possèdent pas les impies.  Mais ces objections ont été souvent réfutées.  En ce qui a trait  à lui, le corps du Seigneur apporte à tous la rémission des péchés, même si cela ne se produit pas chez tous à cause du manque de dispositions.
La quatrième objection est tirée du livre de l’initiation aux mystères (chapitre 9) : « Avant la bénédiction donnée par des paroles célestes, c’est une autre espèce qu’on nomme.  Après la consécration, c’est le corps du Christ qui est signifié. »  Et dans le livre 4, chapitre 4 sur les sacrements, il dit que nous buvons la similitude du sang précieux.  Et, au chapitre 5, il dit que l’oblation de l’autel est une figure du corps du Christ.   Et dans les devoirs, chapitre 48, il dit que dans la loi, il y a eu une ombre, dans l’évangile une image, et dans le ciel la réalité (vérité).
Je réponds que, dans les premières paroles citées,   le mot être signifié a le même sens que,  être appelé ou être dit.  Car, il ne parle pas de la signification des choses mais des paroles. Il n’enseigne pas non plus ce que l’eucharistie signifie, mais comment elle est appelée.  Le sens est donc :  Avant la bénédiction, c’est une autre espèce qui est nommée. C’est-à-dire que ce qui est sur l’autel est appelé du pain.  Après la consécration, c’est le corps du Christ qui est signifié.  C’est-à-dire que, à celui qui nous demande ce qu’il y a sur l’autel,  nous ne signifions plus  ou ne disons plus que c’est du pain, mais nous signifions ou disons que c’est le corps du Christ.  Voilà pourquoi, au même endroit, il dit : « Avant la consécration il était dit autre, après la consécration, il est appelé sang. »  Et pour les autres mots,  je reconnais que nous bubons une similitude du sang versé sur la croix, mais que, sous cette similitude, la réalité est contenue.  Car, saint Ambroise enseigne que ce n’est pas sous l’espèce du sang que nous buvons le sang,  de peur que nous ayons horreur du sang versé au calvaire.  Mais, dans la similitude du sang, c’est-à-dire, sous l’espèce du vin, qui a une ressemblance avec le sang.
Il n’est pas absurde d’appeler le  sacrement de l’eucharistie une figure du corps du Christ, en raison des espèces externes du vin.  Cependant, en cet endroit, saint Ambroise parle du pain avant la consécration, comme ses propres paroles le démontrent.  Ce n’est pas absurde non plus, avant la consécration,  d’appeler le pain une figure du corps du Seigneur, même s’il n’est pas encore un sacrement.  Car le pain a une analogie naturelle avec le corps du Christ.  Et, du fait qu’il est placé sur l’autel pour être consacré,  il commence déjà à représenter le corps du Seigneur, même s’il n’a pas encore reçu une signification sacramentelle.  Dans son livre sur les devoirs, saint Ambroise distingue l’image de la vérité non quant à la substance ou à la présence de la chose, mais quand à la connaissance qu’on en a.   Car, nous avons le Christ, mais dans des signes, et voilé par une image.  Or, dans le ciel, nous le verrons face à face, sans aucun signe.
On le comprend cela par ses propres paroles, quand il expliquait ce qu’il avait dit : « Donc, ici, nous marchons en image, nous voyons dans une image,  là-haut, face à face, là où est la pleine perfection, parce que toute perfection est dans la vérité (réalité) ».  Voilà pourquoi, un peu avant, en distinguant l’image de la réalité,  il dit : « Auparavant, l’agneau était offert, un veau était offert.  Maintenant, c’est le Christ qui est offert, mais il est offert comme un homme qui reçoit la passion. »
La cinquième objection est tirée  du chapitre 4, livre 5 des sacrements : « Ce n’est pas ce pain qui va dans le corps, mais le pain de la vie éternelle qui nourrit la substance de notre âme. »  Pierre le martyr déduit de ces paroles   que même un aveugle pourrait voir qu’il   ne pensait pas si stupidement du corps du Christ,  au point de s’imaginer qu’il entre dans notre corpos et en soit reçu.
Je réponds que saint Ambroise ne nie pas que le corps du Christ entre dans notre corps, mais il nie qu’il est converti en la substance de notre corps à la manière des autres nourritures. C’est ce que démontrent ces mots : « il nourrit la substance de notre âme. »  En voici le sens : ce pain ne va pas, ne passe pas dans le corps par la nutrition, mais refait notre âme.  Autrement, comment pourrait-il nier que le corps du Christ entre vraiment dans notre corps,  puisqu’il a dit, dans le sermon sur sainte Agnès : « Son corps est déjà uni à mon corps. » Et puisqu’il a enseigné si clairement en tant de lieux que ce que nous recevons, quand nous recevons l’eucharistie, c’est la vraie chair du Seigneur ? »  Cela devrait suffire.
                                                   CHAPITRE 15
                            Le témoignage de saint Basile le grand
Saint Basile a été un contemporain de saint Ambroise.  Dans le chapitre 2 de son livre sur le baptême, il dit : « Si de telles menaces sont proférées envers ceux qui se présentent témérairement aux choses sacrées qui ont été sanctifiées par les hommes,  que dire de celui qui se présente témérairement à un si sublime mystère ?  Ce qui est dans le temple est plus grand que le temple, selon la parole du Seigneur.   Recevoir témérairement  le Christ en état d’impureté est plus grave et plus terrible que se présenter à des sacrifices d’agneaux ou de bœufs. »  En cet endroit, saint Basile enseigne que pèche plus gravement celui qui reçoit indignement le corps du Christ que celui qui mangeait  indignement les agneaux ou les bœufs immolés.  D’autant que le Christ est plus grand, non seulement que les boucs ou les taureaux, mais que le temple du Seigneur.  Or, il est certain que cette phrase ne peut être vraie que si, dans l’eucharistie, est réellement présent le corps du Christ.
Car, entre le Christ et les boucs ou les taureaux qu’on avait coutume d’immoler, la différence est infinie.  Or, selon nos adversaires, entre le pain de l’eucharistie, et les boucs ou les bœufs, il n’y a aucune différence.  Ou, s’il y en a une, les boucs seront  plus excellents que l’eucharistie, comme nous l’avons démontré plus haut.  Or, saint Basile affirme que ceux qui traitent indignement l’eucharistie pèchent d’autant plus gravement que ceux qui traitaient indignement les animaux immolés;  que le  Christ est plus grand que les sacrifices, et que le temple.
Pierre le martyr (dans le livre contre Gardinerus, par 4), dit que saint Basile fait des efforts, mais qu’il se prend lui-même au filet, et, dans cette page,  milite honteusement contre lui-même.  Il dit d’abord, que saint Basile comparait ainsi l’eucharistie avec les sacrements anciens.  Il met, d’une part, des symboles nus, c’est-à-dire dans les sacrements des anciens,  et d’autre part,  la chose elle-même, sans faire aucune mention de symbole, c’est-à-dire, dans notre eucharistie.  Il veut donc, dans cette comparaison de saint Basile, signifier le corps du Christ proprement dit.  Car, c’est ce qui est pour lui la chose, et la réalité du sacrement, pour qu’elle soit opposée au symbole externe.  Mais parce que saint Basile dit que le Christ est reçu par les indignes,  les indignes ne reçoivent pas la chose du sacrement, mais, selon les adversaires, des symboles nus.  Voilà pourquoi Pierre le martyr ajoute un peu après que saint Basile parle des symboles de l’eucharistie, qui sont seuls reçus par les impies, et que ce sont ceux-là qu’il compare avec les symboles anciens.
Je réponds que toutes ces choses se contredisent, et que l’une détruit l’autre.  Et de plus, ses deux affirmations sont fausses.   Qu’elles se contredisent, je le montre ainsi.  Quand saint Basile nomme le corps du Christ dans cette comparaison avec les sacrifices anciens,   il parle soit du vrai corps du Christ, ou soit  d’un corps figuré.  S’il parle d’un vrai corps du Christ, ce qu’il dit après sera donc faux, quand il affirme que saint Basile parle des symboles qui ne sont reçus que par les impies.  Si c’est un corps symbolique, sera donc faux ce qui a été dit de lui, quand  il a affirmé que saint Basile avait comparé la chose elle-même, c’est-à-dire le corps du Christ,  avec les symboles anciens.  Que les deux affirmations de Pierre le martyr soient fausses, je le prouve ainsi.  Saint Basile ne compare pas avec les sacrifices anciens seulement le vrai corps du Christ, selon la première affirmation de Pierre le martyr.  Car, les impies ne reçoivent pas vraiment le corps du Christ, selon les adversaires.   Et ils ne reçoivent pas non plus ce corps en dehors des symboles, comme le font les catholiques.  Or, saint Basile dit que ce corps est reçu  par les impies.  Il ne parle donc pas du seul véritable corps du Christ.
Ajoutons que saint Basile n’aurait ni du ni pu comparer les anciens sacrements avec l’eucharistie  de façon à ne mettre qu’en eux des signes nus, et dans l’eucharistie, le vrai corps, puisque, selon les adversaires,  les uns et les autres sacrements contiennent  de la même façon le corps du Christ.  Ou plutôt, les anciens sacrements l’auraient mieux contenu que les nouveaux, car, ils représentaient mieux.  Saint Basile ne compare pas l’eucharistie avec les sacrifices des anciens seulement ---ce qui était la deuxième affirmation de Pierre le martyr—car, à eux seuls, les symboles de l’eucharistie ne sont pas supérieurs aux sacrifices des anciens, mais leur sont même inférieurs, comme nous l’avons déjà démontré.  Et cependant, en ce passage, saint Basile parle du vrai corps du Christ,  en tant qu’il est vraiment et réellement  contenu sous l’espèce du pain.  Et ainsi, tout concorde.    Car, ce corps l’emporte, d’une distance infinie, sur tous les sacrifices anciens, et est vraiment reçu par les impies par un instrument corporel.
Et on confirme l’argument par les paroles suivantes de saint Basile  au même endroit : il avertit les futurs communiants de se purger complètement de leurs péchés avant de recevoir l’eucharistie, pour qu’ils ne tombent pas dans le péché de ceux qui ont tué Jésus.  Car, cette comparaison de ceux qui communient indignement avec ceux qui ont tué le Christ,  nous force vraiment à comprendre  que le corps du Christ est vraiment et réellement contenu dans l’eucharistie.  Car  ces péchés sont comparés entre eux parce que l’un et l’autre atteint le Christ dans sa personne. Et le Christ, non comme il est au ciel, mais comme il est dans l’eucharistie.  Les impies, en effet, ne peuvent pas atteindre le Christ comme il est dans le ciel, mais seulement comme il est dans l’eucharistie.
Autre témoignage de saint Basile (livre sur le Saint-Esprit, chapitre 7) : « Les paroles de l’invocation quand on montre le pain de l’eucharistie, qui, parmi les saints, nous les a légués par écrit ? » On nous explique donc ici que l’église ancienne avait la coutume, après la consécration, de montrer au peuple l’eucharistie.  Ce qui se fait encore aujourd’hui.   Une invocation se faisait avec des mots choisis de plus longtemps, que l’on soupçonne être : kyrie eleison. Or,  on peut certainement déduire de cette invocation la présence réelle du Christ dans l’eucharistie.  Car, on ne peut pas invoquer un pain quand il ne fait que signifier ou représenter le corps du Christ.
Au même endroit, saint Basile dit, en parlant des mystères, qu’il n’est pas permis aux non initiés de les contempler.  Or, on ne pourrait certes apporter aucune raison valable qui explique pourquoi on ne permettait pas aux infidèles de contempler l’eucharistie  si elle n’était rien d’autre qu’un signe.  Car on prêchait publiquement la chose signifiée, c’est-à-dire la passion du Christ;  et, presque à chaque jour, quand on signait les catéchumènes  du signe de la croix,  on leur inculquait le signe le plus manifeste  de la passion.  Ceux qui concédaient des signes si clairs, pourquoi refusaient-ils un signe plus obscur ?
Voici maintenant les objections que nous font nos adversaires avec des textes de saint Basile.  Dans sa liturgie, il appelle l’eucharistie antitypa, (antitype) figure du corps du Christ.  Pierre le martyr a beaucoup écrit là-dessus (dans son livre contre Gardinerus, objection 185).  À cette objection, on donne trois réponses.  Mais les deux premières ne me paraissent pas très solides.  La première.  Le mot antitype n’est pas toujours employé au sens de figure, mais parfois aussi, au sens d’exemplaire.  Dont saint Pierre fournit un exemple (première épitre, chapitre 3).  Le baptême est appelé là antitypon du déluge, alors que c’est le déluge qui était la figure du baptême, et non le baptême la figure du déluge.  Ils disent donc que c’est dans ce sens que l’eucharistie est appelée antitype par saint Basile, en tant qu’elle est un exemplaire des figures anciennes.
Mais cette opinion est vite rejetée.  Car le mot antitype (comme nous l’avons remarqué au premier livre des sacrements en général)  n’est jamais employé dans le sens d’exemplaire mais d’une image, qui, d’une région, répond à l’exemplaire.  Cet exemplaire elle l’imite au point de rivaliser avec lui.  Comme est proprement appelée antitype l’image que reflète un miroir, au moment ou quelqu’un se regarde dans le miroir, car le miroir représente  un être vivant avec une telle perfection, qu’il semble vraiment rivaliser avec la nature.  Et c’est ce sens qu’ont les paroles de saint Paul aux Hébreux (1X) et d’autres auteurs.   Saint Pierre (1 Pierre 111)  ne leur donne pas un autre sens.  Car, d’une certaine façon, le baptême est l’exemplaire, et d’une autre façon,  il est l’image du déluge, et c’est en tant qu’image, non en tant qu’exemplaire, qu’il est appelé par saint Pierre l’antitype du déluge.  Car, si nous considérons l’ordination divine, le déluge est une figure du baptême,  et non le baptême une figure du déluge.   Car, Dieu n’a pas institué le baptême pour qu’il représentât le déluge. Au contraire,  Dieu a introduit le déluge dans le monde pour différentes causes, mais aussi pour qu’il représente le baptême.
Or, si nous considérons la ressemblance naturelle, c’est plutôt le baptême qui est une image du déluge que le déluge une image du baptême.  Car le déluge a plus proprement et plus vraiment suffoqué les hommes impies que le baptême ne suffoque les péchés.  La suffocation du déluge a été réelle et véritable, celle du baptême métaphorique seulement.  Mais, cependant,  c’est  parce que l’effet du baptême est très ressemblant, l’iniquité étant suffoquée dans le baptême, et les impies dans le déluge, que saint Pierre a appelé le baptême l’antitype du déluge.  De plus.  Bien que le mot antitype puisse avoir le sens d’exemplaire,  nous n’aurions pas un grand profit à en tirer.  Car, saint Basile ne dit pas que l’eucharistie est l’antitype des anciens testaments, mais du corps du Seigneur. Voilà pourquoi il semble certain que saint Basile n’a pas pris ce mot au sens d’exemplaire, mais plutôt d’une image imitant l’exemplaire.
L’autre réponse est la suivante.   Saint Basile a appelé l’eucharistie l’antitype du corps du Seigneur, mais avant la consécration, non après.  C’est ce que répondait autrefois saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 14, sur la foi), et saint Épiphane (7 synode, acte 6, tome 3).  Mais cette réponse suscite beaucoup de difficultés.  Car, dans la liturgie de saint Basile, nous trouvons que même après la consécration,  le pain de l’eucharistie est appelé l’antitype du corps du Seigneur.  Il faudrait  donc que saint Jean Damascène et Épiphane aient   pensé que l’eucharistie n’était pas consacrée par les paroles : ceci est mon corps, mais par celles qui sont placées après.  Ce qui est encore moins probable.  Nous en reparlerons au quatrième livre de la controverse sur les paroles qui produisent le sacrement.
Ajoutons que même si saint Basile n’avait pas appelé l’eucharistie l’antitype du corps du Christ après la consécration, Theodoret le fait clairement (dans son dialogue 1), ainsi que l’égyptien Macaire, (homélie 27), et Denys l’aréopagite (chapitre 3 de la hiérarchie ecclésiale), et saint Grégoire de Naziance, dans son sermon sur Gorgonius.
Il y a donc une troisième solution.  On a raison d’appeler l’eucharistie, même après la consécration, un antitype du corps et du sang du Christ, non seulement parce que les espèces du pain et du vin sont des signes du corps et du sang du Christ qui existent là en toute réalité, mais aussi parce que le corps et le sang du Seigneur, en tant qu’ils sont sous des espèces, sont des signes du corps et du sang comme ils furent à la croix.  L’eucharistie ne représente-elle pas la passion du Christ ?  Saint Basile et les autres pères appellent donc  l’eucharistie figure, type ou antitype  parce que, comme nous l’avons dit,  un antitype ne se dit pas de n’importe laquelle figure, mais de celles seulement qui ne différent en rien de la chose réelle.
Si on enlève la présence réelle du corps du Seigneur, le pain et le vin ne représenteront pas au vif le corps et le sang, et ne pourront donc pas être appelés antitypes. L’agneau pascal les représenterait beaucoup mieux.  Et pourtant, on ne l’appelait pas antitype, mais type.  Or, si, sous l’espèce du pain  se trouve vraiment le corps du Christ, l’eucharistie sera alors vraiment un antitype du corps immolé sur la croix.  Voilà pourquoi saint Jean Chrysostome (dans son homélie 17 sur l’épitre aux Hébreux) disait que l’eucharistie est un type ou une figure du sacrifice de la croix.  Et, cependant, au même endroit, il soutient que c’est le même Christ qui est offert maintenant, que celui qui avait été offert sur la croix.  Exemple.  Après avoir terminé glorieusement une grande guerre, un roi qui veut représenter sur scène cette même guerre pour le plaisir du peuple,  se représenterait  sur la scène  en combattant lui-même.  Il serait alors un antitype de lui-même.
Nous avons la même chose dans les autres représentations du Christ.  Quand il se retira pendant trois jours, et ne fut retrouvé que le troisième jour dans le temple, il voulut signifier, selon saint Ambroise (Luc, chapitre 2) qu’il serait caché pendant trois jours dans un sépulcre, et qu’il ressusciterait le troisième jour.  Et, en Matthieu 17, quand il se transfigura sur la montagne devant les prophètes et les apôtres, il a voulu signifier qu’il serait vu ainsi, dans la gloire céleste, par tous les saints de l’ancien et du nouveau testament.  Ce n’est donc pas une seule fois qu’il  a été une image ou un type de lui-même.
                                                  CHAPITRE 16
                       Le témoignage de saint Grégoire de Nysse
Saint Grégoire de Nysse,  le frère de saint Basile, nous offre un insigne témoignage qui nous permet, si un doute surgissait à ce sujet, de comprendre ce que saint Basile pensait. Il a été prouvé que dans les choses qui relèvent de la foi, saint Grégoire de Nysse ne diffère en rien de saint Basile.  Or, dans la vie de Moïse, où, traitant de la manne, il compare cette nourriture  à l’eucharistie, il dit ceci de l’eucharistie : « C’est un pain qui nous est préparé sans ensemencement, sans labourage, et sans aucun labeur humain.  Il provient du ciel et on le trouve sur la terre.   Car, c’est le pain qui est descendu du ciel, qui est une vraie nourriture, qui est signifié énigmatiquement par cette histoire, non une chose incorporelle.  De quelle façon une chose incorporelle deviendrait-elle une nourriture  pour le corps ?  Une chose qui n’est pas incorporelle est un  tout à fait un corps. »
Nous avons ici deux choses qui excluent toutes les explications qui peuvent être imaginées par nos adversaires.   La première.   Saint Grégoire dit que le pain de l’eucharistie survient sans semailles, sans labours,  et sans aucun labeur humain.  Ce qui ne convient certes pas au pain de froment.  Il parle donc du vrai corps du Christ, auquel toutes ces choses conviennent.  La deuxième.  Il dit que le même pain est mangé par le corps.  Il ne parle donc pas du corps du Seigneur comme il est dans le ciel, et qui n’est reçu que par la foi, mais du vrai corps, comme il est dans l’eucharistie.
De même, saint Grégoire de Nysse, dans son sermon catéchétique (aux chapitres 36, et 37), a dit  plusieurs choses qui se rapportent expressément à la présence réelle de Jésus dans ce sacrement.  Il est cité par Euthymius (dans panoplie, part 2, titre 21), et par Bessarion (dans son livre sur les paroles de la consécration).  Il dit, entre autres, et répète souvent  que, par l’eucharistie, le corps du Christ immortel est uni  à notre corps mortel, et rend notre corps immortel, c’est-à-dire qu’il fait en sorte qu’il ressuscite glorieux et immortel.  Comme, dit-il, un peu de levain rend toute la masse du pain semblable à lui, ainsi en est-il du corps du Christ, qui a été fait par Dieu immortel. En entrant dans notre corps, il le transfert totalement en lui,  et le change (commute). Comme une chose pestifère mélangée à une chose salubre a un effet pernicieux, de la même façon, un corps immortel rend semblable à une nature immortelle tout ce en quoi il  est reçu.  Et plus bas : « Il est uni aux corps des fidèles, pour que par cette union avec quelque chose d’immortel, l’homme devienne participant de l’immortalité. »
Il se demande ensuite comment il est possible à un corps d’être reçu dans  la communion par   la totalité du monde, et de demeurer toujours intègre.  Cette question serait d’une grande absurdité si le Christ n’était mangé que figurativement.  On ne pourrait, en effet, trouver aucune difficulté à le concevoir. « Il faut se demander, dit-il, comment il peut se faire que quand ce  corps unique  est, par des milliers de fidèles, constamment reçu sur toute la terre, et mangé morcelé et émietté, il demeure entier, vivant et indemne. »
Troisièmement, il répond à la question en disant que le pain qui est posé sur l’autel, est changé en la chair du Christ, et que c’est pour cela que tous ceux qui se nourrissent de ce pain, reçoivent vraiment la chair du Christ, sans qu’elle ne souffre aucune lésion.  Ce qui est une réponse très vraie et très juste.  Car, ce qu’il veut dire, c’est que pour que  nous ayons et mangions la vraie chair du Christ, il n’est pas nécessaire que le Christ descende du ciel, mais que, demeurant sain et sauf dans le ciel, le pain, à chaque jour, soit transformé en sa chair,  et soit, dans cet état, mangé par tous.
Qu’il ne parle pas du changement du pain en la chair par la seule signification, comme les adversaires ont coutume de l’enseigner, mais d’un changement vrai et réel, on le conclut de la question elle-même qui serait inepte s’il n’était question que d’un changement de signification.  On le conclut aussi de l’explication donnée.  Car, il dit que le pain est changé en la chair du Christ par la vertu de ses paroles, comme quand il vivait sur la terre, le pain dont il se nourrissait était changé en sa chair.  On le conclut, en troisième lieu, de ce qu’il dit que cette mutation s’opère  par la vertu divine de la divine bénédiction.  Or, pour changer une signification, aucune vertu n’aurait été requise.
Voici quelles sont ses paroles : « Ce corps divin recevant la nourriture du pain était semblable à cette nourriture changée dans la nature de son corps. »  Et plus bas : « Voilà pourquoi c’est avec raison que nous croyons que le pain qui est sanctifié maintenant par la parole de Dieu est changé dans le corps du Verbe de Dieu. »  Et plus bas : « Il a attribué cela à la vertu de la bénédiction des choses qui semblent être du pain et du vin,  en changeant les natures. »  Ces témoignages sont si évidents que, autant que je sache, aucun adversaire ne s’est levé pour  objecter quelque chose à cet auteur.
                                                   CHAPITRE 17
                 Le témoignage du bienheureux Optatus de Milet
Optatus de Milet a vécu à la même époque que saint Ambroise et saint Basile, comme nous le montre son livre 2 contre Parmenianus.  Il dit, dans ce livre, qu’il a vécu au temps du pape Siricius, qui a été le successeur de saint Damase.  Il dit ainsi : « Y a-t-il un plus grand sacrilège que d’enlever, briser, éliminer les autels de Dieu sur lesquels vous avez, vous aussi,  fait des offrandes ? Ces autels sur lesquels sont placés les dons du peuple et les membres du Christ,  d’où sont reçus pour beaucoup le gagne du salut éternel, l’assurance de la foi, et l’espoir de la résurrection. »  Et plus bas : «  Qu’est-ce qu’un autel si ce n’est le siège du corps et du sang du Christ ? »  Et, plus bas encore : « En quoi le Christ vous avait-il offensé,  lui dont le corps et le sang habitait là à certains moments ? »  Et encore plus bas : « On doit pleurer le crime inhumain que vous commettez  quand vous brisez les calices porteurs du sang du Christ. »
On peut prouver de plusieurs façons que  par le corps du Christ qui demeure sur l’autel, comme il le répète souvent, il n’entend pas un corps fictif, figuratif,  mais véritable et réel.  C’est-à-dire, non seulement un pain qui représente un corps, mais le corps du Christ  véritable et proprement dit.  Il le répète cela un si grand nombre de fois, et il ne lui est pas arrivé une seule fois de déclarer que c’est le signe du corps du Christ qui demeure sur l’autel, ou qui est offert.  Il parle toujours du corps du Christ ou des membres du Christ.
On le prouve par le fait qu’il dit  que le Dieu tout puissant  est invoqué sur l’autel, et que le Saint-Esprit descend sur ce même autel.  Ce qui ne peut se rapporter qu’à la consécration.  Dans toutes les anciennes liturgies, nous voyons que le Saint-Esprit est invoqué pour qu’il descende, et transmute le pain dans le corps du Christ.  On ne peut donner, à cette descente du Saint-Esprit, d’autre raison  que la confection du sacrement. À quoi peuvent bien servir cette descente et cette invocation du Tout-puissant,  si rien de surnaturel ne doit se produire ?
On le prouve aussi par le fait qu’Optatus appelle l’eucharistie le gage du salut, la garante ou la protectrice  de la foi,  et l’espoir de la résurrection.  Il fait allusion à ce que des anciens pères comme saint Irénée, saint Hilaire, saint Cyrille, saint Grégoire de Nysse et d’autre avaient coutume de dire.  Notre corps est uni au corps du Christ d’une façon telle qu’il en tire une vertu capable de procurer l’immortalité bienheureuse.
On le prouve enfin ainsi. Il qu’à certains moments, le corps et le sang du Christ  habitent sur l’autel. S’il n’avait parlé que du signe du corps, il n’aurait pas dit « à certains moment », mais toujours.  Car, sur l’autel, la croix a toujours coutume de demeurer, comme saint Chrysostome l’atteste dans son sermon sur ce qu’est le Christ, ainsi que sur les clochers, les murs et les vases.  Or, la croix est un signe de Jésus crucifié.
                                                       CHAPITRE 18
                          Le témoignage de saint Grégoire de Naziance
Saint Grégoire de Naziance  vécut à la même époque que les pères précédents.
Dans son deuxième sermon sur Pâque, il dit ceci : « Sans hésitation et sans doute, mange le corps, bois le sang, si du moins te tient le désir de vivre.  Ne renie pas la foi à cause des sermons qui traitent de la chair, et ne soit pas scandalisé par la passion.  Sois constant, ferme, stable.  Ne fluctue en aucune manière à cause des discours des adversaires. »  Il exhorte là à garder la foi dans un si grand mystère, même si les adversaires, c’es-à-dire les philosophes païens rient quand nous disons que nous mangeons la chair du Christ.  Cette exhortation aurait été superflue si nous ne mangions qu’en signe la chair du Christ.
Pierre le martyr répond que saint Grégoire parle de la foi dans la passion du Christ,  et qu’il exhorte les chrétiens à croire que le Christ a eu une vraie chair, et est vraiment mort, et que c’est  de cette façon que  la chair du Christ est mangée spirituellement.  Je réponds.  Saint Grégoire de Naziance ne disputait pas, dans ce texte, de l’eucharistie, dont la figure a été la manducation de l’agneau pascal, mais il explique divers rites utilisés par les Juifs pour la manducation de l’agneau pascal; et il les accommode ces rites à la manducation de l’eucharistie.  Et parce que, parmi les rites des Juifs, il y en avait un qui voulait qu’ils mangent appuyés sur un bâton, il explique que ce bâton signifie que nous aussi nous devons être fermes et stables, et que c’est sans aucune hésitation et sans aucun doute que nous devons manger la chair du Christ et boire le sang du Christ.
On trouve un autre témoignage dans son sermon sur la mort de sa sœur, Gorgonia.  Il raconte là que quand Gorgonia était atteinte d’une maladie incurable, elle s’est levée la nuit, est entrés dans un temple, s’est agenouillée devant l’autel où était le très saint sacrement, et a été guérie sur-le-champ : « Elle s’est prosternée devant l’autel en invoquant avec de grand cris, celui qui est adoré sur l’autel. »  Qu’est-ce qui est adoré sur l’autel ?  Il ne peut y avoir aucun doute, puisque les chrétiens n’y placent que du pain et du vin qui doivent être changés dans le corps et le sang du Christ.   Voilà pourquoi, Optatus, cité plus haut, appelait l’autel le siège du corps du Christ.
Pierre le martyr s’est beaucoup servi de ce texte, comme on le voit dans son livre contre Gardinerus (objection 38).  Il s’efforce d’abord de montrer que ce texte lui est favorable.  Et il affirme que, sur l’autel, le Christ est adoré, mais dans un symbole, comme il est signifié dans un symbole.  Je réponds.  S’il en est vraiment ainsi,  les sacramentaires se trompent qui nient cela.   S’il n’en est pas ainsi, il est donc permis de se prosterner devant des symboles, et d’adorer là le Christ absent.   Il est donc permis de vénérer l’eucharistie et les images du Christ.  Et ce n’est pas de l’idolâtrie, comme ils le crient sur tous les toits.
Non satisfait de cette réponse, Pierre le martyr dit ouvertement ce qu’il pense, et dit que cette femme était peu instruite dans la religion chrétienne; que ce qu’elle a fait était un abus ou une superstition, puisque l’autel du christ et le sacrement ne doivent servir qu’à la sainte cène.  Mais l’autorité de saint Grégoire la défend pleinement contre les accusations de cet apostat impie.  Ne dit-il pas qu’elle était très sainte et excellente ? Il ajoute même qu’elle était très renseignée sur les commentaires  des livres de l’ancien et du nouveau testament. Et il donne la preuve des preuves en racontant qu’elle a été, par un miracle éclatant,  guérie instantanément de sa maladie incurable.  Qui pourrait jamais croire qu’un abus ou une superstition puisse être la cause d’un tel miracle ?  Ajoutons que si c’est un signe d’ignorance ou de superstition d’appeler autel la table du Seigneur, et d’adorer le Christ dans l’eucharistie,  ce n’est pas seulement Gorgonia qu’il faut traiter d’ignorante et de superstitieuse, mais saint Grégoire lui-même.  Car c’est lui-même qui donne le nom d’autel à la table sainte, et qui dit que le Christ est adoré sur l’autel.  Les mots suivants sont de Grégoire, non de Gorgonia : « Elle s’est prosternée avec foi à  l’autel, devant celui qui y est adoré, le suppliant à grand cris ».
                                                   CHAPITRE 19
                                   Le témoignage de saint Éphrem
Saint Ephrem fut égal aux pères dont nous venons de parler. Il a été un ami de saint Basile, et jouissait d’une telle autorité que ses écrits étaient  lus publiquement dans les églises après les divines Écritures, comme l’atteste saint Jérôme dans son catalogue des écrivains ecclésiastiques.  Dans son livre sur la nature de Dieu qu’on ne doit pas scruter, saint Ephrem dit : « Pourquoi scruterais-tu  ce qui est inscrutable ?  Si tu recherches ces choses avec curiosité, on ne t’appellera plus un fidèle, mais un curieux.  Sois fidèle, et participe comme un homme innocent au corps immaculé de ton Seigneur,  avec une foi entière, étant certain que tu manges l’Agneau entier.  Les mystères du Christ sont un feu immortel.  Ne les scrute pas avec témérité, pour que tu  ne sois pas  consumé par leur scrutation. »  Et plus bas : « Ce que le Fils Christ notre Sauveur a fait pour nous transcende  toute admiration, tout esprit, toute parole. Il nous a donné un feu et un esprit à manger et à boire, c’est-à-dire son corps et son sang. »
À ce témoignage, les adversaire ne répondent rien, et ne peuvent rien répondre.  Car, la difficulté à croire, l’inscrutabilité du mystère,  et le miracle qui transcende tout esprit (trois choses qui, selon saint Éphrem se rapportent à ce sacrement)  témoignent plus clairement que la clarté du jour que, dans l’eucharistie, il n’y a pas de pain matériel, qui ne ferait que signifier le corps du Christ, mais est présent le vrai corps du Seigneur.  Ajoutons que saint Ephrem a parlé d’une certaine antithèse.   Car, il dit qu’il est admirable  que des anges qui sont incorporels, mangent, dans un corps assumé, des nourritures corporelles.  Mais, qu’il est encore plus admirable  que nous qui sommes des hommes corporels faits de boue, nous mangions le feu et l’esprit, c’est-à-dire le corps céleste du Christ.  Or, il n’y aurait aucun raison d’admirer si nous ne mangions qu’en signe le corps du Christ.  Bien  plus, la manducation des anges aurait été beaucoup plus admirable que la nôtre.
                                                    LE CHAPITRE 20
                                                     Saint Épiphane
Saint Épiphane est égal à tous les plus grands.  Il fut même un ami de saint Athanase, même s’il  lui a survécu, à lui et aux autres.  Dans son ancorato, vers le milieu,  il voulait enseigner que l’homme avait vraiment été fait à l’image de Dieu, bien que n’apparaisse pas facilement en quoi consiste cette ressemblance de l’homme avec Dieu, puisque  l’homme est corporel, fini et changeant, et Dieu incorruptible, infini et immuable.  Il dit alors qu’il y a beaucoup de choses qui sont autres que ce qu’elles paraissent être.  Et il donne pour exemple l’eucharistie.  Elle est le vrai corps du Christ, mais on ne voit rien qui se rapporte  à un corps; et ce qui apparait à l’extérieur est rond, insensible, et donc tout fait différent d’un corps humain, à plus forte raison de celui du Christ. «  Nous voyons, dit-il que le Sauveur s’est pris lui-même dans ses mains, comme le rapporte l’évangéliste, qu’il s’est levé de table, qu’il a pris un pain, et qu’il a dit après avoir rendu grâce : « Ceci est mon corps » « ceci est mon sang. »  Or, nous voyons ce qui n’est pas semblable à un corps, qui ne ressemble rien à une chair, ni à la divinité indivisible, ni aux  membres d’un corps.  Car, ce « ceci » est rond, insensible, impuissant.  Et il a voulu dire par grâce : ceci est mon…ceci, ceci.  Et il n’y a personne qui ne prête pas foi à la parole.  Car celui qui ne croit pas que c’est vraiment lui, sort de la grâce et du salut. »
Ce passage est des plus convaincants. Car, en disant qu’il faut croire que c’est vraiment lui, saint Épiphane exclut le trope, d’autant plus qu’il ajoute qu’il sort de la grâce et du salut celui qui n’y croit pas.  Et en ajoutant qu’il faut croire à ce qui répugne aux sens, il déclare clairement qu’il ne parle pas de la signification, mais de la chose elle-même.  Car, les sens non seulement ne répugnent pas à croire que les sacrements signifient quelque chose, mais ils aident à le croire.
Les adversaires répondent, et surtout Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus objection  186) que saint Épiphane parle de la représentation du corps du Seigneur, et qu’il veut dire que le pain de l’eucharistie est vraiment le corps du Christ par la représentation, puisqu’aucune similitude n’apparait entre le pain et le corps du Christ.  C’est le plus qu’il peut déduire des paroles de saint Épiphane, qui a dit que le pain est le corps du Christ.  Car, il affirme que ce que le Seigneur a pris dans ses mains, qui était rond et insensible, a été appelé son corps par le Christ, par grâce.  Car, un pain rond et insensible, c’est-à-dire un vrai pain matériel ne peut être le corps du Seigneur que figurativement.
On peut facilement réfuter cette objection par deux considérations.  La première.   Ce n’est pas sans raison que, dans sa comparaison de l’eucharistie avec l’homme, il a changé la conclusion.  Car, quand il disait que l’homme était l’image de Dieu, même si aucune similitude n’apparait entre l’homme et Dieu, il aurait du dire conséquemment que le pain de l’eucharistie est une image du corps du Seigneur, même si aucune similitude n’apparait entre l’eucharistie et le vrai  corps du Christ.  Et il est certain qu’il n’aurait pas dit de l’homme qu’il est le vrai Dieu, comme il la dit de l’eucharistie qu’elle est un vrai corps.  Et pourtant, étant son image,  un homme n’est pas moins Dieu par la représentation que, pour nos adversaires, l’eucharistie n’est un vrai corps figurativement.  Pourquoi donc cette mutation, si ce n’est pour que nous comprenions que l’eucharistie n’est pas conférée  en tant qu’image, mais en tant qu’en elle est contenu le corps du Seigneur.
On réfute également ainsi l’objection des adversaires.  Si saint Épiphane avait voulu seulement dire que le pain de l’eucharistie est le vrai corps du Christ, selon la représentation,  son exemple n’aurait servi à rien.   Car, les sacrements sont des signes qui représentent une chose sacrée, mais non sous la forme des couleurs ou des figures, comme figurent les images peintes ou sculptées.   Mais ils représentent en partie comme des signes, en partie par l’analogie naturelle qui existe entre les effets de ces signes et de la chose signifiée.  Comme les mots sont aussi les signes des choses,  et le lierre est le signe du vin.  Voilà pourquoi il n’y a rien de nouveau et d’admirable dans le fait  que le sacrement de l’eucharistie représente le Christ, même si, en tant que figure et forme, il ne lui soit pas égal.  Car, il ne représente pas en tant qu’image.   Il  serait un peu cinglé celui qui s’étonnerait de ce que des paroles puissent être des signes des choses, alors qu’elles ne leur sont pas semblables en figure et en couleur, ni égales par la grandeur. Il l serait aussi un peu cinglé celui qui s’étonnerait de ce que le pain de l’eucharistie puisse représenter le Christ, alors qu’il ne lui est pas égal, ni n’a les membres du corps du Christ.
Saint Épiphanie présente alors comme exemple, une autre chose admirable et qui ne peut être comprise que par la foi, à savoir que le pain de l’eucharistie soit dit être vraiment le corps du Christ, alors qu’il ne lui est ni semblable ni égal,  ni n’a de rapport avec aucun membre du corps.  Saint Épiphane ne parle donc pas  d’un pain qui représente le corps du Seigneur, mais d’un vrai corps, qui est vraiment présent dans l’hostie sacrée, que nous voyons avec nos yeux, et que nous touchons avec nos doigts, même si les autres sens protestent.
À l’argument de Pierre le martyr, je réponds que saint Épiphane n’a jamais dit que le pain matériel était le corps du Christ.  Il a dit seulement que, après avoir pris le pain, il rendit  grâces, et fit l’eucharistie en disant : ceci est mon corps.  Le pronom démonstratif « ceci » ne montre pas le pain, mais ce qui était dans les mains du Seigneur, ou ce qui était contenu sous les espèces, comme nous l’avons déjà dit : ce qui avant était du pain est, après les paroles de la consécration, le corps du Seigneur.
Mais, rétorque Pierre le martyr, c’est cette chose qu’il appelle ronde et insensible, qu’il affirme  être le corps du Seigneur.  Or, cette chose est, sans aucun doute, du pain.  Je réponds que cette chose ronde et insensible n’est plus, en cet endroit, du pain, mais une autre sorte de pain.  Car, Épiphane veut dire que l’eucharistie sacrée est vraiment le corps du Seigneur, même si, extérieurement, il est rond et insensible, et a toutes les apparences d’un vrai pain.  Je dirais même, je dirais plus que toute la sentence de saint Épiphane consiste en ceci : on doit croire que c’est le vrai corps du Seigneur que nous recevons dans le sacrement de l’eucharistie, même si nous ne voyons rien d’autre que les accidents d’un pain matériel.
                                                    CHAPITRE 21
                        Le cinquième âge de l’église : de 400 à 500
C’est au début du cinquième siècle que vécut le bienheureux Gaudence, comme nous le montre son sermon sur la dédicace de la basilique du concile des martyrs. Il dit, là, qu’il a reçu certaines reliques par des neveux de saint Basile.  Et quelques années avant, il rapporte qu’ont été trouvés par saint Ambroise  les corps de saint Gervais et de saint Protais.  Dans son traité 2 sur l’Exode, cet illustre auteur dit que, « dans l’ancien testament, il n’y avait pas un seul agneau pascal pour tous les Juifs, mais plusieurs, chaque famille tuant le sien et le mangeant, car  cet agneau était une figure, non une vérité (réalité).  Or, dans notre vérité, un seul est immolé et mangé dans toutes les églises ».  Cette comparaison indique manifestement que, dans notre sacrement, le vrai corps du Christ est présent,  et non seulement en figure.  Autrement, les Juifs aussi auraient eu un seul et même agneau, puisque tous signifiaient l’unique Christ.
Ensuite, le même auteur parle ainsi : « C’est le Créateur lui-même des natures et le Seigneur  qui produit du pain à partir de la terre, et qui (parce qu’il l’a promis et qu’il le peut)  fait, à partir du pain, son propre corps; qui fait aussi  du vin à partir de l’eau, et son sang à partir du vin. »  Et plus bas : « O altitude des richesses de la sagesse et de la science de Dieu !  C’est la pâque du Seigneur, c’est-à-dire le passage du Seigneur.  Ne vois pas comme une chose terrestre  ce qui  a été fait de façon céleste :  celui qui passe dans une chose, et fait de cette chose son corps et son sang. »  Et plus bas : « Crois ce qui est annoncé,  car, ce que tu reçois c’est le corps de ce pain céleste, et le sang de cette vigne sacrée.  Car, quand il présenta à ses disciples le pain et le sang consacrés, il dit : ceci est mon corps, ceci est mon sang.   Croyons ce que dit celui auquel nous croyons, car la Vérité ne connait pas le mensonge. »  Et plus bas : «.  Ne calomnions pas  cette bouche fidèle et véridique qui a dit : ceci est mon corps, ceci est mon sang.  Si quelque chose avait survécu d’une interprétation individuelle qui ne cadrât pas avec la vérité, qu’il soit consumé par l’ardeur de la foi. »
Les adversaires n’ont pas répondu à ces textes, et ils ne peuvent rien répondre.
                                                           CHAPITRE 22
                               Le témoignage de saint Jean Chrysostome
Saint Jean Chrysostome vécut dans la première moitié du cinquième siècle.  Il a attesté, de plusieurs façons, ce qu’il pensait du sacrement du corps du Seigneur.  On trouve son premier témoignage  dans l’homélie 60 au peuple d’Antioche,  et dans son homélie 83 sur saint Matthieu : « Croyons que Dieu est partout, et ne trouvons pas répugnant ce qu’il dit, même si cela parait absurde à nos sens et à notre intelligence.  Que sa parole, je le demande,  transcende nos sens et notre raison.  Dans toutes les choses que nous faisons, et surtout dans les mystères que nous célébrons, ne regardons pas seulement ce qui est placé devant nous, mais gardons à la pensée ses paroles.  Car, nous ne pouvons pas être induits en erreur par ses paroles, alors que nos sens nous trompent facilement.  Or, comme il a dit : ceci est mon corps, n’hésitons pas, ne doutons pas, mais croyons ! »  Et (dans son homélie 51 sur saint Matthieu) : « Celui pour qui il n’y avait rien de plus grand que de déposer son âme pour toi,  pourquoi a-t-il daigné te livrer son corps ? Écoutons donc  autant les prêtres que les autres qui nous nous font comprendre la grandeur et la sublimité de ce qui nous a été accordé.  Écoutons-les donc avec ébahissement nous expliquer qu’il nous a livré sa chair, et qu’il s’est offert pour être immolé lui-même. »  Il est certain que saint Jean Chrysostome n’aurait  pas pu  parler plus clairement, s’il avait eu devant lui un calviniste,  et avait voulu l’exhorter à croire.
Le deuxième témoignage on le trouve dans les deux livres cités : « O combien ne disent-ils pas : je voudrais voir ses vêtements, je voudrais voir ses sandales !  Tu le vois lui-même, tu le touches lui-même, tu le manges lui-même ! »
Pierre le martyr, Boquinus et les autres  répliquent que saint Jean Chrysostome attribue aux symboles le nom de la chose signifiée, et qu’il parle donc hyperboliquement.  Qu’il parle des symboles et non de son propre corps,  ils le prouvent ainsi.  Saint Jean Chrysostome dit que le Christ est vu et touché dans le sacrement,  alors que seules les espèces sont touchées et vues. Et, au sujet du vrai corps, il a dit plus haut que seuls les yeux de l’esprit le voyaient par la foi.  Et il a dit, plus bas, que dans des choses sensibles, un don insensible nous est donné.  Or, ce qui est insensible ne peut être ni vu ni touché.  Ce n’est donc pas du vrai corps du Christ, mais du pain qu’il parle quand il dit : « Tu le vois, tu le touches, tu le manges. »
Mais cette objection est facile à réfuter.   Car, quand saint Jean Chrysostome dit  que le Christ est vu et touché, il veut dire que c’est le vrai corps du Christ qui est vu et touché dans une espèce étrangère, non la sienne;  et qu’ il est vraiment présent et reçu sous d’autres espèces, qui, elles, sont vues et touchées. Et cela, même si, dans le sacrement, le Christ n’est vu dans son espèce propre que par les yeux de la foi; et même si, dans le sacrement, il n’est pas perceptible par les sens.  Nous avons un exemple dans les anges.   On dit que les anges voient vraiment, touchent et sont reçus comme hôtes, bien qu’ils fassent toutes ces choses dans un corps assumé.  Pensons à Abraham, à Loth, à Tobie, et aux autres.   Ce que veut vraiment dire saint Jean Chrysostome,  il nous le fait comprendre lui-même quand il dit que plusieurs désirent voir ses vêtements et ses sandales,  alors que dans le sacrement ils ont plus  que ce qu’ils désirent, puisqu’ils ont le Christ lui-même. Car ceux qui veulent voir des vêtements désirent voir de vrais vêtements, non des images de vêtements.  Et il serait certes plus désirable d’avoir de vraies sandales qu’une simple image du corps du Christ. En disant qu’ils auraient plus que ce qu’ils désiraient, saint Jean Chrysostome n’a pu dire la vérité qu’en affirmant qu’ils auraient le vrai corps du Christ.
De plus, au même endroit, saint Jean Chrysostome dit qu’aucun pasteur n’a jamais nourri ses brebis avec de la chair et du sang,  comme le Christ l’a fait.  Et que, même si  beaucoup de mères ont donné à d’autres femmes la tâche d’allaiter et de nourrir leurs enfants, le Christ, lui, nous a nourris avec sa propre chair.   Ajoutons que dans l’homélie 24, sur la première épitre aux Corinthiens,  il dit que, dans la crèche, les mages ont adoré le corps lui-même. Mais que nous avons quelque chose de plus que les mages, car eux l’avaient dans une crèche, nous, sur l’autel.  Eux, dans les bras de la mère, nous dans les mains du prêtre.   Eux voyaient un simple corps, mas nous, nous  voyons aussi sa puissance et sa vertu.  Or, si nous n’avons le Christ que dans un signe, non seulement nous ne pouvons pas dire que nous leur sommes supérieurs, mais que nous leur sommes d’autant plus inférieurs que la présence l’emporte sur l’image.
Au même endroit, il dit que ceux qui aiment ont l’habitude de donner à la personne aimée des vêtements, de l’argent et beaucoup d’autres choses du même genre.  Mais leur chair, ils ne peuvent pas la donner.  Par cet admirable sacrement, le Christ a trouvé le moyen de se donner vraiment lui-même à nous.  Mais ce que saint Jean Chrysostome dit serait faux si le Christ ne se donnait à nous qu’en symbole.  Les hommes peuvent aussi se donner ainsi,  et ils se donnent eux-mêmes en symbole, quand ils envoient leurs portraits à leurs amis.
De même, dans l’homélie 51 sur saint Matthieu : « Allons vers le Christ  avec une grande foi, nous tous qui sommes malades.   Car si ceux qui touchèrent la frange de son vêtement ont tous été guéris, ne serons-nous pas beaucoup plus fortifiés si nous l’avons en entier en nous ? »  Dans ce passage, saint Jean Chrysostome ne parle pas d’une habitation symbolique du Christ en nous, car la vertu de l’image du Christ n’est pas plus grande que celle de cette frange qui guérissait les maladies de ceux qui la touchaient.
De même, dans son commentaire de l’homélie 3 sur l’épitre aux Éphésiens, il affirme que l’eucharistie ne diffère en rien du corps  qui est adoré au ciel par les anges.  « C’est du corps que nous parlons.   Combien sommes-nous à devenir participants de ce corps ? Combien sommes-nous à goûter son sang ?   Rappelle-toi que c’est le  corps et le sang de celui   qui réside au-dessus des cieux, qui est adoré avec tremblement par les anges. » Ensuite, dans son homélie 3 sur l’incompréhensible nature de Dieu, il fit de sévères reproches à son peuple parce qu’ils venaient nombreux à la prédication, et beaucoup moins nombreux à la communion.  « Je suis fort troublé  par la pensée qui me vient. Quand je prêche, moi, votre con serviteur, vous manifestez du zèle et de l’application, vous tendez votre esprit comme un arc, chacun interpelle et pousse l’autre pour être plus près de la chaire;  et  vous persévérez patiemment jusqu’à la fin du sermon. Mais quand le Christ, notre maître et Seigneur à tous, est sur le point de se montrer dans les saints mystères, l’église se vide.  Est-là la foi des hommes chrétiens ? »
Le second témoignage nous l’avons dans les mêmes livres (homélie au peuple 60,  et homélie 83 sur saint Matthieu) : « Il ne lui a pas suffi de devenir homme, d’être flagellé, mais il nous a réduits à n’être plus qu’une seule masse avec lui.  Ce n’est pas seulement par la foi, mais réellement qu’il a fait de nous son corps. »  Et dans ses homélies 64 et 45,  il ajoute que ce n’est pas par la seule charité, mais réellement que sa chair nous est unie par ce sacrement.  Et, dans l’homélie 24 sur la première épitre de saint Paul aux Corinthiens,  il dit que, par l’eucharistie, « nous sommes unis au corps du Christ, comme ce corps est uni au Verbe par l’Incarnation », c’est-à-dire vraiment et réellement.  Par ce moyen admirable, le Christ a fait en sorte que, dans l’eucharistie, nous soyons unis intimement à son vrai corps.  Choses qui seraient ridicules si nous ne recevions le corps du Christ que dans un signe.
Pierre le martyr répond qu’il y a une double union des fidèles avec le Christ. Une, par la foi et la charité, et une autre qui suit la première, par laquelle nous sommes ses membres et lui notre  tête. Or, c’est de cette dernière que parle saint Jean Chrysostome, quand il dit que nous sommes réellement unis au Christ, et non seulement par la foi ou la charité.
 Je réponds que c’est le contraire qui est vrai.  Car, cette union des membres avec la tête, par laquelle nous devenons un seul corps mystique du Christ, s’obtient proprement par le baptême, et doit nécessairement précéder la réception de l’eucharistie.  Car, celui qui n’est pas membre du Christ  ne peut accéder à ce sacrement qu’indignement.  Or, saint Jean Chrysostome dit que par l’eucharistie, nous sommes unis avec le Christ par une nouvelle et vraie union.  De plus, quand il dit que c’est réellement que le corps du Christ est uni à nous, ce qu’il dit là ne s’oppose pas moins à l’union mystique des membres avec la tête qu’à l’union par la seule foi et la seule charité. Car l’une n’est pas plus réelle que l’autre.  Ces exemples qui portent sur l’incarnation et sur les amants réfutent suffisamment les fictions de nos adversaires.
Le quatrième témoignage est tiré de ces livres où saint Jean Chrysostome attribue à un miracle le fait que le Christ soit en même temps dans le ciel et sur l’autel (livre 3 sur le sacerdoce) : « O miracle, o bonté de Dieu !  Celui qui est assis avec le père est, au même instant, distribué dans les mains de tous.  Et il se livre lui-même à ceux qui veulent le recevoir et l’embrasser. »  il dit la même chose à la fin de l’homélie 2 au peuple d’Antioche : « Elie a laissé sa mélote à son disciple.  En montant, le Fils de Dieu a laissé sa chair. Élie est monté sans sa melote;  le Christ est monté avec sa chair après nous l’avoir laissée. »
Bèze (dans son cyclope) répond  que la chair du Christ est proprement dans le ciel, et symboliquement sur la terre.  Et il le prouve ainsi. Le même Chrysostome a dit qu’Elie fut en même temps en haut et en bas : en haut pace qu’il y fut en personne, en bas, parce que son esprit s’était posé sur Elysée.  C’est donc dans un autre qu’il était par terre, et non en lui-même.  Bèse apporte aussi l’homélie 24 sur la première lettre aux Corinthiens, où il est dit que,  par ce mystère, il arrive que la terre  soit pour nous le ciel;  et il nous exhorte de monter au ciel en pensée, pour que nous ayons le Christ.
Mais Bèze parle pour ne rien dire.   Car, même si Élie n’était pas en même temps en haut et en bas, il en va tout autrement pour la chair du Christ  que saint Jean ne  compare pas avec Élie mais avec sa mélote.  Que saint Jean Chrysostome entende au sens propre que la chair du Seigneur ait été laissée sur la terre pour nous, et soit en même temps dans le ciel, le passage cité sur le sacerdoce nous le fait comprendre.   Car il y voit un miracle.  Or, s’il ne s’agissait que d’une figure du Christ, on ne parlerait pas de miracle.  Il a dit aussi qu’il nous avait laissé une chose de loin plus importante que la mélote qu’Élie avait laissée à Élisée, car Élie avait laissé un vêtement, et le Seigneur sa propre chair.  Or, il est certain qu’un vêtement symbolique n’est pas de loin plus grand qu’un véritable vêtement.
Le passage que Bèze a cité (homélie 24, épitre no 1 aux Corinthiens) suffirait pour le convertir à la vraie foi s’il n’était pas endurci dans son hérésie.  Car, saint Jean ne nous  dit pas de monter au ciel,  où ce n’est que là que nous aurons le Christ, mais de réaliser qu’il n’y a rien, au  ciel, de plus grand que le Christ;   et que,  par ce sacrement, la terre  devient un ciel,  parce que nous avons vraiment sur la terre ce qu’il y a de plus important au ciel.  Voici ses propres paroles (homélie sur l’épitre 1 aux Corinthiens) : « Ce mystère fait en sorte que la terre soit  pour nous le ciel. Monte donc aux portes du ciel,  et observe attentivement  non les cieux, mais les cieux des cieux, et alors tu verras ce que nous avons dit.  Car, ce qui est digne du plus grand honneur,  je te le montrerai sur la terre.   Comme dans les palais royaux, ce ne sont ni les murs ni les toits dorés qui attirent le plus le regard, mais le corps du roi assis sur son trône, c’est le corps royal céleste qui est offert à ta vision sur la terre, qui attire le plus les regards. Ce ne sont donc ni les anges ni les archanges, ni les cieux, ni les cieux des cieux que je te montre,  mais le Seigneur de toutes ces choses. »
Si saint Jean Chrysostome avait voulu que le corps du Christ ne soit présent qu’en figure sur la terre, il aurait trompé ses auditeurs, et il n’aurait pas mis l’eucharistie avant les anges et les archanges. Car, qui ne préfère pas voir de vrais anges  plutôt que la seule image du Christ ?  Ajoutons qu’il a enseigné au même endroit : « Si un enfant royal vêtu de pourpre et portant son diadème t’était présenté pour que tu le prennes dans tes bras, ne laisserais-tu pas tout tomber par terre pour le recevoir ? Or, aujourd’hui, ce n’est pas un enfant royal mais le Fils unique de Dieu que tu reçois, et pourtant, tu n’as pas en horreur  l’amour des choses du siècle. »  S’il parlait là du signe du Christ, et non du Christ lui-même, il ne pourrait en aucune façon comparer un fils de roi avec l’image d’un fils de roi.  Cela le couvrirait de ridicule.
Le cinquième témoignage, on le trouve dans les textes (homélie 41, sur la première aux Corinthiens) où il affirme que, dans l’eucharistie, le Christ n’est pas adoré seulement par les hommes, mais aussi par les anges : « Ce n’est pas pour rien que, pendant les saints mystères, nous célébrons la mémoire des morts, et que, pour eux, nous accédons à l’agneau qui git sur l’autel, en suppliant Celui qui efface les péchés du monde. »  Il dit clairement ici  qu’on invoque l’agneau qui git sur l’autel.  Et, il semble faire allusion à la phrase : « Agneau de Dieu qui enlèves les péchés du monde, donne-leur le repos. »  De même, dans son sermon sur saint Philogone, il dit, en parlant des mages qui étaient venus de Perse adorer le Christ : « Si nous nous présentions avec foi,  nous le verrions certainement couché dans la crèche. Car, cette table prend la place de la crèche.  En effet, ici aussi est posé le corps du Seigneur, non emmailloté dans des langes,  mais revêtu en tout et partout du Saint-Esprit.  Les mages n’adorèrent rien d’autre.  Mais, toi, si tu te présentes avec une conscience pure, nous te permettons de le prendre et de l’emporter chez toi.»  Il dit là que nous, nous ne faisons pas seulement adorer le Verbe, comme les mages, mais que nous pouvons aussi le recevoir.
De même (dans l’homélie 60 au peuple d’Antioche) : « Pense de quel honneur tu es comblé toi qui te nourris à cette table.  Ce que les anges craignent de regarder, qu’ils n’osent pas contempler librement, à cause de sa splendeur éblouissante, c’est de cela que nous nous nourrissons, c’est avec cela que nous nous unissons. »  Et, dans son homélie 61 : « Les puissances célestes l’assistent, car ils voient clairement ce qui nous est caché, et admire les splendeurs inaccessibles. »  Et dans l’homélie 3 sur l’épitre aux Éphésiens : « Et toi, tu es sur le point d’accéder à cette hostie salutaire que les anges contemplent en tremblant. »  Et dans le livre 6 sur le sacerdoce : « Pendant ce temps, les anges accompagnent le prêtre, et les chœurs de toutes les puissances célestes émettent des clameurs, et en l’honneur de celui qui est immolé, le lieu près de l’autel est plein de chœurs d’anges.  Il est amplement permis de croire cela  en raison du si grand sacrifice qui se déroule alors.  J’ai entendu  quelqu’un qui rapportait qu’un vieillard qui était un homme admirable, à qui de grands mystères avaient été divinement expliqués, avait été jugé digne par Dieu d’avoir une vision.  Il vit une multitude d’anges qui entouraient l’autel en vêtements lumineux, tête baissée, comme quelqu’un qui voit des soldats debout en présence du roi. »
Dans son homélie 21 sur les Actes : « Que dis-u ? L’hostie est dans les mains, les anges sont présents, les archanges sont là, présent est le Fils de Dieu.  C’est avec une crainte révérencielle qu’ils se tiennent  devant lui. » Enfin, dans l’homélie sur l’eucharistie, il dit : « L’agneau de Dieu est immolé,  six séraphins sont présents, en se couvrant la face avec leurs ailes. »
À ces textes les adversaires ne répondent rien, et ne peuvent rien répondre.  Car, si les anges se tiennent devant l’autel la tête inclinée, dans la crainte et le tremblement, et osent à peine le regarder à cause de la lumière incandescente qui s’en dégage, qui pourra nier qu’il y a là autre chose que du pain.  Et si les anges adorent, qui peut reprocher aux hommes d’adorer ?
Le septième témoignage est tiré de ces textes où saint Jean Chysostome dit que le pain est changé.   Comme dans l’homélie 83 sur Matthieu, et l’homélie 60 au peuple : « Ce ne sont pas des œuvres proposées à la vertu humaine. Nous, les ministres, nous tenons la place de celui qui sanctifie vraiment, et change. »  Et plus bas : « Celui qui a dit : ceci est mon corps, a confirmé que cela avait été fait en le disant. »  Et, dans l’homélie sur la trahison de Judas, il dit : « Ces paroles (ceci est mon corps)  sont semblables à ces autres paroles : croissez et multipliez-vous. »  Et, dans son homélie sur l’eucharistie, il dit : « Vois-tu du pain, vois-tu du vin ? Aboutissent-ils dans les latrines comme les autres nourritures ?   Loin de nous cette pensée.  Car,  la cire qui est allumée  s’assimile à la flamme;  et rien ne subsiste de sa substance,  rien ne reste.  Pense que c’est ainsi qu’est consumée la substance du corps. »
À ce dernier texte Pierre le martyr répond (dans son livre contre Gardinerus, par 4) que saint Jean Chrysostome « ne nie pas que, dans l’eucharistie, il y ait un vrai pain. Mais, par sa manière de parler, il veut dire qu’on ne doit pas prêter attention au pain, mais à ce qu’ il signifie. Il ne veut pas dire non plus que la substance du pain est consumée comme par du feu, lors de la venue du corps du Seigneur.  Mais qu’il s’agit là d’un trope qui indique qu’il nous faut détourner notre pensée du pain et du vin, pour la reporter sur les choses qu’ils signifient ».  Et cela, il le prouve en disant que selon saint Jean Chrysostome, ce n’est pas seulement la substance du pain qui est consumée, mais aussi les accidents, puisqu’il ajoute qu’il ne reste absolument rien, et qu’il nous présente l’exemple de la cire qui périt toute entière dans le feu, autant dans sa substance que dans ses accidents.  Or, quand ils sont perçus par les sens, les accidents ne sont pas vraiment et réellement consumés.   Donc la substance n’est pas, elle nous plus, vraiment et réellement consumée.
Il le prouve ensuite par ces autres  paroles de saint Jean Chrysostome : «  Ne pensez pas que c’est d’un homme que vous recevez le corps divin,  mais que c’est des tenailles d’un séraphin que vous recevez un feu. »  « Il est certain, dit-il, que si on entendait ces mots au sens propre, ils seraient faux.  De la même manière, quand le même auteur dit que ce n’est ni du pain ni du vin, et que les mystères sont consommés, il faut entendre tout cela au sens figuré ».
Mais cette explication ne requiert aucune réfutation.  Car, si saint Jean Chrysostome ne niait pas la présence réelle du Christ mais voulait qu’il ne soit présent que pour notre pensée, il ne dirait pas que l’eucharistie n’est pas rejetée dans les latrines comme les autres nourritures.  Car, ces choses ne se rapportent pas seulement à notre pensée,  mais sont réelles.  Voilà pourquoi même si Pierre le martyr a dit bien des choses sur saint Jean Chrysostome, il n’osa pas proposer de réponse à ce texte, mais l’évita toujours comme la peste.  De plus, si le pain n’était pas réellement consumé,  elle serait absurde cette comparaison avec la cire consumée par le feu.
À son premier argument,  je réponds que saint Jean Chrysostome ne dit pas que les accidents du pain sont consumés.  Au contraire,  il explique longuement que c’est la substance qui s’en va à l’arrivée d’une autre substance.  Quand donc il dit que les mystères sont consumés, il se réfère à la substance dont il était en train de parler.  Et quand il dit qu’il ne reste plus rien, il veut dire qu’il ne reste plus rien de la substance.  Et enfin c’est à la seule substance du pain qu’il compare la cire consumée par le feu, non à tout ce qu’il y a dans le pain.   À son deuxième argument,  je dis que ces deux phrases ne sont pas des phrases semblables. « Ne pense pas que c’est d’un homme que tu reçois, mais un corps divin. » et « Vois-tu du pain, vois-tu du vin ? » Dans la première phrase, il y a manifestement des tropes, puisqu’il appelle prêtre un ange séraphique, le corps du Seigneur du feu, et la main sacerdotale des tenailles.  Il ne nie pas, cependant,  que le corps du Christ  soit reçu de la main du prêtre, mais il confirme que le prêtre  est utilisé plus comme un ministre angélique que comme un homme. Et pour l’autre phrase, toutes les circonstances crient qu’il n’y a pas là de trope  Ne dit-il pas que ce pain n’ira pas dans les latrines, mais que toute sa substance sera consumée ?
Le septième témoignage est tiré des livres où il dit que, dans l’eucharistie,  se trouve un sang réel, qui avait été figuré dans l’ancien testament.  Parlant à des néophytes du sang de l’agneau qui était appliqué sur les linteaux des portes des fils d’Israël en Égypte, pour qu’ils soient protégés contre l’ange exterminateur, il dit : « Comme les statues des rois avaient coutume  de secourir ceux qui s’y réfugiaient, non parce qu’elles étaient vivantes, mais parce qu’elles étaient une représentation de ces rois, de la même façon, le sang a libéré non parce qu’il était du sang, mais parce qu’il annonçait l’avènement du sang.  Maintenant, si l’ennemi voyait non un sens typique appliqué sur des frontons, mais le sang de la Vérité brillant dans la bouche des fidèles, il passerait outre encore plus rapidement.  Car si un ange a fui devant une image, ne serait-il pas mille fois plus terrifié s’il voyait l’exemplaire, la personne représentée par l’image ? » Il dit des choses semblables dans son homélie 45 sur Jean, et l’homélie 61 au peuple d’Antioche.  À ces passages, on ne peut rien répondre.  Car, la vérité du sang saint Jean Chrysostome la met dans l’âme, mais aussi dans la bouche des fidèles.
Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus,  objections 197 et suivantes) tire des livres de saint Jean Chrysostome neuf témoignages contre la vérité catholique, dont six n’offrent aucune difficulté.  Il en tire une de l’homélie 83 sur Matthieu où le saint prédicateur appelle l’eucharistie le symbole de la passion du Christ, ce que nous disons nous aussi, comme nous l’avons souvent expliqué.  Il tire l’autre de la même homélie, dans laquelle le saint dit que les Israélites ont mangé l’agneau pascal  en tenue de voyageurs, parce qu’ils étaient sur le point de partir pour la Palestine.  Nous, c’est au ciel que nous sommes sur le point d’aller.  Pierre le martyr en déduit que quand nous mangeons l’eucharistie, nous devons monter au ciel en pensée, et aller chercher le Christ là, non dans le sacrement.
Or, cela ce n’est que de la stupidité ou de l’entêtement.  Car, saint Jean Chrysostome n’enseigne pas que quand nous recevons l’eucharistie, nous montons au ciel, mais que nous recevons l’eucharistie comme une nourriture et un viatique qui nous fortifiera dans cette vie au cours de laquelle nous pérégrinons vers la patrie céleste, où nous parviendrons après la mort.  La comparaison qu’il utilise nous le fait très bien comprendre.   Car, quand les Israélites mangeaient l’agneau, ils n’allaient pas en Palestine pour aller y chercher l’agneau, mais ils mangeaient l’agneau qu’ils avaient chez eux, habillés, il est vrai, en voyageurs, parce qu’ils avaient, dans le futur, à marcher vers la terre promise.
Le troisième témoignage, ils le tirent de l’homélie 24 sur la première épitre aux Corinthiens, où saint Jean Chrysostome dit : « Le pain, qu’est-il ?  Le corps du Christ. »  Pierre le martyre exulte : « Saint Jean a dit que le pain est le corps du Christ.  Le vrai pain demeure donc dans l’eucharistie. »  Je réponds que saint Jean ne parle pas du pain matériel,  mais du corps du Christ qui vient du pain consacré.  Il est tout à fait vrai que le pain consacré n’est pas du pain ordinaire, mais le pain de vie, c’est-à-dire le corps du Christ.  Voilà pourquoi, au même endroit, saint Jean Chrysostome explique que, dans le calice sacré, se trouve ce qui a coulé de son côté percé, son sang.
Le quatrième témoignage il le tire de la même homélie où saint Jean Chrysostome dit que l’eucharistie est la nourriture des aigles, selon ces paroles du Seigneur : « Les aigles se rassembleront là où sera le corps. » À la manière des aigles, il nous faut donc nous élever dans les hauteurs, et nous rendre là où est le Christ.  Pierre s’efforce là à nous persuader qu’il ne faut pas aller chercher le Christ sur un autel.   Je dis donc qu’il parle pour rien.   Car saint Jean parle non d’une ascension dans un ciel corporel, mais vers Dieu, vers les choses éternelles, et  spirituelles, en négligeant les choses terrestres.  C’est ce que fait celui qui cherche Dieu et qui fait sa volonté partout où il est.
Le cinquième témoignage il le tire de l’homélie 27 sur la première épitre aux Corinthiens,  où il appelle eucharistie le pain et le vin.  Mas nous avons souvent répondu à cette objection, car saint Jean Chrysostome utilise les paroles de Paul.
Le sixième témoignage vient de l’homélie 20 sur la dernière aux Corinthiens, où le saint dit que ce n’est pas seulement l’eucharistie qui est le corps du Seigneur, mais que les pauvres le sont aussi, dont le Seigneur a dit : « Ce que vous avez fait à un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait. » Or, les pauvres ne sont le corps du Christ que figurativement.  L’eucharistie est donc, elle aussi,  le corps du Christ figurativement.   Je réponds que saint Jean Chrysostome ne dit pas que les pauvres sont le corps du Christ  de la même façon que ne l’est l’eucharistie.  Et par  un nombre infini de citations on peut démontrer que l’eucharistie est le vrai corps du Christ, ce que ne sont surement pas les pauvres.
Le septième témoignage il le tire du commentaire du psaume 22 où nous lisons : « Pour qu’à chaque jour, ils nous montrent le pain et le vin, selon l’ordre de Melchisédech,  dans la similitude du corps et du sang du Christ. »  Je réponds que ce commentaire du psaume 22 n’est surement pas de saint Jean Chrysostome, ni même d’un auteur grec.  Car la phrase est latine,  et les mots sont fort éloignés de la façon habituelle de parler de notre auteur.  Mais, quel qu’en soit l’auteur, on peut quand même répondre que, dans le sacrement, le pain et le vin sont montrés d’après la forme externe, comme le serpent d’airain est appelé serpent, et sont souvent appelés hommes les anges qui apparaissent sous forme humaine.  Nous ne nions pas non plus que le pain de l’eucharistie ait une similitude avec le corps du Seigneur, parce qu’il est son sacrement,  même si nous enseignons en même temps  que c’est le corps présent et non absent,  qui est signifié par ce sacrement.     Cet auteur a voulu appeler l’eucharistie pain et vain  au lieu de corps et sang, parce qu’il expliquait ces mots de Salomon : « Venez manger mes pains, et boire le vin que je vous ai mêlé. »
Le huitième témoignage, il le tire du livre ou de l’épitre au moine Césaire, où nous lisons que le pain, après la consécration,  n’est plus appelé pain, même si la nature du pain demeure en lui.  Je réponds que saint Jean Chrysostome n’a jamais rien écrit de tel.  Et, dans toute son œuvre, il n’existe aucun livre ou épitre  à Césaire.  Les paroles de cet auteur ( quel qu’il soit) sont semblables à celles de Theodoret et de Gélase.  On peut donc répondre à celui-ci ce que nous répondrons plus tard aux autres.  Car, je ne voudrais pas associer à saint Jean Chrysostome des témoignages incertains et de nulle autorité.
Le neuvième témoignage vient de son homélie sur saint Matthieu, où nous lisons ceci : « Si donc il est si périlleux d’affecter à un usage privé des vases sacrés qui ne contiennent pas le vrai corps d Christ, mais le mystère de son corps, à plus forte raison nous ne devons pas permettre au démon de faire ce qu’il veut dans les vases de notre corps,  que Dieu a préparés pour qu’ils soient son habitacle. »  Je réponds.  Il est hors de tout doute que ces homélies imparfaites, d’où les adversaires tirent des témoignages en leur faveur, ne sont pas de saint Jean Chrysostome.  Il n’est pas moins certain que cette œuvre fourmille d’erreurs.  Érasme l’avait déjà annoté dans sa préface. Pierre le martyr reconnait la même chose.  Et tous ceux qui le liront, le reconnaitront facilement.  Et ces paroles : « Dans lesquels ne se trouve pas le vrai corps du Christ, mais est contenu le mystère de son corps » semblent provenir d’une homélie incertaine d’un disciple de Bérenger.  Car, elles ne sont pas dans tous les exemplaires, comme il est noté en marge. Et, de plus, elles ne sont pas pertinentes.   L’auteur, en effet, parlait des vases sacrés du temple de Salomon, que Balthasar avait affectés à un usage profane, et il ajoutait qu’il avait, à cause de cela, perdu son royaume et sa vie.  Or, dans ces vases, non seulement ne se trouvait pas le vrai corps du Seigneur, mais même pas son mystère.
Et c’est ce que Sixte de Sienne a prouvé (livre 4 de sa sainte bibliothèque, page 413) par trois arguments. Le premier.   On ne trouve pas ces erreurs dans les manuscrits les plus anciens. Le deuxième. Si on les supprime, on n’enlève rien au sens des mots et à leur contexte. Le troisième. Dans ce livre, se trouvent non seulement les erreurs de différents hérétiques, comme de Montan, de Donat, de Manès, d’Arius, de Pélage, et de Bérenger, mais également des sentences qui leur sont contraires, et surtout contre les ariens.  Ce qui prouve que  les phrases de ce livre ne sont pas toutes du même auteur.
Les adversaires ne sont donc capables de présenter rien de solide contre  le vrai saint Jean Chrysostome.  Mais nous avons pu, nous, tirer de ses livres les plus authentiques plusieurs témoignages en faveur de la vérité. Catholique.
                                                    CHAPITRE 23
                                     Le témoignage de saint Jérôme
Saint Jérôme fut un contemporain de saint Jean Chrysostome, même s’il vécut plus longtemps. Il est mort en 422, et saint Jean Chrysostome en 409.  De cet auteur, on peut tirer certains témoignages.   Le premier, de son commentaire de Matthieu 26,  où nous lisons ces mots : « Après que la pâque type fut accomplie, et que la chair de l’agneau ait été mangée par les apôtres, il prit du pain qui réconforte le cœur de l’homme, et le sacrement est changé en la vraie pâque.  Et comme, dans sa préfiguration, Melchisédech avait fait, en tant que grand prêtre de Dieu,   en offrant le pain et le vin,  il a lui-même représenté la vérité de son corps et de son sang. »
À cause du mot « représenter », les hérétiques se servent de ce texte pour prouver leur hérésie, comme Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, objection 210.  Mais, ce texte nous est totalement favorable.   Car, pour saint Jérôme, représenter signifie exhiber réellement, rendre présent, comme nous l’avons montré plus haut dans les témoignages de Tertullien.  Et même saint Ambroise emploie ce mot dans le même sens (livre 1, chapitre 36, dans les devoirs) : « Comprends d’abord ce qui se trouve dans les plats des banquets sacrés,  et mets alors la main.  Et ce que tu lis ou reçois de Dieu mets le en pratique dans tes œuvres, et tu « représenteras » dans tes œuvres la grâce reçue en toi. »  Représenter signifie ici bel et bien rendre présent.
Que ce soit là le sens du mot (représenter) de saint Jérôme, on peut le déduire de ce qu’il oppose la pâque type des Juifs au vrai sacrement pascal des chrétiens.  Car, si l’eucharistie ne faisait que représenter le corps du Christ dans un symbole, et n’était pas  la chose elle-même, on n’aurait aucune raison de l’appeler vrai sacrement,  et de l’opposer à un symbole.  Car, la pâque des Juifs représentait, elle aussi, le corps du Christ en image.  On peut aussi le déduire de ce qu’il dit qu’en offrant le pain et le vin,  Melchisédech a préfiguré (une autre offrande de pain et de vin); et qu’en instituant l’eucharistie, le Christ a représenté (rendu présente) la vérité du corps.  L’antithèse requiert là que le Christ exhibe la vérité de son corps, dont la figure avait précédé dans l’oblation de Melchisédech.
C’est ce qu’il explique plus clairement lui-même dans le commentaire  du psaume C1X : « Comme le roi Melchisédech de Salem offrit du pain et du vin, c’est ainsi que toi, tu offres ton corps et ton sang : le vrai pain et le vrai vin.  Ces mystères que Melchisédech avait préfigurés,  c’est lui qui nous les a livrés quand il a dit : « celui qui mange ma chair et boit mon sang »  Nous voyons ici clairement que sont opposés au pain et au vin de Melchisédech le corps et le sang du Christ, qu’il appelle vrai pain et vrai vin, non en raison de la nature, mais de l’effet.  Comme le Seigneur lui-même a dit : « Je suis la vraie vigne. »  Car, si tu regardes les natures, le pain de Melchisédech  fut un  vrai pain.
Le second témoignage est dans l’épitre à Hédibia, question 2 : « Écoutons, nous, attentivement : le pain que le Seigneur a rompu, qu’il a donné à ses disciples, est le corps du Seigneur  Sauveur. »  Et plus bas : « Ce n’est pas Moïse qui nous a donné le vrai pain, mais le Seigneur Jésus, qui est lui-même convive et banquet, celui qui mange, et celui qui est mangé. »
Pierre le martyr essaie aussi  de tirer à lui ce passage, parce que, dans ce témoignage, il voit le mot pain.  Mais on ne peut avoir aucun doute que ce texte nous favorise parce que, d’abord, saint Jérôme déclare que ce pain n’est pas un pain matériel, mais le corps du Seigneur, et aussi parce qu’il n’aurait pas pu dire que Moïse n’a pas donné le vrai pain, c’est-à-dire le corps du Christ, si l’eucharistie n’était le corps du Christ que figurativement.
Le troisième témoignage se trouve  dans son commentaire de 1 Éphésiens : « On peut entendre de deux façons la chair et le sang du Christ,  la spirituelle et la divine, de laquelle il a dit : « ma chair est une vraie nourriture, et mon sang est un vrai breuvage;  ou, le sang et la chair, la chair qui a été crucifiée et le sang  qui a été répandu par la lance du soldat.  Selon cette division, même dans ses saints, c’est une diversité de sang et de chair qui  est reçue.  Pour qu’autre soit la chair qui verra le salut de Dieu, et autres la chair et le sang qui ne peuvent pas posséder le royaume de Dieu. »  Il distingue là, seulement d’après  les accidents,  la chair qui est dans l’eucharistie de celle qui a été crucifiée seulement;  la chair qui pouvait souffrir sur la croix  de celle qui, dans l’eucharistie, ne peut plus souffrir, et qui se comporte d’une manière spirituelle et divine.  Comme on distingue notre chair mortelle actuelle de celle qui, après la résurrection, sera immortelle.
On ne peut pas répondre à cela que la chair spirituelle n’est présente dans l’eucharistie que sous forme de signe, et non en réalité.  Car, s’il prenait le mot dans ce sens, il détruirait ce qu’il prouvait contre les origénistes, à savoir,  que c’est la vraie chair qui ressuscitera.  Du reste, la chair du Christ, comme elle est signifiée dans l’eucharistie, ne pourrait pas être distinguée de celle qui était sur la croix, ni être appelée divine.  Car, l’eucharistie est un sacrement ou un symbole de la passion.  Saint Jérôme n’aurait donc pas distingué l’une de l’autre s’il n’avait parlé que d’un symbole.
Les adversaires ne peuvent pas non plus répondre que saint Jérôme ne parle pas de l’eucharistie, mais de la manducation spirituelle de la chair du Christ, selon qu’ils entendent les paroles du Seigneur citées par saint Jérôme. Je dis donc qu’ils ne peuvent pas répondre cela.  Car, selon nos adversaires, les paroles du Seigneur doivent s’appliquer à la chair du Seigneur comme elle fut sur la croix, elle qui est mangée spirituellement.  À cette manducation, le Seigneur aurait, selon eux, ajouté par après des symboles externes.   Mais saint Jérôme distingue la chair du Seigneur qui est une vraie nourriture, et que nous mangeons,  de la chair qui a été crucifiée.  Il ne parle donc pas d’une manducation par la foi, mais d’une manducation vraie et réelle, comme nous l’avons  dit.
Le quatrième témoignage est dans son commentaire du chapitre 1 de l’épitre à Tite.   Il dit d’abord que ceux qui veulent recevoir le corps du Christ doivent s’abstenir de toute relation sexuelle.  Et il apportait l’exemple d’Abimélec qui n’avait pas voulu donner à  David de pains de proposition avant de l’avoir entendu dire qu’il s’était abstenu de toute relation sexuelle avec son épouse.  Il dit ensuite : « Entre les pains de proposition et le corps du Christ il y  a une aussi grande différence qu’entre l’image et la vérité, entre les exemples et ceux qui sont préfigurés par les exemples. »  Ce passage parle par lui-même.  Car si l’eucharistie est la vérité elle-même qui était figurée par les pains de proposition,  il n’y a certes pas, dans l’eucharistie, de pain matériel qui signifie le corps du Christ, mais le corps lui-même, réel et véritable.  Car tous reconnaissent qu’il est la vérité ombragée par les pains.  L’eucharistie, selon Pierre le martyr, est appelée la vérité elle-même car elle est un symbole plus clair que les pains de proposition.  Ce qui a déjà été réfuté quand nous traitions des figures.
Pierre le martyr nous objecte quelques textes de saint Jérôme (dans son livre contre Gardinerus, objections 207, 208, 209) où il semblerait enseigner que le corps du Christ n’est pas mangé par les impies.  Mais on ne peut rien conclure de ces textes.  Car, c’est d’une manducation utile et fructueuse qu’il parle, c’est-à-dire  de celle qui nourrit et refait spirituellement.  Les textes qu’il cite viennent de son commentaire sur Isaïe, XLV1, du chapitre 22 de Jérémie, et du chapitre 8 d’Osée.  À ces textes on peut opposer son commentaire du chapitre 1 de Malachie, où il explique longuement que la table du Christ est polluée par les impies, quand des impurs boivent le sang très pur du Christ.
                                                   CHAPITRE 24
                                 Le témoignage de saint Augustin
Saint Augustin suit de près saint Jérôme. Il fut son ami, et lui survécut pendant dix ans.  Car, selon le témoignage de Prosper dans sa chronique, il mourut en l’an 433, et saint Jérôme, en 422.  Calvin profère un gros mensonge quand il ose dire  que ce père est complètement sien (livre 4, chapitre 17, verset 28).  Pierre le martyr et les autres hérétiques le citent plus que tous les autres, et se vantent qu’il soit l’un des leurs, comme l’avait fait autrefois Bérenger, au témoignage de Guitmund.  C’est le seul  père qu’il ne rejetait pas.  Pour rabattre leur caquet, je rapporterai donc des témoignages tirés de tous les tomes des œuvres de saint Augustin.
Le premier vient du livre 9 de ses confessions (chapitre 13) : « Elle  a désiré seulement que soit faite à  ton autel une remémoration d’elle-même, d’où elle saurait qu’est offerte la victime sainte par laquelle est détruit le parchemin qui nous était contraire. » Et plus bas : « Par le lien de la foi, ta servante a lié son âme au sacrement de notre rachat. »  Par la victime qui  détruit le parchemin qui nous est contraire, on ne peut entendre que la vraie chair du Christ qui a été immolée pour nous sur la croix. Le pain ne peut pas être une victime de ce genre.  Et quand il dit que cette victime est immolée sur l’autel, il indique clairement que la chair du Christ n’est pas reçue seulement par la foi, mais aussi par les mains et la bouche.  Et quand il dit que saint Monique a, par le lien de la foi, lié son âme au sacrement du corps du Seigneur, il indique suffisamment qu’il n’y a pas, dans ce sacrement, de signe vide, mais le véritable corps du Seigneur.  Car cette femme si sage n’aurait pas lié son âme à du pain, pour obtenir par lui la sécurité.
Dans le deuxième tome, se trouve son épitre 44 à Maximus.  Maximus était un païen.   Il avait présenté comme objection à saint Augustin que, dans des lieux secrets, les chrétiens croient voir leur Dieu.  Il ne leur a rien répondu.  Car il ne pouvait nier que le Christ était vu dans le sacrement de l’autel, puisqu’il avait lui-même déclaré (livre 3, chapitre 10 de la trinité) que, dans l’espèce du pain, le Seigneur apparaissait aux yeux des mortels.  Il ne pensa pas qu’il était prudent ou équitable d’expliquer ce mystère à un païen. Or, si le Christ n’était présent dans l’eucharistie qu’en signe, il aurait pu et il aurait du réfuter l’objection du païen.
Dans l’épitre 86 à Casulanus, saint Augustin réprouve un certain Urbicus qui avait dit que l’ancien testament était changé dans le nouveau,  de façon à ce que le bétail  cède la place au pain, et le sang à la coupe de vin. Il lui a répondu ceci ; « Le bétail a cédé sa place au pain, comme ne le sachant pas.  Car si, alors,  on avait coutume de placer des pains de proposition sur la table du Seigneur,  maintenant il reçoit, dans son corps, une portion de l’agneau immaculé.  Et il dit que le sang a cédé la place à la coupe de vin, sans penser que même maintenant nous recevons du sang dans le calice. »  Et plus bas : « Comment donc peut-il dire que l’ancien testament a été changé en quelques chose de meilleur et de plus utile,  si le Christ a fait en sorte que dans le nouveau  l’autel le cède à l’autel, le glaive au glaive, le feu au feu, le pain au pain, le bétail au bétail, le sang au sang ? »
 Or, si la sentence de nos adversaires était vraie,  Urbicus aurait correctement parlé, le bétail aurait vraiment cédé sa place au pain, et le sang à la coupe de vin.  Car, en ce qui a trait au signe, le Christ n’aurait pas moins été dans le bétail que dans notre pain.  Et le sang du Seigneur n’aurait pas moins été dans ce sang que dans le nôtre.  Ils auraient donc eu alors dans le bétail le Christ que nous avons maintenant dans le pain; et dans le sang, le sang  que nous avons dans le vin.  Et, de cette façon le bétail aurait cédé sa place au pain, non au bétail; et le sang aurait cédé sa place  au calice de vin, non le sang au sang.  Saint Augustin veut donc dire  que toutes ces choses ont été changées de façon à ce que, à la place d’un pain de proposition, nous ayons un pain céleste; à la place d’un bétail dépourvu de raison, l’agneau de Dieu; et à la place du sang des brutes, le sang du Christ.
De même, dans l’épitre 118, chapitre 3, il dit qu’à l’eucharistie est due une vénération singulière.  Et, au même endroit, il compare ceux qui, par dévotion, se présentent tous les jours à la sainte table, ou qui s’en abstiennent parfois par dévotion, comme Zachée et le centurion, dont l’un s’est  réjoui quand il a reçu la visite du Seigneur, et dont l’autre a dit :  Seigneur, je ne suis pas digne.  Cette comparaison aurait été d’une grande ineptie  si nous ne recevions rien d’autre que le signe du corps du Christ.    Dans l’épitre 120 à Honorat (chapitre 27), saint Augustin, commentant le psaume 21 (« ils ont mangé, ils ont adoré tous les riches du peuple »),  dit :  « Eux aussi sont amenés à la table du Christ, et reçoivent le corps et le sang du Christ, mais ils adorent seulement sans être rassasiés, pace qu’ils n’imitent pas.  Car, mangeant le Pauvre, ils dédaignent être pauvres. »  Dans ce texte, saint Augustin dit clairement  que les orgueilleux reçoivent le corps du Seigneur, adorent, mais ne sont pas rassasiés.  Il s’ensuit donc que, par le corps du Seigneur, il n’entend pas un signe du corps, c’est-à-dire du pain, car le pain n’est pas adoré.  Il n’entend pas non plus le corps du Christ tel qu’il est au ciel, mais comme  il est sur l’autel.   Car, il dit que c’est de la table du Seigneur que les impies le prennent. Voir les épitres 162 et 163.
Dans le troisième tome nous trouvons trois témoignages.   Le premier est tiré de son livre sur la trinité (livre 3, chapitre 1).  Il dit là qu’autrement est signifié le Christ par la langue et les paroles écrites et autrement par le sacrement du corps et du sang.  Et il ajoute : « Ce n’est ni avec la langue, ni avec des parchemins, ni avec de l’encre, ni  par des mots émis par la bouche, ni par des mots écrits sur des parchemins que nous parlons du corps et du sang du Christ,  mais c’est seulement avec ce qui pousse de la terre, qui a été consacré par une prière mystique, que nous prenons rituellement pour le salut spirituel en souvenir de la passion du Seigneur qu’il a endurée pour nous. » Or, si l’eucharistie n’était que le corps du Christ significativement,   pourquoi le corps du Seigneur ne pourrait-il pas être désigné  par des paroles écrites ou prononcées, qui signifient clairement le Christ ?
Un peu après, saint Augustin ajoute : « Quand par les mains des hommes, il est conduit à cette espèce visible, il n’est sanctifié, quelque grand que soit ce sacrement,  que si le Saint-Esprit opère invisiblement, c’est-à-dire,  quand Dieu agit dans ces choses  qui se font par des mouvements corporels. »  Dans ce texte, saint Augustin affirme doublement la vérité du corps du Christ.  La première. Il dit que c’est pars l’opération invisible du Saint-Esprit que se fait ce sacrement. Or, cette opération ne serait en rien nécessaire  si le corps du Seigneur n’était présent dans l’eucharistie que significativement.  La deuxième.   Il range cette opération-là parmi les miracles. Et il  en présente plusieurs exemples comme la pluie commandée par Élie, les coups de tonnerre du mont Sinaï, l’eau changée en vin aux noces de Cana, la verge d’Aaron qui refleurit, et la verge de Moïse changée en serpent. Or, comment pourrait-elle être admirable la confection  de ce sacrement, si le sacrement ne devient rien d’autre ?
Avec ces textes on pourrait réfuter l’objection que nous fait Pierre le martyr avec ce texte (dans son livre contre Gardinerus, par 4).  Il  affirme que le Saint-Esprit opère invisiblement dans ce sacrement, d’abord parce que les sacrements ont été institués par Dieu seul, et ensuite parce que l’efficacité du sacrement par laquelle nos esprit sont incités à croire, vient de l’Esprit Saint.  Mais ce ne sont là que des esquives.   Car si l’institution du sacrement, et aussi sa confection n’étaient rien autre qu’un signe, elle ne requerrait aucune opération visible du Saint-Esprit. Car, l’opération par laquelle nos esprits sont incités à croire est dans nos esprits, non dans le sacrement.
Un autre témoignage est dans le livre 3 de la trinité,  chapitre 10, où il dit : « Ces nuées ou ces feux comment les anges les faisaient-ils ou les assumaient-ils pour signifier ce qu’ils annonçaient, même si le Seigneur ou le Saint-Esprit était montré par ces formes ?  Qui, parmi les hommes, le sait ?  Comme les enfants ne savent pas ce qui est posé sur l’autel, et ce qui est consumé au terme de la célébration de la piété,  d’où et comment il a été confectionné, d’où lui vient d’être employé pour un usage religieux.  Et si jamais ils ne l’apprennent par leur initiative ou celle des autres, et ne voient jamais la vraie espèce que pendant la célébration des sacrements,  quand il est offert ou donné, qu’il leur soit dit par l’autorité la plus grave de qui sont ce sang et ce corps, et qu’ils ne croient rien d’autre que c’est dans cette espèce que le Seigneur est apparu aux yeux des mortels, et que c’est de son côté percé qu’a coulé cette liqueur. » C’est ce qu’il a dit quand il discutait des formes avec lesquelles les anges et Dieu apparurent dans l’ancien testament.  Et pour montrer que nous ignorions comment ces formes étaient faites, et que cependant nous croyons fermement que c’est en elles que les anges ou Dieu avaient apparu, il alla chercher une comparaison dans l’eucharistie.  Car, les enfants ignorent quand ils assistent aux choses sacrés, comment se fait cette forme, dans laquelle l’eucharistie est consacrée.  Et cependant, ils croient  que dans cette forme, le Seigneur est apparu, et que le sang du Seigneur est dans le calice, parce qu’on leur dit que le Christ,  dans l’évangile l’a enseigné quand il a dit : « ceci est mon corps, ceci est mon sang. »
Nous avons ici, contre les adversaires, un argument des plus solides.  Car les enfants auxquels on dit, par une très grande autorité, que le Christ est dans cette forme visible, et que la liqueur qui est dans le calice est le sang du Seigneur, ne croient pas que ce corps et ce sang ne soient chair et sang que figurativement, mais vraiment et proprement.  Car ils ne peuvent pas, par eux-mêmes, s’imaginer que ce ne sont que des tropes, mais ils croient en toute simplicité et sincérité ce qui leur est dit.  Voilà pourquoi saint Augustin a dit : « Ils ne croient rien d’autre que c’est le Seigneur qui est apparu aux yeux des mortels dans cette espèce, et que cette liqueur a réellement coulé du côté percé de Jésus. »
Il ne faut pas en conclure que les enfants ont une fausse foi.  D’abord parce que saint Augustin  dit qu’ils croient cela  parce que cela leur a été enseigné par  des prêtres vénérables. Car si cette foi avait été fausse, on aurait du les en avertir surtout quand ils étaient admis,  à leur tour, à la communion.  De plus, saint Augustin compare l’eucharistie avec les formes dans lesquelles les anges ou Dieu apparaissent.  Or, dans ces formes, les anges et Dieu étaient vraiment et réellement présents.  Il faut donc en conclure que, sous la forme du pain, le Christ était véritablement présent, car, autrement, la comparaison n’aurait pas eu de sens, et toute la dispute de saint Augustin s’effondre.  Lire aussi le chapitre 14 du livre 4 de la trinité, et le chapitre 100 de l’enchiridion.
Dans le quatrième tome, nous avons un témoignage tiré de son livre 3 sur le Lévitique, question 57 : « Comment interpréter le fait que le peuple était tout à fait exclus de sang des sacrifices qui étaient offerts pour les péchés, si ces sacrifices signifiaient vraiment l’unique sacrifice qui opérait la rémission des péchés, alors que non seulement personne n’est empêché de prendre comme aliment le sang de ce sacrifice, mais que tous ceux qui veulent avoir la vie sont exhortés à le boire ? »   Or, cette question serait non seulement vaine mais inepte si nous ne buvions le sang du Seigneur que spirituellement, et dans un signe. Et les Juifs, ce n’est pas spirituellement qu’on leur interdisait de boire du sang, mais corporellement. Voilà pourquoi saint Cyprien, ou quiconque est l’auteur du sermon sur la cène du Seigneur, a raison de dire que c’est une doctrine nouvelle et inouïe, celle qui ordonne de boire le sang,  puisque la loi ancienne interdisait sévèrement de boire le sang.
Dans le cinquième tome, nous puisons un  autre témoignage dans le livre 17, chapitre 20 de la cité de Dieu : « Dans l’autre livre appelé Ecclésiaste, on lit : « Il n’y pas d’autre bonheur pour l’homme que dans le manger et le boire ».   À quoi fait-on ici allusion,  si ce n’est  à la participation de cette table, que le prêtre médiateur du nouveau testament  a dressée selon l’ordre de Melchisédech ?   Car, ce sacrifice succède à tous les autres sacrifices de l’ancien testament, qui étaient immolés dans l’ombre du futur.   C’est pourquoi, dans le psaume 39, nous reconnaissons aussi  la même prophétie du médiateur : «Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation,  et tu m’as formé un corps.  Parce que,  dans tous ces sacrifices,  son corps est offert et est administré aux participants. »  Dans ce passage, saint Augustin ne peut pas parler du signe du corps, mais du vrai corps lui-même, quand il dit qu’est offert et administré ce corps qui succède aux sacrifices antiques.  Car eux aussi étaient des signes du corps du Seigneur.  Et, de plus, saint Augustin enseigne que le corps qui est offert et administré c’est celui dont il est dit au psaume 39 : « tu m’as formé un corps. »       Que ce fut un corps naturel  et véritable, personne ne peut le nier.
Les adversaires ne peuvent pas, non plus, répondre que saint Augustin parle d’un vrai corps, qui n’est perceptible que par la foi.   Car, quand il dit qu’il est offert et administré, il parle clairement d’un maniement corporel du corps du Christ.   Voir aussi à ce sujet son explication du psaume 39,  où il appelle le corps que  connaissent les fidèles et qu’ils reçoivent dans l’eucharistie,  le complément de tous les sacrifices anciens.   Dans le sixième livre contre Faust, au chapitre 10, il dit  que les fidèles reçoivent avec leur bouche le sang avec lequel ils ont été rachetés,  et, au chapitre 20, il dit qu’est bu maintenant ce qui a coulé du côté percé du Christ.  Et, dans le livre 12 contre l’adversaire de la loi et des prophètes, chapitre 9, il dit : « Nous recevons dans notre bouche et dans un cœur fidèle le médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus qui nous donne sa chair à manger, et son sang à boire, même s’il semble plus horrible de manger de la chair humaine que de tuer un homme, et de boire du sang plutôt que le verser. » Il est à noter qu’il dit qu’on ne reçoit pas la chair du Seigneur seulement avec notre cœur, mais aussi avec notre bouche.
Dans le septième tome, livre 2, contre les lettres de Petilianua, chapitre 27, il dit : « Autre est la pâque qu’ils  célèbrent encore avec l’agneau, autre celle que nous recevons dans le corps et le sang du Seigneur. »   Il oppose là l’agneau au corps du Seigneur que nous recevons dans l’eucharistie.  Ce qu’il n’aurait certes pas fait si c’est du signe du corps qu’il avait parlé, et non du vrai corps.  Car cet agneau était significativement le corps du Seigneur, et d’une manière plus expressive que le pain.  Voir aussi le livre 1 contre Cresconimius (chapitre 25, et le livre sur les pécheurs et les mérites, chapitre 21).
Dans le huitième tome, nous trouvons des témoignages très clairs.  Expliquant, dans le sermon 1, le psaume, intitulé : « et il était porté dans ses mains, »  il dit : « Qui comprend que cela puisse se faire pour un homme ?   Qui se porte dans ses propres mains ?  Un homme peut être porté par les mains des hommes,  mais ses propres mains, nul ne le peut.  On ne peut pas appliquer cela à la lettre à David, mais au Christ, on le peut.  Le Christ était  porté dans ses propres mains lorsque, recommandant son propre corps,  il dit : ceci est mon corps.   Il  portait  vraiment alors son corps dans ses mains.
À ce passage, Calvin a daigné répondre (livre 4, chapitre 17, verset 28),  lui qui a passé sous silence un si grand nombre de témoignages des autres pères, et de saint Augustin lui-même.  Il dit donc que le Christ s’est porté lui-même dans ses mains,  mais improprement, figurativement, parce qu’il ne portait que le sacrement de son corps.  Et il le prouve, cela, par la répétition que, dans le sermon 2, saint Augustin fait de la même phrase, en ajoutant le mot comme (d’une certain façon) : « Comment était-il porté dans ses mains ?  Parce que, quand il recommanda son corps et son sang, il prit dans ses mains ce que connaissent les fidèles, et il se portait lui-même d’une certaine façon quand il dit : ceci est mon corps ».  Pierre le martyr fait la même réponse.
Mais, il est facile de les réfuter.  Car, saint Augustin ne dit pas seulement  que le Christ s’est porté dans ses mains, mais il ajoute que c’est une chose extrêmement difficile, et   impossible aux hommes.  Voici, en effet, ce qu’il dit : « Qui peut comprendre que cela puisse se faire dans un homme ? »  Et de nouveau : « Un homme peut être porté dans les mains d’un autre, mais se porter soi-même dans ses propres  mains, nul le peut. » Or, il est extrêmement facile de se porter soi-même en figure.  Quand un roi porte sa monnaie dans un sac, il se porte dans un signe, puisque dans cette pièce d’argent, son image a été gravée.  Et quand chacun de nous lit des lettres qui lui sont adressées, où est écrit son nom,  ne se porte-t-il pas lui-même dans un signe ? Or, comme c’est une chose banale et commune, comment saint Augustin a-t-il pu dire que c’est quelque chose qui ne pouvait se faire, et qu’on pouvait à peine comprendre,  s’il ne parlait que d’un signe ?
Mais Pierre le martyr insiste : « Personne ne peut se porter comme le Seigneur se portait lui-même, parce que personne ne peut instituer un sacrement,  et porter de cette façon un sacrement. »   Je réponds que personne ne peut instituer un sacrement, en tant que le sacrement est un instrument capable de procurer la grâce.  Mais,  qu’on  peut très bien instituer un sacrement qui n’est qu’un simple signe de quelque chose.  Si, en effet, le Christ avait dit qu’il se portait parce qu’il portait un sacrement,  il disait donc qu’il se portait parce que ce sacrement était un signe de lui-même, non parce qu’il était un instrument de la grâce, comme le disent aussi ceux qui disent que le sacrement du corps du Seigneur est appelé corps du Seigneur parce que le nom de la chose signifiée est parfois attribué au signe.  Donc, quiconque porte sur soi son image peinte, ne se porte pas moins lui-même que ne se portait le Christ, si est véritable la sentence de nos adversaires.
Pierre le martyr ajoute : «Que les papistes le veuillent ou ne le veuillent pas, il ne peut se faire en aucune façon que le Christ ait porté son corps au sens propre, car il y aurait eu alors deux corps. »  Cela ressemble à celui qui se lamentait  de ce que le mystère de la trinité était trop sublime pour être compris par un être humain, à savoir comment une seule nature pouvait, sans être doublée,  être dans deux personnes distinctes.  Que répondre sinon qu’on a besoin de la foi pour comprendre les choses qui surpassent la raison.  Qu’il sache donc que nous répondrons la même chose au sujet de ce mystère.   Si lui-même aurait répondu à Arius qu’en raison de son infinité, la divine essence peut être dans plusieurs personnes réellement distinctes, nous dirons nous aussi que, en raison de la toute puissance du Christ, le corps du Christ peut se trouver en divers lieus.  Mais cela, c’est dans le prochain livre que nous le traiterons.
Et au sujet du comment (d’une certaine manière), je réponds que ce mot signifie que le Christ ne se portait pas dans sa propre espèce, mais dans une espèce étrangère;  et  il ne se portait pas comme on porte ordinairement des corps humains, avec un dur travail sur les épaules,  ou d’une autre manière, mais mystiquement et sacramentalement, quoique vraiment, car, sous ce mystère son corps était contenu.  En somme, quelle que soit la signification de ce comme, il nous suffit qu’il ne signifie pas en signe, ou en figure, comme nous l’avons démontré.
    Un autre passage insigne se trouve dans son commentaire du psaume 98 : « Adorez l’escabeau de ses pieds. »  Il dit que l’escabeau des pieds du Seigneur est la terre, selon Isaïe LXV1 : « La terre est l’escabeau de ses pieds. »  Et il se demande comment on peut, sans impiété, adorer la terre : « Hésitant, je me tourne vers le Christ, car  ce que je cherche, c’est lui.  Il reçoit la terre de la terre, et de la chair de Marie,  il reçoit la chair.  Et, parce que, dans cette chair, il a marché, et nous a donné, pour notre salut, cette même chair à manger.  Or, personne ne mange cette chair avant de  l’avoir adorée.  On a donc trouvé comment on adore l’escabeau des pieds du Seigneur, de façon à ce que non seulement nous  ne péchons pas en l’adorant, mais que nous péchons en ne l’adorant pas. »
Or le faux martyr n’a pas bien lu saint Augustin, et il fait présomptueusement dire à saint Augustin le contraire de ce qu’il dit.  Dans son sermon 1 sur le psaume 21 qui traite des riches superbes et impies, saint Augustin dit : « Ont mangé le corps de l’humilité du Seigneur même les riches. Ils ne se  sont pas nourris  du corps du Seigneur au point de l’imiter, mais ils l’ont quand même adoré. »  Et dans l’épitre 120 citée plus haut, il dit : « Eux aussi ont été amené à la sainte table,  et ont reçu le corps et le sang du Seigneur, mais ils l’ont adoré seulement, sans s’en rassasier, parce qu’ils ne l’ont pas imité. »  Tu vois donc que, selon saint Augustin, les impies adorent et mangent la chair du Seigneur à la sainte table, c’est-à-dire celle qui vient de l’autel.  C’est donc avec ces textes que nous expliquons celui-ci, et avec saint Augustin nous enseignons qu’il parle de la manducation du corps du Christ avec un instrument corporel, lorsque les impies mangent, eux aussi, cette chair.
De plus, si saint Augustin avait voulu seulement dire qu’on adore la terre sans impiété parce que c’est la chair du Christ telle qu’elle est dans le ciel qu’on adore,  il n’aurait eu aucune raison de dire que c’est celle qui nous est donnée à manger qu’on adore.  Car, pourquoi fait-il mention de l’eucharistie si nous n’adorons pas la chair du Seigneur présente dans l’eucharistie ?  Saint Augustin a donc voulu montrer que c’est la chair du Seigneur qui est adorée.  Et comme nous n’avons pas d’autre argument plus fort que l’adoration quotidienne de l’eucharistie,  c’est pour cela qu’il en fait mention.  Car, sans tenir compte de cette adoration,  on ne peut pas facilement discerner si c’est la chair du Seigneur ou la seule divinité qui est adorée.  De plus, il est probable que tout ce passage, saint Augustin l’ait puisé dans saint Ambroise qui, comme nous l’avons dit plus haut, enseigne clairement que c’est la chair du Christ qui est adorée par nous dans nos mystères, comme les apôtres l’ont adorée dans sa propre espèce.  Et c’est cela adorer l’escabeau de ses pieds.  Voir de plus les psaumes 33, 50, 14, 93, et 99.
Dans le neuvième tome, traité 11 sur saint Jean, expliquant ce verset : mais Jésus ne croyait pas en eux, il dit que cela convenait à des catéchumènes, à qui le Christ ne s’offrait pas par l’eucharistie : « Si nous disons à un catéchumène : crois-tu dans le Christ ?  Il répondra : je crois. Et il se signe de la croix du Christ,  ainsi que sur son front.  Il ne rougit pas de la croix de son Seigneur.  Il croit donc déjà dans son nom.  Posons-lui une autre question : est-ce que tu manges la chair du fils de l’homme, est-ce que tu bois le sang du Fils de l’homme ?  Il ne sait pas ce que nous disons, parce que le Seigneur ne se fie pas encore à lui. »
 Et plus bas : « Où  conduit-il les croyants et les baptisés ?  A la manne, je dis à la manne.  On connait ce que les Juifs  ont reçu.  On sait ce que le Seigneur a fait pleuvoir du ciel pour eux.  Et les catéchumènes ne savent pas ce que reçoivent les chrétiens ?  Ils rougissent donc, car ils ne savent pas comment traverser la mer rouge et manger la manne, ni comment croire au nom de Jésus pour que  Jésus croie en eux.  Celui qui dans le livre 11 sur les pécheurs, le mérite, la rémission, chapitre 26, dit qu’on a coutume de donner aux catéchumènes un pain saint, qui est saint et sanctifie, même s’il n’est pas le corps du Christ, et qui peut être appelé sacrement,  et donc signe d’une chose sacrée.  Ce qui nous fournit un argument de première classe.
Car, d’abord, si le vrai corps du Christ n’était pas dans l’eucharistie, et si on ne mangeait  la chair du Christ que dans un symbole et par la foi, ce ne serait pas dans le vrai Christ que les catéchumènes ne croiraient pas,  car le Christ dans un signe,  ils l’ont déjà, et ils le mangent dans la foi.  Car ils se signent du signe de la croix,  et croient dans le Christ.  Ensuite,  il n’y aurait aucune raison pour laquelle on ne leur donnerait pas l’eucharistie,  puisqu’on leur donne d’autres signes plus clairs, comme les paroles écrites de Dieu.  Enfin, on aurait pu aussi appeler ce pain saint corps du Seigneur, ce que saint Augustin refusait constamment.
Le même auteur au traité 26 sur saint Jean,  expliquant ce verset : le pain que je donnerai est ma chair, dit : « Cela est appelé chair,   même si la chair ne peut pas  comprendre comment un pain est un  corps. »  Or, la chair comprendrait très facilement si le pain n’était de la chair que significativement.  Voir aussi les traités 2 et 5 sur Saint Jean.
Dans le tome dixième, dans le sermon 2 sur les paroles de l’apôtre : nous avons entendu le maître véridique, le divin rédempteur,  le Sauveur des hommes nous recommandant son sang comme notre prix. Car, il a parlé de son corps et de son sang en appelant son corps nourriture, et son sang breuvage.  Les fidèles connaissent le sacrement des fidèles. »   Il est évident qu’il pale de son sang, et non de la figure de son sang.  Car une figure n’est ni notre prix, ni notre rançon.  Et il dit que son sang est un breuvage comme il a dit que son corps était une nourriture.  Et pour que les adversaires ne disent pas que ce breuvage et cette nourriture  ne sont reçus que par la foi, et en esprit, il ajoute que c’est le sacrement des fidèles, qu’ils connaissent tous bien.  Il indique là que c’est un mystère qui n’est connu que par les fidèles, à savoir comment le corps est une nourriture et le sang un breuvage.   Cette phrase ( que les fidèles connaissent) nous la rencontrons dans une infinité d’endroits chez saint Augustin, comme au livre 10, chapitre 6 de la cité de Dieu, au psaume 39, au psaume 99,  au livre 1, homélie 42, et ailleurs.
Et pourtant, ce n’est pas un mystère connu des seuls fidèles, que le corps et le sang du Christ sont reçus par la foi.  Cela est prêché publiquement aux Gentils,  et c’est quelque chose qui était archi connu non seulement des fidèles, mais aussi des catéchumènes.  Saint Augustin comprend donc ce que l’Église comprend,  à savoir que l’eucharistie est un mystère vénérable qui ne peut pas être découvert aux infidèles, et qui ne peut être compris que par la foi.   Dans son sermon sur les néophytes, comme l’atteste l’évêque   Yves Carnotensis, dans sa lettre à Hymericus, et Paschasius dans son épitre à Frudegarde : « Recevez  dans le pain ce qui a été suspendu sur la croix.  Recevez dans le calice ce qui a coulé du côté percé du Christ. »  Dans le livre 1, homélie 26, il avertit de prendre garde à ce qu’aucune parcelle  de l’hostie ne tombe à terre. »  Et dans le sermon 1 sur le temps, il dit : « Nous sommes invités à la sainte table, où ne se trouve pas de nourriture humaine, mais où est placé le pain des anges. »  Enfin Gratien  cite des phrases très claires de saint Augustin.  Voir dist 2, sur la consécration , canon  nos autem,  et canon hoc est quod dicimus.  Algerus (livre 1, chapitre 5) cite les mêmes : « La chair, dit saint Augustin,  est la sienne, celle que nous recevons dans le sacrement sous la forme du pain,  et c’est aussi son sang, que nous buvons sous l’espèce du vin.  Mais ces paroles : voilà ce que nous disons, semblent plutôt de Lantfranc que de saint Augustin ou de Prosper.  Car, elles sont présentes dans le livre de Lantfranc, et sont citées sous non  nom par Yves  par 2, chapitre 9.
                        Les objections tirées de saint Augustin
Voyons maintenant ce que les adversaires nous objectent avec les œuvres de saint Augustin.  Et suivons le même ordre qu’au début, en procédant par tomes.
Dans le premier tome, ils n’ont rien trouvé à reprendre.   Dans le second, ils présentent deux textes. Le premier de l’épitre 23 à Boniface, et l’autre, de l’épitre 57 à Dardanus.  Dans l’épitre 53, saint Augustin parle ainsi : « Si les sacrements n’avaient pas une certaine ressemblance avec les choses dont ils sont les sacrements,  ils ne seraient absolument pas des sacrements. C’est de cette ressemblance que la plupart ont vraiment reçu  leurs  noms.   Le sacrement du corps du Christ est d’une certaine manière le corps du Christ, et le sacrement du sang du Christ est d’une certaine manière le sang du Christ.  De la même façon, la foi est le sacrement  de la foi. »  Ce texte est allégué  par Calvin,  Pierre le martyr, et tous les autres, et, avant eux tous, par Bérenger.  Et on lui avait bel et bien répondu.  Puisque les adversaires s’acharnent à répéter les arguments des hérétiques, leurs ancêtres, nous répéterons nous aussi les réponses que  leur avaient données nos ancêtres.
La première. Paschasius (dans son épitre à Frudegardus) et Lantfranc (dans son livre contre Bérenger) ont répondu que le sacrement du corps du Seigneur est appelé corps du Seigneur parce que, bien que, dans le sacrement de l’eucharistie le corps du Christ soit vraiment présent, quant à sa substance, il n’y est quand même pas de la même façon qu’il fut sur la croix, mais par similitude.  Car, saint Augustin parle là de la passion et de la mort du Christ qui est représentée dans le sacrifice de l’autel.  C’est comme s’il avait dit que la célébration du mystère de l’autel est d’une certaine façon la passion du Christ.  Car, elle n’est pas vraiment la passion du Christ,  mais seulement selon  la représentation.
 Ou bien, c’est comme s’il avait dit que, en tant qu’il est sous l’espèce du pain, le corps du Seigneur est comme le corps pendant sur la croix.  Et Lantfranc illustre son explication par une comparaison saisissante.  Dans le dernier chapitre de Luc, on lit que le Seigneur a fait semblant d’aller outre.  Ce texte a été commenté par saint Augustin (dans son livre contre le mensonge, chapitre 13), où il dit que, par cette fiction, le Seigneur avait signifié qu’il monterait au-dessus de tous les cieux.  Le même Christ fut donc la figure de lui-même,  et on peut dire sans crainte de se tromper que  le Christ feignant d’aller plus loin est d’une certaine façon le Christ montant au ciel.
Guitmandus (livre 2) présente deux autres explications.  La première.  Il parle des sacrements anciens, comme la manne, ou du pain de Melchisédech, qui étaient d’une certaine façon le corps du Seigneur en tant que sacrements, c’est-à-dire, signes et figures du corps du Seigneur. La deuxième.  Il parle de l’eucharistie, en tant que signe du corps mystique du Christ.  Car, le même saint Augustin (au traité 26 sur saint Jean),  dit que l’eucharistie est la société des fidèles parce qu’elle est un signe ou un sacrement de sa société.
Algerus (livre 1, chapitre 5 sur le sacrement de l’eucharistie),  explique autrement, mais tout aussi bien, le texte de saint Augustin.  Car, il veut que saint Augustin parle des espèces du pain et du vin qui sont proprement le sacrement du corps et du sang du Christ, c’est-à-dire des signes sensibles représentant le corps et le sang du Seigneur.  Et que c’est d’eux qu’il est dit à bon droit que le sacrement du corps du Christ est le corps du Christ, en quelque sorte.  Car, ces espèces ne sont pas le corps du Christ, si ce n’est d’une certaine façon, c’est-à-dire par représentation.  Tu diras que nous n’avons pas coutume de parler ainsi, de dire que ces espèces sont le corps du Christ,  et que nous avons plutôt coutume de ne pas parler ainsi. C’est vrai.
Un autre passage que Calvin et Pierre le martyr et d’autres nous objectent souvent se trouve dans l’épitre 57 à Dardanus : « Enlève l’espace aux corps, et ils ne seront jamais.  Et parce qu’ils n’ont jamais été et ne seront jamais, enlève aux corps les qualités des corps. Il n’y aura pas d’endroit où ils seront.  Il est donc nécessaire qu’ils ne soient pas. »  Ils s’efforcent de prouver par ce texte, que le corps du Chris ne peut pas être dans le sacrement de façon indivisible, comme nous le disons, nous;  et que les accidents du pain et du vin ne peuvent pas exister sans un sujet qui leur soit propre.
Je réponds que saint Augustin parle des choses selon le cours normal de la nature, non selon la toute-puissance du Créateur.  Nous reconnaissons  que, naturellement, un corps ne peut pas, dans le ciel,  ne pas occuper un lieu; et que les accidents ne peuvent pas exister dans un sujet qui leur soit propre.  Même si (c’est la même chose) il parle des corps qui ne retiennent pas la façon corporelle d’exister.   Est-ce que, par la toute-puissance de Dieu, un corps peut recevoir le mode d’existence des esprits, et donc ne pas occuper un lieu, ce n’est pas en cet endroit que saint Augustin se le demande.  Nous nous réservons de traiter  de cet argument au complet, en son lieu et place.
Dans le troisième tome, (livre 3, chapitre 9 de la doctrine chrétienne), saint Augustin dit que le Christ a institué peu de signes comme le baptême et l’eucharistie.  Mais ce texte n’est pas opportun,  parce que nous ne nions pas que l’eucharistie soit un sacrement, et donc un signe.  Mais nous nions qu’il ne soit qu’un signe.  Ils nous objectent ensuite le chapitre 16 (au livre 3 de la doctrine chrétienne) où il dit que c’est figurativement qu’il faut accepter la manducation de la chair du Christ.  Mais, cela nous l’avons déjà expliqué plus haut, quand nous avons traité du chapitre 6 de saint Jean.  Ils présentent ensuite le chapitre 19 du livre dédié à Pierre, sur la foi, où il appelle l’eucharistie le sacrement du pain et du vin.  Mais, il n’y a aucune difficulté là de dans. Car, par la matière,  l’eucharistie peut très bien être appelée de cette façon.
Ils présentent le chapitre 4 du livre 3 sur la trinité, où nous lisons ceci : « L’apôtre a pu prêcher le Seigneur Jésus, en signifiant autrement par la langue, autrement par l’épitre, autrement par le sacrement du corps et du sang du Christ. »  Ce texte ne représente, lui non plus, aucune difficulté.  Car les catholiques n’ont jamais cessé  d’affirmer  que par le sacrement du corps du Seigneur,  le corps lui-même du Seigneur est signifié, mais en tant que  présent, non absent.  C’est ce que saint Augustin affirme clairement au même endroit, quand il dit qu’il est signifié autrement par ce sacrement, autrement  par des sons et par des lettres.   Car ces choses (les sont et les lettres) sont des signes nus d’une chose absente;  le sacrement est le signe d’une chose présente.  Voilà pourquoi, au même endroit, il dit que les sons et les lettres ne sont pas appelés corps du Christ, même s’ils le signifient, et que c’est seulement le pain et le vin qui sont appelés corps du Christ.
Le cinquième, ils le tirent du chapitre 10 du même livre 3 sur la trinité, où saint Augustin dit que, quand est terminée la célébration de la piété, le pain posé sur l’autel est consommé : « Le vrai corps du Christ, disent-ils, n’est pas consommé. C’est donc le vrai pain qui est consommé quand on consomme l’eucharistie. »  Je réponds que c’est après la consécration, que  le pain posé sur l’autel est consommé; et que, quand on le mange, on le consomme selon sa forme externe.  Car, on ne peut en aucune façon douter que saint Augustin parle des formes corporelles sous lesquelles Dieu ou les anges apparaissaient, et que c’est à elles qu’il compare le symbole de l’eucharistie.
Dans le quatrième tome, ils n’ont rien trouvé.  Il est vrai que Pierre le martyr nous objecte un passage tiré du livre sur la catéchèse aux illettrés, chapitre 26, où les sacrements sont appelés signes visibles des choses indivisibles.  Mais nul ne sait si, dans ce passage, il parle de l’eucharistie, du baptême, ou du pain béni que l’on donnait aux catéchumènes.  Nous n’avons jamais nié, non plus, que le sacrement de l’eucharistie est un sceau visible d’une chose visible, mais d’une chose présente.
Du cinquième tome, ils n’ont rien tiré de solide.  Ils nous présentent ce texte de la cité de Dieu  (livre 10, chapitre 5) : « Le sacrifice visible est le sacrement d’un sacrifice invisible, c’est-à-dire un signe sacré. Mais ce passage n’a rien à voir avec le sujet que l’on traite, car, saint Augustin parle là des sacrifices de l’ancien testament.  Dans le chapitre 25 du livre 21, saint Augustin dit que les impies ne mangent pas le corps du Christ.  Mais, il parle du corps mystique, comme nous l’avons expliqué plus haut, quand nous commentions la première épitre de saint Paul aux Corinthiens, chapitre onze.
Du sixième tome, Calvin et Pierre le martyr nous objectent le chapitre 12 de son livre contre  Adimante : « Le Seigneur n’a pas hésité à dire : ceci est mon corps, quand il a donné le signe de son corps. »  À ce texte les nôtres répondent de plusieurs façons.  Certains disent, et non sans raison, que saint Augustin parle de la sentence des manichéens, pour les réfuter avec leurs propres paroles.   Car, comme ils n’attribuaient pas au Christ un vrai corpos, mais une apparence externe,  et comme ils disaient que tout ce que le Christ a souffert il l’a souffert en signe et en apparence, et qu’ils recevaient dans ce sens les paroles : ceci est mon corps, comme s’il avait été dit : ceci est le signe et l’apparence de mon corps,  Saint Augustin avait coutume de disputer avec les manichéens de leurs principes, comme le montre le  livre 2 sur le bien de  la persévérance .  Comme on lui objectait qu’il avait écrit dans ses livres sur le libre arbitre, que l’ignorance avec laquelle nous naissons était naturelle, mais qu’elle provenait du péché du premier Adam, il répondit que, dans ses livres sur le livre arbitre, il parlait selon la pensée des manichéens, pour réfuter leurs erreurs avec leur propres sentence.
Une autre solution est que, dans ce passage, saint Augustin entend par signe  non un signe vide mais un signe avec lequel la chose signifiée est réellement unie.  Car, il est en train d’expliquer ces paroles du Deutéronome X11 : « Le sang est l’âme. »  Et il enseigne que le sang est dit âme, non parce qu’il est une âme, mais parce qu’il est le signe d’une âme.  Et pour illustrer sa pensée, il apporte, comme autre sentence, que l’eucharistie est appelée corps du Seigneur, parce qu’elle est le signe du corps du Seigneur.   Or, le sang n’est pas le signe d’une âme absente, mais présente.  Car le sang montre beaucoup mieux une âme qu’une statue montre un prince.  Voilà pourquoi saint Augustin , expliquant dans la question 57, le  Lévitique, comment le sang est appelé âme, déclare qu’on le dit âme parce qu’il contient l’âme.  Si donc le sang signifie l’âme, parce qu’il la contient et est uni réellement avec elle, c’est de la même manière que l’eucharistie est un signe du corps du Seigneur, comme tous les catholiques le reconnaissent.
La troisième solution.  Saint Augustin parle du signe du corps comme immolé sur la croix.  Comme quand le Seigneur a dit du pain eucharistique : ceci est mon corps.  C’est ainsi que, dans le livre 2,  Guitmundus  répond à un passage semblable.  Voir ce que nous avons dit au sujet du témoignage  tiré de l’épitre 23, car, à mon avis, la sentence est la même dans les deux endroits.  Et avec cela est aussi réfuté ce qu’ils tirent du livre 20 contre Faust , chapitre 21,  où saint Augustin parle ainsi : « Avant la venue du Christ, la chair et le sang de ce sacrifice était promis par la similitude des victimes.  Dans la passion du Christ, il  était rendu en toute vérité. Après l’ascension du Christ, il était célébré par le sacrement de la remémoration. »  On voit, dans ce passage, que saint Augustin parle manifestement de la commémoration de la passion de la mort du Seigneur.
Ensuite, dans le sixième tome, Pierre le martyr et les autres puisent ce témoignage de saint Augustin  (livre 3) : « Le Christ appela Judas au banquet dans lequel il recommanda à ses disciples la figure de son corps. »  Nous répondons ce que nous avons répondu plus haut, que saint Augustin parle de la figure de son corps suspendu sur la croix, c’est-à-dire de la représentation de la passion du Sauveur.  C’est de la même façon que saint Augustin a appelé figure du corps ce que les Grecs appelaient antitype, dont nous avons longuement parlé dans les témoignages de saint Basile.
Ils présentent un autre passage tiré du psaume XGV111 : « Car ce corps que vous voyez, que vous êtes sur le point de manger, et ce sang que vous êtes sur le point de boire, est celui que répandront ceux qui me crucifieront.  Ce sacrement, je vous le recommande. »  Lantfranc avait répondu autrefois contre Bérenger, que saint Augustin avait voulu dire ce que ce n’est pas le même corps qui sera mangé, c’est-à-dire pas de la même façon.  Car,  était présent alors le corps dans sa forme externe et visible, et c’est dans une autre forme ou espèce qu’il devait être mangé, agissant invisiblement et spirituellement.  C’était donc, comme le dit Lantfranc, le même et non le même.  Le même quant à la substance, mais pas le même quant au mode, quant à l’espèce et la qualité.  Car l’apôtre Paul dit aux Corinthiens (15) : « Ce que tu sèmes ce n’est pas le corps futur, mais un grain nu. »  Dans cette phrase, saint Paul veut dire  également que le corps qui sera après la résurrection  n’est pas le même corps humain qui meurt et est ensemencé dans le sépulcre.  Non que le corps futur ne soit pas le même numériquement quant à la substance, mais parce qu’il ne sera pas le même par les qualités.   Car, comme saint Paul l’explique, il est semé corruptible et ressuscite incorruptible.  Et c’est cette façon de parler que saint Paul a notée dans son épitre 146.  Et saint Ambroise (livre 2, chapitre 10 sur la pénitence) rapporte que quelqu’un  a correctement dit : « Je ne suis pas moi, » parce qu’il avait changé sa vie et ses mœurs.
Et saint Jérôme (au chapitre 1 aux Éphésiens) dit que « autre est la chair dans l’eucharistie, et autre elle a été sur la croix ».  Et pourtant, il a été démontré que, dans l’eucharistie, il place la vraie chair du Christ, et une chair semblable  à celle qui a été sur la croix, quant à la substance, non quant à la qualité.  Et le Seigneur  en Luc 24  s’est distingué lui-même de lui-même quant il a dit : « Je vous ai dit cela quand j’étais encore avec vous. »  Que ce fut aussi la pensée de saint Augustin, on le déduit de ce texte.  Car, il enseigne au même endroit que c’est le vrai corps du Christ qui est reçu dans l’eucharistie quand il dit que c’est la même chair qui a marché, et qui n’est mangée par personne avant de l’avoir adorée.  Et comment on ne mange pas le même corps, il l’explique au même endroit quand il dit que les gens de Capharnaüm pensaient que, pour pouvoir manger la chair du Christ, il  fallait la couper en tranches, le débiter ou la hacher.  C’est à cette idée absurde que répond le Seigneur quand il dit : « Non ce corps que vous voyez. »
Mais Pierre le martyr nous propose (dans son livre contre Gardinerus, objection 220) un dilemme. « Quand, à la dernière cène, le Seigneur a donné son corps aux disciples, ce corps était mortel ou immortel.   S’il était mortel, il ne différait donc pas  par la qualité de ce qu’on voyait alors.  Et on ne pouvait pas correctement dire de lui : non ce corps que vous voyez.  S’il était immortel, comment est-il mort un peu après ? »  Je réponds que dans la dernière cène, le corps donné aux disciples était mortel, mais qu’il leur a été donné  d’une manière immortelle et impassible.   Car, en tant qu’il était sous l’espèce du pain, il ne pouvait pas être blessé, alors que sous sa forme propre, il pouvait souffrir et mourir.
Dans le tome neuf, ils ne puisent aucun témoignage, sauf des choses de peu d’importance et déjà expliquées par ailleurs.  D’abord dans le traité 25 sur saint Jean : « Pourquoi aiguises-tu des dents et salives-tu ? Crois, et tu as mangé ! »  Nous avons déjà répondu à ce passage, quand nous avons expliqué le chapitre 6 de saint Jean.  Nous avons dit alors que saint Augustin ne  parle pas de l’eucharistie,  mais de la manducation spirituelle du Christ par la foi.   Ils ajoutent ensuite le traité 26 sur saint Jean où il serait dit que les Juifs auraient mangé la même nourriture que nous. Nous avons déjà répondu à cela dans l’explication des figures de l’ancien testament, à savoir qu’ils avaient mangé la même nourriture en figure, non en réalité.
Ils tirent cette autre phrase de son traité 30 sur saint Jean : « Le corps du Christ dans lequel il est ressuscité peut être dans un seul endroit.  Sa vérité est diffusée partout. » Or, saint Augustin ne nie pas, là, que le corps du Christ puisse être en même temps dans plusieurs endroits, mais il nie que sa vérité puisse être restreinte  à un seul lieu, puisqu’elle est diffusée partout.  Ce qui est tout à fait vrai.  Ce serait la même chose si quelqu’un disait que l’humanité du Christ peut être dans un seul lieu, mais que la divinité ne le peut pas.
Quatrièmement, ils présentent le traité 50 sur saint Jean où saint Augustin dit que maintenant, le Christ ne nous est plus  présent selon la condition de la chair.  Nous avons répondu à ce texte quand nous avons expliqué le verset : « moi, vous ne m’aurez pas toujours. »  Et nous avons dit que saint Augustin parlait d’une présence visible.  Ils présentent aussi le traité 59, où le saint docteur a dit : « Ils mangèrent leur Seigneur sous la forme du pain, et Judas le pain du Seigneur. »  Nous avons répondu à ce texte quand nous avons commenté le chapitre 2 de l’épitre 1 aux Corinthiens, où nos avons démontré que le corps du Seigneur est mangé aussi par les impies.  Ils présentent enfin le traité 10 sur l’épitre de saint Jean, où  saint Augustin dit que le corps du Christ est naturellement dans le ciel où il a été élevé après l’ascension; qu’il est resté, sur la terre, en tant que corps mystique du Christ, c’est-à-dire l’Église.  Saint Augustin a lui-même expliqué ce qu’il entendait par là.  Car, voici ce qu’il a dit : « Tu ne trouves plus  depuis, que le Christ ait parlé sur la terre. »  Et ailleurs : « Sur le point de monter au ciel, il dit ces dernières paroles :  « Après ces paroles, il ne parla plus sur la terre. »  Il parle donc de la présence visible du Christ,  qui conversait avec les hommes à la manière des êtres humains.  C’est de cette manière qu’il n’est plus sur la terre, sauf dans son corps mystique.
Et dans le dixième tome,  Pierre le martyr et Calvin  tirent du sermon de saint Augustin sur les paroles de l’apôtre,  que les impies ne reçoivent pas vraiment le corps du Christ.   Mais nous avons répondu à cela plus haut, quand nous avons comment le chapitre 2 de la première épitre aux Corinthiens, où nous avons expliqué qu’on dit que les impies ne mangent pas parce qu’ils ne sont pas nourris spirituellement.  Saint Augustin dit la même chose : «    Ce manger c’est être refait, ce boire, qu’est-ce donc d’autre que vivre ? »  C’est sur ce même fondement qu’est solutionné ce que Pierre le martyr nous objecte  de saint Augustin dans les sentences de Prosper,  où nous lisons que ne mange pas le pain du Seigneur ni ne boit son sang celui qui est en désaccord avec le Christ, même s’il reçoit son sacrement.
Une objection est tirée du livre 50 (homélie 26) où saint Augustin soutient que semblable est le péché de celui qui permet que le corps du Christ tombe par terre, à celui qui  permet que la parole de Dieu sorte de son cœur.  Or, cette comparaison ne semble pas vraie si le corps vrai et naturel du Christ est vraiment dans l’eucharistie, car laisser tomber par terre le vrai corps du Christ serait un plus grand péché que laisser sa parole sortir de son cœur.
Je réponds  que saint Augustin ne compare par le corps du Christ avec la parle de Dieu sous l’aspect du son ou du caractère typographique,  mais de la vérité divine qui est signifiée par les son et les lettres.  Voilà pourquoi il ne dit pas que la parole de Dieu soit sortie des oreilles, mais du cœur.  Il ne dit pas non plus que le péché est le même si quelqu’un échappe par terre le corps du Christ ou une bible.  Si c’est cela qu’il avait dit, alors l’argument de Pierre le martyr aurait quelque valeur.  Or, la vérité de la parole de Dieu est, en beaucoup de choses, semblable et égale au corps du Christ.  Car, comme le corps est immortel, impassible et uni à Dieu, la vérité de la parole du Christ  est, elle aussi, éternelle, immuable et divine. Et comme ce corps nous est donné sous l’espèce de choses visibles et terrestres, la vérité, elle aussi, nous est donnée dans les signes des lettres et des sons.
Cette réponse de saint Augustin nous est des plus favorables. Car, il s’ensuit nécessairement  que c’est vraiment un péché, et un péché grave de laisser tomber l’eucharistie par terre, comme c’est un péché et un péché grave de laisser éteindre la vérité qui avait été conçue dans le cœur.  Ce n’est pourtant pas un péché de projeter par terre l’eau du baptême, qui, pour nos adversaires n’est pas moins sainte que l’eucharistie.  Ils puisent, enfin, dans son sermon sur les enfants  dont Bède récite un fragment  (au chapitre 10 de la première épitre aux Corinthiens) : « Ce que vous avez vu c’est un pain et un calice, que nos yeux nous montrent aussi.   Ce que votre foi éduquée professe c’est que ce pain est le corps du Christ,  que le vin de ce calice est le sang du Christ. »  Et plus bas, après avoir dit que le Christ est dans le ciel, il demande ; « Comment le pain est-il son corps ? Et le calice ou ce que contient le calice, comment est-il son sang ? »  Et il répond ensuite : « On dit que ces choses sont des sacrements  parce que, en elles, une chose autre est vue, et une chose autre est comprise.  Ce qui est vu est l’espèce du pain corporel, ce qui est compris est le fruit spirituel qu’elle a.  Si tu veux donc comprendre le corps du Christ,  écoute l’apôtre qui dit : vous êtes le corps du Christ. »
Je réponds que toute la force de son témoignage repose en deux choses.  La première.  En ce que saint Augustin dit que le pain est ce qui est sur l’autel, comme nos yeux nous le montrent. La deuxième.   À la question :  si le Christ est dans le ciel, comment le pain peut-il être le corps du Christ, saint Augustin ne répond pas : par transmutation,  ou quelque chose du genre. Mais il dit que les sacrements sont des signes visibles et corporels  de choses spirituelles et divines.
À la première objection, il est facile de répondre.  Car, saint Augustin déclare que  ce qui est sur l’autel c’est  du pain quant à son apparence externe, come les yeux le jugent; et que, quant à la substance interne, c’est le corps du Christ, comme la foi le juge droitement.   Car, si saint Augustin avait voulu dire que, sur l’autel, c’est un pain qui se trouve là quant à la substance, et qu’il le prouverait, cela, par le témoignage des yeux, ce que ses paroles semblent signifier au premier abord, il s’opposerait clairement à saint Cyrille, à saint Ambroise, à saint Grégoire de Nysse, à saint Épiphane, à Gaudentius, et à saint Jean Chrysostome, qui expliquent éloquemment  que les sens font défaut, et qu’il ne faut pas juger d’après le goût.  Et donc, que  ce n’est pas un pain.  Qui peut penser que, dans une chose de cette importance, saint  Augustin aurait contredit de si grands et de si nombreux docteurs ?  Et si son enseignement s’opposait au leur, pourquoi ne les a-t-il jamais réprimandés, et pourquoi n’a-t-il jamais été réprimandé par eux ?  Donc, comme ses paroles peuvent s’entendre de deux façons, que l’une est contraire à l’enseignement de tous les pères, et que l’autre lui est conforme,  qui ne voit pas quel sens il faut préférer ?  Ajoutons qu’il  s’opposerait non seulement aux autres pères, mais  à lui-même, s’il voulait allouer un rôle décisif  au jugement des sens, comme le montrent les textes ci-haut cités.
À la seconde objection, je réponds que saint Augustin à la question : comment le pain est-il le corps du Christ,  n’a pas voulu répondre directement, parce que ses auditeurs n’étaient pas aptes à entendre une explication savante.  Cette homélie, en effet, s’adressait à des enfants récemment baptisés.  Voilà pourquoi il les exhorte seulement à croire que ce pain est le corps du Christ, et à faire tout leur possible pour qu’ils soient eux-mêmes le corps du Christ par la foi et les bonnes œuvres.  Après seulement, quand ils auront grandi  et marché dans la voie de Dieu, on leur expliquerait plus longuement ces mystères.
Qu’il en ait bien ainsi on le voit par ce qui suit.   Quand il s’était demandé comment le corps naturel du Christ qui est présent dans le ciel peut-il être présent aussi dans l’eucharistie, il n’a plus dit un mot sur le corps naturel du Christ.   Il  est passé au corps mystique, quand il a dit que l’eucharistie est le signe de la société des fidèles, que nous sommes le corps du Christ, que nous mangeons ce que nous sommes, que notre mystère est sur la table, et autres choses du même genre.  Mais il n’a jamais dit que le pain est le signe du corps naturel de Christ, ou que le corps naturel n’est pas sur l’autel, ou qu’il y est symboliquement,  ce qu’il aurait certes du dire s’il avait voulu répondre directement à la question, et s’il partageait l’hérésie des calvinistes.  Donc, comme eux nous demandent : pourquoi saint  Augustin ne règle-t-il pas la question  en disant que le pain est le corps par transsubstantiation, nous leur demandons, nous aussi : pourquoi ne règle-t-il pas la question en disant que c’est le corps du Christ par représentation ?  Et à l’une et l’autre question nous répondons que saint Augustin  s’est interdit de répondre directement, et s’en est tenu à une simple exhortation morale.
                                                  CHAPITRE 25
Le témoignage de saint Cyrille d’Alexandrie et du synode général d’Éphèse
Saint Cyrille, évêque d’Alexandrie, qui vécut un peu après saint Augustin,  nous offre plusieurs témoignages.   Mais, il faut d’abord présenter le témoignage du troisième synode général qu’il présida lui-même, et qui a été approuvé par les synodes 4 et 5.  Nous avons encore l’épitre à douze anathèmes que saint Cyrille avait envoyé à Nestorius,  laquelle lettre  été adoptée par le synode d’Éphèse et par les deux autres.  Voici ce que nous y lisons : « Nous accédons aux bénédictions mystiques et nous somme sanctifiés en participant  au saint corps et au précieux sang du Christ, qui s’est fait le rédempteur de nous tous.  Non pour recevoir une chair ordinaire, que Dieu nous en garde ! ou celle d’un homme sanctifié, mais celle qui a proprement été faite la chair du Verbe lui-même.
À ce texte, Pierre le martyr répond (dans son livre contre Gardinerus), que saint Cyrille parle  de la participation de la vraie chair du Christ, mais ce celle qui se fait dans l’âme et par la foi, et non dans la bouche.    Que cette interprétation soit fausse, il est facile de le prouver, par le texte lui-même, et par d’autres textes de saint Cyrille.   Car, on ne peut pas trouver un meilleur interprète que l’auteur lui-même.  Or, dans ce passage, il parle clairement de l’eucharistie,  à laquelle nous accédons pour communier, qu’il appelle sainte bénédiction, et qu’il dit être la chair elle-même du Verbe de Dieu.   Mais voyons d’autres de ses textes beaucoup plus explicites.  Livre 4 sur saint Jean, chapitre 3, il dit, en commentant ce verset : comment peut-il nous donner sa chair à manger ? : « Nous dont la foi adhère fermement aux divins mystères, nous ne pensons, nous ne disons jamais cela pour des choses si sublimes. »  Ensuite, il montre qu’à Dieu rien n’est impossible,  et il prouve qu’il a pu nous donner son corps à manger en citant les nombreux miracles qu’il  a faits, comme quand il a changé le bâton en serpent,  et les eaux en sang;  quand il a divisé la mer en deux, et quand d’un rocher, il fit jaillir de l’eau.  Tous ces exemples, il les aurait donnés pour rien si l’eucharistie n’était que le signe du corps du Christ.
Dans le même livre 4, chapitre 14, il enseigne que ce n’est pas seulement l’âme  qui, par l’Esprit Saint, monte à la vie bienheureuse, mais même notre corps corporel devenu incorruptible et immortel par le contact et la manducation du corps du Christ.  Et, au chapitre 15, il répète la même chose, et l’illustre par une similitude insigne : « Car, comme une étincelle de feu qui tombe   sur du foin ou de la paille enflamme le tout, le Verbe de Dieu, uni, par l’eucharistie, à notre nature corporelle, la fait ressusciter immortelle et glorieuse. »  Et, au chapitre 16, il dit que nous sommes les membres du Christ, parce que, dans  l’eucharistie, «  c’est le Fils de Dieu lui-même que nous recevons ».  Et, au chapitre 17, il dit que c’est une chose difficile, qui ne peut être comprise que par la seule foi, et il l’illustre par une autre similitude tirée de la cire liquéfiée mêlée à une autre cire.   Et au livre 10 sur saint Jean, chapitre 13, il dit : « Nous ne nions pas que par la foi droite et la charité sincère nous soyons unis spirituellement au Christ,  mais que nous n’ayons aucune sorte d’union avec lui selon la chair,  cela nous le nions fortement, et nous disons que cela est complètement étranger aux divines écritures. »
Et parce que Pierre le martyr nie que saint Cyrille parle de l’union corporelle que le Christ a faite avec nous par l’incarnation, --parce que notre nature est dans le Christ,--écoute ce qu’il dit plus bas quand il explique ce qu’est cette union : « Tu penses peut-être que nous est inconnue la vertu de la bénédiction mystique par laquelle il est en nous.   Ne fait-il pas en sorte   que, par la communication de sa chair, le Christ habite en nous corporellement ? »  Et plus bas : « Il faut, à cause de cela, considérer que le Christ n’habite pas en nous seulement par la charité, mais aussi par une participation naturelle. »  Et plus bas : « Cette nature corruptible de notre corps ne pouvait pas être amenée à l’incorruptibilité sans que le corps de la vie naturelle ne lui soit uni. Ne crois pas à cela parce que c’est moi qui le dis, je te demande seulement de faire agir  ta foi. » Il répète des choses semblables, (au livre 22, chapitre 26).  On a ensuite coutume de citer son épitre à Calosyrius, dans laquelle il dit trois choses.   La première. Il faut croire fermement aux paroles du Seigneur : ceci est mon corps.  La deuxième.    Dans l’eucharistie se trouve le corps du Seigneur, même en dehors du temps de la manducation.  La troisième.  Le pain est transmuté en la vérité de la chair du Christ. Voyez ce texte dans Jean Carezius.
Plusieurs adversaires se sont ligués pour combattre la vérité, en nous opposant des textes de saint Cyrille, mais en pure perte.  Ils en tirent un premier de son livre à Évoptius sur l’explication  du deuxième anathème, où saint Cyrille dit que, dans le sacrement de l’eucharistie, n’est pas contenue une manducation humaine.  Car, ce serait amener les esprits des croyants à de basses pensées.  Pierre le martyr ajoute (dans son livre contre Gardinerus, objection 211) qu’on trouve ceci dans le concile d’Éphèse, ou dans une épitre de saint Cyrille approuvée par le concile : « Parmi d’autres choses, dit Pierre le Martyr, il dit que notre eucharistie n’est pas la manducation d’un homme ordinaire, ce qui n’est rien d’autre, toutes choses égales d’ailleurs,  que nier l’ anthropôphagian (la manducation d’un homme).
Mais leur malice les a égarés. Car, dans l’un et l’autre texte, saint Cyrille nie que l’eucharistie soit la manducation d’un homme ordinaire, comme Nestorius le pensait,  et il affirme que c’est la manducation de l’Homme Dieu.  Et il appelle basse et vile la pensée humaine de celui qui estimerait que, dans l’eucharistie, se trouve la chair d’un homme quelconque.  Cette chair, en effet, ne serait rien d’autre qu’une chair, chose terrestre et corruptible,  qui ne peut pas apporter la vie.  Que l’on nie l’un et l’autre texte, et il ne restera plus aucun problème.
Pierre le martyr présente certains textes où saint Cyrille dit que la chair du Christ apporte la vie, comme son livre 4, chapitres 10, 11, 17 sur saint Jean.  Et, dans son épitre à Calosyrius, il conclut que la  chair du Christ ne doit pas être mangée par les impies, donc, avec leur bouche corporelle.  Mais ce sont des choses creuses, et souvent réfutées.  Car, du fait que les impies ne profitent pas de la communion, il ne s’ensuit pas qu’ils  ne mangent pas la chair du Christ.  Car, même si la chair du Christ possède, par elle-même, le pouvoir de vivifier, il arrive parfois, à cause de l’indisposition du receveur, qu’elle apporte la mort plutôt que la vie, comme le soleil aide  les yeux sains à voir, et blesse les yeux malades.
Le même martyr présente un autre témoignage tiré de la même épitre à Calosyrius, où Cyrille dit que dans le pain et le vin, sont reçus la chair et le sang du Seigneur. Un autre également venant du livre 4, chapitre 24 sur saint Jean, où saint Cyrille dit que le Christ a donné à ses apôtres des fragments du pain, quand il a dit : prenez et mangez, ceci est mon corps.   Je réponds qu’il appelle l’eucharistie fragments de pain, parce qu’il était donné sous l’espèce du pain.  Car, ailleurs, dans la même épitre, saint Cyrille dit que « le pain est changé en la vérité du corps du Christ. »   Il présente un autre témoignage tiré du livre 7, chapitre 14, ou nous lisons que le Christ a dissimulé la présence  de son corps, mais que, par la majesté de la divinité, il est toujours présent.  Voilà qui trahit la négligence et l’impudence du martyr, car le sixième livre n’est pas de Cyrille, mais de Jacques Clictoveius qui vécut au début du seizième siècle,   et qui a écrit contre Oecolampadiius sur l’eucharistie,  et qui  fut un ennemi des sacramentaires, on ne peut en douter, car ces mots ne répugnent pas à la vérité de l’eucharistie.
Nous apprenons par là qu’il n’y a pas à s’étonner que saint Augustin, Theodoret et d’autres anciens ont dit des choses qui semblent favoriser les hérétiques, et qu’à un  docteur certaines choses ont échappé qui semblent favoriser les hérétiques.  Il voulait dire que, selon la présence de sa chair, le Christ n’était pas partout,  ni n’est toujours  présent partout, mais que, selon sa divinité, il est toujours partout.
                                                        CHAPITRE 26
                    Témoignage de Proclus, évêque de Constantinople
Proclus a été évêque à Constantinople au même temps ou saint Cyrille l’a été à Alexandrie.  Dans le livre sur la tradition de la liturgie divine, est conservé de lui, un très bref et très puissant témoignage.   Car, après avoir dit beaucoup de choses de l’amour intense des apôtres et des anciens pères, envers le sacrement de l’eucharistie, et qu’ils avaient toujours ces mots en pensée : ceci est mon corps,  et que, pendant les sacrés mystères, ils récitaient des psaumes et  de très longues prières, il ajoute ceci : «  Par ces prières, ils attendaient la venue de l’Esprit Saint, pour que, par sa divine présence, il fasse,  du pain offert en sacrifice, et du vin mêlé d’eau, le corps et le sang de notre Seigneur Jésus Christ. »  Par ces paroles, cet auteur enseigne clairement que le pain est changé en  corps, et le vin en  sang, par la vertu super naturelle de l’Esprit Saint, pour que les adversaires ne puissent pas parler de mutation des sacrements, par l’addition de la seule signification.  Car, pour ce genre de mutation, il n’y a aucun besoin d’invoquer l’Esprit Saint.
2019 02 23 fin
 
 2019 02 27 début
                                                                   CHAPITRE 27
                                          Les témoignages de Theodoret et de Gélase
Théodoret a été l’égal de saint Cyrille d’Alexandrie, et il lui a survécu, comme le montre l’épitre de Theodoret à saint Jean d’Antioche sur la mort de saint Cyrille, qui a été lue au cinquième synode.
Les catholiques aussi bien que les hérétiques citent deux de ses textes.  Le premier est tiré de son premier dialogue : « Notre Sauveur a changé les noms.  Il  imposa au corps le nom de ce qui était un symbole et un signe. »  Les adversaires considèrent que ces mots vont dans leur sens. « Il voulait, disent-ils, que ceux qui participent aux mystères ne fassent pas attention à la nature des choses que l’on voit, mais que, à cause de la permutation des noms, ils croient à la mutation qui se fait par la grâce. »
 Au contraire, Theodoret  dit que le pain est appelé corps du Christ,  pour que, par la mutation du nom, nous croyions dans la mutation de la chose.  Theodoret ne veut donc pas  (comme le pensent les adversaires) que l’eucharistie soit appelée corps uniquement parce que, par son espèce externe, elle représente le corps du Seigneur, mais parce que le pain est véritablement changé en son corps.
Le deuxième texte est dans le second dialogue : « Après la sanctification, les signes mystiques ne se retirent pas de leur nature, car ils demeurent dans la substance première, dans la figure et dans la forme, et  ils peuvent être vus et touchés comme auparavant.  On comprend que ce sont celles qui sont faites, crues et adorées, pour que soient les choses qui sont crues. »  Les hérétiques font sienne la première partie, et les catholiques la dernière.
Il faut noter d’abord que ce passage n’aide en rien la cause de Luther, lui qui pensait qu’un vrai pain était uni au vrai corps du Christ;  et qu’il détruit de fond en comble la cause de Calvin, de  Pierre le martyr et de tous les sacramentaires.   Car, Theodoret, dans ce texte, affirme ouvertement la présence du corps du Seigneur dans l’eucharistie, quand il dit de comprendre, de croire et d’adorer le corps du Seigneur dans l’eucharistie;  et donc de comprendre, de croire et d’adorer parce que le pain de l’eucharistie, c’est-à-dire le pain consacré est vraiment ce que l’on comprend,  ce que l’on croit, ce que l’on adore.   Ajoutons que Theodoret ne voulait pas  parler clairement parce qu’il craignait que, parmi les auditeurs, se trouve un non initié. « Il ne faut pas, dit-il, parler explicitement, car il est vraisemblable que soient présents des gens qui n’ont pas encore été initiés. »
Or, de l’eucharistie, comme l’entendent les calvinistes, il aurait pu en parler explicitement à tous les infidèles, puisqu’il n’y a en elle rien de difficile à comprendre, rien qui dépasse la raison.   Dans tous ses dialogues, Theodoret veut donc prouver qu’il y a, dans le Christ, deux natures, et cela,  avec l’exemple de l’eucharistie, où nous croyons que le corps du Christ est vraiment avec les symboles du pain.  Or, s’il avait nié  la vraie présence du corps du Seigneur dans l’eucharistie, il aurait milité contre lui-même et pour les adversaires.
Il n’aide pas non plus la cause de Luther, si on examine attentivement son texte.  Car, quand il dit que la substance des symboles demeure sans changement, il ne parle pas de la substance qui se distingue des accidents, et qu’Aristote a mise dans la première catégorie, mais de l’essence et de la nature des accidents, qu’il appelle continuellement symboles, comme les autres auteurs grecs et latins entendent souvent le mot substance.  Mais surtout là cause des mots grecs phusis et ousia dont Theodoret se sert, qui embrassent toute essence et toute nature.  Ce ne sont pas seulement les grecs et les latins qui, par substance, entendent la nature des accidents.  Pierre de Cluny dans son livre sur le sacrifice et la transsubstantiation, écrit : « À cause de sa dureté glaciale et lapidaire, est-il enlevé quelque chose à la substance de la chair ? »  Par substance, il entend la nature de la figure externe et de sa visibilité, qui demeurent quand la glace est transformée en cristal.
Ce que Theodoret enseigne c’est donc que la nature des symboles, c’est-à-dire des accidents sensibles, qui sont dans l’eucharistie, l’a  été aussi après la consécration.  Que c’est bien ce qu’il veut dire on le prouve ainsi.  D’abord, parce que dans son  deuxième dialogue, un hérétique soutenait ardemment la mutation du pain dans le corps, pour prouver son erreur sur la mutation d’une nature (l’humaine)  dans une autre (la divine) dans le mystère de l’incarnation.  Le catholique ne nia pas la mutation du pain dans le corps du Christ, ce qu’il aurait certes fait si la sentence des luthériens était la vraie.  Il aurait même pu argumenter contre l’eutychien en se servant de l’eucharistie.  Car, si ce que dit Luther était vrai que, dans l’eucharistie, demeurent le pain et le corps sans aucune mutation, l’exemple de l’eucharistie n’aurait aidé rien les eutychiens.  Comme il ne pouvait nier la mutation de l’essence du pain, le catholique, dans ce dialogue, se réfugia dans les symboles externes, et il dit que la nature des symboles ne changeait pas, et que c’est de cette façon, que, dans l’eucharistie, demeurent les deux natures sans que l’une soit muée en l’autre.
Ensuite, parce qu’il s’explique lui-même.  Car, après avoir dit que la nature des symboles demeure, il le prouve en disant que nous voyons et touchons la même couleur, la même figure, la même forme que nous voyions et touchions auparavant (avant la consécration).  Enfin, parce qu’il militerait contre lui-même.  Car, il dit que les symboles sont changés et ne sont pas changés, et que,  on voit que c’est du pain, et qu’on croit que c’est le corps du Christ.    Ce qui ne concorderait pas, à moins de dire que c’est la substance interne du pain qui est changée, mais que ses accidents ne le sont pas.  On peut ajouter aussi qu’il est tout à fait incroyable qu’il ait voulu ouvertement répudier saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, saint Cyrille et tous les autres, qui niaient que le pain demeurait dans l’eucharistie.  Ces auteurs, il les cite souvent dans ses  dialogues, et surtout saint Jean Chrysostome qu’il vénérait particulièrement.
On doit interpréter de la même façon la phrase de Gélase dans son livre sur les deux natures.   Car, quel qu’ait été ce Gélase (dont on ne sait pas grand-chose), il enseigne la même chose que Theodoret, et pour confirmer la même chose (que les deux natures demeurent après l’incarnation.)  Car, il dit que demeure la nature du pain dans l’eucharistie, et cependant, il dit, au même endroit, que par l’opération du Saint-Esprit, il est changé en la divine substance;  que l’eucharistie est une chose divine, de sorte qu’en la recevant, nous participons à la nature divine.  Il est à noter que ce Gélase ne fut pas le pontife romain du même nom, comme les adversaires en tirent gloire impudemment.  Car, Kemnitius ( 2  par, examen du concile de Tente, session 13, chapitre 4) se targue de ce témoignage, et se vante d’avoir triomphé d’un pontife romain.  Pour prouver qu’il n’était pas un pape, on peut utiliser l’argument suivant.  Quand il dit qu’il veut rapporter les témoignages de tous les pères, il ne fait aucune mention de saint Jérôme, de saint Augustin, de saint Léon et d’autres semblables, que le pape Gélase connaissait très bien.  Ensuite, parce que ce Gélase rapporte  plusieurs témoignages qui proviennent d’Eusèbe de Césarée.  Chose que le pape Gélase n’aurait jamais faite, puisque, dans son décret des livres authentiques et apocryphes, il avait réprouvés les livres d’Eusèbe.  Ajoutons que ce Gélase semble avoir écrit avant le concile de Chalcédoine, et qu’il est celui que Theodoret cite dans son troisième dialogue, et dont se souvient saint Jérôme  dans son livre sur les écrivains  ecclésiastiques. Mais quoi qu’il ait été, il n’était pas en rupture avec les  autres écrivains catholiques.
                                                       CHAPITRE 28
                                           Le témoignage de saint Léon
Saint Léon a vécu au même temps que Théodoret, même s’il était plus jeune que lui, comme le montre la lettre de Theodoret à Léon, et celle de Léon à Théodoret.  On peut citer quatre témoignages de saint Léon le grand.  Le premier vient du sermon 7 sur la passion du Seigneur, où il dit : « Comme les ombres cèdent la place au corps, et comme, en présence de la vérité, les images ont cessé, l’antique observance est enlevée par le nouveau sacrement;  l’hostie est changée en hostie, le sang de l’Agneau exclut le sang des animaux, et la festivité légale est accomplie quand elle est changée. »  Et, dans le sermon 14 sur la passion du Seigneur, il dit : « Nous le goutons lui-même par l’esprit et par la chair. »  Et, dans le sermon 6 sur le jeûne du septième mois, il dit : « Vous devez communier ainsi à la table sacrée, pour que vous ne doutiez en aucune façon de la vérité du corps et du sang du Christ.  Car, on reçoit par la bouche ce que l’on croit par la foi.  Et c’est bien inutilement que répondraient amen ceux qui disputent sur ce qu’ils reçoivent. »  Le quatrième est dans l’épitre 23 aux clercs et au peuple de Constantinople : « Dans l’église de Dieu, tous proclament de bouche le même mystère, et cela au point où les langues des enfants eux-mêmes, professent, parmi les sacrements de la foi commune,  la vérité du corps et sang du Christ »  Dans les deux derniers textes, saint Léon le grand s’efforce de prouver, contre l’erreur d’Eutychès qui venait d’apparaitre,  que le Christ avait une vraie chair.  Car, si le Christ n’avait pas de vraie chair, on ne recevrait pas de vraie chair dans l’eucharistie.
Pierre le martyr répond que l’argument consiste en ceci.  L’eucharistie ne serait pas le symbole du Seigneur si elle n’avait pas le corps du Christ.  Mais il voit double.    Car, elle serait, selon les eutychiens,  encore un symbole, celui d’un corps apparent. Car, même des corps apparents peuvent être représentés par un signe quelconque.   De plus, saint Léon dit qu’on reçoit avec la bouche ce que l’on croit avec la foi.  Or, par la foi nous croyons que le Christ a une vraie chair, et une vraie chair nous la mangeons avec la bouche.  Et celui qui répond amen quand il reçoit le sacrement ne confirme pas, par sa confession, que ce qu’il reçoit est un symbole, mais un corps, car le prêtre ne dit pas : reçois un symbole, mais reçois le corps, comme nous l’avions noté en parlant de saint Ambroise.  Il dit, enfin, que, dans la célébration des sacrements,  les langues des enfants ne passent pas sous silence la vérité du corps du Seigneur.  Les enfants, en effet, ont coutume de parler simplement, non en figures ou en symboles.
                                                         CHAPITRE 29
                                          Le témoignage du pape Hilaire
Le pape Hilaire a succédé au pape saint Léon.  Dans ses décrets, les adversaires puisent un témoignage qui va clairement dans notre sens, et nullement dans le leur.  On le trouve dans Gratien (sur  la consécration, dist 2, canon corpus) : « Le corps du Christ qui nous vient de l’autel, est une figure quand le pain et le vin sont vus de l’extérieur. »  La sentence de ce témoignage est ceci :  si tu regardes le sacrement de l’eucharistie par ce qui  est vu à l’extérieur, c’est une figure, bien plus, un simple pain.  Mais si tu considères ce qui est caché à l’intérieur et ce que la foi voit pour toi, c’est véritablement le corps et le sang.
                                                             CHAPITRE 30
        Le témoignage d’Eusèbe Emissenus, ou de Faust Regiensis, ou Césaire d’Arles.
Le dernier de ce cinquième âge est Eusèbe Emissenus, ou quiconque fut l’auteur de ce très célèbre sermon sur le corps du Seigneur, qui commence ainsi : « Grandeur des bienfaits célestes. » Paschasius de Corbie, qui a vécu avant les années 800,  a cité ce sermon au nom d’Eusèbe Emissenus.  Cependant, il est certain qu’il n’a pas été écrit par le grec Eusèbe Emissenus, dont parle saint Jérôme, dans son catalogue des hommes illustres.   Car, dans ce sermon, il parle de l’hérésie de Pélage, qui a éclaté après la mort de cet Eusèbe.  Et de plus, il est certain que l’auteur de ce sermon a été un latin, non un grec, comme on le déduit par ses homélies aux moines, et son homélie sur saint Maxime, qui nous apprend qu’il fut  abbé du monastère de Lérins.  Voilà pourquoi plusieurs ont de bonnes raisons de soupçonner que l’auteur de toutes ces homélies est le Gaulois Faust, ex abbé de Lérins devenu évêque de Reims, qui, au témoignage de Gennadius,  vécut à la fin du quatrième siècle.  D’autres pensent que ces homélies sont l’œuvre du bienheureux Césaire, qui, au témoignage de Trithémius, fut d’abord abbé de Lérins avant de devenir évêque d’Arles.
Quel qu’en ait été  l’auteur, voici donc  ce qu’il enseigne.   « Il n’y a aucun doute à avoir sur la vérité du corps du Seigneur dans l’eucharistie.  Que s’éloigne toute l’ambiguïté de l’infidélité, quand celui qui est l’auteur du don est en même temps le témoin de la vérité. »  Et plus bas : « Pour connaitre et percevoir le sacrifice du vrai corps, c’est le pouvoir lui-même du consacrant qui te fortifie. »  Il enseigne ensuite qu’il ne faut pas croire aux sens : « L’hostie qui est vraiment unique et parfaite doit être estimée par la foi, et ne doit pas être comprise par la vue externe, mais par l’affection interne. »  Il enseigne, troisièmement, que le pain est vraiment et réellement changé en chair : « Par son pouvoir secret,  en prononçant une parole, le prêtre invisible change des créatures visibles en la substance du corps et du sang. »  Ensuite, il prouve qu’il faut croire cela par des exemples de choses similaires, parce que, sur l’ordre de Dieu, apparurent subitement, à partir de rien, les hauteurs des cieux, les abimes des océans,  la vaste étendue des terres.  Il enseigne quatrièmement, que le corps du Christ est, tout entier, dans chaque parcelle du sacrement : « Par le ministère du prêtre, le corps est autant dans une parcelle que dans le tout.  Et   quand les fidèles le reçoivent dans l’église, il est entièrement en chacun comme il l’est en tous. »
S’il avait parlé du pain, il n’aurait pas dit  qu’il est tout entier autant dans une miette, que dans une plus grande partie, ou dans le tout.  Et s’il avait parlé du corps du Christ comme il est dans le ciel, et qui n’est appréhendé par les fidèles que spirituellement et dans la foi, il n’aurait pas dit qu’il est distribué par le prêtre.   Cinquièmement.  Il enseigne que, après la consécration, il n’y a plus de pain : « Quand, dit-il, sont placées sur les autels sacrés des créatures pour être bénies par des paroles célestes, avant qu’elles soient consacrées par l’invocation du nom suprême, la substance du pain et celle du vin sont là.  Mais, après les paroles du Christ (ceci est mon corps),  le corps et le sang du Christ sont là.   Y a-t-il là de quoi s’étonner ?   Les choses qu’il a créées par sa parole, ne peut-il pas les changer en autre chose ?  Bien plus, changer en mieux une chose déjà faite semble être un miracle plus petit que tirer une créature du néant. Car, on se demande ce qui peut être difficile à celui qui fait facilement les choses visibles, et suscite les invisibles par la force de sa volonté. »
Les adversaires ont trouvé un texte de cet auteur qu’ils  peuvent nous reprocher. Cet auteur, en effet, compare la mutation du pain dans le corps du Christ, avec la mutation qui se fait en nous par la justification. Or, il est évident que cette mutation n’est pas substantielle, mais accidentelle, comme d’ailleurs tous le reconnaissent.
Mais ce texte joue plutôt en notre faveur.  Car, cet auteur ne prouve pas qu’une mutation substantielle soit faite dans l’eucharistie, par une autre mutation substantielle.  Il prouve qu’une mutation substantielle n’est pas impossible dans l’eucharistie, par cette mutation, accidentelle, il est vrai, mais réelle, et plus difficile à comprendre et plus mystérieuse  que la mutation substantielle du pain dans le corps du Christ.   Car, la justification d’un impie est une mutation véritable et réelle de l’âme,  qui va du péché à la grâce.  Elle est donc plus admirable que la création elle-même du ciel et de la terre, au dire de saint  Augustin (traité 72 sur Jean).  Et il montre, en même temps, qu’il n’y a pas à s’étonner  que nous disions que le pain est changé, quand aucun changement n’apparait à l’extérieur, alors que dans l’âme une plus grande mutation interne est faite.  Mais écoutons ses propres paroles :
« Pour que  tu ne considères pas comme une chose inouïe et impossible que des choses terrestres et mortelles soient changées en la substance du Christ, interroge-toi toi-même, toi qui as déjà été régénéré dans le Christ. Quand, comme un banni,  tu étais encore étranger à la vie, éloigné de la miséricorde, mort intérieurement à la voie du salut, initié tout à coup  aux lois du Christ,  et renouvelé par les mystères salutaires, tu es passé dans le corps de l’Église non en vivant, mais en croyant, et de fils adoptif de la perdition que tu étais, tu as mérité, par une pureté secrète, de devenir fils adoptif de Dieu, et demeurant visiblement de la même grandeur, tu es devenu, invisiblement, plus grand que toi-même. »
                                                          CHAPITRE 31
            Le témoignage des pères du sixième âge, de saint Rémi et de Primasius
Jusqu’à présent nous avons traité des témoignages des pères qui ont vécu dans les cinq premiers siècles, qui, selon Calvin, parlaient comme les hérétiques de notre temps.  Citons encore quelques autres témoignages des âges postérieurs, à cause de l’effronterie de Pierre le martyr qui n’a pas craint de réclamer comme siens des pères comme  Theophylactus et saint Bernard.  Et aussi, pour montrer la continuité de la doctrine catholique depuis le temps des apôtres jusqu’à notre époque, chose que les adversaires sont absolument  incapables de faire.  Du sixième âge, nous retenons donc deux témoignages, celui de saint Rémi, et celui de Primasius.
Saint Rémi vécut en France au temps de Clovis, au début du sixième siècle. Et voici quels mots il a écrits dans son commentaire sur le chapitre 10 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens : « Le pain que nous rompons sur l’autel, n’est-il pas une participation au corps du Seigneur ?  Dès qu’il a été béni et consacré par les prêtres et le Saint-Esprit, et ensuite rompu, il est en vérité le corps du Christ, bien qu’il semble encore être du pain. »  Et plus bas : « La chair que le Verbe du Dieu Père a assumée dans le sein de la Vierge, dans l’unité de sa personne, et le pain qui est consacré dans l’Église sont un seul corps.  Car, comme cette chair est le corps du Christ, ce pain passe dans le corps du Christ.  Et il n’y a plus deux corps, mais un seul corps. »
Primasius a vécu au temps du cinquième synode, autour de l’année 550, comme nous le montre le rapport de ce synode.  Il écrivit au chapitre dix de l’épitre aux Hébreux ces paroles : « Dans l’eucharistie, le corps du Christ est le même corps que celui qu’il a reçu de la bienheureuse vierge Marie.  Il n’y pas plusieurs corps, mais un seul et même corps. »  Il soutient là que la différence entre les anciens sacrifices et le sacrifice des Chrétiens consistait en ce qu’ils étaient changés à chaque jour.  Car, ce n’était pas le même agneau qui était toujours immolé, mais aujourd’hui un, et demain, un autre.  Or, les chrétiens, sur divers autels et dans des temps différents, sacrifient toujours le même corps du Christ.
Ce qu’on ne peut certes pas entendre du pain matériel, car, le pain matériel est changé à tous les jours.    Ni non plus du pain en tant qu’il signifie le corps du Christ, car, de cette façon, même les Hébreux immolaient toujours le même corps, puisque, par toutes leurs victimes, ils représentaient toujours le même Christ.  On ne peut pas l’entendre non plus du corps du Christ comme il est dans le ciel, et est appréhendé par la foi, car Primasius dit qu’il est immolé sur l’autel par les prêtres.
Nous sommes donc  contraints de comprendre que c’est le même vrai corps du Christ, un dans les deux cas, qui est vraiment présent sur l’autel, et qui est immolé par les prêtres sous les espèces du pain et du vin.  Ce témoignage nous fait aussi comprendre que saint Augustin n’a jamais enseigné autre chose que ce qu’enseignent les catholiques, puisque Primasius fut un de ses plus fervents disciples.
                                                        CHAPITRE 32
        Témoignages du septième âge, de saint Grégoire et de Isichius.
Saint Grégoire a vécu dans la première partie du septième siècle, et est né en 601.  Il siégeait à Rome dans la chaire de saint Pierre, quand il prêcha ceci, dans son homélie 22 sur les évangiles : « Ce qu’est le sang de l’agneau, vous l’avez appris non en écoutant, mais en buvant. C’est le sang qui est placé sur les linteaux, quand il est bu non seulement par la bouche du corps, mais aussi par la bouche du cœur. »  Et dans le livre 4 de ses dialogues, chapitre 58 : « Qui, parmi les fidèles, peut mettre en doute que, à l’heure de l’immolation, les cieux s’ouvrent à la parole du prêtre, que les chœurs des anges se rendent présents à ce mystère de Jésus-Christ, que les cimes s’associent aux abimes, que les choses terrestres s’unissent aux célestes, qu’une seule chose est faites des choses visibles et des invisibles. »  Il décrit assez clairement là la présence véritable et réelle du corps du Christ céleste, sublime et invisible, dans l’espèce d’un pain terrestre et visible.
De même, saint Grégoire a prouvé, par un miracle insigne, que le pain est vraiment converti dans la chair du Seigneur, comme l’attestent le diacre Jean  au livre 2 de la vie de saint Grégoire, chapitre 41, et le diacre Paul dans la vie de ce même saint Grégoire.  Paul le diacre ajoute que, après le miracle, saint Grégoire a parlé ainsi à la femme qui doutait de la vérité du corps du Christ dans l’eucharistie : « Apprends de la Vérité et de la façon constante de croire en ces paroles de la Vérité : « le pain que je donnerai est ma chair, et mon sang est un vrai breuvage. »  Mais prévoyant notre infirmité, par le pouvoir qui lui fit tout faire à partir du rien, et, qui, sous l’opération du Saint-Esprit, lui fit se former un corps de la chair de la bienheureuse vierge Marie, il convertit, pour notre réparation,  le pain et le vin mêlé d’eau en sa chair et son sang, les espèces du pain et du vin demeurant ce qu’elles étaient. »
Isichius  a été  un prêtre de Jérusalem, puis évêque, et il fut l’égal de saint Grégoire.  Et  ils se trompent royalement ceux qui le font vire au temps de saint Jérôme et de saint Augustin.  Car, il fut évêque à Jérusalem, comme la glose ordinaire sur le Lévitique le montre. Il n’y  eut pas, à Jérusalem, d’autre évêque qui ait porté ce nom,   à part celui i  qui saint Grégoire à écrit (livre 9 du registre épistolaire, 40). Or, cet auteur, dans son commentaire sur le Lévitique, dit : « L’autel est un lieu saint, car c’est là que le saint des saint repose » .  Et plus bas, expliquant le rite selon lequel était livré au feu tout ce que les hommes n’avaient pas pu manger de l’agneau pascal, il dit que ce rite signifie que ce que, dans le mystère de l’eucharistie, nous ne pouvons pas comprendre, nous avons à le laisser à la toute puissance de Dieu.
« Donc, dit-il,  toutes les choses qui sont faites sensiblement signifient une chose intelligible pour ceux qui comprennent.  Quand il ne nous est pas possible de manger le sacrifice  et de  consommer intégralement  le  corps du Seigneur, que les anges ne peuvent pas contempler, on ne doit pas le laisser, mais le livrer au  feu de l’Esprit, pour qu’il mange les choses qui nous sont inconnaissables en raison de notre infirmité. »
Et au livre 6, chapitre 22 : « C’est par l’ignorance qu’il perçoit celui qui ignore sa vertu et sa dignité, qui ne sait pas ce que ce corps et ce sang, le sont vraiment et réellement. »  Et plus bas : « La sanctification du sacrifice mystique, la conversion des choses sensibles en choses intelligibles, la commutation, c’est au vrai prêtre, le  Christ qu’elles doivent être attribuées. C’est-à-dire que c’est à lui que l’on doit imputer le miracle.  Parce que, par cette vertu, et la parole émise par lui, les choses que l’on voit sont sanctifiées à un point tel qu’elles excèdent la totalité du sens de la chair. »
Mais, dans son livre sur Gardinerus (objection 187), Pierre le martyr cite ces paroles d’Isichius (livre 2, chapitre 8, sur le Lévitique).  « Il commande de manger la chair avec les pains,  pour que nous comprenions qu’il est en même temps pain et corps. »  Si ce témoignage aidait des hérétiques, c’est Luther qu’il aiderait, lui qui voyait dans l’eucharistie le vrai pain et le vrai corps. Mais non les Zwingliens ou les calvinistes, qui séparaient le pain du corps du Christ par la même distance qu’il y a entre la terre et le ciel.   Il n’aiderait pas non plus les luthériens parce que, au même endroit, Isichius dit que l’eucharistie est le pain et la chair, et  parce que, quand il est mangé dans l’eucharistie, le corps du Christ est le pain de vie qui descend du ciel.
 Pierre le martyr insiste : « Mais par pain, en ce passage, nous devons entendre non le pain de froment, mais le pain céleste, c’est-à-dire la chair du Christ.   Donc, comme Isichius dit que le mystère de l’eucharistie est le pain et la chair, cela voudrait dire que la chair est de la chair, ce qui est d’une grande absurdité. »  Je réponds que cette objection ne doit pas  être faite à nous, mais à Isichius.  Car c’est lui qui explique sa sentence de cette façon, à savoir que par pain on ne doit pas entendre un pain de froment, mais un pain céleste.  Il n’y a, non plus, dans ces mots, aucune absurdité.  Car, il voulait dire que l’eucharistie est une nourriture telle que, en raison de ses variés effets, elle mérite d’être appelée pain et corps, comme, d’ailleurs, le Seigneur l’a dit en saint Jean : « Le pain que je vous donnerai est ma chair. »  Cela devrait suffire.
                                                        CHAPITRE 33
Témoignages des pères du huitième âge, de saint Jean Damascène et  d’Épiphane.
Saint Jean Damascène vécut au temps de Léon l’iconoclaste.  Il naquit environ en l’année  740.  Dans son livre 4 sur la foi (chapitre 14),  il a écrit sur l’eucharistie longuement et clairement.  Car, comme, avec certains arguments, il avait prouvé que rien n’était impossible à Dieu, il continue ainsi : « Comme tout ce que Dieu a fait, il l’a fait avec la coopération du Saint-Esprit, maintenant aussi, c’est par l’opération du Saint-Esprit qu’est opéré, au-dessus de la nature, ce qui ne peut être perçu que par la foi seule. »  Et plus bas : « Le pain, le vin et l’eau,  c’est par l’invocation du Saint-Esprit  qu’ils sont transmutés dans le corps et le sang du Christ.  Et ils ne sont pas deux, mais une seule et même chose.  Le pain et le vin ne sont pas une figure du corps et du sang du Christ. Loin de nous cette pensée !  Mais c’est le corps déifié du Seigneur. »
Épiphane lui est égal.  Et il s’est montré très savant dans la dispute avec Grégoire qui se trouve dans le synode 7, acte 6, tome 3. En plusieurs mots, il prouve que l’eucharistie n’est pas une figure du corps et du sang, mais le vrai corps et le vrai sang du Seigneur.  « Tu ne trouveras jamais, dit-il, que le Seigneur, les apôtres, ou les pères aient appelé image le sacrifice non sanglant qui est offert par le prêtre, mais le vrai corps et le vrai sang. »
                                                           Le chapitre 34
Les témoignages des pères du neuvième âge, de Theophylactus et de Paschasius
De l’avis de tous, Theophylactus vécut après l’an du Seigneur 800.   En imitant saint Jean Chrysostome, il écrivit longuement et avec perspicacité sur la vérité du corps du Seigneur.  Au chapitre 26 de saint Matthieu, il dit : « En disant ceci est mon corps, il montre que son corps est le pain, qui a été sanctifié sur l’autel, et qui ne  correspond plus à la figure.  Car, il n’a pas dit : « Ceci est une figure, mais ceci est le corps.  En effet, par une opération ineffable, il est transformé, même s’il  nous semble encore être un pain. »  Voir aussi le chapitre 4 de Marc, le chapitre 6 de saint Jean,  et les chapitres 10 et 12 de la première épitre aux Corinthiens.  Expliquant les dernières paroles : ne reconnaissant pas le corps du Seigneur,  il dit : « Si on pouvait savoir avec certitude quelle est la personne qui nous est la plus proche, nous n’aurions besoin d’aucune autre chose, et seulement celle-là nous procurerait la continence et la vigilance. »
Mais ils trouvèrent en Theophylacte un mot que les adversaires interprétèrent à leur avantage.  Car, dans le chapitre 13 de Marc,  Theophylacte dit que le pain est transmuté dans la vertu de la chair du Christ.  Et c’est avec ce texte qu’ils veulent expliquer ce qu’il dit dans Matthieu  (chapitre 26) : «  le pain est transmuté en la chair du Seigneur. »  Et ils veulent que ce soit le sens de tous les autres passages, où par la mutation sacramentelle, le pain devient un instrument de la vertu divine par lequel nos âmes sont excitées à la foi.  C’est ainsi que dispute Pierre le martyr dans son livre contre Gardinerus (objection 13).
Mais c’est avec une  trop grande impudence qu’il dispute sur les témoignages de Theophylactus, puisque lui-même, au chapitre 6 de saint Jean, disait ouvertement qu’il n’y avait plus de pain après la consécration, même si, d’après nos yeux, il  semblait y être encore; et être transformé, par une opération ineffable, ---car aucune opération ineffable n’est requise pour qu’elle soit un instrument qui excite la foi---et n’être non une figure, mais le corps lui-même; et que, par la consécration,  le pain est changé en la chair du Christ,  qui se conservait autrefois par la nutrition, quand le Sauveur vivait sur terre; et que quand on reçoit l’eucharistie, il faut croire tout simplement, et ne pas dire : comment cela peut-il se faire ?
Quand Théophylactus dit que la substance du pain est changée en la vertu du corps du Christ, il veut dire qu’elle est mutée dans l’essence de la chair du Christ, qui possède le pouvoir de nourrir les âmes, comme la substance du pain a le pouvoir de nourrir les corps.  C’est comme si il avait dit que, sous les espèces du pain, se trouvait autrefois un pouvoir de nourrir les corps, c’est-à-dire la substance du pain, mais que maintenant c’est un pouvoir de nourrir les âmes qui s’y trouve, c’est-à-dire la substance de la chair du Christ.  Ajoutons que si Theophylactus avait voulu dire que le pain devient un instrument de la divine vertu, il n’aurait pas dit qu’il était changé en la vertu de la chair du Christ, mais dans la vertu de l’Esprit Saint.  Car, l’Esprit Saint (comme le reconnait Pierre le martyr) est celui qui, dans la fonction sacrée, se sert du sacrement comme d’un instrument.  Bien plus, il ne serait pas  transmuté, mais il serait devenu.  Qui parlerait aussi sottement ? Quand il voudrait dire qu’il faut adapter le calame pour qu’il devienne un instrument du scribe,  qui dirait que le calame doit être transmuté en la vertu du scribe ? Qui donc parle ainsi ?
Au même siècle a vécu Paschasius, abbé de Corbeiensis qui écrivit un livre très précis sur l’eucharistie, avant la naissance de l’hérésie de Bérenger.  Voici ce qu’il dit au chapitre 1 : « Tout ce que le Seigneur a voulu, il l’a fait dans le ciel et sur la terre.  Et parce qu’il l’a voulu, même si la figure du pain et du vin est encore là, il faut croire qu’après la consécration, il  n’y a  rien d’autre que la chair et le sang  du Christ. » Et il en donne plusieurs preuves.  Et dans l’épitre à Frudegardus, il le prouve ainsi : « Quand il a rompu le pain et le leur a donné, il n’a pas dit : dans ce mystère est une vertu ou une figure de mon corps, mais il a dit non fictivement : ceci est mon corps.  C’est donc cela qu’il a dit, non ce que chacun imagine. »
                                                                Chapitre 35
         Le témoignage du dixième âge, de Stephane Eduensis, de Fulbert Carnotensis
Stéphane, évêque d’Eduensis, vécut autour de l’année 950 (comme Jean Caretius l’atteste).  Voici ce qu’il dit dans son livre sur le sacrement de l’autel (qui se trouve au tome 4 de la bibliothèque des saints pères) : « Voici quelle est notre foi, ce qu’il faut vraiment croire.   Quand le prêtre prononce ces paroles : ceci est mon corps, ce n’est  plus un pain terrestre, mais le pain qui est descendu du ciel, le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus Christ. »
Fulbert, évêque de Carnotensis, homme très saint et très savant, vécut à la fin du dixième âge.  Car, Adelmannus, évêque de Brixinensis, indique, dans sa lettre à Bérenger, qu’ils ont été tous deux, dans leur adolescence, des disciples du saint vieillard Fulbert, qu’il appelle son Socrate.  Si Fulbert était vieux quad Bérenger était adolescent, il faut que Fulbert ait vécu avant l’an 1000, puisque l’hérésie de Bérenger a commencé à apparaitre en 1010.  Voici  donc ce que dit  ce saint homme dans son épitre à Adeodatus, qu’on a coutume de présenter avec les livres de Paschasius : « Son corps, qui a été offert pour nous en rachat, une seule fois, a été peu après soustrait à nos regards.  Pour que nous ne soyons pas privés de la présence du corps disparu, il nous a laissé, sur l’autel, le gage salutaire de la présence de son corps et de son sang.  Non comme le symbole d’un mystère vide, mais, par la coopération du Saint-Esprit,  comme le  vrai corps du Christ, dont la vertu secrète,  dans une vénération quotidienne,  opère invisiblement lors des cérémonies sacrées, sous la forme d’une créature visible. » Et plus bas : « Il n’est pas permis de douter que, par un acte de sa volonté, tout soit subitement apparu à partir du rien.  Il n’est pas non plus permis de douter que, par une puissance semblable, dans les sacrements spirituels, la matière terrestre du pain et du vin transcende la nature et le mérite de son genre, et commute en la substance du Christ, quand il dit dans le prêtre : ceci est mon corps, ceci est mon sang. »
                                                     Chapitre 31
                    Le onzième âge de l’église, saint Anselme, et Oecumenius
Au onzième siècle, quand éclata l’hérésie de Bérenger, plusieurs ont écrit sur la vérité du corps du Seigneur dans l’eucharistie, comme saint Anselme, Lantfranc, Guitmundus, Adelmannus, Algerus, Hugo Lingoncusis, et les autres qui vécurent à cette époque.  On pense que c’est dans ce siècle qu’à écrit le grec Oecumenius.  Il suffira de présenter les témoignages d’Oecumenius et de saint Anselme, qui, par sa sainteté et son érudition,  a brillé plus que les autres.
Dans le chapitre 9 de la première épitre de saint Paul aux Corinthiens, il dit, en commentant ceci est mon corps : «  Mangez ce que je vous distribue, parce que c’est mon corps.  Aux sens extérieurs, cela parait être du pain, mais par les sens de l’esprit, connaissez que c’est mon corps, non quelque chose d’autre, mais le même substantiellement, qui sera livré à la mort pour vous racheter. »
Oecumenius, dans le chapitre 12 de la première épitre aux Corinthiens, écrit : « Comme il parle souvent de son corps et de son sang, il indique que  ne sera jamais un exilé celui qui immole l’homme qui est le Seigneur de toutes les créatures. »  Et plus bas : « Si nous réalisions la grandeur de celui qui est placé sur l’autel, nous n’aurions besoin de rien d’autre, et il nous rendrait vraiment plus sobres. »
                                                     CHAPITRE 37
Les témoignages des pères du douzième siècle, de saint Bernard et d’Euthymius.
Dans le douzième âge de l’église, plusieurs écrivirent sur ce sujet, comme Pierre de Cluny, Pierre Lombard, Hugues de Saint Victor, Euthymius Zigabenus, saint Bernard et d’autres.  Il nous suffira, à nous, de présenter deux témoignages, celui de saint Bernard, pour les Latins, et d’Euthymius, pour les Grecs.
Dans la vie de saint Malachie, saint Bernard dit : « Il y eux un certain clerc qui, comme on le rapporte, fut d’une vie approuvée, mais non d’une foi approuvée.  Celui qui était savant à ses propres yeux, eut la présomption d’affirmer que, dans l’eucharistie, se trouvait seulement un sacrement, et non la chose du sacrement, c’est-à-dire, la sanctification seulement, mais non la réalité du corps. »  Par un miracle opéré par saint Malachie, il fut cependant contraint d’embrasser malgré lui la vérité et de devenir un vrai croyant. ».
Euthymius (au chapitre 21 de Saint Matthieu) : « Il n’a pas dit : voici les signes de mon corps et de mon sang, mais voici mon corps et mon sang. »  Et plus bas : « Comme il a déifié la chair assumée surnaturellement, s’il nous est permis de parler ainsi, de la même façon, il a, ineffablement, transmuté ces choses en son corps vivifiant. »   Voir aussi la panoplie, titre 21, où en citant abondamment les pères de Nicée et saint Damase, il prouve la transmutation du pain dans le corps du Seigneur.
Pierre le martyr, (dans son livre contre Gardinerus, objections 252, 253, 254) ose nous objecter des textes de saint Bernard.  Voici ce que le saint a écrit dans son sermon 33 sur le cantique des cantiques : « J’ai moi aussi le Verbe, mais dans la chair; et à moi m’est présentée la vérité, mais dans le sacrement.  L’ange s’est engraissé de la graisse du froment, et a été rassasié par un grain nu.  Il me faut, entre temps,  me contenter de l’enveloppe du sacrement, du tégument de la chair, de la paille de la lettre, du voile de la foi. »  Et plus bas : « Quelle que soit l’abondance avec laquelle ces choses engraissent, ce n’est pas du tout en jugeant de la même manière que l’on prend l’enveloppe du sacrement et la graisse du froment, la foi et la  puissance, la mémoire et la présence, l’éternité et le temps, le visage et le miroir, l’image de Dieu et la forme de l’esclave. »  Dans son sermon sur la cène du Seigneur, le même saint Bernard compare le sacrement à un anneau et à un bâton, par lesquels, comme par des signes, est conférée une dignité ou une possession.
Ils nous objectent des choses qui sont pour nous un enrichissement.  Car, il n’est pas possible de douter du sens véritable des sentences de saint Bernard, tant à cause du témoignage que nous venons tout juste de citer, que de beaucoup d’autres qu’on pourrait facilement exhiber, que parce qu’il fut très attaché au siège apostolique qui condamne, par plusieurs conciles, l’hérésie de Bérenger.  Il fut également un grand ami de Hugues de saint Victor et de Pierre de Cluny qui ont tous deux écrit contre l’hérésie qui était née au siècle précédent.  Et aussi parce que Pierre le martyr, à la fin de son objection 252, prétend qu’il n’a pas bien pensé sur un sujet qui, à son époque, était offusqué par d’épaisses ténèbres.
Il faut donc donner un sens catholique aux paroles reprochées par nos adversaires.   Cela nous fait comprendre une chose.  Il ne faut pas s’étonner que  des pères, comme saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin qui écrivirent avant l’apparition de cette hérésie, aient  pu prêté flanc à la critique, quand nous voyons que ceux qui ont écrit après que cette hérésie ait été étudiée, réfutée et condamnée officiellement, sont revendiqués par les adversaires comme les témoins, les promoteurs et les défenseurs de leur erreur.  Il convient donc d’expliquer par des paroles précises et claires, ce qui semble douteux et ambigu.
Commençons par le passage sur le cantique des cantiques où saint Bernard compare la manière dont les anges se nourrissent du Verbe éternel dans le ciel, avec la manière dont nous nous en nourrissons sur la terre.  Il dit que les anges sont plus heureux, parce qu’ils voient clairement et manifestement ce que nous avons, nous,  voilé et caché sous l’enveloppe des sacrements,  dans le tégument de la chair, dans la paille de la lettre, et le voile de la foi.  Par ces mots, il ne dit pas que nous n’avons que l’enveloppe, le tégument, la paille ou le voile, mais que nous avons aussi le Verbe,  caché sous ces choses.  Il n’y a donc rien là-dedans qui milite contre la vérité du corps du Seigneur dans l’eucharistie.
Au sujet de ce qu’il avait ajouté plus bas, à savoir que les anges ont la présence, et nous la mémoire, ce dont Pierre le martyr se réjouit grandement, rien n’est plus facile à expliquer.  Car, par présence, il entend la vue.  Car, il appelle présent ce que l’on voit de ses yeux, et absent ce qu’on ne peut voir.  On le comprend facilement cela parce qu’il ne parle pas de la présence du la chair du Seigneur, mais de la présence du Verbe éternel.  Il dit, en effet, que le Verbe est présent aux anges parce qu’il est vu par eux, face à face.  Il dit qu’il est absent pour nous, et en mémoire, non en présence, parce qu’on ne le voit pas comme il est, mais que nous ne le saisissons que par la pensée.  Même si le Verbe de Dieu en tant que Dieu est partout.
 Ce mode de pensée n’est pas étranger aux Écritures, car, elles attestent que Dieu est partout, tout nous en exhortant de le chercher là où on peut le trouver.  C’est de la même façon que nous entendons les paroles de saint Bernard quand il dit que nous avons l’enveloppe, et les anges, la graisse.  Il veut dire que les anges se nourrissent de la graisse parce qu’ils voient Dieu face à face,  tandis que nous, nous ne voyons que l’extérieur du sacrement.  Car, nous ne voyons rien d’autre que l’espèce du pain et du vin.  Mais, saint Bernard dira plus loin que à l’intérieur de cette croute, se cache même de la graisse.  Il devrait donc suffire de dire que, comme je l’ai déjà dit,  il ne parle pas de la chair du Christ, sur quoi porte notre débat avec les adversaires, mais de la présence et de la nourriture du Verbe incarné.
Dans le sermon de la cène du Seigneur, saint Bernard ne dit  pas que par le sacrement de l’eucharistie est donnée la chair du Christ, comme par un signe, comme est donnée une dignité par un anneau ou un bâton. Il dit plutôt que la grâce du Christ est donnée par les sacrements comme par des signes.  Voici comment il parle : « Nous appropriant de cette façon sa passion, le Seigneur Jésus a pris soin de revêtir les siens de la grâce, pour que la grâce invisible soit procurée par un signe visible. »   Comment les sacrements ne sont pas des signes vides, mais des causes instrumentales de la grâce, nous l’avons déjà expliqué dans la dispute sur les sacrements en général, où nous avons aussi traité de ce passage de saint Bernard.
                                                            CHAPITRE 38
                                              Témoignages des âges restants
Dans l’âge treizième, en plus de plusieurs témoignages d’insignes théologiens, de saint Albert, de saint Thomas, de saint Bonaventure et d’autres, nous avons le témoignage du concile général du Latran sous Innocent 111.  Dans le premier chapitre des décrets de ce concile, nous lisons : « Dans le sacrement de l’autel, le corps et le sang du Christ sont contenus vraiment sous les espèces du pain et du vin. »
Dans l’âge quatorzième, en plus des témoignages de docteurs, comme de Scot, de Henri, de Durand, et d’autres, nous avons un décret du concile général de Vienne sous Clément V sur la fête du corps du Seigneur, où on lit plusieurs témoignages éloquents sur la vérité du corps du Seigneur dans l’eucharistie.    Il nous reste aussi un décret sur l’adoration du saint sacrement contre les erreurs de Bérenger. Voir la Clémentine, ad nostrum, de heret.
Dans l’âge quinzième, nous avons les témoignages de deux conciles généraux, celui de Constance (session 13) et de Florence, du décret sur l’union avec les Grecs, et de l’instruction aux Arméniens.  À cette époque, il n’y a pas que des auteurs latins è avoir écrit sur ce sujet, comme Thomas Waldens, Jean Gerson, et d’autres, mais même aussi des Grecs, comme Samonas, évêque de Gaze,  Nicolas Methonensis, Nicolas Cabasilas,  Marc d’Éphèse,  et Bessarion cardinal,  qui ont tous enseigné une vraie et réelle transmutation du pain et du vin au corps et au sang du Christ.  Voir le tome 4  de la bibliothèque des saints pères.
Dans l’âge seizième, nous avons le témoignage du concile général de Trente, (session 13).  Nous avons aussi un témoignage important dans une censure que, il y a quelques années, a été éditée contre la confession luthérienne. Car, au chapitre 10, de cette censure, on affirme en plusieurs phrases, que, par la consécration, le pain est véritablement converti en la chair du Christ.  Nous avons aussi une continuation de la doctrine catholique pour tous les âges de l’église, non seulement en Occident, mais en Orient.
                                                        CHAPITRE 39
                              Un résumé des arguments tirés des pères
Si quelqu’un voulait réduire en catégorie tous les arguments avec lesquels nous avons prouvé quelle était la pensée des pères sur ce sacrement, il pourrait en nommer six.  La première, par la façon de parler des pères de ce sacrement.   Car, les anciens pères se servent de mots qui font horreur à nos sacramentaires.   Ce que les sacramentaires ne ressentiraient certes  pas si leur sentence concordait avec celle des pères.   Car les sacramentaires ne donnent jamais d’autre nom à l’eucharistie que symboles du corps et du sang du Seigneur.
Or les anciens appellent souvent l’eucharistie le corps et le sang du Seigneur, ce qu’ils ne font pas quand ils parlent des autres signes.   De plus, ils appellent le précieux corps mystère redoutable, gage du salut, notre prix.  Voir, Optatus, Chrysostome,  Ephrem, Augustin,  et les autres.   Quelques-uns, comme Damascène, Theophylactus,  Euthymius, Paschasius, et d’autres, enseignent clairement que l’eucharistie n’est pas une figure du corps du Christ, mais le corps du Christ lui-même.
La seconde catégorie réside dans la comparaison entre ce sacrement avec d’autres choses.   D’abord, avec les sacrements des Hébreux.  Car, les pères ne craignent pas d’affirmer ouvertement que ce sacrement diffère de la manne, de l’agneau pascal, du pain de proposition, et des choses semblables, comme la vérité diffère de la figure, le corps de l’ombre, une chose divine, céleste et incompréhensible d’une chose terrestre et corruptible.  Voir Origène, Cyprien, Cyprien, Ambroise, Jérôme, Chrysostome Augustin, Cyrille d’Alexandrie.  Ensuite, ils le  comparent avec le mystère de l’incarnation, comme Justin, Ambroise, Chrysostome, Theodoret, Gélase, Rémi, Damascène.  Saint Jean Chrysostome compare le Christ comme il est sur l’autel après la consécration  avec le même Christ dans la crèche,  et dans le ciel.   Saint Augustin compare le Christ dans l’eucharistie, avec les anges qui apparaissent dans des formes corporelles;  Tertullien, Cyprien, Basile et d’autres ceux qui le traitent indignement dans l’eucharistie avec ceux qui ont tué le Christ.
La troisième classe provient de la mutation du pain.  Car, les pères indiquent que la mutation réelle se fait de différentes façons.  D’abord, parce qu’ils disent que ne demeure pas le pain après la mutation, comme Cyrille de Jérusalem, Ambroise, Gaudence, Chrysostome, Grégoire de Nysse,  Emissenus.  Ils disent ensuite que les sens défaillent, comme les mêmes auteurs et Hilaire et Épiphane.   Ils disent aussi que le pain est changé dans la chair, ou est changé par la nutrition, quand on mange le Christ, comme Grégoire de Nysse, Damascène, et Theophylactus.  Quatrièmement, ils comparent cette mutation avec des mutations réelles, comme celle de l’eau en vin, d’un bâton en serpent.  Voir Ambroise, Cyrille de Jérusalem,  Cyrille d’Alexandrie, Augustin, Emissenus, Damascène.  Cinquièmement, ils disent que pour cette mutation est requise la toute puissance de Dieu.  Justin, Irénée, Cyprien, Hilaire, Ambroise, Grégoire de Nysse, Gaudence, Proclus, et d’autres.
La quatrième classe est tirée du très haut mystère que les pères reconnaissaient dans l’eucharistie.  Ils disaient d’abord qu’on ne peut pas le comprendre sans la foi, comme l’apôtre saint André, Ephrem, Gaudence, Augustin, Damascène.  Ils  exhortaient ensuite très souvent les chrétiens  à conserver la vraie foi, et à ne pas douter de la vérité de ce sacrement.   Comme Hilaire, Cyrille de Jérusalem, Ambroise, Grégoire de Naziance, Épiphane, Éphrem, Gaudence, Chrysostome, Emissenus, Cyrille d’Alexandrie.  Ils disaient ensuite, que c’était un miracle qui transcendait notre intelligence et notre nature.  Éphrem, Chrysostome, Augustin, Gaudence, Isichius.  Quatrièmement.  Ils n’en parlaient pas devant les païens et les catéchumènes, si ce n’est qu’à mots couverts, comme : les frères savent.  Voir Tertullien, Origène, Chrysostome, Augustin,   Theodoret.  Cinquièmement. Quand ils se demandaient comment cela pouvait se faire, ils renvoyaient tout à la toute puissance de Dieu, comme Cyrille d’Alexandrie, Euthymius,  Theophylactus et les autres.
La cinquième classe se tire de la vénération.  Car, ils adoraient l’eucharistie.   Voir Cyrille de Jérusalem, Ambroise, Grégoire de Naziance,  Chrysostome, Augustin, Theodoret.   Ensuite, ils l’invoquaient, ou disaient qu’il fallait l’invoquer.   Voir Denys l’aréopagite, Origène, Grégoire de Naziance, et Chrysostome.  Ils prenaient grand soin à ce qu’il ne tombe pas par terre. Le pape Pie, Tertullien, Origène, Cyrille de Jérusalem, Augustin.  Ils ne permettaient pas de le voir aux infidèles et aux catéchumènes.   Voir Basile et Augustin.  Cinquièmement, qu’un ange se tenait près de l’autel pendant l’oblation du sacrifice.   Ambroise, Chrysostome, Grégoire le grand.  Parmi eux, saint Jean Chrysostome dit explicitement que les anges  se tiennent autour de l’autel tête penchée.
La sixième classe se tire de l’effet qu’on attribue  à l’eucharistie. Ils disent d’abord que nous sommes, par elle, unis corporellement au Christ.   Hilaire, Grégoire de Nysse,  Irénée, Ambroise, Optatus, Gaudence, Chrysostome, Cyrille, le concile de Nicée.   Ils disent ensuite que nos corps vont ressusciter parce qu’ils sont unis au corps du Christ.   Les mêmes.   Chrysostome dit que le Christ se donne à nous par l’eucharistie, de façon à l’avoir vraiment en nous, comme  désirent se donner les amants à ceux qu’ils aiment, mais sans le pouvoir.  Chrysostome et Cyrille d’Alexandrie, et d’autres, enseignent que le Christ nous est uni, non seulement par la foi et la charité, mais réellement, quand nous le recevons dans l’eucharistie.  Ils disent enfin que par la réception de ce sacrement, nous devenons participants à la nature divine, comme l’enseignent Cyrille d’Alexandrie, et d’autres.
2019 02 27 fin
2019 03 11 18h24     début
                                                             TROISIÈME LIVRE
                                               DES CONTROVERSES SUR L’EUCHARISTIE
                                      La vérité du corps du Seigneur dans l’eucharistie
                                                                 CHAPITRE PREMIER
On propose une question : est-ce qu’il peut se faire que le corps du Christ soit rendu présent dans l’eucharistie ?
C’est avec la parole de Dieu et les sentences des pères de l’église que nous avons jusqu’à présent disputé la controverse sur la vérité du corps du Christ dans le sacrement de l’autel.  Or, nous estimons que, pour parvenir à une explication totale de cette gravissime question, les témoignages de l’Écriture et des pères ne suffisent pas.  Nous chercherons donc à déterminer  par différents principes de foi, à l’aide de la raison, ce qu’un homme sage et pieux doit savoir sur ce mystère.  Nous répartirons cette enquête en deux parties.    Nous nous  demanderons, d’abord,  si Dieu peut réellement être présent avec son corps et son sang, sous les espèces du pain et du vin.  Et, en suite, s’il le veut.
Au sujet de la première question, Wiclef  (dans Thomas Waldensen, tome 2, chapitres 72, et 73) et son disciple Jean Calvin nient catégoriquement que cela puisse se faire.  Car, même si Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 21) parle ainsi pour détourner l’envie : « On ne demande pas ce que Dieu a pu , mais ce qu’il a voulu », un peu plus bas, il dit : « Pourquoi Dieu n’a-t-il pas fait en sorte  que la même chair occupe des lieux différents,  de façon à ce qu’elle ne soit contenue dans aucun lieu, et qu’elle soit privée de mode et d’espèce ? –Insensé ! Pourquoi demandes-tu à la toute puissance de Dieu de faire en sorte que la chair soit et ne soit pas en même temps ? »  Et plus bas, au verset 20, il répond aux arguments avec lesquels les catholiques prouvent qu’un corps peut être en divers lieux,  ou n’occuper aucun lieu.  Pierre le martyr dit des choses semblables (dans son livre contre Gardinerus, objections 10, 11, 12, et 106), et Theodore de Bèze (dans son livre sur la cène du Seigneur contre Westphalus.  Les catholiques, croient, au contraire, que cela se peut.
Il y a trois difficultés qui nous séparent, nous les catholiques et les hérétiques.  La première. Un seul corps peut-il être placé en même temps en divers lieux ?  La deuxième.  Un corps peut-il être à quelque par sans occuper un lieu ?  Nous n’avons, là-dessus, de dispute qu’avec les sacramentaires, non avec les luthériens.  La troisième porte sur la façon dont le corps du Seigneur commence à être dans l’eucharistie, par la transsubstantiation.  Ce qui nous oppose aussi aux luthériens.  Afin de disputer, contre les sacramentaires,  de la toute puissance de Dieu dans ce mystère, et pour expliquer toute la chose avec ordre, nous nous demanderons, d’abord,  quelle est la règle certaine qui nous permet de connaitre ce que Dieu peut. Nous prouverons ensuite que Dieu peut faire en sorte qu’un corps soit en même temps en différents lieux.  Nous répondrons aux objections des adversaires, et nous prouverons ensuite que Dieu peut faire en sorte qu’un corps demeure invisiblement sans remplir un lieu.  Nous réfuterons enfin les objections.
                                                            CHAPITRE 2
                          Quelle est la règle pour connaitre ce que Dieu peut ?
La règle qui nous fait connaitre ce que Dieu peut est tirée de Dieu, de la puissance d’un agent quelconque,  de l’homme, qui doit connaitre Dieu, ou des choses elles-mêmes qui sont faites par sa puissance.  Calvin tire une certaine règle de Dieu, dans son catéchisme court, où il explique le premier article du symbole, et dans ses institutions (chapitre 6, verset 27).  Et Pierre Boquin, dans son livre sur la cène du Seigneur (près de la fin), où ces auteurs traitent de la toute puissance de Dieu.  Car, Dieu peut faire ce qu’il veut réellement faire, et ce qu’il fait.  Et il n’y a en Dieu aucune puissance par laquelle il pourrait faire ce qu’il n’a pas décrété de faire.
Réponse.  Cette règle est fausse et inutile.  Elle est fausse parce que les Écritures enseignent ouvertement que Dieu peut faire beaucoup d’autres choses que celles qu’il ne fera jamais.  Matthieur 3, et Luc 3 : « Dieu peut, de ces pierres, susciter des fils à Abraham. »  Commentant ce texte, saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, et saint Jérôme disent que Dieu peut, avec des pierres, former des hommes.  Ce qu’il n’a, cependant, jamais fait, et ce qu’il ne fera probablement jamais.  De même, en Matthieu 26 : « Je peux demander à mon père de m’envoyer plus que douze légions d’anges. »  Et en Marc 14 : « Tout t’est possible, détourne ce calice de moi. »  Le Seigneur indique là assez clairement qu’il aurait pu réparer le monde sans sa mort, et que sa passion aurait pu être empêchée par la toute puissance divine.  Et, pourtant, nous savons que cela n’a pas été fait.
C’est ce qu’a noté saint Grégoire de Naziance  (dans l’épitre 1 à Chelidonius), et qu’il a répété au livre 4 de sa théologie.  Il dit que Dieu peut faire passer un chameau par le chas d’une aiguille, et faire retourner un vieillard dans le sein de sa mère, et le faire ensuite renaître. Choses qu’il n’a, pourtant, jamais faites.   Voilà pourquoi saint Augustin, dans l’enchiridion, chapitre 95, écrit avec raison que Dieu peut faire beaucoup de choses qu’il ne veut pas faire, et que tout ce qu’il veut, il le peut.  Et, au livre sur l’esprit et la lettre (chapitre 1), il dit qu’il ne fera jamais beaucoup de choses qui son possibles, et  il donne l’exemple d’un chameau qui passe par le chas d’une aiguille.  Mais même si leur règle était vraie, elle serait inutile, car nous connaissons mieux ce que Dieu veut faire que ce qu’il peut faire.
Si quelqu’un disait que la règle qui nous permet de connaitre la toute puissance de Dieu est sa volonté, ou son intelligence, au sens où Dieu peut faire tout ce qu’il comprend être faisable, il donnerait une règle très vraie, mais inutile.    Très vraie, parce que Dieu diffère des créatures en ce que les créatures peuvent concevoir dans leur esprit, et vouloir faire  plusieurs choses qu’ils jugent faisables, mais qu’ils ne peuvent pas exécuter. Or, Dieu tout ce qu’il peut vouloir ou comprendre comme faisable, il  peut le faire en entier, et il ne peut rien faire qu’il ne peut vouloir, ou qu’il ne juge pas être faisable.  Mais, c’est une autre règle inutile, car ce que Dieu peut vouloir ou juge faisable n’est pas moins obscur pour nous  que ce qu’Il peut faire.
Des hommes, on pourrait tirer cette règle : Dieu peut faire tout ce que l’homme peut concevoir.   Car, comme l’objet de notre pensée est l’être et le vrai en lui-même, ce qui est peut être connu et compris peut vraiment exister; et ce qui ne peut être conçu ne sera rien. Or, il pourra tout faire celui qui fera tout ce l’homme peut concevoir.    Mais cette règle est en partie vraie, et en partie fausse. Elle est vraie en ce que Dieu peut faire tout ce que l’homme comprend qu’il peut faire.  Mais elle est fausse, et contraire aux saintes écritures,  en ce qu’elle nie que Dieu puisse faire ce que l’homme ne peut pas comprendre.  Car, même si tout être est intelligible par lui-même, et que seul ce qui n’est pas ne pas être compris, cependant, sans l’aide de Dieu, notre esprit,  à cause de son imbécilité, se trompe dans sa compréhension des choses, et il lui arrive de penser de beaucoup de choses qui peuvent être comprises, devenir, et être faites, qu’elles ne peuvent pas exister, et sont donc inintelligibles et infaisables.   Voilà pourquoi saint Jean (Jean 111) dit que « Dieu est plus grand que notre cœur. »  Et l’apôtre (Éphésiens 3) dit que Dieu opère au-delà de ce que nous demandons ou comprenons.  Et saint Augustin (livre 21, chapitres 5, 6, 7, de la cité de Dieu) montre qu’il y a beaucoup de choses vraies que l’homme ne peut pas comprendre.   De même, saint Hilaire (livre 3 sur la trinité) et les autres pères.
Parmi les mystères de notre foi, beaucoup n’étaient-ils pas jugés impossibles par les philosophes païens ? Et cependant les fidèles  ainsi que les spécialistes des sciences naturelles  ne les estiment-ils pas vraisemblables, et même très vrais ?  Si un homme peut faire ce que les autres ne comprennent pas, et qu’ils croiraient impossible à moins de l’avoir vu, comme ce que Plutarque raconte d’Archimède dans la vie de Marcel, à combien plus forte raison Dieu pourra-t-il faire des prodiges qui médusent et ébahissent et renversent  les hommes.   Les adversaires eux-mêmes le reconnaissent, comme Calvin (livre 4, chapitre 17, versets 20 et 24),  et Pierre Boquinus dans son livre sur la cène du Seigneur.  Ils disent tous deux que le mystère de l’eucharistie est trop sublime pour qu’on puisse le comprendre.  Cependant, par cette confession même, ils indiquent qu’ils ne veulent croire que ce qu’ils comprennent, car souvent ils déclarent ne pouvoir se faire ce que la terre entière croit non seulement pouvoir être fait, mais avoir été fait.   Et le mystère qu’ils déclarent transcender l’intelligence n’offre aucune difficulté, comme nous l’avons montré plus haut.
Il reste qu’on tire la règle des choses elles-mêmes.  On peut tirer la règle des choses de deux façons.  Une première.  Si nous disions  que Dieu ne possède de puissance active qu’autant qu’il y a de puissance passive dans les choses, ou dans toute la nature. Et c’est peut-être de cette façon que les philosophes païens ont délimité la toute puissance de Dieu.  Or, les chrétiens ont attribué à Dieu une plus grande puissance, quand ils ont cru et professé que Dieu avait créé le monde à partir du néant.  Car celui qui a créé à partir de rien ne dépend pas de la  puissance passive du sujet.
La deuxième façon de tirer une règle des choses.  Dieu peut faire toutes les choses qui peuvent exister d’une manière ou d’une autre, selon cette parole de l’ange Gabriel (Luc 1)  : « Rien n’est impossible à Dieu. » Et cette autre du Sauveur en saint Marc (14) : « Tout t’est possible. »  Tout peut exister de ce  qui ne dit pas ne pas pouvoir exister en soi, mais seulement exister. Et c’est ce que saint Thomas écrit ( 1 par question 24, article 3) et tous les théologiens.  Ils disent que Dieu est tout puissant, car il peut tout ce qui n’implique pas une contradiction.   Car, ce qui implique une contradiction n’est possible en aucune manière, car cela impliquerait être et ne pas être en même temps. Et donc, si cela devenait, quelque chose surgirait dont l’essence est de na pas être. Il n’y a que le non existant qui ne peut pas devenir, car tout ce qui devient doit être semblable en quelque façon à ce d’où il procède.  Tout ce qui est,  est semblable à Dieu dont  l’essence est l’existence. Seul le non être ne lui est semblable en rien.  Faire que quelque chose n’existe pas ce n’est pas faire, mais défaire.  Ce qui  requiert non  de la puissance, mais de l’impuissance.  Et voilà pourquoi nous disons que Dieu ne peut pas mourir, ne peut pas pécher, ne peut pas se tromper, parce que la mort, le péché, l’erreur sont formellement des non êtres; et que pouvoir ces choses n’est pas un signe de puissance, mais d’impuissance.
Le premier principe, à la lumière de la nature est donc : toute chose est ou n’est pas.  Sans ce principe,  aucune connaissance n’est possible.  Voilà pourquoi même les adversaires admettent avec nous qu’aucune chose ne peut devenir qui implique une contradiction.  Il deviendrait vite évident que si l’essence de chaque chose était de faire ce qui, en même temps, implique une contradiction et n’implique pas une contradiction, toute question finirait là.  Mais, comme cela n’est pas tout à fait évident, évertuons-nous à montrer ce que nous voulons.
                                                 CHAPITRE 3
                        Un corps peut être en même temps en plusieurs endroits
Venons-en maintenant à chacun des chapitres du mystère de l’eucharistie qui, selon nos adversaires, impliquent une contradiction, et donc une impossibilité. Et commençons par ce qui est le plus difficile.  Nous prouverons qu’il n’implique aucune contradiction, et donc qu’il est possible à un corps d’être en plusieurs lieux à la fois.
Le premier argument, nous le tirons de l’Écriture, où il est attesté que rien n’est impossible à Dieu, Matthieu 19 : « À Dieu, rien n’est impossible. »  Les adversaires expliquent ce texte ainsi : tout, sauf ce qui implique une contradiction, comme qu’un corps soit en même temps en plusieurs endroits.  Or, on peut réfuter cette explication de plusieurs façons, et même d’après les principes des adversaires.   Le premier de leurs principes est qu’on ne peut rien croire sans une parole de Dieu.  Or, la parole de Dieu n’a jamais exclu de la toute puissance de Dieu la présence simultanée d’un même corps en plusieurs lieux.  Elle exclut parfois le mensonge en Dieu (Hébreux 6) : « Il est impossible à Dieu de mentir. »   Et ailleurs (Timothée 2) : « Il ne peut se renier. »  On déduit à bon droit de ces choses que tout ce que Dieu ne peut pas faire, c’est défaire.  Être présent simultanément en plusieurs endroit ne peut pas clairement être ramené à cela. On ne voit donc pas comment cela aurait du être impossible à Dieu.
Le second de leurs principes est que la véritable doctrine est celle que Dieu exalte et que les hommes rabaissent; qu’est faux ce que les hommes exaltent et que Dieu rabaisse.  Or, celui qui dit que, entre autres choses, Dieu peut rendre présent un corps en plusieurs endroits, exalte Dieu et rabaisse l’homme, puisqu’il reconnait que Dieu peut plus de choses que ce que nous pouvons comprendre. Et celui qui nie cela, rabaisse Dieu et exalte l’homme, puisqu’il pense et dit que Dieu ne peut pas faire ce que l’homme ne peut pas comprendre.
Troisièmement, implique une contradiction ce qui milite contre l’essence d’une chose, de façon à dire qu’elle est et qu’elle n’est pas en même temps.  Or, être dans un lieu n’appartient pas à l’essence d’un corps, mais est quelque chose d’extrinsèque et d’accidentel.  Car, le dernier ciel est vrai corps, mais n’est pas dans un lieu.  Ne répugne donc pas à l’essence d’une chose d’être dans un ou plusieurs endroits, puisqu’il s’agit là de choses extrinsèques et postérieures à l’essence d’un corps.
Le second argument est tiré d’un exemple de la sainte Écriture.  Quand le Christ est apparu à l’apôtre Paul, (Actes 9 et 22), il fut à la fois en haut dans le  ciel, sur la terre, ou dans l’air tout près de la terre.  Un corps peut donc être, au même instant,  entre plusieurs endroits.  Que le Christ ait été, alors, dans le ciel, les adversaires ne le nient pas, et on peut le prouver par les Actes 3 : «Que les cieux doivent recevoir jusqu’au temps de la restitution de toutes choses. »
À cet argument on peut donner deux réponses. Que saint  Paul n’a pas réellement vu le Christ dans sa propre personne, mais dans une forme qui avait une apparence semblable;  qu’il a entendu une voix qui ne venait pas de la bouche du Seigneur, mais qui avait été produite  faite  Dieu, comme la voix du Père au baptême de Jésus, et sur le mont Thabor.  C’est ainsi que Calvin semble avoir compris tout le  chapitre 9 des Actes.  L’autre réponse.  Saint Paul a vraiment entendu la voix réelle de Jésus, mais comme elle résonne dans le ciel;  et les yeux et les oreilles de saint Paul ont pénétré le ciel.  Et c’est de cette façon que Calvin a répondu à l’argument (livre 4, chapitre 17, verset 29.)  Il conviendrait grandement de lui objecter ce qu’il a lui-même écrit (livre 3, chapitre 20, verset 23 des institutions), quand il se moquait de l’invocation des saints : « Qui a révélé qu’il possédait  des oreilles assez longues pour  entendre  nos prières, des yeux assez  perçants pour veiller sur nos nécessités ? »
Que peut-il répondre si nous lui objectons que saint Paul n’a pas eu des oreilles assez longues ni des yeux assez perçants pour pouvoir pénétrer jusqu’au septième ciel, y voir et y entendre le Christ ? Que répondra-t-il si ce n’est que cela a pu se faire par la toute puissance de Dieu ?  Or, si, par la toute puissance de Dieu, il peut se faire que des yeux charnels et des oreilles charnelles pénètrent dans le ciel, ne pourra-t-il pas se faire, par la même toute puissance de Dieu, que les yeux et les oreilles spirituelles des âmes glorifiées se rendent jusqu’à la terre ?  Mais, laissons cela de côté pour l’instant.
 Prouvons par saint Paul lui-même que le Christ lui est vraiment apparu, et qu’il l’a vraiment vu avec ses yeux corporels.  Ce qui n’est pas seulement évident, mais très certain.  Car, saint Luc dit, dans les Actes 9, au sujet des compagnons de Paul : « Les hommes qui l’accompagnaient demeurèrent stupéfaits, entendant une voix, mais ne voyant personne. »  Entre saint Paul et ses compagnons, il met comme une antithèse : eux entendaient sans voir, mais Paul entendait la voix, et voyait celui qui parlait.  Au même endroit, saint Barnabée a raconté aux apôtres comment Paul a vu le Seigneur.  Et, au chapitre 17, Ananie parle à Paul de la vision qu’il a eue sur le chemin de Damas : « Le Dieu de nos pères a pré ordonné que tu connaisses sa volonté, que voies le Juste, et que tu entendes la parole de sa bouche. »
Saint Paul a donc vu le Christ et entendu sa voix, non d’une nuée quelconque, ou façonnée par le ministère des anges, mais de la bouche même du Christ.  Et, au chapitre 26, le même Christ a dit à Paul : « Je t’ai apparu pour te constituer ministre et témoin des choses que tu as vues. »  C’est là qu’il l’a fait apôtre et témoin oculaire de sa résurrection.  Car, il n’aurait pas été un vrai témoin s’il n’avait pas vu, de ses yeux corporels, le corps qui était ressuscité.  De plus, en 1 Corinthiens 9, saint Paul dit pour prouver son apostolat : « N’ai-je pas vu notre Seigneur ? »  Et à 1 Corinthiens 15, rappelant les témoins oculaires de la résurrection du Christ, ajouta, après avoir nommé Pierre, Jacques, Jean et les autres : « À la fin, il fut vu par moi, comme par un avorton. »  Cette preuve n’aurait rien valu s’il n’avait pas vu le Christ, comme les autres l’avaient vu.  On ne pouvait donc pas douter, parce qu’il avait vu le corps du Christ de ses yeux corporels.
Qu’il ait vu le Christ non dans le ciel mais sur la terre, ou dans l’air près de la terre, on le prouve parce que saint Paul fut ébloui par une telle lumière (Actes 9) qu’il était devenu aveugle.  Or, cette lumière qui émanait du corps du Christ n’aurait  pu blesser ses yeux que si elle était proche.  Car, ses compagnons virent une certaine lumière et entendirent une voix (Actes 9 et 22), ce qui est une preuve passablement certaine que le Christ était apparu sur la terre, ou dans les airs, tout proche.  Les compagnons de saint Paul ne pouvaient pas, eux non plus, pénétrer les cieux des cieux avec leurs yeux et leurs oreilles. Et même si ces compagnons entendirent une voix, ils ne comprirent pas distinctement ce que le Seigneur disait (Actes 22).  Le Seigneur a donc été plus proche de Paul que d’eux;  et lui a parlé comme à l’oreille.  Or, si la voix était venue du ciel, tous l’auraient entendue également.  De plus, cette interrogation : « Qui es-tu, Seigneur », et la réponse : « Je suis Jésus que tu persécutes », ces paroles, dis-je, indiquent clairement la présence du Christ.  Car, si Paul avait vu le Christ là-haut dans le ciel, comme l’a vu saint Étienne, il ne serait pas demandé qui c’était.  Comme il a vu tout à coup un homme sur la lumière rutilante du soleil, c’est pour cela qu’il a dit : « Qui es-tu ? »  De plus, si saint Paul n’avait vu le Christ que dans le ciel, il n’aurait pas été témoin de sa résurrection.  Car, les hommes auraient facilement pu contester son témoignage, ou dire qu’il a été victime d’une illusion ou d’une hallucination.
On confirme l’argument par les autres apparitions du Christ.   Car, le Christ est d’abord apparu à l’apôtre Pierre et lui a parlé, comme l’attestent tant de graves auteurs, comme saint Ambroise (dans son sermon contre Auxentius), Hegesippe (livre 3 de la chute de la ville de Jérusalem, chapitre 1), saint Athanase, même si un peu plus obscurément, dans son apologie pour sa fuite.  De plus, le Christ est apparu à saint Antoine, après qu’il ait été matraqué  par les démons, comme l’atteste Athanase dans sa vie.  Saint Grégoire (livre 4, chapitre 16 de ses mémoires)  affirme que c’est vraiment le Christ qui est apparu à saint Thrasille, sa tante paternelle, un peu avant sa mort. Et il prouve que ce fut une apparition réelle et non figurée à cause de l’intense odeur de parfum qui est demeurée dans l’appartement.  Et à saint Grégoire lui-même, le Seigneur est vraiment apparu, comme l’atteste Jean le diacre, (livre 2, chapitre 22 de sa vie).  Et plusieurs preuves de ce genre peuvent être tirées de différents auteurs.  Et si quelqu’un voulait les nier d’autres, on pourrait l’accuser d’impudence et de témérité.  Mais, en plus des autres apparitions, on lit celle que raconte saint Paulin dans son épitre à Macaire, qui suffit abondamment à elle seule pour être le  témoin très sur que nous cherchons.  Cet argument est très efficace contre les hérétiques de notre époque qui soutiennent que le christ ne descendra pas du ciel ni privément  ni publiquement, et que cela constitue une preuve. Il ne convainc absolument pas, parce qu’il n’est pas improbable  que, privément ou publiquement, le Christ descende du ciel, après l’ascension, et  pendant un certain temps.
Le troisième argument est tiré des témoignages des pères, qui enseignent qu’une chose peut être simultanément en plusieurs lieux.  D’abord, saint Jean Chrysostome livre 3 sur le sacerdoce, cité plus haut) affirme éloquemment que le Christ peut, au même instant, être au ciel, assis avec son père, et être touché par les mains de tous les communiants.  Il ne parle pas, lui, d’un toucher purement symbolique, puisqu’il l’attribue à un miracle.  Le même saint Jean Chrysostome, et avec lui Primasius et saint Anselme, le commentaire attribué à saint Ambroise, (chapitre 10 au Hébreux) disent que le même corps du Seigneur est simultanément offert sur plusieurs autels différents.  Ils ne parlent évidemment pas du symbole du corps, mais du corps lui-même (comme je l’ai montré plus haut, au livre 2, chapitre 31.)
De même, saint Cyrille d’Alexandrie, (livre 2, chapitre 32 sur saint Jean), et Theophylactus (chapitre 19 de saint Jean) enseignent éloquemment que, par sa chair reçue dans l’eucharistie, le Christ  sanctifie les âmes et les corps de tous les communiants dans la totalité du monde, et est en tous intégralement et sans division.  Saint Augustin (sur le soin  qu’il faut prendre des morts, chapitre 16) pose une question : quand, en différents lieus, se font, simultanément, des miracles à la mémoire d’un martyr, le  martyr est-il présent en personne au même moment dans tous ces endroits, ou ces miracles se font-ils par le ministère des anges ?  Et il répond que la question est au-dessus de la capacité humaine de comprendre.
Ce qui nous fait comprendre que saint Augustin n’estime pas impossible qu’une seule et même chose soit à la foi dans différents lieux.  Autrement il n’aurait pas douté, mais il aurait dit hautement et clairement (comme le disent les calvinistes) que la chose implique une contradiction.  De plus, au chapitre 17, il rapporte l’histoire d’un moine du nom de Jean, qui, sans sortir de son monastère, est apparu en songe à quelqu’un qui demeurait beaucoup plus loin.  Il se demande ensuite si son esprit était présent dans l’un et l’autre lieu, ou si la chose s’est produite autrement : « S’il s’est rendu présent à un dormeur, cela n’a pu se faire que par un miracle, non par un moyen naturel.  Par un don de Dieu, non par la vertu propre à quelqu’un. »  Il ajoute ensuite que s’il avait pu parler à ce moine, il lui aurait demandé l’explication de ce phénomène, et qu’il l’aurait pu entendre sa version.
Si quelqu’un objecte qu’il en va différemment des corps et des esprits, que c’est à des esprits que saint Augustin  concède qu’il soit possible d’être présents simultanément dans divers lieux, on pourrait facilement lui répondre.  Car, la raison pour laquelle des corps ne semblent pas pouvoir être en plusieurs endroits au même instant, n’est pas tant la masse que l’unité.  La question, en effet, n’es pas : est-ce qu’un corps peut occuper deux lieux, car le Christ n’occupe ordinairement qu’un seul lieu.  Le Christ, en effet, n’est pas dans le sacrement localement, mais en raison de la dimension du pain.  Et même si nous pensons qu’un corps peut être localement en plusieurs lieux au même instant, et que nous le prouvons par les exemples allégués dans le second argument, cependant, pour défendre le mystère de l’eucharistie, il n’est pas requis qu’un corps puisse occuper ou remplir plusieurs lieux, mais il suffit qu’il puisse  y être en quelque façon.
Il semble ne pas pouvoir être en plusieurs lieux à la fois parce qu’il ne peut pas se séparer de lui-même, et parce qu’il semble nécessaire que, pour être en différents endroits, il doive  se séparer de lui-même et être tiré en sens divers. Et c’est pour cela  que, en niant qu’un corps puisse être à plusieurs endroits en même temps, il donne pour raison qu’il devrait se dédoubler.  Or, cette répugnance qui provient de l’unité d’un être, ne se trouve pas moins dans un esprit que dans un corps, car ils sont tous les deux une seule chose, et ne peuvent pas être divisés.  La preuve à apporter doit donc valoir autant pour l’esprit que pour le corps.
Le quatrième argument se sert  d’exemples, comme de Dieu et de l’âme raisonnable.  Étant un,  simple et indivisible, Dieu est quand même présent dans une infinité d’endroits, car il est présent, tout entier, à toutes les créatures, ce qui, certes, dépasse l’entendement. Car nous ne pouvons concevoir qu’une chose soit présente en différents endroits, à moins de penser que tous ces lieux n’en forment qu’un seul, ou qu’une chose est divisée en plusieurs.  Voilà pourquoi saint Augustin (dans son épitre 3 à Volusinus sur la présence de Dieu en plusieurs endroits à la fois) dit : « L’intelligence humaine s’étonne de cela, et parce qu’elle ne le comprend pas, elle n’y croit peut-être pas non plus. »
Pour une raison semblable, l’âme rationnelle est tout entière dans chaque partie du corps, car si elle avait la même extension que le corps,  elle serait matérielle, et dépendrait du corps, et ne serait donc pas immortelle, ce qui répugne à la foi catholique.  À cet argument, la seule chose qu’on peut répondre c’est que Dieu et l’âme ne sont pas dans divers lieux, mais dans un seul lieu.  Dieu, en effet, remplit tout le monde, comme un seul lieu; et l’âme remplit tout le corps.  La preuve en est  que si un membre est séparé du corps humain, l’âme cesse d’y demeurer, parce que ce membre commence à être un autre corps existant par soi.   Or, cela ne demande pas un gros effort pour être réfuté.  Car, même si l’âme ne peut pas  naturellement  être dans un membre coupé, on ne peut imaginer aucune raison qui empêcherait Dieu de conserver l’âme dans un bras coupé, tout comme elle l’était avant.  Dieu pourrait créer un monde dont les parties ne se toucheraient pas. Il serait quand même en lui, même s’il consistait de parties distinctes et éloignées les unes des autres.  Il n’y a donc aucun empêchement à ce qu’une chose soit en plusieurs lieux.
Le cinquième argument est tiré des mystères de notre foi ou plus difficiles à croire, ou également difficiles. Le premier est le mystère de la Très Sainte Trinité, que même les luthériens et les calvinistes admettent.  Nous croyons, dans ce mystère, en une seule nature en trois personnes réellement distinctes.  Ce qui est surement plus étonnant qu’un corps en plusieurs endroits. Car, comme il y a une distinction réelle de lieux, il y aussi une distinction réelle de personnes. Nous avons d’un côté un corps, et de l’autre l’unité d’une nature.  Mais le mystère de la très sainte Trinité est plus étonnant parce que, dans la trinité, Dieu est réellement identique et formellement dans chacune des personnes, tandis que le corps n’est en aucune façon identique aux lieux.  Si donc une nature numériquement une peut, sans se séparer d’elle-même, être identiquement dans trois personnes distinctes, pourquoi un corps ne pourrait-il pas, avec moins de difficulté, être uni extrinsèquement avec différents lieux, sans se séparer de lui-même ?
Le deuxième mystère est celui de l’incarnation dans lequel, comme nous le croyons, se trouve une seule personne en deux natures parfaites.  Et comme l’union entre une personne et une nature est beaucoup plus grande que l’union entre un lieu et celui qui est dans un lieu, puisque la première est intrinsèque et substantielle, et l’autre, extrinsèque et accidentelle, on aura donc raison de croire qu’une union de deux natures en une seule personne est plus prodigieuse que l’union d’un corps avec deux lieux.  Ajoutons que cette  personne s’identifie  réellement et formellement avec les deux natures, c’est-à-dire avec la nature divine, qui s’unit cependant intimement avec la nature humaine, tout en différant réellement et formellement de la nature divine.  Il s’ensuit qu’il est tout à fait incompréhensible que, dans cette union, les natures ne soient pas confondues, et que  la personne ne doit pas divisée.
Le troisième mystère est celui de la résurrection des morts, qui a toujours paru impossible aux philosophes, et qui a toujours été fermement cru par les fidèles, et qui est maintenant cru par les luthériens et les calvinistes  -- s’Ils y croient vraiment.  Or, dans ce mystère ce qui est difficile et étonnant c’est qu’un seul et même individu existe deux fois.  Car, s’il devient deux fois, pourquoi pas par une double action ?  Si c’est par une double action, comment ne sont-ils pas deux ?  Car l’effet dépend, par lui-même, de l’action, comme de son terme.  Et cela, on l’observe surtout dans les accidents, qui ont péri au complet, mais qui sont pourtant restitués par Dieu dans le même état qu’ils étaient avant.
Le troisième mystère est la création et l’annihilation, qui par tous les fidèles, sont attribués à Dieu.  Les philosophes s’en moquent, et pensent y déceler une contradiction.  Car, quand  on dit que quelque chose vient du néant, que c’est cela être créé, ou que quelque chose retourne au néant, que c’est cela être annihilé, on semble dire que le néant est quelque chose, ou que quelque chose est le néant.  Et il est certain qu’affirmer  qu’existe maintenant une chose  qui n’existait pas l’instant d’avant, cela  dépasse l’entendement.  Car, qui peut concevoir d’où vient cette chose, d’où a-t-elle été tirée, d’où elle venue à la lumière, si elle n’avait jamais été latente, et si elle  n’avait, non plus, rien été.  De la même façon, qui comprend qu’une chose vienne du néant,  à moins que ce néant  ne soit quelque chose ?  Et cependant, on croit ces choses, et ils disent y croire ceux qui ne veulent pas croire à des choses plus faciles à comprendre, comme que Dieu puisse faire qu’un corps soit en même temps en plusieurs endroits.
Le cinquième mystère est celui de l’éternité.  Car il semble plus difficile de croire qu’un unique instant de durée soit en divers temps, ou coexiste à diverses époques qu’un corps soit présent en différents lieux.  Car les temps s’écoulent, et  il est impossible que le futur,  le passé et le  présent demeurent ensemble.  Or, les lieux demeurent ensemble, même s’ils sont distincts et séparés les uns des autres.   L’éternité, elle,  est un instant de durée, sans changement, et qui coexiste donc avec le passé et le futur.  Et cependant, cet instant n’est ni divisé ni divisible, et ne confond pas les temps. Chose qui dépasse l’entendement humain.
Le sixième argument est tiré d’une chose semblable.  Un lieu peut recevoir deux corps, en même temps, qui lui soient adéquats, et cependant, ce lieu n’est pas divisé en deux lieux, et ces deux corps ne sont pas réduits en un seul corps.  Un corps peut donc remplir deux lieux, même s’il n’est pas divisé en deux corps, et même si les deux lieux ne deviennent pas un seul lieu.  On peut en tirer une conséquence formidable, parce que celui qui est dans un lieu se rapporte au lieu comme le lieu se rapporte à celui qui est dans un lieu.  L’antécédent est certain d’après les exemples tirés de la sainte Écriture, comme de la sortie du corps du Christ du tombeau fermé, et des autres choses qui seront traitées dans le chapitre suivant.
Certains catholiques, et parmi eux, saint Thomas (4, dist. 44 question 12, art 2, question 3) estiment qu’un corps ne peut pas être au même endroit localement, mais seulement sacramentellement.  Et ils nient donc la conséquence de l’argument allégué.  Et ils en donnent pour raison que le « un » est ce qui est indivisible en soi, et  séparé d’un autre.  À cause de ces conditions, l’être indivisible en soi est essentiel et inséparable. L’autre qui est divisé par un autre est accidentel et séparable.  Quand deux corps sont dans un même lieu, la condition postérieure d’unité est seulement enlevée, et l’essence de l’unité n’est donc pas détruite.  Quand un corps est placé en divers lieux, la première condition lui est enlevée, et toute l’essence de l’unité est détruite. Mais cette raison, --paix à un tel docteur- ne semble pas solide.  Car, l’indivision est double : en soi, et la division par les autres.  Une autre par rapport au lieu qui est extrinsèque  et pleinement accidentel.  L’autre, par rapport à la chose elle-même qui est intrinsèque, et comme de l’essence, ou certainement comme une propriété de l’unité.
Donc, quand deux corps sont dans le même lieu, l’indivision ne lui est pas enlevée, ni la division intrinsèque des autres, mais seulement l’extrinsèque, qui se rapporte au lieu.  Car, même si deux corps se compénètrent, ils sont quand même différents et distincts, quant à tous les principes essentiels, et même accidentels, à l’exception du site.  Ainsi, quand un corps est en différents lieux, l’indivision intrinsèque n’est pas enlevée, mais seulement l’extrinsèque par rapport au lieu.  Car les principes internes qui constituent un corps ne sont pas divisés,  mais les sites seuls sont divisés, ou le « où » de ce corps.
Ajoutons que,  si un corps ne pouvait être localement en deux lieux au même instant,  parce qu’il se séparerait de lui-même, il ne pourrait pas l’être non plus sacramentalement, pour la même raison.  Même s’il était ailleurs sacramentalement, on ne dirait pas que c’est par l’occupation du lieu.  On dit pourtant, que c’est d’une présence vraie et réelle qu’il est dans plusieurs hosties, ou autels; et que cette présence réelle sur tant d’autels, qui est une présence réelle dans tous ces autels, mais non dans les lieux intermédiaires, ne semblerait pas enlever moins l’indivision de la chose que le remplissage de plusieurs lieux.  Venons-en maintenant à la réfutation des objections.
                                                        CHAPITRE 4
On répond aux objections des adversaires qui s’efforcent de trouver une contradiction dans la présence simultanée d’un corps en plusieurs endroits.
Les adversaires présentent plusieurs objections, tirées des Écritures d’abord, et de deux des pères.  Dans sa dernière admonition à Westphalus, Calvin tire une conséquence de la parole de l’ange en saint Matthieu : « Il n’est plus ici, il est ressuscité. »  Le raisonnement sous-jacent de l’ange serait inepte, si le même corps pouvait être en plusieurs endroits, car il pourrait, en même temps, partir et demeurer. »   Ensuite, ils citent les passages où est attribué comme un privilège propre de n’être circonscrit par aucun lieu (Jérémie 23) : « Le ciel et la terre je les remplis. »    Et il le confirme avec les pères qui prouvent que le Saint-Esprit est Dieu parce qu’il est partout, selon le psaume CXXXV111 : « Où irai-je loin de ton Esprit ? »
Voir saint Ambroise dans son premier livre sur le Saint-Esprit, chapitre 7.  Saint Jérôme et Cassiodore, sur le psaume cité. Saint Augustin (dans son livre 3 contre Maximianus, chapitre 21.  Saint Basile, dans son livre sur le Saint-Esprit, chapitre 22, Didyme l’aveugle dans son livre sur le Saint-Esprit. Saint Cyrille d’Alexandrie, livre 7 sur les dialogues de la trinité.  Or, si le corps pouvait être en plusieurs endroits, il pourrait, pour la même raison, être partout, sans être Dieu.  La preuve donnée par les pères n’aurait alors aucune valeur.   De plus, les pères qui ont écrit contre Eutychès prouvent que la nature humaine du Christ n’est pas fondue dans la nature divine, parce que la divine est partout, et que l’humaine, après la résurrection est circonscrite par un certain lieu.  Voir Theodoret (dialogues 2 et 3), Vigile (livres 1 et 4 contre Eutychès)  et Fulgence (livre 2 à Trasymundus, chapitre 17).
Wiclef ajoute d’après Waldensen (tome 2, chapitre 72) un autre passage de saint Augustin tiré  de la lettre 3 à Volusianus, où il dit qu’aucun corps ne peut être en entier partout.  On peut aussi ajouter un autre texte tiré du dialogue contre Faust (chapitre 2) où il parle ainsi du Christ selon la présence corporelle : « Il ne peut pas être en même temps sur le soleil, la lune et la croix. »
Je réponds de deux façons au texte de l’Écriture : il n’est pas ici, il est ressuscité. La première. La conséquence tirée par l’ange est excellente si on l’applique, comme elle doit être appliquée, à la mentalité des saintes femmes, avec lesquelles l’ange parlait.  Elles cherchaient, elles, dans le sépulcre, le corps du Seigneur mort, pour pouvoir l’oindre.   Voilà pourquoi l’ange leur dit : il n’est plus ici.  Ce qui signifie : le mort ne git plus dans le sépulcre, pour que vous croyiez.  Et cela, il le prouve en disant : il est ressuscité.  Car si le mort était ressuscité, il ne pouvait pas être étendu dans le sépulcre.
Je dis ensuite que sa conséquence est excellente non absolument parlant, mais comme l’ange parlait : moralement non métaphysiquement.   Car, selon la façon morale de parler, celui qui ressuscite après avoir été mort, ne demeure plus dans le sépulcre, mais est sorti à l’extérieur.  Le sépulcre, en effet, est le lieu des morts, non des vivants.  Cependant, il se peut faire que quelqu’un qui vit dans un sépulcre, se couche pour dormir, s’il le veut.   Ce qu’a dit l’ange est donc moralement vrai : il n’est plus ici, car il est ressuscité.  C’est comme si quelqu’un disait : un tel homme n’est pas assis à table, il a déjà mangé.
Au sujet des autres Écritures et des témoignages des pères, je dis qu’il y a deux différences entre Dieu et le corps du Christ, en ce qui a trait à la présence dans un lieu.   La première.   Dieu, de par son essence, et en réalité,  est partout; le corps du Christ, de par son essence, et de fait, n’est pas partout et ne le sera jamais, mais il est dans un lieu localement, dans  d’autres lieux sacramentalement, et dans beaucoup d’autres lieux, aucunement présent.  Et cela suffit pour justifier les arguments des pères sur la divinité du Saint-Esprit,  et sur la différence des natures dans le Christ.  Car, si Dieu est, de fait, partout, on a raison de conclure que le Saint-Esprit est Dieu du fait qu’il est partout; et que l’humanité du Christ n’est pas mêlée à sa divinité, parce qu’il n’est pas partout.
La deuxième. La divinité est non seulement partout, mais ne peut pas être restreinte à un seul lieu. Il faut même dire qu’elle ne peut pas être partout, parce qu’elle est immense intrinsèquement et essentiellement.  Or, le corps du Christ, bien qu’il puisse être et soit véritablement en plusieurs lieux  par la puissance de Dieu, peut cependant être limité à un seul lieu, comme il était avant l’institution du sacrement de l’eucharistie; et comme il sera à la consommation du siècle.  L’argument allégué conclut donc contre les ubiquistes, mais n’a rien de contraire aux catholiques.  Car, les ubiquistes enseignent qu’à cause de son union avec le Verbe,  le corps du Christ est toujours, réellement et de fait, partout, et ne peut pas être restreint à un seul lieu.  Et c’est cela que combattaient Theodoret, Vigile et les autres qui écrivirent contre Eutychès.
Au texte tiré de l’épitre à Volusianus, je réponds que saint Augustin parle d’un corps qui existe naturellement dans un lieu, c’est-à-dire selon une manière conforme à sa nature.  Tout corps est quantitatif, et en tant que quantitatif est extensible, de façon à ce qu’une grande partie occupe plus d’espace qu’une petite.  Et il serait tout à fait contradictoire qu’un corps demeure étendu, et soit en même temps entièrement dans chacune de ses parties.  Et c’est de cette façon que, contre Faust (livre 20),  saint Augustin parle du corps du Christ.  Les manichéens ne  pensaient pas que le Christ était un homme, mais une certaine lumière qui se répandait sur le soleil, la lune et les autres corps, comme saint Augustin l’atteste au même endroit.  Celui qui avait été crucifié par Pilate dans une forme humaine, c’était, selon eux, un phantasme, non un homme véritable.  Et c’est pour cela que saint Augustin a recours à ce dilemme : si le Christ est un esprit ou un  fantôme, il n’a pas pu être crucifié.  S’il est une lumière qui se répand sur le soleil, la lune et les autres êtres, il n’a pas pu être en même temps, dans le soleil, la lune et ailleurs, et sur la croix, car un corps qui s’étend en tant d’endroits ne peut  pas être présent, tout entier, dans chacun de ces lieux.
Si saint Augustin avait parlé du corps du Christ comme il existe réellement, et non comme l’imaginent les manichéens,  nous pourrions répondre qu’il parle du corps  selon l’ordre naturel de la nature, et non selon ce que la toute puissance du Créateur  peut faire en lui.  Car, il dit, au même endroit, qu’un esprit ne peut pas souffrir sur la croix, ce qui doit s’entendre de l’ordre naturel de la nature.  Autrement, il militerait contre lui-même, car dans le livre sur la trinité (livre 21, chapitre 10), il avait écrit que, par la puissance divine, un esprit peut souffrir d’un feu corporel.  Or, si on peut,  pour le punir,  lier un esprit à un feu corporel,  pourquoi ne pourrait-on pas, pour les mêmes raisons,  lier un esprit à une croix.  Mais, cela devrait suffire.
Ils apportent, en plus,  des raisons philosophiques.  La première.  Jean Wiclef  se servait de l’argument suivant.   Comme quelqu’un ne peut pas exister en même temps en deux époques différentes, il ne peut pas exister, non plus, en deux lieux différents.  La deuxième est de Calvin,  et de Pierre le martyr.  Ils argumentaient sur l’unité d’une chose.  Si un corps est en même temps en plusieurs endroits, il sera un et multiple.  Car, il n’y a pas de continuité entre le corps qui est dans le ciel et celui qui est sur l’autel.  Il est donc divisé, et n’est pas un.   Et cependant, on fait comme s’il était un.  Il est donc en même temps un et non un.
Il le confirme d’abord, en disant que si on prétend qu’un corps est un en plusieurs lieux, il sera en même temps dans un lieu et non dans un lieu.  Car, tout ce qui est dans un lieu est circonscrit par un lieu ou est  au moins contenu, de façon à ne pas être ailleurs, ce que les théologiens appellent être dans un lieu définitivement.  Or, le corps du Christ n’est ni dans le ciel de cette façon, ni dans un autre lieu, de façon à n’être pas ailleurs.  Il n’est donc pas dans un lieu.
Deuxièmement. Ce qui commence à être en un lieu où il n’était pas auparavant vient dans ce lieu ou par un mouvement local, ou y a été engendré.  Or, le corps du Christ ne vient pas du ciel à l’autel par un mouvement local, car ce qui se meut localement, quitte un lieu pour en acquérir un autre.  Le Christ n’a jamais abandonné le ciel, ni n’a été engendré sur l’autel.  Car, ce qui existe déjà ne peut pas venir à l’existence. Il ne peut donc pas se faire que le Christ soit en même temps dans le ciel et sur l’autel.
Troisièmement. Si le même corps était simultanément en plusieurs endroits,  il s’ensuivrait une foule de contradictions.  Car, il pourrait être en même temps en haut et en bas, éloigné et proche, se mouvoir et se reposer, quitter un lieu et se diriger vers un lieu.  Il pourrait avoir chaud dans  un lieu et geler dans un autre, souffrir dans un lieu, et se bien porter dans un autre.  Choses qui répugnent au gros bon sens.
Je réponds qu’on a raison de dire de ces arguments ce que disait saint Augustin dans la cité de Dieu (livre 22, chapitre 2) : « C’est avec ces arguments,  issus de la vanité, que l’infirmité humaine contredit la toute puissance de Dieu.  Car, l’impossibilité qu’il y a  à ce qu’une seule et même chose existe simultanément en deux époques différentes ne vient pas de la chose elle-même, mais des époques qui ne peuvent pas arriver en même temps, puisqu’elles sont toujours en mouvement.  Les époques ne ressemblent  pas aux lieux qui, eux, son permanents. La comparaison ne vaut donc pas.   En ce qui a trait à l’unité, nous avons déjà répondu que l’unité essentielle d’une chose ne dépend pas de l’unité d’un lieu, puisqu’une chose est d’abord une avant d’être dans un lieu.  Elle dépend plutôt de ses principes internes.   Voilà pourquoi l’imagination ne peut se représenter un corps en divers lieux, tandis que la raison, si elle est saine,  peut juger que l’imagination se trompe, comme elle se trompe quand elle pense que Dieu ou une âme ne peut par être  en divers lieux, ou deux corps en un seul lieu.
Au sujet de la continuation, je dis que le corps du Christ sur l’autel ne continue pas le corps du Christ du ciel, sans en être pourtant discontinu ou séparé.  Car, continuer ou diviser ce sont des choses qui sont propres à des corps qui sont nombreux, et qui existent  en entier, ou en parties. Or le corps du Christ comme il est au ciel et comme il est sur  l’autel ne forme pas deux corps, ou des parties d’un corps,  mais un seul et même corps.
Mais tu diras, entre les corps du Christ au ciel et sur l’autel, il y a beaucoup de corps intermédiaires.  Il est donc discontinu et séparé de lui-même.  Je réponds que cet argument prouve que les lieux sont discontinus, le ciel et la terre, et que le corps du Christ est divisé selon le lieu, mais non selon sa propre substance, ou sa quantité, comme nous l’avons dit plus haut.
À la première confirmation, saint Thomas répond que le corps de Jésus-Christ est dans le ciel de façon à y être circonscrit;  que, dans le sacrement il n’est pas dans un lieu,  qu’il n’est pas circonscrit, qu’il n’y est pas non plus définitivement par lui-même; mais que,  en raison des  dimensions du pain et du vin, il est circonscrit dans les lieux où se trouvent toutes les hosties consacrées.  Et parce que nous pensons que le corps du Christ peut être en plusieurs lieux même localement et visiblement, nous disons donc que le même corps peut être circonscrit par divers lieux, et y être présent définitivement.  Car, pour qu’un corps soit circonscrit dans un lieu, la seule chose qui est requise c’est qu’il soit des mêmes dimensions que lieu.  Il n’est pas requis qu’il soit ailleurs comme dans un autre lieu.  Dans le cas présent, c’est ce qui arrive.  Car, dans le ciel, le corps du Christ a les mêmes dimensions que le lieu qu’il occupe.  Et quand il était encore sur la terre, ou quand il apparut à l’apôtre saint Paul,  son corps avait la même dimension que le lieu ou  l’espace qu’il occupait.  Dans les deux cas, son corps était circonscrit par un leu.
Tu diras que si la hauteur d’un corps correspond à trois coudées, et si on le place dans deux ou trois lieux égaux, n’occupera-t-il pas un espace de six ou neuf coudées ?  Comment donc peut-il être limité et circonscrit par un lieu de trois coudées ?  Je réponds qu’on peut entendre de deux façons qu’un corps de trois coudées occupe un espace de neuf coudées. Une première.   Parce que la grandeur d’un tel corps est de la même grandeur qu’un tel  lieu, et, de cette façon, il ne se peut pas qu’un corps de trois coudées remplisse un espace de neuf coudées.  La deuxième. La grandeur d’un tel corps ne correspond qu’à un lieu de trois coudées, mais cette grandeur est placée deux ou trois fois dans un lieu.  On peut dire la même chose du mode d’existence définitive.  Car, pour qu’une chose soit définitivement en un lieu, il suffit qu’elle soit définie par un certain espace, de façon à être complètement dans le lieu, et non en presque totalité, qu’ielle soit dans un autre lieu définitivement, ou non.   Et, de cette façon, on peut dire que le corps du Christ existe définitivement dans une hostie, parce qu’il est totalement dans l’espace qu’occupe l’hostie consacrée, et non dans une grande partie de l’hostie.
Si quelqu’un soutenait qu’il est dans le lieu autant définitivement que comme étant circonscrit, cela requerrait que la chose ne soit ailleurs en aucune façon.  Nous pouvons dire qu’on trouve une troisième façon d’exister dans un lieu, à savoir, par la seule présence, comme Dieu est dans un  lieu.  Et, de cette façon, peuvent être dans un lieu les corps qui, par la divine puissance, sont en même temps dans plusieurs lieux.
À la seconde confirmation, je dis que le corps du Seigneur commence à être à l’autel là où il n’y était pas.  Non par la génération, non par un mouvement local, mais par la conversion du pain en lui-même.  Des exemples similaires ne manquent pas.  Car, quand un homme grandit grâce à la nutrition, l’âme rationnelle commence à être dans la matière nouvellement apportée là où elle n’était pas avant.  Et pourtant aucune nouvelle âme n’est produite, l’âme ne se déplace pas, non plus, localement, mais elle commence seulement à informer la matière ajoutée qu’elle n’informait pas auparavant.   Et, à l’inverse, quand un membre est coupé, l’âme cesse d’y être présente, sans périr, et sans reculer localement.  Il en est ainsi pour Dieu.   Quand une chose nait dans le monde, elle commence à être  à elle et en elle, et quand elle périt, elle cesse d’y être. Et, cependant, Dieu n’est ni engendré, ni corrompu, et il ne s’avance pas ou ne recule pas localement.
À la troisième confirmation, des théologiens répondent diversement. Quelques-uns estiment que, d’après la position d’un seul corps en divers lieux, il est multiplié selon la façon dont on le regarde, non absolument.  Par exemple.  On dit que le même corps qui se trouve dans le ciel et sur la terre aura des rotations variées, de façon à ce qu’on dise qu’il est proche de la terre comme l’est celui qui n’a pas de rotation en tant qu’il est dans le ciel ou sur la terre, et vice versa.  Or, s’il réchauffe ici,  il sera là encore chaud, etc.   D’autres pensent qu’ils sont multipliés aussi absolument parlant, et jusqu’où ils progressent; et ils disent que le même homme peut être ivre dans un lieu et sobre dans un autre, et même mourir dans un lieu, et vivre dans un autre.
Mais la voie médiane semble être la plus sure.  Pour la comprendre comme il faut,  on doit  noter qu’un corps placé en plusieurs endroits a un seul être substantiel, mais plusieurs être locaux.   De là vient que  doivent être multipliées toutes les choses qui suivent l’être local.  Mais, ne sont pas multipliées les choses qui viennent d’ailleurs que de l’être local.   D’abord, les relations aux lieux se multiplient nécessairement. Car, comme le corps est vraiment en plusieurs lieux, et que la relation se termine à des lieux qui sont nombreux, la relation ne peut pas  ne pas se multiplier elle-même.  Le même corps sera donc en-haut et en bas, éloigné et proche, il pourra se mouvoir vers un lieu, et se reposer dans un autre lieu. Et il n’est pas absurde que, dans le même sujet, se trouvent des relations contraires, comme elles entrent dans le sujet par des fondements divers, ou ont des raisons diverses d’établir des fondements.  Et tout cela sans impliquer aucune contradiction.
Car, même s’il peut être dit proche et éloigné, et aussi éloigné et non éloigné, mais pour une raison différente, en tant qu’en différents lieux, on dit que sont contradictoires celles qui se rencontrent par un seul aspect, comme le temps, le lieu, la manière. Et pour que cela ne semble pas étrange, nous pouvons présenter, comme exemple, l’âme humaine.  Bien qu’elle soit tout entière dans le corps et tous les membres,  elle est éloignée de la terre de la façon dont elle est dans la tête, et elle est proche de la terre de la façon dont elle est dans les pieds.   Et si quelqu’un bouge une main, pendant que l’autre reste  immobile, l’âme ne sera-t-elle pas à la fois en mouvement et en repos ?  Et voilà pour les relations.
On doit porter un jugement semblable au sujet des actions qui se terminent dans des lieux, comme  par exemple,  une petite torche  qui  est placée dans plusieurs lieux en les éclairant tous simultanément.  Si on lui applique des combustibles, elle les enflammera tous.  De la même façon, il pourrait se faire par la divine puissance, qu’une petite torche éclaire tout l’univers, si elle est placé en plusieurs lieux.  Car, la raison pour laquelle une petite torche placée dans un lieu n’éclaire pas les choses qui sont à l’extérieur,  est qu’elles ne sont pas dans la sphère de d’activité de cette torche.
Et si la petite torche est placée en plusieurs lieux, tous ces lieux seront dans la sphère de son activité.  Mais, il ne s’ensuit pas, pour autant, que cette torche soit égale au soleil, ou qu’elle agisse en outrepassant son pouvoir d’action, car, de par sa vertu, elle n’éclaire que le peu qui lui est proportionné, alors que, de par sa vertu, le soleil éclaire tout l’univers.  Mais, en étant placée en divers lieux, il s’ensuit qu’elle a plusieurs sphères d’activité, toutes petites, mais proportionnelles.    On peut dire la même chose d’un corps de trois coudées, qui peut occuper six espaces, et d’un corps de neuf coudées, non par son unique extension, mais parce que cette extension est souvent placée dans un lieu.
On doit porter un jugement contraire sur les choses qui sont reçues dans un corps localisé.  Les choses qui sont reçues dans un corps, que ce soit des actions, des qualités, ou autres choses,  ne sont pas multipliées, car le corps est un, et non multiple.  Donc, si dans un lieu le corps réchauffe, et est encore chaud dans un autre, si dans un lieu il est près du feu, et dans un autre près de la glace, il ne réchauffera pas extrêmement, ni ne refroidira extrêmement, car, le réchauffement et le refroidissement alterneront, et ils alterneraient encore si des agents contraires leur était appliqués.  Et si dans un lieu le corps était blessé ou tué, il apparaitrait aussi dans un autre,  blessé ou mort.  Et si dans un lieu il mangeait, dans un autre il n’aurait pas faim, même s’il ne mangeait pas, parce que c’est le même corps.  Mais, cela devrait suffire.
                                                             CHAPITRE 5
On propose et on explique la seconde difficulté :  que le corps n’occupe pas de lieu
Avant d’en venir à la preuve du second énoncé, on doit noter deux choses.  La première.  Deux opinions particulières, fausses et erronées, sur la grandeur de ce mystère,  qui ont été excogités dans les écoles, et qui ont donné aux hérétiques de ce temps un prétexte pour opposer à la vérité de la foi des arguments d’une plus grande subtilité.  Celle de Durant, d’abord, ( 4 dist 10, quest 2). Il pensa qu’il était probable que la substance du Christ soit, dans l’eucharistie, sans grandeur.  Et les arguments qu’il utilisa pour le prouver ce sont ceux-là mêmes qu’emploient aujourd’hui les sacramentaires, à savoir qu’il est essentiel à la grandeur d’occuper un lieu, et d’autres choses que nous verrons plus loin.   L’autre sentence est celle de quelques anciens que rapporte et réfute saint Albert le grand ( 4 dist 13, art 10), et que semble avoir suivie ensuite Okam (dans 4, question 4).  Ils disaient que, dans l’eucharistie, se trouvait la grandeur du Corps du Christ, qui ne se distinguait pas réellement  de la substance.  Et ils ajoutaient que toutes les parties s’interpénétraient de façon à ce que, dans le corps du Christ, il n’y ait ni figure, ni distinction, ni ordre des parties.
Or, la sentence commune des docteurs et de l’Église, est que, dans l’eucharistie, tout le Christ existe avec sa grandeur et ses accidents, à l’exception de la relation avec le lieu céleste qu’il a dans le ciel, et des choses qui concourent à l’existence dans ce lieu.  Et qu’à l’inverse, dans le ciel, le Christ entier existe avec sa grandeur et tous ses accidents, à l’exception de la relation à l’espèce du pain, qu’il a en tant qu’il est présent dans l’eucharistie.  Que les parties du corps et les membres ne s’interpénètrent pas, mais sont distincts et bien agencés de façon à ce qu’il y ait une figure ou un ordre qui convient à un corps humain.
C’est ce qu’enseignent saint Albert, saint Thomas, saint Bonaventure, Richard, Scot et d’autres ( 4 dist 10, mystère 7, art 2).  Et que ce soit aussi la doctrine de l’Église, on ne peut en douter.   Car, l’église universelle, comme le montre le concile de Trente (session 13, chapitre 1),   enseigne que non seulement le corps et le sang, mais aussi l’âme et la divinité, et donc le Christ entier est dans l’eucharistie.  Or, il est certain que l’âme et la divinité ne sont pas dans l’eucharistie par la vertu de la consécration, mais par une concomitance naturelle.   Car, là où est une chose, là aussi doit être ce qui lui est uni.  Or, la grandeur et la figure sont unies au corps du Christ naturellement et inséparablement.  Elles sont donc là.
Dans l’eucharistie, c’est la chair du Christ qui est proprement contenue, selon  ces paroles du Christ en saint Jean V1 : « Le pain que je donnerai est vraiment ma chair. »  Et : « Ma chair est vraiment une nourriture. »  Or, il est certain qu’on ne peut pas appeler chair une substance sans quantité et sans l’agencement d’accidents.  Donc, dans l’eucharistie, ce n’est pas non seulement la chair, mais aussi l’âme, comme nous l’avons prouvé plus haut avec le concile de Trente.  Or, l’âme ne peut pas  être dans un corps à  moins que ce corps  ne soit formé et agencé.  Or, sans quantité, aucune disposition de parties ou de membres n’est possible, aucun agencement. Il ne peut donc pas se faire que l’opinion de Durand concorde avec la doctrine de l’Église.  Mais nous laissons aux théologiens de prolonger ce débat.
Il faut observer, en second lieu, que la sentence de l’Église laisse entendre que trois choses conviennent à la grandeur, dont l’une suit l’autre.   Elle doit être étendue par elle-même, et avoir une partie en dehors d’une autre partie, et donc un certain site intrinsèque, une ordonnance et une disposition des parties.  Voilà  ce qui est tout à fait essentiel à la grandeur.  Car, qu’est qu’une ligne, si ce n’est une extension en latitude ? Qu’est-ce qu’un corps si ce n’est une extension en longueur, en latitude et en profondeur ?  Si donc tu enlèves l’extension et les parties, tu enlèves en même temps la grandeur.  Voici la deuxième chose qui convient à la grandeur. Ce qui est de la même extension et grandeur qu’un lieu a un site extrinsèque ordonné à ce lieu. Un est donc postérieur et suit le premier, et peut donc s’en séparer.   Car le ciel le plus élevé est vraiment étendu, en lui-même, et pourtant n’occupe aucun lieu, puisqu’il n’est voisin d’aucun corps.  Et voici la troisième chose.   Exclure un autre corps du lieu, ou ne pas supporter avec soi une autre grandeur dans le lieu qui nous est adapté.  Et cela est postérieur, et suit donc l’autre.
Donc, un corps ne supporte pas un autre corps avec lui, car il remplit tout le lieu.  Cependant,  le postérieur peut toujours, par la puissance de Dieu, être séparé du premier, de façon à ce que le premier demeure sans postérieur, mais non vice-versa, parce que le premier ne dépend pas du postérieur.  Voilà pourquoi, selon les catholiques, un corps peut occuper un lieu, sans en expulser un autre, ce qui s’appelle proprement une pénétration des corps.
Après avoir fait ces réflexions préliminaires, la sentence commune des catholiques est que, dans le sacrement de l’eucharistie, est vraiment présente toute la grandeur du corps du Christ;  qu’il a la première condition qui (comme nous l’avons dit) est essentielle, mais non la seconde et la troisième, qui sont séparables.  Et bien que, dans le sacrement, il n’y ait proprement aucune pénétration des corps, puisque fait défaut la deuxième condition.  Nous estimons, cependant, que, par la toute puissance de Dieu, une pénétration peut être donnée,  de sorte que tel corps ait la première et la seconde condition sans la troisième.  Et parce que, à nos adversaires, la chose parait impossible, nous allons nous efforcer de le démontrer par un double genre d’arguments, dont l’un est tiré de la toute puissance de Dieu que prèche l’Écriture, et les autres des exemples puisés aussi bien dans l’Écriture qu’ailleurs.
                                                            CHAPITRE 6
                        Un corps peut  être quelque part sans occuper un lieu
Le premier argument est tiré de l’Écriture, qui enseigne que tout est possible à Dieu, (Matthieu 19, Marc 14, Luc 1).     Mais, auparavant, nous allons établir la preuve en partant des principes de nos adversaires, comme nous l’avons déjà fait, au troisième chapitre. Et, en plus de cela, on le prouve de par la nature de la chose.   Nous avons convenu qu’on ne pouvait exclure des choses que Dieu peut faire que ce qui implique une contradiction.  Or, qu’un corps soit à quelque part sans occuper d’espace, ou qu’il occupe un lieu sans en expulser un autre, cela n’implique aucune contradiction.  Car, cela implique une répugnance à l’essence, mais non à la grandeur de l’essence,   On le prouve d’abord ainsi.  L’occupation d’un lieu est postérieure à la grandeur, car une chose est d’abord grande, et apte à remplir un lieu, et  remplit, ensuite,  le lieu.  Car ce qui est postérieur ne fait en rien partie de l’essence de ce qui est premier.  Car les essences consistent dans l’indivisibilité.  Ensuite, on peut concevoir et définir une grandeur sans lieu, sans qu’un lieu soit rempli.  Bien plus, dans la définition de la grandeur, personne ne place un lieu.  Et ce qui est encore plus intéressant, elle peut exister sans lieu, comme il appert de la dernière sphère, et des corps qui peuvent être placés par Dieu sur le bord de cette sphère. Il n’est donc pas de l’essence d’une grandeur d’occuper un lieu.
Troisièmement. Un office ou une fonction n’est de l’essence d’aucune chose créée.  Car, c’est seulement en Dieu, qui est infini et simple, que l’être et l’agit sont une seule et même chose.  Or, remplir un lieu ou expulser d’autres corps, et l’office de la grandeur et une fonction externe, aucune de ces choses n’appartient à l’essence.  Quatrièmement.   La masse ou l’extension se rapporte à la grandeur comme la gravité à un corps pesant.   Car, comme, par sa masse,  la grandeur remplit  un corps, et expulse un autre corps, de la même façon un corps lourd pèse par son poids, et comprime les autres corps.  Or, ce n’est pas de l’essence de la lourdeur d’être pesante, comme on le constate, car, dans le haut du ciel, l’air et l’eau n’ont pas de poids.  Ce n’est donc pas, non plus, de l’essence de la grandeur de remplir un lieu.
On tire un autre argument des exemples donnés par  la sainte Écriture.  Le premier, en Matthieu 19,  Marc 10, et Luc 13 : « Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. »  Et quand les apôtres dirent : « Qui donc pourra être sauvé, » le Seigneur répondit : « Cela est impossible aux hommes, mais à Dieu tout est possible. »  Quand le Seigneur déclare là que ce qui est le plus difficile est possible à Dieu, il laisse entendre clairement que le plus facile l’est aussi, comme de passer pas le trou d’une aiguille.  Il a donc voulu dire que cela est  possible à Dieu.  Or, un chameau ne peut pas passer par le chas d’une aiguille sans occuper un lieu, autrement le plus grand serait plus petit que le plus petit.
Et de plus, quelle que soit la façon dont cela se fasse, qu’un chameau passe par le chas d’une aiguille ne semble pas plus répugner à la raison que le corps du Christ soit contenu sous l’espèce du pain.  Ben plus, la proportion qu’il y a entre le chas d’une aiguille et un chameau,  est beaucoup plus faible que celle qui existe entre une hostie consacrée et le corps du Seigneur. À moins que quelqu’un dise que par chameau il ne faut pas entendre un gros animal, mais un câble nautique, comme quelques-uns l’ont pensé, selon Théophylacte (au chapitre 19 de saint Matthieu.)  Alors, la proportion entre l’hostie et le corps consacrée sera plus faible que celle entre le câble marin et le chas.  Même cela sera impossible aux hommes, comme l’expérience l’enseigne.  Car qui comprend comment un câble marin peut passer par le chas d’une aiguille ?  Ajoutons que les pères ont vu le mot bossu plutôt que câble marin.  Comme Origène, saint Jérôme, saint Hilaire, saint Jean Chrysostome dans Matthieu, saint Ambroise dans Luc, saint Augustin (livre 2 des questions évangéliques, question 47).   Ajoutons aussi qu’un câble nautique s’écrit en grec avec un iota kamilos, comme on le voit chez Suidas.   Or, dans l’évangile, ce n’est pas un i mais un è que l’on a : kamèlos, ce qui signifie en grec non un câble marin, mais un animal.
Au sujet de ceux qui disent que le chas d’une aiguille signifie une porte étroite de la ville de Jérusalem, par laquelle les chameaux ne pouvaient pas entrer quand ils étaient chargés, à moins de se mettre à genoux, (sentence approuvée par Cajetan), non seulement cette interprétation est fabuleuse, et dénuée de tout fondement, mais elle  est contraire à tous les pères, et elle répugne aux paroles du Seigneur qui a dit : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. »  Car, comment cela était-il impossible aux hommes, si, par l’ingéniosité humaine, les chameaux pouvaient entrer dans la porte étroite de Jérusalem ?
On réfute de la même manière ce qu’enseignaient les Pélagiens, au dire de saint Augustin  (épitre 89, question 4).  On doit entendre les paroles du Seigneur au sens divisé, non composite.  De sorte qu’il soit impossible à un riche, s’il demeure riche, d’entrer dans le royaume des cieux; mais non, si, après avoir rejeté les richesses, il cesse d’être riche.  Et de la même façon, il est impossible à un chameau de passer par le trou d’une aiguille tant qu’il demeurera un chameau, mais non s’il s’amaigrit jusqu’à la grosseur d’un fil.   Mais cette interprétation est réfutée par son fondement.  Car,  il n’est pas impossible, aux yeux des hommes, qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille s’il cesse d’être un chameau et se convertisse en fil très fin.  Voilà pourquoi saint Augustin (dans l’épitre 89, question 4, enseigne à juste raison, que, par la grâce de Dieu, un homme riche peut entrer dans le royaume des cieux même s’il ne cesse pas de rester riche.  Même si cela est tout à fait  impossible sans la grâce de Dieu, avec les seules forces de la nature. Car, à tous les hommes, il est impossible de se sauver sans la grâce du Christ, et cela est plus difficile encore pour les riches que pour les pauvres.
Le même saint Augustin (dans son livre sur l’esprit et la lettre, chapitre 1) dit, en toutes lettres, que, avec la grâce de Dieu, un chameau peut passer à travers le chas d’une aiguille, même si cela n' jamais été fait et ne le sera jamais.  C’est ce qu’affirme aussi saint Grégoire de Naziance (livre 4 de la théologie) et Origène (chapitre 19 de saint Matthieu.  Ils disent que Dieu seul sait comment cela pourrait se faire. (Il le rapetisserait, comme on lit que font les sorciers.  Si les démons peuvent le faire, à plus forte raison Dieu.)
Un autre exemple de l’Écriture est saint Jean 20.  L’évangéliste écrit que le Christ est venu vers  ses disciples les portes closes; et qu’une semaine plus tard, il est également entré quand les portes étaient barricadées.  Il a donc fallu que, quand il est passé à travers les portes, il n’ait pas occupé de lieu, ou qu’il soit entré avec un autre corps, choses  impossibles aux êtres humains, et qui  transcendent notre intelligence.
Mais ce passage les hérétiques se sont toujours efforcés de le pervertir.  Car même les bérengiens, au témoignage de Guitmund (livre 3) niaient que le Christ soit entré les portes fermées.  Et, de nos jours, Jean Oecolumpadiius a voulu que le Christ soit entré par une fenêtre, ou par une autre entrée, car, selon lui, il n’a pas pu rentrer par la porte quand elle était fermée.   Ce qu’il a hérité de Durand, semble-t-il, (4 dist 44, question 6() qui assez témérairement, a présenté au grand jour ses opinions particulières.  Jean Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 29),  dit que le Christ s’est fait une entrée par sa vertu divine.  Et, ailleurs, quand il expliquait plus clairement sa pensée, (dans sa dernière admonition à Westphalus) il dit que les Christ est entré portes clauses selon l’évangéliste, car il n’attendit pas que les apôtres lui ouvrent la porte, mais l’ouvrit par sa propre vertu, ou il l’a réduite à néant et l’a reconstituée tout de suite après.  Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinerus, objections 11 et 12)  dit que le Christ est entré par une porte ouverte, soit qu’il l’ait annihilée ou qu’il lui ait donné l’ordre de se retirer.
Mais ces soi disant interprétations sont des contorsions et des corruptions des textes évangéliques.  D’abord, l’évangéliste Jean, qui raconte soigneusement les miracles de son Maître, et qui n’a pas coutume de multiplier les mots sans cause, a pris la peine d’ajouter que les portes étaient closes, et cela non seulement une fois, mais deux fois.  Or, si le Seigneur était entré par une fenêtre ou par une autre porte dérobée, il n’y aurait  pas eu le miracle d’entrer les portes cadenassées.  Ensuite, racontant la même apparition, saint Luc dit qu’il est apparu subitement au milieu de ses apôtres, et que c’est pour cette raison qu’on pensait qu’il était un fantôme.  Ce qui indique certainement qu’il est apparu sans effraction, sans bruit, la porte demeurant telle qu’elle était.
De plus, à l’unanimité, les pères considèrent comme un miracle que le corps solide du Seigneur soit passé à travers un autre corps solide.  Voir saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, saint Augustin, Euthymius, Theophylactus dans leurs commentaires de ce texte de saint Jean. Et aussi saint Justin (question 117 aux orthodoxes); saint Ambroise, d’après Theodoret dans son second dialogue, Épiphane (hérésie 61), saint Jérôme (dans son épitre à Pammachius, sur les erreurs de Jean de Jérusalem, saint Léon (épitre 10 à Flavius), saint Grégoire (homélie 26 sur les évangiles), saint Bernard (sermon 1 sur la résurrection), et surtout saint Hilaire (livre 3 sur la trinité) où il semble avoir prévu l’impudence des hérétiques de notre temps :
 «La vérité du fait transcende notre intelligence.  Voilà pourquoi nous nous trompons sur la nativité du Seigneur, et nous mentons sur son entrée dans le cénacle. Nous disons que cela n’a pas été fait parce que nous ne saisissons pas le sens du fait, et quand notre compréhension de l’évènement cesse, cesse aussi son effet. Mais la foi dans le fait vainc notre mensonge : le Seigneur s’est rendu présent à ses disciples quand les portes étaient barrées, comme le Fils est né du Père. »
Ajoutons que ne manqua pas  aux pères l’occasion de nier que le Christ était entré quand les portes étaient closes.  Car, les marcionistes, les valentiniens et les origénistes qui niaient la vraie résurrection du corps, tiraient leurs arguments de ce passage, comme on le voit dans saint Cyrille, saint Épiphane et saint Jérôme dans les lieux cités.   Car, il ne semble pas qu’un vrai corps puisse entrer dans une maison quand les portes sont barricadées.  Or, les pères auraient pu facilement éludé cette objection  en répondant qu’il était entré par une fenêtre, ou parte une porte qui avait été ouverte avant, ou annihilée. Et, pourtant, avant Bérenger, cette idée saugrenue n’était venue à la tête de personne.  C’est plutôt avec ce passage qu’ils prouvèrent d’autres dogmes.  Car, saint Hilaire, au lieu cité, prouve qu’il n’est pas impossible que Dieu le Fils soit engendré par le Père sans diminution de la substance du Père, puisque le corps du Christ au pu entrer, à travers des portes barrées, sans aucune lésion de lui-même ou sans bris de la porte.
Le troisième exemple se tire de la nativité du Seigneur.  Car, le Seigneur est sorti du sein clos de sa mère, en maintenant inviolée l’intégrité de la chair, comme nous l’enseigne l’Écriture et les pères.  Or,  la virginité de la vierge pendant l’enfantement est dans le symbole des apôtres : né de la vierge Marie.   Que le symbole des apôtres soit une parole de Dieu non écrite, tous les catholiques le confessent.  Et les hérétiques de notre temps n’ont pas coutume de le rejeter ouvertement.  Or, cette vérité du symbole est tirée de la célèbre  phrase du prophète Isaïe : « Voici que la vierge concevra, et enfantera un fils. »  Il est dit là que la vierge non seulement concevra un fils, mais aussi qu’elle l’enfantera.  En Ézéchiel 44, est décrite une porte close, par laquelle seul le Seigneur entre. Cette porte close c’est le sein de la vierge Marie, au dire des pères, comme saint Ambroise (livre sur la vierge, chapitre 7) et de saint Jérôme (dans son commentaire de ce texte).  De plus, Jovinianus est placé parmi les hérétiques par Siricius et Ambroise, (épitres 80, 81), et par saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 82), parce qu’il avait affirmé que, en enfantant,  la sainte Vierge était devenue impure.
Le même saint Augustin  (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu) prouve cela par un miracle semblable qui était arrivé en son temps.  Il raconte qu’une femme noble, du nom de Petronia, avait reçu d’un certain juif un anneau sur lequel se trouvait une pierre utile pour la guérison d’une certaine maladie dont elle était atteinte.  Cet anneau était entouré d’une mèche de cheveux.  Mais, en allant au mémorial de saint Étienne, au premier martyr, qui devait la guérir pour vrai,  l’anneau tomba aux pieds de la femme, sans qu’il  ne se brise ou que ne soit détruit le lien capillaire,  pour que la vertu du miracle ne soit pas attribuée à un charme magique.  De ce miracle, parle saint Augustin : « Ils ne croient pas que le Seigneur Jésus soit sorti du sein de sa mère, en maintenant l’intégrité de la vierge.  Ils ne croient pas non plus qu’il soit entré dans le cénacle en maintenant les portes closes.   Mais ces choses-là ils les recherchent fiévreusement, et s’ils en trouvent une vraie, ils y croient. »
Le même saint Augustin dit dans son épitre 3 à Volusianus, en parlant de l’un et l’autre de ces miracles, c’est-à-dire de l’entrée dans le cénacle,  portes closes,  que dans des œuvres de ce genre,  la raison du fait se trouve dans la puissance de celui qui les fait.  C’est ce que les autres pères enseignent aussi à l’unanimité, en unissant aussi les deux miracles, comme saint Grégoire de Naziance  (dans sa tragédie : la passion du Christ),  Theodoret (dialogue 2), saint Jérôme (apologie pour ses livres contre Jovinianus), saint Maxime (homélie 2 sur la naissance du Seigneur), saint Grégoire (homélie 26 sur les évangiles), Fulgence (dans son sermon sur les louanges de la sainte Vierge), saint Bernard (dans son sermon 1 sur la résurrection du Seigneur).
On a honte de rapporter ce que Durand ou  Bèze répondent.  Bèze (4 dist 44, quest 6) dit que la pudeur demeura close et intègre, mais que les conduits naturels ont été dilatés, et que c’est par eux qu’est sorti librement le Christ.  Quant à Durand, c’est dans son livre sur l’omniprésence de la chair du Christ contre Brentius, passé le milieu, qu’il ose dire que l’utérus a été arraché et s’est ouvert pour faire sortir le Christ, et qu’aussitôt, par la vertu divine, les parties de l’utérus se sont réunies, de façon à ce que, après l’enfantement, la mère puisse être appelée vierge.
Je demande d’abord, où ont-ils appris cela ?  Car, ni l’Écriture ni les pères n’ont jamais enseigné cela.  De plus, si les conduits ont été dilatés, la vierge n’a donc pas enfanté sans douleurs.   Car, la douleur des femmes qui enfantent vient de la seule dilatation.  Si était vrai ce qu’enseigne Bède, il faudrait en conclure que, dans son enfantement, la sainte Vierge a expérimenté plus de douleurs que les autres mères.  Or, même les mahométans n’admettent pas que la vierge ait enfanté dans la douleur.  Autre chose.  Si ce qu’ils disent était vrai, Marie n’aurait pas été vierge dans l’enfantement, car être vierge dans l’enfantement ne peut pas signifier autre chose que l’utérus demeure inviolé et sans lésion dans l’action d’enfanter.   Mais cela, ils  le nient, comme le niait autrefois Jovinianus.
Dire, comme Durand,  que l’intégrité de la chair demeure inviolée, et que seuls les conduits ont été dilatés,  cela, au dire des plus savants médecins, implique une contradiction.  Car, comme Jean Fernelius l’enseigne, (livre 1, chapitre 7, de son livre sur la description des parties du corps humain), la perte de l’intégrité virginale consiste seulement dans la dilatation des parties conjointes, ou contigües.  Elle ne serait donc pas demeurée vierge après l’enfantement, car, la virginité de la chair une fois perdue ne peut pas être réparée, comme l’enseigne saint Jérôme dans son épitre à Eustochius sur la garde de la virginité.  Car même si on pouvait suturer les parties séparées, il ne pourrait quand même jamais se faire qu’elles n’aient pas été séparées, quand elles l’ont été. Ce qui est contraire au maintien de la virginité.
Mais Bèze nous objecte que saint Ambroise et d’autres pères disent que le Christ a ouvert l’utérus quand il est né.  Car c’est ce  qu’écrit saint Ambroise (livre 2, chapitre 7 sur saint Luc) : « Celui qui a sanctifié une vulve étrangère pour que naisse un prophète, c’est celui qui a ouvert la vulve de sa mère, pour sortir immaculé. »  Origène (homélie 14 sur saint Luc) et Tertullien (livre sur la chair du Christ) disent des choses semblables.
Mais au sujet de Tertullien, on ne sait pas trop bien ce qu’il veut dire, et on ne peut  pas faire grand cas de son autorité, puisqu’il contredit les autres pères, et qu’il ne fut pas un « homme d’église » (comme le dit saint Jérôme).  Au sujet d’Origène et de saint Ambroise, la réponse s’impose d’elle-même.  Car, ils ont coutume d’enseigner que c’est par sa  vertu propre, non à l’aide de sages femmes, qu’il est sorti du sein, ou que c’est lui qui s’est ouvert la voie.  Il s’est ouvert une voie à travers un utérus clos, non en le perforant, mais en le pénétrant miraculeusement.
 Saint Ambroise enseigne la même chose dans les lieux cités.  C’est bien ce qu’il dit (dans son livre sur l’institution de la virginité, chapitre 7) : «Quelle est cette porte si ce n’est Marie, qui est close parce qu’elle est vierge.  La porte est donc Marie, par laquelle le Christ en entré dans ce monde, quand il est sorti dans un enfantement virginal, sans défoncer la clôture de la virginité.  La clôture de la pudeur est demeurée intacte, et les sceaux de l’intégrité demeurèrent inviolés, quand il sortit de  la vierge celui dont le monde ne peut pas supporter la grandeur. »  Et au chapitre 8 : « Cette porte sera fermée et ne sera pas ouverte.  Cette porte c’est Marie qui était fermée, et qui n’a pas été ouverte. »  Dans le traité sur Matthieu 26, Origène affirme que Marie est demeurée vierge après l’enfantement.
Le quatrième exemple porte sur la sortie du Seigneur d’un tombeau clos.  Car, comme on l’apprend de Matthieu (chapitre 28) et de Marc (chapitre 16), le Seigneur ne déplaça pas la pierre quand il sortit, mais c’est un ange descendu du ciel qui la déroula après la résurrection, pour montrer aux saintes femmes qui voulaient l’oindre, que le monument était vide.  Voilà pourquoi saint Jérôme (dans son épitre à Hebidia, question 6), enseigne que personne ne connait l’heure où le Christ s’est ressuscité, bien qu’on sache à quelle heure la pierre du sépulcre a été déroulée.
Pour répondre à  cet argument, Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 29) et Pierre le martyr (dans son livre contre Gardinierus, objection 11), et Theodore de Bèze (dans son livre sur la toute puissance de la chair du Christ, déjà cité), ne nient pas que le Christ soit ressuscité, ni qu’il soit sorti du tombeau avant que la pierre n’ait été déroulée par un ange.  Ils estiment cependant plus probable que la pierre ait été déplacée avant.   Mais,  ils répondent à leur manière habituelle, que par la vertu divine, la pierre avait été tassée ou annihilée et aussitôt replacée.  Mais ils ne peuvent prouver cette interprétation que par leur propre autorité, à la quelle nous opposons les témoignages des pères, qui eux, voient un miracle dans la sortie du vrai corps  de Jésus à travers une tombe close. Saint Justin (question 117), saint Grégoire de Naziance (dans sa tragédie sur la passion du Christ ), saint Jean Chrysostome (tome 3), saint Jérôme (dans son épitre à Hebidias, question 6), saint Augustin (sermon 138, le troisième sur la résurrection), Bède  (homélie sur la vigile de Pâque), Euthymius (Matthieu 28), saint Bernard (sermon 1 sur la résurrection).
Le cinquième exemple porte sur l’ascension du Christ et des bienheureux dans le ciel.  Car, tenons d’une foi certaine que le Christ est monté au-dessus des cieux (Éphèse 4), et que semblablement les corps des bienheureux, après la résurrection,  y monteront.  Or, dans le ciel, il n’y a ni porte, ni fenêtre, ni  fissure qui permettent de monter au-dessus du ciel. Et, comme dit Job (37) : « les cieux sont solides comme de l’airain fondu. » Il est donc nécessaire que plusieurs corps soient dans un même lieu.
À cet argument, la seule chose qu’on peut répondre c’est ce qu’a répondu Durant ( 4, dist, 44, question 6), à savoir que c’est par la vertu divine que le ciel est divisé, quand les corps des bienheureux montent là.  Et si, par sa nature, le ciel est solide et incorruptible comme à peu près tous les philosophes ou les théologiens de notre temps l’enseignent, il n’est pas probable qu’ils fassent autant de trous dans le ciel qu’il sera nécessaire pour que les saints montent, surtout que le grand nombre est encore à venir.  Mais quoi qu’il en soit de tout cela, au sujet du corps du Christ, on ne peut dire sans témérité que les cieux ont été troués et défoncés quand il est monté vers son Père.   Car, d’abord, l’Écriture ne rien de tel.  Elle insinue plutôt le contraire (en Hébreux 4) quand elle dit que le Christ a pénétré les cieux.  Et affirmer un si grand et un si inouï miracle sans l’autorité des Écritures, n’est-ce pas une insigne témérité ? Surtout de la part de gens qui veulent ne rien croire que ce que contient la divine Écriture.
Deuxièmement.  Si le corps du Christ est entré dans le tabernacle, portes closes, comme nous l’avons prouvé avec l’Écriture, alors que le Christ aurait facilement pu ouvrir la porte, n’est-il pas encore plus croyable que, pour aller placer un autre corps au-dessus des astres, il n’ait pas perforé le ciel, lequel,  de sa nature, ne peut pas être détruit.
Ne répugne pas à ce que nous disons qu’on lise souvent dans l’Écriture, que la ciel a été ouvert ou divisé, comme dans Matthieu 3, Jean 1, Actes,  7 et 10, et apocalypse X1X.  Car, dans ces passages, l’Écriture parle d’une ouverture apparente et métaphorique du ciel.  Ce qui signifie que, dans le ciel, une  certaine forme est apparue ou s’est divisée.  Qu’il n’y ait pas eu, autrefois, de vraies divisions du ciel, on peut le déduire de ce que l’Écriture parle de la même façon de l’ouverture du ciel  qui a été faite à la vue de tous  (Matth 3, Jean 1, Actes 7) et de celle  qui a été faite seulement en pensée ou en  imagination, (comme celle qui est écrite dans les actes 10, et Apocalypse 19).  Il appert que cette ouverture ne fut pas réelle.  Ensuite, il n’y avait aucune raison pour laquelle le ciel aurait du  être divisé. Car, en Matthieu 3, on dit que le ciel a été divisé, quand le Saint-Esprit descendit sous la forme d’une colombe. Or, cette colombe n’a pas été envoyée du ciel proprement dit.  Cependant, pour que les hommes comprennent que c’était une chose divine, elle apparut comme si elle avait été envoyée du haut du ciel.  Jean 1 dit que les cieux s’ouvrirent à la descente des anges.   Comme de l’aveu de tous, les anges sont des esprits, ils  sont donc  capables de pénétrer n’importe lequel corps.
Dans Actes 7, le ciel s’ouvre pour que saint Étienne voie le Christ à la droite du Père.  Il n’y avait pas d’autre raison qui eut  exigé que les cieux soient ouverts. Car, par les yeux du corps ou par les yeux de l’âme, saint Étienne a  vraiment vu le Christ, puisque,  étant perceptible et diaphane, le ciel ne peut empêcher aucune vision.  Voilà pourquoi, dans ce passage, où il est question d’un ciel ouvert, on ne parle pas d’une scission du ciel, mais de la représentation de quelque chose que les yeux du martyr virent apparaitre et disparaitre.  Comme quand saint Luc, au dernier chapitre, dit que les yeux des disciples s’ouvrirent, et qu’ils reconnurent le Seigneur.  Ce n’est pas parce que les yeux étaient vraiment fermés, mais parce qu’ils reconnurent alors celui qu’ ils ne pouvaient pas reconnaitre avant.
Le sixième exemple vient des peines des damnés.  Car, dans ces peines, il y a des miracles plus difficiles à croire ou également difficiles à  croire que ce dont nous parlons présentement.  D’abord, que les corps des damnés soient brûlés par un feu corporel;  qu’ils soient vraiment et réellement torturés sans être détruits, car la douleur tend à la dissolution du corps. Or, s’il y a dans ces peines une vraie douleur corporelle, comment se fait-il que le corps ne soit jamais dissous ? S’il n’y a pas de dissolution, à quoi bon la douleur ?  Voilà pourquoi les païens riaient de l’enfer, et les déclaraient impossibles.  Mais les catholiques ne voulurent jamais, à cause de cela, interpréter ces supplices spirituellement ou analogiquement, persuadés qu’ils sont que Dieu peut faire ce que nous ne pouvons pas.
Il n’est pas plus facile à comprendre qu’un esprit soit empêché par un corps d’aller partout où il veut, ou qu’un corps  ne soit pas empêché par un autre corps de passer au travers d’un corps solide.  Car, il ne convient pas moins à la nature spirituelle de ne pas pouvoir être empêchée par un corps,  qu’il ne convient à un corps d’être empêché par un corps. Or, la divine puissance lie les esprits des hommes et des démons dans la géhenne, à certains lieux et corps, comme à des prisons, de façon à ne pas pouvoir en sortir.  Or, quel besoin avons-nous de descendre dans la géhenne pour contempler ce miracle ?  Chacun ne peut-il pas le voir en lui-même ?  En effet,  notre âme est un esprit existant par lui-même et indépendant du corps, mais qui, par un savoir-faire céleste, est inclus par Dieu dans ce corps mortel, comme dans une prison, de façon à ne pas pouvoir en sortir avant la dissolution du corps.
Enfin, ce qui est le plus admirable de tout dans les peines des damnés, c’est que les âmes des  humains et les démons ne sont pas seulement retenus par un feu corporel, mais qu’ils en sont brulés et torturés.  Ce qui est une chose si difficile que, jusqu’à présent, personne n’a jamais pu trouver une explication acceptable par les autres.  Car, si le feu n’afflige une maison qu’en la dissolvant progressivement, comment comprendre qu’elle afflige un esprit indivisible ?  Voir à ce sujet saint Augustin (livre 21 de la cité de Dieu, chapitres 2, 3, 4, 5, 6 et 10,  et l’épitre 49 à Deo Gratias, quest 6), où saint Augustin blâme ceux qui croyaient à certains miracles de notre religion, mais ne voulaient pas croire à d’autres.   Cela convient parfaitement aux sacramentaires. Car, ils devraient tout croire ce que l’Église nous propose de par l’Écriture sainte, ou tout nier.
Le septième exemple est tiré de plusieurs choses semblables.   Car, il ne convient pas moins à un corps d’occuper un lieu qu’à quelque chose de lourd d’être pesant, qu’à un objet coloré d’être vu, qu’à quelque chose de lumineux d’éclairer, qu’à quelque chose de chaud de réchauffer.  Mais, Dieu peut faire en sorte qu’un objet lourd ne soit pas pesant, qu’un objet coloré, même éclairé,  ne soit pas visible aux  yeux d’observateurs qualifiés.  Il peut faire aussi que ce qui est lumineux ne brille pas, et que ce qui est chaud ne réchauffe pas.  Pourquoi donc ne pourrait-il pas faire qu’un corps n’occupe aucun lieu ?
La preuve la plus claire se trouve dans l’évangile.  Quand ils avaient encore des corps mortels, le Christ et Pierre (Matth 11) ont marché sur les eaux.  Et, en Josué 3, les eaux du Jourdain non seulement ne descendaient pas, mais montaient, s’accumulaient, et s’élevaient à la façon d’une montagne.  Et saint Jérôme rapporte un miracle semblable dans la vie d’Hilarion.  Le Christ s’est fait une fois invisible pour ne pas être vu par ceux qui étaient tout proches.  Et quand il a fait cela, il n’avait pas perdu sa couleur, ni n’avait mis un écran entre lui et les autres. Luc 1V : « Et  passant au milieu d’eux, il s’en alla. »  Or, en Jean 8, il s’est caché pour ne pas être lapidé.  Il ne s’est pas caché dans un recoin quelconque, ce qui ne convenait pas, et ce qu’il ne pouvait pas vraiment faire, puisqu’il était au milieu de la foule, et que tous les yeux étaient tournés vers lui.  Et, au dernier chapitre de Luc,  quand il disparut de leurs yeux.
À l’aide de ces textes, les marcionistes, s’efforçaient de prouver que le corps du Christ n’était pas un vrai corps, mais un corps fantomatique, comme saint Jérôme le rapporte dans son épitre à Pammachius sur les erreurs de Jean de Jérusalem.  Il leur répliquait que le corps du Christ était un véritable corps, mais qu’il pouvait se rendre invisible par la même puissance divine qui le fit pénétrer dans le cénacle,  portes closes.   Après la résurrection, le corps du Christ est le même, même s’il est plus brillant que le soleil, comme saint Paul l’atteste Actes 26, en racontant qu’il en avait été aveuglé.  Et, pourtant, il est apparu plusieurs fois à ses disciples, et a conversé familièrement avec eux sans dégager aucune lumière.  Il pouvait donc faire en sorte qu’un corps lumineux ne brille pas.  Et ce qu’il a fait de son corps, il pourrait aussi le faire du soleil, s’il le voulait.  Enfin, nous avons en Daniel (3) un feu qui, par la vertu divine, ne brule pas, comme nous le lisons souvent dans les histoires des saints, et particulièrement de saint Jean l’évangéliste, quand il a été plongé dans de l’huile bouillante.  Celui qui a pu faire des choses si difficiles pour quoi ne pourrait-il pas faire qu’un corps n’occupe aucun lieu ?
Pierre le martyr répond à cet argument (dans son livre contre Gardinerus, objection 12) en disant que ces exemples-là ne ressemblent  en rien au cas présent.  En effet, il fut facile à Dieu de suspendre la gravité des corps pour qu’ils ne s’enfoncent pas dans l’eau, et l’action du feu pour qu’il ne réchauffe ou ne brule pas. Car, pour cela, il n’était pas nécessaire de détruire la nature du corps ou du feu.  Mais, pour qu’un corps soit présent sans occuper un lieu, cela ne peut pas se faire sans la destruction du corps.
Je réponds.  Notre argument n’est pas le nôtre, mais celui des pères.  Ce sont eux qui, de ces exemples, tirent une conclusion que rejette Pierre le martyr.  Car, aux hérétiques qui objectaient qu’un corps ne peut pas entrer par des portes closes, saint  Justin (question 117, aux orthodoxes), saint Jérôme (dans son épitre sur les erreurs de Jean de Jérusalem, et dans son épitre sur la mort de Paula), saint Augustin (dans son livre sur le combat chrétien, chapitre 24), et saint Cyrille (livre 12 sur saint Jean, chapitre 53)  présentaient l’exemple de la marche du Christ et de Pierre sur les eaux.  Et saint Augustin (livre 13, chapitre 18 de la cité de Dieu, et dans le livre 22, chapitres 4 et 11), fait un grand effort pour répondre aux Gentils qui pensaient que, puisqu’ils sont plus pesants que l’air,  les corps terrestres  ne pourront pas s’élever  dans les airs après la résurrection.
Ensuite, la raison nous convainc que les exemples sont similaires.  Car la seule raison pour laquelle puisse se faire, par la puissance divine, qu’une chose lourde ne soit pas pesante, qu’un objet lumineux ne brille pas, qu’un objet chaud ne réchauffe pas,  qu’un objet coloré ne soit pas vu,  est que la cause vient avant l’effet,  ne dépend donc pas de lui, et peut donc exister sans lui.  Or, la même raison vaut dans le cas de  la grandeur qui est la cause, et l’occupation du lieu qui est l’effet.  Que ce soit une cause formelle ou une cause efficiente, cela importe peu pour le sujet que nous discutons.  Car, même si un effet formel ne peut pas être séparé de sa cause, et ne peut donc pas être suppléé par Dieu, l’effet des causes efficientes le peut.  Cependant, la cause, en elle-même, même formelle, peut exister sans son effet, puisqu’aucune cause ne dépend de son effet.  Ajoutons que, dans ce même genre de cause, c’est la gravité qui donne la pesanteur à un corps lourd. Et, toutefois, Pierre le martyr reconnait que Dieu peut faire  en sorte qu’un corps lourd  n’ait pas de pesanteur.
Qu’il semble que soit détruite la nature d’un corps s’il n’occupe pas un lieu, on peut penser la même chose des exemples allégués.  Car, si une grosse roche marmoréenne, par la puissance divine, peut être soutenue par deux doigts, et être jetée comme une plume, qui ne penserait pas que  c’est quelque chose qui ressemble à du marbre sans l’être vraiment ?  Et si,  quand Dieu empêche l’action de la chaleur, un brasier peut être touché avec les mains sans qu’elles n’en ressentent  aucune chaleur,  qui ne penserait pas que ce feu est un feu peint et non réel ?  Et si une neige blanche était touchée avec les mains sans pourtant qu’on puisse la voir, qui ne penserait pas avoir été trompé ?  Enfin, si nous voyions, au milieu du ciel, un soleil non lumineux sans détecter aucun  objet intermédiaire rien qui offusque sa lumière, qui ne penserait pas que la nature du soleil a été changée ?  Si donc toutes ces choses sont possibles sans la destruction de la nature, comme Pierre le martyr le concède, pourquoi,  même si, aux ignorants la nature semble est détruite dans ce genre de suspension de la causalité,  la même chose ne pourrait-elle pas se faire pour une grandeur qui n’occupe pas de lieu ?
                                                                 CHAPITRE 7
                                       On solutionne les objections des adversaires
Nos adversaires ont deux arguments principaux.  Le premier rapporté par saint Augustin (dans son épitre 57 à Dardanus,) qui est répété tel quel par Calvin et Pierre le martyr.  Voici comment saint Augustin le formule : « La quantité d’un corps ne peut pas obtenir ce que peut la qualité.  Car, des parties éloignées les unes des autres  ne peuvent pas être au même endroit  en même temps, parce que chacune occupe l’espace de son lieu, les plus petites parties de plus petits lieux, et les plus grandes de plus grands.  De la même façon,  la quantité ne peut pas  être toute entière dans chacune des parties.  Ou elle est plus grande ou plus ample dans les parties les plus grandes et les plus amples, ou plus petite dans les plus petites, ou dans aucune partie aussi grande que dans le tout. »  Et plus bas : « Enlève les espaces des lieux aux corps, et ils ne seront jamais. Et comme ils ne seront jamais, ils n’ont, non plus, jamais été. »  Et, il avait dit, plus haut, que la nature humaine du Christ est détruite, si on ne lui donne pas un espace qui le contienne, à la manière des choses corporelles. »
Je réponds que, dans cette épitre, saint Augustin dit certaines choses au sujet du corps du Christ, et d’autres choses au sujet des corps en général, choses qu’il ne faut pas confondre.  Au sujet du Corps du Christ, il enseigne qu’il n’est pas répandu partout, en étant privé de sa forme et de sa figure humaine.  Car, ce serait détruire sa nature.  C’est ainsi qu’il parle au début de la lettre : « Tu penses peut-être qu’on doive comprendre ainsi.  Que le paradis occupe comme une partie du ciel, ou parce que Dieu est partout, l’homme qui est en Dieu est partout diffusé. »   Et plus bas, se référant à cela : « Si le Christ  vient, au témoignage de la voix angélique, comme il est vu dans le ciel, c’est-à-dire dans la même forme de chair, dans la même substance, il n’enlève pas la nature de l’homme  à qui il a donné l’immortalité. On ne doit pas penser, que, selon cette forme, il soit partout présent.  Gardons-nous de conférer la divinité à un homme au point de diminuer la vérité du corps.  Car on ne peut pas dire que  tout ce qui est en Dieu doive être partout,  comme l’est Dieu. »   Voilà pour saint Augustin, et il ne dit rien d’autre du corps du Christ en particulier.
Ces choses s’opposent directement à la sentence des ubiquistes luthériens qui veulent que,  en raison de l’union hypostatique, le corps du Christ  soit partout, de façon à ce que jamais il ne conserve la forme et la figure propres à un corps humain.  Ce qui, selon saint Augustin, est détruire la nature humaine du Christ.   Nous aussi nous professons que le corps du Christ n’est pas présent partout; et que, partout où il est, il a sa forme et sa figure humaine, la disposition et l’usage de ses membres, bien que cette figure, cette forme, cette disposition des parties soient vues dans le ciel où il remplit un lieu.  Qu’il soit dans le sacrement sans remplir un lieu et sans être vu par nous, cela est possible.  Car, comme nous l’avons dit plus haut, le Christ n’était pas privé de forme et de figure quand il s’est rendu une fois invisible.  Et il ne manquait ni de chair ni d’os quand il  a marché sur les eaux, ou quand il est entré portes closes.
Et au sujet du corps en général, saint Augustin a dit deux choses. La première. Les corps qui ont de la grandeur sont étendus, et ont un certain ordre des parties;  et il ne se peut donc pas qu’une partie soit plus grande que le tout, ou aussi grande  dans un petit corps que dans un grand.  Le contraire de quoi nous voyons non seulement dans les choses spirituelles, mais aussi dans les choses corporelles.   Car, la même âme peut être tout entière aussi bien dans une petite partie du corps que dans la totalité du corps. Semblablement, dans un petit corps et dans un grand.  Et il peut se faire qu’il y ait autant de blancheur éclatante ou de chaleur dans une petite partie du corps que dans le tout.
Quelles que vraies que soient toutes ces choses, elles ne s’opposent en rien à notre sentence sur l’eucharistie.  Parce que tout ce que requiert saint Augustin c’est que tout vrai corps soit extensif en soi, et non que sa grandeur corresponde nécessairement à celle du lieu.  Et si dans les mots allégués en premier lieu par saint Augustin, il est fait mention d’un lieu, cela se produit parce que c’est a posteriori que saint Augustin prouve qu’un corps est extensif en soi du fait qu’il occupe un espace de lieu.  Mais on ne peut  pas conclure de là qu’un corps ne peut être étendu en soi que s’il occupe un espace.  Et à cause de ces explications, demeurent les paroles de Saint Augustin ci-haut citées : « Une quantité ne peut pas obtenir… »
Secondement, saint Augustin dit que les corps sont dans un lieu au point de dépendre de ce lieu, tandis  que, au contraire, Dieu est dans un lieu sans dépendre d’un lieu,  alors que c’est plutôt  le lieu qui dépend de Dieu.  Mais  il faut entendre cela  des corps qui sont en-dessous du ciel, et en tant qu’ils existent naturellement.  Autrement, ce serait faux.  En effet, comme nous avons dit souvent, le dernier ciel n’est pas dans un espace, ou dans un autre lieu.  Il est en lui-même et en Dieu.  Et comme le dernier ciel n’a pas besoin d’espace où se mettre, de la même façon Dieu pourrait conserver les autres corps sans espace, même si, naturellement, ils ont besoin d’espace.
Et il ne faut pas se surprendre qu’on doive dire que saint Augustin n’a pas prononcé ces mots absolument parlant, mais seulement avec ces deux limitations. Et  cela suffit abondamment à ce qu’il se proposait d’expliquer.  Car, il voulait seulement dire  que Dieu est dans un lieu sans dépendre d’un lieu.  Et pour montrer qu’il est dans un lieu sans dépendre du lieu, il l’a expliqué par le contraire qui nous est plus connu, c’est-à-dire par les exemples des corps qui sont dans un lieu en dépendant d’un lieu.  Or, pour la vérité de cet exemple, il suffit  que certains corps ne puissent pas exister naturellement  sans être dans un lieu.  Et c’est ce qui explique ces paroles : « enlevez les espaces au corps… »
L’autre objection des philosophes est la suivante.  Ils s’efforcent de montrer qu’est détruite l’essence de la quantité si on la met à quelque part sans qu’elle occupe un lieu.  C’est ainsi que Calvin argumente (livre 4, chapitre 17, verset 29) : «  Voici quelle est la vérité propre d’un corps, en tant qu’il est contenu dans un espace, en tant qu’il possède des dimensions, en tant qu’il a une face.  Il ferait donc un commentaire stupide celui qui soutiendrait  que le Christ est présent dans le pain d’autant de façons qu’il y a d’intelligences humaines. »  Selon Pierre le Martyr, (dans son livre contre Gardinerus, à l’objection 74), il prouve que des choses sont intrinsèques à un être,  de façon à ce que, bien qu’elles soient postérieures,  elles ne peuvent en être séparées en aucune façon. « Car la faculté de  comprendre est postérieure à l’essence de l’homme, puisqu’elle est une qualité, alors que l’autre est la substance.  Et, cependant, la capacité de comprendre  ne peut pas être séparée de la nature humaine, car, celui qui manque de raison ne sera plus un homme.  De la même manière, la quantité est postérieure à la substance corporelle, et cependant, elles ne peuvent pas être séparées sans la mort de la substance.  Mais, occuper un lieu est une certaine propriété intrinsèque de la quantité.  Elle ne peut donc pas être séparée de la quantité, même si elle lui est postérieure.
Troisièmement.  Il argumente ainsi au même endroit : « On ne peut pas séparer un quaternaire de la quaternité, de façon qu’il existe à la façon d’une unité.  Donc, une ligne ou une quantité continue ne pourra jamais être séparée de son mode, de façon à exister sans extension, mais indivisiblement. »  Quatrièmement. « Une substance ne peut exister que substantiellement. Donc, une quantité non plus, ne peut exister que quantitativement. » Cinquièmement. « Un esprit indivisible ne peut en aucune façon exister en étant, comme un corps,  divisible et étendu.  Donc, un corps visible ne peut en aucune façon exister indivisiblement, comme un esprit. »  Sixièmement. «Il semble contradictoire qu’un corps de trois coudées soit contenu dans les dimensions d’un pain friable d’un doigt.  Car, s’il en était ainsi, le même corps serait plus grand et plus petit, et plus grand et moins grand sous le même aspect. »
Septièmement. « Si, dans l’eucharistie, le corps du Seigneur n’a ni figure, ni distinction, ni ordre de parties, les pieds sont donc plus éloignés de la tête que la poitrine.  Or, sans relation à un lieu,  on ne peut comprendre une distance plus grande ou plus petite.  Car sont plus éloignés les uns des autres ceux entre lesquels se trouve un plus grand intervalle. » Huitièmement. « Il est de l’essence de la quantité d’avoir une partie en dehors d’une autre partie. Donc, là où est une partie, une autre partie ne se trouve pas au même endroit.  Donc la totalité de la quantité du corps du Christ ne peut pas être dans une parcelle d’hostie. »
On peut répondre à ces objections avec les fondements posés au chapitre 5.   Au premier argument de Calvin, je réponds qu’il a mêlé le vrai avec le faux, pour donner l’impression qu’il disait quelque chose.   Car, quand il dit qu’il est requis à la vérité d’un corps qu’il ait ses dimensions et sa face, il dit vrai.   Nous ne disons pas nous, non plus, que, dans l’eucharistie, le Christ soit privé de ses dimensions et de sa face.  Mais, quand il ajoute qu’il est aussi requis qu’il soit contenu dans un espace, il ne dit plus la vérité, comme nous l’avons montré plus haut.  Et si Dieu enlevait tout l’air de cette salle de cours dans laquelle nous sommes, de façon à ce que ne puisse pas en entrer d’autre, nous retiendrions nos dimensions et notre face, sans pourtant être contenu dans aucun espace, et sans que personne ne voit la face d’un autre.
À la deuxième de Pierre le martyr, on peut dire qu’elle n’est pas semblable aux choses semblables qu’il apporte.   Car, remplir un lieu est un acte, non une puissance, et la faculté de comprendre est une puissance, non un acte.  Or, il est encore plus absurde qu’une chose soit privée de puissance, et non d’action.  Quand nous disons que, par un miracle divin, une  quantité  ne remplit pas un lieu, nous avons le bon sens de dire qu’elle est apte à remplir un lieu, et qu’elle le remplira quand elle sera rendue à sa nature.
Je réponds aussi que la faculté de comprendre peut être enlevée par la puissance divine, mais qu’il ne s’ensuit pas que l’homme cesse d’être un homme, mais seulement qu’il cesse de mettre en oeuvre ce qui appartient à un homme, parce qu’il manque des instruments des actions humaines.  Comme les enfants et les fous qui sont des êtres humains parce qu’ils possèdent une âme raisonnable, même s’ils ne peuvent pas plus se servir de leur intelligence que s’ils n’en avaient point.  Je dis la même chose de la substance et de la quantité.  Bien qu’elles ne puissent pas naturellement  se séparer l’une de l’autre, il n’y a aucune implication de contradiction à ce qu’elles soient l’une sans l’autre.
À la troisième, je réponds qu’un quaternaire ne peut pas, essentiellement,  être séparé de la quaternité, mais qu’il le peut accidentellement, c’est-à-dire qu’il ne peut pas se faire qu’un quaternaire soit réduit au mode de l’unité, de façon à ce que, par exemple,  quatre hommes soient un homme. Mais, il peut se faire qu’il soit réduit au mode de l’unité de façon à ce que quatre hommes occupent le lieu d’un seul homme.  De la même manière, la ligne ou un corps ne peut pas se séparer de son mode essentiel, de façon à devenir indivisible en soi, mais elle peut, quand même, se séparer accidentellement de son mode, de façon à ne pas occuper un lieu divisible
À la quatrième, au sujet de la substance qui ne semble pas pouvoir exister autrement que substantiellement, je réponds que la substance ne peut pas être séparée de son mode essentiel, ce qui se ferait si elle était présente dans le sujet à la façon des accidents.  Elle peut cependant, être séparée de son mode intrinsèque et propre, mais non essentiel qui est d’exister par elle-même.  Car, la substance de l’humanité du Christ est séparée de ce mode quand elle existe dans le Verbe sans avoir sa  propre subsistance.  Pareillement, la quantité, quant à son mode essentiel,  ne peut exister que quantitativement, car elle ne peut exister sans extension et sans la distinction des parties.  Mais elle peut très bien exister  non quantitativement relativement à un lieu, comme nous l’avons dit souvent.
À la cinquième objection sur l’esprit et le corps, je réponds qu’on peut déduire  du même principe la raison pour laquelle un esprit ne peut pas s’étendre dans un lieu, et  un corps peut ne pas s’étendre.  Car, s’étendre dans un lieu est un effet formel de l’extension en soi.  Une chose  peut donc s’étendre dans un lieu parce qu’elle est par elle-même extensible, mais non  l’inverse.  Car une cause formelle peut être séparée de son effet, non le contraire, l’effet de la cause. Car, la cause est première, et l’effet postérieur. De là vient qu’un corps extensible en soi n’est pas étendu dans un lieu, parce que la cause est séparée de l’effet.  Un esprit indivisible en soi ne peut pas être étendu dans un lieu, car ce serait poser un effet formel sans cause, et un postérieur sans le premier.  Ce qui ne peut pas se faire.
À la sixième, je réponds que si nous considérions séparément les dimensions du corps du Christ, comme elles sont contenues ineffablement sous l’espèce du pain, elles ne seraient ni plus grandes ni plus petites, car elles n’ont pas à avoir la même grandeur ou la même petitesse que les espèces, mais existent sans être ordonnées à un lieu, à peu près de la même manière que l’âme est dans un corps, ni plus grande ni plus petite que lui.
À la septième, je réponds que la distance qui existe entre les membres du corps, n’est pas une distance locale, mais d’un autre genre.  Car, on dit qu’ils sont distants les uns des autres, ceux qui ne se rejoignent pas, et que sont plus distants ceux entre lesquels sont plusieurs membres,  non plusieurs intervalles.   C’est ce qu’on perçoit clairement dans un corps humain que nous imaginons être localisé au-dessus du ciel.  En lui, les pieds seraient distants de la tête non par un espace local, qui n’existe pas, mais par les parties intermédiaires que sont la poitrine et les autres membres.
À la huitième, qui, à cause de l’imbécilité de l’intelligence humaine,  semble la plus difficile de toutes, je réponds que, pour le corps , on a raison de dire :  « en tant qu’il a une partie en dehors d’un autre »,  si ce en dehors dit une habitude à un sujet, et non s’il dit une habitude à un lieu.  Et, semblablement, quand ils concluent de l’argument que là où est une partie l’autre doit être, je réponds qu’on a raison de tirer cette conclusion si ce « où »  dit le site interne des parties dans un sujet, non s’il dit le site dans un lieu.  Et c’est de cette façon qu’on entend ce que dit le philosophe, dans le prédicament de  la quantité, « qu’une certaine espèce de quantité consiste de parties ayant une position ».  Car, il parle de la position dans un tout ou un sujet, non de la position dans un lieu.
 Mais, contre cette réponse, quelques-uns rétorquent  vivement.  Le corps a une partie en dehors d’une autre partie par rapport au tout ou au sujet, donc, aussi en relation à un lieu.  On prouve la conséquence.  Une partie du corps coexiste avec une certaine partie du lieu.  Donc,  à la même partie du lieu coexiste l’autre partie du corps, oui ou non.  Si non, le corps a, dans le lieu aussi, une partie en dehors d’une autre partie, et il n’est donc pas tout entier dans chaque partie.  S’Il coexiste, les parties du corps coexistent aussi entre elles.  Or, cela ne se peut pas, puisque qu’elles sont distantes entre elles, et que l’une est en dehors de l’autre.
Je réponds.  Je nie la première conséquence : dans la relation à un lieu, il y a aussi une partie en dehors de l’autre partie.  Pour le prouver, je dis que deux parties du corps coexistent dans le même lieu.   Quand ils concluent : elles coexistent donc aussi entre elles dans un  lieu, mais non dans un sujet, parce que, comme on l’a souvent répété, l’extension et la distinction des parties dans un sujet n’est pas empêchée, ni ne peut être empêchée, puisqu’elle est essentielle, il faut répondre que   l’extension et la distinction par rapport à un lieu peut être empêchée, et est empêchée par Dieu, quand le corps du Seigneur demeure dans le sacrement.
                                                               CHAPITRE 8
On montre que Dieu a voulu et a fait en sorte que le corps du Seigneur soit réellement présent dans l’eucharistie.
Nous avons démontré jusqu’à présent, qu’il n’est pas impossible à Dieu que le corps du Seigneur soit vraiment et réellement dans le sacrement de l’eucharistie.  Ce qui reste à voir c’est : a-t-il voulu faire cela ?  Les sacramentaires, d’une seule voix, disent que Dieu ne l’a pas voulu, même s’il en avait le pouvoir.  Ils ne le prouvent pas cela autrement qu’en disant que ça ne semble ni utile ni convenable.  Quant à nous, laissant de côté l’Écriture et les pères, nous avons des témoignages très crédibles et auxquels ne peuvent rien répondre ceux qui ont donné un autre nom à la foi chrétienne.
Le premier argument se tire de la nature même de l’hérésie.  Le nom d’hérésie convient tellement bien à l’opinion des sacramentaires qu’il n’existe aucune hérésie dans le monde si celle-là n’en est pas une.   Si elle est une hérésie, la vérité de foi contraire sera donc une vérité révélée par Dieu. Il sera alors établi que c’est ce que Dieu a voulu et fait.
La condition première d’une hérésie est la nouveauté de la doctrine, comme celle de la  vérité catholique est l’antiquité.  On convainc de nouveauté une doctrine quand on peut indiquer l’auteur, le lieu, le temps, son commencement avec peu de sectaires, et l’apparition d’un scandale et d’un trouble chez les fidèles.  Si on y contredit, si elle est jugée et examinée,  puis condamnée par un concile d’évêques, et ensuite par tous les peuples fidèles.  C’est en effet, ce qu’on trouve dans toutes les hérésies, l’arienne, la nestorienne, l’eutychienne, la pélagienne, et d’autres.  Or, la secte des sacramentaires a un auteur très bien connu, Bérenger de Tours.  On le sait par Paschasius qui (dans son livre sur l’institution du sacrement) affirme qu’en son temps, ne manquèrent pas certains qui se posèrent des questions sur la vérité du corps du Seigneur dans l’eucharistie, comme Jean Scot et Bertramus. » Mais, il n’y avait encore personne qui ait osé nier le mystère ouvertement. «  Et même si  certains erraient par ignorance sur cette question, personne n’avait osé, jusqu’à présent, contredire ce que toute la terre croyait et confessait. »
Donc, au temps de Paschase, personne n’avait, jusque là,  osé nier publiquement que le corps  Christ était vraiment et réellement présent dans le sacrement de l’eucharistie.  Du temps de  Paschase jusqu’à celui de  Bérenger, personne n’avait écrit obscurément ou  clairement sur ce sujet.  C’est lui qui osa se présenter comme le premier auteur de cette hérésie. Nous le savons pertinemment, car Adelmann évêque de Brxinensis et Hugo évêque de Lingonensis, dans des lettres qu’ils ont écrites à Bérenger, l’indiquent comme le premier fauteur de cette hérésie.  Ils l’avertirent sérieusement de ne pas troubler l’Église, et de se rappeler quelle a été la fin des hérétiques qui vécurent avant lui.  Ensuite Guitmundus (livre 3, non loin de la fin) : « On sait très bien à notre époque que, avant que ne délire Bérenger, ce genre de folie n’avait jamais existée. »
Le temps est connu par les historiens, les chronologistes et d’autres écrivains.  Sigibertus écrit dans la chronique que c’est en l’an 1051 que, par son nouveau dogme,  Bérenger a commencé à troubler les Gaules.  Et c’est ce qu’indiquent Lantfranc, Guitmund et  d’autres  comme Guillaume le bibliothécaire, Malmes Beriensis (livre 3 sur les gestes des Angles), qui vécut à la même époque.  Le lieu est aussi très connu, car c’est dans la Gaule qu’il commença à prêcher son hérésie, comme en témoignent tous les auteurs cités.  Le petit nombre de ses adeptes au début est décrit par Guitmundus (livre 1), où il dit que Bérenger a commencé par être écouté par quelques étudiants pauvres qu’il attirait à lui par une récompense.  L’étonnement et le trouble de l’église qui est évident au début d’une hérésie sont décrits par les mêmes auteurs, et surtout par Adelmannus dans son épitre à Bérenger, et par Lantfranc, au début de son livre contre Bérenger, où il dit que fut lue au concile romain sous Léon 9, la lettre que Bérenger lui avait écrite.   Comme dans cette lettre,  seul le mot sacrement avait été écrit, tous les évêques considérèrent avec étonnement que sa sentence était contraire à la foi millénaire de l’Église catholique.
Ensuite, suivirent la contradiction, l’examen, le jugement et la condamnation.  C’est en effet ce qu’écrit Lantfranc.  « Au temps du pape saint Léon, c’est par ton épitre elle-même que  fut présentée  cette hérésie au siège apostolique, en présence d’une multitude d’évêques, d’abbés, de divers ordres et de divers pays. On commanda alors que fut récitée à haute voix, pour que tous entendent, les lettres que tu m’avais envoyées sur le corps et le sang du Seigneur. »  Et plus bas : « Comprends que c’est parce que tu pensais, sur l’eucharistie,  des choses contraires à  la foi commune qu’une sentence de condamnation a été promulguée contre toi, te privant de la communion de la sainte Église,  que tu t’efforçais de priver de la sainte communion. »
Dans l’opinion de Bérenger, nous voyons donc réunis tous les signes d’une nouveauté, alors que dans notre sentence, on n’en trouve pas un seul. Car, jusqu’à présent, aucun de ces hérétiques n’a pu découvrir celui  qui aurait  été l’auteur de notre doctrine sur l’eucharistie.  Voilà pourquoi Bérenger lui-même appelait notre sentence l’opinion du peuple, comme Lantfranc l’atteste au même endroit.  Au sujet de notre doctrine, nos adversaires n’ont jamais pu indiquer ni le temps de sa naissance, ni le lieu, ni le petit nombre de ses adhérents, ni le scandale que son apparition aurait déclenché, ni une condamnation portée  par un tribunal ecclésiastique.  En effet, notre doctrine sur l’eucharistie, celle des papistes comme l’appellent nos adversaires, n’a pas été inventée à un certain moment de l’histoire, par un certain hérétique, mais elle est d’une très grande antiquité, comme le consentement des Grecs le montre.  Les Grecs ont commencé à se séparer des pontifes romains il y a de cela un grand nombre de siècles.  Ils n’auraient donc pas volontiers reçu des Romains des nouveaux dogmes.  Et pourtant, sur cette question, ils ont toujours été du même avis que les latins, comme le montre la censure des orientaux à la confession des luthériens.
  On confirme notre argument par la facilité de la sentence des adversaires, et de la difficulté de la nôtre.  Car, comme la sentence des adversaires est très facile à comprendre et tout à fait proportionnée  aux sens humains, elle aurait pu facilement se répandre et être admise par un grand nombre, de façon à cacher les signes de sa nouveauté.  Or, notre sentence qui est très difficile à comprendre et à admettre, qui répugne aux sens et transcende la raison,  ne pouvait pas, comme elle l’a fait,   se répandre comme une trainée de poudre, et persuader   tout l’univers avec une si grande facilité.   Donc, comme nous constatons que notre sentence ne manifeste aucun signe de nouveauté, et que celle des adversaires exhibe tous les signes de la nouveauté, il est tout à fait évident qu’étant plus antique, la nôtre est la vraie.  Or, le contraire de vrai est faux et hérétique.
Un autre argument de la vérité de notre foi est le consensus de l’Église universelle.  Car, nous avons le consentement de toute l’église latine, de toute l’église grecque et barbare. En expliquant les paroles du Seigneur (ceci est mon corps) dans son livre sur l’institution du sacrement, Paschasius déclare que jamais une personne qui se dit chrétienne n’aurait  osé nier la réalité de la chair du Christ dans l’eucharistie. Lantfranc, qui est du même onzième siècle, dit, dans son dernier livre contre Bérenger : «  Interroge tous ceux qui ont une connaissance des livres écrits en langue latine, interroge les Grecs, les Arméniens, les chrétiens de n’importe laquelle nation, et d’une seule voix ils attesteront avoir cette foi. »
Même de notre temps, le même consensus existait dans toute la chrétienté  avant que fassent leur apparition Carlostadius et Zwingli, comme Zwingli l’écrit (dans son commentaire sur la vraie et fausse religion, chapitre sur l’eucharistie ». Il reconnaissait qu’au tout début, il avait agi en secret, et que c’est avec peu d’amis qu’il avait entrepris l’établissement d’un nouveau dogme.   Car, sachant  fort bien qu’aucune personne ne partageait cette idée qu’il voulait introduire  dans l’Église, il craignait de scandaliser tout le monde.
 Ce fondement une fois solidement posé, il s’ensuit nécessairement ou bien que notre foi sur l’eucharistie soit la vraie, ou bien qu’il n’y a jamais eu d’église dans le monde, ou qu’elle a existé mais qu’elle a péri, ou qu’elle est demeurée dans les seuls adeptes de Bérenger. Ou bien que demeurent ensemble l’Église de Dieu et le sacrilège suprême et public, l’idolâtrie suprême et publique.
Or, que l’Église n’ait jamais existé dans le monde c’est une chose qui s’oppose à l’Écriture et au symbole des apôtres, et  c’est ce qu’aucun hérétique n’a jamais enseigné.  Que l’église ait existé mais qu’elle ait péri, cela contredit des promesses certaines de Dieu.  Luc 1 : « Dont le règne n’aura pas de fin. » Matthieu 16 : « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elles. » Et Matthieu, fin : « Et voici que je suis avec vous jusqu’à la du monde. »  Que l’Église soit demeurée dans les bérengériens, on ne peut le dire, car, avant Bérenger,  elle n’aurait pas existé.  Par le témoignage des historiens, il appert que l’Église a toujours cru la même chose sur le mystère de l’eucharistie.  De plus, les bérengériens furent peu nombreux, et surtout en France, et leur nombre fut vite réduit.  Et bien que, environ 300 après, l’hérésie de Bérenger fut reprise par Wiclef, cependant, elle n’a pas mis le pied en dehors de l’Angleterre et de la Bohème. Et même dans ces lieux, elle fut éteinte, au point où, environ cent ans avant Zwingli, elle n’existait déjà plus.
Mais l’Église, elle, vit toujours, elle est toujours visible,  et elle ne peut pas (comme cette hérésie) mourir et renaître, à moins que soient fausses les promesses ci-haut citées.  De plus, l’Église ne peut pas à la fois exister et être plongée dans l’erreur, le sacrilège et l’idolâtrie.  Cela ne peut en aucune façon se faire.  Car, il n’y aurait pas d’hérésies en dehors de l’Église, et saint Paul  aurait dit faussement (1 Timothée 3) : « L’Église est la colonne et le firmament de la vérité. »  Dans la prière à Dieu qui termine son livre contre Gardinerus, il semble que Pierre le martyr ait estimé qu’il se pouvait vraiment que l’hérésie et l’idolâtrie règnent dans la vraie église.  Mais sa prière elle-même lutte contre lui, même s’il ne semble pas s’en être rendu compte.  Voici comment il parle au Christ : « Si la plaie est désespérée, et si, dans ton église, il n’y a plus un lieu ouvert et public pour la proclamation de  ta vérité, viens vite exercer ton jugement. »  Voilà sa prière.
Quant à moi, je n’ai rien lu de plus idiot que cette prière.  Car, si par vérité, il entend la sentence ce Zwingli, que,  par tour son livre, il  s’est efforcé de promouvoir, il est forcé d’avouer que c’est chez nous que se trouve la vraie église du Christ, et donc qu’il est en dehors de l’église. Car l’église catholique est l’église qui ne concède aucun lieu à l’hérésie de Zwingli.   Si c’est sa secte qu’il appelle l’Église du Christ, il est alors obligé d’admettre que notre sentence sur l’eucharistie est la vérité de Dieu.  Car, c’est à notre sentence qu’il n’est donné aucun lieu dans la secte des Zwingliens.  Donc, de quel côté qu’il se tourne, c’est avec son propre glaive qu’il se frappe.  Pour ne pas ajouter que c’est une trop grande stupidité de soutenir que dans l’église de Dieu il ne soit  donné aucun lieu pour la proclamation de la vérité de Dieu.  Car, où sera la vérité si elle n’est pas dans l’église ?  Mais, par un juste jugement de Dieu, ceux qui ont perdu l’Église de Dieu ne peuvent plus voir ce qu’elle est.
On peut tirer le troisième argument de la diligence que l’église a montrée dans l’examen de la controverse présente, et dans sa constance à retenir la vérité.  Car, si l’église n’avait pas voulu discuter de la question, ou l’aurait fait à la légère, les hérétiques auraient pu montrer une certaine couleur quand ils affirmaient que l’Élise est plongée dans l’erreur.  Or, aucune question n’a été examinée plus souvent et plus diligemment.
L’hérésie de Bérenger  fut d’abord discutée et condamnée dans un concile romain sous Léon 1X.  Ensuite, à Vercellensis, en présence et sous la présidence  du même pape Léon 9, cette même question a été discutée et expliquée. Bérenger y fut appelé, et comme il ne voulut pas se présenter, on discuta avec ses confédérés qui s’appelaient légats de Bérenger.  Ensuite, après la mort du saint pape Léon 9, les légats du pape Victor qui prédisaient le concile  disputèrent âprement avec Bérenger.  Et après qu’on l’eut réfuté, et qu’il eut abjuré son hérésie,  la même foi dans le mystère de l’eucharistie a été confirmée.  Quatrièmement, comme Bérenger était retourné à son vomissement, la même question a été proposée dans un concile général de Rome présidé par Nicolas 2, en présence de Bérenger.  On discuta longtemps et consciencieusement, et Bérenger abjura de nouveau, et brûla son livre devant tous.  De ces quatre conciles, auxquels il assista,  parle Lantfranc dans son livre contre Bérenger.
IL y eut un cinquième concile contre Bérenger, qui, après avoir foulé aux pieds sa seconde abjuration, était revenu à son hérésie.  Un cinquième concile de Rome fut convoqué  par le pape Grégoire 7. Après une longue et diligente étude de l’hérésie, elle fut condamnée de nouveau.  Bérenger y abjura une troisième fois, et ne retourna plus à son vomissement.  Lantfranc et Guitmund ne parlent pas de ce concile, pour la bonne raison qu’il n’avait pas encore été célébré quand ils écrivirent sur ce sujet.   Thomas Waldensis en parle, lui, (tome 2, chapitre 43, sur les sacrements).  Sixièmement, dans un concile général et universel, célébré à Rome, sous Innocent 3, la même hérésie a été condamnée de nouveau.  Septièmement, la même vérité à été expliquée dans  le concile général de Vienne, en l’an du Seigneur 1311, dont il ne reste qu’une clémentine unique sur les reliques et la vénération des saints.  Huitièmement. A été tenu aussi un concile général romain sous Jean XX111, en l’an du Seigneur 1413,  comme l’atteste Jean Cochlaeus dans le livre 1 de son histoire des Hussites. Neuvièmement.   La même chose a été définie dans le concile de Constance, à cause de la même hérésie renouvelée par Wiclef.  De plus, de nos jours,  dans le concile de Trente, la même chose a été décrétée à cause des Zwingliens et des Calvinistes.   J’omets le concile de Florence et plusieurs autres lieux où la même chose a été définie en passant.
Puisqu’il en est ainsi, qui pourra se persuader que Dieu a permis que l’Église ait erré sur ce point ? Qu’est-ce donc qu’elle devait faire  qu’elle n’a pas fait ? Elle a convoqué des hommes savants, a étudié attentivement la question,  a invoqué Dieu, et cela, non pas une fois, mais deux fois, et plus encore.  Or, si nous pouvons nous demander si l’Église n’a pas erré sur cette question, nous pourrons douter de toutes les définitions contre les autres hérésies. Ou pourra même douter si Dieu existe vraiment, s’il se soucie de nous,   Car, de quoi se soucie-t-il s’il ne se soucie par de ces choses-là ?
Nous en venons maintenant à ce que l’Église catholique est toujours demeurés dans la même sentence, n’a jamais dévié à cause des arguments insidieux et sophistiqués  que les  bérengers,  les wiclefistes ou les zwingliens excogitèrent.  Car, dans tous les conciles cités, on trouve toujours la même sentence.  Or, c’est tout le contraire qu’on trouve  chez les adversaires. Ils n’ont jamais  eu de conciles d’évêques, et ne se sont jamais mis d’accord entre eux.  Dans le prologue de leurs livres sur le corps et le sang du Seigneur, Guitmundus (livre 1) et  Alger (dans son prologue) affirment que, dès le début de l’hérésie de Bérenger, six opinions différentes ou sectes sont nées, qu’ils énumèrent.   De notre temps, (comme nous l’avons dit plus haut), elles sont encore plus nombreuses, surtout si nous joignons les erreurs des luthériens  à celles des Zwingliens.
Le quatrième argument peut être tiré des patrons de notre sentence. Depuis 1051, c’est-à-dire depuis le temps, où à cause de l’erreur de Bérenger, notre sentence a été  expliquée avec toute la clarté possible, elle a eu plusieurs patrons si  illustres par leur sainteté,   et leurs miracles que même les adversaires d’aujourd’hui les reconnaissent comme saints. De ce nombre, sont saint Anselme, saint Bernard, saint Malachie, saint Dominique, saint Thomas, saint François, saint Antoine de Padoue, saint Bonaventure, saint Nicolas de Tolentino, le roi saint Louis, saint Bernardin, saint Vincent Ferrier, saint Antonin, saint François de Paule, et plusieurs autres.   Ces gens-là furent des saints et des amis de Dieu, et règnent maintenant, dans le ciel, avec le Christ.  D’après le témoignage de toute l’Église, tous ont brillé par des miracles, et quelques-uns par des miracles plus nombreux et plus prodigieux que ceux des anciens.
Comme saint Bernard, dont personne ne peut compter les miracles à cause de leur grand nombre.  Comme saint Vincent Ferrier, dont 800 miracles ont été présentés comme certains et approuvés à son procès de canonisation, parmi lesquels 28  résurrections des morts.  Comme saint François, dont les miracles nombreux et admirables sont racontés par saint Bonaventure.  Ces miracles sont même plus certains que ceux des anciens, parce que, par la suite,   l’église prit l’habitude  de ne compter parmi ses saints  que ceux qui faisaient des miracles certifiés et approuvés par des témoins.  Ce qu’autrefois, elle ne faisait pas.
Et, de plus, quelques-uns d’entre eux, comme saint Bernard, saint François, saint Dominique sont reconnus comme saints même par des adversaires.  Luther, (dans son livre sur la captivité de Babylone, au chapitre de l’eucharistie), donne le nom de saint à Thomas d’Aquin, et, au chapitre sur le baptême, il admet que sont des saints saint Bernard, saint Dominique, saint François.  Philippe Melanchton (dans son apologie de la confession, articles 1, 7, et 27, appelle saints Antonin, Bernard, Dominique, François.  Et Pierre le martyr (dans son commentaire sur le chapitre 3 de la première épitre aux Corinthiens sur : « Car il déclara jours du Seigneur ou le jour du Seigneur le déclarera,  » il dit que ceux-là sont sauvés.  Calvin (chapitres 10 et 17), appelle saint Bernard un écrivain pieux.
 Or, tous ceux-là soutinrent énergiquement notre sentence, comme leurs livres le montrent, et comme le montre aussi le fait  qu’ils ont toujours obéi en tout aux pontifes romains.  Et aussi parce que l’Église catholique ne les aurait jamais reconnus pour saints s’ils s’étaient éloignés d’elle sur un sujet de cette importance.  Or, c’est une vérité non controversée que ne peuvent être ni saints ni amis de Dieu ceux qui n’ont pas la vraie foi, puisque, (Hébreux 11)  sans la foi, on ne peut pas plaire à Dieu, et parce que le juste vit de la foi (Hébreux X).   Il n’est en aucune façon croyable que ces saints à qui Dieu a donné l’esprit de prophétie, et à qui il  a,  comme à des amis, révélé plusieurs choses non nécessaires,  n’ait pas voulu révéler, au moins à quelques-uns,  la vérité si nécessaire de mystère.
On ne peut pas dire qu’on peut excuser les saints d’avoir erré, puisqu’ils étaient tombés par ignorance, en toute simplicité et sans acharnement, dans une chose de peu d’importance, non suffisamment expliquée et encore non définie.  Car, d’abord, c’est une chose de la première importance et dans laquelle se trouvent le sommet de la piété et de la religion, ou le sommet de l’impiété, du sacrilège, ou de l’idolâtrie.   De plus, la chose avait été discutée, analysée, et déjà définie par plusieurs conciles, come nous l’avons montré; et étaient rangés parmi les hérétiques ceux qui pensaient autrement.  De plus, ces saints hommes ne se contentèrent pas de déclarer leur foi, mais ils la défendirent chaudement contre les hérétiques, par des livres, des sermons, des débats publics qu’ils eurent avec   eux.  Il est donc nécessaire ou que soit vraie notre opinion, ou que ces hommes soient des hérétiques et des ennemis de Dieu.  Nos adversaires ne pourront jamais concilier ces deux choses : ces hommes furent de grands saints, mais ils furent plongés dans l’erreur, et furent des sacrilèges pendant toute leur vie.
Le cinquième argument est tiré des auteurs et des patrons de la sentence contraire.  Car, ils furent tels qu’il n’est aucunement probable que Dieu ait voulu réformer son église par des gens comme eux.  Car, bien que Dieu ait coutume de choisir des hommes simples, sans noblesse et sans culture, pour opérer par eux de grandes choses, il les instruit ces hommes de rien par sa sagesse divine, sa charité, son don des miracles, et d’autres charismes, pour que les autres hommes puissent croire qu’ils ont été envoyés par Dieu.  Tels furent les patriarches, les prophètes, les apôtres, les fondateurs d’ordres religieux, et les saints réformateurs.
Examinons, maintenant, ce que fut Bérenger que Calvin reconnait pour son père (dans sa dernière admonition à Westphalus) où il dit qu’il n’était pas troublé par le fait que sa sentence ait été autrefois condamnée, sous le nom de Bérenger, par un concile romain présidé par le pape Nicolas, et par le concile de Vercellencis, présidé par le pape Grégoire V11; mais qu’au contraire elle lui eut parue suspecte si les pontifes romains l’avaient approuvée.  Ce Bérenger fut spécial de plusieurs façons. Car, il avait été annoncé d’avance sous l’inspiration du Saint-Esprit.  Comme l’écrit le bibliothécaire Guillaume, (au livre 3 des gestes des Anglais) au sujet de  l’évêque Fulbert de Carnotensis.  Lorsque, à l’article de la mort, il vit, parmi d’autres qui l’entouraient, Bérenger, encore adolescent, et pas encore  hérésiarque, il ordonna qu’on le fasse sortir, en protestant qu’il voyait un puissant démon près de lui, qui semblait, par son souffle empoisonné, attirer beaucoup de personnes vers lui.  Cette vision signifiait clairement que, par l’action du démon, Bérenger séduirait plusieurs personnes en les entrainant dans son hérésie.  Ce qui nous permet de dire que Bérenger fut l’égal d’Arius, car la future hérésie d’Arius avait été annoncée d’avance à saint Antoine (et Pierre d’Alexandrie)  par Dieu, comme saint Athanase l’atteste dans la vie d’Antoine.  Car, quand, par son juste jugement, Dieu permet, selon son habitude,  de très graves maux, il les annonce d’avance par sa grande miséricorde, pour que les hommes s’en défient, et en soient moins lésés.
Ensuite, Bérenger fut remarquable par ses parjures et par son inconstance.  Car, (comme nous l’avons dit plus haut), il abjura son hérésie trois fois en différents moments.  Il a donc été forcé d’abjurer trois fois parce que, après sa première abjuration, il se parjura deux autres fois, quand il retomba deux fois dans son hérésie.  Cependant, il mourut catholique, comme le même Guillaume le rapporte.  Comme on le voit dans le premier livre de  Guitmund qui raconta brièvement sa vie, il fut outre mesure orgueilleux et arrogant, et c’est de cet orgueil qu’il tira l’occasion de promulguer un nouveau dogme.  Car, la première controverse qu’il eut avec Lantfranc porta sur des sujets qui relèvent de la logique.   Mais, quand il vit qu’il était battu, et que les auditeurs se détournaient de plus en plus de lui, il ne put supporter cette ignominie, et passa à la théologie.  Et parce qu’il préférait, comme dit Guitmundus, être hérétique publiquement  avec l’admiration des hommes, qu’être catholique privément sous le seul regard de Dieu, il recherchait avait passion des choses nouvelles et inconnues des autres.  C’est ainsi que commença son hérésie.
Voilà pourquoi, en plus de sa sentence sur l’eucharistie, il en promulgua deux autres, qu’un Calvin lui-même ne nierait pas que ce sont des hérésies.  Car, il enseigna, comme Guitmundus l’atteste, que les mariages légitimes pouvaient être détruits,  qu’il était permis d’avoir des relations avec toutes les femmes, et que les enfants ne devaient pas être baptisés.  Ces deux choses qu’enseignent aujourd’hui les anabaptistes, Luther et Calvin les condamnent.  Qui croira donc que Dieu ait voulu réformer son église par un homme qui est, au jugement même des adversaires, erratique et hérétique ?
Guitmundus dit, au sujet des adeptes de Bérenger, que c’étaient des scélérats qui accouraient à lui, heureux d’être libérés d’une grande crainte lorsqu’ils comprenaient que l’eucharistie n’était pas une chose tellement  sacrée et tellement  divine qu’il ne leur était pas permis de s’en approcher.
Jean de Wiclef, Carlostadius, Zwingli, Calvin, Pierre le martyr et les autres patrons d’hérésies, il serait trop long d’expliquer ce qu’ils étaient.  Il est établi qu’aucun d’entre eux n’a pu donner un miracle comme signe de leur apostolat.
Le dernier argument est tiré des miracles qui ont été faits en confirmation de la vérité, et que les hérétiques n’ont pu obtenir ni de Dieu ni du démon.  Or, Dieu ne peut pas  être le confirmateur d’un mensonge;  et il n’a pas permis aux hérétiques d’avoir, par l’opération du démon, sinon de vrais miracles, du moins un semblant de miracle.  Plusieurs miracles sur le saint sacrement sont rapportés par Jean Garetius (dans son livre sur la vraie présence du corps du Seigneur) et par Tilmann Bredembachius (dans son livre 1 sur les assemblées sacrées).  Je crois que sept miracles devraient faire l’affaire.
Le premier est tiré de la vie du bienheureux Grégoire par Paul le diacre, et du livre 2, chapitre 41 de la vie du même Grégoire, écrite par Jean le diacre.  Voici un résumé de cette histoire.  Comme saint Grégoire distribuait l’eucharistie au peuple, il en vint à la femme qui avait  fait,  de ses mains,  le pain qui avait été consacré.  Quand saint Grégoire lui dit : « Que le corps du Seigneur Jésus Christ garde ton âme pour la vie éternelle ! » tentée par le démon, elle se mit à ricaner.   L’évêque retira sa main,  et déposa l’eucharistie  sur l’autel.   Une fois la cérémonie terminée, l’évêque lui demanda devant tout le peuple, pourquoi elle avait ricané devant un mystère si sublime et si redoutable.  Après avoir hésité un certain temps, elle avoua qu’elle avait reconnu le pain qu’elle avait fait elle-même pétri de ses propres mains, et qu’elle ne pouvait donc pas croire que là se trouvait le véritable corps du Seigneur.  Alors saint Grégoire demanda à Dieu instamment que l’espèce externe du pain soit changée en chair.  Une fois obtenu le miracle, il ramena la femme à la foi, et confirma tout le peuple dans la foi.
On trouve un autre miracle dans Paschasius  (livre du corps du Seigneur, page 14), où il raconte qu’un presbyte très pieux et même saint, avait désiré de voir de ses yeux corporels le corps qu’il croyait être sous les espèces du pain et du vin.  Il obtint finalement ce qu’il demandait, et vit le corps du Christ dans sa forme humaine, mais enfantine, comme il l’avait demandé lui-même.  Et comme Paschasius l’explique dans son livre, Dieu a permis ce miracle pour deux raisons : pour confirmer ceux dont la foi est chancelante, et pour consoler ceux qui l’aiment ardemment.
Le troisième est de saint Malachie, rapporté par saint Bernard (dans sa vie de saint Malachie.)  Un clerc avait eu la présomption de dire que, dans l’eucharistie, il n’y avait que le sacrement, et non le corps du Christ.  Le saint lui demanda de ne pas refuser de se présenter à l’assemblée des clercs.  Il lui donna alors la faculté d’exposer son erreur, et quand il eut terminé, il le réfuta de la façon la plus convaincante.  Comme le clerc en question ne voulait pas se rendre à la vérité, il prêcha contre son hérésie devant tout le peuple, dénonça l’hérétique, et, avec les autres évêques présents, l’anathématisa.   Mais, comme il continuait à délirer, et à dire fièrement que tous n’ont égard qu’à l’homme, que lui ne faisait pas acception des personnes et n’abandonnait pas la vérité, saint Malachie dit : « Que le Seigneur te fasse confesser la vérité, même malgré toi ! » À quoi il répondit : amen.  Or, le même jour, il fut atteint d’une maladie grave et mortelle. Il changea donc d’idée, se réconcilia avec l’Église, et mourut.  Dieu pouvait-il mieux montrer de quel côté est la vérité ?
Le quatrième est de saint Bernard.   Car, comme il est écrit dans sa vie (livre 2, chapitre 3), à Milan, en présence de tout le peuple, pendant la célébration de la messe, il guérit une démoniaque, dont la santé semblait désespérée.  Pendant de longues années, le démon l’avait possédée, et lui avait enlevé l’usage de ses yeux, de ses oreilles et de sa langue.  Elle étendait même sa langue à la manière de la trompe d’un éléphant. De telle sorte que ce n’était pas une femme que l’on voyait, mais un monstre horrible.  Tenant donc la sainte hostie sur la patène posée au-dessus de la tête de la démoniaque, il chassa le démon en parlant ainsi : « Ton juge est présent, méchant esprit, est présente sa suprême puissance.  Résiste donc, si tu le peux !  Il est présent celui qui va s’immoler pour nous. C’est maintenant, dit-il, que le prince de ce monde est expulsé.  Ce corps, c’est le corps qu’il a tiré de la vierge Marie, qui a été cloué sur le bois de la croix, qui a reposé dans le sépulcre, qui est ressuscité des morts, qui est monté aux cieux à la vue de ses disciples.  Par la puissance terrible de cette majesté, je t’ordonne de sortir de sa servante, et de ne plus présumer habiter en elle ! »  La voix de la vérité a mérité là  d’être exaucée par Dieu.  On devrait donc dire que Dieu est l’auteur de l’erreur si était faux ce que saint Bernard a dit et ce que toute l’Église croit.
Le cinquième est celui de saint Antoine de Padoue, qui est prodigieux et à  couper le souffle. Il est  rapporté  par Jean Garetius,  par Tilmann Bredembach,  par Sirius ( au tome 3), et par saint Antonin (dans la somme des histoires ( par 111, tit 24 chap 3, verset 2).  Pendant que saint Antoine disputait  avec un hérétique à Toulouse sur la vérité du corps du Seigneur dans l’eucharistie, ( au temps où les Albigeois qui vexaient l’église étaient, avec beaucoup d’autres,  infectés de cette hérésie), sachant que le saint avait le don des miracles, l’hérétique demanda à saint Antoine un signe : « J’ai une jument à qui je ne donnerai pas de nourriture pendant trois jours. À la fin des trois jours, viens avec le saint sacrement.  Je serai là avec la jument.  Je vais placer du foin devant elle.   Si, laissant de côté le foin, la jument se prosterne pour vénérer l’eucharistie, je croirai. »  Il advint comme il le voulait.
Les trois jours écoulés, saint Antoine, accompagné d’une foule de fidèles, parla ainsi à la jument en tenant le vénérable sacrement devant elle : « En vertu et au nom de ton Créateur que, bien qu’indigne, je tiens véritablement dans mes mains, je te dis, animal et  je t’ordonne que tu fasses une génuflexion à ta manière, et que tu lui montres ton respect. Et pour que la perversité hérétique connaisse que toute créature est soumise à son Créateur, que la dignité sacerdotale consacre continuellement sur l’autel. »  Après ces paroles, sans tenir compte un instant du foin répandu devant elle et de sa faim,  la jument courut vers le saint, et après avoir incliné la tête et fléchi ses jambes comme elle le pouvait, adora le Seigneur, et confondit l’hérétique.
Le sixième est raconté par Thomas Waldensis, en tant que témoin oculaire, (tome 2, chapitre 63). Il rapporte qu’un raccommodeur hérétique avait subi un procès public dans l’église saint Paul de Londres devant l’archevêque et les autres prélats, parce qu’il avait dit qu’une araignée était plus digne de culte et de respect que l’eucharistie.  Et, subitement, du plafond de la cathédrale, une horrible araignée étendit son fils jusqu’à sa bouche, et c’est avec une grande difficulté qu’on l’a empêchée d’y entrer.
Le septième est raconté par Tilmannus Bredenbachius (livre 7, chapitre 60 sur les réunions sacrées).  On racontait qu’il y avait dans le pays quelqu’un qui était très connu et très célèbre.  Il n’était pas seulement un auteur de discours, mais aussi de chants.  Voici un résumé de l’histoire.  En l’an 1561, le huit avril, férie 2, trois heures avant le midi, à Pâque, à Noviomage, ville qui est en  Geldria, un curé du nom de Antoine Wortiius  apportait, à la fi d’une messe solennelle,  le saint sacrement à une femme malade, selon la coutume catholique.  Il arriva, par hasard, qu’au même moment, à la porte de la taverne près de laquelle le curé devait passer, étaient assis deux jeunes, un de Noviomagensis et l’autre de Trajectanis, qui, tenant dans leurs mains des œufs pascals,  avaient pari suivant : lequel des deux  engloutirait le plus rapidement les œufs.  Quand il vit le curé approcher,  celui qui était originaire de Trajectanis se mit à blasphémer et à se moquer d’un si grand mystère.  Il était, selon toute apparence, un hérétique partisan de Calvin.  Et il dit qu’il dévorerait son œuf plus rapidement que l’efféminé Déastre.  Et il mit l’œuf dans sa  bouche.  Mais l’œuf demeura bloqué,  au milieu de la gorge.  Et comme il se sentait suffoquer, il regarda partout autour de lui, et vit une chandelle accrochée à un mur.  Il la mit dans sa bouche pour décoller l’œuf. Elle demeura fixée à l’œuf, et tout ce qu’il put péniblement  retirer de sa gorge fut la mèche de la chandelle.  Il s’écroula, son visage devint noir comme celui d’un Éthiopien, et le malheureux expira, après que sa gorge eux expulsé ce qui était bloqué là.  C’est ainsi que le Christ démontra  qu’il était le vrai Dieu.
À cet argument sur les miracles, Pierre le martyr a brièvement répondu dans son livre contre Gardinerus (objection 158) que ce nous appelons des miracles ce sont de pures prestidigitations.  Et il le prouve en disant que saint Irénée atteste (livre 1, chapitre 9), que l’hérésiarque Marc avait coutume d’opérer des prodiges quand il consacrait l’eucharistie : il faisait apparaitre du sang dans le calice.  Que vaut donc la conclusion qu’il en tire ?  Le magicien et hérésiarque Marc faisait apparaitre du sang dans le calice, et donc saint Grégoire, saint Bernard, saint Antoine et d’autres, que même les hérétiques considèrent comme des saints,  n’ont fait des miracles eucharistiques qu’en tant que magiciens ?  S’il était permis d’argumenter ainsi, il faudrait conclure la même chose dans le cas de Moïse et des magiciens égyptiens. C’est par l’incantation que les magiciens de Pharaon ont converti des bâtons en serpents et de l’eau en sang.   Donc, quand Moïse fit la même chose,  c’est par des incantations qu’il le faisait ?  Et on pourrait ainsi calomnier tous les miracles du Christ et des apôtres.
Je dis ensuite que la réponse de Pierre le martyr pourrait toujours convenir aux miracles qui se font quand, dans l’eucharistie, apparait la chair ou le sang.  Mais elle ne pourrait en aucune façon convenir aux miracles qui consistent dans la mort des hommes, comme est le troisième et le septième que nous avons racontés.  Car, ces morts furent de vraies morts, non des morts simulées ou fictives.  Je dis, enfin, qu’il nous faut recourir au dilemme de saint Augustin (livre 2, chapitre 5 de la cité de Dieu).   Car, ou ces choses ont été faites pour confirmer le mystère, ou elles n’ont pas été faites.  Si elles ont été faites, croyons donc ce qui a été confirmé par tant de miracles.  Si elles n’ont pas été faites, c’est un miracle suprême qu’une chose si difficile à comprendre ait été crue par tant de philosophes, et par la terre entière.  Car, il n’y a pas lieu de se surprendre que la sentence des adversaires, qui est d’une simplicité enfantine,  soit admise sans miracles.  Et notre sentence, qui répugne non seulement aux sens mais à la raison, qui croira  qu’on ait pu la persuader à une si grande multitude sans miracles, à moins, comme je viens de la dire, que ce soit là le plus grand des miracles ?
                                                         CHAPITRE  9
                    On répond à l’objection qui porte sur l’inutilité de la présence réelle
Elles sont au nombre de deux les objections des adversaires.  La première.  Dieu n’a pas coutume de ne faire rien pour rien. Or, c’est pour rien qu’aurait été placée dans l’eucharistie la vraie présence du corps du Seigneur, puisqu’il suffit de l’avoir là en signe.  D’abord, parce que la fin et le fruit de l’eucharistie est de nourrir les âmes.  Or, le Christ ne nourrit pas moins les âmes en étant là symboliquement qu’en étant présent réellement.  Car, c’est de foi et de charité que les âmes se nourrissent. La foi et la charité peuvent s’unir autant au Christ présent dans le ciel qu’au Christ présent dans l’eucharistie.
 Calvin (livre 4, chapitre 17, verset 32) : « Par la participation spirituelle au corps du Christ, nous ne nourrissons pas  moins fructueusement  que ceux qui arrachent le Christ du ciel pour le ramener sur la terre.. »  Pierre le martyr (contre Gardinerus, objections 52 et 60) dit des choses semblables, en ajoutant, comme témoignage de l’Écriture, ce que le Seigneur a dit aux apôtres en Jean 16 : « Il vous est avantageux que je m’en aille. »  « Car, si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous. »  La présence corporelle du Christ n’était donc pas utile aux apôtres, car, autrement, il était plus profitable de demeurer avec eux plutôt que de les abandonner.  Or, la présence du Christ dans l’eucharistie ne peut pas être plus profitable que ne l’était, pour les apôtres,  sa présence visible et corporelle.  Si elle était inutile pour les apôtres, à combien plus forte raison l’est-elle pour nous.
Deuxièmement.  Le baptême confère la grâce, régénère l’âme, et confère la vie spirituelle, même si l’eau n’est pas transmutée dans le Christ ou dans le Saint-Esprit, mais demeure une vraie eau comme elle l’était auparavant.  Pourquoi l’eucharistie ne pourrait-elle  pas conférer la grâce,  conserver et augmenter la vie reçue, même si le pain n’est pas changé dans la chair, et s’il demeure un vrai pain comme il était avant ?
Troisièmement. Cette présence du Christ est invisible, et n’est perceptible par aucun sens, ni même par l’intelligence, mais par  la seule foi.  Or, la foi n’avait pas besoin de cette présence, pour pouvoir appréhender le Christ.  La présence du Christ dans l’eucharistie n’apporte donc rien.
Quatrièmement. Ceux qui reçoivent le Christ dans le symbole par la seule foi, obtiennent sans doute possible, le fruit de la passion du Seigneur.  Or, ceux qui reçoivent, sans foi,  le Christ dans l’eucharistie, n’obtiennent aucun fruit.
Cinquièmement. Voici comment argumente Calvin contre Westphalus : « Cette présence réelle apporte plus d’inconvénients que d’avantages.    Car, elle fait que le corps du Christ soit là autant pour les pieux que pour les impies, ce qui n’est certes pas un mince inconvénient.  Et de plus, il ne nous est présent que pendant un court temps, tant que les espèces sont conservées.  Ce qui n’est pas du tout un grand avantage.   Cette présence réelle est donc inutile.
Je réponds que ces arguments sont très faibles. Car, d’abord, on peut nier et la conséquence et l’antécédent.  Car, si cette conséquence prouve quelque chose elle prouve seulement qu’il n’était pas absolument nécessaire que le corps du Christ soit placé réellement dans le sacrement, mais elle ne prouve pas que ça ait  été une chose inutile ou vaine.  Quelques exemples nous le feront mieux comprendre.
 Car, on peut argumenter de la même façon dans le mystère de l’incarnation.  Dieu aurait pu nous libérer sans l’incarnation du Fils.  Dieu s’est donc fait homme pour rien. De même.  Le Christ aurait pu, par une bonne action quelconque nous réconcilier avec son Père, c’est donc pour rien qu’il s’est  soumis à tant de labeurs et de souffrances.   De même. Il pouvait nous racheter par une seule goutte de son sang.  Pourquoi donc tant d’avanies, de coups de fouet, pourquoi ces plaies et l’effusion de tout son sang ?  De même.  Le Christ pouvait, sans descendre aux enfers, faire sortir des limbes les ancêtres, lier les démons, et opérer par sa seule volonté des choses de ce genre. À quoi donc pouvait servir cette descente aux enfers ?  Enfin, les malades pouvaient être guéris par la seule foi dans le Christ, sans le contact de ses mains ou de la frange de son manteau.  Pourquoi donc le Seigneur imposait-il les mains ?  Pourquoi les malades accouraient-ils avec tant de zèle pour toucher au moins son manteau ?  Des exemples de ce genre, on pourrait en apporter un grand nombre.  De la même façon, il ne s’ensuit pas que la présence réelle du Christ dans l’eucharistie soit inutile, même si, par la foi,  on pouvait tirer le même fruit d’un simple  symbole.
Je nie, cependant,  que ce soit le même fruit  qui soit reçu par la foi  et par un simple symbole.  Car, d’abord, la foi, la dévotion, la charité, la piété, la révérence sont beaucoup plus excitées quand on pense s’unir réellement  au Christ que quand on croit qu’il n’est présent  corporellement que dans le ciel.  Et on peut le prouver cela par l’expérience.  Les pieux fidèles sont plus portés à la dévotion par le vénérable sacrement que par des images du Sauveur, qui sont de purs symboles du Christ.   Et quand le Christ s’unit à nous, il nous donne des biens beaucoup plus grands que ceux  qu’il  nous donnerait sans cette union.  C’est comme ceux, autrefois,  qui le touchaient.  Ils étaient, par ce toucher,  guéris de maladies dont ils n’auraient pas, sans cela,  été soulagés.  Il arrive souvent qu’en allant visiter les prisonniers dans les prisons, les princes libèrent plus de prisonniers qu’ils n’auraient libérés autrement, même si,  par un seul ordre, et sans sortir de leur palais, ils peuvent les libérer tous.
Au texte de l’évangile cité, les pères donnent deux explications.   Aucune de ces deux ne nous est contraire. La première est celle de saint Augustin (traité 84 sur saint Jean)  et de saint Bernard (sermon 3 sur l’ascension du Seigneur).  Ils disent que, séduits par le charme de sa personne et de son entretien, les apôtres aimaient le Christ d’un amour humain quand il vivait avec eux. Mais qu’il fallait qu’ils soient sevrés de cette consolation humaine, pour qu’ils développent un amour purement  surnaturel envers le Christ.   Cette explication ne s’oppose pas à notre sentence, parce que comme la présence du Christ dans l’eucharistie est invisible, elle ne recherche pas un amour humain, mais un amour spirituel et divin.   Au lieu d’avoir des inconvénients, cette  présence n’a donc que des avantages.
L’autre explication est celle des Grecs, de saint Cyrille (livre 10, chapitre 32 sur saint Jean) et de Theéophylacte (saint Jean, chapitre 16). Ils disent qu’il était avantageux que le Christ s’en aille, non parce que sa présence pouvait être en quelque façon inutile, mais parce qu’était plus utile pour les apôtres et pour nous son retrait par sa mort et son ascension au ciel, que ne pouvait l’être  sa compagnie sur la terre.   Car Dieu avait décrété de ne pas envoyer son Esprit Saint avant que le sacrifice de la croix ne fut accompli, et que ne soit complétée la mission du Christ par son ascension.  Ce n’était donc pas la  présence corporelle du Christ qui empêchait la venue du Saint-Esprit,  mais ce décret de Dieu qui avait statué que la mort du Christ et son ascension au ciel devaient la précéder.
Au second argument, je concède que Dieu peut, par le sacrement de l’Eucharistie, sans la présence réelle du corps du Christ, conserver et augmenter en nous la vie spirituelle reçue au baptême.  Mais sa présence réelle n’en devient pas, pour autant, inutile.  Car, sans les symboles de l’eau et du pain, c’est-à-dire, sans des sacrements sensibles, Dieu aurait pu nous conférer la  grâce du baptême et de l’eucharistie, la même que celle qu’il confère par eux.  Et pourtant, les adversaires ne diront pas que, à cause de cela, ces symboles externes sont inutiles.
Ajoutons qu’il n’en va pas de l’eucharistie comme du baptême. Car, le baptême n’est rien d’autre que le sacrement de la régénération. Mais l’eucharistie n’est pas seulement le sacrement de la réfection et de la conversion, mais aussi un mémorial de tous les miracles, et comme un résumé de la vie, de la passion et de la résurrection du Seigneur, selon le psaume 110 : « Le Seigneur miséricordieux et charitable a fait un mémorial de ses merveilles, en donnant une nourriture à ceux qui le craignent. » Voilà pourquoi ce devait être une chose pleine de miracles, non un simple symbole, pour qu’elle ne soit non pas inférieure, mais supérieure à la manne des Hébreux, qui fut, elle aussi, un mémorial des merveilles qui survinrent aux Juifs dans le désert. C’est, enfin, un témoignage, et comme un gage de l’amour du Christ envers son Église. Et, comme cet amour est infini, et que la puissance du Christ est infinie, ce gage devait être admirable plus que tout.
Saint Jean Chrysostome écrit plusieurs belles choses à ce sujet (dans son homélie 24 sur la première épitre aux Corinthiens).  Troisièmement.  Elle est la cause et comme la semence de la résurrection de nos corps, et cela, par le contact, et l’union de son corps glorieux avec notre corps mortel, comme nous l’avons montré avec saint Irénée, saint Hilaire, saint Cyrille et d’autres saints.  C’est surtout le sacrifice de la religion chrétienne (que les hérétiques le veuillent ou non).  Et comme le sacrifice des chrétiens doit accomplir les anciennes figures, et donc être plus prestigieux  que tous les sacrifices des Hébreux, il n’a pas été possible de l’instituer dans le seul pain et dans le seul vin qui sont, de loin, inférieurs aux veaux et aux boucs. Mais, il fut nécessaire que le vrai corps du Christ soit contenu dans ce sacrifice pour que la vérité réponde adéquatement à l’image, l’exemplaire à la figure, le corps à l’ombre.
Troisièmement   Je nie que, dans l’eucharistie, le corps du Seigneur ne soit perçu que par la foi.  Car, même si, dans sa forme propre, le corps du Christ n’est perçu immédiatement par aucun sens, ni même par l’intelligence, mais par la seule foi, cependant, dans une espèce étrangère, il est aperçu médiatement  par les yeux, les mains, la langue, et la poitrine.  Les médicaments salubres, non immédiatement perceptibles par les sens, qui  sont donnés aux malades dans diverses capsules, sont vraiment très utiles quand ils se rendent à l’estomac.
Au quatrième argument, je concède que, sans la présence réelle, le corps du Seigneur peut être vénéré par la foi seule, et  que, l’acceptation de la présence ne suffit pas, par elle seule, pour procurer un gain spirituel.  Mais je nie qu’on doive en conclure que la présence réelle et la réception réelle du corps du Christ soient inutiles.  Car, même si ces choses ne sont d’aucun profit sans la foi, la foi tire plus de profit avec ces choses que sans elles.  Comme les bonnes œuvres ne sont pas profitables sans la foi, la foi sans les bonnes œuvres n’est profitable que  quand quelqu’un est légitimement empêché d’en produire.  Et cependant,  les bonnes œuvres avec la foi sont, sans conteste,  de plus de profit que la foi seule.
 Prenons l’exemple de la sainte Vierge.   Il ne lui aurait été d’aucun profit de concevoir et d’enfanter le Christ corporellement, si elle ne l’avait pas aussi conçu par la foi et la charité.  Et il lui aurait aussi été d’un grand profit de concevoir seulement par la pensée, même si elle n’avait pas aussi conçu corporellement.  Et cependant, qui oserait dire qu’il ne lui a pas été plus profitable de concevoir le Christ spirituellement et corporellement, que par la seule foi ?
Au dernier argument,  je dis qu’aucun désavantage ne découle de la présence réelle, mais plutôt d’énormes avantages.  Car, le  corps du Christ n’est pas blessé par la communion des impies; mais le Christ fait la démonstration de son immense charité.  Et même si c’est pendant peu de temps que nous avons le Christ en nous, cependant, pendant ce peu de temps, de grandes grâces nous sont prodiguées.  Les malades ne touchaient-ils pas le manteau du Christ pendait quelques secondes seulement, quand ils étaient guéris par ce bref contact ?
                                                           CHAPITRE 10
           On réfute une autre objection qui est tirée de l’indignité de la chose
L’autre et la dernière objection des hérétiques, ils la tirent  de l’indignité de la chose.  Calvin, écrit, en effet (livre, chapitre 17, verset 32),  qu’il faut rejeter les choses absurdes qui sont indignes de la majesté céleste du Christ. Ce que sont ces choses absurdes, il ne le dit pas en cet endroit, mais les autres les énumèrent pour lui.  Il faudrait concéder que le Christ est tombé sur la terre; qu’il est mastiqué par des dents; qu’il va dans le vendre et dans les latrines, qu’il est rongé par les souris, ou dévoré, qu’il se corrompt, qu’il devient du vinaigre, ou qu’il est consumé par le feu.  Toutes ces objections que nous font aujourd’hui les hérétiques, les bérengiens les avaient faites avant eux, comme nous le rapportent Guitmundus (livre 2) et Alger (livre 2, chapitre 1).  Nous répondrons donc ce qu’à ce genre d’objections ont répondu nos anciens pères.   Ce n’est pas seulement ce mystère que les Juifs, les païens et les hérétiques trouvaient indigne et stupide, mais tous les autres, comme l’affirme  saint Augustin (dans son épitre 19 à Deo Gratias, question 19) : « Nous ne croirions pas dans le Christ si la foi chrétienne avait peur des moqueries et  des dérisions des païens. »
Les Saducéens avaient osé poser à Jésus  une question piège contre la résurrection, pour que, de l’absurdité qui s’ensuivrait, ils concluent qu’il n’y aurait pas de résurrection future des morts.      Si une femme a eu sept maris, ou dans l’autre monde, les sept maris se battront pour l’unique femme, ou la femme aura simultanément plusieurs maris.  Parlent de la même manière les marcionistes (Tertullien, livre de la résurrection de la chair), les origénistes (saint Jérôme, épitre à Pammachius contre les erreurs de Jean de Jérusalem). Pour réfuter par le ridicule la résurrection de la chair, ils poussaient leur arguments jusqu’à l’absurde.  Par exemple.  Si la distinction des sexes continue, il y aura encore de la procréation, des nourrisses, des sages-femmes.  Si le ventre et le palais continuent à exister, il y aura aussi des aliments, des défécations, des latrines.  Le Seigneur répondit à tous ces moqueurs : « Vous vous trompez, ne connaissant ni l’Écriture ni la vertu de Dieu. Car, dans la résurrection, on ne se marie pas. »    Nous pouvons, nous aussi, dire à nos hérétiques : Vous êtes dans l’erreur, ne connaissant ni l’Écriture ni la vertu de Dieu, car le Christ existe véritablement dans le sacrement, sans pouvoir être lésé en aucune façon.  Il ne tombe donc pas en terre, n’est pas mastiqué par les dents,  n’est pas rongé par les souris, ne moisit pas. Ces choses là affectent les espèces, non le Christ, même si les espèces sont unies au Christ.
Tu diras.  Si le corps du Christ est vraiment dans l’eucharistie, et si, quand tombe par terre l’eucharistie, le corps du Christ ne tombe pas, dans ce cas, le corps du Christ est donc séparé de l’eucharistie : l’un demeure sur l’autre, et l’autre git par terre, ou il est demeuré dans les mains de celui qui a échappé l’eucharistie.     Je réponds que, tant que les espèces demeurent intègres,  le corps du Seigneur n’est pas séparé de l’eucharistie. C’est pour cette raison que si l’eucharistie tombe par terre, le corps du Seigneur sera par terre, mais on ne dira pas de lui qu’il a tombé.  Car, tombe au sens propre du terme ce qui est un corps,  existe et se meut corporellement.     Et c’est pour cela que quand un homme tombe, le corps tombe, mais non l’âme, même si elle est mue par accident.  Il en est ainsi du corps du Christ qui demeure invisiblement dans l’eucharistie. Il change de lieu quand tombe l’hostie, mais ne tombe pas au sens propre.
Deuxièmement.  Plusieurs philosophes, et surtout les épicuriens, niaient la providence de Dieu sur les choses qui se trouvent en dessous de la lune, en disant qu’il était indigne de Dieu de s’abaisser à pourvoir à des choses si viles.  Mais les chrétiens ont appris de l’Écriture que non seulement il n’est pas indigne de lui, mais qu’il est très digne de lui de montrer sa bienveillance, sans s’épuiser et sans en être incommodé, envers les oiseaux,  les animaux,  les fleurs et les vers de terre.  Nous pouvons dire la même chose aux hérétiques.  Ce n’est pas une chose indigne du Christ, mais plutôt très digne de s’offrir ainsi à nous sans lésion, pour nous montrer son suprême amour.
Troisièmement.  Ceux qui niaient l’incarnation ne pouvaient pas trouver d’argument plus fort que celui de l’indignité.  Comme les marcionistes (Tertullien, livre de la chair du Christ) qui objectaient qu’il était indigne de Dieu d’être enfermé dans le sein d’une femme, d’être placé dans une crèche, et d’autres choses du même genre.  Et Nestor (Theodoret, livre 4, sur les hérésies fabuleuses), et Évagre (livre 1, chapitre 2, histoire) n’apportaient pas d’argument plus percutant que de dire  qu’il était indigne de Dieu de dire de lui  qu’il avait deux mois ou deux coudées.  Or, c’est ce qu’on aurait du dire si le Christ avait été  enfant et Dieu en même temps.   C’est pourquoi les Juifs et les païens ne trouvaient rien de plus horrible et de ridicule dans la religion chrétienne que l’indignité avec laquelle les chrétiens adoraient un homme pendu, et espéraient dans quelqu’un qui a été crucifié entre deux brigands, comme on le voit chez saint Justin dans son dialogue avec Tryphon, et dans Minitius Flix (Octave).  Mais, instruite par l’apôtre, (1 Corinthiens 1) du mystère de la croix qui est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Gentils, mais qui est,  pour les élus, une vertu de Dieu, et une sagesse de Dieu, l’église méprise ces dérisions et ces sarcasmes.  Car, dans tous les tourments du Christ, la divinité n’a été lésée en aucune façon. Mais cependant, de sa passion,  sont nées,  pour Dieu  une immense gloire indescriptible,  et pour les humains, une utilité ineffable.
Nous pouvons répondre la même chose aux sacramentaires, et avec beaucoup plus d’à propos. Car il semble que ce soit une plus grande indignité  pour le Christ, homme et Dieu, d’être lésé dans sa nature propre, que dans l’espèce du pain.  Or, dans l’espèce du pain, le Christ homme ne souffre en rien.  C’est dans sa forme propre qu’il a vraiment souffert de la flagellation, du  crucifiement, et d’une mort ignominieuse sur un gibet, entre deux bandits.
Quatrièmement.  Pour combattre la divinité du Christ, les ariens objectaient toujours  que la divinité requérait l’honneur qui est rendu à Dieu le Père, comme on le voit dans saint Hilaire (livre 12 sur la trinité,  et le livre contre l’empereur arien Constance).  Pour nier le pouvoir sacerdotal d’absoudre les péchés, les novatiens (comme le rapporte saint Ambroise livre 1, chapitre 2 sur la pénitence), disaient qu’il était indigne d’attribuer aux hommes ce qui est le propre de Dieu.  Mais les pères répondirent que personne ne déshonorait plus le père que ceux qui ne croyaient pas dans ses paroles : « Celui-ci est mon Fils », et « Tout ce que vous délirez sur la terre ».  Nous répondons la même chose aux sacramentaires, car le Père n’avait pas parlé plus clairement que le Christ quand il a dit :  « Ceci est mon corps. »  Dieu n’aime pas ces défenseurs qui ne savent pas lui rendre honneur et gloire sans corrompre ses paroles, et faire de lui un menteur.
Enfin, à ceux qui ne peuvent pas supporter que le Christ soit enfermé dans une lunule, qu’il tombe par terre, qu’il soit brûlé et rongé par une souris, je poserais la question : croyez-vous que le Christ enfant a vraiment été enfermé dans l’utérus obscur et étroit d’une femme, et a été vraiment emmailloté ?  Croyez-vous qu’il ait pu non seulement tomber par terre, mais s’étendre souvent sur le sol ?  Croyez-vous que, sans miracle, le même enfant aurait pu être brulé vif et dévoré par une bête ?  S’il avait  donc pu supporter toutes ces choses dans sa forme humano-divine  en étant vraiment lésé,  pourquoi ne pas dire que, dans une autre espèce,  la même chose peut lui arriver, sans être lésé.  J’ai bien dit dans une autre espèce, car, nous ne concédons pas d’une façon absolue, que le corps du Christ dans l’eucharistie puisse être rongé ou brulé, de peur de laisser entendre que le Christ endure cela dans sa forme humano-divine.
 2019 03 11 fin

A SUIVRE

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.